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Compte : Elsa SANCEY Similtudes document :

Identifiant : abqx89
Titre : These du bouchet.doc 7%
Dossier : dmo compilation
Commentaires : Non renseigné Similitudes partie 1 :
Chargé le :14/11/2014 14:03

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INFORMATIONS DÉTAILLÉES

Titre : These Du Bouchet.doc


Description : dmo compilation
Analysé le : 14/11/2014 14:21
Identifiant : gnpqv8
Chargé le : 14/11/2014 14:03
Type de chargement : Remise manuelle des travaux
Nom du fichier : These Du Bouchet.doc
Type de fichier : doc
Nombre de mots : 13893
Nombre de caractères : 93163

TOP DES SOURCES PROBABLES- PARMI 20 SOURCES PROBABLES

1. ler.letras.up.pt/.../ficheiros/9812.pdf 4%
2. www.theses.fr/.../2013PA040134 4%
3. noesis.revues.org/.../32 1%
4. annaorlova.blog.lemonde.fr/.../05/07 1%
5. www.maulpoix.net/.../Voix.htm <1%
6. www.arches.ro/.../no04/no4art04.htm <1%

SIMILITUDES TROUVÉES DANS CE DOCUMENT/CETTE PARTIE

Similitudes à l'identique : 10 %

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Similitudes supposées : 4 %
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Sources très probables - 20 Sources accidentelles- 19 Sources


Sources peu probables - 18 Sources ignorées - 0 Sources

SOURCES TRÈS PROBABLES

20 Sources Similitude
1. ler.letras.up.pt/.../ficheiros/9812.pdf 4%
2. www.theses.fr/.../2013PA040134 4%
3. noesis.revues.org/.../32 1%
4. annaorlova.blog.lemonde.fr/.../05/07 1%
5. www.maulpoix.net/.../Voix.htm <1%
6. www.arches.ro/.../no04/no4art04.htm <1%
7. eriac.net/.../02/11RLEEp093Vicente.pdf <1%
8. Source Compilatio.net 3ad9t <1%
9. Source Compilatio.net cdmr6 <1%
10. www.esf-editeur.fr/.../pedagogie-entre-le...le-faire--la-.html <1%
11. Source Compilatio.net cgny57 <1%
12. Source Compilatio.net lik92 <1%
13. www.meirieu.com/.../LIVRES/li_lpeldelf.htm <1%
14. www.husgallery.com/.../212-41-VAN_VELDE_Bram.html <1%
15. Source Compilatio.net aisvw2 <1%
16. www.youscribe.com/.../musique/poesie-et-musicalite-186151 <1%
17. Source Compilatio.net f94tj <1%
18. www.unige.ch/.../livres/Meirieu_R1995_A.html <1%
19. www.erudit.org/.../n1/012824ar.html <1%
20. Source Compilatio.net demqs7 <1%

SOURCES PEU PROBABLES

18 Sources Similitude
1. www.paris-sorbonne.fr/.../pdf/Annuaire_doctorat_entier1.pdf 2%
2. www.english.ufl.edu/.../readings/Carby--Canon.pdf <1%
3. tidsskrift.dk/.../12326/23487 <1%
4. www.mutualart.com/.../CF78DA1C06A0D446/Artworks <1%
5. www.maeght.com/.../galeries/artiste_biographie.asp <1%
6. www.sudoc.fr/.../176481427 <1%
7. www.shroud.com/.../pdfs/guscin3.pdf <1%
8. www.philaprintshop.com/.../diction.html <1%
9. edso.revues.org/.../434 <1%

Page 2
10. excerpts.numilog.com/.../books/9782705666828.pdf <1%

11. www.erudit.org/.../n1/006738ar.html <1%


12. en.wikipedia.org/.../wiki/Welfare_dependency <1%
13. www.signetart.com/.../newsletters/Viewpoints_Mar08.pdf <1%
14. www.collegeadoration.org/.../presentation/projetetablissement <1%
15. dialnet.unirioja.es/.../articulo/3325050.pdf <1%
16. www.amorosart.com/.../originales-livres_...-1250-15-1-fr.html <1%
17. www.espritsnomades.com/.../charnet/yvescharnetattachant.html <1%
18. www.michelfillion.com/.../detail.php <1%

SOURCES ACCIDENTELLES

19 Sources Similitude
1. www.etudes-litteraires.com/.../topic25570-caracte...ns-des-textes.html <1%
2. Source Compilatio.net dhw47 <1%
3. poezibao.typepad.com/.../anthologie-permane...ierre-reverdy.html <1%
4. www.lemonde.fr/.../toulouse-les-revel..._1674664_3224.html <1%
5. poezibao.typepad.com/.../poezibao/lectures <1%
6. www.saphirnews.com/.../Sale-temps-pour-le...lmanes_a16258.html <1%
7. ler.letras.up.pt/.../ficheiros/5762.pdf <1%
8. www.editionsbdl.com/.../un-combat-philosophique/124 <1%
9. puntocritico.eu/.../ <1%
10. www.florilege.free.fr/.../reverdy/lasaveur.htm <1%
11. www.lemonde.fr/.../vincent-labrune-pr..._1624077_3242.html <1%
12. francais.bayynat.org/.../femme_en_Islam/Lamitie.htm <1%
13. www.ldh-france.org/.../07/LDH-GENRE.pdf <1%
14. archive.org/.../lesanomaliesmusc00testuoft_djvu.txt <1%
15. www.espritsnomades.com/.../reverdy/reverdy.html <1%
16. www.voici.fr/.../francois-hollande-...trierweiler-539725 <1%
17. www.tierslivre.net/.../spip/spip.php <1%
18. fr.wikipedia.org/.../wiki/Vestigium_pedis <1%
19. www.urvoas.org/.../mode-demploi-dune-...politique-generale <1%

SOURCES IGNORÉES

0 Source Similitude

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SIMILITUDES TROUVÉES DANS CE DOCUMENT/CETTE PARTIE

Similitudes à l'identique : 10 %
Similitudes supposées : 4 %
Similitudes accidentelles : 0 %

TEXTE EXTRAIT DU DOCUMENT

UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

ÉCOLE DOCTORALE V

EA4509

THÈSE

pour obtenir le grade de

DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE

Discipline : Langue française

Présentée et soutenue par :

Amélie COLLET

le 09 décembre 2013

La Voix dans l’œuvre d’André du Bouchet


Sous la direction de :

M. Olivier Soutet – Professeur, Paris-Sorbonne

Président du jury :

M. Pierre Cahné – Professeur émérite, Paris Sorbonne

Membres du jury :

Mme Michèle Monte – Professeur, Université du Sud Toulon Var

Mme Michèle Aquien – Professeur, Paris-Est Créteil Val-de-Marne

Mme Joëlle Gardes-Tamine – Professeur émérite, Paris-Sorbonne

Mme Lise Sabourin – Professeur émérite, Université de Lorraine

M. Jérôme de Gramont – Professeur, Faculté de Philosophie, I.C.P.

Remerciements

Dans une cantate, les hommes qui servent si délicatement l'éclat de la Voix principale souvent s'éclipsent. Pourtant, sans
cette voix basse maintenue, il n'existe pas de chœur.

Dans cet esprit de concorde, je remercie, pour son soutien, le Professeur Olivier Soutet, qui m'a entendue et toujours
bienveillamment accordé de son temps. Un éminent spécialiste de la linguistique médiévale ne se hasarde pas si aisément
dans la poésie d'André du Bouchet. Ce que l'on risque révèle bien ce que l'on vaut.

Je remercie mon époux Emmanuel d'avoir été continûment à mon écoute. Je lui sais gré de sa présence dans tous les
instants critiques qu'a comportés cette longue réflexion et de son engagement si souvent renouvelé à mes côtés. Cette fois,
pour le pire plus que pour le meilleur.

Je remercie le Professeur Philippe Grosos d'avoir prêté ce fameux jeudi d'avril sa voix au poème dubouchettien et d'en
avoir fait si justement résonner la béance à travers lui. Qu'il trouve dans ces quelques pages et chapitres un nouvel écho.

Je remercie Dietrich Fischer-Dieskau, dont le chant si fragile (mal entendu par Roland Barthes, qui n'y voyait
qu'académisme et expression excessive), n'a cessé d'accompagner ce long voyage d'hiver que constitue l'écriture d'une
thèse.
Page 4
thèse.

A mes deux filles,

Salomé et Joséphine,

qui ont poussé, il y a si peu de temps, leur premier cri

et qui, un de ces heureux jours, j'ose l'espérer,

feront entendre leur voix.

Résumé

Source
www.theses.fr/.../2013PA040134 4%
principale

Fondatrice et résultante du corps textuel, origine et horizon du poème, la Voix, dans l’œuvre d’André du Bouchet,
dépend de cet espace exigu qui se situe simultanément en dehors du sens et du non-sens. Dépassant la dichotomie
écriture/oralité propre à la métaphysique traditionnelle occidentale, le poète l’apparente à une sorte de balancement
entre l'exprimé et l'imprimé, entre un « vouloir-dire » et un « faire-silence ». La Voix est ce « signe » du bruit ou du
mutisme, clair de toute signification préétablie et irréductible, dans le temps où il est perçu à l’ordre de la langue, qu’il
habite cependant. Le sens des mots ne se constitue que dans la disposition élocutoire qui les porte à la parole et qui
englobe l’ensemble de la corporéité et de la spatialité. Retentissante dans un espace qui est ouvert sur le dehors, la
Voix est la manifestation d’un « espace-temps-lieu-monde » singulier par l'écoute qui, seule, peut entendre dans les
mots l'émergence d'un existant. Véritable ouverture potentielle et permissive à un toujours vouloir-dire, la Voix perd
son statut d’épiphénomène (simple expression sonore d’une pensée primitive) pour acquérir celui d’événement. Elle
est cette parole pour ne rien dire, dont force est de prendre acte sans conclure.Mots-clés : André du Bouchet, voix,
poésie, écriture, oralité, significationAbstractThe Voice in the works of André du Bouchet, is at the foundation and the
result of the text corpus, the origin and horizon of the poem. It is dependent on the exiguous space lying
simultaneously beyond meaning and lack of meaning. Transcending the writing/oral expression dichotomy
characterizing Western traditional metaphysics, the poet identifies it as swaying somehow from the expressed to the
imprinted, from a “meaning to say” to a “keeping under silence”. The Voice is the “sign” of noise or silence. It is void of
all pre-established and irreducible meaning at the very moment it comes to be perceived in the language order, yet it
inhabits it. The meaning of words only constitutes itself in the delivery phase that brings them into speech and
encompasses physicality and spatiality as a whole. Resounding in a space looking outward, the Voice is the
expression of a peculiar “space-time-place-world” when it is listened to. It is only this listening that makes it possible to
hear the emergence of existing elements in words. As a true potential and permissive opening to a permanent
“meaning to say”, the Voice loses its status of epiphenomenon (a simple sound expression of primitive thought) to
gain that of event. It is this speech that says nothing that we are forced to acknowledge without reaching a conclusion.

Keywords: André du Bouchet, voice, poetry, writing, oral character, meaning

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION.........................................................p.13

PREMIER CHAPITRE

« Ce que j'écris, c'est l'air qui l'exige »..........................p.30

I. L’écrit ou l’expression de la Voix................................P.32

.......................................

I.A. Restituer l’écrit à la fraîcheur d’avant la lettre..............p.35

...................

I.A.1. « ... raccourci oral inclus dans l'écrit » ...................p.37

I.A.1.a. Dépasser le logocentrisme...................................p.37

I.A.1.b. L’épreuve de la différence..................................p.44

I.A.2. « [F]raîcheur qui disperse les signes » : déloger le signe de son ordre clos...........................................................p.47

I.A.2.a. Une opacité constitutive de l’écriture poétique.............p.47

I.A.2.b. Une parole d’ouverture......................................p.56

I.B. « Ramener l’écrit au proféré »..................................p.62

I.B.1. Les allures imprévisibles de la Voix..........................p.64


Page 5
I.B.1. Les allures imprévisibles de la Voix..........................p.64

I.B.1.a. « [U]n sens que par le moyen de l’écriture on aura voulu fixer, se révèle, en vérité, aussi volatile que la voix, et cela,
c’est ce que la voix, justement, met en lumière dans l’écrit »....................p.64

I.B.1.b. S’inscrire dans le territoire de l’indécidable : « Tous les soirs je me promène avec un jeune homme enchaîné à un
mur, à une idée fixe. Nous allons de long en large contre le mur »...................p.69

I.B.2. « Transcrire sans attendre d’avoir compris »..................p.73

I.B.2.a. La quête d’un état pré-verbal ou la marche vers le « natal »....

....................................................................P. 73

I.B.2.b. La saveur du réel...........................................p.78

I.B.2.c. L’expérience du monde comme indéfait........................p.84

II. « [Q]ue l'indicible soit clair lorsqu'il est dit »...............p.89

II.A. « [L]ire comme on poserait un pas »............................p.91

II.A.1. « André du Bouchet était une voix »..........................p.92

II.A.1.a. La lecture à voix haute ou la profération incarnée de la parole

.....................................................................p.92

II.A.1.b. Le timbre ou le corps textuel vivant.......................p.95

II.A.2. « [U]ne voix bousculait le papier »..........................p.99

II.A.2.a. « [I]l faut que nous nous prêtions nos yeux »..............p.99

II.A.2.b. La lecture comme discours.................................p.102

II.B. « [C]e qui est dit est rejoint »..............................p.109

II.B.1. « ...espace/hermétique qui, alors qu'on le tire/à soi, ouvre plus avant la cavité du ciel » : de l'hermétisme à la
clarté.............p.111

II.B.1.a. « [L]’illisible:/une brèche dans l’enfermement nominal »..p.111

II.B.1.b. Une clarté frontale.......................................p.115

II.B.2. « [L]e morcellement, je respire, il disparaît, c’est l’espace »..

....................................................................p.118

II.B.2.a. La disjonction comme principe sémiologique................p.118

II.B.2.b. Un système de discontinuités : « … lettre à lettre, un souffle ou la soif relie » .............................................p.124

DEUXIÈME CHAPITRE

La poésie d'André du Bouchet : un écrit À haute voix................p.132

I. « Soi-même on disparaît plutôt que la relation » : la Voix sous-entendue............................................................p.135

I. A. « [J]’écris aussi loin que possible de moi »..................p.137

I.A.1. Défier le bavardage événementiel.............................p.139

I.A.1.a. « [J]'ai oublié ce jour » : disparition du circonstanciel.......

…..................................................................p.139

I.A.1.b. Image parvenue à son terme inquiet.........................p.146

I.A.1.c. Une simple nomination du visible...........................p.151

I.A.2. Une conscience affective du monde............................p.154

I.A.2.a. « [E]t que ce que je dis se trouve malgré moi/daté, nommé ».....

....................................................................p.154

I.A.2.b. « Quand je parle, c'est moi qui parle »....................p.157


Page 6
I.A.2.b. « Quand je parle, c'est moi qui parle »....................p.157

I.A.1.c. « J'anime le lien des routes ».............................p.163

I.B. Une Voix exorbitante : « au cœur – et, en marge,/toujours »....p.170

I.B.1. « De cet autre sans qui il n’est pas de poème »..............p.172

I.B.1.a. Rapport à l’étrangeté......................................p.172

I.B.1.b. « [L]'identité,/une étrangeté » : un lyrisme fondé sur la mise à distance............................................................p.177

I.B.2. « Je reconnais […] une voix […] qui pourrait être la mienne »............................................................P.184

I.B.2.a. Matière de l'interlocuteur : « l'un/et l'autre, habitants de l'étendue qui écarte »..............................................p.184

I.B.2.b Indexation hétérogénéisante de l'altérité vocale............p.189

II. Effets de Voix..................................................p.193

II.A. « Dans la voix j’écoute » : au commencement de l’oralité, l’auralité..........................................................p.194

II.A.1. Une attention pneumatique au monde..........................p.195

II.A.1.a. « [D]ehors on entend tout ce qui respire »................p.195

II.A.1.b. « [A]vant même ce qu’elle peut dire, lorsqu’elle se détache, la voix entendue »..................................................p.203

II.A.2. Matière de poésie...........................................p.209

II.A.2.a. «[ …] lèvres qui prononcent pour moi »....................p.209

II.A.2.b. « Assonance de rencontre » ou l’appartenance du son à un fond


matériel............................................................p.214

II.B. Le mouvement de la Voix dans l'écriture.......................p.218

II.B.1. L’homme qui parle...........................................p.221

II.B.1.a. Le rythme ou le mouvant...................................p.221

II.B.1.b. Sinuosité d'une parole en marge : « n'avancer que d'accident en accident » (Nicolas de
Staël).......................................p.225

II.B.2. La page, lieu du surgissement de la Voix....................p.233

II.B.2.a. « En plaçant le mot dans la page, je précise le sens que je lui donne » : la mise en page ou
l'intonation...........................p.233

II.B.2.b. Le blanc : voix qui altère la voix........................p.238

TROISIÈME CHAPITRE

LÀ, aux lèvres : une poétique de la voix............................p.243

I. « [C]ette tête qui émerge et s’ordonne, et le silence qui nous réclame comme un grand champ » : de la nomination au
mutisme................p.246

I.A. Dire et retenir...............................................p.248

I.A.1. l’acte de nommer : « Je vais droit au jour turbulent » ......p.249

I.A.1.a. La matière des mots........................................p.249

I.A.1.b. « Tout devient mots, terre, cailloux / dans ma bouche et sous mes pas » : jonction du poème et de l’être dans une
même structure d’apparition........................................................p.255

I.A.2. Dé-nomination : « im Namenlosen zu existieren »..............p.261

I.A.2.a. Le langage négatif ou la pleine voix de la parole poétique............................................................p.261

I.A.2.b. « Le muet -, parvenu à l'extrémité des lèvres, doit prononcer ».........................................................p.265

I.B. N’être que dans l’instant de la fuite.........................p.269

I.B.1. Soudaines apparitions disparaissantes........................p.271

I.B.1.a. « Une parole en fuite »....................................p.271


Page 7
I.B.1.a. « Une parole en fuite »....................................p.271

I.B.1.b. Oscillation entre présence et absence......................p.274

II.B.2. Une ponctualité extensive...................................p.279

II.B.2.a. Le point marque une articulation..........................p.279

II.B.2.b. Une poétique du passage...................................p.284

II. « Aujourd’hui ma bouche est neuve ».............................p.288

II.A. Une perpétuelle conversation..................................p.290

I.A.1. Une Parole cordiale : « Mots / en avant de moi / la blancheur de l'inconnu / où / je les place / est / amicale
».....................p.292

II.A.1.a. Le souci d'insignifiance : « écrivant sans finalité, je ne m'attends pas à être entendu »......................................p.292

II.A.1.b. Mots « solidaires du lecteur à venir »....................p.295

II.A.2. « [C]et à venir, de nouveau »...............................p.300

II.A.2.a. L'intarissable ou le refus d'un processus final...........p.300

II.A.2.b. « [L]'appui est en avant » : une finitude réitérée et un inchoatif toujours tributaire de l'itératif.........................p.305

II.B. « ... et parlant, comme on tombe, confondu à ses mains »......p.309

II.B.1. « [L]e défaut éclaire ».....................................p.310

II.B.1.a. Le contre-sens, une autre possibilité de sens : « Si je ne suis pas


en défaut, solidité je ne suis pas
»............................p.310

II.B.1.b. Le défaut devient support.................................p.314

II.B.2. « [...]
et il aima, depuis le poids qui
l'avait fait tomber »....

....................................................................p.319

II.B.2.a. « [L]e poids/celui que j'ai oublié/mais/le poids »........p.319

II.B.2.b. Via rupta : ne s'affirmer qu'en se rompant................p.321

II.B.2.c. Un instant seulement, faire confiance à ce qui se dit.....p.324

CONCLUSION..........................................................P.327

Annexes

Extrait d’un carnet d’André du Bouchet..............................P.332

Entretien avec Anne de Staël (le 28 novembre 2003)..................P.333

Bibliographie.......................................................P.338

La Voix dans l’œuvre d’André du Bouchet


« Denn es ist Zeit,

ein Einsehen zu haben mit der Stimme des Menschen »,

Paul Celan, Corona.

Dans un entretien accordé à Alain Veinstein en 1984, André du Bouchet, s'étant toujours tenu à l'écart de la confidence et «
n'aim[ant] pas beaucoup les retours en arrière, ni les photos qui pèsent sur vous de tout leur poids et vous figent dans un
état passé, jaunissant, inerte »[1], accorde à son interlocuteur :

[...] le « je » est moi en tant que point de départ à celui qui lit[2].

Ainsi, le recul que le poète n'a cessé de prendre par rapport à lui-même (« j'écris aussi loin que possible de moi »[3]) ne
pourrait en aucun cas s’apparenter à une abdication de la conscience. Et, lorsque son écriture dé-figure :
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pourrait en aucun cas s’apparenter à une abdication de la conscience. Et, lorsque son écriture dé-figure :

j'oublie... la parole en déplacement

s'oublie...[4],

dissolvant volontairement l'événementiel et se tenant par cette attraction incoercible de l'en-avant, le « moi » se révèle et se
relève malgré tout, et presque malgré lui. La poésie d'André du Bouchet n'est ni un abandon de la subjectivité, ni une
négation de la richesse sensible, mais sans doute la contestation vive et manifeste de leurs aspects dégradés. Aussi, à
l'instar du poète, considérons-nous le passé, non comme un vestige « inerte », mais comme un élément susceptible de
s'incorporer et de donner raison au présent, un dépôt qu'il faut réanimer et tourner vers l'avant (« faire basculer ces mots
qui sont liés à un instant du passé [...] dans le sens d'un avenir sur lequel [nous n'avons] pas encore de saisie »[5]). Ainsi,
avant que la parole universitaire ne se dessaisisse définitivement (malheureusement?) des significations que pourrait lui
donner la circonstance de la vie réelle qui l'a fait naître, et que le « je » ne se meuve en « nous », oserai-je, non sans
quelque anticonformisme, convoquer ce qui a eu lieu, ce qui m'est advenu et qui justifie pleinement l'aujourd'hui d'une telle
recherche. Oserai-je « me » proposer comme « point de départ » à « celui qui » va « li[re] » ?

A cette époque, j'entamais, quelque peu affaiblie par ce qui s'est avéré au final un heureux poids du savoir, le dernier
trimestre d'hypokhâgne classique, au lycée Henri Poincaré à Nancy. Mes camarades et moi-même vivifions sans relâche
les œuvres littéraires et philosophiques de notre passé et prêtions une oreille, encore trop distraite, à cette parole
simplement vraie de Charles Péguy, que nos professeurs s'évertuaient à ériger en sentence : « Homère est
nouveau ce matin, et rien n'est peut-être
aussi vieux que le journal d'aujourd'hui »[6]. Au mois d'avril, un jeudi très exactement, mon professeur de philosophie, M.
Philippe Grosos, atteignit péniblement le seuil de notre classe. Touché. Terriblement calme. Il nous annonça d'une voix très
faible la disparition d'un poète et ami, dont j'ignorais jusqu'au nom : André du Bouchet. Il décida de suspendre le cours sur
Matière et mémoire de Bergson, que nous avions l'habitude de commenter depuis quelques semaines, et de consacrer
l'heure entière à la lecture publique de cette poésie. Mon professeur devint ainsi l'ouvreur d'une œuvre dans l'être de
laquelle il y alla de l'être même du poète. Ma toute première lecture des poèmes d'André du Bouchet fut ainsi une « écoute
» de sa parole et je vis la Voix. Il s'agissait d'une première rencontre sensible. Et déstabilisante, tant l'hypokhâgneux n'a
pas l'habitude de se tenir droit, sans support ou livre sous les yeux, nu pour ainsi dire, et maintenu par la seule parole
poétique. Cette écoute fut, pour ma part, une révélation dans la sur-prise. Un événement se fit jour, quelque chose apparut
ou se manifesta étant. Il me sembla, en outre, que le philosophe, ému et mû, n'avait qu'à s'appuyer sur le tissu sonore déjà
présent, reprendre la voix sous-entendue du poète, audible en-deça de toute entente, à son propre compte. Ce que le
philosophe cherchait à penser, le poème le faisait entendre. Et mon ouïr ne fut jamais aussi conscient de soi qu'à l'audition
de ces mots.

L'écoute de ces poèmes, prononcés à haute voix, venait ainsi de se dérouler en deux étapes fondamentales : une attention
flottante initiale et la surprise d'un instant que nous pourrions dire d'inattention. En effet, avant de se tourner vers ce qui lui
est extérieur, l'écoute se meut d'abord intérieurement : le sujet a l'intention d'entendre. Et, dans ce premier temps, toutes
nos habitudes d'écoute se déconditionnent. Le philosophe Henri Maldiney le souligne à juste titre : il s'agit de « transformer
toutes nos habitudes en habiter »[7]. Ce qui n'est pas sans faire écho à la vertu d'ébahissement constitutive de la poésie et
exprimée par André du Bouchet lui-même :

La poésie n'est qu'un certain étonnement devant le monde et les moyens de cet étonnement[8].

Il s'agit effectivement, dans un second temps, de redécouvrir la stupéfaction au sein même de la reconnaissance, se
déprendre et « se surprendre à l'état naissant et co(n)naissant : redevenir contemporain de son origine »[9]. Les mots
eux-mêmes peuvent redevenir jeunes : « parler alors peut rafraîchir la mémoire »[10]. L'écoute, tournée vers la parole
émise, se déploie à partir d'un « moment-faveur », point de capiton entre écoutes phénoménale et fondamentale, qui ouvre
une question : celle de l’in-tension à l’œuvre. « Moment-faveur » ou transformation du corps à l'écoute. Henri Maldiney
évoque cette « écoute de la langue, mémoire du monde, [cette] écoute de la première rencontre avec la chose, résonant
dans la mémoire du corps »[11]. Les propos du poète lui-même, recueillis lors d'un entretien, corroborent cette analyse de
la poésie ainsi lue à voix haute :

(Elke de Rijke) Si le lecteur lit vos textes à voix haute, une telle lecture peut-elle provoquer une cassure du sens habituel ?

(André du Bouchet) Oui, en le lisant à voix haute ou en l'imaginant à voix haute. L'attention prépare, ouvre la voie à quelque
chose qui se produit à votre insu. En y persévérant, l'attention prépare par exemple à la fraîcheur qui est un phénomène qui
se produit à votre insu. Lire à voix haute vous met en rapport avec la matérialité du mot qui vous renvoie à votre propre
matière corporelle. Il faut imaginer le mot dans sa matière physique d'où il tire sa fraîcheur. Cette matière physique du mot
n'est pas différentiable sur le moment de la lecture de la vôtre[12].

La Voix se situe précisément à cette articulation du corps et de la langue, et « c'est dans cet entre-deux que le mouvement
de va-et-vient de l'écoute pourra s'effectuer. L'écoute de la voix inaugure notre relation à l'autre »[13] et pose sans cesse la
question de son surgissement. Même l'inexprimable prend corps dans la voix, renforçant ainsi la coexistence de l'être et de
la langue:

lointain

tu es ce cri

que j'ai poussé[14].

La parole poétique d'André du Bouchet ainsi proférée, sa « voix », fut un événement. Et le propre d'un événement, dont
l'incidence absolue rompt la connexité de la , est de susciter ses temporalité et spatialité propres. Ce que déploie la parole
d'un poète est un acte à accomplir. Non une opération de duplication, se présentant comme conforme à un modèle
préexistant. L'individuel est a-prioritaire sur le tout. Et cette parole d'André du Bouchet, émise spontanément et
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préexistant. L'individuel est a-prioritaire sur le tout. Et cette parole d'André du Bouchet, émise spontanément et
publiquement lors d’un colloque, nous autorise un cheminement lui-même singulier dans les multiples parcours offerts par
sa poésie :

Je ne propose que des points de départ, qu’il revient à chacun de prendre sur soi[15].

En effet, une grande œuvre est essentiellement inachevée et suppose qu’on la mette en marche, qu’on en laisse résonner
la béance à travers soi. Pour tout lecteur, qu’il soit peintre, philosophe, poète, musicien ou simple liseur, la poésie d’André
du Bouchet incarne véritablement une question vivante. Nous restons devant une œuvre active, au sens volcanique, et non
pas éteinte, dans ses propositions ontologico-esthétiques et qui demande à ce que nous soyons, pour une part, moteur de
cette action. Il faut donc se risquer à cette parole poétique qui, comme la nature si chère à André du Bouchet, s’étend entre
les lignes et au-dessus du regard. Quant au discours critique, sa fonction n'est pas de s'identifier à cet acte, mais de saisir
le niveau exact où se déploie sa genèse et de dévoiler le mode d'être de son avènement : là, aux lèvres [16].

Nous avons parfaitement conscience qu'interroger la Voix dans la poésie d'André du Bouchet demeure un questionnement
inattendu et problématique, quoique légitime. Inattendu si nous nous référons aux critiques communément formulées et
habituellement entendues à propos de cette parole si singulière. En effet, de nombreux ouvrages universitaires ou
essayistes soulignent plus immédiatement le rapport amical que la poésie d'André du Bouchet entretient avec l'art pictural
(bon nombre de ses recueils relate d’ailleurs cette amitié : entre les mots ou en regard sur l'autre page viennent s'imbriquer
les dessins ou gravures d'artistes, de ceux qui l'avaient élu ou qu'il avait élus) et ne cessent de « re-marquer », à juste titre,
l'impact visuel de son poème. Pierre Schneider y a consacré de très belles pages, lors d'un colloque à l'École Normale
Supérieure en 1983 ; l'article s'ouvre sur cette constatation pertinente : « Quelque chose de ce qui nous est dit par la
lecture d'un poème d'André du Bouchet l'est déjà par sa vision ». Que nous soyons effectivement poète ou peintre, notre
travail commence par un trait, inscrit sur un fond qu'il met aussitôt en mouvement et qui, dans le même temps, découvre sa
vulnérabilité. André du Bouchet le signifie lui-même dans un essai poétique au titre évocateur, D'un trait qui figure et
défigure :

on peut dire de Giacometti en le paraphrasant, que son trait

valorise tout ce qu'il ne dessinera pas

[...]

le trait s'interrompt dans l'instant où il est parvenu[17].

Cette identification de la poésie d'André du Bouchet à l'œuvre plastique se justifie aussi par le contexte littéraire dans lequel
s'ancre cette première : le langage poétique devient, dans les années cinquante, plus gris, pour reprendre une expression
de Paul Celan, moins musical, plus proche du dessin. L'approche doit être plus sobre, moins pathétique; le discours,
délaissé. Laconique et purifié de toute rhétorique ornementale, le nouveau lyrisme ne veut plus se tenir à la simple diction
d'un émoi central. Ce rapport que le poème d'André du Bouchet entretient donc, pour diverses raisons, avec l'espace a été
régulièrement et, notons-le, brillamment commenté par des critiques aussi illustres que Pierre Chappuis, Henri Maldiney,
Yves Peyré ou encore Philippe Jaccottet, pour ne citer qu'eux. La question de la « Voix » reste par conséquent inouïe.

Signalons également l'équivoque soulevée par l'étude de la « Voix » dans la littérature, en général, et dans la poésie, en
particulier. Celle-ci n'est souvent qu'une métaphore de ce
qui n'est pas couvert par la logique
du signe. Il s'agit d'une catégorie manifestement délaissée et crainte par la critique.
Interroger la création littéraire sous l'angle de
la Voix est évidemment une manière de la prendre à rebours. Le poète est certes l'héritier d'une longue tradition qui, depuis
Homère et Hésiode, pense l'acte poétique sur le mode du chant, mais ce dernier s'est peu à peu éteint (des voix devenues
intérieures sous le romantisme jusqu'à l'aphasie mallarméenne), et a cédé le pas devant une lettre, hautement sacralisée.
L'Occident, c'est le Livre; et l'avènement de ce dernier s'est accompagné de l'étranglement de la parole vive. L'opposition
qui s'est peu à peu instituée entre l'oralité et l'écriture, comprise comme force de déviance sémantique et ontologique, a
largement participé à cette extinction de voix. Pour de nombreux penseurs et philosophes, l'écrit ferait en effet perdre ce
lien naturel entre la voix et la personne singulière. Il serait en outre un échec, une mise au tombeau altérante de l'oralité
vraie. L'analyse platonicienne, la première, conduisit à cette constatation : l'écriture a trait au corps mort, dont le papier est
fictivement l'équivalent. Inversement, la révolution grammatologique a affirmé que la référence ontologique habitant le
langage proféré par la voix portait l'illusion d'une immédiateté fallacieuse là où l'écriture se serait montrée avertie du monde
médiat, et surtout linguistique, de la relation entre les mots et les choses. La littérature est rapidement devenue une science
de la lettre arrachée à la naïveté, s'avouant dans sa nature dérivée et culturelle de création verbale. La conscience
matérialiste du graphein s'est imposée face à l'illusion d'une ontologie idéaliste de la phonè. La notion de voix acquit bien
injustement le statut d'épiphénomène, leurre destiné à occulter le fondement matérialiste véritable de toute œuvre littéraire.
La poésie devint une pratique surannée et fut posée comme « texte ». Or, un poème n'est pas un discours fixé par l'écriture
: il n'est pas à proprement parler un texte et contredit à toute textologie. André du Bouchet le signifie précisément :

livre

non

mais les lèvres

sur

lesquelles j'avais

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lu[18].

En refoulant ou en ignorant la dimension sonore du langage, nous nous sommes finalement crus immunisés contre la
démagogie et assurés d'une sobriété rationnelle et critique. Mais, de même que toute amputation de sens nuit à la raison,
la négligence du sonore nuit au langage, donc au sens. Il est vrai que la Voix est normalement faite pour « l'oreille »; bien
qu'elle soit attirante, sa place en « littérature » pourrait donc paraître en soi problématique. Or, une séquence poétique
s'entend, et, bien plus, s'écoute. Dans celle-ci, son et sens sont imbriqués mutuellement et continûment. L'analyse
étymologique nous conduit au terme latin vox, vocis, qui signifie à la fois « énoncé-de-sens » et « son-de-la-voix ».
Effectivement, la Voix est souvent définie comme l'émission sonore donnant une forme sensible à la pensée. Or, cette
première peut être aussi définie

Source
noesis.revues.org/.../32 1%
principale

comme une pure intention de signifier. Elle est une ouverture potentielle et permissive (c’est-à-dire dans la force de sa
dunamis, de son pouvoir-être) à un toujours vouloir-dire. Dans le De Trinitate, Saint Augustin s’interrogeait déjà sur
l’effet d’un mot prononcé que l’on ne connaît pas. Il donne à titre d’exemple le terme « temetum » (mot qui n’était déjà
plus d’usage à l’époque et qui avait été remplacé par vinum, le vin) et précise que celui qui entendra prononcer ce
mot inouï souhaitera naturellement en découvrir la signification. Pour que cette soif de connaissance apparaisse, il
faut bien que le simple son de ce mot fasse écho d’une absence de sens mais aussi d’une voix désirant signifier
quelque chose. À partir de cette expérience de la parole, Saint Augustin montre ainsi que le mot temetum n’est pas
seulement le son de trois syllabes mais qu’il est une pure volonté de signifier. Le son n’est pas une voix vide mais une
voix pleine de potentialité à exprimer quelque chose sans pour autant signifier déjà quelque chose :

avant même ce qu'elle peut dire

lorsqu'elle se détache, la voix entendue[19].

Le phénoménologue Henri Maldiney constate cette essence à la fois vocalique et sémantique du vocable poétique :

Le son appartient à la voix et le son vocal n'est pas seulement qualificatif, mais expressif d'une présence, dont il est une
émanation, non un accident. Il est des situations extrêmes, proches de la naissance ou de la mort, dans lesquelles une
présence s'exprime à nu, non par des mots, mais par des sons, souvent même exclusivement par des voyelles […]. Les
voyelles tirent leur nom de la voix. Et la voix est intérieurement accordée au moment pathique de la situation dans laquelle
la présence est jetée. Le sens, par contre, est un moment gnosique. Par lui, l'être-là ne se manifeste pas : il se signifie.
Dans une séquence poétique ou dans un poème sens et son s'induisent mutuellement[20].

Cette brillante observation contredit bien évidemment le statut sémantique des mots fixés par le structuralisme et le statut
des traits prosodiques définis par Jakobson. Le poète André du Bouchet poussera la constatation jusqu'à évoquer le mot «
dont le timbre est donné avant le sens »[21]. Le Dire est en effet sous-jacent à l'énoncé du poétique, mais ne s'identifie pas
à lui : il n'est pas formellement énoncé selon les règles de la logique. Dans le cas précis du Dire poétique, l'être du poème
n’est nullement extérieur au déploiement propositionnel de son énonciation. Bien qu'il déploie son être à un autre niveau
que celui où se laisse épeler la signification logique de l'énoncé propositionnel, l'avènement poétique est rigoureusement
contemporain de son événement élocutoire ou scriptural, dans le sens où la dimension de du lui est intrinsèque. C'est
ainsi qu'au sein du recueil intitulé L'Incohérence, André du Bouchet fait référence à la parole de Cassandre « irréductible,
dans le temps où [elle] est perçu[e], à l'ordre de la langue, mais au travers de cette langue, pourtant – et par elle
exclusivement, [elle] se fait jour ... »[22]. Nouant sens et son, la poésie serait même un dialogue de voix à voix. Non pas
d'homme à homme. Le monde est en dialogue avec lui-même à travers la voix poétique. La parole poétique serait par
conséquent d'homme à monde, comme est originairement la parole humaine qui fonde le langage et, en lui, la langue.
Écoutons, à ce propos, Gustave Guillaume :

[…] le lieu commun que la langue et le langage sont des faits sociaux est l'une des vues simplistes, insuffisamment
scrutées, qui ont le plus nui au problème de la linguistique structurale en concentrant l'attention des chercheurs sur le
rapport Homme/Homme, auquel la structure de la langue doit peu, et en la détournant du rapport Univers/Homme auquel
elle doit sinon tout, du moins presque tout – ce qu'elle doit au rapport Homme/Homme s'intégrant du reste au rapport
Univers/Homme dont la langue, univers-idée regardant, par définition ne sort pas[23].

Aussi, lorsqu’elle n’est pas laissée pour compte, la catégorie de la Voix est très souvent restreinte à quelques traits
communément admis et trop fréquemment réducteurs. Or, nous savons qu'il n'existe pas de simplicité véritable ; il n'existe
que des simplifications. Lorsque nous parlons de Voix en littérature, il est habituellement question de l'instance narrative
et des modalités de l'énonciation dans le
récit. La définition linguistique tourne elle-même autour d'une obscure notion de sujet : on appelle
« voix » en grammaire un « aspect du verbe défini par le rôle qu'on attribue au sujet suivant qu'il accomplit
l'action (actif), qu'il la subit (passif), qu'il est intéressé d'une certaine manière (moyen) »[24]. Mais la Voix est rarement
étudiée dans

Source

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principalewww.maulpoix.net/.../Voix.htm <1%

ses rapports avec la forme et le contenu des textes poétiques. Elle est pourtant une réalité active tant sur le plan
thématique que sur le plan formel. La poésie parle de la Voix.

Dans l'œuvre d'André du Bouchet, de multiples références au « souffle » (à sa part corporelle et physiologique : « Comme
une voix, qui, sur les lèvres même,/assècherait l’éclat. […] J’accède à ce sol qui ne parvient pas à notre bouche […] »[25])
et au « dire » traversent littéralement les divers recueils poétiques. Celles-ci sont trop nombreuses pour être niées ou
soustraites à la problématisation:

j'écris ce que je dis

je dis air — pour ouvrir un vide

par lequel l'air souffle

entre les mots tracés[26].

En outre, la poésie met en situation la Voix du moi. Il peut s'agir, d'une part, de la voix physique de l'auteur, qui conduit ses
mots à leur extériorité vocale. Et il est indéniable que la singulière diction (parole poétique au moment même où elle est
proférée) d'André du Bouchet a été maintes fois commentée. Yves Peyré se souvient, ému :

Je serais fondé à évoquer la voix, celle de la conversation, de la rapidité crépitante ou de la rareté, de l'ironie qui se
décochait en subtiles flèches verbales, de la tendresse, de l'attention où perçait parfois de l'inquiétude pour l'autre. Ou
encore celle de la lecture, d'abord secrète, domestique, réservée à peu, puis de mieux en mieux remise à tous : les grands
élans, les parfaites découpes qui autorisaient aussi bien l'isolement des mots élus que leur giboulée en rafales de sens.
Une voix coupée par l'excès d'une respiration et qui plaçait le repos (ce que Hölderlin nommait paix) au cœur de la
précipitation[27].

D'autre part, cette Voix peut être assimilée au timbre, présent dans l'espace textuel, reconnaissable, presque sous-entendu,
qui renonce continuellement à souligner les signes de sa manifestation et de son adresse, pourtant là. Une Voix muette
circulae entre les différents niveaux énonciatifs, assurant leur articulation et la cohérence du texte, composant ce dernier
comme tissu ou tessiture. Le poète Pierre Reverdy, dans une lettre datant du 8 novembre 1950, adressée au jeune poète
qu'est alors André du Bouchet, révèle ce « timbre de [l]a voix », synonyme de singularité de l'œuvre :

Source
annaorlova.blog.lemonde.fr/.../05/07 1%
principale

Je crois fermement qu'un poète né donne son timbre dès le début, je veux dire dès les premiers poèmes, qu'il juge
lui-même dignes d'être montrés ou publiés. Ce timbre, il le donne à son insu comme celui de sa voix qu'il ignore,
jusqu'au jour néfaste où il l'entend mécaniquement reproduite. Mais ce timbre de sa voix, c'est ce qui fait que parmi
une foule, on peut la reconnaître aveugle ou les yeux fermés. Il ne s'agit pas de l'accent qui est commun à tous ceux
qui sont nés ou ont été élevés dans un même milieu, il s'agit du timbre qui est unique, personnel. Ce timbre, vous me
l'avez donné dès le début mais il fallait le retrouver pour l'identifier. A présent, il n'y a plus qu'à marcher, produire pour
vous décharger, pousser jusqu'à vos extrêmes limites, vous révéler à vous-même, connaître celui que vous êtes et
montrer

aux autres votre être essentiel. Le chemin n'est pas toujours facile mais il vaut la peine d'être fait.

Tout à vous, Pierre Reverdy.

Sans tomber dans la dimension utopique du mythe de la fusion sujet/voix, la lettre de ce « poète qui finit » à ce « poète qui
commence »[28] nous enseigne que le style serait le
propre d'un auteur selon l'ordre du langage, quand la voix dit cette même propriété,
mais selon l'ordre du sujet.

Nous devons aujourd'hui restituer à la notion de Voix une complexité que nous avons eu tendance à réserver à la seule
écriture; et considérer celle-là comme une perturbation de celle-ci, propre à la renouer ainsi à la poétique, au corps et au
réel. Il ne s'agit cependant pas d'amalgamer hâtivement « poésie sonore » et « voix-de-l'écrit » : celle-ci est, à travers la
voix et à travers le corps pulsionnel et proférant, une manifestation spécifique de quelque chose qui relève de l'écrit; elle n'a
donc rien à voir avec celle-là, qui n'existe qu'en tant que, par la voix comme vecteur et objet sonore et à travers l'espace
acoustique et communicationnel, elle s'éloigne de l'écrit.
Fondatrice et résultante du corps textuel, origine
et horizon de l'œuvre poétique, dépassant la dichotomie écrit/oral propre à la métaphysique traditionnelle occidentale, la
Voix dépend de cet espace infime qui est à la fois en dehors du sens et du non-sens, et s’apparente à une sorte de
balancement entre

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Source
www.theses.fr/.../2013PA040134 4%
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l'exprimé et l'imprimé, entre un « vouloir-dire » et un « faire-silence ». Elle est à la fois ce retentissement dans un
espace qui est ouvert sur le dehors et cette venue fondamentale où se soulève un « espace-temps-lieu-monde »
singulier par l'écoute qui, seule, peut entendre dans

les mots l'émergence d'un existant. La Voix est ici en deux[29]. Étudier celle-ci dans l'œuvre d'André du Bouchet conduira
naturellement notre réflexion de la voix poétique à la poétique de la voix.

Dans un premier chapitre, nous interrogerons la manière dont André du Bouchet entend la Voix, toujours inscrite au cœur
de son expérience poétique. Conception qui ne tombe pas dans le fantasme de la voix vive, dispensateur de la médiation
du signe, et qui évalue la difficulté d'un rapport direct évitant le relais sémiotique. Échappant au schéma dualiste
écriture/oralité, André du Bouchet place la parole au cœur de l’écriture poétique : « [c]e que j'écris, c'est l'air qui l'exige
»[30]. Toujours en marche, et n'inscrivant pas un mot qu'il n'ait au préalable prononcé, le poète tient son « carnet de souffle
»[31]. Ainsi sa poésie dépasse-t-elle la représentation : elle est l'immédiateté et le réel; elle restitue l'écrit à la « fraîcheur »
d'avant la lettre et le ramène aux allures imprévisibles du proféré : l’expression toujours renouvelée prime sur la
signification. Il est vrai que la Voix est l'habitus privilégié de l'organe agissant pour produire la parole. Initialement, elle n'est
donc pas en prise directe et prioritaire sur la pensée et, par conséquent, sur le signifié. Enfin, la Voix ne se met pas qu'à
l'écoute de l'environnement; c'est par elle que ce dernier devient monde. En effet, la prononciation éclaircit l'indicible,
transforme le fragmenté en espace, rompt le bien entendu en faisant naître le monde à la signification :

la vérité morte

froide

vivante maintenant

et sans arrêt

à voix haute[32].

Nous considérerons ensuite le poème d'André du Bouchet comme un écrit lui-même à haute voix. Cette dernière est
inscrite dans le texte sur le mode d'une improbable inclusion et fonde le corps textuel, à son origine (le « je » est une
particule glissante mais nécessaire à l'articulation de l'énoncé) et comme horizon (l'écriture prend en charge de restituer la
voix si fragile et éphémère en utilisant la page comme lieu du surgissement de la présence et futur point d'appui de la
profération). Nous comprendrons en effet et tout d'abord la Voix dans son acception énonciative, constatant que la voix ne
se constitue que dans ses propres éclatements et dans les transactions avec les autres qu'elle porte en elle. Nous
tenterons ensuite de révéler la trace sonore et rythmique du geste appelé « écriture ». Si la vocalité du langage n'est pas
synonyme d'oralité, elle implique toutefois une expressivité, une gestualité, une sémiotique dont l'écriture est porteuse
puisqu'elle en possède des traces, soulignant ainsi la part corporelle et physiologique de la Voix. Chez André du Bouchet,
l'escarpement graphique du poème sur la page indique véritablement la respiration d'une parole cherchant dans les
suspens et les réitérations :

dans le souffle court

et bleu

de l'air qui claque[33],

la définition vocale de son vrai lieu. Il suffit d'avoir entendu André du Bouchet lire une fois ses poèmes pour comprendre
que la disposition typographique est chez lui un fait de la voix autant que de l'écriture.

Enfin, nous penserons la représentation de la bouche parlante. Une voix, par son pouvoir d'é-vocation, a toujours pour
tâche de répondre à une autre, le souffle frayant son chemin à travers le serrement d'une gorge. Les lèvres sont ainsi le lieu
privilégié du répons, du dire et de l'exister. Elles constituent l'extrémité de la bouche et l'ouverture (ora,ae/os,oris), pour
l'être parlant, au monde. Elles représentent l'ici et l'ailleurs, le lieu de l'émergence et de la disparition, perpétuant ce
mouvement de va-et-vient. Comme le poète, qui est toujours à la fois cette « voix » vive et présente (véhicule transparent
d'une épiphanie de sens), manifestant l'ouverture, et cette « voix » altérée, blanche, comme déjà écrite. La Voix révèle
aussi le rapport du sujet à lui-même, ce que le sujet perçoit de l'autre en lui, mais également ce qui lui résiste. Elle signifie
une perception duale de soi. Par là même, elle renvoie (rend-voix) à la schize du sujet, parce qu'elle est à la fois objet du
sujet et sujet de l'objet. La Voix est effectivement ce qui me définit en propre et ce que je ne maîtrise pas de moi-même.
Aussi tient-elle ensemble l'exigence du nom et sa retenue. Là, aux lèvres : de l'imminence de ce qui doit être dit à la pudeur
de ce qui doit être retenu, sans cesse. Le sujet parlant est cette béance ni tout à fait déchirée, ni tout à fait refermée.
L'intentionnalité parlante, dans une heureuse in-assurance, fend le monde qui pour lui est cette déhiscence.

Le poète évoque souvent, dans ses écrits ou entretiens, la présence au sein de la poésie d'une « forme de communication
qui est intarissable »[34] et a toujours marqué son « désir d'un livre qui ne comporte pas de commencement, et, par
conséquent, pas de fin »[35], d'où son refus de toute pagination. Il serait par conséquent erroné de traiter séparément, et
dans l'ordre chronologique, les écrits successifs d'André du Bouchet. Seule une approche globale peut convenir ici.

Laissons finalement la parole au poète, qui a pertinemment pensé cette Voix, convoquant la figure mythique de la sybille
Cassandre, métaphore de sa propre expression poétique.

Lorsque Cassandre rompt le silence qu'elle a maintenu, sa voix n'apparaît, pour qui cherche à saisir ce qu'elle prononce,
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Lorsque Cassandre rompt le silence qu'elle a maintenu, sa voix n'apparaît, pour qui cherche à saisir ce qu'elle prononce,
que comme murmure inintelligible, vocifération pure, mutité de nouveau, lettre fermée... « Pourtant, je sais parler la langue
de la Grèce » - « Les oracles du Soleil, eux aussi, et obscurs cependant... », rétorque le chœur à la voix singulière,
longtemps muette, qui vient de se détacher, à cette parole de l'annonce, cette parole en flèche dont la clairvoyance
demeure sans saisie sur ce qu'elle annonce, puisqu'elle est l'annonce, précisément, de la disparition de qui parle... puis, de
qui écoute – mais de qui, d'abord, a parlé : la mort imminente de Cassandre. Venue sur un silence, elle est ce signe –
deutungslos, signe du bruit ou du silence, irréductible, dans le temps où
il est perçu, à l'ordre de la
langue, mais au travers de cette langue, pourtant – et par elle exclusivement, il se fait jour... Parole qui, pour une part,
échappe à qui l'entend comme à qui l'a prononcée, parole de Cassandre, parole, somme toute, pour ne rien dire, et dont
force est de prendre acte, sans conclure pour peu qu'on l'ait entendue... Et cette parole distincte, claire de toute
signification, cette parole étrangère qui, chemin faisant, ne se laisse appréhender que comme un bruit sur l'écart, bruit
marquant à point nommé l'écart, bruissement, crissement à même l'épaisseur – surtout si je demeure, comme il arrive, sans
articuler – cette parole qui jusqu'à saturation bouscule, se présente comme une entame dans le sens, et, dans n o t r e
parler, enclave réitérée de l'avenir soustrait – signe pour chacun de ce temps futur, inhabitable, proche, où, une fois de
plus, il le fait, nous nous séparerons – comme sur elle encore, aussitôt prononcée, le fracas ou la tranquillité de l'air, son
support, et pour une autre oreille toujours, à nouveau prend le dessus...[36].

Lorsque le poète André du Bouchet « rompt le silence » environnant ou le blanc de la page, sa Voix, véritable via rupta,
n'apparaît, pour qui y prête oreille, que comme inintelligibilité. En effet, la poésie où le monde, dans sa phénoménalité
pré-objective, se fait parole est incompatible avec les articulations syntaxiques, les liaisons conjonctives et les justifications
logiques, propres au langage discursif :

… terre

parlant avec la première énergie la blancheur du

chemin[37].

Cependant, sa Voix demeure une parole « clairvoyante » de l'annonce, une attentive (« dans la voix j'écoute »[38]) mise au
monde de l'étant qui se tient à l'écart de la signification : elle est « ce signe - deutungslos ». Formule qui n'est pas sans
rappeler une expression de Goethe : « zugleich bedeutend und deutungslos »[39] (à la fois signifiant et sans rien
expliquer). Venue du silence, elle est cette parole « pour ne rien dire, et dont
force est de prendre acte sans conclure
[…] ». Elle est ce « signe pour chacun de ce temps futur, inhabitable […] et pour une autre oreille toujours ». La création
poétique se rejoue à chaque audition :

un pas, et

la route ira où j'ai été[40].

Quelque chose s'engendre, s'énonce, devient parole ou silence, explore ou explose au présent de l'énigme,
démesurément. Et toujours en advenir dans la Voix vive du poème.

Premièr chapitre

« Ce que j'Écris, c'est l'air qui l'exige »[41]

La pensée se place en prime position, avant la parole (véhiculée par la voix) et avant l'écriture : voici le présupposé
fondamental de la métaphysique occidentale traditionnelle que le poète André du Bouchet, pensant ces mentalisations
désormais closes sur elles-mêmes, a vivement remis en cause. « [C]e que j’écris, c’est l’air qui l’exige » : par cette
singulière proposition construite sur un double phénomène de dislocation, l’écriture poétique (entendons la poésie écrite : «
ce que j’écris ») reprend une position originelle, sans se dissocier toutefois de cet « air » (souffle ou voix) qui la rend
nécessaire. La dichotomie s’estompe, les rapports entre écriture et parole s’affirment : « de l’air à la page, un fil cour[t]
»[42]. Il est vrai qu'André du Bouchet, comme nombre de poètes d'après-guerre, s'est élevé contre la conception d’un
langage strictement fonctionnel, en dénonçant au fil de son œuvre cette convenance langagière (« le sens consenti ») qui
ne permet pas à la parole de fonder l’être (« insoutenable ») et qui fait de la compréhension première et commune un
obstacle à la signification (« matière de mots comprise, matière insignifiante ») :

matière de poésie, comme en soi la matière matière

de mots comprise, matière insignifiante[43].

le sens à nouveau veut que je touche l’insignifiant

matière sans destination, matière insoutenable, et toujours

elle reprend sur le sens consenti[44].

La voix, non réductible à un simple instrument de communication (« contenant son secret »), mettrait, quant à elle, l'accent
sur l'errance du son (phonè) et n'entendrait pas se laisser capturer par la permanence du langage (logos) transféré en
écriture :

Parole contenant son secret dès qu'elle a tenu dans la

Page 14
bouche[45].

Toutefois, le poète André du Bouchet ne cède pas pour autant aux simplifications réduisant l'écriture à une sorte de pierre
tombale qui superpose un contrôle de rationalité et d'objectivité à la véhémence que la voix semble manifester. Le poète ne
tombe pas dans une sonorisation simpliste du langage poétique aux dépens de la sémantique. Le poète fait de la Voix
quelque chose de plus profond et de plus original que ce que nous appelons « oral », et pense que l'écriture ne peut pas
faire abstraction de sa prononciation. Si l'oralité porte le langage comme communication, la voix précède le langage et les
formes de parole. Cette priorité de la Voix donne à la parole sa forme, qui est à la fois forme de l'écoute et de la
prononciation. Il y a quelque chose qui précède l'oral et l'écrit, et toujours secrètement puise dans une originelle vocalité, le
« souffle sans lequel [le poète] ne p[eut] articuler »[46] et dont il est tant question dans son œuvre. Ce dernier tente alors de
restituer l’écrit à la « fraîcheur » d’avant la lettre, prêtant l’oreille à ce qui se joue en amont et redonnant à la prononciation
la capacité de faire naître le monde à la signification : « que l'indicible soit clair lorsqu'il est dit »[47].

I. L’écrit ou l’expression de la Voix

Dans un poème intitulé « dans leurs


voix les eaux », André du Bouchet
écrit :

Dans la lettre

j’ai passé mon front

comme au front de la main qui n’a pas pu retenir

l’eau

fraîche

mais

la fraîcheur de l’eau[48].

D’une part, nous comprenons que l’écriture (« la main ») ne doit pas retenir, en le cristallisant (« dans la lettre »), l’élément
(« l’eau fraîche ») mais saisir la fugacité de la sensation liée à cet élément (« la fraîcheur de l’eau »), restaurant ainsi
l’instantanéité. Il est impossible pour le poète de distinguer la matérialité de l’écriture (et de la parole) de sa substance
puisqu’il cherche à rejoindre le monde dans le réseau du mondain[49]. Deleuze, citant et commentant Chrysippe, note : « Si
tu dis quelque chose, cela passe par la bouche ; or tu dis un charriot, donc un charriot passe par la bouche […] D’une part
le plus profond c’est l’immédiat ; d’autre part l’immédiat est dans le langage »[50]. Il s’agit aussi pour André du Bouchet de
restituer cet immédiat et de ramener l’écrit à la fraîcheur d’avant la lettre, en réhabilitant la Voix (synonyme de « parole »),
pensée, représentée et pratiquée, dont il est tant question dans l’œuvre du poète(de cette « voix haute » inscrite dans « le
sol de la montagne » (1961) au titre d’un poème du recueil Ici en deux (1986),
« dans leur voix les eaux »).
Lorsque André du Bouchet écrit que le « poème » est une « parole faite/pour ne pas parler [...] »[51], il redéfinit bien la
parole en la dégageant de l’empirisme traditionnel qui n’y voit qu’une propriété de la voix physique et la considère à travers
le signe, selon le dualisme de l’oral et de l’écrit. D’autre part, ce qui fait « lettre morte », c’est le rapport quotidien et souvent
commun qu’on a au moindre mot. « […] la fraîcheur de la cassure, c’est la rupture d’une habitude. Ce qui fait la « lettre
morte », c’est le rapport casanier, utilitaire, habituel qu’on a au mot. Pour arriver à la fraîcheur du mot, il faut le casser. […]
par la cassure, le sens convenu et habituel se rompt et vous touchez à un sens originel dont on peut dire qu’il est frais,
puisqu’il est une nouvelle venue au monde »[52]. Le signe est en effet fréquemment prisonnier d’un sens ou de sens
consentis. Si l’on s’en remet même au credo structuraliste, le véritable référent est exclu du texte littéraire : la stase
référentielle renvoie donc à tout le contexte théorique contemporain d’André du Bouchet. Le poète doit déloger le signe de
son ordre clos, en faisant place à cette « fraîcheur qui disperse les signes »[53]. L’opacité est ainsi dénoncée comme
constitutive de l’écriture poétique. Cependant, l’évocation de ce blocage référentiel coexiste constamment avec son
inverse, l’entrée en force transparente du référent dans l’ordre clos du signe. En effet, se dessine, à cette même époque,
l’espérance d’une communication sans sémiotisation, qui se passerait de la « procuration de signe » pour reprendre les
analyses de Jacques Derrida. S'est souvent exprimé le désir d’échanger directement avec l’être ». Dans l’œuvre
dubouchettienne, la Voix comme jeu volatil, éphémère et vivant de la parole va effectivement permettre de « fraîchir » le
signe et de conserver l’immédiateté de la parole et du réel, en la dépêchant sur le papier. Elle renoue ainsi et positivement
avec l’idée de la phonè :

… lire à haute voix figure, quant à la parole […] cette éventualité que les lèvres sont premières à appréhender, que l’esprit
sur l’instant n’appréhende pas du tout… l’esprit sur l’instant est aveuglé[54].

La parole/écriture poétique d’André du Bouchet ne se voit plus affectée d’un sens définitif et retrouve une fonction
expressive plutôt que significative.

I.A. Restituer l’écrit à la « fraîcheur » d’avant la lettre

Pour de nombreux penseurs et philosophes depuis Platon, l'écriture (force de déviance sémantique et ontologique) fait
perdre ce lien naturel entre la voix et la personne singulière. Elle constitue une mise au tombeau altérante de l'oralité
supposée « vraie », un médium « froid » dont le pouvoir d’émotion et de transformation paraît bien faible au regard de la
puissance créatrice de la Parole. Le passage à l’écrit s’apparente à un emprisonnement de la pensée, qui se fige. Dans
Phèdre, Platon se livre à une critique radicale de l’écrit, qu’il considère comme un simulacre (eidôlon) du discours véritable,
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Phèdre, Platon se livre à une critique radicale de l’écrit, qu’il considère comme un simulacre (eidôlon) du discours véritable,
qui doit être oral. Il précise même dans la Lettre VII qu’un savoir (mathèma) portant sur les choses les plus grandes (ta
megista), n’a jamais été et ne sera jamais, de sa part, couché par écrit. Inversement, la révolution grammatologique a
affirmé que la référence ontologique habitant le langage proféré par la voix porte l'illusion d'une fausse immédiateté
fallacieuse alors que l'écriture se montre avertie du monde médiat, et surtout linguistique, de la relation entre les mots et les
choses. À partir de ce tournant majeur, la littérature devint rapidement une science de la lettre, s'avouant dans sa nature
dérivée et culturelle de création verbale. L’écriture écarta la tradition orale.
Le texte et l’œil l’emportèrent sur la
musique et l’oreille. La poésie fut écrite pour des lecteurs. Le logocentrisme conduisit progressivement à l’effacement de
la face sensible du verbe au profit
de sa face intelligible. La notion de « Voix » acquit à ce moment et bien injustement le statut d'épiphénomène. Or, c’est
cette même Voix qu’André du Bouchet réanime pour échapper à la dichotomie simpliste qui s’est instaurée entre écriture et
oralité. « Poème-parole faite/pour ne pas parler […] » : cette proposition poétique fait écho à ce que Jean-Michel Maulpoix
énonce dans L’Ecrivain imaginaire : « J’ai appelé poème la voix qui me manquait ». Le poème ne constitue pas une
cristallisation de la parole. Le texte, c'est la voix. « [T]elle parole analogue à la fixité du sol »[55], écrit le poète : ce qui
semblait se figer retrouve la volatilité de l’air. La prise de parole ne permet pas, comme le pense la tradition, la proximité de
la pensée à elle-même. La parole implique une distance de soi à soi, que vient combler l’écriture dans le travail de la fêlure,
en donnant par exemple corps et voix aux silences :

… là[56].

La langue n’est plus cet instrument proche de l’âme qui en accomplirait l’expression fidèle. Elle est épaisse. On ne peut pas
réellement se servir
des mots : on les rencontre. Chez André du Bouchet, le langage n’offre pas de lien « naturel » et on peut dire en ce sens
qu’il
fait la pleine expérience d’une différance, une différence toujours déjà là. La langue était « là » quand il est né. C'est au
poète de se frayer un chemin personnel à travers l’opacité et la dureté des pierres ou des mots. La langue se donne à
l'homme comme un ensemble d'éléments préexistants et codés (un signifiant et un signifié) que chaque individu trouve
dans l'héritage de son groupe. Elle constitue un frein à la pleine expression de l’être. Est poète celui qui décide de traverser
cet obstacle, comme le marcheur accepte de gravir une montagne. Les thèmes de l'incision et de la brèche sont
omniprésents dans la poétique dubouchettienne. L'acte d’écriture est une traversée. La conscience de ce mur, de cet
écart entre le « dire » et
le « vouloir dire » est le point de départ de l’ouverture. En effet, l'épaisseur de la langue sépare l'homme de lui-même en
tant qu'être parlant. Et André du Bouchet considère le geste scriptural comme une ouverture perpétuelle : « ouvert,
assurément [...] mais – ouvrir, / à l'infinitif », écrit André du Bouchet. C’est la condition d’être de la parole poétique que
d’exister en ouverture.
Le « dire » et le «
à dire », qui sont l’un à travers l’autre en ressourcement perpétuel, ne se laissent pas prendre à une parole réussie, arrivée,
finie, signifiante. La parole poétique ne doit pas être prisonnière d’une réalité notifiée par l’ensemble des mots dont le sens
est préétabli dans la langue. La réalité est sans cesse nouvelle. Et la poésie agit pour nommer le réel innommé. Elle est à
tout moment d’elle-même au commencement de ses voies. L'œuvre d’André du Bouchet n'a qu'un sujet : la naissance en
elle de la poésie.

I.A.1. « ... raccourci oral inclus dans l'écrit » [57]

I.A.1.a. Dépasser le logocentrisme

Il est vrai que langue écrite et langue orale sont bien distinctes, aussi bien du point de vue des canaux que du point de vue
énonciatif : elles articulent différemment le discours et mobilisent des opérations cognitives en partie spécifique. Elles
tendent l’une comme l’autre à sélectionner des formes linguistiques qui leur sont particulières. Ainsi l’écrit est-il davantage
concerné par l’intervention normative, plus particulièrement contraint à une norme de saturation syntaxique et
informationnelle. Enfin, l’écrit et l’oral sont soumis à des contraintes d’encodage et de décodage pragmatiquement
différentes. La présupposition par la métaphysique occidentale de l’être comme présence est à l’origine de cette scission.
La parole réaliserait l’immédiate présence à soi et l’écriture serait violence faite à la parole. La voix a donc longtemps été
vécue comme exclusion de l’événement scriptural, ce dernier étant médiation, représentation dérivée, remplacement de
l’expression pure par l’exactitude. Le ne pourrait se saisir lui-même qu’à travers la voix. Il existe de nombreux exemples
(trop nombreux pour être énumérés ici) de l’histoire de la philosophie qui pense l’écriture comme un dérivé de la parole.
Cette dernière serait, à travers la Voix,
au plus proche du signifié comme sens
ou comme chose, alors que le signifiant écrit serait davantage représentatif et technique. Ce dernier a donc longtemps été
déprécié et sa valeur ontologique fortement diminuée. Déjà le Phèdre introduit une scission entre

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deux types d’écriture : une écriture de la vérité dans l’âme, naturelle, intelligible, opposée à une « mauvaise » écriture,
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deux types d’écriture : une écriture de la vérité dans l’âme, naturelle, intelligible, opposée à une « mauvaise » écriture,
sensible, corporelle, spatiale, technique. L’écriture naturelle se trouve unie à la voix et au souffle : elle n’est

donc pas grammatologique mais pneumatologique. Ainsi la Voix a-t-elle souvent été hantée par une quête fusionnelle
d'elle-même, par un désir d'identification de soi à soi. Le logocentrisme a ainsi véhiculé durant des siècles l’idée de
proximité du langage à l’être et celle de l’être comme présence. Même Paul Valéry, en écrivant « Le Moi c'est la voix »[58],
postule clairement cette unité, l'unification mélodique de soi-même par laquelle le sujet semble se transmuer en voix pure.
C’est le rêve philosophique occidental de la pleine présence à soi : une voix, la voix se parlant à elle-même, dans le présent
absolument contemporain de son effectuation. Pour de nombreux poètes, l'écriture est même devenue l’apanage d’une
mécanique inorganique, ayant partie liée au corps coupé : la « schize scripturale » provoquerait l’éloignement de la main «
morte » de son origine énonciative, transposition corporelle de l’écart constitutif de
la trace laissée dans le monde.
Il n’en est rien dans la poésie d’André du Bouchet. Traditionnellement, la phonè est entendue comme ce qui rassemble et
produit le sens, au cœur du logos.
Le sens produit par l’écriture d’André du
Bouchet est quant à lui rompu, espacé et graphique :

et le mot - desserrant[59].

Le son lui-même subit des modifications de cet ordre: il ne constitue pas une réalité idéale et supérieure, permettant, par la
voix, la pleine présence de soi à soi. C’est une matière susceptible de se briser, d’éparpiller le sens, ce qu’André du
Bouchet explicite ainsi :

Pas d’air

qui ne soit

rompu

et

air venir

scinder[60].

Ainsi l’écriture d’André du Bouchet travaille-t-elle contre cette métaphysique de la présence. La présence qu'appelle le
poète est toujours habitée par la disjonction, l’éparpillement, l’échappée, l’imminence d’une bifurcation.

Source
www.arches.ro/.../no04/no4art04.htm <1%
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La catégorie du discontinu est expression de la rupture des deux niveaux existentiels, que sont l'ici-bas et l'ailleurs
(pressenti et parfois aperçu). Une fois consumée l'expérience qui permet de saisir ce clivage ontologique, il ne reste
que des éléments épars. Puisque la vérité se donne par fragments, le poème ne peut être que fragmentaire.

La poésie est négative par nécessité de « naïveté ». Pour joindre le monde, il faut dé-structurer d’abord le mondain ; le
système linguistique organisé ne peut rendre compte du désordre immédiat des sensations. Retour au donné brut, absence
de hiérarchisation et de médiatisation caractérisent l’œuvre dubouchettienne :

...à

avoir

tu puises

comme avoir

été[61].

Ce n’est pas le refus de la


logique, mais la recherche d’une autre logique qui entend rendre au langage du discours
quelque chose qu’il a perdu sous l’emprise
de la logique discursive, notamment la tension entre la représentation et la chose représentée.
L’ « interstice », dont il est
tant question chez André du Bouchet, exprime bien évidemment les espaces blancs qui séparent
les mots et les lignes les uns
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les mots et les lignes les uns
des autres mais dit surtout l’espace ontologique vide qui sépare la production de langage de l’extérieur du monde, du «
dehors », pour utiliser un mot fréquent chez le poète. D’ailleurs, si le poète souhaite souvent élargir l’interstice jusqu’à
quasiment à l’annuler, c’est afin de réduire l’écart entre le langage et le monde et de faire sortir l’écriture dans le « dehors ».

Étonnement, que ce soit dans ses interventions ou dans son œuvre poétique, se manifeste au premier abord une méfiance
d’André du Bouchet à l’égard de l’écriture, comme en témoigne ce dialogue engagé avec Monique Pétillon,
pour une interview dans Le Monde :
(Monique Pétillon) Dans L’Ecrit à haute voix, vous citez cette phrase de Mallarmé : « Au fond le monde est fait pour aboutir
à un beau livre »

(André du Bouchet) C’est une phrase qui m’a toujours paru un peu légère. Je dis légère à la décharge de Mallarmé, car
cette phrase a été donnée dans un entretien. Il me semble que le rapport est inversé. Le livre est le signe de notre
présence au monde puisque nous ne pouvons pas nous défaire de la parole. Mais le monde n’est pas fait pour abouti à un
livre. Le livre, au contraire, est fait pour donner accès au monde et pour lui être rendu[62].

Le Livre ne constitue plus une fin mais se situe au commencement de cette accession au monde. En fait, l’écriture ne doit
pas fixer ce qui, de toute manière, se vit d’abord sur l’écart, mais doit dire cet écart. André du Bouchet a en effet toujours eu
conscience d’une distance. C’est à partir de cette prise de conscience que se livre, à travers ses œuvres, une lecture
critique de la métaphysique occidentale entendue comme logocentrisme. Le concept d’écriture ne désignerait plus le

Source
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double d’un signifiant plus important, pour comprendre le langage. C’est un mouvement que Jacques Derrida (avec
lequel André du Bouchet établit une correspondance à partir de mai 1968) décrit ainsi : « le signifié y fonctionne
toujours déjà comme un signifiant. La secondarité qu’on croyait pouvoir réserver à l’écriture affecte tout signifié en
général »[63]. Le rapport de la parole et de

l’écriture pose traditionnellement le problème de la présence à soi du langage, par l’intermédiaire du concept de la phonè :
de là découle l'idée de monde à partir de la différence entre le sensible et l'intelligible, l'intérieur et l'extérieur, l'empirique et
le transcendantal. Le travail derridien propose, quant à lui,
une vision du langage hors de ce
cadre principalement dualiste. La poésie d’André du Bouchet trouve écho dans cette critique derridienne puisqu'elle ne
s'inscrit pas dans cette tradition phono-centrique et dualiste. Dans l’extrait qui suit, le « papier » (entendu comme support
de la communication scripturale) et la « face » de celui qui parle s’équivalent et deviennent le lieu d’inscription du « trait »,
celui du dessin ou de la parole « en l’air », c’est-à-dire proférée :

Vent, ou papier face

comme épars, à ce qui le déporte, un trait parole en

l'air ou dessin qui questionne suspendu[64].

La Voix a toute son importance, mais elle n’est pas séparée de l’écriture :

(Monique Pétillon) Quel est le rapport entre la parole et l’écriture, entre le texte et la voix ?

(André du Bouchet) C’est indifférenciable. J’ai essayé de le formuler un peu dans les pages intitulées Là aux lèvres[65].

Le texte c’est la Voix, qui ne doit et ne peut plus être confondue avec le phonique. André du Bouchet chemine vers une
définition non plus physiologique ni psychologique mais culturelle, historique et poétique de la Voix, se réalisant dans
l’écriture (« pour être perçue ») comme dans la profération (« pour être prononcée ») :

Une parole distincte – qui sera, appelle, en tout instant, pour être perçue comme pour être prononcée[66].

Certes, André du Bouchet est un poète de l'inscription (« Ecrire, quel travail ! »[67]) mais cela ne signifie pas qu’il n’accorde
aucune importance à la matérialité sonore du
langage. Paule du Bouchet, dans un témoignage bouleversant, dit que pour son père, l’écriture ne peut s’accomplir que si
elle est une pratique de l’oralité:

Mon père dit du poème qu’il se différencie « des autres écrits en ceci qu’il ya quelque chose qui appelle la voix […].
Lorsque le mot trouve sa place sur la page, c’est que je l’imagine à mes lèvres. S’il tient dans la page, c’est qu’il tient dans
ma bouche. Lorsqu’il écoutait de la musique, il y avait ceci, fondamental, qui est du mot aux lèvres. « Chance » donc que
cette absence de maîtrise qui permettait aux sons de venir à ses propres lèvres. Ce rapport entre « le mot qui trouve sa
place sur la page après l’avoir trouvée sur les lèvres » trouvait une équivalence dans quelque chose comme : « l’attente »
de la musique en train d’être jouée[68].

« Si [le mot] tient dans la page, c’est qu’il tient dans ma bouche » : la profération devient un moteur de l’écriture : « [J]’écris
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« Si [le mot] tient dans la page, c’est qu’il tient dans ma bouche » : la profération devient un moteur de l’écriture : « [J]’écris
ce que je dis »[69], note André du Bouchet dans un carnet. Comprenons d’ailleurs cette formulation dans les deux sens :
prononciation en amont de la trace scripturaire et écriture de ce que la parole établit en nommant. La parole poétique est
d’abord et toujours anticipée ou préparée par les lèvres :

Au loin la parole – les lèvres, qu’elle timbre,l’imaginent : o u v e r t e

comme, à vélo quand une pente est dévalée, le froid – soudain le froid qui se traverse – ravivera, en passant, quelque
chose de la crudité de l’herbe sciée.

[…]

La désirant dite.

De nouveau désirant que, sur la non-parole

qu’elle timbre, elle n’en soit pas retranchée, mais rejoigne par le travers le fond de sa mutité. moi[70].

Deux éléments phoniques et énonciatifs sont à l’origine de cette parole actualisée par la voix (réalisée ou non). Le premier,
constituant matériel de consonnes et de voyelles, est décrit dans le recueil Pourquoi si calmes :

La parole réamalgamée – où elle appuie, ayant débordé un sens, sur le fond de consonnes et de voyelles dans lequel le
terrible par instant reprend corps, accuse – à l’égal d’un point d’appui, la fracture du temps, et, de même que le mot échu
chaque fois se dégage de ce qu’il a pu signifier, ouvre dans l’en- tretemps, au temps d’une attente comme à celui du repos
différé[71].

Le second est l’intonation ou le timbre en attente. Il n’y a pas de parole sans voix qui la porte, et même qui la devance. La
voix est ce qui donne vie au discours et à la parole. La parole en préparation est une matière composite, une mémoire
diffuse de phonique et de lexico-sémantique. La parole vive constitue un saut dans l’inconnu et une rupture. Le poème «
réveille ». Chaque phrase est un événement d’énonciation. Benveniste parlerait d’« événement évanouissant »[72]. Le sujet
se construit constamment et en même temps que sa parole.

Il est vrai que la lecture paraît plus accessible quand on se trouve devant une poésie gourmande. C’est ce qui arrive dans
notre culture ambiante : le rapport avec les choses et les êtres réside moins dans la tension que dans le désir presque
aussitôt assouvi ou dans la recherche de cet assouvissement. Dans le poème, la flamme brûle, mais ne se consume pas.
Le désir ne renonce pas à l’assouvissement, mais sans s’assoupir pour autant dans la consommation. C’est une relation
tendue avec le langage.

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Quand on écrit, on pressent que le mot n’est pas la chose. Mais il se produit un renversement où le mot lui-même
devient la chose. Le désir est déplacé. On ne peut pas dire qu’il est déçu, mais non plus qu’il est comblé. Car le
rapport au mot est tel qu’il reste toujours inassouvi. L’écart est déplacé, mais jamais comblé. A ceci près que si
l’écriture touche à ce qu’elle veut atteindre, on ne s’endort pas, on n’arrive plus à dormir. Le poème réveille, là où
l’assouvissement endort. L’écart, c’est le monde – qui n’est

jamais comblé. Alors il devient source et non frustration. La voix défalquée de l’eau rejoint sa soif[73].

C’est de l’impossibilité même de rejoindre le réel qu’émane une possible rencontre : « l’écart, c’est le monde […] il devient
source ». L’œuvre d’André du Bouchet s’inscrit contre le logocentrisme traditionnel en affirmant le différer initial de tout
signe (et de toute parole).

I.A.1.b. L’épreuve de la différence

Jacques Derrida, dans sa constitution d’une science de l’écriture, nous dit que cette dernière

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« précède » la parole dans la mesure où tout signe diffère : « Il y a une violence originaire de l’écriture parce que le
langage est d’abord […] écriture »[74]. Le philosophe pense en effet que toute parole est toujours-déjà une traduction,
sans qu'il

n’y ait jamais eu de « texte original ». De même, pour André du Bouchet, toute poésie est déjà traduction puisqu’elle doit
réinstaurer le lien perdu entre les choses et les mots : « il me reste encore à traduire du français »[75], écrit le poète. À la
base des traductions, le texte n’a pas réellement de signification établie. L’expression linguistique est toujours-déjà une
traduction, au

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Source 4%
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sens d’une « trahison » et non d’une équivalence. L'écriture est envisagée comme l'épreuve de cette distance qui
nous sépare du langage lui-même et le texte étranger à traduire est encore moins susceptible de trouver une
équivalence dans une langue elle-même différante : « traduire [reste] une séparation aussi »[76]. Il est impossible de
se réapproprier la langue de l'autre sur le plan de la signification. Le sens ne se livre jamais comme présence positive
d’une parole totalement signifiante. Le surgissement se donne toujours comme une disparition, celle du monde au
sein du langage, qui révèle avec violence son incapacité à le convoquer. Derrière cette impossibilité d'incarner le réel,
le langage surgit dans sa pleine présence différante et différée. L’écriture ne peut plus être considérée comme une
inscription déviante d’une Voix qui dit la « présence à soi ».

Elle fait systématiquement appel à une expérience de manque (impossibilité de rejoindre l’extérieur dans la parole) et se
présente comme une inscription équivalente à la profération de la voix. Il s’agit désormais de penser l’espace littéraire
et poétique comme ce qui se joue au cœur même de ce mouvement différant, comme ce qui assume cette condition du
langage. Affronter le vide ou le blanc sur lequel s’inscrit la parole et avec lequel elle compose, rend possible l'écriture
poétique. Le blocage référentiel est très souvent constaté au sein de la poésie dubouchettienne :

L’air

sans atteindre au sol seulement sous la foulée,

revient[77].

Il est question de cette scission entre « l’air » et le « sol » (que le premier, dans sa volatilité essentielle, n’atteint jamais),
métaphore de la situation du poète en tant qu’être parlant. À lui comme à nous, la réalité apparaît effectivement scindée, «
ici en deux » (pour reprendre le titre d’un recueil d’André du Bouchet). D'un côté se tient la réalité que la parole dit ; de
l'autre s’impose celle à laquelle nous nous confrontons dans notre expérience sensible, dans notre rencontre avec l'Autre ;
cette dernière est une réalité qui demeure l'événement du Sans-Nom, événement du Sans-Nom que le langage est
impropre à nommer et qui s’effectue dans la surprise, toujours. Ainsi, le moi et le monde ne peuvent réellement s'appeler et
communiquer, faute de mots. Mais, ce qui ressort de l'œuvre poétique d'André du Bouchet avec une particulière clarté, est
la double reconnaissance, constamment réaffirmée, qu'il y a, en-deça de l'étant, quelque chose à dire – notre rapport
(même empêché) au monde – et qu'il doit être possible de le dire. La mise en marche, dans le territoire comme dans le
poème, est ce qui fait éprouver et vivre cet écart. Revenons au terme de cette expression extraite de Ou le soleil : « […]
sous la foulée revient ». La poésie d'André du Bouchet est bien une réponse « en acte » à cette interrogation de la parole et
du monde. Nous ne pourrions pourtant affirmer que le rapport entre lui et le monde se résout en plénitude harmonieuse. La
poésie dubouchettienne ne s'abandonne jamais à l'« enchantement » (évoqué par Hölderlin) de la pure sensation encore
irréfléchie de la vie. Son rapport au monde réside dans l'ouverture et l'écart tout à la fois. Se lit dans son œuvre une
différence

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assumée, un écart vécu, une distance comprise – un corps « fragmenté » et ouvert, justement dispersé au-delà des
frontières du corps propre qui définit habituellement la position du sujet. L’écriture différante d’André du Bouchet nous
apprend qu’il est possible d’habiter le gouffre lui-même, là où le corps compose d’infinies relations avec un dehors qui
le traverse ; au milieu donc, là où le langage n’a plus ni émetteur ni récepteur, là où il se dresse comme une réalité
singulière et autonome, une force créatrice. Dès lors l'importance du « souffle » est toute différente de ce que Derrida
voit chez Artaud : plutôt qu'une possession de la langue par la respiration, l'accueil de l'extériorité de l'air dans la
parole va, chez André du Bouchet, jusqu'à l'impersonnel : « c'est alors une parole qui ne serait de personne, qui ne se
préoccuperait que de désigner par sa présence rudimentaire un écart premier, un espacement irréductible à partir
duquel seulement nous trouvons à

être »[78]. « J’écris aussi loin que possible de moi »[79], écrit André du Bouchet : il ne s'agit pas de préserver une possible
intégrité de son être mais de s’abandonner à l'altérité d'un dehors impersonnel, de s’ouvrir, d’assumer et d’intégrer la
différence, ce qui permet au langage de s'ouvrir au blanc, au vide et au silence qui constitue son revers. Les mots se
mettent à parler parce

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qu'ils ne bavardent plus : ils n'ont plus d'autre contenu que cet évidement du langage qui permet l'accueil de son
dehors. La différence devient ouverture à l'altérité. Michel Collot le commente avec justesse :Certes, une telle
coïncidence entre mots et choses est sans doute impossible, et André du Bouchet a toujours eu la conscience la plus
aiguë de leur écart. Mais sur cet écart il table, c'est-à-dire qu'il en fait la condition même de la relation. Le rapport au
monde institué par ces fragments de Rapides comprend en lui le moment de l'absence et de la différence[80].

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Lorsqu’André du Bouchet écrit « neige. glace. eau. si vous êtes des mots, parlez »[81], il indique que ce n’est pas à lui
d’engager la parole. Il ne cherche pas à reconstituer un « je » métaphysique et ne croit pas à la totale maîtrise du langage.

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C’est aux mots de gagner leur indépendance, c’est aux mots de parler. C'est ainsi que nous comprenons le retour au
signe non séparé de sa force élocutoire.

I.A.2. « [F]raîcheur qui disperse les signes »[82]: déloger le signe de son ordre clos

I.A.2.a. Une opacité constitutive de l’écriture poétique

La conscience d’une stase référentielle se traduit, dans la poétique dubouchettienne, par la notion d’obstacle, en particulier
celui de la « montagne », qui oppose à la parole l’épaisseur de la langue :

La montagne : elle n’est que langue [83].

La montagne est en effet souvent la métaphore de l’écriture, comme le souligne André du Bouchet lui-même : « Quand a
paru Dans la chaleur vacante, on m'a demandé si j'habitais un pays de montagne. Je crois que le mot de « montagne » qui
y revenait assez souvent n'était autre que la langue que je commençais à habiter et à laquelle je me heurtais »[84]. La
langue est en effet un ensemble compact d’éléments préexistants et codés. La langue est une donnée épaisse qu’il s’agit
de gravir, pour permettre au langage de se découvrir et à l’être d’exister. En effet, l'« épaisseur de la langue sépare
l'homme de lui-même en tant qu'être parlant »[85]. Le poète qui affronte cette contradiction « percevoir le dehors / ne pas
pouvoir le dire », se situe dans une sorte d’embrasure. Il stagne entre ce qu’il ne peut pas dire et ce à quoi la parole doit
aller :

dehors : non, dehors je ne peux pas. et aller, pourtant, sur

ce que je ne peux pas dire. la parole, quelquefois, suivra — de

même que soi, sans être dit, par les intervalles[86].

Il est donc très souvent question au fil des recueils dubouchettiens d’une épaisseur qui entrave la progression, de ce qui
obstrue, ce qui « obnubile » le passage et ce qui en écarte le marcheur, qu’il s’agisse d’un mur, de l’air du froid ou encore
d’une montagne. Il existe de minuscules obstacles, auxquels l’on accorde trop peu d’importance : des cailloux qui effacent
la piste (« quand la route se perd à la surface des pierres »[87]) à la terre qui s’interpose entre « le soleil et nous »[88] (il
peut s’agir du « mur », obstacle à la vue mais aussi lien entre le ciel et le sol). Il en existe bien évidemment de plus
imposants. Ainsi l’image de la montagne obsède-t-elle André du Bouchet. L’isotopie de la glaciation est sans doute la plus
représentative de sa poétique. Le glacier semble constituer l’obstacle par excellence (« … montagnes en cours que je ne
franchirais pas »[89]) : à la fois brutal (« Glacier tord »[90]) et vaporeux (« l’air des glaciers frappe un côté immobile de ma
face »[91]), à la limite de la matière et de l’esprit (« ce qui doit se dire le glacier »[92]). Même le froid qui en émane, plus
volatile et moins imposant au premier abord, se concentre et se condense, constituant ainsi un frein au souffle, provoquant
la cristallisation de la parole poétique :

puis s’interposant, comme

au

froid du carreau l’haleine[93].

L’obstacle, qui est issu du latin « ob-stare », peut se traduire par « ce qui se tient devant ». Et il est vrai que le réel se
dresse souvent dans le champ perceptif du poète et s’étend au loin, « dans le déploiement dilué de l’infini »[94], distançant
le poète déstabilisé. Même le sol, traditionnellement pensé dans son horizontalité, défile sous son pied et le prolonge, s’ «
ex-pose » au poète, « se découvre face à [lui] » et devient souvent champ d’horizon illimité :

de

même que le sol sous le pas de la figure, reprenant le dessus, se

découvre face à soi[95].

Un grand nombre de locutions adverbiales et de prépositions qui ponctuent les recueils, indiquent ce devancement du
paysage : « la faille sur laquelle j’ai pu reprendre est encore en avant de moi »[96]. Le philosophe Henri Maldiney évoque à
ce propos la récurrence du mot « face
» dans la poésie d’André du Bouchet
et la perspective que le terme libère :

Que cette face soit la mienne ou qu’elle soit celle du monde, elle n’existe à soi qu’en avant de soi portée vers l’autre –
avant toute entreprise[97].

Dans un recueil comme l’Ajour, ce vocable peut être relevé sous la forme d’un syntagme prépositionnel (« Le ciel de face /
ajouté / où / tout est perdu / ajouté / l’autre souffle »[98]), d’une locution (« … déjà face à « nous » scintille, comme un
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ajouté / où / tout est perdu / ajouté / l’autre souffle »[98]), d’une locution (« … déjà face à « nous » scintille, comme un
implant de / l’autre côté de l’air…[99]), ou d’un simple substantif (« Face et soif, encore face des/ ruisseaux)[100]. D’une
manière générale, la poésie d’André du Bouchet manifeste une élévation obstruante. En effet, ce qui devance souvent se
redresse, comme en témoignent ces expressions relevées dans « Hercules Segers » : « sol plus haut que le sol »[101], «
masse inhabitée qui se lève au-dessus des maisons »[102], « terre soulevée »[103], parois « en surplomb »[104]. Même l’«
infiniment bas se retourne en hauteur éperdue » :

L’horizon porteur du dehors ici prenant pied debout…[105]

L’illimité (« longue ») horizontal (« plage ») s’impose dans sa verticalité :

longue plage sur laquelle, de nouveau, hauteur cherche

à se prendre pour relancer[106].

L’état du paysage subit fréquemment une permutation verticale, où il acquiert une force tangible. Dans l’extrait qui suit, la
virgule engendre une apposition et, par conséquent, une relation d’identité entre les deux syntagmes nominaux,
équivalence renforcée par une symétrie de construction (substantif + syntagme prépositionnel). Ainsi la pierre, qui se situe
de « front » (donc « au-devant »), se dresse en rocher escarpé (« à l’aplomb »). Elle s’érige :

comme pierre de front, un rocher à l’aplomb…[107]

Le monde semble se soulever jusqu’à soi. Après tout, pour le marcheur, la montagne est une sorte de sol (suite du chemin
emprunté) qui se « verticalise » au fur et à mesure de son ascension. Aussi, lorsque nous tombons, le sol vient tout autant
que la chute du corps, à notre encontre :

comme, à chercher

appui, on aura pendant l’équilibre porté la main en avant, la terre sans

attendre vient à soi[108].

Dans l’œuvre dubouchettienne et sur le plan lexical, le sème de la verticalité est omniprésent sur le plan lexical. Par
exemple, le mot « paroi », employé de manière récurrente par le poète, représente, en dehors de toute structure matérielle,
tout ce qui sépare (le moi des autres ou l'homme de la connaissance); ne serait-ce que le mur de feu qu’entretient la vie
quotidienne : « je bute contre la chaleur qui monte au front des pierres »[109]. La verticalité touche également la
typographie des poèmes : l’escarpement d’une présence en appel, c’est ce que montre la disposition des textes et tout
d’abord le décrochement des « blancs ». L’ordonnance typographique de certains poèmes acquiert une véritable force
verticale. Les énoncés, soumis à une gravité poétique, contournent la linéarité de l’écriture et esquissent une chute
verticale :

et c’

est

par les descentes

qu’

il a

fallu[110].

Le plus souvent, l’obstacle se manifeste tout de même par l’« épaisseur ». Celle-ci apparaît souvent sans qualificatif. Elle
est le dehors absolu, antérieur à la parole (« séparant de soi lorsque je n’ai pas prononcé »[111]) et à la marche («
épaisseur non frayée »[112]). Ce qui est épaissi se situe en effet dehors, « comme hors du sens »[113]. L’« épaisseur » est
inintelligible et le demeure si l’on tente d’entamer sa solidité :

solidité sans finir

deux fois j’ai démêlé. puis, cela est redevenu

inintelligible : la montagne. deux fois

l’épaisseur inintelligible[114].

La « terre » (« épaisseur terreuse, compacité de l’humus »[115]), vocable que le poète emploie dans la diversité de ses
significations, apparaît elle aussi comme une épaisseur compacte et infranchissable. Dans Hercules Segers, André du
Bouchet évoque la figure du promeneur

( ici comme fiché

dans la compacité de l’humus et qu’il doit ensoleiller…,

c’est-à-dire, qu’il doit tout de même traverser. Les gravures d’Hercules Segers, commentées par André du Bouchet dans un
essai portant comme titre le nom du peintre, sont propres à faire saisir cette épaisseur de la terre.

Plongeons-nous dans ce Paysage montagneux : « Face à soi la sèche, la terre (que l’eau en poudre obnubile »[116], note
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Plongeons-nous dans ce Paysage montagneux : « Face à soi la sèche, la terre (que l’eau en poudre obnubile »[116], note
du Bouchet. Sous nos pieds, en effet, un sol de cailloux et d’herbes éparses, prolongé sur la droite par des montagnes
abruptes et blessées dont l’aridité est soulignée d’une lumière chaude. L’immensité du ciel presse une ligne d’horizon
basse : « présence du ciel sur la terre et la terre comme en émoi de ce jour »[117]. Même le ciel est compact : « la
compacité du ciel sans étoiles »[118]. A gauche, une vallée. Villages et hommes, pris dans les tumultes de la terre,
semblent disparaître en elle, être ensevelis : « Le moulin lui-même/grain dans les meules de le terre … »[119]. Les
personnages paraissent émerger d’une pâte terreuse qu’André du Bouchet traduit par « terre verbeuse » : une parole
commune prise elle aussi dans les tumultes de la terre. L’épaisseur peut en effet être celle du livre (« agrégat de feuillets
»), et, par conséquent, de l’écriture poétique définie comme « opaque », c’est-à-dire refermée sur elle-même :

et que l’opaque, agrégat de

feuillets tantôt fendu (plus avant je ne déchiffre pas) ressoude …

plus avant non… Mais le volume opaque que je ne peux pas

franchir, ne regarde que moi[120].

Cette épaisseur fait d’ailleurs signe au poète (« ne regarde que moi ») qui devra tenter un frayement personnel. Ce qui
semble logé dans l’épaisseur du livre, c’est la mutité :

… au plus haut,

cela : parole en deux - heurtant, avant de s’y confondre, la matière

du muet dont elle tire pour une part sa compacité …[121]

L’épaisseur muette renvoie à l’épaisseur de la langue :

… dans l’épaisseur muette aussi active que l’air, et comme lui

soustraite à la lettre - l’épaisseur de la langue …[122]

La langue a la même épaisseur, la même opacité que le monde. Et le défaut par où peut se vaincre sa masse abrupte,
c’est le sujet qui parle, prenant appui sur le muet. Dans sa présentation de Fureur et mystère, du Bouchet note : « Le refus
de se laisser annexer donne lieu au poème, il garde le sentiment de l’écart intransigeant qui existe entre l’homme et les
choses, entre l’élément qui se déchaîne ou se referme sur lui-même dans un silence obstiné, et l’homme doué de parole
»[123]. En même temps qu’il commente Char, André du Bouchet dessine bien évidemment sa propre poétique. Les mots
sont en effet des pierres épaisses, amassées en travers de notre route. Le monde est une relation compacte, un continuum
qui nous entoure. La conscience de l’homme qui le constate en prenant de la hauteur ou du recul peut tenter de le percer.
A partir du muet, l’écriture poétique crée une transparence qu’André du Bouchet appelle souvent le « jour ». L’écriture
ouvre l’épais.

La rencontre de l’épaisseur et de la fermeture est donc un choc initial qui ouvre l’espace. L’obstacle permet le dire poétique,
il est ce lieu limitrophe que la raison en acte de l’homme rencontre. Et cette rencontre relève d’un contact.

Source
noesis.revues.org/.../32 1%
principale

Dès celle-ci, la tâche du poète est la recherche, une quête amenant la pensée irrévocablement à rejoindre le mur. Le
poète extrait son dire de cette rencontre. Ce n’est plus alors ce que l’homme nomme « la terre » qui fonde son séjour
mais le dire poétique, l’écriture qui accorde résidence, habitation, lieu d’accueil pour le poète. Comme le théorise
Heidegger dans sa Lettre sur l’humanisme :Le langage est la maison de l’Être. Dans son abri, habite l’homme. Les
penseurs et les poètes sont ceux qui veillent sur cet abri. Leur veille est l’accomplissement de la révélabilité de l’Être,
en tant que par leur dire ils portent au langage cette révélabilité et la conservent dans le langage[124].

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