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La parabole que la traduction de la Nouvelle Bible Segond nomme la « parabole

du filet » me fait penser à cette parabole de l’ivraie quelques versets plus haut, ou
dite de la mauvaise herbe. Si l’une se passe dans un champ, l’autre se passe en
mer. Mais dans les deux cas il s’agit de faire un tri entre ce qui peut nous nourrir
avec saveur, le blé dans la première parabole, et les bons poissons dans la seconde.
Dans les deux cas, l’ivraie pour la première parabole et la mauvaise pêche dans la
seconde sont jetés, ou brulés. Dans les deux cas, il est question de multitude : une
bonne récolte est, on l’espère, abondante. De la même manière, la pêche est bonne,
si le filet est plein, lourd. De la même manière que l’ivraie pousse en même temps
que le blé, la pêche se fait sans tri, sans élection. On amasse dans le filet, bons et
mauvais poissons en même temps. Un filet à grosse maille par exemple, aurait
permis de faire un pré-tri et ainsi pêcher uniquement de gros poissons. Pourquoi,
l’auteur de l’Evangile de Matthieu nous entraine-t-il dans ces histoires où, dans
une idée de multitude, le bon et le mauvais cohabitent et que le tri ne se fait qu’à
la fin ? La fin du texte que nous avons lu, confirme cette idée de cohabitation,
puisqu’il nous dit que le maître de maison a un trésor qui contient aussi bien des
choses nouvelles que des choses anciennes.

A la lecture de ces paraboles je me suis demandé pourquoi, de la même manière


que l’ivraie et le blé poussent ensemble, pourquoi le bon poisson se trouve avec
le mauvais poisson dans le même filet. Pourquoi le trésor du maître contient-il
autant de choses nouvelles que de choses anciennes. Dans toutes ces paraboles, le
texte s’oriente vers un tri final. Alors qu’une parabole nous parlait d’un tri au
moment de la récolte, maintenant le texte nous dit que le tri entre la bonne et la
mauvaise pêche se fera sur le rivage, c’est-à-dire à la fin de la pêche, au retour du
bateau. Le texte affirme que c’est à la fin du monde que les anges sépareront les
mauvais du milieu des justes pour être jetés dans la fournaise ardente.

Le tri final, le jugement dernier est-il réellement l’enjeu de ces petites histoires ?
Où est la promesse d’une bonne nouvelle dans ces paraboles ? Les explications

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que donne Jésus ne sont pas tant des paroles d’espérance qu’une exhortation à
vivre au présent tous ensemble et considérer que le Royaume de Dieu est ici, là,
et maintenant. En effet une parole qui consisterait à nous dire de ne pas nous
inquiéter, que les mauvais seront punis et brulés en temps et en heure, me parait
être une lecture un peu trop moraliste de ces paraboles. L’espérance des chrétiens
s’est souvent construite sur cette lecture, notamment au moyen-âge, au moment
des plus grandes épidémies de peste notamment. Mais je crois que ce n’est pas
une bonne nouvelle d’espérer la mort d’hommes et de femmes dans une fournaise,
fussent-ils injustes, mauvais. Quel serait ce Dieu d’amour qui promettrait de tels
châtiments même à la fin du monde ? Pourquoi au chapitre cinq de l’Evangile de
Matthieu, Jésus nous exhorterait-t-il à aimer nos ennemis et à prier pour ceux qui
nous persécutent, et ici il nous promettrait un Royaume de Dieu où les mauvais
seraient jetés dans la fournaise ardente ? Deviendrait-on seulement bon par peur
de cette fournaise ? Non, le Dieu des Evangiles, est un Dieu d’amour
inconditionnel et universel, pour la multitude. Le Dieu des Evangiles nous parle
de son Royaume au présent et non pas au futur. Il est un Dieu d’amour pour toute
l’humanité et non pas pour une poignée d’élus qui aurait échappés à la fournaise.
La bonne nouvelle des Evangiles n’est pas à venir. Les Evangiles nous disent
qu’ici est maintenant, nous pouvons vivre dans le Royaume, à la seule condition
de ne pas chercher à faire du tri. Le tri, c’est-à-dire décider ce qui est bon ou
mauvais n’est pas de l’ordre de l’humain. Quand les textes nous disent que les
anges sépareront les mauvais des justes, que les anges arracheront du royaume
toutes les causes de chute et ceux qui font le mal, cela veut dire que tout ceci
relève d’un autre monde, dans un autre espace temporel, c’est pour nous dire que
tout cela nous échappe. Que la présence du bien et du mal qui poussent ensemble
nous dépasse. Cela ne nous concerne pas finalement. Nous ne devons pas compter
sur le jugement dernier pour nous dédouaner de toutes nos responsabilités du
temps présent. Il nous revient de faire pousser ensemble l’ivraie et le blé, et de
pêcher sans distinction du bon et du mauvais poisson. Quel homme serait capable

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de procéder à ce tri sans erreur ? Quel homme est capable de dire ce qui est bien
ou mal pour l’établissement du Royaume ?

La promesse d’un tri final n’est donc pas une promesse destinée à nous menacer
ou à nous rassurer. Cette promesse est une exhortation à vivre ensemble dans
l’instant présent, avec les bons et les mauvais, les choses nouvelles et les choses
anciennes. Alors que nous nous trouvons dans une période agitée, où il n’y a
jamais eu autant de personnes angoissées à cause d’un avenir économique peu
radieux, avec des conditions sanitaires inquiétantes. Alors que de nombreux actifs
se trouvent dans des situations professionnelles précaires, alors que de nombreux
retraités se trouvent aussi dans des situations financières compliquées sans parler
des risques liés à la crise sanitaire pour les plus fragiles d’entre nous. Alors que
les théories complotistes tentent de diviser et de semer la zizanie. Alors que nos
jeunes n’arrivent même plus à discerner le bon chemin à suivre pour aborder le
monde professionnel. Ces paraboles qui annoncent le royaume de Dieu nous
rappellent, que dans la multitude il y a un chemin singulier qui nous est réservé
pour chacun d’entre nous pour participer à l’établissement du Royaume de Dieu
dans le monde qui nous entoure. A la seule condition de croire que le Royaume
est tout ce qui contribue au bien de tous et à l’intérêt général. La Bible est
subversive, c’est-à-dire qu’elle renverse l’ordre établi et les valeurs reçues. Ces
paraboles nous appellent donc à croire au Royaume dans le chaos qui nous
entoure. Oui, il y a du bon et du mauvais autour de nous, oui il y a ceux qui font,
ou qui disent, du bien et du mal, mais ce qui compte aujourd’hui, c’est notre
responsabilité dans la participation à l’établissement de ce Royaume.

Amen

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