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Cher François,

En lisant mes remarques tu comprendras que ton


penchant à surinterpréter est encore très fort.
Il convient de servir le texte et non pas s’en servir
Le métier de pasteur c’est d’être à l’écoute de tous,
ce que tu fais sans doute fort bien, mais aussi à l’écoute
du texte biblique Prédication Maguelone, 21/06/2020
Avec toutes mes amitiés,
Dany Nocquet
Proverbes 31,10-31

Chers amis, chers frères et sœurs,

Ce texte est d’une beauté et d’une poésie incroyable. Il y a quelques jours la lecture de ce texte
m’a saisi. Il fait partie de ces textes que vous lisez, que vous relisez et vous lisez encore et
encore, et à chaque fois quelque chose de nouveau apparait et vous prend aux tripes. Vous y
découvrez à chaque fois une richesse, une force inouïe et inattendue. Et j’ai même envie de
prendre un risque indéfendable, celui de faire un anachronisme, je dirais que ce texte est
profondément évangélique et protestant car il proclame haut et fort l’amour de Dieu et le salut
par la foi seule. Le cœur de ce texte est notre fameux sola fide. Ce texte nous montre que les
oeuvres ne peuvent pas contribuer au salut, mais que c’est la foi et la foi seule qui surpasse tout,
qui est au-dessus de tout.

Mais ceci n’est possible qu’à une seule condition : ne nous trompons pas de lecture ! Parce que
ce texte fait aussi partie de ceux qui sont utilisés pour faire dire à la Bible ce qu’elle ne dit pas
et ce qu’elle n’a jamais dit. Et au lieu de libérer, ce texte peut aussi enfermer, faire souffrir,
enchainer. Comme d’autres textes bibliques qui sont utilisés pour justifier le racisme, comme
d’autres textes bibliques qui sont utilisés pour justifier la peine de mort, comme d’autres textes
bibliques qui sont utilisés contre les homosexuels, et j’en passe, ce texte a été utilisé pour
enfermer des jeunes filles et des femmes dans des rôles impossibles. S’il y a un principe dont
nous devons être fiers chez nous, protestants, c’est bien celui de la résistance, ce register de
Marie Durand dans sa tour de Constance. Notre résistance à nous, c’est de savoir dire non à ces
lectures erronées de la Bible qui privent de liberté des hommes et des femmes. Parce que les
expériences de vies racontées dans la Bible, de la sortie du jardin d’Eden jusqu’aux Evangiles,
en passant par le déluge, les patriarches, l’Exode, ce ne sont que des récits de peuples qui se
libèrent de l’emprise de rois, de tyrans, de dogmes qui n’ont rien à voir avec une parole divine.

En 1982, un livre était publié et commentait cette fin du livre des Proverbes et disait, je cite le
résumé du livre « la femme de Proverbes 31 vous enseignera comment vivre une vie heureuse,
productive, et équilibrée. Comment être une femme au foyer compétente et une femme
d’affaires prospère. Elle vous montrera comment être attrayante, enthousiaste et ouverte aux
autres. Que vous soyez mariée ou célibataire, ce livre vous donnera l’envie de vous surpasser

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pour Dieu ». Sacré programme mesdames ! Et pour le mari aussi, puisque vous avez surement
noté que le mari, lui, profite allègrement des compétences surhumaines de sa femme pour
s’asseoir aux portes de la ville pour discuter avec les anciens…

Et bien je dis non, je refuse cette lecture. Si la Bible nous enseigne cela, et si notre rôle de
pasteur est de proclamer cette parole, alors je comprends qu’il n’y ait pas plus de monde chaque
dimanche au culte dans nos temples. Ce texte nous met face à cette question : que faisons-nous
de la Bible ? Est-ce que nous la brandissons comme une arme en affirmant que ce qui est écrit
dedans est la parole de Dieu et rien d’autre ? Depuis qu’un président a utilisé la Bible comme
un étendard il y a quelques jours, ce sujet a été largement abordé et heureusement de
nombreuses voix se sont élevées pour dire non, la Bible n’est pas cela. Les textes bibliques nous
ouvrent à autre chose, à une autre parole, à une parole autre. Si le texte biblique ne nous aide
pas à proclamer une parole de vie, une parole de liberté, une parole d’espérance, alors cela veut
dire que soit nous nous trompons de lecture, soit le texte biblique est devenu inaudible.

Ce n’est pas le cas de ce poème qui termine le livre des Proverbes. Je veux donc partager avec
vous ce matin comment ce poème m’a parlé et pourquoi je le trouve si beau. Je vous propose
dans un premier temps de parcourir ce texte en m’attardant sur les éléments qui me font dire
que c’est un joyau de la poésie. Puis nous verrons comment nous approprier ce texte dans nos
vies, et notamment dans ce temps de renouvellement de conseils d’Eglise.

Nous pouvons être surpris par cette liste de choses à faire pour cette femme anonyme surdouée.
Mais je devrais plutôt parler de choses faites que de choses à faire. et bien que, la majorité de
nos Bibles traduisent les verbes par du présent, les verbes en hébreu sont à l’accompli. C’est un
temps qui n’existe pas en français, mais qui conjuguent les verbes pour exprimer quelque chose
qui est fait et qui n’est plus à faire. L’accompli exprime donc une action terminée. On ne devrait
donc pas traduire par exemple pour le verset 13, par « Elle se procure de la laine et du lin et
travaille de ses mains avec plaisir » mais « Elle a recherché laine et lin et elle a travaillé de ses
mains avec plaisir ». Et cela change tout, parce qu’au lieu de voir ces versets comme des
objectifs à atteindre, ils doivent être lus comme des actions révolues, qui ne sont plus à faire.
Ces actions sont dans le passé, et le texte nous appelle à regarder devant nous vers autre chose.

Il y a un second point de grammaire sur lequel je voudrais attirer votre attention : les verbes
sont à la troisième personne du singulier : Elle a confectionné, elle s’est drapée etc... Quand
vous, lecteurs, vous lisez ces versets, vous voyez bien que le rédacteur ne s’adresse pas à vous,
il ne parle pas de vous, mais il parle d’une 3eme personne, anonyme, indifférente à votre vie à

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vous. Nous ne devons pas négliger ces détails qui nous guident dans la lecture de ce texte. Toute
cette première partie du poème parle donc d’une autre femme, le texte parle d’elle, et pas de
moi, pas de toi.

Jusqu’au verset 29 où il est écrit : « Beaucoup de femmes ont montré leur valeur » ou leur
énergie selon les traductions. Beaucoup de femmes, oui, mais toutes ces femmes sont celles
d’avant, celles qui ont été nommés avant. « Mais toi, tu les surpasses toutes ». Toi. Ça y est, le
rédacteur s’adresse à moi, à toi, à nous. Le rédacteur nous tutoie, il nous interpelle dans nos
vies. Toi tu les surpasses toutes parce que la femme qui doit être louée, ce n’est pas celle qui a
fait d’une manière surhumaine tout ce qui est fini et accompli, mais c’est celle qui craint, c’est-
à-dire celle qui respecte le Seigneur nous dit le verset 30. Et c’est là que tout se joue. Ce n’est
pas celle qui fait « tout » qui doit être louée, ce ne sont pas les œuvres qui vont la sauver, mais
c’est toi, parce que toi, tu respectes le Seigneur, alors là tu seras louée. Ta foi seule t’a sauvé.
Ce poème est une invitation à la vraie foi. Un autre point : Le choix des traducteurs laisse penser
qu’en respectant Dieu cette femme surpasse toutes les autres. En réalité, le verbe hébreu signifie
qu’il faut se placer au-dessus de cette femme ou de ces femmes qui savent tout faire. Il s’agit
donc de prendre de la distance et savoir prendre de la hauteur par rapport à tout ce qu’il y a à
faire. C’est tout simplement une invitation à privilégier le temps pour la prière. Ce poème nous
dit que la satisfaction que nous tirerons à mettre des croix devant les choses accomplies sur nos
listes accrochées sur nos frigos ne servent à rien, que l’essentiel est ailleurs, il est dans la foi
que tu mettras à louer Dieu. L’essentiel est dans le temps que tu passeras avec Dieu.

Le verset 31 vient clore ce poème magnifique en venant jouer sur les sonorités en hébreu qui
nous amènent à confondre Dieu et la femme qui respecte le Seigneur. Lorsque le rédacteur nous
invite à louer cette femme il dit, en hebreu bien sûr, « Halleloua », et l’on entend évidemment
cette même louange à Dieu « Halleluya ». Dieu et cette femme se confondent et ne font plus
qu’un au moment où le livre des Proverbes se referme. Vous l’avez compris, ce poème ne loue
en rien la femme vertueuse qui sait tout faire pendant que l’homme se prélasse aux abords de
la ville. Au contraire même, je pense que l’auteur pose un regard plutôt ironique en se moquant
du charme décevant et de la beauté éphémère. Et la moquerie va même jusqu’à la scène qui
décrit les fils et le mari qui se lèvent (donc ils étaient tous assis) pour la louer.

Alors, me direz-vous, comment devons-nous nous approprier ce texte aujourd’hui ? Bien sûr
que je ne peux pas faire abstraction du contexte culturel de l’ancienne société moyen-orientale
dans lequel ce livre a été écrit. Bien sûr que je n’oublie pas que de grands commentateurs
comme Rashi ont fait une lecture allégorique de ce passage en disant que la femme est une
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figure allégorique de la Torah, d’autres pensent que cette femme est une figure allégorique de
la Sagesse personnifiée du début du livre des Proverbes. Mais ce poème me parle autrement et
m’amène maintenant sur un autre terrain de réflexions.

Tout au long de cette année de stage, et alors qu’aujourd’hui j’ai le plaisir de présider ce dernier
culte en tant que pasteur-stagiaire, je suis très reconnaissant envers le pasteur James Woody qui
a su attirer mon attention à chaque instant de cette année sur l’importance de faire une lecture
théologique des événements, des rencontres, de tout ce qui se vit ici et ailleurs, tout simplement
de la vie. A quoi servirait une théologie qui répondrait à des questions que personne ne se pose
me répétait-il ? Il n’était pas question seulement d’organiser des événements pour le plaisir de
faire, et remplir un agenda, mais de faire rentrer la théologie dans le quotidien de chacun. Parce
que la théologie permet de montrer que le texte biblique apporte des réponses à des
interrogations existentielles. C’est ce que nous montre le texte de ce matin, alors que chacun
d’entre nous avons repris petit à petit nos plannings d’avant le confinement. Nos activités
d’Eglises reprennent petit à petit et nous pensons déjà aux activités de septembre. Au moment
où les assemblées générales de nos Eglises vont se réunir pour désigner de nouveaux conseillers
qui vont peut-être insuffler de nouveaux projets. Ce texte nous rappelle avant tout, que si nous
sommes Eglise, il est nécessaire de se demander quelle place nous faisons à la spiritualité dans
nos vies d’Eglise ? Quelle place laissons-nous à la théologie dans nos activités et dans nos vies ?
Quelle place laissons-nous pour être interrogé par une parole venue des profondeurs de nous-
mêmes et qui ne demande qu’à être entendue. Parce que c’est cela la spiritualité à laquelle nous
sommes appelés par cette femme qui respecte Dieu. Une spiritualité pour faire advenir la vie
par l’amour et rendre le monde meilleur. Cette femme idéale dans le texte de ce matin a répondu
par la prière à l’appel d’amour de Dieu. De la même manière nos Eglises doivent aussi répondre
à celui qui nous appelle à aimer et à servir les créatures de Dieu.

C’est l’appel qui nous est lancé, à nous tous dans nos vies, ainsi qu’aux nouveaux conseils qui
vont bientôt se mettre en place.

AMEN

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