Vous êtes sur la page 1sur 1

« Monde d’après » : et si on ralentissait ?

Par Serge Raffy


Publié le 12 mai 2020
https://www.nouvelobs.com

LE CLIN D’ŒIL DE SERGE RAFFY. Ralentir, sortir de l’aveuglement de la productivité à outrance ? Le


confinement a eu un mérite, au-delà de l’aspect sanitaire : nous ouvrir les yeux. Il faut inventer un nouveau
modèle de société, plus lent, plus lucide, plus équitable. Slow is beautiful ?

Nous venons de traverser un cyclone. Nous en sortons tétanisés, hébétés, épouvantés par le comptage quotidien
de ses victimes, par sa cohorte de drames mais aussi de merveilles de solidarité. Les dégâts humains sont
considérables, tragiques pour beaucoup. Mais, paradoxe, le Covid-19 nous renvoie en miroir nos vies
cloisonnées, enfermées, bousculées, pilotées par des mains invisibles. Le confinement qu’il nous a imposé est
peut-être un arrêt sur image salutaire, une pause indispensable pour appuyer sur le bouton pause et repenser
nos logiciels, avant de repartir dans la course infernale de la consommation, des compétitions multiples et
variées inhérentes au capitalisme mondialisé, débridé et soumis à la cupidité malfaisante d’une poignée de
financiers hors sol. Nos gouvernants nous promettent d’inventer un nouveau modèle de société, plus humain,
qui rapproche et non qui éloigne. Un modèle basé sur des valeurs de solidarité et de justice sociale.

Si nous n’y prenons pas garde, le retour de la vitesse, des rivalités sur les marchés planétaires, du besoin
impératif de retrouver une croissance, durable ou pas, risque de nous renvoyer à nos erreurs passées. Comment
profiter de cette période de réclusion forcée ? Comment ne pas replonger dans l’aveuglement des décennies
passées ? Nous avons rêvé d’un monde paisible et confortable, où la vitesse des transmissions, la
financiarisation à la vitesse de la lumière, telle une mystique incontournable, allait produire du bonheur et de
l’égalité. Nous savons tous que tout cela n’était qu’un mirage, pour ne pas dire une croyance quasi religieuse.

Nous avons cru que posséder le monde consistait à courir aux quatre coins de la planète en quelques heures,
en bénéficiant de tarifs dérisoirement bas, transformant le ciel en vaste champ à kérosène, devenu la passoire
que l’on sait, favorisant le réchauffement climatique : notre prochaine tragédie planétaire. Nous avons sauté,
pieds joints, les yeux fermés, dans la grande farandole du low-cost, la fiesta des Paris-Singapour ou des
Londres-Shangaï, pour une bouchée de pain. Le confinement nous a appris que le monde était au coin de la
rue, que la vitesse ne devait plus nous cantonner dans l’hypnose collective, et qu’il était grand tant de poser
notre baluchon et de réfléchir un peu.

Et si notre prochaine décennie était celle du slow-cost ? Si nous inventions une vie plus lente, plus responsable,
libérée du carcan de cette figure imposée qu’est la productivité à outrance ? Le slow-cost, un concept soumis
à réflexion ? Une utopie pourtant défendue depuis un demi-siècle par des gens comme René Dumont ou
Jacques Ellul. Il n’est pas trop tard pour confesser qu’ils avaient raison. Il ne s’agit pas de nous mettre à vivre
à la vitesse de l’escargot, mais de profiter des bienfaits de ces deux mois de confinement, pour cesser de courir
comme des hamsters sur des tapis de course.

Le « grand débat national » engagé par Emmanuel Macron après la crise des « gilets jaunes » n’était qu’un
premier pas, qu’un amuse-gueule, comparé à celui que nous devons lancer de toute urgence, sans précipitation,
bien sûr, slow-cost oblige. Avec un thème qui va en effrayer plus d’un : comment les nouvelles technologies
peuvent se mettre au service de la lenteur et de l’équité ? Il faudra plus que les monologues d’un président
bavard pour inventer ce nouveau modèle, celui de la slow-génération. Les penseurs d’En Marche, prédicateurs
du Nouveau monde numérisé, devraient se pencher sur la question avant d’être engloutis dans les oubliettes
de l’Histoire.

Vous aimerez peut-être aussi