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ISBN : 978-2-226-45215-3
Laurent Aillet 1
Laurent Testot 2
C’est peu dire que l’air du temps est à l’inquiétude. Depuis l’été 2018,
l’avenir s’est assombri. Les scientifiques multiplient les alertes, écrivent noir
sur blanc, dans les meilleures revues peer-reviewed, que le monde se
transformera en désert à la fin du siècle si nous continuons à vivre comme
nous le faisons. Des enfants, partout sur la planète, font grève d’école et
manifestent leur angoisse pour que les adultes prennent conscience du futur
qu’ils leur promettent. Le vivant se désintègre, étouffé par la pollution et
l’extension de nos activités.
Il était urgent d’étudier la probabilité d’un ou des effondrements à venir ou
peut-être en cours. De confronter les points de vue des penseurs et des
praticiens des limites. Voici une enquête menée auprès d’une quarantaine
d’auteurs, que nous avons sélectionnés autour d’une consigne : avoir l’esprit
suffisamment ouvert au réel pour ne pas produire une vision hors-sol, sourde
aux constats, un de ces contes lénifiants qui depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale nous serine que l’avenir sera rose bonbon, dopé par une
croissance infinie. Pensons global ! C’est en tout cas ce que nous avons tenté
de faire dans cette enquête kaléidoscopique décomposée en trois parties, avec
d’abord un état des lieux, puis une revue des dynamiques en cours, pour
terminer par différents points de vue sur les attitudes à envisager, ce que l’on
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pourrait appeler une « pédagogie de la possibilité d’effondrement ».
L’humanité aveuglée ?
Le constat est aussi factuel que violent : face aux alertes des scientifiques
et aux cris d’angoisse des enfants, les décideurs, politiques ou économiques,
ne bronchent pas. Comme s’ils ignoraient le théorème posé par l’économiste
et philosophe Kenneth E. Boulding, selon lequel « celui qui croit qu’une
croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est
soit un fou, soit un économiste ». Or, et c’est là un postulat fondamental, tout
système possède ses limites. Elles le définissent tout autant qu’elles le
constituent et le contiennent. Notre civilisation occidentale moderne est un
système, elle n’échappe pas aux déterminismes physiques.
Le capitalisme, tel que défini par le philosophe Adam Smith dans son livre
La Richesse des nations en 1776, repose sur ce principe de croissance
économique infinie. Cette croissance n’a été rendue possible que par un
« miracle » : la maîtrise des énergies fossiles qui ont stocké sous forme
combustible et immédiatement disponible les calories de millions d’années de
sédimentation du vivant. Nous vivons aujourd’hui dans un confort jamais vu
dans l’histoire, en dilapidant le capital des ressources énergétiques de la
Terre, et seul un flux toujours croissant d’énergie, alimentant toutes nos
activités thermo-industrielles, autorise la croissance massive que nous
connaissons encore à l’échelle de l’humanité. Mais les lois de la
thermodynamique sont têtues, elles nous fixent deux limites prévisibles : en
entrée, un flux nécessaire et toujours croissant d’énergie à tirer du sous-sol ;
en sortie, un flux inéluctable et toujours croissant de déchets.
Pour résumer, la boulimie d’énergie consubstantielle au fonctionnement de
notre système, limité à l’espace clos d’une planète finie, implique
mécaniquement qu’il se recouvre de ses propres excréments, pudiquement
rebaptisés « pollution ». Un peu plus d’espace ou un plus d’énergie fournirait
Notes
1. Ingénieur risques, cofondateur de l’association Adrastia. (Les biographies complètes des
contributeurs se trouvent en pages 321 sqq.)
2. Journaliste scientifique, spécialiste en histoire globale.
L.A. ET L.T. :Il semble donc que nous soyons désormais entrés dans une
phase d’accélération du réchauffement climatique. Qu’en est-il de la
biodiversité ?
D.B. : Le degré d’accélération des dégradations est analogue. Une étude,
pourtant conduite dans une région protégée d’Allemagne, a établi que plus de
75 % des insectes volants avaient disparu en vingt-sept ans (3). Ce n’est pas
mieux à l’échelle mondiale pour toutes les catégories d’insectes. Ce sont
41 % des espèces qui connaissent chaque année un déclin de 2,5 % de leurs
populations ; et ces 41 % s’enrichissent de 1 % supplémentaire chaque
année (4). C’est un constat que chacun de nous peut dresser avec le peu
d’impacts d’insectes qui maculent désormais les pare-brise. Les espèces
L.A. ET L.T. : Quels sont les problèmes soulevés par cet effondrement de la
biodiversité ?
D.B. : Si le vivant s’effondre autour de nous, et si nous sommes nous-
mêmes des animaux, il n’est pas idiot de s’interroger sur notre avenir. Par
ailleurs, même si l’agriculture conventionnelle cherche à s’abstraire de la vie
des sols, elle n’en reste pas moins dépendante des sols, et donc du vivant qui
les produit, et qui produit aussi une foule d’autres services écosystémiques.
Ce à quoi s’ajoute que pour produire une calorie alimentaire, nous dépensons
aujourd’hui, avec cette même agriculture, 10 calories d’énergie fossile. Avec
l’agriculture d’autrefois, qui s’appuyait sur le vivant, il suffisait d’investir une
calorie pour en récolter 10. Or, tôt ou tard, et probablement plutôt tôt que
tard, nos capacités d’extraction pétrolière finiront elles-mêmes par
s’effondrer…
Nous consommons en effet 100 millions de barils de pétrole par jour, dont
25 millions de barils non conventionnels (huiles de schiste, gaz de schiste
liquéfié, huile lourde du Venezuela, sables bitumineux de l’Alberta, pétrole
de l’Arctique, etc.). Nous avons atteint un pic de production en 2006 pour le
pétrole conventionnel, ce qui signifie que son coût d’exploitation augmente,
que nous sommes entrés dans une baisse de productivité énergétique que
nous soulageons par du non-conventionnel. Or la production des États-Unis
stagne à 12 millions de barils par jour. Et il est très improbable que les
pénuries à venir soient palliées par des énergies renouvelables : aujourd’hui,
fabriquer une éolienne n’est possible qu’avec du pétrole, et incidemment des
terres rares. Sans pétrole, notre capacité à produire des sources d’énergie non
carbonée diminuera très sensiblement.
Nous sommes d’un côté au début de l’affaissement global du vivant. De
l’autre, en franchissant la barre des 2 °C dans les décennies qui viennent,
nous allons entrer dans un système où l’ensemble du vivant va voir ses
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capacités d’adaptation dépassées. Depuis près de 3 millions d’années, la
température moyenne sur Terre n’a jamais excédé de plus de 2 °C la
température que nous connaissions avant l’ère industrielle. Nous mettons
ainsi en danger notre propre existence.
L.A. ET L.T. :Dans son rapport, le GIEC avance pourtant qu’il est encore
possible de rester autour de la barre des 2 °C d’augmentation…
D.B. : Le récent rapport du GIEC ne rassurera que ceux qui veulent bien
l’être. Rester sous la barre des 2 °C n’est possible qu’avec des émissions
négatives, en pompant de façon massive et rapidement le dioxyde de carbone
de l’atmosphère. Ce que nous ne savons pas faire et entraînerait un grave
problème d’usage des sols, sans compter une destruction massive de la
biodiversité. Cela exigerait en effet des plantations massives sous forme de
monocultures forestières, avec des essences à croissance rapide : des forêts
extrêmement vulnérables au feu, qui sont aussi catastrophiques pour la
biodiversité qu’elles sont peu résilientes aux vagues de chaleur et aux
sécheresses.
Et pour ne pas exploser les 2 °C, il conviendrait de réduire durant les dix
prochaines années grosso modo de moitié les émissions mondiales de gaz à
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effet de serre. Comment faire alors que s’affirment, partout dans le monde et
avec le soutien des populations, des populistes qui revendiquent une
indifférence totale à ce sujet ?
Le défi authentique est plutôt de s’éloigner le moins possible de la barre
des 2 °C et d’éviter ainsi la dérive vers 3 °C supplémentaires ou plus. On a
modélisé ce qui se passerait si la température devait atteindre en moyenne
planétaire une augmentation de 3,7 °C (8) : la ceinture tropicale pourrait
devenir largement inhabitable pour des raisons de chaleur et d’humidité
cumulées, saturant les capacités de transpiration du corps humain.
L.A. ET L.T. :Il semble impensable que pour ne pas franchir ces limites, nous
puissions réduire drastiquement et d’urgence les flux résultant de nos
activités économiques. Nos sociétés vivent sur le postulat qu’un PIB en
croissance pourrait être conservé tout en augmentant l’efficience des flux de
matières et d’énergie. C’est même tout l’enjeu du développement durable, la
solution consensuelle défendue par nos élites politiques et économiques.
D.B. : Le développement durable implique de rester sur le même référentiel,
une économie de marché capitaliste très peu régulée, postulant qu’une espèce
de jeu naturel va amener l’économie à réguler son impact sur
l’environnement.
La première illusion est de penser qu’il peut y avoir une harmonie
spontanée entre l’économique, le social et l’écologique. La logique
économique, c’est de détruire des ressources pour créer de la valeur. Sans
régulation, elle augmente par ailleurs les inégalités en concentrant les flux de
richesses vers le haut.
Deuxièmement, le pari du découplage, la possibilité de faire plus avec
moins, mène à une impasse ! Des gains sont possibles, mais ils ne peuvent
pas être infinis. Dans les faits, depuis le début des années 2000, les flux de
matières sont très nettement repartis à la hausse dans le monde. Même la
consommation d’acier augmente dans un pays comme l’Angleterre, pourtant
saturé d’infrastructures.
Bref, on n’a jamais constaté le moindre découplage absolu, mais pire,
depuis quinze ans, c’est un surcouplage avec de plus en plus de flux de
matières par point de PIB que l’on constate.
Pour les deux objectifs du développement durable théorisés dans le rapport
Brundtland 5 en 1987, c’est une catastrophe : pour l’environnement global, on
a un climat en charpie et un vivant qui s’effondre plus vite que dans les pires
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des prévisions et, pour les inégalités, elles continuent de s’aggraver, générant
des replis identitaires et populistes.
L.A. ET L.T. : Peut-on encore « sauver la Terre », pour reprendre une formule
à la mode ?
D.B. : Il n’est d’autre solution que de faire redescendre d’urgence tous ces
flux, faute de quoi la planète deviendra inhospitalière et, à terme, inhabitable.
C’est précisément pourquoi le référentiel des limites planétaires doit
s’imposer, avec d’ailleurs celui de l’empreinte écologique.
Nos grands problèmes se situent à l’échelle globale. C’est le climat de la
planète, même si les effets locaux peuvent fortement varier, qui est désormais
en cause. De même, le vivant est un phénomène planétaire. Les limites
renvoient quant à elles à des stocks qui ont été modifiés par des flux très
élevés. Elles permettent d’identifier des niveaux de stock auxquels il
conviendrait de revenir sur un temps très long, mais surtout des hauteurs de
flux à ne plus dépasser afin de stopper la machine à détruire, puis de revenir
progressivement vers des zones moins dangereuses. Ces calculs autorisent à
fixer ces hauteurs de flux au prorata des nations et de leurs populations. Une
équipe de recherche de l’université de Genève s’est ainsi appliquée à traduire
les limites planétaires en termes d’objectifs de politiques publiques (11). Mieux
encore, une autre étude a mesuré les performances d’une centaine de pays
avec un référentiel fusionnant les limites planétaires et l’empreinte
écologique (12).
Ajoutons une précision fondamentale. Le franchissement du seuil
climatique, ou celui de l’accélération du rythme d’érosion des espèces,
suffirait à lui seul à nous faire basculer dans un état différent du système
Terre tel que nous le connaissons. L’urgence est absolue : ces deux
basculements sont déjà en cours.
Bibliographie
• BOURG Dominique, SALERNO Gabriel, Les Scénarios de la durabilité,
Londres, Bookboon, juillet 2018, https://bookboon.com/fr/les-scenarios-de-
******ebook converter DEMO Watermarks*******
la-durabilite-ebook.
• IPBES, « Summary for policymakers of the global assessment report on
biodiversity and ecosystem services », 6 mai 2019,
https://www.ipbes.net/global-assessment-report-biodiversity-ecosystem-
services.
• GIEC, « Rapport spécial sur les effets d’un réchauffement climatique de
1,5 °C au-dessus des niveaux préindustriels. Résumé à l’intention des
décideurs » (en anglais), 6 octobre 2018,
https://www.ipcc.ch/site/assets/uploads/sites/2/2018/07/SR15_SPM_version_stand_alone_
(révision de janvier 2019), traduction citoyenne en français :
https://fr.wikisource.org/wiki/Rapport_du_GIEC_:_Réchauffement_climatique_de_1,5 %C
mars 2019.
• NEUKOM Raphael et al., « No evidence for globally coherent warm and
cold periods over the preindustrial Common Era », Nature, vol. 571,
24 juillet 2019, pp. 550-554, doi.org/10.1038/s41586-019-1401-2.
• PAGES 2k Consortium, « Consistent multidecadal variability in global
temperature reconstructions and simulations over the Common Era », Nature
Geoscience, vol. 12, 24 juillet 2019, pp. 643-649, doi.org/10.1038/s41561-
019-0400-0.
Notes
1. Philosophe, professeur à l’université de Lausanne.
2. Les notes numérotées sont regroupées en fin d’ouvrage, pages 333 sqq.
3. Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, créé en 1988 et regroupant
actuellement 195 États.
4. Institut Pierre-Simon-Laplace, qui regroupe des laboratoires de recherche en sciences de
l’environnement.
5. Officiellement intitulé Notre avenir à tous (Our Common Future), rédigé en 1987 par la
Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’ONU, présidée par la
Norvégienne Gro Harlem Brundtland, ce rapport a servi de base au Sommet de la Terre de 1992, à Rio,
où fut inaugurée l’expression « développement durable ».
Matthieu Auzanneau 1
Fin de partie. L’issue était sans doute jouée dès 2001, lorsque la Chine fut
autorisée à rejoindre l’Organisation mondiale du commerce sans devoir
renoncer au charbon pour alimenter sa croissance économique explosive.
L’inconséquence des principales puissances mondiales, pressées d’encaisser
les profits du développement industriel à bas prix de la Chine, a sans doute
scellé le sort de l’équilibre climatique quatre ans seulement après la signature
du protocole de Kyoto en 1997, premier accord bancal de lutte contre les
émissions de gaz à effet de serre dont les États-Unis choisirent d’emblée de
se tenir à l’écart (à l’unanimité de leur parlement, mais en dépit de l’opinion
d’une majorité d’Américains).
Bibliographie
• Agence internationale de l’énergie, World Energy Outlook 2018, Paris,
2018.
• TAINTER Joseph, PATZEK Tadeusz, Drilling Down : The Gulf Oil
Debacle and Our Energy Dilemma, New York, Springer, 2011.
• TURCHIN Peter, NEFEDOV Sergey, Secular Cycles, Princeton,
Princeton University Press, 2009.
• RODDIER François, De la thermodynamique à l’économie, le tourbillon
de la vie, Artignosc-sur-Verdon, Parole éditions, 2018.
• CLARK Christopher, Les Somnambules, Paris, Flammarion, 2015.
• AUZANNEAU Matthieu, Or Noir. La grande histoire du pétrole, Paris,
La Découverte, 2015.
Notes
1. Directeur du Shift Project, groupe de réflexion sur la transition énergétique.
2. NDLR : Ce que le Prix Nobel de chimie Ilya Prigogine appelait des « structures dissipatives » :
loin des équilibres, un ordre spontané jaillit du chaos… mais rien ne dit que l’ordre qui vient intègre
l’humain.
François Jarrige 1
La question des pannes d’énergie occupe une place privilégiée parmi les
risques systémiques contemporains. Elles représentent une menace croissante
à mesure qu’augmentent la complexité des équipements techniques et nos
dépendances à l’égard des combustibles fossiles comme des grands réseaux
d’approvisionnement énergétique. Les rapports publiés chaque année par
l’Agence internationale de l’énergie attestent de l’ampleur de ces
dépendances et des impasses qu’elles suscitent. Malgré la multiplication des
politiques publiques incitant aux économies, la consommation mondiale
d’énergie primaire a en effet été multipliée par 2,5 environ (de 5 523 Mtep 2 à
13 761 Mtep par an) depuis les années 1970. Les économies comme les
modes de vie individuels – en dépit de très fortes inégalités selon les
populations et les territoires – sont devenus dépendants
d’approvisionnements en combustibles ou en électricité pour une grande
diversité de besoins, qu’il s’agisse du transport ou du chauffage ou,
désormais, de la production d’électricité pour alimenter le monde numérique
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en expansion. En Amérique latine, le manque d’entretien et d’investissement
des infrastructures conduit ainsi régulièrement à de gigantesques pannes
d’électricité aux effets parfois dramatiques. Le 16 juin 2019, une immense
panne liée à des problèmes d’interconnexion du réseau électrique a privé de
courant pendant 24 heures 50 millions de personnes en Argentine et au
Paraguay.
Pannes et pénuries
Nouvelles dépendances
e
Le développement de l’électrification à partir de la fin du XIX siècle
accroît l’obsession des pannes. Source d’enthousiasme et de foi dans le
progrès pour les uns, l’électricité a aussi été dès le début une source de vives
inquiétudes, à l’image de celles d’Albert Robida peignant dans son livre La
e
Vie électrique (1892) un avenir de catastrophes. Au cours du XX siècle,
l’électricité devient en effet le principal moyen pour transporter l’énergie,
alors que les grands réseaux s’étendent sur des distances toujours plus vastes.
La maîtrise du courant fonde peu à peu un nouveau modèle économique, qui
tend à irriguer l’ensemble des pays industrialisés. Produite à partir de sources
d’énergie primaire (hydraulique, thermique puis nucléaire), l’électricité est
utilisée pour de très nombreux usages domestiques et industriels. C’est elle
qui actionne presque la totalité des artefacts qui peuplent les lieux de vie et de
travail. Cette dépendance croissante à l’égard de l’approvisionnement
électrique, pour se chauffer et s’éclairer, pour communiquer et aujourd’hui
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pour presque toutes les actions, a fait de la panne électrique un spectre
terrifiant et omniprésent.
Dès le début de l’électrification autour de 1900, la panne provoque de
nombreuses inquiétudes qui justifient la prudence à l’égard du nouveau
modèle énergétique. L’arrivée de l’électricité est fréquemment associée au
risque de panne, et dès avant la Grande Guerre l’obsession de la « panne
électrique » envahit la presse populaire. Les pannes sont causées soit par les
grèves des électriciens, soit par la défaillance des centrales, soit par des
coupures dans l’alimentation. Elles sont très fréquentes et justifient alors la
plus grande prudence. La presse locale rapporte ainsi qu’en 1929, dans le
petit village bourguignon de Sacquenay, comme dans des milliers d’autres, et
alors que l’éclairage électrique existe depuis déjà deux ans, « les vieilles
lampes à pétrole ne sont pas encore mortes » car la population a souvent à se
« plaindre des pannes électriques » (Le Progrès de la Côte-d’Or,
17 décembre 1929). De même, dans les Ardennes, un inspecteur du travail
enquêtant sur l’électrification des petits ateliers observe en 1925 que « le
nombre de pannes électriques est incalculable et, quand on pense qu’une
grève ou une avarie d’une seule usine génératrice peut arrêter tout un
département, on comprend que, dans l’espèce, l’électricité ne constitue pas un
progrès ». Pour de nombreux usagers et observateurs sceptiques,
l’électrification introduisait des risques nouveaux qu’il fallait contrôler,
anticiper, réparer au moyen d’une armée de techniciens et une
complexification croissante des infrastructures.
Black-out
Vulnérabilités
Le paradoxe de Jevons
Si les débats sur la pénurie des ressources fossiles sont anciens, ils s’intensifient à l’occasion du
traité de libre-échange franco-anglais de 1860, qui libéralise les échanges commerciaux entre les
deux pays. Le Parlement britannique s’inquiète alors de la menace qui pèse sur la suprématie du
pays du fait de l’épuisement programmé des réserves de charbon. La question envahit rapidement
le débat économique et l’opinion publique. Le jeune économiste Stanley Jevons publie à cette
occasion sa célèbre étude sur la « question charbonnière » (The Coal Question. An inquiry
concerning the progress of the Nation, and the probable exhaustion of our coal-mines, Londres et
Cambridge, Macmillan and Co., 1865), dans laquelle il formule son fameux paradoxe : le fait
d’utiliser des machines moins consommatrices d’énergie n’amène pas une baisse de la
consommation globale de combustible dans la mesure où le nombre de machines augmente, ce qui
contrebalance les économies.
Jevons – surtout connu comme l’un des pères du marginalisme – donne ainsi une grande
publicité au débat sur l’épuisement de la houille. Il constate que la consommation anglaise de
charbon a fortement augmenté après que James Watt a introduit sa machine à vapeur, qui était
pourtant bien plus efficace que celle de Thomas Newcomen. À mesure que les améliorations
techniques augmentent l’efficacité avec laquelle une ressource est employée, sa consommation
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totale s’accroît au lieu de diminuer, et ce paradoxe continue de modeler de nombreux enjeux
contemporains.
Jevons présente un tableau pessimiste de l’avenir ; il est sceptique sur les possibilités de trouver
des énergies de substitution et ses propositions visent surtout à réduire les exportations et la dette
nationale, tout en appelant au développement des énergies renouvelables comme le solaire.
L’ouvrage de Jevons inaugure de nombreuses tentatives pour mesurer les réserves de charbon
disponibles tout en stimulant le débat sur l’épuisement des combustibles fossiles bien au-delà du
Royaume-Uni. Par la suite, le paradoxe de Jevons n’a cessé d’être confirmé et de ressurgir, en
particulier avec les automobiles dont le parc global augmente bien plus vite que les progrès dans
les rendements des moteurs.
F. J.
Notes
1. Historien, maître de conférences à l’université de Bourgogne et membre de l’Institut universitaire
de France.
2. Mtep (millions de tonnes équivalent pétrole) : unité d’énergie d’un point de vue économique et
industriel.
L.T. : Pourquoi ne s’est-on pas rendu compte plus tôt de la destruction des
écosystèmes ?
P.-H.G. : Les gens concernés se sont rendu compte du problème. Un pêcheur
sait qu’il y a quelques dizaines d’années, les truites fario abondaient. Ou
qu’en Méditerranée, il y a quarante ans, quelques heures de pêche ramenaient
des kilos de daurades, introuvables aujourd’hui. Je me souviens que dans les
années 1960, l’acteur Michel Simon se plaignait de ne plus entendre autant
d’oiseaux dans son jardin que pendant sa jeunesse.
Mais on a une mémoire courte. Chaque génération ne connaît que ce
qu’elle a vu dans sa jeunesse. Le livre de Rachel Carson, Printemps
silencieux, évoque bien cette idée. On ne prend conscience de l’extinction
que lentement. S’y ajoutent des raisons financières et idéologiques, car
certains font tout pour qu’on n’en parle pas. Ils favorisent plutôt un discours
qui affirme que nous sommes devenus des supertechniciens, qu’on régulera
de toute façon les problèmes, qu’il ne faut surtout pas entraver des intérêts
économiques.
Le mot biodiversité a été employé en 1992, au Sommet de la Terre, à Rio.
Un groupe de scientifiques, Union of Conscient Scientists, a publié une
tribune, « Danger pour la biodiversité de la planète ». Si la pétition est restée
peu connue en Amérique, elle a été occultée en Europe avec l’appel de
Heidelberg, une contre-tribune signée par un nombre énorme de scientifiques,
qui disaient en gros que ceux qui soutenaient que l’on courait à la catastrophe
n’étaient pas sérieux, que ce qui comptait était d’étudier des techniques pour
remédier aux problèmes. On sait aujourd’hui que cet appel de Heidelberg
était financé par les industriels du tabac et de l’amiante. La même stratégie a
prévalu sur le climat. Il y a des gens qui travaillent à ce qu’on ne comprenne
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pas l’urgence.
L.T. : Que peuvent faire les États pour parer au plus pressé ?
P.-H.G. : Modifier leurs pratiques de gouvernance. Lors des élections
présidentielles de 2007, la fondation Nicolas-Hulot avait interpellé les
candidats à l’élection présidentielle, en leur proposant un pacte écologique. Il
avait été signé par tous les candidats, ou presque. Dont Nicolas Sarkozy, qui
a remporté l’élection. Il a lancé le Grenelle de l’Environnement, une série de
réunions devant aboutir à des orientations de la politique environnementale.
Mais le gouvernement Sarkozy a refusé un des éléments du pacte, qui était de
créer un poste de vice-Premier ministre chapeautant tous les ministères. Cela
aurait inversé la hiérarchie traditionnelle, toujours en vigueur aujourd’hui,
d’un ministère de l’Environnement bien moins prioritaire que le ministère de
l’Économie. Le système actuel, où l’écologie est sous tutelle de l’économie,
mène au désastre. Il faut mettre l’environnement au cœur du système
politique. Ne pas faire ça, c’est juste du maquillage.
Les États doivent reprendre le pouvoir sur la façon dont les entreprises
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travaillent. On ne peut pas reprocher à une entreprise de maximiser son profit,
elle est conçue pour ça. Mais on peut reprocher aux États de ne pas limiter les
dégâts. Il faut qu’ils mettent en place des règles qui favorisent la sauvegarde
de l’environnement. Aujourd’hui, signer le CETA ou tout autre accord de
libre-échange tout en clamant que l’on donne la priorité à l’écologie, c’est
juste faire le contraire de ce qu’on dit. Toute activité nuisible à
l’environnement doit être sanctionnée. Voilà pour le global, le seul niveau où
on peut espérer agir efficacement. Espérons que ce sera suffisamment rapide.
C’est encore possible. Cela devra passer, par exemple, par une redistribution
des taxes. Aujourd’hui, les taxes pesant sur les entreprises sanctionnent
l’emploi. Plus une entreprise a de masse salariale, plus elle paye. Pour
évoluer vers une économie vertueuse, plutôt que de taxer le travail, il faudrait
orienter les taxes sur les ressources naturelles, en conservant le même volume
de taxes. Cela inciterait les entreprises à employer plus, tout en devenant plus
économes en ressources naturelles, sans payer davantage.
Bibliographie
• GOUYON Pierre-Henri, LERICHE Hélène (dir.), Aux origines de
l’environnement, Paris, Fayard, 2010.
• CONWAY Erik M., ORESKES Naomi, Les Marchands de doute. Ou
comment une poignée de scientifiques ont masqué la vérité sur des enjeux de
société tels que le tabagisme et le réchauffement climatique, 2010, traduit de
l’américain par Jacques Treiner, Paris, Le Pommier, 2012, rééd. 2014.
• CARSON Rachel, Printemps silencieux, 1962, traduit de l’américain par
Jean-François Gravrand et Baptiste Lanaspèze, Marseille, Éditions
Wildproject, 2019.
Note
1. Biologiste, professeur au Muséum national d’histoire naturelle, à l’AgroParisTech, à Sciences Po
Paris et à l’ENS Paris.
Christian Godin 1
Un sentiment récent
Anéantir la vie
Bibliographie
• CHANSIGAUD Valérie, Les Français et la nature. Pourquoi si peu
d’amour ?, Arles, Actes Sud, 2017.
• GODIN Christian, La Haine de la nature, Ceyzérieu, Champ Vallon,
2012.
• CANNONE Belinda, S’émerveiller, Paris, Stock, 2017.
Note
1. Professeur émérite de philosophie à l’université de Clermont-Ferrand.
Romina Rinaldi 1
Si l’on considère l’ampleur des défis climatiques, l’homme est une fourmi
vue du ciel. Et pourtant, comme dans une fourmilière, rien ne peut
s’envisager sans les efforts concertés des masses. Il suffit d’ailleurs qu’une
partie de la colonie ne suive pas la tendance pour anéantir possiblement
l’ensemble des efforts consentis. À l’échelle de notre histoire en tant
qu’espèce, nos cerveaux sont pourtant plus cigales que fourmis. C’est peut-
être là l’un des prismes par lequel on peut mieux comprendre notre
inefficacité à répondre aux bouleversements climatiques en perspective.
À la recette hasardeuse qui rend notre cognition peu adaptée aux enjeux climatiques, l’on peut
ajouter une bonne dose d’optimisme mal placé. Coupables d’« illusion positive », nous
envisageons ainsi souvent notre futur d’une façon plus radieuse que ce que la réalité ne laisse
envisager. Plus précisément, nous avons tendance à nous estimer comme moins concernés par
certains risques que ne le sont nos semblables.
Par exemple, penseriez-vous qu’il est plus probable que vous ou votre voisin développe un
cancer ces dix prochaines années ? Dans les faits, la probabilité est sans doute – toutes proportions
gardées – relativement équivalente. Mais dans votre esprit, tout en acceptant qu’elle ne soit pas
nulle, vous auriez tendance à vous estimer moins « à risque ». Cet élan positif est une chose assez
merveilleuse, dans la mesure où il a maintenu et maintient encore l’humain dans une forme
d’énergie vitale. Mais dans un autre sens, il pourrait bien, à force d’embrumer nos esprits, nous
faire courir à notre perte…
Notamment en nous empêchant de mettre en place les comportements préventifs envers les
risques, qu’il s’agisse d’une menace en termes de changement climatique ou dans un autre
domaine qui requiert des efforts à long terme et à l’issue incertaine : la santé. Mais en
l’occurrence, les choix individuels suffisent dans ce domaine : décider d’avoir un mode de vie sain
est un choix personnel, là où l’avenir de la planète requiert des options collectives.
Ce biais a la particularité d’être associé à un autre processus psychologique : le sentiment
subjectif de contrôle. Ce sentiment est lié à l’évaluation d’une personne de sa capacité d’agir ou
non sur le résultat d’une situation, à sa propre échelle et en prenant ses responsabilités. Il va donc
varier d’une situation à l’autre, mais aussi d’un groupe à l’autre. Ainsi nos sociétés occidentales
tendent généralement à accentuer le pouvoir et la responsabilité des individus à exercer le contrôle
sur toutes les dimensions de leurs vies. Ils sont vus comme responsables et à la source de leur
santé, de leur épanouissement, de leur carrière… Ce pour quoi, lorsque des groupes d’origine
différente sont comparés, le biais d’optimisme/illusion positive et le sentiment de contrôle ont
tendance à être plus élevés dans des pays comme les États-Unis que, par exemple, chez des
populations indiennes.
Une tendance pour ainsi dire propulsée par la montée en puissance de la psychologie positive et
du développement personnel. En effet, nos sociétés néolibérales en crise véhiculent de manière
croissante le message que nous devrions trouver en nous la volonté de contrecarrer les failles de
nos environnements. Une idée qui n’est pas neuve, mais semble s’être intensifiée avec
l’émergence de thérapies et services centrés sur le bonheur.
Pour Edgar Cabanas, coauteur de l’ouvrage Happycratie, ceux-ci ne sont que le symptôme
d’une tendance plus large des individus à se replier sur eux-mêmes afin de pouvoir faire face à
l’incertitude qui les entoure. Le développement personnel, les thérapies du bonheur ou la pleine
conscience – que l’auteur considère comme des dérivés du courant de la psychologie positive –
peuvent bien entendu avoir des effets positifs à l’échelle de l’individu. Toutefois, pris dans une
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vision plus large de nos sociétés, ils pourraient s’avérer problématiques, tant l’injonction au
bonheur ne peut s’y entendre que par le prisme individuel : la personne travaille sur elle, pour elle,
pour son épanouissement. Ce qui pourrait avoir tendance à renforcer certains des biais explicités.
Par exemple, les techniques de pleine conscience engagent à porter une attention délibérée sur
l’instant présent, sur l’expérience directe, et à pouvoir accueillir avec bienveillance ce qui s’y
joue. La pleine conscience, qui permet si souvent de soulager les souffrances de nos quotidiens,
pourrait-elle alors, en nous enclavant dans l’instant présent, l’expérience individuelle et (pire, dans
ce cas) l’acceptation, nous éloigner indubitablement de problématiques différées, collectives et
qui, elles, sont simplement intolérables ?
Les choses ne sont sans doute pas si simples : car qui est heureux se contente de peu ! Et s’il est
une stratégie qui s’avère payante en matière d’environnement, c’est bien celle du frugalisme. Dans
cette voie vertueuse, la pleine conscience, en donnant la possibilité d’élargir le spectre de
l’expérience et, par conséquent, de mieux gérer ses émotions, peut s’avérer un formidable outil
afin de pouvoir se recentrer sur l’essentiel.
R. R.
Bibliographie
• BOHLER Sébastien, Le Bug humain. Pourquoi notre cerveau nous
pousse à détruire la planète et comment l’en empêcher, Paris, Robert Laffont,
2019.
• MARSHALL George, Le Syndrome de l’autruche. Pourquoi notre
cerveau veut ignorer le changement climatique, 2014, traduit de l’anglais
(États-Unis) par Amanda Prat-Giral, Arles, Actes Sud, 2017.
• DE LARA Michel, BOUTANG Jérôme, Les Biais de l’esprit. Comment
l’évolution a forgé notre psychologie, Paris, Odile Jacob, 2019.
• CLAYTON Susan, MANNING Christie (dir.), Psychology and Climate
Change. Human perceptions, impacts, and responses, Cambridge, Academic
Press, 2018.
• KAHNEMAN Daniel, Système 1/Système 2. Les deux vitesses de la
pensée, 2011, traduit de l’anglais (États-Unis) par Raymond Clarinard, Paris,
Flammarion, 2012.
Note
1. Docteure en sciences psychologiques et de l’éducation, chargée de cours à l’université de Mons
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(Belgique).
Renaud Duterme 1
Anthropocène ou Capitalocène ?
Un concept intrinsèquement lié à la collapsologie est celui d’Anthropocène. Selon cette notion,
la Terre serait récemment rentrée dans une nouvelle ère géologique, principalement liée à
l’activité humaine, en particulier à la combustion massive d’énergies fossiles. L’accumulation de
gaz à effet de serre qui en résulte nous aurait donc fait quitter l’Holocène, période géoclimatique
relativement stable depuis 12 000 ans, et ayant permis le développement de l’agriculture, pour une
nouvelle ère, davantage « déréglée » et de ce fait pleine d’incertitudes.
Ce passage n’est évidemment pas daté précisément, mais la plupart des chercheurs s’intéressant
à la question s’accordent à dire que ce qu’on a tendance à nommer la révolution industrielle
marquerait le point de départ de l’Anthropocène, avec une forte accélération après la Seconde
Guerre mondiale, justifié par l’avènement de la consommation de masse. Cette période voit en
effet une série d’indices socio-économiques suivre une courbe exponentielle, entraînant une
trajectoire similaire pour de nombreux indicateurs mesurant la santé écologique du système Terre.
À noter que certains évoquent également l’usage de l’arme atomique comme élément symbolique
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fondamental, puisque l’homme a dorénavant un pouvoir de destruction sans précédent sur
l’ensemble de la planète.
Proposé au départ par le Prix Nobel de chimie Paul Crutzen en 2002, le mot Anthropocène a
depuis lors fait l’objet de nombreuses publications, suivant différentes approches selon les auteurs.
Parmi ces derniers, plusieurs, souvent d’inspiration néomarxiste, critiquent ce terme, au motif
qu’il serait trop englobant et qu’il considérerait l’humanité comme une et indifférenciée, faisant fi
des relations d’exploitation et de domination existant en son sein. Nombreux parmi ces derniers
sont ceux qui mettent plutôt l’accent sur l’émergence du capitalisme comme facteur déterminant
(24)
de l’Anthropocène, ce qui conduit certains à lui préférer la notion de Capitalocène . Comme
l’écrivent Christophe Bonneuil et Jean-Baptiste Fressoz dans leur ouvrage-référence sur le sujet,
« parler de Capitalocène signale que l’Anthropocène n’est pas sorti tout armé du cerveau de James
Watt, de la machine à vapeur et du charbon, mais d’un long processus historique de mise en
e
relation historique du monde, d’exploitation des hommes et du globe, remontant au XVI siècle et
(25)
qui a rendu possible l’industrialisation ». À chacun de voir ce qui lui semble le plus pertinent.
R. D.
Bibliographie
• BIHR Alain, 1415-1763, Le Premier Âge du capitalisme. L’expansion
européenne, tome I, Lausanne/Paris, Page Deux/Syllepse, 2018.
• KLEIN Naomi, Le Choc des utopies. Porto Rico contre les capitalistes
du désastre, Montréal (CA), Luxéditeur, 2019.
• MALM Andreas, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement
climatique à l’ère du capital [2016], traduit de l’anglais par Étienne
Dobenesque, Paris, La Fabrique, 2017.
• PATEL Raj, MOORE Jason W., Comment notre monde est devenu
cheap. Une histoire inquiète de l’humanité [2017], traduit de l’anglais (États-
Unis) par Pierre Vesperini, Paris, Flammarion, 2018.
• TESTOT Laurent, Cataclysmes. Une histoire environnementale de
l’humanité, Paris, Payot, 2017.
Notes
1. Professeur de géographie et écrivain.
2. Entendue ici comme l’interconnexion de l’ensemble des régions du monde.
3. D’autant plus que les marchands européens bénéficiaient déjà d’une certaine liberté en raison de
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l’émiettement de l’autorité caractéristique du système féodal, et ce contrairement à des empires plus
centralisés tels que la Chine ou les royaumes précolombiens.
4. L’aide liée désigne des montants donnés, ou le plus souvent prêtés à un pays plus pauvre, à la
condition que ce dernier utilise cet argent pour acheter des produits fabriqués au sein du pays donateur.
La religion du Marché
Stéphane Foucart 1
Bibliographie
• ROSANVALLON Pierre, Le Capitalisme utopique. Histoire de l’idée de
e
marché [1979], 3 édition, Paris, Le Seuil, 1999.
• LOY David, « The religion of the market », Journal of the American
Academy of Religion, 1997, 65 (2), p. 275-290.
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• BARTOLINI Stefano, BONATTI Luigi, « Environmental and social
degradation as the engine of economic growth », Ecological Economics,
2002, 43 (1), p. 1-16.
• KEEN Steve, L’Imposture économique, trad. Aurélien Goutsmedt, Paris,
L’Atelier, 2014 [Zed Books, 2011].
• POTTIER Antonin, Comment les économistes réchauffent la planète,
Paris, Le Seuil, 2016.
• FOUCART Stéphane, Des Marchés et des Dieux, Paris, Grasset, 2018.
Note
1. Journaliste et chroniqueur, il couvre les sciences de l’environnement au quotidien Le Monde.
Gaël Giraud 1
Bibliographie
• DAVIS Mike, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines
coloniales. Aux origines du sous-développement, Paris, La Découverte, 2006.
• DESCOLA Philippe, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard, 2005.
• GEORGESCU-ROEGEN Nicholas, La Décroissance. Entropie-
Écologie-Économie, Paris, Sang de la Terre, 1974.
• KÜMMEL Reiner, The Second Law of Economics : Energy, Entropy, and
the Origins of Wealth, New York, Springer, 2011.
• ROMER Paul, « The trouble with macro-economics », WP. Stern
University, 2016.
• STIGLITZ Joseph, « The lessons of the North Atlantic crisis for
economic theory and policy », in AKERLOF George, BLANCHARD
Olivier, ROMER David, STIGLITZ J. (dir.), What Have We Learned ?
Macroeconomic Policy after the Crisis, Cambridge, MIT Press, 2014.
Notes
1. Directeur de recherche au CNRS, ancien économiste en chef de l’Agence française de
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développement, directeur de la chaire Énergie et Prospérité, professeur à l’École nationale des ponts
ParisTech et à l’université de Stellenbosch.
2. NDLR : selon l’expression de Philippe DESCOLA, Par-delà nature et culture, Paris, Gallimard,
2005. Écoumène (« terre commune » en grec) qualifie l’ensemble des territoires habités par une espèce
définie, qui peut être l’espèce humaine, ou peut s’étendre à d’autres espèces vivantes.
3. Ce scénario du business as usual est malheureusement celui dont notre trajectoire planétaire
actuelle continue de rester la plus proche.
JUSTINE CANONNE : Quelle est cette société de l’imposture que vous décrivez
dans votre livre La Fabrique des imposteurs ?
ROLAND GORI : L’imposture n’est pas seulement imputable à un individu, à
son histoire, à ses traits de caractère, elle révèle aussi le milieu social et
culturel dont elle émerge. Tel un caméléon, l’imposteur prend les couleurs de
son environnement pour, par ses simagrées, en tirer un profit matériel ou
symbolique. « Imposture » vient du latin imponere, imposer, prélever
l’impôt. L’imposteur vit au crédit de celui qu’il séduit en « prélevant » le fruit
du mensonge et de la duperie. Il est le miroir des attentes de celui qu’il
trompe en le prenant à son propre jeu. La société a les imposteurs qu’elle
mérite. Véritables éponges vivantes des valeurs de l’époque, ils en révèlent
les normes, les codes. Les organisateurs du lien social, de ses cérémonies, de
ses rituels sont aujourd’hui ceux de la théologie de la finance, de la religion
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du marché, de son mode spécifique de gouvernement de soi et des autres.
Autoentrepreneur de lui-même, l’imposteur « se vend » sur le marché des
attentes et demandes sociales, principe au cœur du néolibéralisme.
Dès ses débuts, le capitalisme a développé une éthique de l’apparence
faisant prévaloir la forme sur le fond – « la rationalité formelle » de Max
Weber – pour faire des affaires – « la rationalité pratique » du même Weber.
Cette éthique est au cœur de la publicité bien sûr, mais aussi du droit. Il n’est
plus exigé de l’individu qu’il soit vertueux, simplement qu’il en ait
l’apparence, conformément à la règle, pour suivre son propre intérêt. Avec
cette morale utilitaire du profit individuel, ce qui compte n’est pas le vrai, la
valeur humaine, l’intérêt collectif, le souci de la nature, mais ce qui rapporte
et donne un air de vérité. Inutile de faire une authentique politique
écologique, il suffit d’en donner les apparences pour obtenir la confiance du
citoyen. Là est l’imposture des propagandes actuelles tenues au nom de
l’écologie, la « monnaie de singe » d’un pouvoir qui « couvre » de sa
rhétorique les pires pratiques productivistes et affairistes. La surmortalité de
patients générée par les logiques d’austérité, le despotisme d’actionnaires
conduisant à fermer des entreprises ou services de qualité, le burn-out et les
souffrances sociales et intimes des citoyens sont de même nature que la
déforestation et le réchauffement climatique : le profit d’abord, quel qu’en
soit le prix écologique.
Bibliographie
• WEBER Max, L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme, 1904-
1905, traduit de l’allemand par Isabelle Kalinowski, Paris, Flammarion,
2008.
• MANN Thomas, Les Confessions du chevalier d’industrie Felix Krull
[1954], Paris, Albin Michel, 1991.
• DEUTSCH Helene, Les « comme si » et autres textes (1933-1970), Paris,
Le Seuil, 2007.
• ABELHAUSER Alain, GORI Roland, SAURET Marie-Jean (dir.), La
Folie évaluation. Les nouvelles fabriques de la servitude, Paris, Fayard, 2011.
• GORI Roland, La Fabrique des imposteurs, Paris, Les Liens qui libèrent,
2013, rééd. Arles, Actes Sud, 2015.
Note
1. Professeur honoraire de psychopathologie clinique à l’université d’Aix-Marseille.
Arthur Keller 1
Fictions ou mises en scène du réel, oraux ou écrits, les récits font partie de
l’expérience humaine d’aussi loin qu’on se souvienne, des études ayant
même montré qu’ils émergent spontanément dans l’enfance (40).
Les récits sont plus qu’une distraction futile, ils donnent une saveur et un
sens à l’existence. Durant la Seconde Guerre mondiale, dans le ghetto de
Varsovie où toute lecture était interdite sous peine d’exécution, des Juifs
risquaient leur vie pour lire en cachette des romans qu’ils racontaient ensuite
à leurs amis.
Les récits façonnent les sociétés et influencent les perceptions de l’avenir
en instaurant « un processus dialectique entre ce qui est et ce qui est
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possible (41) ». Ils fournissent à chacun une compréhension intuitive des codes,
normes et valeurs de sa société, et des mœurs générales d’autrui. En cela, ils
organisent les comportements sociaux.
Selon l’historien Yuval Noah Harari, notre « capacité à tisser des mythes
nous a permis d’imaginer des choses et de les construire collectivement ».
Mais ce qui fut un atout pour la conquête du monde sauvage et le
développement des sociétés – motivant les avancées conceptuelles,
culturelles et éthiques comme les pires barbaries – devient problématique à
l’heure où les limites physiques du monde sont atteintes. Associés hier au
« progrès » et à la prospérité dans un monde en apparence infini, les
imaginaires promus par les sociétés modernes sont dorénavant néfastes : en
niant la finitude, ils perpétuent des mentalités et des activités destructives.
Dans toute culture, les imaginaires se déclinent en hypothèses implicites
qui orientent nos référentiels et nos rapports à nous-mêmes, aux autres êtres,
à l’avenir, à la vie, à la mort, à nos droits et devoirs, à nos responsabilités.
Plus ils sont profondément enracinés, plus ils sont instinctuels et
prédéterminent les agissements individuels et collectifs. Quelques exemples
d’axiomes archétypaux sans cesse renforcés via les médias, qui influent sur
les subjectivités d’une majorité d’individus : les dieux ; la foi dans une
« destinée » à part de l’humanité ; l’Homme maître et possesseur de tout ce
qui vit ; le pouvoir, l’argent, la propriété privée et la consommation comme
aspirations normales ; la fascination pour la transgression des limites ; les
nations ; le technicisme, qui assimile progrès technique et progrès humain,
promeut le solutionnisme et par extension le productivisme, la compétitivité,
la croissance économique ; etc.
Parmi les grandes sources de « normalisation » des idées, idéaux et
idéologies, on trouve les religions. Leur succès séculaire doit beaucoup au
fait qu’outre les préceptes et rituels, elles sont ancrées dans des récits :
Évangiles chrétiens, Genèse et Exode du judaïsme, sourates de l’islam, sutras
de l’hindouisme et du bouddhisme : les héros vivent des aventures, des
Précisons que cet article ne concerne pas l’ensemble des récits, qui doit
rester libre et hétéroclite. Même si nombre de fictions participent
insidieusement à la formation de fantasmes du futur nocifs car irréalistes, il
n’est pas question ici de réflexion critique sur « l’utilité de l’art ». L’analyse
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porte seulement sur le développement de formes de résistance créatives face
aux propagandes délétères du « toujours plus ». L’objet de ce texte, ce sont
les récits de l’avenir produits par des individus désireux d’avoir une influence
bienfaisante sur le monde réel : comment y parvenir ?
Ceux qui ont pris conscience des limites et vulnérabilités des sociétés et
des risques qu’on encourt à les ignorer savent le besoin de récits pour
surmonter l’imaginaire dominant de l’illimitation. Mais attention : sans autre
précision, le pari est périlleux. Car le résultat d’une multiplication non
« concertée » de récits sera forcément cacophonique : un imbroglio
d’imaginaires incompatibles entre eux qui désorientera le grand public, celui-
ci ne voyant émerger nulle vision claire des défis à relever et des réponses
pertinentes. Or la confusion induit du doute, prétexte classique à l’inaction.
Pour esquiver ce piège, il est urgent que les artistes et communicants se
reconnaissent une responsabilité, et il est nécessaire de former ceux qui
souhaitent mettre leur talent au service de l’intérêt collectif : les informer sur
l’état désastreux du monde naturel et les implications de ce désastre pour les
sociétés, leur enseigner les stratégies d’adaptation qui tiennent la route, et
leur inculquer les bases de la psychologie sociale, notamment les biais qui
conditionnent nos actes, pour que leurs récits provoquent chez les gens des
réactions constructives. Il sera alors envisageable de stimuler un
foisonnement de récits certes protéiforme mais cohérent, réaliste et « utile »,
à condition que tous incorporent les quatre prémisses suivantes :
1. Dans les prochaines décennies, les sociétés humaines vont vivre une
descente énergétique et matérielle constellée de disruptions écologiques et
sociétales : pour être salutaires, les narrations doivent intégrer ce processus
et ces phénomènes, et incorporer les limites.
2. Les éventuelles « solutions » présentées doivent être valables d’un point de
vue systémique : par exemple, il n’existe pas de « solution » technique
pour « sauver le monde » car ça se joue à un autre niveau : la mutation ne
peut être que systémique.
Bibliographie
• FROMM Erich, L’Homme et son utopie, Paris, Desclée de Brouwer,
2001.
• MOLINO Jean, LAFHAIL-MOLINO Raphaël, Homo fabulator. Théorie
et analyse du récit, Arles, Actes Sud, 2003.
• BRUNER Jerome Seymour, Pourquoi nous racontons-nous des
histoires ? Le récit au fondement de la culture et de l’identité, Paris, Retz,
2010.
• ARONSON Elliot, The Social Animal, New York, Worth Publishers Inc.,
e
11 édition révisée 2011.
Note
1. Spécialiste des risques systémiques, des stratégies de résilience et des récits comme leviers de
transformation.
DYNAMIQUES ACTUELLES
Valérie Chansigaud 1
Il n’y a pas lieu de douter que la biodiversité connaît une érosion accélérée.
Celle-ci est plus que confirmée par les travaux publiés ces dernières
décennies. Comme pour le dérèglement climatique, la remise en question de
cette question environnementale ne vient pas de la communauté travaillant
sur ce sujet mais d’acteurs, notamment politiques, extérieurs à la science.
Il reste que la mesure de l’érosion de la biodiversité est difficile. La cause
est à rechercher dans l’histoire sociale et économique des sociétés modernes,
en raison d’un biais historique et géographique majeur : l’essentiel de la
recherche se fait dans les pays les plus riches (principalement Europe
occidentale et Amérique du Nord) qui possèdent une forte tradition
naturaliste, à la fois institutionnelle et amateur, un financement significatif
alloué à la recherche, mais aussi une biodiversité plus réduite que celle des
pays les plus pauvres. L’évaluation de l’état de la biodiversité repose ainsi sur
un paradoxe : c’est la biodiversité la plus abondante qui fait l’objet de l’effort
de recherche le plus faible. Pour autant, ce biais peut être atténué par le grand
nombre de travaux portant sur des groupes taxonomiques particuliers où l’on
évalue toutes les espèces d’un groupe (genre, famille, ordre) particulier. C’est
l’une des démarches adoptées par l’ONG Union internationale pour la
conservation de la nature (IUCN) dans son évaluation de l’état de la
biodiversité. Ce type de recherche montre clairement une érosion
considérable de la diversité biologique, mais son horizon historique se limite
aussi à quelques décennies en règle générale.
Cette focalisation sur les espèces est nécessaire mais pose divers
problèmes. Certaines espèces sont très charismatiques comme le tigre, l’ours
blanc, les cétacés ; d’autres sont plus problématiques comme le loup et l’ours,
Mais cette astuce sémantique ne suffit pas, notamment parce que l’on a
rapidement compris que les populations d’espèces communes et banales
subissaient elles aussi une considérable érosion – d’où les études actuelles
cherchant à mesurer l’évolution du nombre d’individus parfois exprimée en
termes de biomasse. L’approche populationnelle est scientifiquement riche
d’enseignement (par exemple, en introduisant une appréciation de l’évolution
de la diversité génétique et plus seulement spécifique), mais elle est plus
difficilement utilisable comme objet de communication. Pour autant, c’est là
un autre paradoxe, l’état de conservation des espèces les plus charismatiques
n’est pas meilleur que celui des taxons ignorés par le grand public.
Est-il possible de mesurer l’impact de l’être humain sur la biodiversité sur
une échelle de temps plus longue ? Il est clair que les données permettant une
évaluation quantitative et donc chiffrée ne sont disponibles que pour les
dernières décennies, ce qui correspond à des recherches de grande ampleur
mises en place suite au Sommet de Rio. Il est rarement possible de remonter
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plus loin dans le temps. Pourtant, les éléments historiques non quantitatifs
pour apprécier l’érosion de la biodiversité ne manquent pas. Le plus étonnant
est sans doute l’ancienneté des publications consacrées au rôle de l’être
humain dans les disparitions des espèces.
Ainsi, le médecin et naturaliste britannique John Vaughan Thompson
(1779-1847) fait paraître en 1829 un article où il affirme que le dodo, ce gros
oiseau de l’île Maurice, n’est pas un animal rare… mais qu’il a bel et bien
disparu du fait des activités humaines ! Il justifie sa théorie par un ensemble
de faits historiques tirés de récits de voyages et d’ouvrages naturalistes et
affirme que c’est le seul vertébré dont l’extinction depuis l’apparition de
l’homme est certaine. Thompson s’interroge également sur les conséquences
de cet événement sur le reste de la « Création » : pour lui, Dieu a, en quelque
sorte, anticipé la vulnérabilité du dodo en cantonnant les répercussions de son
extinction, qui se limitent à la disparition de ses seuls parasites. L’article de
Thompson est un repère important dans l’histoire de la compréhension de
l’érosion de la biodiversité, notamment en raison de ses raisonnements
relevant d’une pensée écologique primitive. La disparition de tels ou tels
parasites provoquée par celle de leurs hôtes n’a ainsi fait l’objet de
recherches, et de façon très marginale, que depuis ces dernières décennies.
L’article de Thompson est suivi de bien d’autres publications établissant une
liste de plus en plus longue d’animaux disparus du fait de l’homme. Au
e
XIX siècle, personne ne met alors en doute la responsabilité de notre espèce,
d’autant que les naturalistes observent avec effroi des extinctions
contemporaines, comme celle du grand pingouin dans les années 1840, ou la
régression de bon nombre d’espèces.
La parution en 1864 de Man and Nature : or Physical Geography as
Modified by Human Action par George Perkins Marsh (1801-1882), au titre
explicite, est une bonne indication de l’importance que prend cette question
e
dans la société du XIX siècle. L’ouvrage détaille l’impact de l’homme sur la
nature dans un processus historique long, puisqu’il évoque minutieusement
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les conséquences des pratiques agricoles… de l’Antiquité. C’est cette
profondeur du temps que nous avons, semble-t-il, perdue, la gravité de la
crise actuelle oblitérant son ancienneté.
Alors, depuis combien de temps la biodiversité s’érode-t-elle ? Il n’existe
pas de véritable consensus chez les chercheurs, mais des travaux de plus en
plus nombreux et un ensemble d’observations de plus en plus solides
indiquent sans conteste que des pertes importantes d’espèces sont observables
dès la préhistoire. Les débats portent d’ailleurs plutôt sur la part prise par
l’être humain (dimension quantitative) et non sur son rôle (dimension
qualitative), sur la chronologie plutôt que sur la causalité. Les chiffres sont
impressionnants : 70 % des animaux de plus de 40 kg s’éteignent à l’arrivée
de l’espèce humaine en Amérique du Sud il y a 12 000 ans ; la totalité des
mammifères de plus de 40 kg disparaissent de Madagascar après la première
colonisation de l’île il y a moins de 1 500 ans ; et le nombre d’espèces
d’oiseaux éteintes lors de la colonisation des îles du Pacifique est de plusieurs
centaines, plus de 1 000 selon certains spécialistes. Le mécanisme est à peu
près le même partout : l’expansion de l’être humain est un succès grâce à sa
capacité à transformer en profondeur les écosystèmes, à attaquer des espèces
bien plus grosses que lui, à chasser en groupe, à disposer du feu et d’armes
sophistiquées. La grande faune est particulièrement concernée, mais sans
doute parce que ce sont les organismes qui, en raison de leurs os et de leurs
dents, ont laissé le plus de traces, la flore, les arthropodes, les invertébrés
mous (comme les espèces parasites) se fossilisant bien plus difficilement.
Nos connaissances reflètent ainsi la disponibilité des restes archéologiques.
Biodiversité et inégalités
Bibliographie
• BLANDIN Patrick, Biodiversité. L’avenir du vivant, Paris, Albin Michel,
******ebook converter DEMO Watermarks*******
2010.
• CHANSIGAUD Valérie, L’Homme et la Nature. Une histoire
mouvementée, Paris, Delachaux et Niestlé, 2013.
• CHANSIGAUD Valérie, Les Combats pour la nature. De la protection
de la nature au progrès social, Paris, Buchet-Chastel, 2018.
e
• KOLBERT Elizabeth, La 6 Extinction. Comment l’homme détruit la vie,
2014, traduit de l’anglais (États-Unis) par Marcel Blanc, Paris, Vuibert, 2015.
Note
1. Historienne, chercheuse associée au laboratoire SPHERE.
Valérie Cabanes 1
Bibliographie
• CABANES Valérie, Homo natura. En harmonie avec le vivant, Paris,
Buchet-Chastel, 2017.
• CABANES Valérie, Un nouveau droit pour la Terre. Pour en finir avec
l’écocide, Paris, Le Seuil, 2016.
• Collectif, Crime climatique, stop ! L’appel de la société civile, Paris, Le
Seuil, 2015.
• BOYD David R., The Rights of Nature : A Legal Revolution That Could
Save the World, ECW Press, Canada, 2017.
• STONE Christopher, Les arbres doivent-ils pouvoir plaider ? Vers la
reconnaissance de droits juridiques aux objets naturels, Lyon, Le Passager
clandestin, 2017.
Note
1. Juriste internationaliste, elle a publié Un nouveau droit pour la Terre (Le Seuil) et Homo Natura
(Buchet-Chastel).
Delphine Batho 1
C’est le début d’une crise politique majeure et la fin d’un cycle. Celui des
mensonges du « développement durable », de la « croissance verte », et
même de la « transition écologique », mot d’ordre obsolète qui renvoie
toujours à plus tard les transformations à accomplir. C’est la fin de ces faux-
semblants car le constat s’impose que la destruction, loin d’être « créatrice »
dans un monde tout entier basé sur les énergies fossiles et l’exploitation
vorace des ressources, n’est que destructrice. La religion de la croissance, qui
ne voyait dans la nature qu’un ennemi à dominer, se fracasse sur le mur du
réel et sur les limites physiques du système Terre. C’est ce qui explique, en
profondeur, pourquoi le pouvoir actuel ne peut pas être capable de répondre
aux aspirations liées à l’écologie. L’urgence écologique met à l’ordre du jour
une exigence de cohérence incompatible avec les doctrines libérales et même
keynésiennes de l’économie qui sont les siennes comme celles de ses
prédécesseurs.
Autrement dit, nous entrons dans l’ère des catastrophes et des révolutions.
L’écologie ne quittera plus le cœur du débat politique, où elle est
durablement, structurellement, installée car les faits l’imposent. C’est
désormais autour de ces enjeux que le clivage politique principal va se
structurer, opposant les Terriens, qui font de cet enjeu vital une priorité, et les
Destructeurs, lobbies ou responsables politiques qui surfent ouvertement ou
implicitement sur sa négation. D’un côté les mobilisations de la jeunesse et
une prise de conscience de plus en plus vive de l’ensemble de la population,
de l’autre une radicalisation climato-obscurantiste des tenants du système
actuel. C’est la fin définitive du prétendu consensus autour des enjeux
écologiques et des balivernes sur la conciliation possible entre les enjeux
environnementaux et le mode de civilisation actuel.
Les unes de Valeurs actuelles sur les « charlatans de l’écologie », avec son
supplément spécial sur papier glacé « Changement climatique : mythe et
réalités (57) » déniant ouvertement les travaux du GIEC, ou encore la
couverture du Point « Écologie et fariboles (58) », les éditos de L’Express et les
tweets de Laurent Alexandre se définissant dans son profil comme « anti-
collapsologue », les déclarations violentes et misogynes contre Greta
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Thunberg, ne sont qu’un avant-goût de l’offensive à venir. En France, comme
dans les États-Unis de Donald Trump ou le Brésil de Jair Bolsonaro, les
puissances conservatrices ne reculeront devant rien pour défendre leurs
intérêts et le statu quo par tous les moyens. L’angoisse existentielle liée aux
effondrements écologiques travaille en profondeur la société et sa négation
est, partout dans le monde, au cœur de la dynamique politique des forces
autoritaires et conservatrices. Ceux-là offrent à une angoisse légitime une
réponse par la fuite en avant dans la destruction, la surconsommation, la
haine des autres, le refus de la vulnérabilité, en un mot la barbarie.
Rien n’est plus urgent que d’aider la nouvelle génération qui se lève à
conquérir et transformer le pouvoir, et d’ouvrir ainsi à la rébellion la
perspective d’une écologie de gouvernement. À cet égard, toutes les leçons
des périodes passées doivent être retenues.
Bibliographie
Note
1. Députée des Deux-Sèvres, ancienne ministre de l’Écologie, du Développement durable et de
l’Énergie, présidente de Génération Écologie.
Alexandre Boisson 1
Bibliographie
• LINOU Stéphane, Résilience alimentaire et sécurité nationale,
Hallennes-lez-Haubourdin, TheBookEdition.com, 2019.
Note
1. Ancien policier, spécialiste en sécurité, fondateur de l’association SOS Maires.
Jean-Michel Valantin 1
Bibliographie
• BONNEUIL Christophe, FRESSOZ Jean-Baptiste, L’Événement
Anthropocène, Paris, Le Seuil, 2013.
• KUNSTLER James Howard, The Long Emergency, Londres, Atlantic
Books, 2005.
• VALANTIN Jean-Michel, Géopolitique d’une planète déréglée. Le choc
de l’Anthropocène, Paris, Le Seuil, 2017.
e
• WELZER Harald, Les Guerres du climat. Pourquoi on tue au XXI siècle,
2008, traduit de l’allemand par Bernard Lortholary, Paris, Gallimard, 2009,
rééd. 2012.
Note
1. Chercheur en études stratégiques et sociologie de la défense (EHESS, Paris), il collabore avec The
Red (Team) Analysis Society.
PATRICE VAN EERSEL : Il y a six ans, vous avez inventé ensemble le mot
« collapsologie », qui figure dans le sous-titre de Comment tout peut
s’effondrer, cosigné par Pablo Servigne et Raphaël Stevens, et qui a
fortement marqué l’opinion. Entre-temps, vous avez publié d’autres
ouvrages, notamment L’Entraide, l’autre loi de la jungle, cosigné par vous
deux. Mais le concept d’entraide semble moins bien passer dans l’opinion
que celui d’effondrement.
GAUTHIER CHAPELLE : L’Entraide est un livre dont le succès nous
a étonnés 2. Il semble avoir aidé ses lecteurs à mieux comprendre ce sur quoi
Pablo et Raphaël voulaient attirer l’attention en premier lieu, et à se recentrer
sur des actes, et non à se laisser écraser par une quelconque résignation. Mais
il est incontestable que l’idée d’effondrement peut être anxiogène, génératrice
d’égoïsme et de repli sur soi. L’image de la guerre, civile ou internationale,
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hante les subconscients. L’enjeu est d’éveiller la conscience à cette idée
fondamentale, que l’ensemble de nos livres souligne avec force : il y a un lien
organique entre effondrement et entraide. C’est ainsi : chaque fois qu’il y a
pénurie ou crise, les liens de coopération entre espèces se renforcent. La
compétition est un sport de luxe, très dispendieuse en énergie, qu’on ne peut
se permettre qu’en période d’abondance, et lorsque les risques sont minimes.
S’il y a pléthore de ressources, le perdant de la compétition ne meurt pas
nécessairement. Dès qu’il y a pénurie, elle devient dangereuse, voire
mortelle. Si les ressources viennent à manquer, tous les agents en présence
sont spontanément poussés à coopérer, car il y va de leur survie à tous.
Les recherches le montrent (76), aussi bien en biologie ou en écologie qu’en
sociologie des catastrophes : cette logique traverse tout le vivant, des
bactéries et des levures aux plantes et aux animaux – et aux humains, quand
ceux-ci sont poussés à bout. Toute quantification est illusoire, mais notre
impression est que l’entraide entre espèces semble bien plus répandue que la
compétition. Et la plupart des grandes « inventions » du vivant, comme la
multicellularité, la photosynthèse, le fait placentaire… sont le résultat
d’interactions coopératives. En schématisant, on pourrait dire que la plus
importante « loi de la jungle », c’est bien la coopération. L’oubli de ce
principe de base a conduit les sociétés humaines aux portes de la catastrophe.
Se la rappeler et la remettre en application n’est donc pas naïf, comme
certains le pensent, c’est juste vital, que l’on se situe avant, pendant ou après
l’effondrement, et que celui-ci ait d’ailleurs globalement lieu ou pas.
PABLO SERVIGNE : Les deux concepts sont différents, on ne peut pas les
comparer. Cela dit, on pourrait dire que l’idée d’effondrement est secondaire
par rapport à celle d’entraide. L’entraide concerne tous les êtres vivants
depuis 4 milliards d’années ! En temps de crise et de pénurie, les individus
égoïstes ou les groupes peu coopératifs ne survivent pas longtemps, c’est
aussi simple que ça. Ceux qui s’entraident survivent plus longtemps.
J’ai passé douze années à rassembler toutes les études disponibles sur ce
thème, notamment à partir des recherches extraordinaires et trop méconnues
du géographe Pierre Kropotkine (1842-1921). Ce génie est allé observer sur
le terrain les idées de sélection naturelle de Darwin – qu’il appréciait fort – et
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a montré que celui-ci ne se trompait pas en parlant de « survie des plus
aptes » : l’aptitude fondamentale des êtres vivants consistant à coopérer entre
eux pour leur survie, aussi bien entre individus de la même espèce qu’entre
espèces différentes, et même entre règnes. C’est Kropotkine qui a inventé
l’expression « Mutual Aid », que son ami français Élisée Reclus, comme lui
géographe et anarchiste, a traduite par « entr’aide », offrant ainsi un nouveau
mot à la langue française. Kropotkine était à la fois un scientifique et un
militant engagé, prêt à risquer sa vie, profondément convaincu que le régime
politique idéal, parce que le seul compatible avec les principes du vivant, était
l’anarchie, sans État, fondée sur la fédération de communes autogérées. Pour
nous, remettre en lumière ses travaux était indispensable, car ils ont été
oubliés aussi bien par les scientifiques (qui n’aiment pas être politisés) que
par la gauche marxiste (qui n’acceptait pas les arguments naturalistes).
Kropotkine savait la nécessité de mettre les sociétés humaines en cohérence
avec le reste de la biosphère. Il a mis le doigt sur des mécanismes pro-sociaux
que les recherches scientifiques n’allaient valider qu’un siècle après sa mort
et qu’aujourd’hui encore la plupart de nos contemporains ignorent, parce
qu’ils ont été éduqués dans le moule littéralement « antibiotique » de
l’idéologie libérale et capitaliste.
Notes
1. Tous deux ingénieurs agronomes, docteurs en science et spécialistes des questions
d’effondrement.
2. NDLR : plus de 30 000 exemplaires vendus.
Jean-Baptiste Fressoz 1
La mauvaise nouvelle est que si l’histoire nous apprend une chose, c’est
qu’il n’y a en fait jamais eu de transition énergétique. On ne passe pas du
bois au charbon, puis du charbon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire.
L’histoire de l’énergie n’est pas celle de transitions, mais celle d’additions
e
Pour ce qui concerne la lumière, le XIX siècle n’est pas non plus celui
d’une « transition » des énergies organiques (bougie et huile) vers le charbon
(gaz d’éclairage tiré de la distillation de la houille) : malgré le développement
de ce dernier, la lumière organique continue de croître fortement au
e
XIX siècle avec la grande invention chimique de l’époque qu’est la bougie
stéarique (qui remplace la chandelle). L’industrialisation de la production des
bougies et surtout l’importation de graisses en provenance du monde entier –
des suifs américains et russes aux oléagineux d’Afrique de l’Ouest – sont les
e
vraies révolutions de l’éclairage au XIX siècle. Enfin, contrairement à une
idée reçue, le pétrole n’a absolument pas sauvé les cétacés de l’extinction en
se substituant à l’huile de baleine. Au contraire : la pêche à la baleine se
e
développe fortement au début du XX siècle (pour fournir les fabriques de
margarine, les usines chimiques et cosmétiques) grâce à une flotte propulsée
au pétrole et armée de harpons explosifs.
De même, pour la production de chaleur, le charbon ne remplace
absolument pas le bois : il encourage au contraire sa consommation, ne serait-
ce que parce que les mines font une énorme consommation d’étais et les
chemins de fer de traverses en bois. Même dans l’industrie sidérurgique où
l’usage de la houille est le plus précoce, le bois reste dominant jusque dans
e
les années 1860 en France et jusqu’au XX siècle en Suède. D’une manière
générale, en dépit du charbon et du pétrole, la consommation mondiale de
e
bois explose au XX siècle : tronçonneuses, engins forestiers et camions (à
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essence) permettent une exploitation plus intensive ; contreplaqué, clous, vis
et palettes décuplent la demande en bois ; papier, carton et panneaux de
e
particules (une innovation du XX siècle rendue possible par les colles de
synthèse issues du pétrole) permettent d’utiliser des arbres de moins bonne
qualité, exploités sur des rotations plus courtes, et donc de rendre les forêts
beaucoup plus productives. L’exploitation du bois a fondé certaines des plus
grandes fortunes actuelles, du Suédois Ingvar Kamprad (Ikea) au magnat
français du luxe et de la grande distribution François Pinault.
e
Même la production énergétique à partir du bois augmente au XX siècle.
Selon la FAO 2, en 2018, un tiers de la population mondiale utilise du bois
pour ses besoins énergétiques de base (cuisiner, faire bouillir l’eau, se
chauffer, etc.) et les forêts fournissent quelque 40 % de l’énergie
renouvelable mondiale sous la forme de combustible ligneux – autant que les
énergies solaire, hydroélectrique et éolienne combinées.
Trois constats
Bibliographie
• BONNEUIL Christophe, FRESSOZ Jean-Baptiste, L’Événement
Anthropocène. La Terre, l’histoire et nous, Paris, Le Seuil, 2013.
• EDGERTON David, Quoi de neuf ? Du rôle des techniques dans
l’histoire globale, 2006, traduit de l’anglais par Christian Jeanmougin, Paris,
Le Seuil, 2013.
• FRESSOZ Jean-Baptiste, L’Apocalypse joyeuse. Une histoire du risque
technologique, Paris, Le Seuil, 2012.
• MALAMINA Paolo, KANDER Astrid, WARDE Paul, Power to the
People. Energy in Europe Over the Last Five Centuries, Princeton, Princeton
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University Press, 2013.
Notes
1. Historien, chargé de recherches au CNRS, Centre de recherches historiques (CRH/EHESS).
2. Food and Agriculture Organization, organisme spécialisé des Nations unies créé en 1945.
Xavier de la Vega 1
Les dommages anticipés sont tels que le système financier dans son
ensemble pourrait en être déstabilisé. Les économistes Michel Aglietta et
Étienne Espagne ont à ce sujet avancé la notion de « risque de système
climatique », soit la possibilité qu’un choc climatique se propage à
l’ensemble des institutions du système financier (85). Ce dernier présente
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plusieurs vulnérabilités qui pourraient favoriser un tel effet domino.
Commençons par les sociétés d’assurance. A priori le système de
protection offert par ces dernières est bien rodé. En cas de catastrophe
exceptionnelle, une société d’assurance dispose d’un joker. Elle peut se
tourner vers son propre assureur : une société de réassurance. Une
catastrophe inédite ou une série de plusieurs catastrophes de grande ampleur
peuvent cependant mettre en péril le réassureur lui-même. Celui-ci a alors
recours à un contrat de rétrocession, par lequel il cède à un autre réassureur
une partie de ses risques.
Or des chercheurs canadiens ont montré que le marché de la rétrocession
comporte une zone de vulnérabilité : lorsqu’un réassureur reprend les risques
d’une autre société, il ne sait pas dans quelle mesure celle-ci est exposée aux
pertes d’autres sociétés de réassurance (86). Cette « opacité » introduit un
risque de contagion des pertes initiales à l’ensemble du marché de la
réassurance. Ce mécanisme s’est produit à Londres entre 1987 et 1990. À la
suite d’une série de catastrophes industrielles et naturelles, les réassureurs
londoniens se sont passé et repassé les risques par le jeu des contrats de
rétrocession, donnant lieu à une « spirale » qui s’est soldée par de
retentissantes faillites et a manqué d’emporter le système financier tout
entier. Depuis, la réglementation a évolué afin de prévenir de tels
enchaînements. Pourtant, selon les auteurs, ces digues pourraient être
emportées par un événement météorologique d’une ampleur inédite –
précisément du type de ceux que le réchauffement climatique rend possibles.
Un second canal de transmission tient à la nature des marchés boursiers.
De nombreux travaux ont illustré l’« artificialisme » de ces marchés, où les
opérateurs tendent à se focaliser de manière mimétique sur des opinions
arbitraires. Dans cet ordre d’idées, un événement climatique dont les
répercussions ne sont pas nécessairement bien comprises peut jouer le rôle
d’un signal qui précipite une chute brutale des cours. À cela s’ajoutent les
caractéristiques des systèmes financiers globaux. Comme l’a révélé la crise
Notes
1. Journaliste économique et producteur interactif.
2. Calcul réalisé à partir des données recensées par Munich RE, NatCatService,
https://natcatservice.munichre.com.
L.T. : Par quels paramètres expliquer cette addiction au charbon qui, selon
l’Agence internationale de l’énergie (AIE), fait de la Chine la responsable de
près des trois quarts des augmentations des émissions de gaz à effet de serre
dans le monde pour les décennies 2010-2020 ?
J.-F.H. : Une grande partie de la production d’électricité est charbonnée. À
cela s’ajoutent l’industrie du bâtiment, la sidérurgie, la production
d’aluminium, très gourmandes en électricité. Le modèle entier dépend du
charbon pour la production d’énergie primaire. Tout cela ne se change pas du
jour au lendemain. Sans compter le pétrole, les transports… Même si l’on
passait à la voiture électrique, imaginez ce que cela donnerait à cette échelle
de population : le volume d’électricité à produire serait énorme, et il n’y a
tout simplement pas assez de terres rares dans le monde pour équiper la
Chine en voitures dans les mêmes proportions que les États-Unis. Au rythme
actuel, la Chine table sur 400 millions de véhicules en 2030. Il y a quelque
chose d’unique dans cette crise environnementale, en ce que la Chine a
réellement atteint les limites écologiques de notre modèle de développement.
L.T. : On entend souvent dire que la Chine est l’atelier du monde, que les
pays développés y externalisent les coûts environnementaux des biens qu’ils
consomment. Est-ce si évident ?
J.-F.H. : C’est de moins en moins vrai. Ça l’était il y a vingt ans.
Aujourd’hui, les entreprises présentes en Chine produisent essentiellement
pour le marché chinois. Et la part de la sous-traitance dans le commerce
international de la Chine décline très rapidement depuis quinze ans. Cet
argument, qui a longtemps dominé les conférences sur le climat, n’est plus
défendable.
L.T. : Reste que depuis 2013, il existe en Chine une volonté politique en
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faveur de la lutte contre la pollution.
J.-F.H. : Elle se traduit par exemple par des fermetures d’usines polluantes et
par le recours à des énergies vertes. Mais il existe aussi des résistances. Quant
à la société civile, elle a déjà du mal à se faire entendre dans nos démocraties,
vous imaginez bien ses difficultés au cœur d’un régime autoritaire. D’un côté
on encourage la mobilisation, d’un autre on ne tolère pas de critiques trop
fortes. La société civile joue un certain rôle, mais dans ces limites-là. Elle
peut réagir à des scandales ponctuels par des manifestations, mais cela ne
débouche guère sur des mouvements organisés. Quant au gouvernement, il ne
peut plus se permettre d’avoir des épisodes d’airpocalypse aussi prononcés
que ceux des dernières années, parce que cela touche les enfants et affecte les
classes moyennes. Il est donc obligé d’agir.
L.T. : Mais les accords de Paris ont-ils encore un sens face aux seules
émissions de gaz à effet de serre en Chine ?
J.-F.H. : Même si l’on reste à des niveaux extrêmement importants, il faut
souligner que la Chine va arriver à un maximum d’émissions avant 2030,
puis que ces niveaux vont décroître. Mais ce pays comptera alors un milliard
d’urbains… Tout cela introduit des incertitudes fortes. La Chine a connu en
trente ans la croissance dont l’Europe a bénéficié en deux siècles, avec trois
fois plus de population. En émission de CO2, elle est aujourd’hui à peu près
équivalente à l’Union européenne. Mais si vous prenez la consommation de
la classe moyenne chinoise, elle est plus haute, proche de celle des États-
Unis, et si l’on reste sur une croissance forte de cette classe moyenne
chinoise, ce ne sera pas une bonne nouvelle pour le climat.
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L.T. : En politique internationale, la croissance des émissions chinoises de
gaz à effet de serre n’oblige-t-elle pas à repenser les mesures prises pour
réduire le changement climatique ?
J.-F.H. : Certes. Encore plus inquiétant, il y a l’Inde, qui semble sur le point
de prendre la relève de la Chine comme atelier du monde. Si l’Inde, seul pays
au monde à avoir une population comparable à celle de la Chine, devait
prendre peu ou prou la même trajectoire avec deux décennies de décalage, il
est évident que les accords de Paris ne voudraient plus rien dire.
L.T. : Bien sûr ! Quel est le bilan environnemental de l’Inde, cet autre géant
démographique excédant le milliard d’habitants ?
J.-F.H. : Pas aussi catastrophique que celui de la Chine, car la trajectoire de
développement indienne a été différente. De manière atypique, l’Inde a
développé de manière précoce son industrie de service, tel le software, sans
passer par la case d’une industrialisation conventionnelle reposant sur les
industries lourdes. Elle reste un pays en développement, ce qui génère des
pollutions de toutes sortes, une urbanisation qui nous semble folle, une
pollution de l’air démentielle. Mais elle bénéficie d’une économie basée sur
une industrie de service hypertrophiée, alors qu’en Chine c’est l’industrie
lourde qui est hypertrophiée. De manière générale, cette distinction rend le
bilan écologique de l’Inde moins désastreux que celui de la Chine.
Mais d’autres éléments influencent considérablement sa trajectoire. L’Inde
sera bientôt le pays le plus peuplé du monde, et sa densité de population est
très forte. Cela entraîne par exemple des stress hydriques considérables,
notamment au nord du pays, où les eaux sont extrêmement polluées et les
réserves très faibles, ce qui représente, de ce point de vue, une situation
apparemment pire qu’en Chine.
Bibliographie
• HUCHET Jean-François, La Crise environnementale en Chine, Paris,
Presses de Sciences Po, 2016.
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• MARÉCHAL Jean-Paul, Chine/USA, le climat en jeu, Paris, Choiseul,
2011.
• MARÉCHAL Jean-Paul (dir.), La Chine face au mur de l’environnement,
Paris, CNRS Éditions, 2017.
Note
1. Professeur des universités à l’Inalco, spécialiste d’économie et de politique environnementale en
Asie.
Bibliographie
• CAILLÉ Alain, Extension du domaine du don. Demander-donner-
recevoir-rendre, Arles, Actes Sud, 2019.
• CAILLÉ Alain, CHANIAL Philippe, DUFOIX Stéphane,
VANDENBERGHE Frédéric (dir.), Des sciences sociales à la science
sociale. Sur des fondements anti-utilitaristes, Lormond, Le Bord de l’eau,
2018.
• SERVIGNE Pablo, STEVENS Raphaël, CHAPELLE Gauthier, Une
autre fin du monde est possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y
survivre), Paris, Le Seuil, 2018.
• MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans
les sociétés archaïques », L’Année sociologique, 1923-1924.
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• SERVIGNE Pablo, CHAPELLE Gauthier, L’Entraide, l’autre loi de la
jungle, Paris, Les Liens qui libèrent, 2017.
Notes
1. Professeur émérite à l’université Paris-Nanterre, docteur en économie et en sociologie.
2. NDLR : L’anti-utilitarisme est une notion fédérant le Mouvement anti-utilitariste en sciences
sociales (MAUSS), un groupe de chercheurs dirigé par Alain Caillé. Il développe une critique forte des
théories sociales et économiques fondées sur l’idée d’un individu mû par son seul intérêt (tradition
philosophique de l’utilitarisme), et il en appelle à la logique du don pour réformer la société marchande.
o
Voir notamment Nicolas Journet, « L’anti-utilitarisme à la française », Sciences humaines, n 154,
novembre 2004, p. 54-57.
3. La sociobiologie d’Edward O. Wilson visait à expliquer les comportements sociaux des humains
par la génétique. La guerre, les hiérarchies sociales, les discriminations et les différences de
comportements entre les sexes auraient ainsi une origine biologique, dans un monde où chaque individu
lutte pour sa survie. De nombreux anthropologues ont critiqué ce point de vue, notamment parce que
les pratiques violentes ont des causes sociales et culturelles, puisque leur ampleur varie selon les
o
époques. Voir MEYRAN Régis, « La culture est-elle dans les gènes ? », Pour la science, n 428, 2013,
p. 72-76.
D’AUTRES
PERSPECTIVES
Yannick Rumpala 1
Note
1. Maître de conférences à l’université de Nice, Équipe de recherche sur les mutations de l’Europe et
de ses sociétés (ERMES).
Ugo Bardi 1
Définir l’effondrement
De la rétroaction à l’avalanche
Les systèmes complexes sont complexes parce qu’ils sont dominés par le
mécanisme de la rétroaction. En raison des effets de rétroaction, une grande
structure peut s’effondrer quand un seul des éléments qui la composent
échoue, conduisant à la défaillance des éléments qui l’entourent. Ceux-ci, à
leur tour, causent la défaillance d’autres éléments du système, et ainsi de
suite. Le résultat est ce que nous appelons une « avalanche », et la
conséquence des avalanches est, comme le disait Sénèque, une « ruine
rapide ».
Une question qui m’est souvent posée à ce sujet est la suivante :
« Pouvons-nous utiliser ces modèles pour prédire l’avenir ? » Hélas, cette
question pose problème : nous ne pouvons pas avoir de données exactes sur
le futur parce que le futur n’existe pas… encore.
Mais cela ne veut pas dire que nous ne pouvons pas essayer de comprendre
l’avenir. Après tout, qu’est-ce que l’avenir, si ce n’est quelque chose que
nous décidons nous-mêmes de changer en réalité ? Tous nos modèles sont, en
fin de compte, une quantification de ce que nous appelons la « sagesse ». Ils
nous disent ce qui peut arriver, non ce qui va arriver. Les modèles ne sont pas
des prophéties, ils sont basés sur les chances et les opportunités. La question
n’est pas de prédire l’avenir, mais bien de s’y préparer.
L’une des choses que les modèles nous disent, c’est que l’écosystème de la
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Terre n’est pas un supermarché où nous pouvons prendre ce dont nous avons
besoin sans même avoir à payer. C’est un système complexe, soumis à
l’effondrement de Sénèque ; cela peut arriver ; cela s’est produit plusieurs
fois dans le passé géologique – certains des effondrements les plus
spectaculaires sont les cinq « grandes extinctions » qui comprennent, entre
autres, la disparition des dinosaures il y a 65 millions d’années.
Risque-t-on de suivre la même voie que les dinosaures ? Peut-être…
surtout si nous considérons qu’il devient de plus en plus clair que les
dinosaures n’auraient pas été anéantis par une grosse météorite qui serait
apparue pour heurter la Terre, mais par une chaîne complexe de causes et
d’effets qui a commencé par l’émission de grandes quantités de gaz à effet de
serre à la suite d’une éruption volcanique. Les dinosaures, semble-t-il, ont été
tués par un effet de serre galopant, comme cela pourrait nous arriver si nous
persistons dans les émissions de gaz à effet de serre dans l’atmosphère.
En bon stoïcien, Sénèque avait compris que parfois la ruine est inévitable
et que nous devrions toujours être prêts. Mais ce n’est pas toujours le cas. En
ce qui concerne notre situation actuelle, Sénèque aurait probablement dit que
si nous avions une chance d’éviter l’effondrement climatique, nous devrions
essayer.
L’univers est compliqué et il se montre parfois dur avec nous. Mais en
apprenant quelque chose de l’ancienne philosophie stoïcienne, en la couplant
à un modèle mathématique moderne, nous aurions un peu d’espoir d’être
préparés à ce qui risque de nous arriver. Le problème est de réapprendre un
peu de cette sagesse dont nous semblons cruellement manquer de nos jours.
Anticiper l’effondrement, c’est aussi nous donner encore une chance
d’acquérir à nouveau un peu de sagesse.
Bibliographie
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• BARDI Ugo, The Limits to Growth Revisited, Berlin, Springer, 2011.
• BARDI Ugo, « The Seneca effect : Why decline is faster than growth »,
2011, disponible sur https://cassandralegacy.blogspot.com/2011/08/seneca-
effect-origins-of-collapse.html
o
• BARDI Ugo, « Mind sized world models », Sustainability, vol. 5, n 3,
2013, p. 896-911, doi.org/10.3390/su5030896
• BARDI Ugo, The Seneca Effect. Why Growth is Slow but Collapse is
Rapid, Berlin, Springer, 2017.
• BARDI Ugo, Le Grand Pillage. Comment nous épuisons les ressources
de la planète, trad. André Verkaeren, Paris, Les Petits Matins/Institut Veblen,
2015.
Note
1. Membre du Club de Rome, professeur de physique-chimie à l’université de Florence.
Philippe Bihouix 1
Shifting baselines
Bibliographie
• BIHOUIX Philippe, Le bonheur était pour demain. Les rêveries d’un
ingénieur solitaire, Paris, Le Seuil, 2019.
• BODINAT Baudouin de, La Vie sur Terre, tomes I et II, Paris, Éditions
de l’Encyclopédie des nuisances, 2008.
• CAPEK Karel, La Guerre des salamandres, 1936, trad. fr. Paris, Éditeurs
français réunis, 1960.
• MÉHEUST Bertrand, La Politique de l’oxymore, Paris, La Découverte,
2014.
• PILHES René-Victor, L’Imprécateur, Paris, Le Seuil, 1974.
• REY Olivier, Une Folle Solitude. Le fantasme de l’homme autoconstruit,
Paris, Le Seuil, 2006.
Notes
1. Ingénieur et essayiste.
2. Du latin cornu copiae, la « corne d’abondance ».
3. Théorisé par le géophysicien Marion King Hubbert dans les années 1950, remis au goût du jour
Frédéric Denhez 1
Le retour de la bombe P
Le paradoxe du tout-végétal
Bibliographie
• EHRLICH Paul R., The Population Bomb, New York, Ballantine Books,
1968.
• PARMENTIER Bruno, PISANI Edgar, Nourrir l’humanité, Paris, La
Découverte, 2009.
• GRIFFON Michel, Nourrir la planète. Pour une révolution doublement
verte, Paris, Odile Jacob, 2006.
• CAPLAT Jacques, Changeons d’agriculture : réussir la transition, Arles,
Actes Sud, 2014. IPCC, « Climate change and land », WHO, UNEP, 2019.
• DE SCHUTTER Olivier, « Systemic ethics and inclusive governance :
two key prerequisites for sustainability transitions of agri-food systems »,
Agriculture and Human Values, février 2019.
Note
1. Auteur, conférencier et chroniqueur radio et télé.
Un monde de réfugiés ?
François Gemenne 1
Bibliographie
• GEMENNE François, RANKOVIC Aleksandar, Atlas de
l’Anthropocène, Paris, Presses de Sciences Po, 2019.
• GEMENNE François, IONESCO Dina, MOKHNACHEVA Daria, Atlas
des migrations environnementales, Paris, Presses de Sciences Po, 2016.
• GEMENNE François, Géopolitique du climat, Paris, Armand Colin,
2015.
Notes
1. Chercheur en sciences politiques à l’université de Liège et à Sciences Po Paris.
2. NDLR : Les populations de ces régions pourraient faire la soudure s’il n’y avait que la sécheresse.
Mais celle-ci agit comme un accélérateur d’autres tensions, de sécurité notamment, et pousse à l’exode.
3. NDLR : Les récentes migrations venues d’Afrique ou du Moyen-Orient ont pu paraître
« massives », mais il n’en est rien comparé à ce qui pourrait advenir. À 4 °C d’augmentation de
température, l’Afrique serait inhabitable l’essentiel de l’année, or ce scénario est possible d’ici à 2080-
2100.
Jean-Marc Gancille 1
Parce que les océans sont immenses et leurs fonds invisibles, nous avons
imaginé qu’ils étaient sans limite.
Nous y avons déversé inlassablement nos poubelles et dissimulé nos rebuts
les plus toxiques. Nous y avons dispersé nos plastiques, de la surface
jusqu’aux abysses. Nous y avons multiplié la présence de supertankers, porte-
conteneurs, navires-usines, paquebots, plateformes pétrolières, éoliennes
offshore, chalutiers géants. Nous avons puisé infiniment dans la biomasse
marine et nous lorgnons désormais sur les richesses minérales des
profondeurs.
Et pendant que nous nous affairions à engloutir toujours plus d’énergie
fossile dans une boulimie sans fin, les océans absorbaient une part
conséquente de l’effet de serre anthropique et l’essentiel de l’excès de chaleur
Océans poubelle
Que faire ?
L’océan ne pourra faire face aux multiples menaces que si subsiste en son
sein une vitalité suffisante pour s’adapter. Y préserver la vie est une urgence
Bibliographie
• ESSEMLALI Lamya, Paul Watson, le combat d’une vie, Grenoble,
Glénat, 2017.
• BRUNEL Camille, La Guérilla des animaux, Paris, Alma Éditeur, 2018.
• DONALDSON Sue, KYMLICA Will, Zoopolis, Paris, Alma Éditeur,
2016.
• JENSEN Derrick, Zoos. Le cauchemar de la vie en captivité, Herblay,
Éditions Libre, 2018.
• GANCILLE Jean-Marc, Ne plus se mentir, Paris, Rue de l’Échiquier,
2018.
• VERLOMME Hugo, Demain l’océan. Des milliers d’initiatives pour
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sauver la mer… et l’humanité, Paris, Albin Michel, 2018.
Notes
1. Cofondateur de Darwin Écosystème, travaille dans le milieu de la conservation des cétacés au sein
de l’ONG Globice Réunion.
2. Parfois improprement dits « pyralènes » (du nom commercial d’un ancien produit de Monsanto),
les polychlorobiphényles (PCB) sont des composés aromatiques dérivés du biphényle, qui ont été
reconnus comme toxiques, cancérigènes, écotoxiques et reprotoxiques.
3. Selon Joao Miguel Ferreira de Serpa Soares, secrétaire général de la Conférence
intergouvernementale sur la biodiversité marine, le 19 août 2019 à New York, cité par Le Monde.
Nathanaël Wallenhorst 1
Que faire ?
Bibliographie
• FEDERAU Alexander, Pour une philosophie de l’Anthropocène, Paris,
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PUF, 2017.
• MAGNY Michel, Aux racines de l’Anthropocène, Lormont, Le Bord de
l’eau, 2019.
• MALM Andreas, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement
climatique à l’ère du capital, [2016] traduit de l’anglais par Étienne
Dobenesque, Paris, La Fabrique, 2017.
• WALLENHORST Nathanaël, L’Anthropocène décodé pour les humains,
Paris, Le Pommier, 2019.
• WALLENHORST Nathanaël, PIERRON Jean-Philippe (dir.), Éduquer
en Anthropocène, Lormont, Le Bord de l’eau, 2019.
Note
1. Docteur en sciences de l’éducation, science politique et en sciences de l’environnement, maître de
conférences à l’université catholique de l’Ouest et chercheur au LISEC (EA 2310).
Gabriel Dorthe 1
Un futur à interpréter
Bibliographie
• AUDÉTAT Marc, BARAZZETTI Gaïa, DORTHE Gabriel, JOSEPH
Claude, KAUFMANN Alain, VINCK Dominique (dir.), Sciences et
technologies émergentes. Pourquoi tant de promesses ?, Paris, Hermann,
2015.
• DORTHE Gabriel, Malédiction des objets absents : Explorations
épistémiques, politiques et écologiques du mouvement transhumaniste par un
chercheur embarqué, thèse de doctorat pour l’obtention du grade de docteur
en sciences de l’environnement et de docteur en philosophie, Lausanne,
université de Lausanne et université Paris-I Panthéon-Sorbonne, 2019, en
ligne : https://serval.unil.ch/notice/serval : BIB_794277173DB7.
• CŒURNELLE Didier, ROUX Marc, Technoprog. Le transhumanisme au
service du progrès social, Limoges, FYP Éditions, 2016.
• MORE Max, VITA-MORE Natasha, The Transhumanist Reader :
Classical and Contemporary Essays on the Science, Technology, and
Philosophy of the Human Future, Chichester (UK), John Wiley & Sons,
2013.
• SUSSAN Rémi, Les Utopies posthumaines. Contre-culture, cyberculture,
culture du chaos, Sophia-Antipolis, Omniscience, 2005.
Notes
1. Post-doctorant, université catholique de Lille, ETHICS EA 7446 (chaire Éthique, Technologie et
Bertrand Vidal 1
Ainsi, quelles que soient les comminations émises par les survivalistes,
elles aboutissent à un rêve paradoxal : le nouvel âge d’or d’une humanité
purgée par l’apocalypse. Cette dernière étant perçue comme une révolution
copernicienne, c’est-à-dire une inversion pure et simple de l’ensemble des
Bibliographie
• COHN Norman, Les Fanatiques de l’Apocalypse. Courants millénaristes
e e e
révolutionnaires du XI au XVI siècle avec une postface sur le XX siècle
[1957], Paris, Julliard, 1962.
• MITCHELL Richard G. Jr, Dancing at Armageddon. Survivalism and
Chaos in Modern Times, Chicago, University of Chicago Press, 2002.
• VIDAL Bertrand, Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin du monde ?,
Paris, Arkhê, 2018.
Notes
1. Maître de conférences en sociologie à l’université Paul-Valéry – Montpellier-III.
2. Selon un certain mythe ésotérique, l’humanité aurait été créée par des extraterrestres, dits
« anciens astronautes ».
Jean-Noël Lafargue 1
En 2012, j’ai publié un livre consacré au thème de la fin du monde tel qu’il
a été traité par diverses mythologies. La sortie de l’ouvrage coïncidait avec la
« fin du monde » du 21 décembre 2012, dont la popularité médiatique et
éditoriale fut inversement proportionnelle au nombre de personnes qui la
redoutaient effectivement, puisque aucun groupe évangélique millénariste,
aucune secte apocalyptique, aucun devin n’avait repris cette échéance à son
compte. Cela n’a pas empêché que des politiques ou des philosophes
affectent la plus grande sollicitude à ce sujet et s’inquiètent de l’effet
qu’aurait la prophétie sur les esprits faibles.
Invité par de nombreux médias pour en parler, j’ai presque toujours été
accueilli par une affirmation déguisée en question : « Peut-on dire que les
prophéties de fin du monde ont existé de tout temps ? » N’étant pas historien
des mythes ou des idées, j’ai toujours eu du mal à répondre avec aplomb à ce
genre de question. Après tout, il est clair que certaines époques ont été bien
plus concernées par le sujet que d’autres. Du reste, nous n’avons que
quelques millénaires de recul pour en juger : il n’existe pas d’indices
permettant de supposer l’existence de mythes liés à la fin du monde avant la
naissance de l’écriture. Et même lorsque nous connaissons les récits, il est
très difficile de savoir sur quel plan les gens vivaient leurs croyances. De
savoir, par exemple, si les Égyptiens redoutaient réellement qu’il arrive que
les dieux Râ et Seth ne parviennent pas à empêcher le serpent Apophis de
chavirer la barque solaire et d’avaler le monde, conflit divin qui, pour eux,
avait lieu chaque nuit.
Les adventistes du septième jour sont près de 20 millions dans le monde, à attendre une fin des
temps qu’ils pressentent proche. On parle à leur sujet de « millérisme », du nom de leur fondateur
e
William Miller. Celui-ci avait fondé le mouvement qui, au XIX siècle, fédéra les protestants
évangéliques cherchant dans la Bible des règles de vie et une inspiration spirituelle, mais aussi la
date de la fin des temps qui, dans leur esprit, était imminente. La « grande déception » de 1844,
qui vit le non-accomplissement de la fin à la date annoncée par Miller, constitua une crise majeure
au sein du mouvement, donnant naissance aux adventistes du septième jour, mais aussi, quelques
décennies plus tard, aux témoins de Jéhovah, qui eurent eux aussi à subir plusieurs déconvenues,
en prophétisant leurs propres dates de la fin des temps…
Adventistes, Témoins, ces deux grands groupes religieux apocalyptiques en ont directement
inspiré d’autres bien plus turbulents, comme les Branch Davidians. En 1993, quatre-vingt-deux
membres de cette secte et quatre agents fédéraux sont morts lors de l’assaut de la propriété de
Mount Carmel, à Waco, au Texas, après cinquante et un jours de siège – les davidians refusant
une perquisition destinée à vérifier la légalité de leur arsenal, ainsi que la majorité sexuelle des
« épouses spirituelles » avec lesquelles le gourou David Koresh avait décidé de créer une lignée
de futurs dirigeants.
Les catholiques ont depuis longtemps mis de côté l’idée d’une proximité temporelle de la fin
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des temps, et rares sont ceux d’entre eux qui ont entendu parler d’apocalypse au catéchisme. Il en
va différemment de la plupart des protestants, très attachés au corpus biblique, et prompts à
reconnaître dans la papauté la protectrice de figures démoniaques de l’eschatologie chrétienne, de
l’Antéchrist à la Grande Prostituée.
Les sectes protestantes ne sautent pour autant pas sur l’« aubaine » que pourrait représenter la
prégnance actuelle du thème de l’effondrement, car cette idée se heurte à deux points de dogme
qui ne sauraient être négociés. Le premier, c’est que la fin du monde n’est en aucun cas censée
être le fruit de l’action directe de l’humanité : c’est Dieu qui a créé le monde, c’est Dieu qui le
détruira et le fera renaître, selon son propre calendrier. Présenter l’Homme comme cause directe
de la Fin du monde relève du blasphème. La responsabilité des humains, s’il y en a une, ne peut
être que spirituelle.
Le second point, c’est que pour l’eschatologie chrétienne (comme pour l’eschatologie
musulmane d’ailleurs), l’Apocalypse n’est pas une triste nouvelle. Passé la période de troubles et
de destructions (catastrophes naturelles et guerres) qui en marquera le début, la fin des temps est
la promesse d’une Résurrection générale, d’une rétribution de chacun selon ses œuvres et d’un
règne éternel de Dieu, c’est ce qui explique l’impatience de nombreux groupes à voir advenir ce
moment.
Traditionnellement, les groupes évangéliques sont méfiants vis-à-vis des sciences comme vis-à-
vis de la politique, et ils se sont toujours montrés peu concernés par les questions écologiques.
Puisque la nature a été confiée à l’Homme (« Les cieux sont les cieux de l’Éternel/Mais il a donné
la Terre aux fils de l’Homme » – Psaumes 115 : 16), ce dernier doit en disposer à sa guise. Des
administrations franchement anti-écologistes et favorables à une exploitation sans frein de la
nature autant qu’à un dérèglement financier, telles celles de George Bush Jr et Donald Trump aux
États-Unis, ou Jair Bolsonaro au Brésil, ont été soutenues par une forte base religieuse
évangélique.
S’il n’y a pas à ma connaissance de sectes apocalyptiques importantes qui s’appuient sur la
notion actuelle d’effondrement, il est néanmoins possible qu’il en existe dans la myriade de
groupes ou sectes d’inspiration New Age. Une chose est sûre : l’imaginaire du désastre développé
par la littérature postapocalyptique de science-fiction s’inspire, lui, souvent de la culture
religieuse. De nombreux romans imaginent en effet qu’un effondrement écologique, économique
et social ne pourra que favoriser l’influence de la religion, en raison de la quête de sens qu’elle
nourrit ou de la stabilité sociale qu’elle promet. Cet imaginaire s’inspire souvent des groupes
sectaires existants, par exemple des mennonites. Ces anabaptistes, pour la plupart violemment
e
persécutés puis expulsés d’Europe au XVI siècle, pensent que notre époque est déjà celle du
règne du Christ (le Millenium, ou période de 1 000 ans censée précéder la fin des temps), dont ils
appliquent le pacifisme à la lettre. Vivant reclus du monde, certains, comme les célèbres amish de
l’Est américain, refusent même tout progrès technique et persistent à parler un dialecte
germanique vieux de plusieurs siècles. Ils incarnent sans le vouloir une forme de survivalisme
communautaire. À leur manière, les amish sont en effet prêts à affronter un monde sans pétrole,
sans échanges mondialisés, sans informatique et sans télécommunications. Parmi les fictions qui
Bibliographie
• BOIA Lucian, La Fin du monde. Une histoire sans fin, Paris, La
Découverte, 1989.
• LAFARGUE Jean-Noël, Les Fins du monde. De l’Antiquité à nos jours,
Paris, François Bourin, 2012.
• MUSSET Alain, Le Syndrome de Babylone. Géofictions de l’Apocalypse,
Paris, Armand Colin, 2012.
• UNADFI, Bulles, revue trimestrielle publiée par l’Union nationale des
associations de défense des familles et de l’individu (142 numéros depuis
1983).
Note
1. Expert en technologies, enseignant et chercheur à l’université Paris-VIII et à l’École supérieure
d’art et design du Havre.
Gwennyn Tanguy 1
Ces quatre sujets permettent de montrer les convergences qui existent entre
la cause féministe et la cause écologiste. Mais il existe bien d’autres formes
de domination que le patriarcat. Pour enrayer la dégradation dramatique des
conditions de vie sur Terre, ne négligeons pas les réflexions concernant les
iniquités (sexisme, racisme, validisme, classisme, spécisme…). Celles-ci
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pourraient bien nous amener à identifier en partie l’origine des causes et
même apporter des pistes de solutions. Face à la menace d’effondrement
systémique, le repli sur soi est contre-productif. Se reconnecter à soi-même
est une tout autre chose, cela permet d’identifier ses besoins, ses aspirations
et ses forces.
Par ailleurs, gardons en tête que seules des réponses collectives peuvent
être suffisamment puissantes pour saisir une chance de modifier le cours de
l’histoire. Notons que l’écoféminisme a émergé suite à la menace atomique
de la guerre froide, à l’essor du nucléaire civil et aux avertissements du
rapport Meadows. Cela représente une source d’inspiration qui nous rappelle
que la puissance collective, mais aussi l’inventivité, l’audace et la joie sont
des ressources éminemment précieuses pour ces temps obscurs.
Bibliographie
• CHOLLET Mona, Sorcières. La puissance invaincue des femmes, Paris,
Zones/La Découverte, 2018.
• HACHE Émilie, Reclaim. Anthologie de textes écoféministes, Paris,
Cambourakis, 2016.
• FEDERICI Silvia, Caliban et la Sorcière. Femmes, corps et
accumulation primitive, Genève, Entremonde, 9 mars 2017.
• WYNES Seth, NICHOLAS Kimberly A., « The climate mitigation gap :
Education and government recommendations miss the most effective
o
individual actions », Environmental Research Letters, vol. 12, n 7, 12 juillet
2017. https://iopscience.iop.org/article/10.1088/1748-9326/aa7541
• RIPPLE William et al., « World scientists’warning to humanity : A
second notice », BioScience, 13 novembre 2017.
https://academic.oup.com/bioscience/article/67/12/1026/4605229.
• HAWKEN Paul, Drawdown. Comment inverser le cours du
réchauffement planétaire, Arles, Actes Sud, 2018.
https://www.drawdown.org.
Vincent Mignerot 1
Le piège de l’existence
Il est possible que nous n’ayons que l’illusion de notre liberté. Nous
devons envisager que notre existence soit strictement régentée par des lois
contre lesquelles nous ne pouvons rien. Ces lois – la sélection naturelle et les
contraintes de la physique décrites par la thermodynamique – ne dessinent
peut-être qu’une seule voie pour l’histoire, si imprévisible soit-elle pour nous,
que nous pourrions appeler « axe évolutif ». La multitude des options
existentielles, des idées, des choix possibles se positionneraient relativement
autour de cet axe, s’opposant les uns aux autres et s’ajustant aux différentes
situations. En temps de faible pression de la compétition, seraient
sélectionnées au sein des communautés humaines des choix plus
conservateurs et favorables à long terme. En temps de forte pression, les
choix qui domineraient seraient orientés vers la défense des intérêts
immédiats par le déploiement de nouvelles techniques, de stratégies
innovantes, mais dont les bénéfices seraient de plus court terme.
Chaque acteur, conservateur ou progressiste, serait toujours convaincu de
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la souveraineté et de l’indépendance de son opinion. Si la communauté devait
s’exposer à une difficulté existentielle suite à une mauvaise décision, la
responsabilité incomberait naturellement au camp adverse. Mais l’axe
resterait imperturbable malgré l’opposition : l’existence tend à se maintenir
possible, au mieux en fonction des conditions. Les options adaptatives
seraient simplement sélectionnées par le contexte, et le déterminisme
éventuel serait rendu invisible par le rejet sur l’autre de ce que nous ne
voudrions pas voir. Nous pourrions nommer « dichotomie à l’axe » ce jeu
d’opposition systématique, qui aura participé à nous propulser vers l’écueil
écologique sans que personne ne se sente vraiment responsable. S’il y a un
problème, c’est toujours la faute de l’autre.
L’humanité serait cette espèce devenue capable de s’approprier les
ressources dans son intérêt exclusif et de se décharger de façon organisée de
son sentiment de culpabilité, dû aux effets délétères de sa propre adaptation.
L’humanité s’est imaginée libre, affranchie pour toujours de la sélection
naturelle et des contraintes de la physique. Mais une forme de régulation ne
va-t-elle pas nécessairement s’imposer demain, alors que nous sommes
8 milliards et bientôt 10, sur une planète polluée et aux ressources en déclin,
au climat chaque jour plus instable et impactant gravement les rendements
agricoles ? Nous aborderons d’autant mieux le retour du principe de réalité
que nous nous serons confrontés vraiment à ce que nous sommes.
e
Le XVII siècle marque l’apogée de l’Espagne conquérante. C’est la fin du
Siècle d’or : le pays subit un déclin économique, ses approvisionnements
depuis les colonies se fragilisent. Les défaites militaires se multiplient,
jusqu’aux traités de Westphalie (1648) qui signent la fin de la suprématie
espagnole en Europe.
Pedro Calderón de la Barca écrit en 1635 La vie est un songe, une pièce
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imprégnée des questionnements de l’époque : le développement est-il
vraiment fini ? Pouvons-nous admettre cette réalité qui se ferme ? Nous
sommes-nous fait tant d’illusions jusque-là ? Est-il possible d’abandonner ces
illusions et de retrouver la réalité, si rude soit-elle ?
Si la pièce se déroule dans une Pologne fictive, l’intrigue retranscrit bien le
contexte de déclin de la puissance espagnole. L’autoritaire monarque Basilio
gouverne un pays en crise et est inquiet de ce que son tempétueux fils
Sigismond lui succède, engageant un changement de régime qu’il ne désire
pas. Il tente de conjurer ce que les horoscopes lui disent être un sort
inéluctable en emprisonnant son fils. Il le dépossède également de la
succession de droit divin, le pouvoir étant transmis traditionnellement de père
en fils. Paradoxalement, c’est de cette tentative d’éviter un danger que surgira
le désordre, le chaos.
Alors que le contexte général du récit est celui d’un déclin économique
structurel, Calderón interroge les modalités du changement ou de la
conservation dans la gouvernance. Les pouvoirs anciens ne sont plus
légitimes, les nouveaux ne sont pas prêts, une rupture est sans doute
nécessaire pour la mise en place d’un régime adapté.
Nous pouvons aussi lire La vie est un songe comme un questionnement
allégorique sur notre nature et sur la confrontation de cette nature à la fatalité.
Sommes-nous vraiment capables d’influencer notre destinée, ou ne sommes-
nous capables que de nous illusionner sur notre condition ?
Pour Calderón, comme cela est exprimé dans la pièce, il n’y a pas de plus
haute victoire que celle que l’on gagne sur soi-même, en évitant en particulier
de soumettre sa volonté à la fois aux apparences et aux passions. Calderón
propose également de penser la conciliation entre déterminisme et libre
arbitre. Il expose les conditions selon lui de la maîtrise de son destin : « Et
ainsi, veut-on vaincre sa fortune, c’est par la prudence et la modération qu’il
la faut prendre. »
Le contexte historique de La vie est un songe, celui d’une décadence, nous
Lewis Caroll, en 1871, prolonge Les Aventures d’Alice au pays des merveilles par un second
ouvrage : De l’autre côté du miroir. Un passage du récit inspirera, en 1973, Leigh Van Valen,
biologiste, pour décrire la « course à l’armement » de deux espèces qui coévoluent.
Dans sa nouvelle aventure, Alice est invitée par la Reine à courir, sans raison, simplement parce
qu’il faut courir. Alice, après avoir fait de grands efforts pour suivre le rythme effréné de la
course, s’étonne :
« Mais voyons, s’exclama-t-elle, je crois vraiment que nous n’avons pas bougé de sous cet
arbre ! Tout est exactement comme c’était !
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– Bien sûr, répliqua la Reine, comment voudrais-tu que ce fût ?
– Ma foi, dans mon pays à moi, répondit Alice, encore un peu essoufflée, on arriverait
généralement à un autre endroit si on courait très vite pendant longtemps, comme nous venons de
le faire.
– On va bien lentement dans ton pays ! Ici, vois-tu, on est obligé de courir tant qu’on peut pour
rester au même endroit. Si on veut aller ailleurs, il faut courir au moins deux fois plus vite que ça !
– Je vous en prie, j’aime mieux ne pas essayer ! Je me trouve très bien ici… sauf que j’ai très
chaud et très soif ! »
Leigh Van Valen résume ainsi l’hypothèse de la Reine Rouge (aussi appelée « syndrome de la
Reine Rouge ») : « Il faut courir pour rester sur place. » Il observe en effet, chez des espèces
animales interdépendantes, que l’évolution de leurs capacités ou l’augmentation de leurs
performances ne change pas nécessairement leur rapport de force. Si les guépards et les gazelles
sont aujourd’hui les animaux terrestres les plus rapides, c’est uniquement pour des raisons de
survie : si la gazelle n’avait pas développé la course, elle aurait été rapidement exterminée ; si le
guépard était resté chaton, il serait mort de faim.
Cette hypothèse ne s’applique pas qu’à la coévolution entre espèces. Elle peut aussi qualifier les
interactions entre une espèce et son milieu : plus une espèce transforme son environnement, plus
elle doit tenir compte de ces transformations pour sa propre adaptation.
Plus une espèce sera obligée, par exemple, de développer des comportements complexes pour
s’alimenter, plus ses capacités devront s’adapter à ces stratégies complexes. Selon une étude
publiée en 2017, il a été montré que ce qui a engendré l’augmentation de la taille du cerveau chez
de nombreuses espèces de primates n’est pas leur capacité sociale, mais le fait que leur
(147)
alimentation nécessite des stratégies plus élaborées pour être obtenue . La complexité de
l’organisation sociale serait consécutive à la complexité du rapport au milieu et à l’alimentation, et
augmenterait d’autant que les interactions avec les milieux deviendraient progressivement plus
complexes par nécessité d’exploiter le milieu…
Au cours de son histoire, l’humanité a également dû composer avec la variabilité naturelle de
son environnement, avec les prédateurs et les concurrents directs, parfois humains eux aussi.
L’hypothèse de la Reine Rouge envisage que l’humanité aurait, comme toute autre espèce,
développé ses capacités simplement parce que si elle ne le faisait pas au rythme des contraintes et
des interactions, elle risquait de disparaître.
La maîtrise de l’outil, le développement de l’empathie et de la vie sociale, la culture pourraient
n’être que des acquis nécessaires afin de maintenir l’adaptation au cœur d’un milieu toujours plus
exigeant. Et ce à plus forte raison que l’outil, la vie sociale et la culture modifiaient profondément
ce milieu. L’humanité, peu à peu affranchie de ses prédateurs, serait même devenue le principal
accélérateur de sa propre évolution : toute communauté exposée à la rivalité avec une autre
possédant des armes puissantes doit développer elle aussi des défenses performantes, sans quoi
elle risque la disparition.
Le syndrome de la Reine Rouge qualifie aujourd’hui de nombreuses coévolutions au sein des
sociétés humaines, qui semblent condamnées à avancer vers toujours plus de complexité.
Bibliographie
• SCOTT James C., Homo domesticus, Paris, La Découverte, 2019.
• CALDERÓN DE LA BARCA Pedro, La vie est un songe [1636], Paris,
Flammarion, 1992.
• CONDEMI Silvana, SAVATIER François, Dernières nouvelles de
Sapiens, Paris, Flammarion, 2018.
• MIGNEROT Vincent, Le Piège de l’existence. Pour une théorie
écologique de l’esprit, Lyon, Éditions SoLo, 2015.
• TESTOT Laurent, Cataclysmes. Une histoire environnementale de
l’humanité, Paris, Payot, 2017.
Note
1. Essayiste et chercheur indépendant en sciences humaines, fondateur de l’association Adrastia.
Julien Vidal 1
L’alarme a sonné, tout le monde doit se retrousser les manches et agir avec
ambition. D’autant que les joutes rhétoriques sur l’importance de l’action
individuelle sont sur le point d’être définitivement derrière nous. Une bonne
fois pour toutes, oui, l’individu a un rôle à jouer dans la construction d’une
société plus durable. Son action est nécessaire, même si elle n’est pas
suffisante tant qu’elle ne sera pas accompagnée par l’État et par les
entreprises. Un constat qui vaut pour chacun de ces niveaux d’action. Aucune
entité ne pourra, à elle seule, inverser la tendance. Notre époque étant
éminemment complexe et interconnectée, tout le monde doit opérer un
changement d’ampleur si on veut mettre un terme une bonne fois pour toutes
à la destruction du Vivant.
L’impact individuel a été récemment mesuré par le cabinet Carbone 4, et il
est beaucoup moins insignifiant que ce qu’on aurait pu imaginer. En effet,
Bibliographie
• LECOMTE Jacques, Le monde va beaucoup mieux que vous ne le croyez,
Paris, Les Arènes, 2017.
• ANDRÉ Christophe, JOLLIEN Alexandre, RICARD Mathieu, Trois amis
en quête de sagesse, Paris, L’Iconoclaste/Allary Éditions, 2015.
• DELANNOY Isabelle, L’Économie symbiotique. Régénérer la planète,
l’économie, la société, Arles, Actes Sud, 2017.
• BERNIER Julie, Zéro déchet. Le manuel d’écologie quotidienne simple,
pratique et à l’usage de tous, Paris, Solar, 2019.
• VIDAL Julien, Ça va changer avec vous. Il est temps d’être écolos et
fiers de l’être, Paris, First Éditions, 2019.
Note
1. Créateur du site Internet www.cacommenceparmoi.org.
La conquête du pouvoir
Bibliographie
• MOREL DARLEUX Corinne, Plutôt couler en beauté que flotter sans
grâce, Montreuil, Libertalia, 2019.
• JENSEN Derrick, LIERRE Keth, McBAY Aric, DGR – Deep Green
Resistance. Un mouvement pour sauver la planète, 2 tomes, Herblay,
Éditions Libre, 2018 et 2019.
• BERGMAN Carla, MONTGOMERY Nick, Joyful Militancy : Building
Thriving Resistance in Toxic Times, Chico (Californie), AK Press, 2018.
Note
1. Conseillère régionale d’Auvergne-Rhône-Alpes.
Lamya Essemlali 1
J’entame ce récit aux îles Féroé. Cela faisait cinq ans que je n’étais pas
revenue. En 2014, j’avais mis sur pied toute la partie maritime de l’opération
« GrindStop ». En trois mois, Sea Shepherd France avait fait fabriquer quatre
petits bateaux en aluminium avec une coque renforcée, et nous avions recruté
une équipe de volontaires chevronnés. Avec le renfort d’un de nos Zodiac,
c’étaient en tout cinq petits bateaux qui patrouillaient tous les jours du matin
au soir dans tout l’archipel. L’objectif était simple mais difficile : trouver les
dauphins avant que les Féringiens ne les repèrent, les escorter vers le grand
large et empêcher ainsi le « Grindadrap ». La mission avait été très efficace,
mais nos bateaux avaient fini par être confisqués par les forces spéciales de la
marine danoise.
Le Grindadrap est le nom féringien d’un massacre de baleines pilotes (qui
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sont en fait des dauphins) perpétré dans ces îles depuis des siècles, et qui
perdure aujourd’hui avec le renfort de moyens modernes et mêmes militaires.
La pratique consiste à rabattre vers des plages des groupes entiers de
dauphins et à les mettre à mort, jusqu’au dernier. Tous y passent, plusieurs
générations, des jeunes, des vieux, des bébés, des femelles gestantes, des
fœtus arrachés au ventre de leur mère… En moyenne 1 500 d’entre eux
périssent ainsi chaque année (800 selon les estimations les plus récentes).
C’est loin d’être évident, pour moi, de revenir aux îles Féroé sans bateau et
donc sans moyen d’empêcher le Grindadrap. Tout juste sommes-nous censés
être les témoins impuissants du massacre, pour tenter d’éclabousser la scène
internationale de ces images sanglantes… Dans un monde où une actualité en
chasse une autre, on sait qu’elles ne feront de toute façon effet qu’un court
instant. Le Grindadrap est considéré comme le plus grand massacre ciblé de
mammifères marins en Europe. Je précise « ciblé » parce que, en France,
pour capturer les bars, les merlus, les soles, les cabillauds, les thons…, nos
bateaux de pêche tuent cinq fois plus de dauphins sur la seule façade
atlantique chaque année.
Quand j’ai pris conscience de ces chiffres, en 2017, j’ai lancé l’opération
« Dolphin Bycatch », qui mobilise désormais chaque année une trentaine de
bénévoles et un gros navire de notre flotte. L’objectif est d’alerter l’opinion
publique en rapportant des images des dauphins et des bateaux de pêche
responsables, pour faire évoluer les comportements des consommateurs et
amener les politiques à changer les lois. Si des méthodes de pêche aussi
destructrices ont été inventées et autorisées, c’est pour satisfaire notre appétit
insatiable en poissons. Et si les dauphins sont théoriquement protégés dans
toute l’Union européenne, on autorise encore, dans leur habitat, des méthodes
de pêche dont on sait qu’elles les tuent par milliers. Cela n’a aucun sens. Nos
lois de protection sont une vaste hypocrisie, et le grand public ignore dans sa
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majorité toute l’absurdité du système. Ceux-là mêmes qui s’émeuvent à juste
titre du sort tragique des dauphins aux îles Féroé sont souvent complices
malgré eux d’un massacre encore plus grand, chez eux.
Me voilà donc aux îles Féroé en ce mois d’août 2019, pour la première fois
sans bateau. Les îles Féroé ont fait passer une loi qui interdit à nos navires de
revenir en eaux féringiennes après que nous avons escorté des dauphins vers
le large et perturbé plusieurs rabattages. Les îles Féroé sont un archipel
autonome sous protectorat danois. Une forte portion de la population cherche
à obtenir l’indépendance totale, et la question du Grindadrap est à cet égard
une pierre angulaire. Le Danemark, pour calmer les velléités d’indépendance
d’un archipel dont il convoite les importantes richesses maritimes, n’hésite
pas à enfreindre les lois qu’il a pourtant lui-même votées et qui l’engagent à
protéger les dauphins.
La question du Grindadrap est donc éminemment politique. Comment un
pays de l’Union européenne comme le Danemark peut-il en toute impunité
déployer des forces militaires contre des activistes pacifiques qui tentent de
sauver des animaux protégés par les lois de l’UE ? Tous nos recours devant la
Commission européenne contre le Danemark sont restés lettre morte. Les
dauphins ne font pas le poids.
J’espérais qu’il n’y aurait pas de Grindadrap cet été, mais les dauphins
n’auront pas cette chance, et moi non plus.
Depuis dix ans que je suis engagée sur cette mission, le 27 août 2019, pour
la première fois, je suis obligée d’assister, totalement impuissante, au
massacre de 98 dauphins globicéphales. Sur la plage, c’est l’effervescence.
De nombreux enfants courent dans tous les sens et attendent le spectacle avec
la même excitation que s’ils étaient à Disneyland.
Je fais la seule chose que je peux faire à ce stade, je commence un
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livestream sur la page Facebook de Sea Shepherd France, et je raconte aux
gens ce qui se passe. Élodie qui m’accompagne tient le téléphone et je
commente le carnage. Ça nous extrait un peu de cette réalité brutale. Il y a cet
écran entre le massacre et nous, peut-être est-ce ce qui nous donne la force de
rester et le sentiment de servir au moins à ramener une partie du monde avec
nous sur cette plage.
Le cynisme du politique
Sur Facebook, les gens qui commentent en direct sont horrifiés, furieux,
certains nous demandent pourquoi nous ne nous jetons pas à l’eau pour tenter
de sauver les dauphins. Je ne connais hélas que trop bien la façon dont ça se
passe, et une tentative désespérée de sauver les globicéphales depuis la plage
ne se solderait que par une prolongation de leur panique et de leur mise à
mort. Cela a été tenté par le passé, et les dauphins n’en ont souffert que plus
longtemps. Que peuvent faire trois activistes avec de l’eau jusqu’aux épaules
face à des centaines de Féringiens et une vingtaine de bateaux qui barrent
l’accès au large ? S’il y avait une infime chance de réussir, ça en vaudrait la
peine. Mais je me refuse à leur causer plus de souffrance, parce que je ne
supporte pas ma propre impuissance. Cette impuissance d’aujourd’hui sera
ma force de demain.
Ma frustration, et elle est grande, c’est qu’il aurait été très facile,
aujourd’hui, avec un seul des cinq bateaux que nous avions mobilisés en
2014, de sauver ces dauphins. Les Féringiens ont mis des heures à les
rabattre, ils ont dû attendre du renfort qui a tardé à venir, un temps infini
pendant lequel nous aurions pu intervenir et guider les dauphins vers le large.
Le Danemark, qui utilise la force militaire pour maintenir nos bateaux
éloignés des îles, a le sang de ces dauphins sur les mains. Le plus fou, c’est
que les dauphins sont protégés en Union européenne et que le Danemark est
signataire des conventions de protection des mammifères marins qui
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interdisent strictement leur capture. Toute l’ironie et le cynisme de la
politique se trouvent résumés dans cette situation.
Au bout de trente minutes, tous les dauphins sont morts. Attachés par la
queue, ils sont traînés par bateau vers un port pour être dépecés. Nous les
suivons en voiture. Tous les corps gisent sur le bitume, les enfants jouent à
saute-mouton sur les dauphins, touchent les entrailles, mettent des coups de
pied dans les têtes, les mâchoires… Des femelles gestantes, leur fœtus
arraché à leurs entrailles, gisent sur le sol. Pour les Féringiens, tout cela est
normal. Ils grandissent avec cette idée que les dauphins sont une offrande de
Dieu, qu’ils ne souffrent pas, qu’ils ne comprennent même pas ce qui leur
arrive… On part tuer des dauphins comme on part cueillir des pommes.
Ce qui me frappe de plein fouet, chez les grands comme les plus petits,
c’est le manque total d’empathie pour ces familles de dauphins massacrées,
cette déconnexion qu’ils transmettent à leurs enfants avant même qu’ils ne
sachent marcher… Eux nous renvoient à nos abattoirs industriels, « bien
pires » selon eux. Abattoirs où eux-mêmes s’approvisionnent d’ailleurs
largement. Les Féringiens comparent le Grindadrap à la tauromachie, ils l’ont
intégré comme une part indissociable de leur identité. La tradition comme
rempart à tout argument, la justification ultime qui consiste à faire quelque
chose pour la seule raison qu’on l’a toujours fait. Voilà un raisonnement qui
permettrait de justifier l’esclavage, les sacrifices humains, la peine de mort…
Nous ne sommes qu’aux prémices d’une forme radicale de combat, et il est
déjà bien tard. Mais, quand bien même il n’y aurait plus aucune raison
d’espérer, quand bien même nous aurions déjà perdu…
Pour ma part, je n’ai pas trouvé de meilleur remède que l’action, à la
mélancolie qui découle immanquablement de la conscience d’un monde qui
agonise et de l’apathie ambiante qui l’accompagne vers une fin tragique tel
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un cortège funéraire. On ne rejoint pas la ligne de front de Sea Shepherd par
hasard. Quand on part en mission, c’est en connaissance de cause. On accepte
de risquer sa vie quand c’est nécessaire, parce que ne pas le faire, c’est
comme céder devant la mort. Ça n’est sans doute pas pour tout le monde. Il y
a mille façons de s’engager. Mais celle-ci est la mienne et elle donne un sens
à ma vie.
La seule façon que je conçois d’être en ce monde, c’est d’agir comme si
tout restait à sauver. Ce qui est vrai en un sens, à commencer par notre âme.
Couler des bateaux à quai, s’interposer physiquement pour empêcher la mise à mort d’un
requin, d’une baleine ou d’une tortue, confisquer des filets de pêche illégaux, poursuivre, harceler
des braconniers pour les forcer à lâcher leur proie… Tel est le modus operandi de Sea Shepherd ;
et forcément, la question de la violence, de sa légitimité ou de son interdit, revient régulièrement.
Jusqu’où peut-on aller pour sauver une baleine ?
Le préalable à cette question est de s’entendre sur la définition de la violence. Posons un cas
d’école : couler à quai un bateau qui tue illégalement et en toute impunité des milliers d’animaux
serait-il un acte de violence ? La réponse est sans doute oui si l’on considère que la valeur
matérielle de l’objet excède celle des vies qu’il détruit. En revanche, la question deviendrait
grotesque si on l’appliquait à une équivalence humaine. Des citoyens qui détruiraient un véhicule
utilisé pour massacrer des gens, et quand bien même pour le faire tueraient-ils le conducteur,
seraient qualifiés de héros. Ne pas intervenir alors qu’on en a le pouvoir ne nous rend-il pas
coupables de non-assistance à personnes en danger ?
Des activistes qui détruisent le matériel de braconniers, tout en prenant soin de ne blesser
personne, se voient reprocher par certains, y compris dans le camp des écologistes, d’être de
violents extrémistes, voire des écoterroristes. Et pourtant, parfois l’attentisme peut en soi devenir
une forme de complicité passive de la violence.
Einstein n’a-t-il pas dit que le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux
qui les laissent faire ? La vraie question qui se pose, derrière celle de la violence, est celle de la
hiérarchie des valeurs. À quel point la vision anthropocentrique et les intérêts, même superflus
voire cupides, de certains humains, peuvent-ils décemment passer devant les intérêts vitaux
d’autres êtres vivants ? À cette question, Sea Shepherd a répondu dès sa création – c’est d’ailleurs
l’élément fondateur de Sea Shepherd en tant qu’ONG. Dépasser la protestation et intervenir de
façon « agressive mais non violente » pour empêcher les atteintes illégales à la vie marine, là où
ceux qui devraient le faire, les autorités dites « compétentes », se révèlent incompétents, par
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manque de moyens ou de volonté.
La réflexion inverse existe aussi. Pourquoi se contenter de neutraliser le matériel et ne pas s’en
prendre directement aux auteurs des crimes contre la Nature ?
La situation globale dégénère rapidement et il est probable que l’on entre dans des périodes de
tensions et de violences de grande ampleur, comme notre espèce n’en aura jamais connu dans sa
courte histoire. Mais la plus grande violence que nous aurons tous à subir (à des échelles et en des
temps sans doute différents) sera la manifestation du remboursement de l’immense dette
écologique que nous avons accumulée et continuons de creuser. Ceux qui y survivront le mieux
seront peut-être ceux qui résisteront le mieux à la tentation de la violence et lui préféreront la
force de la coopération.
Dans la vision de Sea Shepherd, en tant qu’ONG combative, c’est sans doute là aussi que se
situe la force : s’interdire la violence envers les êtres vivants, comme une cohérence morale qui
consiste à ne pas détruire des vies quand on lutte pour sauver le vivant. Mais c’est également une
réflexion stratégique face à des gouvernements qui détiennent l’exclusivité de la violence dite
légitime : ceux-ci feraient de toute action entraînant des morts ou des blessés une justification
pour une riposte encore plus grande, sans doute fatale.
Survivre et sauver des vies tout en restant cohérent avec les valeurs que l’on défend, mais aussi
redéfinir la notion de violence sur les bases d’une hiérarchie nouvelle qui place l’intégrité du
monde naturel au-dessus des profits. Voilà sans doute des sujets qui deviendront incontournables
pour les activistes de demain au regard du combat qui se profile à l’horizon…
L. E.
Note
1. Diplômée en science de l’environnement et en communication, présidente de l’organisation de
défense des océans Sea Shepherd France, codirigeante de l’ONG au niveau mondial.
Derrière l’effondrement,
la peur de mourir
Un témoignage personnel
Bibliographie
• FAURÉ Christophe, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel,
2018.
• DE HENNEZEL Marie, L’Amour ultime (en collaboration avec Johanne
de Montigny), Paris, Hatier, 1991 ; La Mort intime (préfacé par François
Mitterrand), Paris, Robert Laffont, « Aider la vie », 1995, Pocket, 2010 ; La
chaleur du cœur empêche nos corps de rouiller, Paris, Robert Laffont, 2008,
Pocket, 2010.
• KÜBLER-ROSS Elisabeth, Les Derniers Instants de la vie, 1969, traduit
par Cosette Jubert, Genève, Labor et Fidès, 1975, Pocket, 2011 ; La Mort et
l’Enfant, Le Rocher/Tricorne, 1983 ; La Mort, dernière étape de la
croissance, ouvrage collectif, Pocket, 1985 ; Leçons de vie – Comprendre le
sens de nos désirs, de nos peurs et de nos espoirs, avec David Kessler,
Pocket, 2004 ; et avec le même coauteur, Sur le chagrin et le deuil, Pocket,
2011.
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• MORIN Edgar, L’Homme et la Mort, Paris, Buchet-Chastel, 1951, Le
Seuil, « Points essais », 1976.
• SAUNDERS Cicely, La vie est dans la mort, traduit par le Dr Michèle
Salamagne, préface de Patrick Vespieren, Paris, MEDSI, 1986.
• VAN EERSEL Patrice, La Source noire, Paris, Grasset, 1986, Le Livre
de poche, 1990 ; Réapprivoiser la mort, Paris, Albin Michel, 1996, Le Livre
de poche, 2000.
Note
1. Journaliste, écrivain, éditeur.
Renaud Hétier 1
Qu’est-ce qu’un effondrement ? C’est une chute, mais c’est plus qu’une
chute. Une chute dont on ne peut se relever comme avant. La chute, l’enfant
sait très tôt ce que c’est, dans sa bataille pour se redresser et pour maintenir sa
fragile verticalité. L’effondrement, c’est plutôt celui du château de sable
qu’on a construit patiemment et qui disparaît dans les premières vagues qui
l’abordent. On essaie de ramener le sable vers le haut : mais rien à faire, tout
se délite.
Et puis il y a un tout autre effondrement, duquel on peut faire l’expérience
intime : c’est celui de ses forces, et notamment de ses forces psychiques.
C’est là qu’on se découvre être soi-même comme un château de sable.
Construit, solide, triomphant peut-être même… jusqu’au jour où quelque
chose nous submerge, déborde nos forces habituellement suffisantes et nous
fait nous découvrir profondément fragile. Il n’y a peut-être pas d’un côté des
personnes fortes et de l’autre des personnes fragiles, mais d’un côté des
personnes qui n’ont pas encore été débordées et de l’autre des personnes qui
l’ont déjà été.
Ce qui peut le mieux provoquer le débordement évoqué, c’est sans doute
cette angoisse si proprement humaine de la finitude. L’enfant en prend
conscience très tôt. Il apprend à se consoler en pensant à l’épaisseur de temps
qui le sépare de la fin, et aux générations qui le précèdent et qui sont comme
un bouclier pour lui (tant que les plus vieux que moi ne sont pas morts je ne
peux pas mourir). Mais à certains moments de la vie, un événement, un
changement d’âge, un deuil, un crépuscule, un détail peuvent « libérer » cette
angoisse et déborder nos défenses.
Nous sommes ainsi sensibles à notre environnement. En fait, inséparables
Solastalgie et enfance
Bibliographie
• BUCKINGHAM David, La Mort de l’enfance. Grandir à l’âge des
médias, 2001, Paris, Armand Colin, 2010.
• EHRENBERG Alain, La Fatigue d’être soi. Dépression et société, Paris,
Odile Jacob, 1998.
• ROSA Hartmut, Résonance. Une sociologie de la relation au monde,
Paris, La Découverte, 2018.
• ROUSSEAU Jean-Jacques, Émile ou De l’éducation, 1762, rééd. Paris,
Garnier-Flammarion, 2009.
• SERVIGNE Pablo, STEVENS Raphaël, CHAPELLE Gauthier, Une
autre fin du monde est possible, Paris, Le Seuil, 2018.
Note
1. Professeur en sciences de l’éducation, HDR, UCO, Angers. Collaborateur scientifique au CREN,
Nantes ; membre associé du LISEC, UHA.
Tester et adopter une action écocitoyenne chaque jour pendant un an, c’est
le défi que s’est imposé Julien Vidal. Il s’est lancé dans le projet « Ça
commence par moi » tout en travaillant au sein de l’association Unis-Cité. Il a
répertorié pendant un an ces 365 bonnes pratiques écocitoyennes sur le site
Internet www.cacommenceparmoi.org et raconte son expérience dans un livre
paru au Seuil en 2018, Ça commence par moi : soyons le changement que
nous voulons voir dans le monde.
(1) RIPPLE William J. et al., « World scientists’ warning to humanity : A second notice »,
o
BioScience, vol. 67, n 12, décembre 2017, p. 1026-1028, https://doi.org/10.1093/biosci/bix125.
(2) GIEC, « Special Report – Global Warming of 1.5 °C », 8 octobre 2018,
http://www.ipcc.ch/report/sr15/.
(3) HALLMANN Caspar A. et al., « More than 75 percent decline over 27 years in total flying insect
biomass in protected areas », PLoS ONE, 12 (10), 18 octobre 2017,
https://doi.org/10.1371/journal.pone.0185809.
(4) SANCHEZ-BAYO Francisco, WYCKHUYS Kris A.G., « Worldwide decline of the entomofauna : A
review of its drivers », Biological Conservation, 232 (2019) 8-27.
(5) CEBALLOS Gerardo et al., « Biological annihilation via the ongoing sixth mass extinction
signaled by vertebrate population losses and declines », PNAS, 25 juillet 2017,
www.pnas.org/cgi/doi/10.1073/pnas.1704949114.
(6) Cf. p. 41 et https://www.ipbes.net/sites/default/files/downloads/general_message_primer_fr.pdf.
(7) Voir BARDI Ugo, Le Grand Pillage. Comment nous épuisons les ressources de la planète, Paris,
Les Petits Matins, 2015 ; et PITRON Guillaume, La Guerre des métaux rares, Paris, Les Liens qui
libèrent, 2018, p. 212 et suiv.
(8) MORA Camilo et al., « Global risk of deadly heat », Nature Climate Change, vol. 7, juillet 2017,
www.nature.com/natureclimatechange 501, DOI : 10.1038/NCLIMATE3322 ; BADOR Margot et al.,
« Future summer mega-heatwave and record-breaking temperatures in a warmer France climate »,
o
Environmental Research Letters, vol. 12, n 7, 19 juillet 2017, https://doi.org/10.1088/1748-
9326/aa751c.
(15) NDLR : Werner Sombart (1863-1941) : de cet économiste et sociologue allemand, Friedrich
Engels disait qu’il était le seul professeur allemand qui comprenait Le Capital de Karl Marx.
(16) BIHR Alain, 1415-1763, Le Premier Âge du capitalisme. L’expansion européenne, tome I,
Lausanne/Paris, Page Deux/Syllepse, 2018.
(17) TESTOT Laurent, Cataclysmes. Une histoire environnementale de l’humanité, Paris, Payot,
2017.
(18) POLANYI Karl, La Grande Transformation, 1945, Paris, Gallimard, 1983.
(19) TOUSSAINT Éric, Le Système dette. Histoire des dettes souveraines et de leur répudiation,
Paris, Les Liens qui libèrent, 2017.
(20) HARVEY David, Le Nouvel Impérialisme, Paris, Les Prairies ordinaires, 2010.
(21) MALM Andreas, L’Anthropocène contre l’histoire. Le réchauffement climatique à l’ère du
capital [2016], traduit de l’anglais par Étienne Dobenesque, Paris, La Fabrique, 2017.
(22) KEUCHEYAN Razmig, La nature est un champ de bataille. Essai d’écologie politique, Paris,
Zones, 2014.
(23) KLEIN Naomi, La Stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre, Arles, Actes
Sud, 2008.
(24) CAMPAGNE Armel, Le Capitalocène. Aux racines historiques du dérèglement climatique,
9. Les économistes sont-ils armés pour anticiper les risques liés aux dérèglements écologiques ?
(26) DAVIS Mike, Génocides tropicaux. Catastrophes naturelles et famines coloniales. Aux origines
du sous-développement, Paris, La Découverte, 2006.
(27) NORDHAUS William, « Expert opinion on climatic change », American Scientist, 82 (1) : 45-
51, 1994.
(28) Voir WEITZMAN Martin L., « GHG targets as insurance against catastrophic climate
damages », Journal of Public Economic Theory, 14 (2) : 221-244, 2012 ; DIETZ Simon, STERN
Nicholas, « Endogenous growth, convexity of damage and climate risk : how Nordhaus’ framework
supports deep cuts in carbon emissions », The Economic Journal, 125 (583) : 574-620, 2015 ; BOVARI
Emmanuel, GIRAUD Gaël, MC ISAAS Florent, « Coping with collapse : A stock-flow consistent
monetary macrodynamics of global warming », Ecological Economics, 147 : 383-398, 2018.
(29) Voir TOL Richard S.J., « The economic impacts of climate change », Review of Environmental
Economics and Policy, 12 (1) : 4-25, 2018.
(30) PINDYCK Robert S., « The use and misuse of models for climate policy », Review of
Environmental Economics and Policy, 11 (1) : 100-114, 2017 ; POTTIER Antonin, Comment les
économistes réchauffent la planète, Le Seuil, 2016.
(31) WOILLEZ Marie-Noëlle, GIRAUD Gaël, GODIN Antoine, « Economic impacts of a glacial
period : A thought experiment – Assessing the disconnect between econometrics and climate
sciences », à paraître.
(32) Voir STIGLITZ Joseph, « The lessons of the North Atlantic crisis for economic theory and
policy », in AKERLOF George, BLANCHARD Olivier, ROMER David, STIGLITZ J. (dir.), What
Have We Learned ? Macroeconomic Policy after the Crisis, Cambridge, MIT Press, 2014, pp. 335-
349 ; voir aussi STIGLITZ J., « Needed : a new economic paradigm », Financial Times, 19 août 2010.
(33) Voir « Olivier Blanchard : “Il faut cesser de dire et croire que la France est finie” », propos
recueillis par Marie Dancer, La Croix, 17 septembre 2013. Voir aussi BLANCHARD Olivier, « Do
DSGE models have a future ? », Peterson Institute for International Economics, 16-11, 2016.
(34) Voir ROMER Paul, « The trouble with macro-economics », Stern School of Business, New
York University, 2016.
(35) Voir entre autres GEORGESCU-ROEGEN Nicholas, La Décroissance. Entropie-Écologie-
Économie, Paris, Sang de la Terre, 1974 ; AYRES Robert, VOUDOURIS Vlasios, « The economic
growth enigma : capital, labour and useful energy ? », Energy Policy, 64, 16-28, 2014 ; ou encore
KÜMMEL Reiner, The Second Law of Economics : Energy, Entropy, and the Origins of Wealth, New
York, Springer, 2011.
(36) Voir DIAMOND Douglas W., DYBVIG Philip H., « Banking theory, deposit insurance, and
bank regulation », The Journal of Business, 59 (1), 55-68, 1986.
(37) Au sens où, par exemple, la demande agrégée peut exhiber un comportement qui n’a rien à voir
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avec celui d’une demande individuelle ; pour une version récente, voir MOMI Takeshi, « Excess-
demand functions with incomplete markets – A global result », Journal of Economic Theory, 111 (2) :
240 – 250, 2003.
(38) BOVARI Emmanuel, GIRAUD Gaël et McISAAC Florent, « Financial impacts of climate
change mitigation policies and their macroeconomic implications : A stock-flow consistent approach »,
à paraître.
(39) GIRAUD Gaël, VIDAL Olivier, « Production of entropy in economic systems », à paraître.
(40) SCALISE SUGIYAMA Michelle, « The plot thickens : what children’s stories tell us about
o
mindreading », n 16, p. 94-117, Journal of Consciousness Studies, janvier 2009.
o
(41) BISHOP Marie-France, JOOLE Patrick, « Et si l’on parlait des récits… », n 179, p. 3-8, Le
français aujourd’hui, 2012.
(42) MAHY Isabelle, « “Il était une fois…” Ou la force du récit dans la conduite du changement »,
o
n 33, Communication et organisation, 2008.
(43) DURKHEIM Émile, Le Suicide. Étude de sociologie, Paris, Félix Alcan, 1897.
(44) DANCHEV Alex, On Good and Evil and the Grey Zone, Édimbourg, Edinburgh University
Press, 2016.
(45) SCOTT Shirley V., KU Charlotte (éds.), Climate Change and the UN Security Council,
Cheltenham (R.-U.), Edward Edgar Publishings, 2018.
(46) GEISLER Charles, CURRENS Ben, « Impediments to inland resettlement under conditions of
accelerated sea level rise », Land Use Policy, vol. 66, juillet 2017, pp. 322-330,
https://doi.org/10.1016/j.landusepol.2017.03.029.
(47) SETZER Joana, BYRNES Rebecca, « Global trends in climate change litigation : 2019
snapshot », Londres, Grantham Research Institute on Climate Change and the Environment/Centre for
Climate Change Economics and Policy, London School of Economics and Political Science, 4 juillet
2019.
(48) https://notreaffaireatous.org/laffaire-du-siecle/.
(49) BARNOWSKY Anthony D. et al., « Approaching a state shift in Earth’s biosphere », Nature,
vol. 486, 7 juin 2012, DOI : 10.1038/nature11018.
(50) STEFFEN Will et al., « Planetary boundaries : Guiding human development on a changing
o
planet », Science, vol. 347, n 6223, 13 février 2015, DOI : 10.1126/science.1259855.
(51) https://www.endecocide.org/wp-content/uploads/2016/10/CPI-Amendements-Ecocide-FR-
sept2016.pdf.
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(52) http://www.harmonywithnatureun.org/documents.html.
(53) http://www.harmonywithnatureun.org/rightsofnature.html.
o
(54) Cour suprême de justice, STC 4360 – 2018, Radicación n 11001-22-03-000-2018-00319-01,
Bogotá, D.C., 5 avril 2018.
(55) « Les Français et la lutte contre le changement climatique », Elabe pour Les Échos (octobre
2019).
(56) « Baromètre de l’économie », Odoxa pour Aviva, Challenges, BFM Business (octobre 2019).
o
(57) N 4309, 27 juin-3 juillet 2019.
(58) 13 juin 2019.
(59) Les Limites à la croissance (dans un monde fini), en anglais : The Limits To Growth, également
connu sous le nom de « Rapport Meadows », est un rapport demandé à des chercheurs du
Massachusetts Institute of Technology (MIT) par le Club de Rome, en 1970. La traduction française,
publiée la même année aux Éditions Fayard, s’intitule Halte à la croissance ?. Elle a pris son titre
actuel lors de la réédition mise à jour en 2012 (Paris, Rue Échiquier).
(60)
https://fr.wikipedia.org/wiki/Estimation_du_nombre_d%27armes_%C3 %A0_feu_par_habitants_par_pays
(61) http://www.slate.fr/story/156871/emeutes-nutella-promo.
(62) https://www.lexpress.fr/actualite/societe/dans-la-france-des-communautarismes-la-fin-du-vivre-
ensemble_2036572.html.
(63) https://www.youtube.com/watch ?v=kjXRaheVNCs.
(64) LINOU Stéphane, Résilience alimentaire et sécurité nationale, Hallennes-lez-Haubourdin,
TheBookEdition.com, 2019.
(65) https://www.lemonde.fr/societe/article/2019/07/11/le-cannabis-therapeutique-pourra-etre-
experimente-en-france_5488083_3224.html.
(66) http://www.georisques.gouv.fr/articles/le-document-dinformation-communal-sur-les-risques-
majeurs-dicrim.
17. L’histoire de l’évolution le montre : l’entraide est la seule réponse viable à l’effondrement
(76) Voir LECOMTE Jacques, La Bonté humaine, Paris, Odile Jacob, 2012, et SOLNIT Rebecca, A
Paradise Built in Hell, Londres, Penguin Books, 2010.
(77) Voir CYRULNIK Boris, OUGHOURLIAN Jean-Michel, BUSTANY Pierre, ANDRÉ
Christophe, JANSSEN Thierry, Votre cerveau n’a pas fini de vous étonner, Paris, Albin Michel, 2003.
(78) FRESSOZ Jean-Baptiste, BONNEUIL Christophe, L’Événement Anthropocène, Paris, Le Seuil,
2013.
(79) Voir CHAPELLE Gauthier, DECOUST Michèle, Le Vivant comme modèle, Albin Michel,
2015.
(80) WOHLLEBEN Peter, ou la vidéo TED de SIMARD Suzanne, une des grandes découvreuses de
ce mutualisme. https://www.ted.com/talks/suzanne_simard_how_trees_talk_to_each_other ?
language=en.
(81) DAVENPORT Coral, « Climate change poses major risks to financial markets, regulator
warns », New York Times, 11 juin 2019, https://www.nytimes.com/2019/06/11/climate/climate-
financial-market-risk.html.
(82) CARNEY Mark, « Breaking the tragedy of the horizon – climate change and financial
stability », Speech by Mr Mark Carney, Governor of the Bank of England and Chairman of the
Financial Stability Board, at Lloyd’s of London, Londres, 29 septembre 2015,
https://www.bis.org/review/r151009a.pdf.
(83) Traub Lieberman Straus & Shrewsberry LLP, Aspen RE, « Climate change and insurance
implications », White Paper, 17 juin 2019, https://www.jdsupra.com/legalnews/climate-change-and-
the-re-insurance-99028/.
(84) Traub Lieberman, op. cit.
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(85) AGLIETTA Michel, ESPAGNE Étienne, « Climate and finance systemic risks, more than an
analogy ? The climate fragility hypothesis », Working Paper, CEPII, avril 2016,
http://www.cepii.fr/PDF_PUB/wp/2016/wp2016-10.pdf.
(86) DAVISON Matt et al., « Are counterparty arrangements in reinsurance a threat to financial
stability ? », Bank of Canada, Staff Working Paper 2016-39, août 2016,
https://www.bankofcanada.ca/wp-content/uploads/2016/08/swp2016-39.pdf.
(87) BATTISTON Stefano et al., « A climate stress-test of the financial system », Nature Climate
Change, vol. 7, pp. 283-288, 27 mars 2017.
(88) DE LA VEGA Xavier, « La finance peine à se décarboner », Alternatives économiques, hors-
o er
série n 114, 1 février 2018.
(89) CAILLÉ Alain, CHANIAL Philippe, DUFOIX Stéphane, VANDENBERGHE Frédéric (dir.),
Des sciences sociales à la science sociale. Sur des fondements anti-utilitaristes, Lormond, Le Bord de
l’eau, 2018.
(90) AMSELLE Jean-Loup, Rétrovolutions. Essai sur les primitivismes contemporains, Paris, Stock,
2010.
(91) WILSON Edward O., The Social Conquest of Earth, New York, Liveright Publishing
Corporation, 2012, traduit de l’anglais (américain) par Marie-France Desjeux, La Conquête sociale de
la Terre, Paris, Flammarion, 2013.
(92) SERVIGNE Pablo, CHAPELLE Gauthier, L’Entraide, l’autre loi de la jungle, Paris, Les Liens
qui libèrent, 2017.
(93) Collectif, Manifeste convivialiste, à lire sur http://www.lesconvivialistes.org/.
(94) DARWIN Charles, La Filiation de l’homme et la sélection liée au sexe [1871], Genève,
Slatkine, 2012.
(95) COCHET Yves, « De la fin d’un monde à la renaissance en 2050 », Libération, 23 août 2017 ;
blog de Guy McPherson : « Collapse of industrial Civilization ».
(96) SERVIGNE Pablo, STEVENS Raphaël, CHAPELLE Gauthier, Une autre fin du monde est
possible. Vivre l’effondrement (et pas seulement y survivre), Paris, Le Seuil, 2018.
(97) MAUSS Marcel, « Essai sur le don. Forme et raison de l’échange dans les sociétés archaïques »,
L’Année sociologique, 1923-1924.
(98) www.lesconvivialistes.org.
Troisième partie.
D’autres perspectives
(99) ALLEN Steven et al., « Atmospheric transport and deposition of microplastics in a remote
mountain catchment », Nature Geoscience, 12, 15 avril 2019, pp. 339-344, doi.org/10.1038/s41561-
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019-0335-5.
(100) UNEP, Global Resources Outlook 2019. Natural resources for the future we want, 2019 ;
World Bank, The Growing Role of Minerals and Metals for a Low Carbon Future, 2017 ; OECD,
Global Material Resources Outlook to 2060. Economic drivers and environmental consequences, 2018.
(101) Traduction française : Halte à la croissance ?, Paris, Fayard, 1972.
(102) FULLER Buckminster, Nine chains to the moon, Lippincot, 1938.
(103) Paul Romer, Prix Nobel d’économie 2018 avec William Nordhaus : « À aucun horizon
concevable – je dirais jusqu’à peu près 5 milliards d’années, quand le Soleil explosera – nous ne serons
à court de nouvelles découvertes [donc de croissance] ».
(104) ASIMOV Isaac, Fondation, 1951, Paris, Hachette/Gallimard, 1957.
(105) BIHOUIX Philippe, L’Âge des low tech, Paris, Le Seuil, 2014.
(106) SEMPRUN Jaime, Andromaque, je pense à vous, Paris, Éditions de l’Encyclopédie des
nuisances, 2011, p. 17.
(107) PAULY Daniel, « Anecdotes and the shifting baseline syndrome of fisheries », Trends in
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Ecology and Evolution, vol. 10, n 10, octobre 1995.
(108) HENRY Amanda G. et al., « Plant foods and the dietary ecology of Neanderthals and early
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modern humans », Journal of Human Evolution, n 69, 2014, pp. 44-54 ; POWER Robert C. et al.,
« Dental calculus indicates widespread plant use within the stable Neanderthal dietary niche », Journal
o
of Human Evolution, n 119, 2018, pp. 27-41.
(109) https://www.ipcc.ch/report/srocc/.
(110) https://www.nationalgeographic.fr/planete-ou-plastique/boyan-slat-dici-2050-nous-aurons-
elimine-la-pollution-plastique-des-oceans.
(111) http://www.nature.com/articles/doi : 10.1038/s41559-016-0051.
(112) https://science.sciencemag.org/content/361/6409/1373/tab-e-letters.
(113) Voir note X p. 162X. http://www.fao.org/3/a-i5555f.pdf.
(114) http://www.fao.org/3/a-i5555f.pdf.
(115) https://www.quechoisir.org/action-ufc-que-choisir-enquete-sur-la-peche-durable-la-grande-
distribution-reste-en-rade-n62022/.
(116) http://www.fao.org/3/T4890E/T4890E00.htm.
(117) https://conbio.onlinelibrary.wiley.com/doi/abs/10.1111/j.1523-1739.2006.00338.x.
(118) http://www.stateoftheocean.org/science/current-work/
(119) BROWN Culum, « Fish intelligence, sentience and ethics », Animal Cognition, 17 juin 2014.
(120) IRVINE Peter et al., « Halving warming with idealized solar geoengineering moderates key
climate hazards », Nature Climate Change, vol. 9, pp. 295-299, 11 mars 2019, doi.org/10.1038/s41558-
019-0398-8.
(121) Voir par exemple ALEXANDRE Laurent, « Amazon et les 1 000 milliards d’astronautes »,
L’Express, 28 février 2018, p. 10. En ligne : https://lexpansion.lexpress.fr/high-tech/a-la-conquete-du-
cosmos-avec-les-transhumanistes_1988616.html, consulté le 15 juillet 2019.
(122) Voir en particulier HUXLEY Julian, New Bottles For New Wine, Londres, Chatto & Windus,
1957, http://archive.org/details/NewBottlesForNewWine, consulté le 18 juillet 2019.
(123) Voir en particulier FM-2030 (Fereidoun M. Esfandiary), Are You a Transhuman ? Monitoring
and Stimulating Your Personal Rate of Growth in a Rapidly Changing World, New York (NY), Warner
Books, 1989.
(124) https://transhumanistes.com, consulté le 20 juillet 2019.
(125) Voir notamment KURZWEIL Ray, Humanité 2.0. La bible du changement, trad. Adeline
Mesmin, Paris, M21 Éditions, 2007.
(126) « Transhumanist Declaration », H+Pedia, 9 mars 2019,
http://hpluspedia.org/wiki/Transhumanist_Declaration, consulté le 19 juillet 2019.
(127) Pour une introduction à ce champ, voir BONNEUIL Christophe, JOLY Pierre-Benoît,
Sciences, techniques et société, Paris, La Découverte, 2013.
(128) AUDÉTAT Marc, BARAZZETTI Gaïa, DORTHE Gabriel, JOSEPH Claude, KAUFMANN
Alain, VINCK Dominique (dir.), Sciences et technologies émergentes. Pourquoi tant de promesses ?,
Paris, Hermann, 2015.
(129) LIAO Matthew S., SANDBERG Anders, ROACHE Rebecca, « Human engineering and
climate change », Ethics, Policy & Environment, 15 (2), 2012, pp. 206-221, DOI :
10.1080/21550085.2012.685574.
(130) Association française transhumaniste Technoprog, « Les valeurs du transhumanisme techno-
progressiste », https://transhumanistes.com/presentation/valeurs, consulté le 21 juillet 2019.
(131) MARCHAND Laure, « Fin du monde : Sirince est assailli par les touristes », Le Figaro,
19 décembre 2012.
(132) JENKINS John Major, Tzolkin : Visionary Perspectives and Calendar Studies, Garberville,
Borderland Sciences Research Foundation, 1994.
(133) « Vers la fin du monde ? », enquête Ipsos Global @dvisor de mai 2012.
(134) COHN Norman, Les Fanatiques de l’Apocalypse. Courants millénaristes révolutionnaires du
e e e
XI au XVI siècle avec une postface sur le XX siècle [1957], Paris, Julliard, 1962.
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o
(135) JEWETT Robert, « Coming to terms with the doom boom » in Quarterly Review, vol. 4, n 3,
1984.
(136) COHN Norman, op. cit.
(137) NIDLE Sheldan, Your Galactic Neighboors, Pukalani, Blue Lodge Press, 2005.
(138) VIDAL Bertrand, Survivalisme. Êtes-vous prêts pour la fin du monde ?, Paris, Arkhê, 2018.
(139) MITCHELL Richard G., Jr, Dancing at Armageddon, Chicago, University of Chicago Press,
2002.
(140) Érigeant la fable de La Cigale et la Fourmi en modèle, les survivalistes se nomment entre eux
« les fourmis ». Notons que le Réseau des survivalistes francophones sur Facebook et l’American
Network To Prepare (ANTS) partagent cette même imagerie.
(141) http://survivreauchaos.blogspot.fr/2016/09/quelques-veritespropos-de-la-fin-du-monde.html –
n’est plus en ligne au 11 août 2019.
(142) « Entretien avec Piero San Giorgio : Survivre à l’effondrement économique », Rébellion,
o
n 52, avril 2012.
(143) COHN Norman, op. cit.
(144) Période de souffrance marquant la fin des temps, prophétisée dans les Évangiles par Jésus la
veille de sa mort.
(152) MORIN Edgar, L’Homme et la Mort, Éditions Corrêa, 1948, rééd. Paris, Le Seuil, « Points »,
1976.
(153) ARIÈS Philippe, Essai sur l’histoire de la mort en Occident, Paris, Le Seuil, 1975.
(154) VAN EERSEL Patrice, La Source noire, Paris, Grasset, 1986 ; et Réapprivoiser la mort, Paris,
Albin Michel, 1996.
(155) KÜBLER-ROSS Elisabeth, On Death and Dying, 1969 ; Les Derniers Instants de la vie, trad.
Cosette Jubert, Genève, Labor et Fides, 1975.
(156) Voir notamment dans Réapprivoiser la mort, op. cit., le chapitre sur La Maison de Gardanne,
lieu de soins palliatifs exemplaire.
(157) FAURÉ Christophe, Vivre le deuil au jour le jour, Paris, Albin Michel, 2012.
(158) Jusqu’à la mort accompagner la vie : http://www.jalmalv-federation.fr.
(159) EKR France : http://ekr.france.free.fr/.