Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Virgínia de Almeida Bessa
Traducteur : Marjorie Yerushalmi
Édition électronique
URL : https://journals.openedition.org/bresils/13938
ISSN : 2425-231X
Éditeur
Editions de la maison des sciences de l'homme
Édition imprimée
ISBN : 978-2-7351-2065-9
ISSN : 2257-0543
Ce document vous est offert par École des hautes études en sciences sociales (EHESS)
Référence électronique
Virgínia de Almeida Bessa, « « Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’industrie de
l’opérette entre l’Italie et l’Amérique du Sud », Brésil(s) [En ligne], 22 | 2022, mis en ligne le 30 novembre
2022, consulté le 08 décembre 2022. URL : http://journals.openedition.org/bresils/13938
Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International
- CC BY-NC-ND 4.0
https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 1
Virgínia de Almeida Bessa
Traduction : Marjorie Yerushalmi
NOTE DE L’ÉDITEUR
Article reçu pour publication en novembre 2020 ; approuvé en mars 2021.
Je remercie la Fundação de Amparo à Pesquisa do Estado de São Paulo (Fapesp) pour la bourse
octroyée pour la réalisation de la présente recherche menée auprès du laboratoire Mondes
Américains – EHESS/CNRS (dossier Fapesp n° 2018/26001-7).
1 Ma rencontre avec Clara Weiss s’est faite en trois temps. Le premier entre 2007 et 2009,
au moment où j’ai examiné, de façon systématique, la presse quotidienne de São Paulo
pour recueillir des informations sur les représentations de théâtre musical réalisées
dans cette ville entre 1914 et 19342. À l’époque, j’avais été surprise par les références
répétées à la Compagnie italienne d’opérettes Clara Weiss. Weiss s’était produite avec
sa troupe à São Paulo presque chaque année entre 1919 et 1931, toujours avec un grand
succès selon les chroniqueurs d’alors. Fait intéressant, je n’ai presque rien trouvé dans
cette même presse me permettant de mieux connaître l’artiste et ses compagnons.
Quelle était l’origine de Clara Weiss ? Comment était-elle entrée dans le monde de
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 2
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 3
défilé des nouvelles recrues – tous des noms chers et bien connus dans l’art – [Gina]
Vidach, [Guido] Agnoletti, Olimpo Gargano, [Roberto] Braconny ; on met la pression
sur les chefs d’orchestre, scénographes, peintres, journalistes, écrivains, tout ce
monde varié et multiple qui vit de la scène ou des coulisses. [...] L’admirable
régisseuse6 reçoit, discute, congédie, mène à bien, avec une grâce toute féminine,
l’activité propre au sexe fort, et règle le tout avec l’à-propos, la fermeté et le
tranchant d’un homme d’affaires américain. Italienne dans l’art et américaine dans
les affaires, et elle a raison7.
5 Dans cet article je me propose de tracer une première esquisse de la trajectoire
artistique de Clara Weiss et de sa compagnie, afin de comprendre leur rôle dans la
construction d’une circulation de l’opérette entre l’Italie et l’Amérique du Sud. Je
montrerai ensuite certaines des vicissitudes rencontrées par une artiste de théâtre et
femme d’affaires dans un univers encore fortement dominé par les hommes. Ce faisant,
outre les informations recueillies dans des périodiques brésiliens et italiens, conservés
dans des hémérothèques physiques et numérique8, j’explorerai également la
documentation rassemblée dans l’Archivio Centrale di Stato 9 et dans l’Archivio Storico-
Diplomatico10, tous deux situés à Rome. Des documents compilés dans des fonds
numérisés seront également signalés, notamment les listes des passagers des navires
étrangers transitant par les ports de Santos et de Rio de Janeiro 11, ainsi que les actes
d’état civil d’immigrés provenant de divers fichiers et rassemblés sur une plateforme
en ligne12. Contrairement au théâtre dramatique et à l’opéra, qui disposent de fonds et
de rubriques spécifiques dans les archives italiennes, l’opérette n’a pas bénéficié de
subventions publiques ou de politiques de conservation, en Italie comme au Brésil. D’où
une documentation lacunaire et clairsemée, nécessitant de la part du chercheur une
certaine sensibilité pour écouter le silence des sources et un effort systématique pour
croiser des informations d’origine variée.
« Petite, menue, mais infiniment populaire » : le début
de la trajectoire de Clara Weiss
6 Née dans la ville toscane de Tavarnelle, près de Florence, le 5 août 1891 13, l’artiste fut
baptisée Clara Checcucci. Elle adopta le patronyme artistique de Weiss, sans doute
inspirée par la mode des opérettes viennoises. Selon les informations assez floues de la
presse brésilienne, publiées de nombreuses années après que l’artiste eut quitté la
scène et se soit installée à São Paulo, Clara Weiss serait issue d’une « famille
traditionnelle de musiciens14 ». Elle aurait étudié le chant lyrique à Florence pendant
six ans et chanté douze opéras avant d’entrer dans le monde de l’opérette 15.
7 Sorte de cousine pauvre du genre lyrique, l’opérette gardait une certaine proximité
avec l’opéra, renforcée par le va-et-vient constant des artistes entre les deux genres. Il
n’était pas rare que des compositeurs d’opéras de renom s’aventurent sur la « piccola
lirica », comme ce fut le cas de Ruggero Leoncavallo, Pietro Mascagni et Amilcare
Ponchielli (Fiorentino 2006). Avec sa nature légère, remplie de valses et d’airs à la
mélodie facile, l’opérette, ainsi que d’autres genres dramatiques musicaux légers, se
caractérisait par l’alternance de passages parlés et chantés – alors que l’opéra était
entièrement chanté. Elle se distinguait aussi par sa facette cosmopolite, adaptée à un
public urbain et transnational, formé dans le contexte des colonisations et des
migrations européennes du XIXe siècle (Becker 2017).
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 4
8 Weiss s’est faite connaître dans le monde de l’opérette italienne en 1912, lorsqu’elle a
rejoint la célèbre compagnie Città di Milano. À cette occasion, elle fut présentée par la
presse spécialisée de son pays comme « une soprano exquise, à la technique parfaite et
à la silhouette gracieuse16 ». Créée en 1906 par Suvini Zerboni, propriétaire du théâtre
Fossati de Milan et l’un des principaux éditeurs de musique italiens (Sanguinetti 1972,
204), Città di Milano fut, pendant huit ans environ, l’une des principales compagnies
d’opérettes d’Italie, se produisant dans différentes villes de la péninsule et à l’étranger.
Elle n’interrompit ses activités qu’en raison de la Grande Guerre. En 1913, la compagnie
passa sous le contrôle de l’entreprise La Teatral, fondée des années auparavant par
l’homme d’affaires italien Walter Mocchi, à l’époque l’un des principaux responsables
des relations musicales entre l’Italie et l’Amérique du Sud. Il était fréquemment associé
à l’opéra pour avoir participé à la création d’un trust théâtral destiné à exploiter le
marché de cet art outre-Atlantique et organisé d’innombrables saisons lyriques pour le
Teatro Colón de Buenos Aires et les théâtres municipaux de São Paulo, Rio de Janeiro et
Santiago du Chili (Paoletti 2015). Cependant Mocchi avait également joué un rôle
important dans l’exportation de l’opérette italienne. Avant de prendre le contrôle de
Città di Milano, son entreprise La Teatral avait déjà organisé la tournée sud-américaine
de la non moins célèbre compagnie d’opérettes dirigée par Giulio Marchetti, l’un des
directeurs de troupe les plus connus d’Italie, qui passa presque trois ans en tournée
dans toute l’Amérique du Sud.
9 C’est en tant que soprano de la compagnie Città di Milano, dirigée par Mocchi, que
Clara Weiss partit pour la première fois outre-Atlantique. La compagnie fit ses débuts à
Buenos Aires en février 1913. Elle y resta jusqu’en juin avant de se rendre à Santa Fé,
Montevideo, Rio de Janeiro et São Paulo. Elle ne rentra en Italie qu’en septembre. Clara
Weiss joua encore avec la même compagnie au Costanzi de Rome et au Fossati de Milan
avant de repartir, seule, en Amérique du Sud en décembre 1913. Selon la presse
italienne de l’époque, l’artiste aurait trouvé « son destin conjugal » sur le continent 17.
Aurait-elle épousé un Sud-Américain rencontré en tournée ? Si tel avait été le cas, cela
aurait été de manière informelle car, dans les documents officiels qui font référence à
Weiss à cette époque – y compris les listes de passagers des navires transatlantiques –,
elle apparaît comme célibataire. Ce qui est certain, c’est qu’en septembre 1914, dans la
ville de Buenos Aires, elle devint la soprano principale d’une troupe d’opérette
nouvellement montée par Pietro Maresca, un baryton italien qui s’était installé en
Amérique du Sud après avoir parcouru le continent au début du siècle avec l’entreprise
de Rafaelle Tomba18. Le directeur de la compagnie était le chef d’orchestre et
compositeur italien Paolo Lanzini, installé dans le sud du Brésil depuis la fin du XIX e
siècle19. Ainsi s’était constituée ce que l’on peut appeler une troupe italo-sud-
américaine, composée d’artistes européens basés dans le Nouveau Monde, chose très
courante entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle.
10 Rebaptisée Maresca-Weiss, la troupe fit une longue tournée dans tout le Brésil en 1916.
Elle se produisit dans des théâtres de São Paulo, Rio de Janeiro, Santos, ainsi que dans
les villes de l’intérieur pauliste (Campinas, Araraquara, Ribeirão Preto, Limeira,
Piracicaba, Itu, etc.). La distribution de la compagnie comprenait, entre autres artistes,
la soprano Emma Maresca, épouse de l’homme d’affaires Pietro, et le ténor italo-
argentin Emilio Amoroso qui, des années plus tard, occupa le poste d’administrateur de
la future Compagnie Clara Weiss.
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 5
11 Après presque un an de tournée à travers le Brésil, la compagnie Maresca-Weiss fut
dissoute et la soubrette20 rentra à Buenos Aires au début de 1917. Dans la capitale
argentine, Weiss entra dans une compagnie lyrique italo-argentine dirigée par Antonio
Marranti21 et participa aux productions de « La Traviata » et de « La Bohème » (Dillon &
Sala 1997, 164), ce qui témoigne de sa formation lyrique et de la porosité entre le
monde de l’opéra et celui de l’opérette. Toujours en 1917, elle créa l’éphémère
Compagnie Clara Weiss, qui, bien qu’elle porte son nom, continua d’être dirigée par
Maresca22. Toujours à Buenos Aires, elle fut engagée par des compagnies italiennes en
tournée en Argentine, comme la Scognamiglio Caramba et la Caracciolo (Dillon & Sala
1999, 203). Elle partit en tournée avec cette dernière lors de la seconde moitié de 1918 à
Montevideo et au Brésil, cette fois dans les villes du sud (Porto Alegre, Pelotas),
rejointes par voie fluviale.
12 Ses débuts en tant que capocomica indépendante n’eurent lieu que l’année suivante,
lorsqu’elle créa sa propre compagnie, sans aucune ingérence ni d’un partenaire, ni d’un
entrepreneur. Composée d’artistes italiens établis en Amérique du Sud, la troupe fut
engagée à Buenos Aires, en mars 1919, par l’homme d’affaires brésilien José Gonçalves
pour occuper le théâtre Boa Vista à São Paulo, mais elle continua à circuler dans
plusieurs villes du Brésil, pour une longue tournée de près de deux ans.
13 Bien que dirigée par une femme, la troupe continuait d’accorder une certaine
supériorité aux figures masculines, non sans problèmes. Certains se comportaient
parfois violemment, notamment vis-à-vis des choristes dont l’activité professionnelle
était associée, à l’époque, à la prostitution. Cette image est étayée par un article publié
dans la presse locale en 1919, selon lequel « dans une joyeuse pension » (euphémisme
pour maison de passes) de la ville de Campinas, où Clara Weiss était en tournée, une
choriste de sa compagnie fut « sauvagement battue par E. Amoroso 23 », administrateur
de la troupe. Bien que la victime ait porté plainte auprès de la police, la presse ne
rapporta pas la suite de l’affaire, ce qui laisse à penser que l’épisode n’avait pas suscité
la curiosité des lecteurs, peut-être parce que la pratique était jugée acceptable.
14 Au même moment, il était possible de lire dans les journaux que Weiss et Amoroso
formaient « un couple charmant ». Et d’ajouter : « Dommage qu’il soit si grand et
qu’elle soit haute comme trois pommes24 ! » Les références facétieuses à la petite taille
de l’artiste étaient constantes dans la presse de l’époque, tant au Brésil qu’en Italie 25,
son aspect menu faisant contraste avec la puissance de sa voix, comme si les
caractéristiques physiques et les qualités artistiques ne s’accordaient pas 26. Il est
possible que le mot couple, utilisé par le journaliste, fasse référence au seul partenariat
artistique de nos deux protagonistes. En tout état de cause, les liens entre la capocomica
et le ténor étaient assez étroits, au point que Weiss accorda à Amoroso un « mandat
général » lui octroyant « d’amples pouvoirs, notamment pour administrer et disposer
des biens de la requérante, les grever, contracter des obligations, recevoir et donner
des décharges27 ». Obtenue à Milan en 1922, époque où Clara Weiss séjourna en Italie
pendant environ un an, cette procuration fut annulée suite à une requête rédigée à São
Paulo, le 5 juin 1929, la capocomica alléguant qu’il n’y avait plus « de raison pour que ce
mandat reste en vigueur28 ». Le texte désigne l’artiste comme « Checucci Clara,
italienne sui juris29 » – c’est-à-dire jouissant de tous ses droits, exempte de toute tutelle
et donc apte à décider par elle-même et à gérer ses propres affaires – une condition
refusée aux femmes mariées qui, selon le code civil brésilien de l’époque, étaient
légalement subordonnées à leurs maris.
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 6
15 Le fait est que l’artiste ne s’est jamais mariée, comme l’indique son acte de décès dans
lequel elle figure comme célibataire. Le déclarant en fut Nello Brinatti, entrepreneur de
théâtre avec lequel l’artiste avait vécu pendant plusieurs années sans jamais officialiser
leur liaison. Sa position de capocomica était due, dans une certaine mesure, au refus de
se marier. Notons que de nombreuses vedettes de l’opérette de l’époque avaient
abandonné leur carrière artistique après s’être mariées. Ce fut le cas de Lea Candini,
une Italienne qui, dans les années 1920 et 1930, partageait le marché de l’opérette sud-
américain avec Clara Weiss. En 1947, elle « troqua ses activités professionnelles pour les
joies du mariage », et finit deux ans plus tard par « signer Lea Frúgoli, pour raisons
maritales30 ». Ce passage avait également marqué la trajectoire d’importantes
chanteuses d’opérettes en Italie, comme Nella Regini, qui renonça à la célébrité après
avoir épousé un industriel (Massimini 1984, 277-278), et Inês Lidelba (1863-1961),
actrice, chanteuse et capocomica qui quitta la scène quelques années avant d’épouser le
comte Giovanni Esengrini de Milan (Paganelli 2011, 99-100). Selon Laura Mariani,
pionnière des études de genre dans le domaine du théâtre en Italie, la crise du teatro
capocomicale italien – qui après la Première Guerre mondiale commence à céder la place
au teatro di regia [théâtre de metteur-en-scène] – a particulièrement touché les femmes,
surtout après l’ascension de Mussolini, en 1922, alors que « l’exaltation fasciste de la
ménagère-épouse-mère » s’opposait à l’incongruité de la condition féminine dans la
microsociété théâtrale. Beaucoup d’entre elles abandonnèrent le capocomicato car s’il
était possible, voire souhaitable, que des femmes « différentes des autres » s’affichent
dans des spectacles, « il était inacceptable qu’elles soient effectivement aux
commandes » (Mariani 2019, 204). Dans ce contexte, les femmes engagées dans ces
responsabilités pouvaient imaginer avoir plus de possibilités outre-Atlantique, où
l’absence de liens familiaux et l’origine étrangère atténuaient (ou reconfiguraient) les
contraintes de genre. Rappelons que Clara Weiss était arrivée en Amérique du Sud dans
des conditions très différentes de celles des autres migrantes, pour la plupart pauvres,
quasi-analphabètes, venant des zones rurales et accompagnées de leurs parents ou de
leur mari (Bassanezi 2012).
16 Revenons à la compagnie créée par l’artiste en 1919. S’affirmant comme une femme
d’affaires à succès, Weiss fut à la tête de la troupe de manière pratiquement
ininterrompue jusqu’en 1931, parcourant le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay, sans
toutefois couper les ponts avec l’Italie. Au cours de ces douze années, les
recompositions de la distribution, du répertoire et du public de la compagnie illustrent
les changements qui s’opéraient sur le marché de l’opérette en Amérique du Sud, tant
dans sa relation avec la communauté immigrée installée sur le continent qu’avec le
monde théâtral italien, en particulier après la montée du fascisme. Durant cette
période, quatre étapes peuvent être distinguées. La première, entre 1919 et 1921, est
marquée par la conquête du marché théâtral brésilien, en nette expansion, et par
l’établissement de liens avec la communauté immigrée au Brésil. Dans la phase suivante
(1923-1925), Weiss reprend contact avec l’Italie d’où elle fait venir périodiquement de
nouveaux artistes, et où elle puise pour le renouvellement de son répertoire. Elle
effectue également des tournées en Argentine et en Uruguay. Entre 1926 et 1928, elle
réalise son coup le plus audacieux, emmenant en Amérique du Sud des chanteurs de
premier plan du monde de l’opérette, comme le ténor Guido Agnoletti et la soprano
Gina Vidach, recrutés en Italie. Enfin, à partir de 1929, la compagnie s’appuie à nouveau
presque exclusivement sur des artistes italiens déjà installés en Amérique du Sud. Dans
cette dernière phase, elle cesse d’apparaître sur les affiches des grands théâtres de São
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 7
Paulo et de Rio de Janeiro – pendant plus d’une décennie, elle y avait été accueillie non
seulement par le public immigré mais aussi par la classe moyenne nationale – et
commence à occuper les théâtres plus modestes d’autres États brésiliens, notamment
dans le sud où prédomine le public immigré, signe avant-coureur du déclin de
l’opérette durant les années 1930.
Périple brésilien
17 Le succès de la tournée brésilienne de la Compagnie italienne d’opérettes Clara Weiss
est lié à deux phénomènes parallèles. D’une part, le développement du marché théâtral
brésilien, avec la prolifération de salles de spectacle non seulement à Rio de Janeiro et à
São Paulo mais aussi, dans une moindre mesure, dans les capitales d’autres États du
Brésil et dans les villes de l’intérieur. Si une « société du spectacle » – pour reprendre
l’expression de Christophe Charle (2008) – avait déjà commencé à prendre forme dans
la capitale dès la seconde moitié du XIXe siècle (Rozeaux 2014), dans la ville de São
Paulo elle ne se structura que dans la première décennie du XX e siècle, avec la
formation d’un véritable système théâtral31. Il était complété par un ensemble de salles
à l’intérieur de l’État de São Paulo, formant un réseau interconnecté par la vaste grille
ferroviaire de cet État. Très utilisés par les mambembes32 qui circulaient de ville en ville,
les trains de la Companhia Paulista de Estradas de Ferro, de la Mogiana et de l’Estrada
de Ferro Araraquara reliaient la capitale pauliste à Santos, Campinas, Ribeirão Preto,
Rio Claro, Mococa, Piracicaba, Araraquara, etc. C’était également par le train que les
compagnies théâtrales atteignaient les États du Paraná, de Santa Catarina, de Rio
Grande do Sul et de Minas Gerais, tandis que Rio de Janeiro et le Nordeste étaient
accessibles par voie maritime.
18 Ces salles étaient gérées par des entreprises théâtrales très capitalisées. En faisaient
notamment partie l’Italien Pascoal Segreto, opérant principalement à Rio de Janeiro
mais avec une succursale à São Paulo, José Gonçalves qui atteint une certaine
importance dans la capitale de l’État de São Paulo entre les années 1910 et 1920, ou
encore José Loureiro, l’un des principaux hommes d’affaires actifs au Brésil. Ce dernier,
Portugais de naissance, entretenant de solides relations d’affaires avec son pays natal –
il était l’un des principaux organisateurs des tournées des troupes de revue portugaises
au Brésil –, contrôlait des théâtres de São Paulo (Cassino, Santana), de Rio de Janeiro
(Lírico, Palace Theatre, República), de Porto Alegre (São Pedro), de Salvador (Politeama)
et de Recife (Santa Isabel et Teatro do Parque).
19 Le succès de la Compagnie Clara Weiss était par ailleurs dû à l’évolution du mouvement
italien de l’opérette qui, depuis le milieu du XIXe siècle, reposait sur les tournées de
compagnies exploitant de nombreux théâtres, salles polyvalentes et cafés-concerts qui
proliféraient dans les principales villes du pays (Sorba 2006). Au tournant du XX e siècle,
bon nombre d’entre elles entreprirent des voyages transatlantiques en visant les pays
ayant une forte émigration italienne, notamment le Brésil et l’Argentine 33. Raffaele
Tomba, Giulio Marchetti et Ettore Vitale sont quelques-uns des noms qui, entre les
années 1890 et 1910, emmenèrent très fréquemment leur troupe en Amérique du Sud.
Beaucoup de ces artistes finissaient par rester en chemin et s’installer, au début du XX e
siècle, dans des centres théâtraux tels que Buenos Aires, São Paulo ou Porto Alegre.
Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale, le nombre de chanteurs italiens décidant
rester en Amérique du Sud augmenta considérablement. Certains d’entre eux, comme
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 8
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 9
Clara Weiss et le Syndicat national des artistes de
l’opérette
22 Au milieu de l’année 1921, à São Paulo, après deux ans de tournées au Brésil, la
compagnie de Clara Weiss fut dissoute. Au début de l’année suivante, la soprano
retourna en Italie où elle n’avait plus mis les pieds depuis 1913. Célébrée par la presse
locale qui se souvenait encore de sa performance avec la Città di Milano, elle rejoint
brièvement la compagnie d’opérettes d’Ettore Vitale, avec laquelle elle se produisit à la
Fenice de Venise au début de 192236. En août de la même année, elle se rendit à Milan, la
capitale italienne du théâtre, où elle pensait pouvoir réunir les principaux artistes de sa
nouvelle « formation américaine37 » pour retourner en Amérique du Sud au début de la
saison suivante. En effet, en février 1923, elle embarquait à Gênes à destination de
Santos, emmenant dans son bagage une distribution entièrement renouvelée.
23 La deuxième tournée sud-américaine de Clara Weiss, organisée par José Loureiro,
commença le 15 mars 1923 à São Paulo et se prolongea jusqu’en juillet 1925, date à
laquelle elle retourna à nouveau en Italie pour réorganiser sa distribution. Au cours de
cette période, la capocomica non seulement parcourut les principales villes brésiliennes
(Rio de Janeiro, Santos, São Paulo, Curitiba, Porto Alegre, Belo Horizonte, Juiz de Fora),
les localités de l’intérieur de São Paulo et du Paraná, le Nordeste (Recife et Bahia), mais
fut également à l’affiche du Coliseu de Buenos Aires et de l’Urquiza de Montevideo,
dans un partenariat entre José Loureiro et l’entreprise Seguin & Crodara. Outre les
artistes, Weiss avait également rapporté d’Italie de nouvelles opérettes, souvent encore
inconnues du public sud-américain, telles que « Scugnizza » de Giuseppe Pietri et Carlo
Lombardo ou « La Danza delle libellule » de Franz Lehar et Carlo Lombardo, toutes deux
représentées à São Paulo moins d’un an après leur première en Europe.
24 Le renouvellement de la distribution et du répertoire avait été le fruit des nouveaux
réseaux mis en place par l’artiste. C’est très probablement lors de son séjour milanais
que la capocomica s’était rapprochée du Syndicat national des artistes de l’opérette
(Sindacato Nazionale fra gli artisti d’operette), une organisation d’abord formée dans la
capitale lombarde en 1919 sous le nom de Lega Artisti Operette. En octobre 1923, peu de
temps après l’ascension au pouvoir de Mussolini, la Ligue adhéra à la Corporation
nationale du théâtre, d’inspiration fasciste, et fut rebaptisée Syndicat des artistes de
l’opérette38. L’hypothèse selon laquelle Weiss se serait syndiquée lors de son séjour en
Italie est renforcée par le bulletin officiel de l’organisation, L’Argante Operettistico. Dès
son premier numéro, en octobre 1923, la publication classait la Compagnie Clara Weiss
dans la rubrique « Località (ove) si trovano i gruppi dei soci », qui comprenait une liste de
toutes les compagnies italiennes actives dans l’opérette associées au syndicat,
indiquant le théâtre et la ville dans laquelle chacune se trouvait. En outre, des
nouvelles de l’artiste étaient constamment publiées sous la rubrique « Notizie
americane » qui donnait des informations sur les spectacles, tournées et artistes de
l’opérette italienne à l’étranger.
25 Tout en assurant une médiation entre les artistes et les techniciens, d’une part, et les
entrepreneurs de théâtre et l’État, d’autre part, le syndicat revendiquait des avantages
pour les adhérents (comme la création d’une caisse d’assistance et de retraite,
l’uniformisation des contrats, l’établissement de grilles salariales, l’octroi de réductions
pour les artistes dans les chemins de fer, etc.). L’organisation faisait également office
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 10
d’agence de recrutement en annonçant la disponibilité des adhérents et négociait leurs
conditions contractuelles par le biais de son Ufficio di Collocamento [Bureau de
placement]. Ce fut sans doute avec l’aide de ce bureau que l’actrice reprit le
capocomicato et choisit une distribution avec laquelle elle retourna en Amérique du Sud
en février 1923. En effet, la plupart des artistes qui embarquèrent avec elle à Gênes à
destination de Santos (Rosana Sanmarco, Luigi Consalvo, Dante Bernardi, Angelo
Polisseni, Silvio del Gesso, Henry Sarich, etc.) figuraient parmi les adhérents du
syndicat39. On se souvient que les premières compagnies dans lesquelles Clara Weiss
avait travaillé après s’être installée en Amérique du Sud (tant la compagnie de Pietro
Maresca que la sienne propre, créée en 1919) avaient été formées, pour la plupart, par
des artistes italiens déjà établis outre-Atlantique. À partir de 1923, Weiss sut mobiliser
un grand nombre d’artistes résidant en Italie mais désireux de traverser l’océan et
d’entreprendre de longs séjours à l’étranger.
26 S’il ne fait aucun doute que l’implication de Clara Weiss dans le syndicat italien fut
fondamentale dans la réorganisation de sa compagnie, son implication idéologique ou
son engagement politique sont loin d’être certains. Dans quelle mesure son approche
du syndicat révèle-t-elle une quelconque sympathie ou un quelconque soutien au
régime fasciste ? Cette implication aurait-elle influencé les artistes italo-sud-américains
avec lesquels elle était demeurée en contact en Amérique ? L’absence de documents
relatifs au syndicat et à l’artiste elle-même ne me permet pas pour l’instant de
répondre à ces questions. Par ailleurs, certains indices me portent à croire que
l’adhésion de Weiss et d’autres artistes de l’opérette était plus pragmatique que
programmatique. Ce fut le cas d’Henri Sarich, acteur comique qui rejoint la compagnie
en 1923, lors du premier voyage de la capocomica en Italie. Doté d’une formation
dramatique, acteur de théâtre et de cinéma, il débuta dans l’opérette en 1923 quand il
fut recruté, à Milan, pour rejoindre la Compagnie Clara Weiss. Alors qu’il jouait à
Recife, au Teatro Santa Isabel, l’acteur déclara au Jornal Pequeno :
Le théâtre et le cinéma en Italie, avec les troubles politiques, sont tombés en
décadence, en termes de compensation matérielle. Il n’y avait place que pour les
pulsions fascistes... J’ai quitté le théâtre. J’ai abandonné le cinéma. Et M me Clara
Weiss est venue un jour me tirer de ma torpeur en m’offrant l’opportunité de
devenir une star comique de l’opérette. J’ai fait mes débuts, au Brésil, à São Paulo,
et quand j’ai repris mes esprits, j’étais devenu un acteur d’opérette 40.
27 La position de Sarich, ouvertement contraire aux « pulsions fascistes » qui dominaient
le milieu théâtral italien après 1922, indique que l’affiliation syndicale ne présupposait
pas l’adhésion à son orientation politique. Au terme de la deuxième tournée sud-
américaine de Clara Weiss, en 1925, l’acteur retourna pour une courte période en Italie
mais, peu après, il tenta à nouveau sa chance au Brésil où il rejoint, en 1927, la
compagnie brésilienne de revues Uó-Chin-Ton, avec Alda Garrido en vedette, lors de sa
saison à São Paulo. La même année, il entra dans la Compagnie italienne de revues
modernes, formée par des acteurs italiens établis à São Paulo. On manque
d’information sur ses allées et venues les années suivantes, mais il est probable qu’il se
soit installé en Amérique du Sud, en même temps que d’autres artistes italiens
antifascistes, comme Italo Bertini par exemple41.
28 Un autre cas exemplaire qui révèle les relations quelque peu ambiguës entre les artistes
italiens de l’opérette, le syndicat et le fascisme est celui de Lamberto Baldi.
Compositeur et chef d’orchestre, il effectua une première tournée en Amérique du Sud
en 1924, avec la Compagnie Lombardo-Caramba, dont Inês Lidelba était la vedette. Deux
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 11
ans plus tard, il fut engagé par Clara Weiss pour sa troisième tournée sud-américaine
dont il assura la direction. Quelques mois après l’arrivée de la troupe à São Paulo, le
bulletin L’Argante Operettistico publiait une note indiquant que la quasi-totalité des
artistes, menés par Dante Bernardi (un membre du syndicat), avaient adhéré, hormis
quelques-uns d’entre eux établis en Amérique du Sud de façon permanente. En
revanche, le journal s’indignait de l’attitude du maestro Ernesto Mogavero, du choriste
Foggia et du maestro Baldi rappelant à ce dernier qu’il avait oublié que, s’il avait été
premier maestro avec Lideblba, c’était au syndicat qu’il le devait, et que s’il était en
tournée avec Weiss, il devait le mettre au crédit de « l’entregent » de l’association
corporatiste. Et d’ajouter : « S’ils devaient un jour revenir en Italie, ces chers amis
déambuleraient quelques mois durant dans la Galerie de Milan 42. » Quant aux artistes
italiens basés en Amérique du Sud, le périodique faisait observer que « rester en dehors
de l’organisation » n’était pas dans leur intérêt car « très bientôt, le marché sud-
américain serait lui aussi entre nos mains et alors soit [ces artistes] seraient de notre
côté, soit ils iraient ailleurs traîner leurs guêtres43 ».
29 En 1926, craignant peut-être que la promesse du syndicat ne se réalise, ou trouvant tout
simplement un climat plus favorable au développement de ses activités à São Paulo,
Baldi quitta la compagnie mais ne retourna pas en Italie. Il préféra s’installer dans la
capitale pauliste. Il y enseigna au Conservatoire dramatique et musical et assura la
direction de la Société des concerts symphoniques. Le musicien italien, proche de
l’écrivain et musicologue Mário de Andrade, exerça une certaine influence sur ce
dernier. Baldi accepta même d’enseigner, à sa demande, l’harmonie, le contrepoint,
l’orchestration et la direction d’orchestre à un élève du poète, Camargo Guarnieri,
précurseur dans le domaine de la composition et du nationalisme musical andradien.
Fin 1931, après une série de polémiques impliquant l’orchestre de la Société des
concerts symphoniques44, Baldi émigra à Montevideo où il prit la direction de
l’orchestre symphonique du Service Officiel de Diffusion Radio Électrique. Il y resta
jusqu’à la fin de sa vie. Le séjour du musicien à São Paulo, son refus d’adhérer au
syndicat officiel fasciste et sa proximité avec le projet musical nationaliste de Mário de
Andrade éclairent d’un jour différent l’identité de la Compagnie Clara Weiss. Avec son
réseau de professionnels italo-sud-américains et ses liens solides avec le monde
syndical péninsulaire elle alla bien au-delà du simple univers de l’opérette.
« Un Lombardo en jupons »
30 Lors de son deuxième voyage d’affaires en Italie, entre août 1925 et mars 1926, Clara
Weiss fit l’objet de nombreux commentaires dans la presse des deux côtés de
l’Atlantique, tous faisant référence à ses qualités d’entrepreneur. La comparaison faite
par le périodique Messagero dell’Opereta, cité au début de cet article, entre la capocomica
et Carlo Lombardo – qui, en plus d’être compositeur, librettiste et entrepreneur de
théâtre, était aussi éditeur, détenteur des droits d’auteur d’opérettes italiennes et
européennes, et exerçait un véritable monopole sur le monde de l’opérette en Italie –
révélait la position de pouvoir attribuée à Weiss. Le périodique soulignait également sa
condition de femme (un Lombardo « en jupons »), établissant une asymétrie entre les
deux éléments comparés.
31 Le bulletin L’Argante Operettistico félicita l’artiste pour son retour au pays et souligna
l’intention qui était la sienne d’acheter une voiture « pour que son séjour en Italie passe
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 12
plus vite ». Le journaliste ajouta : « C’est un signe évident que la tournée précédente lui
a été très profitable45. » L’accent mis sur la voiture (« de luxe, cela va sans dire 46 »)
qu’elle fit embarquer avec elle à Gênes en retournant au Brésil, indique non seulement
sa réussite financière mais aussi sa liberté, son indépendance, voire une certaine
masculinité associée à l’automobile (fig. n° 1).
Figure n° 1 – Photographie de Clara Weiss dans sa Fiat paru dans un article de la presse argentine
à l’occasion de la saison de l’artiste à Buenos Aires.
32 Malgré cette reconnaissance artistique et financière, Weiss n’était pas à l’abri d’ennuis
politiques. Peu après son arrivée à Milan, la Commission disciplinaire du capocomicato,
organe délibérant composé de différentes associations (auteurs, capocomici, prestataires
de services) et faisant partie de la Corporation nationale du théâtre, rejeta la demande
qu’elle avait formulée pour monter une compagnie qui effectuerait des tournées en
Amérique du Sud. Le prétexte fut que « Mme Clara Weiss [devait] tout d’abord prouver
qu’elle n’[avait] aucun paiement en souffrance auprès de la Société italienne des
auteurs concernant sa compagnie américaine précédente47. » Ce refus laisse entrevoir
des litiges relatifs au paiement des droits par les petites compagnies italiennes en
tournée en Amérique du Sud qui n’allaient pas de soi depuis un pays étranger.
33 Dans sa réponse, la Commission disciplinaire ajouta que « conformément aux
dispositions en vigueur au Commissariat pour l’émigration, elle [Clara Weiss] doit
déposer la valeur du voyage de retour de tous les artistes qu’elle entend emmener en
Amérique48 ». Lesdites dispositions, établies en 1924 d’un commun accord entre les
ministères de l’Instruction publique et des Affaires étrangères, prévoyaient que les
entrepreneurs désireux d’emmener des distributions italiennes en tournée à l’étranger
devaient, d’une part, verser une caution pour garantir le paiement des artistes et,
d’autre part, fournir la preuve d’achat de tous leurs billets aller et retour, sous peine de
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 13
se voir refuser le visa de sortie49. Cette mesure avait été prise après que le ministère des
Affaires étrangères eut été informé, à plusieurs reprises, que « des compagnies qui
partaient à l’étranger avec l’illusion de gros gains finissaient par se rendre auprès des
autorités royales et des autorités de nos colonies pour obtenir un appui financier et
leur rapatriement car les gains attendus ne s’étaient pas matérialisés 50 ». Toujours selon
le même ministère, en plus d’imposer « de la souffrance à nos compatriotes », cette
situation jetait, à l’étranger, « un indéniable discrédit sur le nom et sur l’art de
l’Italie51 ».
34 On voit ici qu’en dépit du succès financier de certaines tournées internationales de
compagnies italiennes, notamment celle de Clara Weiss, le gouvernement fasciste
commençait à resserrer l’étau autour des innombrables petites troupes qui, attirées par
le public des colonies italiennes éparses dans le monde 52, prenaient des risques
inconsidérés, ne trouvaient pas le succès et, finalement, « compromettaient l’image »
de l’Italie. Peu avant de quitter l’Europe, en septembre 1925, Clara Weiss endossa le
discours, ignorant qu’elle serait elle-même la cible de cette méfiance. À l’époque, dans
une interview accordée au journal pauliste Folha da Noite, elle aurait affirmé qu’elle ne
comprenait plus la manière de travailler « de ces compagnies d’opérettes que l’on voit
débarquer aujourd’hui en Amérique du Sud : distribution et répertoire échafaudés à la
dernière minute ; pas la moindre répétition, pourtant indispensable à la réussite d’un
spectacle ; montages plus ou moins adaptés… bref, le genre d’opérette facile, bassement
commerciale, ne visant que le profit53 ». Clara Weiss savait que ce « commerce théâtral
facile » devenait un dangereux miroir aux alouettes pour bon nombre d’hommes
d’affaires et elle donnait l’exemple de l’échec, dans cette partie de l’Amérique, de
certaines compagnies du genre en question.
35 Après avoir surmonté les obstacles bureaucratiques et obtenu les autorisations
nécessaires, le 4 mars 1926, Clara Weiss embarqua à Gênes à destination de Santos,
emmenant sans doute avec elle la troupe la plus étoilée jamais réunie jusqu’alors : outre
Rossana Sanmarco et Dante Bernardi, déjà présents les saisons précédentes, la
Compagnie Clara Weiss pouvait compter avec le couple Maria et Roberto Braconny et
les ténors Guido Agnoletti et Olimpo Gargano. Elle emportait également avec elle une
série d’opérettes nouvelles pour l’Amérique du Sud, parmi lesquelles « Paganini »,
« Katia la Ballerina », « L’Orloff », « Medi », du répertoire germanophone, et, entre
autres nouveautés italiennes, « Silhouette ».
36 Malgré le succès du recrutement, la nouvelle formation sud-américaine fut de courte
durée. Après une saison réussie à São Paulo, entre le 26 mars et le 16 mai 1926, la
compagnie se rendit à Rio de Janeiro, visita l’intérieur du Brésil puis passa par Buenos
Aires et Montevideo, où elle fut dissoute. En février 1927, L’Argante Operettistico signala
des désaccords entre la capocomica et les membres de la compagnie qui affirmaient ne
pas avoir été payés. Les principaux noms de la distribution rentrèrent en Italie,
notamment Agnoletti et Vidach, mais la compagnie survécut en se produisant à la
séance et non plus sur abonnements, complétant la distribution par des artistes italiens
vivant déjà au Brésil. Les activités de Weiss furent encore mentionnées dans le bulletin
du syndicat tout au long de l’année 1927 mais plus du tout après 1928, alors que l’artiste
continuait à se produire en Amérique du Sud.
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 14
La « reine de l’opérette »
37 Au début des années 1930, les activités de Clara Weiss se réduisirent fortement et, après
quelques tournées au Brésil en 1930 et en 1931, pour des saisons toujours très courtes,
sa compagnie fut définitivement dissoute. Les années suivantes, l’artiste se joignit à
plusieurs – et éphémères – compagnies d’opérettes formées en Amérique du Sud par
des Italiens vivant sur le continent. Ce fut le cas de la Weiss-Vignoli qu’elle créa en 1933
en partenariat avec Olga Vignoli et avec laquelle elle se produisit à São Paulo et à Rio de
Janeiro, avant de partir pour Porto Alegre et plusieurs villes du Rio Grande do Sul.
Entre la fin de 1934 et le début de 1935, elle participa, avec d’autres artistes du genre, à
une série d’émissions de la Rádio Diffusora pauliste, parrainées par le journal O Estado
de S. Paulo, où étaient présentés des résumés (chantés et parlés) des plus grands succès.
Elle fit également partie des compagnies italiennes d’opérettes Trucchi-Pancani (1935)
et Alba Regina-Franca Boni (1938), avant de retrouver Lea Candini – une autre artiste
italienne importante dans le monde de l’opérette et dont les activités en Amérique du
Sud méritent d’être étudiées – à São Paulo dans une troupe qui donna quelques
représentations en 1941. Elle joua aussi brièvement dans des compagnies de revue
nationales, celle de Margarida Max notamment, avec laquelle elle travailla à Rio de
Janeiro, en 1930. Sa dernière apparition sur scène eut lieu en 1942. Elle chanta en
portugais54 l’opérette « A Baiadera », de Kalman, avec la Companhia Brasileira de
Operetas.
38 Retirée de la scène et définitivement installée à São Paulo, Weiss continua à être perçue
comme une « gloire du passé » liée à l’âge d’or de l’opérette au Brésil. Cette
représentation s’était forgée dès le début des années 1930, quand la presse pauliste lui
avait donné le surnom de « reine de l’opérette ». En 1936, à l’occasion d’une exposition,
le Correio Paulistano soulignait le caractère nostalgique de son public. Le journal
confirmait qu’elle avait encore « de véritables foules d’admirateurs, incapables d’oublier
ses admirables interprétations du vieux répertoire dont les partitions avaient enchanté le
public de São José, Politeama, Casino, Apollon et les deux Sant’Anna 55 ».
39 Au début des années 1950, éloignée des planches depuis longtemps, l’artiste fut invitée
à participer, en tant qu’hôtesse, aux spectacles du Grupo Experimental de Operetas
Paranaense, à Curitiba. Cet événement la consacra comme mémoire vivante du théâtre
d’opérettes. Rebaptisé Companhia Nacional de Operetas do Teatro Experimental
Paranaense (plus tard Grupo Experimental do Teatro Guaíra), le groupe participa aux
célébrations du IVe Centenaire de la ville de São Paulo, dont Clara Weiss fut à la fois la
présentatrice et l’invitée d’honneur. L’émission « Desfile de Canções », diffusée par la
radio Eldorado le 13 novembre 1963, lui rendit hommage, trois ans avant sa mort qui
survint en 1966.
40 La trajectoire de Clara Weiss, dont cet article est une première esquisse, permet
d’entrevoir les différentes forces en action dans l’industrie de l’opérette italo-sud-
américaine. Si l’intérêt commercial a joué un rôle prépondérant, notamment après la
création de sociétés théâtrales à capital variable qui cherchaient à exploiter le circuit
effectué par des compagnies entre les deux continents, comme celle de Walter Mocchi,
les facteurs politiques ont également beaucoup pesé. En effet, après la montée du
fascisme en Italie, en 1922, et l’adhésion du Syndicat des artistes de l’opérette à la
Corporation fasciste l’année suivante, la circulation internationale des compagnies
d’opérettes italiennes apparut comme un moyen de propagande – reçu positivement ou
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 15
BIBLIOGRAPHIE
Azevedo, Elizabeth. 2004. « O teatro em São Paulo (1554-1954). » In História da cidade de São Paulo,
vol. 1, dirigé par Paula Porta, 523-583. São Paulo: Companhia das Letras.
Bessa, Virgínia de Almeida. 2012. « A cena musical paulistana: teatro musicado e canção popular
na cidade de São Paulo (1914-1934). » Thèse de doctorat en cotutelle. São Paulo : Université de
São Paulo & Nanterre : Université Paris Ouest Nanterre – La Défense.
Bessa, Virgínia de Almeida. 2020. « A política do silêncio: Mário de Andrade, o teatro musicado e a
presença estrangeira na São Paulo dos anos 1920 e 1930. » Revista de História 179: 1-33. DOI:
10.11606/issn.2316-9141.rh.2020.156828.
Dell’Orto, Anna Teresa. 2012. « L’esperienza di Carlo Lombardo capocomico. » Thèse de laurea
magistrale en sciences des spectacles. Milan: Università degli Studi di Milano.
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 16
Mariani, Laura. 2019. « Dopo l’Ottocento delle attrici, qualche punto fermo sulle attrici italiane
del Novecento. » Italica Wratislaviensia 10 (2): 195-222. DOI: http://dx.doi.org/10.15804/IW.
2019.10.1.25.
Massimini, Sandro. 1984. Storia dell’operetta. Milan: Ricordi.
Pontes, Heloisa. 2009. « Beleza roubada. » Cadernos Pagu 33: 139-166.
Rozeaux, Sébastien. 2014. « La naissance contrariée d’une société du spectacle au Brésil,
1855-1880. » Monde(s) 2 (6): 223-242. DOI 10.3917/mond.142.0223.
Sorba, Carlotta. 2006. « The Origins of the Entertainment Industry: The Operetta in Late
Nineteenth-Century Italy. » Journal of Modern Italian Studies 11 (3): 282-302. DOI:
10.1080/13545710600806730.
NOTES
2. Tous les matériaux de cette recherche figurent dans la base de données « Teatro
musicado em São Paulo de 1914 a 1934 », disponible à l’adresse :
teatromusicadosp.com.br (consulté le 10 octobre 2022).
3. Les représentations de genre diffusées par le spectacle d’opérette donneraient lieu à
une étude à part, c’est pourquoi elles ne seront pas abordées ici. Je souligne simplement
que, dans la « société du spectacle » naissante (Charle 2008) qui, dans la seconde moitié
du XIXe siècle apparaît dans les capitales d’Europe et s’étend bientôt à toutes les
grandes villes du monde occidental, le théâtre en général, et l’opérette en particulier,
montraient sur scène les transformations qui affectaient les identités de genre, pas
toujours de manière positive. À ce sujet, voir Williams (2011).
4. Apparue avec la Commedia dell’Arte, la figure du capocomico domine le théâtre italien
(et brésilien) jusqu’à la première moitié du XXe siècle, avant d’être remplacée par celle
du metteur en scène moderne. Mélange d’acteur, d’imprésario et de directeur
artistique, le capocomico (pl. masc. capocomici, fém. capocomiche ) était en fait le chef
(capo) d’une troupe de théâtre à laquelle il prêtait généralement son nom. Il était
chargé de la distribution, du choix des textes dramatiques et de la direction des
productions, dans lesquelles il occupait souvent des rôles de premier plan. Bien que les
capocomiche aient gagné en visibilité depuis le XIX e siècle, à l’instar des grandes figures
du théâtre dramatique comme Adelaide Ristori et Eleonora Duse (Mariani 2019), la
fonction était remplie par des hommes dans la quasi-totalité des cas.
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 17
5. Emma Carelli (1877-1928), soprano italienne devenue directrice d’opéra. Elle fut
l’associée et l’épouse de Walter Mocchi, l’un des principaux responsables de l’industrie
de l’opéra entre l’Italie et l’Amérique du Sud, nous en reparlerons plus avant. Sur
Mocchi et Carelli, voir Paoletti (2015).
6. En français dans le texte NdT.
7. Messaggero dell’Operetta, 15-30 mars 1926, p. 2.
8. Outre les périodiques numérisés appartenant à l’Hemeroteca Digital de la Biblioteca
Nacional do Rio de Janeiro (www.memoria.bn.br consulté le 10 octobre 2022) et à
l’Hemeroteca Digitale Italiana (www.internetculturale.it consulté le 10 octobre 2022),
les hémérothèques suivantes ont été consultées : Biblioteca Nazionale Braidense à
Milan (collection de microfilms de la revue L’Opera Comica et de quelques numéros d’Il
messaggero dell’operetta et de Battaglie teatrali), Biblioteca Nazionale di Firenze (collection
du bulletin L’Argante Operettistico et numéros de la revue L’Operetta) ; Biblioteca Nacional
Mariano Moreno à Buenos Aires (quelques numéros du journal La Patria degli italiani et
des revues Comoedia et Mundo Teatral).
9. Fonds du ministère italien de l’Intérieur (départements « Polizia Politica » et
« Casellario Politico » contenant des fiches sur des hommes d’affaires et des artistes de
théâtre italiens) et du ministère italien de l’Éducation publique (département
« Antiquité et Beaux-Arts » qui offre des données sur la circulation internationale de
troupes italiennes, le financement des activités théâtrales, les politiques publiques en
faveur du théâtre italien, etc.).
10. Fonds du ministère italien de la Culture populaire, documentant l’utilisation de la
culture comme instrument de propagande par le gouvernement italien à l’étranger.
11. Appartenant, respectivement, au Museu da Imigração do Estado de São Paulo
(disponible sur le site : www.inci.org.br/acervodigital/passageiros.php consulté le 10
octobre 2022) et à l’Arquivo Nacional (disponible à l’adresse : http://bases.an.gov.br/
rv/menu_externo/menu_externo.php consulté le 10 octobre 2022).
12. Disponible à l’adresse : www.familysearch.org (consulté le 10 octobre 2022).
13. L’anniversaire de Clara Weiss (5 août) était régulièrement signalé dans les
périodiques de São Paulo à partir du milieu des années 1930. Quant à l’année de sa
naissance, l’information est celle contenue dans l’acte de décès de l’artiste, enregistré le
27 juin 1966, soit un jour après sa disparition, et selon lequel elle avait 74 ans. Cette
information contredit les listes de passagers des navires qui ont enregistré son entrée à
Santos (le 21 mars 1916) et à Buenos Aires (le 10 octobre 1926), et selon lesquelles
l’actrice serait née en 1888.
14. Correio Braziliense, 11 août 1966, p. 7.
15. Correio Paulistano, 4 août 1957, p. 7.
16. L’Opera Comica, 7 décembre 1912, p. 2.
17. L’Opera Comica, 31 décembre 1913, p. 3.
18. Raffaele Tomba (Bologne, 1838 – Rio de Janeiro, 1902) était un homme d’affaires
italien d’opéra et d’opérette. Parmi les premiers à exploiter le marché du théâtre sud-
américain, il parcourut plusieurs villes brésiliennes, argentines et uruguayennes entre
la fin des années 1880 et le début du XXe siècle. Il mourut lors d’une tournée à Rio de
Janeiro en 1902, victime de la fièvre jaune (O Paiz, Rio de Janeiro, 19 mai 1902, p. 2).
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 18
19. Paolo Lanzini (Bergame, 1868 – Porto Alegre, 19??), compositeur italien, fut
directeur de la Compagnia sociale di operette. Il mit en musique des opérettes à succès,
dont Don Pedro del Medina en 1892, et voyagea beaucoup, dirigeant et composant
(Dell’Orto 2012, 118). Dans les années 1890, il se rendit souvent au Brésil.
20. Dans l’opérette, la « soubrette » (en français dans le texte) est, comme Clara Weiss,
une soprano à la voix claire et légère. (NdT)
21. Musicien napolitain basé à Buenos Aires, Antonio Marranti (1881-1959) a dirigé, au
début du XXe siècle, une compagnie lyrique qui portait son nom et avec laquelle il a
effectué des tournées dans plusieurs villes (Cetrangolo 2018).
22. La Patria degli italiani, 30 septembre 1917, p. 5.
23. Correio paulistano, 26 juillet 1919, p. 3.
24. O Furão, 13 mars 1920, p. 2.
25. Le périodique italien L’Opera Comica (15 octobre 1920, p. 1) parle d’elle en ces
termes : « piccola, minuta, ma venustissima » [petite, menue, mais infiniment populaire].
L’Arte Drammatica avait déjà déclaré que Weiss était « une artiste petite, petite, si petite,
mais tellement, tellement gracieuse (carina), qui a une belle voix, chante bien et récite
détestablement » (18 janvier 1913, fasc. 11, p. 7).
26. Les conventions théâtrales qui permettaient aux comédiennes dramatiques « de
contourner certaines contraintes physiques, sociales et de genre » (Pontes 2009)
n’avaient pas la même validité dans le théâtre d’opérette qui exigeait de ses vedettes
non seulement la capacité de jouer, de réciter et de chanter, mais aussi d’être agréable
à regarder selon les canons de beauté en vigueur. Ceux-ci comprenaient non seulement
certaines caractéristiques et proportions physiques, mais aussi la jeunesse, ce qui, dans
certains cas, pouvait compenser l’absence d’autres attributs. Ceci explique peut-être la
courte carrière des actrices d’opérette, comparée, par exemple, à celle des chanteuses
d’opéra.
27. Diário Oficial do Estado de São Paulo, 5 juin 1929, p. 5 216 (révocation de mandat).
28. Id., ibid.
29. Id., ibid.
30. Arquivo Público do Estado de São Paulo, Fundo Secretaria da Segurança Pública,
Delegacia Especializada em Ordem Política e Social, Vigilância de Estrangeiros, Cartões
de imigração, Cx-C09, 1938-1980.
31. Bien que São Paulo possédât déjà un opéra au milieu du XVIII e siècle et, qu’au XIX e
siècle, il disposât de deux théâtres qui proposaient des spectacles professionnels avec
une certaine régularité (Azevedo 2004), ce n’est qu’avec l’apparition, en 1907, des
premières salles de cinéma fixes – dont beaucoup disposaient d’une scène et d’une fosse
d’orchestre pour les spectacles – qu’un réseau de salles de théâtre fut disponible dans la
ville. C’était un ensemble de salles articulées entre elles, qu’elles appartiennent à la
même entreprise ou qu’elles partagent une même programmation. À propos des ciné-
théâtres paulistes, voir Souza (2016) ; à propos du mouvement théâtral pauliste après la
Première Guerre mondiale, voir Bessa (2012).
32. Troupes de théâtre ambulantes, peu argentées, composées de comédiens amateurs,
parcourant l’intérieur du Brésil (NdT).
33. Bien qu’elle ait été une destination importante pour l’émigration italienne entre les
dernières décennies du XIXe siècle et le début du XX e, New York n’a pas accueilli les
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 19
compagnies italiennes d’opérette aussi fréquemment que Buenos Aires ou São Paulo.
C’est ce que révèle la presse spécialisée dans ce genre, qui a rarement annoncé des
tournées aux États-Unis. On ne voit pas non plus s’établir de circuit d’opérettes au
niveau hémisphérique entre les deux sous-continents américains, les rares troupes
italiennes qui se sont installées à New York, comme la Migliaccio, n’ayant jamais joué
en Amérique du Sud, et vice versa.
34. C’est ainsi que le chroniqueur de théâtre Carlos da Maia décrivit la saison de La
Variatissima, composée d’anciens membres des compagnies Città di Milano, Vitale et
Caramba, à Santos (A Gazeta, 6 juillet 1921, p. 1).
35. Liste de passagers du bateau à vapeur Itaperuna, avec lequel la compagnie a voyagé
de Rio de Janeiro à Santos, où elle a accosté le 9 mai 1919. Arquivo Público do Estado de
São Paulo ; Acervo Digital do Museu da Imigração do Estado de São Paulo. Disponible
sur : http://www.inci.org.br/acervodigital/upload/listas/BR_APESP_MI_LP_009998.pdf
(consulté le 29 novembre. 2022).
36. L’Opera Comica, 15 janvier 1922, p. 2-3.
37. L’Opera Comica, 1er août 1922, p. 2.
38. À l’origine, la Liga faisait partie de la Confédération nationale des travailleurs du
théâtre, officiellement apolitique, mais d’orientation socialiste dans la pratique. Avec
l’arrivée au pouvoir de Mussolini, en 1922, de nombreux syndicats italiens furent
réorganisés dans la perspective de l’État fasciste. Ils furent regroupés en corporations,
par branches d’activité (Industrie, Commerce, Agriculture, etc.), dans ce qu’on appela
des corporations syndicales. Outre le Syndicat des artistes de l’opérette, la Corporation
nationale du théâtre regroupait aussi l’Association des capocomici de l’opérette, la
Société des auteurs, l’Association des propriétaires de théâtres, le Syndicat des artistes
dramatiques, etc. (Pedullà 2009).
39. La syndicalisation des artistes est attestée par la consultation du bulletin du
syndicat, qui publiait des nouvelles de ses adhérents et notait leurs noms sur les listes
comptables des cotisations annuelles.
40. Jornal Pequeno, Recife, 10 octobre 1923, p. 2.
41. Italo Bertini (Rome 1882 – São Paulo 1950) connut un grand succès en Amérique du
Sud à la fin des années 1910 durant lesquelles il figurait à la distribution de la
compagnie Ettore Vitale, ainsi qu’au début des années 1920 lorsqu’il commença à faire
des tournées sur le continent partageant la vedette avec la soubrette Pina Gioana. Après
avoir passé des années en Italie, il retourna en Amérique du Sud en 1937. On ne connaît
pas exactement ses liens avec les mouvements antifascistes de l’époque, mais son
dossier à la police politique du gouvernement de Mussolini, ouvert huit mois après son
émigration en Amérique du Sud, précise que l’artiste « a toujours mené une campagne
antifasciste farouche, donnant même des interviews à des journalistes, disant du mal de
notre régime ». (Archives centrales de l’État, Fonds du ministère de l’Intérieur, Division
Police politique, Personnel, dossier Italo Bertini).
42. L’Argante Operettistico, 1er octobre 1926, p. 3. Le bulletin fait référence à la Galleria
Vittorio Emanuele II, une galerie commerçante du centre de Milan, où se promenaient
les oisifs.
43. Id., ibid.
44. À la fin des années 1920, la Sociedade de Concertos Sinfônicos fut prise dans le
différend entre son président, le chef d’orchestre et compositeur Armando Belardi, et le
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 20
RÉSUMÉS
Entre la dernière décennie du XIXe siècle et les premières du XX e, un grand nombre de
compagnies d’opérettes italiennes ont traversé l’Atlantique afin d’exploiter le marché théâtral
sud-américain, formé en grande partie par un public immigré. Au cours de ces tournées, de
nombreux artistes ont fini par s’installer dans le Nouveau Monde. C’est le cas de Clara Weiss, une
comédienne-chanteuse italienne devenue capocomica (directrice de troupe) en Amérique du Sud
qui, tout en restant étroitement liée au monde de l’opérette italienne, a établi un pont entre les
deux univers.
Entre a última década do século XIX e as primeiras do XX, um grande número companhias de
opereta italianas cruzaram o Atlântico para explorar o mercado teatral sul-americano, formado
Brésil(s), 22 | 2022
« Italiana nell’arte, americana negli affari » : Clara Weiss et l’i... 21
em grande parte por um público imigrante. Nessas excursões, muitos artistas acabaram por se
fixar no Novo Mundo. É o caso de Clara Weiss, atriz-cantora italiana que se tornou capocômica na
América do Sul, mas permaneceu estreitamente vinculada ao mundo operetístico italiano,
estabelecendo uma ponte entre os dois universos.
Between the last decade of the 19th century and the first ones of the 20 th century, a large number
of Italian operetta companies crossed the Atlantic to explore the South American theatre market,
formed largely by an immigrant audience. On these tours, many artists ended up settling in the
New World. This was the case for Clara Weiss, an Italian actress-singer who became capocomica in
South America, but remained closely linked to the Italian operettistic world, establishing a bridge
between the two universes.
INDEX
Mots-clés : Clara Weiss, opérette, Italie, Amérique du Sud, immigration italienne, Brésil,
Argentine, Uruguay, XIXe siècle, XXe siècle
Keywords : Clara Weiss, operetta, Italy, South America, Italian immigration, Brazil, Argentina,
Uruguay, 19th century, 20th century
Palavras-chave : Clara Weiss, opereta, Itália, América do Sul, imigração italiana, Brasil,
Argentina, Uruguay, século XIX, século XX
AUTEURS
VIRGÍNIA DE ALMEIDA BESSA
Virgínia de Almeida Bessa est enseignante associée à l’Institut d’Arts de l’Université de l’État de
São Paulo à Campinas (IA-Unicamp) et membre de l’axe de recherche Littérature, humanisme et
cosmopolitisme du Centre d’études globales de l’Université ouverte de Lisbonne.
ORCID : https://orcid.org/0000-0002-5439-9972.
Brésil(s), 22 | 2022