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De dos, une femme, cheveux teints, auburn, courts et souples comme ceux d’une femme un

peu âgée. Il est tard ; assez peu de monde dans la rame. La femme passe son bras gauche par-
dessus sa tête et se frotte et gratte le côté droit du crâne, d’un geste qui remonte sans cesse
vers le haut, convulsif, proche de coups ou de ratissages frénétiques. Elle s’arrête une
vingtaine de secondes, puis reprend, s’arrête une dizaine de secondes et recommence, et ainsi
de suite avec des intervalles de plus en plus brefs. Ensuite elle aplatit ses cheveux comme
poussée par un besoin de leur redonner un aspect normal, car ils se dressent sur la tempe
agressée ainsi que maintenus par une application de gel ; elle les tapote, les caresse, puis
reprend presque aussitôt son manège.
Un homme entre et s’assoie à ses cotés ; grand indien en costume clair, bel homme d’une
cinquante d’années ou un peu moins. La femme tourne discrètement la tête vers lui, le
considère un instant très court et regarde à nouveau devant elle ; on comprend qu’elle n’ose
pas se livrer devant lui à ces démonstrations compulsives ; elle devait croire passer inaperçue
auparavant, ce en quoi elle se trompait, car le peu de passagers présents remarquaient tout à
fait l’étrangeté de sa conduite. Elle tient un moment, et d’un coup passe son bras par dessus
tête pour reprendre le grattage. L’homme tourne vers sa voisine un visage étonné, quoique
assez discret, se détourne ; elle arrête presque qu’en même temps. Un moment. L’homme se
penche vers elle légèrement, en raison de sa haute taille, et lui parle. Il la questionne
visiblement, affable, un peu souriant, et avec une curieuse absence de gêne ; à plusieurs
reprises, ses gestes désignent sa propre tempe et son front ; la femme lui répond sur le même
ton, elle ne paraît pas mal à l’aise et sourie également. On voit son profil qui est celui d’une
belle femme, plus âgée que son voisin sans doute, peut-être proche de la soixantaine, le teint
brun et le nez busqué rappelle le type italien. Ils interrompent leur dialogue et demeurent
silencieux et immobiles tous deux ; la femme ne répète plus les gestes sur son crâne. Elle lisse
juste à une ou deux reprises le coté encore ébouriffé, d’une paume discrète et élégante.
Les stations défilent ; l’homme s’incline parfois vers sa voisine pour lui parler ou la
questionner encore, toujours avec un naturel aimable et un air de réserve paradoxale. La
femme le regarde et penche alternativement la tête, légèrement inclinée vers l’avant, en lui
répondant, comme pour mieux percevoir les phrases de son interlocuteur.
Après l’un de ces silences, ponctués par les seuls arrêts du métro, il semble lui demander
une permission, désignant à nouveau sa tête ; la femme acquiesce. Il passe alors son bras droit
derrière le cou de la femme, autours de ses épaules ; la femme incline sa tête vers lui, presque
sur son épaule à lui, pendant qu’il palpe le côté droit de son crâne ; il regarde droit devant lui,
et non vers elle, d’un air de concentration tranquille ; puis il commence à frotter
vigoureusement les cheveux de la femme, de haut en bas, d’un geste précis et rapide dont la
continuité diffère des grattements ponctuels et maniaques qu’effectuait plus tôt sa voisine. Ils
regardent toujours devant eux, et tandis que la rame s’éloigne paraissent un couple
d’amoureux en accomplissement de quelque rite baroque.

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