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Leopold Tyrmand

Journal 1954
Noir sur blanc, 560 p., 26 euros

À quoi bon écrire ? Posée avec une terrible acuité, la question traverse tout le journal de
Léopold Tyrmand. Année 1954 en République populaire de Pologne. Tyrmand rédige des
chroniques pour l’hebdomadaire Tygodnik Powszechny qui « …ne publiait pas tout ce que
bon lui semblait, mais… avait la possibilité de ne pas publier ce qui lui déplaisait. ». Les
autorités mettent fin à cette liberté surveillée et Tyrmand se retrouve officieusement interdit
de publication ; c’est la stérilisation de ses forces vives, la négation de sa raison d’être. De ce
musèlement va naître le Journal. Cinq cents pages jaillissent en trois mois. Une véritable
« éléphantiasis de l’injonction d’écrire. ». Un document historique aux accents de pamphlet,
où le plus intime de l’existence s’avère gangréné par la lèpre totalitaire. Tyrmand raconte,
mêlés à son quotidien, le marigot d’intrigues qu’est la vie culturelle dans la Pologne
communiste, le délabrement des infrastructures, le dysfonctionnement comme mode
d’existence, l’humour noir et le sens de la cocasserie développés par la population en dernier
refuge de l’humain, « …un monde de conséquences extrêmes : rien de ce qui vit n’y a sa
place. ». Autoportrait, aussi, d’une âme sèche et ardente qui refuse l’asservissement et trouve
dans ces pages une voie d’épanchement idéale. Là se situe le paradoxe poignant du Journal
1954 : son auteur ne cesse d’y déplorer une vie gâchée par l’impossibilité d’écrire librement
mais le contexte particulier de l’oppression intellectuelle ne donne-t-il pas justement au texte
de Tyrmand son caractère irremplaçable, ne permet-il pas à son génie propre de s’épanouir ?
Signant un contrat pour le roman L’enragé, l’auteur abandonne la rédaction de son journal.
C’est pourtant bien la langue brûlante du Journal qui résonne en nous, aujourd’hui, avec
l’évidence grave des vérités.

Claire Viain

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