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Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 556
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Stefan Zweig : « Nulle autre œuvre littéraire ne fournit à la psychanalyse un plus bel
exemple du ‘complexe d’Œdipe’ que les premières pages de Henry Brulard ».
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Stendhal, Mémoires de Henry B. du 15 février 1833.
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Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 597.
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Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 552
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Stendhal, Œuvres intimes, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 551 ;
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Stendhal, O. I., p. 597.
Ces bourgeois bouffis d’orgueil et de vanité, dont les travers ont alimenté certains
personnages de l’œuvre romanesque, ont leur écrin, une ville sale que Stendhal déteste :
Grenoble. Grenoble l’ignoble : « Tout ce qui est bas et plat dans le genre bourgeois me
rappelle Grenoble, tout ce qui me rappelle Grenoble me fait horreur ; non horreur est
trop noble, mal au cœur »20. Le dégoût pour la ville de son enfance, maintes fois
exprimé, au point qu’il la nomme souvent de son nom latin – Cularo – explique le désir
de s’en échapper. Fuir, fuir Grenoble par la rêverie, par les livres – la lecture du
Quichotte de Cervantès, qui lui arrache ses premiers rires depuis la mort de sa mère, a
été, dit-il « la plus grande époque de [sa] vie »21. Quitter Grenoble grâce à
l’enthousiasme que lui inspirent les mathématiques – lesquelles au moins ne sont pas
hypocrites – et qui sont une des clés de Paris où il se rend pour préparer l’École
polytechnique. Et si Paris l’a déçu, qu’importe ! Plus tard, il y a l’Italie22, Milan, puis
l’aventure auprès de la Grande Armée qu’il accompagne jusqu’à Moscou, retraite de
Russie comprise que Stendhal « fait » dans l’intendance et dont il a sans doute tiré parti
pour peindre Fabrice à Waterloo. Rejet définitif donc de Grenoble moisi avec en
contrepoint l’élection de Milan comme patrie de substitution. Stendhal demandera que
l’on grave en italien sur sa pierre tombale en dialecte lombard cette épitaphe
rédigée vers 1821 : Arrigo Beyle, Milanese, visse, amo, scrisse, quest’anima adorava
Cimarosa, Mozart e Shakespeare. Sa haine fondatrice et libératrice du bourgeois
étriqué se « métaphysique » même en haine de Dieu : « La seule excuse de Dieu, c’est
qu’il n’existe pas »23. Quelques êtres échappent néanmoins à ce torrent d’imprécations :
le grand-père Gagnon, médecin humaniste et voltairien, «excellent grand-père » et
« homme rare »24, et Pauline, l’une de ses sœurs. Enfin, et, ce n’est là qu’un paradoxe
apparent, Stendhal sauve la « nature dauphinoise » qui « a une ténacité, une profondeur,
un esprit de finesse qu’on chercherait en vain dans la civilisation provençale ou dans la
bourguignonne […]. Là où le Provençal s’exhale en injures atroces, le Dauphinois
réfléchit et s’entretient avec son cœur »25.
Le cœur de Stendhal
« S’entretenir avec son cœur » soit. Encore faut-il en avoir un ! De l’abêtisseoir
grenoblois et du cortège de figures pesantes, hypocrites et veules qui peuplèrent son
enfance, Stendhal a tiré une vision de la société humaine qui le conduit à diviser « le
monde […] en deux moitiés à la vérité fort inégales : les sots et les fripons d’un côté, et
de l’autre, les êtres privilégiés auquel le hasard a donné une âme noble et un peu
d’esprit ». Et il se sent « [compatriote] de ces gens-ci, qu’ils soient nés à Velletri ou à
Saint-Omer »26. Homme de cœur au milieu de brutes insensibles, Stendhal, donc ? Voir.
Certes, les épanchements sentimentaux ne lui sont pas étrangers. En témoigne cette
confidence : « L’amour a toujours été pour moi la plus grande des affaires ou plutôt la
seule ». Dans sa notice, Mérimée affirme : « Sur l'amour, B. était encore plus éloquent
20
Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 620.
21
Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 618
22
v. Journal 29 novembre 1914 « Voilà une des principales sources of my hapiness in Italie,
c’est l’absence de l’empoisonnement par l’ignoble. Qu’il existe ou non, je ne l’aperçois pas.
En France, et surtout à Cularo, il m’oppresse », Stendhal, O. I., t. I, p. 920
23
Cette pointe de Stendhal, citée par Nietzsche, est rapportée par Prosper Mérimée dans sa
plaquette intitulée H.B.
24
Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 552
25
Stendhal, Vie de Henry Brulard O. I., t. II, p. 562
26
Stendhal, Voyages en Italie, Pléiade, p. 1048-1049.
que sur la guerre. Je ne l'ai jamais vu qu'amoureux, ou croyant l'être ; mais il avait eu
deux amours-passions (je me sers d'un de ses termes), dont il n'avait jamais pu guérir ».
La Vie de Henry Brulard donne une douzaine de noms propres qui tourmentèrent la vie
de Beyle « amant malheureux » rarement payé en retour de ses déclarations. Comme
cette belle et mystérieuse Milanaise, la femme, une certaine Angela Pietragrua, dont on
ne sait que fort peu de choses si ce n’est que rencontrée en 1801, il ne lui a avoué sa
flamme qu’en 1811. Elle servit de modèle à la Sanseverina, un des principaux
personnages de la Chartreuse. Et cet autre amour, « le plus sincère et le plus fort de son
existence »27, amour déçu, amour non réciproque et en tout cas non consommé 28, pour
lequel Stendhal a confessé avoir eu « de la peine à résister à la tentation de [se] brûler la
cervelle »29. Il avait pour objet Mathilde Viscontini, que Stendhal surnomme Métilde, à
cette époque séparée du général Jean Dembrowski.
L’impossible conjugalité.
Parmi les figures féminines de la vie de Stendhal, il faut aussi retenir une autre
milanaise, Giulia Rinieri, d’une vingtaine d’années de moins que lui. C’est au moment
de la rédaction du Rouge, que, approchant la cinquantaine, Stendhal, amant édenté et
bedonnant, sinon ventripotent, s’en éprend. Un « amour » partagé, cette fois, et
consommé. Il paraît à ce moment de sa vie avoir enfin surmonté la timidité presque
maladive qu’il éprouve à l’égard des femmes qu’il aime et qui, plus que sa relative
laideur, plus que les obstacles extérieurs, avaient fait de lui un amant souvent
malheureux. Pris d’un de ses accès de conjugalité (lesquels sont rares chez lui et sont
aussi soutenus aussi par quelque intérêt pécuniaire), Stendhal qui estimait pourtant le
mariage « aussi utile au bonheur des femmes, qu’il est nuisible à celui des hommes »,
demande la main de Giulia. Mais, prudent, le tuteur de la jeune fille tergiverse. Rien ne
presse. Ce petit consul français n’a pas trop bonne réputation. Il est surveillé par les
limiers de la police autrichienne qui le soupçonnent d’avoir une activité politique
subversive. Sa situation de fortune ne présente pas toutes les garanties : rien à l’époque
ne permet d’assurer que le régime qui a nommé Stendhal doit perdurer. De mariage,
finalement, il n’y eut point.
La cristallisation
Il ne faut pas cependant se faire de Stendhal l’image d’un romantique échevelé. En fait,
il est avant tout épris de vérité, de lucidité, un être soucieux de connaître le cœur
humain. En témoigne sa dissertation intitulée De l’Amour, écrite en Italie alors qu’il est
encore sous le charme de Métilde – et « qui mieux est, malheureux par amour »30. Il y
analyse, à travers une passion singulière, la passion amoureuse. En plus de son
expérience autobiographique, il s’inspire des maximes de Chamfort, des idées de
Cabanis sur l’influence des climats sur le tempérament, et surtout de Destutt de Tracy.
Il veut y faire « la description exacte et scientifique d’une sorte de folie très rare en
France » : l’amour-passion, qu’il distingue de l’amour physique, de l’amour de vanité et
de l’amour de goût. C’est l’occasion pour Stendhal de présenter sa fameuse théorie des
cristallisations (et décristallisations amoureuses) : « ce que j’appelle cristallisation, c’est
l’opération de l’esprit, qui tire de tout ce qui se présente la découverte que l’objet aimé
a de nouvelles perfections »31. Ce souci de clarté et cet effort de présentation
systématique à la manière des Idéologues le distinguent des auteurs qu’il n’aimait guère
27
Henri Martineau, L’œuvre de Stendhal, Albin Michel, 1951, p.201.
28
Stendhal, Souvenirs d’égotisme, O. I., t. II, p. 432
29
Stendhal, Souvenirs d’égotisme, O. I., t. II, p. 432
30
Henri Martineau, L’œuvre de Stendhal, Albin Michel, 1951, p.201.
31
Stendhal, De l’amour, Classique Garnier p. 9.
à cause de leur lyrisme affecté. Mais Stendhal ne tient pas son plan et le romancier se
fait toujours sentir derrière l’analyste froid. Ajoutons enfin au chapitre de l’amour que,
s’il accorde davantage de prix à l’amour-passion, le plus rare et le plus subtil, si dans
ses romans, par pudeur mais aussi par précaution à cause de la censure, il se garde
d’être trop concret sur les choses du sexe, maniant avec délicatesse l’art de l’ellipse ou
de l’allusion, Beyle a aussi été un praticien des autres formes de l’amour. On peut lire
passim dans ses écrits intimes, nombre de notations très crues sur son activité sexuelle
qui témoignent de son goût prononcé pour la bagatelle, en tout cas quand quelques
incommodités de santé n’y ont pas fait obstacle, que ce soit avec des femmes établies,
des fleurs de bordel ou des filles d’auberge.
« Tous les efforts possibles pour être sec »
De la passion donc, mais quand il s’agit de l’art de l’exprimer en littérature, il convient
de le faire avant tout avec vérité et sobriété. D’où le parti pris stylistique de rejeter toute
emphase et toute éloquence creuse : Stendhal n’aimait pas Chateaubriand, Victor Hugo
ou Mme de Staël : « Rien d’ennuyeux pour moi comme l’emphase germanique et
romantique »32. Son credo : être « romantique dans les idées » et demeurer « classique
dans les moyens d’expression », lit-on dans Racine et Shakespeare. C’est pour se
prémunir contre toute tendance au pathos qu’il confie à Balzac cette pratique d’écrivain
qui peut surprendre : « En composant La Chartreuse, pour prendre le ton, je lisais
chaque matin deux ou trois pages du code civil, afin d'être toujours naturel ; je ne veux
pas, par des moyens factices, fasciner l'âme du lecteur »33. On s’est plu à qualifier son
style de sec. En fait, cette impression résulte toujours d’une volonté délibérée, et surtout
d’un effort pour surmonter une pente contraire. Stendhal le dit clairement dans le
chapitre le plus court et le plus dense de son essai sur L’Amour : « Je fais tous les
efforts possibles pour être sec. Je veux imposer silence à mon cœur qui croit avoir
beaucoup à dire. Je tremble toujours de n’avoir écrit qu’un soupir quand je crois avoir
noté une vérité »34. Le refus de l’exaltation feinte, à ses yeux vrai cache-misère de la
pauvreté en idées de ses contemporains, est contrebalancé chez lui par le refus
d’élaborer des plans trop précis – « en écrivant des plans, je me glace » – et surtout par
le choix d’un style naturel qui s’inspire de la spontanéité de la conversation. C’est l’un
des secrets de la réussite littéraire de la Chartreuse de Parme, ouvrage dicté en
cinquante-trois jours. C’est aussi ce qui touche dans les écrits intimes, le Journal, Les
souvenirs d’égotisme, cet « examen de conscience » contenant « des bavardages sur [la]
vie privée »35, et La Vie de Henry Brulard. Plus encore qu’un principe esthétique, le
choix de la sobriété est un choix philosophique et moral : « Je cherche à me défendre de
l’exagération. Je déteste le faux en tout comme un ennemi du bonheur »36. Si Stendhal
n’a que rarement rencontré ce bonheur pour lui-même, au moins aura-t-il su en donner
à ses lecteurs, bien au-delà de 1935 !
32
Stendhal, « Avant-propos » d’Armance, Folio, p. 47.
33
Lettre de Stendhal à Honoré de Balzac 30 octobre 1840
34
Stendhal, De l’Amour, Classique Garnier p. 25
35
Stendhal, O. I.,, t. II, p. 427,430.
36
Stendhal, Journal, Milan 8 septembre 1811.