Le profil de l’entrepreneur a été dès le début des recherches sur
l’entrepreneuriat, l’objet de recherche principal puisque l’on attribuait le succès de l’entreprise à son créateur. Plusieurs auteurs se sont attelés à cette tâche, et il en résulte différentes typologies tant sur un plan psychologique que managérial. Les typologies permettent de mieux comprendre les modes d’action, les attitudes, ainsi que les choix d’activités des acteurs organisationnels, mais elles facilitent aussi la compréhension de leurs modes de réaction à leurs divers milieux (Filion, 2000). D’après le même auteur, l’utilité des typologies demeure considérable pour l’éducation, la formation et la recherche dans le champ de l’entrepreneuriat. Elles peuvent être élaborées à partir d’une grande variété de prémisses, par exemple à partir de l’une ou l’autre ou même à partir d’une combinaison de trois dimensions de l’entrepreneuriat suggérées par Verstraete (1999) : cognitive, praxéologique et structurale. Leur utilisation demeure aussi utile pour chacune de ces dimensions (Filion, 2000). D’un autre côté, Deakins (1996) propose trois volets d’étude en entrepreneuriat : le rôle de l’entrepreneur dans le développement économique, l’approche de la personnalité de l’entrepreneur par les psychologues, et l’influence de l’environnement social. 2De façon globale, les chercheurs considèrent l’entrepreneur comme un être humain possédant en propre différentes qualifications : preneur de risques, innovant, bon manager, bon homme d’affaires, etc., sans pour autant distinguer les caractéristiques propres aux femmes. Dans la mesure où les individus se comportent différemment selon le genre, leur environnement socio-culturel ou leur éducation, on peut observer une différence en termes de motivations pour l’entrepreneuriat et/ou une différence en termes de comportement et de compétences (Alexandre-Leclair, 2014), ce qui influence les différentes typologies. Ainsi, la littérature foisonne de profils possibles des créateurs d’entreprise. Nous pouvons trouver les caractéristiques d’entrepreneures, d’entrepreneurs seniors, étudiants ou encore immigrés, et récemment les entrepreneurs sociaux, les « mampreneurs » et les « webentrepreneurs », mais il n’existe pas une réelle typologie des entrepreneures. Pour cette raison, nous avons choisi d’analyser la question du genre, soit les différences de typologies qui existent dans la littérature entre les hommes et les femmes. En effet, d’après Figueora-Armijos et al. (2013), les études sur l’entrepreneuriat qui ne distinguent pas la différence entre les hommes et les femmes sont considérées comme « gender-blind » (Goffee et Scase, 1985) ou « gender-neutral » (Ahl, 2004, 2006 ; Beasley, 1999) parce qu’elles ne tiennent pas compte du fait que les motivations des hommes diffèrent de celles des femmes et que les comportements managériaux sont différents selon le genre (Schwartz, 1976). 3Par ailleurs, le « genre » ou « l’approche de genre » est souvent mal comprise en France. Issu de l’anglais « gender », le genre est un concept sociologique désignant les « rapports sociaux de sexe », et de façon concrète, l’analyse des statuts, rôles sociaux, relations entre les hommes et les femmes. Appliqué aux politiques publiques, le genre a pour objectif de promouvoir l’égalité des femmes et des hommes en prenant en compte les différences et la hiérarchisation socialement construite. On parle aussi en France d’« approche intégrée de l’égalité ». En tant que méthodologie, cette approche produit une analyse comparée des situations des femmes et des hommes et favorise une meilleure prise en compte des inégalités dans tous les secteurs du développement. Le genre exprime les rapports sociaux de sexe, la construction sociale des caractéristiques, valeurs et normes attachées au féminin et au masculin par la culture, l’éducation et les institutions [1][1]http://www.adequations.org. 4Ainsi, Brush (1992) suggère que les femmes considèrent l’entrepreneuriat comme un projet de vie où l’on pourra trouver un équilibre entre sa vie familiale et professionnelle et non uniquement pour dégager des profits. Aussi, d’après une étude sur l’égalité entre les hommes et les femmes menée en 2011 par le ministère des Solidarités et de la Cohésion sociale [2][2]http://social- sante.gouv.fr/ministere/organisation/directions/ar…, le salaire moyen des femmes en Europe était de 27 % inférieur à celui des hommes, pour un même poste et à compétences égales avec un écart de 40 % dans le secteur des services. D’autre part, l’enquête « Emploi du temps » menée par l’Insee en 2009-2010 [3] [3]http://www.insee.fr/fr/themes/document.asp?ref_id=edt2010 rév èle qu’en dehors de leur vie de bureau les femmes sont, dans leur vie privée, majoritairement responsables des tâches domestiques. Nous pouvons donc constater que, dans la société, l’étude du genre demeure stéréotypée en attribuant aux femmes un rôle plus familial qu’entrepreneurial. 5D’un autre côté, plusieurs recherches sur l’entrepreneuriat des femmes dans des pays en développement démontrent que ces dernières visent des secteurs différents de ceux des hommes (Alexandre-Leclair et Redien-Collot, 2013), elles s’orientant particulièrement vers les secteurs des services, ce qui les amène à fixer des objectifs et des stratégies différentes de celles des hommes (Brush, 1992 ; Carter et al., 1997). Plusieurs recherches sont aussi menées sur l’influence de la culture sur l’entrepreneuriat des femmes partant de l’hypothèse que les aspects socio-culturels affectent plus les femmes que les hommes, notamment dans certains pays (Alexandre-Leclair et Redien-Collot, 2013). 6Force est de constater que, malgré l’abondance de la littérature sur l’entrepreneuriat des femmes, les articles sur la typologie de ces dernières semblent se confondre avec leurs caractéristiques. Ainsi, la typologie présentée dans la littérature concerne les entrepreneurs de façon globale sans pour autant différencier celle des femmes. Dans cet article, nous souhaitons donc proposer une réelle typologie des entrepreneures (au sens de Fillion, 2000), afin de construire une typologie « genrée ». Cet article étant conceptuel, la méthodologie est basée sur une revue de littérature sur la typologie des entrepreneurs hommes/femmes. Les résultats ainsi obtenus seront analysés afin d’en déceler une typologie des entrepreneures qui sera confrontée par la suite à celle des hommes afin de proposer une véritable typologie « genrée ». Verstraete (1999) recense trois dimensions de l’entrepreneuriat : cognitive, praxéologique et structurale. Dans cet article, nous ne prenons en compte que la dimension praxéologique, les deux autres dimensions semblent plus difficiles à comparer. Afin de mettre en exergue les caractéristiques des entrepreneures et établir une comparaison avec celles des hommes, nous prenons en compte sept facteurs qui ressortent de la littérature sur l’entrepreneuriat des femmes. En effet, la littérature sur les typologies des entrepreneurs de façon générale ne distingue pas le genre. Cela nous pousse à croire que cette littérature, par omission, ne traite que de la typologie des entrepreneures. D’autre part, la typologie des entrepreneures recensée dans la littérature ne fait aucune référence à la typologie « classique » de l’entrepreneur, bien au contraire, elle met davantage en avant les caractéristiques et les types des entrepreneures en les comparant même de façon implicite aux types d’entrepreneurs. Ainsi, nous présentons d’abord une revue de littérature sur l’entrepreneuriat des femmes afin d’en dégager une typologie des entrepreneures. Nous présenterons par la suite un résumé de la typologie des entrepreneurs, afin de la confondre avec celle des femmes et présenter une comparaison entre les deux. .4 – Obstacles 20Les femmes seraient davantage freinées dans leur démarche entrepreneuriale par les préjugés, les stéréotypes, voire les mythes, que ne le sont les hommes (Brush et al., 2009 ; Cornet et Constantinidis, 2004). On constate également qu’elles créent des entreprises de plus petite taille, investissent de plus petits montants et préfèrent emprunter peu pour protéger leur famille (Bledsoe et Oatsvall, 2010 ; Cornet et Constantinidis, 2004 ; Letowski, 2007 ; St- Cyr et al., 2003), mais aussi et surtout parce qu’elles ont un accès plus difficile aux financements bancaires que leurs homologues masculins. Aussi, les femmes semblent souffrir davantage que les hommes d’un manque d’accompagnement dans leur démarche entrepreneuriale (Carrier et al., 2006 ; Cornet et Constantinidis, 2004). Pourtant, les dernières études en France que nous présentons dans ce texte démontrent que les femmes sont plus nombreuses que les hommes à bénéficier d’un accompagnement par leurs banques pour créer ou développer leur activité, mais aussi qu’elles obtiennent un prêt bancaire à la création plus fréquemment que les hommes. En revanche, les femmes sont moins nombreuses à appartenir à un réseau professionnel (Cornet et Constantinidis, 2004). En effet, comme nous le verrons plus loin dans le cadre des résultats du baromètre de l’entrepreneuriat des femmes, ces dernières sollicitent moins leur cercle professionnel que leur cercle familial. D’un autre côté, comme nous l’avons évoqué précédemment, l’environnement socio-culturel peut favoriser ou au contraire décourager les femmes à créer leur propre entreprise. 1.5 – Style de management des femmes 21D’après O’Shea (2015), une femme business developer possède plusieurs qualités qui la différencient des hommes : elle incarne le leadership dans le sens où elle inspire et motive ses équipes pour devenir plus performants tout en développant une qualité de relation avec celle-ci. Dans le même sens, elle favorise le travail en équipe, comprend l’intérêt de l’innovation et cherche à se renouveler en permanence. Elle est stratège en matière de marketing et de communication et est garante de l’image éthique de son activité. 22Les littératures francophone et anglophone évoquent d’autres spécificités : les entrepreneures posséderaient un style de gestion plus horizontal et participatif que leurs homologues masculins (Buttner, 2001 ; Bird et Brush, 2002 ; Carrier et al., 2006 ; Leger- Jarniou, 2013), plus démocratique et interactif et plus ouvert (Rosener, 1990 ; Jacobson, et al., 2010 ; Jogulu et Wood, 2006 ; Psychogios, 2007). Aussi, les femmes apporteraient une dimension plus sociale et humaine à leur entreprise (Paradas et al., 2012), elles seraient également plus altruistes (Levy-Tadjine et al., 2006) [6] [6]Cité par Santoni et Barth (2014).. Dans la même veine, d’après Niwdorff et Rosch (2010), les entrepreneures feraient preuve d’un leadership centré sur les autres. Par exemple aux États-Unis, les femmes auraient davantage tendance à impliquer leurs salariés dans la prise de décision que les hommes. 1.6 – Réseaux 23Historiquement, les hommes ont accès plus facilement aux réseaux d’affaires formels, ayant majoritairement occupé plus de postes à responsabilité avant de créer leur propre entreprise (Robinson et Stubberud, 2009 ; Lalanne et Seabright, 2011). Des différences genrées existent également au sein des réseaux informels (Moore et Buttner, 1997 ; Robinson et Stubberud, 2009). Les hommes identifient aisément les relations-atouts, les plus utiles (avocats, banquiers, experts-comptables, etc.), leur compagne venant ensuite (Hisrich et Brush, 1986). Les femmes, quant à elles, identifient dans leur compagnon et leurs proches leur meilleur atout en termes de relations clients ; pourtant, bien que cela soit très important, cette concentration sur le réseau familial se révèle être un désavantage sérieux pour le projet entrepreneurial en termes d’accès aux réseaux institutionnels, aux conseils à l’information (Robinson et Stubberud, 2009). Le moindre accès des femmes aux réseaux professionnels représente un obstacle puissant au développement de leur carrière (Weiler et Bernasek, 2001). En ce qui concerne la structure du réseau, l’importance des liens forts dans les pratiques de réseaux des femmes est suggérée du côté anglophone (Roomi, 2009) et francophone (Borges, Filion et Simard 2008) : les entrepreneures sollicitent de manière plus systématique les membres de leur famille que leurs homologues masculins, et cela à toutes les étapes du projet (Greve et Salaff, 2003). Ces informations ont été validées par les études menées récemment en France et seront présentées dans la partie suivante. Ces différences dans la structure des réseaux des entrepreneures seraient source de difficulté à la création et lors du développement de l’entreprise (Aldrich, Reese et Dubini, 1989 ; Moore, 1990 ; Manolova et al., 2007 ; Ruef et al., 2003 ; Carrier, Julien et Menvielle, 2006) puisque ces réseaux permettraient l’accès aux conseils et à l’information, éléments essentiels lors d’une création d’entreprise (Robinson et Stubberud, 2009 ; Anderson et al., 2010). Concernant le soutien pouvant être apporté par le réseau social de l’entrepreneur, il apparaît que les femmes souffrent également d’un manque d’accompagnement dans leur démarche entrepreneuriale (Carrier et al., 2006 ; Cornet et Constantinidis, 2004). Cette proposition a été contredite néanmoins par le baromètre réalisé en 2014 sur l’entrepreneuriat des femmes par la Caisse d’Épargne. D’autre part, l’idée d’une perspective intégrée est évoquée dans la littérature anglophone (Brush, 1992) : les femmes intègrent leur entreprise dans leur vie personnelle et sociale, la considérant plutôt comme un réseau coopératif de relations et non comme une entité économique distincte. L’aspect relationnel est donc prépondérant (Léger-Jarniou, 2013), les femmes attachant plus d’importance aux relations personnelles et au bien-être psychologique que les hommes (Carrington, 2006). Ainsi, Aidis et al. (2007) soulignent que dans les pays post-soviétiques, il existait une différence entre les réseaux des hommes et ceux des femmes. En particulier, les réseaux des femmes étaient considérés comme moins puissants que ceux des hommes à cause de la forte influence des règles soviétiques qui, dans le passé, avaient attribué plus de pouvoir pour les hommes que pour les femmes. D’un autre côté, Sappleton (2009) a montré que les femmes qui investissent dans des secteurs traditionnellement féminins possèdent un niveau plus élevé de capital social, alors que celles qui investissent dans des secteurs traditionnellement masculins possèdent un niveau plus bas de capital social. 24Quant à la responsabilité familiale, la majorité des études démontrent qu’au-delà des cultures ou du niveau d’engagement dans les affaires, les femmes sont amenées à s’occuper de leur famille davantage que les hommes (Low, 2008). Ce qui les pousse à combiner les obligations professionnelles et familiales en limitant l’étendue du travail et le temps nécessaire pour s’engager dans les affaires (Dhaliwal et al., 2009). 1.7 – Risque 25La littérature positionne les femmes comme ayant davantage d’aversion au risque que les hommes. Pourtant, Maxfield et al. (2010) considèrent qu’il n’existe pas de différence entre les entrepreneures et les entrepreneurs en ce qui concerne la prise de risque. Dans la même veine, Brindley (2005) clame que ce sont les banques qui perçoivent les femmes comme moins entreprenantes que les hommes, par conséquent, elles ont plus d’aversion aux risques que les hommes et perdent ainsi en crédibilité. 26D’un autre côté, Menger (2014) présentant les résultats d’une étude menée par l’INSEE en 2012 sur les traits des entrepreneurs, concernant notamment leur comportement vis-à-vis du risque, montre que la prise de risque ne se réduit pas à un simple calcul monétaire, mais que les femmes combinent goût du risque, désir d’indépendance, d’augmenter leurs revenus ou volonté de sortir du chômage. Par ailleurs, la combinaison d’un emploi salarié et d’une activité indépendante exercée à temps partiel constitue un schéma fréquent de couverture du risque de revenu et d’activité lié à l’engagement dans une carrière entrepreneuriale. Certains auteurs mettent en avant l’influence d’événements contraints qui auraient généré la création (notion d’« accident »). Fayolle (2011) montre notamment que la création permettrait de limiter les risques – ceci qu’il s’agisse d’entrepreneurs ou d’entrepreneures. Mais, le secteur d’activité aurait aussi une influence sur le comportement de l’entrepreneure. Par exemple, concernant les profits réalisés, pour Sappleton (2009), les entrepreneures qui investissent dans l’industrie seraient plus motivées par la réalisation de profits et la richesse que celles qui ont choisi des secteurs traditionnels. La performance de l’entrepreneure a également été étudiée par plusieurs auteurs. Ainsi, d’après Chell et Baines (1998), Cliff (1998), Boden et Nucci (2000) et Fairlie et Robb (2009), la performance des femmes est inférieure à celle des hommes. Robichaud et al. (2005) ont notamment montré que les entreprises canadiennes détenues par les femmes prennent de l’expansion moins rapidement, recrutent moins de salariés et ne poursuivent pas les mêmes objectifs que celles appartenant aux hommes. En matière d’objectifs, les hommes paraissent davantage portés vers la croissance (Cliff, 1998 ; Fairlie et Robb, 2009). D’un autre côté, et dans un souci de comparaison avec d’autres pays, Enhai (2011) a constaté que les entreprises créées par des femmes en Chine sont plus petites en termes de nombre d’employés, de revenus et de profits que celles des hommes. Ces résultats confirment ceux trouvés dans les pays développés. Cela dit, d’autres résultats contradictoires ont été obtenus par Tan (2008) à propos d’entrepreneures américaines qui ont surmonté la responsabilité de la nouveauté dans le sens où elles surpassent leurs homologues masculins, prennent plus de risques et sont plus déterminées à obtenir des meilleurs retours sur investissement et un avantage compétitif futur. 27Par ailleurs, une étude réalisée par KPMG en juin 2015 en France montre encore une image contrastée de l’entrepreneuriat féminin. L’étude montre ainsi que les femmes représentent 52 % de la population et 48 % de la population active, mais seulement 14 % des chefs d’entreprise et qu’elles dirigent en particulier des petites entreprises. Ainsi, 40 % d’entre elles sont à la tête d’une société de moins de 100 salariés et elles ne sont que 15 % à diriger plus de 500 salariés. Plutôt jeunes [7][7]L’âge n’est pas précisé par les auteurs., elles sont principalement devenues dirigeantes en créant ou en rachetant leur entreprise (44 %), par promotion interne (27 %) ou par transmission familiale (22 %). En revanche, seules 7 % des dirigeantes ont atteint leur poste par promotion externe. Elles entreprennent principalement en Île-de-France (24,2 % des dirigeants), en Rhône-Alpes (9 %), et en Provence Alpes Côte d’Azur (8,1 %), dans les secteurs du social (22,4 %), du service aux particuliers (18,6 %) et du commerce (16,4 %). Le goût d’entreprendre et l’épanouissement professionnel sont des motivations pour près de deux dirigeantes sur cinq (40 %). Mais un tiers d’entre elles estiment avoir des difficultés à concilier vie privée et professionnelle (contre 25 % pour les hommes) ou à ressentir un sentiment d’incapacité. Le sondage révèle aussi que 44 % des femmes à la tête d’entreprises le sont parce qu’elles ont elles-mêmes créé ou racheté une société. Contrairement aux hommes, qui affichent clairement leur volonté d’arriver à la tête des sociétés, elles y voient plutôt un espace de liberté pour entreprendre (39 %) afin d’exploiter toutes les palettes des compétences disponibles (technique, management, prise de décision, développement commercial, communication, opérationnel…). De façon sous-jacente, c’est également pour elles un moyen de s’épanouir professionnellement. Cependant, une fois en poste, leur principale difficulté consiste à concilier vie privée et vie professionnelle. Ces résultats ne font donc que confirmer les caractéristiques des entrepreneures proposées par la littérature académique. 28Autre constat : les femmes sont davantage représentées à la tête des petites entreprises de 10 et 20 salariés (15,4 %). Elles ne sont plus que 7,5 % dans des structures de plus de 1 000 salariés, même si leur présence a progressé de 4 points en dix ans. 20 % des dirigeantes n’ont pas confiance en leur capacité à diriger, contre 13 % chez les hommes. Cela dit, l’envie d’accéder à un poste de direction est prégnante chez les moins de 30 ans, plus audacieuses et moins complexées que leurs aînées, bien que les femmes entre 40 et 60 ans se démarquent avec, en moyenne, une hausse de plus de 4 points entre 2003 et 2013. Cela dit, à en croire l’étude citée, les femmes arriveraient en tête pour reprendre le flambeau, les pères préférant confier ces responsabilités à leurs filles, notamment dans certains secteurs qui restent pourtant de véritables bastions masculins comme le bâtiment et les travaux publics. En effet, l’étude montre que seulement 8 % d’entre elles perçoivent le management comme une difficulté, contre 21 % chez leurs homologues masculins. Les lignes bougent également dans les secteurs investis par les hommes : traditionnellement surreprésentées dans le social, les services aux particuliers et le commerce, les femmes lorgnent désormais de plus en plus vers l’énergie, l’agroalimentaire, l’industrie et l’automobile. De plus, selon le rapport sur l’entrepreneuriat féminin réalisé par le Centre d’analyse stratégique [8] [8]http://archives.strategie.gouv.fr/cas/content/les-publications.h… e n avril 2013, 70 % des femmes considèrent l’entrepreneuriat comme un bon choix de carrière, contre 70,1 % chez les hommes. À ce niveau, nous ne pourrons dégager de conclusion dans le sens des femmes ou des hommes. 29Pour compléter le panorama sur les entrepreneures en France, d’après le baromètre de l’entrepreneuriat des femmes réalisé en 2014 par la Caisse d’Épargne, auprès d’entrepreneurs hommes et femmes, l’âge moyen des entrepreneures serait de 48 ans alors que celui des hommes est de 50 ans. Ces résultats contredisent l’étude plus récente réalisée par KPMG et présentée plus haut qui stipule que les entrepreneures sont plutôt jeunes sans pour autant préciser l’âge. Cela dit, les entrepreneures mènent une vie familiale (2 enfants en moyenne). Le nombre de salariés est de 1,9 pour les femmes alors qu’il est de 2,6 pour les hommes. Quant au chiffre d’affaires, les femmes réalisent en moyenne 182 k euros contre 294 k euros pour les hommes. Quant à l’accompagnement à la création, que ce soit en phase de création (43 % contre 35 %) ou de développement (40 % contre 34 %), les entrepreneures affirment se sentir plus accompagnées que les hommes. Elles sont en effet plus nombreuses que les hommes à être accompagnées par leur banque pour créer (46 % contre 33 %) ou développer leur activité (35 % contre 29 %). L’obtention d’un prêt bancaire à la création est plus fréquente pour les femmes (52 % contre 36 %). D’ailleurs, ces dernières jugent l’action des banques comme utile, voire indispensable, dans 93 % des cas contre 84 % pour les hommes. En ce qui concerne les réseaux, d’après l’étude, quel que soit le genre, les créateurs innovants s’entourent en particulier de leurs proches. Le recours au cercle professionnel est plus fréquent en innovation, mais demeure moins sollicité par les créatrices, bien que les femmes soient deux fois plus sensibles à la constitution d’un réseau pertinent comme levier de croissance de leur entreprise. 30À partir de ces éléments contrastés de ce qui pourrait être un profil-type des entrepreneures, nous ne pouvons que mettre en avant la grande variété des situations, à l’image au demeurant de l’entrepreneuriat masculin. Constat qui nous conduit à élaborer non un profil-type de l’entrepreneure, mais une typologie, pour mettre en évidence la grande variété des situations possibles. 1.8 – Typologie des entrepreneures 31Grâce à la revue de littérature élargie et les différentes études récentes réalisées en France, nous avons pu réaliser une typologie au sens proposé par Filion (2000). En effet, d’après lui, le terme type implique une certaine distinction établie entre des personnes et réfère implicitement à une classification sans que celle-ci se veuille toujours exhaustive. Ainsi, nous pouvons distinguer différents types d’entrepreneures : les « audacieuses » (le trait le plus récent dans la littérature), celles qui ont le sens de l’éthique, celles qui sont persistantes, ayant le sens de l’épargne et la facilité relationnelle (traits récents également), les « économes » ou « gestionnaires », les leaders, celles qui trouvent un équilibre entre la vie familiale et professionnelle, les « altruistes », les « sociales et humaines », les « managers participatifs », les « démocrates », celles qui recherchent la sécurité, les prudentes donc, les opportunistes qui recherchent la richesse avant tout, et enfin les « moins performantes ». Nous avons regroupé les types caractéristiques par ordre chronologique dans le tableau 1. Comme nous pouvons le constater, la première typologie est apparue dans les années 1990 en mettant en avant le style démocratique et plus ouvert des femmes. Dans les années suivantes, d’autres types d’entrepreneures sont apparus, mais de façon globale nous restons loin des typologies proposées pour les hommes. Tableau 1 Typologie des entrepreneures
32Afin d’asseoir cette typologie des entrepreneures, nous présentons
ci-dessous un résumé de la typologie des entrepreneurs telle qu’elle est proposée par la littérature depuis les premiers écrits sur l’entrepreneur, laissant apparaître l’absence des femmes. 2 – Typologies d’entrepreneurs 33Les chercheurs, qui ont depuis le dix-septième siècle, date approximative à partir de laquelle la théorie de l’entrepreneur commence à se constituer, ont résolument exclu l’entrepreneure de leur analyse. L’entrepreneur ne pouvait être qu’un entrepreneur, donc un homme. Dans le tableau 2, nous présentons les typologies proposées depuis Cantillon au 17e siècle à Fourquet (2011) au début du 21e siècle. Tableau 2 Typologie des entrepreneurs depuis le dix-septième siècle (adapté de Filion, 2010) 3 – Discussion 34D’après la littérature, il existe bel et bien des différences entre les pratiques entrepreneuriales et managériales des femmes et celles des hommes. Cette distinction se fait essentiellement au travers des caractéristiques des entrepreneures décrites par les différents auteurs. Cependant, aucune typologie des entrepreneures n’est proposée de façon directe, ce qui nous a poussée à établir une typologie à partir des différentes propositions des auteurs. Cela dit, et bien qu’il existe plus d’hétérogénéité en ce qui concerne le comportement des femmes que celui des hommes, sept caractéristiques nous ont paru pertinentes et régulièrement évoquées : 1. La motivation : d’après la littérature, les femmes seraient plus motivées par l’entrepreneuriat par nécessité et non par volonté personnelle, bien que certains auteurs distinguent les femmes dans les pays développés de celles dans les pays en voie de développement où ces dernières seront plus à même de créer pour des raisons de survie contrairement à leurs homologues des pays développés qui possèdent les mêmes motivations que les hommes. 2. Le style de management semble départager les hommes et les femmes. Ainsi, alors que les femmes semblent pratiquer le management participatif, les hommes quant à eux ne partagent pas la prise de décision avec leurs employés. 3. La prise de risque : d’après la littérature, une des caractéristiques principales de l’entrepreneur est sa capacité à prendre des risques. Or il semblerait que les femmes possèdent une aversion au risque plus grande que les hommes, ce qui les pousse à investir moins en termes de capital, mais aussi à être plus prudentes dans leurs investissements et meilleures gestionnaires. Ces qualités poussent de plus en plus les banques à accorder des crédits aux femmes, car elles sont confiantes dans le remboursement à venir de l’emprunt. Bien que, d’après la littérature, cette aversion au risque pourrait être liée au fait que les banques leur accordent des montants de crédit qu’aux hommes pensant que ces dernières possèdent moins de qualités entrepreneuriales que leurs homologues masculins. Ces propositions sont donc contradictoires. 4. Les valeurs : d’après la littérature, les femmes semblent être plus influencées par leur culture et leur religion que les hommes. Aussi, elles accordent plus d’importance à la responsabilité sociale de leurs actes que les hommes et possèdent des valeurs familiales indéniables dans le sens où elles essaient de trouver un équilibre entre leur vie familiale et leur vie professionnelle. 5. Les réseaux : la littérature présente les hommes comme ayant un plus large réseau professionnel que les femmes. 6. Les obstacles : les femmes rencontrent plus d’obstacles que leurs homologues masculins, notamment en termes d’accompagnement et de financement, et, dans certains pays, en termes d’environnement socio-culturel. 7. Les secteurs d’activité : malgré l’évolution des motivations des femmes pour l’entrepreneuriat, elles restent pour la majorité dans les secteurs traditionnels (services et social) et sont beaucoup moins présentes dans l’industrie où évolue la majorité des hommes. 35Ainsi, de l’exposé précédent présentant des résultats parfois très contradictoires, nous avons pu distinguer 13 traits caractéristiques des entrepreneures (tableau 1) : style démocratique et interactif et plus ouvert, équilibre vie familiale/vie professionnelle, moins performantes, style de gestion horizontal et participatif, altruistes, bonne gestion, économes, sécurité, réseaux informels, attirées par la richesse, sociale et humaine, éthique, persistance, sens de l’épargne, facilité relationnelle, audacieuses, leadership. Cette liste tend à mettre en avant des qualités que l’on pourrait qualifier de « féminines ». Mais, cela ne ferait pas avancer la recherche en la matière. Or nous avons pu constater que la première typologie d’entrepreneurs remonte à Cantillon au dix-septième siècle, alors qu’il faut attendre la fin du vingtième siècle pour que les premières typologies d’entrepreneures soient élaborées. Cela démontre que l’entrepreneuriat des femmes est une discipline nouvelle et qu’elle est encore en phase de construction. D’un autre côté, ces résultats démontrent aussi qu’il n’existe aucun point en commun en termes de « type » avec la typologie déjà proposée par la littérature (tableau 2). Cela signifie que la typologie « genrée » mérite bien d’exister, bien que certains traits de caractères identifiés comme « masculins » commencent à apparaître chez les femmes, par exemple la présence croissante des femmes dans les secteurs industriels et innovants, ou encore la volonté de s’enrichir et l’amour du risque. Il nous est donc impossible à ce jour de compléter ou de croiser le tableau 1 avec le tableau 2 car nous n’avons trouvé aucun type commun entre les hommes et les femmes. Conclusion 36Dans cet article, nous avons souhaité proposer une typologie « genrée » de l’entrepreneur dans la mesure où la littérature présente une typologie générale de l’entrepreneur, celle sur les femmes présente plutôt des caractéristiques et non une réelle typologie. Ainsi, grâce à la littérature et à plusieurs études récentes menées en France sur l’entrepreneuriat féminin, nous avons pu dresser un tableau récapitulatif des types d’entrepreneures à partir de 13 éléments caractéristiques. Force est de constater que l’entrepreneuriat des femmes se distingue de celui des hommes à plusieurs niveaux : la personnalité, la performance, les motivations, le style de management, la prise de risque, les valeurs, l’entretien des réseaux, la gestion financière, la responsabilité sociale de l’entreprise, les obstacles et les secteurs d’activités. Nous notons aussi que la taille des entreprises dirigées par les femmes est en général plus petite que celles dirigées par les hommes. Mais les évolutions économiques et sociales poussent de plus en plus les femmes à rivaliser avec leurs homologues masculins et à accéder de plus en plus à des secteurs dits « masculins », de même qu’à des entreprises de taille plus importante et dégageant plus de profits. Enfin, la typologie ainsi dégagée permet de confirmer qu’il existe bel et bien une différence entre les hommes et les femmes en termes de « type » d’entrepreneur et en termes de pratique. Cette recherche apporte un élément nouveau à la littérature sur l’entrepreneuriat des femmes en termes de typologie. Néanmoins, elle n’est que conceptuelle et ces résultats ne peuvent être que des constats subjectifs. Mener des recherches de terrain plus approfondies permettrait de vérifier ces éléments caractéristiques dégagés de la littérature et de confirmer ces constats. Notes