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Une indexation contrôlée, sociale ou négociée ?

Indexation et organisation de l’information sur l’intranet


d’une grande entreprise

Frédéric ERLOS

frédéric.erlos@credit-agricole-sa.fr

Crédit Agricole S.A et Université de Paris 3 (Syled – CLA2T)

RÉSUMÉ. Une forme particulière d’organisation de l’information s’est développée sur les intranets, en
s’adaptant aux contraintes associées aux évolutions récentes de l’organisation du travail. À partir des données
statistiques fournies par l’indexation réalisée sur un ensemble de soixante-dix sites intranet construits à l’aide
d’une même plateforme de gestion de contenu, on analyse une forme négociée d’organisation de l’information.
On présente le résultat de trois sortes de négociations conduites par les webmestres : l’indexation des contenus,
l’utilisation de listes contrôlées de métadonnées et le partage de ces listes entre sites. On tire de cette analyse
des enseignements relatifs à la nature du pilotage de l’organisation de l’information sur un intranet de grande
entreprise.
MOTS-CLÉS : indexation – métadonnées – intranet – gestion de contenu.

ABSTRACT. A particular form of information organization developed on the intranets, by adapting itself to the
constraints associated with the recent evolutions of work organization. With the statistical data suplied by the
indexation made on a set of seventy intranet sites built by means of the same platform of web content
management, we analyze a negotiated form of information organization. We expose the results of three kinds of
negotiations managed by the webmasters: contents indexing, the use of controlled lists of metadata and the reuse
of these lists for more than one site. This analysis allows setting out teachings about information organization
management on the intranet of a large company.
KEYWORD : indexing – metadata – intranet – web content management.

1. Introduction

Depuis leur apparition au milieu des années 1990, les intranets 1 se sont progressivement rendus
indispensables pour la réalisation de la plupart des activités à l’intérieur des organisations. Entre autres
propriétés, ils partagent les objectifs des systèmes d’organisation de l’information. En effet, ils
permettent aux usagers de localiser par recherche ou navigation un contenu ou un ensemble de contenus,
à partir d’attributs bibliographiques ou thématiques, et de les consulter2. On entend par contenu une
forme de document3. Les documents dont il s’agit ici sont dans un format électronique et possèdent un
contenu textuel et/ou multimédia. Ils sont créés, soit à l’aide d’un logiciel spécial, soit à l’aide de
l’éditeur de texte HTML d’un outil de gestion de contenu. Ce dernier est utilisé afin de piloter leur cycle
de vie, de la création à la suppression en passant par la publication sur les arborescences des sites Web et

1 « Réseau informatique privé, à l’intérieur d’une organisation, qui utilise les protocoles de communication et
les technologies du réseau Internet. » in Grand dictionnaire terminologique,
http://www.granddictionnaire.com/.
2 [Svenonius, 2000] et articles Organization of knowledge et Knowledge management, in [Feather et al.,
2003].
3 « recorded information or material object which can be trated as a unit in a documentation process. » [ISO,
2001], p. 11.
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l’archivage. Le cycle de vie et la publication de ces documents sur les sites d’un intranet sont définis à
l’aide de métadonnées4.
Cependant, on constate que sur les intranets il est rarement fait usage d’outils documentaires tels que
les classifications ou les thésaurus. Par ailleurs, dans de tels contextes, les activités liées au traitement de
l’information semblent s’être dissoutes dans les diverses tâches qui incombent quotidiennement aux
salariés. Cependant, et contrairement à ce que l’on peut observer sur Internet, ce phénomène ne s’est pas
accompagné d’un développement de l’indexation sociale5. En effet, dans les cadres professionnels,
l’organisation du travail impose des contraintes plus fortes que ce que l’on observe pour l’Internet
« gratuit ». Néanmoins, il aurait été surprenant de ne pas voir émerger des formes d’indexation adaptées
au contexte des intranets. C’est à l’une de ces formes d’indexation négociée dans un contexte réel
d’utilisation que cette étude est consacrée. On s’attachera à en présenter les principales caractéristiques
mais aussi les limites.

2. L’étude des usages en matière d’organisation de l’information

L'approche que l’on a retenue s’inscrit dans le courant des études « orientées usager » qui s’est
développé dans les années 1970 contre l'approche « orientée système » datant des années 1950 et 1960.
Elle s’inspire des travaux plus récents menés afin de modéliser et d’évaluer les systèmes de recherche
d’information dans leur contexte réel de fonctionnement6. D’une manière plus générale, ce travail adopte
pour cadre celui fourni par la sociologie du travail et de l’entreprise7, et s’inscrit plus particulièrement
dans la lignée de travaux portant sur les « activités d’information8 ». Ces usages seront appréhendés ici à
l’aide des données statistiques relatives à l’indexation sur une plateforme de gestion de contenu ayant
permis de construire soixante-dix sites « métiers9 » pour l’intranet de l’organe central d’une grande
banque. En ce qui concerne les tâches d’indexation, on a retenu une définition assez extensive:
« indexing : denotation of the content or form of a document by means of words, phrases or notations
according to the rules of an indexing language10. » Mais compte tenu du contexte, il est nécessaire
d'apporter certaines précisions. En effet, le langage d’indexation et les règles minimales qui sont
associées à son usage font précisément débat dans le contexte fourni par un intranet. On parlera donc
plutôt d’une forme d’indexation particulière, adaptée aux problématiques de la gestion de contenu dans
un cadre professionnel, et pour laquelle il convient de préciser de quelle manière elle permet le repérage
et la recherche documentaires.

4 On reprend la définition des métadonnées fournie par [Cacaly et al., 2004] : « métadonnée : ensemble
structuré d’informations décrivant la forme, le contenu ou la localisation d’une ressource. »
5 On admettra que ce terme constitue une traduction approximative du néologisme anglo-saxon folksonomy,
francisé en folksonomie et défini ainsi par le Grand dictionnaire terminologique de l’OQLF : « Système de
classification collaborative et spontanée de contenus Internet, basé sur l'attribution de mots-clés librement
choisis par des utilisateurs non spécialistes, qui favorise le partage de ressources et permet d'améliorer la
recherche d'information. » Consulté à l’adresse, http://www.granddictionnaire.com/.
6 La littérature sur le sujet étant extrêmement volumineuse, on se contente de renvoyer ici aux synthèses des
travaux de N Belkin, P. Ingwersen, M. Bates et T. Saracevic, in [Chaudiron et al., 2002].
7 [Zarifian, 1999]. Pour l’intranet on renvoie à [Beaudouin et al., 2001] et [Benghozi et al., 2002].
8 [Guyot, 2006].
9 Ces sites rassemblent les contenus produits et publiés pour la réalisation d’une forme d’activité au sein de
l’entreprise. Toutes les activités sont concernées (comptabilité, ressources humaines, finances, marketing,
etc.).
10 [ISO, 2001]. Pour un état de l’art en ce qui concerne l’indexation, on renvoie à [Lancaster, 2003].

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3. Gestion de contenu et organisation de l’information

3.1. Arborescences et métadonnées

Les logiciels de gestion de contenu (web content management) permettent de créer et de publier des
contenus, d’assurer la gestion du cycle de vie de ces derniers et de construire les arborescences des sites.
Ils utilisent de façon courante les technologies du Web11, la construction dynamique des pages pouvant
en outre être assurée par un outil de portail. Si l’on considère qu’une page correspond à tout ce qui est
affiché par un navigateur sous ses zones d’outils et d’adresse, une telle unité est composite. Elle
comprend généralement, outre un certain nombre de fichiers correspondant aux aspects graphiques,
plusieurs contenus. Ces derniers sont caractérisés par un contenu à proprement parler – il peut s’agir
aussi bien d’un texte créé directement en HTML à l’aide d’un éditeur de texte riche12, que des
coordonnées associées à un contact mentionné dans la page, d’un fichier bureautique ou encore d’une url
–, et d’une série de métadonnées permettant de piloter le cycle de vie du contenu et ses destinations sur
l’arborescence des sites.

Dans le contexte étudié, l’association entre les contenus et les nœuds de l’arborescence des sites se
fait principalement à l’aide de deux moyens. Tout d’abord, chaque contenu peut être associé
manuellement à une ou plusieurs rubriques de l’arborescence. En second lieu, à partir d’une rubrique, il
est possible de sélectionner un ou plusieurs contenus, soit de façon manuelle, soit à l’aide de critères
déclarés dans une requête s’exécutant automatiquement à l’ouverture de la page. Cette requête interroge
les métadonnées associées aux contenus. Celles-ci ont deux origines principales : soit elles sont calculées
automatiquement par le système, comme, par exemple, la date de création d’un contenu, le poids ou le
type d’un fichier, soit elles sont déclarées manuellement par le webmestre ou le créateur d’un contenu, et
l’on parlera alors d’indexation déclarative. Le schéma ci-dessous résume les utilisations des
métadonnées lorsqu’elles sont associées au processus de publication.

Contenu y

Indexation 1 Indexation 2

Métadonnée 1 : date de publication 1 Métadonnée 3 : segment de clientèle


Métadonnée 2 : émetteur Métadonnée 4 :date de publication 2*
Métadonnée 5 : type de contenu

Site A Site B

Figure 1. Indexations et publications multiples d’un même contenu sur une plateforme
intranet

Ainsi, la date de publication d’un contenu peut être utilisée, dans un cas (1), afin d’afficher les
contenus nouvellement publiés sur un site, et dans un autre cas (2), pour regrouper les publications
correspondant à une période donnée. De même, l’affichage d’un même contenu simultanément sur
plusieurs sites (A et B) nécessite que ces derniers soient déclarés dans le formulaire de création du

11 XML (eXtensible Markup Language), XSL (eXtensible Stylesheet Language), HTML (HyperText Markup
Language), CSS (Cascading Style Sheet).
12 Ce type d’éditeur de texte permet de créer un texte au format HTML sans se préoccuper de son codage.

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contenu à l’aide d’une métadonnée. La mise en place de listes alphabétiques de descripteurs, destinées à
caractériser le contenu des informations publiées sur les sites, relève de ce type de métadonnées
déclaratives. Elles permettent de réaliser plusieurs regroupements de contenus sur une même page et de
présenter le même contenu sur des espaces ou des sites différents13.
3.2. Listes contrôlées de métadonnées thématiques

En 2005, lorsque ces listes ont été mises en place, une réelle incertitude a pesé sur leur utilisation par
les webmestres. En effet, l’usage de cette forme de liste d’autorité n’est pas habituel dans un contexte de
type Web, où le regroupement des contenus est confié, soit aux mots-clés libres pour la caractérisation
unitaire d’un contenu – que l’on retrouve maintenant transposée du côté des visiteurs sous la forme des
folksonomies –, soit à l’arborescence principale des sites. D’autre part, l’obsolescence des informations
publiées sur un intranet étant rapide – une publication est rarement prolongée au-delà de trois ans –,
l’utilité, et donc la rentabilité, d’un travail d’indexation manuelle n’est jamais assurée. En outre, la
population des webmestres et des rédacteurs qui réalise l’indexation, dans sa grande majorité, n’est pas
formée à la de gestion de l’information en général et à l’indexation en particulier. Enfin, les salariés (cent
cinquante environ) en charge de la gestion d’un site n’ont pas renoncé à leur activité principale relevant
des fonctions de suports ou des activités bancaires. Cela explique que l’effort consacré à ces tâches
dépasse rarement un tiers du temps de travail14.
Néanmoins, quatre ans plus tard, on peut constater que cette forme particulière d’indexation a connu
un développement notable. En effet, les 70 sites mis en place supportent actuellement 75 000 contenus.
Ceux-ci ont été indexés à l’aide de 1600 descripteurs différents répartis en 55 listes alphabétiques
distinctes. Les descripteurs utilisés totalisent plus de 66 000 occurrences. Il s’agit majoritairement
d’expressions complexes qui sont fréquemment au pluriel. Elles se répartissent en trois grandes
catégories : 20% de noms propres (entités, lieux, outils informatiques), 40% de termes (noms de
formations, segments de clientèle, produits et services bancaires, types de contenus), et 40%
d’expressions désignant spécifiquement des espaces de publication sur les sites (glossaires, publications
périodiques, « quoi de neuf ? », etc.). On voudrait maintenant montrer en quoi cette forme d’indexation
adaptée à la gestion de contenu résulte de plusieurs formes de négociations.

4. Une organisation de l’information négociée


4.1. Indexer ou ne pas indexer ?

Lorsqu’un webmestre ou un contributeur crée un contenu destiné à être publié, il n’est pas obligé de
l’indexer de façon déclarative à l’aide d’une liste de descripteurs. On observe que la moitié seulement
des contenus publiés a fait l’objet d’une telle indexation. De même, on constate des disparités
importantes d’un site à l’autre pour ce qui est de l’utilisation de listes de descripteurs, puisque certains
sites ne les utilisent pas, alors que d’autres disposent de formulaires de création de contenus comportant
une dizaine de listes de descripteurs15. Ce contraste dans l’utilisation de l’indexation semble opposer
deux stratégies. La première consiste à s'appuyer sur les fonctionnalités de base offertes par la
plateforme : un contenu peut être retrouvé, soit à l’aide du moteur de recherche full text dont la
plateforme est équipée, soit par navigation lorsqu’il a été rattaché manuellement à l’arborescence d’un
13 Dans ce schéma, le même contenu Y fait l’objet de deux indexations complémentaires réalisées par deux
personnes différentes lors de deux étapes distinctes de publication sur les sites intranet A et B.
14 Concernant les facteurs affectant la qualité de l’indexation on renvoie à [Lancaster, 2003], p. 89 et suiv.
15 Cette utilisation est de 0,7 liste par site en moyenne sur l’ensemble des sites et passe à 4 listes par site en
moyenne pour les 32 sites utilisateurs de listes.

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site. La seconde approche témoigne d’une volonté d’organisation de l’information qui a tendance à
multiplier les listes afin d’offrir des accès concurrents différents pour un même contenu. Dès lors, on
peut considérer que l’indexation s’inscrit dans un projet spécifique d’exposition des contenus, dont le
tableau ci-dessous résume les différentes formes ainsi que l’intérêt qu’elles présentent pour les
utilisateurs.

N° Utilisation de l’indexation déclarative Utilité dans le


contexte
1 Recherche full text sur les descripteurs accessoire
2 Descripteurs utilisés comme critères de recherche intermédiaire
3 Recherche à partir des descripteurs associés aux résultats intermédiaire
4 Publications multiples sur un même site nécessaire
5 Publications multiples sur plusieurs sites nécessaire

Tableau 1. Indexation déclarative et utilisations dans un contexte de type gestion de contenu

Le tableau ci-dessus met en évidence que l’indexation déclarative à l’aide de descripteurs


thématiques ne présente pas le même intérêt selon les utilisations. Ainsi, la recherche full text sur ces
descripteurs ne fait pas partie des destinations premières de cette indexation, car elle doublonne avec
l’indexation automatique réalisée par le moteur de recherche. En revanche les utilisations 2 et 3
correspondent bien à un besoin des webmestres. Elles consistent, pour 2, à présenter les descripteurs
regroupés par listes dans la recherche avancée du site, et pour 3, à afficher les descripteurs associés à
chaque item dans le résultat d’une recherche. À l’image des tags16, les descripteurs sont alors cliquables
et permettent de relancer la recherche à partir de celui qui a été cliqué. Cependant, ces utilisations ne
concernent qu’un descripteur sur deux. En revanche, tous les descripteurs sont utilisés afin de procéder à
des regroupements de contenus sur les pages des sites. Par conséquent, c’est bien cette dernière
utilisation – que l’on a qualifiée de nécessaire par opposition aux deux autres – qui constitue la
motivation première pour l’indexation des contenus. Cette forme d’indexation permet de réaliser une
catégorisation dans la mesure où elle vise l’association des contenus au classement proposé par
l’arborescence du site. Mais par opposition au classement manuel qui se limite la plupart du temps à une
seule rubrique, cette indexation permet de faire entrer facilement un même contenu dans des
regroupements multiples, sur un même site ou sur plusieurs sites. Dans le premier cas, l’enjeu est de
réaliser des signalements sur des espaces de service (Quoi de neuf) et des regroupements thématiques
(Émetteur, Segments de clientèle, etc.). Dans le deuxième cas de figure, le partage entre sites permet, en
outre, de garantir l’unicité du suport de diffusion d’une information sur l’intranet.

4.2. Listes hiérarchiques normalisées et contrôlées ou listes alphabétiques ?


Les caractéristiques du contexte qui a été rappelé plus haut ont pesé sur la forme retenue pour les
listes contrôlées de métadonnées. Si l’usage de thésaurus et de classifications a dû être écarté, il a été
nécessaire de trouver le moyen de satisfaire le souhait de contrôler et de fiabiliser l’indexation.
L’utilisation des listes a donc été encouragée par l’administration de la plateforme. Celle-ci a assisté les
16 Mots-clés ou métadonnées librement choisis et fréquemment associés aux billets des blogs (« Site Web
personnel tenu par un ou plusieurs blogueurs qui s'expriment librement et selon une certaine périodicité,
sous la forme de billets ou d'articles, informatifs ou intimistes, datés, à la manière d'un journal de bord,
signés et classés par ordre antéchronologique, parfois enrichis d'hyperliens, d'images ou de sons, et pouvant
faire l'objet de commentaires laissés par les lecteurs. » consulté à l’adresse :
http://www.granddictionnaire.com/).

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webmestres dans la mise en place des listes en veillant à ce que, dans la mesure du possible, ces listes
soient homogènes et partagées entre les sites. Mais il n’y a pas eu d’intervention sur la teneur de chaque
liste, la création des descripteurs et leur gestion quotidienne relevant de la responsabilité des webmestres.
Ceux-ci ont dû réaliser, souvent sans assistance particulière, les ajustements nécessaires entre les
contraintes liées à l’exposition de leur fonds documentaire et les exigences des publics de leurs sites. Par
ailleurs, on note que la forme retenue pour ces listes s’est révélée robuste à l’usage, car bien adaptée au
profil des indexeurs.
En effet, la solution négociée a pris ici la forme de listes alphabétiques composées d’une vingtaine de
descripteurs. Le classement alphabétique a été retenu, d’une part, parce qu’il est facile à manipuler, et
d’autre part, parce qu’il est le seul à pouvoir être partagé par des publics divers, y compris par des non-
spécialistes17. L’étude des listes produites montre que leur longueur moyenne s’est accrue avec l’usage
pour atteindre une trentaine d’items en moyenne. Les listes les plus courtes possèdent trois descripteurs
au moins18.

4.3. Listes de descripteurs communes ou exclusives ?


La fonctionnalité des listes de descripteurs mise en place permet de partager une liste entre plusieurs
sites, ou d’en réserver l’usage à un seul. Dans ce dernier cas, la gestion de la liste incombe au seul
webmestre. En revanche, les listes ayant vocation à être partagées par plusieurs sites ont été établies par
un collectif de webmestres. Ces listes ont pour fonction de formaliser une norme commune, censée être
partagée entre les contributeurs et les visiteurs des sites. La première liste constituée regroupe des types
de contenus et la seconde propose un découpage en grands secteurs de l’activité de l’organe central
d’une grande banque, comme le montre l’extrait ci-dessous.

Descripteurs Occurrences Sites utilisateurs


Achats 2 1
Agriculteurs 2590 10
Agroalimentaire 53 3
Collectivités publiques 1737 6
Concurrence 26 6

Tableau 2. Extrait de la liste commune « Marchés et domaines »

Les données rassemblées dans ce tableau mettent en évidence, d’une part, les forts contrastes qui
existent dans l’utilisation des descripteurs, et d’autre part, l’utilisation « à la carte » des listes communes
qui ont été mises en place. En effet, le consensus obtenu sur la teneur de la liste a été aménagé de telle
sorte que sur chaque site, seuls les descripteurs utiles à l’indexation soient présentés. Ce compromis n’a
visiblement pas été suffisant puisque les listes partagées ne représentent que 10% des listes utilisées 19, la

17 Il s’agit d’un débat déjà ancien dans le domaine des Sciences de l’information, puisqu’en 1876 on notait
déjà : « The fact is that the action of the mind in outlining a system and fitting books into it is very different
from that of inquiring where, in a system already formed by another, a given topic will be treated. It is hard,
apparently, for the system-makers to put themselves in the place of the public ; otherwise they would have
adopted more frequently than they have done the simple remedy which almost remove all these difficulties –
an alphabetical index of the subjects treated in the classed catalogue. » [Cutter, 1876], p. 532.
18 On note également que sur l’ensemble des descripteurs, 600 ont une fréquence d’utilisation supérieure à 10
occurrences.
19 165 descripteurs sont utilisés sur au moins deux sites, soit 10% du total des descripteurs créés.

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très grande majorité de ces dernières ayant un usage réduit à un seul site. Cependant, on observe que le
partage des listes entre sites dépend du volume de contenus partagés et du nombre de sites impliqués.
L’usage dominant, qui consiste en des regroupements de contenus limités à un seul site, a entraîné la
multiplication de listes ad hoc. Celles-ci sont liées à une forme précise d’activité et sont destinées à un
public restreint de spécialistes. L’utilisation des listes de métadonnées s’est par conséquent enfermée
dans une logique de diffusion étroite qu’elle contribue à entretenir.

4.4. Le pilotage d’une indexation négociée : un premier bilan


L’autonomie dont les webmestres bénéficient pour la gestion courante de ces listes n’a pas entraîné de
dérives graves. Certes, on a constaté que 15% des descripteurs ne sont pas utilisés, ou encore, que
certaines listes possèdent des doublons, mais dans des proportions pratiquement négligeables. De façon
plus gênante, on note que certaines listes ne possèdent pas toujours un niveau de granularité homogène
entre descripteurs. Ce phénomène s’explique, en partie, par la contrainte qu’impose l’usage exclusif de
listes alphabétiques. La carence de pilotage central se fait surtout sentir dans les contextes où les
possibilités offertes par l’indexation sont sous-utilisées, faute d’avoir reçu la promotion et
l’accompagnement nécessaires. Ce bilan permet donc de faire ressortir que le pilotage d’une telle forme
d’indexation négociée, plutôt que de viser un consensus linguistique normatif, devrait au contraire
fournir les moyens de sortir de l’« enfermement » linguistique évoqué dans la section précédente. Celui-
ci, dans la mesure où il est entretenu par l’usage presque exclusif de termes familiers pour les seuls
spécialistes, risque de constituer un obstacle à la circulation de l’information dans l’entreprise via les
sites de l’intranet.

5. Conclusion : vers une nouvelle forme de négociation ?


Dans cette étude, on a présenté une forme de traitement de l’information adaptée à la gestion de
contenu sur un intranet. Cette adaptation résulte des interactions existant entre un processus d’indexation
et son contexte d’usage. Le résultat négocié dont on a rendu compte privilégie l’utilisation de listes
alphabétiques et contrôlées de métadonnées, au détriment de la recherche d’une normalisation
linguistique. C’est pourquoi, il semble que dans un tel contexte la priorité devrait être maintenant de
permettre aux webmestres d’aborder une nouvelle forme de négociation, celle dans laquelle les différents
publics de leurs sites seraient pris en compte. On a vu que l’indexation adaptée à la gestion de contenu
facilite la multiplication des espaces d’exposition d’un contenu. Elle permet donc d’envisager qu’une
partie des arborescences soit destinée à présenter les contenus en fonction du vocabulaire et des
habitudes de classement des visiteurs des sites. Il reste alors à explorer la possibilité de documenter ces
tâches liées à l’organisation de l’information sur les intranets, en s’attachant à restituer la diversité des
usages linguistiques ayant cours dans une entreprise20.

6. Bibliographie
Beaudouin V., Cardon D., Mallard A., « De clic en clic – Créativité et rationalisation dans les usages
des intranets d’entreprise », in Sociologie du travail, n°43, Elsevier, 2001, p. 309-326.

Benghozi J.-P. et al., Le travail en réseau – Au-delà de l’organisation hiérarchique et des technologies
de demain, l’Harmattan, Paris, 2002, 95 p.

Cacaly S. et alii (dir.), Dictionnaire de l’information, Paris, Armand Colin, 2004, 274 p.

20 [Erlos, 2009].

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Chaudiron S., Ihadjadene M., « Quelle place pour l’usager dans l’évaluation des SRI ? », in V.
Couzinet et G. Régimbeau (dir.), Recherches récentes en sciences de l’information – Convergences
et dynamiques, Actes du colloque MICS LERASS, 21-22 mars 2002, Toulouse, Paris, ADBS, 2002,
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mutations et perspectives – Séminaire INRIA 29 sept.-3 oct. 2008 – Dijon, Paris, ADBS, 2008, p. 9-
57.

Deschatelets J., Dossier sur les métadonnées, mis à jour le 17 fév. 2009, consultable à l’adresse :
http://www.bibliodoc.francophonie.org/article.php3?id_article=172.

Erlos F., Discours d’entreprise et organisation de l’information, thèse, Université de Paris 3, 2009, 2
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Feather J., Sturges P. (Ed.), International Encyclopedia of Information and Library Science, London –
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Guyot B., Dynamiques informationnelles dans les organisations, Paris, Hermès-Lavoisier, 2006,
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Zarifian P., Travail et communication – Essai sociologique sur le travail dans la grande entreprise
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