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Bijoux du Maroc
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Voir également, de Jacques et Marie-Rose Rabaté, Bijoux du Maroc, du Haut Atlas


à la vallée du Draa (Edisud/Le Fennec, 1996).

SARL ÉDISUD, LA CALADE, RN 7, 3 120 ROUTE D'AVIGNON


13090 AIx-EN-PROVENCE - FRANCE
Tél. 0442216144/Fax 0442215620
www. edisud. com - e. mail : commercial@edisud. com

ISBN 2-7449-0081-8
@Édisud, Aix-en-Provence, 1999. Tous droits réservés.
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M A R I E - R O S E RABATÉ
A N D R É GOLDENBERG

Avec la collaboration de
JEAN-LOUIS THAU

Bij o u x d u M a r o c
Du Haut Atlas à la Méditerranée.
Depuis le temps des juifs
jusqu'à la fin du XXe siècle

Ouvrage publié avec le concours


du Centre national du Livre

EDISUD/EDDIF
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N.B. La transcription adoptée pour les mots arabes ou berbères ne vise qu'à donner au lecteur une idée de la
prononciation, aussi proche que possible de la réalité ; les marques du pluriel ne sont en général pas indiquées.
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Introduction

e très nombreux visiteurs sillonnent chaque année en tous sens cette partie
du Maroc, de Tanger à Marrakech et Essaouira, de Casablanca à Fès...
La plupart ont choisi un voyage classique, qui privilégie les aspects monu-
mentaux de ces cités, et laisse peu de temps à l'exploration des rues étroites des
vieilles médinas. Mais certains se détournent des grandes villes pour s'enfoncer dans
la montagne; ils ont parfois la chance, après avoir traversé de vastes paysages peu
peuplés, de se retrouver dans la foule affairée d'un marché hebdomadaire - d'un
souk inopiné. De ces approches différentes résulteront des jugements contrastés sur
l'orfèvrerie du pays.
Dans les rues des villes, les femmes sont nombreuses; mais les longues jellabas
dont elles sont presque toutes revêtues, le foulard que beaucoup nouent sous leur
menton ne dévoilent pratiquement rien de leurs parures. À la faveur d'un geste de la
main, dans un magasin, dans une conversation devant une porte, on peut entrevoir
ici une bague, là l'éclat doré d'un bracelet sur un poignet. Mais c'est en parcourant,
parfois par hasard, le quartier des bijoutiers dans les vieilles villes, comme Tanger,
Salé ou Fès, que vient la révélation d'un monde dans lequel les bijoux doivent bien
évidemment tenir une place importante. Ces bijoux citadins sont en or, ou tout au
moins ils sont dorés; ils sont accumulés dans des vitrines resplendissantes. On parvient
assez rapidement à reconnaître les types principaux, parce qu'ils se répètent de bou-
tique en boutique, et que celles-ci se succèdent presque sans intervalle dans le même
quartier, ou la même rue, selon le principe de voisinage des commerces similaires
propre aux médinas.
Des bijoux ont servi
de messagers des traditions Un autre choc, une autre évidence attendent le voyageur qui, au sortir du quartier
artistiques marocaines. des bijoutiers, va visiter un musée. Tout d'abord, chaque musée du Maroc possède
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une salle consacrée aux bijoux; dans certains ne se trouvent que des bijoux d'argent, Vitrine actuelle de bijouterie
à Casablanca.
bijoux berbères provenant souvent du Sous, au sud-ouest du Haut Atlas. Mais
lorsque sont présentés de nombreux bijoux citadins, comme au musée des Oudaïas
de Rabat ou au musée Dar Jamaï de Meknès, ceux-ci n'ont à première vue aucune
ressemblance avec les bijoux vendus actuellement, alors qu'ils sont presque tous
datés du début du XXe siècle ou du XIXe siècle. Le seul point commun est le métal
généralement employé à leur confection, or ou vermeil. Cela suppose à la fois, en
ville, une permanence dans le goût pour l'orfèvrerie, et une grande aptitude à la
mutation dans son inspiration.
Ceux qui ont parcouru les régions montagneuses auront vu peu de femmes ; leur
mise simple s'accompagne parfois de modestes parures, comme de minces bracelets
d'argent. Parmi les commerçants des souks, les vendeurs de bijoux sont rares. Il est
fréquent qu'il n'y en ait pas du tout! Ici ou là, cependant, une boutique recèle
quelques exemplaires de bijoux neufs en argent doré, ou bien, si l'on a beaucoup de
chance, on trouve un éventaire rudimentaire, à même le sol, où est présenté un
maigre lot de bijoux d'argent patinés par l'usage. Ces étalages, il n'y a pas un quart
de siècle, se rencontraient partout en zone rurale et jusqu'aux abords d'une ville
comme Salé. Ils étaient souvent plutôt bien achalandés et permettaient de se faire une
idée, tout au moins dans une certaine mesure, des bijoux possédés par les femmes de
la région. Mais à l'heure actuelle, on peut parcourir en tous sens ce qui fut le domaine
des bijoux d'argent sans se douter de leur importance ancienne. Il y a là une évolution
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irréversible, dans laquelle sont intervenus différents facteurs; aussi est-il urgent, en
cette fin de siècle, de recenser ces parures, de les situer le plus exactement possible,
p o u r leur d o n n e r leur juste place dans l'histoire des traditions marocaines.
Entre le H a u t Atlas et la Méditerranée, le relief du Maroc c o m p o r t e une chaîne
puissante, le M o y e n Atlas, au sud de Taza, Fès et Meknès. Le nord du pays est occupé
p a r le massif du Rif. Ces zones montagneuses sont habitées par des groupes de p o p u -
lations berbères chez lesquelles, au M a r o c c o m m e dans les autres pays du Maghreb,
l'argent a été choisi de tout temps p o u r la réalisation des bijoux, à l'exclusion de l'or.
Dans les vastes territoires qui séparent les massifs montagneux p r é c é d e m m e n t cités
de l'océan Atlantique, rien ne p e r m e t actuellement d'imaginer ce qu'aurait pu être la
parure rurale traditionnelle. Ce n'est pas le cas en pays berbère, même si, le plus souvent,
les bijoux d'autrefois o n t été a b a n d o n n é s p a r les groupes qui en avaient fait leur
spécificité; il y a des formes et des décors propres à telle ou telle région, q u ' o n retrouve
dans les musées, les collections, les rares textes qui leur ont été consacrés, les p h o t o -
graphies prises il y a quelques dizaines d'années. Les difficultés d'accès des montagnes
o n t longtemps joué u n rôle de sauvegarde, t o u t c o m m e l'attachement des Berbères à
leurs traditions, les deux choses étant sans doute liées. A u n o r d de l'Atlas, la richesse
en bijoux d'argent et la diversité des modèles et des techniques n ' o n t jamais dû
atteindre celles d ' u n e province c o m m e le Sous; mais des parures originales, voire
imposantes, o n t été j u s q u ' à une é p o q u e plus ou moins p r o c h e l'apanage de certains
groupes, et méritent q u ' o n cherche à illustrer leur mémoire.
Des bijoux qui font ou o n t fait partie intégrante de la vie féminine d ' u n pays, qui
sont marqués d ' u n e personnalité aux multiples facettes, sont aussi en principe indis-
solublement liés aux artisans qui les o n t reproduits avec u n e insistante patience, ou
o n t créé les modèles n o u v e a u x l a r g e m e n t a d o p t é s à travers villes ou campagnes.
Le paradoxe de l'orfèvrerie marocaine du XXe siècle est d'avoir vu u n changement
radical dans la c o r p o r a t i o n des orfèvres, sans q u ' o n puisse établir u n strict lien de
cause à effet entre les mutations intervenues dans la p a r u r e et celles de la p o p u l a t i o n
qui avait traditionnellement en charge le travail des métaux précieux. Cette spécialité
avait en effet appartenu p e n d a n t des siècles, au n o r d de l'Atlas, p r e s q u e exclusive-
m e n t aux juifs installés dans les cités et les bourgades. Il y avait dans t o u t le M a g h r e b
des professions prioritairement exercées p a r les juifs. E n ce qui concerne les emplois
en r a p p o r t avec l ' o r et l'argent, o n dit que les sultans auraient conféré d ' a b o r d aux
juifs le m o n o p o l e de la frappe de la monnaie, parce que cette tâche était liée à la pra-
tique de l'usure, que l'islam interdit; de là aurait découlé l ' a d o p t i o n p a r b e a u c o u p de
juifs du métier d'orfèvre. Cette explication ne rend pas c o m p t e de l'extension beau-
coup plus large du lien des juifs et des métiers concernant les métaux précieux, qui
est sans d o u t e à r a p p o r t e r à une tradition p r o p r e m e n t juive. Dans la plupart des
villes, depuis le XVe siècle à Fès et u n peu plus tard ailleurs, les juifs habitaient u n
quartier bien déterminé, appelé le mellah, où du même coup se trouvaient regroupées
les activités d ' o r f è v r e r i e . D e petites c o m m u n a u t é s étaient aussi p a r s e m é e s
Paire de boucles d'oreilles anciennes dans les régions rurales et montagneuses, et comptaient souvent quelques bijoutiers.
en or décorées depierreries Ce m o n o p o l e de fait impose de rechercher dans l'histoire des juifs du Maroc les ori-
(émeraudes, saphirs, rubis, roses) ; gines de l'existence du savoir technique d o n t ils étaient les détenteurs.
la paroi postérieure ajourée peut
s'ouvrir et devait permettre Ces artisans travaillaient p o u r réaliser les parures des femmes juives et celles des
d'inclure dans lependant des femmes musulmanes, bien plus nombreuses. Certains bijoux étaient sans d o u t e des-
substances parfumées. tinés u n i q u e m e n t aux femmes juives, mais il semble que beaucoup de modèles aient
Hauteur : 12 cm.
Musée national des arts d'Afrique été appréciés par les femmes des deux c o m m u n a u t é s ; il y a là u n fait assez étonnant,
et d'Océanie, Paris. et qui pose des questions délicates. C o m m e n t ces groupes humains séparés p a r les
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origines, la religion, les pratiques quotidiennes, qui se sentaient i r r é d u c t i b l e m e n t


différents dans leur essence et le manifestaient de bien des manières, ont-ils cepen-
d a n t c o o p é r é p o u r a d o p t e r u n e orfèvrerie s o u v e n t c o m m u n e ? Le fait est q u e les
artisans juifs o n t su créer et faire vivre des modèles qui convenaient à leur clientèle
très majoritairement musulmane.
C e t équilibre ancestral s'est b r u t a l e m e n t r o m p u au milieu de ce siècle. Les juifs du
M a r o c o n t vu dans deux événements i m p o r t a n t s des raisons de quitter u n pays où
leur installation était p o u r t a n t si ancienne; ce furent, à quelques années de distance,
la création de l'État d'Israël et la fin des protectorats français et espagnol sur le
Maroc, avec la p r o c l a m a t i o n de l ' I n d é p e n d a n c e en 1956. Dès lors, l ' a m e n u i s e m e n t de
la c o m m u n a u t é juive se mit en marche, assez r a p i d e m e n t et irréversiblement, passant
en quarante ans de plus de trois cent mille à m o i n s de dix mille personnes. Les juifs
disparurent des régions rurales, et les c o m m u n a u t é s de la p l u p a r t des villes furent
réduites dans des p r o p o r t i o n s considérables : celle de Tanger, p a r exemple, est passée
de 14000 personnes au milieu de ce siècle à environ 200 a u j o u r d ' h u i .
Dans cet exode, les bijoutiers juifs d u M a r o c d i s p a r u r e n t p r a t i q u e m e n t t o u s ; il
reste actuellement à Tanger, dans l'ancienne rue des bijoutiers juifs, u n seul v e n d e u r
de bijoux israélite, et à Fès, dans l'ancien mellah, u n seul fabricant de bijoux de cette
confession; autant dire que la c o r p o r a t i o n des orfèvres s'est entièrement renouvelée
en moins de deux générations, et m ê m e développée dans les grandes villes. Dans les
campagnes et les montagnes, elle n'est plus représentée. D e rares revendeurs diffusent
dans les principaux souks des bijoux citadins; mais, de toute façon, les facilités de
c o m m u n i c a t i o n , la c o n c e n t r a t i o n des commerces et des services o n t multiplié les
occasions de se rendre en ville. D a n s ces régions, on ne p e u t pas attribuer au seul
départ des juifs la disparition des bijoux d'argent. É v i d e m m e n t , les fournisseurs
locaux n'étaient plus là; mais, c o m m e on le verra, la désaffection p o u r ces parures
Cartespostales anciennes
avait d é b u t é bien avant. D a n s les cités, les techniques de fabrication traditionnelle représentant des ateliers-
o n t été reprises p a r des artisans musulmans. Les changements que l ' o n observe de boutiques de bijoutiersjuifs.
nos jours dans les types de bijoux p r o p o s é s sont le fait d ' u n e évolution qui aurait eu A gauche :
coll. Maurice Bernard.
lieu p r o b a b l e m e n t de la m ê m e façon quels que soient les artisans, p u i s q u ' o n note A droite : carte datée
s u r t o u t l'influence d ' u n e m o d e " m o d e r n e " à caractère international. de 1935, coll. Gérard Lévy, Paris.
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Collier à pendentifs circulaires


ajourés en argent doré ;
imitation de corail, pierres.
Travail de Fès du XIXesiècle.
Diamètre d'un pendentif:
6,2 cm.
Musée Dar jamai; Meknès.

Actuellement, les bijoux correspondant à ce style ne sont pas prédominants; les


parures indubitablement marocaines d'inspiration - même si elles ne sont pas à pro-
prement parler des copies de pièces classiques - restent nombreuses, et il sera inté-
ressant de chercher à préciser ce qui fait leur spécificité. En fait, et probablement
pour un temps encore, le choix des bijoux portés lors des fêtes, et surtout par les
mariées, demeure, en partie tout au moins, guidé par les goûts et les usages locaux.
Plus généralement, le cérémonial des mariages tout entier est marqué par un
mélange de rites qui étaient observés par exemple au début de ce siècle, considéra-
blement allégés, et de comportements sociaux ou de modes vestimentaires adoptés
sous l'influence des moyens modernes de communication. Il y a là un très intéressant
procédé de mesure de l'évolution de la société, dans les dernières décennies, qui
conditionne étroitement les transformations de la parure. L'extrapolation de ces
mutations, si on se l'autorise, donne à penser que le détachement des traditions fera
encore perdre du terrain aux ornements classiques. Pour cette raison il semble
important de prendre une sorte de photographie de la situation de l'orfèvrerie en
cette fin de siècle, avec ses points forts et sa diversité, qui puisse permettre à l'avenir
d'établir des comparaisons, et de jalonner les étapes de l'évolution.
Les bijoux récents et actuels demeurent en partie typés, tout en se renouvelant par
la déclinaison variée à l'infini des décors, voire par l'apparition, peu fréquente, de
modèles nouveaux. Ceux-ci, quand ils sont réalisés avec les techniques habituelles,
s'intègrent d'ailleurs harmonieusement dans l'ensemble de la parure. Mais, en face de
l'insistante présence des vitrines de l'orfèvrerie contemporaine, marquée par la géné-
ralisation de l'aspect "or", comment peut-on de nos jours se faire une idée des bijoux
qui furent précédemment adoptés dans les villes ?
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L'idée qui vient la première à l'esprit est de se tourner vers les détentrices de ce
qu'on a tendance à appeler des "bijoux de famille", ceux qui ont été donnés à une
grand-mère lors de son mariage, ou plus tard, par une tendre attention de son époux,
et se sont transmis aux filles et petites-filles. En fait ce patrimoine n'est pas systéma-
tiquement l'objet au Maroc d'une vénération conservatrice, et l'on entend souvent
dire que des bijoux anciens démodés avaient été confiés à l'orfèvre pour qu'il les
fonde et tire de la matière première une parure au goût du jour. Parfois la plaque
décorée d'une ancienne boucle d'oreille est transformée en broche ou intégrée dans
un bracelet, plus portable, les pierres sont extraites d'un vieux bijou pour être montées
autrement.
Dans d'autres cas, par exemple, le diadème de l'aïeule a été porté par ses petites-
filles à leur mariage; mais le décès de la vieille dame a fait tomber l'objet dans une
succession qui reste interminablement à régler. Des raisons peuvent obliger à se
cacher d'avoir conservé une pièce précieuse. D'une manière générale, personne ne
souhaite vraiment faire état de ce qu'il possède, ni avoir à reconnaître qu'il a dû se
dessaisir de tel ou tel objet. Ce goût du secret est fréquent chez les gens aisés, ceux
qui par leur situation de fortune ont dû justement avoir parmi leurs ascendants des
possesseurs de parures d'or, enrichies de pierreries, comme en mentionnent quelques
rares textes dithyrambiques. Les familles dépositaires de bijoux anciens échappent à
l'analyse, et aussi à toute estimation sûre de ce qui en subsiste actuellement.
Heureusement, quelques-unes des pièces dont elles se sont défaites à un moment ou
un autre ont été acquises par des collectionneurs conscients de leur valeur esthétique
et historique.

Mariage récent dans un milieu


modeste à Marrakech,
ou comment couvrir safemme d'or
pour unejournée ?
(Grâce à la neggafa qui loue
les bijoux.)
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Mais une partie des trésors sauvés de la fonte est soustraite


à l'admiration du public; les collections privées font sou-
vent la félicité d'une seule personne. On doit une grande
gratitude aux collectionneurs qui veulent bien contribuer à
la connaissance par tous d'une forme d'art menacée par
l'oubli. Enfin, comme une écume qui flotte au-dessus d'un
océan indistinct, des objets d'origines disparates ont abouti
dans les vitrines des musées ; il y a parmi eux, fort heureu-
sement, un grand nombre de très belles pièces qui permettent
de combler les lacunes des autres moyens d'investigation.
En ce qui concerne les bijoux d'argent, désignés en général
par le vocable de "bijoux berbères", la situation est encore
plus simple. La tradition de leur port a décliné dans les der-
nières décennies, plus ou moins rapidement selon les
endroits, et leur fabrication est arrêtée, les copies à l'inten-
tion des touristes ne semblant pas au nord de l'Atlas un phé-
nomène important. Ce sont cependant les touristes qui ont
accéléré la disparition de ces bijoux dans les familles qui en
possédaient, et que des difficultés économiques n'avaient
pas prématurément forcées à s'en séparer. Le bijou d'ar-
gent, souvenir abordable financièrement, parure souvent
portable, objet original et caractéristique, fait comme par-
tout l'objet d'une forte demande. Sa valeur a augmenté de ce
fait, et les bazaristes n'ont plus attendu que les campagnards
viennent en ville proposer à la vente les pièces dont ils sou-
haitaient se défaire, pour acquérir des parures neuves ou se
Fibule ancienne en argent moulé. tirer d'une difficulté de trésorerie. Des émissaires de bazaristes ont écumé systéma-
Poinçon tête de bélier + F.
Hauteur : 12,5 cm. tiquement les campagnes et les montagnes, de plus en plus profondément, faisant du
Coll. Thau. porte à porte à l'affût des dernières parures encore conservées, cherchant à décider
leurs possesseurs par l'appât du gain. On conçoit qu'avec ce système les bijoux d'argent
se soient raréfiés rapidement. Certains sont allés rejoindre des collections privées déjà
constituées, la plupart ont été très largement dispersés et échappent à tout recense-
ment. Là encore, les collections publiques et privées sont seules pourvoyeuses de
documentation, la recherche sur le terrain étant devenue plus qu'aléatoire. Comme
on le verra dans l'étude des bijoux ruraux, le génie de la parure féminine de ces
régions ne peut être ressuscité que par des photographies datant de quelques dizaines
d'années, lorsqu'il en existe. Mais il n'y a pas d'autres moyens pour tenter de retenir
l'image presque effacée d'un univers où les bijoux, dans leurs fonctions les plus appa-
rentes, participaient à l'agrafage des vêtements, et rehaussaient la beauté et la séduc-
tion de chacune.
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Techniques d'orfèvrerie

egarder, admirer, toucher un bijou traditionnel, cela devrait toujours inciter


à songer aux techniques qui ont été utilisées pour sa réalisation. Elles délimi-
tent le domaine de la création, forcément restreint pour des objets dont la
forme générale est dictée par le lieu et l'époque. Mais il reste le champ du décor, qui,
lui, est plus directement lié à la personnalité de l'artisan, et le consacre s'il se montre
habile et inventif dans cet étroit espace de liberté.
Les bijoux renvoient aussi inéluctablement aux métaux dont ils sont faits, substances
rigides dont le traitement impose ses contraintes; de l'exacte application des énergies
déployées - la force, le feu - dépend la réussite des parures. Toute l'orfèvrerie qui est
parvenue jusqu'à nous ou se fabrique sous nos yeux porte donc témoignage d'une
oeuvre humaine souvent complexe. Parfois le savoir-faire dont elle est le résultat ne
pourra être qu'imaginé et non contemplé : beaucoup de techniques anciennes ne se
pratiquent plus, mais cela vaut la peine de se pencher, parfois à la loupe, sur les traces
tenaces de leur emploi. Elles ont contribué à entretenir une fascination qui a traversé
les âges pour les parures somptueuses. D'autre part les retours en arrière font décou-
vrir dans toute son ampleur l'éventail des ressources d'un artisanat aux multiples
facettes, hérité d'un lointain passé, et véhiculé par des bijoutiers juifs dont il était
l'apanage.
Le travail des métaux précieux commence toujours par une étape indispensable,
la fusion du métal dans un creuset permettant de le couler dans un moule; de celui-ci
sort un objet ayant déjà pratiquement sa forme définitive, ou un lingot à attaquer au
marteau. On peut donner à fondre un bijou ancien cassé, usé, passé de mode; cet
usage très répandu réduit le nombre de pièces qui ont traversé le temps. L'artisan
peut acheter aussi un métal vierge de toute utilisation antérieure, qui est importé. Les
abords des murailles d'Essaouira n'ont-ils pas longtemps vibré sous les pas des cara-
vanes, qui, via Tombouctou, amenaient d'Afrique noire dans leurs précieux charge-
ments les sacs de poudre d'or... Ce commerce séculaire a été florissant jusqu'à la fin
du XIXe siècle.

Armature enfer en deuxparties


pour la réalisation d'un moule en
sable. Longueur : 12,5 cm.
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Les pièces de monnaies en argent ont aussi de longue date servi de matière première,
à cause de la garantie de leur titre, et de l'abondance des réserves, qui ne sont plus
qu'un souvenir. Pendant très longtemps on a ainsi utilisé les douros hassanis, pièces
coulées par la Monnaie française pour le sultan Moulay Hassan il y a un peu plus
d'un siècle, ainsi que des monnaies étrangères diverses.
Si beaucoup ont été fondues, d'autres, une fois percées ou munies d'une attache,
ont été employées telles quelles. Il ne s'agit pas seulement des pièces de petite taille
utilisées comme pendeloques, mais de monnaies plus grandes disposées côte à côte
sur des bandeaux ou associées sur plusieurs rangs pour former un pectoral. Ce type
de parures semble avoir remplacé, dans le Moyen Atlas notamment, des bijoux plus
élaborés qui ne se fabriquaient plus, tout en conservant la valeur objective de l'argent.

Bandeau orné deperles


de corail et de monnaies
espagnoles en argent
(dont 4 pièces de 2 pesetas).
Début XXe. Rifcentral. Longueur de
la partie décorée : 22,5 cm.
Coll. Buatois-Guérin.

Dans l'ancienne zone du protectorat espagnol, les pièces de 5 pesetas des années
1869-70 affichent en toutes lettres une teneur de 900 millièmes d'argent, et un
nombre de 40 pièces par kilogramme; pour ce poids on aura 100 pièces de 2 pesetas.
Même écrites en espagnol, de telles précisions manquent un peu de discrétion, mais
on comprend que ces pièces aient eu la faveur des femmes qui, dans le Rif, les suspen-
daient sous l'arc des boucles d'oreilles, aux fils des colliers, ou encore les cousaient sur
des bandeaux.
Les bijoux les plus simples à fabriquer sont les bijoux moulés. Le métal en fusion
est coulé directement dans un moule portant en creux l'empreinte de l'objet qu'on
désire obtenir. Cette technique est encore employée pour les bijoux d'argent au sud-est
du Haut Atlas mais a été utilisée très largement autrefois au nord de ce massif; un
modèle en métal non précieux, ou le bijou qu'on veut reproduire, est pressé entre
deux masses de sable humide maintenues dans des cadres de fer. Une fois le modèle
enlevé, il suffit de couler à sa place le métal en fusion. Mais le moule constitué par les
masses de sable rapprochées ne peut guère servir qu'une fois. Les artisans des régions
du Nord ont adopté aussi pour certains objets des moules réalisés en bronze, formés
de deux pièces portant en creux l'ornementation qui apparaîtra ensuite en relief. Ces
deux parties étroitement accolées délimitent un puits de coulage pour le métal
fondu; une fois celui-ci refroidi, il suffit de les écarter pour récupérer l'objet moulé.
Cette technique, qui donne des produits d'un beau fini, a été utilisée pour des bijoux
d'argent parmi les plus courants, comme les fibules dont le corps et l'anneau sont
naturellement faits séparément.
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Parure ancienne en argent


comportant une paire defibules
moulées reliées par une chaîne
et un volumineux ornement creux
du type fekroun, du Rif
Hauteur des fibules : 18 cm.
Coll. Didier-Granier.

Modèle en bronze
utilisé dans la réalisation
d'un moule à bijou en sable.
Hauteur : 12,5 cm.
Coll. Didier-Granier.

Petite boucle d'oreille


en argent moulé.
Hauteur : 7 cm.

Moule enfonte pour une


paire de boucles d'oreilles.
Longueur : 9 cm.
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Demi-moule en bronze
pour fibule rifaine.
Hauteur : 15,5 cm. Coll. Thau.

Moule en bronze
pour anneau defibule.
Longueur : 6 cm.
Coll. Thau.

La même technique permettait d'obtenir de nombreuses variétés de bracelets


d'argent moulé, inséparables de la parure rurale de l'Atlas à la Méditerranée; les
moins épais, qu'on voyait aussi en ville, étaient coulés en barres, coupées à bonne
longueur avant d'être soudées sur elles-mêmes. On a retrouvé également des moules
de petites boucles d'oreilles plates, sans doute assez répandues parce que très bon
marché, à cause de leur faible poids et de la facilité de leur fabrication. Enfin il semble
que l'os de seiche, matériau particulièrement friable susceptible de prendre l'em-
preinte d'un modèle, ait été utilisé pour faire des moules fins de petites pièces en or,
qui, dit-on, avaient l'intérêt de pouvoir servir jusqu'à cinq fois. Mais l'emploi du
moulage, en dehors des productions semi-industrielles qui n'entrent pas dans le
cadre de cette étude, est devenu exceptionnel au nord de l'Atlas.
Le recours au moulage s'expliquait tout à fait pour les fibules et les bracelets d'ar-
gent berbères, parce que ces bijoux, portés constamment, subissant des tractions ou
des chocs, se devaient d'avoir la robustesse, donc l'épaisseur que conférait cette tech-
nique. Les costumes drapés ont été remplacés progressivement par des vêtements à
manches et boutonnages, qui rendent superflue la possession de fibules. Les gros
bracelets de bon argent étaient autrefois un capital ambulant, protégé par son lien
avec le corps, et une valeur sûre aisément négociable en cas de besoin; les rapports
de la société rurale avec ses finances ont changé, et donc aussi avec les bijoux d'argent.
Depuis longtemps ils ont perdu du terrain, jusqu'à devenir de nos jours des raretés.
La parure d'une femme, d'ailleurs, dans le sens esthétique que nous lui donnons
généralement, a peu à faire avec les bijoux moulés : ce ne sont pas eux qui produisent
le plus d'effet. Celui-ci est plutôt proportionnel à la surface de métal précieux exhibée,
et à l'ornementation qui l'enrichit encore. D'où l'importance d'obtenir des feuilles
minces d'argent ou d'or, et de les décorer selon les goûts qui règnent au moment et
dans les régions de la fabrication du bijou.
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Femme du Rif
(vallée de Tarhzout)
dans sa tenue de tous lesjours ;
elle porte de robustes bijoux moulés,
fibules et bracelets.

Les pendentifs anciens, par exemple, témoignent de la façon dont le métal a été
plané pour présenter la plus grande surface possible. Un lingot de forme simple,
assez épais, préalablement coulé, a été longuement martelé sur une enclume jusqu'à
l'obtention d'une plaque de l'épaisseur souhaitée; la grande malléabilité des métaux
précieux a évité qu'on y voie des brisures, et l'habileté de l'artisan lui a donné la
régularité de son épaisseur. Mais, de nos jours, les quartiers d'artisans bijoutiers
possèdent tous un ou plusieurs ateliers de laminage, qui débitent au mètre des
bandes de métal à l'épaisseur désirée. Celles-ci passent entre les robustes rouleaux
de volumineux laminoirs.
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Toute la physionomie d'un bijou résulte de l'alliance de sa forme et de son décor;


la forme vient donc essentiellement du découpage de plaques minces, mais le décor,
lui, peut provenir de l'emploi de techniques diverses dont un certain nombre s'est
conservé.
Les éléments originellement plans d'un bijou peuvent être diversement modelés :
le martelage, le repoussage ont la particularité d'être exécutés sur le revers de la pièce.
De cette manière on incurve la surface, on la hérisse de saillies. Une technique qui
eut une grande importance pour créer des reliefs concaves au verso, économisant la
matière et n'ajoutant pas en principe au poids supporté, était autrefois très employée. Matrice en cuivre (agrandie) pour
Il s'agit de l'estampage, qui fait prendre à une plaque la forme d'une matrice sur estampage du revêtement des reliefi de
bracelets mounida. Coll. Alabert.
laquelle elle se moule. On peut encore de nos jours, tout à fait exceptionnellement,
voir pratiquer l'estampage en rendant visite à un artisan d'Ouezzane qui a perpétué
la fabrication des bracelets "lune et soleil", très célèbres au Maroc à une certaine
époque, et pour lesquels il y a encore une clientèle touristique. Leur nom vient de
l'alternance régulière sur leur pourtour de côtes, en général obliques, alternativement
en argent et en or. Comme dans tous les ateliers traditionnels, du nord au sud du
pays, l'artisan travaille dans une petite pièce très modeste, ouvrant ici directement
sur la rue, dans un recoin où il s'accroupit sur un petit banc, les jambes ramenées "en
tailleur". Son matériel n'est constitué que de quelques outils simples, pinces, marteau,
ciseaux, et d'un chalumeau à butane. Le bracelet est moulé en argent, mais ne com-
porte du même coup qu'une côte sur deux, car dans les intervalles viendront prendre
place les côtes en or, ou plutôt recouvertes d'or, car il ne s'agit pas de métal massif.
Dans une feuille d'or est découpé un petit losange; sa forme définitive lui sera donnée
par une matrice de bronze, dont il existe plusieurs variantes. L'artisan choisit celle
qui correspond aux places vides sur le bracelet d'argent, et le moule en creux dans
lequel elle s'emboîte exactement : le mâle et la femelle, dit-il. En quelques vigoureux Divers modèles de matrices pour
estamper les revêtements enfeuille
coups de marteau, l'orfèvre écrase la petite feuille d'or emprisonnée entre la matrice d'or des côtes de bracelets
et le moule. Quand il la dégage délicatement de celui-ci, il peut découper avec des "lune et soleil" et mounida.
ciseaux une côte en or, avec son décor de petits reliefs délicats. Évidemment elle est
fragile, il est nécessaire de la bourrer d'un sulfure - du khôl - rendu pâteux par une
exposition à la chaleur et qui durcit rapidement; il n'y a plus qu'à river la côte revêtue Artisan bijoutier dans son atelier.
d'or à sa place sur le bracelet. Ouezzane, 1997.
Martelage de la matrice
dans le moulepour estampage d'une
feuille de métal. Ouezzane, 1997.

Deux modèles classiques


de bracelets anciens "lune et soleil".
Nord-ouest du Maroc.
Diamètre : 7 cm.

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