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~ BŒOUSQUEÎÏAIRES
DRAME EN CINQ ACTES ET DOUZE TABLEAUX,

“%<êäwê %â<‘ëê« %äêë äèêäâ‘ PRËCÈDÊ DE

L'AUBERGE ‘DE BETHUNE ,


PRQLOGUE, % % %%%%
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PAR MM. AIÆIÀNDBE DUMAS ET AUGUSTE MAQUET.
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ÉDITION ILLUSTRÉE DE CINQ BELLES VIGNETTES SUR BOIS

Dessinées par ALEX. LACAUCHIE et gravées sur bois par H. FAXARDO.


SUJETS DES VlGNETIESZ

l . La ronfcsslon du bourreau de Bélhune. — 2. L'évasion des alousquetaires.


-— 3. I." adieu“ de Charles l". — l. La Maison de Gromwell. '
5. La mort de Mordaunl.

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, Prix :1 franc.
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Âlpmia ,
MARCHANT, ÉDITEUR DU MAGASIN THÉATRAL,
BOULEVART SAINT-MARTIN, 12.

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Dxucuvn/Qx lmp Donna-Dura, . S.-Louis,46 au larsis. .

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50 CENTIMES LA LIVRAISON COMPOSÉE DE 2 PORTRAITS ET 2 BIOGRAPHIES.
Ijouvrage complet: l5 franco.

Marchant. éditeur du Magasin théâtral, boulevard Saint-Martin. l2.

GALERIE BIOGBAPHIQUE
DES

ARTISTES DBAMATIQUES DE PARIS


composeE or.

400 PORTRAITS EN PIED,


DESSIIÈS ma

A. LACAUCHIE et gravés sur bats parH. FAXARDO,

Accompagnés de 100 Riographies


PÂI

MM. J. Janin. RolleJBriEault. E. Guinot, Merle, E. Arago, Paul de Kock, H. Lucas,


Albert Cler, Théodhile Gantier, Mallefille, Bouehardy, etc.

âlpxcspœcttts .
Une vérité commerciale incontestable qui doit servir de base à toutes les opé
rations de la librairie française, c'est que pour obtenir un grand succès aë
vente , il faut vendre bon marché. Mais le bon marché , comme nous l'enten
dons, ne consiste pas seulement à coter un livre à bas prix; il doit, pour être
véritable, remplir d'autres conditions.
La pensée d'un éditeur, en publiant un ouvrage, doit être d'abord de faire
une édition bien correcte , de l'imprimer en caractères neufs et sur beau papier,
et si l'ouvrage doit avoir des vignettes, de les faire dessiner et graver par des
artistes de talent; en un mot, d'y mettre tous les soins nécessaires pour que
ce livre puisse prendre place dans les bibliothèques à côté de nos plus belles
_2_
éditions, puis de le mettre à un prix qui permette à tout le monde de l'acheter :
voilà ce que nous appelons du bon marché réel. '
Nous espérons atteindre ce but en reproduisant par la gravure sur bois la
Galerteduartiztc: dramatiques; le succès de la première édition, aujourd'hui
presque épuisée , est dû au talent vrai et gracieux de M. Alexandre Lacauchie,
dont le crayon a su reproduire la ressemblance exacte de ‘ses modèles; il est
également chargé des dessins de cette reproduction dont la ‘gravure est confiée
à M. Faxardo ; le public appréciera son travail fini et consciencieux. La partie
typographique sortira des presses de l'imprimerie de Itlm°V° Dondey-Dupré.
qui se place au premier rang pour le tirage des gravures.

Nous nous dispenserons de parler du mérite littéraire de l'ouvrage : tous les


articles sont signés par les noms les plus distingués de la presse; seulement
nous ferons remarquer que toutes les dates biographiques et les anecdotes ont
été recueillies avec soin; ceci est le côté utile de l'ouvrage, car c'est le résumé
de l'histoire du théâtre et de ses interprètes depuis le commencement du siècle.
La Galerie biographique des artistes dramatiques sera réimprimée sous le
format du Magasin théâtral, dont elle deviendra le complément. La première
édition coûtait cinquante francs les cent livraisons, la nouvelle ne coûtera que
quinze francs.

oosrznaaaosîe ana ne message a

Il paraîtra tous les samedis à partir du 7 Février 18116 une livraison composée
de deux portraits et de deux biographies. Prix : 30 centimes.

Mlt'. les libraires de province sont priés de s'adresser directement et de suite à


l'éditeur, en indiquant le nombre de prospectus qu'ils désirent recevoir, l'ouvrage
ne devant pas être annoncé dans les journaux.

La remise pour les Libraires sera la même que celle du [Magnum théâtral.

rmu — Imprimeiie Dennnr-Durni, lne Saint-Louis, i0, au hlarnis.


DUPREZ. 'l‘_\'p. Dondcgv-Dupré.
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Morda‘'.
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Les
Adieux
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“Pinyinnui-nu”:

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LES’ MSQiUEîïAIREs; ~ lnume EN CINQ mrrzs H1‘ "DOUZE TAïtLEAux,

UAUBERGE DE BETHUNE,
, _ PROLOGUE,

PAR MM. ALEXANDRE DUMAS. ET AUGUSTE MAQUET;


_ . ‘RLÇPRZÊRËÈTË, POUR LA PREMIÈRE FOIS.
A mais. sua La Tulârrnu un Lummuu-«zôuloun. Lu 27 nc-rnnlm 1H5.

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PHIISUNNAIÂHS. AUTIÏIIILS. ' PERSONNAGES. AUTEURS‘


ATHOS, mousqueluiro . . . . . . . . . MM‘. SAINT-ERNEST. MORDAUNT. .'... . ...... . . MM. CmLLv.
IYARTAGNAN, m . . . . . . . . . . .. ' Mmucun. CROMWELL. . . .' ....... hum.
PORTHOS. id . . . . . . .'. . . . . Vsnusn. CHARLES ‘I”. . . . . . . . . . . . . 3 LACRBSSONNIËRIL.
AIIAMIS. id. .......,.... RAnoN. L: COLONEL GROSLOW. . .. . STAINVILLE.
m: WINTER .... ... .... . ' Cubmn. Lu-unxumsTu DERËTIIUNE. . . . . LAURÉ.
LE ROURREAU DE RÉTHUNE. ‘Lnoucuh MOUSQUETONwaletde Porlhns Llwlmw.
PARRY, valet de chambre du roi. ‘ ALEMNDILI-z. GRIMAUD, valet dîAthos. . . . . MÈNIEn.
TOM-LOW, homme du peuplv. . Dmuvzn. RLAISOIS, autre vàlel. rrmhosf Hacron.
UN RRIGADIER FRANÇAIS ,) TOMY, valet de Wimer. . . . . “FRANCISQUE.
(au prologue.) . . . . . . . . . . . . “ERTIIOIJÆIT, LE Pnnon ANDRE. . . . L . . . . Rwnoulu.
UN HUlSSlER nu PARLEMENT. s Un: SENTINELLE, . . . . . . . . . . . Saunas.
UN HOMME DU PEUPLE. .'. ùucnuu,“ l'an AUTRE . . . . . . . . . . . . . . .. AnoLrnz.
UN SOLDAT PURITAIN. . . . IIENRIETFE DE FRANCE. . . MmMGBïON.
u
FINDLEY. . . . . . . . . . . . . . . . . . . ‘ Rhums. RIADÊLEINE TURQUENNE. . HonTeNss-Jouuz.
SOLDAT! m; CnoIwnLL. CÔTES nnsn; SnLnATs Êcos? IXHuTzssr, . . . . . . . . . . . . . . . . . RACINE.
sus. SoLmTs m: WINTER. HOMMES m Fznmns DU Lr. FlLs m; (Znnnus . . . . . . . . . Le petit Eoomnn.
PEUPLE. LA PETITE FILLE . . . . . . . . . . . La petite FANM.

Süttlruser. pour la mise en scène uacle, les couumes. (ldcors, accessoires, d M. CANON , Hgüuur
général du théâtre.
PROLOGUË.
Ltlubergc de Pornos près lléthune.

SCENE PREMIEBE. UHOTESSE. Eh! non... puisqu'ils parlent


français.
UN HOMME, assis devant une table, L'AURER LA voix, du dehors. L'ami l... l'ami!
GISTE. UAURLRGISTE, ouvrant. Que désirez-vous,
monsieur le brigadier?
UAUREIIGISTE. Que désirez-vous? LE RRIGADIER. Peux-tu me donner des
L'INCONNU. Du pain et du vin d'abord, s'il nouvelles de l'armée espagnole?
vous plaît, car depuis le matin je n'ai rien UAUIIERGISTE. Ah linorbleu ! tout le monde
pris‘. peut vous en donner... les pillardsl... on ne
IJAUUEIIGISTE. On va vous donner cela. peut pas faire cent pas qu'on n'en rencontre!
Il lève la trappe de la cave. -LE RRIGADIER. Des partisans, oui... mais
L'IiôTEsSE, paraissant sur la baluslrade. c'est le corps d'année que nous cherchons.
IIIII! l'homme? Mordaunt paraît sur la balustrade , s'arrête et écoute.
L'AURERGINE. Quoi? IRAUREnGisTE. Ah! l'armée... c'est autre
UHÔTESSE. La mule du moine. chose. I
UAURERGISTE, descendant. Bon! LE RRIGADIER. Ecoute: nous sommes en
UHôrrssE. Tout de suite. voyés par monsieur le Prince... l'armée espa
L'AURERGINE, du fond de la cave. Ah! gnole a quitté ses cantonnements, et l'on
oui, tout de suite , avec ça qu'ils payent bien. ignore où elle est. Cinquante patrouilles sont
les mendiants de moines. en route dans ce moment, et il y a cent pisto
UIIÔTESSE. Celui-là paye... et paye en or les de récompense pour qui donnera des nou
même. velles certaines de la marche de l'ennemi.
IÏAUIIERGISTE, reparaissantmnc bouteille L'INCONNU. Je puis vous en donner, moi.
d la main. Bah! en ce cas, c'est autre chose! LE RRIGADIER. Vous!
(Il dépose la bouleille sur la table, et ouvre L'INCONNU. Oui, moi!
la fenêtre de la cour.) Eh! Pataud... LE RRIGADIER. Vous savez où est l'armée
UNE voix. Quoi qu'il y a? espagnole !
UAUUENGISTE La mule de sa révérence... L'INCONNU. Je le Elle a passé hier la
tout de suite. rivière de la Lys.
L'INI.oNNU. Vous avez un moine chez vous? LE RRIGADIER. Où cela?
UAUBERGISTE. Oui. L'INCONNU. Entre Saint-Venant et Aire.
L'INCONNU. De quel ordre? LE RRIGADIER. Par qui est-elle comman
UAUREIIGISTE. Y‘ a-t-il un ordre qui s'ap dée ?
pelle l'ordre des questionneurs? L'INCONNU. Par l'archiduc en personne.
L'INCONNU. Je ne crois pas. LE RRIGADIER. De combien d'hommes se
L'AUuERGisI-E. J'en suis fâché... celui-là compose-t-elle ?
en serait sûrement. L'INCONNU. De dix-huit mille hommes.
L'INCONNU. Il vous a fait des questions? LE RRIGADIER. Et elle marche?
L'HôTEssI-'.. Seigneur Dieu! il n'a fait que L'INCONNU. Sur Lens.
cela depuis qu'il est arrivé: Combien y a t-il LE RRIGADIER. Comment savez-vous tous
d'ici à Béthune ?... Combien de Béthune à ces détails?
Armentières?... Avez-vous jamais été dans un L'INCONNU. Je revenais de Hazebrouck à
couvent d'Augustines?... On dirait qu'il a un Béthune, lorsque les Espagnols m'ont pris et
de ses parents qui a perdu quelque chose de m'ont forcé de leur servir de guide; à trois
ce côté-là, il y a une dizaine d'années, et qu'il lieues d'ici . grâce à l'obscurité , je mc suis
cherche ce qu'il a perdu. sauvé.
On frappe à Ia fenêtre qui donne sur la route. LE nnIGADiER. Et nous pouvons nous fier
UNE VOIX. Eh! l'ami! aux renseignements que vous nous donnez?
UHÔTESSE. ‘riens ! on frappe... ouvre L'INCONNU. Comme si vous aviez vu vous
donc. _ même ce que je vous dis.
IRAUIIEIIGISTE. Des gens à chevet... si LE BRIGADIER. Votre nom?
c'étaient des Espagnols l L'INCONNU. Pourquoi l'aire?
LES MOUSQUETAIRES. 3
LE nnIGIDIIzR. Pour vous envoyer la récom MORDAUNT. Et de Béthune à Armentières?
pense promise, si vos renseignements sont L'INCONNU. Sept.
exacts. MORDAUNT. Vous avez dû faire quelques
L'INCONNU. Inutile. fois cette route?
Le. RRIGADIER. Comment inutile? L'INCONNU. Souvent.
L'INCONNU. On dit la vérité gratis ;On ment MOnDAUNT. Est-elle donc dangereuse?
pour de l'argent... J'ai dit la vérité; vous ne L'INCONNU. Sous quel rapport?
me devez rien. MORDAUNT. Sous ce rapport que quelqu'un
LE nnIcADIER. Cependant, mon ami, puis y puisse être assassiné?
que cent pistoles ont été promises par mon L'INCONNU. A moins que ce ne soiten temps
sieur le Prince. de guerre, comme aujourd'hui,par exemple,
L'INCONNU. Si je dis la vérité, vous enver la route est tout à fait sûre.
rez les cent pistoles au curé de Béthune, qui
MORDAUNT. Sûre l... (A part.) Je l'avais
les distribuera aux pauvres. bien pensé; il faut que ce soit quelque ven
LE RRIGADIER. Mais nous boirons bien un
geance particulière. Ah ! à mon retour je
verre de vin ensemble à la santé de notre
repasserai par ici... ll y a assez longtemps que
général et aux armes de la France.
je fais les alïaires de monsieur Cromwell pour
L'INCONNU. Merci! faire un peu les miennes. Maintenant, mon
LE nnIGADILR. Pourquoi cela? sieur, pourriez-vous me dire...
L'INCONNU. Parce que vous ne me connais
sez pas, et qu'un jour, si vous me connaissiez. uvmwummm Wwwnw
vous pourriez vous repentir d'avoir choqué
votre verre contre le mien. .. Poursuivez donc ' SCÈNE m.
votre route, monsieur, et hâtez-vous de por
LES Meurs, LORD on WINTER.
ter à monsieur le Prince la nouvelle que je
vous donne. DE WINTan, entrant. Dites donc, maître?
LE RnIGADIER. Vous avez raison... Votre UAunEnGlsTE. Voilà, Votre Seigneurie.
main, mon ami? MORDAUNT, relevant la tête. Oh! oh!
I.'INCONNU. Ce serait trop d'honneur pour m: WINTER. Où suis-je ici, s'il vous plaît?
moi, monsieur. LUAUREIIGISTE. A Pernes, monsieur.
ll se recule. Mou DAUNT, d part. C'est lui! Je me dou
LE RRlGADIEIl. Singulier personnage l... tais qu'il était en France.
' Allons, en route! DE WINTER. A Pernes. entre Lilliers et
ll sort. Saint-Pol alors?
MW mmmm
L'AUREHGIS‘I‘E. Justement.
De “INTER. C'est bien.
SCÈNE II. IÏAURERGISTE. Votre Seigneurie désire
t—elle qu'on lui serve à souper?
LES Menus, Inclus LE BIHGADIBR; MOR DE WINrLR. Non, je voudrais seulement
DAUNT, relu d'une robe de moine. prendre quelques renseignements sur le che
MORDAUNT, d part. Oui, singulier person min.
nage... Au reste, il habite Béthune, à ce qu'il L'INCONNU . d pari. Plus je le regarde,
a dit_; peut-être par lui aurai-je quelques plus je l'écoute.... plus ce visage et cette
renseIgnements. voixl...
Il descend et va s'asseoir à une table. UAvncnGlsrE. Quelques renseignements
IÏHÔTESSE. Que désirez-vous, mon révé sur le chemin... à votre service, monsieur.
rend? DE WlNTEfl. Pour aller à Doulens, quelle
MORDAUNT. Une lampe, voilà tout! puis, est la route qu'il faut prendre?
j'ai demandé ma mule. IfAUnEnGtsTE. Celle de Paris.
I/HôTEssE. On est en train de la seller. DE WlNTl-ZR. Alors, on n'a qu'à suivre tout
MORDAUNT. Merci! (A l'inconnu.) Vous droit.
êtes des environs, Monsieur? IÏAUBERGISTE. Mais cette route est infes
L'INCONNU. Je suis de Béthune. tée de partisans espagnols... je ne vous con
HORDAUNT. Ah‘! de Bethune... et vous seille pas de la prendre, ou tout au moins, si
demeurez depuis longtemps à Béthune? vous la prenez, attendez le jour.
L'INCONNU. J'y suis né. m: WINTER. Impossible... il faut que je
MORDAUNT d Fflote qui lui apporte une continue mon chemin.
lampe.) Merci! (Ilouvre une carte géogra UAUsEaGtsTa. Alors, prenez la route de
phique.) Monsieur, combien comptez-vous traverse.
de Béthune à Lilliers? ' m: WINTER. Mais ne me perdrai-je point?
L'INCONNU. 'l'rois lieues. IJAUBENCISTL. Ah dame! la nuit.,.
a ‘MAGASIN ‘PHÉIYPRAL.
DE WINTEn. Mon ami, voulez-vous me l Itne pierre, au reste, répondant au nom de
servir de guide? Grimaud.
L'HOTEsSE, s'approchant. Oh! non, mon IIAUIIERGISTE. Et il demandera
sieur... J'espère bien que tu n'accepteras DE WINTER. ll demandera lord de Win
pas. ter.
DE WINTER. Pourquoi cela, ma bonne L'INCONNU, d part. C'est bien cela.
femme !. .. je donnerai une récompense. MORDAUNT, d part. Ah! mon cher Oncle,
UIIOTESSE. Non, monsieur, pour tout l'or j'aurais cru que vous gardiez un plus strict
du monde je ne le laisserais pas aller... pour incognito. .
qu'on le tue. UAURERGISTE. Que lui dirai-je?
DE WINTER. Et qui cela? DE WINTER. Que j'ai pris les devants et
L'IIOTEsSE. Qui cela ?. .. ces brigands d'Es qu'il me rejoigne. S'il ne me rejoint pas, il
pagnols donc. me trouvera à Paris, à mon ancien logement
DE WINTER. Mon ami, il y a vingt pistoles de la place Royale... (A l'inconnu.) Voulez
pour celui qui me servira de guide. vous venir, mon ami?
LKIUDEIIGISTE. Ce serait quarante, mon L'INCONNU. Oui, monsieur, et ce n'est pas
sieur, ce serait cent, que je refuserais... la première fois que je vous servirai de
Voyez-vous , ce qu'il y a de plus précieux au guide.
monde, c'est la vie; et se hasarder à cette DE WINTER. Comment cela?
heure, dans la campagne, au milieu de tous L'INCONNU. Rappelez-vous la nuit du vingt
ces bandits, c'est jouer la vie sur un coup deux octobre.
de des. ' DE WINTER. Mil six cent trente-six?
DE WINTER. Mon ami, si l'argent ne vous L'INCONNU. Oni, rappelez-vous la roule
tente pas, laissez-moi vous parler au nom de de Béthune à Armentières. '
l'huutanité, en me servant de guide, en DE WINTÈR. Silence‘! Oui, je vous recon
m'aidant à gagner Paris le plus tôt possible nais... Venez, venez.
vous rendrez un immense service à quel Ils sortent.
qu'un qui est en danger de mort. mfimmæmmwmw U“
L'INCONNU, se levant. S'il y a à rendre un
si grand service que vous dites, monsieur, SCÈNE IV.
et que vous veuillez bien m'accepter pour
guide... me voilà. LEs MÊMES, "tains DE WINTER, et L'IN
DE WINTER. Vous! . CONNU.
L'INCONNU. Oui, moi! acceptez—vous, MORDAUNT, se levant. La nuit du vingt
monsieur? deux octobre... la route de Béthune à Ar
DE WINTEu. Certainement... et à votre mentières... quelle étrange coincidencel...
tour, tenez, mon ami... Le vingt-deux octobre... le mois Où ma mère
Il veut lui donner une bourse. est morte... le chemin de Bélhuneà Armen
L'INCONNU. Pardon monsieur , j'ai dit: tières, le lieu où elle adisparu... Si le hasard
s'il y a un service à rendre... et non de l'ar allait faire pour moi plus que n'ont fait tous
gent à gagner. les autres calculs et toutes les recherches...
DE WINTER. Cependant, monsieur... Allons, il faut que je suive cet homme. Ma
L'INCONNU. Chacunfait ses conditions... mule... ma mule!
moi, voici les miennes. L'HOTESSE. Vous demandez ?...
DE wtNTEn, ,11 part. C'est singulier, il me MORDAUNT. Ma mule est-elle prête?
semble que j'ai déjà vu cet homme. UEOTESSE. Elle vous attendu la porte.
L'INCONNU, d part. Je ne me trompais MORDAUNT. Merci; vous êtes payée, n'est
pas, c'est bien lui! ce pas -î
DE WINTER. Maintenant, mon ami, voici L'IIOTEssI;. Oui, certainement; il ne me
une guinée; faites exactement ce que je vais reste plus qu'à vous demander votre béné
vous dire. ' diction.
IJAUBERGISTE. Dites, monsieur. MORDAUNT, sortant. Dieu vous garde!
DE WINTER. Un homme m'attend à Doul ll sort vivement.
Iens; mais comme je suis en retard, il est
possible que cet homme, las de m'attendre ,
pousse jusqu'ici. SCÈNE v.
UAURERGISII-Z. Comment le reconnaîtrai
UHOTESSE, seule, puis GRIMAUD et
je ? ' IIHOTE.
DE WlNTER. Costume de laquais... trente
cinq à quarante ans, cheveux et barbe... il L'HOTEssr.. Pierrel. .. (Appelant. J Pierre!"
les avait noirs autrefois... silencieux comme Allons, le voilà encore parti; il ne se tiendra
LES RIOUSQUEÏAIRES. 5
m MMVWW|NMMWWW
pas tranquille qu'il ne se fasse assassiner.
(Coups de feu éloignés.) Ah! mon Dieu! te SCÈNE VI.
nez, voilà encore une fusillade... Pierrel...
Pierrel... (Elle ouvre la fenêtre.) Pataud! LES lllÊMEs, PATAUD . L'INCONNU.
UNE vOIx. Quoi? UHOTEssE. Qui est là?
UHOTEssE. Avez-vous vu votre maître? PATAUD. Ouvrez, ouvrez, ce sont les voi
LA voix. Il est là. au jardin. sins qui rapportent un homme blessé.
IÈHOTESSE. Ah! à la bonne heure... (Elle UHOTE. Un homme blessé!
se retourne, et aperçoit Grimaud.) Mon LA voix m: L'INCONNU. C'est moi, c'est
sieur... (Grimaud salue.) Par où donc êtes moi, ouvrez!‘
vous venu? (Grimaud montre la porte.) Par UHOTIISSE. Comment! ce brave homme...
la porte? vous êtes doncàpied?... (Grimaud L'HOTE. Qui accompagnait le seigneuI
fait signe que non.) A cheval? (Grimaud fait anglais.
signe que oui.) Et voulez-vous qu'on rentre UHOTisssE. Eh bien! avais-je raison de te
votre cheval à l'écurie? (Grimaud [ail signe dire de ne pas y aller?
que non.) Alors, que voulez-vous? (Gri IfHoTE. Un chirurgien l... un chirur
maud fail signe qu'il veut boire.) Je com gienl... (A Grimaud.) Monsieur, vous qui
prends... (Elle apporte une bouteille et un avez un cheval, vous devriez bien pousser
verre.) Vous avez donc le malheur d'être jusqu'à Saint-Pol, et ramener un chirurgien.
muet, mon bon monsieur?... (Grimaud fait GRIMAUD. Combien de lieues ?
signe que oui.) Oh! pauvre cher homme! UHOTE. Une lieue et demie.
(IJI/àle rentre.) Dis donc, mon ami, à la GRIMAUD. J'y vais! ,
bonne heure, en voilà un qui ne fait pas de l! sort.
bruit, il est muet. IfHOTEssE. Pauvre brave homme! il fau
UHOTE. Muet! si c'était notre homme... drait le monter dans une chambre.
il ressemble au signalement que l'on m'a L'INCONNU. Oh! non, un matelas sur cette
donné... (llva d Grimaud.) Eh! donc, table, je soullre trop.
monsieur. (Grimaud lève la tôle.) Ne cher UHOTE, d sa femme. Jette un matelas...
chez-vous pas quelqu'un? (Grimaud fait (A l' Inconnu.) Que vous est-il donc arrivé ,
signe que oui.) Un étranger ?... (Grimaud monsieur ‘Z
répüe le même signe.) Un Anglais? (Illémc L'INCONNU. A deux cents pas d'ici, nous
jeu.) Qui se nomme lord de Winter? avons été attaqués par des Espagnols... mais
GRIMAUD. Oui! , heureusement il n'est rien arrivé à lord de
UHOTESsE. Tiens! le muet qui parle. Winter.
UHOTEssE, jetant un matelas par-dessus
UHOTE. Et vous vous nommez? la balustrade. Voilà!
GRIMAUD. Grimaud! UHOTE. Bien! couchez-le là-dessus... Un
L'HOTE. Eh bien! monsieur Grimaud, la oreiller, un coussin... Que peut-on vous faire
personne que vous attendiez à Doulens... pour vous soulager, monsieur?
GRIMAUD. Oui. L'INCONNU. Rien; la blessure est mor
IËHOTE. Au Lis couronné... telle.
GRIMAUD. Oui. L'HOTE. Avez-vous besoin de quelque
chose?
L'HOTB. Elle vient de partir, il y a dix
L'INCONNU. De l'eau, j'ai soif.
minutes, avec un guide... et elle a dit que
L'iIoTE Tenez!
vous la retrouveriez à Paris, à son ancien
L'INCONNU. Merci ; mais ne pourrait-on
logement de la place Royale.
pas In'alIer chercher un prêtre...
GRIMAUD. Bon!
Morduunt reparait à la porte.
UHOTE. Alors, puisque votre commission
est faite, vous restezl
GRIMAUD. Oui.
IRHOTE. Avez-vous soupe? SCÈNE VII.
GRIMAUD. Non. .
LES MÊMES, MORDAUNT.
UHOTE. Alors vous allez souper et coucher
ici? UHOTESSE. Ah! mon révérend, venez,
GRIMAUD. Oui. venez! c'est le Seigneur qui vous ramène.
IBHOTE. Et vous partirez')... MORDAUNT. Me voici!
GRIMAUD. Demain. UHOTESSE . montrant Mordaunt . au
l.'}IO'l‘E, d sa femme. Eh bien! en voilà blessé. lllonsieur...
un qui n'est pas bavard, àla bonne heure. ._ ,_ _ .—_ — L'INCONNU. Par grâce, venez vite.
On frappe à une porte latérale. _ MORDAUNI‘. Qu'on nous laisse.
c‘. MAGASIN 'I'IlÊA'l‘ll AL.
L'IIOTE, dsa femme. C'est égal, voilà un L'INCONNU. Caril me semble, chaque nuit,
singulier moine. voir se dresser le spectre de cette femme.
UIIOTESSE. Oh! toi, tu es un hérétique. MORDAUNT. C'était une femme ?...
Ils sortent. L'INCONNU. Oh! ce fut une nuit maudite.
WWMWWW MORDAUNT. Quelle nuit était-ce?
L'INCONNU. La nuitdu 22 octobre i636.
SCÈNE VIII. MORDAUNT, d part. La même date qu'il a
dite à lord de Winter... Ah! justice du ciel!
MORDAUNT, L'INCONNU. si j'allais tout apprendre! (Il passe sa ntain
MORDAUNT. Me voilà, parlez! sur son front.) Et quelle était cette femme
L'INCONNU. Vous êtes bien jeune. que vous avez assassinée?
MORDAUNT. Les gens qui portent ma robe L'INCONNU. Assassinéel... et vousaussi...
n'ont point d'âge. vous aussi, vous dites comme la voix qui a
L'INCONNU. Hélas! parlez-moi doucement, retenti à mon oreille... assassinée l... je l'ai
carj'ai besoin d'un ami à mes derniers mo donc assassinée, et non pas exécutée... je
IlleIllCS. suis donc un assassin, et non un justicier.
MORDAUNT. Vous souffrez beaucoup? MORDAUNT. Continuez... continuezl... Je
L'INCONNU. De l'âme plus que du corps. ne sais rien, je ne puis donc rien vous dire...
MORDAUNT. Parlez! j'écoute. quand vous aurez achevé votre récit, nous
L'INCONNU. Il fautd'abord que vous sachiez verrons. En attendant, comment cela s'est-il
qui je suis... fait? parlez, ditestout, n'omettez aucun détail.
MORDAUNT. Dites... L'INCONNU, se soulevant sur son oreiller.
L'INCONNU. Je suis... Mais je crains que C'était un soir, j'habitais une maison dans
vous ne m'abandonniez si je vous dis qui je une rue retirée... Un homme qui avait l'air
suis. d'un grand seigneur, quoiqu'il portàt la
MORDAUNT. N'ayez pas peur! simple casaqne de mousquetaire , frappa
L'INCONNU. Je suis l'ancien bourreau de à ma porte et me montra un ordre , signé
Béthune. Richelieu. . . Cet ordre commandait obéissance
MORDAUNT, reculant. L'ancien bourreau... à celui qui en était porteur.
L'INCONNU. Oh! mais depuis dix ans je MORDAUNT. L'ordre était-il bien signé
n'exerce plus... n'ayez donc pas horreur de Richelieu?
moi... depuis dix ans j'ai cédé ma charge. L'INCONNU. Oui, mais je n'ose dire qu'il
MORDAUNT. Vous avez donc horreur de ne servait pointà un autre but qu'à celui dans
votre état? lequel il était donné.
L'INCONNU. Depuis dix ans, oui! MOIIDAUNT. Continuez!
MORDAUNT. Et auparavant ?. .. ' L'INCONNU. Je le suivis... me Iéservant de
L'INCONNU. Tant que je n'ai frappé qu'au résister si l'office qu'on réclamait de moi
nom de la loi et de la justice, mon état m'a était injuste. A la porte de la ville, je trouvai
laissé dormir tranquille, abrité que j'étais sous quatre autres cavaliers qui nous attendaient,
la justice et sous la loi... mais depuis cette nous fîmes cinq à six lieues , sombres , mor
nuit terrible où j'ai servi d'instrument à une nes, silencieux, presque sans échanger une
vengeance particulière, où j'ai levé avec haine parole... A cent pas d'Armentières, un homme
le glaive sur une créature de Dieu... depuis couché dans un fossé se leva... C'est là, dit—il
cette nuit... en montrantde la main une petite maison iso
MORDAUNT. Que dit-il là? lée à la fenêtre de laquelle brillait une lu
L'INCONNU. J'ai pourtant essayé d'étoulfer Inière. .. Nous primes à travers terres, et nous
ce remords par dix ans de bonnes œuvres, nous dirigeantes vers la maison. Trois autres
j'ai dépouillé la férocité naturelle à ceux qui laquais étaient jalonnés sur la route... cha
versent lc sang... en toute occasion, j'ai ex cunse leva à son tour, et se joignit à nous...
posé ma vie pour conserver la vie de ceux le dernier gardait la porte... Est-elle toujours
qui étaient en péril, et j'ai conservé à la terre n? lui demanda l'homme qui était venu me
des existences humaines en échange de celle chercher... Toujours, répondit-il.
que je lui avais enlevée... Ce n'est pas tout: MORDAUNT. Que vais-je entendre, mon
le bien acquis dans l'exercice de ma profession , Dieu!
je l'ai distribué aux pauvres... je suis devenu L'INCONNU. Alors, nous descendîmes de
assidu aux églises; les gens qui me fuyaient cheval, et nous remîmes les chevaux aux la
se sont habitués à me voir... quelques-uns quais; il me frappa sur l'épaule... le même
même m'ont aimé; mais il me semble que Dieu toujours... et à travers les vitres, il me mon
ne m'a point pardonné, lui, car le souvenir traà la lueur d'une lampe une femme accou
de ce meurtre me poursuit sans cesse. détl sur une table, en me disant : Voilà celle
MORDAUNT. Vous avez commis un meurtre? qu'il faut exécuter.
LES NIOUsQUIrrAIIIEs. 7
MORDAUNT. Et vous avez obéi? 7. la franchise de tes aveux peut seule attirer sur
L'INCONNU. J'allais refuser, quand tout à toi la miséricorde du ciel... Ces cinq honnnes,
coup, en la regardant plus attentivement, je ces cinq misérables... ces cinq assassins...
reconnus à mon tour cette femme... qui étaient-ils?
MORDAUNT. Vous la reconnûtes, vous? L'INCONNU. .le ne sais pas leurs noms, je
L'INCONNU. Oui; étantjeune fille,elle avait ne les ai jamais sus... ils [Iortaient l'uniforme
séduit et perdu mon frère... Une nuit, tous de mousquetaires... voilà tout.
deux avaient disparu avec les vases sacrés MORDAUNI‘. Tous?
d'une église... j'avais trouvé mon frère sur I.'INCONNU. Non. un seul ‘ était habillé
un gibet... elle, je ne l'avais pas revue. comme un gentilhomme , mais ce n'était pas
MORDAUNI‘. (iontinuez ! un Français, lui, c'était. . .
L'INCONNU. Oh! je le sais bien... j'aurais MORDAUNT. (l'étain...
dû pardonner; dest la loi de l'fivangile. .. c'est L'INCONNU. (l'était un Anglais.
la loi de Dieu l...L'homuIe en moi étoulla le MORDAUNr. Il se nommain...
chrétien, il me sembla que la voix de mon L'INCONNU. J'ai oublié son noIn...
frère criait vengeance à mon (ireille... et je MOHDAUNT. 'l‘u mens!
dis : C'est bien, j'obéirai! L'INCONNU. Mon Dieu!
MORDAUNT. Continuez! . MORDAUNT. Il se nommait l. ..
L'INCONNU. Alors, le même, toujours le L'INCONNU. Non, je ne puis...
même. brisa la fenêtre d'un coup de poing... MOIIDAUNT. Je vais te le dire. moi... il se
deux entrèrent par cette fenêtre... les trois nommait lord de Winter.
autres par la porte... en les voyant, elle com L'INCONNU. Que dites-vous?
prit qu'elle était perdue, car elle jeta un cri. MOIIDAUNI‘. Je dis qu'il se nommait lord de
puis, pâle et muette, comme si dans ce cri elle Winter, je dis qu'il était là tout à l'heure, je
eût épuisé toutes ses forces, elle recula chan dis que c'est celui avec lequel tu es sorti.
celante jusqu'au moment où elle rencontra le L'INCONNU. Comment savez-vous cela?
Inur. MORDAUNT. Maintenant le nom de cette
MOIIDAUNT. C'est horrible! femme 1. ..
L'INCONNU. Horrible, Ifest-ce pas? mais L'INCONNU. Je ne l'ai jamais su... ils l'ap
attendez... attendez l... Alors ils sérigèrent pelaient Milady, voilà tout.
en accusateurs, et chacun passant à son tour MORDAUNT. Milady l... mais puisqu'elle
devant elle, lui reprocha : celui-là, l'assassinat avait séduit ton frère. dis-tu; puisqu'elle avait
de son mari... celui-là , l'empoisonnement de causé la mort de ton frère, à ce que tu pré
sa maîtresse... l'autre... et cet autre, c'était tends; puisque jeune fille elle sétaitsauvée.
moi... l'autre, le déshonneur et la mort de emportant avec lui les vases sacrés d'une
son frère; puis d'une seule voix... d'une église, tu dois savoir son nOm de jeune fille
même voix, d'une voix unanime, sombre, ter L'INCONNU. Oui, celui-là. je le sais.
rible, solennelle. .. ils prononcèrent la peine de MORDAUNT. Son nom?
mort... et moi... I.'INCONNU. Il me semble que je vais mou
MORDAUNT. Et vous?... rIr.
L'INCONNU. Et moi qui l'avais condamnée MORDAUNT. Oh ! ne meurs pas sans m'avoir
avec les autres... moi. moi, je me chargeai de dit son nom.
l'exécuter. L'INCONNU. Me pardonnez-vous?
MORDAUNT, se levant. Malheureuxl... et MORDAUNT. Son nom. te dis-je, son nom?
vous commîtes le crime? L'INCONNU. Anne de Brueil.
L'INCONNU. Sur mon salut, je croyais faire MURDAUNT. Ah! mes pressentiments ne
justice. me trompaient donc pas.
MORDAUNT. Et ni prières ni larmes... car L'INCONNU. Maintenant. maintenant que
sans doute elle pria et pleura... ni beauté vous savez son nom... pardonnez moi, je me
ni jeunesse. car elle était jeune et belle, n'est meurs.
ce pas? rien ne put vous toucher? MORDAUNI‘. Moi. te pardonner... te par
L'INCONNU. Rien! je croyais que c'était le donner... tu ne sais donc pas qui je suis?
démon lui-même qui avait revêtu la forme de L'INCONNU. Qui êtes-vous donc?
cette femme. MORDAUNT. Je suis John Francis de
NOIIDAUNT. Ahl..plusde doute maintenant. Winter l
ll se lève et vu pousser les verrons de la porte. L'INCONNU. De Wiuter!
L'INCONNU. Vous me quittez, vous m'aban MORDAUNT. Et cette femme...
donnez... L'INCONNU, se soulevant. Cette lemme...
MORDAUNT. Non. non... sois tranquille, me MORDAUN r. Eh bien! cette femme, c'était
voilà; maintenant, voyons, réponds... mais ma mère.
sans rien cacher, sans rien taire. Songes-y, L'INCONNU. Sa merel
7l.‘
MAGASIN TIIÉAIIIAL.
MORDAUNT. Oui, ma mère. comprends-tu? L'INCONNU. An secoms!
ma mère! morte... sans que j'aie pu savoir IIAUIIEIIGISTE. Le moine! où est lemoine?
ni où ni comment. L'INCONNU. Ilm'a poignardé, etdétait jus
L'INCONNU. Oh! pardonnez-tutu ! pardon tice... le moine... c'était son fils...
nez-moi l... GRIMAUD. Quel fils?
MORDAUNT. 'I'e pardonner... te pardon L'INCONNU , apercevant Grimaud. Mon
ner... Dieu peut-être... moi jaInais. Dieu!
L'INCONNU. Par pitié. .. GRIMAUD. Quoi?
IIIOIIDAUNT. Pas de pitié pour qui n'a pas eu L'INCONNU. Vous étiez un des quatre Iaptais
de pitié... meurs maudit... meurs désespéré, des quatre seigneurs... cette nuit ?...
meurs et sois damné! GRIMAUD. Oui!
ll le frappe de son poignard.
L'INCONNU. Eh bien l ce moine... c'est
L'INCONNU. Au secours! au secours! son fils.
vOIx, du dehors. Ouvrez! ouvrez! GRIMAUD. Le fils de Milady !
MORDAUNT. Un! L'INCONNU. Prenez ce poignard. portez-le
ll s'élance vers la fenêtre, l'ouvre et saute dehors. aux quatre gentilshommes... et dites-leur ce
L'Hôte. Fliôtesse et Grimaud se précipitent dans la que vous savez...
chambre. Il expire.
un 4mm' Wmmw mm GRIMAUD. Ah! vous avez raison, pas un
instantà perdre... M. le ‘comte de la Fère.
SCÈNE IX. M. le comte de la Fère.. .
Il sort.
L'INCONNU expirant, L'HOTE, L'HO
UAUREIIGISTE, d Grimaud. Eh bien I cet
TESSE}. GRIMAUD, VALETS, VOISINS, ETC.
homme ?...
GRIMAUD. Qu'y a-t-il? GRIMAUD. Cet homme est mort!
mm MW“

ACTE- PREMIER.

jprtmitr Œabltau.
La chambre de dmrtagnan.
L'hôtel de la Chevrette rue Tiquetonne, à Paris. Au premier plan, à droite, porte d'entrée ouvrant sur un escalier;
à gauche, dans le pan coupé, armoire fermée par un rideau. Au fond, large fenêtre.

sCENE PREMIÈRE. trisent déjà...» Ah! il s'agit du sergent suisse


qui s'était installé dans mon hôtel. bien mal
MADELEINE, seule. gré moi, je puis le dire... et que monsieur
Elle tient un justaucorps et le brosse. d'Artagnan, à son retour de la campagne de
Ah! ah! voici un justaucorps de velours Flandre, a trouvé établi dans sa chambre...
bleu que je ne connaissais pas à monsieur Il en a été quitte pour cinq coups d'épée...
d'Artagnan... c'est sans doute avec celui-là pauvre cher homme! ("accrochant l'habit.)
qu'il fait ses conquêtes, l'ingratl... Mais... Ah! monsieur d'Artagnan. vous étiez amou
qu'est-ce que je sens dans ses pochest’... des reux dans ce temps-là , car vous étiez jaloux
papiers... on me dira peut-être que c'est de de tout le monde... même des Suisses...
la curiosité... mais, après tout, j'ai bien le Passons à celui-ci. . (Elle prend un autre
droit d'être curieuse... Voilà un billet, j'en habit. ) C'est le pourpoint sacré , la fa
étais sûre... (Elle déplie un papier et le lit.) meuse casaque des mousquetaires, que nous
n Dindonneau en hachis, carpe à l'étuvée, gardons comme une relique... Voyons s'il n'y
fritot a la Mazarin . trois bouteilles de vin a rien dans les poches de la relique.. . Ah! ah!
d'Anjou. .. a Gestdéjà une infidélitémcomme des papiers attachés avec une faveur... ah!
si la table de la Chevrette ne devait pas suf traître! une faveur bleue! Commençons par
fire à un galant hommel... Mais cette infi cette petite écriture bien serrée; ce doit être
délité-là, je lalui passe encore. (Elle tireune incontestablement d'une femme. u Mon cher
autre lettre. ) Second papier. (Elle lit. ) « Mon d'Artagnan, u Son cher d'Artagnan ! u J'avoue
sieur, votre adversaire commence à entrer en que votre souvenir me pomsuit jusque dans
convalescence; il n'a plus que trois coups d'é mon couvent de Noisy-le-Sec. .. n Ah! voilà une
pée qui Itfinquiètent, les autres se cica lettre, j'espère... destalireux! Eh! mon Dieu!
LEs MOUSQUETAIRES. 9
du bruit! c'est luil... vite, les baudriers, les MADELEINE. Oui, avec une tranche de (‘e
habits, les pourpoints dans cette armoire... i pâté de chevreuil...
Eh bien, où est donc la casaqne, maintenant? UARrAGNaN. Que j'ai aperçu en bas en
Ah! la voici; quand il sortira, je remettrai passant... C'est extraordinaire. chère madame
les lettres; mais cette fois, puisque j'ai trouvé Turquenne, comme vous lisez dans mon
la cachette, je veux savoir à quoi m'en tenir. CŒIJI‘.
Il la serre dans ses bras.
wwnvumwwm wvwwvwwmvvx.
MADELEINE. touchant la poche de son ha
SCÈNE Il. bit. Tiens! qu'est-ce que vous avez donc là?
de l'argent?
DŒRTAGNAN, MADELEINE. UARrAGNAN. Mais oui.
MADELEINE. Vous qui vous plaignez tou
ÜARTAGNAN. Ah! ah! chère madame Tur jours d'en manquer...
quenne, vous ici? NARTAGNAN. Ce n'est pas à moi; c'est un
MADELEINE. Oui, monsieur d'Artagnan, dépôt que m'a confié le gouvernement.
oui ; vous voyez, je range. MADELEINE. Oh! cachotier que vous êtes!
UARTAGNAN. Que c'est beau de pouvoir je suis sûre que si j'ouvrais ce secrétaire-là...
dire: Je range! Le fait est, Madeleine (regar UARTAGNAN. Madeleine, n'allez pas com
dantautour de lui), que vous rangez sou mettre cette imprudence; c'estun secrétaire à
vent... et bien. secret quivient de famille, et qui adéjà tué trois
MADELEINE. C'est le devoir d'une bonne femmes imprudentes, qui ont eu la témérité...
femme, et je suis la vôtre... (Dbtrtag-nan la Mais, chère madame Turquenne, vous m'avez
regarde de côté.) Votre femme de ménage, parlé de fagots, je crois; il ne faut pas que.
j'entends... Oh! je n'ai pas la prétention cela se passe en conversation...
d'aspirer à la main d'un lieutenant de mous MADELEINE. Ah! vous pouvez vous vanter,
quetaircs. vous, d'avoir une manière de faire faire aux
UARTAGNAN. Bien, aladeleine... je croyais femmes ce que vous voulez...
que vos idées (l'hyménée vous trottaient en UARTAGNAN. C'estle résultat de quinze ans.
core par l'esprit. d'étude, madame Turquenne; voilà le grand
MADELEINE. Hélas! monsieur d'Artagnan, avantage du vin sur les femmes; destqueleviIt .
depuis que vous vous en êtes expliqué si ca plus on en goûte, plus on le connaît, tandis
tégoriquement avec moi... que les femmes. au contraire...
NARTAGNAN. Ma chère madame Tur MADELEINE. C'est bon, c'est bon; on va
quenne, les bons comptes font les bons amis; vous chercher vos deux bouteilles.
d'ailleurs, je ne suis pas bien certain que feu UARTAGNAN. Allez donc, et fermez lapone.
monsieur 'I'uquenne soit mort... on a vu des
maris qui revenaient, rien que pour faire M “Wmhw

pendre leur successeur... ltlais il s'agit en ce


moment de toute autre chose, ma chère Ma SCENE III.
deleine, que de débattre l'existence ou la non
existence de votre premier époux... il s'agit D'ARTAGNAN, seul.
de trouver... Hein? comme c'est dressé... elle n'a qu'un
MADELEINE. Quoi? défaut : c'est de n'avoir jamais assez de ses
WARTAGNAN. Des idées... beaucoup d'i propres poches... Comme elle a senti tcut de
dées. . . d'excellentes idées! suite dans la mienne l'argent de Son Émi
MADELEINE. Oh! quand elles vous man nencel... Mais casse-cou! l'argent du Maza
quent, vous savez où les chercher, vous. riu..... ladre vert, cuistre d'italien, va.....
UARTAGNAN. Près de vous, n'est-ce pas, cent pistoles l. .. Je croyais d'abord que c'était
ma chère madame Turquenne ! des doubles d'Espagne, cela en valait la peine!
‘MADELEINE. Non, mais derrière mes fa cent pistoles... oun à-compte, monsou d'Ar
gots. tagnan... Mazarin maudit!... Oui, mon ser
UARTAGNAN. Ceci est un proverbe dfltthos: lieutenant, recommencez à vous faire briser
t Il ya plus d'idées au fond d'une seule bouteille les jambes, casser les bras; faites-vous tra
que dans la tête de quarante académiciens.» verser le ventre de grands coups d'épée,
MADELEINE. Et vous avez besoin de beau faites-vous trouer le moule de votre pourpoint
coup d'idées? avec force pistolades, et je vous donnerai...
UARTAGNAN. Il m'en faudrait deux, mais quoi? oun à-compte... et à quand le compte,
de qualité supérieure; comprenez-vous, Ma pleutre que tu Enfin je lui demande ,
deleine? une hardie, bouillante, énergique... quoi? la moindre des choses, un brevet de
cachet rouge; l'autre gaie, ingénieuse, fan baron pour Porthos, qui dessèche de ne pas
tasquel... cachet ‘vert. l'être... Il prend un parchemin, ilécrit les,
1o MAGASIN THÉATRAL
noms, il burine le titre, et me le rend sans cette poche-là, cependant, les lettres... Ah!
signer... Mais la signature? A votre retour, j'y pense, Madeleine, qui range si bien...
mon ser monsou d'Artagnan. Et si nous ne Madeleine ! Madeleine l. ..
revenons pas?... Dame, cela vous regarde... MmwvcwnflMvn/“Mwntmsmw 5m
c'est à vous de revenir... Et la reine, avec son
grand nez, sa lèvre à l'AutriclIienne, et ses SCÈNE IV.
bellesmains insolentes: Monsieurd'Artagnan,
soyez bien dévouéà Sa Majesté... Je lui serai UABTAGNAN, MADELEINE.
dévoué pour cent pistoles, an roi, et encore... MADELEINE. Me voici, me voici ;j'ai voulu
qu'est-ce que je dis donc là! pour vingt-cinq, aller à la cave moi-même.
car les cent pistoles sont pour moi et mes UARTAGNAN. Fort bien. Dites-moi, ilia
trois amis: vingt-cinq pistoles pour Athos, deleine...
vingt-cinq pistoles pour Porthos et vingt-cinq MADELEINE, â part. Il a été au porte-man
pistoles pour Aramis... (Il rit de pitié.) ll teau. ( Haut.) Cachet rouge. (A part.) Il
est vrai que si je ne les retrouve Oui, aura découvert quelque chose... (Haut) Ca
mais il faut que je les retrouve, ces dignes chet vert, regardez!
amis, que je n'ai pas vus depuis tant d'années! D'ARTAGNAN. Chère madame Turquenne,
Quelle étrange chosel... on vit trois, quatre, vous me comblez... mais posez les bouteilles
cinq ans ensemble, il semble qu'on ne pourra , sur la table et venez ici.
pas se passer les uns des autres... on le dit, MADELEINE. Oh! qu'est-ce que ce sac?
on le répète, on le croit... puis vient une UAIITAGNAN. L'argent du gouvernement,
bourrasque qui vous pousse l'un au midi. toujours... n'y touchez pas, ça brûle les
l'autre au nord; celui-ci à l'orient, celui-là doigts; d'ailleurs, nous avons à causer.
à l'occident; on se perd de vue et tout est MADELEINE. Eh bien, causons.
tini; à peine si une lettre... Cependant n'ac UAETAGNA N. Madeleine, mon enfant, nous
cusons pas... j'en ai reçu une d'Athos, c'était avons donc rangé dans la chambre de ce bon
en l6lt3, six mois à peu près avant la mort monsieur dhirtagnan?
du cardinal ; voyons, où était-ce ?... Ah! c'é MADELEINE, d part. Nous y voilà! (Haut)
tait au siège de Besançon; je me rappelle, Mais oui, comme d'habitude... je ne puis pas
j'étais de tranchée... Que me disait-il donc? dire non... vous m'avez trouvée occupée.
ah! qu'il habitait une petite terre. .. oui,maisoù? UAIITAGNAN. A ranger, c'est cela... de
J'en étais la quand un coup de vent aemporté sorte qu'en rangeant, pour que tout fût bien
la lettre d'Athos du côté de la ville; j'ai laissé rangé, nous avons retourné les poches.
le vent porter la lettre aux Espagnols qui n'en MADELEINE. Moil... non... non, jamais!
ont que faire, et qui devraient bien me la UAR'rAGNAN. Madeleine, chère amie, entre
renvoyer aujourd'hui que j'en ai besoin... autres qualités qui vous rendent précieuse à
Voyons donc, il ne faut plus songer à Athos, mes yeux, il y en _a une dont je voudrais bien
mais à Porthos et à Aramis... ils m'ont écrit que vous trouvassiez à vous défaire ; vous êtes
aussi, eux... où sont leurs lettres? Ah! proba horriblement jalouse, et vous le savez, Made
blement dans ma chère casaquel... (I l ouvre leine, un grand prédicateur l'a dit, ou s'il
l'armoire.) Ah! Madeleine rangeait... je suis ne l'a pas dit, il aurait dû le dire... « La ja
bien aise de savoir de quelle façon elle range, lousie conduit les femmes à fouiller dans les
je lui en ferai mon compliment... Pauvre ca tiroirs des tables et dans les poches des hauts
saqne !... en voilà une qui a vu bien des de-chausses. n Vous comprenez, Madeleine?
aventures et qui a assisté à bien des ba MADELEINE. Ah! ce n'est point à moi qu'on
tailles... aussi, elle en a gardé les cicatrices; peut faire ce genre de reproche.
voilà le trou du biscaîen qui m'a roussi la peau UAR'rAGN«N. N'importe, la morale n'est
au bastion Saint-Gervais, lors de notre com jamais perdue... Écoutez donc, ma chère
bat d'héroique mémoire, quatre contre cent, Madeleine: si, comme vous le dites tous les
vingt-cinq pour un, juste comme les pistoles jours, vous tenez à faire mon bonheur. sang
de son éminence... Voici une couture glo Dieu! ne me 'rendez le plus malheureux des
rieuse... Par quelle main a-t-elle été faite? hommes!
je ne me 'e rappelle pas... C'est singulier que MADELEINE. Je ne puis cependant pas
de tous les tissus, le plus solide, celui qui se répondre...
recoud encore le plus facilement, c'est la peau UARTAGNAN. Elles étaient dans ma poche,
humaine... Cette casaqne de buffle n'est plus Madeleine, dans cette poche-là; trois lettres,
bonne à rien, et monsieur d'Artagnan vaut entendez-vous bien ?... La poche n'est aucu
encore quelque chose... Mais avec tout cela, nement trouée... elles étaient liées avec une
je ne retrouve pas mes lettres, moi... C'est faveur bleue.
donc le diable... Ce sont ces pistoles de mal MADELEINE. Ah! je conçois, c'était fort
heur qui m'ont ensorcelé; elles étaient dans galant.
LES MOUSQUETAIRES. i1
UARTAGNAN. Ma petite Madeleine, vous pelle maintenant; maisn'ilnporte, ce n'est pas
voyez que je suis très-calme, très charmant, moi qui vous ai écrit.
que je n'ai pas la moindre canne à la portée PORTHos. Cependant... (Il lit.) «Trouvez.
de la main; faisons donc les choses galam n vous le 20 du mois d'octobre de la présente
ment; avouez-moi-quïau secouant mes vieux n année 16118 , à l'hôtel de la Chevrette,
habits, ce paquet de lettres est tombé, hein? » rue Tiquetonne, à Paris; c'est là que de
il est tombé, n'est-ce pas? et vous l'avez ra » meure votre ami d'Artaguan, qui sera en
massé... Voyons, rendez-le-moi, ventresbleu! n chanté de vous voir. » C'est écrit.
MADELEINE. Vous savez bien, monsieur IYARTAGNAN. Oui, mais ce n'est point
d'Artagnan, que je ne bats points les habits écrit par moi, voilà tout ce que je puis vous
de mes locataires. dire.
UARTAGNAN. Morbleu! Madeleine. je ne MADELEINE. C'est une lettre qui sera tom
me fâche pas, non, non, non... je ne veux bée des vieux habits de monsieur.
point me fâcher du moins; mais si l'on ne poaTuOS. C'est possible! (Apercevunt Ma
me retrouve pas l'adresse d'Athos, d'Aramis deleine.) Mais je vous demande pardon, ma
et de Porthos... de Porthos surtout... j'étran dame, je n'avais pas eu l'honneur de vous
glerai tout l'hôtel! voir.
MADELEINE. lllais ne criez donc pas comme IÏARTAGNAN. Mon cher Porthos, je vous
cela, monsieur d'Artagnan. présente madame Madeleine Turquenne, la
UARTAGNAN. L'adresse de Porthos, sang plus soigneuse hôtelière de France et de Na
Dieu! ventrebleu! corbleu! varre... une femme qui ne laisse jamais
MADELEINE. On croira que nous nous traîner les papiers de ses locataires... Mais
disputons. . . Tenez, voilàquelqtfun qui monte. ne parlons plus de cela; vous voilà, Porthos,
UARTAGNAN, écoutant. Ah! mon Dieu! c'est le principal... pourquoi, comment êtes
ce pas... trois cents livres pesant.... (On vous venu, peu importe, cela s'éclaircira...
monte lourdement.) Si j'étais assez fat pour Ma chère madame Turquenne, monsieur Por
croire que la Providence s'occupe de moi, thos va partager mon dîner.
je dirais que c'est le pas de Porthos... (On MADELEINE. Alors, deux cachets rouges et
frappe.) Si je ne savais mon digne ami dans deux cachets verts; on va vous aller chercher
sa terre de je ne sais où, et dans son château cela.
de je ne sais quoi, je diraisque c'est le poing UARTAGNAN. Allez!
de Porthos. Wzvwavwvww 'wwwmvvuvlvvvwmvvwium
MADELEINE. Eh mais! il va enfoncer ma
porte, ce monsieur! SCÈNE VI.
PoRTHOS, en dehors. Eh bien! on n'ouvre DHABTAGNAN, PORTHOS,
donc plus la porte à son ami? MOUSQUETON.
tYARTAGNAN. C'est la voix de Porthos...
En voilà une chance! UAETAGNAN. Et maintenant, cher aim,
en attendant le renfort qu'est allée nous cher
nuwwwm WWWVIANWWWUVW cher Madeleine, disons toujours un mot à
ces deux bouteilles.
SCENE V. PORTHOS. Oui, volontiers.
UAR'I‘AGNAN. Sang Dieu! comme vous
LES MÊMES, PORTHOS, MOUSQUETON. vous portez, cher ami!
UARTAGNAN. Porthos! en chair et en os! PORTHOS. Mais oui, la santé est bonne.
Ah! cher ami! Il pousse un soupir.
Il lui saute au cou. UARTAGNAN. Et toujours fort?
PORTHOS. Avec mon fidèle Mouston, comme POBTHOS. Plus que jamais... Imaginez
vous voyez... ne me reconnaissez-vous pas? vous que dans mon château de Pierrefonds
UARTAGNAN. Si fait, mais je remerciais le j'ai une bibliothèque...
hasard... UAR'I‘AGNAN. Bah! vous êtes donc bien
PORTHOS. Le hasard? riche, mon cher Porthos, que vous vous
IÏAIITAGNAN. Oui. êtes livré à des dépenses si inutiles?
PORTHOS. Ce n'est point le hasard qui PORTHOS. Elle faisait partie du château
m'amène ici, c'est votre lettre? que j'ai acheté tout meublé.
UARTAGNAN. Comment, ma lettre ?... UARTAGNAN. Bon! mais qu'a de com
PORTHOS. Sans doutenenez! (1 l lui donne mun cette bibliothèque avec votre force?
une lettre.) C'est bien à moi... « Amonsieur PORTHOS. Attendez dans cette bi
Duvallon de Bracieux, de Pierrefonds.» bliothèque il y a un livre!
UARTAGNAN. Ah! de Pierrefonds! c'est FARTAGNAN. Comment! dans votre bi
cela, voila le nom du château, je me le rap | bliothèque il n'y a qu'un livre?
12 MAC ASIN THËATRAL.
roRTnOS. Non pas... attendez donc!... vous êtes riche, vous êtes veuf, vous êtes fort
Mouston, combien y a-t-il de livres dans ma t comme Milon de Crotone et vous n'avez pas
bibliothèque? la crainte d'être mangé un jour par des
IIOUSQUErON. Six nulle, monsieur. Bons
rORTuOS. Il y a six mille livres. PoaTaOS. C'est vrai, j'ai tout cela, mais
Il pousse un second soupir. je suis ambitieux.
UARTAGNAN. A la bonne heure ! UARTAGNAN. Vous ambitieux, Porthos?
PORTHOS. Eh bien! parmi ces six mille PORTHos. Oui, tout le monde est quelque
livres, il y en a un fort intéressant qui traite chose excepté moi. Vous êtes chevalier, Ara
des douze travaux d'Hercule, des exploits mis est chevalier, Athos est comte...
de Thésée, et des faits et gestes de Milon de UARTAGNAN. Et vous voudriez être baron.
(Jrototie... Eh bien! là-bas, pour me dis PORTHOS. Ah!
traire, j'ai fait tout ce que Milon de Crotone D'ARTAGNAN, tirant le brevet. Allougez
.a fait. le bras, Porthos... -
D'ARTAGNAN. Vous avez assommé un bœuf PORTHOS. Pourquoi faire?
d 'un coup de poing? UARTAGNAN. Allongez toujours... En
PoRTHOS. Oui! core... bien.
DXARTAGNAN. Vous l'avez porté sur vos PORTHOS. Un brevetaux armes de France!
{Ëp aules pendant cinq cents pas? UAIYIAGNAN. Lisez!
Ponruos. Six cents... PORTHOS. « Ordonnance royale qui ac
IÏAKrAGNAN. Et vous l'avez mangé en un corde à monsieur Duvallon le titre de baron.»
jour? IYARTAGNAN. Baron, c'est écrit.
PoRTuOS. Presque... Il n'y a qu'une PORTHOS. Ah! oui, mais ce n'est pas si
chose que je n'ai pu faire. gué.
UARTAGNAN. Laquelle? UARTAGNAN. On ne peut pas tout avoir
PORTHOS. Il est dit dans le livre que Mi en même temps; voilà d'abord le brevet, vous
lon ceignait son front d'une corde, et qu'en aurez la signature plus tard.
'-ettflant ses muscles il rompait cette corde. PORTHOS. Et que faut-il faire pour avoir
UARTAGNAN. Ah ! c'est que votre force, à cette signature?
vous, n'est pas dans votre tête, Porthos. DXARTAGMAN. Ah ! dame! quitter nos châ
PORTHOS. Non , elle est dans mes bras. teaux. reprendre le harnais, courir les aven
UAETAGNAN. Mordious! que vous êtes tures, laisser comme autrefois un peu de
heureux, Porthos! riche, bien portant, et notre chair par les chemins.
fort! ' poRTHOS. Diable! c'est donc la guerre
PORTHOS. Oui, je suis heureux. que vous me proposez?
Il pousse un troisième soupir. D'AIITAGNAN. Avez-vous suivi la politique,
UARTAGNAN. Porthos, voilà de bon compte cher ami?
trois soupirs que vous poussez. PORTBOS. Moi! pourquoi faire?
PORTHOS. Vous croyez ?... UAIITAGNAN. lites-vous pour les princes?
UARTAGNAN. Tenez, mon ami, on dirait êtes-vous pour Mazarin?
.que quelque chose vous tourmente. PORTHos. Moi je serai pour celui qui me
PORTHOS. Vraiment l... fera baron.
D'ARTAGNAN. Auriez-vous des chagrins DïAIrrAGNAN. Bien répondu, Porthos, et
-de famille? vous êtes disposé à me suivre?
PORTHOS. Je n'ai pas de famille. PORTBOS. Jusqu'au bout du monde.
UARTAGNAN. Feriez-vous mauvais mé . DUARTAGNAN. Eh bienlen attendant, allez
nage avec madame Duvallon? jusqu'à votre hôtel qui est sur la route, et
PORTHOS. Elle est morte il y a tantôt deux revètez le buifle et la cuirasse.
ans. PORTHOS. Dix minutes... dix minutes
UARTAGNAN. Ah! elle est morte ! seulement, je ne vous demande que dix Ini
PoaTHOS. Oui! n'est-ce pas, Mouston? nutes.
MOUSQUETAN. Il y a tantôt deux ans, oui, UARTAGNAN. Vous avez un bon cheval?
monsieur. roaTuOS. J'en ai quatre, irest-ce pas,
D'ARTAGNAN. Mais que diable alors, mon Mouston?
cher, pourquoi soupirez-vous? MOUSQUETON. Oui, mousieur... Bayard,
pORTHOS, Ecoutez, d'Artagnan , il me Roland, Joyeuse et la Rochelle.
manque quelque chose. IÏARTAGNAN. En ce cas, ne perdez pas de
D'ARTAGNAN. Que diable peut-il vous temps; peut- être partirons-nous aujour
manqueri... vous avez des châteaux, des d'hui.
prairies, des terres, des bois, des montagnes, PORTHos. Bah!
LES MOUSQUETAIRES. 13
DVARTAGNAN. J'allais vous chercher, mon gent comme le ciel lait de la grêle, et qui
cher, quand vous êtes arrivé. vous mettait l'épée à la main avec un air
PORTHos. Comme cela se trouve... Et vraiment royal... Eh bien! ce noble gentil
nous allons... homme à l'œil fier... ce beau cavalier si
DVARTAGNAN. Je n'en sais rien. brillant sous les armes que l'on s'étonnait
PORTHOS. Mais si vous ne savez pas où toujours qu'il tînt une simple épée à la main
vous allez, nous nous perdrons indubitable au lieu d'un bâton de commandement; eh
ment. bien l il sera transformé en quelque vieillard
UARTAGNAIv. Soyez tranquille; monsieur courbé au nez rouge et aux yeux pleurants.
de Mazarin nous enverra un guide. Oh! l'allreuse chose que le vin l... (Il boit.)
PORTHOS. Bon! et en revenant je serai quand il est mauvais.
nommé baron?
UARTAGNAN. C'est dit; allez donc vous
équiper. SCÈNE 1x.
PORTHOS. Viens-tu, Mouston?
MOUSQUETON. Oui, monsieur le baron. D'ARTAGNAN, MADELEINE.
PORTIIOS, attendra‘. Ah! Mouston, voilà MADELEINE. Monsieur le comte de la
un mot que je n'oublierai de ma vie. Fère.
UARTAGNAN, étonné , d part. Mouston? DVARTAGNAN. Qu'est-ce que cela, le comte
Porthos sort. de la Fère?
IIIADELEINE. Dame! je ne sais pas, un
“w “m Wmm 11m
beau seigneur...
SCÈNE VII. IÏAKPAGNAN. Jeune?
MADELEINE. Trente- cinq à quarante
DŒRTAGNAN, MOUSQUETON. ans.
UARTAGNAN. De haute mine?
UARTAGNAN, arrêtant Mousqueton. Par MADELEINE. L'air d'un roi.
don, mon cher Mousqueton, mais tu ne m'a ATHOS, en dehors. Eh bien ! cher d'Arta
vais pas fait part du malheur que tu as eu de gnan, n'êtes-vous pas visible ?
perdre une syllabe de ton nom... Comment UARTAGNAN. Ah! mon Dieu! l'on dirait
diable cet accident t'est-il arrivé? sa voix... Fais entrer, Madeleine.
AIOUSQUETON. Monsieur, depuis que de
QWWMMA' AW' MMMM/nvvn\v\w\ ivvunM
laquais j'ai été élevé au grade d'intendant
de monseigneur, j'ai pris ce dernier nom SCÈNE x.
qui est plus digne et qui sert à me faire res
pecter de mes subordonnés. LEs AIEMEs, ATHOS.
UARTAGNAN. Je comprends; ton maître DARTAGNAN. Athos, mon ami !
et toi vous avez chacun votre ambition , lui ATHos. D'Artaguau , mon cher fils, ne
d'allonger son nom , toi de raccourcir le vouliez-vous donc plus me revoir?
tien... Allez, monsieur Mouston. Ils s'embrassent.
Mousqueton sort. UARTAGNAN. Oh l cher ami, non; mais
wwwuwmvm ‘muwwæwmm
le nom de la Fère que je ne vous ai jamais
entendu donner... '
SCENE VIII. l ATHOS. C'est le nom de mes ancêtres que
j'ai repris; mais, si j'ai changé de nom, je
DHIRÏHAGNAN, seul.
Décidément, ce n'est pas si difficile qu'on
Ë n'ai pas changé de cœur, ni vous non plus,
n'est-ce pas?
le croit de mener les hommes; étudiez les DUIRTAGNAN. Athos, je pensais à vous au
intérêts, flattez les amours-propres, piquez jourd'hui mêmem. Aujourd'hui même, je
ferme et rendez la main, ils iront où vous demandais votre adresse à Porthos.
voudrez; donc, voilà Porthos embauché pour AJBOS. Il est donc arrivé?
le compte du cardinal, c est toujours cela... UARTAGNAN. Oui, saviez-vous qu'il devait
oui, mais ce n'est point assez, il nous fau venir ?
drait Athos et Aramis. 0h! comme ils vont ATHos. Continuez, dïtrtagnan; vous dites
nous manquer ces pauvres amis... Il est donc que vous demandiez mon adresse à
vrai qu'Athos est peut-être bien vieilli; c'é Porthos ?
tait notre aîné à tous, et puis il buvait ef D'AIYrAGNAN. Oui, je voulais vous revoir.
froyablement, il sera complètement abruti; ATHOS. En eiIet, pauvre ami, il y a bien
c'est fâcheux, une si noble nature, une si longtemps que nous ne nous étions vus.
puissante intelligence, une si haute sei UARTAGNAN. Mais j'y pense, Athos, et moi
gneurerie, un homme qui semait de l'ar qui ne vous ollre rien... Voici de ce petit vin
il: lllAGASIN THÉATnAL
de Bourgogne dont vous avez fait avec Gri de quelle part vous venez... Cette cause, en
maud si rude consommation dans la cave de ellet, on ne peut l'avouer hautement, et, lors
l'hôtellier de Beauvais... Où est-il, ce brave qu'on recrute pour elle, c'est l'oreille basse
Grimaud Ï’ j'espère qu'il est toujours à votre et la voix embarrassée.
service ? UARTAGNAN. Ah! mon cher Athos.
ATllOS. Oui, mon ami; mais dans ce mo ATHOS. Eh! mon cher d'Artagnan, vous
ment il voyage. savez bien que jene parle pas pour vous, pour
UARTAGNAN. Buvez donc, alors. vous qui êtes la perle des gens braves, des
ATHOS. Merci, dïrlrtagnan, je ne bois plus; gens loyaux et hardis... Je parle de cet Italien
ou du moins je ne bois plus que de l'eau. mesquin etintrigant, de ce cuistre qui essaye
UAHTAGNAN. Vous, Athos, devenu un bu de coiller sa tête d'une couronne qu'il a volée
veur d'eau l... impossible l vous, le plus intré chez la reine; de ce laquin qui appelle son
pide videur de bouteilles des mousquetaires parti le parti du roi, et qui s'avise de faire
de monsieur 'l'réville. mettre les princes du sang en prison, n'osant
ATHOS. Trouviez-vous que je buvais comme pas les tuer, comme faisait le grand Riche
tout le monde, mon ami? lieu... d'un fesse-Mathieu qui pèse ses écus
DULRTAGNAN. Non, c'est vrai! vous aviez d'or et garde les rognés, de peur , quoiqu'il
d'abord une manière de casser les goulots des triche, de les perdre à son jeu du lendemain;
bouteilles qui n'appartenait qu'à vous ; et puis, d'un drôle enfin, qui maltraite la reine à ce
vous ne buviez pas à la manière des autres, qu'on assure, et qui va d'ici à six semaines
vous. L'œil de tout buveur brille quand il porte nous faire une guerre civile pour garder ses
le verre à sa bouche... Votre œilà vous ne disait pensions... Si c'est là le maître que vous me
rien. . . maisjamais silence n'a été si éloquent. . . proposez, dÏArtagnan, grand merci.
il me semblait l'entendre murmurer: Entre , UARTAGNAN. Vous en parlez fort à votre
liqueur, et chasse mes chagrins. aise, mon cher ami; vous êtes heureux, àce
ATHOS. C'est qu'én effet c'était cela, mon u'il paraît, dans votre médiocrité dorée. Por
ami. s a cinquante ou soixante mille livres de
UARTAGNAN. Et la cause de ces chagrins? rente peut-être. Aramis doit avoir quinze
ATHOS. Elle n'existe plus, mon ami. duchesses qui se disputent Aramis de Noisy-le
UARTAGNAN. Tant pis. Sec , comme elles se disputaient l'Aramis
ATHOS. 'l‘ant pis? mousquetaire ; dest encore un enfant gâté du
UARTAGNAN. Oui, j'allais vous proposer sort; mais moi, que fais-je en ce monde? Je
une distraction. porte ma cuirasse et mon buffle depuis vingt
ATHos. Laquelle? ans, cramponnéàce grade insuffisaut, sans
UARTAGNAN. C'était de reprendre la vie avancer, sans reculer, sans vivre. Je suis
d'autrefois. Voyons, Athos, si des avantages mort, en un mot! Eh bien! lorsqu'il s'agit
réels vous attendaient, ne seriez-vous pas bien ur moi de ressusciter un peu, de passer
aise de recommencer en ma compagnie et en ' avenant-capitaine, vous venez me dire:
celle de notre ami Porthos les exploits de notre C'est un taquin, un cuistre, un mauvais maî
jeunesse? trel... Eh! pardieu ! cher ami, je le sais aussi
ATHos. C'est une proposition que vous me bien que vous... mais trouvez-m'en un meil
faites, alors. leur ou faites-moi des rentes.
DmrrAGNAN. Nette et franche. ATHOS. Eh bien! destà quoi nous avons
ATHos. Pour entrer en campagne? songé, Aramis et moi, mon ami; et c'est pour
FARTAGNAN. Oui. cela que j'avais écrit à Porthos et à Aramis de
ATHOS. De la part de qui... et contre qui? se trouver aujourd'hui chez vous.
UAHTAGNAN. Ah! diable! vous êtes pres UARTAGNAN. Ah! je comprends mainte
sant. , nant cette coïncidence.
ATHOS. Et surtout précis... Ecoutez, d'ar ATHOS. Ne les avez-vous point vus déjà?
tagnan, il n'y a qu'une cause à laquelle un UARTAGNAN. Porthos, oui... Aramis, non.
homme comme moi puisse être utile... c'est ATHOS. C'est étrange! Aramis, le moins
celle du roi. éloigné des trois... Aramis qui n'a que trois
UARTAGNAN. Précisément. ou quatre lieues de son couvent de Noisy-le
ATHOS. Oui, mais entendons-nous... Si Sec à Paris.
par la cause du roi vous comprenez celle de UARTAGNAN. Que voulez-vous, mon cher!
monsieur Mazarin , nous cessons de nous Aramis aura eu quelque pénitence àlaire; et
entendre. puis, avec une vocation comme la sienne on
UARTAGNAN. Diable! voilà que ça s'em ne quitte pas facilement son couvent.
brouille. ATHOS. Eh bien! vous vous trompez, mon
ATHOS. Ne jouons pas au fin, d'Artagnan ; ami; Aramis est redevenu mousquetaire . et
votre hésitation et vos détours me disent assez plus mousquetaire que jamais... Il boit, parle
LES MOUSQUETAIRES. l5
haut en buvant, compromet les femmes, se ' PORTHOS , bas d dfllrtagnan. Comment
bat une fois le mois, et ne se fait appeler que ferons-nous, alors?
le chevalier d'llerblay... Tenez, il est en re UARTAGNAN, bas. Nous nous en passe
tard... Eh bien , mon ami, je parie qu'il aura rons.
suivi quelque jupe qui lui aura fait perdre le MADELEINE, qui pendant ce temps a mis le
chemin de la rue Tiquetonne.' couvert, Messieurs, la table est prête.
IYARTAGNAN. Alors , profitons des biens
ANWWMMWVMM “WWW
que Dieu nous envoie; c'est la véritable sa
SCÈNE XI. gesse, n'est-ce pas, Aramis? A table , mes
sieurs, à table !
LEs sieurs, ABAMIS. PORTHOS. C'est d'autant mieux raisonné
que je meurs de faim.
ARAMIS. Ah! mes bons amis, une aventure ATHOS, s'asseyant. Qu'est-ce que cette
adorable! Bonjour, comte; bonjour, cher
serviette ‘l'
d'Arlagnan. [ÏARTAGNAtv. Ne la reconnaissez-vous pas,
DZutTAGNAN. Cher Aramis,vous voila donc!
ABAHIS. En personne. Imaginez-vous une Athos ?
ARAMIS. C'est celle du bastion Saint-Ger
femme charmante que j'ai rencontrée dans
vais. '
une église. PORTuOS. Sur laquelle l'autre cardinal a
D'Alt'_I‘AGNAN. Et que vous avez suivie. fait broder les armes de France aux endroits
AHAMIS. Jusqu'à sa litière. où elle ‘avait été trouée par trois balles.
UARTAGNAN. Et de sa IitièreT...
ATHOS. Pourquoi cette serviette à moi .
ARAMIS. Jusqu'à la porte d'un magnifique
amis?
hôtel... une adorable personne qui m'a rap
UARTAGNAN. Parce que vous êtes le plus
pelé la pauvre Marie M ichon.
grand , le plus noble et le plus brave de
UARTAGNAN. Mauvais sujet!
nous, toujours!
ATHOS. Vous le voyez, toujours le même!
ATHOS. Alors, messieurs, par ce drapeau.
ARAMIS. Moins l'hypocrisie, car autrefois,
le seul que nous devons suivre au milieu des
je l'avoue, mes amis, j'étais un franc hypo
discordes civiles qui vont jaillir assurément,
crite... et qui vont nous séparer peut-être, jurons
mm nous de rester les uns aux autres de bons
seconds pour les duels, des amis dévoués pour
SCÈNE x11. les affaires graves , et de joyeux compagnons
pour le plaisir.
LEs MenEs, PORTHOS, entrant armé en
guerre.
UARTAGNAN. Oh! bien volontiers!
ATHOS. Et si le hasard faisait que nous nous
PORTHOS. C'est bien vrai, par exemple. trouvassions dans deux camps opposés, chaque
AuAms. Ah! c'est vous, Porthos! bonjour. fois que nous nous rencontrerons dans la
PORTHOS. Mais c'est donc une surprise? mêlée, àce seul mot: Mousquetaire! passons
UARTAGNAN. 0ui,mon cher Porthos, une notre épée dans la main gauche et tendons
surprise ménagée par Athos, et des plus agréa nous la main droite, fût-ce au milieu du car
bles, comme vous voyez. nage.
PORTHOS,pressant Aramis sur sa poitrine. AuAMIS. Oui, morbleu! oui!
Ah ! cher Aramis, laissez-moi vous presser sur PORTuOS. Oh! que c'est bien dit, Athos,
mon cœur, cher ami... et que vous êtes éloquent, toujours! j'en ai
ARAMIS, étouffé. Eh! dites donc, ce n'est les larmes aux yeux, parole d'honneur!
pas sur votre cœur que vous me pressez, ATHOS, d'un air sombre. Et puis n'y a-t-il
c'est sur votre cuirasse; pas entre nous un autre pacte que celui de
ATHOS, donnant la main d Porthos. Par l'amitié? n'y a-t-il pas celui du sang ?...
tez-vous donc pour les croisades, mon cher NARTAGNAN. Vous voulez parler de M ilady.
Duvallon? ATHOS. Et vous, vous y pensiez, d'Arta—
ronTHOS. Ma foi, je n'en sais rien; je sais gnan,
que je pars, voilà tout. UARTAGNAN. Tenez, Athos, vous êtes ter
IYARTAGNAN. Chut! ils ne sont pas des rible avec votre coup d'œil... Eh bien! oui,
nôtres. messieurs... je vous le demande, en pensant
eORTHOs. Bah! parfois à cette terrible nuit d'Armeutières, à
AB AMIS, bas d Athos. Leur avez-vous parlé cet homme enveloppé dans un manteau rouge,
de messieurs les princes, et du voyage que qui était le bourreau; à cette exécution noc
Winter fait à Paris? turne, à cette rivière qui semblait couler des
ATttos, bas. Inutile, ils sont à Mazarin. flots de sang, et à cette voix qui cria au milieu
ARAMIS, bas. Nous agirons sans eux. de la nuit: Laissez passez la justice de Dieu!
l6 MAGASIN THÉATBAI.
N'avez-vous pas quelquefois éprouvé des six mois; ils venaient on ne savait d'où, mais
mouvements de terreur qui ressemblent... en les voyant, elle si belle, lui si pieux, on
ATHOS. A du remords, n'est-ce pas? J'a ne songeait pas à leur demander d'où ils ve
chère votre pensée... dïlrtagnan, est-ce que naient. .l'étais le seigneur du pays, j'aurais
vous avez du remords, vous? pu la séduire ou l'enlever à mon gré... mal
UARTAGNAN. Non, je n'ai pointde remords heureusement, j'étais honnête homme, je
parce que si nous l'eussions laissé vivre, elle l'éponsai.
eût sans aucun doute continué son œuvre de JYARTAGNAN. Puisque vous l'aimiez...
destruction; mais une chose qui m'a toujours ATHOS. Attendez! je l'emmenai dans mon
étonné, mon voulez-vous que je vous château, j'en fis la première dame de la pro
le dise ?... vince... Oh! il faut lui rendre justice, elle
ATHOS. Dites. . . tenait parfaitement sa place.
IYARTAGNAN. C'est que vous trouvant le UARTAGNAN. Eh bien ?...
seul d'entre nous à qui cette femme n'avait ATHOS. Eh bien l un jour que nous chas
rien fait, le seul qui n'aviez pas à vous plain sions à courre, son cheval, ellrayé par la vue
dre d'elle, ce soit vous, vous, Athos, si bon, d'un poteau. fit un écart, elle tomba et s'éva
qui vous soyez chargé de tout préparer pour nouit... nous étions seuls, je m'élançai à son
cette expédition dïsrmentières, qui ayez été secours, et comme elle étoullait dans ses ha
chercher le bourreau, qui nous ayez conduits bits, je les fendis avec mon poignard... Devi
à la chaumière... que ce soit vous enfin qui, nez ce qu'elle avait sur l'épaule, d'Artagnan 2
comme l'envoyé des justices divines, ayez pro Une fleur de lis... elle était marquée.
noncé le jugement sur elle; et quand moi— UARTAGNAN. Horreur l.. que dites-vous
même, le corpsfrissonnaut, la voix haletante, là, Athos?
les yeux en pleurs, étais prêtà pardonner, que ATHOS. La vérité pure... mon cher, l'ange
ce soit vous qui ayez dit de frapper. était un démon, la belle et naïve jeune fille
ATHOS. Cela vous a toujours étonné, n'est avait volé les vases sacrés de l'église, avec son
ce pas? prétendu frère qui n'était autre que son amant;
UARTAGNAN. Oui, je l'avoue, sivous ne nous je sus tout cela depuis, le frère ayant été pris
en eussiez pas parlé, j'eusse gardé le silence... et condamné.
mais vous vous en êtes ouvert à moi le pre D'AR'I‘AGNAN. Mais elle, qu'en lites-vous ?. . .
mier; alors, je vous ai dit ce que je pensais. ATHOS. Oh! elle... j'étais, comme je vous
Excusez-moi, Athos, si cela peut en quelque l'ai dit, un grand seigneur, dï/lrtagnan; j'a
point vous blesser. vais sur mes terres droit de justice basse et
ATHOS. Amis, laissez-moi vous raconter haute, j'achevai de déchirer les habits de la
un épisode de ma vie, que je n'ai jamais ra comtesse, je pris une corde, et je la pendis à
conté à personne... cela vous expliquera un arbre.
peut-être tout... UARTAGNAN. Un meurtre l. ..
AnAms. Dites, cher ami. ATHos. Non pas, malheureusement, car
ATHOS. Je ne vous recommande pas la tandis que je m'éloignais au galop de cet en
discrétion; quand vous aurez entendu ce que droit fatal et de ce pays maudit, quelqu'un
je vais vous dire, vous jugerez la chose assez vint sans doute, qui la sauva. Elle quitta la
terrible, je le pense, je ne dirai pas pour France alors, passa en Angleterre, elle épousa
l'oublier, mais pour l'ensevelir au plus pro un lord, et elle en eut un fils; puis le duc
fond de votre cœur. mourut et elle revint en France, se mit à la
NARTAGNAN. Nous vous écoutons, Athos! solde de Richelieu, coupa dans un bal les
ATHOS. Ecoutez : J'avais vingt-cinq ans, ' ferrets de la reine, fit assassiner Bnckingham
j'étais comte, j'étais le premier de ma pro par Felton... et, pardonnez-moi, cher d'Ar
vince sur laquelle mes ancêtres avaient régné tagnan, de rouvrir cette blessure en votre
presque en roi; j'avais une fortune princière, cœur, empoisonna au couvent des Augustines
tous les rêves d'amour, de bonheur et de de Béthune , cette femme que vous adorez,
gloire qu'on a à vingt-cinq ans; au reste, li cette charmante Constance Bonacieux.
bre entièrement de ma personne, de mon UARTAGNAN. Ainsi, c'était la même ?..
nom et de ma fortune. Un jour je rencontrai ATHOS. La même; tout le mal qui nous
dans un de mes villages une jeune fille de avait été fait nous venait d'elle; une fois elle
seize ans, belle comme les amours et comme m'av'ait échappé pour commettre trois meur
les anges à la fois. A travers la naïveté de son tres... cette fois je jurai qu'elle ne m'échap
âge perçait un esprit ardent, un esprit non perait plus et qu'elle avait fini le oours de ses
pas de femme, mais de poëte ; elle ne plaisait scélératesses; voilà pourquoi j'allai chercher
pas , elle enivrait. Elle vivait près de son le bourreau de Béthune, voilà pourquoi je
frère, jeune homme mélancolique et sombre : vous condnisis tous a la chaumière où elle
tous deu! étaient arrivés dans le pays depuis était cachée... voilà pourquoi je prononçai
LES MOUSQUETAIRES. ‘l7
la sentence. Voilà pourquoi lorsque vous hé IYARTAGNAN. C'est moi, monsieur.
sitiez, vous, Porthos, lorsque vous frémissiez, RIORDAUNÏ‘. Lieutenant aux mousquetaires
vous, Aramis... lorsque vous pleuriez, vous, de Sa Majesté, compagnie Tréville?
d'Artagnan. . . voilà pourquoije dis : Frappel. . . UARTAGNAN. C'est moi!
DARTAGNAN. Corbleu ! je comprends tout, MORDAUNT. Nattendiez-vous pas quelque
maintenant... chose, monsieur?
rORTHOS. Et moi aussi!... UARTAGNAN. Oui; un message de Son
AnAMIS. Bah l... c'était une infâme, n'y Eminence, message qu'il devait m'envoyer
pensons plus... par un homme de confiance.
DUARTAGNAN. Heureusement que de ce MORDAUNT, lui remettant une lettre. Voici
passé... il ne reste aucune trace... le message, monsieur, et c'est moi qui suis le
ATHOS. Elle avait un fils de ce lord de messager.
Winter. .. frère de celuique nous connaissons. UARTAGNAN, lisant. a Faites ce que vous
UARTAGNAN. Je le sais bien, puisqu'au i) dira le porteur, et quant à la dépêche qu'il
momentde sa mort vous vous êtes écrié : Elle n doit vous remettre, ne l'ouvrez qu'en pleine
n'a pas même songé à son fils. u merl... n»
ARAMIS. Eh! qui sait ce qu'il est devenu? MADELEINE , a' part. Tiens! en pleine
mort le serpent, morte la couvée. Croyez-vous mer... me voilà encore veuve, moi.
que de Winter, notre compagnon, celui qui MORDAuNT. Vous avez lu?
nous guida dans l'accomplissement de l'acte UARTAGNAN. Oui!
de justice, se sera amusé à recueillir le fils... MORDAUNT. Vous êtes prêt à obéir aux or
D'ailleurs, si le fils existe, il était en Angle dres que Son Éminence vous transmet par ma
terre, à peine s'il connaissait sa mère... Puis voix?
tout a été fait dans le silence et dans la nuit, UARTAGNAN. Sans doute; ne suis-je pas à
chacun de nous avait intérêtàgarder le secret et son service?
l'a gardé... il ne sait rien, il ne peutrien savoir. MORDAUNT. Alors équipez-vous en guerre,
' lls s'assey'ent. et trouvez-vous seul avec les amis que vous
PORTHOS. Bah! l'enfant est mort ou le avez promis à M. le cardinal de rattacher à
diable m'emporte! il fait tant de brouillard son parti , jeudi prochain, à huit heures du
dans cette maudite Angleteterre. . . Mangeons. soir, sur la digue de Boulogne.
MADELEINE, entrant. L'envoyé de Son Emi MADELEINE, ä part. Sur la digue de Bon
nence... logne... il paraît que c'est en Angleterre qu'ils
ATHOS. Qu'y a-t-ili... vont... .
UARTAGNAN. Rien!... UARTAGNAN. Jeudi. dites-vous, monsieur?
ARAMIS. Si c'est une femme, cher ami, nous sommes aujourd'hui samedi... c'est dans
nous vous laissons. cinq jours... à merveille, j'y serai.
UARTAGNAN. Non pas, messieurs, c'est un MORDAUNT. A jeudi, huit heures du soir,
homme. à Boulogne, et songez que si vous n'étiez pas
PORTHOS. Eh bien! si c'est un homme, arrivé au jour et à l'heure dite, je n'ai pas le
qu'il entre et qu'il se mette à table. droit de vous attendre une minute de plus.
D'ARTAGNAN. Non pas, ce serait sans doute UARrAGNAN. Il est inutile de recomman
trop mauvaise compagnie... pour Athos et der l'exactitude à un soldat.
pour Aramis; il s'agit d'un envoyé de Maza MORDAUNT. Adieu, monsieur.
rin, quelque pleutre comme lui; il n'a qu'un UARTAGNAN. Au revoir...
mot à me dire, demeurez là, et ne vous fâ Mordauut sort en faisant un léger salut aux trois amis.
chez pas si nous parlons à voix basse.
rORTHOS. Sans doute; mais expédiez le NWWMWVVVWW MM

promptement, que diable! il est temps que


nous déjeunions. SCÈNE XIV.
Les trois amis se retirent dans un coin.
LEs BIÊMES, moins MORDAUNT.
UARTAGNAN. Faites entrer, madame Tur
quenne. MADELEINE. A nous deux, maintenant.
V“ MÂÀWMMNWWMWM UARTAGNAN. Vous nous écoutiez?
SCÈNE XIII. MADELEINE. Moi? oh! par exemple... Il
paraît que vous aller quitter la France?
LES MÊMES, MORDAUNT, en costume de UARTAGNAN. C'est probable, madame Tur
Puritain. quenne.
Madeleine seule peut entendre ce que disent d'Arta MADELEINE. Et que vous allez passer en
gnun et l'envoyé de Mazariu. Angleterre?
MORDAUNT. Monsieur le chevalier d'ima UAR1‘AGNAN. C'est possible, chère amie.
gnan? MADELEINE. Eh bien, je vais profiter de
Il
l8 MAGASIN THËATRAL
cela pour vous faire une recommandation. GRIMAUD, en dehors. Bien!
DARTAGNAN. Une recommandation? UARTAGNAN. Au cinquième, la porte à
lllADELl-JINE. Oui. ma sœur qui tient l'hô gauche, c'est ici.
' tel de la Corne du Cerf, sur la place du ATHOS. C'est la voix de Grimaud.
Parlement, à Londres. Si vous y allez... UARTAGNAN. Il parle donc maintenant?
DARTAGNAN. Elle aura ma pratique. ARAMIS. Oui, dans les grandes circon
MADELEINE. C'est dit! stances.
NARTAGNAN. Et redit. Grimand entre précipitamment.
MADELEINE. Merci. ATHOS. Oh! messieurs! il est arrivé quel
Elle sort. que chose... Grimaud, pourquoi cette pâ
PORTHOS. Si nous déjeunions... leur, pourquoi cette agitation?
FARTAGNAN. Me voici. GRIMAUD. Messieurs, milady de Winter
ATuOS. Quand je vous disais, d'Artagnan, avait un enfant; l'enfant est devenu un
q ue le Mazarin était un vilain homme. homme... la tigresse avait un petit; le tigre
UARTAGNAN. Pourquoi? est lancé, il vient à vous, prenez garde!
ATHOS. C'est qu'en vérité ses envoyés sont UARTAGNAN. Que veux-tu dire?
de vilaines gens. Comment! il y a dans ce ATHOS. Que dis-tu?
coin trois gentilshommes et il fait pour nous GRIMAUD. Je dis, monsieur le comte, que
trois un salut qui sulfirait à peine à un seul! le fils de Milady a quitté l'/lngleterre, qu'il
DARTAGNAN. Messieurs, il faut lui par est en France et qu'il vient à Paris, s'il n'y
donner, je crois que c'est un puritain. est déjà.
ATHOS. Il vient d'AngleterreT ARAMIS. Diable! Et tu es sûr ?...
UARTAGNAN. Je l'en soupçonne. PORTHOS. Eh bien! après tout, quand il
ATHOS. Alors ce serait quelque envoyé de viendrait à Paris, nous en avons vu bien d'au
Cromwell? tres; qu'il vienne!
UARTAGNAN. Peut-être.
ATHOS. En tout cas il ne me revient pas IYARTAGNAN. Et d'ailleurs, c'est un en
le moins du monde, votre envoyé. faut.
rORTuOS. Ni à moi. GRIMAUD. Un enfant, messieursl... sa
ARAMIS. Ni à moi. vez-vons ce qu'il a fait cet enfant déguisé
ATHOS. Et comment s'appelle-Fil, ce mon en moine? Il a a pris du bourreau de Béthuue
sieur? toute l'histoire e sa mère, qu'il ignorait, et
DARTAGNAN. Je ne sais pas. après l'avoir confessé, il lui a, pour absolu
pORTHos. Messieurs, déjeunons! tion, planté dans le cœur le poignard que
voici... Tenez. il est encore rouge et humide!
mmnwwnflwvi MNVMMWW emm
ARAMIs. L'as-tu vu, lui?
SCÈNE XV. GRIMAUD. Oui.
UARTAGNAN. Sais-tu comment il s'ap
LEs MÊMEs, GRIMAUD. pelle?
GRIMAUD, en dehors. Au cinquième, n'est GRIMAUD. Je ne sais pas.
ce pas? la porte à gauche... ATHOS, se levant. Je le sais, moil... Il
MA DIçLEINE. Oui l.. . s'appelle le vengeur!

illtnïiêmz Œableau.
Un salon chez lon-d de Wlnter à la Place Royale.

SCENE PREMIÈRE. ATHOS. Il était donc en Angleterre?


DE WINTER. Eh! oui.
DE WINTER, ATHOS. AmoS. Qu'y faisait-il?
DE WINTER. Vous dites donc, comte? DE WINTeR. C'est un des sectateurs les
ATHOS. Je dis que Grimaud est arrivé plus ardents d'olivier Cromwell.
comme il expirait, qu'il nous a rapporté le ATHOS. Comment s'est-il rallié à cette
poignard tout fumant encore. cause? son père et sa mère étaient catholi
DE WlNTER. Alors, il sait tout? ques, je crois?
ATHOS. Tout, excepté nos noms. DE WINTER. Le roi, sur ma demande, l'a
DE WINTER. Mais comment, mais pour déclaré bâtard l'a dépouillé de ses biens et
quoi a-t-il quitté l'llngleterre? lui a defendu de porter le nom de Winler.
LES MOUSQUETAIRES. i9
Sa liaine pour Charles 1°r l'a poussé vers _ PARRY. Bien portante de corps, mais
Cromwell. bien triste de cœur, milord.
ATHOS. Et comment s'appelle-HI main DE wINTER. Vous êtes chargé de quelque
tenant? chose pour moi?
DE WINTER. Mordaunt. PARnY. Cette lettre, milord.
ATHOS. C'est bien, je m'en souviendrai... DE WINTER, brisele cachet, l'ouvre et lit.
La Providence nous a prévenus, tenons-nous a Milord , je crains , si vous venez me
sur nos gardes; mais voyons, revenons à » trouver au Louvre ou aux Carmélites, que
l'alfaire qui vous amène à Paris, milord. » vous ne soyez suivi, ou que nous ne soyons
DE WINTER. Deux mots d'abord... Vous n écoutés; j'aime donc mieux me rendre
avez toujours pour amis messieurs Porthos et u chez vous. Plus la démarche que je fais est
Aramis? n contre les habitudes royales, moins elle
ATEOS. Ajoutez d'Artagnan, milord; nous o sera épiée... Attendez-moi donc chez vous
sommes toujours comme autrefois quatre n au lieu de me venir trouver; j'y serai pres
amis dévoués l'un à l'autre... seulement, n qu'en même temps que mon messager.
lorsqu'il s'agit d'être frondeurs, nous ne n Votre alfectionnée, Henriette. » Bien!
sommes plus que deux, Aramis et moi. Parry, j'attends votre maîtresse.
DE WINTER. Je vous reconnais bien là; TOMY. Milord permet-il un dernier mot?
vous avez adopté la cause des princes, la DE WINTER. Dites l...
grande cause; c'était la seule qui pût aller à TOMY. Je viens d'interroger monsieur Par
votre caractère noble et généreux. Je ne ry... et cet homme qui ce matin nous asuivis
vous cacherai pas que j'étais venu en France jusqu'ici...
dans cet espoir. DE WiNTER. Eh bien?
ATHOS. Sommes-nous donc pour quelque TOMY. Il est encore au coin de la rue.....
chose dans votre voyage? Monsieur Parry l'a vu, et l'a reconnu au si
DE WINTER. Oui, comte, j'ai besoin de gnalement que je lui ai donné.
vous deux... Vous avez prévenu monsieur DE WINTER. Et vous ne savez pas qui cet
Aramis? homme peut être?
ATHOS. Tenez, le voici. TOMY. A ma vue, il s'est détourné, et
mvwvm depuis ce matin vous m'avez retenu ici, mi
lord.
SCÈNE u. DE WINTER. C'est bien, allez, je me gar
derai, allezl... merci, Parry!
LEs MEMEs, ARAMIS.
ATiIOS. Cette lettre dérange-t-elle quelque
DE WINTER. Bonjour , chevalier; vous chose à vos projets, milord?
arrivez à merveille, j'allais demander à DE WINTER. Non, comte.
monsieur le comte la permission de vous ATHos. Elle semblait vous contrarier.
présenter tous deux à la reine d'Angleterre. DE WINTER. Elle m'e'tonnait seulement,
ARAMIS. A la reine d'Angleterre! à cause du grand honneur qu'elle m'an
ATHOS. A madame Henriette de France l... nonce.
Pardon, milord,je ne connais de Sa Majesté PARRY, ruuvrant la porte. Milord...
que ses malheurs là-bas, et son exil ici. DE WINTER. Serait-ce la personne qui m'a
DE vvINTER. Mais je vous connais, vous... fait l'honneur de m'écrire?
et lui ai promis ce matin de vous conduire PARRY. Justement; sa litière s'arrête à la
près d'elle. porte.
ATHos. Au Louvre?... DE WINTER. Allez la recevoir , Parry ,
DE WINTER. Non, aux Carmélites... Êtes allez...
vous prêts, messieurs? AnAMis. Une femme?
ATIios. A vos ordres, milord. DE WINTER. Non, une reine.
WWMMMWMWMW ATHOS. Sa Majesté madame Henriette?
DE WINTER. Oui, messieurs.
SCÈNE III. ATHOS. Alors, nous nous retirons, milord.
DE WINTER , levant une tapisserie. Non
LEs MÊMES, TOMY, puis PARRY. pas; au contraire, entrezici et écoutez ce qui
DE WINTER. Que voulez-vous, 'l‘omy? va se dire entre Sa Majesté et moi; vous serez
ToMY. Le valet de chambre de Sa Majesté libres de vous montrer ou de demeurer ca
la reine d'Anglcterre demande à remettre à chés; si vous vous montrez, c'est que vous
Votre Seigneurie une lettre de son auguste acceptez; si vous demeurez cachés, c'est que
maîtresse. vous refusez.
DE WINTER. Entrez , Parry , entrez. ARANUs. Mais, milord. nous ne comprenons
Quelle nouvelle de Sa Majesté? pas. -
20 MAGASIN TREATRAL.
DE WINTER. Vous comprendrez plus tard... 3 mon Dieu! qu'il ne soit plus roi, qu'il soit
Entrez. .. entrez !. .. vaincu, exilé, proscrit, mais qu'il vive, que
lls entrent, de Winter laisse retomber ln tapisserie. mes enfants renoncent au trône de leur père.
mwwmmmvwvmvwmmvwvmmm
mais qu'ils vivent! Oh! dites-moi, milord, la
position du roi est donc bien désespérée?
SCÈNE IV. DE WINTER. Plus désespérée certainement
qu'il ne le croit lui-même, madame.
LES MEMES, LA REINE, tout en noir, dans LA REINE. Etqu'attend-il de moi dans cette
l'antichambre. extrémité? voyons, dites vite.
DE WINTER. Que Votre Majesté demande
DE WINTER. Ouvrez les deux battants de la des secours à Mazarin, ou tout au moins un
porte, Tomy.
refuge en France.
Tomy ouvre en s'inclinant. LA REINE. Hélas! milord, croyez-vous que
LA REINE, soulevant son voile. Ah! mi j'aie attendu cette lettre pour faire de ce côté
lord, c'est donc bien vous! je croyais avoir tout ce que j'ai pu faire?
mal lu, je craignais que les lettres dont se DE WINTER Eh bien? ,
compose votre nom ne m'eussent trompée. LA REINE. Eh bien! secours, asile... ar
Vous venez de la part du roi, milord ?... gent, monsieur Mazarin m'a tout refusé.
parlez vite, qu'avez-vous à me dire? DE WINTER. Comment! ila refusé un asile
DE WINTER. J'ai à remettre ce message à au roi Charles, au beau-frère du roi Louis XIII,
Votre Majesté. à l'oncle du roi Louis XIV!
Il sïigenouille, et présente ù la Reine un étui d'or. i.A REINE. Hélas! je l'inquiète et le fatigue
LA REINE, ouvrant l'étui et en tirant déjà bien assez... ma présence et celle de ma
une lettre. Milord , vous m'apportez trois fille lui pèsent... à plus forte raison celle du
choses que je n'avais pas vues depuis bien roi... Milord, écoutez... c'est triste et pres
longtemps, de l'or, une lettre et un ami dé que honteux à dire, mais nous avons passé
voué... Relevez-vous, milord. .. (Lui donnant l'hiver au Louvre, Ilenriette et moi, sans
la main.) Merci, mon ami, merci! argent, sans linge, presque sans pain... res
DE WINTER. Votre Majesté me comble. tant souvent couchées une partie de la jour
LA REINE. Et maintenant, voyons ce que née faute de feu... de sorte que nous serions
contient cette précieuse lettre... Ah! c'est peut-être mortes toutes deux de faim et de
bien l'écriture, c'est bien la signature de misère, sans les aumônes qu'a bien voulu
mon Charles... (Lisant) a Madame et chère nous accorder le parlement.
n épouse, nous voici arrivés au terme; toutes DE WINTER. Horreur! la fille de Hen
x les ressources dont je dispose sont con ri IV mourant de faim dans cette patrie
» centrées en ce camp de Newcastle d'où je où son père voulait que le dernier paysan eût
n vous écris: là, j'attends l'armée de mes plus que le nécessairel... Que ne vous adres
n sujets rebelles, et avec le secours de mes siez-vous au premier de nous, madame ?...
n braves Eoossais, je vais lutter une dernière il eût partagé sa fortune avec vous, ou plutôt,
r fois contre eux. Vainqueur. je prolonge la il eût Inis tout ce qu'il possédait aux pieds
» lutte; vaincu, je suis perdu complètement; de sa reine.
n dans ce dernier cas je n'aurai qu'à gagner LA REINE. Vous voyez bien, de Winter,
» les côtes de France , mais voudra-t-on y queje ne puis plus qu'une seule chose... c'est
» recevoir un roi malheureux, qui apportera de repasser en Angleterre avec vous.
» un si funeste exemple dans un pays déjà DE WINTER. Pourquoi faire, madame?
» soulevé par les discordes civiles? Le porteur, LA REINE. Pour mourir avec le roi, puis
» des présentes, que vous connaissez comme que je ne puis le sauver.
n un de mes vieux et de mes plus fidèles amis. .. DE WINTER. Ah! madame, voilà surtout ce
(Elle s'interrompt et lui tend la main.) Oh! que le roi craignait, voilà ce qu'il vous prie
oui, milordl... (Continuant) u Le porteur et au besoin cc qu'il vous ordonne de ne pas
n des présentes vous dira, madame , ce que faire.
n je ne puis confier aux risques d'un acci LA REINE. Milord, le roi parle en cœur qui
n dent. ll vous expliquera quelle démarche craintet non pas en cœur qui aime... Ign ore
n j'attends de vous, et je le charge aussi de ma t-il donc que la pire douleur c'est l'incerti
» bénédiction pour ceux de mes chers enfants tude... On s'habitue à un malheur que l'on
n qui sont en France, et de tous les sen envisage en face; car lorsqu'on le connaît ce
n timents de mon cœur pour vous, madame malheur , on peut trouver des ressources
n et chère épouse. CHARLES, encore roi. » contre lui... mais à un malheur vague, éloi
r Dieu permet que nos deux enfants, laprin gné, indéfini, insaisissable, inconnu... il n'y
l! cesse Elisabeth, et le duc de Clocester, qui a d'autre remède que la prière... et j'ai tant
n sont a Londres, se portent bien. » Ah! prié, milord, sans que rien ait changé dans
LES MOUSQUETAIRES. 21
le sort du roi ou dans le mien, que je com m'est offert... le couvent des Carmélites, tout
mence à désespérer... Milord, si le roi, dans sombre qu'il est. Qu'avais-je à Exeter ?. .. une
l'extrémité où il se trouve, veut m'éloigner simple chaumière... ma pauvre enfant vit le
de lui... c'est que le roi ne m'aime pas. jour sur un grabat, sans matelas ni sans cou
DE WINTER. Oh! madame, vous savez vous verture. Ce fut alors qu'il m'arrive un messa
même qu'une pareille accusation est injuste. ger de la reine ma sœur; ce messager m'ap
Non, le roi craint que tant de dangers... tant portait deux cent mille livres... ai-jc gardé
de fatigues... une pistole pour moi, milord?... non, jus
LA REINE. Les dangers, les fatigues... Eh! qu'au dernier écu, j'ai tout envoyé à Charles,
n'y suis - je pas habituée ?... n'ai - je pas parce que Charles, c'est tout pour moi, voyez
seule, sous prétexte de conduire ma fille en vous. . . aussi, lorsqu'il m'a fallu le quitter pour
Hollande , été solliciter de Guillaume d'O revenir en France... eh! milord, vous étiez
range des secours d'armes et d'argent? A encore là. vous avez vu ma douleur, mes lar
mon retour, n'ai-je point été assaillie par une mes, mon désespoir... et quand vous venez
tempête terrible, comme si, contre notre mal me dire que sa position est plus désespérée
heureuse cause, ne se décbaînait pas seule encore qu'il ne le croit lui-même, que sa li
ment la colère des hommes, mais encore celle berté est menacée, sa vie peut-être... Vous
de Dieu 'L. . Au milieu de cette tempête, ai-je venez me parler de dangers et de fatigues, à
quitté le pont du bâtiment? à toutes les re moi, dont le règne a été une longue fatigue et
présentations du capitaine et de l'équipage la vie un long danger... Ah! milord, si le roi
que j'encourageais par ma présence, ai-je ré vous a dit cela, le roi manque de mémoire, et
pondu autre chose, sinon qu'il n'y avait point si vous vous opposez à ce que je le rejoigne,
d'exemples dans l'histoire qu'une reine se vous, milord, oh! vous manquez de pitié!
fût jamais noyéeï. .. Enfin, après avoir perdu DE WINTER. C'est justement parce qu'il se
deux vaisseaux, une partie des secours que souvient de tout ce que vous avez soulfert que
j'apportais, repoussée sur les côtes de la Hol le roi veutque vous restiez en France... c'est
lande, ai-je hésité, au premier souffle de vent justement, pardonnez-moi le mot, parce que
favorable, à me remettre en mer?.. . Cette fois, j'ai pitié de ma reine, que je ne veux pas
Dieu se tait, lassé de me poursuivrel... J'a qu'elle passe en Angleterre.
hordai. .. mais à peine à terre... la maison dans LA REINE. Eh bien! n'en parlons plus, mi
laquelle je m'étais réfugiée fut cernée, atta lord; je ne veux pas vous mettre entre la dé
quée; vous le savez, milord, puisque c'est férence que vous devez à votre reine et l'o
vous qui vintes me délivrer. . . Où m'avez-vous béissance que vous devezà votre roi... Parlons
trouvée, mylord, dites ?.. . sur la brèche que de vous... parlons de lui... N'avez-vous pas
le canon venait de faire à cette maison crou d'autre but en venant en France que celui
lante... au milieu du feu, des blessés, des que vous m'avez exposé?
morts, toute sanglante du sang de mes défen DE WINTER. Si fait, madame.
seurs et du mien, car un éclat de bois m'avait LA REINE. Eh bien! dites, voyons...
blessée... En vous voyant, milord, ai-je songé DE WINTER. J'ai connu en France, autre
à moi ?... Pour qui a été mon premier mot? fois, quatre gentilshommes.
pour Charles... Quand il m'a fallu, pour ar LA REINE, avec tristesse. Quatre gentils
river jusqu'à lui, revêtir des habits d'homme, hommes! et voilà le secouIs que vous comptez
ai-je hésité ?... Trois jours et trois nuits vous reporter à un roi sur le point de perdre son
m'avez vue à vos côtés... ai-je poussé un sou trône?
pir. ..ai-je proféré une plainte... ai-je demandé DE WINTER. Ah ! si je les avais tous quatre,
autre chose que ce que demandait le dernier je répondrais de bien des choses, madame...
de vos officiers?. .. Non; car fatigues, priva Avez-vous entendu parler de quatre gentils
tions, dangers, tout fut oublié quand je revis hommes qui soutinrent autrefois la reine
mon époux et mon roi... Une année tout en Anne d'Autriche contre le cardinal Riche
tière, je la passai près de lui... dans les mon lieu?
tagnes, au camp, presque toujours dans la LA REINE. Oui, c'est une tradition de la
tente, bien rarement dans une maison... De cour.
palais, hélas! depuis longtemps il n'en était DE WINTER. De quatre gentilshommes qui
plus question pour nous!... Qui m'a forcé de traversèrent la France à travers toutes les
le quitter?... la volonté seule de Dieu et l'a embûches, tachant la route qu'ils suivaient
mour de mon enfant... J'allais devenir mère.. . de leur sang, pour aller chercher en Angle
je ne craignais pas de mourir, je craignais de terre ces fameux ferrels de diamants qui
tuer ma pauvre petite Henriettc... Je vous faillirent perdre Anne d'Autriche?
parlais de misère, milord. .. mais à ce moment, LA REINE. Oui.
n'ai-je pasété la plus misérable des feinmes?... DE WINTER. Ces quatre gentilshommes, si
loi, du moins, j'ai le Louvre tout dénué qu'il je vous disais tout ce qu'ils on fait, madame,
22 MAGASIN TnE/vrnan
vous croiriez que je vous raconte un chapitre l le roi est seul au milieu d'Ecossais dont Il
de l'Arioste ou que je vous lis un chant du se défic, quoiqu'il soit écossais lui-même.
Tasse... Mais, hélas! de ces quatre vaillants, Je demande beaucoup... je demande trop,
je l'ai appris ce matin, il ne reste plus que peut-être, quoique je n'aie aucun titre pour
deux! demander... mais enfin, si vous consentez à
LA REINE. Les deux autres sont morts ?... servir cette grande cause de la royauté atta
DE WINTER. Pis que cela. .. les deux autres quée dans le roi (lharles. .. passez en Angle
sont au cardinal Mazarin. terre, messieurs, joignez le roi... soyez ses
LA REINE. Et les deux qui restent?... amis, soyez ses gardiens, marchez à ses côtés
DE WINTER. Les deux qui restent, madame, dans la bataille, marchez devant et derrière
je ne sais point encore s'ils ne sont point in lui dans sa maison, où des embûches se pres
vin ciblementà Paris, ou même si, étant libres, sent, plus périlleuses que tous les risques de
.ls ne s'efl'rayeront pas des dangers qui mena la guerre... et en échange de ce sacrifice
re nt une pareille entreprise, et s'ils consenti que vous me ferez, messieurs... je vous pro
ro nt à me suivre en Angleterre. mets, non de vous récompenser, ce mot vous
NM WVWMW
blesserait, j'en suis sûre; d'ailleurs, il sied
mal à l'exilé qui implore de parler de récom
SCÈNE V. pense, mais de vous aimer comme une sœur
vous aimerait, et de vous préférer à tout ce
LEs MÊMES, ATHOS, ARAMIS. qui ne sera pas mes enfants ou mon époux.
ATHOS, sortant du cabinet avec Aramis. ATHos. Madame, quand faut-il que nous
Milord, dites à Sa lllajesté que pour une si partions?
belle cause nous irons jusqu'au bout du LA REINE. Ainsi, vous consentez... Ah!
monde. messieurs, voici le premier moment d'espoir
LA REINE. Oh! mon Dieu! ces messieurs que j'ai éprouvé depuis cinq ans... vous le
nous écoutaient.. . comprenez, ce n'est plus son trône, ce n'est
DE WINTER. Et vous voyez, madame, que plus sa couronne que je vous recommande...
l'on pouvait tout dire devant eux. c'est la vie de mon Charles, de mon époux,
LA IIEINE. Merci, messieurs, merci! Mi de mon roi, que je remets entre vos mains.
lord, les noms de ces deux braves gentils ATHOS. llladame, tout ce que deux hommes
hommes, que je les garde religieusement dans qui ne reculcront devant aucun danger peu
ma mémoire.. . veut faire, attendez-le de nous.
DE WINTER. M. le comte, de la Fère, M. le LA REINE, leur tendant la main que les
chevalier d'Herblay. deux gentilshommes baisent d genoux.
LA nEtNE. Messieurs , j'avais autour de Encore une fois, oh! de toute mon âme...
moi, i! y a quelques années, des courtisans, merci, messieurs.
des armées, des trésors... A un signe de ma DE WINTER. Votre Majesté veut-elle que je
main tout cela semployait pour mon service. . . je la reconduise?
aujourd'hui, regardez autour de moi: pour LA REINE. Non, vous pourriez être re
accomplir un dessein d'où dépend le salut du connu.
royaume et la vie d'un roi, je n'ai plus que ATHOS. Mais nous, madame, nous ne cou
ord de Winter, un ami de vingt ans, et vous, rons pas le même risque.
messieurs, que je ne connais que depuis quel LA REINE. J'ai ma litière, messieurs.
ques secondes. ATHOS, s'inclinant. Alors, nous suivrons
ATHOS. C'est assez, madame, si la vie de humblement, et de loin , la litière de Votre
trois hommes peut aux regards du Seigneur Majesté.
racheter celle de votre royal époux... Main LA REINE. Adieu, comte; dites au roi que
tenant, ordonnez, que faut-il que nous fas mes jours ne sont qu'une longue soulfrance,
sions?... mes nuits qu'une longue insomnie... que
LA REINE, d Aramis. Mais vous, monsieur, toute ma vie n'est qu'une éternelle prière,
avez-vous donc,comme le comte de la Fère, mais qu'au moment où Dieu nous réunira...
compassion de tant de malheur? soit sur la terre, soit au ciel... tout sera ou
ARAMIS. Moi, madame, d'habitude, partout blié.
où va M. le comte de la Fère, je le suis sans Elle sort suivie un instant après de deux gentils
même lui demander où il va... mais lorsqu'il hommes.
s'agi du service de Votre Majesté, je ne le MMWWVWMWVvWWM

suis pas, madame, je le précède.


LA REINE. Eh bien! messieurs, puisque SCÈNE VL
vous voulez bien vous dévouer au service
d'une pauvre princesse que le monde entier DE WINTER, puis MORDAUNT.
abandonne, voila ce qu'il s'agit de faire..... DE WINTEIi. Pauvre reine! (Mordant
LES BIOUSQUEIHAIRES. 23
paraît et se tient debout sur le seuil de la I cette femme avait empoisonné mon frère , et
porte; de Winter quitte la fenêtre, et oper pour hériter de moi, elle allait m'assassiner à
cevant MordaunLjQui estlà ?... que voulez mon tour... Que direz-vous à cela?
vous, monsieur?... MORDAUNT. Je dirai que c'était ma mère.
MORDAUNT.Ohl oh! ne me reconnaîtriez DE WINTER. Elle a fait poignarder par un
vous point par hasard? homme autrefois bon, juste et pur, le mal
DE WINTER. Si fait, monsieur... et la heureux duc du Buckingham... Que direz
preuve, c'est que je vous répéterai à Paris vous à ce crime dont j'ai la preuve?
ce que je vous ai dit à Londres; votre persé MORDAUNT. C'était ma mère !
cution me lasse, retirez-vous donc, ou je vais DE WINTER. Revenue en France après cet
appeler mes gens. assassinat, elle a empoisonné dans le couvent
MORDAUNT. Ah! mon oncle! des Augustines de Béthune, une femme qu'ai
DE WINTEII. Je ne suis pas votre oncle, je mait un de ses ennemis; ce crime vous per
ne vous connais pas. suadera-t-il de la justice du châtiment... Ce
IvIORDAUNT. Appelez vos gens, si vous vou crime j'en ai la preuve.
lez; vous ne me ferez pas chasserà Paris, MORDAUNT. C'était ma mère!
comme vous l'avez fait à Londres. Quant à DE WINTER. Enfin, chargée de meurtres,
nier que je suis votre neveu, vous y regarde de débauches, odieuseà tous, menaçante en
rez à deux fois, maintenant que j'ai appris cer corc comme une panthère altérée de sang, elle
taines choses que j'ignorais il y a un an. a succombé sous les coups d'hommes qu'elle
DE vvINTER. Et que m'importe, àmoi, ce avait désespérés, et qui jamais ne lui avaient
que vous avez appris! causé le moindre dommage... elle a trouvé, à
MORDAUNT. Oh! il vous importe beau défaut de ses juges naturels, des juges que ses
coup... j'en suis sûr, et vous allez être attentats hideux ont évoqués. Et ce bourreau
de mon avis tout à l'heure. Quand je me suis qui vous a tout raconté... s'il vous a en ellet
présenté chez vous la première fois à Lon tout raconté, adû vous dire qu'il a tressailli
dres. .. c'était pour vous demander ce qu'était de joie en vengeant sur elle la honte et le sui
devenu mon bien... quand je me suis présenté cide de son frère... Fille pervertie, épouse
chez vous pour la seconde fois, c'était pour adultère, sœur dénaturée, homicide, empoi
vous demander ce qui avait souillé mon sonneuse, exécrable a tous les gens qui
nom... et ces deux fois, je le reconnais l'avaient connue, à toutes les nations qui
comme vous l'avez dit, vous m'avez fait chas l'avaient reçue dans leur sein, elle est morte
ser... mais cette fois, je me présente chez maudite du ciel et de la terre; voilà ce qu'é
vous pour vous faire une question bien autre tait cette femme.
ment terrible que toutes ces questions... je MORDAUNT. Taisez-vous, monsieur;c'était
me présente pour vous dire, comme Dieu a ma mère; ses désordres,je ne les connais pas;
dit au premier meurtrier : Cain, qu'as-tu fait ses vices, je ne les connais pas; ses crimes, je
de ton frère ?... Milord, qu'avez-vous fait de ne les connais pas, c'était ma mère! donc, je
votre sœur? vous en préviens, écoutez bien les paroles que
DE WINTER. De votre mère! je vais vous dire , et qu'elles se gravent dans
MORDAUNT. Oui, de ma mère, milord. votre mémoire de manière à ce que vous
DE WINTER. Cherchez ce u'elle est deve- ' ne les oubliiez jamais... ce meurtre qui m'a
nue, malheureux, et deman ez-le à l'enfer, tout ravi, qui m'a fait sans nom, qui m'a fait
peut-être que l'enfer vous répondra. pauvre... ce meurtre qui m'a fait corrompu,
MORDAUNT, sacancant sers de Winter. méchant, implacab!e..... j'en demanderai
Je l'ai demandé au bourreau de Béthune , et ~ compte à vos complices quand je les con
le bourreau de Béthune m'a répondu... Ah! naîtrai , à tous mes ennemis enfin , sans
VOUs me comprenez maintenant; avec ce IHOIÇ ; en excepter le roi Charles I”.
tout s'explique, avec cette clef l'abîme s'ou DE WINTER. Voulez-vous m'assassiner ,
vre... Ma mère avait hérité de son mari, vous ' monsieur? en ce cas,je vous reconnaîtrai vé
avez assassiné ma Inère... Mon nom m'assu ritablement pour mon neveu... car vous se
rait le bien paternel, vous m'avez dégradé de Ï rez bien le fils de votre mère.
mon Dom... Je ne m'étonne plus maintenant MORDAUNT. Non, je ne vous tuerai pas,
que vous ne me reconnaissiez pas, il est mal en ce moment du moins... car sans vous je
séant d'appeler son neveu quand on est spo ne découvrirais pas les autres... mais quand
liateur, l'homme qu'on a fait pauvre. . . quand je saurai le nom des quatre hommes d'Armen
on est meurtrier, l'homme qu'on a fait or tières, tremblez monsieur, tremblez pour vous
phelin. et pour vos complices!j'en ai déjà poignardé
DE WINTER. Vous voulez pénétrer dans cet un sans pitié, sans miséricorde, et c'était le
horrible secret, monsieur? eh bien ! soit; sa moins coupable de vous tous. ll sort.
chez donc quelle était cette femme dont vous DE WINTER. Mon Dieu! je vous remer
venez au ourd'hui me demander compte... cie... qu'il ne connaisse que moi.
2a lllAGASIN TnnrrRAL.

Œroiaiimr Œablran.
La digue de Boulogne.‘
On voit à droite au premier plan . une maison de pêcheur; au troisième plan, lebrîclr le Parlement. Au fond ,
à l'ancre, la corvette FEclair; à gauche, un escalier qui conduit au phare.

SCÈNE PREMIÈRE. ANDRÉ, â Mordaunt. Que faut-il faire?


MORDAUNT. Voyez cette femme, tâchez de
MORDAUNT . se promenant sur la digue , savoir qui elle est, ce qu'elle veut, et ensuite,
ANDBÉ, patron du brick le Parlement. s'il est nécessaire, je la verrai moi-même.
MORDAUNT, d André Smith qui entre. Eh ANDRÉ. Où est votre sœur?
bien! patron André? . PARRY. Dans cette maison; dois-je l'ap
ANDRÉ. Personne encore, monsieur. peler?
MORDAUNT. Vous avez été àl'hôtel des ANDRÉ. Non, ne la dérangez pas, je vais
Armes d'Angleterre, cependant. . . lui parler moi-même.
ANDRÉ. Oui, monsieur. MORDAUNT. Allezl... Ah! ahlje crois que
MORDAUNT. Et vous avez demandé si deux voici nos hommes.
gentilshommes, nommés messieurs d'Arta ANDRÉ, regardant. Non, ce sont les deux
gnan et Duvallon, n'étaient point arrivés de voyageurs qui ont demandé le chemin du
Paris? port, à l'hôtel de I'Epée du grand Henry.
ANDRÉ. On ne les a pas vus encore. MORDAUNT. Ils venaient par la route de
MORDAUNT. Ni personne qui leur res Paris?
semble? ANDRÉ. Oui.
ANDRÉ. Trois gentilshommes arrivaient MORDAUNT. Je tirerai peut-être d'eux
juste au moment où je causais avecl'hôtelier; quelques nouvelles. Allez donc... mais vous
j'ai eu un moment d'espoir, unais je me comprenez... ne promettez rien que je n'aie
trompais... ils allaient logerà l'Epée du grand vu moi-même.
Henry, encore un seul des trois y est-il en ANDRÉ. Oh! soyez tranquille. (A Parry.)
tré... les deux autres n'ont fait que jeter la Venez, monsieur.
bride de leurs chevaux aux mains de leur WWWMMWWÀWWW

laquais et demander le chemin du port.


MORDAUNT. Qu'ilsy réfléchissent bien, je SCÈNE III.
leur ai donné jusqu'à huit heures du soir; je
ne les attendrai pas une minute de plus... A MORDAUNT, seul, puis ATHOS
huit heures juste, capitaine André, vous et ARA MIS.
appareillerez. iuORDAUNT, seul. Non, ce n'est pas eux.
ANDRÉ. Bien, monsieur; je suis à vos Mais en vérité, si je ne me trompe pas... si
ordres. ce sont leurs deux amis... les mêmes qui
étaient avec eux dans la chambre de M. d'ar
tagnan quand j'y suis entré; ne nous faisons
SCENE II. pas connaître d'abord.
WMWWMMAMMMWW
LEs lustrEs, PARRY
PARRY, rfapprochant dblndré. Monsieur, SCÈNE lV
n'êtes-vous pas le patron de ce bâtiment?
ANDRÉ. Oui, monsieur. MORDAUNT, sur le devant, ATHOS et
PARnY. Vous partez ce soir? ARAMIS, lratversant sur une écluse, et
ANDRÉ. A huit heures. s'arrêtant au milieu.
PARnY. Pouvez-vous me donner passage ARAMIS. Que dites-vous de ce bâtiment,
à moi et àma sœur? Athos ?...
ANDRE, bas, d Mordaunt. Vous entendez. ATHOS. Qu'il est en partance aussi, mais
MORDAUNT, bas. Sachez quelle est cette que ce ne peut être le nôtre; celui-ci est un
sœur. brick, et le nôtre est une corvette; celui-ci
ANDRÉ, d Parrg . Mais connaissez-vous est dans le port, et le nôtre nous attend en
notre destination? mer; celui-ci se nomme le Parlement. et le
PARRY. Oui, vous allez à Newcastle, et nôtre, à ce que nous a dit de Winter, du
comme Newcastle est frontière d'Ecosse, nous moins , s'appelle l'Eclair.
n'aurons que la Tyne à traverser pour vous MORDAUNT. De Winter... Est-ce qu'ils
trouver dans notre pays. n'ont pas prononcé le nom de de winterl
LES MOUSQUETAIRES. v25

ARAulS. Chut l... il y a un homme la qui ATHOS. Une querellel


semble nous écouter. ARAMIS. Et depuis quand une querelle
ATHOS. Il aura perdu son temps, car nous vous fait-elle pour?
n'avons rien dit, ce me semble, qui ne puisse ATHOS. Une querelle me fait toujours peur
être entendu. quand on m'attend quelque part ct que cette
ARAMIS. N'importe, parlons d'autre chose, querelle peut m'empêcher d'arriver... D'ail
d'autant plus, tenez, que cet homme s'ap leurs voulez-vous que je vous avoue une
proche de nous. chose?
MoRDAUNT, attendant Athos et Aramis à ARAMIS. Laquelle?
leur arrivée. Pardon, messieurs; je ne me ATHOS. J'avais parfaitement reconnu le
trompe pas, je présume, j'ai eu l'honneur de jeune homme pour le messager de monsieur
vous voirà Paris, je crois. . lilazarin.
ATHOS. Vous, monsieur? je ne me rappelle ARAnaS. Ah! vraiment!
pas, pour mon compte, avoir eu cet hon ATHOS. Mais je voulais le voir de près.
neur. ARAMIS. Pourquoi cela?
ARAMIS. Ni moi, monsieur. ATHOS. Aramis, vous allez vous moquer de
MORDAUNT. Chcz monsieur dï/trtagnan, il moi... Aramis, vous allez dire que je répète
y a quatre jours. toujours la même chose. Aramis, vous allez
ATHos. Ah! c'est vrai, monsieur, je me me prendre pour le plus peureux des vi
me rappelle parfaitement; excusez, je vous sionnaires.
prie, ce défautde mémoire. ARAMIS. Après?
ARAMIS. Très-bien! ATHOS. A qui trouvez-vous que ce jeune
MORDAUNT. Pourriez-vous me dire si homme ressemble, autant toutefois qu'un
monsieur d'Artagnan est toujours à Paris?... homme peut ressembler à une femme?
ATHOS. Nous l'avons quitté il y a trois ARAMIS. Oh! pardieu, je crois que vous
jours à l'hôtel de la Chevrette. avez raison, Athos; cette bouche fine et ren
MDRDAUNT. Et il ne vous a point dit qu'il trée, ce nez taillé comme le bec d'un oiseau
se préparait pour quelque voyage? de proie... ces yeux qui semblent toujours
ATHOS. Non, monsieur. aux ordres de l'esprit et jamais à ceux du
MORDAUNT. Excusez-moi donc, messieurs, cœur... si c'était le moine...
pour vous avoir dérangé, et recevez mes ATHOS. ltlalgré moi j'ai eu cette pensée.
remercimeuts sur votre complaisance. ARAMIS. Et vous n'avez pas écrasé le ser
Il salue et sort. penteau?
ATHOS. Êtes-vous fouÏ’... sans savoir...
MMMWWWW
D'ailleurs, fussions-nous certains, ce jeune
homme ne nous a rien fait.
SCÈNE V. ARAMIS. Ah! voilà où je reconnais mon
ATHOS, ARAMIS. Athos... puéril à force de grandeur, impru
dent à force de loyauté... Eh bien, que je
ARAMIS. Que dites-vous de ce question sache que c'est lui, moi, et je lui brise latête
neur? contre la première pierre que je trouve!
ATHOS. C'est un provincial qui s'ennuie. ATHOS. Chut! de Winter.
ARAMIS. Ou un espion qui s'informe. ARAMIS. Si nous lui en parlions? il doit
ATHOS. C'est possible. connaître son neveu, lui.
ARAMIS. Et vous lui avez répondu ainsi. ATuOS. Nous aurions l'air d'enfants peu
ATHOS. Rien ne m'autorisait à lui répondre reux.
autrement;il a été poli envers nous et je l'ai AuAMIS. C'est vrai... Laissons aller les
été envers lui. choses et détiens-nous du jeune homme, si
ARAMIS. N'importe, dans notre position, nous le retrouvons... Mais est-bien de Win
Athos, il faut nous défier de tout le monde. ter?
ATHOS. C'est bien plutôt à vous qu'il faut ATHOS. Oui, vous voyez; voilà nos laquais
faire cette recommandation ; vous avez pro qui débouchent à vingt pas derrière lui. à
noncé le nom de de Winter. l'angle du bastion. Je reconnais Grimaud à sa
ARAMlS. Eh bien! tête raide et à ses longues jambes , et mon
ATHOS. Eh bien! c'est à ce nom que le petit Blaisois à son air provincial. C'est lui
jeune homme s'est arrêté. qui porte nos carabines.
ARAMIS. Vous avcz remarqué cela? ARAMIS. C'est vrai; mais qu'a donc notre
ATHOS. Parfaitement. ami? il ressemble à ces damnés du Dante, à
ARAMIS. Raison de plus alors, quand il qui Satan a disloqué le cou, et qui regardent
nous_a parlé, pour l'inviter à passer son leurs talons... Que chcrche-t-il donc ainsi
chemin. derrière lui?
26 MAGASIN THÈATRAL.
mmmmmflwmm ! DE WINTER. Hélas, oui.
l
ARAMIS. Attendez, alorsl...
SCENE VI. I! prend sa carabine et met Mordauut en joue.
LEs MÊIllES, DE WINTER. GRIMAUD. Feu!
La nuit vient, on allume le phare. ATHOS, détournant le canon. Que faites
vous, ami?
DE WINTER. Ah! vous voici, messieurs! je ARAMIS. Le diable vous emporte! Je le
suis bien aise de vous avoir rejoints; nous tenais si bien au bout de mon mousquet; je
allons partir, iïest-ce pas, à l'instant même? lui eusse mis la balle en pleine poitrine!
An AMIS. Cc n'est pas nous qui vous retien ATHOS. C'est bien assez d'avoir tué la mère!
drons, milord... quoique j'aime peu la mer La barque commence à marcher.
pendant le jour et encore moins la nuit...
Mais qu'avez-vous donc qui vous essouffle MORDAUNT. Ah! c'est bien vous! c'est bien
vous, messieurs! je vous reconnais mainte
ainsi?
nant, et nous nous retrouverons enAngleterre!
DE WINTER, regardant derrière lut‘. Rien, (La barque disparaît; i! la suit un moment
rien... Cependant en passant derrière le des yeux.) Allez! allezl... (Il redescend.) Oh!
bastion , il m'a semblé... mais partons... c'est la Providence qui me les a fait recon
'l'enez, voyez-vous, là-bas, ce bâtiment au
naître... c'est la Providence qui les conduit
delà du phare... c'est notre corvette qui est là-bas où je suis tout-puissantl... Deux sur
à l'ancre; je voudrais déjà être embarqué! quatre, c'est toujours cela... ne désespérons
ARAMIS. Ah ça, mais vous oubliez donc
point de retrouver les deux autres...
quelque chose, milord?
DE WINTER. Non. C'est une préoccupa
tion. SCÈNE VII.
ATHOS, d Aramis. Il l'a vu.
DE WINTER. Descendons, messieursl... MORDAUNT, FARTAGNAN, PORTHOS,
Holà! patron l. . . (Un hommecouche' dans une MOUSQUETON.
barque se lève.) Vous êtes le batelier qui devez pORTuOS. Je crois décidément que nous
nous conduire à la corvette !'Eclair, n'est-ce sommes en retard.
pas? NARTAGNAN. C'est votre faute, mon cher:
LE BATBLIER. Oui, monsieur. avec votre appétit démesuré nous n'en finis
DE WiNTER. Aidez nos laquais, alors. sons jamais.
LE BATELIER. Venez par ici. POIITHOS. Ce n'est pas moi, c'est ce drôle
Mordaunt reparait à l'autre côté de la jetée, et monte de Mouston qui a toujours faim... Mouston,
l'escalier qui mène au phare. Les trois gentils avez-vous les provisions de bouche?
hommes s'embarquent. MOUSQUETON. Oui, monsieur le baron.
ARAMIS, d Athos. Oh! oh! voici encore MORDAUNT. Ah! ah! il me semble que voici
notre jeune homme... voudrait-il s'opposerà nos deux gentilshommes.
notre embarquement? UARTAGNAN. Où diable allons-nous trou
ATHOS. Comment voulez-vous qu'il ait cette ver notre monsieur Mordaunt. maintenant?
intention ?. . . Il est seul et nous sommes sept, PORTuOS. Sur la jetée... N'est-ce pas là
y compris le batelier. qu'il nous a donné rendez-vous?
ARAMlS. N'importe... ilnous en veut assu UARTAGNAN. Oui, mais jusqu'à huit
rément. heures...
DE WINTER. Qui cela? PORTBOS. Eh! voilà huit heures qui son
ARAMIS. Le jeune homme. nent!
DE WINTER. Quel jeune homme? MORDAUNT. Oui, messieurs, et je suis
ARAMIS. Tenez! celui qui est là-bas, au bien aise de voir que vous êtes exacts.
pied du phare! DARTAGNAN. C'est une habitude militaire
DE WINTER. C'est lui l... J'avais bien cru qui date-de vingt ans, monsieur.
lc reconnaître! MORDAUNT. Je vous en félicite. Rien ne
ATHOS. Qui, lui? s'oppose à ce que nous partions, n'est-ce
DE WINTER. Le fils de lllilady. pas?
GRIMAUD. Le moine! UARTAGNAN. Quand vous voudrez, nous
MORDAUNT, d'où e‘! domine la barque. sommes prêts.
Oui, c'est moi, mon oncle! moi le fils de PORTHOS. Un instant, monsieur. Le bâti
Milady, moi le moine, moi le secrétaire et
l'ami de Cromwell, et je vous connais, vous
et vos compagnons!
l ment est-il suffisamment pourvu de vivres?
MORDAUNT. Oui, monsieur; d'ailleurs nous
n'avons que trois jours de traversée.
ARAMIS. Ah! ah! c'est là le neveu, c'est le
moinel... c'est là le fils de Milady! i PORTHOS. En trois jours on peut avoir
très-faim.
LES MOUSQUETAIRES. 27
MORDAUNT. Soyez tranquilles, messieurs, MORDAUNT. Vous allez en Angleterre?
et si vous n'avez pas d'autre objection à LA REINE. En Ecosse.
faire...
MORDAUNT. Mais nous, c'est à NeWcastle
UARTAGNAN. Aucune autre. que nous allons.
MORDAUNT. Alors, passez à bord. LA REINE. Je les sais,monsieur; mais de
IÏARTAGNAN. Venez, Porthos. Newcastle j'espère me rendre facilement dans
Porthos et dflirmgnau traversent la planche. le comté de Perth l...
MOUSQUETON. Comment, monsieur, il faut MORDAUNT. C'est avec grand plaisir, ma- '
que, je passe lit-dessus? dame; mais nous n'avons plus qu'une pla ce
PORTHOS. Sans doute. disponible.
DHIRTAGNAN. Nous y sommes bien passés, LA REINE. Ah! mon Dieu, que me dites
nous. vous là, monsieur!
MOUSQUETON. Ah! vous, c'est autre chose, MORDAUNT. La vérité.
vous êtes très-braves. LA REINE. Mon frère a le plus grand
DARTAGNAN. Allons donc...... allons désir de m'accompagner, monsieur, et il
doncl... passera, n'importe à quelle place, avec les
PORTHOS. Donne-moi la main, mon pauvre matelots, avec les domestiques.
Mouston... Ah! tu te fais vieux! MORDAUNT. Impossible.
Mousqueton passe. LA REINE. Monsieur, m‘ prières ni ar
gent...
M
MoRDAUNT. Rien.
SCENE VIII. LA REINE. Il faut donc se résigner... je
‘passerai seule, monsieur.
MORDAUNT, sur le devant, ANDRÉ. MORDAUNT. En ce cas, madame, ne per
MORDAUNT. Eh bien ! patron André, cette dcz pas de temps.
femme... LA REINE, d Parry. Adieu, mon pauvre
ANDRÉ. Elle est toujours là, monsieur. Parry; il faut que nous nous quittions; je
vaisà Newcastle, etde là je gagnerai le camp
MORDAUNT. Faites-la venir.
du roi partout où il sera... Passez en Angle
ANDRE. A l'instant même... (A la porte.) terre par la première occasion, et venez nous
Venez. madame. rejoindre.
MORDAUNT. Allez faire les apprêts du dé PARRY. Oh! madame, quitter Votre Ma
part; il faut que nous soyons hors du port
jcstél
avant neuf heures.
LA REINE. Il le faut, mon ami.
WWRMA
PARRY. Ah! Votre lllajesté m'a appelé...
SCÈNE 1x. LA REINE. Son ami“... Des serviteurs
comme vous, Parry ,valentmieux que beaucoup
MORDAUNT, LA REINE, PARRY. d'amis comme ceux que nous connaissons.
LA REINE, en femme écossaise. Monsieur, PARnY, presque d genoux et lui baisant
vous êtes, m'a-bon dit, le patron de ce bâti sa robe. Ah l madame.
ment? MORDAUNT. C'est la reine, je m'en étais
MORDAUNT. Non, pas précisément, ma douté... Allons, allons, le ciel me les livre
dame, mais je l'ai loué. tous l... (A la Reine.) Voulez-vous prendre
LA REINE. Vous en êtes le maître, c'est cc mon bras, madame? on n'attend plus que
que je voulais dire. nous.
MORDAUNT. A peu près..." que désirez On entend tous les commandements qui constituent
vous, madame? l'appareillage; et la toile tombe nu moment où la
LA REINE. Vous me rendriez un grand Reine traverse la plancha qui doit h conduire
service en me donnant passage à moi et à au bâtiment.
mon frère.
2s MAGASIN TllÉATRAL.
WWWWWMÛMMWWWWWWVMWWMM

ACTE DEUXIÈME.
ûuatriéme Œubltaii.

La gramrehambrc d'une maison occupée il Ncwcastle par Cromwell.

SCENE PREMIÈRE. GROSLOW. Deux hommes enveloppés dans


des manteaux et qui paraissent étrangers.
CROMWELL, LE COLONEL GROSLOW. CROMWELL. Maintenant écoutez, qu'en
CROMWELL. Et vous dites, colonel? tendez-vous T
GROSLOW. Je dis, monsieur Cromwell, que GRosLOW. Quelqu'un qui monte.
si vous le voulez aujourd'hui même, ou de CROMWELL. Ce bâtiment qui est dans le
main au plus tard, si vous le voulez, le roi port, c'est le navire le Parlmnent: ces deux
Charles l" est à nous. hommes qui sont sur la route, ce sont les en
CROMWELL. Et comment cela, voyons, voyés de M. Mazarin; cet homme qui monte
colonel? (on frappe ä la porte) et qui frappe, c'est
GROSLOW. Parce que les secours qu'il at mon secrétaire, M. Mordaunt; si vous doutez.
tendait de France lui manquent, parce qu'au colonel, allez ouvrir, et vous verrez.
lieu d'une armée et des trésors que devait lui GROSLOW, allant ouvrir. Vous êtes vrai
ramener son ami de Winter, il ne lui a rap ment inspiré, monsieur.
porté que quelques diamants, dernières res WMWWWWM

sources de li n" Henriette... et ramené deux


gentilshommes, dernier secours, je ne dirai SCÈNE Ii.
pas que la royauté de France lui envoie pour LES MÈMES , MORDAUNT.
lui rendre sa couronne, mais que la noblesse CROMWELL. Soyez le bienvenu, Mordaunt ,
lui dépêche pour le voir mourir. quelque chose m'avait dit cette nuit que je
CROMWELL. (l'est bien, colonel ; je songe vous verrais ce matin.
rai à ce que vous me dites, et dans ma pre MoRmUNr. C'était la voix du Seigneur;
inière dépêche je ferai part au parlement de le Seigneur parle à ceux qu'il a chargés de
votre zèle. parler en son nom.
GROSLoW. Mais, général, il me semble qu'à CROMWELL. Quïipportez-vous de France,
votre place... mon fils 'i'
CROMWELL. Monsieur, j'attends des nou _MORDAUNT. De riches nouvelles, mon
velles de France; moi aussi, j'ai envoyé quel Slelll‘.
qu'un à M. Mazarin. CROMWELL. Soyez deux fois le bienvenu
GROSLOW. Votre envoyé peut tarder, gé alors. Avez-vous vu le Cardinal?
néral, les flots et les vents ne sont aux ordres MORDAUNT. Je l'ai vu.
de personne... et l'occasion manquée... CROMWELL. Et il vous a fait une réponse?
CROMWELL. Vous vous trompez, monsieur, MoiiDAUNT. Oui.
les flots et les vents sont aux ordres de l'Eter CROiiWELL. Verbale?
nel, c'est pour cela qu'on l'appelle le Dieu MORDAUNT. Ecrite.
des tempêtes, et l'Eternel est pour nous. CROMWELL. Il vous l'a remise?
GROSLOW. Général... iuORDnUNT. Pour que la chose ait plus de
CROMWELL, s'asseyant. Regardez par cette poids pres de vous, il vous l'envoie par L’:
fenêtre. lieutenant des mousquetaires du roi et par U‘;
eROSLoW. Oui, monsieur. seigneur de la cour.
CROMWELL. Elle donne sur le port, n'est. CROMWELL. On les nomme!
ce pas? , MORDAUNT. Le lieutenant, M. le chevalit
cnOSLOW. Oui! d Artagnan, le seigneur, M. Duvallon.
CROMWELL. Eh bien! que voyez-vous de CROMWELL. Deux espions qu'il accrédite
nouveau dans le port? près de moi.
GROSLOW. Un navire qui vient de jeter MORDAUiÿT. Le génie de l'Eternel est en
Pancre. ' vous, monsieur; on n'espionne pas Dieu.
CROMwisLL. Et sur la route du port, ne b CËtOiiiVELL. Et ces deux hommes sont en
vient-il pas quelqu'un? as
LES MOUSQUETAIRES. 29
MORDAUNT. Ils attendent vos ordres. ifaRTAGNAN. Du général Cromwell ?
CROMWELL. Vous entendez, colonel Gros POimiOS. Je dis qu'il a l'air d'un boucher
low, je crois que le moment que vous désirez qu'il est.
est venu. UARTAGNAN. Vous vous trompez, c'est le
GROSLOW. Qubrdonnez-vous, général? colonel Harrison qui est un boucher.
CROMWELL. Faites mettre les côtes de fer PORTHOS. Ah! oui, lui, c'est...
sous les armes, ordonnez à votre régiment de UARTAGNAN, voyant que Cromwell se re
se tenir prêt au premier son de la trompette, tourne. Lui, c'est le général Olivier Crom
et qu'il en soit ainsi de toute l'armée. well... laissez-moi dire.
eROSLoW. J'obéis. Mordnunt sort.
CROMWELL. En passant, dites à ces deux CROMWELL. Salut, messieurs; je ne puis
gentilshommes de monter. croire à ce que me dit M. Mordaunt,
Groslow son. UARTAGNAN. Il ne vous a dit que la vérité
vwwvu
cependant, monsieur, s'il vous a dit que nous
venions à vous comme envoyés de l'illustris
SCÈNE III. sime Cardinal.
CROMWELL. Vous me pardonnerez... mais
MOBDAUNT. CROMWELL. je ne puis croireà tantd'honneur. Le nom du
CROMWELL. Vous avez encore autre chose pauvre brasseur de Huntington est donc
à me dire, mon fils? connu de l'autre côté du détroit ?
MORDAUNT. Oui, monsieur, j'avais à vous PORTHOS. Ah! c'est vrai, c'est brasseur
dire que sur le même bâtiment que nous, une qu'il était.
femme est passée en Angleterre. UARTAGNAN, bai. Chut! (Haut.)Ce n'est
CROMWELL. Une femme! quelle est cette pas le nom du brasseur de Huntington qui
est connu de l'autre côté du détroit, mon
femme ?
MORDAUNT. Le général Cromwell la verra. sieur, c'est celui du vainqueur de Marston
Un chef doit tout voir par lui-même. Moor et de Newbury
CROMWELL. Et comment la verrai-je? PORTHOS. Bravo! ce diable de d'Artagnan
MORDAUNT. J'ai donné ordre qu'on la où va-t-il prendre tout ce qu'il dit?
surveillât, et qu'au moment où elle tenterait CROMWELL. On voit , monsieur, que vous
de sortir de la ville, on la conduisît près de arrivez de la cour la plus courtoise de l'Eu
Votre Honneur. rope... Comment se portait la reine à votre
CROMWELL. Vous croyez donc cette femme départ ?
de quelqu'importance. UARTAGNAN. La reine Anne d'Autriche?
MORDAUNT. Vous en jugerez. CROMWELL. Non, notre reine à nous, Sa
CROMWELL. Silence, on vient. Majesté Henriette de France, femme de
Charles I", que les fidèles enfants de l'ain
gleterre ont le regret de combattre en ce
moment.
SCÈNE IV. UABTAGNAN. Mais je crois que Sa Majesté
se portait bien; depuis bien longtemps je
LES MÊMES, UARTAGNAN, PORTHOS, n'ai pas eu l'honneur de la voir.
MORmUNT. Entrez, messieurs; vous êtes CRoMwl-ILL. Ne vient-elle plus au Palais
devant le général CromWell. Royal?
CiioMWELL. Monsieur Mordaunt, si vous UARTAGNAN. Je ne sais si elle y vient,
n'êtes pas trop fatigué du voyage.... mais voilà plus d'un an que je ne l'y ai vue.
MORDAUNT. Je ne suisjamais fatigué, mon CROMWELL. Mais alors M. de Mazarin va
sieur, vous le savez. lui faire sa cour ?
CROMWELL. En ce cas, prenez cette lettre UARTAGNAN. M. de Mazarin n'a pas le
préparée pour vous, lisez-la, et exécutez à temps, il faut qu'il écrive, et cela me rap
l'instant même les conditions qu'elle ren pelle que je suis porteur d'une lettre.
ferme. Après avoir lu, vous brûlerez. GROMWELL. Pour moi, c'est vrai?
MORDAUNT, s'inclinant.Quel que soit l'or UARTAGNAN. Pour vous, monsieur.
dre que contient cette lettre, il sera exécuté, CROMWELL. Donnez. (A part.) Allons,
milord. M. de Mazarin choisit bien ses hommes;
CROMWELL. Silence, mon fils, nous ne c'est un homme d'esprit que ce chevalier
sommes plus seuls. d'Artagnan.
UARTAGNAN, pendant us Cromwellsuit PORTHOS, bas a dbtrtagnan. Dites donc,
Mordaunt des ycuæ. Eh ien, qu'en dites d'Artagnan.
vous, Porthos? UARTAGNAN. Quoi?
PORTHOS. De quii... POBTHOS. Il ne me paraît pas fort votre
30 MAGASIN THÉATRAL.
général Olivier Cromwell; et puis voyez donc comme Cromwell a précipité Stuart; mais
comme il est vêtu. que peuvent les Harrison, que peuvent les
JYARTAGNAN. Il était encore plus mal vêtu Pridge, que peuvent les Fairfaix... Des in
que cela lorsqu'il se présenta à la chambre strumcnts, des machines à qui je donne l'im
des communes , et que le fameux Hampden pulsion... des automates à qui j'imprime le
dit , en le voyant: Vous voyez ce paysan si mouvement... Le parlement... oui, je le sais
inal vêtu... ce sera, si je ne me trompe, un bien, là est l'opposition... c'est un coup à
des plus grands hommes de notre temps. frapper, voilà tout ; je casserai le parlement,
pORmOS. Et qu'était-ce que le fameux la royauté est plus vieille que le parlement de
Hampden 2 trois siècles et j'aurai bien brisé la royauté;
UARTAGNAN. C'était le premier de l'Angle mais aussi c'est que les Anglais sont las de la
terre avant que Cromwell l'en eût fait le royauté; est-ce de la royauté ou du roi qu'ils
second. sont las? c'est du roi... est-ce même du roi?
CROMWELL, après avoir lu. Merci, mes c'est du nom... Il faudrait trouver un nom
sieurs; j'ai trouvé M. de Mazarin tel que je qui n'eût pas encore été usé. Consul, il faudrait
l'attendais. C'est un grand politique que avoir les vertus d'un Brutus; dictateur, il ne
M. de Mazarin. faudrait pas avoir les vices d'un Sylla. . . je vou
PORTHOS. Tiens, c'est drôle, on ne dit drais une charge qui permît à celui qui la
pas cela de lui en France. remplit d'obtenir tous les honneurs sans en
UARTAGNAN. Et nous ferez-vous l'hon imposer aucun; il faudrait avoir l'air de pro
neur de nous charger d'une réponse, mon téger l'Angleterre, quoique l'AngIeLerre n'eût
sieur? plus besoin de protecteur... Eh bien! mais
CitOMWELL. Vous devez être fatigués, mes protecteur, voilà un nom, voilà un titre, toilli
sieurs; prenez d'abord quelque repos... et une appellation inconnue, nouvelle, simple et
demain... hautaine à la fois... où l'on peut iiidillérem
DUtirrAGNAit. Vous nous donnerez une let ment être appelé... Monsieur... lllylord...
tre, général? Altesse... Parti d'en bas, pour arriver en haut
CROMWELL. Non, demain vous partirez... passant par la bourgeoisie, par les communes,
et vous direz... vous direz tout simplement par l'armée, j'ai fait sur ma route une triple
ce que vous aurez vu... Salut, messieurs. station assez longue pour connaître les bour
UARTAGNAN. Eh bien! qu'en dites-vous, geois, les parlementaires et les soldats... Il ne
Porthos? me reste donc qu'à étudier la noblesse. Bah!
PORTHOS. Je dis qu'il a bien fait de nous la noblesse je la verrai à mes genoux quand
congédier ; j'ai très-faim. je serai protecteur... Que demande-t-elle? non
UARTAGNAN. Aurons-nous l'honneur de pas à être convaincue... mais àfaire semblant
vous revoir avant notre départ? de croire que ce îi'est pas moi qui lui aurai
CROMWELL. Ma maison est la votre, mes tué son roi... Eh bien! mais j'ai joué ce rôle
sieurs , et toutes les fois que , pendant votre làjusquîi présent et je n'ai qu'à continuer...
séjour en Angleterre, court ou long, vous en Charles I"r lui-même ne me regarde pas
franchirez le seuil, vous me ferez honneur et comme son ennemi, et souvent il m'a pris
plaisir. pour intermédiaire entre lui et le parlement.
WWMWMMWWVWRÀMMMWWMV
Intermédiaire... oui... (avec un sourire)
comme la hache est l'intermédiaire entre le
patient et le bourreau!... Ah! quelqu'un...
SCÈNE V. Protecteur , c'est décidément un excellent
CROMWELL, seul. titre. Qui vient là?
Wmwwmm
Allons, tout marche au but. tout concourt a
la réussite. Mazarin l'abandonne et les Écos SCÈNE VI.
sais le vendent... Un homme seul restait
entre le trône et moi; cet homme va dispa CROMWELL, DEUx SOLDATS, LA REINE,
raître, oui, mais pour faire place à un spec avec le même déguisement que sur la
tre... Voyons, àtout prendre, est-ce bien mon digue de Boalogne.
intérêt que Charles I" tombe dans l'abîme et LE SOLDAT. Général... c'est une femme...
se tue en tombant ? Une fois délivrée de CROMWELL. Ah! oui, j'avais oublié. .Quelle
son roi, l'Angleterre aura-t-elle besoin de son est cette femme?
général? n'est-ce pas Stuart qui rend Crom LE SOLDAT. Une femme arrivée par le na
well nécessaire. etStuart en tombant n'entraî vire le Parlement, et que nous avons arrêtée
nera-t—il pas Cromwell? Oui, cela pourrait comme elle s'apprêtait à passer dans le camp
être s'il y avait en Angleterre un seul homme l royaliste... et nous vous l'amenons.
qui puisse à son tour précipiter Cromwell l CKOMWBLL. Bien, mes amis, laites entrer.
LES MOUSQUETAIRES. 31
LE SOLDAT. Entendez-vous? le général LE soLDAT. Alors, nous avons eu tort de
vous appelle. l'arrêter et de vous l'amener.
LA REINE, entrant. Le général... quel gé CROMWELL. Non; c'est à moi de recon
néral, messieurs? naître les bons d'entre les mauvais... c'est
LE SOLDAT. Il n'y a qu'un général par pour cela que l'Eternel m'a fait ce que je
toute l'llngleterre, non pas qui porte, mais qui suis.
mérite ce titre... c'est le général Cromwell. LE SOLDAT. Alors, elle pourra passer li
LA REINE. C'est donc au géneral Cromwell brement.
que je dois demander justice de la violence CRoMWELL. Librement... allez.
qui m'a été faite. Ils sortent.
CRoMWELL. Oui, madame, et c'est le gé MMMMVWVVW“
néral Cromwell qui vous l'accordera, soyez
eu certaine, si ellectivement il y a eu vio SCÈNE VII.
lence.
CROMWELL, LA REINE.
LA REINE. Il y a eu violence, monsieur, si
la loi anglaise garantit toujours la liberté de LA REINE. Ainsi, je puis donc les suivre.
IOIJS. CROMWELL, se levant et se découvrant.
CRoMWELL. La loi anglaise garantit la li Un instant encore, si Votre Majesté le per
berté de tous les bons Anglais. met.
LA REINE. Mais où sont les bons Anglais? LA REINE. Grand Dieu! que dites-vous
est-ce dans le camp du général Olivier Crom là, monsieur?
Well, est-ce dans le camp du roi Charles I"? CROMWELL. Je dis que c'est bien impru
CROMWELL. Il y a de bons Anglais partout, dent à la fille du roi Henri IV, à la sœur du
madame. roi Louis XIII, à la femme du roi Charles lcr
LA REINE. Même parmi ceux qui font la de venir en Angleterre en ce moment. et de
guerre à leur souverain? débarquer justement dans une ville que tient
CROMWELL. Nous ne faisons pas la guerre le général Olivier Cromwell.
à notre souverain, nous faisons la guerre à ses LA REINE. Vous vous trompez, monsieur,
ministres, nous faisons la guerre aux Straf— je ne suis ni fille, ni sœur, ni femme de roi,
fort, aux Land, aux Windebanck; nous res je suis fille d'un pauvre Hyghlander.
pectons la royauté dans le roi... le roi dans CRoMWELL. William Parry n'avait qu'un
l'homme; maintenantqui êtes vous? fils et une fille.
LA REINE. Je suis Catherine Parry. LA REINE. Eh bien! cette fille...
CROMWELL. Où allez-vous? CROMWELL. Cette fille dont vous avez pris
LA REINE. En Ecosse. le nom est morte il y a six mois, et votre
CRoMWELL. Dans quel but? père, dont vous allez toucher l'héritage, vit
LA REINE. Pour recueillir en mon nom et encore.
au nom de mon frère, la succession de mon LA REINE. Mais vous connaissez donc tout
père qui vient de mourir. le monde en Angleterre et en Ecosse l
CRoMWELL. Vous êtes donc du comté de GROMWELL. Oui! tous ceux que c'est mon
Perth? intérêt ou mon devoir de connaître, madame;
LA REINE. Oui. comment alors Votre Majesté veut-elle que
CROMWELL. Vous êtes donc le fille de Vil je ne la connaisse pas?
liam Parry î LA REINE. C'est bien, je ne nierai pas
LA REINE. Oui. plus longtemps; je suis, non pas une reine
CRoMWELL. Vous êtes donc la sœur de qui vient régner sur son royaume, car en
John Parry? réalité Charles 1°r n'est plus roi... mais une
LA REINE. Oui, comment savez-vous cela? femme qui vient partager le sort de son
CROMWELL. Je le sais, vous voyez bien. époux. Maintenant, faites de moi ce que
Pourquoi n'avez-vous pas dit cela à ceux qui vous voudrez.
vous ont arrêtée? CRoMWELL. C'est à moi à attendre les
LA REINE. Je l'ai dit. ordres de ma souveraine.
CROMWELL. Et ils n'ont pas voulu vous LA REINE. Que dites-vous?
croire? CROMWELL. Je dis que pour mes collègues,
LA REINE. Non l.. . je dis que pour le parlement, je dis que pour
CRoaIWELL. Que voulez-vous! ils ont été la nation même, Charles I‘?r n'est peut-être
si souvent trompés qu'ils sont devenus dé plus que Charles Stuart , mais pour moi,
fiants. Charles Stuart est toujours roi.
LE SOLDAT. Cette femme disait donc la LA REINE. En vérité, vous me confondez,
vérité, général? monsieur. '
CRoMWELL. Oui. CROMWELL. Je dis, madame, que la Pro
32 MAGASIN THÉATRAL.
vidence ne fait rien sans raison, et que c'est LA REINE. Il partira , monsieur; mais
la Providence qui vous a envoyée vers moi, comment parviendrai-je près du roi ?...
pour que je vous envoie vers votre mari. CRouWELL. Je vous donnerai un sauf
LA REINE. Comment! je suis donc libre conduit.
d'aller le rejoindre? LA REINE. Mais si je m'égare... voici la
CROMWELL. Oui, madame, et vous lui nuit qui vient...
direz ce que vous allez entendre de ma CROMWELL. Je vous donnerai un guide.
bouche, et ce que vous n'avez encore en LA REINE. Quand cela?
tendu de celle de personne, la vérité CRoMWELL. Tout de suite, attendez...
Vous lui direz que s'il livre la bataille, il est LA REINE. Ah! monsieur....
perdu. CROMWELL. Prenez garde; si l'on entrait,
LA REINE. Mais le parlement... on pourrait croire que je fais grâce et non
CROMWELL. Vous lui direz que s'il traite pasjustice... (Il écrit quelques lignes.) Voici
avec le parlement, il est perdu. un laissez-passer pour une femme se rendant
LA REINE. Mon Dieu! à l'armée royale.
CROMWELL. Vous lui direz que par toute LA REINE. Merci! mercil...
l'Angleterre, il n'y a peut-être à cette heure CROMWELL. Ce n'est pas tout... (Il frappe
qu'un homme qui désire sincèrement le dans ses mains.) Findley... (Un serviteur
salut du roi Charles I", et que cet homme entre.) Findley, vous accompagnerez ma
c'est le général Olivier Cromwell. dame , sous quelque costume qu'il lui plaise
LA REINE. Parlez-vous franchement, mon de prendre, jusqu'aux premiers postes du
sieur ?... camp royaliste.
CROIuWELL. Oui, mais qu'il y prenne FINDLEY. Oui, général.
garde, derrière la volonté il y a le destin , CRoMWELL. Quelque chose qu'elle veuille
derrière la Providence il y a la fatalité, et vous offrir, vous ne recevrez rien.
moi, madame, moi je suis l'homme du des FINDLBY. Non, général.
tin, l'homme de la fatalité; qu'il parte. CROMWELL. Il vous faut deux heures pour
LA REINE. Mon Dieu l... arriver au camp... (Findley fait un mouve
CROMWELL. Madame, il y a dix ans, j'allais ment.) Vous entendez, deux heures, pas
quitter [Angleterre pour l'Amérique, j'a plus, pas moins.
vais déjà le pied sur le bâtiment qui devait FINDLEY. Bien, général.
m'emmener... un ordre du roi m'a défendu CROMWELL , d la Reine. Maintenant,
de quitter l'Angleterre, où l'avenir m'atten j'espère, vous ne pourrez plus dire à celui
dait; qu'il parte. vers qui je vous envoie que je suis son en
LA REINE. Mais c'est renoncer à toute nemi.
espérance. LA REINE. Dieu veuille que vous disiez la
CRouWELL. Madame, à l'âge de quinze vérité, monsieur; en attendant, mercil...
ans, une femme m'est apparue, elle tenait à La Reine sort avec le Serviteur.
la main une tête couronnée, elle a pris la
couronne sur cette tête, et l'a mise sur la
mienne... qu'il parte.
LA REINE. Mais vous avouez donc alors... SCENE VIII.
CROMWELL. Madame, ma nourrice avait
une tache de sang qui lui prenait à l'épaule CROMWELL , seul.
et qui ne finissait qu'au bout du sein, de sorte
que lorsqu'elle me donnait à boire, j'avais Dans deux heures, il sera trop tard pour
l'air de boire non pas son lait, mais du que Charles profite du conseil... mais le
sang... qu'il parte... qu'il parte! conseil n'en aura pas moins été donné.

Œinquiëmt Œabltutt.
Le camp de Charles l".
Adroite, la tente royale fermée par une large tenture aux armes d'Angleterre et dî-Îeosse. A gauche, une maison
dont le rez-dëchnussläe est fermé d'une fenêtre garnie de barreaux de fer, et d'une porte à laquelle on arriva
par trois marches. La fenêtre est en retour à gauche. Ru fond, paysage de plaines et de montagnes.

MlS , causant avec une Sentinelle, puis


SCÈNE PREMIÈRE. ATHOS, puis MORDAUNT, en chef de
DE WINTER, couché dans son manteau patrouille, UNE SENTINELLE, D'AR
devant l'entrée de la tente daller‘, ARA TAGNAN, PORTBOS, LE ROI, dans sa
LES MOUSQUETAIRES. 33
tente, GROSLOW, UN SERGENT, SOL bourse d la Sentinelle. Tiens, voilà ce qui a
DATS, ETC. été pronIis.
ARAMIS, d la Sentinelle. Et vous dites, ATuOS, qui‘ a écoute'. De l'argent‘,
mon ami, que depuis deux ans vous n'êtes DE WINTER , d Aramis, tandis quuthos
point payé. fait quelques pas pour s'assurer que la pa
LA SENTINELLE. Non, monsieur... et c'est trouille s'éloigne. Dites-moi , chevalier ,
dur, avec une guerre comme celle que nous n'est-ce pas une tradition en France que la
faisons. veille du jour où il fut assassiné... Henri IV,
ARAMIS. Oui, je le sais bien... Mais lors qui jouait aux échecs avec monsieur de Bas
que le roi Charles remontera sur le trône , il sompière, vit des taches de sang sur l'échi
récompensera ses fidèles Ecossais. quier?
LA SENTINELLE. Oui, s'il y remonte. ARAMIS. Oui, milord...et le maréchal m'a,
ARAMIS. Espérons que Dieu donnera l'avan dans ma jeunesse, mainte fois raconté la chose
tage à la cause de la justice. à moi-mëme.
ATHOS, s'avançant vivement par-derrière DE WINTER. C'est cela, et le lendemain
la maison. Aramis! Henri IV fut tué.
ARAMIS. Eh bien? ARAMIS. Quel rapport cette vision a-t-elle
ATHOS. Pas un instant à perdre, il faut avec vous, comte!
prévenir le roi. DE WINTER. Aucun... mais vous savez,
ARAMis. Que se passe-t-il donc? chevalier, que l'homme le plus fort a des
ATHOS. Ce serait trop long à vous dire... heures de tristesse, pendant lesquelles il n'est
Où est de Winter? pas maître de lui-même. Mais ne parlons
ARAMIS. Venez... (Donnant une demi-pis plus de cela ; comte , vous aviez quelque
tole a‘ la Sentinelle.) Tenez, mon ami, voici chose à me dire.
une demi-pistole pour boire à la santé du roi. ATHOS. Je voulais parler au roi.
LA SENTINELLE. Qu'elle soit la bienvenue; DE WINTER. Après avoir travaillé toute la
il y avait longtemps que je n'avais vu la pa soirée, le roi dort.
reille , de la dernière qui m'est passée entre ATHOS. Milord, j'ai à lui révéler des choses
les mains. de la plus haute importance.
ATROS, touchant de Winter d l'épaule. DE WINTER. Ces choses ne peuvent être
De Winter l... de Winterl... remises à demain?
DE WINTER, Ifeveillant. Ah! c'est vous, ATHOS. Il faut qu'il les sache à l'instan‘
comte... c'est vous, chevalier... Avez-vous même, et peut-être est-il déjà trop tard.
remarqué comme le soleil est rouge en se DE WINTER, soulève le rideau de la tente.
couchant, ce soir? Alors, entrez, comte.
ATHOS. Milord, dans une position aussi A la lueur d'une lampe, on voit une table chargée de
précaire que la nôtre, c'est la terre qu'il faut papiers. Le Roi dort appuyé sur cette table.
examiner et non le ciel... Avez-vous étudié ATHOS, en soupirant. Sire.
nos Ecossais‘! LE ROI, réveillant. C'est vous, comte ?
DE WINTER. Quels Ecossais?... ATHOS. Oui, sire!
ATHOS. Eh pardieu ! les nôtres... les Ecos LE Ro1. Vous veillez tandis que je dors, et
sais du comte de Lœven. vous venez m'apporter quelque nouvelle.
DE WINTER. Non! _ ATHOS. Hélas! oui, Votre Majesté a deviné
ATHOS. Vous croyez donc à leur fidélité? juste.
DE WINTER. Sans doute! (On entend la LE RO1. Alors, la nouvelle est mauvaise.
marche d'une patrouille.) Voyez avec quelle ATHOS. Oui, sire.
régularité le service se fait... (On entend LE ROI, se levant. N'importe ;le messager
lin ter l'heure dans le lointain.) Sept heures. . . est le bienvenu, et vous ne pouvez entrer
et à l'heure sonnant, voilà qu'on relève les chez moi sans me faire toujours plaisir, vous
sentinelles. dont le dévouement ne connaît pas de patrie
ATHOS. En elfet. et résiste au malheur, vous qui m'êtes envoyé;
On relève successivement les sentinelles; enfin la sen par ma bonne Henriette , que Dieu fasse là
tinelle sK-ipproche de la tente du roi Charles. bas plus heureuse que je ne le suis ici...,
LA sENTINELLE. Qui vive? Parlez donc avec assurance, monsieur. '
LE CREr DE PATIIOUILLB, qui n'est autre ATHOS. Sire, monsieur Cromwell est arrivé
que Mordaunt. Charles et loyauté... La hier à Newcastle.
‘consigne î LE RO1. Je le sais.
LA SENTINELLE. Ne laisser approcher de la ATHOS. Votre Majesté sait-elle pourquoi il
tente du roI que ceux qui auront le mot est venu!
d'ordre. LE RO1. Pour me combattre.
LE CHEr DE PATROUILLE, donnant une ATHOS. Pour vous acheter.
i‘.
3h MAGASIN TuEATniL.
LE Roi. Que dites-vous, comte? et que la honte de leur trahison retombsu
ATHOS. Je dis, sire, qu'il est dû à l'armée J eux.
écossaise quatre cent mille livres sterling. ATHOS. Sire, peut-être est-ce ainsi que
LE RÔ1. Pour solde arriérée, oui... Depuis doit arler un roi, mais ce n'est point ainsi
plus de deux ans, mes braves et fidèles Ecos que oit agir un époux et un père... Sire,
sais se battent pour l'honneur. nous avons traversé la mer; sire, nous som
ATHOS. Eh bien, sire, quoique l'honneur mes venus au nom de votre femme et de vos
soit une belle chose, ils se sont lassés de se enfants; je vous dis : Venez sire, Dieu le
battre pour lui... Et ce soir... veut.
LE ROI. Eh bien, ce soir... LE Roi. Vous l'emportez, comte; que me
ATHOS. Ce soir, ils ontvendu Votre Majesté conseillez-vous?
pour deux cent mille livres sterling... c'est ATHOS. Sire, Votre Majesté a-t-elle dans
à-dire pour la moitié de ce qui leur est dû. toute l'armée un régiment... un seul, surle
DE WINTER. Que dit-il? quel elle puisse compter?
ARAMIS. Je m'en doutais. LE nOI. De Wlnter, croyez-vous à la fidé-Â
LE nOI. Les Ecossais m'ont vendu... im lité du vôtre?
possible... Les Ecossais vendre leur roi pour DE WINTER. Sire, ce ne sont que des hom
deux cent mille livres... mes... et ces hommes sont devenus bien fai
ATHOS. Les Juifs ont bien vendu leur Dieu bles ou bien méchants... Je croisà leur fidé
pour trente deniers. lité, mais je n'en réponds pas... Je leur
LE nOI. Et quel est le Judas qui a fait ce confierais ma vie, mais j'hésite à leur confier
marché ? celle de Votre Majesté.
ATHOS. Le comte de Lœven. ATHOS. Eh! ne comptons que sur nous,
LE ROI. Et avec qui a-t-il été fait? alors; nous sommes trois hommes dévoués et
ATHOS. Avec le secrétaire de monsieur résolus, nous suffirons... Que Votre Majesté
Cromwell. monte à cheval,qu'elle se place au milieu de
DE WiNTER. Avec Mordaunt? nous... nous traverserons la 'l‘yue, nous ga
ATHOS. Oui, milord. gnerons l'Ecosse, et nous soinmes sauvés.
LE ROI. N'est-ce pas ce jeune homme qui LE ROI. Est-ce votre avis, de Winter ?
me poursuit avec tant d'acharnement, de DE WINTER. Oui, sire!
Winter? LE R6I. Est-ce le vôtre, monsieur d'Her
DE WINTER. Hélas! lui l... blay ?
LE n0I. Que lui ai-je donc fait? je ne me AnAMIS. Oui, sire!
le rappelle plus. I.13 nOI. Qu'il soitdonc fait comme vous le
DE WINTEB. Sur ma (iemamle, Votre Ma désirez; partons.
jesté l'a déclaré bâtard, et lui a défendu de ATHOS. Attendez, sire.
prétendre aux biens et de porter le nom de LE n0I. Quoidonc? .
son père. ATHOS. Les sentinelles qui veillent à la
LE R0I. Ah! c'est vrai... mais c'était jus porte de Votre Majesté pourraient donner
tice et je ne me repens pas... Vous dites l'alarme en voyant s'éloigner le roi... Il faut
donc, monsieur le comte? les enlever.
ATHOS. Je dis, sire, que couché près de LE ROI. Les sentinelles?
la tente du comte de Lœven, j'ai tout vu, tout ATHOS. Sire, j'ai vu tout à l'heure l'officier
entendu. qui les a placées où elles sont, leur compter
LE ROI. Et quand doit se consommer cet de l'argent. -
odieux marché . LE ROI. Oh! mon Dieu!
ATHOS. cette nuit même... Comme Votre DE WINTER. Et comment les enlever...
liiajesté le voit, iln'y a pas de temps à perdre. ATHOS. Avez-vous seulement quatre hom
LE ROI. Pas de temps à perdre l pourquoi mes sur lesquels vous puissiez compter , mi
faire, puisque vous dites que je suis vendu?. .. lord?
ATHOS. Pour profiter de la nuit, sire, pour DE WINTER. Oui, mais dans mes propres
traverser la Tyne, pour rejoindre en Ecosse serviteurs. ‘
lord Montrose, qui ne vous vendra pas, lui. ATHOS. Allez les prendre, et faites le coup.
LE ROI. Et que ferai-je en Ecosse? une DE WINTER. J'y vais.
guerre de partisan; comte, une pareille guerre Il sort.
est indigne d'un roi. ARAMIS. Et nous, comte, qwallons-nous
ATHos. L'exemple de Robert Bruce est là faire pendant ce temps? '
pour vous absoudre, sire. I.E ROI. Venez, messieurs, je vais vous oc
LE ROI. Non, comte... non, il y a trop cuper à quelque chose.
longtemps que je lutte... je suis au bout de ll va à une armoire; il en tire deux plaques de l'ordre
mes forces, ils m'ont rendu, qu'ils me livrent, i du la Jarretière.
LES MOUSQUETAIRES. 35
ATHOS. Que faites vous, sire? ATHOS. Il y a encore un moyen, sire.
LE ROI. Agenoux, comte. LE ROI. Lequel?
ATHOS. Sire, ces ordres ne peuvent être ATHOsQue Votre Majesté au lieu de gar
pour nous. der son costume si connu, prenne celui de
LE nOI. Et pourquoi cela?... l'un de nous et nous donne le sien; tandis
ATHos. Ces ordres sont presque royaux. qu'on s'acharnent àceluiqu'on prendra pour
LE ROI. Passez-moi en revue tous les rois le roi, peut-être le roi parviendra-t-il à se
du monde mes frères... qui nfabaudonnent sauver.
en ce moment, et trouvez-moi plus grands ARAMIS. L'avis est bon, sire, et si Votre
cœurs que les vôtres! Non, non, messieurs, Majesté veut bien faire àl'un de nous cethon
vous ne vous rendez pas justice, mais cela me neur....
regarde, moi... A genoux, comte. LE ROI. Que pensez-vous de ce conseil, de
ATHOS. Vous l'ordonnez, sire. Winter?
LE nOI, tirant son épée. Je ne vous dirai DE WINTEn. Je pense que s'il y a un moyen
pas... je vous fais chevalier, soyez brave, fi au monde de vous sauver , le comte de la
dèle et loyal, je vous dirai : Vous êtes brave, Fère vient de le proposer.
fidèle et loyal, je vous fais chevalier... A votre LE ROI. Blais c'est la mort ou tout au
tour, monsieur d'Herblay. .. moins la prison pour celui qui prendra ma
Aramis le met à genoux; au même moment, de Winter place.
paraît au fond avec quatre hommes. DE WINTER. C'est l'honneur d'avoir sauvé
LA SENTINELLE. Qui vive? ' son roi... Choisissez, sire.
DE WINTER. Charles et loyauté. LE nOI. Venez. de Winter.
LA SENTINELLE. Avancez à l'ordre. DE WINTER. Oh! merci, mon roi!
AnAMIS, se relevant. Merci, sire. ATHOS. C'est juste, il y a plus longtemps
ATHOS, étendant la main cers les senti qu'il le sert que nous.
nelles. Ecoutezl... ARAMIS. llâtez-vous, sire; nous garderons
Pendant ce temps , de Winter et ses hommes se sont l'entrée de votre tente. ('I'o'ts deuœ se pla
emparés d'une des sentinelles; mais l'autre, qui u cent en sentinelle, l'épée d la main: pendant
entendu le bruit, met sa pique en arrêt. ce temps, le roi donne d de Winter son cor
LA SENTINELLE. Qui vive? don du Saint Esprit,son chapeau et son pour
ARAMIS, qui est sorti de la tente derrière point; en échange de Winter donne au roi
elle, lui mettant son poignard sur la poi ‘le: mémes objets , plus la cuirasse de cuivre.
trine. Si tu dis un mot tu es mort. Au moment où l'échange se termine et où le
ATHOS, aux: hommes de de Winter. Em Roi sort par le fond de la tente, on ‘voit
menez ces deux sentinelles, et gardez-lesà venir une patrouille composée de site hom
vue. mes.) Qui vive?
ARAMIS. Et au premier mot, au premier si ATHOS. Qui vive?
gne, au premier geste qu'elles feront pour UARTAGNAN, d Jtordaunt au fond. Sin
donner l'alarme, tuez-les. gulier pays que le vôtre, monsieur, où l'on
DE WINTER. Maintenant, sire, nous som tire toujours la bourse et jamais l'épée.
mes prêts. , rORTHOS. Il paraît que dest l'usage en
On emmèneles deux hommes. Angleterre.
LE nOI. Il faut donc fuir ! MORDAUNT. Par l'épée ou par l'argent peu
ATHOS. Fuir à travers une armée, sire, dans importe. messieurs; vous voyez que le camp
tous les pays du monde cela s'appelle charger. est à nous.
LE ROI. Allons donc, messieurs. UARTAGNAN. C'est égal voilà une étrange
DE WINTER, d Aramis. Est-ce que l'un de guerre.
nous est blessé? je vois à terre des taches de ATHOS et ARAMIS. Qui vive donc?
sang. MORDAUNT. Charles et loyauté !
ATHOS, qui a déjd fait quelques pas en ARAMIS ET ATHOS. On ne passe pas.
dehors. Ecoutez, sire, écoutez. MORDAUNT. Comment, on ne passe pas? '
LE R0I. Qu'y a-t-il? UARTACNAN. A la bonne heure, cela se
ATHOS. J'entends le piétinement d'une gâteàla fin, et je commence à croire que
troupe nombreuse, j'entends le bannissement nous tirerons l'épée.
des chevaux. MORDAUNT. Qui donc a changé le mot
ARAMIS. Il est trop tard; nous sommes d'ordre?
cernés. ' ARAMIS. Le roi!
DE WINTER fait deua: pas en avanttandis MORDAUNT. Pourquoi cela?
que le roi et ses deux compagnons écoutent, ATHOS. Parce que vous êtes des traîtres.
puis il revient. C'est l'ennemi! D'ARTAoNAN. Des traîtresl!
LE nOI. Ainsi, tout est perdu! ronIHOS. Il adit des traîtres, je crois.
36 MAGASIN TBÉAmAI.
D'ARTAGNAN. Voilà une dure parole, mes UARTAGNAnt, regardant ses amis. Mor
sieurs, et nous allons , j'en ai peur, vous la dious!... (A Mordaunt.) Bonne prise, ami
faire rentrer dans la gorge. Mordaunt. bonne prise... nous en tenons
ARAMIS. Venez-y! chacun un, monsieur Duvallon et moi... des '
MORDAUNT. Bien... faites tête , messieurs ; chevaliers de la Jarretière, rien que cela.
nous, àla tente du roi! (A ses hommes.) Venez! MORDAUNT. Mais ce sont des Français, ce ‘
(Athos combat durtagnan. Aramis Porthos. me semble.
Tous quatre sont d'égale force... Tout d IYARTAGNAN. Des Français...
coup Mordaunt parait au fond de la tente. ATHOS. Je le suis.
Les hommes qui suivent Mordauntprennent
dc Winter et crient: Le roi! le roi! pre UARTAGNAN. Eh bien! ils sont prison
nez-le vivant! regardant de Winter pour le niers de compatriotes.
roi.)Non,ce n'est pas le roi... non, vous vous LE ROI, d Athos et d Aramis. Salut, mesp
trompez; n'est-ce pas, milord de Winter, que sieurs; la nuit a été malheureuse, mais ce
vous n'êtes pas le roi? N'est-ce pas, milord n'est pas votre faute, Dieu merci. Où est
de ‘Vinter, que vous êtes mon oncle? mon vieux de Winter?...
DE WINTER, reculant devant Mordaunt. MORDAUNT. Cherche où est Strallort?
Le vengeur ! LE ROI, apercevant le cadavre. En elTet...
MORDAUNT. Souviens-toi de ma mère l... comme Strallort il a reçu le prix de sa fidé
(Il tac de Winter d'un coup de pistolet. A lité ! (Il tfagenouille devant de Winter, sou
la lueur des [lambeaux les quatre amis se lève sa tête. et l'embrasse au front.) Adieu,
reconnaissent, passent l'épée de la main cœur fidèle, qui es allé chercher là-haut la
droite a gauche, et disent en même temps :) récompense du dévouement et me préparer
Mousquetaires! celle du martyre, adieu!
DÏARTAGNAN, bas, d Athos. Rendez-vous, UARTAGNAN. De Winter est donc tué?
Athos; vous rendre à moi, ce n'est pas vous ATHOS. Oui, par son neveu.
rendre. UARTAGNAN. C'est le premier de nous qui
rORTHOS. Aramis, vous comprenez! s'en va; qu'il dorme en paix, c'était un
AnAnas. Je me rends. brave.
MORDAUNT, agenouillé prés du corps de LE ROI. lllaintenant, messieurs, conduisez
de Winter. Deux! moi où vous voudrez.
ATHos, montrant Mordaunt. Voyez-vous GROSLOW. L'ordre du général CromWell
ce jeune homme ? est de vous conduire à Londres.
IÏARTAGNAN. Le fils de Milady , n'est-ce LE RO1. Quand dois-je partir?
pas? ' GRosLOW. A l'instant même.
posa-HOS. Le moine. LE RO1. Allons!
ARAMIS. Oui ! ATHOS, au Roi qui s'éloigne. Salut à la
HARTAGNAN. Ne soufflez pas un mot, ne Majesté tombée.
faites pas un geste, ne risquez point un regard UARTAGNAN. Mordious, Athos, vous nous
pour moi ni Porthos... car lililady n'est pas ferez tous égorger.
morte, et son âme vit dans le corps de ce
démon. Le Roi sort de scène.
Pendant ce temps le Roi a été entouré, repoussé sur MORDAUNT, d Jilrtagnan et d Porthos.
le devant de la scène. Venez-vous chez le général, messieurs? il aura
LE RO1. Qui de vous osera le premier por des compliments à vous faire.
ter la main sur son roi? DULRTAGNAN. Avec bien du plaisir. mon
GnOSLOW, entrant. CharlesStuart, rendez sieur... mais il faut d'abord que nous met
moi votre épée. tions nos prisonniers en lieu de sûreté...
LE nOI. Colonel GrosloW, le roi neserend Savez-vous, monsieur, que ces gentilshommes
pas; l'homme cèdeà la force, voilà tout. valent chacun deux mille pistoles?
Il brise son épée. MORDAUNT. Oh! soyez tranquille; mes sol
GROSLOW. Victoire, messieurs! le roi est dats les garderont, et les garderont bien...
prisonnier, nous tenons le roi. je vous réponds d'eux!
MORDaUNT, se retournant. Le roll... Le UARTAGNAN. Je ne voudraispas leurdon
roi est-il pris? ner cette peine, et je les garderai encore
pros-incas VOIX. Oui! oui! mieux moi-même... D'ailleurs, que faut-il?
MORDAUNT. Bien ! il ne nous manque plus une bonne chambre fermée de barreaux...
que... comme celle-ci, par exemple, avec des senti
Il aperçoit les quatre amie. nelles, ou leur simple parole qu'ils ne cher
ATHOS. Il nous a vus. cheront pas à fuir... car dans notre pays la
ARAMIS. Laissez-moi le tuer. parole vaut le jeu, dit un proverbe... Je vais
LES MOUSQUETAIRES. 37
mettre ordre à cela, monsieur; après quoi, | LE SERGENT. Non, monsieur.
j'aurai l'honneur de me présenter chez le UARTAGNAN. Alors, pourquoi vous tenez
général, et de lui demander ses ordres pour vous là, s'il vous plaît?
retourner en France. LE SERGENT. Parce que nous avons l'ordre
MORDAUNT. Vous comptez donc partir de vous aider à garder les prisonniers.
bientôt? UARTAGNAN. Vraiment... et qui vous a
UARTAGNAN. Notre mission est finie, et donné cet ordre?
rien ne nous arrête plus en Angleterre que LE SEnGENT. Monsieur Mordaunt.
le bon plaisir du grand homme près lequel UARTAGNAN. Je le reconnais à cette atten
nous avons été envoyés. tion délicate... Tenez, mon ami.
MORDAUNT. Bien, messieurs. (A un Ser LE SERGENT. Qu'est-ce que cela?
gent.) Sergent Harry, prenez dix hommes UARTAGNAN. Une demi—couronne, mon
avec vous et gardez cette porte... et sous ami, pour boire à la santé de monsieur Mor
aucun prétexte ne laissez sortir les deux daunt.
prisonniers. LE SERGENT. Les puritains ne boivent pas.
LE SERGENT. Et les deux autres? Il met la pièce dans sa poche.
MORDAUNT. Ils sont libres... Maintenant, PORTHOS, reparaissant. C'est fait!
connaissez-vous cette maison? UARTAGNAN. Silence donc!
LE SERGENT. J'y ai commandé un poste. PORTHOS. Je n'ai pas dit ce qui était fait.
MORDAUNT. A-t-elle une autre sortie que UARTAGNAN. ll vaudrait mieux... Tenez,
celle-ci? Porthos rentrez et ne sortez plus que quand
LE SERGENT. Non. vous m'entendrez tambouriner sur la porte
MORDAUNT. Ils ne peuvent donc fuir? la marche des Mousquetaires.
LE SERGENT. Impossible! rORTuOS. Bien, je rentre... Mais vous,
MORDAUNT. Bien. Savez-vous où est le que faites-vous là?
général Cromwell? l UAsTAGNAN. Moi, rien... je regarde la
LE SERGENT. A Newcastle, probablement. une.
MORDAUNT, sortant. Mon cheval! mon
cheval!
Pendant ce temps , dflhrtagnan a fait rentrer les deux SCÈNE n.
amis dans la maison dont il a fenné la porte et a
mis la clef dans sa poche, Porthos le regarde faire.
LEs Meurs, CROMWELL.
ll entre lentement dans la tente par le fond.
UAIITAGNAN. Ami Porthos, pendant que
je vais garder religieusement le seuil de cette CRoMWELL. Il y a deux portes à cette
porte, vous allez me faire le plaisir... Appro tente, l'une par laquelle il est sorti et qui con
chez-vous plus près, que ces deux drôles-là duit à l'échafaud, l'autre par laquelle j'entre
n'entendent pas ce que nous disons... Vous et qui mène au trône; me voilà où il était...
allez me faire le plaisir de réunir Grimaud, peut-être vais-je où il va. orgueilleux
Mousqueton et Blaisois. Charles Stuart... qui l'eût dit, il y a dix ans,
PORTHOS. C'est facile; je leur ai indiqué il y a un mois, il y a une heure , qu'ici, sur
un endroit où ils doivent s'occuper de nous cette table, avec ce papier préparé pour toi,
préparer à souper. avec cette plume que tu as trempée dans
WARTAGNAN. Bon, nous souperons demain l'encre , j'écrirais aux rois de l'Europe :
matin... Allez les trouver, Porthos; qu'ils Charles Stuart n'est plusvotre frère. Ecrivons.
tiennent nos chevaux prêts à tout événement (Mordaunt apparaît sur la porte de droite.
derrière cette maison. avec un léger mouvement d'impatience. )
PORTHOS. Pourquoi ne couchons—nous pas J'avais dit que je voulais être seul.
ici? MORDAUNT. On n'a pas cru que cette dé
IÏARTAGNAN. Parce que l'air y est mal fense regardât celui que vous appelez votre
sain. fils, monsieur... Cependant, si vous l'ordon
rORTuOS. Bah! nez je suis prêtà sortir.
IÏARTAGNAN. C'est comme j'ai l'honneur CRoMWELL. Ah! c'est vous , Mordaunt!
de vous le dire. puisque vous voilà, c'est bien, restez.
PORmos. Alors, c'est autre chose. MORDAUNT. Je vous apporte mes félicita
ll s'éloigne et sort. tions, monsieur,
IYARTAGNAN, seul sur le plus haut degré. CROMWELL. Vos félicitations? et de que 3
Le sergent Harry et les hommes se sont éta MARDAUNT. De la prise de Charles Stuart" .
blis devant la maison. Maintenant, voyons vous êtes maintenant le maître de lïlngle
ce que font là ces drôles... (Il descend une terre. '
marche.) Mes amis, désirez-vous quelque CItOMWELL. Je l'étais bien mieux il y a
chose? deux heures.
38 MAGASIN 'rnÉA'rnAI.
MORDAUNT. Comment cela, général? CROnWELL. Ils ont donc olTert une rançon
CROMWELL. Il y a deux heures Fangle considérable?
terre avait besoin de moi pour prendre le MORDAUNT. Je ne me suis pas occupé s'ils
tyran... maintenant le tyran est pris. Le colo avaient ollert une rançon.
nel du régiment des gardes de Charles CROMWELL. Mais ce sont des amis à vous?
Stuart... celui qui avait pris le costume de MORDAUNT. Oui, monsieur, vous avez dit
roi, a été tué, m'a-t-on dit. le mot, des amis à moi, et des amis bien
MORDAUNT. Oui, monsieur. chers... si chers... que je donnerais ma vie
CROMWELL. Par qui ‘t pour avoir la leur.
MORDAUNT. Par moi. CROMWELL. Bien , Mordaunt; je te les
CnOMWELL. Comment se nommait-il? donne; fais-en ce que tu voudras.
MORDAUNT. Lord de Winter. MORDAUNT, se jetant d genouæ. Merci,
CROMWELL. C'est votre oncle. monsieur... merci... ma vie est désormais à
MORDAUNT. Les traîtres à l'Angleterre ne vous, et en la perdant je vous serais en
sont pas de ma famille. core redevable; merci; vous venez de payer
CROMWELL, avec mélancolie. Mordaunt. magnifiquement mes services.
vous êtes un terrible serviteur. CROMWELL. Quoi! pas de récompense,
MoRDAUNT. Quand le ciel ordonne, il n'y pas de titres, pas de grades?
a pas à marchander avec ses ordres. MORDAUNT. Vous m'avez donné tout ce
CROMWELL, s'inclinant. Vous êtes fort que vous pouviez me donner, milord... et,
parmi les forts, Mordaunt... allez... de ce jour, je vous tiens quitte du reste. (Il
MORDAUNT. Avant de m'en aller j'ai quel s'élance hors de la tente. Au Sergent :) Les
ques questions à vous adresser, monsieur, prisonniers sont toujours là?
et une demande à vous faire. mon maître. LE SERGENT. Oui, monsieur.
CROMWELL. A moi? MORDAUNT. Prenez-les, et conduisez-lesà
MORDAUNT, s'inclinant. A vous! Je viens l'instant même à mon logement.
à vous, mon héros, mon protecteur, mon IYARTAGNAN. Plaît-il, monsieur?
père et je vous dis : Maître, êtes-vous con MORDAUNT. Ah! vous êtes là?
tent de moi? DUARTAGNAN. Oui.
CROMWELL , le regardant avec étonne MORDAUNT. Vous avez entendu, alors?
ment. Sans doute, car depuis que je vous UARTAGNAN. Oui, mais je n'ai pas com
connais , vous avez fait non-seulement votre pris.
devoir, mais encore plus ue votre devoir... MORDAUNT. Monsieur, j'ai chargé cet
Vous avez été fidèle ami. adroit négociateur. . . homme de conduire les prisonniers à mon
bon soldat; mais où votilez-vous en venir?... logement.
MORDAUNT. A vous dire, milord, que le IYARTAGNAN. A votre logement... com
moment est venu où vous pouvez d'un seul ment dites-vous cela, s'il vous plaît ?... Par
mot récompenser tous mes services. don de-la curiosité; mais, vous comprenez,
je désire savoir pourquoi les prisonniers faits
CROMWELL. Ah !c'est vrai, monsieur, j'ou par M. Duvallon et M. dîrîrtagnan doivent
bliaisque toutservice mérite sa récompense...
être conduits chez M. Mordaunn
que vous m'av'ez servi, et que vous n'êtes pas
encore récompensé. MORDAUNT. Parce que les prisonniers sont
MORDAUNT. Monsieur, je puis l'être à l'ins
à moi, et que j'en dispose à ma fantaisie.
tant même et au delà de mes souhaits. UARTAGNAN. Permettez... vous faites er
reur; les prisonniers sont à ceux qui les ont
CROMWELL. Comment cela? pris... Vous jmuviez prendre monsieur votre
MORDAUNT. Monsieur, maccorderez-vous oncle, vous l'avez tué... vous en étiez le
ma demande? maître... Nous pouvions tuer messieurs de la
CROMWELL. Voyons d'abord si cela est Fère et dllerblay'... nous les avons pris...
possible. chacun son goût.
MORDAUNT. Lorsque vous avez eu un désir
PORTHOS, qui écoute de l'intérieur. Oh!
et que vous m'avez chargé de son accom
plissement, vous ai-je jamais répondu : Ce oh!
que vous voulez est impossible, monsieur? MORDAUNT. Monsieur, vous feriez une ré
sistance inutile; ces prisonniers m'ont été
CROMWELL. Eh bien donc, Mordauut, je
vous promets de faire dIoit à votre demande. donnés par le général Olivier Cromwell.
MORDAUNT. Monsieur, avec le roi on a DUtRTAGNAN. Ah! monsieur Mordaunt....
fait deux autres prisonniers; je vous les de que ne commenciez-vous par me dire cela!
En vérité, vous venez de la part de monsieur
mande.
CROMWELL. Des Anglais? Olivier Cromwell, l'illustre capitaine?
MORDACNT. Des Français. MORDAUNT. Oui, monsieur.
t
LES AIOUSQUEIKAIRES. 39
D'ARTAGNAN. En ce cas, je m'incline; qui fait qu'en ce moment nous représentons
prenez-les. le roi et monsieur le cardinal... Il en résulte
rORTHOS. Eh! mais, que dit-il donc? qu'en notre qualité d'ambassadeurs, nous
nORnAUNT. Merci! sommes inviolables... chose que monsieur
D'ARTAGNAN. Mais si le général Cromwell Olivier Cromwell, aussi grand politique qu'il
vous a en réalité faitdon de nos prisonniers, est grand général, est homme à parfaitement
monsieur, il vous a sans doute fait par écrit comprendre.
cet acte de donation; il vous a remis quelque MORDAUNT. Eh bien alors, monsie ur,
petite lettre pour moi... un chiffon de papier suivez-moi chez lui.
qui atteste que vous venez en son 110111.... UARTAGNAN. Oh! je n'oserais le déran
Veuillez me montrer cette lettre... veuillez me gel‘... De pareilles familiarités sont bonnes
confier ce chilien. pour vous, qui êtes son secrétaire, son ami...
MORDAUNT. Lorsque je vous dis une c'est bon pour vous qu'il appelle son fils.
chose, monsieur, me ferez-vous l'injure d'en MORDAUNT. C'est bien; attendez-moi là,
douter? monsieur; j'y vais.
UARTAGNAN. Moi, douter de ce que vous UARTAGNAN. Comment donc...
me dites, cher monsieur lllordauntl Dieu MORDAUNT. Ne perdez pas ces hommes de
m'en garde... mais vous comprenez, si j'a vue.
bandonne mes compatriotes, il me faut une LE SERGENT. Soyez tranquille.
excuse... De retour en France, on peut me Mordaunt entre dans la tente.
reprocher de les avoir vendus, par exemple, MORmmfr, d Cromwell. Monsieur...
et je dois répondre à cette accusation en CROnWELL, écrivant. Un instant, Mor
montrant l'ordre de monsieur Cromwell. daunt; j'ai fini. .
MORDAUNT. C'est juste, monsieur; cet UARTAGNAN. -Ami Porthos, avez-vous tou
ordre vous l'aurez. jours ce joli poignet quifaisait de vous l'égal
PORTHOS. Que dit-il donc? de Milon de Crotone?
MORDACNT. Mais, en attendant, laissez PonTHOS. Toujours.
moi toujours prendre les prisonniers. UARTAGNAN. Feriez-vous toujours, comme
UARTAGNAN. Oh! monsieur, le général autrefois, un cerceau avec une barre de fer,
Cromwell est là, dans la tente du roi Charles... et un tirebouchon avec le manche d'une
c'est un retard de cinq minutes à peine, pelle à feu?
voilà tout. rORTHOS. Certainement.
Il tambourine sur la porte avec une baguette. UARTAGNAN. Alors rentrez, tirez à vous un
MORDAUNT. Savez-vous, monsieur, que je des barreaux de la fenêtre jusqu'à ce qu'il
commande ici? vienne... entendez-vous? jusqu'à ce qu'il
Porthos sort et se placesur le seuil. vienne.
UARTAGNAN. Non, je ne le savais pas. PORTHOs. Il viendra.
MORDAUNT. Et que, si je le voulais, avec DmRTAGNAn. Faites passerparcebarreau. . .
ces dix hommes.. .. Athos le premier, Aramis ensuite, vous le
UARTAGNAN. Oh! monsieur, on voit bien troisième.
que vous ne nous connaissez pas, quoique PORTHOS. Bien! mais vous?
nous ayons eu l'honneur de voyager dans rÿARTAcxNAN. Ne vous inquiétez pas
votre compagnie : nous sommes Français, moi.
nous sommes gentilshommes... nous sommes rORTHOS. Bon!
capables, M. Duvallon et moi... de vous tuer, Il entre.
vous et vos soldats. N'est-ce pas, monsieur CROMWELL. Que demandez-vous, Mor
Duvallon? daunt?
PORTHOS. Oui! MORDAUNT. L'ordre écrit, monsieur, l'or
UARTAGNAN. Pour Dieu, ne vous obs dre de prendre les deux hommes... On re
tmez pas, monsieur Mordaunt... car lors fuse de me les remettre si je n'apporte cet
qu'on s'obstine, je m'obstine aussi; alors je ordre écrit de votre main.
deviens d'un entêtement féroce, et voilà
monsieur Duvallon qui, dans ce cas-là, est CROnWELL. Mais...
encore bien plus entêté et bien plus féroce MORDAUNT. Ah! vous m'avez promis les
que moi.... N'est-ce pas, monsieur Du deux hommes, monsieur... me les refus ez
. vallon? vous maintenant?
PORTHOS. Plus entété et plus féroce, c'est CROMWELL. Vous avez raison.
le mot. ll prend un papier et écrit.
WARTAGNAN. Sans compter que' nous som MORDAUNT, de la tente, au Sergent. Ils
mes envoyés par monsieur le cardinal Maza y sont toujours?
rin, lequel représente le roi de France... ce LE SERGENT. Oui.
a0 MAGASIN THEATRAL.
MORDAUNT. Rien ne bouge? | cette femme vient d'arriver au camp... qu'or
En ce moment Athos descend. donnez-vous d'elle?
LE SERGENT. Rien! CROMWELL. Elle est libre d'aller où elle
MOBDAUNT. Bon! voudra; nous ne faisons pas la guerre aux
Aramis passe à son tour. femmes.
nmRTAGNAn, entrbuvrant la porte. Eh UARTAGNAN, qui a passe par la fenêtre.
bien? Serviteur, monsieur Mordaunt!
PORTHOS, d moitié sorti. C'est fait! MORDAUNT. ltlonsieur d'Artagnan.... A
UARTAGNAN. Bravo, Porthos! moi, sergent; aidez-moi à enfoncer cette
CROMWELL, d Mordaunt. Voici l'ordre. porte... (On l'enfance. Mordaunt s'élance
UARTAGNAN. Y êtes-vous? dans Pintériettr, et voit le barreau enlevé.)
PORTHOS. Oui! Ah! Aux armes l... aux armes l...
UARTAGNAN. A mon tour alors. CROMWELL, se levant. Qu'y a-t-il?
Il rentre et ferme la porte au verrou. MORDAUNT. Ceshommes. .. cesprisonniers,
ces démons... A moi... Evadés!... Ah! aux
MORDAUNT, sortant de la tente. Monsieur armes! aux armes!...
d'Artagnan l monsieur d‘Artagnan! me Il sort en courant suivi d'une foule de Soldats.
voilà l... (Il monte les degrés.) La porte est CROMWELL. C'était pour tuer ces deux
fermée! hommes qu'il me les demandait! quels sont
FINDLEY entre dans la tente. Général, donc mes serviteurs?

, ACTE TROISIÈME.

Sixième Œahlcan. ÿ - .1: Ï


La Place du Parlement.
A gauche, la façade de l'hôtellerie de la Corne du Cerf; à droite. l'entrée du Parlement.

SCENE UNIQUE. ATHOS. Je dis que nous sommes alfreux.


ARAMIS. Nous devons puer le puritain à
LE PEUPLE traversant la scène, FINDLEY, faire frémir.
TOM LOWE, ATHOS, ARAMIS, D'AR UARTAGNAN. Moi, je me sens une énorme
TAGNAN,PORTHQS,LEROLLAREINE. envie de prêcher.
TOUS. Au Parlement! au Parlement! PORTHOS, entrant. Brrr... j'ai froid à la
FINDLEY, en faction d la porte du Parle tête, et ce maudit brouillard m'a péuétré
ment. On ne passe pas. jusqu'aux os, en dépit de cette vile casaqne
TOM LOWE. Comment, on ne passe pas ?... qui cache notre habit de mousquetaire.
On refuse au peuple l'entrée du Parlement... ATHOS, a dbtrtagnan. Vous venez de la
Camarades, enfonçons les portes! séance 7
TOUS. Enfonçons les portes! UARTAGNAN. J'arrive.
Ils forcent l'entrée et passent malgré les Gardes. ATHOS. Qu'avez-vous appris?
ATHOS sort de l'hôtellerie avec Aramit. UARTAGNAN. Que l'arrêt sera rendu au
Chevalier, je n'y tiens plus... le peuple vient jourd'hui, et qu'on le rend peut-être en ce
d'entrer au Parlement , il faut que nous moment.
xoyons par nous-mêmes. ATHOS. Qui donc?
ARAMIS. Et d'Artagnan qui ne revient pas! IYARTAGNAN. Le Parlement pur.
UARTAGNAN , arrivant en costume d'ou ARAMIS. Comment le Parlement pur? il ya
vrier. Me voici... me voici... Eh bien, nous donc deux Parlements?
sommes donc prêts? UARTAGNAN. Par le Parlement pur, cher
ATHOS, vêtu en homme du peuple. Oui, ami, on entend le Parlement que monsieur
cher ami. le colonel Pridge a épuré.
ARAMIS, en costume bourgeois. Il n'y a_ AIIAMIS. Ah! vraiment, ces gens-là sont
plus que Porthos qui cherche un miroir. donc du plus suprême ingénieux... D'Arta
Allons, Porthos. gnan, il faudra, quand vous reviendrez en
UARTAGNAN. Eh bien, que dites-vous des France, que vous donniez ce moyen à mon
nouveaux costumes que je vous ai trouv-és? sieur de Itlazarln... et à monsieur le coadju
LES MOUSQUETAIRES. M
leur; l'un épurera au nom de la cour, l'autre LE PEUPLE. Vive le Parlementl... vive
au nom du peuple; de sorte qu'à force monsieur Cromwell!
d'épuration, il n'y aura plus de Parlement du ATHOS. Le roi condamné à mort!
tout. UART/tGma. Venez, Athos, venez; tout
PORTHOS. Qu'est-ce que le colonel Pridge, n'est pas perdu, que diable l... on est gas
d'abord? con... et l'on a plus d'un tour dans sonsac...
UART/tGNaN. Le colonel Pridge , mon Eh bien, nous allons voir.
cher Porthos , est un ancien charretier; ATHOS. Ami, tout est fini pour le roi.
homme de beaucoup d'esprit, lequel avait UAnTAGNAN. Et moi je vous dis que non.
remarqué une chose en conduisant sa char LES GARDEs. Place, place!
rette ; c'est que, lorsqu'une pierre se trouvait PARRY, sortant le premier. Sire, au nom
sur sa route , il était plus court d'enlever la du ciell... Sire, ne regardez pas à votre
pierre que de faire passer la roue par-dessus. droite en sortant.
Or, sur deux cent cinquante-et-un membres ll cherche à détourner l'attention du Roi qui descend
dont se composait le parlement, cent quatre l'escalier du Parlement.
vingt-onze le gênaient et auraient pu faire
verser sa charrette politique... il les a pris, Ln nOI. Et pourquoi cela , mon bon
Parry ?
comme autrefois il prenait sa pierre, et les
a ‘étés hors de la chambre. PARnY. Ne regardez pas, je vous en sup
rORTHOS. Joli! plie, mon roi...
UARTAGNAN. Commencez-vous à croire LE RO1. Mais qu'y a-t-il donc ?
que dest une cause perdue, Athos? PARRY. Ah ! que vous importe !
ATHOS. Je le crains; mais cela ne chan LE ROI. N'as-tu pas entendu qu'ils me
gera rien à me résolution. reprochaient de n'avoir rien vu par mes
tYARTAnNAn. Et par conséquent à la yeux... Parry, je n'ai plus que trente-six
mienne. Vous savez ce qui est convenu entre heures à vivre... je veux voir... (Il écarte
nous, Athos; partout où vous allez, je vous Parry et regarde dans la coulisse.) Ah! ah!
suis; ce que vous faites, je le fais; entrenous, la hache l... épouvantail ingénieux et bien
même passé , même avenir , et puisque digne de ceux qui ne savent pas ce que c'est
nous avons même cœur, ayons même sort... qu'un gentilhomme..... Eh bien! hache du
Mais vous le savez, Athos, tout cela està une bourreau, tu ne me fais pas peur (il frappe
le billot avec sa canne). et je te frappe, en
condition. . .
ATHOS. Laquelle? attendant patiemment et chrétiennement que
UARTAGNAN. C'est que si jamais monsieur tu me le rendes!... Allons!... (Il se remet en
Mordaunt me tombe entre les mains, vous ne
marche.) Que de gens... et pas un ami !
serez pas là pour vous opposer à ce que nous ATHOS. Salut à la majesté tombée!
fassions de lui selon notre plaisir. TUMULTE. Ah! ah l.... mort aux Stuar
ATHOS. D'Artagnan, pourquoi vous achar tistes!
ner sur ce jeune homme? CHARLES. Qu'ai-je vu?
NARTAGNAN. Vous êtes charmant, sur NARTAGNAN et PORTHOS , se jetant de
mon honneur! pourquoi m'acbarner sur chaque côte duthos. ArIière!
un serpent, sur un tigre enragé! Sans compter ARAMIS, se glissant pres du rot‘. Tout
que vous ne l'avez pas vu regarder le roi n'est pas perdu encore, sire; nous veillons.
Charles d'une certaine façon... Si vous aviez TOM LOWE. Salut;qu'cst-ce qu'ilditdonc?
surpris ce regard-là comme moi, Athos, je îailens, Majesté, voilà comme Tom Lowe te
vous déclare que vous écraseriez monsieur ue.
Mordaunt sans pitié ni miséricorde, car ce Il ramasse une pierre qu'il jette au Roi; on le retient.
regard voulait dire: Roi Charles, je te tuerai CHARLES. Le malheureux! pour une demi
comme j'ai tué le bourreau de Béthune, couronne il en eût fait autant à son père.
comme j'ai tué mon oncle. Quand il tua de ATHOS, prtt à s'élancer. Ob! le misérable!
Winter, nous l'avons tous entendu compter UARTAGNAN. Pas un mot, Athos; je me
deux... Prenez garde qu'il ne compte trois, charge de cet homme.
Athos. CHARLES. Mon Dieu ! donnez-moi la rési
PORTHOS. A quoi bon revenir lii-dessus, gnation... soutenez-moi jusqu'au bout de
puisque c'est une chose décidée... mon martyre.
ATHOS. Voyons, je vous prie, des nou LA REINE. Non, non, laissez-moi, je veux
velles du roi. le voir, je veux lui parler. . .
Rumeurs du peuple. ATHOS. La reine! la reine, à Londres!
CRIS. Vive le Parlement! ARAMIS. Comte, un peu de patience!
'IOM LOWE, sortant du Parlement. Con LA REINE. Charles, mon roi!
damné! condamné! Elle se précipite, fend la foule et arrive jusqu'à Charles.
a2 '
MAGASIN 'l‘HËA'l‘RAL.
CHARLES. HenrietteL... toi ici.... mon TOM LOWE. Ah! parce que tu as le cœur
attge bien aimé... Ah! je puis mourir main d'un lâche; mais ce serait à refaire, que je le
tenant, puisque je t'ai revue. ferais encore.
TOM LOWE. Une femme... quelque maî UN DES HOnnES. C'est comme cela? Eh
tresse... quelque courtisane... place à la bien, adieu!
maîtresse de Stuart. Il sort.
(ZIIARLES. Vous vous trompez, c'est... ce TOM LOWE, essayant de passer, et ron
n'est ni une couItisane ni tua maitresse... contrant toujours quelqu'un. Que me vou
( Il arrache son voile.) Saluez tous, c'est lez-vous?
votre reine! vous ne l'avez pas condamnée, UARTAGNAN. Je vais te le dire.
elle! (Silence profond.) Merci, cœur fidèle TOM LOWE, reculant Jusqu'd Porthos.
et dévoué... pour qui la mauvaise fortune
n'existe point... pour qui la mer n'est pas Hein?
un obstacle, et qui, pareil aux envoyés du UARTAGNAN, le touchant du doigt d la
Seigneur, te plais à planer alu-dessus des poitrine. Tu as été lâche l... tu asinsulté un
abîmes, merci!
homme sans défense, tu vas mourir !. .. (Ara
LA REINE. Mon Charles! bénissez-moi! mis écarte son manteau et tire une épée.)
(IHARLES. O11! oui... oui l... reçois la Non, pas de fer... le fer est bon pour les
triple bénédiction de celui qui va mourir... gentilshommes... Porthos, assommez-moi ce
Reine, jete bénis l... épouse, je te bénis l... misérable d'un coup de poing.
mère, je te bénis!... ton martyre est plus L'homme recule, Porthos et lui entrent dans la cou
douloureux que le mien, car tu vivras, toi. lisse. On entend un cri et la bruit d'un corps qui
LA REINE. Mon Dieu! mon Dieu! protè tourbe.
gez-le. IYARTAGNAN. Ainsi mourront tous ceux
CHARLES, Fembrassant au front. Insul qui oublient qu'un homme enchaîné est une
tez-la maintenant, si vous l'osez... Allons, tête sacrée.
messieurs, je vous suis. ATHOS. Et qu'un roi captif est deux fois le
La Reine veut suivre Charles; Athos et Aramis la font représentant du Seigneur.
entrer dans l'auberge de la Corne du Cerf. Charles
s'éloigne, tous le suivent, excepté les quatre amis et PORTHOS. rentrant. S'il en revient , cela
Tom Lowe, lequel resto avec un do ses compa m'étonnera beaucoup.
gnons. DUmTAGNAN. Maintenant que chacun se
UN uns HOMMnS. Tu as eu tort de l'in tienne prêt.
sulter, Tom Lowe..." il m'a fait peine, à Tors. Qu'y a-t-il?
moi! tfattrAcnsN. J'ai un projet!

ñtptiimc Œubltau.
La chambre de Whitelmll.
A droite, une fenêtre; à gauche, un lit de repos; au fond, grande porte.

SCÈNE PREMIÈRE. des regards vivants pour me voir mourir.


Soyez tranquilles, mes nobles aïeux... soyez
LE ROI, PARRY, assoupi dans un fauteuil, tranquilles, vous serez contents de moi. (Il
puis ARAMIS, LE COLONEL TOMLINSON. s'assied devant une table.) Hélas! si j'avais
du moins, pour m'assisterà ce moment su
LE ROI, Barrdtant devant Parry. Il dort! prême, une de ces lumières de l'Église dont
le dévouement a cédé à la fatigue... Pauvre l'âme a sondé tous les mystères de la vie,
vieux serviteur... qui m'a couché dans mon toutes les petitesses de la grandeur, peut-être
berceau et qui me couchera dans ma tombe. . . sa voix étoullerait-elle la voix du père et de
Dors, bon Parry... il me semble que je rêve l'époux qui selamente dans mon âme... Mais
moi... et que tout ce qui m'est arrivé depuis j'aurai quelque prêtre à l'esprit vulgaire,
quinze jours est un songe de mon délire. (Il dont ma chute aura brisé la carrière et la
cad la fenêtre.) Mais non, tout est bien réel, fortune, et qui me parlera de Dieu et de la
jevois reluireles mousquets des sentinelles, je mort comme il en a parlé à d'autres mou
vois travailler deshommes près de la fenêtre. . . rants... sans comprendre que ce mourant
j'ai été condamné hier par le Parlement... je royal a plus de choses que les autres à regret
suis prisonnier à Whitehall, et voici les por ter dans ce monde dont on l'arrache vio
traits de mesjmcêtres. . . qui setnblentprendre lemment. L'heure sonne.
LES MOUSQUETAIRES. [t3
PARRY, féreillant. Ah! mon Dieu... par PAnRY. Sire, savez-vous quel est cet ou
don, pardon, sire;je dormais; mais au milieu vrier qui fait tant de bruit?
de mon sommeil... j'ai entendu sonner LE Ro]. Commentveux-tuqueje le sache?
l'heure... quelle heure était-ce, sire? est ce que je connais cet homme, moi?
CHARLES. Six heures; rassure-toi, nous PARnY. Sire... c'est le comte de la Fère.
avons encore quelques instants àdemeurer LE Roi. Parmi ces ouvriers... es-tu fou,
ensemble; ce n'est qu'à huit heures... Parry?
PARnY. Oh! mon roi, il me semble qu'ils PARRY. Oui, paImi ces ouvriers. et qui
n'oseront pas commettre un pareil sacrilège. n'est là sans doute que pour faire un trou à
CHARLES. Que t'ont-ils répondu pour mes la muraille.
enfants? LE RO1. Chut! tu l'as vu?
PARRY. Que Votre ltlajesté pourrait les PARnY. Et Votre Majesté elle-même eût pu
voir. le voir si elle eût regardé du côté de la fe
CHARLES. Et pour mon confesseur? hêtre.
PARnY. Que puisque Votre Majesté avait LE ROI, descendant du lit. En ellet, n'est
choisi M. Juxon, M. Juxon recevrait l'auto ce pas lui qui m'a salué au moment où je
risation de pénétrerjusqu'à elle... Seulement, sortais du Parlement?
leur puritanisme seflraye de voir pénétrer un PARnY. Oui, site, c'est lui-même.
prêtre jusqu'à Votre Majesté dans son cos LE ROI. Ils auront beau dire que je suis un
tume ecclésiastique; ils exigentque M. Juxon tyran; un homme qui a de tels dévouements
soit vêtu en laïque. autour de lui sera viengé par la postérité.
CHARLES. Et Juxon a-t-il consentiît. . . PAnRY. Sire!
PARRY. Pour accomplir les derniers désirs LE RO]. Quoi?
de Votre Majesté, il a dit qu'il était prêt à PARRY. J'entends du bruit dans le corri
tout. dor.
CHARLES. Allons, ils sont meilleurs encore LE nOI. Qui peut venir?
que je ne l'espérais. Parry, je n'ai pas dormi UNE VOIX. M. Juxon!
cette nuit, et je suis bien fatigué. W ÀWWW

PARRY. Sire, jetez-vous un instant sur


votre lit, je veillerai sur vous, et j'espère SCÈNE u.
qu'ils respecteront votre sommeil. LEs MEMEs , ABAMIS, puis LE COLONEL
CHARLES. Oui, un instant seulementpour TOMLINSON enveloppé (Funmanlcau noir
prendre des forces. et coi/fi‘ d'un chapeau d larges bords.
Il se couche; on entend clouer près de la fenêtre. LE RO1. J uxon! soyez le bienvenu, J uxon. ..
PARnY. Ah! mon Dieu, ilne manquait plus Allons, Parry, ne pleure plus; voici Dieu qui
que cela! vient à nous... Entrez, mon père... venez,
CHARLEs. Parry, est-ce qu'il n'y aurait mon dernier ami; je n'espérais pas qu'ils vous
pasmoyen d'obtenir que ces ouvIiers frappent permettraient de me voir.
moins fort? ARAMIS. Quel est cet homme, sire?
Le bruit redouble. LE not. Parry, mon vieux serviteur... un
PARRY. Oui, sire, je vais le leur demander. homme dévoué et que je vous recommande
Il ouvre la lenêtre. après ma mort.
LA SENTINELLE. On ne passe pas. ARAMIS. Alors, si c'est Parry, je n'ai plus
PARnY. Pardon... c'était seulement pour rien à craindre; permettez-moi donc, sire, de
dire à ces ouvriers que le roi lesprie de faire saluer Votre Majesté, et de lui dire pour quelle
moins de bruit. cause je viens.
LA sENTmELLE. Ah! si c'est pour cela, ll se découvre.
parlez-leur. CHARLES. Le chevalier d‘llerblay! Ah!
pAnnY. Mes amis , voulez-vous frapper comment êtes-vous parvenu jusqu'ici... Mon
plus doucement? Le roi dort, et il a besoin de Dieu, s'ils vous reconnaissaient vous seriez
sommeil. (On voit paraître Athos, qui met perdu.
son doigt sur sa bouche.) Monsieur le comte ARAMIS. Ne songez pas à moi, ne songez
de la Férel qu'à vous, sire; vos amis veillent, vous le
LA voix DE UARTAGNAN. C'est bien, c'est voyez.
bien; dis à ton maître que s'il dort mal cette CHARLES. Je le savais, mais je n'y pouvais
nuit, il dormira mieux la nuit prochaine. croire.
PARaY, se reculant. Grand Dieu! est-ce ARAuIS. Comment le saviez-vous, sire?
que je rêve 1' CHARLES. Parmi les ouvriers, Parry a re
Il ferme la fenêtre. connu le comte de la Fère.
LE R0I. Eh bien? ARAMlS. Bien!
ltlt MAGASIN THÉATRAL.
CHARLES. Mais comment cela se fait-il? CHARLES. Et qui a fait ce plan T
expliquez-moi cela; est-il donc seul? ARAMIS. Le plus adroit, le plus brave, et je
ARAMIS. Non, sire, il est avec deux de nos dirais presque le plus dévoué de nous quatre,
amis qui sesont joints à nous et se sont dé le chevalier d'Artagnan.
voués à votre cause. CHARLES. Un homme que je ne connais pas!
CHARLES. Mais que s'est-il fait" . que comp Oh! mon Dieu,vous ne voulez donc pas que
tez-vous faire ? je meure puisque vous faites en ma faveur de
ARAMIS. Sire, hier au soir, au moment pareils miracles !
où devant les fenêtres de Votre Majesté s'ar ARAMIS. Maintenant, sire, n'oubliez pas
rétaieut les voitures des charpentiers, vous que nous veillons pour votre salut... le moin
avez dû entendre un cri. dre signe, le moindre geste, le moindre chant
CHARLES. Oui, je me souviens. de ceux qui s'approchent de Votre Majesté,
ARAMIS. Ce cri, c'est le chef des travaux épiez tout... écoutez tout, commentez tout.
qui l'a poussé ; une poutre a roulé de la voi CHARLES. Chevalier, que puis-je vous dire?
ture et lui a brisé la cuisse. aucune parole, vînt-elle du plus profond de
CHARLES. Eh bien! mon cœur, n'exprimerait jamais ma recon
ARAMIS. Pour que la besogne allât plus naissance. Sivous réussissez, je ne vous dirai
vite, il devait ramener quatre ouvriers au pas que vous sauvez un roi. Non, vue du
maître charpentier; mais sa blessure l'a forcé point où je la vois, la couronne , je vous le
d'envoyer à sa place l'un des hommes avec jure, est bien peu de chose... mais vous con
une lettre de recommandation... nous avons servez un mari à sa femme, un père à ses en
acheté cette lettre avec laquelle nous nous fants... Chevalier. touchez ma main.
sommes présentés au maître charpentier qui ARAMIS. Oh! sire!
nous a reçus. CHARLES. Et la reine... qu'est-elle deve
CHARLES. Mais quel est votre espoir? nue, pauvre femme, au milieu de ce malheur?
ARAMIS. Votre Majesté dit qu'elle a vu le ARAMIS. A l'instant même où Votre Ma
comte de la Fère? jesté venait de quitter la place de Whitehal
CHARLES. Oui. nous avons arraché la reine à ce funeste spec
ARAMIS. Eh bien ! le comte de la Fère perce tacle et nous l'avons conduite à notre hôtelle
le mur... {lu-dessous de la fenêtre de Votre rie. A peine a-t-elle connu nos projets qu'elle
Majesté est un tambour pareil à un entresol. . . s'est éloignée précipitamment de nous, et de
le comte pénètre dans ce tambour, lève une puis ce moment nous ne l'avons pas revue.
une planche du parquet, Votre Majesté passe CHARLES. Pauvre I-lenriette, qu'est-elle
par l'ouverture, on referme la planche, vous devenue?
gagnez un des compartiments de l'échafaud... LE COLONEL TOMLINSON , entrant. Eh bien,
un habit d'ouvrier est préparé, vous descen est-ce fini, messieurs?
dez avec nous, et en même temps que nous... CHARLES. Pourquoi cela, monsieur le colo
CHARLES. Mais il vous faudra un temps nelTomlinson 7
énorme pour en arriver là. LE COLONEL. Parce qu'une femme munie
ARAMIS. Le temps ne nous manquera pas, d'un laissez-passer du général Cromwell de
sire. mande à lui parler.
CHARLES. Vous oubliez que c'est pour huit CHARLEsUne femme! qui cela peut-il être!
heures. Faites entrer, monsieur.
ARAMIS. oui, pour huit heures, mais l'exé LE CoLONEL. Rappelez-vous que vous n'a
cuteur ne se trouvera point. vez plus qu'une heure.
CHARLES. Où est-il donc? CHARLES. C'est bien, colonel.
ARAMIS. Dans une salle basse de l'hôtellerie LE COLONEL. Entrez, madame.
de laCorne du Cerf, gardé par nos trois laquais. On referme la. porte.
CHARLES. En vérité vous êtes des hommes m
merveilleux, et l'on m'eût raconté ces choses
que je ne les eusse pas crues; mais une fois SCÈNE III.
hors de la prison, nos moyens de fuite i
ARAMIS. Une felouque que nous avons fre LES MEMES, LA REINE, puis UN GREFFIEB,
tée nous attend, étroite comme une pirogue, LE COLONEL et LES ENFANTS nu Roi.
légère comme une hirondelle. LA REINE. Mon Charles!
CHARLES. Où cela? CHARLES. Henriettel toi ici, c'estimpossible,
ARAMIS. A Greenwich.‘ Trois nuits de suite, mon Dieu, ou mes yeux me trompent, ou je
le patron et l'équipage se tiennent à notre Suis si malheureux que je suis devenu fou.
disposition; une fois a bord, nous profitons de LA REINE. Non, mon roi, vos yeux ne vous
la marée, nous descendons la Tamise, et en trompent point; non, Charles, vousn'êtes pas
deux heures nous sommes en pleine mer. devenu fou.
a "‘
LEs rIoUsQUETAIREs. a5
CHARLES. Mais qui vous a permis de péné CHARLES. Est-ce lui qui frappe ainsi sous
trer jusqu'à moi? mes pieds!
LA REINE. Le général Olivier Cromwell. ARAMIS. C'est lui-même, et vous pouvez
CHARLES. Cromwell! lui répondre.
AuAMIS. Cromwell! Le Roi frappe avec sa canna.
LA REINE. Oh! déjà il m'avait donné un CHARLES. Que va-t-il faire?
laissez-passer pour vous joindre au camp; ARAMIS. Il va passer la journée ainsi; ce
mais mon guide s'est égaré et nous sommes soir, il lèvera une lame du parquet; Parry.
arrivés trop tard. de son côté, pourra l'aider.
CHARLES. Cromwell? et vous n'avez pas PARnY. Mais je n'ai aucun instrument.
craint d'aller demander une faveur à cet ARAMIS. Voici un poignard, mais prenez
homme? garde de le trop émousser, vous pourriez en
LA REINE. Je ne craignais qu'une chose, avoir besoin pour creuser autre chose que
mon Charles, de ne point te revoir. Instruite de la pierre. ' '
des projets de nos fidèles amis, il fallait aussi, LA REINE. Ah! l'heure sonne!
moi, que j'arrivasse jusqu'à toi; et pour y CHARLES, écoutant. Huit heures!
parvenir, je n'avais qu'un espoir, Cromwell. ARAMIS. Vous voyez bien, sire, que tout
Puis, sois-en persuadé , cet homme n'est pas est remisà demain, puisque huit heures étaient
ce que tu crois, ou du moins, mon Dieu, il le moment fixé.
y a donc des visages impénétrables! Tout à CHARLES. Oh! chère Henriette, retiens
l'heure, près de lui,l'œil attaché sur ses yeux, bien ce que je vais te dire...
sondant tous les replis de cette âme. ton LA REINE. _Parle, mon roi...
Henriette, dont tu es la vie, l'a interrogé, CHARLES. Prie toute la vie pour ce gentil
prié, conjure... eh bien! crois-moi, Charles, homme que tu vois... toute la vie pour cet
croyez-moi, chevalier, loin d'applaudir a cette autre que tu entends sous nos pieds, toute la
mort publique, terrible, infamante, cette vie pour ces deux autres encore qui, quelque
mort, il la repoussait l... et la main sur le part qu'ils soient, veillent à mon salut.
livre sacré pourlui comme pour nous, car ce ARAMIS. Maintenant, sire, permettez-moi
livre, c'est la parole même de Dieu! il m'a juré de me retirer; nos amis peuvent avoir besoin
qu'il ne voulait que votre salut et votre li de moi; si vous redemandez encore une fois
berté, qui, au compte même de son ambition, M. Juxon, je reviendrai.
lui sont plus utiles que votre mort. Charles, CHARLES. Merci, chevalier; recevez toute
mon Charles, ayons donc confiance en Dieu, l'expression de ma reconnaissance.
et croyons qu'il nous a réunis pour que nous LA REINE. Chevalier, jamais je n'oublierai
ne nous quittions plus et pour que je t'ac un seul instant que la vie de mon époux je
compagne dans ta fuite; pour que nous nous la dois à vous et à vos amis.
retrouvions loin de cette terre sanglante, ARAMIS. Ah! madame! mais voilà le jour,
libres , heureux , sur notre belle terre de je pourrais être reconnu; ce n'est paspourmoi
France, qui est ma patrie et qui deviendra la que je crains, c'est pour Votre Majesté; ma
tienne! ' présence avérée dénoncerait le complot.
CHARLES. Mais enfin que t'a-t-il dit? LA REINE. Oui. oui. allez!
LA REINE. Il m'a chargé de vous répéter, CHARLES. Au revoir, chevalier.
sire , ce qu'il vous a déjà fait savoir vingt fois, ARAMIS. Dieu veille sur vous, sire.
assure-t-il; c'est qu'il était sinon le plus fi LA REINE. Encore un mot, chevalier; par
dèle serviteur de Votrelllajesté, du moins don, mais vous comprenez les angoisses d'une
son plus loyal ennemi, et la preuve c'est épouse et d'une mère. . .Cet homme... le bour
qu'il n'était pas au nombre de vos juges. reau, il est bien séduit... acheté... en notre
ARAMIS. Mais, madame, il a signé la sen puissance... prisonnier? il ne peut fuir, s'é
tance cependant. chapper, sortir, reparaître?
LA REINE. Il a signé? ARAMIS. Je réponds de tout, madame.
ARAMIS. Oui. Il va au fond; on entend des pas dans le corridor.
LA REINE. Eh! mon Dieu, pouvait-il faire LA REINE. Quel est ce bruit?
autrement dans le poste qu'il occupe et sous CHARLES. On dirait celui d'une troupe
les yeux qui l'enveloppaient '.7 d'hommes armés...
CHARLES. Cet homme estun abîme... mais ARAMis. Ils viennent... ils se rapprochent!
n'importe, en attendant que la foudre éclaire LA REINE. La porte s'ouvre... (On voit
. cet abîme, vous voilà , Henriette... voilà un un homme masqué le placer sur la seuil.)
ami près de moi... tandis qu'un autre... Ah! mon Dieui...
On frappe au plancher. On voit l'antichambre pleine de gardes. Un Commis
ARAMIS. Sire, entendez-vous le comte de aaire-greffier du Parlement entre avec Tomlinson.
la Fèreï... Il déploie en entrant un parchemin.
1.6 MAGASIN THÉATRAL
ARAu1S. Que signifie celal jamais, car ceux-là peut-être vous appelle
LE CREmER , entrant. Arrêt du Parle ront un jour à porter la couronne qu'ils ar
ment... rachent on ce moment de ma tête; ne l'ac
CHARLES. Assez, monsieur; je me tiens le ceptez pas, mon fils, si vous deviez rentrer
jugement pour lu ! dans ce palais escorté de la haine et de la co
LA REINE. Mais c'est donc pour aujour lère; soyez alors bon, clément, oublieux, et
d'hui? détournez les yeux quand vous croirez voir
LE GREmER. Le roi n'a—t-il pas été prévenu passer mon ombre sous ces voûtes, car si
que c'était pour ce matin huit heures? vous aviez un règne de vengeance et de re
ARAMIS. Sur mon âme, ont-ils laissé s'é présailles vous ne pourriez même dans votre
chapper le bourreaul lit mourir sans crainte et sans remords,
LA REINE, comme delle-même. Ce n'était comme je vais mourir, moi, sur un échafaud!
qu'un sursis de quelques heures, je le sais Et maintenant, votre main dans les miennes...
bien; mais quelques heures le sauvaient; j'a jurez, mon fils... (L'enfant pousse un san
vais entendu dire... me suis-je donc trom glot en se cachant dans le sein de son père.)
pée... Quel était donc cet homme qui vient Et vous, ma fille (il prend d son tour la
d'apparaître sur le seuil terrible, sous son jeune Henriettc , toi, mon enfant, ne m'ou
masque noir ? bliez jamais! ( a jeune princesse embrasse
LE COLONEL. Le bourreau de Londres a son père qui la prend par la main. ct la re
disparu; mais à sa place un homme s'est met dans les bras de la Reine.) Maintenant,
ollert... on ne retardera donc que du temps Heuriette, nos enfants n'ont plus que leur
demandé par Charles Stuart pour mettre mère... adieu!...
ordre à ses allaires temporelles... car les LA REINE. Oh! vivant! vivant n, dans mes
autres doivent être finies. bras, là, sur mon cœur, et dans un instant...
ARAMIS. Ah! mon Dieu! Non, non, messieurs, destimpossiblel... Car
CHARLES, Fembrassant. Couragel... Mon enfin, cet homme, c'est votre roi, c'est celui
sieur, je suis prêt... je ne désire qu'une qui était tout-puissant, c'est celui qui tenait
chose, c'est d'embrasser mes enfants... que la vie d'un peuple entre ses mains... celui-là,
depuis trois ans je n'ai pas vus et que je ne on ne peut pas le tuer, il est inviolable, sa
reverrai qu'au ciel! crél... Mon Dieu, c'est votre image sur la
LE CoLoNEL. lls attendent depuis un quaIt terre... mon Dieu, j'en appelle à vous... c'est
d'heure. mon Charles, mon époux, c'est le père de mes
LA REINE, tombant d genoux. Ah! mon enfants... Mes enfants, priez, mes enfants, h
Dieu!... gcnouxl... (Les enfants s'agenouillent; la
ARAMIS. Où est Dieu, sire?... que fait Dieu! Reine veut se mettre d genoux, les forces lui
CHARLES. Ne te désole pas ainsi, mon en manquent.) Oh! à moil... à moil... je me
fant; tu demandes où est Dieu, tu ne le vois meurs!...
point parce que les passions de la terre te le Elle tombe à genoux, les bras étendus et elle s'éva
cachent... Tu demandes ce qu'il fait; il re nouit en poussant un cri.
garde ton dévouement et mon martyre, et
CHARLES. Parry, je te confie la reine...
crois-moi, l'un et l'autre auront leur récom
‘pense; prends-t'en donc de ce qui t'arrive On voit Vflomme masqué traverser le théfltre avec les
Ïaux hommes et non à Dieu; Ce sont les hom gardes. Le cottage passe parla grande fenêtre de
'mes qui me font mourir, ce sont les hommes whitehall et vu se ranger sur l'échafaud construiten
lqui te font pleurer! dehors de cette fenêtre.
î LA REINE , priant. Ayez pitié! ayez pitié! CHARLES, au Colonel. Je ne veux pas que
ayez pitié! la mort me surprcnne, attendez que je m'atte
CHARLES. Henriette, ne brisez point ma nouille et que je prononce ces mots : sou
force avec vos larmes qui me déchirent le viens-toi... alors..... (A Aramis.) Chevalier,
cœur; vous n'êtes plus la femme de Charles un dernier service, votre bras. — lllessieuIs,
Stuart, vous êtes la reine d'Angleterrel je vous suis, marchons !
~ On amène les Enfants du Roi. ll passe à son tour par la galerie attenantà la fenêtre.
LA REINE. Mes enfants! La Reine sort peu à peu de son évanouissement et
CHARLES. Mon fils, vous avez vu beaucoup cherche à reprendre sa mémoire.
de gens dans les rues et dans les salles CHARLES , dans la coulisse. Souviens-toi!
de ce palais; vous voyez encore ceux qui La Reine pousse un grand cri et retombe.
nous entourent; ces gens vont tuer votre UNE vont, dans la coulisse. Trois!
père. Ne me dites pas que vous ne l'oublierez
—.———a
LES llIOUSQlJETAIRES. [t7

mwww snwmwwwm WMMNVV\\V“MAMWV“N|MWMW 'MW

ACTE QUATRIÈME.

fiuitiimc Œablcau.
Une maison isolée aux portes de Londres. A droite, avenue d'arbres bordant la maison; in gauche. muraille
d'un cloître ruiné; au fond, la porte de la ville. On sperçoitdans le lointain Westminster dans le crépuscule.
Il neige.

SCÈNE PREMIÈRE. relève son manteau et montre deuar:pistolets.)


Bien!
UN HOMME , enveloppé d'un manteau , Mousqueton se placea l'angle de la maison, la téte en
UARTAGNAN, GRIMAUD, BLAISOIS , saillie, de façon à veiller sur la porte. Dlrtognon
DIOUSQUEFON, sort à droite.

Un homme enveloppé d'un manteau noir, caillé d'un ovwvwn


large chapeau rabattu sur un masque, sort de la
porte de la ville, et s'avance avec précaution vers SCÈNE n.
la maison isolée. On distingue sons son masque
une barbe grisonnsnte. Il regarde avec soin autour ATHOS, ARAMIS, PORTHOS, BLAISOIS.
de lui, et se décide à ouvrir la porte de la maison;
puis il regarde encore, et entre brusquement. A ATHOS. Mais quel chemin nous fais-tu
peine la porte se referme-belle, que dflàrtagnan pa prendre ?
rait à l'angle de la porte de la ville, et s'avance BLAISOIS. Le bon chemin. messieurs.
rapidement sur les traces de l'inconnu qu'il voit ARAMIS. Vaincus par la fatalité l
entrer. ATHOS. Noble etmalheureux roi! Dieu nous
a abandonnés.
UARTAGNAN, regardant la maison. Il est
entré là. (l l fait signe d Grimaud, Mousque pORmOS. Ne vous désoler pas, comte,
ton et Blaisois, m‘ accourent sur ses pas.) nous sommes tous mortels... Mais pourquoi,
C'est le chemin u port où nous nous étions diable, dmrtagnan n'est-il pas rentré... pour
donné rendez-vous. Blaisois, tu te rappelles quoi nous a-t-il envoyé Blaisois... pourquoi
la route que nous venons de suivre... Cours Blaisois ne veut-il rien direï... Est-cc qu'il
à l'hôtel... amène ces messieurs par-ici... et serait arrivé quelque chose à ce cher d'Arm
pas un mot d'explication... sinon que je les gnan î
attends... Cours vite... (Il {avance vers la ARAMIS. Nous allons le savoir, puisqu'il
maison.) Une porte par-devant... y a-t-il nous envoie chercher.
d'autres issues? PORTHOS. C'est que je l'ai perdu, moi. dans
ll fait le tour de la maison. cette bagarre, et quelques elforts que j'aie laits,
GRIMAUD, regardant le ciel. Noir! je n'ai pu le rejoindre.
MOUSQUETON. Brrr l. . . quel froid. ATHOS. Oh! je l'aivu, moi ; il était au pro
UARTAGNAN, revenant. Une autre porte mier rang de la foule , admirablement placé
donnant sur ce quai désertl... Grimaud, près pour ne rien perdre; et comme, àtoutpremlre
de cette porte tu trouveras une l)orne.... le spectacle était curieux, il aura voulu voir
cache-toi derrière. jusqu'au bout.
Il lui parle ‘s l'oreille. UARTAGNAN , qui sur les derniers ‘mots
GRIMAUD, ouvre son manteau et montre un dfidthos est entré d droite. Ah! comte de la
large contelas. Oui. Fère, est-ce bien vous qui calomnies les ab
Il sort. sents ?
UABTAGNAN. Mousqueton, de ce coin tu TOUS. D'Artagnan!
peux tout voir, tout entendre... Laisse entrer
dans la maison; mais, si l'on sort, appelle...
PORTHOS. Enfin, le voilà donc!
Je vais donner un coup d'œil aux environs, ATHOS. Je ne vous calomnie pas, mon ami;
et reconnaître les abords de la place... A on était inquiet de vous, et j'ai dit où je vous
propos! (Il lui parle d Pareille, Mousqueton avais vu. Vous ne connaissiez pas le roi Char
_ a3 MAGASIN‘ internat.
les... Ce n'était qu'un étranger pour vous... PORTHOS. Je suis fâché de ne pas l'avoir
vous n'étiez pas forcé de l'aimer. suivi.
En disant ces mots, il tend la main à d'Artagnan; lYARTAGNAN. Eh bien, mon cher Porthos,
celui-ci feint de ne pas voir ce geste et garde sa voilà justementl'idée qui m'est venue à moi.
main sous son manteau. ‘ ATHOS. Pardonne-moi, d'Artagnan , j'ai
bien douté de Dieu, je pouvais bien douter de
PORTHOS. Allons, puisque nous voilà tous toi; pardonne-moi.
réunis, partons.
UARTAGNAN. Nous verrons cela tout à
ATHOS. Oui, quittons cet abominable pays. l'heure.
La felouque nous attend, vous le savez; par
ARAMIS. Eh bien?
tons ce soir; nous n'avons plus rien à faire
UARTAGNAN. Tandis que je regardais, non
en Angleterre. pas le roi commele pense monsieur le comte,
IYARTAGNAN. Vous êtes bien pressé, mon car je sais ce que c'est qu'un homme qui va
sieur le Comte. mourir, et quoique je dusse être habitué à
ATHOS. Ce sol sanglant me brûle les pieds. ces sortes de choses, elles me font toujours
UARTAGNAN. La neige ne me fait pas cet mal, mais bien le bourreau masqué, cette
eflet, à moi. idée me vint, ainsi que je vous l'ai dit, de sa
voir qui il était. Or, comme nous avons l'ha
ATHOS. Mais que voulez-vous donc que bitude de nous compléter les uns par les au
nous fassions ici maintenant que le roi est tres et de nous appeler à l'aide comme on
mort? appellesa seconde main au secours de la pre
UARTAGNAN, négligemment. Ainsi. mon mière, je regardais autour de moi pour voir
sieur le comte, vous ne voyez pas qu'il vous si Porthos ne serait pas là. car je vous avais
reste quelque chose à faire en Angleterre? reconnu près du roi, Aramis, et vous, comte,
ATHOS. Rien... rien qu'à douter de la bonté je savais que vous deviez être sous l'échafaud;
divine, et à mépriser mes propres forces. ce qui fait que je vous pardonne, car vous avez
dû bien soullrir. J'aperçus dans la foule Gri
UARTAGNAN. Eh bien, moi, moi chétif, maud, Mousqueton et Blaisois; je leur fis si
moi badaud sanguinaire, qui suis allé me pla gne de ne pas s'éloigner...Tout finit, vous sa
eer à trente pas de l'échafaud pour mieux vez comment... d'une façon lugubre... le
voir tomber la tête de ce roi que je ne con peuple s'éloigna peu à peu. Le soir venait, je
naissais pas, et qui, à ce qu'il paraît, m'était m'étais retiré dansun coin de la place avec
indifférent, je pense autrement que monsieur mes hommes, etje regardais de là lebourreau,
le comte... je reste. qui,rentré dans la chambre royale,s'enveloppa
PORTHOS. Ah! vous restez à Londres? d'un manteau et disparut; je devinai qu'il al
UARTAGNAN. Oui... et vous? lait sortir, et je courus en face de la porte...
PORTHos, embarrassé. Dame... si vous en elïet, cinq minutes après, nous le vimes
restez. . . comme je ne suis venu qu'avec vous, descendre l'escalier.
je ne m'en irai qu'avec vous; je ne vous lais ATHOS. Vous l'avez suivi?
serai pas seul dans cet alfreux pays. UARTAGNAN. Parbleu... mais ce n'est pas
UARTAGNAN. Merci, monexcellent ami... sans peine, allezl... Enfin, après une demi
Alors, j'ai une petite entreprise à vous pro beure de marche à travers les rues les plus
poser, et que nous mettrons à exécution en tortueuses de la cité... il arriva à une petite
semblequand monsieur le comte sera parti, et maison isolée, où pas un bruit, pas une lu
dont l'idée m'est venue pendant queje regar mière n'annonçait la présence de l'homme...
dais le spectacle que vous savez. Sans doute, celui que nous poursuivions se
PORTHOS. Laquelle? croyait bien seul, car j'entendis le grincement
phaTAGN“. C'est de savoir quel est cet d'une clef, une porte s'ouvrit, et il disparut.
homme masqué qui s'est ollert si obligeam ATHOS. Mais cette maison...
ment pour couper la tête du roi. TOUS. Cette maison...
ATHOS. Un homme masqué... vous n'avez UARTAGNAN , montrant la maison. La
donc pas laissé fuir le bourreau '.7 voici! '
UARTAGNAN. Le bourreau. . . il est toujours TOUS. Oh!
enfermé dans la salle basse de notre hôtellerie. Ils veulent s'élancer.
ATHOS. Quel est donc le misérable qui a UARTAGNAN, les arrêtant. Attendez! (Il
porté la main sur son roi? frappe dans ses mains, Mousqueton se lève.
ARAMIS. Un bourreau amateur , qui, du A Mousqueton. ) Personne n'est sorti de la
reste, manie la hache ‘avec facilité, car il ne maison, j'espère?
lui a fallu qu'un coup. MOUSQUETON. Non, monsieur.
LES MOUSQUETAIRES. (l9 _
UAIITAGNAN. Quelqu'un y est-il entré? GRIMAUD. Je vois!
MOUSQUETON. Non, monsieur. UARTAGNAN. Quoi?
UARTAGNAN. Et par l'autre porte? GRIMAUD. Deux hommes.
MOUSQUETON. Je ne sais pas; c'est Grimaud UARTAGNAN. Les connais-tu 9
qui veille. GRIMAUD. Attendez!
IYARTAGNAN. Va le relever. . . et qu'il vienne UARTAGNAN. Que font-ils?
1Ci. GRIMAUD. L'un écrit.
Mousqueton sort; Grimaud entre un instant après.
ATHOS. Qui est-ce P
PORTHOS. J'étais bien sûr, moi, que d'Ar—
tagnan n'avait pas perdu son temps. GRIMAUD. C'est, je crois...
ATHOS et ARAMIS. serrant la main de d'Ar ATHOS. Eh bien P
tagnan. Oh! merci! merci! GRIMAUD. Attendez...
GRIMAUD, entrant. Voilà l: NARTAGNAN. Voyons!
UARTAGNAN. Personne n'est entré par la GRIMAUD. Le général Olivier Cromwell.
porte que tu gardais? ATHOS, PORTIIOS et ARAMIS. Que dit-il!
GRIMAUD. Non!
UARTAGNAN. Personne n'est sorti? UARTAGNAN. Je m'en doutais!... Mais
GRIMAUD. Nonl l'autre... celui que nous avons suivi?
UARTAGNAN. Alors, tout est comme lors GRIMAUD. Il est dans l'ombre... il se lève...
que je t'ai laissé ? il s'approche du général... ah!
GRIMAUD. Oui! Il pousse un cri et saute en bas des épaules de Porthos.
ATHOS. Il est dans cette chambre? PORTHOS. Eh bien! quoi donc?
PORTnoS. Elfectivement, on voit de la lu UARTAGNAN. Tu l'as vu? parle vite!
mière.
ARAMIS. Il faudrait pouvoir regarder par GRIMAUD. Mordaunt!
le balcon. Cri de joie des amis.
UARTAGNAN. Porthos, mon ami, placez ATHOS, d part. Fatalité!
vous là, et si cela ne vous humilie pas de NARTAGNAN. Un moment, messieurs;
servir d'échelle à Grimaud ?... ceci devient intéressant... Allons, mon brave
PORTHOS. Comment donc l. . . Grimaud, remonte à ton observatoire, et que
1l se place, Grimaud monte sur ses épaules pour at le moindre mot, le moindre geste de ces
teindra au balcon. hommes nous soient traduits... Vous, à la
IÏARTAGNAN. Eh bien? porte, Aramis; vous, avec moi, Porthos; vous,
ATHOS. Peux-tu voir? Athos, veillezl...

ï " nnwiême ‘äfahlaau;


L'intérieur de la Maison de Cromwell.
Chambre fermée d'une porte à droite. On voit la fenêtre qui donne sur le balcon du même côté.

SCÈNE PREMIÈRE. CROMWELL. Où étiez-vous placé?


MORDAUNT. J'étais placé de manière àtout
CROMWELL , MORDAUNT voir et à tout entendre. l
MORDAUNT. Votre Honneur m'avait donné CROMWELL. Il paraît que l'homme masqué
deux de ces Français, alors qu'ils n'étaient a fort bien rempli son office?
coupables que d'avoir pris les armes en faveur MORDAUNT, d'une vota: calme. En elfet i
de Charles I". Maintenant qu'ils sontcoupables un seul coup a suffi.
de complot contre l'Angleterre, Votre Hon CROMWELL. Peut-être était-ce un homme
neur veut-il me les donner tous les quatre? du métier.
CROMWELL. Prenez-les. (Mordaunt s'in MORDAUNT. Le croyez-vous, monsieur?
cline avec un sourire de triomphante féro CROMWELL. Pourquoi pas?
cité.) Mais revenons, s'il vous plaît, à ce MORDAUNT. Cet homme n'avait pas l'an
malheureux Charles. A-t-ou crié parmi le d'un bourreau.
peuple? CROMWELL. Et quel autre qu'un bourreau
MORDAUNT. Fort peu, si ce n'est : Vive eût voulu exercer cet affreux métier?
- Cromwell ! MORDAUNT. Mais peut-être quelque en
n!" "-‘ “ Iltt
s0 MAGASIN TnEArRAI.
nemi personnel du roi Charles, qui aura fait MORDAUNT. A moins que cette felouque ,
vœu de vengeance, et qui aura accompli ce telle qu'elle est, ne puisse servir à des projets
vœu; peut-être quelque gentilhomme qui utiles à la nation.
avait de graves raisons de haïr le roi déchu, CROMWELL. Je comprends.
et qui, sachant qu'il allait fuir et lui échap MORDAUNT. Ah! milord, milord! Dieu, en
per, s'est placé ainsi sur sa route, le front vous faisant son élu, vous a donné son regard
masqué et la hache à la main, non plus auquel rien ne peut échapper.
comme suppléant du bourreau, mais comme CROMWELL, riant. Je crois que vous m'ap
mandataire de la fatalité. pelez milord! c'est bien, parce que nous som
CROMWELL. C'est possible. mes entre nous ; mais il faudraitfaire attention
MORDAUNT. Et si cela était ainsi, Votre qu'une pareille parole ne vous échappât devant
Honneur condamnerait-il son action ? nos puritains.
CRoMWeL. Ce n'est point à moi de le MORDAUNT. N'est-ce pas ainsi que Votre
juger; c'est une alfaire entre lui et Dieu. Honneur sera appelé bientôt?
MORDAUNT. Mais si Votre Honneur con CROMWELL, se levant et prenant ton man
naissait ce gentilhomme? teau. Je l'espère, du moins; maisil n'est pas
CRoMWELL. Je ne le connais pas, mon encore temps.
sieur, et je ne veux pas le connaître. Que MORDAUNT. Vous vous retirez, monsieur?
m'importe à moi que ce soit celui-là on un CROnWur. Oui, j'ai couché ici hier et
autre? Du moment où Charles était condam avant-hier, et vous savez que œ n'est pas mon
né, ce n'est point un homme qui lui a tran fiabitude de coucher trois fois dans le même
ché la tête, c'est une hache. t.
uoRDAUNT. Etcependant, sans cet homme MoRDAUNT. Ainsi, Votre Honneur me
le roi était sauvé. Vous l'avez dit vous-même; donne toute liberté pour la nuit?
on l'enlevait. CRoMWELI. Et même pour la journée de
CRonWltL. On l'enlevait jusqu'à Green demain, si besoin est... Venez-vous avec moi.
wich. Là il s'embarquait sur une felouque Mordaunt?
fretée hier par ses sauveurs. Mais sur la fe MORDAUNT. Merci, monsieur ; les détours
lou ne, au lieu du patron Crabbe qu'ils s'at que vous êtes obligé de faire en passant parle
ten 'ent à trouver, étaient quatre hommes à souterrain me prendraient du temps, et d'a
moi, et quatre tonneaux de poudre àla na près ce que vous venez de me dire, je n'en ai
tion. En mer, les quatre hommes descen peut-être déjà que trop perdu. Je sortirai par
daient dans un canot qui suit la felouque, l'autre porte.
abandonnant le roi et ses sauveurs dans le CROMWELL appuie la main sur un bouton
bâtiment; et vous êtes déjà trop habile en perdu dans la tapisserie, et sort par une porte
politique, Mordaunt, pour que je vous ex secrète. En ce cas, adieu!
plique le reste. . Au moment où Cromwell a disparu par la porte se
MORDAUNT. Oui, en mer, ils sentaient crète , Grimaud paraît sur le balcon. Pendant ce
tous. temps, Mordaunt a remis son manteau. ll prend la
CROMWBLL. Justement! L'explosion faisait lampe sur la table et sort. La fenêtre s'ouvre ; Por
ce que la hache n'avait pas voulu faire. Le thos et Aramis viennent se placer dans la chambre.
roi Charles disparaissait anéanti; on disait Un moment après, on voit revenir Mordaunt pâle ,
qu'échappé à la justice humaine, il avait été épanvantégaculant, sa lampe l la nain, devant d'Ar
poursuivi et atteint par la vengeance céleste; tagnan qui, chapeau bus , marche vers lui avec une
nous n'étions plus que ses juges, et c'était le exquise politesse. Derrière dlrtagnan entre Athos.
ciel qui l'avait frappé l. . .
MORDAUNT. Monsieur, comme majeuIs, je mm

m'incline et m'humilie devant vous : vous êtes


un profond penseur, et votre idée de la felou SCÈNE II
que minée est sublime.
CRoMwELL. Absurde, puisqu'elle est deve MORDAUNT, UARTAGNAN, PORTHOS,
nue inutile. Il n'y a d'idée sublime que celle ATHOS, ABAMIS.
qui porte ses fruits; toute idée qui avorté est
folle et aride. Vous irez donc ce soir à Green UARTAGNAN. Monsieur Mordaunt, puis
wich, Mordaunt; vous demanderez le patron qu'après tant de jours perdus à courir les uns
de la felouque l'Eclair, vous lui montrerez un après les autres, le hasard nous rassemble
mouchoir blanc noué par les quatre bouts; enfin, causons un peu, s'il vous plaît.
c'était le signe convenu entre les Français et MORDAUNT. Je vous écoute, monsieur.
le patron Crabbe; vous direz à mes gens de UARTAGNAN. Il me paraît, monsieur, que
reprendre terre, et vous ferez reporter la pou vous changez de costume aussi rapidement
dreal'arsenal. que je l'ai vu faire aux mimes italiens que
LES MOUSQUETAIRES. 51'
M. le cardinal de Mazarin fit venir de Ber au mieux cette allaire, et je vais être franc
game, et qu'il vous a sans doute mené voir avec vous. Avouez, monsieur Mordaunt, que
pendant votre séjour en France? vous avez bien envie de nous tuer les uns ou
ARAMIS. Tout à l'heure vous étiez déguisé, les autres ?
je veux dire habillé en assassin, et mainte MORDAUNT. Les uns et les autres. /
nant... UARTAGNAN, se tournant vers Aramis.
MORDAUNT. Et maintenant, au contraire, C'est un bien grand bonheur, convenez-en,
j'ai tout l'air d'être dans l'habit d'un homme Aramis, que monsieur Mordaunt connaisse
qu'on va assassiner, n'est-ce pas? si bien les finesses de la langue française ;au
PORTHOS. Ah! monsieur, comment pou moins,il n'y aura pas de malentendu entre nous.
vez-vous dire de ces choses-là, quand vous (Se retournant vers Mordaunt.) Cher mon
êtes en compagnie de gentilshommes et que sieur Mordaunt, je vous dirai donc que ces
vous avez une si bonne épée au côté? messieurs payent de retour vos bons senti
MORDAUNT. Il n'y a pas de si bonne épée, ments à leur égard, et seraient charmés de
monsieur, qui vaille quatre épées et quatre vous tuer aussi. Je dirai plus, c'est qu'ils
‘poignards; sans compter les épées et les poi vous tueront probablement; toutefois, ce sera
gnards de vos acolytes qui vous attendent à en gentilshommes loyaux, et la meilleure
la porte. preuve que je puisse fournir, la voici. (En
ARAMIS. Pardon, monsieur, vous faites er disant ces mots, il jette son chapeau sur la
reur. Ceux qui nous attendent à la porte ne tapis, recule sa chaise contre la muraille
ïsont point nos acolytes, mais nos laquais. Je et fait signe d ses amis d'en faire autant,
;tiens à rétablir les choses dans leur plus scru puis, saluant Mordaunt avec grâce.) A vos
puleuse vérité. ordres, monsieur; car si vous n'avez rien à
IYARTAGNAN. Mais ce n'est point de cela dire contre l'honneur que je réclame, c'est
qu'il s'agit, et j'en reviens à ma question. Je moi qui commencerai, s'il vous plaît.
me faisais donc l'honneur de vous demander, PORTHOS. Halte-là l je commence, moi, et:
monsieur, pour quoi vous changiez d'exté sans rhétorique.
rieurl... Le e vous était assez com ARAMIS. Permettez, Porthos...
mode, ce me semble; la barbe grise vous
seyait à merveille, et quant à cette hache, dont JYARTAGNAN. Messieurs, messieurs, soyez
vous avez fourni un si illustre coup, je crois tranquilles , vous aurez votre tour. Demeurez
qu'elle ne vous irait pas mal non plus en ce donc à votre place comme Athos, dont je ne
moment. Pourquoi donc vous en êtes-vous puis trop vous recommander le calme , et lais
dessaisi? sez-moi l'initiative que j'ai prise. ( Tirant son
MORDAUsT. Parce qu'en me rappelantla épée avec un geste terrible.) D'ailleurs , j'ai
scène dïArmentières, j'ai pensé que je trou particulièrement alfaire à monsieur, et je
verais quatre haches pour une, puisque j'al commencerai, je le désire, je le veux! (.4
lais me trouver entre quatre bourreaux. Mordaunt.) Monsieur, je vous attends.
UARTAGNAN, avec calme. Monsieur, quoi MORDAUNT. Et moi, messieurs, je vous
que profondément vicieux et corrompu, vous admire! Vous discutez à qui commencera
êtesjeune,cequifait que je ne m'arrêteraipasà de se battre contre moi, et vous ne me consul
vos discours frivoles... oui, frivoles, car ce que tez pas lin-dessus, moi, que cela regarde un
vous venez de dire à propos d'Armettières peu, ce me semble. Je vous hais tous, c'est
n'a pas le moindre rapport avec la situation vrai, mais à des degrés dilférents... j'espère
présente. En elIet , nous ne pouvions pas vous tuer tous, mais j'ai plus de chance de
ollrir une épée à madame votre mère, et la tuer le premier que le second, le second que
prier de s'escrimer contre nous. lllaisà vous, le troisième, le troisième que le dernier. Je
monsieur, à un jeune cavalier qui joue du réclame donc le droit de choisir mon adver
poignard, du pistolet et de la hache, comme saire; si vous me déniez ce droit, tuez-moi .
nous vous avons vu faire, et qui porte au côté je,ne me battrai pas.
une épée de la taille de celle-ci, il n'y a per rORTHos et ABAIIIS. c'est juste.
sonne qui n'ait le droit de demander la faveur MORDAUNT. Eh bien l je choisis pour mon
d'une rencontre. premier adversaire celui de vous qui, ne se
MORDAUNT. Ah! ah! c'est donc un duel croyant plus digne de se nommer le comte
que vous voulez! de la Fère, s'est fait appeler Athos.
IYARTAGNAN, avec sang-froid. Pardon , ATHOS, secouant la tête. Monsieur Mura
pardon, ne nous pressons pas, car chacun de daunt, tout duel entre nous est impossible;
nous doit désirer que les choses se passent faites à quelque autre l'honneur que vous me
dans toutes les règles. Ilasseycz-vous donc, destinez.
cher Porthos, et vous, monsieur Mordaunt, MORDAUNT. Ah! en voilà déjà un qui a
veuillez rester tranquille. Nous allons régler peur.
52 MAGASIN THÉATRAL
IÏARTAGNAN, bondissant. Mille tonnerres! disait monsieur tout à l'heure la con
qui a dit ici qu'Athos avait peur? science tranquille.
ATHOS, avec un sourire de tristesse et de UARTAGNAN, regardant autourdelui. Ce
mépris. Laissez dire, d'Artagnan. doit être pour autre chose.
UARTAGNAN. C'est votre décision, Athos? PORTBOS et ARAMIS. Foi de gentilhomme!
ATHOS. Irrévocable. MORDAUNT. En ce cas, messieurs, rangez
UARTAGNAN. C'estbien ! n'en parlons plus. vous dans quelque coin comme a fait mon
(A Mordaunt.) Vous l'avez entendu. mon sieur le comte de la Fère , qui, s'il ne veut
sieur; monsieur le comte de la Fère ne veut point se battre, me paraît au moins con
pas vous faire l'honneur de se battre avec naître les règles du combat, et livrez-nous de
vous. Choisissez parmi nous quelqu'un qui le l'espace, nous allons en avoir besoin,
remplace. ARAMIS. Soit! _
MORDAUNT. Du moment que je ne me PORTHOS. Voilà bien des embarras. '
bats pas avec lui, peu m'importe avec qui je rYARTAGNAN. Rangez-vous, messieurs; il
me bats. Mettez vos noms dans un chapeau , ne faut pas laisser à monsieur le plus petit
et je tirerai au hasard. prétexte de se mal conduire, ce dont, sauf le
UARTAGNAN. Voilà une idée. respect que je lui dois, il me semble avoir
grande envie... Allons, êtes-vous enfin prêt,
ARAMIS. En ellet, ce moyen concilie tout. monsieur ?
PORTHOS. Je n'y eussepointpensé, etcepen MORDAUNT. Je le suis.
dant c'est bien simple. lls croisent le fer.
UARTAGNAN. Voyons , Aramis , écrivez UARTAGNAN. Ah! vous rompez , vous
nous cela de cette jolie petite écriture avec tournez l... Comme il vous plaira, j'y gagne
laquelle vous écriviez à Marie Michon pour quelque chose : je ne vois plus votre méchant
la prévenir que la mère de monsieur voulait visage. Me voilà tout à fait dans l'ombre,
faire assassiner milord Buckingham. (Aramis tant mieux! Vous n'avez pas d'idée comme
s'approche du bureau de Cromwell, déchire vous avez le regard faux, monsieur , surtout
trois morceaux de papier d'égale grandeur , lorsque vous avez peur. Regardez un peu mes
écrit un nom sur c acun d'eux, puis les yeux, et vous verrez une chose que votre
présente d Mordaunt. Celui-ci, sans les lire, miroir ne vous montrera jamais, c'est-à-dire,
lui fait signe qu'il s'en rapporte parfaite un regard loyal et franc. (Mordaunt en rom
ment d lui. Aramis roule les papiers, les met pant se trouvepres de la muraille, d laquelle
dans un chapeau et les presentedMordaunt, il appuie sa main gauche.) Ah! pour cette
qui en tire un qu'il laisse dédaigneu fois, vous ne romprez plus, mon bel ami!
sement retomber sans le lire. ) Ah ! serpen Mnssietlrs , avez-vous jamais vu un scorpion
teau, je donnerais toutes mes chances au cloué à un mur ?... non? eh bien! vous allez
grade de capitaine des mousquetaires pour le voir. (Au moment où, plus acharné que
que ce bulletin portât mon nom! jamais, après une feinte rapide et serres,
ARAMIS, lisant le papier d haute voix. iliélance comme l'éclair sur Mordaunt, la
a D'Artaguan! n muraille semble se fendre, Mordaunt dispa
,.)
UARTAGNAN. Ah! il y a donc une justice raît par l'ouverture béante, et l'épée pressée
au ciel! (Se retournant vers Mordaunt.) entre les deux panneaux se brise. Il fait un.
J'espère, monsieur, que vous n'avez aucune pas en. arrière, la muraille se referme.) A
objection à faire? moi, messieurs , enfonçons cette porte!
MORDAUNT, tirant son épéeeten appuyant ARAMIS, accourant pres de durtagnan.
la pointe sur sa botte. Aucune, monsieur. C'est le démon en personne!
, UARTAGNAN. Etes-vous prêt, monsieur? PORTHOS, appuyant son épaule contre la
MORDAUNT. C'est moi qui vous attends, porte strcréte. Il nous échappe, sangdieu! il
monsieur. nous échappe!
‘ UARTAGNAN. Alors prenez garde à vous ,
aTHos, sourdement. Tant mieux!
' monsieur, car je tire assez bien l'épée.
MORDAUNT. Et moi aussi. UABTAGNAN. Je m'en doutais , mordious!
UARTAGNAN. Tant mieux, cela met ma je m'en doutais ; quand le misérable a tourné
conscience en repos. En garde! autour de la chambre, je prévoyais quelque
MORDAUNT. Un moment: engagez-moi infâme manœuvre, je devinais qu'il tramait
votre parole, messieurs, que vous ne me quelque chose; mais qui pouvait se douter de
chargerez que les uns après les autres. cela?
PORTHOS. C'est pour avoir le plaisir de ARAMIS. C'est un allreux malheur que
nous insulter que vous nous demandez cela, nous envoie le diable son ami.
monsieur? ATHOS. C'est un bonheur manifeste que
. MORDAUNT. Non, c'est pour avoir, comme nous envoie Dieu!
l
È) ‘l
LES MOUSQUETAIRES. 53
IYARTAGNAN. En véIité , vous baissez, PORTHOS. Et où allons-nous?
Athos! comment pouvez-vous dire des choses UARTAGNAN. A l'hôtel, prendre nos hardes
pareilles à des gens comme nous? mordious l. . et nos chevaux, puis de là, s'il plaît à Dieu,
vous ne comprenez donc pas la situation ?... en France, où du moins je connais l'archi
Le misérable va nous envoyer cent côtes de tecture des maisons. Notre felouque nous
fer qui nous pileront comme grain dans ce attend; ma foi c'est encore heureux... En
mortier de monsieur Cromwell. .. Allons, route!
allons! en route! Si nous demeurons cinq mi
TOUS. En routel... en route!
nutes seulement ici, c'est fait de nous.
ATHOS et ARAMIS. Oui, vous avez raison, Ils sortent"
en route!

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ACTE CINQUIÈME.

minibus Œablzmt.
L'Ecla1'r à l'ancre. On voit le couronnement de la chambre de poupe avec une large fenêtre dans le pan coupé
donnant sur la mer. A gauche, le pont. Ail-dessous de la chambre de poupe, un compartiment rempli de gros
tonneaux superposés, les premiers praticables, les autres peints. Un petit escalier correspond de ce comparti
ment au pont. A gauche, sous le pont. autre compartiment avec deux portes, l'une à droite, ouvrant sur le
magasin aux tonneaux, l'autre à gauche. Hamacs, mue suspendue. Il fait nuit.

SCÈNE PREMIÈRE. devaient enlever le roi et qui n'ont pas réussi.


GROSLOW. Ah ! ce sont eux à qui M. Crom
UNE SENTINELLE sur le pont, GROSLOW, welldestine. ..Bien... je comprends. . ils vien
MORDAUNT. nent, dites-vous?...
MORDAUNT. Oui... si rapide, si furieuse
LA SENTINELLE. Hé! de la barque, halte là, qu'ait été ma course, j'entendais toujours au
qui vive ?... loin derrière moi le hennissement de leurs
Groslow sort du côté gauche. Il est enveloppé d'un chevaux... ils viennent, vous dis-je... mais...
caban de pêcheur. Rarbe coupée. ils vous reconnaîtront... ils se défieront...
UNE voix, au fond. Officierl... de la part GROSLOW. Impossible... sous cc caban...
du général Cromwell. _ la nuit, et puis, vous voyez , selon l'ordre du
GROSLOW. Avancez à l'ordre... Monsieur général, j'ai coupé ma barbe, et je saurai dé
lllordauntl... quoi donc... tout serait-il man guiser ma voix.
- qué... MORDAUNT. Oui... c'est vrai... moi-même
MORDAUNT, sur le pont (le regardant avec j'ai en peine à vous reconnaître... Vous les
' attention). Vous, colonel... ahl fort bien.., logerez ?...
tout tient, au contraire... mais n'y a-t-il rien GRosLOW. Dans la chambre de poupe...
de nouveau sur (‘Eclairÿ on n'a rien changé juste au-dessus de la cargaison de vins.
à bord? MORDAUNT. Oui, mais ils ont leurs gens...
GROSLOW. Rien... mais puisque vous êtes GROSLoW. Leurs gens... dans l'entrepont,
ici... que s'est-il donc passé là-bas?... avec des portes bien verrouillées.
MORDAUNT. Tout s'est passé comme on de MORDAUNT. Et moi... car s'ils m'aperce
vait s'y attendre. vaient, tout serait perdu.
GROSLOW. Alors... GROSLOW. Dans ma cabine, derrière une
MORDAUNT, montrant le mouchoir noué fausse cloison qui semble être le mur du na
and: quatre bouts. AloIs vous voyez que je vire, il y a une cachette impénétrable, même
sais tout. aux douaniers qui poursniventla contrebande.
GROSLOW. c'est vrai... Je vous en réponds... d'ailleurs, vous verrez.
MORDAUNT. Ne perdons pas de temps, car MORDAUNT, les yeux fixés sur la mer.
ils vont bientôt arriver. C'est une barque qui s'approche... Oh! en
GROSLoW. Qui donc? fin...
MORDAUNT. Ces quatre conspirateurs qui GROSLOW. Quelle vue vous avez !...
5h MAGASIN THÉATRAL.
MORDAUNT, toujours regardant. J'ai la vue ATHOS. Nous n'avons pas le temps d'être
d'un homme qui joue sa vie sur un regard! défiants.
Je vous dis que c'est une barque qui se di UARTAGNAN. D'ailleurs , nous pouvons
rige vers le bâtiment. nous défier; même en entrant dans le navire,
GROSLOW. En eflet, je la vois, mainte. nous surveillerons cet homme... et s'il ne
nant... Sentinelle, bonne garde... etrappelle marche pas droit, gare à lui.
toi le mot d'ordre. ATHOS. Je puis donc appeler notre arrière
LE SENTINELLE. Oui, commandant. garde. Grimaud, dites à ces messieurs de
MORDAUNT. Les voici. .. tous l. .. bien tous. monter à bord, et renvoyez la barque sur la
enosLOW. Allons, cachez-vous... jusqu'à quelle nous sommes venus.
ce qu'ils soient installés... venez. GROSLoW. Vos Seigneuries restent à bord?
LA SENTINELLE. Hé l de la barque... Holà! ATHOS. Oui.
qui vive ?.. UARTAGNAN. Un moment... Combien
UARTAGNAN. Louis et France. avez-vous d'hommes ici ?.. .
GBOSLOW, revenant. Laisse arIiver. GROSLOW. Dix, milord, sans me compter.
UARTAGNAN. Dix... Oh! je me rassure...
MMMRÀNWVWNWWVWWMMMVIWMMIWWWW m
Mais dites-moi, où nous logez-vous?
GROSLOW. Ici, milord,dans la chambre de
SCÈNE u. poupe.
ATHOS. Et nos gensi...
GROSLOW, D'ARTAGNAN, ATHOS.
GROSLOW. Dans l'entrepont, milord. An
GROSLOW. Entrez à bord, messieurs; je dré, installez-les.
vous attendais. ANDRÉ. Arrivez, vous autres.
UARTAGNAN, arrêtant Athos. Ce n'est UARTAGNAN. Fort bien! Comment vous
pas la voix du patron Crabbe, ce n'est pas sa appelle-t-om...
taille, ce n'est pas lui... Un moment, Athos! eROStoW. Boggcrs , milord... Par ici!
ATHOS. Qui êtes-vous, l'ami? et pourquoi
Il désigne aux laquais l'escalier de Pentrepont.
dites-vous que vous nous attendiez ‘?... on ne Mousqueton descend, puis Blaisois. Grimaud reste
vous connaît pas. le dernier.
GROSLOW. Je sais, milord... vous cherchez
le patron Crabbe , mais vous ne pourrez le UARTAGNAN, dm amis. Vous, mes amis,
voir.
tâchez de vous loger du mieux possible,
tandis que je vais faire un tour sur le bâti
UABTAGNAN. Plaît-il?... Pourquoi ne le ment.
verrons-nous pasl
ATHOS. Prenez Grimaud avec vous.
GROSLOW. Hélas! milord , mon pauvre
beau-frère, milord, le patron Crabbe, est UARTAGNAN. Pourquoi faire ?.. ,
tombé du mât de hune, ce matin, et s'est ARAMIS. On ne sait pas ce qui peut arriver;
presque cassé la jambe. prenez Grimaud.
UARTAGNAN , soupçonnent. Voilà un ac PORTHOS. Et informez-vous en passant s'il
cident malencontreux... Tenez-vous sur vos y a quelque chose pour souper.
gardes, Athos. UARTAGNAN. Grimaud, prenez cette lam
GROSLOW. Mais, milord, ce mouchoir blanc, terne! Suivez-moi, patron Roggers... Dix
noué aux quatre bouts que votre compagnon minutes, mes aInis, et je reviens.
tient à sa main... et celui que je tenais tout Ils descendent.
noué dans ma poche, vous prouvera... MOUSQUETON , dans Fentrepont. Comme
D'ARTAGNAN, d Athos. C'est bien cela... c'est bas ici... comme nous aurons froid cette
(A Groslow.) Mais il y a encore quelque nuit, comme nous serons durement couchés...
chose. si par hasard le mal de mer... n'est-ce pas,
GRosLOW. Oui, milord ; vous avez promis Blaisois?
au patron Crabbe, mon beau-frère, soixante nLAIsoIS. Je suis familiarisé avec les in
quinze livres, si l'on vous débarque sains et couvénients de cet élément.
saufs à Boulogne, ou sur tout autre point de IYARTAGNAN, descendu, dans la soute auæ
la côte de France, à votre choix. poudres, un pistolet derriäre te dos. Où
ATHOS, d durtagnan. Eh bien, qu'en sommes-nous ici?. ..
' dites-vous 't. . . GROSLOW, sur l'échelle. Vous le voyez,
UARTAGNAN. Je dis que... milord, c'est un magasin.
Il-fait claquer sa langue en signe de dépit. UARTAGNAN. Que de tonneaux! on dirait
LES MOUSQUETAIRES. 55
la caverne d'Ali Baba... Qu'y a-t-il donc la GROSLOW, de loin. Oui, milord!
dedans? rORTHOS. Quelles nouvelles?
Il prend la lanterne des mains de Grimaud et IYARTAGNAN. Excellentes; nous pouvons
regarde. dormir avec la même tranquillité que si nous
eROstoW, vivement et se reculant. Du vin logions à la Chevrette, rue Tiquetonne.
de Porto, milord. Il tire son épée du fourreau, visite ses pistolets et se
UARTAGNAN. Ah! du vin de Porto, c'est couche en travers de la porte.
toujours une tranquillité; voilà notre Porthos ATHOs. Eh bien! que faites-vous donc?...
qui est sûr du moins de ne pas mourir de vous appelez cela de la tranquillité... vous
soif... Et tous ces tonneaux sont pleins? craignez donc encore quelque chose ?...
Il approche sa lanterne. UARTAGNAN. Le seul moyen d'être vrai
GROSI/OW, même jeu de frayeur. Quel ment en sûreté, c'est d'avoir toujours peur
ques—uns seulement, milord; les autres sont de ne pas y être... Allons. mes amis, prenons
vides. des forces... Je vois bien ce qui vous afllige,
Dflàrtagnan frappe du doigt sur les tonneaux, et intro cher Athos; mais vous l'avez dit souvent, ac
duit sa lanterne dans les intervalles des barriques. cusous la fatalité... Aramis, vous allez revoir
les duchesses, faites de bons rêves... Vous,
UARTAGNAN. C'est bien, je réponds de ce cher Porthos, je sais bien ce qui vous man
compartiment... Passons, monsieur Roggers. que... mais je vous promets demain à Bou
Il passe dans la cabine. logne, des huîtres, du vin d'Espagne, et un
ARAMIS, dan: la chambre de poupe. Eh pâté dïamiens... car demain matin nous
bien, Porthos, que dites-vous de YAngIe serons en France!
terre ? AïHOS. La patrie des cœurs loyaux!
PORTIIOS. C'était beau d'y aller... mais
c'est superbe d'en revenir. ' ARAMIS. Des femmes qu'on aime!
. ATHos. Hélas! nous revenons seuls. PoRTHOS. Du vin de Bourgogne!
ARAMIS. Dormons. ToUS. A demain, en France... Bonsoir,
PORTIIOS. Ah ça, mais vous n'avez donc amis!
pas faim, vous? Ils se serrent les mains et s'endorment.
UARTAGNAN, dans la cabine des laquais.
Mm
Ah! voilà nos hommes logés.. . ( Il passe en
revue tout le compartiment.) Il faut vous cou
cher, mes braves... Grimaud, je n'ai plus be
SCENE III.
soin de toi; merci. (A part.) Rien encore
ici. (A Roggcrs.) Patron, où conduit cette GRIMAUD, MOUSQUETON, BLAISOIS.
porte ?. . . GRIMAUD, faisant un calcul dans le fond
GROSLOW. Pardon, milord. j'en ai la clef ; de la cabine. Vingt-trois louis.
c'est ma chambre. RLAISOIS. Que dit-il?
DMRTAGNAN. Voyons, et puis vous me MOUSQUETON. En sa qualité de trésorier,
montrerez la cale. il met à jour les comptes de la société...
unOSLOW. Entrez, milordwousremonterez Mais ne me faites pas causer, Blaisois.
à votre chambre par l'escalier de ma cabine RLAISOIS. Il faut manger et boire, cela
qui conduit sur le pont. vous remettra.
MOUSQUETON, regardant partir dur-ta GRIMAUD, toujours calculant. Quarante
anan. Voilà un oilicier qui sait faire des et un, quarante-deux.
rondes! MOUSQUETON. Manger du pain d'orge,
BLAISOIS. Avec des maîtres comme ceux-là, boire de la bière noire... fi donc! "aime
on peut goûter les douceurs du sommeil. mieux un verre de vin que toute leur ière.
ATHOS. D'Artagnan ne revient pas. GRIMAUD, toujours comptant. C'est facile.
ARAMIS. Si fait, j'entends sa voix; il afait MOUSQUETON. Plaît-il? vous dites que c'est
le tour du bâtiment, et le voilà qui sort de facile.
l'écoutille là-bas. GRIMAUD, étendant la main vers la cloi
IYARTAGNAN, reparaissant sur le pont son. Porto!
avec sa lanterne. La cale est vide, rien de RLAISOIS. C'est du Porto qu'il y a dans ces
suspect dans la chambre du patron; s'il y a barriques que nous avons aperçues lorsque
une armée à bord, ça ne peut être qu'une monsieur d'Artagnan a ouvert la porte?
armée de rats. Bien, patron Roggers, me voilà GRIMAUD. Oui.
dans la chambre de poupe; appareillez, veil MOUSQUETON. Oui, mais la porte est fer
lez aux manœuvres et tàchez que nous allions mée... Ah! quel malheur! c'est si bon du
Vite. Porto!
56 Macasm THÉATRAL.
GRIMAUD. La trousse! m

MOUSQUETON. Comment la trousse ?...


Ah! oui... la troussse aux outils!... SCÈNE V.‘
Grimaud fait signe que oui. Mousqueton prend la
trousse. LES MÊMES, GROSLOW. MORDAUNT,
GRIMAUD. Le ciseau ! enveloppés de manteauæ. Mordaunt tient
MOUSQUETON. Voilà! (Il le lut‘ donne. Gri une lanterne.
maud soulève une des planches qui forment GROSLoW. Quoi! pas couchés encore !...
la cloison.) Quel homme! quel homme l.. . c'est contraire au règlement.
GRIMAUD. La vrille! MOUSQUETON. Nous soupions, messieurs.
BLAISOIS. Voilà! GROSLOW. Que dans dix minutes le feu
GRIMAUD. La cruche! (Mousqueton lui soit éteint, et que dans un quart d'heure on
passe la cruche.) Guettez! ronfle.
Il lève la planche et entre dans le compartiment aux MORDAUNT, a Groslow. Ouvrez la porte,
tonneaux; Blaisois et Mousqueton prêtent l'oreille. je vous prie.
Wwwvuvwwwm MOUSQUETON. Ah! Jésus Dieu! ils vont
le découvrir. '
SCENE IV. RLAISOIS. Si nous prévenions nos maîtres.
LES MÈMES, GROSLOW, MORDAUNT, sur Groslow et Mordaunt passent dans le cabinet aux ton
le pont. neaux et referment la porte.
GROSLOW. Je crois qu'ils dorment. MoRDAUNT, écoutant. Oui, ils dorment
MORDAUNT. Voyez-vous encore de la lu profondément, et Dieu me les livre enfin...
Grimaud passe un peu sa tête derrière le tonneau.
mière chez eux?
GROSLOW. Oui, la petite veilleuse de la MORDAUNT. Où sont les tonneaux pleins?
cabine; mais ils dorment. GnOStoW. Celui-là et les deux au fond.
MORDAUNT. Il faut donc se hâter... Votre Mais voici celui auquel vous pouvez attacher
canot est préparé, n'est-ce pas? la mèche... il a un robinet.
GROSLOW. Il est là... voyez-vous? MORDAUNT, tirant une mèche de son man
MORDAUNT. Où sommes-nous alors? teau. Vous dites que cette mèche dure en
GROSLOW. A l'embouchure de la Tamise. viron huit minutes?
MORDAUNT. Il y a des vivres dans ce ca GRosLOW. Huit minutes.
not, et des armes? MOUSQUETON. Est-ce que vous entendez
GROSLOW. Tout ce qu'il faut. ce qu'ils disent, vous?
MORDAUNT. Vous tiendrez prêt un coutelas RLAISoIS. Pasdu tout... Seulement, comme
bien affilé, pour que vos hommes coupent la ils ne crient pas, c'est qu'ils n'ont pas trouvé
corde quand nous serons tous embarqués. monsieur Grimaud.
GROSLOW. J 'ai ma hache d'abordage. MORDAUNT. Et par ce trou qui correspond
MORDAUNT. Il y a encore les gens de ces à la cale, je pourrai mettre le feu à cette
misérables dans l'entrcpont... Ceux-là dor mèche... sans rentrer ici.
ment-ils aussi? GROSLOW. Parfaitement! mais ne vous
GRosLOW. Nous le verrons en traversant pressez pas, attendez que nous soyons bien
leur chambre pour aller dans la sainte embarqués; la besogne est périlleuse, laissez
barbe. faire cette besogne à mon second.
MORDAUNT. Allons-y donc, j'ai hâte d'en Mordaunt attache la mèche lin-dessous du tonneau.
finir! MORDAUNT. Je ne confie qu'à moi l'exé
Il redescendent. cution de ma vengeance. Ne vous inquiétez
MOUSQUETON, d Grimaud. Eh bien? pas; lorsque l'horloge du bord piquera le
GRIMAUD, près d'un tonneau. Cela va. quart après minuit, je redescendrai dans la
MOUSQUETON. Le tonneau est-il percé? cale; vous, faites embarquer vos hommes
GRIMAUD. Ça coule. dans le canot , et, à ce moment, avertissez
MOUSQUETON. Quel bonheur! moi par un coup de sifflet.
BLAISOIS. Alarme! on descend l'escalier, GROSLoW. Ce sera bientôt fait.
revenez! MORDAUNT. Il me faut une minute pour
MOUSQUETON. Ah! mon Dieu, que deve vous rejoindre; en une seconde , le câble est
nir... il n'aura pas le temps... coupé; nous faisons force de rames. et bien
GRIMAUD. C'est bon! tôt... oh! bientôt l'incendie... l'explosion ef-.
‘MOUSQUETON. cette planche, vite! froyable... ce sera un magnifique spectacle ,
Il repousse la planche enlevée et sa place devant. Gri n'est-ce pas, ma mère. . .
maud se cache derrière les tonneaux. La porte Il lève son chapeau en regardant vers le ciel.
s'ouvre. GRIMAUD, reconnaissant Mordaunt. Ah l
LES MOUSQUET A IRES. 57
GaOSLoW. Je cours donner le mot à mes pORTHos. Ventre bœuf, égorgeons tout!
gens. UARTAGNAN. Silence... mais silence donc!
MORDAUNT. Non, pas un mot, pas un si Mordaunt se voyait découvert, il serait ca
geste, pas un bruit... ne réveillez pas nos pable de se faire sauter avec nous... Ne dé
ennemis!... vous avez un quart d'heure; sespérons pas, ne nous défendons pas, ne
songez donc à tout ce qui peut arriver en tuons avec des ennemis comme mon
un quart d'heure. sieur Mordaunt, pas de faux point d'hon—
GnOSLoW. N'importe, ne perdons pas de neur, mordiousl... Grimaud, fais toujours
temps... monter tes camarades par le petit escalier...
Ils vont à la porte. Voyons .. (Il cherche.) Avez-vous confiance
MOUSQUETON. On n'entend plus rien ; en moil. . .
est-ce qu'ils l'auraient tué? TOUS. Oh! parlez! parlez!
RLAISOIS. Il aurait crié... Mais on ouvre IÏARTAGNAN. Eh bien, il n'y a qu'un seul
la porte; les voici qui reviennent. parti à prendre... pasdépées, pas de grandes
GROSLOW. après avoir fermé la porte. manières ici. .. partons l. . .
Ah! mes ordres sont suivis. Allons, vite. vite. PORTHOS. Partons... et par où ?...
(A Mordaunt.) Descendez à la cale; moi je UARTAGNAN, ouvrant le sabord par le
monte sur le pont. quel on voit la mer. Au-dessous de cette fe
MORDAUNT. Au coup de sifflet, je mets le nétre est leur canot remorqué par un câble.
feu! (Il regarde.) Athos, Aramis, saisissons le câ
A peine ont-ils refermé l'autre porte, que Grimaud se ble, nous atteindrons la chaloupe , nous en
lève pâle et tremblant. Il tient à la main la cruche,
et va heurter à la planche. Le vaisseau commence a
couperons la corde avec votre poignard,
marcher. Athos, et une fois isolés, sur un terrain bien
MOUSQUBTON, levant la planche. Venez, sûr, qu'ils nous attaquent s'ils l'osent... A la
ils n'y sont plus... Eh bien, en avez-vous tiré mer ! à la mer!
beaucoup ? ll attache une échelle de corde, qu'il l'ait descendre
GRIMAUD, s'approchant de la lumière. jusqu". la mer.
Oh! PORTHos. Il fait bien froid.
Il recommande le silence aux laquais et monte l'es UARTAGNAN. Mordious! il fera trop chaud
calier de la chambre des mousquetaires. tout à l'heure... Nos gens où sont-ils?...
MOUSQUETON. Eh bien! il emporte le GRIMAUD, MOUSQUETON, RLAISOIS. Nous
vin l voici!
Grimaud est à moitié passé hors du pont. D'Artaguan RLAISOIS. Je ne sais nager que dans les
fait un mouvement et se réveille.
rivières.
GRIMAUD. Chut! MOUSQUETON. Et moi, je ne sais pas nager
rYARTAGNAN. Quoi donc? du tout.
GRIMAUD. De la poudre! PORTHOS. Je me charge de vous deux.
Il lui parle à l'oreille.
UARTAGNAN. Est-ce possible, mon Dieu! Il les saisit à la ceinture.
(Mlme jeu de Grimaud.) Horreur! (A l'o UARTAGNAN. En avantl... en avant!
reille dur-amis.) Chevalier! chevalier Athos descend à l'échelle de corde, puis Aramis, puis
(Il lui met la main sur l'épaule.) Silencel... les autres. Le bateau continue à marcher.
réveillez Athos W‘
Aramis réveille Athos de la même façon.
ATHOS. Qu'y a-t-il? SCÈNE VI.
AnAMIs. Silence !
UARTAGNAN réveille Porthos qui se re LES MÊMES, ienfuyant par l'échelle et
lève brusquement et va parler quand d'Ar— Fecoutille, GROSLOW.
taguan lui ferme la bouche. Amis , amis, sa GROSLoW. Il est temps. Aux échelles, vi
vez-vous qui est le patron de cette barque?.. vement!
le colonel Groslow... Uhutl... Savez-vous ce voix UHOMMES. Nous voici!
qu'ilyadanscesbarriques pleinesde vin,disait GROSLOW. C'est bienl... vous tenez le
ou? tenez... (Il arrache la cruche des mains câble... embarquez (Il donne un coup de
de Grimaud et leur montre de la poudre.) sifflet, le vaisseau disparaît dans la coulisse).
Savez-vousenlin quel est l'homme qui va, dans Le câble est coupé!
un quart d'heure , mettre le feu à cette pou
On entend un grand cri de désespoir dans la coulisse,
dre? c'est Mordaunt. et l'on voit, dans le compartiment des tonneaux,
ATHOS. Mordaunt! nous sommes perdus! monter peu i peu la lueur de la mèche à laquelle
ennuiS. Défendons-nous! Mordaunt a mis le feu du fond de la cale.
5s MAGASIN THËATRAL

Œnzîimt Œabltau.‘
La pleine mer.

Le navire a disparu tout entier dans la coulisse. Le théâtre représente la pleine mer éclairée par la lune. Au mi
lieu de la scène, on voit la barque chargée des sept hommes. Athos achève de couper le câble avec son
poignard.

SCÈNE UNIQUE vous, monsieur le comte de la Fère ?. .. je n'y


vois plus... je me meurs... A moi! à moi l...
FABTAGNAN . PORTHOS , ARAMIS , ATHOS, se penchant et étendant le bras
ATHOS, GRIMAUD, MOUSQUETON, vers Mordaunt. Me voici, monsieur, me
BLAISOISJMiS MORDAUNT dans la mer. voici; prenez ma main et entrez dans notre
UARTAGNAN. Maintenant, mes amis de embarcation.
crois que nous allons voir quelque chose e UARTAGNAN. J'aime mieux ne pas le re
curieux. garder; cette faiblesse me répugne.
Ou voit dans le lointain reparaître la petit bâtiment ATHOS. Bien! mettez votre autre main ici.
avec des hommes sur le pont. L'explosion éclate; 5H lui offre son épaule comme second point
une vive clarté illumine toute la mer. 'apmti. ) Maintenant vous voilà sauvé, trau
ARAaus. C'est superbe ! quillisez-vous.
PORTHOS. Voilà ce que c'est! MORDAUNT, avec rage. Ah! ma mère, je
UARTAGNAN. Pour le coup... noussommes je ne peux t_'olIrir qu'une victime; mais ce
débarrassés de ce’ serpent“... qu'en dites sera du moins celle que tu eusses choisie!
vous? . . D'Artagnan pousse un cri, Porthos lève l'aviron, Ara
ATHOS. C'est horriblel... c'est horrible! mis cherche une place pour frapper; une secousse
donnée à la barque entralne Athos dans l'eau.
UARTAGNAN. C'est horrible, si vous vou
lez, mais c'est oonsolant... Force de rames, roRTHOS. Oh l Athos l Athos l malheur sur
mes amisl... '
nous qui t'avons laissé mourir!
MORDAUNT, dans la mer. A moil... au ARanaS. Malheur!
secours l.. . _
UARTAGNAN. Oh! oui, malheurl... AhL. .
ÜARTAGNAN. C'est la VOIX de Mordauntl. .. voyez... ce cadavre... qui monte lentement...
C'est Mordaunt!
encore lui, le démon! On voit paraltre à la surface des flots le cadavre de
MORDAUNT, nageant. Pitié! messieurs, Mordaunt avec le poignard dans le cœur.
pitié, au nom du ciel! je sens mes forces qui ARAMIS. Il a un poignard dans le cœur l...
m'abandonnent. PORTHOS. Le voilà flottant sur le dos des
ATHOS. Le malheureuxl... arrêtez, mes lames.
amis... IÏARTAGNAN. Ah! saugdiou!... c'est le
IYARTAGNAN. Athos, je vous déclare que, Mordauntl...
s'il approche à dix pieds de la barque, je lui PORTHOS. Le beau coup!
tends la tête d'un coup d'aviron UARTAGNAN. Mais Athos, Athos l... où
MORDAUNT, nageant. De grâce... ne me est-ill...
fuyez pas, messieurs... de grâce... ayez pitié ATHOS, reparaissant et s'attachant d la
de moil. .. barque. Me voici...
ATHOS. Oh! cela me déchirel... D'Arta— Explosion de joie des amis qui enlèvent Athos dans
gnanl... d'Artagnanl... mon fils... il faut la barque.
qu'il vive. ARAnas. Enfin, Dieu a parlé! ,
IYARTAGNAN. Mordious! pourquoi ne vous UARTAGNAN. Mort de la main d'Athosl...
livrez-vous pas tout de suite pieds et poings ATHOS. Ce n'est pas moi qui l'ai tué;c'est
liés à ce misérable ?... ce sera plus tôt lait. le destin.
MORDAUNT. Monsieur le comte de la Fère! UARTAGNAN. Qu'importe , pourvu qu'il
c'est à vous que je m'adresse, c'est vous que soit mortl... Et maintenant, amis, en France!
je supplie, ayez pitié de moi l... Où êtes TOUS. En France l... en Francel...

Paris -- lalyntncrn- Donilcv-llupré, rue Sïlnl-Lnlltl, 46, au larais.


Avant de livrer au public ce drame, emprunté à la seconde partie du roman des
Trois Mousquetaires , nous avons dû nous préoccuper d'un danger qui nous était
signalé par bon nombre d'expériences, la presque impossibilité de transporter
avec succès un roman au théâtre: cela nous a conduits à rechercher, à recon
naître et à analyser les éléments du succès que le roman paraît avoir obtenu.
Les quatre principaux personnages représentent en deux types et en deux
nuances de ces types la pensée et l'exécution, l'esprit et la matière. Athos est la
pensée noble, d'Artagnan la pensée active, Aramis l'égoïsme civilisé, Porthos
la force brutale mais soumise. Du conflit de ces quatre natures résulte l'action ;
de l'union de ces forces résulte pour les quatre hommes une force supérieure
à toutes les autres. Leurs facultés sont combinées de telle sorte qu'en les isolant
deux par deux, Athos devient le d'Artagnan d'Aramis qui est réduit au rôle d'un
Porthos, et d'Artagnan est un Athos pour Porthos qui, lui, reste toujours ce
qu'il est par rapport à d'Artagnan. Ainsi, malgré l'influence et la variété des évé
nements, ces hommes réduits à un couple conservent une valeur qui peut les
rendre parfois supérieurs atout ce qui n'est pas l'autre couple, mais qui n'est plus
l'infaillibilité ni la suprématie absolue. Il y avait donc intérêt à les voir unis d'a
bord , puis séparés , puis réunis; — car de ces péripéties ressortait nettement l'idée
du livre. C'est la que nous avons cru devoir saisir le drame, au développement
duquel dix-huit volumes avaient paru nécessaires.
Le drame ainsi choisi dans le roman, restait la mise en œuvre. Nous sommes
heureux de constater qu'elle se trouve presque complète dans le livre, ce quiI
en réciproque , nous a expliqué pourquoi le roman avait joui de quelque faveur.
Un livre dans lequel le drame est confus et incomplet peut valoir par le détail et
le style, qui sont la mise en scène d'un roman. Mais tout roman qui renferme
un drame saisissant et achevé réussit nécessairement, et la mise en scène du
théâtre , combinée avec celle du livre, en centuple la valeur.
Notre choix fait, nous primes la résolution de conserver pur et fidèle ù la scène
le dessin des caractères tracés dans le livre. Mais alors nous nous aperçûmes
qu'il faudrait dévier un peu de la route jalonnée : car en suivant rigoureusement
l'histoire, et le roman lui-même, nous ne trouvions d'autre figure de femme
qu'une reine bien elfacée, bien pale , bien insignifiante. Nous ne pouvions repré
senter utilement le Louvre si froid en 1648, si désert, et si plein de la misère
royale , seul intérêt qui s'attache à la reine déchue. Nous avons sacrifié à la né
cessité en crayonnant de fantaisie une reine de théâtre. Elle ne ressemble pas à
madame Henriette de France : nous le savions en dessinant, et voilà notre seule
excuse.
Nous devons signaler maintenant l'une des chances les plus réelles de suc
cès que le roman ait rencontrées en passant sur la scène. C'est l'intelligence, le
zèle et la conscience des artistes de I'Ambigu. Quelques-uns ontdéployé dans leurs
rôles des talents hors ligne, tous ont montré une aptitude. lls ont réussi par le dé
tail et par l'ensemble. .
M. Mélingue a réuni dans la composition du personnage difficile de d'Artagnan
l'esprit bouillant de l'aventurier qui cherche et la froide expérience de l'homme
qui sait. Il a su être terrible une fois , amusant toujours; sous l'enveloppe railleuse
et sceptique du Gascon, il a laissé percer avec beaucoup d'art la chaleur d'une âme
jeune et dévouée: c'était un grand rôle qui s'est trouvé à la taille d'un grand
artiste.
Il fallait pour représenter Mordaunt cette pensive attitude, cette parole accen
tuée, cette cauteleuse circonspection de l'homme qui interroge toujours et ne répond
jamais. Il fallait jusqu'à la finesse d'une nature souple et nerveuse. M. Chilly a
été l'homme et le talent que nous cherchions. Mordaunt, ainsi représenté efiraie et
intéresse.
Athos est le type de l'intelligence, de la loyauté, de la valeur, de la prudence.
Il était délicat de faire ressortir les côtés scéniques de ce personnage un peu idéal.
M. Saint-Ernest, avec une diction irréprochable, une noblesse parfaite de manières,
une chaleur mesurée, un tact exquis, a triomphé des difficultés souvent insurmon
tables qu'éprouve la fantaisie à revêtir un corps.
N'eût-il pas été cruel pour nous et fâcheux pour le succès de l'ouvrage de perdre
cette tragique figure, cette noble et séduisante douleur d'Henriette de France,
que Mme Emilie Guyon personnifie avec une ame tendrement énergique et une
sympathique beauté?
M. Matis a dignement représenté la grande et austère figure de CromWell. Une
scrupuleuse exactitude historique, l'étude si consciencieuse du caractère, ont assuré
le succès de ce personnage et de l'artiste distingué qui le jouait.
Le caractère d'Aramis l'élégant, d'Aramis l'incrédule, d'Aramis aux habits
brodés d'or et au cœur de diamant, a été habilement saisi, habilement rendu
par M. Baron.
M. Verner est le plus spirituellement lourd , le plus ingénieusement obtus qu'on
puisse voir dans l'exhibition de ce géant Porthos, dont le public a pris en faveur la
naïve faconde et la superbe encolure.
Le rôle si court de Madeleine Turquenne, la pensée intime de d'Artagnan, est
devenu important, et nous y comptions, grâce à la finesse, à l'esprit et à la mali
cieuse gaieté de M"° Hortense Jouve.
Noble, chaleureux, poétique, tel est le Charles I'r que M. Lacressonnière nous
a représenté. Nous lui avions montré le portrait de Van Dyck, il a su l'animer.
C'est un rôle difficile que celui de lord de Winter; il exige un talent sûr, de la
tenue, de la conscience. M. Cullier l'a joué en comédien consommé.
Tous nos éloges à M. Latouche, pour l'énergie et la sensibilité vraie, qu'il a
déployées dans la création du bourreau de Béthune. Le public l'en a remercié
avant nous.
Mne Racine, fort gracieuse sous les habits de l'hôtesse, MM. Stainville,
Didier, Alexandre, Lauré, dans les rôles de Groslow, Tom-Lowe, Parry et
l'Hôtelier de Béthune, nous ont fait regretter que ces rôles soient si fort au
dessous de leur talent.
M. Ménier a reproduit bien heureusement le mélancolique Grimaud. Il est plus
difficile qu'on ne croit de dire beaucoup de choses sans parler.
M. Laurent, à qui sa franche et entraînante gaieté présage un bel avenir, a
trouvé moyen de faire rire trente fois en prononçant les vingt mots du rôle de
Mousqueton. \

Qu'ils veuillent bien accepter ces lignes moins comme de justes éloges que
A tomme de sincères remercîments.
e

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