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LE ROLE DE L'"AUCTORITAS" DANS LA "MANCIPATIO"

Author(s): Fernand de Visscher


Source: Revue historique de droit français et étranger (1922-) , 1933, Quatrième série,
Vol. 12, No. 4 (1933), pp. 603-644
Published by: Editions Dalloz

Stable URL: https://www.jstor.org/stable/44758474

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LE

ROLE DE L' AUCTORITAS


DANS LA

MANCIPATIO

Tout progrès scientifique s'annonce par une crise plus


011 moins prolongée des théories en vogue. Celle de la
mancipatio traverse en ce moment, chez les romanistes,
l'une de ces crises que l'on peut croire bienfaisante. Il y
a quelques années, la mancipatio n'était encore, pour
la plupart d'entre nous, qu'un acte conventionnel de
transfert de droits sur lequel venait se greffer, de façon
assez naturelle, une garantie du chef d'éviction. Système
commode et confortable en somme, aussi proche que
possible de notre technique juridique moderne, où pres-
que rien ne pouvait troubler nos façons habituelles de
penser.
Cependant, déjà v. Ihering avait attiré l'attention sur
les singularités du rite dela mancipatio (1). Ce qui frappe
avant tout dans ce rite, c'est, d'une part, l'initiative prise
par l'acquéreur qui, dès le début de l'opération, affirme
ex abrupto que la chose est sienne : Hune ego hominem
ex iure Quiritium meum esse aio isque mihi emptiis

(1) Esprit du Droit romain, trad, de Meulenaere, 3* éd., Ill, p. 234.


Revue hist. - 4# sér., T. XII. 40

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esto, etc. Et c'est, ďautre part, le rôle en quelque s


passif du mancipio dans . Ces formes sont tout le
traire de celles que nous attendrions d'un acte transl
de droits, dans lequel l'initiative devrait logiquem
venir du mancipio dans, sous la forme d'une déclarat
de cession ou d'attribution de propriété à l'acheteu
renversement des positions est décisif. Pour qui t
compte de la rigueur avec laquelle sont établies les
mules romaines, il suffit à ruiner la conception t
tionnelle de la mancipatio .
Usant d'une méthode plus stricte, les travaux pa
au cours de ces dernières années ont résolument rom
avec cette conception. C'est aux rites mêmes de la ma
cipatio qu'ils ont demandé les éléments d'une reco
tution de son architecture juridique. Notre point de
s'en est trouvé complètement modifié. La déclaration
l'acquéreur doit désormais être reconnue comme l
fondamental de l'opération tout, entière, et non com
l'aboutissement d'une activité juridique antérieure
parties (1). C'est par cette déclaration que s'ouvre le r
de la mancipatio et c'est elle qui doit en command
tout le mécanisme.
Mais d'où cette déclaration unilatérale tient-elle son
efficacité? Comment peut-elle déterminer une acquisi-
tion? C'est là que gît aujourd'hui toute la difficulté,
v. Ihering supposait « que l'ancien propriétaire abandon-
nait la chose et que le nouveau propriétaire en prenait
possession » (2). Il s'agirait donc d'un acte d'occupation.
Par malheur, le rite de la mancipatio n'offre pas trace
d'un acte d'abandon antérieur à la déclaration de l'acqué-
reur. Mais il y a plus : supposer pareil abandon équivaut
à fausser encore une fois l'aspect véritable de ce rite,

(1) V. sur ce point les observations très justes de Hüsserl, Mancipatio ,


Zeitschr. d. Sav. -Stift., R. .4., L, 1930, p. 480 et s.
(2) Esprit du Droit romain , IV, p. 137 et s. Dans le même sens, Lévv-
Briihl, La formule vindicatoire , cette Revue , 1932, p. 213 et s.

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LE RÔLE DE '?AUCT0RlTAS DANS LA MANCIPATIO . 605

en attribuant à Taliénateur l'initiative de l'opération»


M. Hägerström tranche le problème par la force magique
attachée à la formule (1). M. Hüsserl, enfin, a proposé un
système, plus étrange encore et compliqué, dans lequel
l'acquéreur nous apparaît comme commettant un acte
d'agression ou d'usurpation, délit dont il se rachèterait
par le paiement du prix (2). C'est toujours le mirage de
la valeur universelle du délit comme moyen d'explication
des institutions primitives.
Aucune de ces tentatives ne semble pouvoir rendre
compte ni du mécanisme originaire de la mancipatio , ni
de sa transformation dans les conceptions pratiques du
droit classique.
En somme, les travaux actuels paraissent avoir fort
bien mis en lumière la forme essentielle et caractéris-
tique de la mancipatio . Mais cette forme demeure vide
► et sans nerf. Elle n'est, suivant l'épithète que le langage
homérique appliquait aux ombres, qu'une « tête sans
force ». Et, comme les ombres anxieuses qui peuplaient
le royaume d'Hadès,elle erre aujourd'hui, dans le champ
de nos théories, à la recherche du principe qui lui rendra
quelque vie.

1. - v. Ihering a cherché la solution de l'énigme dans


la théorie de l'occupation, M. Hüsserl dans celle des
délits. Mais peut-être n'a-t-on pas suffisamment utilisé
toutes les données que nous' offre le système de la man-
cipatio lui-même.
A la vérité, la façon dont la doctrine courante nous
présente ce système en fait une création plutôt composite.
Cette doctrine sépare radicalement les deux effets fonda-
mentaux de la mancipatio , l'effet acquisitif, et la garantie
due à l'acquéreur contre l'éviction. L'effet acquisitif est

(lj Hägerström, Der römische Obligationsbegriff , I, p. 35 et s.


(2) Hüsserl, art. cit., p. 484.

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rattaché, sans grand succès d'ailleurs, tantôt à l'idée


transfert conventionnel de droits, tantôt à l'idée d'oc
pation. La garantie d'éviction paraît avoir trouvé
base plus sûre, directement attestée par nos sour
elle se fonde sur l'idée d'anctoritas , c'est-à-dire, suiv
l'interprétation commune, .sur l'appui que l'aliéna
doit à l'acquéreur contre la revendication des tiers. B
que formellement déclenchés par un même acte, les
effets de la mancipatio se développent en quelque
parallèlement, mais séparément, sans aucune conn
réelle.

Cette conception disjonctive, si je puis la qualifier


ainsi, n'est pas sans inconvénients. Elle isole chacun des
effets de la mancipatio , et le renferme dans un compar-
timent clos, dans lequel il aurait à trouver son explica-
tion tout entière. Elle limite ainsi arbitrairement le
champ de nos recherches. Cette méthode n'est pas fort
naturelle non plus, car tout tendrait au contraire à faire
supposer une certaine connexité entre ces effets nés d'un
même acte.

C'est de cette méthode que nous allons tenter de nous


libérer. Prenant le système de la mancipatio dans son
ensemble, nous répudierons toute classification plus ou
moins a priori des données fournies par nos sources. Et
nous ne nous ferons aucun scrupule de prendre en con-
sidération, pour expliquer un des effets dela mancipatio ,
certaines données que la doctrine réserve encore exclu-
sivement à l'autre.
2. - La vraie difficulté, nous l'avons dit, consiste au-
jourd'hui à expliquer l'efficacité de la déclaration unila-
térale de l'acquéreur. Puisque ni l'idée d'occupation, ni
celle de transfert, puisque aucune des formes usuelles
d'acquisition de la propriété ne peut nous tirer d'embar-
ras, voyons si le système de la mancipatio lui-même ne
renferme pas quelque donnée utilisable.
Or, parmi ces données, il en est une qui nous a paru

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LE RÔLE DE h AUCTORITÂS DANS LA MANCIPATIO. 607

offrir une solution satisfaisante et complète du problème.


Cette donnée, c'est Yauctorilas du mancipio dans.
Sans doute, suivant les théories actuelles, Yauctorilas
n'occuperait dans la mancipatio qu'une fonction bien
délimitée : elle formerait la base spéciale et exclusive de
la garantie du chef d'éviction ; bien rares sont ceux qui
ont songé à lui reconnaître un rôle plus étendu.
Mais cette limitation de son rôle tient peut-être à la
manière dont la question a été étudiée.
C'est qu'en effet la plupart des romanistes n'ont guère
considéré Yauctoritas qu'à propos de la garantie d'évic-
tion. C'est uniquement en vue et en fonction de cette
garantie qu'ils se sont occupés de définir la nature et de
fixer le rôle de Yauctoritas. Girard lui-même, au seuil de
ses admirables études sur Y actio auctoritatis, ne procède
pas autrement (4). Résolument, il écarte comme sans
intérêt, pour la notion de Yauctoritas dans la mancipa-
tio , tous les textes où les mots auctor , auctoritas sont
pris dans un sens qui dépasse la simple mise en jeu de la
garantie. Bref, nous avons longtemps fait de ce système
de garantie un véritable lit de Procuste pour la notion de
Yauctorilas , retranchant sans remords tout ce qui pou-
vait en excéder l'exacte mesure.

Je vais ici user d'un procédé inverse, et prendre pour


point de départ, non le système de la garantie, mais la
notion de Yauctoritas elle-même.
3. - Je ne recourrai pas à l'argument étymologique.
Il ne fournit qu'une indication extrêmement vague, sus-
ceptible d'être accommodée aux hypothèses les plus arbi-
traires (2). Il est d'autant plus superflu de recourir à cet
'l) Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 158, n. 1.
(2) Ernout et Meillet, Dictionnaire étymologique de la langue latine ,
v° Augeo. Auctor, auctoritas sont des dérivés ď au geo. Mais comme l'ob-
servent très justement ces auteurs, le sens de ces dérivés est tel qué « la
parenté n'est souvent plus sensible avec augeo » (p. 84). Pour le surplus, la
notice de ce dictionnaire sera d'un mince secours aux historiens du droit; c'est
ainsi qu'elle néglige complètement les rapports essentiels de I' auctoritas

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argument que, dès l'aube de l'histoire, les mots au


auctoritas nous apparaissent avec un sens juridique
parfaitement précis.
La notion ou, pour mieux dire, l'institution .de Yaucto-
ritas a joué un rôle immense dans la vie juridique
romaine, tant publique que privée (1). Et partout, :elle
revêt, à l'origine tout au moins, des caractères iden-
tiques.
Je ne puis ici que très rapidement parcourir ses prin-
cipales applications.
C'est tout d'abord Y auctoritas des Patres ou du Sénat,
c'est-à-dire, suivant la définition de Mommsen, la ratifi-
cation de la résolution prise par le peuple sur la proposi-
tion du magistrat (2). L 'auctoritas n'est donc pas un
conseil, mais une approbation donnée à l'acte déjà
accompli par un autre organe. La doctrine des haruspices
męt cette distinction parfaitement en lumière : elle dis-
tinguait le fulgur consiliarium9 la foudre conseillère,
qui éclate avant l'acte, et le fulgur auctoritatis , qui se
produit post rem factam et qui approuve, « probat rem
factam»(3).
Le peuple lui-même, réuni en comices calates, donne
dela même façon son auctoritas à quelques actes essen-
tiels de la vie privée. Cela nous est formellement attesté
pour l'adrogation, où le peuple n'apporte son auctöritas
qu'après le consentement exprimé par les deux parties
avec la mancipatio. Cette lacune a conduit les savants auteurs à émettre
une hypothèse, très contestable à notre avis, sur l'origine de auòtor pris
dans le sens to vendeur. Voyez infra, p. 612, n. 1.
(1) Pour une bonne élude d'ensemble, voyez Heinze, Hermès , 1925,
p. 348 et s.
(2) Droit public romain , VII, p. 236. On sait que la Lex Pņblilia
Phiionis de 415/339 et la Ļex Maenia du début du 111e siècle avaqt, notre
ère : firent de Vauptoritas patrům une formalité, préalable au vote des
comices.
(3) Sénèque, Nat. quaes ti on es, II, ,39, 1, d'après A. Caecina, auteur
d'une E trusca disciplina; Servius, Aen., VIII, 524. Voyez Pauly -
.Wissooąs iř, Haruspices , c. 2444.

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LE RÔLE DE L ' AUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO. 609

(Gaius, I, 99). Et c'est aussi sous cette forme de ratifica-


tion que devait se produire l'intervention des comices
dans le testament public de l'ancien droit.
Du droit public passant au droit privé, nous rencon-
trons Yauctoritas du tuteur. Point n'est besoin encore
une fois de recourir à l'étymologie, d'où nous tirerions
seulement l'idée quasi mystique, et d'ailleurs inexacte,
d'un accroissement apporté à la personnalité de l'inca-
pable (1). Paul, au L 8 ad Sab ., De tutelis (D.f 26, 8, De
auct.9 fr. 3), nous en donne une définition technique
absolument précise : « Etiamsi non interrogatus tutor
auctor fiat (2), valet auctoritas eius, cum se probare di-
cit id quod agitur : hoc est enimauctorem fieri ». Probare
id quod agitur , approuver, ratifier l'acte accompli par
quelqu'un, telle est, partout et toujours, la signification
juridique de Yauctoritas.
4. - Essayons à présent d'appliquer cette notion tech-
nique à Yauctoritas du mancipio dans. Que cette aucto-
ritas forme un élément nécessaire et inhérent à toute
mancipatio , c'est aujourd'hui un fait bien établi et sur
lequel nous n'avons pas à revenir après la démonstration
décisive qu'en a faite Girard (3).
L'acquéreur, esquissant un geste de possession sur la
chose, dit : « Hune ego hominem ex iure Quiritium meurn

(1) J'ignore quel Lez Le pourrait jusLiûer cette interprétation courante de


la fonction du tuteur dans Yauctoritas : « auget personam pupilli » (V.
par ex. Girard, Manuel , 8fléd., p. 229). 11 est sûrement inexact de ramener
cette fonction à une coopération du tuteur à l'acte juridique, comme le font
aussi Girard (ibid.) et Bonfante (Corso di Diritto romano , I, p. 440).
V auctoritas n'intervient qu'après l'accomplissement de l'acte. Voyez Ulpien,
l. 8 ad Sab ., D., 29, 2, De adqu. v. om. h., fr. 25, § 4 : « (tutoris aucto-
ritas) quae interponitur perfecto negotio ».
(2) 11 convient sans doute, pour restituer à ce texte une construction accep-
table, de corriger : « Etiamsi non interrogator tutor an aucLor fiat, etc. ».
Cpr. Valerius Probus, IV, In L. A., 8 : « Postulo anne far (fiaa ou fuas) ,
auctor?».'

(3) Mélanges de Droit romaini II, p. 17 et s.

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esse aio, isque mihi emptus esto (1) hoc aere aen
libra ». Il déclare que la chose est sienne selon le
des Quirites et qu'elle lui est acquise moyennant un
qu'il remet au vendeur. En présence de cet acte unila
d'achat accompli par l'acquéreur, quel sens allons-
reconnaître à Yauctoritas du vendeur ? Celui que Yau
ritas possède dans toutes les circonstances où nous
l'avons vue intervenir, celui d'une approbation ou ratifi-
cation donnée à cet acte : « probare quod agitur; hoc est
enim auctorem fieri ». L'auctoritas ne sera donc pas,
comme l'avaitpensé Girard, l'acted'assistancedonné parle
vendeur à l'acquéreur contre la revendication des tiers (2),
ni même le devoir ou l'obligation de fournir cette assis-
tance; elle sera, selon le sens technique et général du
mot, la ratification ou confirmation par le vendeur de
la déclaration unilatérale d'acquisition énoncée par l'ac-
quéreur. Cette ratification couvre la déclaration de l'ac-
quéreur et en garantit l'efficacité absolue , tant vis-à-vis
du vendeur lui-même que vis-à-vis des tiers. - L'aucto-
ritas nous apparaît ainsi comme le fondement de la tota-
lité des effets de l'acte, et comme le véritable ressort de
la mancipatio .
Cette hypothèse est déjà rendue plausible par le sens
et le rôle normal de Yauctoritas dans la vie juridique
romaine (3). Mais il nous faut voir avant tout quelle
confirmation elle peut trouver dans la terminologie de
nos sources.

5. - D'après la conception nouvelle et beauco


large de Yauctoritas que nous venons d'indique
de celle-ci s'étend à la fois à l'eifet acquisitif de
cipatio et à la garantie d'éviction. 11 est super

(1) « est » ? Voyez Wlassak, Zeitschr. d. Sav.-Stift., R. A ., 1


(2) Mélanges de Droit romain , II, p. 8 et s., 213.
(3) Elle n'a, à notre connaissance, été indiquée que par Br
sungszwang, Festg. für Planck, p. 158, et semble depuis être
l'oubli.

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LE RÔLE DE I ? AUCTOMTAS DANS LA MANCIPATIO. 611

sister sur les rapports entre Vauctoritas et cette garan-


tie. C'est seulement avec l'effet acquisitif que l'existence
de pareils rapports a besoin d'être démontrée. Or il nous
suffit à cet égard de reprendre la masse des textes que
les méthodes actuelles, uniquement préoccupées de la
garantie d'éviction, avaient fait écarter.
Nous relevons au Digeste une série de textes dans les-
quels le mot auclor désigne simplement X « auteur », au
sens moderne du mot, c'est-à-dire celui dont on a acquis
lachóse, sans que rien n'évoque l'idée de garantie contre
les tiers.

Dans certains cas, cette dénomination s'applique sûre-


ment à un mancipio dans (1). Mais nos sources con-
naissent aussi un usage infiniment plus large de ce
mot, et nous le trouvons appliqué au vendeur, sans que
l'on puisse établir l'intervention d'une mancipatio^ 2), au
précédent possesseur, comme dans lathéoriede X accessio
possessionis ou temporis (3), ou encore, de façon toute
générale, à celui dont on tient ses droits (4). Cette termi-
nologie s'explique le plus naturellement si l'on considère
que le rôle du mancipio dans était essentiellement celui

(1) Ainsi dans Labéon chez Ulpien, D.f 43, 12, De flum ., fr. 1, § 22 :
« Labeo scribit, si auctor tuusaquam derivaverit, et (te teneri) hoc interdicto,
si ea tu utaris ». Ulpien, l. 60 ad ed., D., 43, 17, Uti poss ., fr. 3, § 4 :
« item videamus, si auctor vicini tui ex fundo tuo vites in suas arbores
transduxit, quid juris sit ».
(2) Paul, I. 3 ad PL , D., 10, 3, Comm. div., fr. 14, § 3 : «eadem excep-
tione summovebifur (emptor) qua auctor eius summoveretur »; Ulpien,
I. 16 ad ed., D., 6, 2, De pubi., fr. 14 : « si non auctor meus ex volúntale
tua vendidit » ; Id., I. 70 ad ed., D., 50, 17, De div. reg., fr. 156, § 3 :
« eadem causa esse debet... quae fuit auctoris »; Id., I. 75 ad ed., D., 44, 2,
De exc. rš i., fr. 9, § 2; Id., 1.76 ad ed., D., 44,4, Ded. m., fr. 4, §§27
et 31.
(3) Venuleius, l. 5 inst., D., 44, 3, De div. t., fr. 15, g 1 ; Ulpien, lě 70
ad ed., D.f 43, 19, De it., fr. 3, § 2; Id., I. 72 ad ed., D., 41, 2, De adq.
v. am., fr. 13, § 1; Id., I. 3 disp ., D., 44, 3, De div. t., fr. 5.
(4) Paul, l. 11 ad Pl., D., 50, 17, De div. r ., fr. 175, § 1 : « non
debeo melioris condicionis esse, quam auctor meus, a quo ius in me tran-
sit ».

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d'un auctor. De ce fait, le mot auctor a pris très


ment le sens plus large de vendeur, aliénateur (1)
doute cette signification large est sans rapport p
avec le sens technique de Yauctoritas dans la ma
patio : mais elle n'en témoigne pas moins en fave
l'efiet acquisitif que nous avons attribué à celle-ci.
Dans cette masse de textes, il en est qui doivent
spécialement retenir l'attention. Ce sont ceux qui
nent au mancipio dans le nom à" auctor, à l'occasi
certains litiges relatifs à l'étendue du fonds vendu,
que l'a. de modo agri.
Paul, L 5 ad Sab., D.f 19, 1, De act . e. v., fr. 4, § 1
« Si modus agri minor invenitur, pro numero iug
auctor obligātus est ». Voyez aussi Scaevola, l. 7 d
D., eod. (it., fr. 52, §3 : « quaero, an ripa, quae ab
toreconiuncta erat, ademptorem quoque iure emp
pertineat ».
Seules les parties à la mancipatio interviennent dans
de tels litiges; point n'est question d'une assistance quel-
conque du vendeur contre les tiers. L'effet acquisitif de
Facte forme l'objet unique de la contestation. Si néan-
moins le mancipio dans se trouve mis en cause comme
auctor, c'est que cet effet lui-même se rattache à son
auctoritas. On peut dans le même sens rappeler Cicé-

(1) Dans celte acception juridique, le mot auctor paraît aussi avoir subi
l'influence de son sens premier, toujours vivace daqs la langue vulgaire
(celui qui fait croître, produit ou engendre); et c'est ainsi que nous le trou-
vons, dans la jurisprudence, employé avec une prédilection particulière pour
marquer l'idée que l'acquéreur ne sauraiL jouir d'une situation meilleure que
celle de son auteur. Voyez, outre les textes cités aux notes précédentes,
Cicéron, In Vertem, II, 5, 22, 55 : « Tum illi intellexerunt quod a malo
lauctore émissent, diutius obtinere non posse ». - Suivant MM. Ernout et
Meillet [Dictionnaire étymologique, p. 84 et 85), c'est de audio, vente
aux enchères, que auctor aurait tiré la signification de vendeur. Celte déri-
vation nous paraît beaucoup plus hasardeuse que celle que nous suggérons
en pous basant sur le rôle capital de Vauctoritas dans l'institution archaï-
que de la mancipatio .

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LE RÔLE DE Ì? AUCTOMTAS DANS LA MANCIPATIO . 613

ron* Pro Tullio , 7, 17 : « Nequedum fines auctor demons-


traverat... ».

Un sérieux indice nous est d'autre part fourni par Ia


dénomination d 'auctor secundus donnée au garant qui,
selon un usage extrêmement fréquent, intervenait aux
côtés du mancìpio dans. U est vrai qu'un texte d'Ulpien
semble limiter le rôle de ce garant à celui d'un fidéjus-
seur ob evictionem (1). Mais cette information se trouve
démentie par les actes de la pratique et notamment par
les triptyques dits de Transylvanie, où Yauclor secundus
figure comme garant non seulement à la clause relative
à l'éviction, mais avant tout à l'acte de mancipation lui-
même... Par exemple : « Dasius Breucus emit mancipio-
queaccepit puerum Apalaustum... de Bellico Alexandři,
fide rogato M. Vibio Longo » (2). C'est donc bien de l'en-
semble de la mancipation et de ses effets que Yauclor
secundus se porte garant, et non pas seulement des obli-
gations relatives à l'éviction. Or, son rôle ne peut être
que le reflet exact de celui de Yauclor principal. Nous
sommes donc fondé à conclure que la totalité des effets
de la mancipatio , tant acquisitifs que de garantie d'évic-
tion, se rattache à la fonction d 'auctor que celui-ci oc-
cupe dans cet acte.
Au reste, le nom de fideiussor ob evictionem que sem-
ble préférer Ulpien se justifie aisément. Dans l'immense

(4) Ulpieo, l. 32 -ad ed., D., 21, 2, De ev., ir. 4, pr. : « II lud quaeritur,
an is qui mancipium vendidit debeat fideiussorem ob evictionem dare, quem
vulgo auctorem secundum vocant ».
(2) Girard, Textes , 4* éd., p. 844; Bruns, Fontes , n° 130. Voyez aussi
la mancipation d'une esclave (Girard, Textes, p. 845; Bruns, Fontes ,
n° 132) : « Claudius Julianus... emit mancipioque accepit mulierem nomine
Theudotem... de Claudio Phileto fide accepto Alexandro Antipatri ». Dans
chacun de ces deux actes le garant apparaît à trois reprises, dans la for-
mule énonçant l'achat et la mancipation d'abord, dans la clause de garantie
•ensuite (...id fide sua esse iussit A. A.), enfin dans la souscription (A/.fi£av-
&pet AvTi7raTpi oexoSo au/crcp servai). On comparerà utilement la fonction de
ce garant avec celle du irp&7roÀYjTT,ç grecē

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614 FERNAND DE VISSCHER.

majorité des cas, Yauctor secundus ne sera effectivem


mis en cause qu'à l'occasion d'une revendication exer
par un tiers (1). Mais il est sans doute plus exact d'
mettre que dans son sens vulgaire le mot evictio e
brasse toute dépossession, même celle qui résulte du f
du vendeur lui-même (2). Or, telle est précisémen
portée dela garantie qui constitue, selon nous, l'esse
même de Vauctoritas. En tout cas, jamais l'idée d'u
garantie totale de Yauctor secundus , pour l'aliénat
aussi bien que contre la revendication des tiers, ne par
s'être effacée. Une constitution d'Alexandre Sévère
231 ; G. 1., 8, 44, De eo ., 1. 11) nous en fournit la preu
Se prévalant d'une acquisition antérieure, celui qui é
intervenu comme fidéjusseurà une vente (« quem ab au
tore tuo fìdeiussorem accepisti ») intentait à l'achet
une action en revendication. Notre rescrit accorde à
l'acheteur une exception de dol, car, dit-il, « le fidéjusseur
a si bien consenti à la vente qu'il s'est même obligé à la
garantie d'éviction : « qui vendenti adeo consentit, ut se
etiam pro evictione obligaverit » (3). C'est donc avant

(i)0a pourrait même être amené à supposer que dans les ventes sans
mancipation cette garantie ne figurait en fait que dans la clause relative à
l'éviction. Voyez par exemple, P. Brit. Mus., 229 (Girard, Textes, p. 847 ;
Meyer, Juristiche Papyri , n° 37) : « si quis eum puerum partemve quam
eius evicer t, simplam pecuniam sine denuntiatione recle dare stipulatus est
Fabullius Macer, spopondit Q. lulius Priscus : id fide sua et auctoritate
esse iussit C. Iulius Antiochus ». Cependant dans la souscription la garan-
tie semble se rapporter à l'ensemble de l'opération, et la même observa-
tion s'applique à la tablette de Giessen (Eger, Zeitschr. d. Sav.-Stift .,
i?. A ., 1921, p. 452 et s.), également relative à une vente sans mancipa-
tion, et dont la scriptura exterior , seule conservée, porte : « isdem consu-
libus eadem die Domitius Theophilus scripsi me in venditione puellae
Marmariae supra scriptae pro Aeschine Aeschinis filios Flaviano secundum
auclorem exs ti tisse ».
(2) Uipien, I. 29 ad Sab., D., 21, 2, De ev., fr. 17. - V. infra, p. 629.
(3) « Exceptione doli recte eumsubmovebis, quern ab auctore tuo fìdeius-
sorem accepisti, si eius nomine controversiam refert, quasi per uxorem suam,
antequam tu emeres, comparaverit, qui vendenti adeo consensum dédit, ut
se etiam pro evictione obligaverit ».

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LE RÔLE DE L ' AUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO. 615

tout à la vente, à l'aliénation que le fidéjusseur apporte


sa garantie, et l'obligation qu'il assume pour le cas
d'éviction n'est que l'un des aspects ou l'une des mani-
festations de cette garantie. Pareille conception du rôle
de Yauctor secundus correspond exactement à celle que
nous nous sommes formée de Yauctoritas du mancipio
dans et constitue en sa faveur un argument direct.
Il nous sera permis enfin d'attirer l'attention sur un
fragment de Peslus, qui, bien que ne visant pas formel-
lement la mancipatio , n'en possède pas moins une impor-
tance réelle pour l'intelligence des conceptions romaines
primitives en matière d'aliénation. Festus (P. 89), v° Fun-
dus : « Fundus quoque dicitur populus esse rei, quam (1)
aliénât, hoc est auctor ». Fundum fieri se dit d'un peuple
qui donne son assentiment à une mesure qui le prive
d'un de ses éléments propres, telle qu'une décision du
peuple romain accordant la civilas à l'ensemble ou à l'un
de ses membres (2). Donner son assentiment à l'acte
unilatéral accompli par l'acquéreur, c'est donc, suivant
Festus, être auctor. Et rien ne prouve mieux, à notre
avis, la fonction véritablement constitutive que Yauclo-
ritas occupe dans l'aliénation, alors que Girard estimait
devoir réduire sa portée à celle d'une simple conséquence
de cet acte (3).
(i) Les Mss. donnent quem. Il n'est guère vraisemblable cependant que le
texte ait visé l'aliénation, nou d'une res , mais d'un reus, suivant une sug-
gestion émise par Mommsen. L'expression « fundus rei » se retrouve notam-
ment dans un texte de Plaute, Trin ., 6, I. 7 : « Nunc mihi is propere con-
veniences est, ut, quae cum eius filio | Egi, ei rei fundus pater sit potior ».
(2) Mommsen, Droit public romain , VI, 2, p. 329 et suiv.
(3) La même conclusion ressort de la Lex Iulia de adulteriis, aux
termes de laquelle le père fait acte d "auctor lorsqu'il mancipe sa fille sous
puissance. Paul, Collatio , IV, 2, 3 : « Permittit patri, si in filia sua, quam
in potestate habet, aut in ea, quae eo auctore, cum in potestate esset, viro
in manum convenerit, etc. ». Papinien, ibid., IV, 7, 1. Il me paraît impos-
sibje de réduire cette intervention du paterfamilias à celle d'une simple
auctoritatis interpositio analogue à celle du tuteur, comme le fait M. Des-
serteaux ( Études sur la formation historique de la « capitis demi-
nutio », 1, p. 25).

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616 FERNAND DE VISSCHER.

6. - Si l'usage du mot auctor a punous livrer quel


indices de valeur, il y a plus d'intérêt encore à c
dérer quelques textes dans lesquels la significatio
mòt auctoritas est demeurée, jusqu'à ce jour, passa
ment obscure.

Gicéron, De har. resp., 7, 14 : « Multae sunt domus in


hac urbe... atque haud scio an paene cunctae, iure
optimo, sed tarnen iure privato, iure hereditario, iure
auctoritalis, iure mancipi, iure nexi ».
Dans cette énumération, l'expression « iure auctpri-
tatis » ne peut désigner qu'un titre d'acquisition; et c'est
assez, à notre sens, pour exclure la signification étroite
de garantie d'éviction que certains auteurs ont cru
pouvoir lui attribuer (1). Girard et Huvelin ont pensé
qu'elle visait l'usucapion, ou la propriété acquise par
usucapion. Le moins que l'on puisse dire, c'est que toute
notre terminologie juridique proteste contre une signi-
fication aussi exorbitante (2).
Si l'on veut garder au mot auctoritas son sens tech-
nique invariable d'approbation et de garantie, V auctoritas
dont il s'agit ne peut être que celle du mancipio dans ,
mais avec la fonction large que nous lui avons reconnue.
Cette auctoritas forme; le fondement « iure privato » de
l'acquisition par mancipatio . Sa mention dans notre
texte se trouve ainsi pleinement justifiée.
(1) Costa, Cicerone bittrecońsulto. 2m éd., I, p. 105.
(2) Girard lui-même souligne la singularité de cette interprétation en obser-
vant qu'ainsi le mot auctôritas s'applique à un mode d'acquérir « dont la
nature exclut toute idée de garantie » ( Mélanges de Droit romain, II, p. 8).
Huvelin estime que « placé entré des titres d'acquisition tel que Vhereditas
et le mancipium le mot auctoritas ne peut que désigner l'usucapion ou la
propriété fondée sur l'usucapion » ( Furtum , p. 282). Mais Cicéron avait une
raison excellente et très précise pour omettre ici l'usucapion. Dans le passage
en question, il entend opposer les titres privés de propriété (« iure privato »)
à la propriété iure publico 'ex auctoritate senātus) qu'il prétend lui-même
posséder. C'eût été ruiner cette opposition que de mentionner l'usucapion,
celle-ci constituant un titré public, fondé sur la loi, et non sur des volontés
'particulières (Cicéròn, Pro Caeóina, 26, 74). Nous reviendrons plus loin
sur cette distinction.

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LB RÔLE DK l? AUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO. 617

Les rapports du ius aucloritatis avèc la mancipatio ■


se trouvent au reste confirmés par les deux dernier»
termes de cette énumération. « Iure mancipi » indique
le pouvoir acquis par mancipatio (mancipio accepi).
Quant à « iure nexi », la terminologie usuelle de Cicéron
ne laisse aucun do,ute sur le sens de cette expression : le
nexum dont il s'agit est le lien, l'engagement que le
mancipio dans contracte sur la base de son auctoritas
à l'égard des effets acquisitifs de l'acte (1). En somme
nous avons affaire à une triple désignation correspon-
dant à trois aspects différents de l'acquisition par man-
cipatio : le nexum fondé sur l' auctoritas du vendeur
assure à l'acheteur l'acquisition in mancipio de là
chose (2).
C'est avec la même signification que nous allons retrou-
ver le motawc¿or¿7úsdansquelques brocards très anciens.
Cicéron, Top., 4, 23 : « Usus auctoritas fundi biennium
est..., ceterarum rerum omnium... annuus est usus ».
Id., Pro Caecina , 19, 54 : « Lex usum et auctoritatem
fundi iubet esse biennium ».
La forme « usus auctoritas » est généralement, et avec
raison, envisagée comme étant celle du texte légal (3).
Quant à son interprétation grammaticale, il n'y a pas à
s'arrêter à celle que fournissent certains textes de basse

(1) Cicéron, Parad., 5, l, 34 : <« non enim ita dicunt eos esse servos, ut
mancipia quae sunt do ra i no ru m facta nexo aut aliquo iure civili ». Voyez
aussi Ep. ad fam.,1 , 30, 2 : « cuius proprium te esse scribis mancipio et nexo,
meum autem usu et fructu ».Le nexum , mentionné ici comme moyen d'ac-
quérir, apparaît ailleurs comme obligeant à la garantie d'éviction. Pro
Muñera , 2, 3 : « ispericulum iudicii praestare debet qui nexu se obligavil ».
Cette double fonction concorde exactement avec celle que nous avons admise
pour l 'auctoritas : concordance naturelle et nécessaire, cette notion du
nexum traduisant simplement l'aspect obligatoire de Y auctoritas.
(2) Cette solution esi deja suggeree, en termes malheureusement trop concis,
par Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 268, n. 3.
(3) Bon fan te, Corso di Dir. rom., II, 2, p. 207; Kiibler, Geschichte des
R. Rechts , p. 40.

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618 FERNAND DE VISSCHER.

époque qui font à! usus un complément auctoritas


elle est formellement condamnée par la deuxième
sion de Cicéron. Reste à préciser le sens juridique de
asyndète « usus auctoritas ».
La plupart des auteurs entendent notre texte com
fixant à la fois le temps nécessaire pour l'achèvem
de l'usucapion et la durée de Y actio auctoritatis (2
ne puis insister ici sur les arguments, la plupart fort
cieux, invoqués par Huvelin pour combattre cette
nion : interprétation disjonctive trahissant l'étroite u
des mots usus auctoritas , discordance entre les idées
d'accomplissement (de l'usucapion) et d'extinction (de
Va. auctovitatis ), silence du commentaire de Gaius (II,
42, 54) relativement à Va. auctoritatis , etc. (3). Malheureu-
sement Huvelin se contente de traduire « usus auctori-
tas » par « garantie résultant de l'usage », ce qui non
seulement implique une signification anormale Yaucto-
ritas, mais ne paraît admissible qu'en faisant d'wsws un
complément d' auctoritas (4).

(1) Boèce, in Cic., Top., 4, 23 : « Hic igitur aedium usus auctoritatem


bienno fiero sentit ». Isidore, Orig ., V, 25, 30, ne fait que copier Boèce.
(2) Girard, Manuel , 8e éd., p. àzz, n. z; Honrante, Corso , Ii, 2, p. 207:
Arangio-Ruiz, Istituzioni , 2e éd., p. 190; Kübler, Geschichte des R.
Rechts , p. 40; Jolowicz, Introduction to the study of R. L ., p. 149,
n. 1 et p. 152.
t3) Huvelin, Furtum , p. 283 et s.
(4) L'explication de Jörs ( Geschichte u. System des R. Privatr ., p. 90),
après laquelle notre adage signifierait que 1 e mancipio dans doit pendant
deux ans la garantie de Yusus, c'est-à-dire de la possession, prête à la même
objection. Suivant M. Cornil ( Ancien Droit romain , 1930, p. 65), il fau-
drait entendre que l'usage prolongé pendant deux ans « vaut Yauctoritas ou
appui dû par le mancipio dans » ; mais ce rapport d'équivalence est inexact,
l'efficacité de l'usucapion étant absolue, et celle de Yauctoritas toujours
relative. M. Cuq ( Manuel , 1928, p. 281, n. 1) traduit : « l'usage, considéré
comme garantie d'un fonds, est de deux ans »; il me paraît peu vraisem-
blable que la loi ait choisi ce mot auctoritas pour caractériser un mode
d'acquérir précisément destiné à affranchir l'acquéreur de la nécessité de
recourir à Yauctoritas , au sens technique du mot. En bonne terminologie
juridique toute garantie suppose un garant, et l'on conçoit mal dès lors
l'idée de garantie appliquée à un mode d'acquérir en vertu de la loi. Le rôle

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LE RÔLE DE Ü AUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO . 619

Suivant les usages de l'ancienne langue juridique,


l'asyndète qui caractérise l'expression « ususauctoritas »
montre que nous avons affaire à deux notions distinctes,
mais étroitement coordonnées (1). 11 n'est, croyons-nous,
qu'une seule interprétation qui satisfait exactement à
celte donnée, tout en gardant au mot auctoritas son
vrai sens technique. « Le régime de Xusus et de Xauc-
toritas dure deux ans pour les fonds de terre ». Enten-
dons par là que durant la même période pendant laquelle
l'acquéreur d'un fonds de terre usucape, il jouit de X auc-
toritas de son mancipio dans comme fondement de ses
droits. L'adage se réfère donc à une idée unique : celle
de l'acquisition de la propriété, acquisition basée sur le
titre purement privé de Xauctorilas (iure privato) (2),
jusqu'à l'achèvement de l'usucapion, titre public, fondé
sur les lois (3). Ainsi compris, notre adage met en pleine
lumière l'effet acquisitif de Xauctorilas . Mais le lien qui
unit les deux termes usus et auctoritas ne réside pas
seulement dans leur commune relation avec l'idée d'ac-
quisition ou de titre de propriété. Il apparaît surtout en
ceci, que cette limitation à la durée de l 'auctoritas ne se
vérifie que s'il y a effectivement usucapion de la chose
au bout de deux ans. En d'autres mots, le terme de deux
ans suppose à la fois 1 'usus et Xauctorilas ; il ne met fin
à Xauctorilas que si le même laps de temps a suffi pour
procurer l'acquisition par l'u£U£. C'est par cette étroite
coordination de deux titres d'acquisition que se justifie
l'expression asyndétique « usus auctoritas ».
de la loi en matière d'usucapion est, non pas de garantir, mais de confirmer
les titres purement privés d'acquisition. Cicéron, Pro Cctecina, 26, 74 : « rata
auctoritas... ab iure civili sumitur ».
(1) Mommsen (Droit public , 1, p. 34) cite comme exemples les noms des
consuls, magistrats éponymes, usus fructus , usus auctoritas , actio empti-
venditi , auxquels on peut ajouter cura potestas , locatio conduction etc.
Voyez aussi Bonfante, Corso di Dir. rom.t II, 2, p. 207.
(2) Cicéron, De har . resp., 7, 14. - Voyez suprà , p. 616.
(3) Id., Pro Caec.n 26, 74 : « Fundus a pâtre relinqui potest, at usucapió
fundi... non a patre relinquitur, sed a legibus ».
Rbvue hist. - 4' sér.. T. XII. 41

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620 FERNAND DE VISSCHER.

Si notre interprétation est exacte, il doit en résu


qu'un empêchement à l'usucapion efface toute limitat
à la durée de Yauctoritas et tend à perpétuer celle
comme fondement des droits de l'acquéreur. Or préci
ment deux autres adages anciens nous fournissent cet
contre-partie.
Cicéron, De officiis , I, 12, 37 : « adversus hostem
aeterna auctori tas esto ».
Nous n'alourdirons point cette étude en cherchant à
débrouiller l'écheveau des controverses nouées autour
de cet adage célèbre. Une vigoureuse note de Girard
suffit à limiter le champ raisonnable d'une explica-
tion (1). C'est manifestement à rencontre de V hostis, du
pérégrin « qui suis legibus utitur » (Varron, De l. 5,
3), et non à son profit, que l'efficacité de Yauctoritas
est déclarée perpétuelle (2). D'autre part, il convient de
garder à auctoritas son sens technique de garantie four-
nie par le mancipio dans (3). Le seul point délicat con-
siste à préciser le rôle véritable de cette garantie. Par-
tant de la signification étroite de garantie contre l'évic-
tion, Kariowa et Girard supposent qu'un citoyen romain,
ayant acquis une chose par mancipation d'un autre
citoyen romain, se trouve en butte à une action en
revendication intentée par un pérégrin : c'est contre cette
revendication que l'acquéreur pourra éternellement
réclamer l'assistance du mancipio dans (4Ì. Mais pour-
quoi ce droit « éternel » à l'assistance du vendeur? Car
enfin si l'acquéreur a achevé l'usucapion selon les lois
romaines, quel besoin a-t-il encore de Yauctoritas 1 Kar-
łowa pose un principe absolument injustifié lorsqu'il

(1) Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 227, n. 3.


(2) Dans le même sens voyez Huvelin, Furtum , p. 281, n. 3. Contrà,
Kiibler, Geschichte des R. Hechts, p. 41, n. 1.
(3) Huvelin (op. cit., p. 280) voit dans auctoritas « toute espèce de
garantie y compris celle de 1 'usus »Ě
(4) Kariowa, R. Rechtsgeschichte, II, p. 406; Girard, loc. cit.

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LE RÔLE DE LAUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO . 621

affirme qu'un citoyen romain ne saurait usucaper la


chose d'un pérégrin (1). Girard, qui s'est gardé de
tomber dans cette erreur, imagine qu'un traité spécial
aurait écarté la prescription des lois romaines dans les
rapports avec la nation du pérégrin. Mais .il est tout à
fait invraisemblable que le vieux précepte desXII Tables
ait été établi en vue d'un cas aussi particulier (2).
L'explication est beaucoup plus simple. Vauctoriias
du mancipio dans ne peut et ne doit entrer en jeu qu'à
défaut d'usucapion. Il faut donc supposer que l'acqué-
reur romain s'est trouvé dans l'impossibilité d'achever
le délai légal. Et puisqu'il y a litige avec un pérégrin,
cette impossibilité ne peut résulter que du fait qu'il a
été dépossédé par cělui-ci avant l'expiration de ce délai.
L'hypothèse est donc, tout au contraire de celle qu'ont
envisagée Kaiiowa et Girard, celle d'une revendication
du citoyen romain contre le pérégrin. L'usucapion étant
écartée, et dans le chef du pérégrin qui ne saurait invo-
quer les lois romaines, et dans le chef du citoyen romain
à raison de sa dépossession, le litige ne peut être tranché
qu'en recourant à Vauctoriias du mancipio dans, aucto-
ritas dont l'acquéreur doit pouvoir se prévaloir éternel-
lement, aussi longtemps qu'une reprise de possession
ne lui aura pas assuré le bénéfice de l'usucapion (3). En
d'autres termes, les circonstances faisant obstacle à l'ac-

(1) Voyez la critique de Kiibler, loc. cif.


(2) Mentionnons ici encore l'hypothèse émise en dernier lieu par Schön-
bauer ( Zeitschr . d. Sav.-Stift. , R. A ., 1929, p. 379 et s.), d'après lequel
l'adage viserait les opérations conclues entre citoyens romains eu cam-
pagne ( adversus hostem?) ou en territoire étranger. Le défaut de publi-
cité de ces actes entraînerait l'exclusion de l'usucapion pour les choses ainsi
vendues, ne laissant à l'acquéreur que le droit de recourir « éternellement •»
à Vauctoritas du vendeur. L'explication, pour ingénieuse et originale
qu'elle soit, ne paraît pas accepUble : « adversus hostem » ne peut dési-
gner que celui contre lequel refficicité de Vauctoriias est déclarée éter-
nelle, non une circonstance de l'acte qui crée Vauctoriias.
(3) Celte réserve se trouvait expressément formulée par la lex Atinia, a
propos de Vauctoriias aeterna que peut invoquer le volé. Voyez in/rà, p. 622.

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622 FERNAND DE VISSCHER.

quisition d'un titre public, l'usucapion, c'est


privé (a iure privato ». Cicéron), au ius aucto
le demandeur fera appel pour établir des dr
encore Yauctoritas joue manifestement le rôle
d'acquisition.
L'interprétation que nous venons de donn
adage se trouve confirmée par celui, rigour
parallèle, de la lex Atinia : Aulu-Gelle, N. A
« Quod subruptum erit, eius rei aeterna auctor
L'hypothèse se trouve cette fois précisée pa
lui-même. Il s'agit d'un cas de dépossession d
la victime est admise, sans aucune limitation
à se prévaloir de Yauctoritas . L'explication e
à peu près identique à celle de la règle préc
le volé ne peut appuyer sa revendication que
toritas de son vendeur, c'est que la déposse
intervenue avant qu'il ait pu achever l'usucapio
part, la loi assure à cette auctoritas une effi
pétuelle à rencontre de toute prétention fon
titre légal de Y usus par des tiers détenteur
retour de la chose entre les mains de l'acqu
rétablira l'ordre normal exprimé par le précept
auctoritas, etc. » (1).
Il résulte de cette interprétation que l'objet
do la lex Atinia était d'assurer au volé qui n'a
pu accomplir l'usucapion l'efficaci (é de sa reve
Et ainsi paraît se résoudre la question extrê
discutée de savoir quelle fut, dans la prohibi
caper les choses volées, la part de la loi des
et celle de la lex Atinia (2). Cette prohibition
(1) On sait qu'une disposition spéciale de Ja lex Atinia vis
retour de la chose entre les mains du volé. Paul, l. 54 ad
De usurp., fr. 4, § 6; Id., Z. s. ad l. Fuf., D., 50, 16, De v
Huvelin ( Furtum , p. 287) donne comme restitution approxim
légal : « Quod subruptum erit, nisi in potestatem eius, cui su
revertatur, eius rei aeterna auctoritas esto ».
(2) L'on admet souvent que la seule innovation de la lex At

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LE RÔLE DE h'^UCTORlTAS DANS LA MANCIPATIO . 623

remonte incontestablement, comme l'affirment nos


sources, aux Xli Tables (1). Mais avec les raffinements
de la jurisprudence, un doute a pu surgir sur l'applica-
tion de cette règle dans le cas spécial où le volé, n'ayant
pas pu achever le délai de l'usucapion, ne pouvait lui-
même invoquer à l'appui de ses droits que le titre privé
de Yauctoritas . La lex Atinia , probablement vers la fin du
vi« siècle de Rome, a tranché ce cas en faveur de Yauc-
loritas, confirmant et complétant ainsi l'œuvre des
XII Tables. C'est donc très légitimement que nos textes
attribuent simultanément à ces deux lois la prohibition
d'usucaper les choses furtives.
Nous ne pouvons ici qu'effleurer ce problème, nous
bornant à indiquer la solution qui paraît la plus con-
forme à nos sources. Pour l'instant, il n'y a lieu de
retenir de notre adage que son rigoureux parallélisme
avec le précepte « Adversus hostem, etc. », parallélisme

tait dans la disposition relative à la reversio rei. En ce sens voyez Girard,


Manuel , 8' éd., p. 332, n. 3; Jörs, Geschichte u. System des R. R ., p. 90.
Il est difficile d'admettre qu'avant cette loi le vice de furtivité continuait à
affecter la chose entre les mains de la victime elle-même du vol. Voyez Huve-
lin, op. cit., p. 288 et suiv. - Mommsen (Ges. Schriften , III, p. 464),
suivi par Kariowa (Rom. Rechtsgeschichte , 1 1, p. 407) et Rübler ( Geschichte
des R. R., p. 160), a très bien vu que la loi ne pouvait accorder un droit
éternel à Yauctoritas qu'à celui qui se trouvait dans l'impossibilité d'usu-
caper. Mais il place cette impossibilité dans la prohibition même d'usucaper
les choses volées. Il suppose dès lors que l'acquéreur d'une chose volée se
trouve en butte à une action en revendication du vrai propriétaire. Si cette
revendication se produit plus de deux ans après l'acquisition, notre acqué-
reur se verrait, en vertu du terme fixé par les XII Tables à la durée de l'a.
auctoritatis , privé de tout recours contre son vendeur. La lex Atinia aurait
eu pour objet de perpétuer son recours en garantie d'éviction. Mais c'est
oublier que les XII Tables subordonnaient expressément la mise en jen de
ce terme à l'usucapion effective de lachóse : « Usus auctoritas, etc. ». L'ac-
quéreur ne pouvant légalement usucaper, une disposition nouvelle était par-
faitement inutile à cet égard.
(1) Julien, l. 44 dig., L>., 41, 3, De usurp., fr. 33, pr.; Gaius, II, 45,
59; Huvelin ( Furtum , p. 290-297) rejette à tort ces témoignages et n'y voit
qu'une « anticipation légendaire » de la lex Atinia , seul fondement légal de
la défense d'usucaper les choses volées.

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62i FERNAND DE VISSCHER.

confirmant l'analogie des deux hypothèses visées; ďa


parí, une nouvelle mention de Yauciorilas comme
de propriété ou d'acquisition.
Nous emprunterons à la terminologie une derni
preuve de cette signification en notant l'expression
trumentum auctoritalis » pour désigner l'acte con
tant l'acquisition d'un fonds (1). Scaevola, /. 5 dig
43, 7, De pign . fr. 43, pr. : « petit a creditore, ut
trumentum a se traditum aucloritatis exhiberet ». Par
une abréviation fort naturelle, aucioritas a même fini
par prendre le sens d'acte ou titre de propriété. C'est ce
qu'établit la dénomination donnée par les inscriptions
aux esclaves préposés à la garde des titres des domaines
impériaux, « ab auctoritatibus » (2).
L'examen de la terminologie nous paraît donc confir-
mer l'hypothèse que nous avions cru pouvoir formuler
en partant du rôle et de la signification générale de
Yauciorilas dans la vie juridique romaine. Bon nombre
de ces témoignages, il est vrai, ont été récusés et n'attes-
teraient guère, selon Girard, que des sens dérivés des
mots auclor , aucioritas , en tant que garant et garantie
du chef d'éviction (3). J'observerai seulement que de
telles dérivations sont extrêmement difficiles à conce-
voir en partant du sens étroit d' « assistance contre les
tiers ». D'un autre côté, les notions larges ďauclor , auc-
ioritas se trouvent établies par des adages qui comptent
parmi les plus anciens vestiges de l'activité juridique
romaine.
7. - C'est donc sur Yauciorilas du mancipio dans que
semble reposer la totalité des etl'ets, à la fois aequisitifs
et de garantie contre les tiers, attachés à la mancipatio.
Mais si celte idée est exacte, elle doit pouvoir se vérifier

(1) Voyez HeumaDD-Secke], Handbuch zu den Quellen des H. E..


Aucioritas , 6.
(2) C. I. £., III, 1998; VI, 8439.
(3) Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 158, n. 1.

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LE RÔLE DE il AUCTOMTAS DANS LA MANCIPATIO . 625

sur d'autres terrains que celui de la terminologie. Et


notamment l'on ne concevrait pas que l'identité de fon-
dement de ces deux effets demeurât sans conséquences
sur les règles de fond qui les gouvernent.
Or cette identité se manifeste précisément dans une
complète concordance de l'effet acquisitif et de la garantie
d'éviction.

La garantie spéciale d'éviction sanctionnée par l'action


dite auctoritatis se trouve strictement liée à l'hypothèse
d'une acquisition par mancipatio . Et c'est un premier
indice en faveur d'un rapport intime entre cette garantie
et la forme d'acquisition spécifique de la mancipatio (1).
11 n'y a non plus de garantiefondée sur Vaucloritas que
pour les choses susceptibles d'être acquises par manci-
patio (2).
D'autre part, comme l'a définitivement établi Girard (3),
cette même garantie non seulement existe de plein droit
dans la mancipatio , en dehors de toute nuncupation mais
elle ne saurait être exclue par aucune clause contraire.
Elle revêt donc dans cet acte le même caractère de néces-
sité que l'aliénation elle-même.
Enfin, par une règle absolument certaine pour l'époque
primitive, l'effet acquisitif et la garantie d'éviction se
trouvent l'un et l'autre subordonnés au paiement effectif
(1) Il n'y a point ďauctoritas dans Vin iure cessio ; cette différence
essentielle, qui touche selon nous non seulement à la garantie d'éviction mais
au mode même d'acquisition, doit suffire à écarter toute hypothèse tendant
à faire de la mancipatio une dérivation historique de l'in iure cessio.
(2j Giiard, op. cit., p. 219. Girard a toutefois cru voir une exception
notable à ce principe dans le fait que la mancipatio d'un homme libre, bien
que ne pouvant en faire acquérir la propriété, oblige néanmoins l'aliénateur
à la garantie fondée sur Vauctoritas. Plaute, Persa , 4, 3, v. 3, 55, 56 ;
Julien, Z. 57 dig., D., 21, 2, De ev., fr. 39, § 3; Scaevola, Z. 2 quaest .,
D., eod. t., fr. 69, § 4, et bon nombre d'autres textes cités par Girard,
p. 220. Mais si l'homme libre n'est point une « res » mancipi , et ne peut
èlre acquis en propriété, il est parfaitement susceptible d'être acquis in
mancipio . Gaius, l, 117. Je ne vois donc pas d'exception véritable à la
règle.
(3j Girard, op. cit ., p. 17-26.

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626 FERNAND DE VISSCHER.

du prix (1). Ce paiement nous apparaît ainsi comm


contre-partie offerte en échange de Yauctoritas , au
large, du mancipio dans. Le droit romain sur ce p
se révèle en harmonie complète avec la pratique d
plupart des droits antiques où les doubles clauses
garantie que nous signalerons bientôt font invaria
ment suite à la réception du prix (2)š D'autre par
rapport de subordination de Yauctoritas au paiement
prix suffit à prouver que dans le rituel de la mancipa
la formule « isque mihi emptus esto hoc aere aene
libra », loin de représenter, comme on l'a cru, une ac
tion postérieure (3), correspond au contraire à un
ment essentiel et originaire du mécanisme de l'op
tion.

Une aussi parfaite concordance est assez significative


pour que nous n'y insistions pas davantage. Elle ne paraît
explicable que si les deux effets de la mancipation pro-
cèdent d'une même source, d'un même acte et d'une
même volonté du mancipio dans.
8. - Mais il est d'autres indices encore de cette fonc-
tion large de Yauctoritas dans la mancipatio.
L'on a souvent relevé, en se plaçant d'ailleurs au point
de vue exclusif de l'éviction, les vestiges que le principe
(1; L'évolution ultérieure de cette règle, notamment en ce qui concerne le
transfert de la propriété, fait aujourd'hui l'objet de vives controverses. Nous
ne pouvons ici que renvoyer à la littérature récente sur la question :
Pringsheim, Zeitschr. d. Sav.- Stift., 1914, p. 328 et ss., et Der Kauf
mit fremden Geld' Appleton, cette Revue , 1928, p. Il et ss., 173 et ss.;
Albertario, Il momento del trasferimento della proprietà nella com-
pravendita romana , 1929; Meylan, Studi in onore di P. Bon fante, f,
p. 443 et ss.; Schönbauer, Zeitschr . d. Sav.-Stift ., 1932, p. 195 et ss.; etc.
(2) Voyez par exemple le schéma des actes de vente démotiques dans
Mitieis, Grundzüge , II, Í, p. 167 et ss., et pour les actes gréco-égyptiens,
ibid., p. 175 et 181 et ss. Une pratique identique apparaît dans les actes
assyriens et babyloniens. Rabel, Die Haftung des Verkäufers, p. 67,
n. 4; Royer, Contribution à l' histoire juridique de la /re Dynastie
babylonienne , qui donne une formule typique, p. 15 (H. K. 167).
(3) En ce sens, Lévy-Brütil, La formule vindicatoire , cette Revue ,
1932, p. 215.

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LE RÔLE I)E L* AUCTOR IT AS DANS LA, MANCIPATIO . 627

de Yauctoritas a laissés dans le système des stipulations


de garantie (1). Or, s'il est vrai que Yauctoritas est le fon-
dement commun des effets à la fois acquisitifs et de
garantie contre l'éviction, si ces effets se ramènent en
définitive k deux aspects d'une seule et même garantie
donnée par l'aliénateur à la déclaration de l'acheteur, il
serait surprenant qu'une conception juridique d'un tel
relief n'eût laissé aucune trace dans le mécanisme des
stipulations contre l'éviction.
Je ne dirai rien de la stipulation secundum mancipium ,
dont, par malheur, nous ignorons à peu près tout. Par
contre, (astipulation habere licere nous fournil une indi-
cation d'intérêt capital. Le vendeur s'oblige par cette pro-
messe à maintenir la chose au pouvoir de l'acheteur, le
mot habere étant pris ici « comme l'expression, non pas
d'un état de droit mais d'un état de fait » (2). La portée
de cette promesse est formellement précisée par Ulpien,
/. 49 ad Sab., D., 45, 1, De v. obi ., fr. 38, pr. : « stipulalo
ita : « habere licere spondes? » Hoc continet, ut liceat
habere nec per quemquam omnino fieri, quo minus nobis
habere liceat » (3). La stipulation implique donc tout à la
fois une renonciation de l'aliénateur et une promesse de
défendre contre l'éviction. Elle constitue pour l'acqué-

(1) Rabel, Die Haftung des Verkäufers , p. 29 et s., à propos de la


déchéance de tout recours pour défaut de dénonciation du procès au ven-
deur. Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 100 et s.
(2) Girard, Mélanges de Droit romain , II, p. 67. Voyez Paul, l. 33 ad
ed ., D., 50, 16, De v. sign., fr. 188, pr.; Ulpien, I. 49 ad Sab., D., 45, 1,
De v . obl.% fr. 38, § 9.
(3) La suite du texte, difficilement conciliable avec ce début, déclare la sti-
pulation nulle en tant que promesse du fait d'autrui, ne lui laissant d'autre
portée que de garantir l'acquéreur contre le fait personnel du promettant ou
de ses héritiers. Cette opinion, formellement contredite par Paul (l. 72 ad
ed., D., eod . t., fr. 83, pr.), est sûrement en déhaccord avec la doctrine clas-
sique ; en ce sens voyez Girard, op. cit., p. 76 et s.; Rabel, op. cit.,
p. 33. Ulpien lui-même, au l. 32 ad ed., D., 19, 1, De act. e. v., fr. U, § 18,
suppose la complète validité de la stipulation. Mais il est à peu près certain
que te texte a été profondément remanié. Voyez Perozzi, Istituzioni, 2* éd.,
p. 220, n. 1.

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628 FERNAMD DE VISSCHER.

reur une garantie contre toute revendication (1), aus


bien de la part du vendeur et de ses héritiers que de
part des tiers.
Nous retrouvons à la base de cette stipulation une
conception de l'aliénation qui correspond exactement
celle qui nous a paru se dégager de la fonction do Yauc -
torilas dans la mancipatio . Aliéner, c'est garantir à
quelqu'un qu'une chose est et restera sienne. En face d
cette conception, il faut renoncer à la distinction fami-
lière des effets acquisii i fs et de garantie contre l'éviction
puisque ces deux effets se fondent dans l'idée uniqu
d'une garantie donnée par l'aliénateur à la fois contre ses
propres prétenlions et contre celles des tiers. Notre sti-
pulation tend donc à créer une obligation de garantie
idenlique à celle qui incombe « auctoritatis nomine »a
mancipio dans i2).

(1) Paul, I. 3 ad ed., D., 50. 16, De v. sign., fr. 188, pr. : « Habere duo
bus modis dicitur, altero iure dominii, altero optinere sine interpellatione i
quod quis emerit ».
(2) Par une conception en apparence quelque peu voisine delanôlre, mai
cerlainemenl inexacte. I'« najada interprété la stipulation habere licere comm
in pliquant à la fois l'obligation de livrer etcellede garantir contre l'éviction. E
parlant de là, on a émis l'hxpoihèse qu'elle avait dû jouer le rôle de contrat
verbal de vente avant l'apparition du contrat consensuel. Eck, Verpflichtun
des Verkäufers , p. 15. Girard a fort bien réfulé cette conjecture en obser
vant que si l'obligation de livrer et celle de garantir étaient, dans cette forme
ancienne, envisagées comme deux aspects d'une même obligation, on n
comprendrait pas que le coi trat consensuel n'ait longtemps fait naître que
première de ces obligations ( Mélanges , II, p. 69). Et, d'ailleurs, habere est
chose essentiellement differente de tradere (Bochmann, Der Kauf., 1, p. 380
et suiv.). Quant au texte de Paul, D., 50, 16, De v. sign., fr. 188, où Girard
lui-même croyait voir un arguii ent en laveur de la théorie d'Eck, il est à
noter que « optinere », que le juriste donne comme équivalent d 'habere
signifie, non pas « obtenir », mais « maintenir », « garder », « conserver »
(Freund et Theil, Dictionnaire de la langue latine, h. v°). La stipulation
habere licere n'oblige donc pas à la tradition, mais garantit à l'acheteur
conservation de la chose livrée. - Le travail de M. Rabel, Die Haftung de
Verkäu fers wegtn Mangels im Rechte, Leipzig, 1902, p. 30 72, garde a
contraire une imp« rtance capitale pour l'étude de notre clause. Comme nous
l'auteur voit dans rette stipulation un vestige d'une forme de propriété « rela-
tive » (V. infra), dont les effets erga omnes reposent uniquement sur une

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LE RÔLE DE L* AU CTO RITAS DANS LA MAXCIPATIOš 629

Mais cc n'est pas dans la seule stipulation habere


licere que cette conceptión de l'aliénation est demeurée
vivace. Elle est aussi profondément marquée et comme
incrustée dans la stipulatio dupla e elle-même. Et, en
effet, l'éviction qui fait encourir au vendeur la peine du
double est celle qui empêché l'acheteur d' « avoir » la
chose : « si quis rem evicerit quo minus habere liceat » (t ).
C'est donc le « non habere licet » qui fixe la véritable
étendue et constitue la vraie mesure de l'obligation sti-
pulée. On n'envisage le plus souvent que les restrictions
que cette formule apporte à la garantie du vendeur. Mais
elle entraîne aussi son extension à une hypothèse remar-
quable. C'est en vertu de la clause « quo minus habere
liceat » que la peine est due, non seulement lorsque la
dépossession résulte du fait d'un tiers, mais lorsqu'elle
est causée par le vendeur lui-même (2). Or c'est là mani-
festement dépasser la notion technique étroite et moderne
de la garantie d'éviction (3). Rien ne prouve mieux la
persistance d'une idée de garantie unique, globale, défen-
dant l'acquéreur à la fois contre le vendeur et contre les
tiers. En elle se découvre un fidèle reflet de la fonction
de Yauctoriias et de la conception primitive de l'alié-
nation par mancipatio .
Mais peut-être n'est-il pas besoin d'en appeler à de tels
vestiges pour reconnaître la vraie fonction de Yaucto-

garantie de l'aliénateur. Le seul point, d'ailleurs essentiel, qui nous sépare,


c'est que nous avons cru retrouver dans le régime de Vauctoritas le fon-
dement même et la complète organisation de cette forme primitive de pro-
priété.
(1) Sur celte formule, voyez Girard, op. cit., II, p. 84 et suiv.
(2) Ulpien, l. 29 ad Sab., D./ 21, 2, De tv., fr. 17. Le leite qui dans sa
forme actuelle vise la stijulatio duplae a pu se rapporter jadis à Vaucto-
ritas. Girard, op. cit., II, p. 260, n. 1.
(3) La garantie du fait personnel du vendeur forme en droit moderne une
catégorie distincte de garantie (Placiol, Traité élémentaire, II, n°" 1471 et s.)
fondée, tout comme V exceptio rei venditae et traditae qui lui sert de prin-
cipale sanction en droit classique, sur le principe de la bonne foi.

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630 FERNAND DE VISSCHER.

ritas. Qirard lui-même, si attaché qu'il fût au sens étr


à'auctoritas, admet comme vérité évidente le droit de
recourir à Y actio auctoritatis au cas de dépossession
causée par le vendeur (4). On cherche en vain le rôle que
pourrait tenir dans une telle action « l'assistance due par
le mancipantàson acquéreur contretes réclamations des
tiers ». Gomment, par quel artifice, une notion si précise
arriverait-elle à prêter un fondement à pareil recours?
De telles extensions ne sont admissibles que pour des
institutions dominées par le principe de la bona fides'
c'est ainsi que le droit classique a pu rattacher à l'obli-
gation de livrer ex vendilo un moyen de défense contre
les prétentions du vendeur [exe. rei venditae et tradifae).
Mais personne ne songera sans doute à étendre les appli-
cations de Yauctoritas à la mesure de la bona fides . Et,
dès lors, pour justifier l'a. auctoritatis en cas de dépos-
session causée par le vendeur, il nous faut mettre en jeu
une notion de garantie plus large, une notion capable
d'embrasser l'acquisition sous tous ses aspects et de lui
constituer un rempart à la fois contre les prétentions du
mancipio dans et contre celles d es tiers.
9. - Avant d'envisager d'autres aspects du problème,
nous croyons utile de préciser nos conclusions en ce qui
concerne la nature et le rôle de Yauctoritas dans la
mancipatio .
Yauctoritas du mancipio dans consiste dans l'appro-
bation ou la ratification donnée à la déclaration unilaté-
rale d'acquisition de l'acheteur. Cette auctoritas est à la
base de l'ensemble des effets de la mancipatio . C'est elle
qui assure et consolide l'acquisition à la fois à l'égard du
mancipant et vis-à-vis des tiers. C'est elle qui détermine
cet engagement nexu , ce nexus ou nexum qui nous
apparaît si souvent chez Cicéron et que le même auteur
nous représente tantôt comme le moyen par lequel« man-

(1) Girard, op. cit., II, p. 259 et s. Voyez le texte d'Ulpien cité p. 629, n. 2.

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LE RÔLE DK L'A UCTORITAS DANS LÀ MANCIPATIO. 631

cipia sunt dominorum facta » (1), et tantôt comme obli-


geant le vendeur à « praestare periculum iudicii »(2).
D'ailleurs, dans les notions primitives, ces deux effets se
confondent, étant ramenés à l'idée d'une garantie absolue,
erga omnes , de l'efficacité de l'acquisition. Il y a là une
conception en quelque sorte synthétique de ce qu'une tech-
nique plus récente devait décomposer en deux notions
distinctes ^ l'effet acquisitif, d'où allait naître l'idée d'un
transfert de droits entre parties, et la garantie d'éviction
contre les tiers.
Le jour viendra d'ailleurs où, par un de ces retours si
fréquents dans l'évolution juridique, cette unité première
tendra à se rétablir dans le plan nouveau des effets obli-
gatoires de la vente, la garantie d'éviction prenant désor-
mais son fondement dans l'obligation de livrer.
10. - Cette façon de concevoir l'aliénation, sous forme
d'une garantie générale donnée à l'acquéreur contre
toute revendication, peut surprendre le juriste moderne.
Mais elle est extrêmement fréquente, et je dirais presque
normale chez les peuples anciens. Sans nous engager
trop avant sur le terrain du droit comparé, je crois pou-
voir en citer quelques exemples empruntés à des civili-
sations très différentes (3).
Dans les actes de vente démotiques que nous ont con-
servés bon nombre de papyrus, nous relevons cette
formule type. Après avoir dit qu'il a donné la chose et
reçu le prix, le vendeur déclare : « Cette maison t'appar-
tient à dater de ce jour et pour l'éternité. Ni moi-même,
ni aucun homme au monde en dehors de toi n'aura de
pouvoir sur cette maison à dater de ce jour. Si quel-

lt) CicéroD, Parad ., 5, 1, 35.


(2) Id., Pro Murena , 2, 3.
(3) Nous nous bornons, pour un dépouillement plus étendu, à renvoyer à
l'étude de M. Rabel (op. cit., en particulier p. 36 et s.). Les exemples qu'il
invoque pour éclairer la fonction de la stipulation habere licere témoignent
avec la même efficacité en faveur de notre conception de VauctoritasĒ

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632 FERNAND DE VISSCHER.

qu'homme au monde s'élève contre toi au sujet de ce


maison, je serai tenu de récarter, de toi sans délai
etc. » (1). C'est, sous la forme la plus énergique, la dou
garantie que nous a paru impliquer Yauctoritas romain
Le rite sans doute est différent, puisque la déclarat
attestant la propriété de l'acquéreur émane du vend
mais la conception fondamentale de l'opération par
être la même : l'acquisition repose sur la double garant
que ni le vendeur ni des tiers ne pourront élever u
prétention valable sur la chose. Dans les actes gréco
égyptiens dits « simples » du premier siècle de l'Ëmpir
ces clauses de garantie font même immédiatement sui
à la déclaration du vendeur attestant qu'il a reçu l
prix (2). L'acquisition faite par l'acheteur n'y est p
autrement exprimée. Ce n'est qu'au n® siècle que vi
s'interposer, avant la garantie, une formule attribuan
l'acheteur la possession et la propriété de la chose « po
l'éternité ».

Mais les découvertes actuelles nous permettent de faire


remonter cette conception de l'aliénation à des époques

(1) Wessel y, Spec . isagogica , Łab. 6, 6; Preisigke, Sammelbuch, I,


5231; Meyer, Juristiche Papyri, n° 28, p. 78 et s. Traductioa grecque d'uà
acte de l'an 11 de notre ère : 11. 5 et 6. Cpr. Pap. Giss., I, 39, 1-4. Voyez
le schéma de ces actes dans Mitteis, Grundzüge , II, 1, p. 167 et s. Ces
clauses se retrouvent dans chacune des deux parties qui composent les
actes de vente d'immeubles démotiques et certains actes gréco-égyptiens, la
-rcpàai; (¿vii) et la (au^paupii) áiM<rraaíoo. Nous laissons ici, bien eotendu,
entièrement de côté le problème que tant ďéminents papyrologues ont tenté
d'élucider, celui de la véritable fonction de ces deux éléments. Sur ce point,
voyez notamment Mitteis, Grundzüge , II, 1, p. 169 et s.; Partsch, chez
Spielberg, Pap. Ilauswaldt, p. 11 et s.; Arangio-Ruiz, Lineamenti del
sistema contrattuale nel diritto dei papiri , p. 36 et s. - La double
garantie se trouve aussi exprimée dans les clauses pénales. Ainsi dans un
acte grec simple de 88 av. J.-C . [Journ. Hell. Stud., XXV, 1915, p. 22 et
s.; Meyer, op. cit., n° 36, p. 120 et s.) une Clause impose au vendeur la
peine du double, s'il expulse l'acheteur ou ne chêne pas le procès pour lui
contre la revendication d'un tiers; 11. 21-22 : "O; àv ¿fßaX^j ih aXXou
¿YßaXXopivou UD xaraíiraç
(2) Mitteis, Grundzüge , II, 1, p. 182.

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LE RÔLE DE L' AUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO . 633

bien plus lointaines. C'est ainsi que dans les ventes et


échanges de l'ancien droit babylonien, la garantie d'évic-
tion se trouvait régulièrement rattachée à une clause
de renonciation' (t). Dans une tablette (H. E. 167) de la
I,c Dynastie (xxi® et xx0 s. av. J.-C.) on lit : « contre une
revendication... il (le vendeur) se dressera. A l'avenir,
il ne fera pas de réclamation ».
J'emprunterai un autre exemple, très significatif, au
vieux droit scandinave, d'après v. Amira (2). Rien dans
les actes de vente ri'y exprimait l'idée d'un transfert de
droits. Le vendeur déclare seulement que la chose est
« libérée et appartient ( heimilt ) à l'acheteur vis-à-vis de
tous »». C'est une déclaration de propriété dans le chef de
l'acheteur sous forme d'une garantie de libération de la
chose et de défense contre les tiers. L'unité de cette con-
ception se trouve d'ailleurs attestée par la terminologie :
le même mot, nous apprend v. Amira, heimila en Islande ,
heimilt en Norvège, sert à désigner la déclaration du
vendeur sous ses deux aspects, en tant qu'elle fait acqué-
rir la propriété et qu'elle garantit l'acquéreur contre
l'éviction.

Il ne serait point difficile de multiplier les exemples.


Mais ceux ci peuvent pĒous suffire. Si je les ai invoqués
ici, c'est uniquement pour montrer que la fonction géné-
rale que nous avons attribuée à Yauctoritas dans la man-
cipation n'a rien d'étrange ni d'exceptionnel. Elle corres-
pond au contraire à une façon de penser très simple et
très concrète, presque populaire, qui embrasse dans une
même idée la totalité des effets que l'acquisition d'une
chose est appelée à produire.
11. - Il en est de la « fabrique des idées » comme du
métier à tisser, où d'un seul coup de pédale le tisserand

(i) G. Boyer, Contribution à V histoire juridique de la /re Dynastie


babylonienne , 192S, p. 12. Sur ces clauses de renonciation, voyez aussi
San Nicolò, Schlussklauseln , p. 44 et s.
(2) W est nordisches Obligationenrecht , p. 681.

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634 FERNAND DB VISSCHER.

crée mille connexions nouvelles (4). Une concep


neuve de Yauctoritas remet forcément en jeu
problème de la mancipatio . Elle en saisit et trav
trame tout entière. La structure de cet acte, sa fon
même dans la vie juridique romaine se révèlent
jour tout différent. Je ne puis, dans la conclusion
étude, qu'esquisser brièvement un thème aussi
Certains de ses aspects, trop complexes ou qui me
paraissent à l'heure actuelle trop mêlés de conjectures,
seront même ici délibérément négligés.
Suivant la notion large de Yauctoritas que je viens de
développer, le mécanisme essentiel de la mancipatio se
ramènerait à une ratification donnée par le vendeur à la
déclaration unilatérale de l'acheteur. A cette ratification
se rattache une obligation de garantie du vendeur à la
fois contre ses propres prétentions et contre celles que
pourraient élever des tiers, garantie, dont les conceptions
anciennes faisaient l'essence même de l'acte d'aliénation-
acquisition. C'est la solution du problème fondamental
que nous posions au début de cette étude.
Quant à la forme on laquelle cette auctorilas était
fournie, nos sources, on le sait, sont muettes sur ce point.
On peut penser à la formule la plus simple, celle que
nous relevons chez Plaute par exemple : « Auctor sum»«
Selon toute apparence, elle intervenait immédiatement
après la réception du prix (2). D'ailleurs, comme on peut
l'inférer du silence même de Gaius, cette formule ne
devait, à l'époque classique, avoir aucun caractère obli-

ti) « Zwar iste mit der Gedanken-Fabrik


Wie mit einem Weber-Meisterstück
Wo ein Tritt tausend Fäden regt

Ein Schlag tausend Verbindungen schlugt ».


Goethr.
(2) On peut en ce sens invoquer l'analogie des actes démotiques et babylo-
niens dans lesquels l'acceptation du prix précède invariablement la garantie.
Voyez suprà.

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LE RÔLE DE I ÏAUCT0R1TAS DANS LA MANCIPATIO. 635

gatoire. J'inclinemêmeàcroire, par analogie avec Yaucto-


ritas tutoris (1), qu'une approbation tacite, la seule
assistance du vendeur (corporis et animi praesentia) à
l'accomplissement du rituel, pouvait suffire à engager
son auctoritas.
C'est par la fonction que nous avons reconnue à
Yauctoritas que s'explique l'une des particularités les
plus frappantes de la déclaration de l'acquéreur : je veux
parler de la forme présente sous laquelle celui-ci exprime
son acquisition : « roeu m esse aio ». Elle a fait le tour-
ment de nombreux interprètes modernes. Déclaration
évidemment mensongère, a-t-on dit, puisque l'acquéreur
ne possède à ce moment encore aucun droit sur la
chose (2). Il y a, à la base de cette appréciation, une
inexactitude tout d'abord. Nous nous trouvons en pré-
sence, non pas d'une simple constatation par l'acquéreur
de ses droits sur la chose ( hic homo meus est), mais
d'une affirmation rituelle (aio) : « Cet homme, moi je
prononce qu'il est mien » (3). Une telle formule n'est ni

(1) Ulpien, 1. 1 ad Sab., D., 26, 8, De auot., fr. 1, § i. M. Backland (The


main Institutions of R. private Law, 1931, p. 116) observe très juste-
ment, à ce propos, que dans presque tous les actes solennels du droit romain
c'est la partie qui bénéficie de l'opération qui joue le rôle actif.
(2) Schlossmann, In iure cessio una mancipatio, 1904, p. 15 et s. Je
ne. puis ici entrer dans la discussion des nombreuses tentatives de justifica-
tion qui se rencontrent dans notre littérature. Selon v. Ihering, cette for-
mule n'exprimerait qu'une conviction individuelle ou subjective ( Esprit du
Droit romain , III, p. 303); selon Karłowa, une simple volonté d'acquisi-
tion (Römische Rechtsgeschichte, II, p. 368 et s.). Pour Bechmann, l'affir-
mation de l'acquéreur tend à déclencher l'obligation de garantie du vendeur
(Der Kauf, I, p. 100 et s.) ; conception exacte, à notre avis, à laquelle il ne
manque qu'une notion plus large de Yauctoritas. M. Wlassak voit dans
la déclaration de l'acquéreur une anticipation des effets de la mancipatio
(Zeitschr. d. Sav.-Stift., 1907, p. 75). M. Hägerström explique sa forme
présente par l'effet magique qu'elle est appelée à produire (Der römische
Obligationsbegriff, I, p. 40) ; M. Husserl y reconnaît un acte délictuel
d'usurpation (Zeitschr. d. Sav. -Stift., Rę A., 1930, p. 484); M. Lévy-Brühl,
enfin, donne à notre formule un sens « inchoatif » et estime qu'elle couvre
un acte d'occupation (cette Revue, 1932, p. 213 et s.).
(3) Traduction de Lejay, Histoire de la littérature latine, p. 61.
Revue hist. - 4e sér., T. XII. 42

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636 FERNAND DE VISSCHER.

vraie ni fausse. Elle est correcte dans la mesure où elle


est exactement adaptée au mécanisme d'ensemble du
rituel et à ses fins. Or, s'il est vrai que le rôle du manci-
pio dans se ramène tout entier à donner son auctoritas
à la formule énoncée par l'acquéreur, il devient de toute
évidence que cette formule doit exprimer l'acquisition
sous sa forme actuelle ou présente. Cela résulte de la
nature même de Yauclorilas -, acte de pure ratification,
qui ne peut rien ajouter à la substance de l'acte qu'il con-
firme (1). L 'auctoritas ne peut donc valoir à l'acquéreur
une acquisition immédiate que si sa déclaration l'énonce
telle qu'elle doit être réalisée, c'est-à-dire au présent.
Je n'ajouterai qu'une observation, de portée plus large,
concernant la structure générale de la mancipatio .
Voici longtemps que v. Ihering a mis en lumière le
principe de la simplicité des actes juridiques dans l'an-
cien droit. Cette règle, aujourd'hui, je crois, incontestée,
il l'énonçait en ces termes : « autant de droits, autant
d'actes juridiques » (2).
Il est un seul acte toutefois qui, jusqu'à ce jour, sem-
blait résister au principe et en compromettre la valeur.
Cet acte, c'était la mancipatio , avec ses effets à la fois
réels et obligatoires, acquisitifs de propriété et créateurs
d'une obligation de garantie d'éviction..
Au regard du principe de la simplicité des actes juri-
diques, cet effet obligatoire attaché à un acte dont l'objet
propre était de réaliser une aliénation faisait figure
d'hérésie. Pour résoudre la difficulté, v. Ihering avait
pris un parti héroïque : celui de retrancher de la manci-

(1) L 'auctoritas, même celie du tuteur que souvent l'on représente


inexactement comme une « coopération » (v. supra, p. 609, n. 1) à l'acte du
pupille, constitue un acte distinct dont la portée est strictement limitée à
cplle d'une confirmation. Pour une application à Va. tutoris, voyez Ulpien,
D., 26, 8, De auct ., fr. 8k II en est exactement de même de Vaucloritas du
Sénat, qui ne peut que ratifier ou rejeter les lois qui lui sont soumises.
Mommsen, Droit public romain , VII, p. 240 et s.
(2) Esprit du Droit romain, IV, p. 136.

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LE RÔLE DE L* AUCTORITAS DANS LÀ MANCIPATIO . 637

palio ezi élément insolite. L'obligation de garantie n'aura


plus pour fondement la mancipatio , mais la loi : Yactio
•auctoritatis sera la sanction, non plus d'un engagement
pris par le vendeur, mais de la violation d'une règle
légale, c'est-à-dire, d'un délit. Ainsi débarrassée de celte
obligation intruse, la mancipatio se maintiendra dans
toute la pureté de sa vocation réelle.
La théorie esquissée par v. Ihering a été reprise et
raffinée par Girard (1). Malgré l'autorité de ces maîtres,
il est impossible de se dissimuler ce qu'elle a d'artificiel
et d'arbitraire. L'hypothèse d'une obligation légale offre
trop de commodité pour ne pas inspirer quelque méfiance ;
il est fâcheux surtout d'v recourir pour expliquerle méca-
nisme d'un acte d'origine aussi essentiellement coutu-
mière que la mancipatio. Mais de plus, elle est en contra-
diction certaine avec nos sources, et notamment avec
Cicéron qui nous représente l'obligation de garantie
comme fondée sur un engagement du vendeur : « is peri-
culum iudicii praestare debet qui nexu se obligavit » (2).
Le remède, en somme, nous paraît avoir été pire que
le mal. L'obligation de garantie, aujourd'hui exilée dans
le domaine des obligations légales, n'y rencontre aucun
fondement sûr. Il faut, si l'on veut me passer l'expression,
ramener cette égarée dans le giron de la mancipatio , où
seul elle a sa raison d'être et son principe.
Reste le problème de la conciliation avec la règle de la

Selon v. Ihering« le vendeur est censé avoir soustrait le prix à l'ache-


teur, il avait commis uo furtum nèc manifestum » (op. cit., IV, p. 138).
Girard ( Mélanges , II, p. 38 et s.), suivi par Rabel (op. cit., p. 8 et s.),
voit le délit dans le fait de ne pas soutenir utilement l'acheteur contre l'évic-
tion.

(2) Pro Murena, 2, 3. Le caractère pénal de Va. auctoritatis, même dans


cette conception, n'a rien qui doive surprendre. La violation d'un engage-
ment peut être envisagée sous un angle délictuel. C'est une conception com-
mune à tous les droits anciens (voyez par ex. Post, Giurisprudenza Etno-
logica, II, § 178, p. 460 et s.) et doQt les stipulations pénales sont une
survivance caractéristique.

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638 FERNAND DE VI8SCHER.

simplicité des actes juridiques. Mais ce problème, l


teur l'aura compris, ne se pose pas dans notre hypot
La dualité des effets de la mancipatio romaine n'est
doute qu'une illusion. Seules des conceptions emprun
à une technique juridique plus récente nous ont am
à décomposer ce que les anciens ramenaient à une no
unique. La mancipatio n'a qu'un seul effet juridiq
celui d'entourer la déclaration d'acquisition de l'a
teur de Yauctoritas du vendeur, c'est-à-dire d'une
garantie qui protège l'acheteur aussi bien contre la
revendication du vendeur que contre la revendication
des tiers.
Si cette hypothèse sur le rôle de Yauctoritas dans la
mancipatio se trouvait vérifiée, la mancipatio pourrait
désormais reposer en paix au sein du principe de l'unité
et de la simplicité des actes juridiques.
12. - Tel que nous l'avons conçu, le mécanisme spé-
cial de la mancipatio peut aussi jeter quelque lumière
sur la fonction de cet acte dans la vie juridique romaine.
U est certaines applications de ce rite qui, dans la
doctrine traditionnelle, demeuraient difficilement expli-
cables. J'ai en vue les mancipations de personnes libres
et notamment celles des fils de famille. Au regard de cette
doctrine qui concevait la mancipatio comme un acte
translatif de droits, ces mancipations constituaient en
somme un rite absurde, dépourvu de tout sens juridique.
Tout au plus était-il permis de voir dans cette pratique
une extension artificieuse de la mancipatio à des opéra-
tions pour lesquelles elle n'avait nullement été conçue.
Car tout d'abord, la puissance paternelle, comme toutes
les puissances familiales, est essentiellement intransmis-
sible. L'effet juridique de ces mancipations est d'ailleurs
en contradiction absolue avec l'idée de transfert de
droits : si elles éteignent la patria potestas dans le chef
du mancipio dans , c'est le mancipium , une puissance de
nature toute différente qu'elles font acquérir à Y acci-

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LE RÔLE DE L'ÀUCTORITAS DANS LA MANCIPATIO. 639

piens . Il y a donc discordance complète entre les droits


•éteints et les droits acquis.
Tout s'éclaire au contraire dans notre hypothèse sur le
rôle de Yauctoritas dans la mancipatio. Par l 'auctoritas,
le père de famille garantit l'effet absolu, erga omnes9 de
la déclaration par laquelle l'acquéreur dit prendre le fils
in mancipio , renonçant ainsi à toute revendication de
ses droits. L'opération entraîne l'extinction d'une puis-
sance, la. patria potestas , et assure la constitution d'une
puissance nouvelle, 1 emancipium (1).
Cene sont là, toutefois, que des applications particu-
lières du mécanisme de la mancipatio.
Si maintenant nous considérons ce mécanisme dans sa
fonction générale, nous nous trouverons inévitablement
confronté avec l'un des problèmes les plus vastes qui
puissent se poser à l'historien du droit. Ayant réduit le
procédé d'aliénation caractéristique de la mancipatio à
celui d'une garantie donnée à l'acquéreur contre toute
prétention du vendeur lui-même ou des tiers, c'est en
effet le régime primitif de la propriété elle-même que
nous allons être amené à concevoir sous un jour sensi-
blement différent de celui que nous offre notre littérature
romanitisque actuelle.
Selon les théories modernes, directement issues de la
doctrine classique, toute acquisition en propriété se
trouve munie d'un titrelégal. Aucune distinction ne sau-
rait, en théorie du moins, être établie entre la propriété
acquise par des actes privés, vente, donation ou testament,
et celle qui s'obtient par l'effet de laloi seulement, comme

(1) Une seule mancipation suffit à briser définitivement la puissance pater-


nelle sur la fille ou sur le petit-enfant. Au contraire, le fils, bien que libéré
par toute mancipation, suivant la doctrine qui a prévalu jusqu'au temps de Gaius
(Gaius, 11, 162; Girard, Manuel , p. 204, n. 5; Desserteaux, Étude* sur la
formation historique de la a cap. deminutio »,1, n0B 110, Ili, p. 235 et s.)t
retombe sous cette puissance en cas d'affranchissement. Le seul effet de la
disposition bien connue des Xli Tables (IV, 2) a été d'empêcher ce retour
sous la puissance paternelle après la troisième mancipation.

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640 FERNAND DE VISSCHER.

dans le cas de prescription acquisitive : car la loi d


sa sanction aux actes privés eux-mêmes (1). Une m
protection légale couvre la propriété quel qu'en so
mode d'acquisition.
La conception romaine primitive de l'acquisition
mancipatio paraît avoir été profondément différ
Pendant un ou deux ans, selon qu'il s'agit de meu
ou d'immeubles, les droits de l'acquéreur reposent
quement sur Yauctoritas du vendeur [iure auctori
c'est-à-dire sur un titre purement privé ( iure priva
Cicéron). C'est la garantie seule du vendeur qui dé
l'efficacité juridique de l'acquisition. Et s'il est sûrem
inexact de contester, comme on l'a fait (2), les effets
diques réels de la mancipatio , il n'en est pas moin
que ces effets ne se trouvent assurés que par les eng
ments du mancipio dans. Aspects réels et obligat
sont indissolublement liés dans l'opération.
Cette situation fondée sur un titre purement privé
sistera pour l'acquéreur jusqu'à l'achèvement de l'
Mode légal d'acquérir, celui-ci procure à l'acquéreu
pouvoir de droit fondé sur le ius publicum ou, ce qu
est l'exact équivalent dans la terminologie romain
une lex publica (3). A ces deux phases correspond
donc deux formes, ou plutôt deux régimes bien dist
de propriété : l'une, que pour employer le langag
nos sources nous pouvons caractériser comme une
priété de pur droit privé, et dont les effets réels
trouvent soutenus que ņ&vVauctoritasAu. vendeur; l
qui ne s'acquiert que par l'usas , et que la loi elle-m
défend contre toute entreprise.

(1) W. Burckhard, Die organisation der Hechtsyemeinschaft ,


1927, p. 36.
(2) Stinlzing, Nexum mancipiumque und die mancipatio , Leipzig,
1907.
(3) Pour cette terminologie voyez Mommsen, Droit public romain , I,
p. 1, n. 1 in fine . Le caractère de droit public de Tusucapion [est attesté
notamment par Paul, l. 48 ad ed ., D., 39, 2, De d. inf., fr. 18, § 2.

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LE RÔLE DE I ' AUCTORITAS DANS LA MAi'CIPAT10 . 641

Cette dualité dans le régime de la propriété nous laisse


entrevoir un trait nettement archaïque de l'ancienne
organisation juridique romaine. La mancipation, vieille
institution coutumière, développe ses effets juridiques
sans le secours d'aucune loi, par la seule force des enga-
gements contractés entre parties; c'est sur la trame de
ces engagements privés que repose alors le régime de
la propriété. L 'usus correspond à une mesure de droit
public, à une loi intervenant, non certes encore pour
revêtir ces actes d'un caractère légal 011 pour y atta-
cher l'effet nouveau d'un pouvoir légal, mais unique-
ment pour limiter un jeu trop prolongé et incertain de
ces engagements, pour en affranchir les parties et leur
substituer enfin un titre légal, consolidant les situations
acquises.
Envisagée sous cet angle, l'usucapion ne sera plus,
comme il pourrait apparaître en droit classique, un simple
remède à quelque vice dans les droits de l'auteur ou dans
la forme de l'acte. Sa fonction primitive et essentielle se
révèle infiniment plus large; elle est universelle, s'éten-
dant à toutes les acquisitions de droit privé, si efficaces
qu'elles soienten vertu des droits de l'auteur et des formes
observées. Le vrai rôle de l'usucapion primitive est de
convertir la propriété de droit privé en une propriété
iure publico , en une propriété légale et autonome, libé-
rée de la sujétion de Yaucloritas.
Celte opposition fondamentale des modes d'acquisition
de pur droit privé et de l'usucapion apparaît encore en
traits lumineux chez Cicéron, dans un passage du Pro
Caecina , 26, 74. L'orateur exalte la sécurité que les lois
civiles donnent à la propriété acquise par hérédité ou de
quelqu'autre manière. C'est aux lois sur les servitudes
qu'il s'attache tout d'abord : « quid enim refert aedis aut
fundum relictum a pâtre, aut aliqua ratione habere bene
partum, si incertum est quae lumina tua iure mancipi
sint, ea possisne retiñere, si parietum communium ius

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642 FERNAND DE VISSCHER.

civili ac publica lege contra alicuius gratiam ten


potest? » . Mais voici que son point de vue s'étend e
à la sécurité fondamentale de l'usucapion. « Cr
moi, dit-il, le pouvoir que nous avons sur les bien
nous héritons vient à chacun de nous bien plus du
et des lois que de ceux par qui ils nous ont été lais
iure et a legibus quam ab iis a quibus illa ipsa bona
relicta sunt »). Je puis acquérir un fonds de terre
tament; quant à conserver ce que j'ai acquis, je
puis que grâce aux lois civiles (« ut retineam quod
factum sit sine iure civili fieri non potest »). Une
peut m'être laissée par mon père, mais l'usucap
met fin à toute inquiétude et aux dangers d'un pr
n'est pas de mon père que je la tiens, mais des l
usucapió fundi, hoc est finis sollicitudinis ac p
litium, non a patře relinquitur, sed a legibus »). L
vitudes d'aqueduc, de puisage, Viter et Vadu
tiens de mon père, mais c'est la loi civile qui seule
le « titre privé d'acquisition » ( audoritas ) de t
droits (« sed rata auctoritas harum rerum omn
iure civili sumitur »).
Ce passage, dont on ne saurait assez évaluer l'
tance, révèle nettement l'existence de deux masses d'ins-
titutions juridiques, les unes de pur droit privé, fondées
sur des actes particuliers, les autres de caractère légal.
La distinction de ces deux masses est le vestige évident
d'une époque où la loi, la notion même du droit civil,
n'avait pas encore étendu son empire à l'ensemble des
relations juridiques.
Mais je m'en voudrais d'étendre encore un problème
déjà trop vaste et complexe en lui-même.
Le régime spécial de propriété que nous a paru fonder
la mancipatio est phénomène bien connu de tous les com-
paratislcs. U offre de frappantes analogies avec ce que
l'on a d'ailleurs peut-être inexactement appelé la « pro-
priété relative », avec la Gewere germanique, avec la

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LE RÔLE DE LAUCTOHITAS. DANS LA MANCIPATIO . 643

« saisine » du droit français et anglais (1). Les actes


démotiques attestent l'existence du même régime dans
l'ancienne Egypte; leurs clauses si caractéristiques de
garantie contre la revendication du vendeur ne s'expli-
queraient pas si l'acheteur avait été investi par l'acte lui-
même d'un pouvoir légalement opposable (2). Des clauses
identiques conduisent à admettre une forme semblable
de propriété dans l'ancienne Babylonie, qui du reste n'a
pas connu l'institution de l'usucapion (3). Sans doute,
comme le pensait Mitteis, ce régime consti lue-t-il un
point de départ quasi-universel dans l'histoire de la pro-
priété individuelle. Userait surprenant queledroit romain
eût fait exception (4).
L'idée d'un pouvoir de droit, légalement opposable à
tous et soumis à la disposition des volontés particulières,
est une abstraction qui n'a pu se faire jour qu'à un stade
relativement avancé de l'évolution juridique. La notion
romaine du dominium , complète expression de ce pou-
voir, n'a guère conquis sa place dans la technique juri-

(1) Droit germanique : Huber, Die Bedeutung der Gewere im deutschen


Sachenrecht , 1894; Gierke, Deutsches Privatrecht , II, § 113. Droit fran-
çais : Champeaux, Essai sur ìa Vestitura ou saisine , Paris, 1899. Droit
anglais : Joüon des Longrais, La conception anglaise de la saisine du
xii • au mv • siècle , Paris, 1925. Le rapprochement de Vauctoritas avec la
saisine est indiqué par Giffard, Précis de Droit romain (1933), I, p. 346,
n. 1.

(2) Gradenwitz, Einführung in der Papyruskunde , p. 103 ets.; Rabel,


Die Haftung des Verkäufers , p. 48; Mitteis, Grundzüge , II, 1, p. 171
et suiv.

(3) Sur ces clauses, voyez San Nicolò, Schlussklauseln , p. 43 et s.; Cuq,
Études sur le Droit babylonien , 1929, p. 201 et s. Les lois assyriennes
de la seconde moitié du IIa millénaire connaissent pour l'aliénation des
immeubles précieux des formes de publicité qui ont pour effet d'assurer à
l'acquéreur, après un certain délai, un titre ferme, excluant toute revendi-
cation; Cuq, op. cit., p. 440 et suiv. Cpr. la « Rechte Gewere » germa-
nique.
(4) C'est le grand mérite de M. Rabel d'avoir le premier retrouvé la trace
de ce régime en droit romain, sinon dans le principe de Vauctoritas9 du
moins dans le système de la stipulation habere licere. Op. cit., p. 30-72.

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644 FERNAND DE VISSCHER.

dique qu'à l'extrême fin de la République. 11 n'appar


qu'aux déesses de naître armées et casquées. Si n
hypothèse contraste avec l'ordonnance des temps
siques, on peut penser aussi que rien n'est moins
semblable qu'une immobilité tant de fois séculair
conceptions juridiques.
Fernand de Visscher.

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