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RDCEC Vol 2 n°2 2021

EFFICACITE DU DROIT A L’EXECUTION DU CREANCIER ET GESTION FRAUDULEUSE DE LA


SUCCESSION DU DEBITEUR. ESSAI DE SYSTEMATISATION DE LA FRAUDE SUCCESSORALE.

EFFECTIVENESS OF THE CREDITOR'S RIGHT TO ENFORCEMENT AND FRAUDULENT


MANAGEMENT OF THE DEBTOR'S ESTATE. ATTEMPT TO SYSTEMATIZE INHERITANCE
FRAUD.

Pierre DJONGA
Chargé de cours à l’Université de Yaoundé II
Faculté des Sciences Juridiques et Politiques Yaoundé-Cameroun
Email : pierredjonga@yahoo.fr

Résumé
Permanente dans la gestion des héritages des débiteurs, la fraude successorale compromet
considérablement les chances de paiement des dettes héréditaires. Se traduisant tantôt par
le recel successoral de la part des héritiers, tantôt par le détournement de pouvoir de la part
des mandataires chargés de gérer les biens successoraux, elle entraîne une altération du
gage général des créanciers successoraux à cause de la diminution du patrimoine du
débiteur défunt. Il en résulte une fragilisation du droit à l’exécution des créanciers
héréditaires. Il importe dès lors de bien élucider les liens étroits qui s’établissent entre
l’efficacité du droit à l’exécution des créanciers et la fraude successorale après la mort du
débiteur. Ce qui permettra d’éluder le sacrifice du droit à l’exécution du créancier sur l’autel
du crédit.
Mots clés : mort, droit à l’exécution, héritier, succession.
Abstract:
Permanent in the management of debtors' inheritances, inheritance fraud considerably
compromises the chances of payment of hereditary debts. Sometimes resulting in
inheritance concealment on the part of the heirs, sometimes in the misuse of power on the
part of the agents responsible for managing the inheritance assets, it leads to an alteration
of the general pledge of inheritance creditors because of the reduction in the debtor's
assets. deceased. The result is a weakening of the right to execution of hereditary creditors.
It is therefore important to clearly elucidate the close links that exist between the

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effectiveness of the enforcement right of creditors and inheritance fraud after the death of
the debtor. This will evade the sacrifice of the creditor's right to execution on the credit
altar.
Keywords: death, right of creditor, heir, succession.

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Introduction
1. La gestion des successions des débiteurs peut-elle échapper aux pratiques de fraude afin
de permettre une satisfaction appropriée des créanciers successoraux ? Une réponse
négative semble s’imposer dans la mesure où la gestion des héritages des débiteurs fait
généralement l’objet des pratiques de fraude les plus diverses. Comment pourrait-il en être
autrement car « la fraude corrompt toute chose »1. C’est ainsi que certains héritiers et autres
personnes chargées de gérer les successions sont enclins à privilégier leurs intérêts
personnels au détriment de ceux des créanciers au point où l’indivision successorale semble
devenir un terrain de prédilection de détournement des biens. Ces pratiques de fraude sont
d’autant plus graves et fréquentes qu’elles s’apparentent à une institutionnalisation
informelle d’« un droit de ne pas payer ses dettes »2 ou à une consécration d’« un droit à
l’effacement des dettes »3 et même d’ « un enrichissement sans cause »4 au profit du
débiteur défunt et de ses successeurs.
2. Quoi qu’il en soit, la fraude dans la gestion des successions des débiteurs contribue à
réduire considérablement la chance de paiement des créanciers successoraux à cause de la
diminution du gage général de ces derniers. Or, la mort du débiteur ne constitue pas en elle-
même un obstacle à la satisfaction des droits des créanciers héréditaires, eu égard au
mécanisme de transmission des dettes du débiteur défunt à ses héritiers. C’est pourquoi le
Code civil dispose que « les titres exécutoires contre le défunt sont pareillement exécutoires
contre l’héritier personnellement (…) »5. Pour la doctrine, la transmission des obligations à
cause de mort, activement et passivement, est une évidence aujourd’hui dans la mesure où

1
Suivant l’expression latine « fraus omnia corrumpit». V. Maximes et adages du droit français, in CORNU, G.,
e
(2017) (dir.), Vocabulaire juridique, 11 éd., PUF, Paris, p. 2290.
2
V. RIPERT, G., (1936), « Le droit de ne pas payer ses dettes », D.H chron. 57. Plus récemment et plus
spécialement : RAKOTOVAHINY, M-A., (2005), « Regards critiques sur l’institutionnalisation « du droit de ne pas
payer ses dettes » ou la consécration du non-paiement », in HECQUARD-THERON,M. et KRYNEN, J.,
(2005),« Regard critique sur quelques (r)évolutions récentes du Droit », Presses de l’Université de Toulouse 1
Capitole, p. 491-505.
3
S. PIEDELIEVRE, « Le droit à l’effacement des dettes », Defrénois, 2004, p. 16, n° 6.
4
Théorie refusée dans un premier temps, (Cass. Civ. 12 mars 1890, DP 1890.1.86, S.1890.1.2557 ; 16 févr. 1853,
S.1853.1.1853 ; 9 mai 18953, DP 1853.1.251), elle a été consacrée par le célèbre Arrêt Bourdier du 15 juin
1892, Cass. Req., affaire Julien Patureau c. Boudier, 15 juin 1892, DP 1892.1596, S.1893.281. Cf. CAPITANT, H.,
e
TERRE, F. et LEQUETTE, Y., (2012), « Les grands arrêts de la jurisprudence civile », t.1, 12 éd. Dalloz, arrêt n°
239, p. 554.
5
C’est ce qui ressort de l’article 877 CC.

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les héritiers sont les continuateurs de la personne du défunt6. Plus précisément, les héritiers
recueillent les créances et sont tenus des dettes7. Dès lors, on est en droit d’affirmer, à
travers le mécanisme de la succession à la dette8, qu’il existe une certaine garantie de
paiement des créanciers successoraux, malgré le décès de leur débiteur.
3. Malheureusement, la pratique a révélé toutes sortes de pratiques frauduleuses dans la
gestion des successions. On pense notamment au détournement des biens de la succession
par l’administrateur provisoire des biens ou par les successibles. Dans cette condition, « le
paiement n’est plus la règle de conduite de la relation contractuelle, mais apparaît comme le
problème qui empêche la bonne exécution de la relation. Le non-paiement se substitue au
paiement pour conférer à la relation contractuelle une autre dimension »9. Toutes choses qui
« créent un déséquilibre contractuel qui exige l’extériorité de l’événement perturbateur
(…) »10. D’où le choix du présent thème, qui ambitionne de systématiser le phénomène de
fraude dans le domaine des successions en rapport avec le risque de non-paiement des
créanciers successoraux. Plus clairement, il est question de construire une théorie de la
fraude en matière successorale tout en démontrant les conséquences néfastes des pratiques
de fraude sur l’efficacité du droit à l’exécution des créanciers successoraux après la mort de
leur débiteur.
4. Il convient au préalable de préciser le sens des termes « efficacité du droit à l’exécution »
et « fraude successorale ». Concernant la définition de l’« efficacité du droit à l’exécution »,
elle passe préalablement par une compréhension séparée des termes « efficacité » et
« exécution ». Définir « efficacité » est une œuvre difficile à cause de son caractère élastique
et de sa confusion avec les notions voisines telles que « effectivité » et « efficience ». Dans la
pratique, il désigne usuellement le caractère de ce qui produit l’effet attendu et équivaut à la
capacité de produire le maximum de résultats avec le minimum d’efforts ou de dépenses11.

6 e
TERRE, F., SIMLER, Ph., et LEQUETTE, Y., (2005),« Droit civil. Les obligations », Précis Dalloz, 9 éd., p. 1213, n°
1272.
7
TERRE F., et LEQUETTE, Y., (2013), « Les successions et les libéralités », Précis Dalloz, Paris, n° 742 et s.
8
A ce titre, les héritiers successoraux, qui auraient accepté la succession, sont tenus envers les créanciers
héréditaires soit ultra vires successionis, soit intra vires successionis. Dans la première hypothèse, il s’agit de
l’héritier qui aurait accepté purement et simplement la succession et qui est tenu infiniment des dettes du
défunt. Dans la seconde, c’est le cas de l’héritier qui aurait accepté la succession sous bénéfice d’inventaire et
qui répond des dettes proportionnellement aux biens qu’il a recueillis dans la succession.
9
M-A. RAKOTOVAHINY, « Regards critiques sur l’institutionnalisation « du droit de ne pas payer ses dettes » ou
la consécration du non-paiement », op. cit., p. 492.
10
GRYMBAUM, L., (2002), « La mutation du droit des contrats sous l’effet du traitement du
surendettement »,Contrats Concurrence Consommation, Jurisclasseur, p. 4.
11
Le Petit Robert, édition de 1986, v. efficacité.

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En ce sens, l’efficacité renvoie à la capacité d’une mesure d’atteindre les objectifs visés par la
loi ; elle se mesure par rapport aux résultats, appelés « outcomes» en anglais, et qui signifie
« ensemble des effets qui sont causalement imputables à une norme ou à une politique
publique déterminée »12. Devenue à la fois principe correcteur et principe directeur du droit
judiciaire privé 13, l’efficacité constitue un mode d’appréciation de l’adéquation du moyen
employé à la fin poursuivie14.
5. Quant à l’exécution, il faut dire qu’elle est apparue comme une notion centrale, mais mal
définie15. Dérivée du latin exsecutio (exécution) et exesequi (exécuter), elle est
l’accomplissement, par le débiteur, de la prestation due ; le fait de remplir son obligation
(impliquant satisfaction donnée au créancier) ou, plus largement, la réalisation effective des
dispositions d’une convention ou d’un jugement16. Constituant à la fois la finalité des
procédures et le cœur des activités des huissiers de justice, l'exécution est une notion
fondamentale du droit processuel. Dans cet esprit, il y a lieu de remarquer que le droit à
l’exécution est devenu de nos jours un droit fondamental du citoyen17 et un droit subjectif
du créancier pouvant lui permettre d’engager des mesures d’exécution forcée contre le
débiteur qui ne s’exécuterait pas spontanément. A ce titre, le créancier peut pratiquer des
saisies18 des biens du débiteur en cas de non payement amiable de sa créance.
6. De ce qui précède, on peut retenir qu’une exécution est dite efficace lorsqu’elle permet la
réalisation de l’opération économique et la satisfaction des parties. En d’autres termes, un
droit à l’exécution efficace est celui qui réalise l’atteinte le paiement du créancier. C’est
pourquoi on dit que « ce qui intéresse le créancier, c’est le chèque avec lequel il ira se faire

12
FLÜCKIGER, A., (2001), « Le droit administratif en mutation : l’émergence d’un principe d’efficacité »,Revue
de droit administratif et fiscal (RDAF), p. 93-119
13
BRUNO, M., (1994), « Essai sur le principe d’efficacité en droit judiciaire privé », thèse, Université d’Aix-
Marseille, p. 33.
14
LAITHIER, Y.-M., (2004),« Étude comparative des sanctions de l’inexécution du contrat », LGDJ, coll. Biblio. De
dr. privé, tome 419, préf. H. MUIR-WATT, n°8, p. 20.
15
DEHARO, G., (2005),« Ce qu'exécuter veut dire…Une approche théorique de la notion d'exécution », Droit et
procédures, La revue des idées n° 3-07, p. 1.
16
CORNU,(G.), (sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 432, V. Exécution.
17
La CEDH conclut à la violation du droit à un tribunal, en se fondant sur le fait que « l'exécution d'un jugement
ou d'un arrêt, de quelque juridiction que ce soit, doit être considéré comme faisant partie intégrante du procès
au sens de l'art. 6 [de la CEDH] », Horsny c/ Grèce, 19 mars 1997, affaire n° 107/1993/701, JCP.G.1997, 22949,
note DUGRIP, O.et SUDRE F.; D.1998, jurisprudence, p.74, note FRICERO, N.; RTD civ. 1997, p.1009, obs..
MARGUENAUD, J.-P.
18
Considérées comme le modèle de l’exécution forcée contemporaine, Cl. BRENNER, « L’ineffectivité de
l’exécution forcée », in BRENNER, Cl. (sous dir.), « Le droit à l’exécution forcée : entre mythe et réalité », op.
cit., n° 62, p. 44.

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payer en banque »19. Dans le cas contraire, il ne s’agit pas inéluctablement d’une
inexécution, mais simplement d’une exécution moins efficace20.
7. Dérivé du latin fraus, fraudem, qui signifie ruse, la fraude, au sens large, renvoie à
mauvaise foi, tromperie21. Elle est un acte réalisé en utilisant des moyens déloyaux destinés
à surprendre un consentement, à obtenir un avantage matériel ou moral indu ou réalisé
avec l’intention d’échapper à l’exécution des lois. En effet, deux éléments essentiels
constituent le concept de fraude : d’une part, un élément objectif ou matériel, qui
correspond au comportement d'action ou d'abstention qui est reproché au sujet de droit
concerné ; d’autre part, un élément subjectif ou intentionnel, qui consiste en une certaine
intention dommageable à autrui. Au sens restreint, la fraude correspond à la fraude à la loi.
Manipulation volontaire des conditions d’application de la loi22, la fraude à la loi renvoie à un
geste posé afin de contourner une disposition de la loi qui serait autrement trop prohibitive.
On s’accorde à reconnaître qu’ « il y a fraude chaque fois que le sujet de droit parvient à se
soustraire à l’exécution d’une règle obligatoire par l’emploi à dessein d’un moyen efficace,
qui rend ce résultat inattaquable sur le terrain du droit positif » 23. Malgré son apparente
simplicité, la définition du terme « fraude » n’est pas une œuvre facile. Intrinsèquement
trois difficultés particulières surgissent de la définition générale de la fraude qu’on vient de
proposer : la première est relative à la détermination tout à fait précise de l'élément
intentionnel ; la deuxième est relative à l'adéquation de cette définition aux différents
régimes légaux ou jurisprudentiels vus en droit privé positif24et la troisième est que la fraude
est très proche des notions telles que l’abus de droit25 et le détournement de pouvoir26.

19
ASSONTSA, R., (2009), Le juge et les voies d’exécution depuis la réforme de l’OHADA, thèse, Strasbourg, n°10,
p. 20.
20
ALVAREZ, I., (2014), Essai sur la notion d’exécution contractuelle, thèse, Montpellier 1, 2014, n° 48, p. 29.
21
Dans ce sens, CORNU, G.,Vocabulaire juridique ,op. cit., p. 1039 et GHESTIN G.et GOUBEAUX, G., « Traité de
e
droit civil. Introduction générale », 4 éd., avec le concours de FABRE-MAGNAN, M., (1994), LGDJ, n°744. G.
RIPERT, « La règle morale dans les obligations civiles », n°168, p. 314.
22
Manipulation dont l’exemple ancestral a été fourni par Mme Beauffremont qui cherchait à se faire obtenir
frauduleusement la nationalité allemande afin d’éluder la loi française sur le statut personnel : civ., 18 mars
1878, S., 1878.1.193, note Labbé.
23
VIDAL, J., (1957),« Essai d'une théorie générale de la fraude en droit français. Le principe « fraus omnia
corrumpit», Dalloz, p. 186 et s.
24
ROMAIN, J.-F., (2000), « Théorie critique du principe général de bonne foi en droit privé. Des atteintes à la
bonne foi, en général, et de la fraude en particulier (Frausomniacorrumpit) », Bruylant Bruxelles, p. 754.
25
Selon certains auteurs, c’est la jurisprudence elle-même assimile parfois fraude et abus de droit. Ainsi, dans
la célèbre affaire de Beauffremont, le jugement du Tribunal civil de la Seine considère-t-il comme « abusif le
changement de nationalité ». Un autre exemple est fourni par un arrêt de la Cour de Paris du 23 novembre
1972 qui énonce : « Considérant que la fraude à la loi, et partant, l’abus de droit apparaissent bien de ce fait
que tous les avantages du système aient été pour l’employeur et tous les inconvénients pour le salarié (...) ».

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Dans tous les cas, « le droit ne saurait tolérer que les institutions juridiques soient détournées
de leur finalité et que la lettre des institutions soit utilisée au détriment de leur finalité »27.
8. Dès lors, un rapport étroit s’établit entre le risque de non-paiement des créanciers
successoraux et la fraude successorale. L’on est donc en droit de s’interroger sur le régime
de la fraude en droit des successions et la nécessité d’en élaborer une systématisation. Plus
simplement, il est question de voir comment la fraude s’exprime en matière des successions
? Cette interrogation n’est pas dénuée de tout intérêt dans la mesure où la fraude connaît
d’importantes applications en droit des successions. Il s’agit principalement de la
dissimulation des biens du de cujus de la part des héritiers et des mandataires successoraux.
Si dans la première hypothèse on parle de recel successoral, dans la seconde, la fraude
prend sa source dans la théorie de détournement de pouvoir en droit privé.
9. Du latin « recelare » et qui signifie « tenir caché, tenir secret, ne pas dévoiler », le recel, au
sens strict, « est la dissimulation illicite d’une personne, d’une chose ou d’un événement qui
constitue, sous les conditions propres à chacun, divers délits spéciaux (d’ordre civil ou pénal)
ou au moins un agissement frauduleux »28. De façon large, il s’agit d’un agissement
frauduleux constitutif de délit civil qui peut consister en toute opération. En d’autres termes,
le recel successoral constitue une fraude au partage par laquelle l’un des coindivisaires
détourne sciemment au préjudice des autres une valeur de la succession qu’il soustrait au
partage en vue de se l’approprier. On en déduit qu’il est le fait pour un successible de
dissimuler certains effets de la succession afin de se les approprier indûment et d'en frustrer
les autres cohéritiers ainsi que les créanciers successoraux. Il porte sur « des biens ou des
droits d'une succession » dans une situation d'indivision. La doctrine relève qu’il constitue
l’un des litiges successoraux les plus rencontrés dans la pratique « derrière les différends
opposant l’épouse de secondes noces aux enfants d’une première union »29. Elle ajoute
opportunément qu’«à en juger par l’abondance de la jurisprudence en la matière, le receldoit

Dans ce sens : GHESTIN, J., GOUBEAUX, G. et FABRE-MAGNAN, M., (1994),« Traité de droit civil. Introduction
e
générale », 4 éd., n°834, p. 823, note 113 ; GAILLARD, E., (1985), « Le pouvoir en droit privé », Economica,
n°155, p. 100/101.
26
C’est la raison pour laquelle un auteur conclut que « c’est la théorie de la fraude qui serait englobée par celle,
plus vaste, de détournement de pouvoir », v. GAILLARD, E., ibid.
27 e
In(2003),« Théorie générale du droit », 4 éd., Dalloz, n°242.
28
CORNU,G., (sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 855, v. Recel.
29
STERCKX, L., (2014), « Petite initiation au recel successoral », in LALIERE, F., (sous dir.), « Contentieux
successoral - Les écueils juridiques du conflit successoral », Bruxelles, Larcier, p. 82.

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être fréquent. La tentation semble bien forte, pour les successibles, de passer sous silence les
valeurs successorales dont ils sont les seuls à connaître l’existence »30.
10. Le détournement de pouvoir, quant à lui, consiste, de manière restrictive, en l’utilisation
par un agent de « ses pouvoirs dans un but autre que celui que lui permet de poursuivre la
compétence qu’elle exerce »31. Plus largement, c’est l’utilisation des pouvoirs par leur
titulaire « pour une fin autre que celle en vue de laquelle ils lui avaient été conférés »32. Il se
manifeste chaque fois que le titulaire d’un droit-fonction met au service d’une fin autre que
celle de sa fonction la marge de liberté d’action ou de pouvoir discrétionnaire qui lui est
laissée33. Par cette fraude, il est question, en somme, de vérifier la conformité de l’acte à la
finalité du pouvoir34.
11. Tout compte fait, la fraude crée un risque de non-paiement des créanciers après la mort
du débiteur et « le droit du créancier à ne pas être payé » tend de plus en plus à se
généraliser à cause des multiples dérives inhérentes à la gestion des successions des
débiteurs. Réalisée tantôt par les héritiers (I), tantôt par les mandataires successoraux (II), la
fraude est permanente dans la gestion des héritages.

I- LA FRAUDE REALISEE PAR UN HERITIER : LE RECEL SUCCESSORAL

12. Le décès du débiteur peut constituer un obstacle pour l’exécution du titre exécutoire
lorsque les héritiers successoraux se rendent coupables de recel successoral. Ce dernier
renvoie à une forme de fraude paulienne35, que la doctrine et la jurisprudence s’accordent à
reconnaître qu’elle entraîne une diminution anormale du patrimoine du de cujus et un
affaiblissement du droit de gage de ses créanciers héréditaires36. Cette faute est sévèrement
sanctionnée (B) lorsqu’elle est qualifiée (A).
I.1 UN DELIT QUALIFIE
13. Le délit civil de recel successoral suppose la combinaison de deux principaux éléments, à
savoir la dissimulation, par plusieurs manières, des biens successoraux, qui est l’élément
30 e
PAGE, H. DE LA, (1974),«Traité élémentaire de droit civil belge », t. IX, 2 éd., Bruxelles, Bruylant, p. 489.
31
CORNU, G. (sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 749, v. détournement de pouvoir.
32 e
TERRE, F., (2006), « Introduction générale au droit », 7 éd., Précis Dalloz, n°498, p. 405 ; V. VAUVILLE, F.,
(1991), Les pouvoirs concurrents en droit de la famille, Thèse, Lille II, p. 308.
33
DABIN, J., (1952), « Le droit subjectif », Dalloz, Paris, p. 56.
34
A la différence du dépassement ou du défaut de pouvoir, le titulaire de la prérogative reste dans les limites
objectives de son pouvoir mais il en outrepasse les limites subjectives, c’est-à-dire la finalité recherchée.
35
SAUTONIE-LAGUIONIE, L., (2008), La fraude paulienne, thèse, Université de Bordeaux, LGDJ, n° 115 s.
36
Dans ce sens : SAADATOU BOUREIMA SOUMANA, (2015), La protection des droits des créanciers dans les
opérations de restructuration des sociétés, thèse, Université Bordeaux, p. 79.

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matériel (1) et l’intention frauduleuse de l’héritier receleur, correspondant à l’élément


intentionnel (2).

I.1.1- UN ELEMENT MATERIEL HETEROGENE


14. L’élément matériel du délit de recel se caractérise par sa diversité et sa variété. Il
découle de la définition même du recel en sens que ce dernier s’entend largement comme «
toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment et qui a pour but de rompre
l'égalité du partage constitue un divertissement ou un recel quels que soient les moyens
employés pour y parvenir »37. Il s’agit de tout acte, tout comportement ou tout procédé
volontaire par lequel un héritier tente de s’approprier une part supérieure sur la succession
que celle à laquelle il a droit dans la succession du défunt et ainsi rompt l’égalité dans le
partage successoral38. On constate que l’élément matériel du délit de recel revoit à « tout
fait matériel, tout acte, tout comportement, toute manœuvre ou tout procédé volontaire et
frauduleux ». Concrètement, il peut s’agir de la dissimulation, du détournement, du
divertissement des biens successoraux ou autres combinaisons tendant à entamer l’actif
partageable. C’est ainsi que la jurisprudence décide que « le divertissement et le recel
peuvent résulter de toute fraude commise par un indivisaire vis-à-vis des autres indivisaires à
l'effet de rompre à son profit l'égalité dans le partage à intervenir ; (...) le recel et le
divertissement existent dès que sont établis des faits matériels manifestant l'intention de
porter atteinte à l'égalité du partage, et ce quels que soient les moyens mis en œuvre »39.
C’est le lieu de noter que les procédés mis en œuvre sont divers et variés pour que l'on
puisse en donner une liste exhaustive. A titre d’illustration, on peut citer la soustraction ou la
dissimulation de biens dépendant de la succession tels que les retraits de sommes d’un
compte bancaire ; la non révélation, lors d’un inventaire, de l’existence de biens
successoraux que détenu par l’héritier receleur ou les déclarations conduisant à la rédaction
d’un inventaire inexact ; la confection d’un faux testament ; la dissimulation d’une
donation ou d’une dette envers le défunt. On peut regrouper ces manœuvres selon qu’elles
sont des actes d’action ou qu'elles sont réalisées passivement, par des actes d’abstention,
qualifiés de rétention dolosive40. Cette dernière hypothèse se justifie par le fait que « chaque

37 e
V. BRETON, A., Rép. civ. Dalloz, v° Succession, 2 éd., n° 852 s.
38
Cass. Civ. 1ere, 15 avril 1890 ; 21 novembre 1955 ; 20 sept. 2006.
39 ere
Cass. 1 civ., 7 déc, 1982, op. cit.
40
VREGILLE, A. DE, et TISSOT, F., « Les recels en droit de la famille », https://consultation.avocat.fr/blog, p.
14,consulté le 10 avril 2021.

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héritier est tenu de donner à ses cohéritiers une information correcte et complète: cette
obligation repose sur la bonne foi que les héritiers doiventmanifester les uns vis-à-vis des
autres en tant que copartageants »41. Il s’agit de l’application du principe de loyauté en
matière de partage successoral, qui « implique que chaque partie s'abstienne de tout abus,
ait un comportement raisonnable et modéré, sans agir dans son intérêt exclusif, ni nuire de
manière injustifiée à son partenaire »42. Ainsi, en dépit du principe de l'interprétation
restrictive des textes répressifs, la jurisprudence française a décidé, à maintes reprises, que
les juges du fond disposaient d'un pouvoir souverain d'appréciation quant aux circonstances
constitutives de recel43. Elle applique, le plus souvent, les anciens articles 792 et 801 du Code
civil au-delà des cas expressément spécifiés, de sorte que la notion de recel peut être
considérée comme englobant toute manœuvre dolosive, toute fraude commise sciemment
et qui a pour but de rompre l'égalité du partage entre cohéritiers ou de modifier leur
vocation héréditaire quels que soient les moyens employés pour y parvenir44.
15. Par ailleurs, il importe de souligner que le recel successoral est proche du recel d’héritier.
Consacré récemment en droit et jurisprudence français45, le recel d’héritier est « la
dissimulation de l'existence d'un héritier »46. Contrairement au recel successoral qui renvoie
à « toute manœuvre frauduleuse commise par un successible en vue de frustrer la succession
à son profit »47, le recel d’héritier est un le délit par lequel un héritier cherche
frauduleusement à frustrer un ou plusieurs cohéritiers de leurs droits dans la succession en
cachant l’existence de ceux-ci de sorte à s’approprier leur part dans la succession48. C’est le
cas d’un successible qui dissimule un héritier testamentaire, si le testament n’est pas
authentique ou s’il s’agit un testament olographe qui n’a pas été enregistré au registre
central des testaments. La doctrine ajoute qu’« Une autre méthode ayant pour but de
dissimuler un héritier, poussant la fraude dans son application la plus abjecte, est de rédiger

41
ROSSOUX, H., (2012), « L’option héréditaire », in MOREAU,P., (sous la dir.), « Libéralités et successions »,
Liège, Anthémis, p. 358.
42
Pour reprendre les propos de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt du 24 octobre 2001 relatif à l’abus dans
la fixation d’un prix de location de coffre-fort, D. 2001, somm. comm. 641 et 3236.
43
Cass. 1re civ., 13 juin 1960, JCP G. 1960, 119 ; Cass. Ire civ., 28 nov. 1980, JCPG. 1981, II, 19667, Cass. 1re civ.,
10 mars 1993, JurisData n° 1993-000417.
44 re
Cass. 1 civ., 7 juill. 1982, n°81-14.218.
45
Cass. civ. 1ere, 20 septembre 2006, Bull. civ., I, n°415.
46
Cf. nouvel article 778 du code civil français.
47
PAGE, H. DE LA, (1967), « Traité élémentaire de droit civil belge », tome IX, n°646.
48
GUILHERMONT, E., (2007), « La dissimulation d’un héritier : un nouveau délit civil ? », Dr. fam., étude n°27, n°
49 ; SOORS, A., (2016), Le recel d'héritier, Mémoire, Faculté de droit et de criminologie, Université catholique
de Louvain, http://hdl.handle.net/2078.1/thesis:3671, p. 14.

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un faux testament, ce dernier laissant croire au notaire que l’héritier légal non réservataire a
été exhérédé »49. Dans tous les cas, l’élément matériel s’avère insuffisant pour qualifier le
délit de recel ; c’est pourquoi il faut y ajouter l’élément intentionnel.

I.1.2- UN ELEMENT INTENTIONNEL HOMOGENE


16. Contrairement à l’élément matériel qui se caractérise par son hétérogénéité, l’élément
intentionnel est homogène, en ce sens qu’il renvoie à la mauvaise foi du receleur. Autrement
dit, le délit de recel suppose impérativement la mauvaise foi ou l'intention frauduleuse de
l'héritier receleur50, qualifié de véritable critère du recel51. C’est dire que le receleur doit
avoir l’intention de s'approprier indûment des effets successoraux dans le but de nuire à ses
cohéritiers et de rompre ainsi l'égalité du partage et la loyauté dans le partage. Le recel
implique donc, par essence, « un dol spécial » commis au préjudice des copartageants. Si
l'intention frauduleuse est importante dans la qualification du recel, force est cependant de
noter qu’elle doit être démontrée et prouvée52. En effet, les juges ne sanctionnent le recel
successoral que si la preuve est rapportée, par ceux qui l’invoquent, que son auteur a eu
l’intention de frustrer ses cohéritiers53. Pour certains auteurs, si les interprétations
jurisprudentielles sont étroitement liées au cadre légal par rapport au champ d'application
du recel, l'appréciation, en revanche, est laissée aux juges du fond en ce qui concerne les
éléments constitutifs du recel et la jurisprudence en a donné une interprétation extensive54.
17. Il en résulte, a contrario, qu'en l'absence d’intention fraudeuse, il n'y a pas de recel et
l'héritier est simplement obligé de rapporter l'objet détourné à la succession et ne perd pas
ses droits sur cet objet. C’est ainsi que la jurisprudence rappelle que : « Mais attendu qu'un
héritier ne peut être frappé des peines du recel que lorsqu'est apportée la preuve de son
intention frauduleuse constitutive de ce délit civil ; que la cour d'appel qui, dans l'exercice de
son pouvoir souverain d'appréciation, a estimé qu'en l'espèce, l'intention frauduleuse de M.
Louis Spinec n'était pas caractérisée, en a exactement déduit que les peines du recel
49
SAUVAGE, F., (2007), « Successions - Nouveaux droits : la loi du 23 juin 2006 - Nouvelles fiscalité : la loi du 21
août 2007 - Nouvelles pratiques professionnelles », Paris, Delmas, p. 104.
50
Cette exigence est constamment rappelée par la jurisprudence : Cass. civ., 21 mars 1894, DP 1894, I, p. 345 ;
re
CA Paris, 19 janv. 1953, JCP 1953.II.7427, note H. Mazeaud (affaire Bonnard) ; Cass. 1 civ., 12 déc. 2006, n°
re re
0518.573 ; Cass. 1 civ., 12 déc. 2007, n° 06-19.653 ; Cass. 1 civ., 21 nov. 2012, n° 11-25.439.
51
JACOTOT, D., (2006), « La consécration jurisprudentielle du recel d’héritier », Rec. Dalloz, p. 2969.
52
La jurisprudence a rappelé cette exigence récemment : dans ce sens : cass. civ. 1ere, 13 janvier 2021, pourvoi
n°19-16-675.
53
Cass. civ.I. 4 décembre 1956, Cass. civ.I.27 janvier 1987 ; Cass. civ.I. 19 décembre 1995 ; Cass. civ.I. 6 mai
1987 ; Cass. civ.I.30 janvier 2001.
54
VREGILLE, A. DE et TISSOT, F., « Les recels en droit de la famille », op. cit., p. 9.

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successoral ne pouvaient lui être appliquées ; que sa décision n'encourt donc pas les griefs du
moyen »55.
18. En outre, il faut relever que le recel successoral suppose l’absence d’un droit de repentir
pour sa qualification. Autrement dit, l’intention du receleur doit être dénuée de tout
« caractère spontané du repentir ». Ce dernier est constitué d’une restitution spontanée et
antérieure aux poursuites. Dès lors le demandeur doit démontrer que l’héritier receleur n’a
pas pu se repentir spontanément de sa fraude avant les poursuites. C’est la raison pour
laquelle la jurisprudence a décidé que le successeur universel ou à titre universel, qu'il se
soit comporté comme auteur principal ou comme complice, ne subit les conséquences du
recel que si, spontanément, avant toutes poursuites, il n'a pas restitué les objets recelés ou
fait cesser la situation qui aurait pu constituer le recel ou bien encore avoué sa fraude avant
qu'elle n'ait été découverte56.
19. Il existe toutefois des limites à l'efficacité du droit de repentir, notamment au niveau du
moment de son invocation. Le repentir d'un héritier qui a commis un recel est dénué d'effet,
s'il n'intervient qu'après sommation interpellative des autres cohéritiers57 ou lorsque l'offre
de restituer n'intervient que deux ans après les faits constitutifs de recel58.
20. Enfin, il important de noter que le droit de repentir ainsi reconnu est personnel à l'auteur
du recel et ne saurait être invoqué par ses héritiers, qui ne sauraient s'en prévaloir en
restituant eux-mêmes les biens. La jurisprudence décide à ce propos que les héritiers « ne
peuvent se repentir d'une faute à laquelle ils sont étrangers. La sanction de la fraude de
l'héritier receleur ne se transmet pas à ses héritiers »59.
21. Quoi qu’il en soit, le recel successoral est sanctionné dès que les conditions requises sont
réunies.
I.2-UN DELIT SANCTIONNE
22. Comme toute fraude, le recel successoral est sanctionné une fois qu’il est qualifié. Si les
sanctions prévues à son encontre se caractérisent par leur sévérité (2), la question de
l’invocation du recel par les créanciers successoraux est au centre d’une importante
controverse doctrinale et jurisprudentielle (1).

55 re
Cass. 1 civ., 19 déc. 1995, n° 11-22.938.
56
Cass. 1ere civ., 17 janv. 2006, Bull. civ. 2006, I, n° 25.
57 e
TGI Paris, 2 ch., 13 juill. 1983, JCP G. 1983, IV, 333.
58
TGI Paris, 17 févr. 1973, Journ. not. 1974, art. 51770.
59
T. Civ. Seine, 10 oct. 1951, D. 1952, 2, 390.

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I.2.1- UNE SANCTION SEVERE


23. Le législateur n’a pas laissé le délit de recel impuni en instaurant plusieurs sanctions à
l’égard du receleur successoral. C’est du moins ce qui ressort de l’article 792 du code civil en
ces termes : « Les héritiers qui auraient diverti ou recélé des effets d'une succession, sont
déchus de la faculté d'y renoncer : ils demeurent héritiers purs et simples, nonobstant leur
renonciation, sans pouvoir prétendre aucune part dans les objets divertis ou recélés ». Le
législateur français semble plus explicite lorsqu’il affirme que :« Sans préjudice de dommages
et intérêts, l’héritier qui a recelé des biens ou des droits d’une succession ou dissimulé
l’existence d’un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la succession,
nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de l’actif net, sans pouvoir
prétendre à aucune part dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Les droits revenant
à l’héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter ceux de l’auteur de la dissimulation
sont réputés avoir été recelés par ce dernier.
L’héritier receleur est tenu de rendre tous les fruits et revenus produits par les biens recelés
dont il a eu la jouissance depuis l’ouverture de la succession »60. Plusieurs sanctions
particulièrement sévères découlent de la lecture combinée de ces dispositions dont la
première consiste à considérer l'héritier receleur réputé avoir accepté purement et
simplement la succession, nonobstant toute renonciation ou acceptation à concurrence de
l'actif net. C’est dire que l'héritier qui a recelé des biens ou des droits d'une succession ou
dissimulé l'existence d'un cohéritier est réputé accepter purement et simplement la
succession. Il devient donc indéfiniment tenu des dettes et charges de la succession, au-delà
éventuellement des forces de la succession61. On dit que sa responsabilité est « ultra vires
successionis ». Les droits revenant à l'héritier dissimulé et qui ont ou auraient pu augmenter
ceux de l'auteur de la dissimulation sont réputés avoir été recelés par ce dernier. Lorsque le
recel a porté sur une donation rapportable ou réductible, l'héritier doit le rapport ou la
réduction de cette donation sans pouvoir y prétendre à aucune part.
24. La deuxième sanction est l’exclusion de l’auteur du recel du bénéfice des biens recelés62.
Il ne peut prétendre à aucune part dans les biens qu'il a détournés ou dissimulés. En

60
Cf. art. 778 CC.
61 er
V. Art. 778, al. 1 et art. 785 CC.
62
C’est dans ce qu’un auteur précise que « le recel expose son auteur à diverses peines civiles dont la privation,
pour le receleur, de sa portion dans les biens recelés ». CORNU,G.,(sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p.
855. V. Recel.

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conséquence, il doit restituer les biens recelés pour que ses cohéritiers se les partagent et,
de plus, il est lui-même privé de tout droit sur ces biens. Nonobstant toute renonciation ou
acceptation à concurrence de l'actif net, l’héritier receleur ne peut prétendre à aucune part
dans les biens ou les droits détournés ou recelés. Cette sanction profite aux cohéritiers
victimes du recel et aux créanciers successoraux.
25. La troisième sanction consiste à obliger l'héritier receleur à restituer tous les fruits et
revenus produits par les biens recelés dont il a eu la jouissance depuis l'ouverture de la
succession63. Le simple possesseur ne fait les fruits siens que dans le cas où il possède de
bonne foi64. Conformément au droit commun, le receleur, possesseur de mauvaise foi, doit
non seulement les fruits proprement dits mais également les produits et, d'une manière
générale, tout ce qu'il a touché du chef de la chose65. Si les produits et fruits du bien recelé
ne se retrouvent pas en nature, le receleur doit restituer leur valeur estimée66. Si des
sommes d'argent ont été détournées, la jurisprudence décide que l'auteur du recel doit les
restituer avec les intérêts légaux, à compter de la date de leur perception67. En outre, le
mécanisme de la dette de valeur n'étant pas applicable, la sanction doit porter sur les
sommes elles-mêmes68. Enfin, l'héritier receleur doit restituer l'intégralité des sommes
détournées sans pouvoir effectuer de compensation69. Cette sanction profite également aux
éventuels créanciers de la succession dans la mesure où elle augmente leur droit de gage
général. Toutes ces sanctions peuvent être accompagnées des dommages et intérêts. Dans
cet ordre d’idées, la tentative de recel doit être sanctionnée au même titre que le recel lui-
même. C’est ainsi que la jurisprudence décide qu’« il y a manifestement tentative de recel
successoral en tant qu'il est organisée une collusion frauduleuse dont le but est de frustrer les
héritiers (…) d'un bien successoral »70. De même, la jurisprudence sanctionne la complicité de

62
VREGILLE,A. DE et TISSOT, F., « Les recels en droit de la famille »,op. cit., p. 7.
63
V. Art. 778, al. 3.
64
Cf. Art. 549 CC.
65
Cass. civ., 30 Avril 1890, DP 1891, 1, p. 367.
66
Conformément aux dispositions de l'article 549 du Code civil, à la date de la restitution.
67
Cass. 1ere civ., 18 oct. 1994, Bull. civ. 1994, 1, n° 295; Cass. 1re civ., 31 oct. 2007, Bull. civ. 2007, I, n° 341.
68
Cass. 1ere civ., 31 mai 2005, n° 02-17162, Bull. civ. 2005,1, n° 238.
69
Cass. 1re civ., 6 mai 1997, Bull. civ. 1997, 1, n° 150.
70
Tribunal administratif du Centre, affaire succession Eyenga Marie Gisèle c/ Etat du Cameroun (Mincaf),
jugement n°130/2016/TA-Ydé du 03 mai 2016.

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recel dès lors que les manœuvres frauduleuses ont été menées par le défunt et un de ses
successeurs dans le but de désavantager d’autres71.
I.2.2- UNE INVOCATION DU RECEL PAR LES CREANCIERS SUCCESSORAUX
CONTROVERSEE
26. La question de fond est celle de savoir si le recel peut être invoqué par les créanciers
successoraux ? La réponse à cette question n’a fait l’unanimité ni en doctrine, ni en
jurisprudence. A cette interrogation une partie de la doctrine et de la jurisprudence a
répondu par la négative, en estimant qu'il ne peut avoir de recel à l'encontre des créanciers.
Le principal argument consiste à dire que si la fraude, qui tend à amputer le gage des
créanciers successoraux est qualifiée de recel à leur encontre, la définition du recel se serait
élargie. Autrement dit, le recel ne serait plus alors exclusivement une fraude qui tend à
rompre l'égalité du partage. Ainsi, selon un arrêt de la Cour de cassation française, si le
receleur cherche seulement à frauder le fisc ou des créanciers, son intention, bien que
frauduleuse, n'est pas celle d'un receleur au sens du Code civil72.
27. Aussi pertinent qu’il puisse paraître, cet argument ne peut échapper à la critique dans la
mesure où la sanction du recel doit être indivisible, en ce sens qu’elle vise à satisfaire les
créanciers et à favoriser les cohéritiers victimes du recel73. Autrement dit, on ne peut
favoriser les cohéritiers en sacrifiant les créanciers sur l’intérêt des créanciers successoraux.
Cela est d’autant plus pertinent que la Cour de cassation française s'est refusée depuis
longtemps à distinguer entre les deux aspects, c'est-à-dire prononcer des sanctions
différentes selon que les actes frauduleux visaient les créanciers successoraux ou les
cohéritiers74. Le Professeur Michel Grimaldi, allant dans le même sens, note qu’« alors que
les rédacteurs du Code civil n'avaient conçu le recel que comme une institution destinée à
sanctionner l'égalité du partage, d'anciennes décisions, par une interprétation extensive de la
notion de recel, avaient retenu comme éléments constitutifs du recel les fraudes dirigées
contre les créanciers de la succession afin de dissimuler une partie de l'actif, bien que ces

71
Cass. civ. 28 oct. 1907, DP 1910.1.292 ; civ. 1ere, 28 juin 1961, Bull. civ.I, n°351 ; civ. 1ere, 26 juin 2011,
pourvoi n°09-68-368.
72 re
Cass. 1 civ., 4 déc. 1956, JCP G. 1959, II, 1114.
73
VREGILLE,A. DE et TISSOT, F., « Les recels en droit de la famille »,op. cit., p. 18.
74
Cass. Req., 24 déc. 1924, S. 1925, 1, 57 ; Cass. civ., 5 juillet 1932, DH 1932, 490 ; D. 1933,1, 165.

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fraudes ne soient pas de nature successorale puisqu'elles auraient pu être commises par le
défunt lui-même »75.
28. Par ailleurs, prenant une position plus nuancée, une autre doctrine recommande de
limiter les hypothèses où les créanciers successoraux peuvent se prévaloir du recel à
l'encontre d'un héritier. Pour cette doctrine, il faut limiter l’hypothèse au seul cas où ces
créanciers sont en présence de plusieurs successeurs universels. Dans ce cas, il y a alors
atteinte à l'égalité du partage à la fois à l'encontre des créanciers successoraux et des ayants
droit non-receleurs76. Un tel raisonnement est difficile à soutenir dans la mesure où il laisse
croire qu’un seul légataire universel n’est pas capable de distraire tout ou partie du
patrimoine du défunt, en vue de faire échec au droit des créanciers successoraux. Dès lors,
cette limitation fondée sur le nombre d’héritiers s’avère inopportune, cela d’autant plus qu’il
faut éviter de distinguer là où la loi n’a pas distingué. En somme, les créanciers successoraux
peuvent invoquer le délit de recel toutes les fois qu’il y a distraction des biens de la
succession avant le partage, peu importe le nombre d’héritiers, qui en sont auteurs ou
complices.
29. À défaut de fonder leur action sur le recel, les créanciers successoraux peuvent engager
l’action paulienne. Définie comme une voie de droit qui permet à un créancier d'attaquer un
acte fait par son débiteur lorsque ce dernier a agi en fraude de ses droits, cette action est
utilisée notamment pour permettre au créancier de faire réintégrer dans le patrimoine de
son débiteur un ou des biens que celui-ci avait aliéné à un tiers, généralement complice,
dans le but d'empêcher le créancier de faire saisir ce ou ces biens. La jurisprudence est allée
plus loin en admettant l’action paulienne en cas de renonciation frauduleuse à une
succession. Elle a décidé en effet que les créanciers peuvent attaquer une indivision
successorale créée par leur débiteur en liquidation judiciaire en fraude à leurs droits, la
renonciation à la succession de ce dernier leur étant inopposable77. Toutefois, il force est de
reconnaître que, pendant longtemps, cette action n'était recevable que si au moment où le
juge statue, le créancier justifie, d'une créance certaine78. Fort heureusement, la
jurisprudence a fini par assouplir cette condition, en décidant que le créancier qui exerce

75 e
GRIMALDI, M., (2001),« Droit des Successions », Litec, 6 éd., n° 472.
76
GUIDEC, R. LE, (2012),« Successions », Répertoire Dalloz ; CHABOT, G., (2006), « De la portée du droit de
retour légal au profit des frères et sœurs », RLDC, p. 33.
77
Cf. Cass. 1ère civ., 22 janv. 2020, n° 19-12.492, D.
78
Dans ce sens : Cass. Civ. 1re, 16 mai 2013, n° 12-13.637.

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l’action paulienne est recevable à agir si l’absence de certitude de sa créance est imputable
aux agissements frauduleux qui fondent cette action79. Ce revirement est à saluer car la
jurisprudence confirme par cette nouvelle position la vitalité de l’adage traditionnel « Fraus
omnia corrumpit » pour alléger les conditions d’exercice de l’action paulienne au profit du
créancier victime de la fraude manifeste commise par ses débiteurs.
30. Au demeurant, on peut affirmer que le recel successoral porte atteinte au droit à
l’exécution des créanciers héréditaires dans la mesure où il entraîne une réduction anormale
du patrimoine du débiteur défunt et un affaiblissement du droit de gage de ses créanciers80.
Il en va de même en cas de détournement du pouvoir de la part du mandataire successoral.

II- LA FRAUDE ORGANISEE PAR UN MANDATAIRE SUCCESSORAL : LE DETOURNEMENT DE


POUVOIR

31. Le droit à l’exécution du créancier peut être compromis par le comportement frauduleux
d’un tiers chargé de gérer la succession du débiteur défunt. Il s’agit de la manifestation de la
théorie du détournement de pouvoir, qui constitue un frein au paiement des créanciers en
ce sens qu’il entraîne une diminution du patrimoine du de cujus. La transposition de cette
théorie en droit privé et notamment en matière successorale (A) s’est accompagnée d’une
mise en place de sanctions appropriées (B).
II.1- UNE TRANSPOSITION CERTAINE DE LA THEORIE DU DETOURNEMENT DE
POUVOIR EN MATIERE SUCCESSORALE
32. Notion centrale du contentieux administratif, le détournement de pouvoir a connu une
transposition importante en droit privé81 notamment en matière sociale82 et surtout en
matière successorale. Dans cette dernière matière, on constate que le mandataire
successoral se rend parfois coupable de détournement de pouvoir dans la gestion de la

79
Cass. Com. 24 mars 2021, n° 19-20.033.
80
Or les biens indivis de la succession constitue un gage général pour ces derniers, conformément aux
dispositions des articles 2092 et 2093 CC.
81
L’idée de transposition de la définition du détournement de pouvoir du droit public au droit privé est mise en
exergue par plusieurs auteurs. À titre d’illustration : LEGAL A. et BRETHE DE LA GRESSAYEJ., (1938),« Le pouvoir
disciplinaire dans les institutions privées. Etude de sociologie juridique », Sirey, p. 485 ; JOSSERAND, L.,
e
(1939),« De l’esprit des droits et de leur relativité. Théorie dite del’Abus des droits », 2 éd. Dalloz, n° 193, p.
259 et n°194, p. 262 ; DABIN, J., (1952),« Le droit subjectif », Dalloz, p. 249 ; VIDAL, J., (1957), « Essai d’une
théorie générale de la fraude en droit français. Le principe “fraus omnia corrumpit” »,Dalloz, p. 344 et s. ;
ROUBIER, P., (1963),« Droits subjectifs et situations juridiques », Dalloz, p.144/145 ; GAILLARD, E., (1985), « Le
pouvoir en droit privé »,Economica, p. 96 à 97.
82
V. PELISSIER, J., (1981), « Détournement par l’employeur de son pouvoir disciplinaire », in Mélanges dédiés à
Jean VINCENT, Dalloz, p. 273.

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succession à lui confiée. Ce qui constitue à la fois une violation du devoir de loyauté (1) et du
devoir de diligence (2).
II.1.1- UNE VIOLATION DU DEVOIR DE LOYAUTE PAR LE MANDATAIRE
33. Il importe de relever que le détournement de pouvoir est sans doute le résultat du
manquement à l’obligation de loyauté qui pèse sur le mandataire chargé de gérer la
succession du débiteur défunt. A titre de rappel, « le mandat ou procuration est un acte par
lequel une personne donne à une autre le pouvoir de faire quelque chose pour le mandant et
en son nom »83. C’est une convention par laquelle une personne (le mandant) donne à une
autre (le mandataire) le pouvoir d’accomplir des actes juridiques en son nom et pour son
compte. Le terme « mandataire » doit être entendu dans son sens le plus large84, en ce sens
qu’il renvoie à toute personne chargée de gérer une succession en vertu d’une quelconque
délégation de pouvoir. La principale raison est que le droit des successions fait intervenir
tout type de mandat et partant tout type de mandataire. Il peut s’agir d’un mandataire
légal ; c’est le cas de l’administrateur provisoire des biens85 ; d’un mandataire judiciaire, à
l’exemple du curateur en matière de succession vacante86 ou d’un mandataire conventionnel
comme le mandataire à effet posthume87. Dans tous les cas, le détournement de pouvoir
renvoie à un « abus commis par le mandataire dans le cadre des pouvoirs qui lui sont
conférés et consistant seulement dans le fait que le mandataire a poursuivi un but contraire à
l’esprit de ses pouvoirs »88. C’est donc une violation du devoir de loyauté de la part du
mandataire.
34. Il convient au préalable de bien cerner le sens du « devoir loyauté ». A ce sujet, force est
de remarquer que l’étymologie du terme « loyauté » en révèle l’ambiguïté. Dérivée du latin
« leial », déformation de « legalis »qui signifie relatif aux lois ou conforme à la loi, la loyauté

83
Art. 1984 du CC.
84
Dans cette perspective, le terme « mandataire » peut englober le curateur, l’administrateur provisoire, le
liquidateur judiciaire, l’expert en gestion et, dans une moindre mesure, le séquestre, le contrôleur de gestion,
enfin, l’enquêteur conciliateur. V. TPI Mbouda, jugement du 21 juillet 1999 ; n°19/civ., Juridis Périodique n°
59/2004, p. 49, note Djoustop.
85
Cf. art. 389 al.2 du CC.
86
Cf. art. 809 et suivants du code civil français.
87
Il a été institué lors de la réforme des successions en droit français du 23 juin 2006 à travers les articles 812
et suivants du code civil. Pour étude approfondie lire GRIMALDI, M., (2007), « Le mandat à effet posthume »,
Defrénois, n°1, pp. 3 et s.
88
V.Travaux de l’Association Henri Capitant consacrés à « l’abus de pouvoirs ou de fonctions », (1980), T. XXVIII,
Economica, p. 529 et s., spéc., p. 544.

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renvoie à la fidélité manifestée par la conduite aux engagements pris89. C’est un devoir qui
exige de se comporter de façon droite, honnête, en respectant ses engagements90. Pour le
Vocabulaire juridique de l’Association Henri Capitant, « la loyauté renvoie à droiture et
désigne plus spécialement soit, la sincérité contractuelle (dans la formation du contrat) soit,
la bonne foi contractuelle (dans l’exécution du contrat) soit, dans le débat judiciaire, le bon
comportement qui consiste, pour chaque adversaire à mettre l’autre à même d’organiser sa
défense, en lui communiquant en temps utile ses moyens de défense et de preuve »91. En
droit civil des obligations, elle a pour but d’assurer l’équilibre entre les acteurs de la vie des
affaires et consiste dans l’obligation d’informer l’interlocuteur et de s’abstenir d’utiliser des
moyens réprouvés92. D’une part, on peut retenir qu’il s’agit d’une affaire de comportement
se traduisant tantôt par une obligation d’abstention, tantôt par une obligation
d’information. D’autre part, le devoir de loyauté consiste non pas à sacrifier ses propres
intérêts, mais à adopter dans l’exercice de ceux-ci une attitude qui ne surprenne pas la
confiance légitime d’autrui93. En conséquence, tout titulaire d’un pouvoir de gestion des
intérêts d’autrui se doit de faire un usage légitime du pouvoir et d’agir en conformité avec la
finalité de la prérogative conférée94. Il n’est pas de relation juridique qui échappe
aujourd’hui à ce devoir95.
35. Par ailleurs, il faut noter que la définition du détournement de pouvoir est si large qu’elle
suscite un certain nombre d’interrogations. Ainsi, l’on peut se demander si le détournement
de pouvoir est-il établi dès lors que l’auteur de l’acte n’agit pas conformément à l’intérêt du
sujet d’imputation ou seulement lorsqu’il a agi sciemment dans un intérêt autre ? La
réponse à cette question, qui ne va pas de soi, a donné lieu à un important débat doctrinal.
Certains auteurs retiennent une conception extensive du détournement de pouvoir,
l’admettant même en l’absence d’intention d’user à mauvais escient de la prérogative96,

89
AYNES, L., (2000), « L’obligation de loyauté », Arch. phil. Droit, n° 44, p. 195-204.
90
BRUNSWICK, Ph., (2016), « Le devoir de loyauté, une norme générale de droit oubliée puis retrouvée ? »,
Cahiers de droit de l’entreprise n°1, p.19.
91
CORNU, G., (sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 629, v. loyauté.
92
V. RIVES-LANGE, J.-L., (2000), « Le devoir de loyauté : essai d’une définition unitaire », Rapport de synthèse
du Colloque sur le devoir de loyauté, Gaz. Pal., 2, doctr. p. 2109.
93
V. AYNES, L., (2012), in Actes colloque de 2012 consacré à la loyauté et l’impartialité en droit des affaires,
Gaz. Pal. 23-24, p. 1899.
94
PETEL, Ph., (1988), « Les obligations du mandataire », préf. M. Cabrillac, Litec, n° 126.
95
AYNES, L.,« L’obligation de loyauté », op. cit.
96
DABIN, J.,« Le droit subjectif », op. cit., p. 242 ; STORCK, M., (1982),« Essai sur le mécanisme de la
représentation dans les actes juridiques », LGDJ, préf. D. Huet-Weiller, n° 201.

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tandis que d’autres considèrent, au contraire, que l’élément intentionnel est un des critères
déterminants du détournement de pouvoir97. La conception extensive implique de
considérer qu’il y a manquement à l’obligation de loyauté dès lors que l’exercice du pouvoir
n’a pas abouti à la satisfaction de l’intérêt des créanciers.
36. En clair, le mandataire qui détourne les biens successoraux viole le devoir de loyauté
entendu extensivement ou restrictivement. Cette contrainte est très proche du devoir de
diligence.

II.1.2- UNE VIOLATION DU DEVOIR DE DILIGENCE PAR LE MANDATAIRE


37. La théorie du détournement de pouvoir en matière successorale constitue une violation
du devoir de diligence qui pèse sur le mandataire successoral tenu d’agir en bon père de
famille dans la gestion de la succession. Le bon père de famille est l’« homme honnête,
diligent, soigneux, qui se comporte le mieux possible »98, de manière mesurée et humaine99.
Il faut noter que cette notion abstraite est transversale et hétérogène100. Ainsi, «
l’administrateur légal doit administrer en bon père de famille et est responsable de son
administration dans les termes de droit commun »101. Dès lors, la diligence peut s’appliquer à
toute personne titulaire ou non d’un pouvoir. C’est donc une obligation générale qui
s’impose à tous qui impose, que chacun doit se comporter de manière prudente et diligente,
sous peine, en cas de manquement causant un dommage à autrui, d’engager sa propre
responsabilité civile sur le fondement de l’article 1382 du Code civil.
38. Cependant, il résulte un obscurcissement des limites et même une confusion des devoirs
de diligence et de loyauté. On est tenté de dire que ces deux termes sont fongibles et
fusionnent au sein d’une obligation fiduciaire dès lors que l’appréciation de la loyauté est
abstraite. En effet, la loyauté peut être entendue de deux manières. La conception négative
implique de ne pas rechercher un intérêt autre que celui du représenté, la conception
positive, quant à elle, implique de rechercher le « meilleur intérêt » du représenté. Or, la
première est très difficile à mettre en œuvre dans la mesure où elle nécessite une
appréciation subjective et une recherche des motifs du représentant. La seconde conception

97
GAILLARD, E., (1987),« La représentation et ses idéologies en droit privé français », Droits, n°6, n°235.
98 e
ROLAND,H. et BOYER, L., (1998),« Locutions latines du droit français », Litec, 4 éd., p. 46.
99
DARMAISIN, S., (2008),« A la recherche du bon père de famille », in Libre Droit, Mélanges en l’honneur de
Philippe Le Tourneau, Dalloz, p. 297.
100
POIRRET, J., (2011), La représentation légale du mineur sous autorité parentale, thèse, Université, Paris-Est,
p. 376.
101
Cf. art. 389 § 5 CC.

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impose une appréciation abstraite de la violation de l’obligation puisqu’il importe de


s’interroger sur la meilleure décision. Par conséquent, la conception positive soumise à une
appréciation objective conduit à affirmer qu’un manquement à l’obligation de loyauté
résidant dans une mauvaise décision pour le représenté constitue également un
manquement à l’obligation de diligence. Réciproquement une grave négligence constitue un
acte déloyal102. Dans cet esprit, un acte déloyal consisterait donc en une négligence et
réciproquement, une négligence constituerait un manquement à l’obligation de loyauté103.
39. Qu’il s’agisse de la violation du devoir de loyauté ou du devoir de diligence, le
mandataire successoral responsable s’expose à des sanctions prévues par la réglementation
en vigueur.
II.2- UNE FRAUDE SANCTIONNEE
40. Comme toute fraude, le détournement de pouvoir est sanctionné par le législateur. A ce
titre, son auteur s’expose à l’obligation de réparer le dommage (1) et à l’obligation de
restituer les biens détournés (2).
II.2.1- LA REPARATION DU PREJUDICE
41. Du latin tardif reparatio, reparare, l'étymologie du terme « réparation » renvoie au fait
de rendre pareil, de rétablir les choses pourrait-on dire. Elle a fait son apparition dans la
langue française en 1310, soit deux cents ans après la naissance du verbe « réparer » en
1130104. Dans la langue française, le mot « réparation » prend deux principales significations.
Au sens propre, c’est une opération, une action consistant à remettre en état. Au sens
figuré, le terme recouvre une connotation morale. Il s'agit de réparer un affront, une
humiliation, une offense, une faute. Au plan juridique, il entretient sans nul doute une
connivence avec le sens figuré dans la mesure où la réparation juridique vise à compenser
les conséquences dommageables d'un fait considéré comme anormal ou socialement
répréhensible. Le sens propre n'est pourtant pas exclu, du moins si l'on estime que la
réparation contribue au bon fonctionnement d'une société dans son ensemble. Il convient
d’observer que la réparation d'une faute joue parfois à double sens : à la fois au sens figuré
(moral) et au sens propre (matériel), du moins par métonymie, car dans ce dernier cas, ce

102
DIDIER, Ph., « De la représentation en droit privé », préface LEQUETTE, Y., (2000), LGDJ, coll. Bibliothèque de droit privé,
Tome 339, spéc. n° 239.
103
DIDIER, Ph., « De la représentation en droit privé », ibid.
104
Pour cette historique, lire : ENCINAS DE MUNAGORRI, R., (2003),« Propos sur le sens de la réparation en droit français de
la responsabilité », Revue générale de droit, 33(2), p. 211-221. https://doi.org/10.7202/1027452ar, p. 213.

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sont les conséquences de la faute qui sont réparées, et non la faute elle-même105. En
résumé, la réparation d’un dommage est à l’origine du droit de la responsabilité dont le
propre est « de rétablir, aussi exactement que possible, l'équilibre détruit par le dommage et
de replacer la victime dans la situation où elle se trouvait si l'acte dommageable n'avait pas
eu lieu »106. Ce raisonnement envisage donc trois périodes : l'équilibre d'une situation
originelle, sa destruction par un acte dommageable, la réparation afin de rétablir l'équilibre
initial. La réparation s’obtient grâce à la mise en œuvre d’une action en responsabilité, qui
s’entend, dans son sens le plus large, comme l’obligation, mise à la charge d’une personne,
de réparer un dommage subi par une autre. En termes plus techniques, elle se traduit par
une dette de réparation, pesant sur l’auteur d’un dommage au profit de la victime. Cette
réparation consiste, le plus souvent, en une allocation de dommages et intérêts, c’est-à-dire
d’une somme d’argent égale au dommage subi107. Le demandeur doit réunir les conditions
de droit commun de responsabilité qui exigent la preuve d'une faute du mandataire, d'un
dommage prévisible et d'un lien de causalité direct pour conclure à responsabilité délictuelle
ou contractuelle.
42. L’on s’est demandé si la réparation est toujours la conséquence de la nullité d’un acte
ou d’une procédure. La réponse à cette préoccupation semble être négative en ce sens que
la réparation peut intervenir en dehors de toute nullité. Dans le même ordre d’idées, la
doctrine recommande de dissocier l’action en nullité qui affecte les effets juridiques de l’acte
de l’action en restitution qui joue sur les effets matériels de l’acte108. L’obligation de
restituer se fonde sur la prestation initialement exécutée. Ce fondement est l’objet de
mesure de la restitution faisant suite à la nullité. C’est sans doute la raison pour laquelle
l’étude des cas du détournement de leurs prérogatives par le mandataire révèle que la
sanction n’est pas la nullité de l’acte mais la responsabilité civile, car la restitution du bien
détourné n’apparaît que comme l’aboutissement d’une action en revendication. Toutefois, il
faut préciser que si seule la responsabilité civile des mandataires est mise en œuvre, elle est

105
Ibid.
106 e
Cass. civ. 2 , 28 octobre 1954, B. II,n° 328.
107
FLOUR,J. et AUBERT, J-L., (1986),« Droit civil. Les obligations, vol. 2. Le fondement juridique », coll. U.
Armand Colin, n°566, p. 73.
108
GUELFUCCI-THIBIERGE, C., (1992),« Nullité, restitutions et responsabilité », Paris, LGDJ, p. 521-523.

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loin d’être systématique109. Cette responsabilité est suivie d’une obligation de restitution des
biens détournés dans la plupart des cas.
II.2.2- LA RESTITUTION DES BIENS DETOURNES
43. C’est une lapissade d’affirmer que le mandataire successoral fraudeur doit restituer les
biens et droits distraits frauduleusement en application de la règle selon laquelle « Nul ne
doit s’enrichir injustement au détriment d’autrui »110. Selon l’usage courant, la restitution
consiste à « rendre à quelqu’un (ce qu’on lui a pris, confisqué, volé) »111. En droit civil, il s’agit
de rendre ce qui a été reçu, remettre des choses en l’état »112. De façon plus large, la
restitution apparaît comme une manifestation d’un principe originellement associé au droit
romain « suumcuiquetribuere », qui signifie« rendre à chacun le sien »113. Mais,
paradoxalement, la restitution en droit civil est à la fois commune et incomprise. Elle a
longtemps fait figure de parent pauvre dans le droit des obligations114. C’est la raison pour
laquelle la doctrine note qu’il est acquis qu’« [i]l n’existe pas, en droit civil, de théorie
générale de la restitution »115 ou qu’il y a une impossibilité d’élaborer une théorie générale
de la restitution en droit civil116. Quoi qu’il en soit, il y a restitution « chaque fois qu’une
personne est, en vertu de la loi, tenue de rendre à une autre des biens qu’elle a reçu sans
droit ou par erreur, ou encore en vertu d’un acte juridique qui est subséquemment anéanti de
façon rétroactive ou dont les obligations deviennent impossibles à exécuter en raison d’une
force majeure »117.Cette obligation qui pèse sur le mandataire fautif se décline en plusieurs
catégories dont la première consiste à opposer la restitution normale à la restitution
anormale. En résumé, une restitution serait « anormale » lorsqu’elle survient à la suite de la

109
CORDIER-DUMONNET, N., (2010), Le détournement d'institution, thèse, Bourgogne, p. 308 et s.
110
Issue de l’expression latine « Nemo plus juris ad alium transferre potest quam ipse habet ».
111
RAY-DEBOVE,J. et REY,A.(sous dir.), (2015), Le Petit Robert, Paris, p. 2225, v. restituer.
112
MALAURIE, Ph.,(1974-1975), Cours de droit civil – Droit privé, sciences criminelles – Les restitutions en droit
civil, Paris, Les cours de droit, p. 40.
113 e
MAYRAND, A., (2007), Dictionnaire de maximes et de locutions latines utilisées en droit, 4 éd. par Mac
AODHA, M., Cowansville, Éditions Yvon Blais, p. 588-589.
114
FLECHETTE, (P.), (2017),La restitution des prestations en droit québécois : fondements et régime, thèse,
Université de Laval, p. 1.
115
MALAURIE, P., Cours de droit civil – Droit privé, sciences criminelles – Les restitutions en droit civil, op. cit.,
p. 37. D’autres auteurs plus récemment doutent même de la possibilité d’une telle théorie compte tenu de la
diversité des restitutions possibles : MALAURIE, M., (1991), « Les restitutions en droit civil », Paris, Cujus, p. 271
; ROUVIÈRE, Fr., (2009),« L’évaluation des restitutions après annulation et résolution de la vente », RTD civ.,
p.617, n° 1.
116
MALAURIE, M.,« Les restitutions en droit civil », op. cit., p. 331 s.
117
C’est la substance de l’article 1699 du Code civil du Québec.

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conclusion inhabituelle ou imprévue d’une relation juridique. Elle serait au contraire «


normale » lorsqu’il s’agit du résultat prévu ou prévisible d’une telle relation118.
44. En outre, le mandataire peut être condamné à une restitution en nature ou par
équivalent. Restituer une prestation en nature signifie rendre une prestation identique.
Extensivement, l’expression « en nature » signifie « en son objet même »119.
Restrictivement, l’expression réfère à des biens de même nature120. Autrement dit, « la
restitution en nature permet au demandeur de retrouver le bien même dont il avait été
dépossédé »121. Elle implique le retour d’un bien et de ses accessoires, y compris tout titre
matériel qui constate un droit sur ce bien. En tous cas, les principes d’intégralité et
d’équilibre entre les parties exigent que l’objet de la prestation ou encore le bien lui-même
soit restitué lorsqu’il est disponible. Par contre, il y a restitution par équivalent (monétaire)
lorsque le restituant ne peut rendre l’objet de la prestation initiale. Elle est vue comme
l’exception à la restitution en nature. Dans cette hypothèse, le créancier n’a pas le choix et
« la partie désirant y faire exception a le fardeau de la preuve »122. Le recours à forme de
restitution s’impose dans le but de faciliter les rapports juridiques, afin d’éviter que la
difficulté à restituer en nature puisse « paralyser le commerce juridique en instituant une
indisponibilité de fait »123.
45. Bien plus, le mandataire peut être astreint à une restitution du principal ou à une
restitution complémentaire. La première catégorie vise à rendre l’objet de la prestation
initiale. Il s’agit donc de la meilleure manière de mettre en œuvre le principe d’intégralité de
la restitution. La seconde, quant à elle, porte sur les avantages obtenus par le restituant ou
le créancier.
46. Enfin, le mandataire peut être condamné à une restitution amiable ou forcée. Cette
dernière hypothèse se fait par le biais de l’action en revendication, qui est une action
judiciaire par laquelle on fait établir le droit de propriété qu’on a sur un bien, en général
pour le reprendre d’entre les mains d’un tiers détenteur124. C’est dire qu’à défaut d’entente
entre les parties, le tribunal a un rôle primordial dans l’application des règles de restitution,

118
MALAURIE, M.,« Les restitutions en droit civil », ibid.
119
CORNU,G.,(sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 677, v° nature.
120
Ibid.
121
MALAURIE, M., « Les restitutions en droit civil », op. cit., p. 81.
122
Cf. Arrêt C. Cass., affaire Montréal (Ville de) c. St-Pierre (Succession de), 2008 QCCA 2329, par. 48.
123
MERCOLI, S., (2001), « La rétroactivité dans le droit des contrats », thèse, Université Aix-en-Provence,
PUAM, p. 222.
124
CORNU,G.,(sous dir.), Vocabulaire juridique, op. cit., p. 1959, v. action en justice.

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qu’elles soient liées à la prestation elle-même ou au comportement du restituant.


L’appréciation du tribunal détermine les modalités de la restitution du principal ou de la
restitution complémentaire125.
47. Au demeurant, on peut dire que le détournement des biens successoraux est une
entrave à l’efficacité du droit à l’exécution des créanciers du débiteur défunt, même si ces
derniers disposent d’une action en réparation et en restitution contre les auteurs de la
fraude.
Conclusion
48. Au terme de cette réflexion, on peut retenir que la fraude successorale représente un
obstacle sérieux pour l’efficacité du droit à l’exécution du créancier en général et la
satisfaction des créanciers successoraux en particulier. En effet, la gestion de la succession
d’un débiteur décédé peut donner lieu à des pratiques fraudeuses telles que le recel
successoral et le détournement de pouvoir. Si la première forme de fraude est causée par les
héritiers, la seconde, en revanche, est le fait des mandataires chargés de gérer les
successions des débiteurs. Dans un cas comme dans l’autre, il en résulte une diminution
anormale du patrimoine du de cujus et une atteinte au droit à l’exécution des créanciers
successoraux. Dans cette perspective, on peut soutenir que la gestion de la succession du
débiteur peut fragiliser le droit à l’exécution du créancier lorsqu’elle n’est pas gérée selon les
règles de l’art. Plus fondamentalement, la mort du débiteur risque de se transformer en
« une machine à happer le droit à l’exécution » et en un événement déclencheur d’un « droit
de ne pas payer les dettes successorales ». Pour cela, il importe de bien cerner les liens
étroits qui existent entre les voies d’exécution et les règles successorales afin de mieux
appréhender le phénomène de fraude successorale. Ce qui permettra par voie de
conséquence de mieux protéger le droit à l’exécution et le paiement des créanciers,
considéré comme un fait social, dans la mesure où l’argent, manifestation matérielle du
paiement, constitue « une valeur absolue de tous les rapports humains »126.

125
FLECHETTE, P., « La restitution des prestations en droit québécois : fondements et régime », op. cit., p. 384.
126
REVET, Th., (1998),« L’argent et la personne », in Mélanges Christian Mouly, Litec, p. 143.

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