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Sauvan Jacques. Tombeau pour Antée : l'événement et le schème ou l'exigence de sécurisation. In: Communications, 18, 1972.
pp. 122-127.
doi : 10.3406/comm.1972.1267
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_1972_num_18_1_1267
Jacques Sauvan
L'événement et le scheme
ou l'exigence de sécurisation
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Tombeau pour Antée
maintenant n'a pas de rapports avec ce qui s'est passé hier, ou se passe ailleurs
ou se passera demain. On sait quelles sont les exigences essentielles et inaliénables
de la connaissance objective.
— La tentation du mythe de l'éternel retour. Mais d'autre part quelle satisfac
tion viscérale que de vivre dans un laboratoire soigneusement homéostasié,
dans un univers d'expériences toujours reproductibles qui permettent de scoto-
miser tout le reste. Quelle sécurité, quelle paix de l'esprit, quelle sérénité méta
physique. Pensons donc avec confiance le monde comme un éternel laboratoire
dont nous ne serions nous-mêmes qu'une des expériences reproductibles (... donc
qui sera reproduite nous souffle un subconscient constamment affronté à la
mort).
— Une expérience, cela demande tout de même du temps, mais cela cons
titue un cycle (fermé par définition), quelle sécurité encore. Cette durée peut
être infime devant notre propre durée de vie (le temps réel des informaticiens),
mais elle peut s'allonger, en astronomie par exemple : le retour d'une comète
quel sujet supplémentaire de sécurisation : tout finit bien par revenir, nous aussi.
En effet, mais seulement dans un certain monde physique qui va de l'atome aux
systèmes du type solaire : ce monde est fait de systèmes ouverts mais « an-his
toriques 1 ». Ils se retrouvent dans certaines civilisations « pré-historiques » du
Pacifique par exemple.
— Les intolérables systèmes ouverts historiques1. Mais l'univers n'a pas une
trajectoire fermée et la cybernétique (qu'avait précédée l'évidence) nous montre
l'existence, à partir d'un certain niveau de complexité de systèmes ouverts histo
riques qui sont aux systèmes précédents ce que la spirale est au cercle.
Les cycles s'allongent et l'on ne sait jamais quand on passe de l'ellipse à la
parabole, c'est-à-dire quand on se trouve en situation historique. Or, la méthod
ologie de la connaissance actuelle est entièrement désarmée devant de tels
systèmes. En effet c'est en mettant entre parenthèses la date de ses expériences
que la pratique expérimentale physico-chimique a obtenu ses succès éclatants.
L'aboutissement en est « La Mathématique » pour laquelle le temps n'existe
pas et qui se ramène à des tableaux d'équivalences intemporelles. Aborder dans
de telles dispositions les systèmes hyper-complexes (ou, comme on le verra plus
loin, les ensembles de mécanismes de grande complexité) est certainement très
imprudent.
• Tout ce que l'on peut tenter dans ce sens c'est soit d'affirmer qu'au fond la
parabole c'est essentiellement une ellipse, soit d'écraser la spirale pour la rame
nerà un cercle.
Interlude: De quelques concepts autour et alentour de l'événement.
Existe-t-il de grands systèmes? Dernièrement le mathématicien Bellmann a dit
avoir démontré qu'il était impossible d'optimiser un grand système. Pour ma
part je pense plutôt qu'il est impossible, à partir d'un certain volume, de
tracer des frontières qui définiraient un très grand système. Il ne serait pas
possible de découvrir le « plan de clivage » nécessaire à une telle opération.
L'événement et la pensée humaine. La pensée humaine n'appréhende par ses
capteurs et ses effecteurs qu'un spectre bien incomplet de l'univers. Bien plus
elle se trouve dans l'impossibilité de manier globalement la totalité de ce spectre.
Elle est constamment contrainte d'en abandonner une partie. Ainsi elle ne peut
que manipuler des événements et il est nécessaire pour cela qu'elle crée entre eux
1. Cf. Addendum.
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des partitions qu'on ne peut même pas appeler stricto sensu des limites de sous-
ensembles car ces frontières ne sont que sillon sur la mer.
Le déterminisme physique. Le postulat déterministe résiste à l'épreuve des
faits et à celle plus dangereuse de l'avancement des connaissances objectives. Il
est le seul efficace, mais n'est qu'un moyen heuristique : car ce n'est qu'au prix
d'une extraordinaire négation de la réalité qu'on peut s'autosuggestionner
jusqu'à se mettre en situation mentale de déterministe. Au niveau des faits
perçus, la réalité est événementielle, nous postulons que les racines de cette situa
tion s'insèrent profondément dans un humus déterministe et dans un univers
unitaire, mais il nous est à jamais interdit de saisir l'ensemble de cet enracine
ment; on manipule donc une réalité insérée dans l'inconnaissable et, faute d'une
connaissance exacte qui appartient au domaine des mythes, on utilise des modèles
approximés sans lesquels nous serions impuissants. Ces modèles sont le hasard et
la probabilité; leur conséquence inéluctable est l'événement. Nous sommes
contraints d'y recourir, mais cela n'est licite que sous-tendu par une volonté
farouche d'effriter ces domaines du hasard au bénéfice de mécanismes détermin
istes.
La méthode déterministe paraît absolument aberrante, pourtant ses résultats
sont incomparables. Que fait-on en effet : on coupe artificiellement un morceau
d'univers de ses relations les plus profondes dont la moindre n'est pas la relation
historique. Après l'avoir extrait d'un contexte de strict déterminisme postulé,
en avoir fait un nuage flottant, on a l'extraordinaire prétention d'exiger qu'il
soit encore déterminé, et, comme cela réussit souvent, on a l'inconscience de
trouver cela tout naturel. Une des raisons possibles de ce succès vient de la
limitation extrême de nos ambitions de chercheurs ; on se contente en effet d'un
lambeau d'une ombre du réel. Les relations déterministes rompues pouvaient ne
pas intervenir dans la formation de ces ombres. Je crois qu'un mathématicien
pourrait dire qu'il s'agissait de paramètres orthogonaux au volume de projec
tion.
Des lois physiques. Le déterminisme nous conduit aux lois, et la réintroduc
tion de l'événement à l'épistémologie. Les lois ne sont que des modèles formels,
c'est-à-dire des modes éprouvés de prédiction. Notre mathématique de la phy
sique est du continu, les informaticiens savent bien ce qui se passe lorsqu'il s'agit
de la faire glisser vers un quantifié où l'infini n'existe pas.
On parlait il y a vingt ans de la perfection de la mécanique céleste. La cosmo
nautique a prouvé amplement qu'il était nécessaire d'élaborer des modèles
pragmatiques des corps célestes après expérimentations nombreuses. On en est à
dire : à cet endroit la valeur de g est de tant, à tel autre de tant. Parler d'un
mascon c'est utiliser une abréviation pour parler d'une augmentation locale de g
et puis c'est tout ; en transposant l'ancien testament on peut dire qu'un serpent
se casserait les reins à suivre les voies d'un véhicule spatial. Je pense qu'actuell
ement aucun physicien n'oserait faire une « loi » de la fameuse loi de Mariotte
qui n'est valable que pour un gaz parfait que non seulement personne n'a jamais
vu, mais dont on sait pertinemment qu'il ne peut exister.
Faire intervenir ici la notion d'échelle d'observation, c'est souscrire à la notion
d'événement puisque cela veut dire qu'on ne contrôle pas à un niveau plus fin.
Rétrospectivement, avant les marqueurs radio-actifs, la biochimie ne pouvait être
qu'événementielle. D'où tiendrions-nous la certitude qu'elle ne l'est plus?
Maintenant, quand on dit qu'on réintroduit l'événement en recherche objec
tive, cela est vrai littéralement, mais ne contient pas tous les présupposés qu'on
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Et le ver dans le fruit du miracle grec est qu'un jour néfaste Hercule a étouffé
Alitée.
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