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Mais, le poète nous le rappelle, au-delà des mots de la tribu : « Un coup de dés jamais
n’abolira le hasard ». Mallarmé (1897). Ce sont les jeux dits de hasard qui ont
d’abord provoqué le questionnement sur une éventuelle maîtrise du hasard. L’origine du
terme est attribuée à un terme arabe, « az-zar », signifiant à l’origine « dés », puis par
extension, « jeu de chance ».
Concept de nécessité : catégorie logique et causale posant que ce qui est ou est bien
pensé ne peut pas être autrement qu’il n’est. Opposé : la contingence. La nécessité nie la
contingence dans le réel.
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Fatalité, fatum, destin : Notion mythologique, fonctionnelle en Grèce archaïque
(homérique). Ananké, issue du monde pré-olympien des Titans qui marque le début du
Cosmos, monde qui sera renversé par Zeus, est la déesse de la nécessité ; née du chaos et
épouse de Chronos, elle enfante les Moires, dont la tâ che est de fixer le destin des
hommes. La Moïra a valeur de loi cosmique répartissant la part de bonheur et de
malheur, de vie et de mort entre les hommes. Que signifie cette idée de destin ?
Nécessité inconditionnelle, absolue, inflexible, fixée par une cause première
présupposée par notre croyance. Nul n’y échappe. Toute révolte de l’homme contre les
arrêts du destin est vaine et condamnée comme hybris (orgueil démesuré de l’homme),
faute morale grave sanctionnée par la nemesis ou le châ timent des dieux.
- Avantage épistémique : l’ordre du monde est fixé d’avance, toute forme de hasard est
résorbée. Il y a un ordre des choses, c’est rassurant.
- Inconvénient : l’homme ne connaît pas cet ordre des événements, on lui interdit même
de chercher à le connaître hormis par la divination, art incertain de l’interprétation des
« signes » du destin. Exemple : Traités comme le Yi Jing dans la tradition chinoise
(Traité des mutations, des changements). Or se fonder sur des signes (ici des jets de
brindilles) pour traduire en langue humaine un texte, un sort qui serait inscrit dans le
cosmos, c’est interpréter, ce n’est pas connaître (signe# cause). On remonte du signe
choisi arbitrairement à son prétendu sens. Ce qui suppose un art d’interpréter que l’on
fonde sur une correspondance plutô t arbitraire entre les signes et leur « signification »
ou leur message en termes de destin pour les hommes. On voit la nature comme un
grand livre mystérieux à déchiffrer. Sans parler du danger du cercle herméneutique :
on trouve dans les « signes » ce qu’on y cherche, ce qu’on y projette (exemple : à la
naissance d’un enfant par exemple, la famille voudra absolument lui trouver une
ressemblance avec son père ou sa mère). Pour revenir à la vision du monde de la Grèce
archaïque régi par Ananké, on peut dire que chacun y subit son lot, son sort, sans
pouvoir rien y faire. monde tragique. Tragique : conscience de l’écart entre la
croyance spontanée en notre liberté et un destin déterminé d’avance, dont on n’a qu’une
conscience rétrospective. Prototype : Œdipe. Liquidation totale de la liberté et
intimidation de la raison, de la science qui veulent savoir monde invivable.
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c / La radicalisation de Laplace, ( 1749-1827, physicien déterministe) : un
déterminisme absolu et généralisé régit l’univers. Le hasard n’est qu’une croyance
issue de l’ignorance humaine de ce déterminisme, une ignorance subjective,
l’autre nom de notre ignorance provisoire qui sera guérie par la science. Laplace
postule une intelligibilité absolue de l’univers, encore inaccessible à l’homme qui ne
connaît que des séries causales partielles, mais qui serait connue par une intelligence
supérieure qui embrasserait toutes les séries de phénomènes : le Démon de Laplace.
Attention ! Laplace ne croit pas en Dieu, son « démon » omniscient n’est qu’une
fiction méthodologique pour montrer que si on suppose une intelligence
supérieure qui sait tout, un point de vue géométral, absolu, alors il n’y a jamais de
hasard. C’est une expérience de pensée. optimisme épistémologique
« Une intelligence qui, à un instant donné, connaîtrait toutes les forces dont la nature est animée et la
situation respective des êtres qui la composent, si d’ailleurs elle était suffisamment vaste pour soumettre
ces données à l’analyse, embrasserait dans la même formule les mouvements des plus grands corps de
l’univers et ceux du plus léger atome ; rien ne serait incertain pour elle, et l’avenir, comme le passé, serait
présent à ses yeux. »
Laplace pense que l’équation du Tout est possible et qu’elle anéantira l’idée de
hasard objectif. La science pourra tout connaître et tout prédire.
L’hypothèse du chaos
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Bénéfices épistémiques :
explication causale du « hasard » dans le monde physique. Remise en cause
partielle du déterminisme ( il ne conteste que le déterminisme absolu de Laplace :
idée que tous les phénomènes se produisent et s’ordonnent en une seule chaîne
de causes et d’effets) mais pas de l’idée que les choses ont une raison. Ce qui est
remarquable chez Cournot est qu’il distingue les causes des raisons. Autrement
dit, le hasard n’est pas inconnaissable à terme. Cournot défend l’idée d’un hasard
objectif, mais pas irrationnel : séries causales indépendantes qui se croisent, se
rencontrent. En revanche le moment de ce croisement reste imprévisible… en
l’état actuel de nos connaissances (modèles pas encore assez puissants, pas assez
alimentés en données). On pourrait même produire des modèles de prévision de
ces croisements de séries causales indépendantes par le calcul de moyennes
statistiques, si on disposait d’un nombre suffisamment grand de données dans le
passé et dans le présent. C’est ce que fait la science météorologique avec ses
puissants calculateurs.
intégration philosophique du calcul mathématique des probabilités statistiques
comme outil de prévision
Texte 1 : Cournot Matérialisme, Vitalisme, Rationalisme. Etude sur l’emploi des données
de la science en philosophie (1875), Vrin, 1986, p.174-175
« Le HASARD ! Ce mot n’est-il qu’un vain son, flatus vocis … ? Non le mot de hasard n’est pas sans relation
avec la réalité extérieure ; il exprime une idée qui a sa manifestation dans des phénomènes observables et
une efficacité …une idée fondée en raison, même pour des intelligences fort supérieures à l’intelligence
humaine et qui pénètreraient dans la multitude des causes que nous ignorons. Cette idée est celle de
l’indépendance actuelle et de la rencontre accidentelle de diverses chaînes ou séries de causes :
soit que l’on puisse trouver, en remontant plus haut, l’anneau commun où elles se rattachent et à partir
duquel elles se séparent ; soit qu’on suppose (car ce ne peut être qu’une hypothèse) qu’elles conservent
leur mutuelle indépendance si haut qu’on remonte. »
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« Au cas d’ignorance absolue des causes qui influent sur le fait extérieur, la série de nos propres actes
retrouve son indépendance, et la rencontre des deux séries dans un sens pour nous avantageux ou
nuisible redevient purement fortuite. »
Texte 3 : Cournot, Traité de l’enchaînement des idées fondamentales dans les sciences et
dans l’histoire (1861)
« L’idée de hasard est l’idée d’une rencontre entre des faits rationnellement indépendants les uns des
autres, rencontre qui n’est elle-même qu’un pur fait. »
«A peine osons-nous dire, et pourtant l’on est fondé à dire que ce monde de fortuité, saisissable par
l’intelligence humaine… nous aide à comprendre comment l’idée de conjonction fortuite subsisterait
encore sous le regard de l’intelligence souveraine pour qui l’idée de cause, à proprement parler,
n’a plus d’objet, puisque la cause, c’est sa volonté, et que sa volonté, c’est sa raison. Sans planer à ces
hauteurs, bornons-nous à constater qu’il (le hasard) ne s’agit nullement de l’ignorance où nous
serions des véritables causes, et que notre science des causes pourrait se perfectionner au point de
ramener la théorie du monde à n’être qu’un théorème de mathématiques, sans que ce
perfectionnement fit évanouir l’idée de fortuité et ses conséquences rationnelles. Tel est à peu
près le cas pour la théorie des éclipses, ce qui n’empêcherait pas de déterminer avec une
approximation satisfaisante, par les règles de la fortuité, les rapports entre les nombres d’éclipses
de soleil et de lune, visibles ou invisibles dans un lieu donné, pour un intervalle de temps
suffisamment grand. On pourrait accorder à Laplace que les lois immuables par lesquelles le monde est
gouverné sont en petit nombre : il suffirait qu’il y en eû t deux, parfaitement indépendantes l’une de l’autre,
pour que l’on dû t faire une part à la fortuité dans le gouvernement du monde »
La question de savoir s’il y a un Dieu aux manettes n’intéresse pas Cournot, mais
au cas où il y en aurait un, son acte de création aurait pu consister à mettre des
dés (particules élémentaires) dans un cornet, à les lancer … et il y aurait quand
même des lois de la nature, une nature aléatoire que le calcul des probabilités
peut connaître ! Einstein, bien plus tard et dans un autre contexte, répondra à la
mécanique quantique : « Dieu ne joue pas aux dés » il n’y a pas d’aléatoire. Il faut
s’arc-bouter fermement sur le déterminisme et le sauver.
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Cournot défend son hypothèse de l’objectivité de la fortuité de la rencontre de
séries causales (« faits rationnels ») indépendantes l’une de l’autre : « Il y a
concours de deux ordres de faits rationnels, indépendants l’un de l’autre ».
Pb : ce concept ne fait-il pas trop « bouger » le principe du déterminisme ?
L’univers comporte-t-il vraiment une part d’aléatoire ? Comment concilier cela
avec le postulat qu’il y a un ordre des choses ? Et, si on postule un Dieu rationnel,
comment cette fortuité, cette indépendance des faits rationnels pourrait-elle
apparaître à cette intelligence supérieure ? Un Dieu rationnel a-t-il pu vouloir le
hasard ?
Cournot « règle » le problème en identifiant les conditions initiales de l’univers, la
cause, la volonté divines et la raison …
- 3ème sens du hasard : la contingence. Une part de l’avenir est contingente = peut ne pas
être ou être autrement. La liberté doit décider en situation de totale ou partielle
incertitude. Sartre reste déterministe pour ce qui est de l’être, l’incertitude et le
probable ont bien une forme de réalité , mais subjective.
Texte de Sartre, Cahiers pour une morale, 1983 (posthume), Gallimard NRF
« Pour que l’homme entreprenne, il faut qu’il soit entendu qu’il y aura toujours une fosse quelque part.
Autrement dit l’action humaine enveloppe en elle-même le hasard.
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Puisque la liberté exige que la réussite ne découle pas de la décision comme une conséquence, il faut que
la réalisation puisse à chaque instant ne pas être, pour des raisons indépendantes du projet même et
de sa précision ; ces raisons forment l’extériorité par rapport à tout projet et la liberté est la perpétuelle
invention des moyens de tourner ces difficultés extérieures, mais il est bien entendu que la réussite doit
être seulement possible … Ainsi est-il toujours entendu à la fois que l’entreprise humaine a réussi à
cause de la libre décision et de la libre inventivité qui a surmonté les obstacles et à la fois qu’elle a réussi
parce que ce sont ces obstacles-là et non d’autres plus grands qui lui ont été imposés. Toute entreprise
humaine réussit par hasard et en même temps réussit par l’initiative humaine.
Si le tireur n’avait pas eu le soleil dans l’œil il m’atteignait, je manquais ma mission de reconnaissance. Il
s’en est donc fallu d’un rayon de soleil, de la vitesse d’un nuage, etc. mais, en même temps, mes
précautions étaient prises pour éliminer tous les dangers prévisibles. En un mot les possibles se
réalisent dans la probabilité. La liberté se meut dans la sphère du probable, entre la totale
ignorance et la certitude, et le probable vient au monde par l’homme. »
Analyse : Sartre distingue l’Etre et l’action humaine, qu’il pense comme en partie
irréductible aux lois qui gouvernent l’Etre (lois de causalité). Le mouvement du nuage
est causé et causal ; il n’est donc pas imprévisible en soi pour la science météorologique.
L’action humaine n’est pas causée et surtout pas causale au sens où le rapport de la
décision à sa réalisation comporte une part d’incertitude que ne comporte pas le rapport
de cause à effet. L’homme prend ses décisions dans le probable. Or la science par sa
nature même conçoit avec certitude l’être ou le non-être : ce qui se produit
nécessairement ou ne peut pas se produire (l’impossible), mais elle ne conçoit pas de
façon aussi certaine l’incertitude du probable, c’est-à -dire l’action humaine. Sartre veut
alors croire qu’il n’y a pas de probable dans l’Etre (univers où tout est déterminé)
mais seulement dans l’action humaine. L’homme qui a pris une décision ne s’aperçoit
qu’il n’y avait pas d’incertitude et qu’il ne pouvait qu’échouer ou bien réussir que
rétrospectivement, une fois que sa décision est devenue un être. On comprend alors ce
que Sartre veut dire dans sa formulation : « Le probable vient au monde par
l’homme ». Le probable n’est pas un être ou une cause, ou l’absence de cause ; il est
l’armature du rapport que l’homme entretient au futur dans l’action, mais il s’évanouit
quand l’homme considère sa décision au passé. Dans l’action, le probable n’existe pour
l’homme qu’au présent et au futur, et il s’abolit dans le certain dans le passé. Sartre
compare ainsi la décision que l’homme prend au présent, dans le probable, avec le
regard rétrospectif sur cette même décision, au passé, qui lui apparaît alors comme une
absurdité, une chute dans la « fosse », l’échec assuré.
Allons plus loin. Qu’est-ce que le probable pour l’homme, c’est-à-dire le probable
vécu ? Une illusion rétrospective, au sens où chacun se dit, au présent : oui, le calcul
peut déterminer une probabilité majoritaire, mais je ne sais pas si elle me concernera,
moi, ni dans quel ordre de réalisation des événements !
Ainsi mon choix ne peut m’apparaître comme bon ou mauvais que rétrospectivement et
ma décision au présent ne peut occulter sa part d’angoisse. Il n’y a que mon passé
qui ne comporte plus d’incertitude, parce qu’il n’est plus une action, mais relève
maintenant de l’Etre.
« Dès que nous jetons un regard au passé, nous constatons évidemment que nous ne pouvions pas ne pas
tomber dans la fosse en prenant ce chemin. C’est irritant, bien sû r, mais c’est la véritable illusion
rétrospective : ce qui est changé c’est que la fosse fait partie du monde … comme aussi notre action et que
nous la voyons dans le certain alors qu’elle existait dans le probable. Cela suffit pour qu’elle paraisse
absurde. »
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On voit clairement apparaître là l’idée que toute décision n’est finalement qu’une
croyance, pas un savoir. D’où un problème abordé par les philosophes : qu’est-ce qu’une
« bonne » croyance, une croyance éthique ? Ne vaut-il pas mieux qu’elle se fonde sur des
savoirs, au moins partiels ? Mais même ceux qui savent ne savent pas tout : nous
sommes condamnés à la foi en ceux qui savent. Nous croyons sans savoir par nous-
mêmes, condamnés à un acte de foi envers des autorités savantes. Thèse de William
James dans La volonté de croire (1897). Médecin, psychologue et philosophe américain.
MAIS : objection de la physique quantique ; l’aléatoire est objectif, ce n’est pas une
incertitude subjective.
Allons donc encore plus loin. La science peut-elle éclairer l’action qui se veut
morale, bonne ? Y a-t-il un lien entre la science et la morale ? Tentons de
l’examiner, s’il existe.
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« Même quand la personne la plus digne de foi m’assure qu’elle sait que les choses sont telles ou
telles, cela ne peut à soi seul me convaincre qu’elle le sait, mais seulement qu’elle croit le
savoir. »
Dans le cas du témoignage, au tribunal, nous ne sommes évidemment pas prêts à
nous contenter de l’assurance que nous donne quelqu’un qu’il sait. La simple
assurance du témoin « Je sais … » ne convaincrait personne. Il faut montrer que le
témoin était en position de savoir.
Mais dans le cas de la science, il serait tout de même étrange que nous ne
puissions pas croire la personne digne de foi qui dit « Je ne peux pas me tromper »
ou celle qui dit « Je ne me trompe pas ».
Croire sans savoir est une chose qui pourtant est exigée de nous fréquemment par
des gens qui sont sûrs de savoir et qui, si l’on peut dire, ne croient pas simplement
savoir, mais savent qu’ils savent, ou peut-être, plus exactement, croient savoir
qu’ils savent : ce sont des autorités. Clifford défend alors un principe simple : il
faut se donner des raisons suffisantes de croire, et en leur absence, ne pas croire.
Il entend par « raisons suffisantes » des preuves convaincantes obtenues après un
examen critique minutieux des connaissances qui sont à sa disposition : l’homme
moral a le devoir de les chercher autant que possible.
Exemple : avant d’emmener pour un long voyage des migrants vers un avenir
meilleur, l’armateur a le devoir de s’informer très précisément auprès des
techniciens de maintenance et des ingénieurs qui ont construit le bateau de la
résistance de la coque, de l’entretien des moteurs etc… Dans le cas où le bateau
coule par avarie interne et/ou tempête malgré ces précautions, il ne sera pas tenu
pour responsable car il n’aura pas commis de faute, précisément parce qu’il aura
cherché à recueillir toutes les connaissances disponibles pour éclairer sa
décision-croyance. Il ne saurait être tenu responsable de son ignorance s’il ne
pouvait l’identifier et la réduire. Ce cas est évidemment très différent de celui de
l’armateur-passeur de migrants, qui n’agit que par intérêt et n’hésitera pas à faire
naviguer un navire qu’il sait déficient. Nous parlons ici de l’armateur « moral ».
Mais Clifford, contrairement à l’impression que l’on pourrait avoir à première vue,
n’a pas sous-estimé l’importance de cette question, celle de notre croyance en la
science des gens « autorisés ». Son article est divisé en trois parties, dont la
première s’intitule « Le devoir de recherche », la deuxième « Le poids de
l’autorité » et la troisième « Les limites de l’inférence ». La section qui est
consacrée à la question de l’autorité commence de la façon suivante :
« Allons-nous donc devenir des sceptiques universels, doutant de tout, craignant toujours de mettre un
pied devant l’autre jusqu’à ce que nous ayons personnellement testé la solidité de la route ? Allons-nous
nous priver de l’aide et du guidage de ce grand corps de connaissance qui croît quotidiennement à travers
le monde, parce que ni nous ni une autre personne quelconque n’avons la possibilité de tester la centième
partie de ce qu’il contient par l’expérience immédiate ou l’observation, et parce qu’il ne serait pas
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complètement démontré si nous le faisions ? Allons-nous voler et mentir parce que nous n’avons pas eu
d’expérience personnelle suffisamment vaste pour justifier la croyance que c’est mal de le faire ? »
« Ils (les hommes) ne souffrent jamais de la recherche ; ils peuvent prendre soin d’eux-mêmes, sans être
soutenus par des « actes de foi », par la clameur d’avocats rétribués ou par la suppression des preuves qui
leur sont contraires. [… D’autre part,] il y a de nombreux cas dans lesquels c’est notre devoir d’agir
d’après des probabilités, bien que les preuves ne soient pas de nature à justifier la croyance
présente, parce que c’est précisément par une telle action et par l’observation de ses fruits, que
seront obtenues des preuves qui peuvent justifier la croyance future. De sorte que nous n’avons pas
de raison de craindre le moins du monde qu’une habitude de recherche consciencieuse ne paralyse les
actions de notre vie quotidienne. »
Cela pourrait donner l’impression d’aller tout à fait dans le sens de William James.
Mais, pour lui donner satisfaction, il aurait fallu parler non pas d’agir dans une
situation d’incertitude plus ou moins grande avec l’espoir de créer les conditions
qui permettront de justifier la croyance future, mais d’adopter dès à présent la
croyance en dépit du fait qu’elle n’est pas justifiée, parce que cela peut être dans
certains cas le seul moyen de lui donner une chance de se vérifier. Dans certains
cas, nous dit William James, seule la foi dans une hypothèse peut créer les faits qui
sont susceptibles de la vérifier. Mais, même si elle était vraie ou appelée à le
devenir, cela ne changerait rien pour Clifford, puisque, même quand la croyance
se trouve être vraie, c’est une faute de lui donner son assentiment sans raisons
suffisantes. Le cas de la médecine de catastrophe ou de pandémie pose ce
problème.
Supplément :
La vocation de la raison est de chercher un ordre dans les choses. Les rationalistes de
tous les temps ont toujours nié le hasard, à l’exception notable d’Aristote, qui concède
une ontologie du hasard, entendu comme « raté » de la finalité naturelle (automaton).
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Dans le cosmos régulier et finalisé de l’Antiquité, c’est l’ordre, la régularité qui
prévalent, non le désordre. Aristote, après Platon, achève de liquider l’idée
mythologique de fatum (destin, fatalité) : idée que des décrets divins, par ailleurs
largement irrationnels, gouvernent le cours des faits. Cette idée présentait néanmoins
l’avantage de résorber totalement le désordre, et donc le hasard, par l’exclusion a priori
de toute contingence, mais au prix de quelles croyances … Aristote est rationaliste et
remarque d’abord un cosmos bien ordonné dans les mouvements réguliers des astres. Il
postule que ce monde est organisé par une finalité providentielle de la nature, laquelle
assure un ordre des choses stable et répétitif : « la nature ne fait rien en vain ». Le
cosmos est fini et divisé en monde supra-lunaire et monde sub-lunaire, qualitativement
hétérogènes. Le monde supra-lunaire est fait de mouvements stables et circulaires, et
aux confins d’étoiles fixes : il est considéré comme parfait et immuable, ce qui est
absolument conforme aux observations que l’on pouvait faire à l’époque. Mais ce qui
intéresse Aristote est de comprendre les changements dans le monde sub-lunaire, la
terre, qui paraît plus irrégulier. Il développe une théorie des causes, conçues comme
motrices de tout changement. Il en distingue quatre : finale, efficiente, formelle et
matérielle. Aristote distingue aussi 3 types d’êtres produits par le changement :
- ceux qui sont par nature (réalisent en eux la finalité naturelle)
- ceux qui sont par art (artifices humains)
- ceux qui sont « par hasard », c’est-à -dire par accident de la cause finale. Cà d qu’ils sont
spontanés. Aristote dit dans Physique, livre 2, qu ‘ils sont « automaton », non parachevés
et qu’ils relèvent d’un surgissement spontané raté de la finalité naturelle qui se
heurte à la résistance d’une matière chaotique qui ne prend pas la configuration (cause
formelle, forme) orientée par la cause finale, cà d la forme appropriée à sa fonction.
Exemple des êtres vivants mal formés, inachevés et dysfonctionnels. Il y a bien une
théorie du hasard chez Aristote, enchâ ssée dans une théorie des causes. Il essaie de
penser le constat du hasard. Mais enfin, pour Aristote, le hasard est rare et périphérique
dans la nature, voire négligeable ; il relève de l’exception et ne règne pas
universellement. Le hasard n’est pas une cause. Il y a un ordre rationnel des choses.
Il faut le penser comme une anomalie rare mais inévitable dans un monde sub-lunaire
imparfait qui connaît des mouvements violents, corrompus, désordonnés, opposés à
ceux qui sont orientés par la finalité. En revanche, les mathématiques ou l’astronomie,
qui traitent du monde supra-lunaire, donc du ciel, ont bien affaire à un monde
parfaitement ordonné et régulier, qui ne connaît aucun hasard.
- Quelques rares penseurs conçoivent le réel comme une succession d’aléas, comme
mobilité pure du temps, dans des intuitions extrêmement surprenantes et profondes.
C’est le cas de la méditation d’Héraclite (VIème av. J.C.): il n’y a que du changement, un
devenir imprévisible composé d’événements aléatoires, l’Etre est éternellement en
devenir. Rien ne demeure ce qu’il est et tout passe en son contraire (vie-mort,
commencement-fin etc.). Il détruit ainsi le principe d’identité (puisque A est différent de
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lui-même) et même la catégorie d’Etre en posant que la contradiction gouverne toute
chose. Penseur mobiliste : à la limite il n’y a pas d’être, seul le temps est.
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