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Destin et Destinée

« Destin » et « Destinée » voici deux mots de la langue française que l’on croit frère et sœur et qui ne
sont que cousins. Leur seul point commun est qu’ils font référence à quelque chose qui nous
dépasse.

On peut en être certains, même des agnostiques ont déjà dit maladroitement : « c’était leur
destinée ». Une destinée c’est une trajectoire prédéfinie, comme celle d’une fusée que les ingénieurs
ont programmée. Si l’on croit, l’ingénieur en chef du projet « homme » c’est Dieu. Si Dieu est amour,
comme le disent certaines religions, il est absurde de penser que nous ne serions que des pantins
dont les ficelles seraient manœuvrées d’en haut ! Non, il n’est pas possible que l’homme ne soit que
le Pinocchio de Dieu. Certes nous avons en nous des éléments innés que l’Histoire humaine nous a
fournis ; certes notre combinaison génétique hasardeuse nous prédispose, par exemple, à une
certaine durée de vie, mais l’arbre mis sur la route de notre voiture n’est pas une destinée. Il est
inutile de s’interroger sur ce qu’aurait pu être la production musicale de Mozart si celui-ci avait vécu
plus de 39 ans. Il n’était pas dans le projet de Dieu d’enlever un génie à l’humanité si tôt, mais la
création boulimique de Mozart s’est heurtée naturellement aux limites physiques de tout être –voilà
tout. Comme la Foi, la Destinée est un mot énigmatique, pratique pour parler de quelque chose que
l’on ne sait pas appréhender. Il est même parfois utilisé pour se dédouaner de toute responsabilité :
après tout, c’est Dieu qui a décidé ! Si on admet le fait religieux, pour le mieux, il n’y a que les
prophètes qui auraient eu une Destinée.

Le « Destin » est peut être encore plus énigmatique que la « Destinée ». Il correspond à des éléments
de vie incontrôlés, qui jaillissent dont on ne sait où et qui nous affectent sans que nous les ayons
réclamés. Notre liberté - celle de choix en particulier- ne laisserait apparemment pas de place à la
notion de destin. Cette liberté « prométhéenne » n’est en fait seulement que celle que nous avons
dans le monde de la représentation - de la quotidienneté - là où, comme chaque chose est à sa place,
la logique de la démonstration cartésienne du duo cause-effet peut alors s’exercer. Pourtant, si on
laisse de côté l’interprétation psychanalytique du mythe d’Œdipe, le Destin alors prend toute sa
place. Mais d’où vient ce « Destin » si l’on s’extirpe de l’aspect mythologique ? Le monde de la
représentation qui nous apparait à tous comme le monde du réel, n’est pourtant que superficiel, il
n’est que la partie émergée de l’iceberg qui pour flotter a besoin d’une quille stabilisatrice mais
déstabilisante pour notre esprit logique. En effet nous ne serions pas si nous n’étions que
représentation. Que nous le croyons ou pas, nous sommes nourris, vitalement, par un autre monde
celui que Nietzche appelle le monde de la Volonté sans lequel nous ne pourrions exister, c’est notre
quille. A l’image de notre planète Terre, la croûte terrestre que nous voyions n’a qu’une épaisseur
infime par rapport au magma chaotique de son centre, et quelques éruptions volcaniques viennent
enrichir parfois la surface malgré leur apparence désastreuse. Le destin est l’une de ces éruptions. La
liberté humaine n’est donc que relative, d’autres disent même qu’elle n’est qu’illusion. Mais alors, le
Destin ne serait-il donc que fatalité, et donc à quoi bon faire des efforts si ceux-ci peuvent être
anéantis par une force aussi irrésistible qu’imprévisible ? Si l’on sait que le monde du réel, défini, doit
s’enrichir d’empirisme, d’imprévu qui va entrainer un choix nouveau, de boursoufflures chaotiques :
l’art contemporain par exemple, tout ceci émanant du monde de la Volonté, alors il y aura création
et création est synonyme de vie donc d’espoir comme le dit un dicton. La vie ne peut être un long
fleuve tranquille de type apollonien, c’est dans le remous du courant que vit mieux le poisson.
N’espérer que la tranquillité, c’est déjà mourir un peu. Exister sans illusion sur un sens, à l’image des
existentialistes, semble très réducteur ; mais exister en sachant ce que nous sommes permet d’éviter
la lamentation sur notre sort et transforme le destin - même parfois malheureux - en force. En
mécanique une force est liée inexorablement à un mouvement, il faut donc utiliser cette force pour
se mouvoir car plus que la diversité, l’avenir humain est dans le mouvement de son esprit. Ne
devenons pas des arthrosiques repentants d’une inactivité passée. Personne n’a un destin mais
chacun peut croiser le destin. Bonaparte n’avait pas le destin de devenir Napoléon, De gaulle n’avait
pas le destin d’appeler la France à résister, ils n’ont fait que rencontrer des situations qui ont révélé
en eux le désir de l’action. Des millions de français subissaient aussi ces situations or eux seuls ont
laissé un nom dans l’Histoire, ce n’est pas pour cela qu’il faut leur prêter un destin; c’est ce dont ils
étaient construits qui leur a permis de dominer ces situations, à l’inverse de tous les autres. Et dans
nos vies plus banales il en est ainsi également. Le « Destin » est un état immanent de toutes les
situations que nous pouvons imager ou non d’ailleurs et qui se révèle lors d’une conjonction à faible
probabilité d’existence de ces situations avec son « étant-propre ». Même si le monde de la Volonté
est fondamental pour nos comportements, c’est dans le monde réel de la représentation, visible de
tous, qui est le concret de notre quotidienneté puisque c’est dans celui que nous évoluons, que notre
liberté affrontera le Destin qui ne devra être alors considéré ni tel un fardeau ni une chance, mais
qui se transformera en notre propre construction.

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