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TRACES

n° 24 BELGIQUE - BELGIË
PP
Juin BRUXELLES X
2017 1/9464

DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
MÉMOIRE D’AUSCHWITZ ASBL
| TRIMESTRIEL N° 24 | AVRIL - MAI - JUIN 2017
| BUREAU DE DÉPÔT : BRUXELLES X | N° AGRÉGATION P 801056

SOMMAIRE

ACTUALITÉ
Les enfants victimes, une atteinte
atemporelle aux fondements
de l'humanité
p. 2

AUSCHWITZ
Jacqueline Bernheim
Assassinée à l’âge de 6 ans
p. 4

APPROFONDISSEMENT
Enfance et guerre :
Quand les enfants de la
Maison d’Izieu nous parlent...
p. 6

INTERROGATION
Sélectionnés pour mourir.
© DR

Comment se souvenir des


enfants assassinés de Lidice ?
p. 10 ACTUALITÉ
Selon un rapport de l’UNICEF, on estime à 92 millions
SAVIEZ-VOUS QUE... le nombre d’enfants morts entre 2000 et 2010.
Janusz Korczak est resté avec Soit 92 millions de « jeunesses perdues » !
ses orphelins jusqu’au bout ?
p. 13

RÉFLEXION
Return to Sender:
Henio inconnu à cette adresse L’enfant : la victime la plus
vulnérable dans les situations
p. 14

VARIA
p. 16
dramatiques de guerres
Éditeur responsable
Henri Goldberg
et de conflits
ASBL Mémoire
Mémoire d’Auschwitz
d’Auschwitz
ASBL
65,
Ruerue
auxdes
Laines,
Tanneurs
17 bte- 50
1000
- 1000
Bruxelles
Bruxelles
actualité

Les enfants victimes, une atteinte


atemporelle aux fondements de l'humanité
Les enfants sont indéniablement les victimes les plus vulnérables. L’âge
auquel un individu n’est plus un enfant mais un (jeune) adulte fait débat. La
Convention internationale des Droits de l’Enfant fixe l’âge de la majorité à dix -huit ans1.
Selon un rapport de l’UNICEF (United Nations International Children’s Emergency Fund,
créé le 11 décembre 1946), 29 000 enfants de moins de cinq ans meurent chaque jour
dans le monde – ce qui concorde avec le nombre avancé de quelque 21 morts par
minute, pour l’essentiel dans les « pays en développement ». 70 % des 11 millions de
décès d’enfants dénombrés chaque année sont imputables à six facteurs : diarrhée,
malaria, infection néonatale, affection pulmonaire, naissance prématurée et anoxie
lors de l’accouchement. On estime à 92 millions le nombre d’enfants morts entre 2000
et 2010. Soit 92 millions de « jeunesses perdues » !

Majorité – une question de cons- Un rapport alarmant de l’ UNICEF récemment décédés. Il dénom-
brait par ailleurs 4 à 5 millions d’en-
cience morale ? Malheureusement, les nazis n’ont fants invalides, quelque 12 millions
La question peut paraître un peu pas été les seuls à s’en prendre d’enfants désormais sans toit et
étrange, dans la mesure où nous aux enfants. Après la Seconde plus d’un million séparés de leurs
venons d’afrmer que la majorité Guerre mondiale, les Nations parents ou orphelins. Quelque
est une notion juridique. Le seuil unies tout juste créées se sont 10 millions d’enfants avaient con-
des 18 ans a été justié par le dé- donné pour mission de préserver tracté des traumatismes à vie. La
veloppement du cerveau, et no- la paix dans le monde. Une ambi- hausse du nombre d’enfants vic-
tamment du cortex préfrontal, qui tion qui s’est révélée exagéré- times s’explique par le fait que les
intervient entre autres dans la ment optimiste au cours des dé- récents conits ont fait plus de
prise de décisions morales. Ce cennies suivantes : entre 1944 et morts civils que les précédents,
lobe du cerveau se développe 1992, les Nations unies ont réperto- qui étaient essentiellement de na-
jusqu’à l’âge de 20 à 25 ans. Du- rié 149 grands conits, qui ont fait ture militaire. Ainsi, durant la Se-
rant les dix premières années, plus de 23 millions de morts, soit conde Guerre mondiale, la part
l’éducation et l’enseignement for- deux fois plus que le nombre de des victimes civiles du conit re-
ment la norme « anatomorale ». décès enregistrés pour tout le présentait les deux tiers de l’en-
Les nazis ne se préoccupaient XIXe siècle. Des enfants ont été semble des victimes, alors qu’à la
guère de déterminer la majorité victimes de chacun de ces con- n des années 1980, elle s’élevait
en fonction du développement its armés, de la famine ou de la à 90 %. Ce nombre élevé de vic-
moral. Dans le camp de concen- pénurie en eau potable. En cas times civiles est dû en premier lieu
tration et le centre d’extermina- de famine, les enfants courent un au perfectionnement des armes
tion d’Auschwitz-Birkenau, les en- grand risque, car ils ne reçoivent de guerre. Comparées aux
fants n’avaient pas le droit d’ac- pas les nutriments essentiels à leur champs de bataille classiques, les
céder au secteur concentration- croissance et sont également attaques par bombes et missiles
naire. Ils n’étaient d’aucune utilité bien plus sensibles aux germes in- génèrent naturellement bien plus
(économique ou ontologique) fectieux. de dégâts et touchent donc bien
pour les nazis et étaient donc im- Au début des années 2000, un davantage de civils. Que l’on
médiatement conduits à la rapport des Nations unies a estimé pense à Hiroshima et Nagasaki,
chambre à gaz. à 2 millions le nombre d’enfants réduites à néant par seulement

2 TRACES DE MÉMOIRE
Les enfants sont toujours les victimes
les plus vulnérables lors des conflits.

Logo de l’UNICEF contre les enfants soldats.

Poster de campagne de l’UNICEF.


© DR

deux bombes (atomiques), avec La diversité en danger


pour conséquence un nombre
particulièrement élevé de vic- La coexistence de plusieurs
times (enfants). La hausse du groupes de population au sein
nombre de victimes civiles s’ex- des mêmes frontières est souvent
plique aussi par la nature des con- à l’origine de conits armés, en
its contemporains : la plupart ne dépit même des frontières qui dé-
sont plus des guerres entre États, limitent une nation existante ou
mais se déroulent au sein même désagrégée. On risque alors d’as-
des frontières d’un pays. Les con- sister à une escalade de la vio-
its se livrent majoritairement lence, jusqu’au génocide. Celui-
entre certains groupes de ci- ci vise à exterminer un groupe de
toyens et l’armée d’un même population entier, femmes, vieil-
pays, d’où le déplacement du lards et enfants compris, et laisse
champ de bataille vers les zones dans son sillage la mort et des ra-
habitées des villes et de la cam- vages irréversibles. Des tensions
pagne. Et c’est précisément là politiques et socioethniques peu-
© DR

que le bât blesse : la différence vent agir comme catalyseur dans


entre combattants et non-com- un contexte aussi dramatique.
battants (citoyens ordinaires) de-
vient oue et entraîne une funeste SOURCE : [https://www.uni-
confusion sur la ligne de feu. Balles cef.org/mdg/childmortality.html]
perdues et bombardements au
jugé peuvent également frapper Johan Puttemans
de nombreux innocents. Parfois, Coordinateur pédagogique
les citoyens sont même délibéré- ASBL Mémoire d’Auschwitz
ment visés par les parties en con- Trad. : Émilie Syssau
it, qui ne se préoccupent guère
des femmes, des personnes 1 (…) on entend par enfant tout
âgées, et surtout des enfants. La individu de moins de dix-huit ans
situation est encore pire quand (…)
des enfants soldats sont impliqués http://www.humanium.org/fr/conv
© DR

dans les combats. ention/

N° 24 - JUIN 2017 3
auschwitz

Jacqueline
BERNHEIM
Assassinée à l’âge de 6 ans
Jacqueline Bernheim
(11 mai 1938 - 25 mai 1944)

J acqueline Bernheim
est âgée de deux ans
lorsque la guerre
éclate. Elle vit alors à Bruxelles où
elle a vu le jour le 11 mai 1938. Sa
maman, Olga, est la lle de Mau-
rice Kouperman, propriétaire
d’une orissante usine d’embal-
lage métallique à Laeken. Son
père, Paul Bernheim est un brillant
ingénieur sorti de l’Université de
Liège, cadre à la Sona, société -
nancière. Ses parents sont mariés
depuis 1933. Au mois de mai 1940,
lorsque la Belgique est envahie, la
famille Bernheim-Kouperman,
comme des milliers d’autres fa-
milles belges, prend la route de
l’exode vers la France. Jacque-
line, ses parents, sa grand-mère et
son oncle maternels voyagent
jusque dans le sud-ouest de la
France. Ils s’installent à Cahors
dans ce qui était alors la « zone
libre ». Là, ils mènent une vie ordi-
naire, les autorités locales con-
naissent leur situation et Jacque-
© Archives Fondation Auschwitz

line fréquente l’école sous son vrai


nom. Mais la zone libre est à son
tour envahie au mois de no-
vembre 1942. À l’exception de Ri-
chard Kouperman, l’oncle de
Jacqueline qui en réchappe mira-
culeusement, toute la famille est
arrêtée sur dénonciation par la

4 TRACES DE MÉMOIRE
© Fondation Auschwitz/Sacha Kullberg

Voyage d’études à Auschwitz-Birkenau en 2002.


Paul Halter, président de la Fondation Auschwitz
en cette période, et un jeune participant au
voyage, déposent des fleurs en mémoire de
Jacqueline Bernheim

Gestapo le 7 mai 1944. Ils sont belge. À son décès en 1993, elle
transférés au camp de rassemble- lègue la plus grande partie de sa
ment de Drancy, principal lieu de fortune à diverses œuvres parmi
déportation des Juifs en France. lesquelles le Fonds pour la Chirur-
Le 20 mai 1944, la famille est dé- gie Cardiaque qui, pour pérenni-
portée à Auschwitz par le convoi ser la mémoire de sa lle crée un
numéro 74. Jacqueline qui vient « Prix Scientique Jacqueline
de fêter son sixième anniversaire, Bernheim ». Elle fait également un
sa grand-mère et probablement don à la Fondation Auschwitz (qui
son père disparaissent dans les a succédé à l’Amicale de Silésie)
Olga Kouperman-Bernheim
chambres à gaz de Birkenau dès qui, depuis, honore la mémoire de
(03 février 1906 - 19 mai 1993)
leur arrivée. Seule sa maman survit Jacqueline Bernheim en dépo-
au camp et aux marches de la sant une gerbe de eurs sur
mort. Olga Kouperman ne se ré- l’étang de Birkenau lors du
soudra à la perte de sa lle que voyage d’études qu’elle organise
des années plus tard puisque l’on chaque année à Auschwitz.
trouve dans sa correspondance
une lettre de 1952 faisant réfé- Sarah Timperman
rence à des recherches en cours ASBL Mémoire d’Auschwitz
concernant des enfants déportés.
Elle conservera d’ailleurs précieu- Sources : « En mémoire de la pe-
sement les affaires, vêtements et tite Jacqueline Bernheim » : site in-
jouets de sa lle. Elle ne se rema- ternet du Fonds pour la Chirurgie
riera pas et n’aura pas d’autre en- Cardiaque http://hart-chirurgie-
fant. Elle se consacre à la peinture cardiaque.org/spip.php?ar-
et aux activités sociales tout en ticle29 (consulté le 04/01/2017);
© Centrale, juin 1990, n° 249, p. 25

restant dans le souvenir. Elle est « Richard Kouperman » in Cahiers


membre de l’Amicale belge des de la Mémoire contemporaine, 2-
ex-prisonniers politiques de Silésie 200, p. 59 -62 ; Herman Van Goe-
avec laquelle elle participe en them, Patricia Ramet (eds.)
avril 1955, à Auschwitz, aux céré- Drancy-Auschwitz 1942-1944. Juifs
monies commémorant le dixième de Belgique, déportés via la
anniversaire de la libération du France, Bruxelles, ASP, 397 p ; Ar-
camp. C’est elle qui dépose la chives de la Fondation Auschwitz
gerbe de eurs de la délégation (Fonds Amicale de Silésie/Farde I).

N° 24 - JUIN 2017 5
approfondissement

Enfance et guerre :
Quand les enfants de la Maison d’Izieu nous parlent...
Les enfants font souvent partie des victimes innocentes de la guerre. Dans
le cas de la colonie d’Izieu, cette réalité est d’autant plus cruelle que ces enfants ont
été assassinés uniquement pour ce qu’ils étaient : des Juifs. Mais pourquoi les
histoires d’enfants martyrs nous interpellent-elles à ce point ?

P lus que tout autre, les


images d'enfants
martyrs nous tou-
chent. Les parents y sont encore
et est à disposition des écoles, des
associations, des communes, et
des centres culturels1.
colonie des persécutions antisé-
mites. Une quinzaine d’enfants y
sont installés en mai 1943. D’autres
suivront. Situé en pleine cam-
plus sensibles, d'autant qu'ils
Histoire de la colonie des enfants pagne, le lieu est idyllique. La co-
voient leurs enfants à travers ces d’Izieu lonie s’inscrit progressivement
enfants. Il suft de repenser au vi- dans la vie locale, des liens se
sage couvert de poussière et de Pendant près d’un an, de mai nouent avec les voisins et les auto-
sang séché d'Omran, 5 ans, res- 1943 au 6 avril 1944, la colonie rités locales. La vie est rythmée
capé d'un bombardement à d’Izieu va accueillir plus d’une par la préparation des repas, les
Alep, au corps sans vie du petit centaine d’enfants juifs originaires jeux, les baignades dans le
Aylan Kurdi échoué sur une d’Allemagne, de Pologne, d’Au- Rhône, les promenades, les des-
plage, ou encore à cette petite triche, de Belgique, du Grand-Du- sins… Malgré la souffrance de la
lle tuée par le camion fou à Nice, ché de Luxembourg, de France et séparation d’avec leurs parents,
le 14 juillet 2016, et qui repose sous d’Algérie 2 . Leurs familles sont les enfants se sentent en sécurité.
une couverture dorée avec sa pourchassées autant par les auto- Une institutrice arrive à la colonie
poupée gisant à ses côtés... Il est rités allemandes que par le ré- en octobre 1943 pour donner des
donc normal d'être touché par gime antisémite de Vichy. Lors des cours aux plus petits. Les plus
l'histoire des enfants d'Izieu. raes de l’été 1942, le gouverne- grands vont au collège de Belley.
Une différence de taille toutefois. ment de Vichy demande à l’oc- Jusqu’en janvier 1944, 105 enfants
Ici, pas d’images d’enfants morts cupant allemand de pouvoir dé- sont passés par la colonie d’Izieu.
ou blessés, juste des visages heu- porter les enfants juifs de moins de Elle sert le plus souvent de lieu de
reux, qui rendent d’autant plus seize ans. Les Allemands accep- transit, avant que les enfants
dur ce que l’on peut imaginer en- tent. Les enfants ne sont plus en soient replacés dans d’autres
suite. Raés le 6 avril 1944, les 44 sécurité. De nombreuses familles maisons ou familles d’accueil,
enfants sont tous déportés : sont déjà internées avec leurs en- voire passés en Suisse. Mais l’étau
42 sont gazés dès leur arrivée à Bir- fants dans les camps du sud de la se resserre peu à peu sur la petite
kenau (Auschwitz II) et 2 autres France. Très vite, l’Œuvre de Se- colonie. L’Italie a capitulé le
sont fusillés à Tallinn, en Estonie. cours aux enfants (OSE), active 8 septembre 1943 et la zone est
Une exposition itinérante retrace dans les camps, multiplie les ac- passée sous contrôle allemand.
l’histoire de cette colonie, où des tions pour sauver les enfants dont Le 7 janvier 1944, la Gestapo ar-
enfants belges sont également les parents ont été raés ou inter- rête le docteur de la colonie, Al-
passés. Les 21 et 22 avril 2016, des nés. C’est dans ce contexte que bert Brendighem. Le 8 février,
pavés de mémoire au nom de Sabine et Miron Zlatin, en lien c’est au tour du personnel de
Paulette Heber, Nina Aronowicz, avec l’OSE, créent la colonie l’OSE de Chambéry – dont dé-
Albert et Marcel Bulka ainsi d’Izieu, en toute légalité, avec le pend la colonie d’Izieu – de tom-
qu’Alec Bergman ont été inaugu- soutien de la sous-préfecture de ber entre les mains de la Gestapo.
rés à Saint-Josse, Schaerbeek et Belley. Proche de la Suisse, le vil- Il est urgent de déplacer les en-
Liège. Quant à l’exposition, elle lage est situé en zone d’occupa- fants. Sabine Zlatin part à Mont-
tourne en Belgique jusqu’en 2019 tion italienne, ce qui préserve la pellier n mars/début avril 1944 à

6 TRACES DE MÉMOIRE
terme de trois jours de voyage
éprouvant. Seule l’éducatrice
Léa Feldblaum survivra. Elle est af-
© Mémorial des Enfants d’Izieu

fectée aux kommandos de tra-


vail. Elle sert de cobaye aux mé-
decins nazis pour leurs expérimen-
tations. Les convois 72 (le
29 avril), 74 (le 20 mai) et 76 (le
30 juin) déportent 8 autres enfants
et 3 éducateurs qui sont assassi-
nés dès leur arrivée à Birkenau.
Quant à Miron Zlatin et les deux
Photo prise en été 1943. derniers adolescents, ils sont dé-
Les visages des enfants rayonnent de bonheur portés le 15 mai avec le convoi 73
la recherche de nouveaux re- malgré l’abscence de leurs parents pour Tallin, en Estonie. Ils seront fu-
fuges pour les enfants. C’est là sillés au cours de l’été. Sabine Zla-
qu’elle apprend la rae de la co- tin, Léa Feldblaum et Léon
lonie. Le 6 avril 1944 au matin, 45 La maison où Sabine en Miron Zlatin ont abrité Reifman témoigneront lors du pro-
enfants et 8 adultes, tous juifs – à 105 enfants et dans laquelle se trouvaient cès de Klaus Barbie en 1987. À la
l’exception d’un garçon, René- 44 enfants lors de la rafle organisée par suite du procès, Sabine Zlatin
Michel Wucher –, sont présents à Klaus Barbie le 6 avril 1944
Izieu. Sur ordre de Klaus Barbie,
des hommes de la Gestapo et
des soldats de la Wehrmacht fon-
dent sur la petite colonie et raent
tous les occupants. Seul l’adulte
Léon Reifman y échappe en se
sauvant par la fenêtre. Il sera ca-
ché par des voisins. Lors d’un arrêt
dans le village en contrebas, des
habitants reconnaissent le petit
René-Michel Wucher qui est li-
béré. Les autres sont emmenés à
la prison Montluc à Lyon. De là, ils
sont conduits à la gare de Lyon-
© Bettina Vanherweghem

Perrache le 7 avril, où un train les


emmène au camp de Drancy. 34
enfants d’Izieu et 4 éducateurs
sont déportés le 13 avril vers
Auschwitz-Birkenau par le convoi
n° 71. Ils sont conduits dans les
chambres à gaz à leur arrivée, au

N° 24 - JUIN 2017 7
Photo de Sabine et Miron Zlatin

© DR
fonde l’association du « Musée- texte historique de Vichy, l'autre un esprit colonie de vacances
Mémorial d’Izieu », qui sera à l’ori- concerne la Maison d'Izieu. » Au avec les baignades, préparation
gine de la création du « Musée- cours du premier semestre 2016, des repas, travaux au jardin… Les
mémorial des enfants d’Izieu » l'exposition a tourné dans lettres, les dessins sont pleins d’es-
dans les anciens bâtiments de la quelques écoles, aux Arts et Mé- poir », poursuit Bettina Vanher-
colonie, avant d’être renommé tiers à La Louvière, au Cercle d'his- weghem. « Dans cette exposition,
en 2000 « Maison d’Izieu, mémo- toire de l'ULB et à l'Association Pa- les photos ne représentent que du
rial des enfants juifs exterminés ». trimoine et Histoire d’Ham-sur- bonheur, il n’y a pas de visions de
Heure. morts, ni de camps. L'exposition se
Les enfants belges d'Izieu En pratique, il y a deux exposi- termine à la veille de la rae,
tions, l'une est consacrée exclusi- avec une lettre où une maman
« Il y a un lien avec notre pays et vement aux enfants belges et aux souhaite de bonnes vacances de
aussi avec le Grand-Duché de enfants luxembourgeois. Elle pré- Pâques… On peut présenter l'ex-
Luxembourg », explique Bettina sente les enfants, d’où ils vien- position à des enfants de 5e pri-
Vanherweghem, en charge de nent. Les noms en gras sont ceux maire sans aucun problème.
l'exposition itinérante en Belgique. des enfants qui ont été gazés. C’est plus dur pour les adultes. »
« Plusieurs enfants belges sont L’autre raconte la vie quotidienne
passés par la maison d'Izieu : 2 ve- des enfants pendant l’existence Un processus d'identification
naient de Bruxelles, 3 de Liège et de la colonie.
8 d'Anvers. L'exposition va tourner Soit, de sa création à la rae du Selon Bertrand Wert, qui a été
pour une période de trois ans mi- 6 avril 1944 : comment cela se vice-président de la Maison
nimum en Belgique et elle est ré- passait-il, comment a été créée d'Izieu (2012-2015), et qui vit à
servée pour un an au Grand-Du- cette maison, comment les en- Bruxelles aujourd'hui, « il y a à tra-
ché de Luxembourg (2019-2020). fants sont arrivés dans ce refuge… vers cette exposition un processus
Avec mes cartons sous le bras, je Le plus souvent, ils venaient des d'identication, très puissant qui
présente la Maison d'Izieu aux camps d’internement du Midi de se met en place. Une forme d'em-
écoles, aux associations... Je la France. pathie. C'est beaucoup plus ef-
forme des guides et je donne des Tout au long de l’été 1943, les en- cace. Cela nous permet de
conférences. J'ai conçu deux li- fants se sont succédé : enfants mettre des noms sur les enfants,
vrets-syllabus : l'un retrace le con- juifs et enfants non-juifs. « Il y avait de donner de la chair aux faits...

8 TRACES DE MÉMOIRE
On rentre dans l'humain, plutôt pavé de mémoire d’Émile Zuck- cun n’a été repris sur les listes des
que dans l'analyse sèche des erberg – un enfant juif réfugié à convois de déportation. Parmi
faits. En même temps, il faut sortir Izieu et déporté – et Aylan – l'en- ceux qui sont sortis d’Izieu avant la
du pathos, du sentimental, pour fant réfugié trouvé mort sur une rae, beaucoup ont retrouvé leurs
revenir à l'analyse, pour voir ce plage. C'est le même parcours, parents ou ont été recachés
que cela nous apporte dans la même s'il est différent. Peut-être jusqu’à la n de la guerre. Ils orga-
contemporanéité. On a été rat- que dans 30 ans, ces élèves feront nisent des réunions d’anciens.
trapés par les événements. Dans un travail de mémoire pour les en- Certains témoignent comme Hé-
tout le contexte des attentats, fants réfugiés d'aujourd'hui. Il y a lène Waysenson, Samuel Pintel et
cela nous fait rencontrer des gens des parallèles à faire en travaillant Paul Niedermann. Mais la « re-
comme Ismael Saïdi 1 . L'actualité sur les valeurs, y compris avec des construction » des enfants qui ont
fait se rencontrer la communauté enfants qui ont des a priori. Il faut quitté Izieu avant la rae n'est pas
juive et les autres. Ce n'est pas y aller, ce n'est pas évident, mais toujours facile, comme l'observe
toujours très facile. Les a priori sur il faut le faire. Cela permet d'en- Bettina Vanherweghem. Cela fait
les autres sont très présents. Mais gager la discussion. » d'ailleurs partie de ses projets :
ces rencontres ont donc du sens. « C'est important de montrer
C'est important de faire des ponts qu'on peut se reconstruire. Quand
entre les communautés. » Son ar- Pour aller plus loin tu perds tes amis d’enfance, com-
rivée à Bruxelles est d'ailleurs liée à ment tu te reconstruis après ?
sa volonté de faire connaître l'his- La tragédie d'Izieu continue de Comment fais-tu après pour re-
toire des enfants d'Izieu aux institu- nous interpeller, tout comme les tourner à l’école, fonder une fa-
tions européennes, vu que les en- autres tragédies qui frappent mille, renouer des liens d’ami-
fants provenaient de différents d'autres enfants aujourd'hui. La tié ? » Des questions que se po-
pays de l'Union européenne. différence tient dans le fait que les sent sans doute aussi des enfants
Toujours dans le processus d'iden- enfants juifs étaient traqués, dé- réfugiés aujourd'hui et auxquelles
tication, Bertrand Wert pointe le portés et assassinés par choix les adultes sont censés apporter
travail de l'asbl TADA, active dans idéologique et politique. L'action des réponses.
les écoles de devoirs sur la com- de sauvetage menée par la colo-
mune de Saint-Josse : « Elle a fait nie d'Izieu – comme ailleurs – a Baudouin Massart
un travail de mémoire autour du permis de sauver 61 enfants. Au- Éducation permanente
http://www.auschwitz.be/images/
_expertises/2016-massart-izieu.pdf

Exposition sur
la vie quotidienne
des enfants cachés
juifs de la colonie d’Izieu
(mai 1943 – 6 avril 1944) 1 Pour disposer de l’exposition,
contactez Bettina Vanher-
weghem, 4 Rue du Château , 6150
Anderlues – Tél. : + 32.495.53.98.85
– courriel : bettinavhw@live.be,
2 Le site du Mémorial reprend une

histoire plus détaillée de la colonie


d'Izieu, des témoignages, ainsi que
les noms des enfants :
http://www.memorializieu.eu (con-
© Bettina Vanherweghem

sulté le 15 septembre 2016)


3 Réalisateur et metteur en scène

schaerbeekois, auteur d'un texte


sur Nina Aronowicz, posté sur son
compte Facebook le 21 avril 2016 :
http://bit.ly/2do7mgD (consulté le
23 septembre 2016)

N° 24 - JUIN 2017 9
interrogation

Sélectionnés
pour mourir

© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Johan Puttemans


Comment se souvenir
des enfants assassinés
de Lidice ?
Pierre commémorative à Rzuchów
(Chełmno nad Nerem)
Terre sanctifiée par le martyr et le sang des enfants
´
de la région de Łódz, le région de Zamosc et de Lidice
en Tchécoslovaquie


Chełmno : le premier centre d ex- qu’un lieu de transit où l’arrêt était
prescrit pour des raisons d’hy-
termination
giène. On assurait aux gens qu’un

D ans la rubrique « Interro-


gation » du n° 23 de
Traces de Mémoire,
nous avons évoqué l’attentat mortel
Chełmno nad Nerem était un pe-
tit village quelconque avant l’arri-
vée des occupants allemands en
septembre 1939. La population
polonaise locale fut déplacée et
travail leur serait ensuite attribué à
l’Est et qu’ils n’avaient donc rien à
craindre. Ils devaient alors se dés-
habiller et passer par les caves du
château pour rejoindre une pièce
commis le 27 mai 1942 à l’encontre de remplacée par des Volksdeut- où ils bénécieraient d’une
l’Obergruppenführer Reinhard Hey- schen. Le village, situé dans le dis- « douche ». Cette pièce était en
drich et l’effroyable vengeance des na- trict administratif du Gau Warthe- réalité l’arrière d’un grand ca-
land, dans la région annexée à mion stationné du côté nord-
zis sur les habitants du petit village
l’Allemagne, vit son nom germa- ouest du château, dans lequel on
tchécoslovaque de Lidice. Les auteurs
nisé en Kulmhof. La Pologne était poussait brutalement les victimes.
de l’attentat, le Slovaque Jozef Gabčík vouée à disparaître de la carte Une fois les portes refermées, on
et le Tchèque Jan Kubiš, furent assié- dans les cinq années à venir. À mettait le moteur en marche et
gés et tués le 18 juin dans l’église l’automne 1941, Kulmhof fut choisi les gaz d’échappement étaient
Saint-Cyrille et Saint-Méthode de pour réaliser la solution locale au dirigés vers le compartiment de
Prague. L’occupant allemand avait relié « problème juif » des nazis. Les pre- chargement du camion. Le ga-
l’organisation du spectaculaire acte de miers convois de Juifs de la région zage durait une vingtaine de mi-
résistance au petit village de Lidice, si- y arrivèrent le 8 décembre 1941 nutes ; une fois les victimes motes,
tué à 30 km de la capitale. En repré- pour y être gazés. Pour atteindre le camion se mettait en route
sailles, Lidice fut rasé le 10 juin 1942 et cet objectif, un Sonderkom- pour la forêt de Rzuchów, à 4 km
mando SS conduit par Herbert de Kulmhof. Là, les dépouilles
ses habitants assassinés sur place ou
Lange fut envoyé à Kulmhof. Ce étaient placées dans des fosses
déportés. 23 des 105 enfants du village
Sonderkommando prit possession collectives.
furent placés dans des familles alle- de l’église et du petit château De décembre 1941 à avril 1943,
mandes. Les 82 autres qui n’étaient pour y installer un centre d’exter- presque chaque jour, trois ca-
pas concernés par ce « programme de mination. Les victimes y arrivaient mions allaient et venaient du châ-
germanisation » furent envoyés dans le à pied ou en camion et un SS pro- teau à la forêt pour accomplir
petit village polonais de Chełmno nad nonçait une allocution rassu- cette effroyable tâche. D’un
Nerem où ils furent gazés. rante : ce petit château n’était point de vue chronologique, le

10 TRACES DE MÉMOIRE
La crypte de l’église Saint Cyrille et Saint Méthode est devenue,
à côté de Lidice, un des endroits marquants du martyrologe tchèque
© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Johan Puttemans

© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Johan Puttemans


Bustes de Jozef Gabcik et de Jan Kubiš
dans la crypte de l’église Saint Cyrille et
Saint Méthode à Prague

centre d’extermination de Le cas de Lidice (deuxième partie) autrichiens et luxembourgeois. En


Chełmno est le premier aménagé raison de leur jeune âge, les en-
par les nazis ; Bełżec, Auschwitz, Les 82 enfants qui ne répondaient fants de Lidice n’avaient pas la
Sobibór, Treblinka et Majdanek pas aux critères de placement moindre chance de travailler
suivront en 1942. dans une famille allemande fu- dans l’un ou l’autre camp ou
Chełmno fut le seul centre d’ex- rent envoyés dans la région de ghetto. La date exacte de leur ar-
termination à cesser son activité Litzmannstadt. De là, ils furent em- rivée (et de leur mort) à Chełmno
entre avril 1943 et avril 1944. Il fut menés à leur destination nale, reste inconnue. Nous connaissons
remis en service au mois de juin Chełmno, où ils furent assassinés néanmoins les noms des 82 en-
de cette même année et une selon la procédure décrite ci-des- fants qui y rencontrèrent une mort
partie des Juifs du sus. Ils forment ainsi, aux côtés des anonyme.
ghetto de Litzmannstadt (Łódź) y Polonais (non juifs), des Tsiganes
fut assassinée. Les historiens esti- assassinés à Chełmno, une ex- Frédéric Crahay
ment à au moins 152 000 le ception raciale. La plupart des Directeur
nombre de morts dans ce centre victimes de Chełmno était en ef- ASBL Mémoire d’Auschwitz
d’extermination. fet des Juifs polonais, allemands, Trad. : Émilie Syssau

N° 24 - JUIN 2017 11
APPLICATION
Une jeunesse perdue
PÉDAGOGIQUE

N O M
CLASSE
Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe ou à conserver

Le village martyr de Lidice paya le prix fort : non seulement les lieux ont été effacés de la
carte, mais 82 enfants ont également été assassinés.

Ré dige un exposé (en classe ou comme travail à domicile) traitant d’ « une jeunesse perdue ».
Voici quelques intitulé s et thè mes qui pourront t’ aider :
- « Ce qui a été… » (imagine la vie d’ un enfant qui a é té interrompue de façon
brutale.)
- « …n’est plus » (qu’ aurait pu devenir l’ enfant, s’ il avait vé cu ?)
- « Incompréhensible et inutile » (é cris un poè me sur l’ incompré hension d’ Henio en
tant que victime et l’ inutilité de sa mort [voir la rubrique « Ré flexion »].)
© www.tnn.pl

Le petit Henio et sa maman Sara

Remarques de l’enseignant/e
TRACES DE MÉMOIRE
est une publication
trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz

www.auschwitz.be

FICHE PÉDAGOGIQUE N° 4 - TRACES DE MÉMOIRE N° 24


saviez-vous que...

Janusz Korczak est resté avec ses orphelins jusqu'au bout ?

E n 1940, le plus grand


ghetto de la Pologne oc-
cupée est instauré par
les nazis à Varsovie. En mars 1941, en-
viron 460 000 Juifs y sont logés. Vers
la fin de cette même année, 415 000 y
vivent encore, dont 50 000 enfants.
© DR

Les plus jeunes et les orphelins sont


les plus durement touchés.
Dans l’orphelinat du célèbre péda-
gogue Janusz Korczak, il y a toujours Dom Sierot - la Maison des orphelins - qui avait engagé
Korczak comme directeur-médecin
de la place pour ces enfants dont les
parents meurent dans le ghetto. Le Janusz Korczak accompagné
docteur Korczak leur donne plus qu’un de « ses » orphelins
toit et un repas chaud. Malgré leurs

© DR
conditions de vie difficiles, ces enfants
bénéficient d’un enseignement et re- déportation en semblant d’excur- doktor [vieux docteur] ont mar-
çoivent tendresse et amour. Le bien- sion : il invite chacun à se prépa- ché ensemble vers leur n tra-
veillant docteur les a accompagnés rer, à prendre son animal en pe- gique.
jusque dans la mort ! luche préféré ; puis chaque
groupe se rend, fanion à la main,
Jusqu’ à ce que la mort nous sépare à l’Umschlagplatz (place de ras-
Que pourrais-je dire aux enfants en
semblement pour la déportation). guise d’ adieu…
Le 22 juillet 1942 marque le début Là, un ofcier allemand reconnaît
de l’extermination des Juifs du le docteur Korczak, un des au- Pendant la période du ghetto, le
ghetto de Varsovie. À la diffé- teurs de sa jeunesse choisi par sa docteur Janusz Korczak a tenu un
rence d’Adam Czerniaków, prési- mère et dont elle lui lisait au cou- journal. Il a écrit ce qui suit le 21
dent du Conseil juif de Varsovie, cher le livre archiconnu Dziecko juillet, veille du début des dépor-
qui, dès le début des déportations salonu [L’enfant du salon]. Sa- tations : « Il est dur de naître et
d’enfants, comprend qu’ils n’y chant pertinemment que le train d’apprendre à vivre. Ce qui me
survivront pas et dont le suicide entreprendra un voyage sans re- reste à faire est bien plus facile :
apparaît comme un acte ultime tour et qu’il ne ramènera pas âme mourir. Après la mort, ce sera
de résistance1, Janusz Korczak se qui vive, cet ofcier, durant l’em- peut-être dur à nouveau, mais je
sent responsable de « ses » en- barquement à bord des wagons n’y pense pas. Encore un an, en-
fants désemparés. de marchandises, autorise alors le core un mois, encore une heure.
Début août, l’ordre est donné de pédagogue à regagner le Je voudrais mourir conscient et lu-
déporter les orphelins vers « l’Est », ghetto. Mais, parce qu’elle ne cide. Je ne sais pas ce que je
euphémisme nazi qui désigne les s’applique pas aux orphelins, pourrais dire aux enfants en guise
centres de mise à mort. An de cette dérogation est inaccep- d’adieu. J’aimerais seulement
laisser les enfants dans l’igno- table pour Korczak : il est arrivé leur faire comprendre qu’ils sont
rance de l’issue fatale qui les at- avec ses enfants, il partira avec libres de choisir leur voie. »
tend, le Dr Korczak transforme leur eux. Jamais il ne laissera les orphe-
lins sans défense aller seuls vers la Johan Puttemans
mort ! À l’arrivée au centre d’ex- Coordinateur pédagogique
1 Voir la rubrique « Réexion » de termination de Treblinka, les en- ASBL Mémoire d’Auschwitz
Traces de Mémoire,n° 21 (2016), p. 15. fants, accompagnés de leur Stare Trad. : Émilie Syssau

N° 24 - JUIN 2017 13
réflexion

Return to Sender:
Henio inconnu à cette adresse...
« Zwrot do nadawcy » : des milliers de lettres estampil-
Henio, emblème de la Shoah en Po- lées de ces mots signifiant « retour à l’envoyeur », reviennent
chaque année aux enfants qui ont écrit à Henio Żytomirski, un petit
logne garçon « de leur âge ». Il ne s’agit pas d’une blague de mauvais
goût ni d’une méprise de la poste polonaise, mais d’un projet péda-
Depuis 1998, Teatr N.N. est installé gogique de sensibilisation mené par la ville polonaise de Lublin.
dans une des portes de la ville de
Lublin, jadis appelée « Porte des
Juifs ». Au cœur historique de Henio dans les années 1930
cette ville séculaire, la
Grodzkapoort (« Brama
Grodzka ») matérialisait la sépara-
tion entre quartiers juif et chrétien.
Le petit Henio occupe une place
importante dans l’exposition per-
manente, consacrée aux Juifs de
Lublin avant la Seconde Guerre
mondiale et dont l’existence est
ignorée aujourd’hui. Tomasz Pie-
trasiewicz, directeur du Teatr N.N.,
déclare qu’« il est impossible de se
souvenir des visages et des noms
de 40 000 personnes. Dans ce
cas, souvenons-nous d’un seul. Un
sourire timide, une chemisette à
col blanc, des culottes courtes de
couleur, coiffé d’une raie sur le
côté, des chaussettes rayées…
Henio. »
Henio est né le 25 mars 1933 ; il a
habité à Lublin avec ses parents.
Shmuel Żytomirski, son père, était
un enseignant passionné, politi-
quement engagé. Il nourrit le sou-
hait d’émigrer en Palestine, à la
suite de son frère qui avait déjà
quitté l’Europe devenue trop dan-
gereuse.
En 1939, à l’âge de six ans, Henio
doit, comme tous les enfants, en-
© www.tnn.pl

trer à l’école primaire. Mais le


1er septembre, la guerre éclate,
et la rentrée scolaire est ajournée.
La famille Żytomirski est contrainte

14 TRACES DE MÉMOIRE
© www.tnn.pl
La boîte destinée aux lettres à Henio

RÉFLEXIONS ÉTHIQUES
- Comment argumenterais-tu l’affirmation suivante : « Les

© www.tnn.pl
enfants sont les victimes parmi les victimes ! »
- Cherche 5 raisons pour lesquelles les enfants sont « l’in-
nocence » par excellence.
- Quelle a été la « faute » d’Henio qui en a fait si jeune la Henio devant la poste à l’endroit où se
victime d’un génocide ? Développe ta réponse. trouve la boîte de nos jours

de s’installer dans le ghetto de Lu- Le 9 novembre, suite à une sélec- au Teatr N.N. l’idée d’inviter les
blin à sa création en mars 1941. tion à Majdanek. Shmuel est en- écoliers à écrire le 19 avril, journée
Les déportations du ghetto de Lu- voyé dans un camp de travaux de commémoration de la Shoah
blin au centre d’extermination de forcés à l’extérieur de Majdanek. en Pologne, une lettre à leur
Bełżec se déroulent de la mi-mars Les personnes âgées et les en- « contemporain » Henio. Ces en-
à la mi-avril 1942. La mère et la fants, dont Henio, alors âgé de fants, qui grandissent pourtant
grand-mère de Henio sont emme- neuf ans, sont expédiés à la dans la ville où il habitait autrefois,
nées à Bełżec où elles sont aussi- chambre à gaz, et immédiate- ignorent le sort tragique de Henio.
tôt assassinées. Le petit garçon et ment gazés… Les enfants lui envoient des lettres,
son père échappent aux sélec- Comme par miracle, Shmuel des dessins et des poèmes. Mais ils
tions, très vraisemblablement échappe à la liquidation nale ne reçoivent jamais aucune ré-
grâce au J-Ausweiss (carte de tra- des Juifs de Lublin début no- ponse de Henio, seulement un
vail) de Shmuel. Ils sont transférés vembre 1943. En janvier 1944, il « retour à l’envoyeur, destinataire
dans le petit ghetto de Majdan envoie encore une lettre, mais inconnu ». Ce projet de sensibilisa-
Tatarski, situé juste à l’extérieur de n’assistera pas à la libération de tion qui comprend entre autres
la ville. Fin avril 1942, d’autres sé- Lublin en juillet 1944. Shmuel Żyto- une balade urbaine dans l’ancien
lections ont également lieu dans mirski meurt juste avant la n de la Lublin juif, vise à faire prendre
ce petit ghetto ; les Juifs raés sont guerre. conscience aux enfants de l’his-
alors fusillés dans la forêt voisine toire de la ville.
de Krępiec. Début novembre
Le projet « Lettres à Henio »
1942, le petit ghetto est liquidé.
Environ 3 000 Juifs, parmi lesquels Nous connaîtrions peu de choses Johan Puttemans
Shmuel et Henio, sont déportés au de la vie du petit Henio si son père Coordinateur pédagogique
camp de concentration de Lublin n’avait autant parlé de son ls ASBL Mémoire d’Auschwitz
(Majdanek). dans ses lettres. Voilà qui a donné Trad. : Émilie Syssau

N° 24 - JUIN 2017 15
varia

EXPRIME-TOI !
Appel aux enseignants :

Connaissez-vous le concours annuel d'expression


citoyenne organisé par l’ASBL Mémoire d’Auschwitz,
destiné aux élèves des deux dernières années de
l'enseignement secondaire supérieur et à tous les
réseaux d’enseignement ?

Le sujet pour 2016-2017 était :


« On peut tout accepter au nom de la démocratie ! »
Les lauréats 2016-2017:
Prix de la Fondation Auschwitz et
de la Députation permanente de
la Province de Brabant wallon
Lauréate : Elodie BAUDUIN (6ème)
Établissement scolaire : IPES Tubize
Prix de la Fondation Auschwitz et
de la Députation permanente de « “Peut-on tout accepter au nom
la Province de Luxembourg de la démocratie ?” Certains ex-
Lauréate : Cheyenne VANDE pliqueront cette citation de ma- Prix de la Fondation Auschwitz
VELDE (6ème) nière philosophique, psycholo- pour la Région de Bruxelles-Capi-
Établissement scolaire : Athénée gique, politique, juridique ou tale
Royal de Neufchâteau-Bertrix même scientique… Mais au- Lauréate : Marion Geubel (6ème)
jourd’hui, vu ce que le monde de- Établissement scolaire : Collège
« Il est vrai que nous devons ac- vient, je pense qu’il est important du Sacré-Cœur de Ganshoren
cepter un certain nombre de con- d’expliquer cette citation de la
traintes au nom de la démocratie manière la plus humaine qu’il soit : « Le monde a besoin de gens dif-
car elle est primordiale. Nous de- l’expliquer avec le cœur, avec férents, de révolutionnaires, de
vons nous battre pour elle, elle ga- mon cœur d’adolescente de gens qui feront des remous, qui
rantit notre liberté et notre droit de 17 ans, peut-être un peu naïve s’opposeront, qui feront entendre
parole. Nous ne pouvons pas re- mais aussi enthousiaste et passion- leur voix. Si ces personnes-là ve-
tomber dans les dictatures qui ont née. Le monde dans lequel je vis naient à disparaître, l’évolution
existé et qui ont écrasé le peuple. est un monde qui semble vaciller, deviendrait impossible et l’on se-
Nous devons être prêts à faire des évoluer vers un gouffre de peur et rait condamné à du surplace et,
sacrices pour elle, car chaque d’injustice. Et moi, je pense qu’il à terme, à un retour en arrière.
droit entraîne un devoir. Nous de- est temps de réagir et de dire Pour avoir une forme de démo-
vons, par exemple, être prêts à “non”. Non, nous ne pouvons pas cratie qui contente réellement le
écouter et accepter les opinions tout accepter au nom de la dé- peuple, il faudra donc constam-
différentes des nôtres si nous vou- mocratie. Pour préserver nos liber- ment la réviser et la modier. Mais,
lons avoir le droit, à notre tour, de tés et rester dans un monde civi- pour l’instant, elle n’est pas
nous exprimer. » lisé. » prête. »

16 TRACES DE MÉMOIRE
Le sujet pour
2017-2018 :
Prix de la Fondation Auschwitz et
de la Députation permanente de
Les Comment participer ?
la Province de Namur
Lauréate :
(5ème)
Margot COETSIER limites Le thème abordé ne devra
pas nécessairement être en
Établissement scolaire : Athénée
Royal François Bovesse - Namur de la relation avec le passé des
camps ou du génocide, mais
pourra également aborder
« Mes chers sujets,
J’écris cette lettre tandis que le
dernier soufe de mon petit frère
vérité plusieurs thèmes actuels tels
que l’intolérance, le racisme,
les valeurs démocratiques ou
quitte à jamais son corps. Je sais la citoyenneté. Il va de soi que
que vos intentions étaient nobles, toutes les matières enseignées
que vous ne cherchiez qu’à me peuvent participer à ce con-
sauver, mais maintenant que les cours.
dés sont lancés, laissez-moi vous
enseigner cette dernière leçon. Il peut s’agir d’un texte (disser-
Le lien qui unissait mon frère et moi tation, poème, etc.) ou d’un
vient d’être brisé. Sans lui, je ne travail plus créatif (photo, lm,
peux exister. Même s’il a pu me Prix de la Fondation Auschwitz maquette, peinture, théâtre,
mettre parfois en danger et pour la Province de Hainaut musique, animation de rue,
même me nuire, comprenez que Lauréate : Gabrielle MATHUES etc.)
je ne peux vivre sans lui. Les crimes (6ème)
que vous avez pu accepter pour Établissement scolaire : Collège Six prix composés d’un di-
me sauver, m’ont déchirée. Alors, Notre-Dame de Bon Secours - plôme, d’un chèque de
souvenez-vous : Peu importe la Binche 125,00 € et d’une invitation à
cause, elle ne peut être défendue participer gratuitement à
si on accepte, en son nom, des « Instable, telle est notre société notre prochain voyage
actes contraires aux valeurs actuelle. L’Amérique s’est trum- d’études à Auschwitz-Birke-
qu’elle doit elle-même protéger. pée, l’Europe est meurtrie par le nau, seront offerts conjointe-
Mon frère était ma valeur. C’était terrorisme et la crise migratoire ment par la Fondation
mon rôle d’être sa gardienne, sa empire. Les liens humains sont vé- Auschwitz et certaines pro-
protectrice car il représentait ce ritablement fragilisés, laissant vinces francophones du pays.
en quoi nous avons tous droit. place à l’individualisme. Comme
Mais s’il n’est plus, que suis-je l’afrme le sociologue Zygmunt Pour participer avec votre
alors ?” Bauman, nous vivons dans une classe, contactez Nathalie Pee-
Le village retint à tout jamais la le- “modernité liquide”, une société ters.
çon de leur reine disparue. Le qui se base sur une incertitude Par courrier :
corps de l’enfant fut récupéré et perpétuelle et joue sur la peur des ASBL Mémoire d’Auschwitz
les deux défunts, enterrés. Leur citoyens. Face à de tels enjeux Rue aux Laines 17 bte 50
tombe n’était ornée que de leur contemporains, pouvons-nous 1000 Bruxelles
Par fax :
prénom. La reine, pour laquelle ils encore tolérer de telles décisions
02 512 58 84
s’étaient tant battus, Démocratie socio-politiques sous prétexte que
Par courriel :
et le garçon qu’ils avaient aban- nous vivons dans une société dé-
nathalie.peeters@auschwitz.be
donné, Liberté. » mocratique basée sur la liberté ?

N° 24 - JUIN 2017 17
varia

Compte-rendu (en images) de notre


voyage d’études à Auschwitz-Birkenau 2017

Durant la 40e édition de notre


voyage d’études annuel à 2
Auschwitz-Birkenau qui s’est dé-
roulé du 10 au 14 avril 2017, 88 par-
ticipants parmi lesquels des lau-
réats de notre Concours d’expres-
sion citoyenne « Exprime-toi ! » ont
eu l’opportunité de visiter les
camps, le centre d’extermination,
le quartier Kazimierz à Cracovie,
l’ancien ghetto de Cracovie et la
ville d’ Oświęcim.

Photo 1 : Wagon de déportation à Birkenau


Photo 2 : Barbelé électrifié à Auschwitz
Photo 3 : Cérémonie à Auschwitz
Photo 4 : Bloc 24 à Auschwitz
Photo 5 : Portail d’entrée d’Auschwitz
Photo 6 : Miradors à Birkenau 1 3
Photo 7 : Portail d’entrée de Birkenau

4 5 7
© Toutes les photos ASBL Mémoire d’Auschwitz/Georges Boschloos

18 TRACES DE MÉMOIRE
DOSSIN
Une étude menée
à la manière d’une
enquête policière
Laurence Schram

De 1942 à 1944, 25 000 Juifs et judiciaires et des illustrations, met- thèmes que le lecteur pourra dé-
350 Tsiganes sont déportés de la tent en lumière les parcours de couvrir dans cet ouvrage de réfé-
caserne Dossin (Malines) à tous les acteurs en présence: les rence.
Auschwitz-Birkenau. SS, qui règnent en maîtres absolus, Proche collaboratrice de Maxime
Comme Drancy ou Westerbork, la leurs auxiliaires et leurs victimes, Steinberg, Laurence Schram a
fonction de ce rouage essentiel juives et tsiganes. participé à la réalisation du Mu-
de la Shoah consiste à rassembler Laurence Schram analyse tous les sée Juif de la Déportation et de la
les déportés raciaux en vue de aspects de la vie quotidienne des Résistance (1995), où elle a assuré
leur déportation génocidaire. Un internés, depuis leur arrivée à la direction du centre de docu-
voyage sans retour pour 95 % Dossin jusqu’à leur embarque- mentation. Auteure d’études sur
d’entre eux. ment dans les trains qui les dépor- la Shoah en Belgique, elle est au-
Pour la première fois, l’histoire de tent. Le fonctionnement du jourd’hui Senior Researcher au
ce camp de rassemblement fait camp, la faim, le manque d’hy- centre de documentation de
l’objet d’une étude scientique giène, les mauvais traitements, la Kazerne Dossin. Son doctorat con-
approfondie, menée à la manière collaboration ou la résistance, la sacré à l’histoire de la caserne
d’une enquête policière. Des situation particulière des Tsiganes, Dossin(2015) a reçu le Prix Natan
sources nouvelles ou inexploitées, l’organisation des convois, la libé- Ramet et le Prix Jacques Rozen-
des témoignages, des dépositions ration du camp… sont autant de berg (Fondation Auschwitz) en 2016.

N° 24 - JUIN 2017 19
varia

Traces de Mémoire
Édition spéciale n° 25

Comment visiter un lieu


mémoriel avec des enfants
d’aujourdhui ?
Le prochain numéro de Traces de
Mémoire (n° 25) traitera de la pré-
paration d’une visite du Fort de
Breendonk. Si vous souhaitiez vous
y rendre avec vos élèves, ce nu-
méro hors-série, gratuit, préparé
sous la forme d’un dossier péda-
gogique en collaboration avec le
Fort de Breendonk, vous sera
d’une aide précieuse. N’hésitez
pas à le commander dès sep-
tembre 2017 auprès de l’ASBL Mé-
moire d’Auschwitz :
info@auschwitz.be
ou auprès du Fort de Breendonk :
info@breendonk.be

POUR UNE PRISE ASBL Mémoire d’Auschwitz - Tél. : 02 512 79 98 info@auschwitz.be


DE CONTACT Fondation Auschwitz
Rue aux Laines, 17 bte 50 - 1000 Bruxelles
Fax : 02 512 58 84 www.auschwitz.be

Publication réalisée grâce au soutien de

Directeur de la publication : Henri Goldberg


Rédacteurs en chef : Frédéric Crahay, Johan Puttemans
Secrétaire de rédaction : Georges Boschloos
Comité de rédaction : Marjan Verplancke, Thierry
De Win, Yves Monin, Jean Cardoen, Yannik van Praag SPF Sécurité Sociale
Graphiste : Georges Boschloos Services des
Imprimeur : EVM Print Victimes de la Guerre

20 TRACES DE MÉMOIRE - N° 24 - JUIN 2017

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