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Traces de Mémoire 24
Traces de Mémoire 24
n° 24 BELGIQUE - BELGIË
PP
Juin BRUXELLES X
2017 1/9464
DE MÉMOIRE
PÉDAGOGIE ET TRANSMISSION
CENTRE D’ÉTUDES ET DE DOCUMENTATION
MÉMOIRE D’AUSCHWITZ ASBL
| TRIMESTRIEL N° 24 | AVRIL - MAI - JUIN 2017
| BUREAU DE DÉPÔT : BRUXELLES X | N° AGRÉGATION P 801056
SOMMAIRE
ACTUALITÉ
Les enfants victimes, une atteinte
atemporelle aux fondements
de l'humanité
p. 2
AUSCHWITZ
Jacqueline Bernheim
Assassinée à l’âge de 6 ans
p. 4
APPROFONDISSEMENT
Enfance et guerre :
Quand les enfants de la
Maison d’Izieu nous parlent...
p. 6
INTERROGATION
Sélectionnés pour mourir.
© DR
RÉFLEXION
Return to Sender:
Henio inconnu à cette adresse L’enfant : la victime la plus
vulnérable dans les situations
p. 14
VARIA
p. 16
dramatiques de guerres
Éditeur responsable
Henri Goldberg
et de conflits
ASBL Mémoire
Mémoire d’Auschwitz
d’Auschwitz
ASBL
65,
Ruerue
auxdes
Laines,
Tanneurs
17 bte- 50
1000
- 1000
Bruxelles
Bruxelles
actualité
Majorité – une question de cons- Un rapport alarmant de l’ UNICEF récemment décédés. Il dénom-
brait par ailleurs 4 à 5 millions d’en-
cience morale ? Malheureusement, les nazis n’ont fants invalides, quelque 12 millions
La question peut paraître un peu pas été les seuls à s’en prendre d’enfants désormais sans toit et
étrange, dans la mesure où nous aux enfants. Après la Seconde plus d’un million séparés de leurs
venons d’afrmer que la majorité Guerre mondiale, les Nations parents ou orphelins. Quelque
est une notion juridique. Le seuil unies tout juste créées se sont 10 millions d’enfants avaient con-
des 18 ans a été justié par le dé- donné pour mission de préserver tracté des traumatismes à vie. La
veloppement du cerveau, et no- la paix dans le monde. Une ambi- hausse du nombre d’enfants vic-
tamment du cortex préfrontal, qui tion qui s’est révélée exagéré- times s’explique par le fait que les
intervient entre autres dans la ment optimiste au cours des dé- récents conits ont fait plus de
prise de décisions morales. Ce cennies suivantes : entre 1944 et morts civils que les précédents,
lobe du cerveau se développe 1992, les Nations unies ont réperto- qui étaient essentiellement de na-
jusqu’à l’âge de 20 à 25 ans. Du- rié 149 grands conits, qui ont fait ture militaire. Ainsi, durant la Se-
rant les dix premières années, plus de 23 millions de morts, soit conde Guerre mondiale, la part
l’éducation et l’enseignement for- deux fois plus que le nombre de des victimes civiles du conit re-
ment la norme « anatomorale ». décès enregistrés pour tout le présentait les deux tiers de l’en-
Les nazis ne se préoccupaient XIXe siècle. Des enfants ont été semble des victimes, alors qu’à la
guère de déterminer la majorité victimes de chacun de ces con- n des années 1980, elle s’élevait
en fonction du développement its armés, de la famine ou de la à 90 %. Ce nombre élevé de vic-
moral. Dans le camp de concen- pénurie en eau potable. En cas times civiles est dû en premier lieu
tration et le centre d’extermina- de famine, les enfants courent un au perfectionnement des armes
tion d’Auschwitz-Birkenau, les en- grand risque, car ils ne reçoivent de guerre. Comparées aux
fants n’avaient pas le droit d’ac- pas les nutriments essentiels à leur champs de bataille classiques, les
céder au secteur concentration- croissance et sont également attaques par bombes et missiles
naire. Ils n’étaient d’aucune utilité bien plus sensibles aux germes in- génèrent naturellement bien plus
(économique ou ontologique) fectieux. de dégâts et touchent donc bien
pour les nazis et étaient donc im- Au début des années 2000, un davantage de civils. Que l’on
médiatement conduits à la rapport des Nations unies a estimé pense à Hiroshima et Nagasaki,
chambre à gaz. à 2 millions le nombre d’enfants réduites à néant par seulement
2 TRACES DE MÉMOIRE
Les enfants sont toujours les victimes
les plus vulnérables lors des conflits.
N° 24 - JUIN 2017 3
auschwitz
Jacqueline
BERNHEIM
Assassinée à l’âge de 6 ans
Jacqueline Bernheim
(11 mai 1938 - 25 mai 1944)
J acqueline Bernheim
est âgée de deux ans
lorsque la guerre
éclate. Elle vit alors à Bruxelles où
elle a vu le jour le 11 mai 1938. Sa
maman, Olga, est la lle de Mau-
rice Kouperman, propriétaire
d’une orissante usine d’embal-
lage métallique à Laeken. Son
père, Paul Bernheim est un brillant
ingénieur sorti de l’Université de
Liège, cadre à la Sona, société -
nancière. Ses parents sont mariés
depuis 1933. Au mois de mai 1940,
lorsque la Belgique est envahie, la
famille Bernheim-Kouperman,
comme des milliers d’autres fa-
milles belges, prend la route de
l’exode vers la France. Jacque-
line, ses parents, sa grand-mère et
son oncle maternels voyagent
jusque dans le sud-ouest de la
France. Ils s’installent à Cahors
dans ce qui était alors la « zone
libre ». Là, ils mènent une vie ordi-
naire, les autorités locales con-
naissent leur situation et Jacque-
© Archives Fondation Auschwitz
4 TRACES DE MÉMOIRE
© Fondation Auschwitz/Sacha Kullberg
Gestapo le 7 mai 1944. Ils sont belge. À son décès en 1993, elle
transférés au camp de rassemble- lègue la plus grande partie de sa
ment de Drancy, principal lieu de fortune à diverses œuvres parmi
déportation des Juifs en France. lesquelles le Fonds pour la Chirur-
Le 20 mai 1944, la famille est dé- gie Cardiaque qui, pour pérenni-
portée à Auschwitz par le convoi ser la mémoire de sa lle crée un
numéro 74. Jacqueline qui vient « Prix Scientique Jacqueline
de fêter son sixième anniversaire, Bernheim ». Elle fait également un
sa grand-mère et probablement don à la Fondation Auschwitz (qui
son père disparaissent dans les a succédé à l’Amicale de Silésie)
Olga Kouperman-Bernheim
chambres à gaz de Birkenau dès qui, depuis, honore la mémoire de
(03 février 1906 - 19 mai 1993)
leur arrivée. Seule sa maman survit Jacqueline Bernheim en dépo-
au camp et aux marches de la sant une gerbe de eurs sur
mort. Olga Kouperman ne se ré- l’étang de Birkenau lors du
soudra à la perte de sa lle que voyage d’études qu’elle organise
des années plus tard puisque l’on chaque année à Auschwitz.
trouve dans sa correspondance
une lettre de 1952 faisant réfé- Sarah Timperman
rence à des recherches en cours ASBL Mémoire d’Auschwitz
concernant des enfants déportés.
Elle conservera d’ailleurs précieu- Sources : « En mémoire de la pe-
sement les affaires, vêtements et tite Jacqueline Bernheim » : site in-
jouets de sa lle. Elle ne se rema- ternet du Fonds pour la Chirurgie
riera pas et n’aura pas d’autre en- Cardiaque http://hart-chirurgie-
fant. Elle se consacre à la peinture cardiaque.org/spip.php?ar-
et aux activités sociales tout en ticle29 (consulté le 04/01/2017);
© Centrale, juin 1990, n° 249, p. 25
N° 24 - JUIN 2017 5
approfondissement
Enfance et guerre :
Quand les enfants de la Maison d’Izieu nous parlent...
Les enfants font souvent partie des victimes innocentes de la guerre. Dans
le cas de la colonie d’Izieu, cette réalité est d’autant plus cruelle que ces enfants ont
été assassinés uniquement pour ce qu’ils étaient : des Juifs. Mais pourquoi les
histoires d’enfants martyrs nous interpellent-elles à ce point ?
6 TRACES DE MÉMOIRE
terme de trois jours de voyage
éprouvant. Seule l’éducatrice
Léa Feldblaum survivra. Elle est af-
© Mémorial des Enfants d’Izieu
N° 24 - JUIN 2017 7
Photo de Sabine et Miron Zlatin
© DR
fonde l’association du « Musée- texte historique de Vichy, l'autre un esprit colonie de vacances
Mémorial d’Izieu », qui sera à l’ori- concerne la Maison d'Izieu. » Au avec les baignades, préparation
gine de la création du « Musée- cours du premier semestre 2016, des repas, travaux au jardin… Les
mémorial des enfants d’Izieu » l'exposition a tourné dans lettres, les dessins sont pleins d’es-
dans les anciens bâtiments de la quelques écoles, aux Arts et Mé- poir », poursuit Bettina Vanher-
colonie, avant d’être renommé tiers à La Louvière, au Cercle d'his- weghem. « Dans cette exposition,
en 2000 « Maison d’Izieu, mémo- toire de l'ULB et à l'Association Pa- les photos ne représentent que du
rial des enfants juifs exterminés ». trimoine et Histoire d’Ham-sur- bonheur, il n’y a pas de visions de
Heure. morts, ni de camps. L'exposition se
Les enfants belges d'Izieu En pratique, il y a deux exposi- termine à la veille de la rae,
tions, l'une est consacrée exclusi- avec une lettre où une maman
« Il y a un lien avec notre pays et vement aux enfants belges et aux souhaite de bonnes vacances de
aussi avec le Grand-Duché de enfants luxembourgeois. Elle pré- Pâques… On peut présenter l'ex-
Luxembourg », explique Bettina sente les enfants, d’où ils vien- position à des enfants de 5e pri-
Vanherweghem, en charge de nent. Les noms en gras sont ceux maire sans aucun problème.
l'exposition itinérante en Belgique. des enfants qui ont été gazés. C’est plus dur pour les adultes. »
« Plusieurs enfants belges sont L’autre raconte la vie quotidienne
passés par la maison d'Izieu : 2 ve- des enfants pendant l’existence Un processus d'identification
naient de Bruxelles, 3 de Liège et de la colonie.
8 d'Anvers. L'exposition va tourner Soit, de sa création à la rae du Selon Bertrand Wert, qui a été
pour une période de trois ans mi- 6 avril 1944 : comment cela se vice-président de la Maison
nimum en Belgique et elle est ré- passait-il, comment a été créée d'Izieu (2012-2015), et qui vit à
servée pour un an au Grand-Du- cette maison, comment les en- Bruxelles aujourd'hui, « il y a à tra-
ché de Luxembourg (2019-2020). fants sont arrivés dans ce refuge… vers cette exposition un processus
Avec mes cartons sous le bras, je Le plus souvent, ils venaient des d'identication, très puissant qui
présente la Maison d'Izieu aux camps d’internement du Midi de se met en place. Une forme d'em-
écoles, aux associations... Je la France. pathie. C'est beaucoup plus ef-
forme des guides et je donne des Tout au long de l’été 1943, les en- cace. Cela nous permet de
conférences. J'ai conçu deux li- fants se sont succédé : enfants mettre des noms sur les enfants,
vrets-syllabus : l'un retrace le con- juifs et enfants non-juifs. « Il y avait de donner de la chair aux faits...
8 TRACES DE MÉMOIRE
On rentre dans l'humain, plutôt pavé de mémoire d’Émile Zuck- cun n’a été repris sur les listes des
que dans l'analyse sèche des erberg – un enfant juif réfugié à convois de déportation. Parmi
faits. En même temps, il faut sortir Izieu et déporté – et Aylan – l'en- ceux qui sont sortis d’Izieu avant la
du pathos, du sentimental, pour fant réfugié trouvé mort sur une rae, beaucoup ont retrouvé leurs
revenir à l'analyse, pour voir ce plage. C'est le même parcours, parents ou ont été recachés
que cela nous apporte dans la même s'il est différent. Peut-être jusqu’à la n de la guerre. Ils orga-
contemporanéité. On a été rat- que dans 30 ans, ces élèves feront nisent des réunions d’anciens.
trapés par les événements. Dans un travail de mémoire pour les en- Certains témoignent comme Hé-
tout le contexte des attentats, fants réfugiés d'aujourd'hui. Il y a lène Waysenson, Samuel Pintel et
cela nous fait rencontrer des gens des parallèles à faire en travaillant Paul Niedermann. Mais la « re-
comme Ismael Saïdi 1 . L'actualité sur les valeurs, y compris avec des construction » des enfants qui ont
fait se rencontrer la communauté enfants qui ont des a priori. Il faut quitté Izieu avant la rae n'est pas
juive et les autres. Ce n'est pas y aller, ce n'est pas évident, mais toujours facile, comme l'observe
toujours très facile. Les a priori sur il faut le faire. Cela permet d'en- Bettina Vanherweghem. Cela fait
les autres sont très présents. Mais gager la discussion. » d'ailleurs partie de ses projets :
ces rencontres ont donc du sens. « C'est important de montrer
C'est important de faire des ponts qu'on peut se reconstruire. Quand
entre les communautés. » Son ar- Pour aller plus loin tu perds tes amis d’enfance, com-
rivée à Bruxelles est d'ailleurs liée à ment tu te reconstruis après ?
sa volonté de faire connaître l'his- La tragédie d'Izieu continue de Comment fais-tu après pour re-
toire des enfants d'Izieu aux institu- nous interpeller, tout comme les tourner à l’école, fonder une fa-
tions européennes, vu que les en- autres tragédies qui frappent mille, renouer des liens d’ami-
fants provenaient de différents d'autres enfants aujourd'hui. La tié ? » Des questions que se po-
pays de l'Union européenne. différence tient dans le fait que les sent sans doute aussi des enfants
Toujours dans le processus d'iden- enfants juifs étaient traqués, dé- réfugiés aujourd'hui et auxquelles
tication, Bertrand Wert pointe le portés et assassinés par choix les adultes sont censés apporter
travail de l'asbl TADA, active dans idéologique et politique. L'action des réponses.
les écoles de devoirs sur la com- de sauvetage menée par la colo-
mune de Saint-Josse : « Elle a fait nie d'Izieu – comme ailleurs – a Baudouin Massart
un travail de mémoire autour du permis de sauver 61 enfants. Au- Éducation permanente
http://www.auschwitz.be/images/
_expertises/2016-massart-izieu.pdf
Exposition sur
la vie quotidienne
des enfants cachés
juifs de la colonie d’Izieu
(mai 1943 – 6 avril 1944) 1 Pour disposer de l’exposition,
contactez Bettina Vanher-
weghem, 4 Rue du Château , 6150
Anderlues – Tél. : + 32.495.53.98.85
– courriel : bettinavhw@live.be,
2 Le site du Mémorial reprend une
N° 24 - JUIN 2017 9
interrogation
Sélectionnés
pour mourir
‚
Chełmno : le premier centre d ex- qu’un lieu de transit où l’arrêt était
prescrit pour des raisons d’hy-
termination
giène. On assurait aux gens qu’un
10 TRACES DE MÉMOIRE
La crypte de l’église Saint Cyrille et Saint Méthode est devenue,
à côté de Lidice, un des endroits marquants du martyrologe tchèque
© ASBL Mémoire d’Auschwitz/Johan Puttemans
N° 24 - JUIN 2017 11
APPLICATION
Une jeunesse perdue
PÉDAGOGIQUE
N O M
CLASSE
Vous trouverez chaque trimestre dans votre TRACES DE MÉMOIRE une application pédagogique avec une fiche didactique à utiliser en classe ou à conserver
Le village martyr de Lidice paya le prix fort : non seulement les lieux ont été effacés de la
carte, mais 82 enfants ont également été assassinés.
Ré dige un exposé (en classe ou comme travail à domicile) traitant d’ « une jeunesse perdue ».
Voici quelques intitulé s et thè mes qui pourront t’ aider :
- « Ce qui a été… » (imagine la vie d’ un enfant qui a é té interrompue de façon
brutale.)
- « …n’est plus » (qu’ aurait pu devenir l’ enfant, s’ il avait vé cu ?)
- « Incompréhensible et inutile » (é cris un poè me sur l’ incompré hension d’ Henio en
tant que victime et l’ inutilité de sa mort [voir la rubrique « Ré flexion »].)
© www.tnn.pl
Remarques de l’enseignant/e
TRACES DE MÉMOIRE
est une publication
trimestrielle de
l’ASBL Mémoire d’Auschwitz
www.auschwitz.be
© DR
conditions de vie difficiles, ces enfants
bénéficient d’un enseignement et re- déportation en semblant d’excur- doktor [vieux docteur] ont mar-
çoivent tendresse et amour. Le bien- sion : il invite chacun à se prépa- ché ensemble vers leur n tra-
veillant docteur les a accompagnés rer, à prendre son animal en pe- gique.
jusque dans la mort ! luche préféré ; puis chaque
groupe se rend, fanion à la main,
Jusqu’ à ce que la mort nous sépare à l’Umschlagplatz (place de ras-
Que pourrais-je dire aux enfants en
semblement pour la déportation). guise d’ adieu…
Le 22 juillet 1942 marque le début Là, un ofcier allemand reconnaît
de l’extermination des Juifs du le docteur Korczak, un des au- Pendant la période du ghetto, le
ghetto de Varsovie. À la diffé- teurs de sa jeunesse choisi par sa docteur Janusz Korczak a tenu un
rence d’Adam Czerniaków, prési- mère et dont elle lui lisait au cou- journal. Il a écrit ce qui suit le 21
dent du Conseil juif de Varsovie, cher le livre archiconnu Dziecko juillet, veille du début des dépor-
qui, dès le début des déportations salonu [L’enfant du salon]. Sa- tations : « Il est dur de naître et
d’enfants, comprend qu’ils n’y chant pertinemment que le train d’apprendre à vivre. Ce qui me
survivront pas et dont le suicide entreprendra un voyage sans re- reste à faire est bien plus facile :
apparaît comme un acte ultime tour et qu’il ne ramènera pas âme mourir. Après la mort, ce sera
de résistance1, Janusz Korczak se qui vive, cet ofcier, durant l’em- peut-être dur à nouveau, mais je
sent responsable de « ses » en- barquement à bord des wagons n’y pense pas. Encore un an, en-
fants désemparés. de marchandises, autorise alors le core un mois, encore une heure.
Début août, l’ordre est donné de pédagogue à regagner le Je voudrais mourir conscient et lu-
déporter les orphelins vers « l’Est », ghetto. Mais, parce qu’elle ne cide. Je ne sais pas ce que je
euphémisme nazi qui désigne les s’applique pas aux orphelins, pourrais dire aux enfants en guise
centres de mise à mort. An de cette dérogation est inaccep- d’adieu. J’aimerais seulement
laisser les enfants dans l’igno- table pour Korczak : il est arrivé leur faire comprendre qu’ils sont
rance de l’issue fatale qui les at- avec ses enfants, il partira avec libres de choisir leur voie. »
tend, le Dr Korczak transforme leur eux. Jamais il ne laissera les orphe-
lins sans défense aller seuls vers la Johan Puttemans
mort ! À l’arrivée au centre d’ex- Coordinateur pédagogique
1 Voir la rubrique « Réexion » de termination de Treblinka, les en- ASBL Mémoire d’Auschwitz
Traces de Mémoire,n° 21 (2016), p. 15. fants, accompagnés de leur Stare Trad. : Émilie Syssau
N° 24 - JUIN 2017 13
réflexion
Return to Sender:
Henio inconnu à cette adresse...
« Zwrot do nadawcy » : des milliers de lettres estampil-
Henio, emblème de la Shoah en Po- lées de ces mots signifiant « retour à l’envoyeur », reviennent
chaque année aux enfants qui ont écrit à Henio Żytomirski, un petit
logne garçon « de leur âge ». Il ne s’agit pas d’une blague de mauvais
goût ni d’une méprise de la poste polonaise, mais d’un projet péda-
Depuis 1998, Teatr N.N. est installé gogique de sensibilisation mené par la ville polonaise de Lublin.
dans une des portes de la ville de
Lublin, jadis appelée « Porte des
Juifs ». Au cœur historique de Henio dans les années 1930
cette ville séculaire, la
Grodzkapoort (« Brama
Grodzka ») matérialisait la sépara-
tion entre quartiers juif et chrétien.
Le petit Henio occupe une place
importante dans l’exposition per-
manente, consacrée aux Juifs de
Lublin avant la Seconde Guerre
mondiale et dont l’existence est
ignorée aujourd’hui. Tomasz Pie-
trasiewicz, directeur du Teatr N.N.,
déclare qu’« il est impossible de se
souvenir des visages et des noms
de 40 000 personnes. Dans ce
cas, souvenons-nous d’un seul. Un
sourire timide, une chemisette à
col blanc, des culottes courtes de
couleur, coiffé d’une raie sur le
côté, des chaussettes rayées…
Henio. »
Henio est né le 25 mars 1933 ; il a
habité à Lublin avec ses parents.
Shmuel Żytomirski, son père, était
un enseignant passionné, politi-
quement engagé. Il nourrit le sou-
hait d’émigrer en Palestine, à la
suite de son frère qui avait déjà
quitté l’Europe devenue trop dan-
gereuse.
En 1939, à l’âge de six ans, Henio
doit, comme tous les enfants, en-
© www.tnn.pl
14 TRACES DE MÉMOIRE
© www.tnn.pl
La boîte destinée aux lettres à Henio
RÉFLEXIONS ÉTHIQUES
- Comment argumenterais-tu l’affirmation suivante : « Les
© www.tnn.pl
enfants sont les victimes parmi les victimes ! »
- Cherche 5 raisons pour lesquelles les enfants sont « l’in-
nocence » par excellence.
- Quelle a été la « faute » d’Henio qui en a fait si jeune la Henio devant la poste à l’endroit où se
victime d’un génocide ? Développe ta réponse. trouve la boîte de nos jours
de s’installer dans le ghetto de Lu- Le 9 novembre, suite à une sélec- au Teatr N.N. l’idée d’inviter les
blin à sa création en mars 1941. tion à Majdanek. Shmuel est en- écoliers à écrire le 19 avril, journée
Les déportations du ghetto de Lu- voyé dans un camp de travaux de commémoration de la Shoah
blin au centre d’extermination de forcés à l’extérieur de Majdanek. en Pologne, une lettre à leur
Bełżec se déroulent de la mi-mars Les personnes âgées et les en- « contemporain » Henio. Ces en-
à la mi-avril 1942. La mère et la fants, dont Henio, alors âgé de fants, qui grandissent pourtant
grand-mère de Henio sont emme- neuf ans, sont expédiés à la dans la ville où il habitait autrefois,
nées à Bełżec où elles sont aussi- chambre à gaz, et immédiate- ignorent le sort tragique de Henio.
tôt assassinées. Le petit garçon et ment gazés… Les enfants lui envoient des lettres,
son père échappent aux sélec- Comme par miracle, Shmuel des dessins et des poèmes. Mais ils
tions, très vraisemblablement échappe à la liquidation nale ne reçoivent jamais aucune ré-
grâce au J-Ausweiss (carte de tra- des Juifs de Lublin début no- ponse de Henio, seulement un
vail) de Shmuel. Ils sont transférés vembre 1943. En janvier 1944, il « retour à l’envoyeur, destinataire
dans le petit ghetto de Majdan envoie encore une lettre, mais inconnu ». Ce projet de sensibilisa-
Tatarski, situé juste à l’extérieur de n’assistera pas à la libération de tion qui comprend entre autres
la ville. Fin avril 1942, d’autres sé- Lublin en juillet 1944. Shmuel Żyto- une balade urbaine dans l’ancien
lections ont également lieu dans mirski meurt juste avant la n de la Lublin juif, vise à faire prendre
ce petit ghetto ; les Juifs raés sont guerre. conscience aux enfants de l’his-
alors fusillés dans la forêt voisine toire de la ville.
de Krępiec. Début novembre
Le projet « Lettres à Henio »
1942, le petit ghetto est liquidé.
Environ 3 000 Juifs, parmi lesquels Nous connaîtrions peu de choses Johan Puttemans
Shmuel et Henio, sont déportés au de la vie du petit Henio si son père Coordinateur pédagogique
camp de concentration de Lublin n’avait autant parlé de son ls ASBL Mémoire d’Auschwitz
(Majdanek). dans ses lettres. Voilà qui a donné Trad. : Émilie Syssau
N° 24 - JUIN 2017 15
varia
EXPRIME-TOI !
Appel aux enseignants :
16 TRACES DE MÉMOIRE
Le sujet pour
2017-2018 :
Prix de la Fondation Auschwitz et
de la Députation permanente de
Les Comment participer ?
la Province de Namur
Lauréate :
(5ème)
Margot COETSIER limites Le thème abordé ne devra
pas nécessairement être en
Établissement scolaire : Athénée
Royal François Bovesse - Namur de la relation avec le passé des
camps ou du génocide, mais
pourra également aborder
« Mes chers sujets,
J’écris cette lettre tandis que le
dernier soufe de mon petit frère
vérité plusieurs thèmes actuels tels
que l’intolérance, le racisme,
les valeurs démocratiques ou
quitte à jamais son corps. Je sais la citoyenneté. Il va de soi que
que vos intentions étaient nobles, toutes les matières enseignées
que vous ne cherchiez qu’à me peuvent participer à ce con-
sauver, mais maintenant que les cours.
dés sont lancés, laissez-moi vous
enseigner cette dernière leçon. Il peut s’agir d’un texte (disser-
Le lien qui unissait mon frère et moi tation, poème, etc.) ou d’un
vient d’être brisé. Sans lui, je ne travail plus créatif (photo, lm,
peux exister. Même s’il a pu me Prix de la Fondation Auschwitz maquette, peinture, théâtre,
mettre parfois en danger et pour la Province de Hainaut musique, animation de rue,
même me nuire, comprenez que Lauréate : Gabrielle MATHUES etc.)
je ne peux vivre sans lui. Les crimes (6ème)
que vous avez pu accepter pour Établissement scolaire : Collège Six prix composés d’un di-
me sauver, m’ont déchirée. Alors, Notre-Dame de Bon Secours - plôme, d’un chèque de
souvenez-vous : Peu importe la Binche 125,00 € et d’une invitation à
cause, elle ne peut être défendue participer gratuitement à
si on accepte, en son nom, des « Instable, telle est notre société notre prochain voyage
actes contraires aux valeurs actuelle. L’Amérique s’est trum- d’études à Auschwitz-Birke-
qu’elle doit elle-même protéger. pée, l’Europe est meurtrie par le nau, seront offerts conjointe-
Mon frère était ma valeur. C’était terrorisme et la crise migratoire ment par la Fondation
mon rôle d’être sa gardienne, sa empire. Les liens humains sont vé- Auschwitz et certaines pro-
protectrice car il représentait ce ritablement fragilisés, laissant vinces francophones du pays.
en quoi nous avons tous droit. place à l’individualisme. Comme
Mais s’il n’est plus, que suis-je l’afrme le sociologue Zygmunt Pour participer avec votre
alors ?” Bauman, nous vivons dans une classe, contactez Nathalie Pee-
Le village retint à tout jamais la le- “modernité liquide”, une société ters.
çon de leur reine disparue. Le qui se base sur une incertitude Par courrier :
corps de l’enfant fut récupéré et perpétuelle et joue sur la peur des ASBL Mémoire d’Auschwitz
les deux défunts, enterrés. Leur citoyens. Face à de tels enjeux Rue aux Laines 17 bte 50
tombe n’était ornée que de leur contemporains, pouvons-nous 1000 Bruxelles
Par fax :
prénom. La reine, pour laquelle ils encore tolérer de telles décisions
02 512 58 84
s’étaient tant battus, Démocratie socio-politiques sous prétexte que
Par courriel :
et le garçon qu’ils avaient aban- nous vivons dans une société dé-
nathalie.peeters@auschwitz.be
donné, Liberté. » mocratique basée sur la liberté ?
N° 24 - JUIN 2017 17
varia
4 5 7
© Toutes les photos ASBL Mémoire d’Auschwitz/Georges Boschloos
18 TRACES DE MÉMOIRE
DOSSIN
Une étude menée
à la manière d’une
enquête policière
Laurence Schram
De 1942 à 1944, 25 000 Juifs et judiciaires et des illustrations, met- thèmes que le lecteur pourra dé-
350 Tsiganes sont déportés de la tent en lumière les parcours de couvrir dans cet ouvrage de réfé-
caserne Dossin (Malines) à tous les acteurs en présence: les rence.
Auschwitz-Birkenau. SS, qui règnent en maîtres absolus, Proche collaboratrice de Maxime
Comme Drancy ou Westerbork, la leurs auxiliaires et leurs victimes, Steinberg, Laurence Schram a
fonction de ce rouage essentiel juives et tsiganes. participé à la réalisation du Mu-
de la Shoah consiste à rassembler Laurence Schram analyse tous les sée Juif de la Déportation et de la
les déportés raciaux en vue de aspects de la vie quotidienne des Résistance (1995), où elle a assuré
leur déportation génocidaire. Un internés, depuis leur arrivée à la direction du centre de docu-
voyage sans retour pour 95 % Dossin jusqu’à leur embarque- mentation. Auteure d’études sur
d’entre eux. ment dans les trains qui les dépor- la Shoah en Belgique, elle est au-
Pour la première fois, l’histoire de tent. Le fonctionnement du jourd’hui Senior Researcher au
ce camp de rassemblement fait camp, la faim, le manque d’hy- centre de documentation de
l’objet d’une étude scientique giène, les mauvais traitements, la Kazerne Dossin. Son doctorat con-
approfondie, menée à la manière collaboration ou la résistance, la sacré à l’histoire de la caserne
d’une enquête policière. Des situation particulière des Tsiganes, Dossin(2015) a reçu le Prix Natan
sources nouvelles ou inexploitées, l’organisation des convois, la libé- Ramet et le Prix Jacques Rozen-
des témoignages, des dépositions ration du camp… sont autant de berg (Fondation Auschwitz) en 2016.
N° 24 - JUIN 2017 19
varia
Traces de Mémoire
Édition spéciale n° 25