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Marjane: une féministe islamique

Par : Andrés Mauricio Toquica Quintero

Persepolis nous raconte l'histoire d'une femme indigne, prostituée, impure et pécheresse;

incapable de suivre les règles non seulement de sa société, mais de Dieu lui-même. C'est du

moins la perception de la culture musulmane envers une femme qui se comporte comme le fait

Marjane, car il n'y a pas de vie en dehors de la religion dans les pays islamiques, n’est-ce pas?

Non. Marjane —la protagoniste de notre histoire— incarne un sentiment; un sentiment qui a

conduit à la révolution islamique de 1979 et qui n'a cessé de se développer à ce jour. Le

sentiment des gens qui ne voulaient pas continuer à être réduits en utilisant la parole de Dieu

comme justification.

La perspective occidentale de l'islam a contribué à forger l'image du croyant musulman

en tant que personne privée de toute liberté et autonomie, et surtout les femmes musulmanes

ont été considérées par l'Occident comme si elles n'avaient pas une vie politique, économique,

sociale et académique qui puisse être influencée par la religion mais ne s'y limite pas. Cette

vision occidentalisée de l’Islam “occulte le fait que les musulmanes sont les premières à

critiquer les justifications théologiques des inégalités de sexe ; que beaucoup d’entre elles

inscrivent leur combat dans des traditions de luttes politiques qui ne sont pas centrées sur

l’Occident comme figure de l’autre” (Kian, 2020).

Cette étude cherche à analyser comment le rôle des femmes dans la société iranienne

a-t-il changé depuis la révolution islamique de 1979, présentée dans la bande dessinée

Persepolis , jusqu’à aujourd’hui, tout en évitant de tomber dans le piège médiatique américain

de voir les femmes comme des victimes de l’Islam et le maillon faible des sociétés musulmanes

qui devraient être la cible de la propagande politique (Lazreg, 2009). Ainsi, on va suivre le
chemin parcouru par les femmes musulmanes iraniennes qui les a amenées à pouvoir jouir

actuellement de privilèges impensables avant la révolution islamique. Cela nous permettra de

développer une perspective éloignée de tout islamophobie ou intérêt économique —ou

politique— , imposée par les médias américains, sur la situation des femmes musulmanes en

Iran.

De nombreuses analyses ont été menées sur la situation des droits des femmes dans la

culture musulmane. Tapez simplement le sujet dans n'importe quelle base de données et des

milliers de documents de toutes sortes apparaîtront. De la même manière, des interviews et des

essais ont été réalisés autour du chef-d'œuvre de Marjane Satrapi, dans lesquelles elle-même a

raconté son éxperience en tant qu’écrivaine, femme et musulmane. Satrapi a exprimé son

agacement face au déséquilibre dans la façon dont les femmes sont représentées par rapport

aux hommes, par exemple, en disant:

Nous [les femmes] sommes la moitié de la putain de population en nombre, il

serait donc tout à fait normal que nos histoires soient la moitié des histoires,

mais non seulement nous ne sommes pas la moitié des histoires; chaque fois que

vous nous représentez, nous devons toujours trouver notre justification dans

quelqu'un d'autre. Nous sommes la femme de quelqu'un, nous sommes la mère

de quelqu'un, nous sommes la grand-mère de quelqu'un, nous sommes l'amant

de quelqu'un. (Financial Times, 2020)

D’autres exemples, comme Recréer sa propre « Histoire » : privilège et témoignage

dans le mémoire graphique Persepolis de Marjane Satrapi ou l’article Marjane Satrapi dessine

la vie de l'Iran, réalisé par Le Monde, permettent d'apporter des analyses et des perspectives

variées sur les différents sujets couvert dans la bande dessinée Persepolis, mais jusqu'à présent,
il n'y a pas eu, pour autant que l'on sache, d'analyse détaillée de chaque case concernant la

question des femmes musulmanes à Persepolis. Pour cette raison, la présente étude se propose

d'analyser chaque caricature —et scène du film dérivée de la bande dessinée— spécifiquement

liée aux droits des femmes et à leur rôle dans la société islamique iranienne en utilisant des

auteurs tels que la sociologue franco-iranienne Azadeh Kian, l’écrivaine iranienne Fereshteh

Ahmadi, l’économiste Fatiha Talahite, et l'anthropologiste culturelle et expert en études

islamiques Eva Nisa.

Partant, on commencera pour donner un contexte historique de la situation des femmes

au Moyen Âge pour comprendre leur rôle dans les débuts de l'islam et comparer la réalité de la

femme musulmane avant la revolutión islamique avec celle de la femme musulmane moderne

à la lumière de la reinterpretation et l’examen des textes sacrés musulmans rédigés par les

femmes à partir de 1980. De ce fait, on aborde cinq thèmes principaux : le voile, les femmes

par rapport aux hommes, le mariage et la sexualité, le féminisme islamique et le problème de

l'interprétation des textes sacrés musulmans.

Contexte historique

La domination masculine n'est pas un phénomène de modernité ou d'un groupe

spécifique de personnes, de cultes ou de religions. Elle a été la conséquence d'un processus

politique, social et économique perpétué par les mêmes hommes à leur profit. C’est vrai pour

l’islam comme c’est vrai pour le christianisme, le judaïsme, le bouddhisme ou une grande partie

de la philosophie classique. La Bible dit que “L'Eternel Dieu forma une femme de la côte qu'il

avait prise de l'homme, et il l'amena vers l'homme” (Sainte Bible, s.d, Genèse 2:22 ); le

philosophe chinois Confucius soutenait que "la femme est la chose la plus corrompue et la plus

corruptible du monde"; et selon Siddharta Gautama “la femme est mauvaise” (Gutierrez, 2010).
De même, cette domination n'a pas empêché les femmes d'occuper des postes

importants à des moments précis de l'histoire, et l'histoire de l'islam ne fait pas exception.

(Satrapi, M. 2020)

Au début de Persepolis, Marjane, dix ans, nous raconte son rêve de devenir la dernière

des prophètes, tandis que d'autres prophètes se montrent indignés par le fait qu'une femme croit

qu'il est possible de devenir l'un d'entre eux. Mais si l’on tourne au Moyen Age, pour des

savants religieux à l’époque, les femmes n’étaient pas considérées comme inférieures aux

hommes. Elles étaient bien éduquées et connaissaient le corpus religieux de l’islam au point de

pouvoir le preserver et le transmettre, et, bien qu'elles n’avaient pas d’accès aux postes

juridiques ni officielles, elles étaient considérées comme des figures de grand respect et

d'admiration. La présence des femmes dans le domaine des sciences religieuses comme

spécialistes et enseignantes de hadith et de jurisprudence islamique était très importante et

l’islam n’avait pas de problème à accepter l’autorité des femmes (Kian, 2020). Selon l’islam

classique, Marjane avait toute la capacité de devenir une autorité dans sa religion, mais peut-

être pas une prophète, car bien si “l’islam ne fait pas une discrimination entre l’homme et la

femme dans leur cheminement vers Allah,[...] il a choisi l’homme pour porter la charge de la

prophetie” (Badiane, 2017).


En Iran, sous la dynastie safavide, les femmes appartenant à la famille royale avaient

d’accès à une bonne éducation et étaient financièrement indépendantes, et même au XXème

siècle il y avait une juriste et théologienne, appelée Nusrat Beygum Amin, qui reçut

l’autorisation d’interprétation des plus hautes autorités religieuses chiites de son temps (Kian,

2020). Tous ces contextes historiques rendent une position féministe concernant la foi

islamique non seulement viable mais nécessaire, compte tenu de l'établissement de l'Iran en

tant que république islamique en 1979. Comme l'explique Ahmadi (2006), lorsque la charia est

devenue le fondement du système juridique iranien, les autorités ont dû trouver un moyen

d'accorder le statut qui leur avait été refusé, tout en maintenant les privilèges que la charia

accorde aux hommes.

Et au milieu de tout ce contexte politique et social, les femmes musulmanes ont

commencé à prendre conscience de leur véritable rôle et à se rebeller contre l'oppression

masculine.
(Satrapi, 2005)

Les femmes par rapport aux hommes

L'égalité entre hommes et femmes, prêchée dans le Coran, a été brouillée par les

autorités masculines qui ont profité de leurs privilèges pour perpétuer leur supériorité sur les

femmes pendant des siècles. Mais on peut vérifier que, au moins à partir de 1979 avec la

révolution islamique, les femmes prenaient conscience de ce qui passait et commençaient à

questionner les actions des hommes et la structure juridique de son pays en tant que république

islamique. Cette prise de conscience des femmes musulmanes apparaît très clairement dans

l'image ci-dessus, où Marjan conduit sa voiture et parle à son amie de la façon dont la loi profite

aux hommes par rapport aux femmes, même si cela n'a pas de sens de le faire.
Ce sentiment de frustration peut être mis en évidence non seulement par Marjan, mais

aussi par sa mère qui, dans l'adaptation cinématographique de la bande dessinée, pleure de rage

lorsqu'un homme la sexualise et la traite comme “de la merde”.

(Satrapi & Paronnaud, 2007)

Il est important de noter que les femmes sont toujours victimes de violence en raison

de l'interprétation masculine des lois islamiques. Il est également important de différencier le

concept d'égalité de l'uniformité de droits, car “l’Islam a observé le principe de l’égalité entre

l'homme et la femme, mais il s'oppose à l'uniformité de leurs droits” (Badiane, 2017). Quand

on parle des droits dans la culture islamique, Badiane (2017) dit qu’on parle de la similarité,

mais pas de l’égalité des droits entre l’homme et la femme.

Malgré ces conceptions machistes des textes sacrés, la présence des femmes non

seulement dans la vie publique, mais aussi dans les domaines professionnel, éducatif, industriel

et même sportif n'a cessé de croître depuis la révolution islamique de 1979 (Najmabadi, 1998)
et on a assisté à un incroyable épanouissement des productions intellectuelles et culturelles des

femmes en Iran (Ahmadi, 2006). Dans le domaine de l’éducation, par exemple, on peut le

constater dans la planche où Marjane se plaint des contraintes vestimentaires des femmes dans

son université par rapport à celles des hommes. Satrapi aborde simultanément deux sujets dans

cette page de sa bande dessinée. D'un côté, on voit Marjane à l'université, s'adressant

publiquement aux autorités masculines de son institution et les accusant de privilégier les

hommes par rapport aux femmes, avec un ton très sarcastique et provocateur. D’un autre côté,

elle soulève la question du voile, comment il doit être porté, ou s'il est même nécessaire de le

porter.
(Satrapi, 2005)

Le voile

Contrairement à ce qu'on pourrait croire, l'origine du voile n'appartient pas aux

communautés arabes. Selon Kian (2020), les femmes qui utilisaient le voile en 1772 avant J.-

C étaient considérées comme des femmes appartenant à l’élite dans les empires gréco-romain,

perse et byzantin. Ce vêtement était réservé aux femmes "respectables" et interdit aux

prostituées. Le voile servait à différencier les gens puissants des gens ordinaires, même à
l’époque du Prophète où “le voile et la réclusion n’étaient pratiqués que par ses épouses” (Kian,

2020). À Persepolis, il existe de nombreuses références au débat sur son utilisation et sa

signification dans la culture islamique, car l'opinion des femmes elles-mêmes est divisée entre

les défenseurs du port obligatoire du voile et ceux qui sont favorables au choix de le porter ou

pas.

(Satrapi, M. 2020)

(Satrapi, 2005)
Chaque partie a des arguments valables qui justifient l'utilisation —ou la non-utilisation— du

voile dans chaque cas spécifique. Par exemple, les femmes qui promeuvent le port du voile

voient cet objet comme “un instrument parmi d'autres de l'accès des femmes musulmanes à

l'espace public” (Talahite, 2020). C’est vrai qu’au XVIIème siècle, le port du voile n’empêchait

pas les femmes d’exercer ses droits tels que demander le divorce, porter plainte, garder leurs

enfants ou leur part de l’héritage (Kian, 2020), mais le problème se pose lorsque l'utilisation

du voile n'est pas une option pour ceux qui veulent l'utiliser, mais une imposition pour tous; et

c'est l'argument de ces femmes contre l'utilisation du voile.


(Satrapi & Paronnaud, 2007)

Lorsque la différence commence à être perçue comme une menace, un péché et un

manque de dignité, la peur et la haine commencent à s'installer, et les résultats peuvent être

tragiques. Ce fut le cas de Mahsa Amini, l'étudiante iranienne décédée en septembre 2022 après

avoir été arrêtée par la police de mœurs pour avoir porté une “tenue inappropriée” (Abdelbost,

2023). Bien que le fait soit scandaleux, le plus choquant a été la réaction des femmes iraniennes

qui ont protesté en enlevant et brûlant leurs voiles et en criant « Femme, vie, liberté ». Et ses

brûlant leurs voiles et en criant « Femme, vie, liberté ». Et leurs protestations ont été entendues

et ont conduit à l'abolition de la police des mœurs (Amini, 2022).


En utilisant l'exemple de Persepolis, on peut voir comment la plus progressiste des

religieuses permet à Marjane de concevoir un uniforme qui convient aux besoins d'une artiste

pendant son travail, mais sans jamais retirer son voile.

(Satrapi, 2005)

Mais après la vague de contestation en Iran, Les autorités ont été contraintes d'aller

jusqu'à réviser une loi de 1983 sur le port du voile obligatoire en Iran, imposé quatre ans après

la révolution islamique de 1979, qui dit que "les femmes iraniennes et étrangères, quelle que

soit leur religion, doivent porter un voile et un vêtement ample en public" (Amini, 2022).
(Satrapi, 2005)

Le moment où le foulard obligatoire a été imposé en 1983 est représenté à Persepolis

juste après que la mère de Marjane a été agressée par deux intégristes qui l'ont menacée après

qu'elle ne l'ait pas porté. Ils lui disent que “les femmes comme elle devraient être poussées

contre le mur et baisées, puis jetées à la poubelle” (Satrapi & Ripa, 2004). Le voile, selon les

intégristes à Persepolis, était un outil pour protéger les femmes d'éventuels violeurs; “un

instrument de l'accès des femmes musulmanes à l'espace public” (Talahite, 2020).

Il convient de noter que des restrictions vestimentaires étaient imposées aux hommes

et aux femmes, car le but de ces restrictions était d'éviter toute forme d'attirance ou d'excitation

sexuelle entre les deux sexes. En ce sens, Marjane admet qu'il y avait "une certaine justice"
(Satrapi, 2005)

Le mariage et la sexualité

Malgré sa pensée progressiste et libérale, en matière de sexe, Marjane gardait ses

valeurs morales islamiques jusqu'à ce qu'elle soit une jeune adulte. Le sexe était profondement

lié au mariage; aller dormir avec quelqu’un sans être marié auparavant était interdit et même

s’embrasser en public était considéré comme un acte sexuel. En fait, dans l’islam il existe la

figure du “mariage temporaire”, qui consiste à se marier à durée déterminée afin de satisfaire

les besoins sexuels humains. L’Islam affirme que cette figure protege la femme contre son

exploitation par l'homme (Badiane, 2017). Alors, le sexe lui-même n'est pas considéré comme

mauvais aux yeux de l'islam, mais l’existence d’une figure comme le mariage temporaire nous

montre l'envergure du mariage dans la foi musulmane.


Le mariage patrilinéaire et patriarcal est actuellement le seul mariage accepté par

l'islam, bien que cela n'ait pas toujours été le cas pour les musulmans. Cette structure

s’oppose à la vision éthique de l’islam d’égalité, y compris entre les sexes (Kian, 2020).

Suivant cette logique d'égalité, il serait plus que raisonnable de penser que les femmes

pourraient demander aux hommes de les épouser ou de les divorcer; et même elles pourraient

être polygames et polyandres. Et c'est exactement ce qui s'est passé en Arabie à l’époque de

Mahomet, d’après Kian (2020). Il n’était pas la religion elle-même, mais les transformations

sociales et économiques qui ont influencé les règlements de l’islam, et qui ont conduit à

passer d'une culture matrilinéaire à une culture patrilinéaire:

En particulier, la notion de propriété commune a disparu au fur et à mesure que les

individus accumulaient la richesse par leur commerce. Les hommes souhaitaient alors

transmettre à leurs fils ce qu’ils avaient accumulé et ont accordé ainsi une importance croissante

à la filiation paternelle. D’où le passage de la matrilinéarité à la patrilinéarité. (Kian, 2020)

Et la privation aux femmes de demander en mariage s'étend également à la demande de

divorce, avec la circonstance aggravante que les femmes divorcées, ainsi que les femmes

célibataires non vierges, perdent tout respect des hommes musulmans. Ce cas est illustré à

Persepolis lorsque Marjane parle à son amie d'enfance, Farinaz, et lui parle de son dilemme de

poursuivre le mariage ou de divorcer. A quoi Farinaz répond qu'après qu'une femme a perdu

sa virginité, les hommes ne lui trouvent aucune raison de les rejeter. À son avis, la vie d'une

femme après le divorce c'est l'enfer.


(Satrapi, 2005)
D’un côté, dans de nombreuses traductions du Coran ainsi que dans certaines

interprétations juridiques du divorce en islam, le mot talaq est traduit comme

“répudiation”.. En plus, la soi-disant “répudiation” est considérée comme un droit

inaliénable et exclusif des hommes (Lamrabet, 2015). Néanmoins, Lamrabet soutient

que la traduction correcte du talaq serait quelque chose plus proche au “divorce”, car à

aucun moment dans le Coran on ne retrouve l’équivalent en arabe de répudiation

(2015). Lamrabet ajoute aussi que, grâce à une nouvelle interprétation, on peut affirmer

que le divorce exercé par les femmes est aussi légitime que celui exercé par les hommes.

D’un autre côté, la stigmatisation de la femme divorcée à cause de sa non-virginité

contraste avec la possibilité des femmes de Mahomet de demander le divorce. En fait,

il y a quelques chercheurs qui pensent qu’à l’époque de la Jâhiliyyah les femmes avaient

plus de liberté sexuelle par rapport aux temps qui suivirent (Kian, 2020).

L’approche islamique au sexe est très particulière par rapport au reste des

religions. Bertrand Russell souligne que “toutes les religions, l'Islam mis à part,

regardent les relations sexuelles avec suspicion. En revanche, l'Islam, soucieux de

l'interêt social, les a regularisees et restreintes, sans toutefois les considerer comme un

acte bas” (Russell dans Badiane, 2017). Cependant, bien qu'historiquement cette

flexibilité sexuelle devait être unisexe, elle n'a été accordée qu'aux hommes.

Le féminisme islamique

Tous les aspects présents dans l'histoire de l'islam qui viennent d'être évoqués

(inégalité entre les sexes, usage du voile, sexualité, mariage, accès des femmes à la vie
académique, professionnelle et publique) ont pris une importance particulière et unique

depuis la révolution islamique. Entre 1980 et 1990 le féminisme émergeait et devient

de plus en plus connu, bien qu’au début, c’était plus un discourse qu’un mouvement

(Badran, 2002). Bien sûr, les femmes qui s'opposaient à la répression masculine dans

la culture musulmane existaient déjà et avaient toujours existé. Cependant, le

mécontentement systématisé et organisé qui existait à la veille de la révolution de 1979

a également poussé les femmes à se battre pour leurs droits, à remettre en cause la

manipulation des autorités masculines concernant le pouvoir excessif que le Coran leur

accordait sur les femmes, et à s'opposer à une châtiment infondée exercé par les

hommes sur les femmes. En plus, la croissance de mouvements conservateurs,

spécialement des mouvements fondamentalistes, ainsi qu’une déception généralisée

avec l'autoritarisme laïc (Nisa, 2021). Jusqu'alors il n'y avait pas de terme arabe pour

désigner le féminisme, et c'est à cette époque qu’émerge le Niswiyya (Paris, 2010).

Évidemment, le fait que de nombreuses femmes aient été désenchantées par les

pratiques oppressives des hommes fondamentalistes ne signifie pas qu'elles ont cessé

de croire en leur foi. Si c'était vrai, la solution serait moins compliquée: elles

quitteraient leur religion et seraient considérées mécréantes, peut-être perdraient-elles

toute valeur aux yeux de la communauté islamique mais qu'est-ce que cela donnerait

d'autre ? Si la première raison pour laquelle ils ont quitté leur religion était qu'ils n'y

croyaient plus ? Au lieu de cela, si les femmes croyaient encore en l'islam et voulaient

suivre le chemin vers Allah, elles devraient aborder la pensée féministe dans une

perspective islamique. Certainement, c’est un concept difficile à comprendre pour une

feministe occidentale, pour lesquelles l'expression de « féminisme islamique » ne peut

relever que de l'oxymore (Paris, 2010).


De cette façon, le féminisme islamique est basé sur le Coran et les textes sacrés

islamiques:

L'argument de base du féminisme islamique est que le Coran affirme le principe

de la qualité de tous les êtres humains, mais que la pratique de l'égalité des femmes et

des hommes (et d'autres catégories de personnes) a été entravée ou subvertie par des

idées (idéologie) et des pratiques patriarcales. La jurisprudence islamique, le fiqh,

consolidée dans sa forme classique au IXe siècle, était elle-même fortement saturée de

la pensée et des comportements patriarcaux de l'époque. (Badran, 2002)


C’est comme cela que les femmes ont commencé à souligner tous les défauts de

la juridiction islamique qui n'avaient rien à voir avec ce que disait le Coran. Le

féminisme islamique était entendu et soutenu non seulement par d'autres femmes, mais

aussi par des expertes de l'islam. C’est le cas, par exemple, de Monir Gorgi, qui “réfute

la position de la jurisprudence islamique qui interdit aux femmes l’accès aux postes de

direction politique sous le prétexte de leur fragilité physique et morale” (Kian, 2020).

Par conséquent, le mouvement féministe reussit à avoir un nombre très important de

militantes qui avaient une posture solide et argumentée, basée sur “les méthodologies

islamiques classiques de l'ijtihad (enquête indépendante sur les sources religieuses) et

du tafsir (interprétation du Coran). De plus, les féministes islamiques utilisent des

méthodes et des outils de la linguistique, d'histoire, de critique littéraire, de sociologie,

d'anthropologie, etc.” (Ahmadi, 2006).

D’un autre côté, les musulmans fondamentalistes, ainsi que les autorités des

pays islamiques, se sont opposés au mouvement féministe en affirmant qu’il est un

produit de l’imperialisme qui sape l’islam par les valeurs et les idées occidentales,

même si l'Iran n'a jamais été colonisé et qu'il n'est donc pas nécessaire de protéger leur

identité persane d'une quelconque attaque occidentale (Ahmadi, 2006). Dans les années

1980-1990, la politiste Hiba Raouf Ezzat accusait le féminisme “de faire prévaloir les

droits individuels sur les valeurs collectives” (Kian, 2020), et Winter considère les

féministes comme “apologistes” qui adhèrent aux discourses multiculturalistes et

pluralistes en affirmant que le Coran est ouvert à l'interprétation (2001). Une autre

académique opposée au mouvement féministe islamique est Haideh Moghissi (2002),

qui considère que “Dieu a créé les hommes pour exceller sur les femmes, assignant aux

hommes la tâche de réprimander les femmes quand ils craignent d'être rebelles”, et

l’egalité des sexes est étrangère à l'essence et aux principes de base de l'islam.
Les arguments contre l'influence occidentale par les fondamentalistes ont

poussé la plupart des groupes féministes islamiques à se différencier des Occidentaux,

évitant le colonialisme et l'hégémonie occidentale (Charrad, 2011). Contrairement à

eux, le féminisme iranien a ouvertement revendiqué sa filiation avec le féminisme

occidental et même le journal le plus important d’Iran, Zanan, a fait partie de cette

filiation (Ahmadi, 2006). Selon Kian-Thiébaut (dans Ahmadi, 2006), “la solidarité qui

se dessine entre femmes islamistes et laïques, qui va au-delà de leurs divergences, peut

ouvrir la perspective de nouvelles formes de coopération”. C’est aussi important de

remarquer qu'entre 1992 et 2008, les principaux auteurs de Zanan qui donnaient une

perspective de justice de genre étaient des hommes (Fazaeli, 2018).

(Satrapi, 2005)
(Satrapi, 2020)
(Satrapi, 2005)

L’occident est toujours présent à Persépolis, et la culture occidentale est représentée

comme la culture de la liberté. Marjane lit des auteurs tels que Jean-Paul Sartre et Simone de

Beauvoir, et elle écoute Iron Maiden, Pink Floyd, et du punk rock américain. Depuis 1970, la

mondialisation commençait à se développer de plus en plus dans le monde et cela a rendu

possible un développement technologique qui permettait aux gens d’avoir accès aux produits

étrangers d'une manière jamais vue auparavant. Jusqu’aujourd’hui, “ces changements ont à leur

tour entraîné une déterritorialisation, une identité flexible et un nombre croissant d'individus

multiculturels et multilingues qui adoptent des identités plus fluides et multiples” (Ahmadi,

2006), et c’est aussi vrai pour les gens de l’Iran. Marjane était l’un d’eux. À cette époque-là les

gens comme ont fait ce qu'elles ont pu avec ce qu'on leur a donné, sachant que “l'évolution du

statut des femmes arabes dépend sans doute autant de leur visibilité politique que par la somme

des petites victoires pratiques du quotidien” (Paris, 2010). Maintenant, avec un mouvement
féministe islamique beaucoup plus solide, le Maintenant, avec un mouvement féministe

islamique beaucoup plus fort, l'accent est mis sur la réinterprétation des textes sacrés.
La réinterprétation des textes sacrés

Comme déjà mentionné, le féminisme islamique à ses débuts devait faire une différence

très nette avec les courants féministes de l'Occident afin d'éviter les accusations des

conservateurs et des fondamentalistes musulmans. Paris (2010) explique très clairement la

situation en disant :

Revenir à la source des textes pour ériger une théorie coranique de l'égalité des genres

permet, en effet, aux premières concernées d'éviter les accusations d'un féminisme bourgeois

copié sur un modèle étranger idéalisé, mais évidemment très difficilement transposable. (Paris,

2010)

Entre autres arguments, les militantes féministes depuis 1990 ont fait valoir que le

Coran ne pouvait plus être interprété uniquement dans le domaine religieux, mais en tenant

compte de toutes les forces et articulations identitaires présentes dans un contexte mondialisé;

Un autre argument était que beaucoup de lois islamiques ne venaient pas de Dieu, mais des

hommes ; Et beaucoup de ces lois ont été établies pour priver les femmes du pouvoir d'accéder

à des postes de pouvoir, ainsi que pour leur enlever des droits qui n'avaient rien à voir avec la

parole de Dieu. Selon Kian (2020), “ce qui est contesté par les militantes musulmanes des droits

des femmes, ce n’est pas l’islam en tant que tel, mais sa lecture sexiste et les rapports de pouvoir

en son sein”. Ainsi, les militantes féministes soutiennent qu’une approche historique est

nécessaire pour faire un changement de perception du discours islamique sur la question des

femmes car il y a des versets du Coran qu'il serait inapproprié d'appliquer aujourd'hui.
(Satrapi, 2005)

La manipulation des autorités intégristes pour contrôler les croyants est mise en

évidence au moment où la femme de ménage de la maison de Marjane se rend chez la mère

de Marjane pour lui demander d'aider son fils à reconsidérer sa participation à la guerre

contre l'Irak. De la même manière que les intégristes lui promettaient un paradis avec

beaucoup de nourriture, de femmes, d'or et de diamants, ils ont aussi pris sur eux d'interpréter

les textes de la manière qui leur convient. La méfiance à l'égard des hommes a atteint un tel

point qu'il y a même des femmes qui ont indiqué que “les hommes interprètent toujours le

Coran à leur propre avantage” (Amirpur dans Ahmadi, 2006), et ils ont des raisons de le

prétendre. Le domaine de la réinterprétation coranique a également acquis une telle portée

que même les paroles de Mahomet ont été remises en question par les féministes islamiques;

par exemple, Ahmadi (2006) illustre cela avec la figure de Soroush, qui au début de la
République islamique était l’un des personnages les plus importantes de la révolution

islamique et membre du Conseil pour la révolution culturelle, et qui a dit que "le prophète est

un être humain et son expérience est humaine, ses disciples aussi”. En d'autres termes,

Mahomet était un homme influencé par son contexte et donc sa culture, sa pensée et le

langage qu'il utilisait auraient pu être différents si son contexte avait été un autre. John

Esposito (dans Ahmadi, 2006) exprime que toutes ces positions ont été rendues possibles par

la volonté de l'Iran de repenser le genre dans l'islam en réinterprétant non seulement les

sources juridiques et théologiques islamiques, mais à partir des textes sacrés de leur religion.

Conclusion

Persépolis offre l'occasion de voir la vie et l'évolution d'une petite féministe islamique

depuis son enfance. Marjane, même lorsqu'elle a quitté son pays et a vécu une vie

occidentale, n'a jamais renoncé à sa foi et à sa culture. Elle l'a juste remis en question et l'a

réinterprété. C'est pourquoi Marjane incarne parfaitement ce qu'a été le développement d'un

féminisme islamique depuis la révolution de 1979 en Iran, un féminisme que “certains

chercheurs déclarent si radical qu'il n'a pas d'équivalent dans le reste du monde musulman”

(Ahmadi, 2006). Bien qu'il existe encore des inégalités très marquées entre les hommes et les

femmes dans l'islam, et qu'il reste encore un long chemin à parcourir, la lutte des femmes

depuis les années 1980 en Iran a eu un impact incontestable sur la manière dont l'islam est

perçu dans le monde entier.

La cause féministe dans l'islam peut être difficile à comprendre pour le monde

occidental, et peut-être encore plus pour les féministes occidentales. Mais même ainsi, nous

pouvons tous, sans contribuer à cette cause en ne continuant pas à perpétuer le discours

islamophobe et la victimisation des femmes musulmanes, qui annule toute possibilité de


revendication et les prive de leur existence. C'est-à-dire cesser de faire des généralisations qui

associent la religion islamique au terrorisme, à l'oppression, à l'inégalité et à la souffrance des

femmes. Une communauté, quelle qu'elle soit, est hétérogène et tous ses membres ne peuvent

pas être jugés par les actions des autres. De la même manière qu'il est injuste de juger la

communauté chrétienne pour les atrocités que l'Église catholique a commises au nom de

Jésus-Christ, il est également injuste de juger la communauté musulmane pour l'existence

d'intégristes et de terroristes qui ont commis des atrocités et injustices au nom d'Allah.
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