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LIRE LE(S) FÉMINISME(S)

Origines - discours - critiques


Du même auteur
Échange inégal, ordre économique international, Dakar, NEA, 1977.
Économie politique, tome 1 : Economie descriptive, Dakar, NEA, 1979.
Économie politique, tome 2 : Théorie économique, Dakar, NEA, 1981.
Intégration économique : perspectives africaines, Paris/Dakar,
Publisud/NEA, 1985.
Économie politique pour l’Afrique, Paris/Dakar, UREF-AUPELF
/NEA, 1992.
Sénégal : les ethnies et la nation, Paris, l’Harmattan, 1994.
L’Afrique dans la mondialisation, Paris, l’Harmattan, 2002.
L’endettement puis l’ajustement : l’Afrique des institutions de Bretton-Woods,
Paris, l’Harmattan, 2002.
Islam frein au développement ? Économie politique de la Char'îa, Paris,
l’Harmattan, 2011.

(Adresse internet : mkdiouf@refer.sn)


Makhtar DIOUF

LIRE LE(S) FÉMINISME(S)


Origines - discours - critiques
© L'HARMATTAN, 2012
5-7, rue de l'École-Polytechnique ; 75005 Paris
http://www.librairieharmattan.com
diffusion.harmattan@wanadoo.fr
harmattan1@wanadoo.fr
ISBN : 978-2-296-54895-4
EAN : 9782296548954
PETIT LEXIQUE

Érogène : sensible à la stimulation sexuelle.


Érotomane : personne mentalement préoccupée par les idées
sexuelles.
Masochisme : perversion sexuelle de recherche du plaisir dans
la douleur. Le terme « maso » est de plus en plus employé
pour dénoncer le comportement de certains hommes à
l’égard des femmes.
Matriarcat : forme d’organisation sociale dans laquelle
l’autorité revient à la femme dans la famille ou dans la
société, et la descendance familiale se fait selon la lignée
maternelle.
Misanthropie : haine envers les hommes.
Misogynie : haine envers les femmes.
Nymphomane : femme ayant des besoins sexuels exagérés, ce
qui la pousse à avoir des relations avec plusieurs hommes,
sans s’attacher à aucun d’entre eux.
Patriarcat : forme d’organisation sociale dans laquelle
l’autorité revient à l’homme dans la famille ou dans la
société, et la descendance familiale se fait selon la lignée
paternelle. Pour les féministes, le patriarcat désigne la
domination des hommes.
Phallocratie : oppression excessive exercée par l’homme sur la
femme.
Hétérosexualité : rapport sexuel entre personnes de sexe opposé,
donc entre homme et femme.

7
Homosexualité : rapport sexuel entre personnes de même sexe ;
en général, le mot désigne le rapport sexuel entre
hommes.
Lesbianisme : rapport sexuel entre femmes.
Sexisme : discrimination envers le sexe féminin.
Testostérone : hormone secrétée par les testicules pour le
développement des organes génitaux et des caractères
mâles.
PSL : paix et salut sur lui. Propos énoncé à l’endroit des
prophètes.
Sunna : propos et actes du Prophète Muhammad (PSL).
Principale source de l’islam en prolongement du Coran.

8
INTRODUCTION

À tel ou tel intellectuel de sa génération qui se piquait de


philosophie, Raymond Aron1 avait l’habitude de lancer :
« A-t-il lu Kant ? ». En effet, dans le domaine de la
philosophie, Kant est pour certains comme Aron, la
référence obligée, et pour tout le monde, une référence
incontournable.
À propos du féminisme, je dirai la même chose de Simone
de Beauvoir. Toutes les femmes qui militent aujourd’hui
dans les mouvements féministes l’ont-elles lue ? Pourtant
dans ce domaine, Simone de Beauvoir n’est pas une
référence, elle est la référence suprême ; son livre Le Deuxième
Sexe est le « doit être lu », même si avant elle, la cause
féministe avait été défendue par d’autres figures moins
connues.
Le temps de la mondialisation dans lequel nous sommes
plongés depuis quelques décennies est aussi, on peut le dire,
le temps du féminisme. En pratique, un peu partout dans le
monde, des femmes accèdent très légitimement à des postes
de responsabilité longtemps restés chasse gardée des
hommes. Dans les sciences sociales, la littérature abonde
d’écrits féministes sur le « genre », associés à des thèmes
traditionnels de recherche tels que santé publique,
environnement, financement, etc. Pour ne rien dire des écrits

1 R. Aron, Mémoires, 50 ans de vie politique, Paris, Julliard, 1983.

9
sur le féminisme proprement dit, en Europe comme en
Amérique du Nord.
La question qui ne manquera sûrement pas d’être posée à
propos de ce texte est « Est-ce qu’un homme est habilité à
écrire sur le féminisme ? » Les réponses sont alors toutes
prêtes. Il peut sembler banal de rappeler, ce que tout le
monde sait et qu’on a trop tendance à oublier, que tout
homme a une mère, peut-être une ou des sœurs, des nièces,
est peut-être marié et a une ou des filles ; l’univers féminin ne
peut donc pas être pour lui une terra incognita, même s’il est
possible qu’il n’arrive pas à en décrypter tous les recoins. La
recherche sur le féminisme devrait-elle être une autre chasse
gardée, cette fois, des seules femmes ? L’intervention
masculine dans ce domaine ne présente-t-elle pas l’avantage
de permettre cette distanciation si utile dans toute recherche
en sciences sociales ?
Après tout, Simone de Beauvoir a intitulé un chapitre de
son livre « La mère », y consacrant une soixantaine de pages,
alors qu’elle n’a jamais connu la maternité. Une personne
qui n’est pas familière avec l’histoire du féminisme
découvrira avec surprise que les féministes n’ont pas été que
des femmes : des mâles aussi ont eu à s’investir dans la
défense des droits des femmes.
Certains attribuent la paternité du terme « féminisme » à
Charles Fourier avec sa Théorie de l’unité universelle (1822),
d’autres à une des inspiratrices du mouvement féministe,
Hubertine Auclert, dans son journal La Citoyenne, lancé en
1881. Ce qui est certain est que le terme « féminisme » est
d’origine française, avant de passer dans d’autres langues
comme l’Anglais avec feminism.
Le féminisme est ainsi défini dans le dictionnaire de
l’Académie française :

10
« Mouvement revendicatif ayant pour objet la
reconnaissance ou l’extension des droits de la femme
dans la société. »
Mais, cette définition épuise-t-elle le contenu d’un
féminisme dans lequel se reconnaîtraient toutes les femmes
qui se réclament du mouvement ? L’historienne féministe
française Monique Rémy a une conception du féminisme
susceptible de rallier plus de suffrages chez les féministes :
« Nous considérons comme féministe toute parole, tout
écrit, tout mouvement relatif à la condition des femmes
dans la société, s'il dénonce cette condition comme le
rapport de domination d'un sexe (masculin) sur l'autre
(féminin)2. »
Il est sûrement plus conforme à la réalité de parler des
« féminismes » que du « féminisme », quoique les deux
puissent se retrouver dans le même terme « mouvement
féministe », qui fonctionne à deux niveaux : le niveau de la
théorie qui s’assigne comme mission de chercher à
comprendre dans ses fondements le phénomène de
domination de la femme par l’homme, et le niveau de
l’action pratique qui vise à mettre fin à cette situation.
Cette étude sera centrée autour de la référence Simone de
Beauvoir, mais fera place à quelques pionnières qui l’ont
précédée, et aux différents courants du féminisme qu’elle a
plus ou moins inspirés. Le mouvement féministe n’a pas été
épargné par les critiques : des critiques externes, comme on
pouvait s’y attendre, compte tenu de certaines audaces
verbales ; mais aussi, des critiques internes entre différents
courants animés par des femmes, même si l’on n’est pas allé
jusqu’à se crêper le chignon. Il sera fait état, avant de
terminer, des rapports entre les courants féministes et les

2 Rémy Monique, De l'utopie à l'intégration : Histoire des mouvements de femmes,

Paris, L'Harmattan, 1990.

11
religions, dont le moins qu’on puisse dire est qu’ils n’ont pas
toujours été… amènes.
Pour ce qui est de la présentation, j’avoue que j’aurais
bien aimé m’inspirer de la méthode de ce professeur français
d’économie politique, Charles Dunoyer, qui commençait
ainsi son enseignement : « Je n’impose rien. Je ne propose
rien. J’expose »3. Une position assurément difficile à adopter
dans les sciences sociales. Je me suis néanmoins efforcé
d’intervenir le moins possible dans l’exposé, pour laisser la
parole aux féministes, à Simone de Beauvoir notamment, et
à leurs détractrices et détracteurs. Ce qui justifie le nombre
de citations que certains pourront trouver excessif. Mais était-
il possible de procéder autrement ?
Cet ouvrage n’a en fait pour objet que de faire le point sur
le féminisme dans ses différentes manifestations théoriques et
pratiques. Sans avoir la prétention de faire le tour du sujet de
façon exhaustive. Les personnes qui ont approché le
féminisme de façon plus approfondie, tant en théorie qu’en
pratique, ne manqueront sûrement pas de déceler dans le
texte des insuffisances ou (et) des inexactitudes. Cependant,
ni excuse, ni regret, ni désolation. C’est le sort impitoyable de
toute recherche dans le domaine des sciences sociales. Que
l’on se positionne ou non, comme spécialiste du sujet.

3 Charles Dunoyer, De la liberté du travail ou simple exposé des conditions dans

lesquelles les forces humaines s’exercent avec le plus de puissance, Paris, Guillaumin,
1845.

12
CHAPITRE PREMIER

LE MOUVEMENT FÉMINISTE DANS L’HISTOIRE

Le mouvement féministe naît en France à la faveur de


deux circonstances : la misogynie déclarée de grands
penseurs des sciences sociales, et les différentes mesures de
discrimination prises à l’encontre des femmes.
I. GUERRE DÉCLARÉE AUX FEMMES
Le problème du féminisme demande à être saisi à partir
du statut de la femme dans la philosophie grecque qui a
modelé toute la pensée occidentale. Quelle a été la position
des deux grands philosophes de l’Antiquité, Platon et
Aristote ?
Platon a une position plutôt ambiguë sur la femme. Dans
un premier temps, dans République, qu’il conçoit comme une
cité idéale, il considère que la femme ne doit plus être
considérée comme un bien mobilier, propriété du mari ;
comme c'était le cas dans la société athénienne. Les femmes,
selon lui, ont droit comme les hommes à l’éducation. Il est
clair qu’une telle conception va à contre-courant des idées
dominantes à l’époque. Est-ce pour cela que Platon adopte
une position différente dans ses derniers écrits (Lois, Timée) en
se rangeant sur la misogynie ambiante ? On peut y lire que :
« Ce sont les mâles seulement qui sont créés directement
par les dieux et à qui l’âme est donnée… ce sont

13
évidemment seulement les hommes qui sont des êtres
humains complets… ce qu’une femme peut espérer au
mieux est de devenir homme. » (Timée 90e).
Quant à Aristote, sa position misogyne est très claire. Pour
lui, les femmes sont inférieures aux hommes, parce qu’elles
ont un défaut par nature : elles ne peuvent pas reproduire le
sperme qui renferme l’être humain dans sa totalité. Dans la
reproduction sexuelle, les femmes ne fournissent que le
champ, la matière dans laquelle le sperme qui est la forme se
développe et se transforme. Or, dit-il, la forme est supérieure
à la matière, et une femme est comme un mâle infertile
(Génération d’animaux I 728a). Pour Aristote, les hommes étant
d’une intelligence supérieure doivent diriger les femmes,
exactement comme les humains doués de plus d’intelligence
dirigent les animaux domestiques. C’est là une loi de la
nature :
« La relation entre le mâle et la femelle est par nature
telle que le mâle est supérieur, la femelle inférieure, que
le mâle dirige et que la femelle est dirigée.4 » (Politique,
1254 b 10-14).
Ainsi, les hommes doivent avoir le monopole de l’activité
politique. L’argument qu’il donne est que le rôle du mâle
dans la procréation est très court (le temps de l’acte sexuel),
ce qui lui laisse assez de temps pour la vie publique ; alors
que la femme, sujette à la grossesse durant des mois, devra
ensuite s’occuper du bébé, ce qui ne lui laisse pas de temps
pour des activités autres que domestiques. En plus, ce qui
pour lui caractérise particulièrement la femme, c’est
l’émotion. La femme étant centre d’émotion et l’homme
centre de raison, on peut dire que pour Aristote, l’émotion
est femelle, la raison est mâle.

4 Smith N., “Plato and Aristotle on the Nature of Women”, Journal of the

History of Philosophy, 21, 1983, pp. 467-468.

14
Ce rappel était nécessaire avant de passer à la
présentation de la situation de la femme dans le pays berceau
du féminisme moderne.
En France, la « Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen » de 1789 ne mentionne nulle part le principe de
l’égalité de droits entre l’homme et la femme. Le terme
« femme » n’apparaît d’ailleurs pas une seule fois dans le
texte. Au point qu’on peut se demander si l’homme dont la
déclaration défend les droits est l’homme au sens générique
d’être humain, ou bien l’homme-mâle qui aurait l’exclusivité
de tels droits. Dire que la Déclaration des droits de l’homme
et du citoyen passe pour avoir été en partie inspirée par la
Philosophie des Lumières !
Une des premières féministes françaises, Olympe de
Goujes en fera le constat en s’adressant aux femmes de
l’époque :
« … Quels sont les avantages que vous avez recueillis
dans la révolution ? Un mépris plus marqué, un dédain
plus signalé. »
Et pourtant dans la France du dix-huitième siècle, des
femmes sont très actives dans la vie politique et culturelle ;
elles participent à la rédaction des cahiers de doléances,
s’investissent dans des clubs, animent des salons et cercles
littéraires où se rencontrent les grandes figures de
l’intelligentsia. Le moins qu’on puisse dire est qu’elles ne sont
pas payées en retour. Bien qu’ayant été prenantes dans la
révolution de 1789, elles subissent même des brimades :
- fermeture des clubs de femmes en 1793,
- interdiction aux femmes de fréquenter des assemblées
politiques en 1795,
- interdiction de rassemblements de plus de cinq femmes
en 1795.

15
Les femmes françaises sont ainsi déclarées citoyennes,
mais sans les droits que confère la citoyenneté.
Le Code civil de 1804, promulgué par Napoléon
Bonaparte va venir alimenter cette sorte de guerre déclarée
aux femmes. Le Code civil affirme l’incapacité juridique
totale de la femme et l’assujettissement de la femme mariée :
- interdiction d’accès aux lycées et universités ;
- interdiction de signer un contrat et de gérer des biens ;
- exclusion totale des droits politiques ;
- interdiction de travailler sans l’autorisation du mari…
Ces dispositions originelles sont renforcées par la suite par
d’autres plus contraignantes :
- présentation du devoir conjugal comme une obligation
en 1910 ;
- interdiction de divorcer en 1916.
Ces dispositions feront dire à des féministes françaises que
« la femme et ses entrailles sont la propriété de l’homme, il en
fait ce que bon lui semble ».
En outre, l’article 1124 du Code civil stipule que :
« Les personnes privées de droits juridiques sont les
mineurs, les femmes mariées, les criminels et les débiles
mentaux. »
Cette assimilation de la femme mariée au criminel et au
débile mental sera à juste titre perçue par les féministes
comme « un monument de misogynie ».
Faut-il rappeler aussi qu’en France, une ordonnance de
1800 interdit aux femmes le port du pantalon ? Pour porter
le pantalon, une femme doit solliciter et avoir l’autorisation
du préfet de police.
Certains auteurs, sans tomber dans une franche
misogynie, assignent à la femme un espace limité d’évolution.
Jean-Jacques Rousseau dans son livre Émile, délimite un

16
espace privé pour la femme, et un espace public pour
l’homme : les femmes produisent les mœurs, et les hommes
produisent les lois.
La position de Proudhon n’est pas très différente :
« L’homme et la femme peuvent être équivalents ; ils ne
sont point égaux… L’homme est principalement une
puissance d’action, la femme une puissance de
fascination… En quoi le rôle de la femme, chargée de la
conduite du ménage, de tout ce qui se rapporte à la
consommation et à l’épargne est-il inférieur à celui de
l’homme, dont la fonction propre est le commandement
de l’atelier, c'est-à-dire le gouvernement de la production
et de l’échange ? … La femme qui s’éloigne de son sexe,
non seulement perd les grâces que la nature lui a
données, sans acquérir les nôtres, mais retombe à l’état
de femelle5. »
Dans bon nombre de passages des pièces de Molière, c’est
le triptyque phallocratie/masochisme/patriarcat qui occupe
le haut du pavé. Dans Les Femmes savantes, le pater familias
Chrysale ne trouve d’autre rôle à une épouse que de « former
aux bonnes mœurs l’esprit de ses enfants, faire aller son
ménage » ; et il fait part de sa nostalgie du bon vieux temps
où « les épouses ne lisaient point, mais… vivaient bien »,
leurs livres étant le dé, le fil et l’aiguille.
Dans l’École des maris, Sganarelle conçoit pour seul rôle à
son épouse de vivre à sa fantaisie (à lui), et non à la sienne (à
elle), de rester enfermée bien sage au logis, de s’appliquer aux
choses du ménage, de recoudre son linge (à lui) aux heures de
loisir.
C’est le même rôle que Arnolphe dans l’École des Femmes
attend d’une épouse, « savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et
filer » ; en plus, l’épouse doit être « sotte » autant que

5 Pierre-Joseph Proudhon, Œuvres Choisies, textes présentés par Jean

Bancal, Paris, Idées-Gallimard, 1967.

17
possible, « d’une ignorance extrême, soumise et pleinement
dépendante ». Pour lui, c’est « du côté de la barbe que se
trouve la toute-puissance » ; il ne peut y avoir égalité entre
l’époux et l’épouse qui, même s’ils constituent des moitiés,
« l’une est moitié suprême et l’autre subalterne, l’une en tout
est soumise à l’autre qui gouverne ».
Quant au valet Gros-René du Dépit amoureux, il présente la
femme comme « un certain animal difficile à connaître et de
qui la nature est fort encline au mal ». Comme s’il avait lu
Platon et Aristote.
Cela dit, quelle est la motivation réelle de Molière lorsqu’il
met ces propos dans la bouche de ses personnages ? Il ne
pouvait en tout cas pas laisser indifférent quelqu’un qui n’a
pu manquer de le lire, et qui écrit sur la condition féminine.
L’émergence du féminisme de revendication de droits en
France au dix-neuvième siècle ne peut se comprendre sans
rappel de ces faits.
II. PREMIÈRES FÉMINISTES ET RÉSISTANCES
Dans l’histoire du féminisme on prend généralement
comme point de départ Christine de Pisan, une Italienne
ayant grandi à Paris, mariée (trois enfants) puis veuve, et qui
à la fin de sa vie se retire dans un couvent. Elle écrit La Cité
des Dames (1405), un ouvrage dans lequel sa principale
revendication est le droit à l’éducation pour les femmes. Dans
la mesure où elles sont aussi intelligentes que les hommes, il
faut, dit-elle, les laisser étudier.
Près de quatre siècles plus tard, le relais des revendications
féminines est pris, toujours en France, par Olympe de
Goujes, de son vrai nom, Jeanne Gouzes. Mariée de façon
forcée par sa famille, elle a eu un veuvage précoce. Elle est
déçue par l’absence de référence à la femme dans la
« Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1789.
Raison pour laquelle elle va s’employer à la pasticher en

18
1791 avec une « Déclaration des Droits de la Femme et de la
Citoyenne. »
L’introduction commence par une interpellation adressée
aux hommes :
« Homme, es-tu capable d’être juste ? C’est une femme
qui t’en fait la question ; tu ne lui ôteras pas du moins ce
droit ; dis-moi : qui t’a donné le souverain empire
d’opprimer mon sexe ? »
Ensuite, Olympe de Goujes fait remarquer que chez les
animaux et les végétaux, les deux sexes évoluent en parfaite
harmonie dans l’administration de la nature, et que
« l’homme seul s’est fagoté un principe de cette exception ».
Et cela est d’autant plus incompréhensible dans ce siècle des
lumières où « il veut commander en despote sur un sexe qui
a reçu toutes les facultés intellectuelles ».
Dans le préambule, elle souligne que « l’oubli ou le mépris
des droits de la femme sont les seules causes des malheurs
publics », et plaide pour la reconnaissance des droits naturels
et inaliénables de la femme, « le sexe supérieur en beauté et
en courage ».
La Déclaration comporte dix-sept articles, dont les
suivants font l’essentiel :
- La femme naît libre et demeure égale à l’homme en
droits (article 1)…
- La Nation n’est que la réunion de la Femme et de
l’Homme (article 3) ;
- … L’exercice des droits naturels de la femme n’a de
bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui oppose
(article 4) ;
- … La femme a le droit de monter sur l’échafaud ; elle
doit également avoir celui de monter à la Tribune
(article 10) ;

19
- Elle doit donc avoir de même part à la distribution des
places, des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie
(article 13).
En dehors de ces droits spécifiques à la femme, Olympe
de Goujes parle d’autres droits qu’elle revendique, non pas
pour « le citoyen », mais pour « le citoyen et la citoyenne ».
Et c’est dans le postambule qu’elle interpelle les femmes :
« Femme, réveille-toi… Ô Femmes ! Femmes, quand
cesserez-vous d’être aveugles ? »
Elle les exhorte à franchir toutes les barrières qu’on leur
oppose, pour peu qu’elles le veuillent, car elles en ont le
pouvoir.
Pour elle, l’égalité dans les droits implique aussi l’égalité
dans les devoirs. Mais elle est victime de la Terreur qui sévit
dans la France d’après la révolution de 1789. Condamnée à
mort en 1793, sous la double accusation d’avoir combattu la
peine de mort et d'avoir défendu les Girondins qui avaient
perdu le pouvoir, elle est guillotinée. Le procureur qui l’a
condamnée a eu ces mots : « Elle abandonna les soins du
ménage pour se mêler de la République, et dont la tête est
tombée sous le fer vengeur des lois ». Ceci n’en dit-il pas long
sur la véritable motivation de son exécution ?
Bien entendu, la « Déclaration des droits de la Femme et
de la Citoyenne » ne fut jamais retenue comme document
officiel.
Au siècle suivant, Flore Tristan s’illustre sur un autre
registre féministe, la défense du divorce et de l’amour libre.
Dans la même période, Pauline Roland défend les thèses
féministes au moment de la révolution de 1848.
Hubertine Auclert, après une éducation reçue au couvent
dans sa région d’Auvergne, monte à Paris où elle passe à
l’anticléricalisme, pour s’engager dans la défense des droits
des femmes. Elle crée en 1878 la société Droit des Femmes,

20
devenue Suffrage des Femmes, puis le journal La Citoyenne
en 1881. Elle collabore avec des féministes de son temps
comme Caroline Rémy dite Séverine, pour réclamer des
réformes dans le système juridique français : dans le droit
civil régi par le Code Napoléon, reconnaître le mariage
comme contrat, impliquant la séparation des biens et le droit
au divorce ; dans le droit public, accorder aux femmes le
droit de vote et le droit à la représentation parlementaire. Ce
sont des droits qui doivent leur être accordés, soutient-elle,
dans la mesure où elles sont astreintes au devoir de payer
l’impôt.
À la suite de la Déclaration des droits de l’homme et du
citoyen de 1789, la reconnaissance des droits des femmes
tarde à s’imposer en France. C’est en 1861 seulement que La
France compte sa première femme admise à l’examen du
baccalauréat. L’incapacité civile des femmes est finalement
levée en 1938, et le droit de vote leur est accordé en 1946.
En Angleterre, le mouvement féministe commence à la fin
du dix-huitième siècle, avec Mary Wollstonecraft, auteur de
Défense des droits de la femme 6 (1792). C’est dans l’introduction
du livre qu’elle se demande si c’est la nature qui a fait une
grande différence entre l’homme et la femme, ou bien si c’est
la civilisation ayant prévalu jusque-là dans le monde qui a été
partiale. Elle déplore que la femme ait été amenée à jeter
tout son dévolu sur les critères de beauté, d’élégance, de
raffinement, la réduisant à l’état d’objet d’admiration pour
les hommes, et qui bientôt deviendra objet de mépris (avec la
vieillesse) ; et tout cela, au détriment de la force du corps et
surtout de l’esprit. Je voudrais dit-elle, « montrer que
l’élégance est inférieure à la vertu… persuader la femme de
s’efforcer d’acquérir la force du corps et de l’esprit ». Le

6 Mary Wollstonecraft, Vindication of the Rights of Woman, with Strictures on

Political and Moral Subjects, London, Printed for J. Johnson, 1792.

21
moyen d’y parvenir est pour elle, l’éducation, « parce que
l’intellect gouvernera toujours ».
C’est ainsi qu’elle s’attaque aux restrictions à l’éducation
qui maintiennent les femmes dans l’ignorance et dans la
dépendance servile. Pour elle, le droit à l’éducation de la
femme se justifie d’autant plus que dans le ménage, elle est
chargée de l’éducation des enfants. L’éducation de la femme
permet son émancipation et renforce le ménage : « Faites des
femmes des créatures rationnelles et des citoyennes libres, et
elles deviendront rapidement de bonnes épouses ».
À la différence de beaucoup d’autres féministes, elle ne fait
pas de distinction entre l’espace domestique du ménage et
l’espace public politique ; le mari et la femme doivent
s’impliquer dans chacun de ces deux espaces ; l’homme et la
femme ont des devoirs dans le foyer, tout comme ils ont des
devoirs dans les affaires publiques. Le mariage pour elle doit
être un contrat de partenariat égal en droits et en devoirs
entre l’homme et la femme. Il doit fonctionner sur la base de
règles d’éthique réciproques de fidélité et de chasteté. Mais le
mariage, tel que conçu à l’époque en Angleterre, reconnaît
des droits au mari, mais pas à l’épouse. Aussi est-elle hostile,
non pas au mariage en tant que tel, mais à cette conception
du mariage. Néanmoins, elle sera mariée deux fois, mais
uniquement du fait d’être tombée en grossesse7.
En 1947, deux psychiatres du courant freudien,
Ferdinand Lundberg et Marynia Farham diront de Mary
Wollstonecraft que c’est de sa haine des hommes que
procède son idéologie féministe, tout cela résultant de son
expérience vécue : les infidélités de son premier mari, les
mauvais traitements infligés à sa sœur par son époux et qui
ont fini par lui causer des troubles mentaux.

7 Son second mari est le philosophe politologue William Godwin, mais ils

vivaient séparément Ils ont eu une fille, Mary Shelley, auteure de


Frankenstein.

22
En tout cas, l’idée d’affrontement avec les hommes ne
transparaît pas à la lecture de son livre, surtout lorsqu’elle
écrit : « Je ne souhaite pas que les femmes aient un pouvoir
sur les hommes, mais sur elles-mêmes ». N’a-t-elle pas dédié
son livre à une des figures de la Révolution française,
Talleyrand, évêque de la ville d’Autun ?
Ce livre autorise à la considérer comme une des
initiatrices du féminisme libéral de défense des droits et
devoirs de la femme : droit à l’éducation surtout, donnant
droit à la représentation parlementaire ; devoir de fidélité et
de chasteté dans le mariage, devoir qui incombe aussi à
l’homme. Ces préoccupations se reflètent dans le sous-titre
du livre, « Avec des critiques sur des sujets de morale et de
politique ».
Aux États-Unis, dans la seconde moitié du dix-neuvième
siècle, nombreuses sont les féministes qui mènent le combat
sur trois fronts en même temps : défense des droits de la
femme, défense des travailleurs dans l’action syndicale et
abolition de l’esclavage. Elles ont pour noms, Suzan
Anthony, Elizabeth Cady Stanton, Kate Mullaney, Augusta
Lewis, Fanny Wright, les sœurs Grimke, Margarett Fuller,
Harriett Tubman, Ernestine Rose, Abigail Scott Duniway,
Alice Paul, Myrtille Miner… Ce sont elles qui créent le
Mouvement des Droits de la Femme8. La première Convention des
Droits de la Femme se tient en 1848 pour l’État de New
York. Mais les grandes figures du féminisme américain
apparaîtront seulement au vingtième siècle.
Lorsque Barak Obama accède à la présidence des États-
Unis en novembre 2008 sous les couleurs du Parti
Démocrate, parmi les anciens combattants de la cause des
Noirs qui lui ont balisé le chemin, on ne doit pas oublier
Fannie Lou Hamer. Dans son Mississippi natal, c'est par un
combat acharné qu'elle est arrivée à être la première

8 Women’s Rights Movement, WRM.

23
personne de race noire à se faire inscrire sur les listes
électorales et à militer dans le Parti Démocrate.
Signalons que dans ce pays, des femmes ont eu aussi à
s’illustrer dans un domaine tout à fait différent, celui du
banditisme, ayant eu pour théâtre le Far West, qui n’était pas
seulement « un pays d’hommes ». La plus célèbre est
certainement Calamity Jane (1852-1903) ainsi dépeinte par
un de ses biographes :
« Grande buveuse de whisky, capable de tirer plus vite
que beaucoup de ses compagnons, championne de
poker, cavalière sans peur et sans reproche… Chef de
bande, elle avait donné du fil à retordre aux
représentants de la loi ; elle s’était ensuite amendée en se
mettant à la disposition de l’armée pour des missions de
reconnaissance en territoire indien. » (Ford : 46).
Cette vie mouvementée n’a pourtant pas été pour elle un
obstacle à des intrigues amoureuses : elle s’est mariée une fois
et a eu une fille, et a eu des aventures avec des caïds comme
Sam Bass, et surtout cette autre légende du Far West, Wild
Bill Hickok, dont il est dit qu’elle a été très amoureuse. Elle a
d’ailleurs été enterrée auprès de celui-ci dans le cimetière de
Deadwood. Le Far West a connu aussi d’autres célébrités
femmes-bandits, comme Annie Oakley, Jennie Stevens, Rose
de Cimarron, Belle Star…
III. DES HOMMES DANS LE COMBAT FÉMINISTE
C’est aussi en France, berceau du féminisme, que des
hommes s’illustrent pour la première fois dans le combat
pour les droits de la femme. Le plus connu est Poullain de La
Barre, qui dans son Égalité des sexes (1673), soutient que la
différence physique ne doit pas donner lieu à l’inégalité dans
les fonctions, et que les femmes sont capables autant que les
hommes, d’être dans la direction de l’État, dans l’armée,

24
dans le clergé, d’exercer des professions de magistrat, avocat,
professeur…
Condorcet lui, demande qu’on lui montre entre les
hommes et les femmes une différence naturelle qui puisse
légitimement fonder l’exclusion d’un droit9.
En Angleterre aussi, le mouvement féministe trouve un
défenseur de poids avec le philosophe économiste John
Stuart Mill, auteur de ‘L’Assujettissement des Femmes’, 186910.
Dans ce texte, l’auteur reconnaît avoir beaucoup bénéficié de
l’apport de son épouse Harriet Taylor, et de sa belle-fille.
En Allemagne, c’est dans les milieux marxistes
qu’émergent les premières thèses féministes. Dans l’Origine de
la famille de la propriété et de l’État de Friedrich Engels, on peut
lire :
« Le premier antagonisme de classe dans l’histoire
coïncide avec le développement de l’antagonisme entre
hommes et femmes dans le mariage monogamique, et la
première oppression de classe avec celle du sexe mâle et
du sexe femelle. » (p. 65-66).
Pour Engels, c’est lorsque les hommes commencent à
acquérir la propriété sous forme de terres et de troupeaux et
qu’ils cherchent à la transmettre à leur descendance
masculine par l’héritage patrilinéaire qu’on assiste à « la
défaite historique mondiale de la femme » (p. 120-121).
Auguste Bebel, dirigeant du Parti Social-démocrate
(marxiste) allemand, est l’auteur d’un ouvrage La femme et le
Socialisme (1879), qui devrait être classé parmi les fleurons de
la littérature féministe. Il y décrit la condition féminine
depuis l’Antiquité, pour présenter ce qu’elle devra être sous le
socialisme :

9 Cité par Anne Dao, « La différence des sexes au lendemain de la

Révolution française », Lith, décembre 2001.


10 "The Sujetion of Women", 1869.

25
« Le Parti Socialiste est le seul qui a fait de l’égalité totale
des femmes, leur libération de toute forme de
dépendance et d’oppression une partie intégrale de son
programme ; non pas pour des raisons de propagande,
mais par nécessité. Car il ne peut y avoir de libération de
l’humanité sans indépendance sociale et égalité des
sexes. »
Il semble ainsi exister une certaine tradition de féminisme
dans la pensée marxiste. On la retrouve chez l’écrivain et
poète communiste français Louis Aragon. Dans un entretien
avec Thérèse de Saint-Phalle11, il déclare :
« Je suis l'ennemi de ce règne de l'homme qui n'est pas
encore terminé. Pour moi, la femme est l'avenir de
l'homme, au sens où Marx disait que l'homme est
l'avenir de l'homme. »
Il convient de préciser que les hommes sympathisants de
la cause des femmes ne sont pas en fait présentés comme des
féministes, mais comme des pro-féministes.

11 Publié par Le Monde du 9 novembre 1963 sous le titre « Louis Aragon

commente Le Fou d'Elsa, une épopée de quatre cents pages ».

26
CHAPITRE II

LA RÉFÉRENCE : SIMONE DE BEAUVOIR


(1908-1986) LE DEUXIÈME SEXE, TEL QUEL

Simone de Beauvoir, issue de famille parisienne


bourgeoise, philosophe de formation, condisciple de son
compagnon Jean Paul Sartre et d’une pléiade de grands
intellectuels de sa génération comme Raymond Aron,
s’illustre dans la littérature, avec une liste longue de
publications. L’ouvrage qui a fait sa renommée est
certainement Le Deuxième Sexe.
Le Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir est publié en
1949. Elle est alors âgée de 41 ans. Le livre qui comprend un
millier de pages, est présenté en deux tomes, le premier
intitulé « Mythes et réalités », le second, « L’expérience vécue
». Le tome 1 porte sur des considérations générales qui vont
faire l’objet de développements dans le tome 2.
I. LA FEMME, « L’AUTRE, CETTE INCONNUE »
Simone de Beauvoir affiche son programme dès
l’introduction, « La femme, l’Autre ». Elle met en exergue ces
mots de Pythagore :
« Il y a un principe bon qui crée l’ordre, la lumière et
l’homme, et un principe mauvais qui a créé le chaos, les
ténèbres et la femme. »

27
Elle dit s’étonner que ce soit seulement vers l’âge de 40
ans qu’elle découvre quelque chose qui dans ce monde crève
les yeux, et que personne ne semble voir. C’est que, la femme
se différencie toujours par rapport à l’homme, mais que
l’homme lui, ne se différencie jamais par rapport à la femme.
Cela est dû au fait que la femme est perçue comme
l’inessentiel, comme sujet, comme Autre ; alors que l’homme
lui, est l’essentiel, l’Absolu. C’est ainsi que, souligne-t-elle,
dans son cas personnel, on la considère toujours comme la
compagne de Sartre, mais on ne considère jamais Sartre
comme le compagnon de Simone de Beauvoir12.
Lorsqu’elle parle de « deuxième sexe », ce n’est pas pour
situer la femme dans un rapport d’infériorité. Pour elle, le
deuxième sexe, ce n’est pas le « sexe second », mais
seulement le « sexe autre ».
Elle s’érige contre cette suprématie du sexe qui tue, sur le
sexe qui donne la vie. Le sexe qui tue, ce sont les hommes qui
font les guerres, et le sexe qui donne la vie, ce sont les femmes
qui enfantent.
Simone de Beauvoir reconnaît avoir longtemps hésité à
écrire sur la femme. Selon elle, beaucoup d’écrits ont été
consacrés au féminisme, mais n’est-on pas passé à côté ? Elle
pose la question, « D’abord qu’est-ce qu’une femme ? ».
Pour elle, la femme est une inconnue, « cette inconnue »,
alors que d’autres la réduisent à un utérus. À l’encontre de
cette conception, elle se réfère au livre Femme moderne : le sexe
perdu13, de Dorothy Parker qui considère que les femmes

12 Un humoriste français raconte tout de même que lorsque Mme Simone


Weil était ministre dans le gouvernement du président Giscard d’Estaing,
lors d’une réception où elle était accompagnée par son mari beaucoup
moins connu, l’huissier de service fit ainsi les présentations au moment de
leur entrée : « Madame et Monsieur Simone Weil ! ». Le président
Français Sarkozy a donné du « Mr Merkel » à Joachim Sauer qui se
trouve être l’époux de Angela Merkel, chancelier de l’Allemagne.
13 Modern Woman : the Lost Sex.

28
comme les hommes doivent être considérées comme des
êtres humains.
Elle est convaincue que lorsqu’on utilise les termes
« masculin » et « féminin », on a une impression de symétrie,
mais c’est seulement au niveau du papier, par exemple sur les
pièces d’état civil. Mais dans la réalité, on ne peut pas les
assimiler à un circuit électrique à deux pôles
électriques réduits à deux signes, l’un positif, l’autre négatif.
Ici, nous avons affaire à un circuit à trois pôles : un pôle
positif et un pôle neutre représentés par l’homme, et un pôle
négatif représenté par la femme. Elle ironise sur le fait que
l’on dise que la femme pense avec ses glandes, tout
simplement parce qu’elle a des ovaires et un utérus, comme
si l’homme était dépourvu de glandes.
Elle remonte à la Bible (Genèse), pour situer l’origine de
ce traitement inégal. Il y est dit qu’Ève est créée à partir
d’une côte d’Adam. Dans ce cas, commente-t-elle,
l’humanité est mâle et la femme est définie non en tant que
telle, mais comme relative par rapport à l’homme. Il n’est dès
lors pas étonnant, et elle le déplore, que dans le Judaïsme,
dans leurs prières, l’homme rend grâce à Dieu de ne pas
l’avoir fait femme, et que la femme rend grâce à Dieu de
l’avoir créée selon Sa volonté. Les religions, en tant
qu’inventions des hommes, reflètent leur volonté de
domination. Et ce sont eux, les hommes, qui font l’histoire.
C’est comme si la dévaluation de la féminité était une étape
nécessaire de l’évolution de l’humanité.
En fin de compte, cette empreinte machiste se retrouve
chez beaucoup de penseurs, même s’ils ne se réfèrent pas
directement à la religion. Platon aussi, dit-elle, remerciait les
dieux de l’avoir créé libre et de l’avoir fait homme et non
femme. Elle interpelle le philosophe Julien Benda, qui dans
son Rapport d’Uriel, écrit que l’homme peut penser à lui sans la
femme, mais celle-ci ne peut pas penser à elle sans l’homme.

29
Elle reconnaît toutefois que quelques philosophes comme
Diderot, Stuart Mill, ont pris la défense des femmes.
Pour Simone de Beauvoir, le traitement de la femme en
tant que Autre, brimée, peut être assimilé à celui du
prolétariat et à celui des nègres de Haïti, car de tout temps
esclave, dépendante ; avec la différence que ces derniers,
finissent par se révolter pour changer leur condition. Ce qui
n’est pas le cas des femmes qui elles, se positionnent dans
l’agitation symbolique, n’arrachant rien par la lutte, se
contentant de recevoir ce que les hommes veulent bien leur
donner ; elles ont de tout temps été les complices des
hommes, les aidant même à les opprimer.
S’il en est ainsi, selon elle, c’est parce que, d’abord, les
femmes vivent de façon dispersée. Ensuite, elles ont, non pas
un réflexe d’appartenance de sexe, mais un réflexe
d’appartenance de classe, qui fait que si elles sont de la
bourgeoisie, elles se sentiront solidaires des hommes
bourgeois, non des femmes prolétariennes ; elles ont aussi un
réflexe d’appartenance de race tel que, si elles sont blanches,
elles se sentiront solidaires des hommes blancs et non des
femmes noires. Elle reconnaît qu’elle non plus n’a pas
échappé à cette déviation qui l’a menée à vivre une fausse vie
arrangée par les hommes, dans un milieu bourgeois avec
toutes sortes de privilèges (études, voyages, libertés) dont la
majorité des femmes étaient dépourvues. Elle regrette ainsi
d’avoir été une « collaborationniste ».
En quelques lignes, elle pose le problème du bonheur,
mais en précisant que ce n’est pas le problème qui se pose
pour la femme, parce que selon elle, il n’existe aucun critère
de mesure du bonheur. Rien ne permet d’affirmer que la
femme d’un harem est plus heureuse que la femme électrice,
que la femme au foyer est plus heureuse que la femme
travailleuse. C’est la raison pour laquelle, elle déclare

30
s’intéresser au sort des individus, non en termes de bonheur,
mais en termes de liberté.
Abordant le problème de la technologie, elle trouve
qu’étant une affaire de cerveau et non de muscle, elle ne
saurait être l’apanage des seuls hommes ; et la contradiction
est flagrante entre la technologie et le rôle conservateur des
femmes dans la cuisine. Une manière de dire que la
technologie devrait aider à la libération de la femme.
Bien des années après, elle déclare constater avec tristesse
que l’asservissement de la femme a du mal à disparaître,
même chez les intellectuels mâles qui se disent progressistes.
C’est ainsi que, regrette-t-elle, dans les milieux gauchistes
contestataires de Mai 68, les femmes sont réduites à
dactylographier les textes de résolutions et de motions, et à
préparer le café. Comme quoi, la lutte des classes n’est pas
négation de la lutte des sexes. Quant aux revendications des
femmes « à travail égal salaire égal », elles sont justifiées,
nécessaires, mais pas suffisantes.
Le problème de Simone de Beauvoir, la lettre de mission
qu’elle s’assigne, est de chercher à percer le mystère de cette
situation particulière de la femme par rapport à l’homme :
pourquoi la femme est-elle « l’Autre » ?
Elle estime que la biologie n’est pas suffisante pour
répondre à la question, et constate que Freud, avec sa
psychanalyse, reconnaît ne pas savoir l’origine de la
suprématie masculine. Il faut donc explorer d’autres
directions. Ce qui l’amène à admettre le primat de
l’environnement économique, social et psychologique dont
l’influence est telle que la femme n’est femelle que parce
qu’elle se sent femelle. C’est ce thème qui fait l’objet du tome
2 qu’elle commence dès la première page avec ce propos qui
a fait le tour du monde :
« On ne naît pas femme : on le devient »

31
Et elle poursuit :
« C’est l’ensemble de la civilisation qui élabore ce
produit intermédiaire entre le mâle et le castrat qu'on
qualifie de féminin… l’enfant ne saurait se saisir comme
sexuellement différencié. » (p. 13).
Autrement dit, c’est le milieu familial, social, et non la
biologie… qui détermine le sexe de l’enfant : il appréhende
l’univers non pas avec ses organes sexuels mais avec ses yeux
et ses mains. C’est autour de cette proposition que le tome 2
du Deuxième Sexe est construit pour l’essentiel autour de ces
thèmes : féminité, maternité, mariage, égalité des sexes,
rapports hétérosexuels et lesbianisme, religion. Précisons que
ces thèmes ne correspondent pas toujours à ses propres têtes
de chapitres.
II. FÉMINITÉ
Simone de Beauvoir commence par s’en prendre à la
féminité par laquelle le milieu social identifie la femme. Son
argument est que jusqu’à l’âge de quatre ans, il n’existe
aucune différence d’attitude entre la fille et le garçon, et que
jusqu’à l’âge de douze ans, rien ne les distingue au plan de la
robustesse physique et des capacités intellectuelles. C’est
l’éducation familiale qui inculque au garçon sa masculinité,
et à la fille sa féminité.
Au garçon, on interdit de se regarder dans la glace, de
pleurer ; il doit avoir le monopole des jeux violents, comme
grimper aux arbres, et même se battre ; il a le droit de
brandir son pénis, le comparer avec celui de ses camarades,
s’amuser à qui aura le jet urinaire le plus long.
Par contre, à la fille on apprend que ses organes sexuels
sont tabous ; en guise de jouet, on lui donne une poupée,
objet étranger ; elle est elle-même vue comme une poupée ;
on lui apprend ce qui est considéré comme attributs
spécifiquement féminins : cuisine, couture, ménage, toilette,

32
charme, manière de se tenir, de marcher, « Ne marche pas
comme un canard ! » (p. 31).
À l’école, dans les cours d’histoire, les héros qui sont
admirés sont toujours des hommes : Persée, Hercule, David,
Achille, Lancelot, Du Guesclin, Bayard, Napoléon… Pour ce
qui est des femmes, en dehors de la seule Jeanne d’Arc, on ne
leur parle que de princesses ou courtisanes frivoles, quand ce
ne sont pas de vieilles sorcières méchantes, repoussantes.
Dans les romans qu’on leur fait lire, les aventuriers, marins,
explorateurs, les chefs d’État, les généraux, les explorateurs,
les musiciens, les peintres, sont toujours des hommes
auxquels le garçon cherche à s’identifier. Par contre, ce sont
des modèles de passivité qui sont proposés à la fille : la Belle
au bois dormant, Peau d'âne, Cendrillon, Blanche Neige,
celle qui reçoit et subit ; captive, enchaînée, elle attend d’être
délivrée par son prince qui à cet effet combat et défait les
dragons et les géants.
Dans l’éducation religieuse où Dieu est le père, même si
on leur dit que les anges n’ont pas de sexe, ceux-ci portent
des noms masculins ; le pape, les évêques, les prêtres sont des
hommes.
La féminité ainsi inculquée à la fille rime avec passivité,
docilité. Tout dans son éducation est fait pour la brimer, la
chloroformer. Toute activité sportive ne lui est pas interdite,
mais il ne faut surtout pas qu’elle y perde sa féminité. À l’âge
de douze ans, son destin de femme est définitivement scellé
pour être épouse, mère, grand-mère. Alors que le garçon,
même beaucoup moins doué, peut être appelé à de hautes
fonctions de responsabilité et aussi de domination.
III. FRAGILITÉ DE LA FEMME
Malgré tout, Simone de Beauvoir en arrive à reconnaître
la réalité de la différence physiologique entre l’homme et la

33
femme, au niveau de la configuration des organes sexuels, au
niveau de la force musculaire.
Elle entre véritablement dans l’intimité de la femme, pour
évoquer, au moment de la crise de puberté vers douze ou
treize ans, cette végétation neuve sous ses aisselles, au bas de
son ventre, qui la métamorphose en bête ou en algue... les
seins qui apparaissent comme une prolifération inutile,
indiscrète (p. 63), et deviennent une gêne pour les exercices
violents ; c’est à cette étape que la fille n’est plus en mesurer
de rivaliser physiquement avec le garçon.
Elle décrit la menstruation, ressentie par la fille comme :
« Dégoût devant cette odeur fade et croupie qui monte
d’elle-même, odeur de marécage, de violettes fanées. »
(p. 70).
Et elle ne s’en tient pas là, disant que :
« Il est difficile de jouer les idoles, les fées, les princesses
lointaines, quand on sent entre ses jambes un linge
sanglant. » (p. 127).
Ce que beaucoup verront comme outrance verbale se
poursuit avec cette comparaison entre les organes sexuels
féminins et masculins :
« Le sexe de l’homme est propre comme un doigt… le
sexe féminin est mystérieux pour la femme elle-même,
caché, tourmenté, muqueux, humide ; il saigne chaque
mois, il est parfois souillé d’humeurs, il a une vie secrète,
dangereuse… tandis que l’homme "bande", la femme
"mouille". » (p. 65).
Tout en reconnaissant la faiblesse physique de la femme
par rapport à l’homme, elle la considère comme toute
relative. La femme a certes moins de force musculaire, ne
peut affronter l’homme dans un combat ou dans des
épreuves physiques, mais c’est uniquement compte tenu de

34
certaines dispositions, règles de jeu, qui ont été établies par les
hommes. La force physique n’est requise dans la vie de tous
les jours que dans le cadre d’un minimum nécessaire où
homme et femme peuvent être à égalité. La force physique
ne peut servir de base de domination masculine que dans un
monde où la violence est érigée en système de vie.
IV. RAPPORTS HÉTÉROSEXUELS
Simone de Beauvoir s’emploie intensément à décourager
les femmes, les jeunes filles surtout, à entretenir des rapports
sexuels avec les hommes. À travers la fillette derrière laquelle
elle émet ses propres opinions, elle considère l’acte sexuel
comme sale, entre deux bêtes nues qui s’affrontent, ce qui
contraste singulièrement avec leur aspect du dehors tout en
décence et dignité. Avec l’acte d’éjaculation, l’homme urine
dans la femme. La première expérience sexuelle est ressentie
par la jeune fille comme un viol, une opération chirurgicale,
parce que perforée comme du cuir, déchirée comme une
étoffe. C’est par la violence que la jeune fille vierge devient
femme.
Dans tous les cas, le rapport sexuel ne fait que symboliser
la domination de l’homme :
« La femme est couchée sur le lit dans l’attente de la
défaite ; c’est pire encore si l’homme la chevauche
comme une bête asservie aux rênes et aux mors… il prend
son plaisir avec elle, il lui en donne. » (p. 164).
La domination masculine se reflète encore dans la
similitude qui existe entre le vocabulaire érotique et le
vocabulaire militaire :
« L’amant a la fougue d’un soldat, son sexe se bande
comme un arc, quand il éjacule il “décharge”, c’est une
mitrailleuse, un canon. » (p. 150).

35
L’homme est dominateur, mais aussi égoïste. Combien
d’hommes dans un ménage se soucient de savoir si la femme
veut le coït ou s’y soumet seulement ? On peut même,
poursuit-elle, coucher avec une morte.
Pour Simone de Beauvoir, dans l’acte sexuel, la femme est
perdante à tous les coups. Si elle admet son plaisir et
l’exprime, elle reconnaît son esclavage ; si par orgueil elle
essaie de se dominer pour mimer l’indifférence, elle se
condamne à la longue à la frigidité.
V. LESBIANISME
La condamnation des rapports hétérosexuels pour les
femmes ne peut déboucher que sur une invitation au
lesbianisme. Un chapitre du Deuxième Sexe est d’ailleurs
intitulé « La lesbienne ». Simone de Beauvoir soutient que le
penchant lesbien existe à l’état latent chez toutes les jeunes
filles, et que la femme est naturellement homosexuelle.
Ce qui selon elle, pousse la jeune fille à exprimer son
homosexualité, souvent avec une aînée, c’est le souci de
s’épargner les inconvénients liés aux rapports sexuels avec des
garçons. Avec une partenaire, il n’y a pas de risque de
pénétration, de défloration, et le plaisir est assuré par le
clitoris. L’autre avantage que le lesbianisme apporte à la
femme c’est la délivrance de la domination masculine :
« Ici, il n’y a ni lutte, ni victoire, ni défaite ; dans une
exacte réciprocité, chacune est à la fois sujet et objet, la
souveraine et l’esclave. » (p. 213).
Les lesbiennes sont présentées comme provenant de
différents milieux ; mais elles sont surtout présentes dans les
milieux du sport, des arts et de la littérature ; parce que ces
femmes, absorbées qu’elles sont par leurs occupations,
n’entendent pas perdre leur temps à chercher à charmer les
hommes. Le lesbianisme est l’expression de leur refus de la
domination mâle ; elles sont ainsi libérées des contraintes de

36
la féminité. Généralement, nous dit Simone de Beauvoir, la
lesbienne n’aime pas la soie et le velours (symboles de
féminité ?), elle boit sec, fume du gros tabac, parle un langage
dur, s’impose des exercices violents. Autrement dit, cherche à
se comporter comme un homme.
Le lesbianisme est aussi perçu comme acte politique. C’est
ainsi que, dit-elle, beaucoup de femmes membres du
« Mouvement de libération de la femme » (MLF) sont
lesbiennes de par leur engagement politique et ne se privent
plus de l’avouer depuis Mai 1968.
VI. MARIAGE, PROSTITUTION
Compte tenu de tout ce qui précède, il est facile de prévoir
que Simone de Beauvoir ne peut pas avoir une opinion
favorable sur le mariage.
Elle cherche à dissuader les jeunes filles du mariage qui est
loin d’être cette carrière honorable, marque de dignité
sociale, telle qu’on le présente. Au contraire, le mariage n’est
source que d’inconvénients pour la femme. Nonobstant les
douleurs procurées par le sexe mâle et l’accouchement, le
mariage tel que conçu repose sur la domination mâle. Il ne
fait place à aucune symétrie : l’homme est l’actif, il se marie,
prend femme ; la femme est la passive, elle est mariée, est
donnée en mariage. Le mariage, c’est tout simplement le
passage de la domination du père à la domination du mari.
Avec le mariage, la femme est annihilée, mutilée, vouée pour
le restant de sa vie à la routine.
C’est l’éducation familiale qui annihile chez la femme tout
sentiment de révolte. On lui inculque les hautes valeurs
d’amour, de dévouement, de don de soi, et elle y croit, alors
que ce ne sont que des mensonges qui ne la mènent qu’à la
soumission. Pour l’homme, la femme ne sera jamais rien
d’autre qu’un objet de plaisir, une compagne. Le mariage,
c’est la fin de la vie pour la femme, même lorsque âgée de

37
seulement de vingt ans, ligotée à un mari, avec en plus un
bébé dans les bras.
Seulement, le mariage est là ; la plupart des femmes se
marient. Quelle attitude doivent-elles alors adopter dans le
mariage ? Ce qu’on constate, poursuit-elle, c’est que dans le
ménage, le mari se croit obligé d’ordonner, de jouer au
souverain, au petit chef ; il déverse sur l’épouse toute sa bile,
toutes les rancunes et frustrations accumulées dans son
existence passée et présente. Il faut donc que la femme se
rebelle, fasse comprendre à son homme qu’il est naïf de
s’imaginer qu’il va la soumettre, qu’il va la façonner comme
il l’entend.
La voie royale de rébellion qu’elle propose à l’épouse est
de tromper son mari, de « l’humilier dans sa virilité »
(p. 296). Simone de Beauvoir va encore plus loin, pour
déplorer cette conception traditionnelle du mariage selon
laquelle la femme n’a droit à aucune activité sexuelle en
dehors du mariage. Pour elle, l’adultère doit être considéré
comme une donnée nécessaire dans le mariage, d’un
commun accord, et les deux époux ne doivent pas chercher
l’un dans l’autre leur exclusive raison de vivre. Sigmund
Freud avait tenu les mêmes propos quelques décennies plus
tôt.
Pour Simone de Beauvoir, les tares du mariage ne sont
pas à mettre sur le compte des mariés ; c’est l’institution du
mariage en elle-même qui est perverse. Elle n’hésite pas à
présenter le mariage comme une forme de prostitution : la
prostituée et la mariée ne sont guère différentes ; pour
chacune, l’acte sexuel n’est rien d’autre qu’un service qui lui
est payé, par un seul homme dans le cas de mariage, par
plusieurs hommes (clients) à la pièce dans le cas de
prostitution.
Même si elle assimile le mariage à la prostitution, sa
sympathie va manifestement à cette dernière. La prostitution

38
est justifiée comme un volet du combat de la femme pour son
indépendance. La prostituée a le mérite de n’appartenir à
aucun homme particulier. Mieux, elle est l’agent de la
revanche de la femme sur l’homme : en faisant payer son
client homme, elle le change en instrument. Au lieu d’être
objet, la femme prostituée est sujet.
VII. MATERNITÉ
Qui dit mariage, dit maternité, un thème auquel Simone
de Beauvoir consacre un long chapitre. Elle estime que c’est
encore l’éducation qui inculque à la femme qu’il est naturel,
qu’il est normal, qu’il est féminin qu’elle fasse des enfants. En
fait, c’est un choix qui a été fait et imposé par l’homme. Le
système de valeurs sur lequel fonctionne la société doit être
changé, en commençant par la destruction de la maternité.
Elle faut en finir avec cette opinion fausse selon laquelle la
maternité suffit à combler la femme. En réalité, la femme ne
souhaite faire un enfant que pour assouvir ses désirs
homosexuels.
Grossesse et maternité ne présentent que des
inconvénients pour la femme. Étant enfant déjà, elle y pense
avec horreur, hantée par la perspective de ce corps parasite
(le bébé) proliférant dans son propre corps – Comment va-t-il
sortir ? Par l’anus ? – avec l’image d’enflure, de déchirure,
d’hémorragie, surtout que la Bible lui annonce qu’elle
enfantera dans la douleur. La grossesse est une rançon dure
infligée à la femme, en échange de ce bref et incertain plaisir
qu’a été le coït. Comme dit-elle, l’exprime la plaisanterie
« cinq minutes de plaisir, neuf mois de peine ; ça entre plus
facilement que ça ne sort ».
Simone de Beauvoir s’en prend évidemment aux femmes
mères de plusieurs enfants, qui se complaisent à aligner les
grossesses, ne voyant en elles que des « pondeuses », des
abonnées à « la maternité qui enlaidit le visage et le corps »
(p. 397).

39
Elle accorde un grand intérêt à ce qu’elle appelle les
données de la biologie, pour faire référence aux animaux de
l’espèce cellulaire, chez qui la reproduction peut se faire de
façon asexuée, c'est-à-dire sans rapport sexuel. Elle rêve ainsi
du temps où les êtres humains seront produits en laboratoires
au lieu d’être mis au monde par les femmes. Autrement dit,
perpétuation de l’espèce humaine sans différentiation
sexuelle, donc sans rapport sexuel.
VIII. INDÉPENDANCE DE LA FEMME, TRAVAUX MÉNAGERS
Un chapitre du livre est intitulé « La femme
indépendante ». L’indépendance de la femme ne peut être
concrète que si elle est occupée par des études, des activités
sportives, politiques, sociales, professionnelles. La première
condition de l’indépendance de la femme, qu’elle soit mariée
ou non, est d’exercer une activité professionnelle rémunérée.
Le travail est déjà un début de libération, car dans le
mariage où la femme reste au foyer, le père travaillant
dehors, il est le seul moyen de communication de la maison
avec le monde extérieur ; ce qui ne fait que renforcer sa
suprématie. Les libertés civiques comme le droit de vote sont
certes importantes, mais elles ne sont rien si la femme ne
conquiert pas l’indépendance économique que lui confère le
travail, cessant ainsi d’être un parasite. C’est le travail qui
permet à la femme de franchir un grand pas dans la distance
qui la séparait de l’homme. Tant que c’est l’homme qui a
l’exclusivité de la responsabilité économique du ménage, il ne
peut y avoir égalité. C’est son lieu de travail qui détermine
l’emplacement du domicile conjugal, le niveau de vie du
ménage est fonction de son salaire. Tout dans la vie du
couple est réglé d’après les possibilités et contraintes du mari.
Naturellement, la femme au foyer, confinée dans les
travaux ménagers ne peut pas avoir la faveur de Simone de
Beauvoir. Lorsque la femme est confinée dans les activités
domestiques, le foyer est le centre de son monde, son univers

40
sur lequel elle règne enfin, une fois le mari parti au travail.
Elle tient à le maintenir propre, impeccable. L’exemple est
donné de ces femmes de pays du nord de l’Europe comme la
Hollande, dont la froideur due à l’éducation puritaine qui
exclut les plaisirs de la chair, les pousse à se trouver un
dérivatif dans l’obsession de propreté du foyer conjugal.
Dans la cuisine, une fois qu’elle a allumé le feu, l’épouse
ménagère est véritablement transformée en sorcière ; même
lorsqu’elle dispose d’une servante, il lui faut mettre la main à
la pâte, surveiller, réprimander, critiquer, pour se donner une
impression d’importance. Alors que le travail domestique
non seulement ne confère pas l’autonomie, mais n’est
d’aucune utilité au plan macro social ; il est, comme disent
certains économistes, du travail improductif. Dans les
travaux domestiques, tout est patience, passivité, attente : que
le sucre fonde, que la pâte se lève, que le linge sèche ; et aussi,
obéissance : au feu, à l’eau…
La femme au foyer adore aussi aller au marché. C’est
pour elle l’occasion de se délivrer de la solitude du foyer pour
un bref moment. Mais le marché est surtout pour elle un
moment privilégié où elle peut s’affirmer. Lorsqu’elle
marchande âprement, ce n’est pas tellement par avarice, par
souci de faire des économies : c’est pour enfin gagner une
partie, car elle ne peut jamais y parvenir à la maison en
présence du mari oppresseur.
IX. RELIGION
Le mépris pour la religion est partout présent dans Le
Deuxième Sexe, ne serait-ce que pour deux raisons. La première
est que, selon l’auteur, c’est la jeune fille qui est la plus
vulnérable aux influences de la religion, où on lui apprend
que Dieu le Père est un homme. Autrement dit, le patriarcat
qui opprime la femme est légitimé par la religion.

41
La seconde raison est que la philosophie existentialiste de
Jean Paul Sartre, dont Simone de Beauvoir elle-même
philosophe est partie prenante, se réclame ouvertement de
l’athéisme. Quelques années après la publication du Deuxième
Sexe, dans une interview, Simone de Beauvoir confirme :
« Je ne crois plus en Dieu ; je réalisais que Dieu ne jouait
aucun rôle dans ma vie et j’en ai conclu que le mensonge
avait cessé d’exister pour moi… Pour Sartre et moi, la
littérature a remplacé la religion14. »
Elle constate avec regret que beaucoup de femmes sont
néanmoins actives dans la religion. Mais pour elle, cette
pratique religieuse n’est rien d’autre qu’un pis-aller, un
refuge dans lequel la femme vient noyer son impuissance, ses
frustrations, surtout à partir d’un certain âge, au moment de
la ménopause. De coquette, amoureuse, la femme
vieillissante devient dévote, pour venir chercher secours
auprès de Dieu.
On peut dire que la grande conclusion que Simone de
Beauvoir tire de ses observations de la société est que les
hommes ne sont pas satisfaits des femmes, et les femmes ne
sont pas satisfaites des hommes.

14 Cité par Camille Paglia, Sex Art in American Culture, New York, Vintage,

1992.

42
CHAPITRE III

AUTOUR DU DEUXIÈME SEXE

En 1963, Simone de Beauvoir revient sur la publication


du Deuxième Sexe 15dans une interview où elle révèle qu’elle a
mis deux années pour écrire le livre. Elle y précise qu’elle n’a
pas cherché à nier les différences qui existent entre l’homme
et la femme, mais seulement à montrer que ces différences
sont d’ordre culturel et non naturel ; que son objectif était de
conscientiser les femmes sur leur situation.
Le Deuxième Sexe, vendu à 2000 exemplaires dès la
première semaine, est dit-elle, de tout ce qu’elle a écrit, le
livre qui lui a apporté le plus de satisfaction. Un livre qu’elle a
écrit tel qu’elle l’a voulu.
Un tel livre ne pouvait passer inaperçu, ou laisser
indifférent, dans la France de l’époque, encore sous l’emprise
d’un certain puritanisme bourgeois. Simone de Beauvoir elle-
même a-t-elle mené une vie conforme à sa pensée
théorique ? Comment a réagi l’intelligentsia, du côté des
hommes, comme du côté des femmes ? On est aussi en droit
de s’interroger, et d’abord, sur ses racines théoriques.

15 Interview de Simone de Beauvoir, “The Second Sex 25 years later”,

Society, Southampton University, Jan-Feb 1976, interview John Gerassi.

43
I. RACINES THÉORIQUES DU FÉMINISME
DE SIMONE DE BEAUVOIR

Dans Le Deuxième Sexe, Simone de Beauvoir cite comme ses


principales références des auteurs comme Friedrich Engels et
August Bebel dans le domaine du matérialisme historique, et
Sigmund Freud dans le domaine de la psychanalyse. Elle
présente la psychanalyse comme un terrain intermédiaire
entre la biologie et la psychologie. Ses autres références dans
ce domaine sont Helen Deutsch (Psychologie des femmes), Stekel
(La femme frigide), Havelock Ellis (Études de psychologie sexuelle),
Carl Jung (Les conflits de l’âme enfantine), le Docteur Liepman
(Jeunesse et sexualité), la Revue française de psychanalyse.
Le texte est aussi truffé de citations d’écrivains, surtout
féminins comme Madame de Noailles, Madame de Sévigné,
Madame de Staël, la Comtesse de Ségur, Colette… pour
illustrer ses propos sur tel ou tel point. C’est d’ailleurs à ce
niveau que le lecteur qui n’a pas eu connaissance des écrits
antérieurs de Simone de Beauvoir découvre ses talents de
romancière.
« On ne naît pas femme ; on le devient ». On peut
avancer que dans ce propos, Simone de Beauvoir, sans le
dire, s’inspire de Tertullien, personnage ayant vécu entre le
deuxième et le troisième siècle à Carthage, l’actuelle Tunisie.
D’origine berbère païenne, Tertullien, en se convertissant au
Christianisme, déclare : « On ne naît pas chrétien ; on le
devient ». Simone de Beauvoir ne le cite que parmi les
théologiens ayant tenu des propos antiféministes.
Mais la référence à Tertullien se situe seulement au
niveau de la formulation. Dans son contenu et sa
signification, « On ne devient pas femme ; on le devient »,
peut procéder directement de la philosophie existentialiste
athée développée par Sartre :

44
« L’existence précède l’essence… il n’y a pas de nature
humaine, puisqu’il n’y a pas de Dieu pour la concevoir ;
l’homme est seulement tel qu’il se conçoit, tel qu’il se
veut ; l’homme n’est rien d’autre que ce qu’il fait ;
l’homme a la responsabilité totale de son existence. »
(Sartre 1970 : 19-24).
Ce qui signifie que l’individu existe d’abord, puis se définit
par ses propres actions. Comme le précise Sartre, il ne faut
pas croire naïvement à ce que le monde nous offre. Chacun
façonne ce qui lui semble juste ou vrai ; il n’existe pas de
vérité absolue, de déterminisme ; chacun est seul maître de
ses pensées, de ses croyances, chacun est un choix absolu de
soi. Bref, l’être humain est libre, il est liberté. On voit
aisément le rapport entre ce discours philosophique et celui
de Simone de Beauvoir sur les différences entre homme et
femme : les différences sont d’ordre culturel et non naturel.
Une anthropologue américaine, Margaret Mead, dans un
ouvrage de 1935 faisant état de résultats d’études de terrain
menées en Guinée Papouasie, révèle que certaines
caractéristiques masculines et féminines ne relèvent pas de la
biologie, donc du sexe, mais de certaines conditions
culturelles.
Simone de Beauvoir qui écrit Le Deuxième Sexe plus de dix
ans après, et familière avec la littérature anglo-saxonne, a-t-
elle lu Sexe et Tempérament dans trois sociétés primitives de Margaret
Mead ? Le chercheur est en droit de se poser la question,
mais il faut reconnaître que la philosophie existentialiste seule
était en mesure de l’amener à dire « On ne naît pas femme ;
on le devient ». Simone de Beauvoir a aussi sans aucun doute
puisé dans la philosophie des œuvres de jeunesse de Marx
avec le thème de l’aliénation : c’est l’aliénation dont elle est
victime qui fait de la femme l’Autre. On ne peut non plus
exclure l’influence du Marx de la maturité qui écrit dans
l’Idéologie allemande que c’est l’existence sociale des humains
qui détermine leur conscience, et non l’inverse.

45
Nous avons vu que Simone de Beauvoir exhorte les
femmes à sortir du foyer, et à aller travailler pour se libérer.
Parce que c’est par le travail que la femme a en grande partie
franchi la distance qui la séparait du mâle, pour lui garantir
une liberté concrète. Là, manifestement, Simone de
Beauvoir, sans le citer, s’inspire de Engels qui, dans L’origine de
la famille, de la propriété privée et de l’État soutient que c’est par le
travail que l’homme s’est sorti de l’animalité en se distinguant
du singe, ce qui impliquait l’adoption de la station debout.
De même, Simone de Beauvoir ne mentionne pas
l’économie politique dans ses références. Pourtant, dans ses
développements sur la femme au foyer occupée dans les
travaux ménagers, on perçoit l’analyse d’Adam Smith et de
Karl Marx sur le travail improductif. Pour Adam Smith, le
travail improductif est celui qui ne se traduit pas par la
production de bien matériel, même s’il est utile. Pour Marx,
le travail improductif, c’est le travail qui ne produit pas de
plus value, c'est-à-dire qui ne génère pas un profit pour un
employeur ; comme le travail de réparation effectué par un
ouvrier chez un particulier dans sa maison d’habitation, alors
que le même ouvrier employé dans une entreprise capitaliste
de bâtiment est productif. Pour Simone de Beauvoir, le
travail ménager effectué par la femme au foyer réunit ces
deux caractéristiques de non productif, ne produisant rien de
matériel, n’étant pas commercialisé. Elle va même plus loin
en disant que la femme au foyer s’occupe, mais ne travaille
pas.
Bien que Simone de Beauvoir n’en fasse pas mention, il
est bien difficile de ne pas percevoir de lien entre ses propos
et les dialogues de certains personnages des pièces du
Molière16 de la période 1658-1672. Dans Les Précieuses

16 Molière est actuellement contesté par des historiens de la littérature,

comme un imposteur, n’ayant fait que signer des textes rédigés par
Corneille.

46
ridicules, le bourgeois Gorgibus considère que « le mariage est
une chose simple et sacrée ». Ce qui est aussi la position de
Henriette, cette autre bourgeoise des Femmes Savantes.
Le discours de Simone de Beauvoir peut aussi, s’il ne doit
pas, être resitué dans le contexte social de la France des
années 1940. Particulièrement les passages relatifs au
mariage et à la maternité. Sa position sur la maternité a été
parfois expliquée comme une réaction contre la politique de
natalité des autorités françaises dans la période de l’après-
guerre, avec des dispositions comme les allocations familiales,
les prêts au mariage, le quotient familial dans le calcul de
l’impôt sur le revenu des personnes physiques, la fête des
Mères…
Simone de Beauvoir ne pouvait pas non plus être
indifférente au mouvement surréaliste des André Breton,
Louis Aragon, Tristan Tzara… dont elle a tout de même été
contemporaine entre 1920 et le début des années 1960. Le
surréalisme a marqué toute une époque avec ses
revendications d’émancipation des entraves posées par la
société bourgeoise puritaine : l’union libre au lieu du mariage
était chantée en poésie et pratiquée par les surréalistes.
II. SIMONE DE BEAUVOIR CONTRE SIMONE DE BEAUVOIR
Il ne fait aucun doute que Simone de Beauvoir, dans sa
vie, s’est appliquée certains des principes qu’elle défend dans
son livre. C’est sur consentement mutuel qu’elle a vécu avec
Sartre, sans qu’ils soient officiellement mariés ; une vie non
pas en duo, mais en trio, « un amour nécessaire » avec
Sartre, « des passions organiques contingentes » avec des
amants et avec d’autres femmes.
Elle a eu un amant connu, avec qui elle voyageait, le
romancier américain Nelson Algren. Elle a eu aussi des
relations lesbiennes avec certaines de ses étudiantes,
notamment au lycée Molière de Passy. En 1943, sur plainte

47
des parents d’une de celles-ci, elle est expulsée de toutes les
instances académiques, et interdite d’enseignement à vie
(Johnson : 239).
Mais il est un aspect de sa vie, peu connu, dont fait état
l’écrivain américain Paul Johnson dans son livre Les
Intellectuels17. Johnson y consacre un chapitre à Jean Paul
Sartre, à partir d’une documentation très fournie, dont la
biographie de celui-ci rédigée par une de ses admiratrices,
Annie Cohen-Solal18. Johnson pose cette question : Si Sartre
était roi, qui était reine ? Suivent alors des développements
par lesquels on apprend que Simone de Beauvoir était
pratiquement l’esclave de Sartre : elle lui servait de maîtresse,
de cuisinière, de servante, de garde du corps, d’infirmière, le
lavait (car le grand philosophe n’aimait pas l’eau)...
Dans les annales de la littérature, poursuit Johnson, on
trouve peu de cas pires d’exploitation d’une femme par un
homme. C’était d’autant plus extraordinaire que Simone de
Beauvoir était une féministe (Johnson : 235).
Et Paul Johnson de se demander comment Sartre a pu
exercer sur Simone de Beauvoir une telle domination.
Domination intellectuelle ? Sûrement pas, car elle était son
égale au plan intellectuel. Domination sexuelle ? Encore
moins, car leurs rapports sexuels ont été pratiquement
inexistants à partir des années 1940, c'est-à-dire au cours des
quarante dernières années de leur vie commune. Simone de
Beauvoir s’en explique dans Le Deuxième Sexe en disant que
deux êtres humains qui se rejoignent dans le mouvement
même de leur transcendance à travers le monde et leurs
entreprises communes, n’ont plus besoin de s’unir
charnellement ; parce qu’une telle union n’a plus de sens ; il
n’est plus d’aucun intérêt pour eux ; l’élan érotique qui
poussait l’un vers l’autre est remplacé par la fusion de l’un

17 Paul Johnson, Intellectuals, New York, Harper Perennial, 1990.


18 Annie Cohen-Solal, Sartre : A Life, (trans. London, 1987).

48
dans l’autre, pour devenir le Même. Sur la sexualité de
Sartre, elle a eu d’ailleurs ces mots : « Sexuellement, ce ne fut
pas une réussite, essentiellement à cause de lui ; il n’était pas
passionné par la sexualité ».
Certains en France, ne s’y trompent pas, en affublant19
méchamment Simone de Beauvoir de surnoms comme « la
Grande Sartreuse », « Notre-Dame-de-Sartre »…
L’historienne Sylvie Chapron, une de ses admiratrices, se
désole de « sa liaison trop peu féministe avec Sartre »20.
Toujours est-il que le mystère de l’inféodation de Simone de
Beauvoir à Sartre n’a jamais été complètement percé.
Sartre était le type même du mâle chauvin. Il n’hésitait
pas à déclarer son ambition de conquérir la femme, de la
dompter comme on le fait avec un animal sauvage, pour
justement la faire passer de son état sauvage à l’état d’égalité
avec l’homme (Johnson : 236).
C’est Simone de Beauvoir elle-même qui lève un peu un
coin du voile, dans un ouvrage ultérieur :
« Sartre n’avait que trois ans de plus que moi…
ensemble nous partions à la découverte du monde.
Cependant, je lui faisais si totalement confiance qu’il me
garantissait, comme autrefois mes parents, comme Dieu,
une définitive sécurité21. »
À la mort de Sartre, elle a eu ces mots :
« Sa mort nous sépare, ma mort ne nous réunira pas.
C’est ainsi ; il est déjà beau que nos vies aient pu si
longtemps s’accorder. »
Ce qui en a surpris plus d’une et plus d’un, c’est, une
dizaine d’années après la disparition de Simone de Beauvoir,

19 Simone de Beauvoir, La force de l’âge, Paris, Gallimard, p. 35.


20 Sylvie Chapron, « Simone de Beauvoir cinquante ans après », Le Monde
Diplomatique, janvier 1999, p. 27.
21 Simone de Beauvoir, La force de l’âge, p. 35

49
la publication de sa correspondance avec son amant Nelson
Algren, par sa fille adoptive Sylvie Lebon (Lettres à Nelson
Algren : un amour transatlantique, Gallimard, 1997). Un livre de
911 pages, contenant 304 lettres écrites entre 1947 et 1964.
Simone de Beauvoir avait rencontré Algren lorsqu’elle était
âgée de 39 ans. C’est une femme mûre, féministe, qu’on y
découvre, faisant véritablement figure de midinette :
« Je vous aime plus que jamais, à jamais… je me sens
une femme dans les bras d’un homme, réellement et
totalement, et ça veut dire beaucoup pour moi… C’est
difficile d’écrire parce que je ne puis m’empêcher de
pleurer comme une folle (p. 68)… Vous n’aurez aucun
mal à faire de moi votre dîner. Je vous appartiens
(p.81)… J’ai un tel désir de vous (p. 181), … c’est une
femme complète qui vous désire (p. 202)... mon cœur qui
ne cesse de battre pour vous (p. 304)… Oh Nelson ! je
serai gentille, je serai sage, vous verrez, je laverai le
plancher, cuisinerai tous les repas, j’écrirai votre livre en
même temps que le mien, je ferai l’amour avec vous dix
fois par nuit, même si ça doit légèrement me fatiguer
(p. 345)…. Je serai avec vous comme une épouse,
aimante avec son mari bien-aimé… Je vous aime, il n’y a
rien d’autre à ajouter… Vous êtes mon cœur pour
toujours. » (p. 570).

III. CONTRE SIMONE DE BEAUVOIR : RÉACTIONS


HOSTILES AU LIVRE

C’est Simone de Beauvoir elle-même qui raconte les


réactions d’hostilité que lui ont valu en France Le Deuxième
Sexe. Dans sa famille, comme parmi ses intimes, elle est traitée
de débraillée, impolie, indécente, insatisfaite, frigide ; à quoi
s’ajoutent les accusations de monstre, lesbienne,
nymphomane, femme non mariée abonnée à l’avortement…
Contentons-nous de reprendre ici certaines des réactions
venues de cercles parisiens de la littérature et de la politique.

50
François Mauriac s’indigne publiquement en déclarant
qu’avec ce livre « Nous avons littéralement atteint les limites
de l’abject ». Seulement en privé, il envoie à un des
rédacteurs de la revue Temps Modernes (créée par Sartre et de
Beauvoir en 1945, et qui publia des chapitres du Deuxième
Sexe) une lettre dans laquelle on peut lire : « Le vagin de votre
patronne n’a plus de secret pour moi ». Un propos pour le
moins éloigné des convenances académiciennes22.
Le philosophe chrétien Jean Guitton déclare être
péniblement affecté de découvrir à travers cette œuvre la
triste vie de son auteur.
Albert Camus, ami du couple, trouve qu’elle a cherché à
ridiculiser les mâles français.
Le philosophe communiste Jean Kanapa, ancien élève de
Sartre, voit dans le livre « la basse description graveleuse,
l’ordure qui soulève le cœur ». Pour Jeannette Thorez-
Vermeersch, (épouse du dirigeant communiste Maurice
Thorez), le livre est «une insulte aux ouvrières ».
Pour d’autres, c’est « un manuel d’égoïsme érotique »,
« un manifeste d’égotisme sexuel », « des hardiesses
pornographiques », et elle, « une suffragette de la sexualité »,
une « amazone existentialiste »… Pierre de Boisdeffre ne voit
en elle rien d’autre qu’une « pauvre fille névrosée ».
Certaines féministes critiqueront en elle une certaine
misogynie, compte tenu des descriptions détaillées qu’elle fait
des états de la femme, et de certains passages flatteurs sur la
supériorité physique des hommes23.
Simone de Beauvoir a été très affectée par l’accueil
d’hostilité fait à son livre. Elle avoue que la violence de ces

22 Un biographe de François Mauriac, Jean-Luc Barré, dans un livre


récent, C’était François Mauriac (2009), révèle que celui-ci était homosexuel.
23 Le Doeuff Michèle, "Simone de Beauvoir and Existentialism" in Feminist

Studies, Summer, 1980, 277-89.

51
réactions et leur bassesse l’ont laissée perplexe, surtout celle
de François Mauriac.
Elle est aussi beaucoup attaquée sur son chapitre sur la
maternité, avec l’argument que n’ayant pas été mère, elle
n’avait pas le droit d’en parler. Ce à quoi elle rétorque que la
position privilégiée est celle de la personne qui est légèrement
en marge d’un évènement qu’elle décrit ; le mieux placé pour
décrire une bataille, c’est celui qui y assiste sans vraiment
combattre. Elle demande alors s’il faut interdire aux
ethnologues de parler de tribus africaines auxquelles ils
n’appartiennent pas.
Le Deuxième Sexe a eu tout de même quelques défenseurs au
sein de l’intelligentsia masculine, avec Maurice Nadeau,
Emmanuel Mounier, Jean-Marie Domenach…
Il faut dire que ces critiques ont été surtout émotionnelles,
n’allant jamais au fond. C’est dans le contenu de certains
propos que me paraissent devoir se situer les critiques les plus
pertinentes.
Lorsque Simone de Beauvoir écrit qu’elle s’intéresse au
sort des individus, non pas en termes de bonheur, mais en
termes de liberté, n’est-ce pas une manière d’imposer sa
propre conception, tout en parlant de liberté ?
Pour dévaloriser la fonction de reproduction chez les
humains, elle donne dans le tome 1 l’exemple d’insectes ou
de plantes qui se reproduisent sans sexualisation. Peut-il en
être de même pour des êtres humains ?
À quoi sert-il comme elle le fait, de rêver du temps où les
êtres humains seront produits en laboratoires au lieu d’être
mis au monde par les femmes ?
On peut aussi relever un manque de cohérence dans
certains de ses propos. Le plaidoyer contre la féminité semble
tout de même en contradiction avec ce propos tenu vers la
fin du livre : « En refusant des attributs féminins, on
n’acquiert pas des attributs virils » (p. 591). Les

52
caractéristiques d’ordre physiologique de la fille à l’âge de la
puberté qu’elle décrit si minutieusement ne relèvent tout de
même pas du culturel, de l’éducation.
Sur quoi se base-t-elle pour dire de façon aussi
péremptoire que la femme est naturellement homosexuelle,
que la jeune fille vierge est naturellement kleptomane ?
Comment a-t-elle pu consacrer des développements aussi
longs à l’émancipation de la femme par le travail, pour
ensuite, dire que la femme qui s’affranchit économiquement
de l’homme n’est pas pour autant dans une situation morale,
sociale, psychologique identique à celle de l’homme ?
(p. 590).
Lorsque Simone de Beauvoir parle des droits de la
prostituée et du respect qui lui est dû, allant jusqu’à
l’assimiler à la femme mariée, à qui au demeurant aucun
respect n’est adressé, on est en présence d’une véritable
défense et illustration de la prostitution. La prostitution est-
elle compatible avec la dignité de la femme ? Comment peut-
on se dire féministe et défendre la prostitution, garder le
silence sur cet autre avilissement de la femme qu’est le
striptease (ce spectacle dans lequel des femmes en cabaret se
dénudent devant un public d’hommes) ?
IV. SIMONE DE BEAUVOIR SUR LES FÉMINISTES
Simone de Beauvoir a clairement perçu un phénomène
certainement marginal à l’époque où elle écrivait Le Deuxième
Sexe, mais qui est très répandu aujourd’hui : les femmes
intellectuelles qui militent dans le féminisme. Elle trouve que
les femmes de la droite, parce que mères, épouses, dévouées
aux hommes, ne veulent pas de révolution. Aussi, ne
s’agitent-elles que parce qu’elles veulent une meilleure part
du gâteau : gagner plus d’argent, être plus présentes au
parlement, voir une des leurs femme présidente, bref être au

53
sommet et non en bas. Elle estime que le capitalisme est assez
intelligent pour satisfaire sans frais ces doléances.
Plus tard, dans une interview, elle porte cette appréciation
sur les actions de ses cadettes féministes :
« Les femmes qui mènent le combat pour la libération
sont le plus souvent des bourgeoises intellectuelles ; les
femmes des travailleurs et les femmes travailleuses restent
attachées à leur environnement social et familial ; elles
trouveront choquant qu’on leur parle des droits des
prostituées et du respect qui leur est dû ; je connais des
extrémistes du MLF qui veulent entraîner des épouses à
se rebeller contre leurs maris ; je trouve que c’est une
erreur ; celles-ci seront promptes à répondre : « mon
ennemi c’est mon employeur, mais pas mon mari »,
même si elle doit laver les chaussettes de son mari,
préparer la soupe, lorsque tous deux rentrent du
travail. »
La sociologue Jules Falquet ne porte pas un jugement
différent sur certaines militantes du féminisme :
« La succession effrénée de conférences et de réunions de
l’ONU aux quatre coins de la planète absorbe le temps
et l’énergie des femmes et des groupes féministes, et
provoque chaque fois des dépenses considérables que
seul le financement extérieur permet d’affronter.
Apparaît une sorte d’élite féministe de « expertes du
genre », percevant souvent des honoraires très
attractifs24. »
Et de se demander si l’ONU n’était pas une alliée des
femmes.

24 Jules Falquet, 23 octobre 2005, « L’ONU, Alliée des femmes ?


Analyse féministe critique du système des organisations
internationales », http://www.sisyphe.org/article.php3?id_article=19
89&var_recherche=jules+falquet.

54
Simone de Beauvoir tient aussi sur les femmes, même
celles qui s’engagent dans le combat féministe, quelques
propos qui lui ont valu des critiques de la part de certaines
féministes. Elle reproche aux Françaises du dix-neuvième
siècle d’avoir préféré les compromis et les transactions aux
révolutions, freinant ainsi l’effort d’émancipation ouvrière, à
l’exception, toutefois, de Flora Tristan et Louise Michel.
Parlant de ses contemporaines, elle trouve que les reproches
qu’on leur adresse (médiocrité, petitesse, timidité,
mesquinerie, paresse, frivolité, servilité) sont avérés, pour
ensuite essayer de les justifier par le fait que c’est parce que
l’horizon leur est barré.
Simone de Beauvoir ne manque pas bien sûr de dire
quelques mots sur la femme intellectuelle. Elle estime que
celle-ci est une conscience, un sujet ; elle cherche à prendre
sa revanche en jouant le jeu avec des armes masculines ; elle
parle au lieu d’écouter, elle se pique de penser, agir,
travailler, créer au même titre que les mâles ; au lieu de
chercher à les ravaler, elle cherche à les égaler. Elle cite un
jeune homme qui lui disait qu’une femme qui n’a pas peur
des hommes leur fait peur.
Simone de Beauvoir fait une critique virulente des
hommes de l’époque où elle écrit son livre, les trouvant
agressifs, vulgaires, violents, incapables de voir une femme
assise seule tranquillement dans un café pour lire (comme elle
le faisait dans sa jeunesse dans le quartier de Montparnasse),
sans la harasser et la traiter de salope, de putain lorsqu’elle
leur résiste. Mais explique-t-elle, s’il en est ainsi, c’est parce
que la libération des femmes a engendré leur insécurité, et
seules celles qui restent à la maison sont considérées comme
« propres ». Elle estime que c’est cette libération des femmes
qui est à l’origine de la recrudescence des viols. C’est comme
si pour elle, le féminisme engendrait des conséquences
négatives pour les femmes.

55
V. SIMONE DE BEAUVOIR ET LE MOUVEMENT FÉMINISTE
L’œuvre d’un auteur ne se réduit pas à ses seules
publications sous forme de livres. La correspondance, les
entretiens, les articles, etc. en font partie. Simone de
Beauvoir, ayant vécu 36 ans après la première publication du
Deuxième Sexe n’est pas restée inactive sur le sujet.
Dans une interview avec l’écrivain américain John
Gerassi, lorsque celui-ci lui dit qu’en Amérique beaucoup de
personnes considèrent Le Deuxième Sexe comme le début du
mouvement féministe contemporain, c’est sans doute par
modestie que Simone de Beauvoir répond : « Je ne le pense
pas ». Elle s’appuie sur le fait que la plupart des femmes
actives dans le mouvement féministe actuel étaient trop
jeunes au moment de la parution du livre en 1949/50. Mais
elle concède qu’elle se réjouit qu’elles aient découvert le livre
plus tard, en faisant remarquer que les plus âgées d’entre elles
l’ont lu beaucoup plus tôt ; elle cite le cas de l'Américaine
Betty Friedan qui lui a d’ailleurs dédicacé son livre La
Mystique féminine (1963), tout en précisant que la compatriote
de celle-ci, Kate Millet ne la cite pas une seule fois dans son
livre Politique sexuelle (1972).
C’est aussi dans un entretien avec Francis Jeanson en
1966 que Simone de Beauvoir donne sa définition du
féminisme :
« Une manière de vivre individuellement et de lutter
collectivement25. »
Simone de Beauvoir est-elle féministe ? Cette question
que l’on pourra trouver bizarre a pourtant été posée plusieurs
fois par des féministes, et a même fait l’objet de débats. La
première fois qu’elle s’assume explicitement et publiquement
comme féministe, c’est 22 ans après la publication du

25 Francis Jeanson, Simone de Beauvoir, ou l’entreprise de vivre, Paris, Gallimard,

1966.

56
Deuxième Sexe ; en 1972, dans une interview avec le journal Le
Nouvel Observateur publiée sous le titre « Je suis une féministe ».
Elle revient là-dessus lors d’un entretien ave le journaliste
Pierre Vianson-Ponté, avec ce début de phrase : « Nous, les
féministes… » (Le Monde 10-11 janvier 1978).
Toujours est-il que Simone de Beauvoir est la référence
des féministes des années 1960, en France avec Andrée
Michel, Évelyne Sullerot, Geneviève Texier, aux États-Unis
avec Betty Friedan, en Espagne avec Maria Aurelia
Capmany. On vient la consulter à Paris, et elle s’engage
concrètement dans les combats féministes.
C’est à partir de 1960 qu’elle passe du féminisme
théorique de l’écriture, au féminisme de l’action concrète, en
s’engageant dans les combats de ses cadettes féministes. C’est
dans cette période que Simone de Beauvoir fait son
autocritique, estimant que sa position antérieure était trop
individualiste, et qu’il fallait la compléter par des actions
concrètes en compagnie d’autres femmes. Ce qui explique sa
nouvelle conception du féminisme : vivre individuellement,
lutter collectivement. Dans le magazine Marie-Claire en 1976,
elle déclare :
« Je ne suis pas militante dans le sens strict du terme ; je
n'ai pas trente ans, j'en ai soixante-sept, et je suis une
intellectuelle dont les armes sont des mots, mais je suis à
l'écoute et au service du M.L.F26. »
En juin 1960, elle préside la conférence de presse du
« Comité pour Djamila Boupacha », une jeune algérienne,
musulmane pratiquante, membre du Front de libération
nationale (FLN), arrêtée en France, après avoir été torturée
et violée par des militaires français, alors qu’elle était vierge.
Un comité dans lequel se retrouvent entre autres, des
personnalités comme le philosophe catholique Gabriel

26 Mouvement de Libération de la Femme.

57
Marcel, le couple d’écrivains communistes Louis Aragon et
Elsa Triolet.
En 1971, elle figure en tête des 343 femmes qui réclament
le droit à l’avortement, en apposant leurs signatures sous la
déclaration, « J’ai avorté ». On y retrouve d’autres célébrités,
du cinéma comme Catherine Deneuve et Delphine Seyrig,
de la plume comme Françoise Sagan et Marguerite Duras.
Ces 343 salopes comme les appela un journal satirique – titre
qu’elles revendiqueront – organisent à cet effet une grande
manifestation dans les rues de Paris.
Simone de Beauvoir viendra aussi au fameux procès de
Bobigny dans la proche banlieue parisienne. Une fille de
seize ans enceinte, après avoir été violée par un de ses amis,
avorte clandestinement et se fait dénoncer par celui-ci, ce qui
conduit à son arrestation. Un des temps forts du procès est le
témoignage de Simone de Beauvoir en tant que présidente
du mouvement Choisir créé par l’avocat féministe Gisèle
Halimi (avec Sartre et Simone de Beauvoir). C’est cette
organisation qui prend en charge tous les frais du procès, ce
que ne pouvait faire la mère de la fille, modeste employée du
métro parisien. Ce procès sera l’objet d’un livre L’affaire de
Bobigny, avec une préface rédigée par Simone de Beauvoir,
dans laquelle on peut lire : « … Et j’espère qu’un jour
viendra où elle (la femme) gagnera ». C’est grâce à cette forte
mobilisation féministe que l’accusée est acquittée. En dehors
du mouvement Choisir, Simone de Beauvoir participe aux
actions d’autres associations féministes comme La Ligue du
Droit des Femmes, Questions Féminines…
Il n’est pas superflu de reproduire ici les témoignages de
reconnaissance qui lui ont été adressés par certaines figures
marquantes du mouvement féministe de ces dernières
années.
Dans sa préface à l’édition 1986 du Deuxième Sexe, Benoîte
Groult écrit :

58
« Ces filles spirituelles de Simone de Beauvoir que nous
sommes toutes, à des degrés divers, que nous le voulions
ou non. »
Gisèle Halimi :
« Simone de Beauvoir est la libératrice, l’exemple. »
Maïté Albistur et D. Armogathe :
« Il ne faut pas avoir peur de dire que tout le féminisme
contemporain procède du Deuxième Sexe27. »
Ann Koedt :
« Ce fut une révélation pour moi ; avant mes pensées
étaient privées, maintenant elles s'intègrent à une
théorie. » (Ballorain 1972, 42).
Monique Remy :
« Le Deuxième Sexe a donné à la lutte des femmes le
substrat théorique qui lui manquait. » (1990, p. 29)
Roxanne Dunbar :
« Le Deuxième Sexe changea la vie de beaucoup d'entre
nous […]. C'est encore maintenant le document le plus
intelligent, le plus humain et le plus complet qui ait
jamais été écrit sur l'oppression des femmes et la
suprématie masculine28. »
Marie-Jo Dhavernas :
« Le Deuxième Sexe est certainement l'ouvrage qui a le plus
marqué la génération des féministes qui ont vécu Mai
68. Elle est l'initiatrice du féminisme contemporain, et on
compte peu d'ouvrages qui aient eu autant d'effets

27 Maïté Albistur et Daniel Armogathe, Histoire du féminisme français, du


Moyen Âge à nos jours, vol. 2, Paris, Des Femmes, 1977, p. 606.
28 Citée par J. Zephir, Le Néo-féminisme de Simone de Beauvoir trente ans après Le

Deuxième Sexe : un post-scriptum, Paris, Denoël/Gontier, 1982, p. 28.

59
concrets que Le Deuxième Sexe. » (Libération, 15 avril 1986,
p. 3).
Yvette Roudy, ministre des Droits de la Femme en 1981 :
« S’il n’y avait pas eu l’analyse théorique, historique, très
complète, très solide et demeurée vraie de Simone de
Beauvoir, les effets des luttes des mouvements féministes
nées autour de 1968 n’auraient pas été aussi puissants. »
(Roudy1985, 113).
Simone de Beauvoir, elle-même, pense avoir donné aux
femmes un outil théorique :
« Ce livre peut avoir une certaine valeur parce qu’elles
[les militantes] n’ont pas tellement de théoriciennes. »
(1968)
Seulement, il faut convenir, ce que fait Gisèle Halimi, que
Simone de Beauvoir, même dans les années 1970, ne se
reconnaît pas dans certaines revendications des féministes,
comme celle d’accéder à des postes de responsabilité
publique « où l’on se salit les mains », car le pouvoir est
symbole d’oppression, de corruption. Elle confirme sa
position dans l’entretien avec Pierre Vianson-Ponté :
« Je suis contre la représentation parlementaire… je ne
vois pas très bien ce que les femmes élues feront, sinon
d’être femmes - alibis… Féministe, pour moi c’est une
identité entre l’homme et la femme, une égalité radicale
entre l’homme et la femme… pas pour prendre la place
des hommes, mais pour changer le monde tel qu’il est
fait par les hommes. »
C’est ainsi que dans sa logique, elle n’apporte aucun
soutien à la liste « 100 femmes » présentée par le mouvement
Choisir, lors des élections législatives en France en 1978 (où
Gisèle Halimi est élue). Elle s’insurge aussi contre des
initiatives comme « L’Année de la Femme », car pour elle,
« il ne faut pas traiter les femmes séparément ».

60
L’impact de Simone de Beauvoir sur le mouvement
féministe est encore révélé par la célébration à Paris en 1999
du colloque sur le Cinquantenaire de la publication du
Deuxième Sexe, avec la participation de 137 universitaires en
provenance de 37 pays. Treize ans après sa mort.
Ironie de l’histoire : actuellement, c’est la patrie de
Simone de Beauvoir qui détient en Europe le record de
natalité. La plupart des Françaises qui refusent la maternité,
les « no kids » (pas d’enfants), ne se réfèrent nullement à
Simone de Beauvoir. Leur philosophie, plutôt pessimiste, est
qu’il n’est pas indiqué de mettre au monde des enfants dont
l’avenir va être compromis avec la situation de chômage, de
crise, d’insécurité et de dégradation de l’environnement
physique.
Cela dit, Simone de Beauvoir se présente-t-elle comme
modèle ? Ce n’est en tout cas pas sa conception ; elle trouve
plutôt ridicule de chercher à se référer à elle comme modèle,
et invite les autres femmes à faire l’effort d’explorer leurs
propres voies.
L’Europe (la France surtout et l’Angleterre) a été le
berceau du mouvement féministe. Dans la première moitié
du vingtième siècle, Simone de Beauvoir perpétue la
tradition, pour être la référence universellement reconnue. À
partir de 1960, l’Amérique du Nord (les États-Unis
particulièrement) prend le relais, dans la littérature comme
dans les actions29. Différents courants de féminisme vont y
prendre naissance. Ils ont souvent été classés dans la
chronologie, en féminisme de première génération (du 19ème
siècle à 1960), de seconde génération (1960-80), de troisième

29 Une similitude frappante avec l’histoire de la pensée économique :


Cette discipline née en France et en Angleterre aux 18ème et 19ème siècles,
se développe dans la première moitié du 20ème siècle en Angleterre avec
John Meynard Keynes, pour voir les États-Unis prendre le relais à partir
de 1950.

61
génération (à partir de 1990). Ils seront classés ici dans leurs
formes de manifestation, en « modéré » et « radical », non
pas au sens politique, mais selon le degré de leur démarche.

62
CHAPITRE IV

COURANTS MODÉRÉS DE FÉMINISME

Le féminisme contemporain démarre aux États-Unis avec


le courant modéré initié par Betty Friedan. Ce féminisme
libéral ne sera pour d’autres qu’un point de départ, un
tremplin, pour développer un féminisme résolument radical.
I. FÉMINISME LIBÉRAL
Le premier grand ouvrage écrit sur le féminisme en
Amérique du Nord est La Mystique féminine30 (1963) de Betty
Naomi Friedan (1921-2006), son patronyme de famille étant
Goldstein. Dans la littérature féministe, elle est présentée
comme l’initiatrice de la seconde vague du féminisme.
Betty Friedan dit avoir mis cinq années pour écrire ce
livre. Avant cela, elle dit avoir envoyé un questionnaire sur le
problème du bonheur à 200 femmes qui sont ses
condisciples. Elle reçoit la même réponse : chacune de ces
femmes, toutes mères de famille, déclare ne pas être
heureuse, sans savoir pourquoi. Elle envoie le questionnaire
et les réponses à trois magazines féminins qui refusent de les
publier, parce que non conformes à la mentalité ambiante de
l’époque aux États-Unis. C’est ce qui la décide à écrire La
Mystique féminine.

30 Betty Friedan, The Feminine Mystique, parfois traduit en français La femme

mystifiée.

63
Ce qu’elle entend par « Mystique féminine », c’est cette
image de féminité confinant à la passivité qui a été inculquée
aux femmes qui ont fini par la considérer comme partie
intégrante de leur nature. Au passage, elle égratigne Freud,
qui a contribué à propager cette idée, de même que sa thèse
de « l’envie de pénis » ressentie par la jeune fille, et qui est
évoquée par Simone de Beauvoir. Elle constate que dans les
magazines féminins des années 1930, les femmes qui sont
présentées comme des héroïnes, et auxquelles les autres
femmes cherchaient à s’identifier sont des carriéristes pleines
d’ambition. Mais après la Seconde Guerre mondiale, la
femme heureuse des magazines, c’est la femme au foyer,
uniquement préoccupée par le mariage et la maternité. Ce
qui explique le baby boom (forte natalité) des années 1950.
C’est cette conception de la femme qu’elle combat. Elle
déclare n’avoir fait que traduire en mots ce que beaucoup de
femmes ressentent et pensent, mais ne peuvent exprimer,
muselées qu’elles sont par la culture ambiante. Elle intitule le
premier chapitre du livre « Le Problème qui n’a pas de
nom ». Ce problème, dit-elle, c’est l’absence de bonheur chez
la femme : elle a un mari, des enfants, avec qui elle n’a aucun
problème, mais elle n’est pas heureuse et ne sait pas
pourquoi31 ; tout ce qu’elle sait est qu’il lui manque quelque
chose qui ne se trouve pas dans le ménage. Pour Betty
Friedan, c’est la culture américaine qui ne permet pas à la
femme de s’épanouir dans sa dimension totale d’être humain,
au-delà de son rôle sexuel.

31 On peut rétorquer à Bettey Friedan que dans des enquêtes menées aux
États-Unis en 1957 et en 1990, sans distinction de sexe, seul un Américain
sur trois se déclare très heureux. Voir l’ouvrage de David Myers, The
Pursuit of Happiness. Who is Happy and Why ? (‘La poursuite du bonheur. Qui
est heureux et pourquoi ?’), 1992, New York, Aquarias-Thorsons. La
proportion des « très heureux » est d’ailleurs en diminution dans une
enquête de 2005.

64
Dans ce premier chapitre du livre, elle relate l’accueil
hostile fait au Deuxième Sexe par un critique américain. Celui-
ci reproche à Simone de Beauvoir de ne rien connaître de la
vie et trouve que son livre ne peut concerner que la femme
française et en aucun cas la femme américaine, car aux
États-Unis, il n’existe pas un « problème de la femme ».
Pour Betty Friedan, tous les problèmes sont des problèmes
des femmes, et tous les problèmes des femmes sont des
problèmes des hommes. Les droits des femmes ne doivent
pas se limiter au droit de vote. Après avoir reçu le droit de
vote, on leur a dit : « Maintenant, femmes, rentrez à la
maison ! ». Pour Betty Friedan, la femme au foyer est tout
simplement un parasite dans la société.
Elle fonde en 1963 l’Organisation nationale des femmes32
qui donne naissance au « Mouvement de Libération de la
Femme » en 1967, dont vont s’inspirer des féministes
françaises à la faveur des évènements de mai 1968. En 1969,
elle est cofondatrice de l’Association nationale pour
l’abolition des lois sur l’avortement33.
Dans un premier temps, dans le prolongement de La
Mystique féminine, Betty Friedan oppose le féminisme d’égalité
dont elle se réclame, au féminisme lesbien. Par la suite, elle
devient plus tolérante à l’égard du lesbianisme. Dans un
ouvrage ultérieur, La Seconde étape34 (1981), elle cherche à voir
comment vivre l’égalité pour laquelle elles ont lutté, « lutter
pour la famille, comme nouvelle frontière féministe », puis
passer « de la libération de la femme à la libération de
l’humanité ». Elle a été elle-même mariée et mère de trois
enfants.
Avec La Mystique féminine de Betty Friedan, le ton est
donné. À partir de 1970, on assiste sur le continent américain

32 NOW : National Organization of Women.


33 NARAL : National Association for the Repeal of Abortion Laws.
34 The Second Stage.

65
à une prolifération d’écrits féministes. La plupart des écrits
théoriques sur le féminisme proviendront des États-Unis, et
dans une moindre mesure, du Canada.
Le féminisme libéral se développe à la suite du livre de
Betty Friedan. Qualifié aussi d’individualiste, il est le courant
dominant du mouvement. Son crédo est qu’il n’existe aucune
différence dans la constitution morale de l’homme et de la
femme ; ils doivent donc être traités de façon égale. C’était la
revendication de Mary Wollstonecraft, centrée autour des
notions de vertu et de droit. Il existe un seul ensemble de
vertus humaines et un seul ensemble de droits humains ; il est
donc illogique de traiter les femmes différemment ; le droit et
l’éducation doivent par conséquent être réformés pour
permettre aux femmes un plus grand accès à toutes les
options ouvertes aux hommes. La femme en tant qu’épouse
et éducatrice doit être formée convenablement dans des
disciplines telles que la morale, la philosophie, l’économie, le
droit, la science politique… Les différences biologiques sont
moins importantes. La féministe libérale doit être laissée libre
de construire sa propre vie.
C’est dans le cadre de ce féminisme libéral que Catharine
Mac Kinnon concilie l’écriture avec l’action pratique. Juriste
de formation, avocat et professeur de droit, elle mène des
actions concrètes contre le harcèlement sexuel, le viol, la
pornographie, et toutes les violences contre les femmes, à
l’intérieur des États-Unis, comme à l’extérieur (par exemple
dans l’affaire du viol des femmes en Bosnie Herzégovine par
les Serbes). En 1986, elle parvient à faire reconnaître par la
Cour Suprême des États-Unis la pornographie comme
violation des droits civiques. Sa publication la plus connue est
un ouvrage traduit en français sous le titre Le féminisme
irréductible35.

35 Mac Kinnon Catharine, Feminism Unmodified, Cambridge, Harvard

University Press, 1987.

66
II. FÉMINISME SOCIALO-MARXISTE
Le courant de féminisme qualifié de socialo-marxiste n’est
pas en fait un bloc homogène. Il est constitué par trois
variantes : féminisme socialiste, féministe matérialiste, et
féminisme marxiste.
Leur premier point commun est leur manière de se situer
dans le champ des théories féministes, par une démarcation
nette du féminisme libéral dénoncé comme féminisme
bourgeois. Pour les adeptes de ce mouvement, l’obsession de
l’argent et de la propriété sont aussi des sources d’oppression.
L’accession à certains postes de travail n’est pas une garantie
de libération, si les conditions de travail ne sont pas
améliorées. L’oppression dans la famille va de pair avec
l’oppression dans les lieux de travail. Le problème, c’est la
résolution de la lutte des classes, alors que le féminisme
libéral sert les intérêts du capitalisme en lui fournissant un
plus grand nombre de travailleuses à exploiter. Ces féministes
qui se réclament plus ou moins de Marx n’en estiment pas
moins que l’idée selon laquelle la fin de la lutte des classes
mettrait un terme à toute oppression est naïve. L’oppression
de classe coexiste avec l’oppression de sexe.
Leur second point commun est de se référer à l’analyse
d’Engels sur l’émergence historique du patriarcat et sa
fonction dans l’oppression de la femme. Les divergences
apparaissent lorsqu’il s’agit de puiser dans le marxisme des
outils théoriques pour analyser la situation de la femme dans
la société.
Le féminisme socialiste prend ses distances en refusant de
lier le problème du patriarcat au mode de production36. Ce
qui marque une rupture nette avec la tradition marxiste du
matérialisme historique.

36 Pour Marx, le mode de production est le couple formé par les forces

productives (équipement fixe et force de travail des ouvriers) et les


rapports de production (rapports d’exploitation ou de coopération).

67
Les féministes matérialistes, quant à elles, associent
explicitement le patriarcat au mode de production. Pour ce
faire, elles partent de l’analyse marxiste en termes de
production-reproduction des moyens d’existence et
production-reproduction des espèces. Ainsi, pour la
sociologue française Christine Delphy, l’oppression est un
concept matérialiste. Elle adapte le concept de mode de
production dans l’analyse féministe pour parler de mode de
production domestique familial dont le socle est le mariage.
Or le mariage pour elle n’est rien d’autre qu’un contrat qui
donne à l’homme le droit d’exploiter la femme par les
travaux ménagers qui ne sont même pas rémunérés.
Les féministes qui se réclament de Marx cherchent à se
référer à lui directement. Elles sont convaincues que le
marxisme renferme un potentiel d’analyse pertinente pour le
féminisme. À cet effet, elles explorent différentes pistes.
La théorie de l’aliénation développée par Marx dans ses
œuvres de jeunesse37 est mise à contribution, pour montrer
que la femme a tendance à se voir « autre », dans le miroir
des autres, au lieu de se voir en elle-même, comme l’être
humain qu’elle est. C’était l'approche de Simone de
Beauvoir.
Des féministes marxistes se réfèrent aussi au concept de
« fausse conscience » introduit par Marx dans des œuvres de
maturité38 : ce n’est pas la conscience des humains qui
détermine leur existence sociale ; c’est leur existence sociale
qui détermine leur conscience. Ce qui là aussi, renvoie au
« on ne naît pas femme, on le devient » de Simone de
Beauvoir. Pour les féministes marxistes, c’est cela qui
explique que les femmes aient accepté le patriarcat sur le ton
de l'évidence.

37 Manuscrits économico-philosophiques, 1844.


38 Comme l’Idéologie allemande.

68
Après cela, le problème est d’intégrer l’analyse de l’œuvre
maîtresse de Marx, Le Capital, dans une théorie féministe.
Pour le philosophe Louis Althusser, c’est le thème de «
l’aliénation » qui est dominant dans les œuvres de jeunesse de
Marx, alors qu’une œuvre de maturité comme Le Capital est
tout élaborée autour du thème de « l’exploitation ».
L’analyse de Marx est menée en termes de classes sociales,
avec la classe capitaliste qui exploite la classe ouvrière. Dans
les analyses féministes, les deux protagonistes sont l’homme
et la femme. Mais, peut-on sérieusement faire une
correspondance biunivoque classe capitaliste-homme, et
classe ouvrière-femme ?
C’est là une difficulté de taille, sur laquelle le féminisme
marxiste a buté et qu’il n’est pas arrivé à résoudre. L’homme
et la femme en tant qu’êtres biologiques, sont aussi des êtres
socioculturels appartenant à des classes sociales différentes, à
des races différentes, à des cultures différentes. Il faut bien
reconnaître qu'au plan théorique, il n’est guère aisé d’opérer
la jonction entre l’analyse en termes de classes et l’analyse en
termes d’identité de race et de culture, et encore moins en
terme de sexe.
Le féminisme marxiste a cherché à se développer surtout
aux États-Unis et en Grande-Bretagne à partir de 1990 dans
le milieu universitaire, avec des représentantes comme
Martha Gimenez, Rosemary Hennessy, Lise Vogel,
Margaret Benston, Peggy Morton… Une autre de ses limites,
comme l’écrit Martha Gimenez, est la peur de la répression :
la féministe identifiée comme marxiste orthodoxe a peu de
chances de trouver une université pour la recruter, et son
avancement dans la carrière risque d’être sérieusement
compromis.
Pour ces deux raisons, obstacle théorique et obstacle
idéologico-politique, une théorie féministe authentiquement
marxiste reste encore à élaborer.

69
III. FÉMINISME VÉGÉTARIEN, ÉCOFÉMINISME
Les végétariens purs et durs condamnent la violence
infligée aux animaux pour disposer de leur viande. Cette
violence à l’égard des animaux est pour le courant féministe
végétarien l’équivalent de la violence exercée par les hommes
sur les femmes. Le féminisme végétarien estime aussi qu’il
existe une relation entre les valeurs du patriarcat et le régime
carnivore ; donc, la logique pour les femmes est d’adopter un
régime alimentaire végétarien qui exclut toute
consommation de produit d’origine animale.
Le courant du féminisme végétarien est surtout présent
aux États-Unis. Particulièrement depuis la parution en 1991
du livre de Carol Adams Politique sexuelle de la viande. Une
critique politique féministe-végétarienne39. Carol Adams fait
remarquer que dans beaucoup de cultures, la consommation
de viande est associée à la virilité. La viande, écrit-elle, c’est la
virilité, les poissons sont nos amis et non de la nourriture. Elle
conseille de manger du riz en lieu et place des produits
d’origine animale, « pour réunifier nos relations sociales
fragmentées ». Adepte du yoga, elle estime que le régime
végétarien, la spiritualité et la méditation sont indissociables.
Elle trouve par contre une grande similitude entre la situation
des animaux et celle des femmes : les animaux sont abattus,
les femmes sont battues. Les femmes doivent donc faire cause
commune avec les animaux, pour non seulement ne pas en
faire leur nourriture, mais encore les défendre. Pour elle, la
femme n’est Ni homme ni bête40 : c’est le titre d’un ouvrage
qu’elle publie par la suite, avec un chapitre 2 révélateur de sa
démarche « Viol des animaux, boucherie des femmes ».
Le féminisme végétarien peut être rapproché du
féminisme écologique, ou écoféminisme, pour reprendre le

39 The Sexual Politics of Meat. A Feminist-Vegetarian Critical Theory, New York,

Continuum Publishing Corporation, 1990.


40 Neither Man nor Beast.

70
terme de Françoise d’Eaubonne. La démarche est la même :
l’oppression des femmes est mise en parallèle avec la
dégradation de la nature. C’est du genre féminin que l’on
perçoit la nature, et pas seulement en grammaire. Ne dit-on
pas « Dame Nature » ? C’est dans le courant du féminisme
écologique que l’on classe Wangari Maathai, cette femme
originaire du Kenya, qui a reçu le prix Nobel de la paix en
2004.
IV. FÉMINISME AFRO-AMÉRICAIN
Aux États-Unis, le premier mouvement féministe du dix-
neuvième siècle, anti-esclavagiste comptait aussi dans ses
rangs des noires Américaines comme Maria Stewart, Anna
Julia Cooper et Sojourner Truth. Au cours des années 1960,
des noires Américaines adhèrent à différents groupes
féministes, et aussi, au Mouvement de Libération des Noirs.
Mais dans les deux cas, elles se sentent victimes de
discrimination.
Dans le mouvement féministe, elles se plaignent de
racisme de la part de leurs sœurs de combat blanches ; celles-
ci s’en défendent en proclamant que des personnes
opprimées ne peuvent pas opprimer d’autres personnes. Mais
les noires les accusent d’identifier la femme avec la seule
femme blanche ; les préoccupations spécifiques des femmes
noires leur sont totalement indifférentes. Un exemple :
lorsque durant toute la décennie 1960-70, Angela Davis,
communiste, militante des « Panthères noires » et du
mouvement féministe est harcelée, persécutée par le FBI, en
proie à des arrestations répétées, elle ne reçoit aucun soutien
de la part des féministes de race blanche41. Angela Davis
publie d’ailleurs un livre Femmes, race et société42 (1983), dans

41 À l’époque, en France, de nombreuses manifestations étaient organisées

à l’appel du Parti communiste français, en faveur de Angela Davis.


42 Women Race and Society.

71
lequel, après avoir rappelé le lien étroit entre la campagne
anti-esclavagiste et la lutte pour les droits civiques des
femmes, elle montre comment l’orientation de race et de
classe de certaines femmes du mouvement féministe a
contribué à le diviser. Si, poursuit-elle, nous voulons l’égalité,
nous devons lutter ensemble.
Dans le Mouvement de Libération des Noirs aussi, les
femmes noires américaines se plaignent de sexisme de la part
de leurs frères de couleur. Elles les accusent de réduire le noir
dont on défend les intérêts, au seul mâle noir. Ce à quoi
s’ajoutent des accusations de comportement patriarcal et de
harcèlement sexuel.
Les femmes noires américaines ont ainsi l’impression de
faire figure de groupe invisible dans chacun de ces deux
mouvements ; leurs préoccupations ne sont pas prises en
compte. Ce qui les pousse à la rupture pour créer d’abord en
1973 à New York le groupe « Organisation féministe noire
nationale »43 ; suivent d’autres organisations comme
« Femmes noires organisées pour l’action »44 en 1974 à San
Francisco, et le « Collectif du fleuve Combahee » 45 à Boston
en 1974.
Une des théoriciennes du mouvement, Alice Walker,
propose de remplacer le terme anglais feminism par womanism ;
il est difficile de trouver à ce mot une traduction française
(féminité ?), mais les deux renvoient à « femme » (woman
signifie « femme »). Il s’agit simplement de changement
d’appellation pour désigner une même réalité, tout en
prenant ses distances. Pour Alice Walker, womanism est à
feminism, ce que la couleur pourpre (violet) est au bleu
lavande. Le pourpre ou violet est la couleur de la plante
lavande. Tout comme le pourpre est un bleu plus foncé en

43 National Black Feminist Organization.


44 Black Women Organized for Action.
45 River Combahee Collective.

72
restant bleu, la femme noire est plus foncée que la femme
blanche, mais n’en reste pas moins femme et féministe.
La spécificité du féminisme noir américain est ainsi
présentée par une de ses grandes figures, Audrey Geraldine
Lorde :
« Quand je dis que je suis une féministe noire, j’entends
par là que mon pouvoir comme mes premières
impressions proviennent du fait que je suis noire et que je
suis une femme, et par conséquent, mes combats sur ces
deux fronts sont inséparables46. »
Leur programme s’articule pour l’essentiel autour de
points tels que libre accès à l’avortement, soins de santé, soins
aux enfants, violence contre les femmes, viol, harcèlement
sexuel, racisme, impérialisme, droits des homosexuels et des
lesbiennes… Le féminisme noir américain en règle générale
n’a pas combattu le mariage et la maternité, mais certaines
de ses militantes n’ont jamais fait mystère de leur lesbianisme.
Audrey G. Lorde se présentait comme « noire, féministe,
lesbienne et mère ». Il existe une abondante littérature
produite sur la question par des féministes noires,
britanniques, caraïbéennes, et africaines47.
Dans la littérature féministe, on identifie aussi un
féminisme postcolonial encore appelé féminisme tiers-
mondiste, dans lequel s’illustre l’Indienne Chandra Talpade
Mohanty dont la démarche est proche de celle des féministes
afro-américaines. Elle reproche au féminisme tel que conçu
jusqu’à une certaine époque son orientation ethnocentrique,
ne prenant en charge que les seuls intérêts des femmes
occidentales issues des classes moyennes. Compte tenu de son

46 Lord G. Audrey, Sister Outsider : Essays and Speeches, New York, Crossing
Press, 1984.
47 Collins Patricia Hill, “Feminism in the Twentieth Century” In Black

Women in America : An Historical Encyclopaedia, Vol. 1, ed. Darlene Clark


Hine, Brooklyn, Carlson Publishing, 1993.

73
expérience vécue, elle va encore plus loin, pour soutenir que
la colonisation a beaucoup contribué à marginaliser les
femmes dans les pays du tiers monde.
V. FÉMINISME ISLAMIQUE
L’Égypte passe pour être le premier pays musulman dans
lequel émerge le mouvement féministe, au début des années
1920. Ce qui n’a rien d’étonnant, dans la mesure où c’est ce
pays qui a initié ce qu’on appelé le « modernisme islamique
du monde arabe », avec Muhammad Abduh (1849-1905) et
son disciple Rachid Rida (1865-1935). Leur position est que
si dans la Charî’a l’aspect ibâdât, c'est-à-dire les pratiques
cultuelles (prière, jeûne…) sont immuables, il ne peut en être
de même pour l’aspect mu’âmalât, c'est-à-dire ce qui a trait
aux affaires sociales, comme le droit pénal, le droit
commercial, et le droit de la famille. Ils seront relayés par
Qasim Amin, auteur de deux ouvrages, L’émancipation des
femmes, et La nouvelle femme, dans lesquels il dénonce la
servitude de la femme musulmane par des pratiques telles
que le mariage précoce, les mariages arrangés, la polygamie,
la répudiation… Il estime que certaines exégèses du Coran
sont antiféministes, parce que reposant sur des coutumes et
mœurs, et non sur l’esprit authentique du Coran. Les mêmes
idées ont été développées en Inde par Mumtaz Ali.
C’est le terme français « féminisme » qui est d’abord
utilisé, pour ensuite être rendu en arabe par nisa’iyya. Ce
qu’on appelle actuellement féminisme islamique s’est
développé aux États-Unis et au Canada dans les milieux de
femmes immigrées originaires du Moyen Orient et des
Américaines converties à l’islam, et aussi en République sud-
africaine à Cape Town48.

48 Badran Margot, “Islamic Feminism : What’s in a Name ?”, Al Ahram

Weekly Online, 12-23, Jan. 2002.


“Islamic Feminism revisited”, Countercurrents.org, 10 Feb. 2006.

74
Amina Wadud, une afro-américaine convertie à l’islam,
professeur d’Études islamiques à l’Université du
Commonwealth de Virginie aux États-Unis, déclare « être
musulmane avant d’être féministe », et « faire entrer l’islam
dans le vingt-et-unième siècle ». C’est véritablement elle qui
lance mouvement avec son livre de 1999 Le Coran et la femme.
Relire le Texte Sacré dans une perspective de femme.
Nous avons vu que le courant dominant et originel du
féminisme s’est toujours situé en marge de la religion
(Judaïsme et Christianisme) assimilée au patriarcat
oppresseur à l’égard des femmes. La particularité du
féminisme islamique est de se positionner à l’intérieur même
de l’islam. Ce n’est pas le Coran qui est mis en cause, mais
l’interprétation (ijtihad) qui en a toujours été faite par des
hommes, pour justifier leur volonté de domination.
Cette revendication de ijtihad a particulièrement ciblé cette
partie du verset 34 de la sourate 4 du Coran : … ar-rijâlu
qawamuna alan’ nisâ’i… La traduction « les hommes sont
supérieurs aux femmes », faite en langue française par des
non - musulmans comme Kasimirski (Le Coran, Gallimard) est
délibérément fallacieuse, et aucun musulman ne saurait s’y
reconnaître. Chez les traducteurs musulmans, qawamun est
rendu par des termes tels que « responsables », « investis
d’autorité », « protecteurs et soutiens » de la femme dans le
ménage. Cependant, cette conception est remise en cause
par les féministes musulmanes : pour elles, qawamun signifie
tout simplement que le mari doit compenser financièrement
son épouse pour tout ce qui a trait à la maternité (grossesse,
accouchement, allaitement au sein, soins à l’enfant…) ; le
terme n’a rien à voir avec une quelconque autorité dévolue à
l’homme dans le ménage (Wadud : 71-74). Pour appuyer le
principe de l’égalité de l’homme et de la femme dans l’islam,
elles invoquent le verset 71 de la sourate 9 :

75
« Les croyants, hommes et femmes, sont entre eux des
aulîya (aides, soutiens, protecteurs, amis). »
C’est dans cette lancée que les féministes musulmanes
revendiquent le droit pour une femme d’être imam, c'est-à-
dire de diriger la prière dans une mosquée, devant un
parterre de femmes, mais aussi d’hommes. Pour elles, rien
dans le Coran ne l’interdit. À cet égard, l’année 2005 a été
riche d’événements.
Amina Wadud décide de diriger la prière du vendredi
dans une mosquée de New York, ce qui lui est refusé.
L’autorisation lui est accordée au Synod House de la
Cathédrale de Saint Jean le Divin ; c’est dans cette église
anglicane de Manhattan qu’elle dirige pour la première fois
une prière du vendredi devant une centaine de personnes,
hommes et femmes. Pourtant, cette revendication de la
fonction d’imam ne figure nulle part dans son livre de 1999.
Le 1er juillet 2005, Pamela Taylor, une Américaine de 40
ans, convertie à l’islam depuis l’âge de 19 ans, dirige une
prière du vendredi dans une mosquée du Canada.
En octobre 2005, se tient à Barcelone le premier Congrès
du féminisme islamique organisé par Junta Islamica Catalana
(Association Musulmane Catalane). En cette occasion,
Amina Wadud dirige encore la prière du vendredi devant
une trentaine de personnes, dans une salle aménagée de
l’hôtel Alimera où se tient le congrès.
Le 15 février 2006, c’est encore Pamela Taylor qui dirige
une prière du début de l’après-midi, à Toronto au Canada.
Ceci à la demande du mufti Soheib Ben cheikh de la
mosquée de Marseille, venu pour une conférence sur les
caricatures du Prophète Muhammad (psl). Le mufti se
déclare tout à fait solidaire du combat des féministes
musulmanes.
Une autre femme, Asra Nomani, dirige une prière aux
États-Unis, en s’appuyant sur le fait d’avoir vu lors de son

76
pèlerinage aux lieux saints, que dans la Kaaba, les hommes
et les femmes faisaient la prière ensemble.
Ces initiatives sont amplement médiatisées par la presse
aux États-Unis et au Canada. Mais elles sont aussi
fermement condamnées dans les milieux musulmans,
notamment par l’Académie de Fiqh de Jeddah. Certains
voient en elles « les mauvaises filles de l’islam ».
On peut dire que le féminisme islamique s’est constitué en
se basant sur la déconstruction comme méthode analytique
de lecture. De là, l’idée de lecture féminine du texte
coranique, avec une compréhension qui va dans le sens de
l’affirmation des droits de la femme.
Pour Amina Wadud, qui a bien étudié le Coran, le terme
coranique nafs qui renvoie à l’être humain dans toute sa
quintessence n’a pas de genre49. Dans le Coran il n’est pas dit
qui de l’homme et de la femme a été créé en premier, et le
propos de la Bible selon lequel Ève a été créée à partir d’une
côte de Adam ne figure nulle part dans le Coran (Wadud :
19). Le terme qanitat (Coran 4 : 34) présenté par le Coran
comme qualité des bonnes femmes est faussement rendu par
« obéissance » due par la femme à son époux. Dire que la
femme doit obéissance à son mari est une violation flagrante
du Tawhid qui implique obéissance exclusive à Dieu
(Wadud : 74). Elle indique que qanitat figure dans le coran
pour les femmes (Coran 2 : 238 ; 3 : 17 ; 33 : 35), mais aussi
pour les hommes (Coran 4 : 34 ; 33 : 34 ; 66 : 5 ; 66 :12).
Pour elle, la conception selon laquelle Allah a préféré les
hommes aux femmes en termes d’intelligence, de
détermination, doit être attribuée à leurs auteurs, comme Al-
Zamakhshari, et non au Coran (Wadud : 35).

49 Pourtant dans le Coran, nafs est du genre féminin Le Coran (4 :1) dit :

« Ô humains ! Craignez Allah qui vous a créés d’un être unique (nafs) et
qui en a créé son conjoint ».

77
Seulement, la déconstruction peut amener à cette
situation : sur un même texte, le lecteur a une opinion,
l’auteur a une opinion. Lorsqu’il s’agit de texte religieux dont
il est admis qu’il est d’origine divine, cela ne peut manquer
de poser des problèmes.
Le féminisme islamique a été le plus médiatisé, mais il
existe aussi un féministe chrétien (catholique et protestant) et
un féminisme judaïque. L’idée de base est que Dieu
n’introduit aucune discrimination entre les sexes ; donc, dans
les lieux de culte, les églises et les synagogues, les femmes
doivent occuper les mêmes positions, les mêmes fonctions
que les hommes. Dans l’Église catholique, la revendication
de l’ordination des femmes participe de ce courant féministe.

78
CHAPITRE V

FÉMINISME RADICAL

Le féminisme radical est un mouvement qui va beaucoup


plus loin que le courant modéré, en dépassant le cadre des
revendications de droits. Tout en partant de Simone de
Beauvoir, le féminisme radical tel qu’il se développe en
Amérique du Nord prétend se donner une base scientifique,
à partir de la biologie. Ses deux principales branches sont le
féminisme-lesbien et le féminisme amazone.
I. LA MÉTHODOLOGIE

1. L’argumentaire « genre »
Jusqu’en 1950, le terme « genre » appartenait à la
grammaire, indiquant si un mot est masculin, féminin ou
neutre. Le Dr John Money, sexologue à l’hôpital
universitaire John Hopkins University dans l’État de
Baltimore, forge le terme « identité de genre », qui décrit la
perception subjective d’un individu à se sentir mâle ou
femelle. C’est à partir de 1955 que Money commence à
publier des articles sur ce thème. Selon lui, le sexe à la
naissance est indifférencié, neutre, et devient différencié en
masculin ou féminin au cours des expériences de l’éducation
de l’enfant ; celui-ci se perçoit comme garçon ou fille, selon
qu’il est habillé en bleu (couleur masculine) ou en rose
(couleur féminine), en culotte courte ou en robe, selon qu’on

79
lui donne comme jouets des pistolets ou des poupées.
L’identité de genre dépend donc de la manière dont l’enfant
est élevé.
Il n’y a dans ce propos rien de différent par rapport à ce
que Simone de Beauvoir avait dit, mais il prend plus de poids
lorsqu’il provient d’une personne considérée une sommité
scientifique. Certaines féministes s’empressent de l’intégrer
dans leurs analyses. Pour la féministe américaine Joan Scott,
« Le genre est une catégorie sociale placée sur le corps
sexué… Le genre concerne la masculinité et la féminité,
le genre est imposé à l’individu par la société, mais le
sexe est inné50. »
Nancy Chodorow, écrit La reproduction de la maternité
(1978)51 en s’appuyant sur la psychologie et la psychanalyse.
Pour elle, la fillette se forme à la féminité en imitant sa mère,
en s’identifiant à elle ; le garçon par contre, se masculinise
par censure, c'est-à-dire en se séparant de sa mère.
Christine Delphy, directrice de la revue française Nouvelles
Questions Féminines pose ainsi le problème :
« Le genre, c’est ce qu’on pourrait appeler le sexe social,
c'est-à-dire tout ce qui est social dans les différences
constatées entre les hommes et les femmes52… »
Il est ainsi proposé de faire la distinction entre sexe et
genre : le sexe, mâle ou femelle concerne des différences
physiques ; le genre, masculin ou féminin a trait aux
caractéristiques de comportement qui sont culturellement
construites et conditionnées. Ne plus parler de sexe, mais de

50 Scott, J.W., “Gender: A Useful Category of Historical Analysis”,


American Historical Review 91 (1986), In Scott, Gender and the Politics of History
(rev. edn, New York, 1999), pp. 28-52.
51 Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering, Berkeley, University of

California Press, 1978.


52 Christine Delphy, « Le genre, sexe social », 2 juin 2002.

80
genre. C’est au nom du genre que, aux États-Unis, dans des
écoles élémentaires, il est arrivé que des urinoirs de garçons
soient enlevés, et qu’il leur soit demandé de s’accroupir pour
uriner, comme le font les filles53.
C’est ainsi que les concepts de « genre » et de
« construction sociale » sont entrés dans la littérature
féministe. Avant 1990, dans les documents des Nations unies,
on parlait de discrimination à l’encontre des femmes ; dans
les années 90, l’accent est mis sur le genre. L’agence des
Nations unies INSTRAW publie un document intitulé Gender
Concepts (Concepts de genre) dans lequel on peut lire :
« Le genre est un système de rôles et de relations entre
femmes et hommes qui sont déterminés non pas par la
biologie, mais par le contexte social, politique,
économique. Le sexe biologique d’un individu est donné
par la nature, son genre est construit. »
La Conférence des Nations unies sur les femmes tenue à
Pékin en 1995 appelle toutes les nations à « mettre au
premier plan la perspective genre ».
2. Démarche de déconstruction
« Déconstruction » est un terme de la philosophie
contemporaine. Il a été proposé par le philosophe français
Jacques Derrida vers la fin des années 1960, période de forte
contestation de l’ordre social. Même si le terme se rattache
au courant du postmodernisme, il ne constitue pas, comme le
précise Derrida, une école philosophique. Déconstruction
n’est pas non plus synonyme de destruction, de nihilisme. La
déconstruction peut être comprise au moins de deux
manières.

53 Chris Carter, Steve Wexler, “Feminism and Gender Studies”, Seminar

Projects, University of Louisville, 12/07/96.

81
La déconstruction est une méthode analytique de lecture,
qui se traduit par un questionnement permanent, critique,
non pas négatif, mais positif ; ce qui peut conduire à donner
à un discours, écrit ou oral, une signification autre que celle
que l’auteur cherche à proposer ; montrer qu’aucune théorie
n’est absolument cohérente, logique. C’est par l’exercice de
déconstruction ainsi conçu qu’évoluent les idées dans le
champ des sciences sociales, qu’on passe d’un paradigme
(une certaine façon de penser) à un autre.
La déconstruction peut aussi être une démarche de mise
en cause de l’opposition binaire en termes de contradiction
dialectique, entre un aspect principal dominant et un aspect
secondaire dominé ; il convient alors de mettre en place un
nouveau concept.
Les théories féministes ont émergé et ont évolué selon ces
deux approches de la déconstruction, même sans toujours
utiliser le terme. C’est d’abord le cas avec Simone de
Beauvoir qui, par son énoncé « On ne naît pas femme, on le
devient », renvoie dos à dos mâle et femelle, parce que selon
elle, le sexe est une création sociale. Elle ouvre ainsi la voie à
l’introduction dans le vocabulaire féministe du concept de
« genre », dans lequel se confondent le mâle et la femelle.
C’est aussi en se référant explicitement à la déconstruction et
au postmodernisme que la philosophe américaine Judith
Butler procédera à la critique de l’approche genre.
Seulement, comme l’a fait remarquer une militante du
féminisme, la journaliste Sophie Bessis, les deux termes
« femme » et « genre » sont hélas souvent confondus54.

54 Sophie Bessis, « L’approche genre et les organisations internationales,

du discours à l’action », Colloque international Genre, Population et


Développement.

82
3. Le marxisme en contribution
L’ouvrage de F. Engels L’origine de la famille, de la propriété
privée et de l’État ne pouvait que séduire les féministes, par
l’accent mis sur l’oppression du sexe femelle par le sexe mâle,
et son prolongement avec l’oppression d’une classe sociale
par une autre classe sociale. Cependant, certaines féministes
ne s’en tiennent pas là. Pour elles, ce n’est qu’un point de
départ, sur lequel elles vont greffer la méthodologie marxiste
pour passer de l’analyse en termes de classe sociale à une
analyse en termes de sexe.
C’est la Canadienne Shulamith Firestone qui initie cette
approche par la logique dialectique, pour donner une base
théorique au féminisme radical, avec son livre La Dialectique
du Sexe 55 publié en 1970. Elle déclare partir de Marx, Engels,
Freud et Simone de Beauvoir (dont elle reconnaît l’apport de
haute portée), mais pour chercher à les dépasser.
S’appuyant sur la méthode dialectique, elle présente le
sexe comme une catégorie de l’essence, comme la classe
sociale, donc invisible, non apparente : « la classe de sexe est
profonde au point d’être invisible » (p. 1). Le féminisme ne
peut donc être qu’une révolution :
« Pour la révolution féministe, nous aurons besoin d’une
analyse de la dynamique de la guerre de sexe comme
l’analyse de l’antagonisme de classes de Marx et Engels
l’a été pour la révolution économique. » (p. 12).
Marx et Engels ont proposé leur « socialisme
scientifique » comme un socialisme devant émerger
objectivement des contradictions de classes du capitalisme,
un socialisme qu’on découvre par l’analyse. Ils l’opposent à
ce qu’ils ont appelé « socialisme utopique » défendu par des

55 Shulamith Firestone, The Dialectic of Sex: The Case for Feminist Revolution,

Banman books, 1970, p. 12.

83
auteurs humanistes, moralistes (Fourier, Saint-Simon,
Owen…), procédant d’une simple invention à partir de leur
imagination : on invente quelque chose qui n’existait pas, on
découvre quelque chose qui existait, ou dont les germes
d’existence sont présents.
Shulamith Firestone utilise le même raisonnement. Elle
assimile le socialisme utopique au premier courant féministe,
avec son programme de revendication d’égalité de droits
pour les femmes, ce qui selon elle, est irréalisable, utopique,
compte tenu de la suprématie mâle incrustée dans la société.
Tout comme pour Marx et Engels, le prolétariat ne peut
s’affranchir qu’en s’appropriant les moyens de production
par lesquels il est exploité, son équivalent, les femmes ne
peuvent s’affranchir de la domination de classe masculine
qu’en s’appropriant les moyens de reproduction par lesquels
elles sont exploitées, c’est-à-dire la maternité. Il faut donc en
finir avec la maternité :
« Assurer l’élimination des classes de sexe exige la révolte
de la sous-classe (les femmes) et la prise de contrôle de la
reproduction… ainsi, le but final de la révolution
féministe doit être, contrairement à celui du premier
mouvement féministe, tout juste l’élimination du
privilège mâle, mais la distinction sexuelle elle-même ; les
différences génitales entre humains ne compteront plus
… le cœur de l’oppression des femmes se trouve dans
leurs rôles d’enfantement et d’éducation » (p. 72).
Parvenue à ce niveau de son analyse, elle introduit le
concept freudien de « perversité polymorphe » qui doit
remplacer pour l’englober, la distinction entre
hétérosexualité, homosexualité et bisexualité. Autrement dit,
faire place à toutes les formes de relations sexuelles, sans
hiérarchie aucune, sans que les femmes puissent enfanter.
Dans une telle situation,

84
« La reproduction des espèces… serait remplacée par…
la reproduction artificielle : les enfants naîtraient des
deux sexes, ou indépendamment l’un de l’autre… ; la
dépendance de l’enfant de sa mère serait remplacée par
une dépendance de loin plus courte, d’un groupe
d’autres personnes. »
Ainsi, pour Shulamith Firestone, « la tyrannie de la
famille biologique serait brisée » (p. 9).
Nancy Chodorow, dans La reproduction de la maternité,
197856 en s’appuyant sur la psychologie et la psychanalyse
arrive au même verdict :
« Tant que les femmes seront les premières à être des
nourrices, les enfants grandiront en voyant l’humanité
divisée en deux classes différentes et inégales, et ceci est la
cause de l’acceptation de l’oppression de classe. »
Le livre de Germaine Greer, La Femme Eunuque57, s’inscrit
dans la même perspective. Cette féministe australienne
estime que la femme au contact de l’homme, se dévitalise,
perd sa féminité et devient castrée. Le soutien-gorge mis en
photo sur la couverture de son livre est, selon elle, une
invention ridicule. Elle en appelle aux femmes mariées à se
révolter contre leurs maris. Elle-même avait contracté
mariage, mais pour y mettre fin au bout de trois semaines.
Son ouvrage qui a été un succès de librairie ne présente
pourtant aucune originalité. L’idée qui en constitue le centre,
le castrat, se trouve dans Le Deuxième Sexe.
Il convient de préciser que ce féminisme radical (du point
de vue des relations homme-femme et des rapports sexuels)
ne se confond pas avec le féministe marxiste qui a une
orientation moins « sexiste » et plus politique.

56 Nancy Chodorow, The Reproduction of Mothering, Berkeley, University of


California Press, 1978.
57 Greer Germaine, The Female Eunuch, London, Paladin, 1970.

85
4. Du côté de l’anthropologie
Dans le domaine des sciences sociales, l’anthropologie est
aussi mise à contribution dans les études féministes.
L’anthropologie culturelle qui étudie les comportements et
relations des humains dans leur environnement social se
polarise dans sa version classique sur des thèmes tels que
mariage, parenté, famille … Au début des années 1970,
émerge aux États-Unis une branche appelée « anthropologie
féministe ». « L’Association pour l’anthropologie féministe »
sera créée en 1988 comme section de « l’Association
Anthropologique Américaine ».
C’est dans la même période que l’approche genre du
féminisme se développe. Le terme « genre » est tout de suite
perçu comme concept analytique fondamental, et arrive
parfois à remplacer le terme « femme » dans les discours des
anthropologues féministes. Les plus en vue dans cette
approche sont Gayle Rubin qui en 1975 introduit le concept
de « système sexe/genre »58, Sherry Ortmer, Michelle
Rosaldo, Louise Lamphere59, Rayna Retter.
Pour l’essentiel, les féministes anthropologues reprennent
explicitement l’analyse de F. Engels sur l’oppression de la
femme par l’homme, qui les séduit d’autant plus que celui-ci
était parti des sociétés primitives. Parfois, elles utilisent
l’opposition binaire universelle entre nature et culture
proposée par Lévi-Strauss, pour dire que la femme c’est la
nature, et tout comme l’homme domine la nature, il domine
la femme ; les femmes fabriquent des créatures naturelles (les
enfants), les hommes fabriquent la culture60.

58 Gail Rubin, ‘The Traffic in Women. Notes on the “Political Economy”


of Sex’, in Toward an Anthropology of Women, Reyna Reitter, ed. New York,
Monthly Review Press, 1975, pp. 157-210.
59 Michelle Rosaldo, Louise Lamphere, eds. Women, Culture and Society,

Stanford, Stanford University Press, 1974.


60 Sherry Ortmer, “Is Female to Nature as Nature to Culture ?”, 1974.

86
Le féminisme radical a aussi pensé pouvoir trouver appui
dans les travaux d’une des grandes figures de l’anthropologie
américaine, Margareth Mead (1901-1978). Betty Friedan la
cite dans le chapitre 6 de La Mystique féminine.
Le livre de Margaret Mead, Sexe et tempérament dans trois
sociétés primitives61, publié en 1935 expose les résultats de
recherches qu’elle a entreprises en Guinée Papouasie sur trois
groupes ethniques. Alors que dans les deux premiers groupes
étudiés, les hommes et les femmes sont de même
tempérament, paisible dans l’un, belliqueux dans l’autre,
dans le groupe Tchambouli, les tempéraments des hommes
et des femmes sont différents : les femmes sont dominantes,
détiennent l’autorité, les hommes sont moins responsables,
émotionnellement dépendants. Beaucoup de caractéristiques
féminines et masculines ne sont donc pas fondées sur les
différences biologiques de sexe, mais reflètent les conditions
culturelles des différentes sociétés. Les féministes radicales
voient dans cette étude de terrain une confirmation de leur
analyse théorique par le genre.
Mais, n’est-ce pas aller vite en besogne ? À une femme
ayant lu son livre, et qui lui écrit en 1937 pour lui reprocher
de dire que le sexe n’est pas déterminé biologiquement, mais
culturellement, Margareth Mead fait cette réponse :
« Que toutes les différences qui existent entre les
personnalités masculines et féminines sont dues à
l’environnement. Non, c’est une incompréhension totale.
Je croyais le contraire avant d’aller sur le terrain et je le
dis dans l’introduction ; Je ne tire pas une telle conclusion
absolue de mes matériaux. … Je ne dis nulle part qu’il
n’y a pas une première différence de sexe déterminée
biologiquement. Je pense que c’est probable… Certaines
choses relèvent du tempérament et varient selon les
individus, d’autres choses sont déterminées par le sexe et

61 Sex and Temperament in three Primitive Societies.

87
varient selon le sexe. » (Lettre à Mme Burges, Bali,
Antilles Hollandaises, 26 août 1937).
Pour Margareth Mead, personne ne connaît le degré
auquel le tempérament est biologiquement déterminé par le
sexe, les facteurs sociaux et culturels. Et c’est avec une grande
prudence qu’elle se pose des questions : Les hommes sont-ils
inévitablement agressifs ? Les femmes sont-elles
inévitablement faites pour le foyer ? Elle a seulement étudié
des sociétés dans lesquelles les comportements des femmes et
des hommes ne correspondent pas à la conception
occidentale du mâle rationnel et de la femme émotive. Sans
en tirer une conclusion absolue, définitive. Et elle s’est
toujours tenue à distance du mouvement féministe
américain.
Malgré tout, une question qu’on est en droit de se poser
est celle-ci : Simone de Beauvoir a-t-elle eu connaissance de
l’ouvrage de Margaret Mead publié une dizaine d’années
avant la rédaction du Deuxième Sexe ?
II. FÉMINISME RADICAL ET LESBIANISME
C’est sous l’étiquette du genre que vont se faire connaître
les militantes de ce qu’on a appelé féminisme radical,
indissociable du lesbianisme. Le genre constitue un parapluie
pour le féminisme, mais aussi pour l’homosexualité et le
lesbianisme.
Une des grandes figures de ce féminisme radical est Kate
Millet62, qui présente la particularité d’écrire un ouvrage
Politique du sexe (ou Politique du mâle) qui n’est rien d’autre que sa
thèse de Doctorat (Ph.D.) soutenue à l’Université de
Columbia, New York. Par « politique » elle entend
l’arrangement par lequel un groupe de personnes est sous le
contrôle d’un autre groupe.

62 Kate Millet, Sexual Politics, New York, Avon Books, 1971, p. 54.

88
La libération des femmes, dit-elle, est le sens qu’elle a
donné à sa vie. Tout son combat est mené contre
l’oppression masculine, le patriarcat dont la famille est
l’institution suprême. Elle révèle en avoir été victime elle-
même dans son enfance : elle et ses deux sœurs étaient
régulièrement battues par un père violent, qui reprochait à
leur mère de ne mettre au monde que des filles ; elle déclare
qu’après ses études à l’Université de Minnesota, elle rédige et
envoie 1100 lettres de demandes d’emploi, toutes restées sans
réponse favorable.
Son premier contact avec le mouvement féministe se situe
dans la période 1964-65, en suivant des conférences sur le
thème « Les femmes sont-t-elles émancipées ? ». Elle
commence alors à fréquenter le NOW qui deviendra le
Mouvement de libération de la femme63.
Son livre Politique du Sexe est un véritable best-seller aux
États-Unis. Et pourtant, on n’y trouve pratiquement que les
thèmes qui ont été développés par Simone de Beauvoir
qu’elle ne cite jamais. Ce que Simone de Beauvoir a elle-
même reconnu (entretien avec John Gerassi, 1976)64.
En écrivant « Il n’y a pas de différence entre sexes à la
naissance, la personnalité psycho-sexuelle est donc postnatale
et apprise » Kate Millet ne dit rien de nouveau par rapport à
Simone de Beauvoir. Elle va seulement un peu plus loin avec
le procès qu’elle fait de la Bible dont l’enseignement selon
elle, est la principale cause du mépris et de l’oppression dont
les femmes sont victimes.
Kate Millet pouvait-elle ignorer le Deuxième Sexe traduit en
anglais depuis 1953, avec deux millions d’exemplaires vendus
aux États-Unis, alors qu’elle cite d’autres auteurs français
comme Rousseau pour ses positions phallocratiques, comme

63Interview dans le magazine Time, 31 août 1970.


64John Gerassi, “The second sex 25 years later”, Interview with Simone
de Beauvoir, Society, Jan-Feb 1976, Southampton University.

89
Jean Genet qu’elle admire pour son homosexualité ? N’a-t-
elle pas occulté sa véritable source d’inspiration, pour
conférer à son texte qui est une thèse de Doctorat une
vraisemblance d’originalité, de nouveauté, compte tenu des
exigences académiques ?
Une autre féministe américaine, Camille Paglia, met les
pieds dans le plat, dans son livre65 Le Sexe, l’art et la culture
américaine. Elle considère Le Deuxième Sexe comme le livre sine
qua non (sans lequel) de toutes les lectures féministes
contemporaines, l’œuvre suprême du féminisme
contemporain. Elle ajoute que beaucoup de féministes
contemporaines ne réalisent pas à quel point elles sont
simplement en train de répéter, d’amplifier les sections et
paragraphes de ce livre, sous d’autres appellations.
On distingue parfois un féminisme radical et un
féminisme lesbien, mais dans le fond, il s’agit du même
courant, dans la mesure où c’est le radicalisme qui mène au
lesbianisme. Le féminisme radical lesbien se constitue dans
les années 1970 autour des mouvements de libération de la
femme. Il repose sur le postulat que l’antagonisme principal
dans la société se situe au niveau de la relation homme –
femme, sur la question du genre. Le genre est le problème
majeur ; la féminité est une création des hommes. Le
féminisme radical n’attache aucune valeur à la
différenciation des sexes qui n’est pas de nature biologique,
mais une construction patriarcale.
Le rejet de la société patriarcale exige donc une révolution
sexuelle totale qui détruit les tabous traditionnels sur
l’homosexualité, les rapports sexuels en dehors du mariage, le
mariage monogamique qui est un élément de l’autorité
familiale patriarcale. Pour l’éducation des enfants, la famille
doit être remplacée par l’État ou bien par une institution
collective. La famille n’est rien d’autre qu’une institution

65 Camilla Paglia, Sex, Art and American Culture, New York, Vintage, 1992.

90
chargée de perpétuer la société dominée par les hommes ; le
besoin de famille peut être remplacé par les méthodes
artificielles de reproduction.
L’antidote le plus évident à la domination sexuelle des
hommes, c’est l’homosexualité ; les hommes sont le
problème, le lesbianisme est la solution ; l’hétérosexualité
obligatoire est la base de la société patriarcale ; elle n’est ni
naturelle, ni innée ; le rapport naturel et primaire est celui
qui met une femme en rapport avec une autre femme, mais il
a été détruit par l’hétérosexualité du patriarcat ; une femme
doit avoir son activité sexuelle avec une autre femme ; en
ayant des rapports sexuels avec un homme, elle commet une
injustice à l’égard de ses sœurs opprimées. Pour une femme,
être lesbienne, c’est faire acte de résistance contre les
hommes qui sont tous des violeurs. Le lesbianisme est un acte
de militantisme politique.
Kate Millet elle-même est ouvertement lesbienne et
s’emploie elle aussi, à lui donner une justification biologique.
Pour elle, l’orgasme vaginal déclenché par le pénis est un
mythe inventé par les hommes ; la réalité, c’est l’orgasme
clitoridien qui ne nécessite pas une présence masculine ; le
clitoris est le seul organe humain spécifique à la sexualité et
au plaisir sexuel, à la différence du pénis qui remplit d’autres
fonctions comme l’élimination (de l’urine) et la reproduction
(sécrétion du sperme).
Un autre texte édifiant à cet égard est celui de Anne
Koedt, Le Mythe de l’orgasme vaginal écrit en 196866. Pour elle,
« la frigidité a été définie par les hommes comme l’incapacité
pour la femme d’atteindre l’orgasme vaginal » ; dans ce cas,
« seul l’homme est en mesure de procurer l’orgasme vaginal,
ce qui empêche les femmes d’avoir des rapports avec les
autres femmes ». Elle estime au contraire que :

66 Anne Koedt, “The Myth of Vaginal Orgasm”, The New York Radical

Women, 1968.

91
« La distinction faite entre orgasme vaginal et orgasme
clitoridien est erronée… en réalité, le vagin n’est pas une
zone hautement sensible, et physiologiquement, il n’a pas
été conçu pour atteindre l’orgasme. Le clitoris est la zone
sensible et est l’équivalent féminin du pénis… les
hommes atteignent l’orgasme par friction avec le vagin,
non avec le clitoris… les femmes ont été conditionnées
en fonction de ce qui arrange les hommes ; l’orgasme
vaginal n’existe pas. »
Rappelons que Simone de Beauvoir elle, tout en
défendant le lesbianisme, admet que la femme a deux zones
érogènes, le clitoris et le vagin.
Une autre figure de proue du féminisme radical lesbien
aux États-Unis est Adrienne Rich, une célébrité de la
littérature américaine, par ses romans et ses poèmes. En
1980, elle écrit un article Hétérosexualité imposée et existence
lesbienne, qui sera incorporé dans un livre de 198667. Elle
estime que :
« L’hétérosexualité est une institution politique violente
ouvrant la voie au mâle pour avoir sur la femme un
accès physique, économique et émotionnel. Le
lesbianisme est une extension du féminisme. Les femmes
peuvent ne pas préférer l’hétérosexualité, mais elle a été
imposée, organisée, médiatisée, maintenue par la
société. »
Selon elle, le lesbianisme ne devrait pas être vu comme la
version féminine de l’homosexualité masculine ; le
lesbianisme a sa propre histoire politique et personnelle, sa
propre dynamique.
Alison Jagger, dans Philosophies politiques de la libération des
femmes, écrit68 :

67Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence.


68 “Political Philosophies of Women’s Liberation”, in Feminism and
Philosophy, Littlefield, Adams Cy, Totowa, NJ, 1977, p. 13.

92
« La fin de la famille biologique éliminera aussi le besoin
de répression sexuelle. L’homosexualité mâle, le
lesbianisme, et les rapports sexuels hors mariage ne
seront plus vus dans la manière libérale comme des
options alternatives. L’institution même du rapport
sexuel dans lequel l’homme et la femme jouent chacun
un rôle bien défini disparaîtra. L’humanité pourra
finalement retourner à son état naturel de sexualité
perverse et polymorphe. »
L’articulation entre le féminisme radical et le lesbianisme
trouve sans doute son expression la plus claire dans ce propos
de Ti-Grace Atkinson, cité par Anne Koedt : « Le féminisme
est la théorie, le lesbianisme est la pratique ».
Manifestement, certaines féministes radicales évitent de se
reconnaître des précurseurs mâles. Mais il ne fait aucun
doute que les travaux de Freud, et surtout ceux plus récents
de Herbert Marcuse qui écrivait aux États-Unis et en
Anglais, ont eu beaucoup d’influence sur leurs doctrines.
L’ouvrage de Marcuse, Éros et Civilisation, Étude sur Freud,
publié depuis 1955, ne pouvait pas passer inaperçu dans le
cercle des féministes radicales écrivant dans les années 1970.
Tout comme Freud, Marcuse ouvre la voie aux pratiques
homosexuelles, lorsqu’il dénonce :
« l’organisation sociale de l’instinct sexuel qui met sous
tabou, comme perversions, à peu près toutes les
manifestations qui ne servent pas la fonction de
reproduction. » (Marcuse 1955 : 53).

III. FÉMINISME AMAZONE


« Ma fille, fais de toi un homme ! ». Ce propos pourrait
être le mot d’ordre du féminisme amazone à ses débuts. La
femme est appelée à faire disparaître toute trace de féminité :
s’habiller comme les hommes, en jeans, T-shirts, avoir les
cheveux courts… Il faut par là contester l’image
traditionnelle du héros mâle, et promouvoir celle de l’héroïne

93
femme dans les films, mais aussi dans les compétitions
sportives : avoir un corps musclé d’athlète, pratiquer les
sports réputés violents, comme le football, le rugby, la boxe,
s’engager dans la police, dans l’armée… Ce qui est en train
de se faire de plus en plus.
Simone de Beauvoir a en quelque sorte inspiré ce courant,
dans Le Deuxième Sexe, mais aussi dans ses premiers écrits qui
sont des romans comme L’Invitée (1943), en faisant de ses
personnages principaux des femmes.
Si certaines femmes s’en tiennent là en essayant d’éliminer
toute trace de féminité pour se masculiniser, d’autres vont
beaucoup plus loin. C’est le cas de Valérie Solanas (1936-
1988) qui aux États-Unis en 1968 publie un tract intitulé
« SCUM Manifesto » (Manifeste de la société pour couper
les hommes en morceaux)69, véritable manifeste de
misanthropie. Son projet est d’exterminer les hommes de la
carte pour n’avoir qu’une société de femmes. Pour elle, la
femme est supérieure à l’homme ; le gène mâle Y est un gène
femelle X incomplet ; le mâle est donc un accident
biologique, une femelle incomplète procédant d’une sorte
d’avortement survenu à l’étape de l’embryon. Aristote avait
élaboré cette thèse, mais en défaveur de la femme. Valérie
Solanas ne fait que le pasticher, le reprenant à l’envers en
défaveur de l’homme.
Dans la logique de Valérie Solanas, le rapport sexuel n’est
pas une nécessité, c’est même une perte de temps, et les
femmes peuvent bien s’en passer. Ce courant très minoritaire
tend à s’identifier avec le féminisme amazone.

69 SCUM : Society for Cutting Up Men.

94
CHAPITRE VI

LE MOUVEMENT FÉMINISTE DANS LA CRITIQUE

Dans les sciences sociales, le terme « paradigme » est


souvent utilisé pour désigner une démarche de recherche
associée à une certaine façon de penser. C’est lorsqu’un
paradigme ne satisfait plus certains esprits que ceux-ci
s’emploient à le dépasser pour accéder à un nouveau
paradigme. En cela, le féminisme peut être vu comme
s’inscrivant dans un paradigme, dans la mesure où dans ses
différents courants, il cherche à remettre en cause des
conceptions antérieures. Ce qui ne peut manquer de susciter
des critiques. Les critiques contre le féminisme ont été
développées à l’intérieur du mouvement comme à l’extérieur.
I. FÉMINISTES CONTRE FÉMINISTES
Le féminisme libéral est critiqué par d’autres courants de
féminisme. Les féministes marxistes lui reprochent son
individualisme, et sa tendance à ne servir que les intérêts des
classes moyennes, ignorant les intérêts des femmes ouvrières.
Elles sont plus intéressées à défendre leurs propriétés, leurs
carrières, que l’émancipation des femmes de l’oppression.
Le courant féministe radical conteste l’approche des
féministes marxistes en termes de lutte de classe, estimant que
les problèmes des femmes ne peuvent être subordonnés au
problème de la lutte des classes. Lorsque les marxistes

95
s’appuient sur la dialectique pour mettre au premier plan la
lutte des classes comme contradiction principale, les
féministes radicales refusent de reléguer la lutte des sexes au
rang de contradiction secondaire. Pour elles, le sexisme se
manifeste aussi au sein de la classe ouvrière, par la violence
contre les femmes dans le ménage, le harcèlement sexuel
dans les lieux de travail et dans les syndicats ; les hommes qui
se réclament du socialo-marxisme sont aussi des « cochons
sexuels ». En conséquence, cette approche socialo-marxiste
est une autre manière de perpétuer la domination des
hommes ; les femmes sont victimes d’oppression, et leur
problème, ce sont les hommes.
Le féminisme radical est très critiqué pour son côté
excessif. Il existe aux États-Unis une abondante littérature
féminine qui cible comme adversaire le féminisme radical.
Les titres les plus en vue sont :
- Personnage Sexuel (1991)70 de Camille Paglia,
- Qui a volé le féminisme ? Comment les femmes ont trahi les femmes
(1994)71 de Christina Hoff Sommers,
- Le Programme Genre : Redéfinir l’Égalité (1997) de Dale
O’Leary,
- Tranquillité Domestique: Un exposé contre le Féminisme (1998)72
de Carolyn Graglia.
Ces femmes estiment que le féminisme a été dévoyé,
détourné de ses nobles objectifs. Pour se démarquer du
féminisme radical, elles lancent comme mot d’ordre : « je ne
suis pas Féministe ; je suis féministe ». Étant entendu que les
Féministes sont les seules militantes du féminisme radical

70 Camille Paglia, Sexual Personae, New York, vintage Books, 1991.


71 Christina Hoff Sommers, Who Stole Feminism ?, New York, Simon and
Schuster, 1994.
72 Carolyn Graglia, Domestic Tranquility, A Brief Against Feminism, Dallas,

Spence Publishing, 1998.

96
dont elles rejettent le slogan « Combats pour ton droit de
faire ce qui te plaît, et rejette toute obligation ».
Dale O’Leary marque ainsi son indignation :
« Quelle que soit l’image positive du mot “féministe”,
elle a été ternie par celles qui en ont fait leur
propriété73. »
Auparavant, elle a expliqué comment elle en est arrivée à
cette position, dans une conférence tenue le 1er juillet 1994 :
« J’ai découvert que je ne comprenais pas le féminisme.
Je pensais que le féminisme c’était l’égalité pour les
femmes, l’égalité de traitement devant la loi, l’égalité
dans l’éducation, dans les chances, l’égalité dans la
dignité et le respect. Des choses que je soutenais, et que
je suis sûre que vous toutes vous soutenez, que l’église
soutient. À ma surprise j’ai découvert que cette
philosophie du féminisme libéral basée sur l’égalité a été
complètement remplacée par l’idéologie du féminisme
radical. »
Les féministes radicales dénoncent toutes les femmes qui
ne partagent pas leurs convictions, comme des « ennemies
féministes », implicitement consentantes pour « le viol des
femmes ».
Le féminisme radical lesbien a été aussi critiqué du côté de
la gauche féministe qui lui reproche de réduire toute
l’oppression des femmes à un problème sexuel, laissant de
côté le contexte socioéconomique, ignorant les différences de
condition sociale entre femmes. Or, toutes les femmes n’ont
pas les mêmes intérêts et les mêmes besoins sociaux.
Le féminisme islamique n’est pas du tout bien vu dans les
milieux féministes traditionnels, nourris dans la laïcité et dans
l’hostilité à toute croyance religieuse. C’est ainsi que le
Congrès du féminisme islamique de Barcelone est

73 Dale O’Leary, The Gender Agenda, Redefining Equality, p. 23.

97
sévèrement critiqué, comme faisant la part belle à l’islam qui
est une religion patriarcale. Il est reproché à Amina Wadud
de porter le voile, symbole d’oppression. Pourtant, un des
objectifs déclarés des féministes musulmanes est d’amener
leurs autres sœurs féministes à avoir de l’islam une
compréhension différente de la présentation patriarcale qui
en est faite traditionnellement ; leur montrer le véritable
visage de l’islam qui au lieu d’opprimer la femme, l’honore.
Mais le message a du mal à passer.
Le mouvement féministe qui est allé le plus loin dans les
attaques contre le féminisme islamique est celui des
« Pénélopes » qui fonctionne en France. Rappelons que dans
la mythologie grecque rapportée par Homère, Pénélope était
l’épouse du roi Ulysse, et père de Télémaque. Il existe deux
versions du comportement de Pénélope durant la longue
absence de son mari. Selon Homère, elle a éconduit tous les
dignitaires (ils étaient au nombre de 129) qui l’invitaient à
l’adultère, avec la promesse qu’elle acceptera dès qu’elle aura
fini de tricoter une pièce de vêtement ; mais dans la nuit, elle
s’employait à défaire tout ce qu’elle avait tricoté dans la
journée ; c’est par ce stratagème qu’elle aurait préservé sa
fidélité. Selon une autre version, moins crédible, elle aurait
cédé aux 129 prétendants successivement. Manifestement, les
« Pénélopes » n’ont retenu que cette version.
Le féminisme afro-américain est né, comme il a été vu,
d’une critique du sexisme des mâles noirs, et d’une
distanciation par rapport au féminisme ambiant à l’époque
aux États-Unis, animé par des femmes blanches issues de
milieux sociaux relativement aisés. À un moment donné, les
femmes noires américaines ne se sont plus senties dans le
mouvement, n’ayant pas tout à fait les mêmes
préoccupations. Lorsque par exemple, les féministes blanches
revendiquent de quitter le foyer conjugal pour aller travailler
à l’extérieur, les féministes noires leur font remarquer que cet
« extérieur », elles y sont déjà, et depuis longtemps : c’est très

98
tôt qu’elles ont été obligées d’aller travailler, non pas par
choix, mais par nécessité vitale, et pour n’occuper le plus
souvent que des emplois subalternes ou domestiques mal
rémunérés.
Les femmes anthropologues issues des groupes ethniques
minoritaires, les Afro-Américaines surtout, mettent en cause
la démarche des féministes anthropologues qui sont toutes de
race blanche, et appartiennent aux classes moyennes
relativement aisées. Pour Audrey Lorde, toutes les femmes
sont exposées à l’oppression patriarcale qui transcende les
frontières ethniques et raciales, mais les formes et degrés
d’oppression ne sont pas les mêmes partout. Les féministes
anthropologues ont concentré toutes leurs analyses sur le
genre, ne tenant pas compte du racisme, des inégalités
sociales dont sont victimes les femmes des groupes
minoritaires. Le fait d’être femme n’élimine pas les
différences de classe, de race, d’ethnicité, de statut
socioéconomique, de religion…
C’est à partir de là qu’émerge un courant de
l’anthropologie féministe qui se propose d’étudier les
différences entre femmes, plutôt que les différences entre
hommes et femmes. Seulement, le féminisme noir américain,
né du sexisme et du racisme, se trouve aussi traversé par un
obstacle de taille, la contradiction de classe : l’adhésion étant
ouverte, les militantes proviennent de toutes les catégories
socioprofessionnelles, ce qui pose parfois des problèmes
sérieux de compréhension mutuelle et de cohabitation.
En France, certaines féministes, surtout celles du
mouvement « Socialisme international » (dont Christie
Delphy est membre), sont franchement hostiles à
l’Association « Ni Putes ni Soumises » (NPNS). Celle-ci est
créée officiellement en 2003, mais ses origines remontent à
l’affaire Salman Rushdie au milieu des années 1980. Le
programme de NPNS reprend pratiquement tous les points

99
du féminisme radical. Ses adversaires la dénoncent comme
instrumentalisée par les pouvoirs publics, servant comme
« alibi symbolique et médiatique », avec de forts relents anti-
islamiques. NPNS bénéficie de subventions publiques
substantielles, et est même membre consultatif du Conseil
économique et social de l’Organisation des Nations unies. Sa
principale animatrice, Fadela Amara a fait son entrée dans le
gouvernement français en 2007.
Dans l’ensemble, les femmes féministes qui s’opposent à
ce qu’elles considèrent comme des déviations du mouvement
sont classées dans le courant appelé postféminisme.
II. FEMMES CONTRE FÉMINISMES
Des associations féminines de lutte contre le féminisme
ont été créées aux États-Unis. Les plus connues sont
« Femmes contre le féminisme, politiquement incorrectes, et
fières de l’être » (WAF), et « Dames contre le féminisme »74
(LAF).
Le programme de WAF se présente ainsi :
« Je suis une femme, mais reconnaissant que les
féministes ont partout desservi les hommes et les femmes,
et que leur cause est préjudiciable à la situation du pays,
je m’engage à me dresser contre le féminisme.
Je ferai tout ce que je pourrai pour m’assurer que je
combats la cause féministe sur tous les fronts en écrivant
et en parlant, et faire entendre ma voix et celles des
autres femmes en lutte contre le féminisme.
Je crois que le patriarcat qui existait au moment de la
fondation de l’Amérique devrait encore être là
aujourd’hui, et qu’il n’y a rien de mauvais dans les rôles
des hommes et des femmes de ce système « dépassé ».
Je crois aussi que chacun était plus heureux quand les
femmes étaient des femmes et que les hommes étaient

74 Ladies Against Feminism (LAF).

100
des gentlemen, et aujourd’hui, je promets de faire de mon
mieux pour faire revenir cela autant que possible. »
La parole est donnée à quelques femmes du mouvement
qui s’expriment ainsi :
« Le rôle de la femme est un rôle complexe qui a été
tordu, assombri et jeté au vent. L’idée qu’une femme
peut être forte tout en restant féminine a généralement
été combattue. Il en est de même de l’idée qu’une femme
peut être forte sans nourrir d’amertume contre les
hommes ou sentir qu’elle a quelque chose à prouver.
Le problème des féministes est que leur combat n’est pas
simplement pour l’égalité des sexes, mais plutôt pour
obtenir des privilèges exceptionnels pour les femmes et la
discrimination contre les hommes. Il incombe aux
hommes d’être les leaders et les chefs de famille. Aussi,
« l’égalité » dont elles (les féministes) parlent n’est pas
correcte.
Quiconque connaît les féministes sait que le million
d’organisations d’hommes qui existent dans le monde ne
vont pas s’engager dans un combat contre le féminisme ;
parce que les hommes ne sont pas écoutés sur ce
problème (à cause de la féminisation). Les femmes ont
besoin de s’y engager aussi.
C’est à nous – les femmes qui haïssons cela – d’y mettre
un arrêt, ou tout au moins, nous efforcer de notre mieux,
à le faire.
Engagez-vous ! Vous n’avez pas à soulever des
montagnes, mais à vous faire entendre lorsque vient le
moment. Ne restez pas muettes, même si c’est très peu,
une personne peut faire la différence.
Que voulons-nous ? Une société telle qu’elle a été :
lorsque les hommes respectaient les femmes et que les
femmes respectaient les hommes. Je ne dis pas que cela
n’existe plus du tout aujourd’hui, mais admettez qu’il est
devenu plus difficile de trouver des gentlemen, tout comme
de trouver de bonnes femmes.

101
Le chauvinisme est mauvais, mais le féminisme aussi. En
fait, le féminisme peut être pire, qui sait… Je ne suis pas
une personne anti-femelle, ou pro-mâle. Je suis moi-
même une fille, et j’en ai vu assez du féminisme pour
savoir qu’il doit disparaître. »
Dames contre le féminisme (LAF) est une organisation à
orientation religieuse, créée en 2002 par l’épouse d’un
ministre du culte protestant de l’État d’Oregon aux États-
Unis. L’organisation est présentée comme une réponse
biblique au féminisme, pour encourager les femmes dans les
rôles qui leur ont été conférés par Dieu…
« Les hommes et les femmes ne sont pas des créatures
identiques… Sommes-nous égaux en valeur humaine ?
Oui. Égaux devant le trône de la grâce ? Absolument.
Égaux en dignité ? Bien sûr. Mais, quand on ramène
tout à l’essentiel, si vous insistez que “égal” signifie
“exactement le même”, vous devrez voler en face de la
biologie, du fait historique, de la vérité biblique et du
sens commun. Sur beaucoup de points, la femme n’est
pas l’égale de l’homme, et l’homme n’est pas l’égal de la
femme. Ce sont des créatures différentes, avec des rôles
différents. Allons-nous nous compléter dans nos rôles
distincts qui nous viennent de Dieu, ou allons-nous nous
déchirer dans des querelles de territoire ? Nous sommes
pour la virginité avant le mariage, la modestie, la vertu,
l’intelligence, le savoir-faire féminin, et la féminité.
Rejoignez la nouvelle révolution. »
Dans la littérature féminine antiféministe, Dale O’Leary
avec son livre Le Programme Genre : Redéfinir l’Égalité revient sur
les conférences des Nations unies auxquelles elle avait assisté,
celle tenue au Caire en 1994 sur les problèmes de
population, et celle tenue à Pékin en 1995 sur les femmes.
Elle relate qu’avant ces conférences, il a été créé une
Organisation des Femmes pour l’Environnement et le Développement
(Women’s Environment and Development Organization,

102
WEDO) dirigée par Bella Abzug, féministe américaine
radicale, militante de l’avortement, élue à la Chambre des
Représentants en 1970. C’est l’activisme de WEDO qui avait
suscité en réaction la création de la Coalition pour les Femmes et
la Famille (Coalition for Women and the Family), lors de la
conférence préliminaire à celle de Pékin, tenue auparavant à
New York.
Bella Abzug pèse de tout son poids sur ces manifestations,
d’abord dans le choix des déléguées américaines, toutes des
féministes de son courant, pour faire prévaloir leurs positions,
allant jusqu’à annoncer que la Conférence de Pékin sera sa
conférence. Selon Dale O’Leary, ces féministes radicales
utilisent les Nations unies pour imposer les résolutions qui
sont les leurs aux représentantes des gouvernements des pays
du tiers monde, qui, compte tenu de leur dépendance à
l’égard de l’assistance financière, les acceptent. Dans
beaucoup d’ateliers de travail, seule la langue anglaise est
utilisée sans traduction, ce qui restreint la participation active
de bon nombre de femmes arabes, francophones et
hispaniques. C’est ainsi que le concept de genre est arrivé à
remplacer celui de sexe, pour devenir incrusté dans le
discours social, politique, et juridique.
Il se forme alors un front de résistance contre les
féministes radicales, autour de Margaret Ogala du Kenya,
Mercedes Wilson du Guatemala, Gwen Landolt des États-
Unis, pour faire prendre conscience aux déléguées du tiers
monde à quel jeu on voulait les prendre sous le parapluie des
Nations unies. Mais en fin de compte, les activistes du
féminisme radical n’ont pas eu tort en proclamant qu’elles
ont remporté une grande victoire à la Conférence de Pékin,
pour avoir réussi à imposer leur programme. Tout le
problème est de savoir si, et dans quelle mesure ces
résolutions sont appliquées dans les différents pays du tiers
monde.

103
Dale O’Leary relate tout de même cette scène qui s’est
déroulée en coulisse. Une déléguée du Soudan apostrophe
ainsi une déléguée française :
« Pourquoi êtes-vous si en colère ? Vous avez, vous, tous
ces droits que vous voulez nous faire accepter… S’il vous
plaît, montrez-moi une fenêtre de votre paradis, parce
que tout ce que je vois dans votre monde, c’est la
promiscuité entre jeunes gens, des divorces en
augmentation, des avortements en augmentation,
l’homosexualité, les maladies vénériennes… je ne vois
pas votre paradis. »
Simone de Beauvoir avait bien conscience de l’état
d’esprit de l’immense majorité des femmes face aux thèses
féministes. En 1975, dans un entretien avec la féministe
américaine Betty Friedan, il lui est demandé si les femmes
devraient avoir le choix de rester au foyer et d’élever leurs
enfants. Elle répond alors :
« Les femmes ne devraient pas avoir ce choix,
précisément parce que s’il y a un tel choix, la plupart des
femmes le feront75. »
Dans une publication récente, Quand les femmes s’éveilleront
(2008), la psychothérapeute française Valérie Colin-Simard
dénonce certains aspects du féminisme, en commençant par
poser deux questions : « Où en sont les femmes après Mai
68 ? Et si le féminisme ne leur avait apporté que le droit
d’être des hommes ? ». Et de regretter que dans tous les
domaines, les femmes n’aient cherché qu’à s’adapter à des
schémas masculins, alors que les valeurs du féminisme
(douceur, capacité d’écoute, expressions des émotions) sont

75 Simone de Beauvoir, “Sex, Society and the Female Dilemma :

Dialogue between Betty Friedan and Simone de Beauvoir”, Saturday


Review, 14,June 1975, p. 18.

104
indispensables à leur équilibre et à l’équilibre de la société. Il
faut, estime-t-elle, réhabiliter le féminin.
III. ANTISÉMITISME ET FÉMINISME
Toujours aux États-Unis, s’est constitué le mouvement76
Initiative de Sauvegarde de l’Occident (sigle WSI en anglais) qui ne
fait pas mystère de son antisémitisme, en prenant comme
cible le féminisme. Selon le WSI, le féminisme n’est rien
d’autre qu’une création juive, dont le projet est de détruire les
valeurs de la culture occidentale fondée sur le Christianisme.
Les militants du WSI, dans leurs documents, pour désigner
« chrétien », évitent d’utiliser le terme christian dans lequel se
reconnaissent tous les chrétiens ; ils lui préfèrent le terme
gentile qui signifie aussi « chrétien », mais en tant que
distingué de « juif », opposé à « juif », en l’associant à
« culture » (gentile culture) : un terme plus idéologico-politique
que religieux.
Le WSI perçoit le mouvement féministe à travers le
féminisme radical américain, négateur de la famille, hostile à
la religion. Avec le recensement fait des membres les plus
notoires du féminisme aux États-Unis et au Canada, WSI
établit que ce sont des femmes juives qui animent et
dominent le mouvement. WSI dresse une liste de 26
féministes juives, – en précisant qu’elle n’est pas exhaustive –
dans laquelle on peut noter des figures de proue du
mouvement comme Betty Friedan (La Mystique féminine,
1963), Shulamith Firestone (La Dialectique du Sexe, 1970),
Andrea Dworkin (Rapports Sexuels, 1987), Lucy Komisar (Le
Nouveau Féminisme, 1971)…
Seulement, sans tomber dans l’antisémitisme du WSI, le
chercheur peut se demander s’il n’existe pas une corrélation
entre l’orientation féministe de ces femmes issues du

76 Western Saveguard Initiative.

105
Judaïsme et le traitement de la femme qu’on trouve dans
l’Ancien Testament, comme nous le verrons.
IV. L’ARGUMENTAIRE « GENRE » FACE À LA SCIENCE
Il a été vu plus haut qu’aux États-Unis, le professeur John
Money a soutenu que le sexe à la naissance est indifférencié,
neutre, et ne devient différencié en masculin ou féminin
qu’au cours des expériences de l’éducation de l’enfant, et que
l’identité de genre dépend donc de la manière dont l’enfant
est élevé.
La thèse de Money est mise en doute en 1965, par un
jeune chercheur, Milton Diamond, dans un article publié par
la revue Quarterly Review of Biology. Pour lui, Money n’a
montré aucun exemple concret pour étayer sa thèse.
En 1972, John Money, en collaboration avec une de ses
collaboratrices Anke Erhardt, publie un ouvrage intitulé
Homme et femme, garçon et fille : l’identité de genre de la conception à la
maturité.77 Money y raconte le cas d’un enfant dont le pénis
avait été endommagé lors d’une circoncision à l’âge de huit
mois ; les parents, ayant vu Money dans une émission
télévisée raconter ses expériences réussies de changement de
sexe, lui apportent l’enfant. Money leur conseille de le
castrer, et de l’élever comme une fille ; selon lui, le
changement de sexe a été un succès, et le garçon s’est très
bien adapté à son identité féminine, son prénom Bruce ayant
été changé en Brenda ; et il a été élevé avec son frère jumeau.
C’était, a-t-on alors dit, un cas de « conflit entre la nature et
l’éducation » (nature versus nurture).
Le livre de Money fait sensation. Le magazine Time
(numéro du 8 janvier 1973) considère que ce cas dramatique
est un argument de poids pour les mouvements de libération

77 John Money, Anke Ehrhardt, Man and Woman. Boy and Girls, Baltimore,

John Hopkins University Press, 1972.

106
de la femme. Le New York Times, dans sa revue des livres, le
présente comme
« Le livre le plus important publié dans les sciences
sociales depuis les Rapports Kinsey78. Il donne des
réponses à la vieille question : "Est-ce l’hérédité ou le
milieu ?" »
Dans le milieu académique, le professeur Money accède à
la notoriété scientifique et devient un véritable totem sacré. Il
est présenté comme un des plus grands sexologues du siècle.
Cependant, quelques scientifiques restent sceptiques sur ses
thèses, mais étant moins renommés et soucieux de ne pas
compromettre leur carrière universitaire, ils se gardent de
l’attaquer.
Ce n’est pas le cas de Milton Diamond, que Money n’a
d’ailleurs pas manqué d’égratigner dans son livre. Diamond,
devenu professeur de biologie à l’Université de Hawaï,
reconnu comme expert de l’effet prénatal de la testostérone
sur l’organisation du cerveau, continue ses recherches de
laboratoire et publie de nombreux articles. Il reste convaincu
qu’aucun bébé ne naît indifférencié au plan sexuel et
psychologique ; même l’hermaphrodite ou bisexuel (celui qui
naît avec une malformation faisant apparaître les deux
organes sexuels) est toujours de l’un ou de l’autre des deux
sexes.
Le Dr William Reiner, spécialiste de la psychologie de
l’enfant dira que « l’organe sexuel le plus important n’est pas
le génital, c’est le cerveau » et qu’il est donc impossible de
transformer un garçon en fille et une fille en garçon.
Seulement, il déplore de ne pas disposer de preuve matérielle
à l’appui de sa théorie.

78 Le professeur Alfred Charles Kinsey, zoologiste de l’Université


d’Indiana aux États-Unis a animé une équipe de recherche sur le
comportement sexuel des êtres humains. Il en a sorti un rapport de 1948
consacré aux hommes, et un rapport de 1953 consacré aux femmes.

107
Milton Diamond, lui, finit par entrer en contact avec le
Dr Keith Sigmundson, un psychiatre qui a rencontré la
personne au centre du cas raconté par Money. Selon lui, une
fille en apparence, mais qui a tout du comportement d’un
garçon. Ils s’arrangent pour une rencontre et une interview.
Et ils apprennent la vérité que la personne intéressée elle-
même avait tenue de son père. John Money a donc menti. Ils
rédigent alors un article, mais ont du mal à trouver une revue
scientifique acceptant de le publier, compte tenu de la
notoriété du professeur Money qui est mis en cause. C’est
deux ans seulement après, en 1997, que l’article est publié
dans une revue de l’Association américaine de médecine79.
Cette révélation attire de grandes difficultés à Money au
sein de la communauté médicale. Il se réfugie alors dans le
féminisme pour donner comme toute réponse :
« C’est là un aspect du mouvement antiféministe. Ils
disent que la masculinité et la féminité sont construites
dans les gènes, donc les femmes devraient retourner sur
les matelas et dans les cuisines. »
L’écrivain John Colapino relate cette histoire80, d’abord
dans un article de la revue The Rolling Stone en 1997 intitulé
« La véritable histoire de John/Johan ». Il revient là-dessus
dans un ouvrage publié en 2000, Tel que la nature l’a fait : Le
garçon qui a été élevé comme fille. Le garçon en question, bien
qu’ayant été élevé comme une fille, a toujours eu un
comportement de garçon. Lorsque mis au courant de sa
véritable identité de garçon, il entreprend une seconde

79 Milton Diamond, Keith Sigmundson, “Sex Reassignment at Birth. A


Long Term Review and Clinical Implications”, Archives of Paediatrics and
Adolescent Medicine, 151, March 1997, pp. 298-304.
80 John Colapino, “The True History of John/Johan”, The Rolling Stone,

Dec. 11, 1997, pp. 54-97.


As Nature Made Him : The Boy who was Raised as a Girl, New York, Harper
Collins, 2000.

108
opération pour retrouver son véritable sexe ; par la suite, il se
marie. La fin de l’histoire : à la mort de son frère jumeau,
divorcé et pris dans des difficultés financières, il se suicide.
Cette affaire a suscité des études qui ont montré que les
garçons sont biologiquement préparés pour des jouets
masculins, et que les fillettes sont biologiquement préparées
pour des jouets féminins81.
Pourtant, entre la publication du livre de Money (1972) et
sa réfutation par Diamond en 1997, un ouvrage important
est paru aux États-Unis : Le sexe du cerveau : la différence réelle entre
les hommes et les femmes, rédigé par une généticienne, Anne
Moir et un journaliste David Jessel82. Le livre semble surtout
s’adresser aux féministes qui cultivent la notion de genre. En
voici les principales thèses.
Selon ces deux auteurs, les hommes sont différents des
femmes. Ils sont égaux seulement en tant que membres de la
même espèce humaine. Soutenir qu’ils sont les mêmes en
aptitude, en talent ou comportement, c’est bâtir une société
basée sur un mensonge biologique et scientifique. Il y a cent
ans, il aurait été un truisme que de parler de ces différences
entre l’homme et la femme. Mais actuellement, un tel propos
venant d’un homme sera vu comme une ineptie ; si c’est une
femme qui le dit, elle sera accusée d’être une traîtresse.
Si les sexes sont différents, c’est parce que les cerveaux
sont différents ; il en résulte que l’homme et la femme ont des
façons différentes de penser, d’apprendre, de voir, de sentir,
de communiquer, d’aimer, de combattre, de réussir ou
d’échouer, de traiter l’information.

81 Gerainne Alexander “An Evolutionary Perspective of Sex-Typed Toy


Preference : Pink, Blue and the Brain”, Archives of Sexual Behavior, vol. 32, 1,
February 2003, p. 7-14.
82 Anne Moir, David Jessel, Brain Sex : The Real Difference Between Men and

Women, Delta, 1989.

109
La femme est plus sensible au toucher, tolère mieux le son
et le bruit, entend mieux, a un sens de l’observation plus
développé et un horizon visuel plus étendu, a une meilleure
mémoire des noms de personnes, maîtrise mieux les langues
étrangères, voit mieux dans l’obscurité, réagit plus
rapidement à la douleur, juge mieux les caractères des
personnes. Les femmes sont mieux équipées pour remarquer
des choses devant lesquelles les hommes sont sourds et
aveugles ; la femme la moins sensible est plus sensible que
l’homme le plus sensible.
Les hommes sont plus performants dans le raisonnement
mathématique, manient mieux les abstractions, ont une
tournure d’esprit plus rapide, sont plus aptes à viser juste, et
leurs cerveaux sont plus spécialisés (ce qui a des avantages et
des inconvénients). S’il en est ainsi, c’est parce que leurs
possibilités sont localisées dans la partie droite du cerveau.
Les faits sont là : 99 pour cent des brevets d’invention sont
enregistrés par des hommes. Les femmes, qui ont de
meilleures aptitudes à gérer les talents des personnes,
excellent dans des professions comme l’enseignement : aux
États-Unis, les femmes constituent 83 pour cent du personnel
enseignant dans les écoles élémentaires. Ces propos sont
confirmés plus de trente après par l’enquête internationale
PISA (Programme international pour le suivi des acquis des
élèves).
L’identité sexuelle est la même durant les premières
semaines qui suivent la conception de l’enfant. Au bout de six
semaines, la différentiation est définitivement réalisée, avec
les gènes XY pour le sexe masculin, et XX pour le sexe
féminin. Le fœtus mâle développe les cellules spéciales qui
produisent les hormones mâles ou androgènes dont la
principale est la testostérone qui va agir sur le cerveau. La
plus grande différence de comportement entre l’homme et la
femme se trouve dans l’agressivité qui est un phénomène
inné ; ce qui dans une grande mesure explique la domination

110
historique des hommes sur les espèces ; les parents
n’apprennent pas à leurs garçons d’être agressifs.
Les enfants ne naissent pas comme des plaques vierges sur
lesquelles par l’éducation on imprime des types de
comportement. Ils viennent au monde avec ces
comportements, masculins ou féminins, sauvés de la meute
des ingénieurs sociaux qui les attendent impatiemment.
Par la suite, d’autres études viendront confirmer les
différences typiques qui existent entre les hommes et les
femmes. Dans leur étude, Anne Moir et David Jessel ne
manquent pas de faire remarquer que les dernières décennies
ont connu deux processus contradictoires : d’une part le
développement de la recherche scientifique sur les différences
entre les sexes, et d’autre part, l’attitude politique de négation
de ces différences. Rousseau semble avoir anticipé sur ces
problèmes lorsqu’il écrivait : « la femme observe, l’homme
raisonne » (cité par Faye : 102).
Simone de Beauvoir aussi a eu à traiter de ce problème,
en témoignant sur la base de son expérience d’enseignante
que, en dehors de rares exceptions, dans l’ensemble, une
classe féminine de philosophie est nettement en dessous
d’une classe de garçons (p. 612). Dans sa réflexion sur les
femmes dans leur rapport avec le monde, elle décrit ainsi les
points forts des femmes dans la sphère de l’intellect : Un sens
poussé de l’observation, de l’inventaire, ce qui en fait
d’excellentes reporters ; un talent sans égal de la description
des personnages, des atmosphères et un amour poussé de la
Nature ; un vocabulaire meilleur que la syntaxe, compte tenu
de leur intérêt davantage pour les choses que pour leurs
liaisons (p. 625).
La position selon laquelle le conditionnement social
intervient dans la détermination du sexe a continué à être
défendue. Catherine Vidal, neurologue, directrice de
recherche à l’Institut Pasteur à Paris, lors d’un colloque,

111
présente une communication ainsi intitulée « Le sexe du
cerveau. Le point sur ce que dit la neurologie aujourd’hui ».
Elle commence par poser la question : le cerveau a-t-il un
sexe ? Pour elle, le cerveau est un organe biologique et
culturel, et dans les comportements humains, il faut
distinguer la part de l’inné et la part de l’acquis. Toujours
selon elle, c’est l’utilisation abusive de la biologie qui avait
conduit au dix-neuvième siècle aux exercices de craniométrie
visant à montrer que le cerveau du Blanc est plus développé
que celui du Noir, et que le blanc est intellectuellement
supérieur. De même, depuis les travaux de l’anatomiste Paul
Broca, on a essayé de montrer que le cerveau de l’homme
était plus volumineux que celui de la femme. On peut en
conclure qu’il ne sert à rien d’orienter les femmes vers les
disciplines scientifiques et mathématiques. Or, poursuit-elle,
il n’existe aucun rapport entre les capacités intellectuelles et le
volume du cerveau.
Un autre neurobiologiste français, le Dr Bruno Michaud,
dans une contribution ultérieure « Le cerveau a-t-il un
sexe ? » (24/11/2006), se montre plus nuancé. Il soutient
qu’il existe deux sexes bien différenciés et que de telles
différences existent aussi au niveau du cerveau. Il cite des
études de 1997 qui ont montré que le cerveau de la femme
était en moyenne de 10 à 15 pour cent plus petit et plus léger
et contenait 3, 5 milliards de cellules nerveuses de moins que
celui de l’homme. Mais, poursuit-il, on ne peut en conclure
que les femmes sont moins intelligentes que les hommes ; le
quotient intellectuel (QI) n’est que très faiblement lié à la
taille du cerveau, et il mesure un niveau intellectuel et non un
niveau d’intelligence. Il conclut ainsi : « Chacun (fille ou
garçon) est plus ou moins intelligent dans un domaine ou un
autre ».
Au 17ème siècle, Poullain de la Barre, dans son plaidoyer
pour la libération morale et psychologique de la femme, avait

112
lui aussi anticipé sur ces propos : « l’esprit n’a pas de sexe »
(cité par Faye : 109).
Dans tous ces positionnements, on ne peut que s’étonner
du silence des féministes sur Freud qui, dans « La morale
sexuelle “civilisée” et la maladie nerveuse des temps
modernes » écrit :
« L’infériorité intellectuelle de tant de femmes qui est une
réalité incontestable, doit être attribuée à l’inhibition de
la pensée, inhibition requise pour la répression sexuelle. »
(p. 10).
Il est vrai que Freud a été aussi un des précurseurs du
féminisme radical, avec ses appels répétés à la liberté sexuelle
totale.
Cependant, on aurait tort de réduire le mouvement
féministe à sa seule expression du radicalisme radical dans
lequel bon nombre de féministes répugnent à se reconnaître.
Celles-ci peuvent être classées dans les courants modérés du
féminisme. Elles sont de loin plus nombreuses, et ne sont pas
toujours des théoriciennes. La plupart d’entre elles ont plutôt
tendance à s’activer dans des organisations féminines à
caractère social, sans se réclamer de tel ou tel courant.

113
CHAPITRE VII

NOTE AFRICAINE

Le mouvement féministe est maintenant solidement


implanté dans les pays africains. Des organisations féministes
(que l’on pourrait peut-être rattacher au courant libéral du
féminisme) y prolifèrent, avec le statut d’organisations non
gouvernementales, soutenues financièrement par des
gouvernements occidentaux ou des organisations
internationales. Certains dirigeants africains rivalisent même
dans la responsabilisation politique et administrative de leurs
concitoyennes, pour se donner une bonne image du côté de
la « communauté internationale » (en fait les pays
occidentaux) où l’on donne l’exemple.
Pourtant, l’histoire authentique de l’Afrique, c'est-à-dire le
passé africain revisité dans la période postcoloniale, révèle
que, si l’oppression des femmes y a été présente comme
partout dans le monde, des femmes ont eu aussi à y jouer un
rôle de premier plan.
I. FÉMINISME IMPORTÉ ?
Le débat qui a eu lieu dans les pays occidentaux,
particulièrement aux États-Unis, entre femmes sur le
féminisme a été transposé en Afrique. L’intelligentsia
féminine a été très active sur le sujet, particulièrement dans
les deux pays retenus ici : le Nigeria, au niveau des

115
universités, et le Sénégal, dans le cadre d’une organisation
non gouvernementale, le Conseil pour le développement de
la recherche économique et sociale en Afrique (Codesria).
C’est aussi dans la mouvance du féminisme à l’occidentale
qu’émerge en Afrique francophone la littérature féministe :
Femmes d’Afrique Noire, édité par Denise Paulme (1960) ; Le rôle
des femmes dans le développement économique de Ester Boserup
(1973) ; des publications dans les Cahiers d’Études Africaines
(1977), dans les Cahiers du GRIF (1985). En 1972, la Société
Africaine de Culture organise à Abidjan une rencontre sur
« La Civilisation de la femme dans la tradition africaine »,
dont les actes sont publiés par Présence Africaine, Paris, en
1975. C’est dans la même mouvance, avec appuis financiers
extérieurs que sont créées un certain nombre d’associations
comme « l’Association des femmes africaines pour la
recherche et le développement », et que sont initiées des
recherches sur le thème « Femme et Développement » dans
les années 1970, puis « Genre et développement » à partir de
198083.
Parmi les publications d’intellectuelles africaines, il en est
deux qui méritent particulièrement de retenir l’attention : La
parole aux négresses de Awa Thiam (1978) et L’énigme de la
différence des sexes. Contribution philosophique à la perspective genre de
la religieuse Béatrice Faye, un très bon travail de thèse de
Doctorat de 3ème cycle soutenue à la Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines de l’Université Cheikh Anta Diop de
Dakar en 2005.
Si pour l’essentiel, les écrits des féministes africaines
peuvent être classés dans le courant libéral de revendication
de droits, cela ne saurait être le cas pour La parole aux négresses.
Ce livre se situe dans la trajectoire de ce que l’on a appelé la
troisième vague du féminisme au cours des années 1970,

83 Voir Fatou Sow, « L’analyse de genre et les sciences sociales en

Afrique », In Iman, Mama, Sow, eds., Sexe, Genre et Société, pp. 45-72.

116
c'est-à-dire le féminisme radical occidental. Vers la fin de
l’exposé, on peut y lire :
« La lutte des femmes africaines peut certainement se
concevoir autrement que par un décalque pur et simple
des luttes des femmes européennes… Les structures
sociales et familiales sont fort différentes. Il n’y a pas
d’équivalence, donc pas de possibilité de superposer et
d’assimiler. » (p. 182).
Il ne s’agit là que d’une simple clause de style. En effet, le
texte, mis à part les témoignages de jeunes filles victimes
d’excision ou d’infibulation, ce qui le pare d’une certaine
couleur locale, n’est rien d’autre qu’un décalque des écrits du
féminisme radical pur et dur.
Le radicalisme est ainsi annoncé dès le début :
« Les hommes ont souvent ramené le problème de la
femme à un problème de complémentarité. Qui définit
cette complémentarité ? Les hommes qui nous
l’imposent. » (p. 19).
L’auteur prend des libertés avec l’histoire en écrivant
« Tout d’abord, il faut se débarrasser du mythe du matriarcat
dans les sociétés africaines » (p. 21). En s’attaquant à la
polygamie, son seul argument est une citation de l’historien
communiste Jean Suret-Canale qui estime que « toutes les
justifications que l’on a tenté de donner à la polygamie
apparaissent comme des "rationalisations a posteriori"
dépourvues de fondements »84.
C’est à partir de cette référence qu’elle écrit que « rien ne
justifie la polygamie » (p. 123).

84 Jean Suret-Canale, La femme dans la société africaine, Paris, Bibliothèque du

Musée de l’Homme, 1965.

117
Après avoir présenté les polygames comme des égoïstes,
des inconscients, des irresponsables, des aliénés (p. 120), elle
développe :
« Du fait que la femme arrive à s’abstenir de relation
sexuelle, on ne voit pas pourquoi il n’en serait pas de
même pour l’homme… Elles aussi, si elles le désirent ont
le droit d’être polyandres, mais ce n’est pas ce qu’elles
recherchent à l’heure actuelle… c’est à une révolution
des structures familiales et, par-delà celles-ci, des
structures sociales qu’il faut parvenir (p. 121)… Ne
faudrait-il pas que ce soit une polygamie réciproque ? »
(p. 123).
Simone de Beauvoir aurait-elle partagé ce point de vue,
elle qui écrivait à propos de la femme que la nature de son
érotisme, les difficultés d’une libre vie sexuelle, l’incitent à la
monogamie (p. 605) ?
L’auteur de La parole aux négresses semble aussi se désoler
de ce que
« En Algérie, la femme porte toujours le voile et reste
confinée dans les tâches traditionnelles de servante,
reproductrice et gardienne du foyer. » (p. 156).
Ce faisant, la femme algérienne selon elle, « préserve des
mœurs, des traditions inadaptables ou inadaptées à notre
époque » (p. 156).
La diabolisation de l’islam ne pouvait manquer dans ce
discours sur ton radical :
« Le nègre en Afrique Noire, dispose non seulement de
sa vie, mais aussi de celle de sa femme. Cela vaut surtout
dans les sociétés islamisées où « la femme ne peut aller au
paradis que par l’intermédiaire de son mari », autrement
dit : seulement parce qu’elle aura fait le bonheur de
celui-ci. » (p. 22).

118
L’islam est effectivement intervenu sur ce point avec ce
hadith :
« La femme qui meurt alors que son mari est content
d’elle va au paradis. » (Rapporté par Tirmidhi).
Ce qui est tout différent du propos selon lequel la femme
ne peut aller au paradis que par l’intermédiaire de son mari.
Certes, la féministe sénégalaise ne pousse pas son
radicalisme jusqu’à prôner le lesbianisme. Est-ce pour cela
que l’auteur de la préface, la féministe française Benoîte
Groulte (qui avait aussi préfacé une réédition du Deuxième
Sexe) voit dans le livre de Awa Thiam « un refus encore
timide et confus » ? Il est tout de même troublant d’y trouver
des références à deux des figures les plus marquantes du
féminisme américain radical lesbien comme Kate Millet et
Shulamith Firestone85. C’est sur l’autorité de cette dernière
que Awa Thiam s’appuie pour soutenir que :
« La femme doit acquérir son indépendance totale…
mener non seulement une lutte de classe, mais encore
une lutte de sexe86. » (p. 156).

85 Le ton de ce livre contraste vivement avec la personnalité d’Awa


Thiam, telle que je l’ai connue comme chercheuse à l’IFAN, Université
CAD de Dakar : une femme équilibrée, courtoise, calme, toujours habillée
de façon décente pour ne pas dire musulmane. Raison pour laquelle,
après avoir lu le livre au début du mois de janvier 2007, je l’ai contactée
au téléphone, exactement le 15 janvier 2007 vers 16 heures, pour lui
demander si son livre, vieux de près d’une trentaine d’années, n’était pas
un « écrit de jeunesse », susceptible d’être corrigé sur certains points. À ma
grande stupeur, elle m’a répondu poliment, mais fermement : « j’assume
tout ce j’ai écrit dans ce livre », tout en précisant qu’elle n’a jamais
préconisé la polyandrie.
86 Elle cite Shulamith Firestone, qui, dans La Dialectique du Sexe (p. 24),

écrit : « Pour déraciner effectivement tous les systèmes de classe, nous


aurons besoin d’une révolution sexuelle bien plus vaste que la révolution
socialiste ».

119
Dans le paysage de l’Afrique francophone de la fin des
années 1970, La parole aux négresses fait un peu figure de ce
qu’a été Le Deuxième Sexe dans la France du début des années
1950. Ce qui lui a valu aussi son lot de critiques, comme
celle-ci : « avatar féministe de la négritude »87.
Par la suite, dans le mouvement féministe qui se
développe en Afrique, il sera proposé d’utiliser « l'approche
genre » dans les sciences sociales, avec l’ouvrage Sexe, genre et
société. Engendrer les sciences sociales africaines, édité par Ayesha
Imam, Amina Mama et Fatou Sow88.
La partie anglophone de l’Afrique est loin d’être en reste
dans les publications féministes, avec comme partout des
points de vue différents.
Pour illustrer le statut subalterne de la femme au Nigeria,
Rose Ure Mezu89donne l’exemple d’une femme Igbo, Flora
Nwapa, qui en 1966 publie son roman Efuru, du nom de celle
qui en est l’héroïne. Il est déclaré dans le texte qu’une femme
n’est pas inutile dans la société parce qu’elle ne peut pas avoir
d’enfant, ou bien parce que ses mariages ne réussissent pas.
La romancière ne recueille alors que sarcasmes et railleries
auprès du public tant masculin que féminin ; le roman est
considéré comme atteinte à la féminité.
À partir de 1985, la littérature féministe sur le mode
occidental commence à se développer dans le pays.

87 Cité par Fatou Sow, « l’analyse de genre et les sciences sociales en


Afrique », In Iman, Mama, Sow, eds., Sexe, Genre et Société, pp. 45-72.
88 Le livre est d’abord publié en anglais en 1997 sous le titre Engendering

African Social Sciences par le Codesria, puis traduit en français et publié en


2004 par Karthala/Codesria.
89 Mezu Rose Ure, “Africana Women, their Historic Past and future

Activism”, Conférence à Enoch Pratt Free Library, Baltimore, Maryland,


9 mars 2005.

120
Ogundipe Leslie Molara, dans Les femmes au Nigeria90
soutient que dans le système traditionnel de mariage qui
constitue la base de la société, la femme perd tout statut,
toute liberté.
Pour Simi Afonja, dans Modèles en changement dans la
stratification du genre en Afrique de l’Ouest91, la société yoruba,
comme la société africaine dans son ensemble, est régie par le
patriarcat qui opprime la femme.
Tola Pierce, dans Importer les nouvelles technologies de
reproduction92 estime que dans la société yoruba comme
presque partout au Nigeria, le patriarcat est plus manifeste
que dans les pays occidentaux.
La même accusation est portée contre la société igbo par
Ifi Amadiune dans son ouvrage Filles mâles, Maris femelles :
Genre et Sexe dans une société africaine93.
Une autre universitaire, Nkiru Nzegwu, à partir de sa
bonne connaissance de l’ethnie Igbo à laquelle elle
appartient, propose un type différent d’analyse94. Elle met en
scène un entretien imaginaire entre Simone de Beauvoir et
Germaine Greer d’un côté, et de l’autre, une dignitaire de la
société igbo traditionnelle à Onitsha dans le Igboland, Omu

90 Ogundipe-Leslie Molara, “Women in Nigeria”, in Women in Nigeria

Today, London, Zed Books, 1985, pp. 119-31.


91 Afonja Simi, “Changing Patterns of Gender Stratification in West

Africa”, in Persistant Inequalities : Women and World Development, ed. Irene


Tinker, New York, Oxford University Press, 1990, pp. 198-209.
92 Pierce Tola, “Importing the New Reproductive Technologies : The

Impact of Underlying Models of the Family, Females and Women’s


Bodies in Nigeria”, WIDER Conference on Women, Equality and
Reproductive Technology, Helsinki, August 1992.
93 Amadiune Ifi, Male Daughters, Female Husbands : Gender and Sex in an African

Society, London, Zed Books, 1987.


94 Nzegwu Nkiru, “Gender Equality in a Dual-Sex System : The Case of

Onitsha”, Journal of Culture and African Women Studies, 2001.

121
Nwagboka (qui a réellement existé et qui est décédée en
1886).
Lorsque Simone de Beauvoir introduit l’entretien en lui
demandant la situation de sa communauté par rapport au
système d’oppression de la femme par l’homme observé dans
le monde, Omu lui fait cette réponse :
« Je crois que vous avez fait fausse route en venant ici.
Nous avons parfois des problèmes avec nos hommes,
mais pas de la nature que vous décrivez. »
Aux différentes questions et remarques des deux
féministes, Omu réplique ainsi :
« Même si dans notre vocabulaire, à propos du mariage
on dit de l’homme que « il prend une femme », cela ne
peut être compris qu’à partir de notre culture… Ici, le
mariage est une union entre deux familles, et ce serait
une insulte à l’égard d’une famille de présenter leur fille
comme un objet à prendre…
… Ici, à Onitsha, même les rois qui sont des entités
spirituelles, gardiens de nos traditions, sont tenus de
respecter les femmes, sinon ce sont les femmes qui les
détrônent. Vous parlez d’égalité : qu’est-ce que cela
signifie ? …
… Vous voulez que les femmes deviennent des
hommes ? Pourquoi voulez-vous prendre les hommes
comme référence, mesurer les femmes par rapport aux
hommes ? Avez-vous honte d’être des femmes ?
Pourquoi voulez-vous vous voir comme les ombres des
hommes ? Ici, les femmes sont différentes des hommes, et
les hommes sont différents des femmes. Les deux ne sont
pas les mêmes…
… Il nous arrive de voir les choses comme les hommes,
puisque nous sommes tous des êtres humains. Mais nous
ne croyons pas que les hommes devraient prendre nos
voix et parler pour nous…
… Nous n’avons pas besoin de définir l’égalité en termes
d’être égales aux hommes, ou de viser à être des hommes

122
ou d’éliminer les différences qui existent entre nous. Ici,
les hommes et les femmes sont des compléments
sociaux…
… Comme femmes, nous nous marions avec toute une
famille, et non avec un seul individu mâle de la famille…
… Nous faisons la cuisine pour nos maris, pour nos
pères, pour nos mères, pour nos enfants et pour nous-
mêmes… les hommes ne cuisinent pas, ils n’ont rien à
faire autour des fourneaux… si pour vous, faire la cuisine
est une mesure de l’égalité, alors les hommes ne sont pas
égaux aux femmes ici…
… Les femmes et les hommes sont des compléments
dont les devoirs, quoique différents, sont socialement
comparables. »
Il convient de préciser que le groupe ethnique igbo (région
est du Nigeria) est une société acéphale, dans laquelle la
femme vit une indépendance qu’on ne trouve pas dans les
groupes hiérarchisés du nord du pays.
Nkiru Nzegwu conclut que le problème avec la neutralité
du système socio-politique de l’Occident est que c’est une
fausse neutralité. Elle met en cause la notion occidentale qui
conçoit l’égalité comme équivalence.
Pour Nkiru Nzegwu, les femmes blanches de la classe
supérieure et de la classe moyenne qui ont lancé les luttes
d’émancipation ont concentré toutes leurs énergies sur la
dichotomie entre l'espace privé et l'espace public, qui a été un
obstacle à leur accession aux pouvoirs et privilèges dont
jouissent les hommes. Elles ont été plus préoccupées par leurs
propres aspirations élitistes que par la situation des femmes
au nom desquelles elles prétendaient parler. La « nouvelle
femme » a dévalué des valeurs comme la maternité. Les
féministes africaines n’ont fait qu’importer des concepts et
catégories du féminisme occidental qui a émergé dans un
contexte particulier, qui n’est pas celui des sociétés africaines.
Un féminisme qui a une conception individualiste de

123
l’égalité. La conception individualiste de l’égalité comme
équivalence, présentée comme « émancipatrice », est une
conception non libératoire.
C’est pour se démarquer de ce féminisme que dans tous
ses développements, elle écarte le terme « genre » pour parler
de système mono-sexe, qu’elle oppose au système de sexe
dual qui selon elle, prévaut dans la société dont elle est
membre.
Rose Ure Mezu, pourtant moins éloignée des thèses
féministes, n’en soutient pas moins que
« Ces problèmes culturels font que l’universalisme du
féminisme occidental est inapproprié, parce que
l’idéologie des femmes blanches de la classe moyenne n’a
pas été en mesure de prendre en compte les conditions
spécifiques culturelles et les intérêts des femmes noires et
des femmes non blanches. »
Ce qui l’amène à recommander aux femmes africaines de
se démarquer de ce féminisme, pour, à l’exemple des
féministes noires américaines, adopter le terme womanism.
Il s’agit à présent de voir si les féministes africaines ne
peuvent pas se prévaloir de références autres que celles qui
leur viennent de l’extérieur.
II. L’HISTOIRE REVISITÉE : HÉROÏNES AFRICAINES
Sur la liste qui s’allonge des ouvrages consacrés à la place
de certaines femmes dans l’histoire revue et corrigée du
continent, on peut citer :
En langue française,
- Les Africaines, Histoire des Femmes d’Afrique Noire95, de
Catherine Coquery-Vidrovitch (1994),

95 Coquery-Vidrovitch Catherine, Les Africaines : Histoire des Femmes d’Afrique

Noire, Paris, Desjonquères, 1994.

124
- Reines d’Afrique et héroïnes de la diaspora noire, de Sylvia
Serbin (2004),
- Femmes de l’ombre et Grandes Royales dans la mémoire du
continent africain, de Jacqueline Sorel et Simonne Pierron-
Gomis (2004)96.
En langue anglaise,
- En hommage aux femmes noires, tome 1, Anciennes reines
africaines, de Simone Schwartz-Bart (2001)97,
- Les femmes dans l’histoire coloniale africaine de Lynn M.
Thomas98.
Dans chacune des quatre régions actuellement délimitées
du continent africain au sud du Sahara, des femmes ont dans
le passé exercé des responsabilités politiques et même,
militaires.
En Afrique de l’Est, la reine de Saba (actuelle Éthiopie),
960 av. J.-C. ; le fils Ménélik qu’elle a eu du roi Salomon est
l’ancêtre de génération en génération des empereurs
d’Éthiopie jusqu’au vingtième siècle. Candace (332 av. J.-
C..), impératrice d’Éthiopie (Soudan Méroïtique) qui à la tête
de ses troupes, et malgré la perte d’un œil, oppose une vive
résistance aux armées romaines de César Auguste, faisant
dire à l’historien grec Strabon, « cette reine eut un courage
au-dessus de son sexe99 ».
En Afrique australe et centrale, Nzinga (1582-1663), reine
d’Angola, qui offre une vigoureuse résistance aux Portugais
trafiquants d’esclaves. Nandi, reine du Zoulou (1778-1826),

96 Sorel Jacqueline, Pierron-Gomis Simone, Femmes de l’ombre et Grandes


Royales dans la mémoire du continent africain, Paris, Présence Africaine, 2004.
97 Schwartz-Bart Simone, In Praise of Black Women, vol. 1, Ancient African

Qeens, Madison, University of Wisconsin Press, 2001.


98 Thomas Lynn, “Women in African Colonial History”, Journal of

Colonialism and Colonial History, vol. 4, number 3, 2003.


99 Cité par Cheikh Anta Diop, Nations Nègres et Cultures, tome 1, 1979,

p. 216.

125
mère du grand dirigeant Chaka Zoulou. Nehanda,
surnommée la grand-mère, grande résistante à la
colonisation britannique en 1896.
En Afrique de l’Ouest : Amina (1588-1589), reine de
Zaria (actuel État du nord du Nigeria) ; Yaa Asantewa, reine
de l’empire Ashanti (Ghana) résistante à la colonisation
britannique ; la reine Abla Pokou du royaume Baoulé en
Côte d’Ivoire ; la reine Kassa de l’empire du Mali ; la
princesse Yennenga de l’actuel Burkina Faso ; Sarrounia du
Niger ; Ndatte Yalla, dernière reine du Waalo dans le nord
du Sénégal, qui elle aussi s’oppose au gouverneur français
Faidherbe, un des artisans de la colonisation française dans le
pays ; dans cette région du Sénégal, les femmes-reines, les
Linguères, ont écrit une des plus belles pages de l’histoire du
pays. Aline Sitoe Diatta, dans le sud du Sénégal en Basse
Casamance, dernière grande figure de résistance à
l’oppression coloniale : douée de pouvoirs mystiques, elle
recommande la culture des variétés locales de riz, et accusée
d’organiser la résistance aux réquisitions de riz ordonnées par
les autorités coloniales, elle est déportée à Tombouctou au
Mali où elle meurt en 1944100.
L’élection d’Ellen Johnson-Sirleaf à la présidence du
Libéria en 2005 s’inscrit tout à fait dans la tradition africaine
d’exercice du pouvoir politique par des femmes.
Les exemples ne manquent pas où des groupes de femmes
ont eu à faire front à des exactions des autorités coloniales.
Au Nigeria, lorsque les autorités coloniales instituent un
impôt de capitation (par tête d’habitant) en 1928, ce sont des
femmes Igbo qui se mobilisent pour protester et refuser
jusqu’à ce que la mesure soit abrogée en 1930 ; ce qui leur a
valu de faire entendre leurs voix dans le choix des dirigeants
locaux. Au Sénégal, dans la localité de Nder au Waalo, les
femmes, pour sauvegarder leur honneur (ne pas être réduites

100 La cité universitaire des filles à Dakar porte son nom.

126
à l’esclavage) face aux envahisseurs maures du Trarza,
n’hésitent pas à mettre le feu à la case dans laquelle elles se
sont enfermées. Cet évènement historique a eu lieu le mardi
7 mars 1820.
Dans cette évocation d'héroïnes africaines, on ne peut
oublier Miriam Makeba (1932 - 2008). Grande diva, elle l'a
été, mais la plupart de ses chansons étaient l'expression,
l'arme de son combat contre le régime d'apartheid de son
pays, l'Afrique du Sud, ce qui l'avait contrainte à l'exil la plus
grande partie de sa vie d'adulte
Des femmes africaines se sont aussi illustrées dans l’activité
économique, comme il ressort particulièrement de travaux
d’historiens surtout britanniques, Histoire Économique de
l’Afrique de l’Ouest de A.G. Hopkins (1973)101 ; Histoire
économique africaine de R. Austen (1987)102.
Dans l’agriculture, une certaine division du travail a été
établie, les hommes dans les cultures de rente, les femmes
dans les cultures vivrières, ce qui n’a rien de dévalorisant.
C’est dans l’activité commerciale surtout que vont émerger
certaines femmes pour se hisser au rang d’entrepreneurs.
Comme au Nigeria dès le dix-neuvième siècle, avec les
femmes yoruba, très actives dans le commerce intérieur et
extérieur (import – export) de produits agricoles (haricots,
manioc, gari, riz, kola, huile de palme…) et de produits finis.
Avec des figures comme Efunsetan Aniwura, Madam
Tinubu et Omu Okwei. En plus des produits agricoles,
Madam Tinubu se montre aussi active dans des activités peu
reluisantes comme le commerce des esclaves (mâles) et des
armes. La puissance financière ainsi acquise lui permet d’être
à elle seule un véritable groupe de pression auprès des
autorités politiques. Omu Okwei prend le relais entre 1900 et

101 Hopkins A. G., An Economic History of West Africa, London, Longmans,


1973.
102 Austen R., African Economic History, London, Curey, 1987.

127
1940, diversifiant ses activités par des investissements dans
l’immobilier, le transport routier et fluvial. À sa mort, elle
laisse 24 maisons, et des avoirs en banque s’élevant à 5000
livres sterling, une véritable fortune à l’époque (Hopkins :
205).
Ces informations données par Hopkins sont passées sous
silence par l’historien africain Tiyambe Zeleza dans son texte
Discrimination de genre dans l’historiographie africaine103 (p. 103). Il
reproche à Hopkins de ne pas avoir montré suffisamment le
rôle économique des femmes africaines dans la période pré
coloniale. Zeleza ne cite que le passage de Hopkins où le
travail des femmes africaines est partagé entre les soins du
ménage et le commerce local qui sert d’appoint. Pour
défendre la cause féministe, comme il le fait, a-t-on besoin de
prendre des libertés avec la rigueur scientifique ?
C’est dans les manuels d’histoire de l’Afrique, à l’époque
coloniale, et même après les indépendances, que ces données
du passé africain sont complètement passées sous silence. Si
bien que beaucoup de féministes africaines, formées dans
cette ignorance, ont tendance à prendre leurs modèles
ailleurs. Alors que la situation des femmes africaines, si elle
n’était pas meilleure, n’était pas pire que celle de leurs
homologues européennes ou américaines. On peut
seulement déplorer qu’elle ait été négativement renforcée par
ce que Catherine Coquery-Vidrovitch appelle « l’idéologie
patriarcale des colonisateurs européens ».
Dans l’histoire de l’Afrique revisitée, d’autres comme
Cheikh Anta Diop n’hésitent pas à soutenir que c’est la
colonisation qui a introduit le patriarcat sur le continent. Le
fait que le colonisateur n’ait pas encouragé l’envoi des jeunes
filles à l’école, à la différence des garçons, est à cet égard assez
révélateur.

103 In A. Iman, A. Mama, F. Sow, Sexe, Genre et Société, Paris/Dakar,

Karthala/Codesria, 2004, pp. 97-126.

128
Cheikh Anta Diop, dans l’Unité Culturelle de l’Afrique
Noire104, comme dans Nations Nègres et Cultures, soutient que le
matriarcat est à la base de l’organisation sociale en Égypte,
comme dans le reste de l’Afrique noire. Il fait remarquer que
l’absence de reines dans l’histoire grecque, romaine, perse,
contraste avec celle de l’Afrique, marquée par la grande
fréquence de souveraines. Dans la tradition africaine, le fait
que l’homme donne une dot pour épouser une femme ne
signifie pas qu’il l’achète : c’est un symbole du matriarcat, car
représentant la garantie dans le mariage.
Cheikh Anta Diop pose la question de l’origine de ce
matriarcat nègre. Cette origine, concède-t-il, n’est pas
connue avec certitude, mais l’opinion courante est que ce
matriarcat est lié à l’agriculture, les femmes ayant découvert
l’agriculture. Devant rester « à la maison » pendant que les
hommes s’occupaient d’activités plus risquées comme la
chasse, elles se livraient à la cueillette et à la sélection
d’herbes nourrissantes. Si bien que la femme est la maîtresse
de maison au sens économique du terme ; elle dispose de
tous les aliments, et personne ne peut y toucher, même son
mari, sans son autorisation ; pour celui-ci, entrer dans une
cuisine est une déchéance.
Le matriarcat est ainsi un trait fondamental de la
civilisation nègre agricole, et a fortement frappé l’historien
arabe Ibn Batouta, lorsqu’il visite le Soudan au Moyen Âge.
Il constate que les enfants ne portent pas le nom de leur père,
mais le nom de leur oncle maternel, frère de leur mère. Et il
en est de même dans l’héritage ; on hérite de l’oncle
maternel, non du père.

104 C’est la thèse complémentaire de Cheikh Anta Diop « Domaine du


patriarcat et du matriarcat dans l’Antiquité classique », soutenue à la
Sorbonne en 1960, qui a été publiée sous le titre L’Unité culturelle de l’Afrique
noire.

129
Pour Cheikh Anta Diop, le régime du matriarcat
proprement dit est caractérisé par la collaboration et
l’épanouissement harmonieux des deux sexes, par une
certaine prépondérance de la femme dans la société, due à
des conditions économiques à l’origine, mais acceptée, et
même défendue par l’homme105.
Les femmes africaines qui se réclament du féminisme des
droits et devoirs ont donc de qui tenir, sans avoir à se tourner
vers l’extérieur. C’est sans doute cette tradition de matriarcat
qui a déteint sur la génération d’étudiants africains qui créent
à Paris en 1951 la Fédération des Étudiants d’Afrique Noire
en France (FEANF). La première présidence de la FEANF
est confiée à Solange Faladé, étudiante en médecine,
originaire du Dahomey (actuel Bénin)106. Une dizaine
d’années après, Solange Faladé, devenue médecin psychiatre,
apporte sa contribution dans l’ouvrage Femmes d’Afrique Noire,
édité par Denise Paulme107.
Faut-il rappeler que la centrale syndicale sœur, l’Union
Nationale des Étudiants de France (UNEF), créée depuis
1907, n’a connu sa première direction féminine qu’en 1998,
à la suite de la scission de 1970 ayant donné lieu à deux
organisations rivales UNEF-ID et UNEF-Renouveau qui se
dotent chacune d’une présidente dans la période 1998-2001.

105 Nations Nègres et Cultures, p. 220.


106 Solange Faladé est à l’origine du dessin emblème qui figure sur toile de
fond de carte d’Afrique de l’organe de publication de la FEANF,
« L’Étudiant d’Afrique Noire : une jarre percée avec deux mains noires
essayant d’en boucher les trous, avec ces mots de Ghezo, roi d’Abomey :
« Si tous les fils du royaume venaient par leurs mains assemblées boucher
les trous de la jarre percée, le royaume serait sauvé » (A. A. Dieng, Les
grands combats de la FEANF, Paris, L’Harmattan, 2009, p. 131).
107 Voir Fatou Sow, « L’analyse de genre et les sciences sociales en

Afrique », In Imam, Mama, Sow, eds. , Sexe, Genre et Société. Engendrer les
sciences sociales africaines, Karthala/Codesria, 2004, p. 50.

130
Dans le domaine du sport, le football reste encore une
activité d’hommes, même si des équipes féminines se
développent de plus en plus. Sur plus de 200 fédérations de
football qui existent dans le monde en 2009, deux seules sont
dirigées par des femmes : au Congo-Brazzaville et au
Burundi.
Après les indépendances, il est déploré que les femmes
africaines soient écartées de la vie politique. Il est certain
qu’elles ne sont guère visibles sur la scène politique. Mais, ce
n’est là qu’une apparence, nous dit Tanella Boni : les sociétés
dans lesquelles nous vivons restent gouvernées
symboliquement par « la mère » ou « la sœur », en lieu et
place du « père absent » ; même dans les régimes dits de
pouvoir personnel, du « père de la nation ». D’autres auteurs
écrivent que c’est la mère qui gouverne le monde ; on en
trouve vérification en Afrique, mais aussi dans l’histoire
politique de bon nombre de pays de l’Europe du temps des
reines mères. En l’absence de la mère, c’est une femme de
cour, usant de ses charmes, faisant de sa féminité son atout,
qui opère dans l’ombre pour peser sur beaucoup de décisions
politiques.

131
CHAPITRE VIII

CONQUÊTES FÉMININES, OÙ EN EST-ON ?

I. DES REVENDICATIONS SATISFAITES


La première conquête des femmes a été le droit de vote, à
la suite des revendications des « suffragettes ». Mais cela ne
s’est fait que progressivement, et d’abord dans quelques pays
seulement. Dans l’État du Wyoming aux États-Unis en 1869,
puis étendu à toutes les femmes du pays en 1919. En
Nouvelle-Zélande (1893), en Finlande (1906), en Norvège
(1913), en Grande-Bretagne (1918), en France en 1946. Ces
expériences ont constitué une exception, mais aujourd’hui,
l’exception est devenue la règle.
Des avancées significatives sont faites par la suite, toujours
dans le domaine politique, mais aussi dans le domaine de
l’éducation. En Allemagne, lorsque le Parti Social-
Démocrate est créé, Clara Zetkin y met en place une section
féminine. Dans la même lancée, en Russie, après la
révolution bolchevik, Alexandra Kollontai est la première
femme à faire partie d’un gouvernement. En Égypte, l’école
secondaire est ouverte aux jeunes filles en 1900. En 1930, le
premier congrès des Femmes d’Orient se tient à Damas
(Syrie) ; en dehors de la revendication de droits relatifs à la
maternité, ces femmes réclament « d’être des hommes
comme les autres ».

133
Après 1945, les rares mouvements féministes qui existent
sont éclipsés par les problèmes de l’après-guerre, et certaines
de leurs revendications sont reprises par les partis politiques
dans lesquelles beaucoup d’entre elles sont très actives. En
France, la Constitution de 1946, dans son préambule, article
6, stipule que « la loi garantit à la femme, dans tous les
domaines, des droits égaux à ceux de l’homme ». Il n’est dès
lors pas étonnant que le droit de vote soit accordé aux
femmes, avec un grand retard sur d’autres pays. Seulement,
les droits des femmes ne peuvent pas se limiter aux seuls
droits civiques.
La Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948,
dans son préambule, énonce le principe de « l’égalité des
droits des hommes et des femmes » et s’érige contre toute
discrimination, dont celle de sexe (article 1). Seulement, le
même texte dans son article 16, alinéa 3 stipule que « la
famille est l’élément naturel et fondamental de la société et a
droit à la protection de la société et de l’État ». Une
disposition qui ne sera pas pour plaire à toutes les féministes.
Aux États-Unis, le « Mouvement de libération de la
femme »108 est créé en 1967 au sein de la classe moyenne. La
France suit avec la création du MLF en 1968. La principale
revendication est la maîtrise du corps, le droit à la
contraception et à l’avortement, « faire un enfant si je veux,
quand je veux »
L’Organisation des Nations unies prend à son compte la
défense des droits de la femme, avec plusieurs initiatives :
- Création du Centre international de formation et de
recherche pour l’avancement de la femme109 ;
- Création de UNIFEM, Fonds des Nations unies pour les
femmes ;

108
Woman Liberation Movement.
109International Center for Research and Training for the Advancement of Women,
INSTRAM.

134
- Organisations de Conférences internationales de la
femme : Mexico 1975 ; Copenhague1980, Nairobi 1985,
Pékin 1995 ;
- Mise en place de la Décennie de la femme ;
- Organisation de Conférences sur le Développement
durable (Sustainable Development) qui traitent aussi des
problèmes des femmes ;
- Création du FNUAP (Fonds des Nations unies pour la
population) en 1969, qui prend en charge les revendications
des femmes, notamment en matière de contraception ;
- Organisation de Conférences mondiales sur la
population depuis 1974, qui traitent aussi beaucoup des
problèmes des femmes.
Un événement curieusement passé sous silence dans les
écrits sur le féminisme a été l'accession de Mme Indira
Gandhi à la fonction de Premier ministre en Inde en 1966.
Cette première dans le paysage politique du vingtième siècle
n'a pas manqué d'être un détonateur. Et pourtant, l'Inde ne
figurait pas parmi les pays à l'avant-garde du mouvement
féministe. Toujours est-il que le mouvement s’est poursuivi
dans d’autres pays : il est devenu banal de voir des femmes
occuper des postes de responsabilité aux plus hauts niveaux,
tant à l’échelle nationale qu’internationale.
En France, la très conservatrice Académie française qui
existe depuis 1635 admet pour la première fois dans ses rangs
une femme en 1980, en la personne de Marguerite
Yourcenar. Dix ans après, une seconde femme, Hélène
Carrère d’Encausse y fait son entrée et en assure
actuellement la présidence en tant que Secrétaire perpétuel.
En 2005, Laurence Parisot est la première femme à diriger le

135
Mouvement des entreprises de France (Medef) qui regroupe
les 750 000 entreprises les plus importantes du pays110.
En France, ce sont les féministes qui ont imposé la loi
abolissant toute discrimination à l’égard des homosexuels, le
4 août 1982. Gisèle Halimi, alors député à l’Assemblée
nationale en fut le rapporteur.
Certaines comme Christine Delphy estiment toutefois
qu’il reste encore beaucoup à réaliser comme conquêtes
féminines. Selon elle, même les résultats obtenus en France
sous forme de lois par les féministes ne sont pas
complètement mis en œuvre. Elle cite comme exemples,
l’interruption volontaire de grossesse, l’égalité dans le travail.
Et elle propose de retrouver l’élan du féminisme.
Effectivement, le gender gap (écart de sexe) n’a pas disparu,
comme le montrent les rapports publiés depuis 2000 par le
Forum économique mondial de Genève. Dans le rapport de
2007, les trois pays qui passent en tête du classement pour
être les moins sexistes sont la Suède, la Norvège et la
Finlande. Chacun de ces pays affiche un indice de disparité
homme - femme de l’ordre de 0,8 alors que l’indice de parité
parfaite est de 1 ; il leur reste encore un écart de 0,2 à
combler. Toutefois, ces trois pays sont en progrès par rapport
à l’année 2000 où ils étaient à l’indice 0,7. D’autres pays dans
la même période sont passés de l’indice 0,6 à l’indice 0,7.
(voir annexes).
Il reste que la pression féministe a été décisive dans
l’institution de certaines mesures. Par exemple la loi sur
l’autorité parentale qui remplace « père de famille », par
« autorité parentale conjointe à l’égard des enfants ». La
racine lointaine de cette idée remonte à Simone de Beauvoir
dans le passage où elle montre que la femme, en l’absence de
son mari de la maison, même si elle le regrette sincèrement,

110 Le Medef avait remplacé le Conseil national du patronat français

(Cnpf) en 1998.

136
se découvre des talents insoupçonnés dans la gestion des
affaires familiales, jusque dans l’éducation des enfants. Ce qui
fait qu’elle souffre lorsque le retour du mari la voue à
nouveau à l’incompétence (p. 293-294). Par la suite,
Élisabeth Badinter s’en fait l’avocat :
« La mort du patriarcat résulte d’un bouleversement : le
père a perdu son prestige et Ève modifie la donne. Le
18ème et le 19ème siècles avaient dépossédé le père de son
parrainage divin, le 20ème achèvera de lui retirer son
autorité morale et l’exclusivité du pouvoir
économique111. » (p. 224).
Des mesures de ce type ont beaucoup contribué à
alimenter l’antiféminisme, particulièrement aux États-Unis.
Ce sont les antiféministes hommes que les féministes
appellent « masculinistes ». En 1970 déjà, Ramsey Clark
publiait Crime en Amérique, dans lequel il montrait que trois
quarts des auteurs de crime sont issus de familles dirigées par
des femmes. Ce qui l’avait amené à conclure, « Ce qui nous
incombe est de faire du père le chef de famille ». Ce livre
devait inspirer Denis Amnens, auteur de La Génération
Ordure112, dans lequel il soutient que « la plus grande tragédie
sociale de ces trente dernières années a été la chute de la
paternité ». Le Dr William Pierce, dans une interview,
présente le féminisme comme le grand destructeur de la
société actuelle113.
Le problème est que lorsque certains de ces critiques du
féminisme sont connus pour leur appartenance aux milieux
de l’extrême droite américaine raciste et antisémite, leur
discours perçu comme suspect a toutes chances de ne pas
faire écho.

111 E. Badinter, L’un et l’autre. Des relations entre hommes et femmes, Paris, Odile
Jacob, 1986.
112 The Garbage Generation.
113 Free Speech, Sept. 1996, vol. 2, n° 9.

137
II. PROBLÈMES FÉMININS NON VRAIMENT POSÉS
Par contre, ce qui dans le programme féministe fait
cruellement défaut, c’est une vigoureuse levée de boucliers
contre la réduction de la femme en objet sexuel. Simone de
Beauvoir donne l’impression d’aborder le sujet lorsqu’elle
déplore que le corps de la femme est un objet qui s’achète, un
capital qu’elle est autorisée à exploiter (p. 226). Mais ce
qu’elle fustige là, c’est le mariage par lequel la femme est
« donnée à l’homme ». Dans la réalité, ce n’est pas par le
mariage que la femme « est donnée à l’homme ». La femme
est réduite à un sexe qui se vend selon des modalités diverses :
striptease, pornographie, publicité sur fond d’érotisme,
prostitution… Mais sur ce chapitre, la mobilisation des
féministes est plutôt discrète par rapport à d’autres
revendications.
Les femmes constituent 80 pour cent des cibles des
annonceurs publicitaires. Pour vendre une marque de
voiture, de yaourt, de jus d’orange, il faut montrer une
femme à moitié nue. Gisèle Halimi s’en désole certes, mais
pour elle :
« Il y a pire que les reproductions et thèmes quasi porno :
les messages publicitaires continuent à renvoyer l’image
de femmes utilisatrices de marques de lessives,
responsables de l’ordre du foyer, s’occupant de l’école,
des enfants, la tête remplie par le « tourment
domestique » : comment laver mieux, comment acheter
moins cher. » (Halimi 2004).
Autrement dit, l’atteinte à la dignité de la femme n’a rien
à voir avec le support publicitaire qui la montre
pratiquement nue pour la réduire à un objet de sexe ; ce qu’il
importe de culpabiliser, c’est le contenu du message
publicitaire portant sur des produits ménagers qui la ciblent
avec un objectif précis, la maintenir au foyer pour la
cantonner dans les tâches domestiques.

138
En 1981, en France, lorsque Yvette Roudy, Secrétaire
d'État à la Condition féminine, rédige un projet de loi pour
interdire les représentations dégradantes de la femme dans la
publicité et la presse, elle est accusée de vouloir bâillonner la
liberté d’expression ; le projet est alors abandonné, tout
simplement parce que la détermination n’a pas été au
rendez-vous de la part des féministes françaises. Les mêmes
qui sont arrivées à imposer la loi sur l’autorité parentale ; de
même que la loi sur la parité, pour avoir une représentation
équilibrée des femmes dans le gouvernement, dans le
parlement et dans les collectivités locales.
Pour ce qui est de la prostitution, les actions ne sont guère
plus hardies en France, berceau du féminisme. Le 10
décembre 2002, le défilé avec pancartes « les êtres humains
ne sont pas des marchandises », ne mobilise pas plus de 300
personnes.
Par contre, dans un pays comme la Suède, est adoptée en
1999 une loi contre la prostitution dorénavant considérée
comme « violence faite aux femmes et aux enfants ». La
demande (qui est le fait d’hommes, clients et proxénètes) est
criminalisée, et l’offre (qui est le fait de femmes) bénéficie de
soutien : des sommes importantes sont dégagées par le
gouvernement pour aider les prostituées qui le désirent, en
fait l’écrasante majorité, à se recycler, à refaire leur vie. Le
résultat est qu’au bout de cinq ans, la prostitution de rue et le
nombre de proxénètes diminuent respectivement de 75 pour
cent et de 80 pour cent à Stockholm, pour disparaître dans
beaucoup d’autres villes.
Il faut dire que ce qui existe dans ce pays, c’est un
féminisme non tapageur, discret et efficace, qui s’investit dans
des actions concrètes qui vont dans le sens de la sauvegarde
de la dignité de la femme. Les femmes suédoises sont
présentes dans les instances de prise décisions (gouvernement,
parlement, collectivités locales…), dans une proportion de

139
pas moins de 40 pour cent. Ce qui permet d’adopter des
mesures comme la lutte contre la prostitution. La Suède est
aussi un pays où l’on ne se focalise pas sur de faux problèmes
comme le « voile islamique ». Le libre exercice de la religion
est protégé par une loi. Ainsi toute femme est libre de
s’habiller selon la prescription de sa religion pour aller à
l’école, comme pour aller au travail. On a vu dans ce pays
une femme musulmane apparaître régulièrement sur les
écrans de la télévision d’État pour présenter les informations,
avec son voile, sans que cela pose le moindre problème. Il a
été vu plus haut que la Suède est en tête du classement des
pays les moins sexistes au monde.
Il n’est pas superflu de rappeler la position théorique du
mouvement féministe sur la prostitution. Le féminisme
socialo-marxiste condamne formellement la prostitution
comme système d’exploitation de la femme considérée
comme une marchandise. Mais ce courant est minoritaire
par rapport au féminisme libéral qui réfute cette conception.
Le féminisme libéral s’appuie sur la position de Simone de
Beauvoir qui, nous l’avons vu, défend et légitime la
prostitution. A cet égard, le féminisme libéral a même donné
lieu aux États-Unis à un sous-courant, le féminisme
existentiel autour de Carol Pateman, auteur d’un livre Le
contrat sexuel (1995)114, dont le titre résume la démarche. Pour
elle, la prostitution ouvre à la femme un espace de liberté,
d’indépendance ; la prostituée n’est pas une salariée liée par
contrat de travail à un employeur qui l’exploite ; elle est elle-
même une chef d’entreprise qui s’engage dans un contrat
libre avec un client, pour lui fournir un service (sexuel) contre
de l’argent ; et c’est elle-même qui fixe son prix qui est à
prendre ou à laisser. Et rien d’autre.

114 Carole Patema, The Sexual Contract, Stanford, Stanford University Press,

1995.

140
Un autre domaine où se pose le problème de la dignité de
la femme, avec parfois des conséquences tragiques, est celui
des mannequins de mode. Même s’il en existe différents
types, le mannequin est présenté comme « une personne qui
pose ou s’expose pour la mode ». Celles qu’on appelle top
models opèrent pour le compte de grandes maisons de couture
comme Chanel, Dior, Versace…
La pratique consiste à poser pour des photographes ou à
faire défiler des jeunes filles de 13 à 25 ans, comme des bêtes
en cage, pour faire la promotion d’articles vestimentaires de
grands couturiers, ou de produits de beauté. Le côté tragique
est révélé avec le décès en novembre 2006 d’une mannequin
brésilienne âgée de 18 ans, par anorexie, c'est-à-dire faiblesse
physique due à une insuffisance d’alimentation : pour une
taille de 1 m 74, elle pesait 40 kg, ce qui correspond à un
indice de masse corporelle (IMC)115 de 13, alors que le
minimum recommandé par l’Organisation mondiale de la
santé est de 18. En dépit de tout cela, des compagnies
aériennes comme Air India, continuent à déclarer ne recruter
que des hôtesses ayant une « taille de guêpe ».
Des normes contraignantes de taille et de poids sont
exigées des candidates aux concours de mannequins, parmi
lesquelles moins de 10 pour cent seulement sont recrutées.
Les normes actuellement requises en Europe sont une taille
moyenne de 1 m 79, un tour de poitrine entre 85 et 90 cm,
un tour de taille inférieur à 62 cm, un tour de hanches
inférieur à 90 cm. À cet effet, elles sont sélectionnées,
déshabillées, habillées, testées, mesurées, pesées : comme du
bétail. Des pratiques qui ne sont pas sans rappeler les
modalités de commercialisation des esclaves durant la traite
négrière.

115 L’indice de masse corporelle s’obtient en divisant le poids (en kg) par le

carré de la taille (en centimètres). Pour une personne en bonne santé, il


devrait se situer entre 18 et 24.

141
Ce sont les photos de ces mannequins, habilement
retouchées sur ordinateurs avec des logiciels appropriés, qui
sont présentées dans les magazines de mode comme Vogue,
W, Vanity Fair, Elle… Ce qui pousse de plus en plus de filles à
chercher à leur ressembler, en s’astreignant à des régimes
alimentaires dévastateurs, ce qui les conduit tout droit à
l’anorexie et à la mort ; Il est établi que deux mannequins sur
cinq sont anorexiques, et que l’anorexie touche dix filles pour
un garçon. On relate le cas d’une fille mesurant 1 m 76 pour
52 kg, écartée, car jugée trop grosse par le « jury »
d’hommes.
Il existe certes des mannequins-hommes, mais ils sont
recrutés sur des bases différentes dans lesquelles une belle et
fine musculature est un atout, ce qui ne présente aucun
risque. La discrimination est donc flagrante ici à l’encontre
des femmes. Il s’y ajoute que dans certains défilés de
mannequins femmes, la séance de dénuement devant un
parterre de « jury » d’hommes n’est pas toujours absente,
avec le port de tenues extrêmement légères, selon une
formule consacrée dans le milieu : « déshabiller d’abord
avant d’habiller ».
À la suite du décès tragique de la mannequin brésilienne,
une psychanalyste française, Virginie Megglé, dans son livre
Face à l’anorexie, s’émeut en ces termes :
« Cette fille est morte dévorée par notre société de
l’image. Au nom de la beauté et de la mode, nous
devenons tous aveugles. »
Un jour de l’été 2007, dans son programme
d’informations de 13 heures, la chaîne de télévision française
France 2 relate le cas d’une jeune femme anorexique ; elle
vient se faire interviewer sur le plateau, et sa photo pose nue
est montrée à l’écran. En Italie, il existe un Institut
d’autodiscipline publicitaire qui, au mois d’octobre, interdit

142
la publication de cette photo comme support publicitaire,
avec cet argument tiré de « son code de conduite » :
« La publicité ne doit pas aller à l’encontre des
convictions morales, civiles et religieuses des citoyens.
Elle doit respecter la dignité de la personne humaine
dans toutes ses formes et expressions. » (Le Monde,
19/10/2007).
Le moins qu’on puisse dire est que la sensibilité de ces
publicitaires pour ce qui a trait à la dignité de la personne
humaine (ici la femme) est bien sélective. L’argument est
brandi pour une fois, et dans ce cas bien particulier,
uniquement parce que l’image d’une femme anorexique
posant nue ne peut pas avoir fonction de promotion de
ventes. Il faut donc l’écarter, même si, et d’autant plus qu’elle
pourrait conscientiser un public de jeunes filles tentées par le
mirage du format mannequin qui n’est pas sans risques.
Malheureusement sur des problèmes aussi importants, on
n’entend que timidement les voix des féministes alors que,
aucune de leurs revendications ne devrait prévaloir sur ce
chapitre pour la promotion de la dignité réelle de la femme.
La pratique du mannequinat est même considérée comme
une forme d’art. Benoîte Groult, une des figures de proue du
féminisme contemporain en France déplore que leur combat
d'avant-garde pour la femme – sujet soit maintenant
détourné par les filles actuelles au profit de la femme-objet116.
Au Sénégal, en septembre 2007, la société parisienne Élite
qui gère les carrières de 800 mannequins sur les cinq
continents, organise un concours model look pour
présélectionner des mannequins en vue d’un concours
mondial prévu en Turquie. Une première en Afrique noire.
Ce sont deux jeunes filles de 16 ans et de 19 ans qui sont

116 Interview sur France 2, Journal Télévisé de 13 heures du 17/10/2008

où elle présentait son dernier livre Mon Évasion, Paris, Grasset, 2008.

143
choisies. La dame en charge du ministère du Tourisme qui
préside la cérémonie, dans son discours, ne trouve rien de
mieux à dire qu’à égrener un vibrant hommage aux femmes
africaines, en la circonstance. Quant aux nombreuses
organisations féministes sénégalaises, elles sont restées
muettes. Tout comme les autorités et associations religieuses.
La conception de la dignité de la femme est décidément à
géométrie variable.
Cette sensibilité sélective sur la dignité de la femme se
déploie encore sur un autre registre. En Afrique, il arrive que
plus d’un mari dans la maison se porte protecteur de la
servante (la « bonne » comme on dit) contre la vie d’enfer
que lui fait subir l’épouse : surcharge de travail et sans jour de
repos contre une rémunération dérisoire, engueulades sans
cesse, manque total de respect, bref traitement inhumain.
Pour peu que le mari compatissant insiste, et le voilà
soupçonné ou même accusé d’entretenir des relations
coupables avec la victime. Le plus cocasse est que
l’esclavagiste maîtresse de maison est souvent une abonnée
aux revendications des droits de la femme.
III. SEXISME DANS LES SCIENCES SOCIALES ?
Il a été vu que dans le mouvement féministe qui se
développe en Afrique, il est proposé d’utiliser une « approche
genre » dans les sciences sociales, avec l’ouvrage Sexe, genre et
société. Engendrer les sciences sociales africaines, édité par Ayesha
Imam, Amina Mama et Fatou Sow117. Ce qui au plan
intellectuel pose problème, en tout cas au niveau de la
science économique (qui m’est la plus familière), avec les

117 Le livre est d’abord publié en anglais en 1997 sous le titre Engendering

African Social Sciences par le Codesria, puis traduit en français et publié en


2004 par Karthala/Codesria.

144
deux textes de Guy Mhone118 et Diane Elson119, qui estiment
que cette discipline a été conçue dans une perspective
d’exclusion totale des femmes120.
Dans l’économie politique néoclassique, la plus répandue
dans l’enseignement universitaire, les sujets de l’activité
économique en macroéconomie sont les agents
économiques : ménages (le ménage est l’unité de
consommation, pouvant être une famille, ou une personne
vivant seule), entreprises non financières, institutions
financières, et administrations. Au niveau de la
microéconomie, l’analyse théorique met en scène le
producteur (pour les entreprises non financières), et le
consommateur (pour les ménages), ayant chacun pour
motivation de porter sa satisfaction au maximum.
Dans l’économie politique marxiste, les sujets de l’activité
économique sont des classes sociales, dans une analyse de
rapports d’exploitation économique : soit entre deux
personnages théoriques, le capitaliste et l’ouvrier,
représentations abstraites de la bourgeoisie et de la classe
ouvrière ; soit entre pays, en terme d’impérialisme.
Dans aucune de ces deux approches de l’économie
politique, il ne se pose un critère d’appartenance sexuelle. Les
personnages théoriques sont totalement asexués ; des
hommes, tout comme des femmes, peuvent s’y reconnaître.
Deux femmes se sont d’ailleurs illustrées dans ces
approches, en économie politique, au cours du siècle
dernier : l’Allemande Rosa Luxemburg (1871-1919),

118 « Biais sexuels en économie et recherche d’une approche qui tienne


compte du genre », pp. 127-158.
119 « Analyse de genre et science économique dans le contexte de

l’Afrique », pp. 158-192.


120 Dans son domaine, celui de la philosophie, Béatrice Faye se demande

comment expliquer la difficulté à introduire le concept de « genre » dans


les recherches philosophiques, pour analyser le phénomène de
domination hommes/femmes (Faye, p. 125).

145
pionnière dans la théorie marxiste de l’impérialisme, et
l’Anglaise Joan Robinson (1903-83), une des plus grandes
figures de la littérature économique académique. Elles ont
toutes deux produit un ouvrage portant le même titre,
L’accumulation de capital, avec des orientations
socioéconomiques différentes.
De Rosa Luxemburg, Simone de Beauvoir dit :
« Rosa Luxemburg était laide ; elle n’a jamais été tentée
de s’engloutir dans le culte de son image, de se faire
objet, proie et piège : dès sa jeunesse, elle a été tout
entière esprit et liberté. » (p. 628).
Lénine, lui, avait une grande admiration pour Rosa
Luxemburg. Faisant allusion à certaines de ses « erreurs
théoriques » dans l’analyse de l’impérialisme, Lénine la
compare à un aigle, avec ces mots : « Il arrive parfois aux
aigles de voler aussi bas que les poules, mais jamais les poules
ne pourront s’élever au niveau des aigles ».
Pour Lénine, les poules, c’étaient les « révisionnistes » du
marxisme, comme Karl Kautsky, Georghi Plekhanov,
Eduard Bernstein… qu'il situe bien en dessous d'elle. Rosa
Luxemburg, après plusieurs emprisonnements politiques, est
morte assassinée, laissant inachevé un ouvrage prometteur,
Introduction à l’économie politique.
Pour ce qui est de Joan Robinson, elle a été à l’origine de
contributions importantes à la théorie économique
néoclassique, mais victime d’une injustice flagrante : elle n’a
jamais reçu le Prix Nobel d’Économie, bien que plus
méritante que beaucoup de ceux qui l’ont obtenu. Non pas
parce qu’elle était femme, mais parce qu’au cours des
dernières années de sa vie, elle a pris ses distances avec la
théorie économique néoclassique dans laquelle elle a été
formée à l’Université de Cambridge. Devenue une critique

146
redoutée de l’économie politique néoclassique121, elle s’est
orientée vers l’économie politique radicale, d’inspiration
marxiste, sans faire mystère de sa sympathie pour la
révolution culturelle chinoise. Ce que l’establishment ne lui a
jamais pardonné.
Il est aussi reproché à l’économie politique académique de
ne pas tenir compte de la production marchande des
femmes. Le problème posé là est celui du secteur informel
dont la saisie échappe à la comptabilité nationale, faute de
tenue de comptabilité commerciale. Comment évaluer dans
le produit intérieur brut (PIB) la contribution de la
marchande de cacahuète ou de atiéké, mais aussi celle du petit
réparateur de vélo, de radio, de montre, de voiture ? Il n’y a
pas que des femmes qui opèrent dans le secteur informel.

121 Joan Robinson, Economic Heresies : Some Old-fashioned Questions in Economic

Theory, London: Macmillan,1971.


“The Second Crisis of Economic Theory”, American Economic Review, 1972.

147
CHAPITRE IX

QUERELLES AUTOUR DE LA LANGUE


FRANÇAISE : FÉMINISME LINGUISTIQUE ?

I. LE PROBLÈME DE LA FÉMINISATION DES NOMS


La féminisation consiste à transcrire au féminin des noms
se rapportant à des métiers, fonctions, grades et titres, lorsque
ce sont des femmes qui sont concernées. Dans la langue
française, c’est le masculin considéré comme « non marqué »
qui était utilisé pour ces noms, que la personne concernée
soit un homme ou une femme. Cette tradition remonte au
17ème siècle avec le grammairien-linguiste Vaugelas (de son
véritable nom Claude Fabre), dans ses Remarques sur la langue
française (1647) : « La forme masculine a prépondérance sur la
forme féminine parce que plus noble ».
La pratique est remise en cause dans les années 1960 par
des mouvements féministes, particulièrement au Québec,
comme relevant du patriarcat et du sexisme. En France, le
problème est posé officiellement lorsque la gauche accède au
pouvoir en 1981. La féministe Yvette Roudy nommée
ministre des droits de la femme met en place dans la période
1984-86 une commission de terminologie présidée par
Benoîte Groult. Il est alors émis une circulaire sur la
féminisation, mais l’initiative est bloquée par l’Académie
française hostile au projet.

149
En 1997, sept femmes font leur entrée dans le
gouvernement de cohabitation, et décident de se faire
appeler « Madame la Ministre » au lieu de « Madame le
Ministre ». Ce qui est approuvé et encouragé par le président
Chirac et le Premier ministre Jospin. En 1999, le travail de
féminisation est poursuivi dans le cadre de l’Institut national
de la langue française de Nancy (relevant du CNRS)122 par
un comité composé de quatre femmes, présidé par le
grammairien-linguiste Bernard Cerquiglini. Le résultat est un
texte intitulé Femme j’écris ton nom. Guide de féminisation des noms
de métiers, titres, grades et fonctions, publié par la Documentation
française et préfacé par Jospin.
Le débat s’invite alors dans la féminisation des noms,
entre féministes francophones de France et d’ailleurs, et
l’Académie française.
II. LA FÉMINISATION DÉFENDUE
Le débat est véritablement lancé lorsque Yvette Roudy
nommée ministre des droits de la femme déclare « Je n’ai pas
changé de sexe en devenant ministre », signifiant par là
qu’elle est « la ministre » et non « le ministre ». Pour les
féministes, l’usage exclusif du masculin ne s’explique que
parce que certains métiers sont restés longtemps chasse
gardée des hommes. Lorsque des femmes accèdent à ces
métiers, il est logique de traduire cette nouvelle situation dans
la langue. Si les métiers n’ont pas de sexe, les noms qui les
désignent ont un genre (Dawes 2003). En fait, d’une manière
générale, c’est par simple convention arbitraire que le genre
grammatical masculin ou féminin a été attribué aux noms.
Pour les féministes, à y regarder de près, chez les
académiciens bons bourgeois parisiens, la discrimination de
sexe est toujours allée de pair avec la discrimination sociale.
Ils ont eu recours au genre masculin, excluant toute

122 Conseil national de la recherche scientifique.

150
féminisation, pour les métiers et fonctions « haut de
gamme », considérés nobles, avec position de pouvoir :
ministre, député, sénateur, maire, médecin… Par contre, ils
ont proposé la féminisation pour les métiers de moindre
standing social, « bas de gamme » : institutrice, boulangère,
cuisinière, serveuse, travailleuse, ouvrière, infirmière,
comédienne, etc. Pour ces académiciens, on peut dire « une
secrétaire dactylo » mais pas « une secrétaire d’État », « une
contrôleuse d’autobus », mais pas « une contrôleuse des
finances » lorsque des femmes accèdent à ces fonctions de
prestige. Donc, par-delà le côté linguistique, la féminisation
des noms revêt une dimension sociale. La langue française
peut être neutre ou sexiste, selon la manipulation qu’on en
fait.
En réponse aux académiciens qui leur reprochent de
massacrer la langue française, elles rétorquent que ce sont
plutôt eux qui massacrent les droits des femmes : le masculin
dit « générique » discrimine à l’encontre de la représentation
sociale des femmes. Au reproche d’introduire dans la langue
des néologismes (nouveaux noms), elles font remarquer
qu’une langue n’est pas rigide, fixée une fois pour toutes et
est tenue d’évoluer avec les changements sociaux et
technologiques. En France des commissions ont été créées
pour introduire de nouveaux noms comme « ordinateur »,
« informatique », « logiciel », « bureautique », etc. acceptés
par l’Académie française qui n’a jusqu’ici réfuté que la seule
commission de féminisation des noms de métiers, titres et
fonctions.
Dans le monde francophone, c’est le Canada qui est allé
le plus loin dans la féminisation, suivi par la Suisse et la
Belgique. Sans doute, a-t-on dit, compte tenu de la
cohabitation avec d’autres langues, surtout au Canada, avec
l’Anglais, pratiquement exempt de ces problèmes. Des
termes tels que « auteure », « écrivaine », « députée »,
« sénatrice »… y sont passés dans l’usage. C’est en 1979 que

151
l’Office de la langue française du Québec entérine la
féminisation des noms de métiers, titres et fonctions. Alors
que dans beaucoup de milieux en France, sauf dans la presse
écrite (comme Le Monde, Le Canard Enchaîné…), on va
rarement au-delà de « la ministre ».
Pourtant, on peut dire que la revendication de
féminisation de certains noms est née en France avec
Hubertine Auclert qui en 1889 écrivait :
« L’omission du féminin dans le dictionnaire contribue
plus qu’on ne le croit à l’omission du féminin dans le
code (côté des droits). L’émancipation par le langage ne
doit pas être dédaignée. La féminisation de la langue est
urgente, puisque pour exprimer la qualité que quelques
droits conquis donnent à la femme, il n’y a pas de
mots. » (Cité par F. Baider et als. 2007).
Hubertine Auclert ciblait le dictionnaire Littré de la
langue française de 1883 qui par exemple définissait
« l’étudiant » comme « celui qui étudie ». Plus d’un siècle
après, Claudie Bodino exprime ainsi son indignation :
« Lorsqu’on ne peut plus au nom de la démocratie refuser
aux femmes l’accès à certaines fonctions, la langue devient le
dernier rempart contre l’égalité » (Bodino, 2008).
C’est dans cette lancée que vers la fin de l’année 2011, des
associations féministes comme « Osez le féminisme » et « Les
chiennes de garde » lancent la campagne pour la suppression
de la case « Mademoiselle » dans les documents
administratifs. Ceci au nom de l’égalité, car la femme dévoile
ainsi sa situation familiale et privée, alors que l’homme qu’il
soit marié ou célibataire reste toujours « Monsieur ».
Le principe de la féminisation des noms de métiers aurait
certainement trouvé un terreau favorable dans le mouvement
surréaliste, avec sa revendication d’écriture automatique,
expression spontanée de la pensée, libérée des contraintes
académiques des dictionnaires. Seulement, les femmes ont

152
été les grandes absentes de la révolution du surréalisme
évanouie au début des années 1960. Et curieusement,
Simone de Beauvoir n’a pas abordé le problème de la
féminisation des noms.
III. HARO SUR LA FÉMINISATION
En France, le projet de féminisation soulève tout de suite
une levée de boucliers dans différents milieux. La presse de
droite ouvre ses colonnes aux intellectuels hostiles au projet,
pour rivaliser de propos frisant parfois la goujaterie. La
commission de féminisation ? Rien d’autre qu’une
« commission de Précieuses Ridicules » (Le Quotidien de Paris).
La féminisation ? C’est l’avènement de la « clitocratie »
(France-Soir), de « l’enjuponnement du vocabulaire » (Le Figaro
Magazine).
Comme il fallait s’y attendre, l’Académie française n’est
pas en reste, particulièrement sous la plume d’une de ses
figures les plus éminentes, Maurice Druon. L’académicien
tourne en dérision le projet : « Nous ne savions pas que la
Documentation française, organisme dépendant du
gouvernement éditait des ouvrages comiques ». Il publie un
pamphlet qu’il intitule « Bon français et féminisation.
Madame le ministre, Monsieur la souris » (Le Figaro, 15 juillet
1997) dans lequel il trouve étrange que ces dames qui se
plaignent de ne pas être traitées l’égal des hommes, dès
qu’elles le sont, exigent de se faire reconnaître une différence.
Le comique pour lui, c’est l’intrusion dans le vocabulaire
de néologismes considérés par lui et par d’autres, comme des
barbarismes, des redondances, des alourdissements. Il s’en
prend particulièrement aux Québécoises qui selon lui, ont la
naïveté de se dire professeure, ingénieure, docteure,
procureure, auteure, écrivaine, agente, cheffe, maîtresse de
conférences… La langue française, rappelle Druon dans une
adresse aux Québécois, a été importée au Canada avant
Corneille, Racine, Boileau Vaugelas, et avant l’Académie qui

153
en a fait une langue très sûre, très pure, très exacte. Aussi,
n’acceptent-ils pas à l’Académie que de mettre un « e » au
bout des mots, comme « professeure », ou « recteure » soit
du bon français. Pour lui, le « français pittoresque » des
Québécois n’a aucune chance d’avoir libre cours en France,
comme dans bon nombre de pays francophones. Ce n’est pas
au Québec, dit Maurice Druon « que j’irai pour apprendre le
français » dans une déclaration sur une chaine de radio.
Druon attaque aussi la Communauté française de
Belgique qui estime qu’une femme entraîneur d’une équipe
sportive s’appelait désormais « entraîneuse », qu’une femme
appartenant aux équipes de lutte contre les incendies
deviendrait une « pompière ».
Effectivement, la féminisation de certains noms pose
problème. Et des humoristes sont venus s’inviter dans le
débat : « écrivaine » (pour « écrivain ») rime avec « vilaine »,
« amatrice » (pour « amateur ») rime avec « matrice »,
« cheffesse » (pour « chef ») avec « fesse », « consultante »
(pour consultant) avec « voyante » ; la collègue féminine du
« flic » devient une « fliquesse ».
Des noms féminisés comme « marine » (pour « marin »),
« médecine » pour « médecin », « sapeuse pompière » (pour
« sapeur pompier ») ne sonnent pas bien. Pour ne rien dire
de « entraîneuse » (pour entraîneur »), car on savait qu’une
entraîneuse opère dans des night-clubs et non sur des terrains
de sport.
Pour Druon, aucune femme médecin ne voudrait se faire
appeler autrement que Docteur, et aucune titulaire d’un
doctorat d’État ne voudrait se faire appeler Doctoresse. Il
précise que la boulangère c’est l’épouse du boulanger, que la
bouchère c’est l’épouse du boucher, que l’ambassadrice c’est
l’épouse de l’ambassadeur et qu’une femme chef de mission
diplomatique est « Madame l’ambassadeur ».

154
Pour l’académicien, le genre masculin est non marqué.
Lorsqu’on dit « le ministre », la femme peut s’y reconnaître,
comme l’homme. Mais lorsqu’on dit « la ministre », seule la
femme est concernée, parce que le féminin est marqué, et est
privatif. Il rappelle que certains noms au genre féminin
comme cigogne, grenouille, souris, sont sans distinction de
sexe, et qu’une cigogne mâle reste une cigogne. Seulement,
on pourra rétorquer à Mr Druon que ce ne sont pas là des
noms de métier ou de titre. Il existe néanmoins des noms
féminins dans lesquels se reconnaissent des hommes, sans
qu’on demande à les « masculiniser » : le soldat qui monte la
garde est une sentinelle, et non un « sentinel ».
Maurice Druon ne manque pas de rappeler que Hélène
Carrère d’Encausse, membre distingué de l’Académie
française se fait appeler « Madame l’Académicien » ou
« Madame le Secrétaire perpétuel », « car elle a le sens de la
langue française ». Celle-ci, le 2 décembre 2002, à la
commission de la langue française qu’elle préside à
l’Académie, prononce une adresse à l’intitulé éloquent, Au
Secours du français. La féminisation des noms n’y est pas
épargnée :
« L’idéologie est cause aussi d’une invention langagière
désastreuse, la féminisation des titres et fonctions. Depuis
peu, nous avons assisté à la prolifération des procureure,
professeure, défenseure, recteure, auteure… On ne peut
manipuler une langue, lui imposer d’autorité, d’en haut
des transformations au bénéfice d’un projet politique. »
Reçue à l’Académie française le 18 mars 2010, (à la place
de Pierre Messmer), Simone Weil dans son discours déclare
être féministe, mais hostile à la féminisation des noms. Pour
elle, l’Académie s’occupe de « mots » et non « d’idées ».
On pourrait aussi citer le cas de Michèle Alliot-Marie,
professeur d’université qui, tout en ayant été la première
femme à occuper les fonctions de ministre de la Défense en

155
2002, et de ministre de l’Intérieur en 2007, tient absolument
à se faire appeler Madame le ministre.
Simone de Beauvoir elle-même se présentait comme une
femme écrivain.
Au Québec même, Nicole Gagnon, professeur de
sociologie à l’Université de Laval s’en prend à ce qu’elle
appelle « le déraillage du féminisme linguistique » (Le Devoir,
février 1998).
Derrière cette querelle linguistique ne se profile-t-il pas
aussi une querelle de préséance ? Maurice Druon ne fait
montre d’aucune considération pour l’Institut national de la
langue française (Inalf) qu’il présente comme une simple
officine du CNRS, et qui maintenant s’octroie le droit « de
donner au français des règles incertaines ». Il dénie aussi
toute autorité linguistique à l’Office de la langue française
(Olf) du Québec créé seulement en 1961. Comment cet
organisme pourrait-il avoir prééminence sur l’Académie
française vieille de trois siècles. Pour lui, l’Académie est seule
habilitée à statuer sur la langue, avec une mission qui lui a été
dévolue depuis 1635. Aucun texte ne donne au
gouvernement le pouvoir de modifier le vocabulaire et la
grammaire de la langue française pour « lui infliger des
dommages gratuits ». Maurice Druon estime que c’est une
illusion que de croire qu’une féminisation abusive de la
langue peut contribuer à renforcer la femme dans la société.
Il n’est tout de même pas inutile de rappeler que Maurice
Druon, en 1980, s’est vigoureusement opposé à l’admission à
l’Académie de Marguerite Yourcenar (soutenue par Jean
d’Ormesson). À cet effet, il aurait tenu ces mots : « D’ici peu,
vous aurez quarante bonnes femmes qui tricoteront pendant
les séances du Dictionnaire de l’Académie »123. Sont-ce les
attaques dont il a été l’objet (« réactionnaire », « misogyne »,

123 L’Académie française compte toujours quarante membres.

156
« phallocrate ») qui l’ont amené à céder volontairement son
poste de Secrétaire perpétuel de l’Académie à Hélène
Carrère d’Encausse en 1999 ? Mais sans aucune concession
sur la féminisation, jusqu’à sa disparition en avril 2009, à
l’âge de 90 ans.

157
CHAPITRE X

RELIGIONS ET CONDITION FÉMININE


LA BIBLE, LE CORAN ET LA FEMME

La religion est présente en toile de fond dans tous les écrits


féministes. Il est opportun d’y revenir de façon un peu plus
détaillée. Il ne sera traité ici que des trois religions
monothéistes révélées, le Judaïsme, le Christianisme et
l’islam, pour voir leurs positions, s’il y en a, sur les principales
préoccupations des féministes.
I. STATUT DE LA FEMME
La position des religions révélées sur la femme commence
avec le récit des deux premiers êtres, Adam et Ève lors de
leur séjour au paradis.
Selon l’Ancien Testament (Genèse 2 : 4 ; 3 : 24), c’est le
serpent qui a incité la femme Ève à manger du fruit défendu,
et celle-ci à son tour a poussé Adam à en manger ; et le
blâme est porté sur Ève, avec cette sanction :
« J’augmenterai intensément tes douleurs dans
l’accouchement, tu enfanteras dans la douleur, ton désir
sera pour ton mari, et il te dominera. »
Dans le Nouveau Testament, on peut lire dans la
Première Lettre de Paul à Timothée :

159
« Il faut que les femmes reçoivent l’instruction en silence,
avec une entière soumission. Je ne permets pas à la
femme d’enseigner ou de prendre autorité sur l’homme ;
elle doit garder le silence. En effet, Adam a été créé le
premier, et Ève ensuite. Et ce n’est pas Adam qui s’est
laissé tromper, mais c’est la femme qui s’est laissée
tromper et qui a désobéi à l’ordre de Dieu. Mais la
femme sera sauvée en ayant des enfants, à condition
qu’elle demeure dans la foi, l’amour et la sainteté, avec
modestie. » (Timothée 2 : 11-14).
De grandes figures comme Saint Augustin, Saint Thomas
d’Aquin, Martin Luther n’ont pas fait montre d’une grande
considération pour la femme, réduite exclusivement au rôle
d’enfantement. La religieuse sénégalaise Sœur Béatrice Faye,
dans sa thèse de Doctorat, pose cette question : « Les Pères
de l’Église sont-ils misogynes ? ». Elle cite ces passages de
Saint-Augustin : « la femme est un animal inconstant et
faible » ; de Tertullien : « Les femmes sont les portes de
l’enfer » ; de Saint-Thomas d’Aquin : « La femme est un être
dû au hasard, un homme manqué » (Faye, p. 83). On peut
aussi citer Luther qui parle ainsi des femmes : « Si les femmes
deviennent fatiguées ou même meurent, cela n’a pas
d’importance. Qu’elles meurent dans l’accouchement, c’est
la raison pour laquelle elles sont là. » (cité par Sherif A.
Azim).
Aux États-Unis, où le Protestantisme est la religion
dominante, Dale O’Leary, est très connue pour son
militantisme de féministe catholique. Son livre, Le Programme
Genre : Redéfinir l’Égalité, publié en 1997, reprend en fait des
articles qu’elle avait publiés auparavant dans la revue Catholic
World Report, à la suite des conférences organisées par les
Nations unies, sur la population au Caire en 1994, et sur les
femmes à Pékin en 1995.
C’est au nom de sa foi catholique qu’elle déplore l’attitude
de certaines féministes protestantes, qui se basent sur ces

160
éléments de la Bible pour contester les notions de Dieu le
père et l’expiation ; tout simplement parce que leurs églises
ont été infiltrées par le féminisme radical. Pour elle, toutes ces
féministes veulent se faire une nouvelle image de Dieu
comme mère, mais, précise-t-elle, « en ce qui me concerne, je
n’ai jamais eu de problème avec un Dieu père ou un fils
Jésus » (conférence du 1er juillet 1994).
Elle invite à une relecture de la Bible. Pour cela, dit-elle, il
est nécessaire d’apprendre à lire le Grec ; le passage de la
Bible « Femmes, faites soumission à vos maris », résulte d’une
traduction fallacieuse : dans le texte original, le terme grec
utilisé hupotasso est d’origine militaire et signifie « se ranger
derrière » ; il évoque l’idée de « ordre » et n’implique pas une
quelconque infériorité. Pour elle, une femme a besoin de se
soumettre, parce qu’elle a besoin d’une source pour sa
propre autorité, elle est un maillon de la chaîne du
commandement dans le foyer. Ainsi, elle commandera ses
enfants en ces termes : « faites ceci, parce que votre père l’a
dit ». Mais si le mari abuse de sa femme, celle-ci, tout comme
l’officier qui reçoit un ordre illégal, doit refuser d’obéir.
L’islam est généralement présenté comme le symbole de
l’oppression de la femme. Une des pionnières du mouvement
féministe, Mary Wollstonecraft, dès l’introduction de sa
Défense des Droits de la Femme, écrit :
« Dans le véritable style du Mahométanisme, les femmes
sont considérées seulement comme des femelles et non
comme part entière de l’espèce humaine. »
Qu’en est-il ? Dans le récit coranique des deux premiers
époux, Âdama (Adam) et Hawa (Ève) au paradis, il est dit
que le péché (avoir mangé du fruit de l’arbre défendu)
incombe aux deux ; il n’est dit nulle part dans le Coran que
c’est Hawa qui a tenté et poussé Âdama ; ce sont les deux qui
sont sanctionnés par l’expulsion du paradis ; ce sont les deux

161
qui formulent la demande de pardon (7 : 23)124 qui est
agréée, au point que le péché originel n’existe pas dans
l’islam.
Dans le Coran, une sourate est intitulée « les femmes »
(sourate 4), alors qu’aucune sourate ne porte comme titre
« les hommes ». On y trouve deux sourates intitulées l’une al
in’sân, (sourate 76) l’autre an’ nâs (sourate 114) : les traductions
machistes les rendent par « l’homme » et « les hommes ». La
traduction correcte est : « l’être humain » et « les êtres
humains ».
Alors que dans la famille arabe préislamique, accoucher
d’une fille était une malédiction, le Coran propose une autre
approche :
« À Allah appartient la royauté des cieux et de la terre. Il
crée ce qu’Il veut. Il donne des filles à qui Il veut, Il
donne des garçons à qui Il veut. » (Coran 42 : 49).
Parmi les prophètes qui sont considérés comme les
modèles de comportement à suivre, certains comme Ibrahim
(Abraham, psl) n’ont eu que des garçons, d’autres comme
Chouaib (psl) n’ont eu que des filles. Le prophète
Muhammad (psl) lui, a eu des filles et des garçons, mais seules
les filles ont vécu jusqu’à l’âge adulte.
Dans la famille, la mère est particulièrement à l’honneur,
comme le montre ce hadith : Un homme demande un jour au
Prophète (psl) :
« Qui dois-je honorer en premier ? Le Prophète répond :
« ta mère ». L’homme reprend : Et qui vient après ? Le
Prophète répond encore : « ta mère ». Et qui vient
après ? Le Prophète répond : « ton père ». » (Rapporté
par Bukhari et Muslim).

124« Seigneur ! Nous nous sommes fait tort ; si tu n’as pas pour nous
compassion et ne nous pardonnes pas, nous sommes perdus ».

162
Sans doute parce que comme l’écrit la philosophe
ivoirienne Tanella Boni, la mère n’est pas un corps, mais un
esprit.
Dans un autre hadith le Prophète (psl) s’exprime ainsi :
« Quiconque s’engage dans l’éducation de filles et les
traite de façon convenable sera préservé de l’enfer. »
(Rapporté par Bukhari et Muslim).
Le Coran cite comme exemples modèles pour tous les
musulmans deux femmes, Asiya l’épouse de Pharaon, et
Marie la mère de Jésus-Issa (Coran 66 : 11-13).
Le respect de la femme est partie intégrante de la morale
islamique, comme le montre le message que Djâfar Ibn Abî
Tâlib, chef du premier groupe musulman émigré en Éthiopie
adresse au Négus :
« Le Prophète (psl) envoyé par Dieu nous a demandé de
renoncer à nos idoles et d’adorer Allah, le Dieu Unique.
Il nous a ordonné de dire la vérité, de rester fidèle à la
parole donnée, d’agir avec bienveillance envers nos
parents et nos voisins, d’éviter le mal, de ne pas verser le
sang des innocents, de ne pas mentir, de ne pas nous
emparer des biens des orphelins et de ne pas nous
attaquer à l’honneur des femmes… Nous avons tenu à
conformer notre vie à ces préceptes qu’il nous
enseignait. » (Cité par Boisard : 58).
Les féministes occidentales qui ont quelque connaissance
de l’islam déclarent être séduites sur au moins un point dans
cette religion, la notion de Dieu. Le terme Allah ne se réfère à
aucun genre : ni masculin ni féminin, au-dessus des genres. Si
dans le Coran le terme huwa, qui signifie aussi « il », est
parfois utilisé pour désigner Allah, les grammairiens de la
langue arabe, même non-musulmans, s’accordent à admettre
que huwa n’est relié à aucun genre ; c’est parce que le neutre
n’existe pas dans la langue arabe (comme c’est le cas dans la

163
langue anglaise par exemple), que huwa est employé pour
désigner ce qui n’a pas de genre.
C’est une femme catholique, Maura O’Neil qui écrit :
« Les musulmans n’utilisent pas un Dieu masculin
comme un outil conscient ou inconscient dans la
construction des rôles à conférer aux genres. »
Et elle cite une femme musulmane, Sartaz Aziz qui écrit :
« Je suis profondément reconnaissante de ce que mes
premières idées de Dieu aient été formées par l’islam,
parce que je pouvais penser à la Puissance Suprême en
dehors de toute race ou sexe, donc complètement non
patriarcale... Nous commençons avec l’idée d’une déité
qui est complètement au-dessus de l’identité sexuelle, et
qui est complètement en dehors du système de valeurs
créé par le patriarcat. » (Cité par A. H. Murad, p. 6).
Comment se pose maintenant le problème de l’égalité
entre l’homme et la femme dans l’islam ? Dans le Coran, on
peut lire :
« Nous avons créé toute chose en couple. »
(Coran, 51 : 49).
Il s’agit là de ce que Friedrich Engels rangera dans la
« dialectique de la nature » pour en faire le titre d’un
ouvrage. Tous les organismes vivants sont ainsi régis, mâle et
femelle. Ce qui au niveau humain donne l’homme et la
femme.
Le Coran pose ainsi le rapport entre l’homme et la
femme :
« Le (sexe) mâle n’est pas comme le (sexe) femelle. »
(Coran, 3 : 36).
Le verset couvre toutes les créatures vivantes (humains,
animaux, plantes). Le rapport n’est pas posé en termes
d’égalité – inégalité, de supériorité – infériorité, mais en

164
terme de différence ; différence biologique, base de la
différenciation des rôles au sein de la famille. À cet effet, c’est
le terme « comme » (ka en arabe) qui est utilisé pour
exprimer une comparaison négative125. Lorsque la
comparaison est posée en terme d’inégalité dans le Coran, le
terme utilisé est lâ yastawî (n’est pas égal, de la racine s.w.a.
qui signifie « égal ») ; comme lorsque par exemple il est dit
que le croyant n'est pas égal au non-croyant.
Le Prophète est revenu sur la question avec ce hadith126 :
« Tous les gens sont égaux comme les dents d’un peigne.
Il n’y a aucune prétention de mérite d’un Arabe sur un
non-arabe, ou d’un Blanc sur un Noir, ou d’un homme
sur une femme. Seuls ceux qui craignent Dieu méritent
une préférence auprès de Dieu. » (Rapporté par Muslim)
Il en découle que l’homme et la femme sont traités de la
même façon dans leur pratique religieuse. Partout où il est
fait état d’actes de dévotion devant être sanctionnés de
récompense, la femme est mentionnée en même temps que
l’homme (Coran 3 : 195 ; 16 : 97 ; 40 : 40…). Le verset le
plus révélateur à cet égard est celui-ci :
« Les musulmans et les musulmanes, les croyants et les
croyantes, les hommes obéissants et les femmes
obéissantes (à Allah), les hommes et les femmes de
loyauté, les hommes et les femmes d’endurance, les
hommes et les femmes de piété, les hommes et les
femmes qui donnent la zakât (aumône légale), les
hommes et les femmes qui observent le jeûne (du mois de
Ramadan), les hommes et les femmes qui gardent leur
chasteté (contre tout rapport sexuel en dehors du
mariage), les hommes et les femmes qui se rappellent
beaucoup Allah avec leurs cœurs et leurs langues, Allah

125 Laysa az-zakaru ka-l un’sâ.


126 Dans l'islam, on appelle hadith les propos tenus par le Prophète (psl).

165
leur a préparé le pardon et une grande récompense. »
(Coran, 33 : 35).
D’autres versets insistent sur l’égalité de traitement entre
l’homme et la femme dans le domaine de la religion :
« Quiconque mâle ou femelle, fait une bonne œuvre tout
en étant croyant, Nous lui ferons vivre une bonne vie. Et
Nous les récompenserons en fonction des meilleures de
leurs actions. » (Coran, 16 : 97).
Le traitement est aussi égal entre l’homme et la femme
dans les cas de manquement aux commandements de la
Charï’a :
« Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main (au
niveau du poignet) en punition de ce qu’ils ont acquis et
comme châtiment de la part de Allah… »127
(Coran, 5 : 38).
« La fornicatrice et le fornicateur… » (Coran, 24 : 2).
Rappelons que la fornication est ce que le Coran appelle
zinâ, qui est le rapport sexuel entre deux personnes non
mariées l’une à l’autre. La culpabilité se situe des deux côtés.
En comparaison, dans l’Ancien Testament, seule la femme
mariée est considérée comme coupable d’adultère dans le cas
de rapport extra conjugal ; elle est punie (de mort) ainsi que
son partenaire, parce que celui-ci a violé la propriété du mari
qui est propriétaire de son épouse (Deuteronomy : 22 : 22)
On remarquera que dans ces deux versets du Coran, dans
le cas de vol, c’est l’homme qui est cité en premier, et dans le
cas de fornication c’est la femme qui vient en tête. Les
exégètes musulmans du Coran l’interprètent ainsi. L’homme,
compte tenu de sa morphologie physique est plus prédisposé

127Dans le Nouveau Testament on lit : si c’est avec ta main droite que tu


commets le péché, coupe-la et jette-la loin de toi : il vaut mieux pour toi
perdre un de tes membres que d’aller en enfer avec ton corps tout entier
(Mathieu 5 : 30).

166
à l’acte de vol, surtout lorsqu’il s’agit de cambriolage pouvant
conduire à la violence. Par contre, l’acte de fornication est
plus facile pour la femme, car lorsqu’elle décide de le faire,
elle est sûre de rencontrer un partenaire mâle ; alors que
l’homme qui veut commettre l’acte aura beaucoup plus de
mal à trouver une partenaire, car les femmes en général dans
ce domaine ont plus de retenue, plus de scrupule, plus de
pudeur que les hommes.
On trouve dans le Coran pas moins de 18 versets relatifs
au traitement égal de l’homme et de la femme dans la Charîa
(3 : 195 ; 4 : 32 ; 4 : 124 ; 6 : 139 ; 9 : 67 ; 9 : 71 ; 99 : 72 ;
16 : 97 ; 33 : 35 ; 33 : 58 ; 33 : 73 ; 40 : 40 ; 47 : 19 ; 48 : 5 ;
48 : 6 ; 57 : 13 ; 57 : 18).
II. TÉMOIGNAGE
Dans le Coran il est dit que lorsque deux personnes
s’engagent dans une transaction financière (emprunt-prêt par
exemple), celle-ci doit faire l’objet d’un document écrit
devant témoins : deux hommes, ou à défaut, un homme et
deux femmes, pour que si l’une d’entre elles se montre
confuse, hésitante, l’autre puisse suppléer (Coran 2 : 282).
Cette disposition a été perçue dans les milieux non islamiques
comme un rabaissement de la femme.
Pourtant, des études scientifiques128 menées aux États-
Unis, pas seulement par des hommes, ont montré que la
femme durant les périodes de menstruation et de ménopause
peut être sujette à des états physiques et psychologiques
susceptibles de perturber son sens du jugement. Selon la
Canadienne Elizabeth Hampson (University of West
Ontario), les performances des femmes pour certaines tâches

128 Psychiatry in Practice, April, 1993, May 1987, October/November

1986 et Katherine Blick Hoyenga, Sex Differences in Mental Health.

167
changent durant le cycle menstruel avec la variation des
niveaux d’estrogène129.
Simone de Beauvoir avait déjà attiré l’attention sur ce
problème, en traitant de la fragilité de la femme liée à la
menstruation (pp. 90-94), de même que les perturbations
émotionnelles qui accompagnent la ménopause (pp. 450-
476).
Dans l’islam, la femme durant sa période de menstrues est
dispensée de certaines pratiques cultuelles comme les cinq
prières quotidiennes et le jeûne annuel. Les jours de jeûne
manqués durant la période menstruelle sont compensés à
une période ultérieure, au choix de l’intéressée. Par contre,
aucune compensation n’est requise pour les prières
manquées. Cette disposition coranique est perçue par les
femmes musulmanes non pas comme une diminution de leur
spiritualité, mais plutôt comme un soulagement en des
moments difficiles. Le rapport sexuel est exclu avec la femme
en menstrues, mais elle n’est pas considérée comme impure,
et ne fait pas en aucun cas l’objet d’isolement, de ségrégation.
C’est dans l’Ancien Testament (Leviticus, 15 : 19-23) que la
femme en menstrues est vue comme impure, de même que
tout ce qu’elle touche.
La disposition coranique d’exigence de témoignage de
deux femmes pour un homme présente surtout l’intérêt
d’introduire à un problème posé par les scientifiques
modernes. Il ne s’agit pas de savoir si l’homme et la femme
ont dans l’absolu les mêmes aptitudes mentales (problème du
sexe du cerveau) ; le problème est de savoir s’ils ont les
mêmes aptitudes mentales à toutes les étapes de leur vie.
Ajoutons que c’est uniquement dans le cas de transactions
financières que le Coran applique la règle de deux témoins

129 Citée par Doreen Kimura, "Sex, Sexual Orientation and Sex

Hormones Influence Human Cognitive Function", 1996, Current Opinion in


Neurobiology, 6, pp. 259-263.

168
femmes pour un témoin homme. Ce qui, en dehors même
des phénomènes psychologiques relatés, peut s’expliquer
dans les cas où les femmes sont écartées de l’instruction qui
leur aurait permis une certaine expertise technique. Toujours
est-il qu’actuellement, des femmes musulmanes occupent des
fonctions d’avocat, de juge, bien plus valorisantes que celle de
témoin qui est plus une charge qu’un honneur.
Dans le Judaïsme, pour les rabbins, une femme ne peut en
aucun cas être témoin. Dans les pays chrétiens, jusqu’au
19ème siècle les femmes n’étaient pas admises comme
témoins.
III. HÉRITAGE
Le Coran stipule que dans l’héritage de parents décédés,
la part d’un garçon doit être égale à la part de deux filles
(Coran 4 : 11) ; autrement dit, la part d’une fille est égale à la
moitié de la part d’un garçon. Cette disposition a été décriée
comme relevant de l’injustice au détriment de la femme.
Les exégètes musulmans répondent que ce verset ne doit
pas être lu isolément, mais doit être rattaché à un autre verset
(Coran 4 : 34) qui impose au garçon qui se marie de verser
une dot et d’avoir en charge l’intégralité des charges du
ménage ; alors que la fille, lorsque mariée, non seulement
reçoit une dot, mais n’est pas tenue de participer aux charges
du ménage, même si elle dispose de plus de moyens
financiers que son mari.
Cette disposition procède donc non pas de l’injustice, mais
de l’équité. Non pas l’équité absolue, mais l’équité relative,
celle-là même qui régit l’imposition des revenus des
personnes physiques avec le système du quotient familial, que
l’on peut illustrer ainsi : Soit deux hommes salariés de même
profession, de mêmes qualifications, touchant le même
salaire nominal, l’un célibataire, l’autre marié père de
famille ; compte tenu du quotient familial, avec le système de

169
retenue à la source, le marié père de famille touchera un
salaire réel plus élevé, parce que le prélèvement fiscal est plus
important sur le salaire du célibataire. Cette disposition n’a
jamais été considérée comme injustice, mais procédant de
l’équité relative (l’équité absolue aurait consisté à prélever le
même montant d’impôt sur chacun de ces deux collègues de
travail, sans tenir compte de leurs charges familiales). C’est
par ce principe reconnu rationnel dans la législation fiscale
que le Coran a régi les parts de l’homme et de la femme dans
l’héritage.
On retrouve le même principe apparemment
discriminatoire entre époux et épouse, lorsque l’un décède
avant l’autre. Si l’époux décède, la part d’héritage de l’épouse
est de 1/8 (un huitième). Si c’est l’épouse qui décède, la part
d’héritage de l’époux est de 1/4 (un quart). Là encore l’islam
l’explique par le fait des charges qui incombent à l’homme :
veuf est tenu d’entretenir les enfants ; ce qui n’est pas le cas
pour la veuve, dans la mesure où les enfants devront être
entretenus par les membres de la famille du défunt, comme
les oncles.
Cependant, il est un cas où l’homme et la femme héritent
de la même part : lorsqu’une personne adulte décède avant
ses deux parents en laissant des enfants, le père et la mère
héritent de la même part (I/6, un sixième).
De manière générale, l’héritage dans l’islam est conçu en
fonction des charges auxquelles les héritiers vont être
confrontés. Le Britannique Almaric Rumsey, professeur à
King’s College, Londres, et homme de loi, écrivait que « la
loi musulmane de l’héritage renferme sans nul doute, le
système de règles le plus raffiné et le mieux élaboré connu du
monde civilisé, pour la dévolution de propriété »
(Muhammadun Law of Inheritance, 1880, Preface III).
Dans le Judaïsme, les épouses tout comme les filles n’ont
droit à l’héritage que si le défunt ne laisse pas des fils. Le

170
Christianisme a eu la même position jusqu’au 19ème siècle.
Actuellement dans les pays occidentaux, le problème de
l’héritage est plutôt réglé par le testament de la personne
défunte.
IV. MARIAGE
Dans la loi juive, le mariage n’est rien d’autre qu’un
transfert du contrôle de la femme par son père à son mari qui
en devient propriétaire.
Selon le Nouveau Testament, l’idéal pour un homme est
de ne pas se marier pour se préoccuper des affaires du
Seigneur. Toutefois, il lui est permis de se marier, en raison
de l’immoralité si répandue : si on ne peut pas se maîtriser, il
vaut mieux se marier que de brûler de désir (Corinthiens, 6-
7). Ce qui est aussi une façon de condamner les rapports
sexuels hors mariage.
Au sein du couple, il est donné ces conseils :
« Femmes, soyez soumises à vos maris, comme au
Seigneur. Car le mari est le chef de sa femme, comme le
Christ est le chef de l’Église… Il faut que chaque mari
aime sa femme comme lui-même, et que chaque femme
respecte son mari. » (Éphésiens, 5, 6).
Dans le Coran, la conception du mariage telle que posée
implique-t-elle discrimination entre homme et femme ? On
lit dans le Coran qu’un des signes divins est la création des
humains en azwâj pour vivre en tranquillité, calme, sérénité,
et l’établissement entre leurs cœurs de sentiments d’amour et
de compassion (Coran, 30 : 21).
Dans la traduction française de Hamidullah, de loin la
plus répandue dans le monde francophone, on lit :
« Et parmi Ses signes, Il (Allah) a créé pour vous parmi
vous des épouses pour que vous viviez en tranquillité

171
avec elles, et Il a mis entre vous de l’affection et de la
bonté. » (Coran 30 : 21).
Une telle traduction ne peut que conforter les féministes
dans leur accusation de lecture machiste du Coran. C’est le
terme arabe azwâj qui est rendu par « épouses », comme si le
verset s’adressait exclusivement aux hommes. Amina Wadud
indique bien que le terme zawj (singulier de awaj) est utilisé
pour les femmes (Coran 4 : 20 ; 2 : 102), mais aussi pour les
hommes (Coran 2 : 230 ; 58 : 1), pour les animaux (Coran
11 : 40), et pour les plantes (Coran, 55 : 52).
Le grand érudit pakistanais Yusuf Ali dans sa traduction
commentée du Coran de l’Arabe à l'Anglais rend azwâj130
par « mates » qui en langue française signifie « partenaires de
mariage »131. Ce qui donne la bonne compréhension du
verset : la création des humains en partenaires de mariage
pour vivre en tranquillité, calme, sérénité, et l’établissement
entre leurs cœurs de sentiments d’amour et de compassion.
Le même problème peut être posé par le terme hoûr,
mentionné dans trois versets du Coran (44 : 54 ; 52 : 20 ; 56 :
22). Il désigne des personnes aux yeux grands, noirs et beaux,
n’existant qu’au paradis. Elles sont données en mariage :
Mais à qui ? Dans bon nombre de traductions et exégèses du
Coran, les hoûris sont des femmes mariées à des hommes.
Comme on le constate dans cette traduction de Hamidullah :
« Nous leur donnerons pour épouses des houris aux yeux
grands noirs ».

130 Azwâj est du féminin, de la racine z.w.j . d’où dérivent tous les termes
relatifs au mariage : marier, se marier, époux, épouses.
131 Abdallah Yusuf Ali, The Holy Qur’an, Text, Translation and Commentary,

1937, Daral Arabia, Damas, p.1056. Dans les bonnes traductions en


wolof (langue parlée au Sénégal) azwaj est rendu par weetal signifiant
partenaire de compagnie : c'est chacun des époux qui tient compagnie à
l'autre.

172
Or, dans le Coran, les hoûris sont donnés en mariage aux
gens pieux (al mutaqîn), aux gens de la droite (ashâbul
maymanati) qui sont des hommes comme des femmes. On est
là dans la grammaire arabe en face du pluriel sans genre, ni
masculin, ni féminin. Le terme hoûr est de ce même pluriel
sans genre. Dans les traductions correctes comme de celle de
Yusuf Ali, hoûr est rendu par époux, conjoint, partenaire de
mariage.
La réciprocité des rapports dans le mariage est ainsi posée
dans ce verset qui s’adresse aux maris :
« Les femmes sont un vêtement pour vous, et vous êtes
un vêtement pour elles. » (Coran, 2 : 187).
La plupart des exégètes comprennent par « vêtement »,
assurance réciproque de tranquillité, de sérénité, entre les
époux.
La sourate 92 (La nuit), dans ses quatre premiers versets,
met bien en évidence la complémentarité mâle/femelle. Les
deux premiers versets présentent la nuit (qui enveloppe, qui
couvre) et le jour (qui éclaire). Le troisième verset évoque la
création du mâle et de la femelle, comme si la nuit et le jour
en étaient des symboles. Le verset qui suit inna sahyakum
lachattâ est souvent traduit par « En vérité vos efforts sont
divers ». Yusuf Ali en donne cette interprétation : « À chacun
son rôle, sa fonction », pour marquer la complémentarité
entre l’homme et la femme. Tout comme la vie serait
impossible sans la nuit, mais aussi sans le jour, la vie serait
impossible sans l’homme, mais aussi sans la femme.
Faut-il rappeler que la femme musulmane ne porte pas le
nom de son mari ? Au Québec, lieu de forte percée du
féminisme, c’est sous la pression des féministes qu’une loi a
été adoptée pour imposer aux conjoints de conserver leurs
noms respectifs.

173
Pour ce qui est des travaux domestiques dans le ménage, il
n’est dit nulle part dans le Coran que c’est l’épouse qui doit
s’en acquitter exclusivement. Il est connu que le Prophète
(psl) allait faire ses courses au marché et vaquait à des travaux
domestiques tels que balayage, raccommodage, etc. C’est sur
cette base que le rite (madhhab) de l’Imam Shâfi s’appuie pour
recommander le partage des travaux ménagers entre
l’homme et la femme. Les pays où domine le rite Shâfi sont
l’Afrique de l’Est (Tanzanie, Ouganda), le Yémen, l’Asie du
Sud-est (Sri Lanka, Indonésie, Malaisie). C’est le rite Hanafi
qui fait des travaux domestiques une exclusivité féminine. Le
rite Hanafi est surtout dominant dans ces pays : Inde,
Pakistan, Afghanistan, Irak, Syrie, Turquie, Guyane,
Trinidad, Surinam…
Dans l’islam, la femme mariée est protégée contre toutes
sortes de rumeurs et accusations gratuites. Le Coran pose
une solide contrainte à celui qui serait tenté de s’attaquer à
l’honneur d’une femme chaste en l’accusant d’adultère.
L’accusateur doit produire quatre témoins visuels de l’acte
(Coran, 24 : 4). Si c’est le mari qui accuse sa femme
d’infidélité, il lui est demandé de jurer cinq fois pour
confirmer son propos ; de même, il est demandé à l’épouse
de jurer cinq fois pour nier. Si les deux persistent dans leurs
positions, le mariage est dissous, ce qui les renvoie dos à dos
(Coran, 24 : 6).
On ne peut pas parler de mariage sans parler de dot. La
dot est ainsi définie dans le Collins English Dictionary :
« propriété apportée par une femme à son mari au moment
du mariage ». Cette définition s’appuie sur la pratique
religieuse judéo-chrétienne en vigueur durant des siècles.
Une pratique qui est en net déclin dans les pays occidentaux,
mais qui sévit encore chez les chrétiens de l’Inde. La
conséquence est que bon nombre de filles qui le désirent ne
peuvent pas se marier parce que leurs parents n’ont pas les
moyens de payer la dot.

174
Dans l’islam, c’est le mari qui apporte la dot. Pour éviter
les excès, le Prophète (psl) enseignait que le mariage le plus
béni est celui dans lequel la dot est la plus modeste.
V. DIVORCE
Le Christianisme, par le Nouveau Testament, interdit le
divorce, sauf dans le cas constaté d’infidélité de l’épouse.
Sinon le lien du mariage est indissoluble :
« L’homme quittera son père et sa mère pour vivre avec
sa femme, et les deux deviendront un seul être. Ainsi, ils
ne sont plus deux mais un seul être. Que l’homme ne
sépare donc pas ce que Dieu a uni… Si un homme
renvoie sa femme et se marie avec une autre, il commet
un adultère avec la première ; de même si une femme se
sépare de son mari et épouse un autre homme, elle
commet un adultère. » (Marc, 10 : 2-12 ; Mathieu, 5 : 2).
Dans le Judaïsme, le divorce est une prérogative du mari,
qui peut le prononcer même sans avoir à avancer la moindre
cause. Lorsque le mari est dans l’incapacité physique
d’assumer son rôle conjugal, l’épouse peut s’adresser au
tribunal pour demander le divorce, mais le dernier mot
revient au mari. Celui-ci peut indéfiniment refuser de signer
le certificat de divorce, continuer à vivre comme il l’entend,
et même se marier ou vivre en concubinage. Mais l’épouse
elle, reste enchaînée (agunat) dans les liens du mariage. Les
femmes juives ainsi enchaînées se comptent par milliers en
Israël et aux États-Unis (Sherif Abdel Azim).
En matière de divorce, l’islam se situe à mi-chemin entre
le Judaïsme qui l’autorise sans restriction, et le Christianisme
qui le refuse. Exactement comme une porte entrouverte se
situe par rapport à une porte largement ouverte, et une porte
fermée.
À la différence du Christianisme, l’islam admet le divorce.
La sourate 65 du Coran est d’ailleurs intitulée Le divorce (at-

175
talâq). Mais le divorce définitif n’est prononcé qu’après deux
premiers divorces suivis de réconciliations. Lorsque l’épouse
est divorcée une première fois, elle peut rester dans le
domicile conjugal pendant trois mois (trois menstrues). Avant
l’échéance, sur consentement mutuel, le divorce peut être
considéré comme nul, et la vie conjugale reprend. Après
l’échéance des trois mois, il faudra un remariage entre les
deux, pour que la vie en couple puisse continuer. Le scénario
est le même lorsqu’intervient un second divorce. Si un
troisième divorce a lieu, il est définitif, et la femme doit être
épousée par un homme autre que son mari ; si elle divorce de
celui-ci, son premier mari est habilité à l’épouser à nouveau.
Et la femme divorcée a droit à une pension financière.
L’initiative du divorce peut provenir de l’homme comme
de la femme. Lorsque la femme demande le divorce (khula),
elle ne peut plus prétendre à une pension. Toutefois, l’islam
tout en permettant le divorce s’emploie à le décourager.
Comme le montre ce verset adressé aux maris :
« Vivez avec elles (vos épouses) dans la bonté et dans la
justice. Si vous les détestez, il se peut que vous détestiez
une chose dans laquelle Allah a placé un grand bien. »
(Coran, 4 : 19).
Le Prophète (psl) a fait part de son aversion pour le
divorce :
« Parmi tous les actes permis, le divorce est le plus
détestable auprès de Allah. » (Rapporté par Abou
Daoud).
« Un homme croyant ne doit pas détester une femme
croyante. S’il déteste en elle un caractère, il sera satisfait
d’un autre de ses caractères. » (Rapporté par Muslim).
« Les meilleurs d’entre vous sont ceux qui sont meilleurs
à l’égard de leurs épouses. » (Rapporté par Tirmidji).

176
VI. POLYGAMIE

1. Haro sur la polygamie


La polygamie est le type même du sujet à controverses. En
France, elle est interdite depuis 1945. Selon le Code civil
(article 147), « On ne peut contracter un second mariage
avant la dissolution du premier ». Le Code pénal (article 433-
20) s’y invite pour punir tout contrevenant d’un an
d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende.
Seulement, la mesure ne concerne que les mariages
enregistrés par l’état civil, ce qui exclut les mariages religieux
et les unions libres. Ce qui pose aussi des problèmes.
La polygamie, encore appelée mariage pluriel, a été une
des pratiques les plus décriées dans l’islam, présentée comme
relevant de mœurs barbares, aux antipodes des valeurs d’une
société civilisée, atteinte à la dignité de la femme. La plupart
des courants féministes n’y voient rien d’autre qu’une mesure
d’asservissement de la femme. En Égypte, le courant du
« modernisme islamique du monde arabe » de Muhammad
Abduh, avait aussi fustigé la polygamie.
En France, l’académicienne Hélène Carrère d’Encausse,
sans être féministe, avait attiré sur elle l’attention en déclarant
que la polygamie était à l’origine du problème des banlieues :
les familles africaines musulmanes étant de ce fait entassées à
plus de 20 personnes dans des appartements de 20 mètres
carrés, les enfants étaient obligés de passer le plus clair de leur
temps dans la rue à commettre des actes délictuels.
Le Canada est certainement le pays qui est allé le plus loin
dans le rejet de la polygamie : elle est interdite par une loi de
1892 et punie par un emprisonnement de 5 ans ; une
punition qui n’a toutefois pas été appliquée depuis 1937.
Néanmoins, la polygamie y est toujours pratiquée, et sans
limites, dans la communauté des Mormons de la région de
Colombie-Britannique.

177
2. La polygamie défendue
Pourtant, la polygamie a eu ses défenseurs, et pas
seulement dans des milieux islamiques et masculins.
Le médecin et sociologue français Gustave Lebon, dans
son ouvrage La Civilisation des Arabes (1884), écrit que la
polygamie permet d’éviter le problème des maîtresses, et
guérit la société des enfants illégitimes.
L’anthropologue américain Philip Kilbrid, dans son
livre132 Mariage pluriel pour notre temps (1994) propose la
polygamie comme solution à certains des maux de la société
américaine dans son ensemble. Il estime que les relations
extra-conjugales sont à l’origine de la plupart des divorces,
lesquels sont préjudiciables aux enfants, et que la polygamie
constitue une alternative potentielle ; elle bénéficierait aussi
aux femmes d’un certain âge qui n’arrivent pas à trouver de
maris, permettant ainsi de réduire le nombre croissant de
vieilles filles (pages 108-109).
Philip Kilbrid rapporte aussi les résultats d’enquêtes
menées en Afrique sur la polygamie. Au Nigeria, sur un
échantillon de 6 000 femmes dans la tranche d’âge de 15 à
59 ans, 60 pour cent déclarent qu’elles seraient heureuses de
voir leurs maris prendre une autre épouse, 23 pour cent
seulement étant contre ; dans une autre enquête menée au
Kenya, 76 pour cent des femmes déclarent être favorables à
la polygamie, et en milieu rural 25 femmes sur 27 estiment
que la polygamie est meilleure que la monogamie (p. 108-
109).
L’évangéliste chrétien très connu, Billy Graham s’est aussi
penché sur la question de la polygamie :
« La chrétienté ne peut pas faire de compromis sur la
question de la polygamie. Si la chrétienté actuelle ne le

132 Philip L. Kilbrid, Plural Marriage for Our times, West Port, Connecticut,

Bergin, Garvey, 1994.

178
peut pas, c’est à son détriment. L’islam a permis la
polygamie comme solution aux maux sociaux et a
permis un certain degré de latitude à la nature humaine,
mais seulement dans le cadre strictement défini de la loi.
Les pays chrétiens font un grand show sur la monogamie,
mais de fait, ils pratiquent la polygamie. Personne n’est
inconscient de la part que les maîtresses jouent dans la
société occidentale. À cet égard, l’islam est
fondamentalement une religion honnête, et permet à un
musulman de prendre une seconde épouse s’il le doit,
mais interdit strictement tout rapport clandestin, pour
préserver la probité morale de la société133. »
En pleine montée des mouvements féministes, aux États-
Unis, ce sont des femmes qui prennent la défense de la
polygamie : Audrey Chapman, avec Partage de l’homme :
dilemme ou choix134; Adriana Blake, avec Les femmes peuvent
gagner la loterie du mariage : Partagez votre homme avec une autre
épouse135.
N’est-il pas possible de trouver une justification de la
polygamie islamique en s’appuyant sur des constats
d’observation et sur des enseignements scientifiques de la
médecine (urologie et gynécologie) ? Dans la vie du couple, le
rapport sexuel est rendu impossible du fait de l’indisposition
de la femme à certaines périodes : menstruation, état de
grossesse avancée, semaines ou mois suivant l’accouchement.
Il a été établi aussi que chez beaucoup de femmes, la
ménopause, souvent après 50 ans, s’accompagne d’une baisse
sensible de la libido (le désir sexuel), due à des phénomènes
physiologiques (diminution de l’hormone estrogène

133 Cité par Abdul Rahman Doi, Woman in Shari’ah, London, Ta-Ha
Publishers, 1994, p. 76.
134 Audrey Chapman, Man-Sharing : Dilemma or Choice, New York,

HarperCollins Publishers, 1986.


135 Adriana Blake, Women Can Win the Marriage Lottery : Share your Man with

another Wife, Orange County University Press, 1996.

179
entraînant un dessèchement vaginal, fatigue, sueurs
nocturnes, troubles de sommeil, etc.) et psychologiques
(stress, anxiété, sautes d’humeur, etc.). Ce qui les rend
allergiques à tout rapport sexuel. Une étude menée aux
États-Unis sur un échantillon de 2200 femmes de tranches
d’âge différentes, publiée dans la revue Archives of Internal
Medicine, montre que 52 pour cent de celles ménopausées
reconnaissent un déclin marqué de la libido et de l’excitation
sexuelle (Andrée Chatel, 2001).
L’homme lui, ne traverse pas de telles perturbations. Il est
vrai qu’au-delà de 50 ans il est confronté au problème de la
prostatite (gonflement de la prostate), avec des problèmes
urinaires, avec parfois des troubles de l’érection et un cancer
parfois à l’arrivée. La prostatite est une évolution tout à fait
normale, mais elle pourrait être précipitée et aggravée par
certains facteurs parmi lesquels, selon des spécialistes, figure
une abstinence sexuelle prolongée ; celle-ci génèrerait une
congestion démesurée de la prostate qu’une éjaculation
régulière et modérée permet d’éviter (Tattler 1985, pp. 493-
498) Le rapport sexuel extra conjugal étant interdit,
l’alternative ne peut se situer que dans la polygamie.
Seulement, dans la mesure où la baisse de libido à la
ménopause ne concerne pas toutes les femmes, il n’y a
aucune raison pour que tous les hommes soient polygames.
D’autant plus qu’ils n’ont pas tous la même intensité
libidinale. Il convient de préciser que la polygamie dans
l’islam n’est ni une obligation, ni même une
recommandation. C’est une permission, une tolérance, une
option qui est donnée au musulman, mais réglementée : elle
est limitée à un maximum de quatre épouses ; il faut avant
tout avoir les moyens matériels d’entretien de plus d’un
ménage, et traiter les épouses de façon juste. Sinon, il faut
s’en tenir à une seule (Coran, 4 : 3).

180
Malheureusement, nombreux sont les musulmans qui se
lancent de façon inconsidérée dans la polygamie, ignorant ou
oubliant ce verset du Coran :
« Allah n’impose à personne ce qui est en dehors de ses
possibilités. » (Coran, 2 : 286).
Cela dit, il n’est pas rare de voir un mari se séparer de son
épouse dont le seul « crime » est de ne pas pouvoir avoir
d’enfant. Le Judaïsme, par le Talmud (loi fondamentale du
Judaïsme après la Bible) l’autorise et même le recommande.
Dans une telle situation n’est-il pas préférable pour la femme
stérile que son mari prenne une seconde épouse sans avoir à
la divorcer ?
Aux États-Unis, un homme d’Église, le Père Eugene
Hillman est l’auteur du livre La polygamie reconsidérée (1975)136,
dans lequel il soutient que :
« Nulle part dans le Nouveau Testament ne se trouve un
commandement explicite que le mariage devrait être
monogame, ou un commandement explicite interdisant
la polygamie. » (p. 53).
Il soutient que Jésus (psl) n’a pas condamné la polygamie
qui était pratiquée par les Juifs de sa société ; que c’est
seulement l’Église de Rome qui a banni la polygamie,
uniquement pour se conformer à la culture gréco-romaine
qui prescrivait une seule épouse légale, tout en tolérant le
concubinage et la prostitution ; À cet égard, il cite Saint-
Augustin : « Maintenant, à notre époque, en nous en tenant
à la coutume romaine, il n’est plus permis de prendre une
autre épouse » (cité par Béatrice Faye p. 54).
Un des arguments avancés par le Père Hillman, est le
déséquilibre constaté entre le nombre de femmes et le

136 Eugene Hillman, Polygamy Reconsidered : African Plural Marriage and the

Christian Churches, New York, Orbis Books, 1975.

181
nombre d’hommes dans la société, particulièrement à la suite
des guerres. Selon lui, aux États-Unis, le nombre de femmes
dépasse de plus de 8 millions le nombre d’hommes ; la
Guinée-Conakry compte 122 femmes pour 100 hommes ; en
Tanzanie, il y a 95 hommes pour 100 femmes (p. 55). Ce
déséquilibre est accentué dans les périodes d’après-guerre ;
après la Seconde Guerre mondiale, il y avait en Allemagne
7 300 000 plus de femmes que d’hommes, dont plus de
3 millions de veuves (p. 61). On peut à cet égard et dans ce
pays rappeler un fait historique : en février 1650, après la
guerre de Trente Ans, le parlement de Nuremberg avait
permis à un homme de marier jusqu’à 10 femmes137.
Ce déséquilibre entre le nombre d’hommes et le nombre
de femmes pour le mariage, Simone de Beauvoir aussi l’avait
constaté :
« Il n’empêche que dans l’ensemble, les demandes
masculines sont inférieures aux offres féminines. »
(p. 227).
Aux États-Unis, la polygamie est largement pratiquée
chez les Mormons, branche du Protestantisme,
particulièrement à Salt Lake City, capitale de l’Utah. Ses
adeptes s’appuient sur le fait que l’Ancien Testament ne
condamne pas la polygamie, et mentionne que le roi
Salomon était polygame (1, Rois 11 : 3), de même que le roi
David (2, Samuel 5 :13). Dans le Protestantisme, Jean Calvin
était contre la polygamie, mais Martin Luther trouvait que la
polygamie n’était pas contraire aux Écritures.
Le Révérend David Gitari de l’Église anglicane, après
avoir étudié la polygamie telle que pratiquée en Afrique,
conclut que la polygamie est plus chrétienne que le divorce et
les remariages, pour ce qui concerne l’abandon des veuves et

137 Larry Jensen, A Genealogical Handbook of German Research, 1980, p. 59.

182
des enfants138. En Israël, c’est une loi civile qui interdit la
polygamie, alors qu’elle est permise par le Talmud qui la
limite à quatre épouses.
3. Polygamie clandestine
La réalité est que la polygamie de fait existe dans les pays
non-musulmans avec la seule différence qu’elle est non
avouée, la polygamie officielle faisant l’objet d’interdiction
officielle. Elle se pratique sous forme de polygamie parallèle
et de polygamie sérielle.
Un pays comme la France, pour ne citer que cet exemple,
a une tradition marquée de pratiques de polygamie parallèle
au plus haut sommet de l'État. Du temps des rois de France,
dans la période du quatorzième au dix-huitième siècle, celles
que l'on appelait des « courtisanes » étaient bien différentes
des maîtresses classiques évoluant dans la clandestinité. Elles
avaient pignon sur rue (ou plutôt sur Cour), avec un véritable
statut de coépouses : 31 pour Henri IV ; 16 pour Louis XV ;
12 pour Louis XIV. Les plus connues de ces favorites
légitimées, comme Diane de Poitiers pour Henri II, la
marquise de Montespan et la marquise de Maintenon pour
Louis XIV, la marquise de Pompadour et la comtesse du
Barry pour Louis XV, figurent parmi les célébrités de
l'histoire de France. La marquise de Montespan a eu avec le
roi Louis XIV huit enfants légitimés. Louis XVI est
pratiquement le seul reconnu dans cette lignée, à avoir vécu
en régime monogamique réel avec son épouse Marie-
Antoinette. Encore faut-il préciser que ce roi a régné durant
la période tumultueuse de la révolution (1789) peu propice à
la vie de harem de ses prédécesseurs. Sans oublier qu’il a été
guillotiné à l’âge de 39 ans.
Cette tradition de polygamie s'est perpétuée au vingtième
siècle. Le cas le plus connu a été celui du président François

138 Cité par Kilbrid, p. 126.

183
Mitterrand., avec la dame Anne Pingeot, mais dans la
clandestinité. L'idylle a commencé lorsque Mitterrand déjà
marié était âgé de 45 ans et Anne Pingeot de 18 ans. Leur
fille Mazarine est née en 1974, alors que Mitterrand âgé de
58 ans était candidat à la présidence de la république. Mais
la France ne découvre l'existence de Mazarine, « le secret le
plus gardé de la République », que vingt ans après, par le
numéro du 3 novembre 1994 de l'hebdomadaire Paris-Match.
(L’Express du 12 juillet 2007).
Deux journalistes, François-Xavier Buissonnière et
Jérôme Cordelier ont fait dans l’hebdomadaire Le Point
(numéro 1736 du 22 décembre 2005) un reportage édifiant
avec ce titre : « Double vie. Ces familles cachées : Ils sont
riches et célèbres ou pauvres et anonymes, mais ils ont un
point commun : une famille en double ou en triple ». S’y
trouvent épinglés bien des personnages du Who’s Who
(célébrités) de la société française. L’hebdomadaire Marianne
dans son numéro 629 du 8 mai 2009 publie un long article
intitulé « Sexe et politique. Ces obsédés qui nous
gouvernent ».
Le « chef étoile trois étoiles » (cuisine) Paul Bocuse, les 80
ans passés, n’a jamais fait mystère de son statut de polygame
commencé autour de la quarantaine : trois femmes, dont il se
plaît à dire : « Il y en a une pour le déjeuner, une pour le thé
et une pour le dîner… C'est ma vie, elle est faite comme ça »,
Il a eu une fille avec la première et un fils avec la seconde.
Lorsqu’éclate en mai 2010 le « scandale » de cet Algérien
résidant à Nantes en situation polygamique, on pouvait lire
dans les colonnes du Canard enchaîné :
« Sacré Brice (Hortefeux, ministre de l’Intérieur) ! Le
premier flic de France, continuant d’insister lourdement
sur le cas de Lies Hebbadj, le barbu nantais aux trois
maîtresses, a lâché cette info à « France-Soir »
(3/5/2010) : « 180 000 personnes vivent chez nous en

184
situation polygamique ». N’y aurait-il pas un problème
de comptage ? Car déjà, en additionnant les membres
du gouvernement, les parlementaires, les élus de tout poil
et de toute sensibilité, dont on sait l’appétence pour les
deuxièmes et troisièmes bureaux, et en y ajoutant tous les
Français cavaleurs de tempérament, de culture et de
tradition, ça en fait, des « personnes en situation
polygamique » ! Que fait la police ? » (Le Canard enchaîné,
numéro du 5 mai 2010).
Depuis le 1er décembre 2009, il existe dans le 14ème
arrondissement de Paris un site de rencontres
extraconjugales pour mettre en rapport des personnes
mariées, moyennant une cotisation de 500 euros pour une
période de six mois. Fin janvier 2010, le site compte 103 000
membres, dont 65 pour cent d’hommes, et 35 pour cent de
femmes. Son fondateur le présente comme une mission de
service social.
Mais la France est loin d’avoir le monopole de la
polygamie parallèle. En Angleterre, il est rapporté que le
maire travailliste de Londres, Ken Livingstone, à la veille des
élections municipales de mai 2008, révèle qu’il est le père de
cinq enfants. Soit trois enfants de plus que les deux connus
légitimes, et deux mères de plus que celle qui était publique.
Et il s’en justifie : « Je ne pense pas que quelqu'un soit choqué
par ce qui se passe entre adultes consentants ».
Une autre figure connue et abonnée à la polygamie
parallèle est l’ancien président de la fédération internationale
de l’automobile, Max Mosley. Il soutient que « Beaucoup de
gens font des choses dans leur chambre à coucher ou ont des
habitudes personnelles que d’autres peuvent trouver
répugnantes. Mais tant que cela reste privé, personne ne
trouve rien à dire » (Le Canard enchaîné, 9 avril 2008).
Les États-Unis n’ont pas été en reste, avec certains de
leurs présidents. Comme John Kennedy, et à une période
plus récente, Bill Clinton dans ses aventures avec un membre

185
de son personnel à la Maison Blanche, Monica Lewinsky. Ce
qui, à l’époque, avait défrayé la chronique.
Lorsque Jacqueline, la veuve de John Kennedy, s’est
remarié avec l’armateur et milliardaire grec Onassis, ce fut
pour le partager avec la chanteuse Maria Callas (La Callas)
qui n’était pourtant pas une épouse.
Le président élu du Paraguay en août 2008, Fernando
Lugo, a fait éclater un scandale dans le pays lorsque trois
femmes ont publiquement déclaré qu’il était le père de leur
enfant, et au moment où il était prêtre catholique romain.
Benigna Leguizamon avoue que leur relation a commencé
lorsqu’elle avait 17 ans ; elle a exigé la reconnaissance de son
fils sous peine de soumission au test ADN. Les relations ont
commencé avec Viviana Carrillo lorsque celle-ci avait 16
ans.
Lugo, après avoir longtemps nié, est finalement passé
publiquement aux aveux : « Nous pouvons avoir des
faiblesses, commettre des erreurs ou mettre de côté à un
moment donné nos convictions ». Depuis lors, il fait l’objet
de sarcasmes de toutes sortes de la part de ses adversaires
politiques de la droite : « Lugo, père de tous les
Paraguayens », « Lugo, l’étalon de la patrie »…
Il convient toutefois de préciser que l’affaire ne concerne
en aucun cas le Vatican, car Lugo avait déjà été délivré de
ses fonctions ecclésiastiques au moment de son entrée en
politique. Cependant au Paraguay, la conférence épiscopale
de l’église a sorti un communiqué pour demander pardon à
la population qui est très majoritairement catholique.
Le dernier dirigeant politique épinglé sur le terrain de la
polygamie parallèle est le Premier ministre italien Silvio
Berlusconi (il cavaliere, comme on le surnomme)139. Au début

139Il cavaliere peut être un nom signifiant « le cavalier » ; il peut aussi être
un adjectif signifiant « le hautain », « le désinvolte », « le sans-gêne » :
Berslusconi est tout cela.

186
du mois de mai 2009, il fait les choux gras de la presse de son
pays et d’ailleurs. Son épouse actuelle (en secondes noces)
demande le divorce, parce que ne pouvant plus, selon ses
propres termes, continuer à vivre avec un homme volage,
impudent, sans retenue, qui fréquente des jeunes filles
mineures. En effet, Berlusconi est connu pour ses
nombreuses aventures extra-conjugales. Une de ses
maîtresses, Mara Carfagni, ex candidate Miss Italie, à qui il
avait dit « Si je n’étais pas marié, je vous épouserais
immédiatement » a été par la suite, gratifiée d’un portefeuille
ministériel dans son gouvernement. Au centre d’une autre
affaire dans laquelle il cavaliere est impliqué, se trouve une
jeune top model de 18 ans, Noemi Letizia. Il est vrai que pour
lui, les femmes même un peu moins jeunes ne sont que de
« vieilles perruques ».
Au moment où ces lignes sont écrites (février 2011),
Berlusconi est en maille avec la justice de son pays sur
accusation de rapports avec une prostituée alors âgée de 17
ans.
Et il ne s’agit dans tout cela que des seuls cas de polygamie
clandestine révélés et amplement médiatisés. De grands
penseurs et hommes de lettres comme Rousseau, Victor
Hugo, Karl Marx… figurent en bonne place dans le registre
de la polygamie parallèle. Karl Marx par exemple, dont
l’épouse Jenny Von Westphalen était devenue de santé très
fragile, s’était résolu à entretenir avec sa domestique des
relations d’où est né un enfant. Son ami et collaborateur
Engels s’en attribue alors la paternité, pour ne pas détériorer
la santé de Jenny.
À côté de la polygamie parallèle existe la polygamie
sérielle. Elle consiste pour un homme, tout en se réclamant
de la monogamie, à aligner mariages et divorces, sans limites.
Une pratique répandue dans les milieux artistiques,
particulièrement du cinéma.

187
Le cinéaste français Roger Vadim, décédé en 2000 à l’âge
de 72 ans, s’est marié six fois. À ses obsèques, étaient
présentes sa dernière épouse et ses cinq ex-épouses, dont les
plus connues, les actrices Brigitte Bardot et Catherine
Deneuve.
Aux États-Unis, le très médiatique journaliste Larry King
de la chaîne de télévision CNN, spécialisé dans les interviews
en direct de célébrités (« Larry King Live »), en est à sa
huitième épouse au moment où il prend sa retraite fin 2010.
4. Coépouse ou maîtresse ?
Une femme non mariée ne peut-elle pas tomber
amoureuse d’un homme marié ? Lorsque cela arrive dans
une société où la polygamie officielle n’est pas reconnue, elle
est condamnée à se faire violence pour renoncer (ce qui ne va
pas de soi), ou alors se contenter du statut de maîtresse.
La femme de science la plus connue en France est
certainement Marie Curie, qui a reçu, fait rare, le Prix Nobel
de Physique en 1903 en compagnie de son époux Pierre
Curie, et le Prix Nobel de Chimie toute seule en 1911. Elle
est aussi à ce jour, la seule femme dont les cendres sont au
Panthéon.
Mais cette femme a connu au cours du dernier tiers de sa
vie privée une situation pénible. Quatre ans après la mort de
son mari en 1906 (par accident), âgée de 42 ans, elle noue
une liaison avec un autre savant, Paul Langevin, un ami de la
famille. Dans la correspondance avec son amant, elle
demande à celui-ci de divorcer pour l’épouser. « L’affaire
Langevin » éclate alors lorsque la presse à sensation en prend
connaissance. Dans la France très catholique et très puritaine
de l’époque qui sort de l’Affaire Dreyfus140, c’est un véritable

140 Alfred Dreyfus, capitaine dans l’armée française, d’origine juive, avait

été accusé de transmission de secrets militaires à l’Allemagne et

188
scandale qui attire sur Marie Curie la vindicte populaire,
d’autant plus qu’elle est d’origine polonaise : elle est la
« briseuse de ménage », la « voleuse de mari » ; même si Paul
Langevin ne l’a pas épousée. Elle a essayé de noyer son
chagrin dans des voyages en Angleterre, aux États-Unis,
jusqu’à la fin de sa vie. Une telle situation aurait-elle été
possible dans un contexte social de polygamie officielle ?
L'émission « Toute une histoire » de la chaîne de TV
France 2 du 17 octobre 2008 porte comme titre : « Je suis
fatiguée d'être l'autre femme ». L'autre femme, c'est tout
simplement la maîtresse d'un homme marié. L'animateur de
l'émission avait en fait invité tout un groupe de femmes
vivant avec le statut de maîtresses d'hommes mariés et qui
racontent leur calvaire. L'une d'elles, ayant réussi à évincer
l'épouse légitime, déclare être passée « de l'ombre à la
lumière ». Dans ce même programme d’émission, le 10 avril
2010, des femmes divorcées déclarent être devenues
maîtresses de leurs ex-maris remariés. L’une d’elles déclare :
« C’est l’horreur ! ».
En Côte d’Ivoire, ce sont des femmes intellectuelles qui
sont montées au créneau pour demander la légalisation de la
polygamie (« Débat sur la polygamie : faut-il légaliser les 2ème
bureaux ? Nord-Sud, numéro du 17/10/2009). Il a été suggéré
de s’inspirer de l’exemple sénégalais. Le Sénégal, pays à plus
de 95 pour cent de musulmans s’est doté d’un Code de la
famille qui reconnaît la polygamie. Les deux époux doivent
s’entendre sur l’option monogamie ou polygamie ; mais
lorsque l’époux signe pour le régime monogamique, la
décision est irrévocable ; il ne pourra plus devenir polygame.
D’une manière générale, pour une femme, le statut de
coépouse respectée, reconnue, jouissant de tous ses droits
avec des enfants légitimes dans le cadre d’une polygamie

emprisonné. Ce qui avait fait grand bruit à l’époque, jusqu’à sa


réhabilitation en 1906, après arrestation du coupable.

189
officielle est-il comparable avec celui de maîtresse confinée
dans la clandestinité ?
VII. HABILLEMENT DE LA FEMME
La France est le pays d’Europe et même d’Occident où le
port du voile fait particulièrement l’objet de fixation. C’est le
pays où le qualificatif « islamique » est adjoint au voile, pour
parler de « voile islamique » ; alors que dans les pays de
langue anglaise, on dit simplement head scarf (foulard de tête).
L’ethnologue Germaine Tillon a été l’une des premières à
présenter le voile islamique comme symbole de l’oppression
de la femme musulmane, à l’occasion de ses voyages d’étude
dans le Maghreb.
En fait, le voile de tête n’est qu’un aspect du hijab,
substantif du verbe arabe ha-ja-ba qui signifie « couvrir »,
« cacher ». Le dictionnaire Larousse (édition 1985) donne cette
définition du voile :
« Étoffe destinée à couvrir ou à protéger/pièce de toile,
de dentelle, de soie, etc. servant à couvrir le visage ou la
tête des femmes dans certaines circonstances/ce qui
cache, empêche de voir, porter le voile signifie pour une
femme entrer en religion. »
Cette définition recoupe tout à fait la signification du hijab
en langue arabe. Ce n'est que dans les éditions plus récentes
du dictionnaire Larousse qu'apparaît le terme « voile
islamique ». Comment se pose le problème dans la réalité ?
Dans le Coran, on peut lire :
« Ô prophète, dis à tes épouses, à tes filles et aux épouses
des croyants de ramener sur elles leur jallaba (vêtement
ample) ; c’est plus convenable pour être reconnues et
éviter d’être offensées. Allah est plein de pardon et de
compassion. » (Coran 33 : 59).
Cette recommandation est valable pour la femme qui sort
de son domicile, et touche un problème d’une grande

190
actualité, le harcèlement sexuel. Il est certain qu’une femme
dont le corps est bien couvert a bien moins de chances d’être
objet de convoitise de la part de certains hommes. Il s’agit
donc de mesure de protection, d’autant plus que le
harcèlement sexuel dont sont victimes bon nombre de
femmes dans la rue, dans les lieux de travail, est non
seulement stressant, aliénant, mais ouvre la voie bien souvent
au viol. Pour l’Égyptienne Safinaz Kazim, le hijab est un
« imperméable moral » qui permet de se dérober du « viol
visuel » par lequel certains hommes jouissent d’une femme
sans son consentement (cité par A. H. Murad : 16). Pour elle,
cette façon de s’habiller libère la femme de l’ostentation, lui
évite d’être considérée comme un simple objet de désir ; c’est
une illusion pour la femme de penser qu’elle se libère en
dénudant aux yeux de tous une grande partie de son corps.
La féministe française bien connue, Gisèle Halimi, dans
un article « La femme outragée, la consommatrice
consommée »141, mentionne cette interview d’un jeune qui
dit que :
« Si on voyait moins de femmes nues partout, il y aurait
plus de respect envers les femmes, elles se sentiraient
mieux dans leur peau. »
Comme l’exprime le dicton africain selon lequel s’il arrive
un jour que l’hyène manque de respect au lion, roi de la
forêt, c’est compte tenu de la démarche nonchalante de celui-
ci, c'est-à-dire une apparence extérieure négligée,
inhabituelle.
On peut à cet égard relater l’expérience racontée par cette
femme d’origine asiatique, vivant aux États-Unis, dans un
article au titre suggestif « Hijabed like me » (Voilée comme
moi). Certainement très jolie, elle était constamment harcelée

141 Choisir, La Cause des Femmes, numéro 90, janvier 2004.

191
dans la rue. Étant de nature sensible, elle dit qu’elle était
« effrayée », se sentait « mutilée », « molestée », « violée » :
« Ce n’est pas, dit-elle, ma féminité qui était
problématique, mais ma sexualité, ou plutôt la sexualité
que certains hommes avaient inscrite en moi, basée sur
mon sexe biologique. »
Elle pense trouver une échappatoire en se faisant couper
court les cheveux, mais en vain. Elle se résout alors à
s’habiller à la manière hijab, comme les femmes musulmanes
qu’elle voyait, et relate ainsi le résultat :
« Les gens me percevaient comme une femme
musulmane et ne me traitaient plus comme un être
sexuel avec des remarques cruelles… J’ai remarqué que
les yeux des hommes ne glissaient plus sur mon corps…
Auparavant j’étais dans la conception occidentale selon
laquelle le port du voile est oppressif… je suis arrivée à la
conclusion que cette vue est superficielle et erronée… Ce
fut l’expérience la plus libératrice de ma vie… C’est ma
sexualité que je dissimulais, non ma féminité. Le fait de
couvrir la première permettait la libération de la
seconde. » (Kathy Chin, 1994).
À l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, de plus en
plus de filles adoptent la tenue voilée, pour certaines, moins
par conviction religieuse que par souci de faire barrage au
harcèlement sexuel de leurs camarades étudiants ; ceux-ci
soit les respectent, soit les trouvent moins séduisantes.
Il convient tout de même de préciser que la façon qu’ont
certaines femmes du Moyen-Orient de s’habiller (tout en
noir, le visage couvert avec la burka) relève plutôt de leur
culture et non de préceptes islamiques. La confusion entre le
religieux et le culturel est malheureusement répandue. Il n’est
pas interdit à la femme musulmane de découvrir son visage,
ses mains et ses pieds. Ce qui est en fait demandé à la femme
musulmane et d’ailleurs à toute femme, c'est de s’habiller

192
d’une manière décente qui impose le respect. C’est dans cet
esprit que le Coran exhorte la femme à faire montre de
pudeur, de ne pas exhiber son corps, de ne pas faire de
provocation dans sa démarche (Coran, 24 : 31). Ces
exigences sont d’ailleurs moins contraignantes lorsque la
femme est en présence de personnes avec lesquelles toute
perspective de rapport sexuel est exclue (comme des proches
parents).
On trouve aussi cette préoccupation de hijab chez Simone
de Beauvoir. Dans Le Deuxième Sexe, elle relate une histoire
racontée par une femme du temps de son adolescence. Se
promenant un jour, jambes nues, en robe courte, un homme
rencontré fait une réflexion méchante sur ses gros mollets ; à
la suite de l’incident, sa mère lui fait porter des bas et allonge
sa jupe, mais elle dit n’avoir jamais oublié le choc ressenti
soudain de se voir vue, avec son corps qui lui échappe, lui
devenant étranger, saisi par autrui comme une chose. Depuis
lors, dans la rue, elle craint qu’on la suive des yeux pour
commenter son anatomie, au point qu’elle voudrait se rendre
invisible, par peur de devenir chair et peur de montrer sa
chair : « Elle vivait presque toujours dans l’obscurité tant il lui
était intolérable d’être vue ou même visible » (p. 67).
Selon Simone de Beauvoir, cette pudeur n’épargnerait
pas les femmes adultes :
« La pudeur paralyse beaucoup moins les jeunes gens
que les femmes… les seins, les fesses, sont une
prolifération singulièrement charnelle ; beaucoup de
femmes adultes supportent mal d’être vues de dos quand
elles sont vêtues. » (p. 158).
Elle évoque aussi la mode féminine d’habillement qui
transforme la femme en objet pour le voyeurisme des
hommes, avec une société qui lui demande de se transformer
en objet érotique, pour être offerte comme une proie aux
désirs mâles. Elle décrit les soirées mondaines où la femme

193
est changée en poupée de chair qui s’exhibe avec un
vêtement décolleté qui étale ses épaules, son dos, sa poitrine
comme des fleurs, déguisée ainsi pour le plaisir de tous les
mâles et l’orgueil de son propriétaire, c'est-à-dire son
compagnon de sortie (p. 392).
Effectivement, jusqu’avant la Seconde Guerre mondiale,
l’habillement de la femme occidentale avait une allure de
hijab. Ce sont les stylistes et modélistes des maisons de couture
qui ont créé la mode vestimentaire courte, ajustée. Les
femmes qui se disent libérées et critiques du hijab sont en fait
sous la coupe des faiseurs de mode qui leur imposent
périodiquement leur manière de s’habiller. Comment la
femme peut-elle revendiquer d’être traitée comme une égale
si elle adopte un style vestimentaire qui amène les hommes à
ne se focaliser que sur son corps partiellement dénudé, faisant
totalement l’impasse sur sa personnalité, ses capacités
intellectuelles et professionnelles ? Pour beaucoup de femmes
musulmanes, le voile est un bouclier, et aussi un signe
d’identité. Dans l’Iran des années 1970, des femmes se
réclamant de la laïcité portaient le voile en manifestant
contre le Chah.
En fait, dans les pays occidentaux, les hommes s’habillent
de façon tout à fait décente, avec le costume deux-pièces qui
ne laisse voir que la tête et les mains. Pourquoi alors ce
déséquilibre voulant que le corps de la femme soit un objet
d’exhibition dans la rue et dans les lieux de travail ?
Finalement, on se trouve devant ce paradoxe : la femme
voilée, c'est-à-dire qui porte un vêtement qui couvre son
corps est soumise à l’homme, et la femme qui porte un
vêtement qui la dénude est elle, libre.
En France, la loi de 2004 interdisant « le port du voile
islamique »142 a divisé les féministes. Certaines féministes

142 Officiellement, la loi interdit « le port de signes ou de tenues

manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées

194
continuent à considérer le voile comme un symbole
d’oppression, mais les féministes du courant marxiste
combattent vigoureusement cette loi. Chritine Delphy estime
qu’aucun argument rationnel n’a été avancé pour interdire le
port du voile à l’école ; une loi qui à ses yeux, est inique,
raciste, et s’inscrit dans un « aveuglement collectif ». C’est en
cette occasion qu’elle proclame son militantisme pour un
féminisme non pas contre, mais avec l’islam (Delphy 2004).
En fait, c’est tout un collectif de féministes françaises non
musulmanes « Les Blédardes » qui a combattu cette loi. Et ce
ne sont pas les arguments qui manquent. Comment peut-on
dans les écoles accepter des jeunes filles qui portent des
tenues dénudant le nombril, et refuser d’autres jeunes filles
qui se couvrent la tête ? Les adversaires de la loi antivoile
pourraient aussi se prévaloir de la Déclaration universelle des
droits de l’homme de 1948, article 18, signée en France
même, à Versailles :
« Toute personne a droit à la liberté de pensée, de
conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de
changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté
de manifester sa religion ou sa conviction seule ou en
commun, tant en public qu'en privé, par l'enseignement,
les pratiques, le culte et l'accomplissement des rites. »
C’est encore Simone de Beauvoir qui – sans rend-elle
compte ? – argumente en faveur de l’interdiction islamique
de contact physique entre un homme et une femme non
mariés ; elle fait remarquer que c’est l’ensemble du corps de
la femme qui est érogène, ce qui n'est pas sans risque lors de
certains actes comme les caresses familiales, des baisers
innocents, l’attouchement indifférent d’une couturière, d’un

publics ». Les signes visés sont « les plus ostensibles » : le voile islamique, la
kippa des garçons juifs, les grandes croix de certains chrétiens. Mais sont
tolérés « les signes discrets » comme les petits bijoux (les petites croix
portées comme pendentifs).

195
médecin, d’un coiffeur, une main amicale posée sur ses
cheveux ou sur sa nuque… (p. 77).
Les Écritures du Judéo-christianisme ont-elles une
position sur le problème de l’habillement de la femme ?
Dans le Judaïsme, les rabbins maudissent l’homme qui
laisse voir les cheveux de sa femme, et la femme qui laisse
voir ses cheveux apporte la pauvreté. Dans l’ancienne société
juive, le voile était considéré comme un signe de
respectabilité, de dignité, raison pour laquelle il était interdit
aux prostituées de le porter. Dans la société juive actuelle,
beaucoup de femmes ont tendance à substituer la perruque
au voile.
Dans le Nouveau Testament, Première Lettre de Paul à
Timothée, on peut lire :
« Je désire aussi que les femmes s’habillent d’une façon
convenable, avec modestie et simplicité ; qu’elles ne
s’ornent pas de coiffures compliquées, ou de bijoux d’or,
ou de perles ou de vêtements coûteux, mais d’œuvres
bonnes, comme il convient à des femmes qui déclarent
respecter Dieu. » (Timothée 2 : 9).
Le voile y est considéré comme le symbole de la
soumission de la femme à l’homme.
Une revisite de l’histoire de France a révélé que l’islam
n’est pas la première victime de l’interdiction vestimentaire.
Alain Weill (Affiches impertinentes, improbables, incorrectes, insolites,
Paris, Gourcuff Gradenco, 2010) nous apprend que, avant
même la loi de 1905 sur la laïcité, le maire du Kremlin
Bicêtre, Eugène Thomas, avait signé le 10 septembre 1900
un arrêté interdisant le port de la soutane sur le territoire de
la commune :
« Considérant en outre que si le costume spécial dont
s’affublent les religieux peut favoriser leur autorité sur
une partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de

196
tous les hommes raisonnables et que l’État ne doit pas
tolérer qu’une catégorie de fonctionnaires serve à amuser
les passants. » (Rapporté par Le Canard enchaîné du 5 mai
2010).
Toujours en France au dix-septième siècle, la Compagnie
du Saint-Sacrement, société secrète chrétienne qui se propose
de réformer les mœurs, fait de l’habillement décent de la
femme un de ses thèmes de prêche. C’est ainsi que forte du
soutien de la reine mère (mère de Louis XIV), Anne
d’Autriche, fervente catholique, la Compagnie fait opposition
à la pièce de Molière, Le Tartuffe, perçue comme une attaque
délibérée contre ses préceptes. Dans cette pièce (acte 3,
scène 2, vers 860-862), la feinte d’indignation du faux dévot
Tartuffe est restée célèbre :
« Couvrez ce sein que je ne saurais voir
Par de pareils objets les âmes sont blessées
Et cela fait venir de coupables pensées. »
Seulement là encore, la position de Molière sur la
condition féminine parait plutôt ambiguë. On peut voir dans
ce passage une marque d’impertinence. On peut aussi
comprendre que sur ton de raillerie, il relaie le message de la
Compagnie du Saint-Sacrement, à savoir un souci du respect
et de l’honneur de la femme, autre que la conception qui
réduit la femme à un objet sexuel, tout en la proclamant
libre, émancipée.
VIII. FEMME ET ACTIVITÉ PUBLIQUE
Le Coran ne confine pas les femmes dans les maisons, ce
qui serait une interdiction de travailler à l’extérieur, ou de
s’impliquer dans des activités publiques. L’injonction « restez
dans vos foyers » (Coran, 33 : 33) n’est adressée qu’aux seules
épouses du Prophète (psl), à qui il est dit dans un verset
précédent : « Ô femmes du Prophète, vous n’êtes
comparables à aucune autre femme… ». On peut constater

197
que lorsqu’il s’agit de recommandation adressée à toutes les
femmes musulmanes, comme c’est le cas dans la façon de
s’habiller, le Coran est très précis : « Ô Prophète, dis à tes
épouses, à tes filles et aux épouses des croyants de… ».
Le passage du Coran (sourate 27) consacré à la reine de
Saba, Balqis, n’autorise pas à dire que l’islam s’oppose à ce
qu’une femme exerce des responsabilités politiques et
administratives. Le seul aspect négatif de la souveraine dans
le récit coranique est son paganisme (culte du soleil),
d’ailleurs corrigé par le roi et prophète Souleymane,
Salomon (psl), qui l’amène au monothéisme. C’est à travers
la reine de Saba que le Coran donne cette leçon de gestion
consultative démocratique du pouvoir, lorsqu’elle s’adresse
ainsi à son entourage de dignitaires :
« Ô notables, conseillez-moi sur cette affaire ; je ne
déciderai rien sans votre présence (pour me conseiller). »
(Coran, 27 : 32).
Le droit de la femme à la propriété est formellement
reconnu par le Coran :
« Ne convoitez pas ce que Allah a attribué à certains
d’entre vous plus qu’aux autres. Aux hommes la part
qu’ils ont acquises, et aux femmes la part qu’elles ont
acquise. » (Coran, 4 : 32).
Qu’en est-il pour la fonction d’imâm revendiquée par le
féminisme islamique ? Les quatre écoles de jurisprudence
musulmane (madhhab) s’accordent pour dénier à une femme
le rôle d’imam, même si le Coran n’en fait pas mention
explicitement. Parce que l’islam c’est aussi la Sunna, et on n’a
pas connaissance d’une telle pratique du vivant du Prophète
(psl). Les figures connues de l’islam qui ont rejeté l’autorité
des madhhab pour s’en tenir uniquement à la révélation,
n’admettent pas non plus qu’une femme puisse être reconnue
comme imam. Une rare exception a été Farid Esak.

198
D'ailleurs, on peut considérer que le Coran sans l’interdire
(harâm), ne l’approuve pas implicitement, si l’on se reporte à
ces versets qui prescrivent aux croyants (Coran, 24 : 30), et
aux croyantes (Coran, 24 : 31) de baisser leur regard et de
préserver leur chasteté. Pour respecter cette prescription,
n’est-il pas plus indiqué que l’homme ne prie pas derrière la
femme, compte tenu des positions de génuflexion et de
prosternation ?
Seulement, sans pouvoir être reconnue imam, la
musulmane peut accéder aux niveaux les plus élevés de
connaissance et de responsabilité. Lorsque le Coran est
transcrit pour la première fois, c’est à une des veuves du
Prophète (psl), Hafsa, et non à un homme, que le document
est confié pour en assurer la garde. Des collèges comme la
Médresa Saqlatuniya au Caire ont été créés et gérés
entièrement par des femmes. L’Égypte a connu de grandes
érudites de l’islam comme Aicha al-Ba’uniyya, Karima al-
Marwaziyya, Bint al-Chati143...
Par contre, dans le Judaïsme, le Talmud exempte les
femmes de l’étude de la Torah (Ancien Testament). Pour les
rabbins, enseigner à sa fille la Torah, c’est comme si on lui
enseignait une obscénité. Dans le Nouveau Testament on lit
avec St Paul que les femmes qui veulent s’informer d’un
point de religion doivent le demander à leurs maris.
(Corinthiens 14 : 34-35). La femme n’a donc pas accès direct
au savoir religieux.
IX. CONTRACEPTION ET AVORTEMENT
Le contrôle des naissances est au cœur des revendications
de certains courants féministes. La Bible et le Coran ne l’ont

143 Dans la France du 16ème siècle, l’écrivain Pierre Ronsard demandait


aux femmes de s’occuper de leur maison et de leur ménage au lieu de
chercher à interpréter les évangiles (Remontrances au peuple de France, 1562,
cité par F. Baider et als. 2007).

199
pas abordé de façon explicite. Lorsque la Bible (Genèse) dit
« Soyez prolifiques, multipliez-vous » et que le Prophète
Muhammad (psl) enjoint les musulmans à se multiplier pour
renforcer leur communauté (la umma), il ne s’agit que
d’appels natalistes et non d’interdictions explicites de contrôle
des naissances. Toutes les religions révélées sont pro-
natalistes. Les positions religieuses actuelles sur la limitation
des naissances n’ont d’autres sources que les interprétations
des théologiens.
Dans le Judaïsme, le Talmud autorise le contrôle des
naissances, jusqu’à l’avortement lorsqu’il s’agit de sauver la
vie de la mère.
Dans le Christianisme, l’interdiction de l’Église date de
1930 avec le Pape Pie XI. Mais une commission papale de
1966 vient approuver le contrôle des naissances (30 voix
pour, 5 voix contre). Le pape Paul VI dès son entrée en
fonction en 1966 s’y oppose. En 1978, Jean Paul I dont le
sacerdoce n’aura duré que 33 jours se montre favorable au
contrôle des naissances. Une position remise en cause par ses
deux successeurs Jean Paul II et Benoît XVI, formellement
opposés au contrôle des naissances. L’argumentaire de
l’église est que le sexe n’a de valeur que pour la
reproduction : empêcher la reproduction, c’est faire de l’acte
sexuel un péché.
Dans le Coran, les versets qui interdisent aux parents de
tuer leurs enfants par crainte de pauvreté (Coran 6 : 151 ;
17 : 31) sont parfois interprétés par certains musulmans
orthodoxes comme ciblant le contrôle des naissances.
Pourtant, la position du Coran est bien explicitée par deux
versets qui montrent qu’il s’agit de filles déjà nées : le Coran
flétrit les pères dont « le visage s’assombrit » lorsqu’il leur est
annoncé la naissance d’une fille (Coran, 16 : 58-59). Et il est
évoqué le jour de la résurrection où des pères ayant enterré
vivantes leurs filles (pratique païenne ayant existé en Arabie)

200
sont appelés à rendre compte par leurs victimes (Coran, 81 :
8-9). Notons que dans le Judaïsme, les rabbins ont la même
attitude d’hostilité à l’égard des bébés de sexe masculin.
On ne trouve dans le Coran aucun verset qui s’oppose au
contrôle des naissances ou qui le recommande. Et dans la
Sunna, c’est-à-dire les propos et actes du Prophète (psl) qui
constituent la seconde source de l’islam ? Certains des
compagnons du Prophète (psl) lui avouaient pratiquer le coït
interrompu (al azl) qui n’est qu’une forme primaire de
contraception. Le Prophète ne l’a jamais interdit (mais
l’épouse doit y consentir), se contentant de dire que lorsque
Dieu a décrété qu’un enfant doit naître, rien ne peut s’y
opposer. Sans doute dans l’attente à cet effet d’une révélation
qui n’est jamais venue.
Il convient alors dans ce domaine, comme dans d’autres,
de faire une lecture correcte de la Charîa : elle n’a rien d’une
camisole de force ne comportant que des commandements
d’actes obligatoires (wajib), et des actes interdits (harâm). La
Charîa aménage pour ses adeptes un espace de liberté faisant
place à des actes neutres, permissifs (mubâh), des actes ni
recommandés (mandûb), ni répréhensibles (makrûh). Pourquoi
ne pas situer le contrôle des naissances dans cet espace de
liberté ?
Le Prophète a d’ailleurs été explicite sur ce point :
« Ce que Allah a rendu licite dans Son Livre est licite. Ce
qu’Il a rendu illicite est défendu. Ce sur quoi Il a gradé le
silence est une miséricorde. » (Al Hakim : 2/375,
authentifié par al-Albaanee).
Le couple musulman, du fait de difficultés d’ordre
matériel pour une bonne éducation des enfants envisage le
contrôle des naissances, peut encore s’appuyer sur ce verset
du Coran :

201
« Dieu n’impose à personne ce qui est au-dessus de ses
forces. » (Coran, 2 : 286).
Il convient toutefois de préciser que tout cela ne saurait
concerner que des couples dans les liens légitimes du
mariage. Et la contraception doit être distinguée de
l’avortement. Le problème de l’avortement ne peut se poser
que pour des raisons d’ordre médical dûment constatées par
des autorités compétentes. Dans ce cas l’avortement est
permis entre le 40ème jour et le 120ème jour après la
conception, c'est-à-dire avant que l’âme ne soit insufflée à
l’embryon.
Dans l’islam, le rapport sexuel ne se limite pas à la
reproduction ; il est un des moments sublimes de la vie du
couple. Les théologiens musulmans sont certes unanimes
pour admettre que le Coran et la Sunna ne recommandent
pas la limitation des naissances. Mais pour ce qui est de son
interdiction, les opinions sont différentes. Il n’existe pas sur ce
point de position tranchée admise par tous les musulmans.
X. VIOLENCES CONJUGALES
Sur le chapitre des violences faites aux femmes, c’est
l’islam qui est encore pointé de l’index. Il y a quelques mois,
un imam a té expulsé de France pour avoir dans un sermon,
en s’appuyant sur le Coran, soutenu qu’un mari pouvait
lever la main sur son épouse. Le problème est effectivement
abordé dans le Coran. Lorsque l’épouse a une mauvaise
conduite susceptible de mettre le ménage en péril, il est
demandé au mari de recourir successivement à quatre
mesures : d’abord la sermonner ; puis, si elle ne s’amende
pas, refuser de partager son lit ; ensuite si elle persiste, la
battre ; enfin entreprendre une procédure de conciliation par
des membres sages des deux familles afin d’éviter le divorce
(Coran, sourate 4, versets 34 et 35).

202
Le prophète (psl) a interprété le verset en enseignant que
lorsqu’un mari en arrive à battre son épouse, il doit le faire de
façon légère, sans la blesser, et surtout ne pas toucher au
visage. Mais lorsque des femmes viennent auprès de lui se
plaindre que leurs maris les battaient, le prophète (psl) très en
colère réagit en ces termes :
« Ceux qui battent leurs femmes ne sont pas les meilleurs
d’entre vous. » (Rapporté par Abou Daoud).
Il a même une fois déconseillé à une femme (Fatima bint
Qais) de se marier à un homme (Mu’awiah) qui avait la
fâcheuse réputation d’être violent envers les femmes.
La position du prophète (psl) doit être considérée comme
le dernier mot de l’islam en la matière, de par l’autorité qui
lui a été dévolue d’interpréter le Coran :
« Quiconque obéit au Messager obéit à Allah. » (Coran).
Cela dit, la violence sur les femmes est un phénomène qui
existe un peu partout dans le monde, mais avec des
différences de degré. Sans que les textes du Christianisme
puissent être incriminés, comme c’est le cas avec l’islam, la
violence aux femmes est loin d’être rare dans les pays
présentés comme garants des droits de la femme.
En France, il est estimé que 2 millions de femmes sont
victimes de violences conjugales chaque année. Il n’y a pas si
longtemps, il était constaté que le nombre de femmes tuées
par leurs conjoints était d’environ 400 chaque année, soit
plus d’une femme par jour (Droit de savoir, mars 1991). Le
nombre a régressé par la suite, mais selon un rapport récent
du gouvernement, le nombre de femmes décédées sous les
coups de leurs conjoints est passé de 137 en 2006, à 166 en
2007. Sans compter toutes celles qui ne pouvant plus
supporter les brimades finissent par se suicider. Un rapport
sur les violences conjugales commandité par le Ministère de
la Santé sur un échantillon de 7000 femmes dans la tranche

203
d’âge de 20 à 59 ans et portant sur la seule région parisienne
révèle des détails sur la façon dont des femmes ont été tuées
par leurs conjoints : 30 pour cent poignardées, 30 pour cent
abattues par arme à feu, 20 pour cent étranglées, 10 pour
cent rouées de coups jusqu'à ce que mort s'ensuive. Selon le
rapport, les coupables sont des cadres dans une proportion
de 67 pour cent, des professionnels de la santé (25 pour cent),
des membres de la police ou de l’armée.
Dans l’ensemble de l’Europe, il est établi qu’au moins une
femme est tuée chaque semaine par son conjoint (Sonia
Wolff, Agence France Presse, Strasbourg, novembre 2002).
L’ampleur du phénomène est tel qu’un grand nombre
d’associations et services d’aide aux victimes ont été crées au
niveau national comme à l’échelle européenne.
« Le crime le plus sous-estimé n’est pas la femme battue,
mais le mari battu ». Ce propos de Suzanne Steinmetz dans
un ouvrage de 1980 Derrière les portes fermées. Violence dans la
famille américaine144 attire l’attention sur l’autre côté du
problème, et qui échappe à la médiatisation. Elle estime
qu’aux États-Unis, un homme meurt tous les quatre jours des
mains de sa femme qui elle-même subissait ses violences.
Il faut dire que les données statistiques font défaut sur ce
problème des hommes battus, car la plupart des victimes ont
honte d’en faire la déclaration. Les féministes françaises,
quant à elles, ont tendance à esquiver le problème. Lorsque
Gisèle Halimi publie un article intitulé « Tortionnaire, nom
féminin » (Libération, 18 juin 2004), c’est pour uniquement
dénoncer les tortures dégradantes infligées à des prisonniers
irakiens à la prison de Abou Ghraib par des femmes de
l’armée américaine. Elle rappelle aussi les fameuses
« chiennes de Buchenwald », ces Allemandes du régime nazi
qui torturaient les Juifs. Seulement, en France aussi, la

144 Suzan Steinmetz, Behind Closed Doors. Violence in the American Family, NY,

Simon-Schuster, 1980.

204
violence sur les hommes par des femmes existe. Le chiffre de
25 hommes tués par des épouses ou des concubines a été
donné pour l’année 2006.
La violence n’a donc pas de sexe. Les couples de
lesbiennes sont en proie aux mêmes violences. La femme
angélique serait donc un mythe ?
Les violences conjugales ne se limitent pas aux agressions
physiques. Elles sont aussi d’ordre psychologique. La femme
ne se sent-elle pas atteinte dans sa féminité lorsqu’elle
s’entend dire par son conjoint « tu es moche » ? Quel est
l’homme qui n’est pas humilié dans sa virilité lorsqu’il
s’entend traiter de « débile sexuel » par son épouse ? Ce sont
là autant de témoignages d’humiliation psychologique – et il
y en a d’autres – reçus en France de la part d’hommes et de
femmes ayant décidé de rompre le mur du silence.
Ces développements ont cherché à montrer ce disent les
religions révélées sur la condition féminine. Ce sont des
points de doctrine qui ont été présentés, nonobstant les
pratiques qui peuvent avoir cours dans tel ou tel pays. Le
constat est que les préjugés, les accusations sans aucun
fondement sont légion dans ce domaine.

205
CONCLUSION

Toute cette étude a été élaborée autour de Simone de


Beauvoir. Le Deuxième Sexe est incontestablement le tronc
commun d’émergence de toutes les branches du féminisme
contemporain. Que l’on s’en réclame ou pas. Dans le
domaine du féminisme, Le Deuxième Sexe n’est pas sans
rappeler la fameuse auberge espagnole dans laquelle on
trouve un peu de tout.
Les féministes radicales peuvent s’appuyer sur ce livre
comme repère, avec ses développements sur des thèmes
comme le refus de la maternité, le discrédit porté sur le
mariage et les rapports hétérosexuels, la revendication de
l’amour libre, le lesbianisme… Tout comme elles peuvent en
critiquer certains passages qui peuvent servir de caution pour
les adeptes du port du voile par les femmes. Pour ne rien dire
de ce propos sur l’inclination naturelle de la femme pour la
monogamie, alors que la polygamie des hommes, clandestine
ou officielle, est passée sous silence.
La manière dont Simone de Beauvoir décrit le rapport
entre la femme et les travaux ménagers peut même donner
l’impression qu’il s’agit là d’une disposition psycho-
physiologique qui doit naturellement confiner la femme au
foyer. Sa description de la fragilité de la femme lors des
phases de menstruation d’abord, puis de ménopause, conduit
à la conclusion, qui est d’ailleurs la sienne, que la femme est
sujette à un handicap naturel tout au long de son existence,
dès la période de puberté. Les mâles sexistes, misogynes, et

207
autres phallocrates pourraient bien s’y appuyer pour
contester aux femmes l’accès à certaines fonctions. Il ne se
trouvera évidemment pas un seul courant de féminisme pour
cautionner une telle démarche.
Le mouvement féministe dans ses différents courants
actuels et passés est unitaire sur un même chapitre de
revendication : les droits de la femme. Les féministes du passé
(les suffragettes) demandaient le droit de vote : elles l’ont
obtenu. Les féministes contemporaines luttent pour la parité
hommes/femmes au niveau des postes de responsabilité :
elles sont en train de l’obtenir, même s’il reste encore des
espaces à conquérir.
Chaque génération a des revendications qui sont la
marque de l’époque. Avoir les mêmes droits que les hommes,
conjuguer le terme « citoyen » au genre grammatical neutre,
quoi de plus normal ? La situation de la femme ne devrait-
elle pas être posée plutôt en termes de justice qu’en termes
d’égalité ? La femme est-elle égale à l’homme, et l’homme est-
il égal à la femme ? À y regarder de près, les revendications
essentielles (droit de vote, accès à tous les postes et fonctions
de responsabilité, travail égal salaire égal, etc.) font à peu près
l’unanimité chez les femmes, qu’elles se réclament ou non du
féminisme.
L’obstacle à la réalisation de ces aspirations légitimes a
toujours eu un seul nom : injustice. C’est sur ce terrain que le
combat a été mené pour l’essentiel, non sans quelques succès.
Mary Wollstonecraft voit juste lorsque dans la dédicace de
son livre à Talleyrand, elle en appelle à la raison pour
« demander JUSTICE pour la moitié de la race humaine »
(c’est elle-même qui écrit le mot « justice » en lettres
majuscules).
Seulement, le mouvement féministe dans sa persistance à
se positionner par rapport aux hommes a laissé de côté des
pans entiers de la personnalité de la femme qui ne se posent

208
pas en termes de droits juridiques et civils. Il s’agit de la
dignité de la femme, constamment bafouée par les pratiques
mercantiles de prostitution, de nudisme, d’esclavage sexuel,
qui ne semblent malheureusement pas être au cœur des
préoccupations féministes.
Cela dit, face à un phénomène d’actualité et
incontournable comme le féminisme, que l’on soit homme
ou femme, des questions ne peuvent manquer de se poser.
Quelle position adopter ? Faut-il se ranger sur la position
radicale du « pour » ou « contre » ? Faut-il, comme on dit,
faire la part des choses, en faisant le tri pour accepter
certaines thèses féministes et en rejeter d’autres ? Tout est
question de jugement, d’opinion. Mais le préalable à toute
option réfléchie est de disposer d’informations sur le sujet.
Encore que tout ne sera pas terminé, car l’appréciation que
l’on peut se faire du féminisme peut aussi être influencée,
orientée, par des facteurs « externes ».
Le premier facteur « externe » est constitué par
l’engagement des féministes dans des causes progressistes sans
rapport direct avec leurs propres programmes.
Historiquement, le combat pour les droits de la femme a
souvent été associé avec la défense de toutes les victimes
d’oppression. Aux États-Unis, les premières féministes ont
aussi lutté pour l’abolition de l’esclavage. En France, Simone
de Beauvoir, en marge du mouvement féministe, a été de
bien d’autres combats, en compagnie de Jean Paul Sartre :
contre le racisme qu’elle assimile au sexisme ; contre
« l’Algérie française » pour l’indépendance de ce pays ;
contre la guerre menée par le gouvernement américain au
Vietnam au cours des années 1960…
Le second facteur « externe », tout à l’opposé du premier,
est constitué par l’engagement résolument antiféministe des
milieux de l’extrême droite raciste et antisémite, qui dans
certains pays, s’arrogent arbitrairement le monopole de la

209
défense de valeurs comme le travail, la famille… Ce qui ne
peut que constituer un repoussoir pour des personnes dont la
sensibilité politique est plutôt de gauche, les amenant ainsi à
sympathiser avec les thèses féministes, sans toujours faire
l’effort de les étudier sérieusement. La lucidité et le
discernement doivent donc être de mise face au féminisme,
qui loin d’être un bloc homogène, est traversé par différents
courants parfois antagonistes.
Dans le pays berceau du féminisme, la littérature féministe
s'enrichit régulièrement de nouvelles publications, comme
Mon Evasion (2008) de Benoîte Groult, Ne vous résignez jamais
(2009) de Gisèle Halimi. Des ouvrages largement
autobiographiques qui relatent des expériences de rupture
entre des modèles d'éducation de type patriarcal subie dans le
milieu familial, et une nouvelle « manière de vivre
individuellement et de lutter collectivement », librement
adoptée. Ils peuvent avoir valeur de leçons pour les plus
jeunes générations de féministes, mais au plan de la
substance, ils n'apportent rien de vraiment nouveau par
rapport au Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir.
En fait, la préoccupation de ces « anciennes
combattantes » du féminisme est de raviver la flamme du
mouvement que d’aucuns considèrent comme « passé de
mode, démobilisé, renvoyé à l’invisible » (Françoise Picq,
1993). Christine Delphy avait donné le ton avec son article
« Retrouver l’élan du féminisme » dans lequel elle alertait sur
la non-application effective de bon nombre de conquêtes
féministes rangées dans les tiroirs (Delphy, 2004). Aux États-
Unis, la journaliste Suzan Faludi dans un livre (1991) qui fit
sensation145 Coup de fouet en retour. La guerre non déclarée aux
femmes américaines s’attaque aux stéréotypes négatifs forgés
contre les femmes travailleuses présentées comme des

145 Susan Faludi, Backlash. The Undeclared War against American Women, New

York, Three Rivers Press, 2006.

210
carriéristes. En France, le terme backlash a d’ailleurs été
récupéré et francisé en « baquelache » par des féministes.
Il est vrai que le mouvement féministe a pris du plomb
dans l’aile, après l’euphorie des « années-mouvement ». Ce à
quoi est venue se greffer la « contre-offensive patriarcale »
lancée par les antiféministes de la Cause des Hommes,
adversaires résolus de ce qu’ils ont appelé « complot
féministe ». Dans cette démarche, ils sont soutenus par
d’anciennes féministes pures et dures repenties, dont les
interventions sont assimilées par celles restées gardiennes du
temple, à des confessions d’anciens staliniens. En fait, c’est
surtout le courant radical du féminisme qui est en train de
s’effilocher. Le temps n’est plus aux slogans virulents,
agressifs (« le pouvoir est lié au pénis qui pend, je pends, donc
je peux », « Lâchez tout ») ciblant les hommes, refusant le
mariage et la maternité : c’était le MLF des années 70.
Cette évolution du féminisme est très nette et est
perceptible dans certaines publications. Comme celle de
Françoise Picq qui estime que le féminisme ne peut plus
s’affirmer dans une opposition des sexes, qu’il faut au
contraire l’aborder dans la mixité avec les hommes (Picq
1993). Comme aux États-Unis, avec le best-seller de Laura
Doyle, Épouses soumises146 dont le sous-titre est tout à fait
révélateur de la démarche : Guide pratique pour attirer et épouser
l’homme qu’il vous faut. Pour l’essentiel, l’ouvrage se résume
ainsi : le secret d’un mariage réussi est simple : obéissance
absolue, y compris dans les relations sexuelles.
Malgré le succès du livre aux États-Unis, sera-ce là le
dernier mot du féminisme ?
Cela étant, féminisme en Afrique ? Pourquoi pas ? Mais
comment ? Revenons encore à Simone de Beauvoir, avec
son mot de mise en garde :

146 Laura Doyle, Surrendered Wives, New York, Touchstone, 2001.

211
« Il est ridicule de nous utiliser comme modèle ; les gens
doivent trouver leurs propres élans, leurs propres
structures. »
Les féministes africaines devraient en tenir compte,
d’autant plus que comme nous l’avons vu, elles ont de qui
tenir, sans avoir à puiser de l’extérieur les termes de référence
de leurs discours et de leurs actions. Mais c’est
malheureusement souvent le cas. Comme chacun peut le
constater, les revendications des féministes africaines ne
sortent généralement pas du cadre de revendications tracé
par les féministes européennes et américaines. Comment
peut-il d’ailleurs en être autrement, si l’on sait que la plupart
des organisations non gouvernementales féministes africaines
ne fonctionnent que sur financement extérieur ? On le dit
bien dans la sagesse africaine : lorsque quelqu’un te prête des
yeux, tu ne peux regarder que dans la direction qu’il
t’indique.
Prenons le cas de l’excision, une pratique culturelle propre
à certains groupes ethniques, et ne relevant d'aucun précepte
religieux. La récrimination contre cette pratique, dont toute
jeune fille peut vraiment se passer, est venue des féministes
occidentales qui ont sensibilisé leurs gouvernements. En
Afrique, certaines féministes et certains gouvernements n’ont
fait que prendre le train en marche pour la dénoncer et
l’interdire. La médiatisation actuellement faite autour de ce
problème autorise tout de même à poser des questions.
Comment se fait-il que l’excision ait été banalisée, même
passée sous silence pendant toute la période coloniale et
durant les quarante premières années des indépendances
africaines ? Le combat actuel contre l’excision n’aurait donc
rien à voir avec la mondialisation, dont une dimension
cardinale est l’homogénéisation des cultures sur le modèle
occidental, surtout américain ? Globalization is us, disait
l’ancien secrétaire d'État américain Kissinger (« la
mondialisation, c’est nous » !).

212
Il faut reconnaître que d’une manière générale, les
initiatives des féministes africaines sont souvent mal perçues
du côté d’un certain public, masculin comme féminin.
« Quel mandat ont-elles reçu pour parler en notre nom ? ».
Ce propos a souvent été tenu par des Africaines qui sont loin
d’être illettrées. Le titre de l'ouvrage d’Awa Thiam La parole
aux négresses est tout à fait révélateur de cette démarche
assimilatrice totalisante. N'aurait-il pas été plus juste de
l'intituler La parole à une négresse ? Combien de négresses,
même de la minorité sachant lire en français, sont
susceptibles de se reconnaître dans le discours de ce livre ?
Ce qui est frappant aussi, c’est de constater que beaucoup
d’intellectuelles africaines féministes, à la différence de la
Malienne Aminata Traoré, répugnent à s’investir dans des
créneaux de recherche pointus et techniques qui ne sont
après tout la chasse gardée de personne. Seulement, il est
plus facile de se complaire paresseusement à ressasser le
terme « genre » à longueur de carrière universitaire, de
l’accoler à tout propos, dans des discours d’une extrême
banalité. Ce qui, il faut bien le dire, ne contribue pas à
renforcer leur capacité scientifique.
D’une manière générale, les réactions en Afrique, face au
féminisme, ont été les mêmes que celles enregistrées en
Europe et en Amérique du Nord. Même si le féminisme
africain a eu la sagesse de ne pas tomber dans certaines
dérives. Il n’est pas étonnant que la minorité constituée par
les militantes du mouvement féministe et la majorité
constituée par les autres femmes se présentent comme des
ensembles relativement disjoints147. Il est clair que la
démarche extravertie des féministes africaines contribue à les
couper totalement de leurs autres sœurs.

147 En mathématiques, on dit de deux ensembles qu’ils sont disjoints

lorsqu’ils n’ont pas de point commun : leur intersection donne le vide.

213
Lorsque dans les capitales africaines des femmes luttent
pour des sièges au parlement et au gouvernement, dans les
campagnes africaines d’autres femmes réclament des
moulins, pour ne plus avoir à, au premier chant du coq, se
lever pour moudre les céréales dans des mortiers avec des
pilons ; ce qui rend leurs mains calleuses, et à la longue les
vieillit prématurément. Chacune de ces doléances est
légitime. Il se trouve simplement que les intérêts, les
préoccupations, ne sont pas les mêmes.

214
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224
ANNEXES

Rapport 2007 du Forum économique mondial


sur les inégalités de sexe

(The Global Gender Gap Report 2007, World Economic


Forum, Geneva)
Méthodologie
L’étude porte sur 128 pays, soit 90 pour cent de la
population mondiale. Quatre critères d’inégalité
hommes/femmes sont retenus :
- participation économique : niveau de rémunération,
accès aux emplois hautement qualifiés
- accès à l’éducation : de l’enseignement élémentaire à
l’enseignement supérieur
- responsabilisation politique : accès aux structures de
représentation (parlements) et aux pouvoirs de décision
- santé et espérance de vie
Légende : pour lire le tableau
Score :
0.00 signifie parfaite inégalité par rapport aux hommes.
1.0 signifie parfaite égalité par rapport aux hommes
1ère colonne : classement 2007
2ème colonne : score 2007

225
3ème colonne : classement 2006
4ème colonne : score 2006
5ème colonne : variation de score 2007 par rapport à 2006

226
Annexe 1
Indice global d’inégalité sexuelle : classements 2007 et 2006 comparés

2007 2006
Pays
Suède 1 0.8146 1 0.8133 0.0014
Norvège 2 0.8059 2 0.7994 0.0065
Finlande 3 0.8044 3 0.7958 0.0086
Islande 4 0.7836 4 0.7813 0.0023
Nouvelle Zélande 5 0.7649 7 0.7509 0.0140
Philippines 6 0.7629 6 0.7516 0.0113
Allemagne 7 0.7618 5 0.7524 0.0094
Danemark 8 0.7519 8 0.7462 0.0057
Irlande 9 0.7457 10 0.7335 0.0122
Espagne 10 0.7444 11 0.7319 0.0125
Royaume-Uni 11 0.7441 9 0.7365 0.0076
Pays-Bas 12 0.7383 12 0.7250 0.0133
Latvie 13 0.7333 19 0.7091 0.0242
Lituanie 14 0.7234 21 0.7077 0.0157
Sri Lanka 15 0.7230 13 0.7199 0.0031
Croatie 16 0.7210 16 0.7145 0.0066
Australie 17 0.7204 15 0.7163 0.0040
Canada 18 0.7198 14 0.7165 0.0034
Belgique 19 0.7198 20 0.7078 0.0120
Afrique Sud 20 0.7194 18 0.7125 0.0069
Moldavie 21 0.7172 17 0.7128 0.0044
Cuba* 22 0.7169 n/a n/a n/a
Biélorussie* 23 0.7113 n/a n/a n/a
Colombie 24 0.7090 22 0.7049 0.0041
Bulgarie 25 0.7085 37 0.6870 0.0215
Lesotho 26 0.7078 43 0.6807 0.0271
Autriche 27 0.7060 27 0.6986 0.0074
Costa Rica 28 0.7014 30 0.6936 0.0078
Namibie 29 0.7012 38 0.6864 0.0147
Estonie 30 0.7008 29 0.6944 0.0064
États-Unis 31 0.7002 23 0.7042 -0.0039
Kazakhstan 32 0.6983 32 0.6928 0.0054
Argentina 33 0.6982 41 0.6829 0.0153
Tanzanie 34 0.6969 24 0.7038 -0.0069
Macédoine, FYR 35 0.6967 28 0.6983 -0.0015
Israël 36 0.6965 35 0.6889 0.0076
Portugal 37 0.6959 33 0.6922 0.0037
Panama 38 0.6954 31 0.6935 0.0019
Jamaïque 39 0.6925 25 0.7014 -0.0089
Suisse 40 0.6924 26 0.6997 -0.0073
Ouzbékistan 41 0.6921 36 0.6886 0.0035
Vietnam* 42 0.6889 n/a n/a n/a
Mozambique* 43 0.6883 n/a n/a n/a
Équateur 44 0.6881 82 0.6433 0.0448
Russie 45 0.6866 49 0.6770 0.0096
Trinidad Tobago 46 0.6859 45 0.6797 0.0062
Roumanie 47 0.6859 46 0.6797 0.0062
El Salvador 48 0.6853 39 0.6837 0.0016
Slovénie 49 0.6842 51 0.6745 0.0097
Ouganda 50 0.6833 47 0.6797 0.0036
France 51 0.6824 70 0.6520 0.0303
Thaïlande 52 0.6815 40 0.6831 -0.0016
Botswana 53 0.6797 34 0.6897 -0.0100
Rep. Slovaque 54 0.6797 50 0.6757 0.0040
Venezuela 55 0.6797 57 0.6664 0.0133
Suriname* 56 0.6794 n/a n/a n/a
Ukraine 57 0.6790 48 0.6797 -0.0006
Luxembourg 58 0.6786 56 0.6671 0.0115
Azerbaïdjan* 59 0.6781 n/a n/a n/a
Pologne 60 0.6756 44 0.6802 -0.0046
Hongrie 61 0.6731 55 0.6698 0.0033
Mongolie 62 0.6731 42 0.6821 -0.0090
Ghana 63 0.6725 58 0.6653 0.0072
Rep. Tchèque 64 0.6718 53 0.6712 0.0006
Rep. Dominicaine 65 0.6705 59 0.6639 0.0065
Albanie 66 0.6685 61 0.6607 0.0078
Georgie 67 0.6665 54 0.6700 -0.0035
Honduras 68 0.6661 74 0.6483 0.0178
Paraguay 69 0.6659 64 0.6556 0.0103
Rep. Kyrgyz 70 0.6653 52 0.6742 -0.0088
Arménie* 71 0.6651 n/a n/a n/a
Grèce 72 0.6648 69 0.6540 0.0107
Chine 73 0.6643 63 0.6561 0.0082
Brésil 74 0.6637 67 0.6543 0.0094
Pérou 75 0.6624 60 0.6619 0.0005
Malte 76 0.6615 71 0.6518 0.0097
Singapour 77 0.6609 65 0.6550 0.0059
Uruguay 78 0.6608 66 0.6549 0.0058
Tadjikistan* 79 0.6578 n/a n/a n/a
Bolivie 80 0.6574 87 0.6335 0.0239
Indonésie 81 0.6550 68 0.6541 0.0009
Chypre 82 0.6522 83 0.6430 0.0092
Kenya 83 0.6508 73 0.6486 0.0023
Italie 84 0.6498 77 0.6456 0.0042
Maurice 85 0.6487 88 0.6328 0.0160
Chili 86 0.6482 78 0.6455 0.0027
Malawi 87 0.6480 81 0.6437 0.0044
Zimbabwe 88 0.6464 76 0.6461 0.0004
Madagascar 89 0.6461 84 0.6385 0.0076
Nicaragua 90 0.6458 62 0.6566 -0.0108
Japon 91 0.6455 80 0.6447 0.0008
Malaisie 92 0.6444 72 0.6509 -0.0065
Mexique 93 0.6441 75 0.6462 -0.0021
Belize* 94 0.6426 n/a n/a n/a
Gambie 95 0.6421 79 0.6448 -0.0027
Koweït 96 0.6409 86 0.6341 0.0068
Corée Sud 97 0.6409 92 0.6157 0.0251
Cambodge 98 0.6353 89 0.6291 0.0062
Maldives* 99 0.6350 n/a n/a n/a
Bangladesh 100 0.6314 91 0.6270 0.0044
Zambie 101 0.6288 85 0.6360 -0.0071
Tunisie 102 0.6283 90 0.6288 -0.0006
Syrie* 103 0.6216 n/a n/a n/a
Jordanie 104 0.6203 93 0.6109 0.0094
United Arab 105 0.6184 101 0.5919 0.0265
Emirates
Guatemala 106 0.6144 95 0.6067 0.0077
Nigeria 107 0.6122 94 0.6104 0.0018
Algérie 108 0.6068 97 0.6018 0.0050
Qatar* 109 0.6041 n/a n/a n/a
Angola 110 0.6034 96 0.6039 -0.0005
Mauritanie 111 0.6022 106 0.5835 0.0187
Mali 112 0.6019 99 0.5996 0.0022
Éthiopie 113 0.5991 100 0.5946 0.0045
Inde 114 0.5936 98 0.6011 -0.0075
Bahreïn 115 0.5931 102 0.5894 0.0037
Cameroun 116 0.5919 103 0.5865 0.0053
Burkina Faso 117 0.5912 104 0.5854 0.0059
Iran 118 0.5903 108 0.5803 0.0101
Oman* 119 0.5903 n/a n/a n/a
Égypte 120 0.5809 109 0.5786 0.0023
Turquie 121 0.5768 105 0.5850 -0.0082
Maroc 122 0.5676 107 0.5827 -0.0151
Bénin 123 0.5656 110 0.5780 -0.0123
Arabie Saoudite 124 0.5647 114 0.5242 0.0405
Népal 125 0.5575 111 0.5478 0.0097
Pakistan 126 0.5509 112 0.5434 0.0075
Tchad 127 0.5381 113 0.5247 0.0134
Yémen 128 0.4510 115 0.4595 -0.0085
Annexe 2

Évolution générale des scores de quelques pays

Pays Indice Indice Indice GG Indice Indice Indice Indice Différence


global global global index global global global global (score 2007
2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 score-2000)
Australie 0.6737 0.6823 0.6942 0.7078 0.7137 0.7125 0.7163 0.7204 0.0467
Bangladesh 0.5963 0.6082 0.6133 0.6096 0.6203 0.6183 0.6270 0.6314 0.0352
Belgique 0.6414 0.6432 0.6646 0.6719 0.6838 0.6862 0.7078 0.7198 0.0784
Canada 0.6882 0.6887 0.7070 0.7062 0.7112 0.7128 0.7165 0.7198 0.0316
Chili 0.6180 0.6233 0.6451 0.6443 0.6452 0.6448 0.6455 0.6482 0.0302
Colombie 0.6656 0.6700 0.7215 0.7236 0.7184 0.7181 0.7049 0.7090 0.0434
Costa Rica 0.6246 0.6282 0.6589 0.6497 0.6705 0.6868 0.6936 0.7014 0.0768
Croatie 0.6660 0.6666 0.6724 0.6884 0.6980 0.6882 0.7145 0.7210 0.0551
Rep. Tchèque 0.6670 0.6663 0.6670 0.7037 0.6586 0.6649 0.6712 0.6718 0.0048
Danemark 0.7007 0.7114 0.7609 0.7616 0.7666 0.7709 0.7462 0.7519 0.0513
El Salvador 0.6336 0.6341 0.6382 0.6315 0.6409 0.6387 0.6837 0.6853 0.0516
Finlande 0.7240 0.7246 0.7672 0.7699 0.7731 0.7754 0.7958 0.8044 0.0804
Grèce 0.6212 0.6234 0.6274 0.6315 0.6400 0.6449 0.6540 0.6648 0.0435
Hongrie 0.6697 0.6644 0.6982 0.6993 0.6878 0.6869 0.6698 0.6731 0.0034
Islande 0.7632 0.7633 0.7871 0.7890 0.7870 0.7903 0.7813 0.7836 0.0204
Irlande 0.6798 0.6850 0.6918 0.6888 0.7031 0.7105 0.7335 0.7457 0.0659
Israël 0.6657 0.6668 0.6708 0.6715 0.6758 0.6713 0.6889 0.6965 0.0307
Italie 0.6147 0.6160 0.6262 0.6279 0.6398 0.6391 0.6456 0.6498 0.0351
Japon 0.6005 0.6007 0.6047 0.6097 0.6224 0.6280 0.6447 0.6455 0.0450
Corée Sud, 0.5645 0.5637 0.5773 0.6019 0.5916 0.5898 0.6157 0.6409 0.0764
Latvie 0.6853 0.6976 0.6983 0.6984 0.6996 0.6986 0.7091 0.7333 0.0480
Lituanie 0.6984 0.7018 0.7131 0.7111 0.6927 0.6973 0.7077 0.7234 0.0249
Malaisie 0.6184 0.6171 0.6219 0.6252 0.6131 0.6401 0.6509 0.6444 0.0260
Mexique 0.6123 0.6172 0.6235 0.6212 0.6310 0.6309 0.6462 0.6441 0.0318
Pays-Bas 0.6737 0.6862 0.7045 0.7074 0.7093 0.7167 0.7250 0.7383 0.0645
Nouvelle 0.7213 0.7246 0.7651 0.7890 0.7614 0.7715 0.7509 0.7649 0.0437
Zélande
Norvège 0.7581 0.7596 0.7728 0.7763 0.7859 0.7842 0.7994 0.8059 0.0478
Panama 0.6402 0.6412 0.6570 0.6636 0.6784 0.6793 0.6935 0.6954 0.0551
Pologne 0.6784 0.6778 0.6870 0.6883 0.6841 0.6787 0.6802 0.6756 -0.0028
Portugal 0.6609 0.6619 0.6721 0.6659 0.6726 0.6763 0.6922 0.6959 0.0351
Roumanie 0.6616 0.6617 0.6751 0.6833 0.6818 0.6821 0.6797 0.6859 0.0244
Rep. Slovaque 0.6845 0.6822 0.6850 0.6860 0.6791 0.6855 0.6757 0.6797 -0.0048
Slovénie 0.6701 0.6751 0.6799 0.6783 0.6796 0.6771 0.6745 0.6842 0.0141
Espagne 0.6518 0.6544 0.6575 0.6672 0.6734 0.6727 0.7319 0.7444 0.0926
Suède 0.7424 0.7505 0.7933 0.7982 0.7891 0.8031 0.8133 0.8146 0.0723
Suisse 0.6356 0.6398 0.6647 0.6717 0.6785 0.7016 0.6997 0.6924 0.0567
Trinidad 0.6600 0.6598 0.6644 0.6633 0.6726 0.6740 0.6797 0.6859 0.0260
Tobago
Turquie 0.5350 0.5456 0.5472 0.5447 0.5808 0.5711 0.5850 0.5768 0.0418
Royaume-Uni 0.7222 0.7224 0.7371 0.7614 0.7362 0.7402 0.7365 0.7441 0.0219
TABLE DES MATIÈRES

Petit Lexique ............................................................................. 7


Introduction .............................................................................. 9

Chapitre premier
Le mouvement féministe dans l’histoire ............................... 13
I. Guerre déclarée aux femmes ............................................. 13
II. Premières féministes et résistances ................................... 18
III. Des hommes dans le combat féministe .......................... 24

Chapitre II
La référence : simone de beauvoir (1908-1986)
le deuxième sexe, tel quel....................................................... 27
I. La femme, « l’Autre, cette inconnue » .............................. 27
II. Féminité ............................................................................. 32
III. Fragilité de la femme ....................................................... 33
IV. Rapports hétérosexuels ................................................... 35
V. Lesbianisme ....................................................................... 36
VI. Mariage, prostitution ....................................................... 37
VII. Maternité ........................................................................ 39
VIII. Indépendance de la femme, travaux ménagers .......... 40
IX. Religion ............................................................................ 41

Chapitre III
Autour du deuxième sexe ...................................................... 43
I. Racines théoriques du féminisme de Simone
de Beauvoir ............................................................................. 44

239
II. Simone de Beauvoir contre Simone de Beauvoir ........... 47
III. Contre Simone de Beauvoir : Réactions hostiles
au livre..................................................................................... 50
IV. Simone de Beauvoir sur les féministes............................ 53
V. Simone de Beauvoir et le mouvement féministe ............. 56

Chapitre IV
Courants modérés de féminisme ........................................... 63
I. Féminisme libéral................................................................ 63
II. Féminisme socialo-marxiste.............................................. 67
III. Féminisme végétarien, Ecoféminisme ............................ 70
IV. Féminisme afro-américain .............................................. 71
V. Féminisme islamique ........................................................ 74

Chapitre V
Féminisme radical .................................................................. 79
I. La méthodologie ................................................................. 79
1. L’argumentaire « genre » ............................................. 79
2. Démarche de déconstruction ....................................... 81
3. Le marxisme en contribution ....................................... 83
4. Du côté de l’anthropologie ........................................... 86
II. Féminisme radical et lesbianisme ..................................... 88
III. Féminisme amazone ........................................................ 93

Chapitre VI
Le mouvement féministe dans la critique ............................. 95
I. Féministes contre féministes ............................................... 95
II. Femmes contre féminismes............................................. 100
III. Antisémitisme et féminisme .......................................... 105
IV. L’argumentaire « genre » face à la science .................. 106

Chapitre VII
Note africaine ....................................................................... 115
I. Féminisme importé ? ........................................................ 115
II. L’histoire revisitée : héroïnes africaines.......................... 124

240
Chapitre VIII
Conquêtes féminines, où en est-on ? ................................... 133
I. Des revendications satisfaites ........................................... 133
II. Problèmes féminins non vraiment posés........................ 138
III. Sexisme dans les sciences sociales ? .............................. 144

Chapitre IX
Querelles autour de la langue française :
féminisme linguistique ? ....................................................... 149
I. Le problème de la féminisation des noms ....................... 149
II. La féminisation défendue................................................ 150
III. Haro sur la féminisation ................................................ 153

Chapitre X
Religions et condition féminine la bible, le coran
et la femme ........................................................................... 159
I. Statut de la femme ............................................................ 159
II. Témoignage ..................................................................... 167
III. Héritage .......................................................................... 169
IV. Mariage .......................................................................... 171
V. Divorce ............................................................................ 175
VI. Polygamie ....................................................................... 177
1. Haro sur la polygamie ................................................ 177
2. La polygamie défendue .............................................. 178
3. Polygamie clandestine................................................. 183
4. Coépouse ou maîtresse ?............................................. 188
VII. Habillement de la femme ............................................ 190
VIII. Femme et activité publique ........................................ 197
IX. Contraception et avortement........................................ 199
X. Violences conjugales ....................................................... 202

Conclusion ............................................................................ 207


Références............................................................................. 215
Annexes................................................................................. 225

241
L'HARMATTAN, ITALIA
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Könyvesbolt ; Kossuth L. u. 14-16
1053 Budapest

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L’HARMATTAN MAURITANIE
Espace El Kettab du livre francophone
N° 472 avenue Palais des Congrès, BP 316 Nouakchott
(00222) 63 25 980

L’HARMATTAN CAMEROUN
Immeuble Olympia face à la Camair
BP 11486 Yaoundé
(237) 458.67.00/976.61.66
harmattancam@yahoo.fr

L’HARMATTAN SÉNÉGAL
« Villa Rose », rue de Diourbel X G, Point E
BP 45034 Dakar FANN
(00221) 33 825 98 58 / 77 242 25 08
senharmattan@gmail.com

L’HARMATTAN MALI
Rue de Leipzig, face au Palais de la culture,
Porte 203, Badalabougou, Bamako
00 223 20 22 57 24 / 00 223 76 37 80 82
pp.harmattan@gmail.com
Achevé d’imprimer par Corlet Numérique - 14110 Condé-sur-Noireau
N° d’Imprimeur: 84738 - Dépôt légal: janvier 2012 - Imprimé en France

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