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Bonjour

Voici les réponses:

Salut Marc, pour nos lecteurs et lectrices qui ne seraient pas familiers de la scène
post punk, k7 et mail art des années 1980, peux-tu resituer un peu l’ambiance de
cette période, les liens entre art et musique, l’esthétique Xerox et popularisation du
home studio?

J'ai fondé Etant Donnés avec mon frère Eric en 1977, à cette époque nous étions
totalement isolés, nous n'arrivions pas à trouver de salles prêtes à nous faire jouer et
aucun label n'étaient intéressés par notre musique jusqu’en 1980. Je travaillais avec
un matériel minimaliste, un magnétophone à bande stéréo, un magnétophone à  K7
portable mono, un micro, une basse, une guitare et un ampli qui avait une sorte de
boite à rythme minimaliste incorporé. J'ai arrêté de me servir des vrais instruments
dès 1979 pour me consacrer qu'aux sons naturels de la rue, des usines, de la nature
etc. , je les transformais avec des manipulations de magnétophones, en découpant
et collant en boucles mes bandes et j’ajoutais des voix .
Je prenais plus de six mois pour faire chaque titre réalisant les accélérations,
ralentissements, découpages et montage des sons afin de créer des sortes de
symphonies bruitistes seconde par seconde , sans table de mixage, ordinateur,
sampler mais uniquement avec un magnétophone Philips deux pistes , une paire de
ciseaux et de la colle.
En 1980 nous avons réussi à avoir la possibilité de faire notre premier concert dans
une salle mise à notre disposition gratuitement au centre de la cité de La Villeneuve
à Grenoble.
Nous avions collé des affiches dans toute la ville, préparé une caisse avec de la
monnaie mais aucun spectateur n’est venu, nous avons donc réalisé notre concert
devant un ami qui nous avait aidé à transporter notre matériel et la petite amie de
mon frère. Je me rappelle m’être donné des coups de tête sur le sol pendant un titre
ou me frapper violement au visage avec mon frère, pris dans l’exaltation de cette
première représentation.
Le son et nos cris étaient tellement forts que des habitants de la cité sont venus au
bout de quelques minutes pour nous menacer violemment et essayer de nous
mettre dehors.
Nous nous sommes enfermés dans la salle, avons coupé le son , éteint la lumière et
attendus longuement dans le noir le moment propice pour nous enfuir .
Le deuxième concert a eu lieu la même année dans une petite salle du centre ville
que nous avions loué, nous avions décidé de fabriquer et coller sur les murs de la
ville et des bâtiments publics de longues affiches horizontales de 5 à 10 mètres
avec du papier qui servait aux premiers ordinateurs.
Nous avions écris à la bombe de peintures des formules ridicules du type « musique
nouvelle », « musique expérimentale », « musique after punk », « musique
industrielle »,, «  musique no wave », « musique bruitiste », « musique new wave »
pour essayer d’attirer le plus de spectateurs possible.
Nous avions réussi à avoir une quarantaine de spectateurs dont une vingtaine
étaient des sdf rencontrés dans un parc deux heures avant le concert que nous
avions invités gratuitement.
Le concert fut plus long que le premier, très puissant et violent, nous nous sommes
battus avec le public. Eric et moi étions très influencés par Antonin Arthaud et son
« Théâtre de la Cruauté » , cette violence était à nos yeux une forme de
représentation scénique nouvelle , la plus proche et respectueuse de la pensée
d’Antonin Artaud mais aussi de notre propre vision d’une mise en scène sous la
forme d’un rituel Dionysiaque.
Nous avions dès le départ l’envie de rendre les spectateurs aveugles et sourds pour
mieux les faire entrer dans l’âme de notre spectacle, le public devait passer à
travers cette frontière d’un son surpuissant et de lumières dirigées dans leur yeux .
Cette première déstabilisation produite nous entrions ensuite directement dans une
confrontation physique violente, un moment de panique et de folie générale afin de
les frapper directement au cœur, les toucher par la voie de l’esprit, trouver dans un
au- delà de la violence une forme de communion amoureuse.
Les sdf présents ont étés les seuls à applaudir , un d’eux déclara «  j’aurais aimé
que ce concert dure 24 heures ».

Pour répondre plus précisément à tes questions je dois te dire que je ne sais pas
vraiment ce que veut dire « alter punk », les noms et classifications de genres ne
m’intéressent pas. Je ne me suis jamais reconnu dans un genre défini, beaucoup
ont classé Etant Donnés dans la musique industrielle mais ce terme ne peut pas
résumer ma musique crée principalement avec des sons d’oiseaux, d’insectes, de
rivières ou d’orage. Le mail art n’a jamais fait partie de mes travaux et ne
m’intéressait pas .Les K7 étaient le format le plus simple pour envoyer des titres à
un label ou réaliser un master mais je n’ai jamais était intéressé par une « culture
K7 » ou une fétichisation de ce format.
L’esthétique Xerox ne m’a jamais intéressé, nous réalisions à l’époque des affiches
ou des travaux avec des photos et lettrages à la main pour des magazines mais
sans utiliser de photocopies.
J’ai d’ailleurs été très en colère le jour où j’ai reçu le disque de Etant Donnés
« Aurore » et que je me suis aperçu que l’image du verso était une photocopie
couleur de notre image d’origine, volontairement transformée par le designer du
label Touch.
Je ne sais rien sur la popularisation du home studio, je travaille sur ma musique
depuis l’âge de 14 ans chez moi avec un matériel très sommaire et bon marché mais
je ne suis pas intéressé par la problématique du home studio.

Étant Donnés à sorti pas mal d’albums sur Bain Total, énigmatique label basé à
bourg en Bresse qui semble tourner autour de Die Form, duo électronique
expérimental assez goth, mais a aussi publié les premiers albums psycho/ psyché de
Lucas Trouble. Quelles étaient vos relations?

En 1980 et 1981 nous avons joué à L’ENTPE de Vaulx -en -velin en première partie
de Tuxedomoon et de Soft Cell. Emmanuel de Buretel (futur président de Virgin
Europe, EMI Europe et Because) s’occupait à cette époque de la programmation de
cette salle, il était étudiant dans cette école d’ingénieurs.
Nous avions été présentés la première fois en tant que groupe de San Francisco,
nos cris étant sans paroles donc sans langue, l’organisateur s’était dit qu’un groupe
obscur de San Francisco était plus attractif qu’un groupe obscur de Grenoble.
Nous avions amené avec nous un ami de classe car j’étais lycéen à cette époque, Il
était éxtremement fort, nous l’avions ligoté avec des chaines et le retenions pendant
quelques minutes avec une corde. Nous avions fermés un mur métallique qui
obturait la scène et dès l’ouverture de celui-ci nous avons jailli sur scène avec des
bâtons pour frapper sur des plaques de métal et de grosses pierres placées en bord
de scène, tous ces éléments explosaient au visage du public. Au moment où nous
avons commencé à attaquer le public à coup de bâtons nous avons lancé mon ami
dans la foule, se débattant en poussant des cris effroyables. Le public était terrorisé,
le service d’ordre désorienté protégeait le public de nos assauts.
C’était un moment extraordinaire. C’est lors de ce concert ou de celui qui a suivit à
l’ENTPE que Philippe Fichot nous a vu et a été séduit par la performance et la
musique, nous proposant de sortir celle-ci sur K7 sur son label dès 1981.
Nous ne le connaissons pas avant cela et sommes immédiatement devenus amis , il
a sorti les 6 premiers albums sur K7 d’ Etant Donnés.
Nous allions assez souvent le voir à Bourg en Bresse pour mettre au point nos
pochettes, travailler sur nos albums et passer du bon temps ensemble.
Nous avons aussi réalisé plusieurs concerts ensemble et un cd split album avec Die
Form chez Danceteria en 1992.

Vous faisiez des concerts à cette époque? Est-ce que c’est ça qui t’a amené à
rencontrer les new yorkais où est-ce que c’est plutôt les fanzines et compilations
cassette qui transitaient sous le manteau en Europe?

En 1989 j’ai fait un concert d’Etant Donnés avec mon frère à la Kitchen de New York
suivit d’un concert à Boston avec Sleep Chamber et un autre concert à Pittsburg .
Le lendemain de notre concert à New York, nous sommes tombés par hasard sur
Martin Rev en traversant un passage piéton, nous avons échangé ensemble puis
nous sommes envoyés des lettres, des livres et sommes devenus amis. En 1990 j’ai
rencontré Alan Vega en Suède , le lendemain d’un concert d’ Etant donnés à
Göteborg, il jouait devant une trentaine de spectateurs comme si il s’agissait de trois
milles, nous l’avons rencontré en backstage et lui avons donné un exemplaire de
notre album « Aurore » . Un an plus tard il nous proposa de faire une collaboration
ensemble ayant adoré « Aurore », je me suis mis au travail et réalisé les 4 titres avec
Alan Vega dont une reprise de « Ghost rider » qui figurent sur le disque d’Etant
Donnés « Re-Up » aux coté de Genesis P .Orridge, Lydia lunch , Mark Cunningham
(Mars) et Bachir Attar (Jajouka).
Tous les gens avec qui j’ai travaillé comme Alan Vega, Lydia Lunch, Genesis
P.Orridge, Michael Gira, Gabi Delgado, Z'EV, Mark Cunningham, Bachir Attar,
Christophe, John Duncan , Craig Walker, Saba Komossa ou des cinéastes comme
Philippe Grandrieux , Mathieu Dufois, Jessica Hausner ou Pierre Luc Vaillancourt
sont tous des artistes que j’ai rencontré par hasard sur ma route lors de concerts ou
de projections de mes films, je ‘ai jamais fait la démarche d’aller chercher un artiste
pour lui demander de travailler ensemble, cela s’est toujours fait très naturellement
sans plans préparés.
Ce sont avant tout des amis, je ne peux pas travailler avec quelqu’un avec qui je me
sent pas proche, que j’admire et avec qui un lien d’amitié s’est crée.

L’album que tu as sorti avec Vega est sûrement son plus technoide et ton plus pop,
bien qu’il verse allègrement dans la saturation. Ou a eu lieu cet enregistrement et
quelle est sa petite histoire ?
J'ai mis 4 ans pour faire les 4 titres d'Alan Vega de « Re-Up », sorti en 1999 avec
uniquement des sons de moto et une boite à rythme. C'est lui qui a été le
déclencheur de l'album « Re-Up » d'Etant Donnés
Alan Vega tout comme les autres artistes présents sur « Re-Up » avaient nourri ma
jeunesse, j'ai essayé sur cet album de produire une musique qui soit en symbiose
avec leurs galaxies.
En 1998 je me suis rendu à New York avec ma copine pour enregistrer les voix de
l’album « Re-Up » , cela se passa au studio 6/8 de Perkin Barnes qui a travaillé avec
Alan Vega pendant de nombreuses années.
L'enregistrement avec Alan Vega a été un moment inoubliable, quand il est arrivé il a
fumé une cigarette ou deux, a plaisanté avec moi, puis a demandé à Perkin Barnes
de démarrer l'enregistrement en laissant les 4 pistes jouer sans pause afin
d'enregistrer ces 4 chansons d'un coup.
Je lui ai fait remarquer que dans le titre « Brutal Piss Rods » sa voix devait être très
tendue et très spatiale dans ma nouvelle version de « Ghost Rider » de Suicide. Il a
souri en me serrant le bras puis il m'a dit qu'il aimait beaucoup les titres mais qu'il ne
les avait écoutés qu'une fois deux mois avant cet enregistrement, il ne connaissait
pas du tout l'ordre des titres et leurs durées.
La musique commença, puis il alla s'asseoir tranquillement, sortit de sa poche un
paquet de biscuits, un paquet de cigarettes, puis des tas de petits papiers, parfois
avec des dessins, qu'il posa tout autour de lui sur le sol.
Quand il s'est mis à chanter, c'était comme un éclair qui frappait le ciel par surprise,
la musique tournait depuis un moment et rien ne pouvait signaler dans son air ultra
détendu qu'il allait attaquer la chanson comme un lion qui bondit sur une gazelle,
avec une précision millimétrique avec le tempo de la musique.
Il continua à chanter cherchant d'une main les paroles de ses chansons parmi des
dizaines de papiers par terre, mangeant ses gâteaux de l'autre, toussant ou
s'étouffant parfois avec ceux-ci , fumant, riant, buvant, se levant, se rasseyant, il
terminait chaque morceau avec des cris qui tombaient exactement à la fin des titres
comme s'il les avait chronométrés alors que c'était entièrement improvisé et bien sûr
enregistré en une seule fois. A la fin il est venu me rassurer avec un grand sourire
car il a deviné en moi une forme d'inquiétude face au chaos apparent dans lequel
l'enregistrement se réalisait.
Ce jour-là, j'ai réalisé l'incroyable génie d'Alan Vega qui enregistrait sa voix de la
manière la plus libre possible, s'abandonnant entièrement qu'à son instinct magique.
Tout était absolument parfait, il n'y avait rien à couper, ni à déplacer, ni à refaire, je
venais d'assister à un moment de pure magie.
Suite à cette collaboration Etant Donnés a souvent joué ensemble sur scène avec
Alan Vega puis en 2009 je me suis rendu à Lyon afin de faire un film avec Alan Vega
consacré à ses sculptures, dessins et peintures.
C’est à ce moment que nous avons décidé de réaliser un album entier ensemble,
sous nos deux noms.
J’ai réalisé les 13 titres de «  Sniper » en 2010 dans une sorte d’urgence créative
incroyable comme emporté par la vague gigantesque de bonheur que m’apportait le
fait de réaliser un album entier avec Alan Vega.
Je ne me suis pas rendu à New York pour « Sniper « car Alan m’avait précisé qu’il
prendrait juste une nuit pour enregistrer toutes ses voix, comme d’habitude en une
seule prise et qu’il se sentait mieux seul en studio pour enregistrer sa voix .
J’ai tout mixer chez moi puis me suis rendu en studio pour masteriser l’album qui est
sorti en 2011.
J’adore cet album, nous l’avons souvent joué ensemble sur scène en Europe,
invitant à chaque fois que je jouais à Paris le chanteur Christophe pour chanter avec
nous un titre ensemble.
 Je suis fière d’ailleurs d’être à l’origine de la première collaboration sur scène de
Alan Vega et Christophe, c’était en 2004 lors du concert « Blind speed » au centre
Beaubourg puis au festival IDEAL à Nantes avec Alan Vega, Christophe et Etant
Donnés.
J’ai réalisé avec Christophe Van Huffel et Christophe une nouvelle version du titre
« Saturn drive duplex » qui figurait sur « Sniper » , le titre s’appelle « Tangerine  et
figure sur l’album «  Les vestiges du chaos » de Christophe sorti  en 2016.
Ce titre était à l’origine un titre de Alan Vega qui s’appelait « Saturn drive » sorti en
1983, 40 ans plus tard, en 2023 il en existe 9 versions réalisées par plusieurs
grands artistes. Lorsque Alan Vega avait enregistré la voix de «  Saturn Drive
Duplex » , il m'avait dit, "Cette chanson aura une grande vie, crois moi " et c’est le
cas …

Enfin le classique : ces morceaux à se reapproprier avec Lydia, d’où vient l’idée? Et
Martin Rev dans tout ça?

Lydia Lunch chantait déjà un duo avec Alan Vega sur l’album « Sniper » qui s’appelle
«  Prison Sacrifice » . Nous avons ensuite réalisé ensemble l’album « My Lover The
killer » en 2016 puis un film du même nom en 2020.
Le projet de jouer ensemble des titres d’Alan Vega et Suicide vient d’assez loin.
En 2014 je devais donner un concert à Bourgoin - Jallieu en France avec Alan Vega
au festival Electrochoc mais il est tombé malade et n'a pas pu venir alors, nous
avons alors eu l'idée de demander à Lydia Lunch si elle était intéressée pour
chanter les chansons d'Alan Vega à sa place, elle a tout de suite accepté déclarant
qu'elle était le "double" parfait d'Alan.
Le premier concert qu'elle a vu à son arrivée à 16 ans à New York était Suicide, ce
fut un véritable choc pour elle, une révélation, Alan Vega et Martin Rev ont été ses
premiers amis à New York et elle a gardé une grande admiration pour ces deux
artistes.
Nous avons décidé de jouer des titres de « Sniper » et de Suicide sur scène, le
succès de ce concept a été tel que nous avons décidé de prolonger l'aventure sur
plusieurs concerts, organisant plusieurs tournées en Europe de 2014 à aujourd'hui.
Pouvoir réaliser ces concerts avec Lydia Lunch sous les yeux d'Alan Vega qui nous
regarde depuis mon film « Infinite dreamers » projeté derrière est un bonheur
absolu , une façon de garder la flamme de cet artiste vivante dans nos cœurs.

Quels sont tes autres projets actuels et qu’est-ce qui t’intéresse en ce moment? 

Je viens de terminer l’enregistrement d’un album avec Mark Cunningham( du groupe


No Wave MARS) qui devrait sorti en septembre 2023, j’ai aussi réalisé un album
avec Craig Walker, chanteur du groupe Archive qui sortira l’année prochaine. Je
travaille actuellement sur un album avec John Duncan , un album solo et je vais
sortir bientôt un album que j’ai enregistré avec Gabi Delgado  .
Je travaille sur pleins d’autres choses comme des films, des peintures, un livre , des
musiques de films mais je préfère garder tout cela discret pour le moment
Ce qui m’intéresse actuellement c’est de continuer à créer chaque jour en
toute liberté et de sublimer le miracle de la vie.

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