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Irak 2003 : principes de la guerre,

paralysie stratégique et swarming


8 février 2003

es derniers développements au Conseil de


sécurité nous l'ont montré, les Etats-Unis
semblent déterminés à mener une
intervention militaire contre l'Irak de
Saddam Hussein, même dans un contexte où
leur opinion publique – et leurs services de
renseignements – sont moins monolithiques
qu'il n'y paraît. Et si le pessimisme gagne les
cénacles politiques, il est peut-être temps
d'examiner quelles pourraient être les options
militaires à disposition des forces américaines.

Les premières hypothèses à ce sujet sont apparues assez rapidement et mettaient d'abord en
évidence un remake de la "tempête du désert" de 1991. Mais en l'état actuel du déploiement
des forces US dans le Golfe, nous pouvons poser plusieurs hypothèses quant aux moyens que
les Etats-Unis pourraient utiliser pour parvenir sur le terrain à leur objectifs.

«... Malgré les hypothèses selon lesquelles les Irakiens


attendraient les Américains dans les villes, la réalité pourrait bien
être plus complexe. »

Stratégiquement, il subsiste encore des doutes et les débats sont très vifs sur la grand strategy
que Washington entend mettre en œuvre, voyant d'ailleurs d'anciens faucons des
administrations Bush et Reagan s'opposer à la stratégie de G. W. Bush. Nous n'interviendrons
pas ici sur le faisceau des raisons – parfois contradictoires – de l'opération qui se dessine,
mais nous nous concentrerons plutôt sur les objectifs de Washington dans le théâtre
d'opérations moyen-oriental et ses modes d'action.

La nécessité de l'unité irakienne

Et en l'occurrence, des lignes de continuités finalement assez stables dans le temps sont assez
rapidement apparues dans le plan des Américains. En particulier, la volonté de renverser
Saddam Hussein et de le remplacer par un régime démocratique renvoie directement à ce
messianisme si particulier aux Etats-Unis. Au-delà, ils devront parvenir à réaliser un exploit
géopolitique. Alors que des zones d'exclusion aériennes ont été établies dès 1991 dans les
régions kurdes et chiites du pays, participant de la sorte à la constitution de proto-Etats,
Washington devra réussir à conserver un Etat unitaire, sans doute en l'amendant dans un sens
fédéral.

Le contexte géopolitique de la zone ne s'y prête


que mal, tant celle-ci est instable. Au nord, la
Turquie craint la constitution d'un Kurdistan
dont le cœur serait irakien et qui serait la cause
d'un irrédentisme menaçant son unité kémaliste.
Au sud, l'Iran joue la carte de la neutralité.
Toutefois, Téhéran n'a pas émis de
commentaires quant à aux relations qu'elle
entretiendrait avec les chiites, dans une zone où
justement Iran et Irak s'étaient affrontés en une
guerre de huit ans à propos du Shat-El-Arab, et alors que les deux villes saintes du chiisme
sont situées en Irak. Les équilibres ethniques sont au surplus précaires et la conservation d'une
unité irakienne s'avère effectivement prudente.

«... Toute la structure de l'Irak repose ainsi sur un chef


omniprésent et quasi-omnipotent, de telle sorte que son
élimination ciblée provoquerait un phénomène de décapitation. »

Au-delà des analyses mettant en évidence l'importance que revêt pour les Etats-Unis le fait de
disposer d'une base autre dans le Moyen-Orient qu'une Arabie Saoudite qui s'est distanciée,
les objectifs américains apparaissent donc comme fondés. Mais y parvenir exigera pour les
forces américaines de combattre sur la ligne ténue séparant conflit sous contrôle et chaos
restant à maîtriser.

Aussi, si les premières analyses envisageant un combat de type classique faisant s'affronter
dans le désert les forces blindées irakiennes et américaines semblent avoir été délaissées au
profit d'hypothèses selon lesquelles les Irakiens attendraient les Américains dans les villes, la
réalité pourrait bien être plus complexe.

Vers un combat sociétal ?

Certes, des phases de combat dures et classiques pourraient bien se dérouler. Mais les Etats-
Unis pourraient bien tirer directement parti de ce qui a fait la force du régime de Saddam
Hussein : sa rigidité et son architecture institutionnelle pyramidale. Comme la plupart des
Etats autoritaires, la structure institutionnelle de l'Irak est articulée sur sa présidence, le parti
majoritaire, en l'occurrence le parti Baas, et des institutions militaires et para-militaires,
comme les services de renseignement. L'organisation de ces Etats est entièrement soumise à
un chef dont la réputation de brutalité n'est plus à établir. Ayant à plusieurs reprises effectué
des purges dans ses propres rangs, y compris dans les cercles les plus proches du pouvoir,
Saddam Hussein est plus craint que respecté.

Toujours est-il que la stratégie de sujétion des populations et de ses administrations a jusqu'ici
produit les effets désirés. Mais c'est aussi une faiblesse sur laquelle les Américains pourraient
bien s'appuyer dans le cadre de leur offensive. Toute la structure de l'Irak repose ainsi sur un
chef omniprésent et quasi-omnipotent, de telle sorte que son élimination ciblée provoquerait
un phénomène de décapitation. Mais cette décapitation n'est pas conceptuellement orpheline.

Dans la foulée de la Révolution dans les Affaires


Militaires (RAM), les Etats-Unis ont connu des
réflexions intenses sur les stratégies indirectes.
En particulier, un auteur comme Joxe pouvait
mettre en évidence l'apparition d'un "sunzisme"
où les forces s'éloigneraient du paradigme
clausewitzien pour privilégier des formes à la
fois plus ciblées et plus indirectes de violence.
Dans le cas de notre hypothèse, la pyramide
étatique/bureaucratique irakienne, une fois
décapitée, est laissée vide. Elle est alors prête à
être récupérée dans une réédition plus affirmée du scénario afghan. Dans ce cadre, plusieurs
rapports font état de ce que les Etats-Unis entraînent actuellement des opposants irakiens mais
ont aussi financé des groupes de juristes qui donneront à l'Irak sa nouvelle constitution.

«... La pyramide étatique/bureaucratique irakienne, une fois


décapitée, est prête à être récupérée dans une réédition plus
affirmée du scénario afghan. »

La cohérence de la conduite des Etats-Unis sur le terrain avec leur objectif de démocratisation
fait en effet émerger ce qui évoluait précédemment à un stade supérieur de la théorie des
relations internationales, mais qui pourrait bien en soi devenir un principe de la guerre : la
légitimité. Et si plusieurs officiers US faisaient remarquer qu'il était sans doute plus utile
d'avoir un juriste avec soi dans un combat urbain qu'une forte puissance de feu, des catégories
particulières de forces spéciales émergent actuellement. En l'occurrence, les forces nommées
" Civil Affairs ", généralement composées de réservistes, et qui sont chargées de remettre les
infrastructures en état.

Dans leur travail, ces forces bénéficient du soutien des forces " Psyops ", c'est-à-dire
d'opérations psychologiques. Relayant les messages politiques, ces forces ont une capacité
d'action non négligeable et un matériel performant, notamment en matière de retransmission
d'émissions radio et TV (avions EC-130E Commando Solo). Dans le cas de ces derniers, les
équipements embarqués permettent aussi de brouiller les retransmissions de l'adversaire dans
le contexte d'une guerre qui n'est plus seulement psychologique. Elle devient aussi "néo-
corticale" selon les termes du colonel Szafranski, dans une optique où le moral des forces
amies devient un multiplicateur de force, y compris lorsque l'amplitude de violence utilisée
diminue et que la légitimité des opérations n'est pas complète.
Pratiquement, la combinaison de l'installation de nouveaux dirigeants soutenus par l'expertise
technique des Affaires civiles américaine – et de sociétés privées – combinée aux opérations
psychologiques oriente les actions US vers un véritable combat sociétal, où la sujétion
autoritaire est remplacée par l'adhésion démocratique, ou proto-démocratique.

Surprise non stratégique, mais opérative

Mais si décapitation il y a, elle doit impérativement se produire rapidement afin de faire


pleinement jouer l'effet de surprise. Historiquement parlant, elle a été peu utilisée par les
Etats-Unis, du moins au niveau stratégique. Leur dépendance technologique leur impose en
effet des déploiements conséquents et la mise en place de réseaux de communication et de
commandement souvent lourds. De facto, les premiers éléments du renforcement américain
dans la zone remontent déjà à plusieurs mois, mais il faut aussi constater que ces éléments
participent directement des manœuvres de pression diplomatiques sur Bagdad. A la différence
des Européens, les Américains lient beaucoup plus facilement déploiement de forces et
diplomatie. C'est en quelque sorte un des héritages de la théorie de Schelling sur l'escalade et
la compellence, i.e. le fait de forcer un adversaire à une action sous la contrainte d'une menace
armée.

Or, dans un premier temps, ces éléments


pourraient ne pas être utilisés dans leur totalité et
ne jouer qu'un rôle de déception.
Historiquement, les Etats-Unis ont toujours
compensé leur manque d'effet de surprise par
une utilisation nuancée de la diversion,
permettant une surprise non plus stratégique
mais opérative. Le débarquement en Normandie
et ses préparatifs ont été exemplaires de ce point
de vue, permettant la victoire sur les forces
allemandes. Plus près de nous et toujours dans le
Golfe, le déploiement de plusieurs milliers de Marines sur des navires de débarquement face
au Koweït en 1991 n'avait d'autres buts que de faire croire à l'Irak que les coalisés mèneraient
un assaut frontal par la mer. Effectivement, cette stratégie s'est révélée payante,
l'encerclement des forces irakiennes couplée à l'interdiction de toute possibilité de leur retraite
a permis de mener une campagne de 100 heures, libération de Koweït City comprise.

«... Les premiers éléments du renforcement américain dans la


zone remontent déjà à plusieurs mois, mais ils participent
directement des pressions diplomatiques sur Bagdad. »

Des différents engagements que les Etats-Unis ont connus ces dernières années, plusieurs
leçons ont été tirées. Et en l'occurrence, le principe de sûreté, qui vise la protection des forces
amies, est d'autant plus facilement mis en évidence que l'opinion publique américaine pourrait
rapidement revoir son jugement à propos d'une intervention en Irak. Dans ce contexte, le
C3D2 (Cover, Camouflage, Concealment, Denial and Deception) apparaît plus comme un
impératif que comme un principe. C'est tout aussi vrai dans la protection des préparatifs de
l'attaque que dans les opérations en tant que telles.

Mener une attaque surprise et préventive sur le territoire d'un Etat adverse dont la population
ne vous soutiendra pas forcément nécessite toutefois un plan et des concepts bien affinés, et
ce à tous les niveaux. En l'occurrence, plusieurs schémas et théories sont applicables à notre
hypothèse.

La paralysie, préalable à la décapitation

Sur un plan conceptuel, les thèses du colonel Warden sur la paralysie stratégique restent
pertinentes. Conçue dans le giron de l'US Air Force, cette théorie constitue l'application
pratique des visions à la fois psychocognitives et plus systémiques que l'on pouvait retrouver
chez John Boyd, mais elle a un objectif identique : interdire à l'adversaire toute capacité
d'action. Pour atteindre cet objectif, Warden découpe conceptuellement les Etats en plusieurs
cercles concentriques représentant de l'extérieur vers l'intérieur et dans l'ordre : les forces
adverses sur le terrain ; la population ; les infrastructures ; les organismes essentiels (centres
de commandement et de communication – C3) et enfin le leadership adverse.

Les forces amies doivent alors mener une escalade qui


leur permettra de littéralement paralyser l'adversaire en
visant les centres de gravité inhérents à chacun de ces
cercles. Ainsi, durant la phase aérienne de Desert
Storm, les forces alliées ont attaqué les centres C3
adverses et ont mené une guerre électronique intense,
rendant Bagdad pratiquement sourd et aveugle. Les
forces sont ensuite parties vers les cercles les plus
périphériques, s'en prenant finalement aux forces
irakiennes sur le terrain, en préparation des opérations
terrestres.

Conçue pour des opérations aériennes, ces théories ont


été souvent remises en question à l'aune de la
campagne de l'OTAN au Kosovo. En particulier, elles
n'auraient pas paralysé Belgrade, lui laissant une porte
de sortie diplomatique et donc par extension l'occasion de retirer ses forces au sol. Par
ailleurs, la théorie se serait heurtée à un phénomène qui a partiellement invalidé le
bombardement stratégique durant la Seconde guerre mondiale, durant laquelle la résistance
psychologique des populations n'a pas été entamée alors même qu'elle était spécifiquement
visée.

«... Mener une attaque surprise et préventive sur le territoire d'un


Etat adverse dont la population ne vous soutiendra pas forcément
nécessite un plan et des concepts bien affinés. »
Certes, la théorie de Warden ne vise pas nécessairement le moral des populations – même si
elle en laisse conceptuellement la possibilité – mais force est aussi de constater que la
paralysie peut précéder la décapitation. Phénomène tentant et déstabilisant, la décapitation
stratégique n'est jamais que le stade supérieur – en fait le ciblage du dernier cercle – de la
théorie de Warden. S'il aurait été plus facile de décapiter les capacités de prise de décision
stratégique soviétiques (en raison de la rigidité du système de commandement), il n'en n'aurait
toutefois pas été de même dans le cas d'une Yougoslavie naturellement plus décentralisée.

Or, l'organisation irakienne étant ce qu'elle est, le ciblage requiert un travail de renseignement
comparativement moins important que celui qu'il a fallu mener dans le cas de la Yougoslavie.
C'est d'autant plus vrai que si le nombre de caches possibles est important, peu de pays ont été
aussi surveillés que ne l'a été l'Irak ces 12 dernières années. Si les opérations qui vont s'y
dérouler ont valeur de test pour des systèmes de renseignement que tous les auteurs attachés à
la RAM considèrent comme essentiels ou centraux, il faut également constater que le
déploiement de la puissance de feu pourrait être découplé.

Le swarming comme technoguérilla

L'attaque à distance de sécurité, apparue dans les années quatre-vingt, est devenue depuis lors
un classique des opérations américaines. Mais là où l'emploi de missiles de croisière et de
bombardements au moyen d'armes guidées de précision pourrait être de nature à éliminer un
certain nombre des points centraux du leadership irakien, tout en dévoilant un volume de feu
assez important, d'autres options sont envisageables en complément.

Et en l'occurrence, l'utilisation de la version militarisée de la netwar de John Arquilla et David


Ronfeldt, le swarming, pourrait être abondamment utilisée. En netwar, les acteurs agissent en
réseau et utilisent pleinement les technologies de l'information. Mais si celles-ci sont
abondamment critiquées, notamment pour la dépendance qu'elles entraînent et le manque de
préparation des infrastructures informationnelles US pour ce type d'opérations, il n'en reste
pas moins que certains développements pourraient s'avérer cruciaux. En particulier, les
télécommunications individualisées sont centrales pour un swarming envisagé comme la
dispersion des éléments de combat et leur regroupement rapide, appuyé par une forte
puissance maintenue à distance, sur l'objectif.

Le swarming utilise ainsi de petits groupes


décentralisés – en fait, les forces spéciales sont
les plus adaptées pour un tel mode de
fonctionnement, y compris lorsqu'elles encadrent
des opposants locaux – et très mobiles du fait
d'une utilisation intensive de l'héliportage.
Permettant de reproduire le couple
paralysie/décapitation au niveau tactique, le
swarming est une des meilleures formes connues
de l'économie des forces. En dépit des hausses
de budget, la réduction des effectifs est un fait avéré qui se traduit par des unités moins
nombreuses mais mieux équipées. La situation présente néanmoins le désavantage de ne pas
parvenir aux ratios attaquants/défenseurs demandés. Ainsi, alors qu'on estime
traditionnellement qu'il faut trois attaquants pour un défenseur, le combat urbain qui se
produira immanquablement pourrait, selon les estimations, en requérir entre six et… vingt-
cinq !

«... Les télécommunications individualisées sont centrales pour un


swarming envisagé comme la dispersion des éléments de combat
et leur regroupement rapide. »

Or, le swarming cherche un contrôle localisé, le temps de l'intervention, plutôt qu'une maîtrise
systématique des terrains par les troupes, soit une vision radicalement différente de celle qui
présidait habituellement au combat au sein de l'OTAN, par exemple. Au surplus, l'utilisation
d'une modalité telle que le swarming couplée à des tactiques où les attaquants sont plus
dispersés qu'habituellement permettrait de réduire les pertes de 38 à 12%. A ce stade, les
forces actuellement massées dans le Golfe apparaissent comme des réservoirs dans lesquels
les planificateurs peuvent puiser, mais aussi et surtout comme des forces d'occupation, leur
terrain ayant été dégagé par les forces spéciales.

De la diversion à la sortie de crise

Malgré la complexité conceptuelle d'une telle architecture de combat, il reste toutefois


plusieurs interrogations. Tactiquement parlant, l'appui massif sur les technologies C3 pourrait
constituer une vulnérabilité réelle pour les forces déployées. D'autant plus que le swarming n'a
jamais été testé à une telle échelle ni à une si grande proximité des centres décisionnels d'un
adversaire, dont on peut attendre qu'ils seront bien défendus. A ce stade, la mobilité est la
principale protection des forces spéciales et le renseignement, la première raison de leur
utilité. Si les Américains pourraient ainsi éviter une guerre des villes longue et coûteuse aussi
bien humainement que politiquement ou financièrement, ils s'engagent aussi dans une
véritable aventure technologique. Une force armée, même si elle ne déploie que peu de
personnel sur le terrain, est une organisation d'une formidable complexité, qui reste soumise à
la friction et au brouillard de la guerre, même s'il faut bien avouer qu'il s'est un peu levé. 

Il faut donc nuancer la portée des concepts qui


pourraient être mis en œuvre en Irak et qui par
ailleurs, tels que développés ici, restent du
domaine de l'hypothèse. Fondamentalement, si la
tradition anglaise déclare que "no plan survives
the start line", une forme aussi décentralisée de
combat que le swarming replacée dans le cadre
d'une décapitation des structures étatiques
irakiennes laisse une forte liberté de manœuvre
aux forces US.
En particulier, elle permet de recréer quasiment en permanence un effet de surprise inclinant à
l'initiative. Il en découle que dans le contexte actuel, les débats sur la date de commencement
des opérations apparaissent comme peu pertinents. Dans une optique telle que celle de ces
pages, les combats peuvent même commencer au moment où je vous écris.

«... Sans même aller jusque là, déployés au contact de la


population irakienne, les soldats américains seront-ils accueillis
aussi bien qu'ils ne l'ont été par les Japonais ? »

Mais au-delà, les effets de la surprise créent aussi une pression diplomatique inclinant
Saddam Hussein à chercher l'exil. Sans doute d'un point de vue stratégique, si l'adversaire en a
connaissance, cela l'incite-t-il à hâter ses préparatifs de défense et ainsi, à les faire connaître à
l'attaquant. Au-delà et de toute évidence, la conduite des conflits à l'heure actuelle ne peut
valablement pas se départir de la stratégie. Quelque puissent êtres les évolutions de cette
dernière, elles montrent le renouvellement des visages des principes de la guerre. Mais la
militarisation de la diplomatie américaine ne doit pas cacher non plus que d'autres défis
attendent les praticiens des relations internationales, aussi bien que les militaires d'ailleurs.

Car les problèmes potentiels ne sont pas uniquement de nature tactique : ils seront avant tout
culturels. Sans entrer dans la logique parfois dangereuse d'Huntington, une occupation
militaire de l'Irak ne manquera pas de créer un choc culturel en plein milieu du Moyen-Orient,
au moins du point de vue intégriste. Quel en sera l'impact sur des Etats qui, pour certains,
glissent lentement vers une radicalisation de la charge religieuse de leur pouvoir ?

Sans même aller jusque là, déployés au contact de la population irakienne, les soldats
américains seront-ils accueillis aussi bien qu'ils ne l'ont été par les Japonais ? Au-delà, des
convulsions politiques risquent de se produire dans ce qui aura été l'ancienne opposition
irakienne. Expérience à l'appui, les guerres ne semblent plus se gagner – si tant est que le
concept de victoire ait encore une signification réelle – lors de l'engagement des forces, mais
bien dans ce que François Géré pouvait appeler "la sortie de crise" et plus en aval, dans la
transition démocratique effective de l'Irak.

Joseph Henrotin    

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