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Le texte étudié, est un chapitre extrait de l’ouvrage Santé et travail à la mine, paru en

2014 sous la direction de Judith Rainhorn. Cet ouvrage collectif regroupe différentes études
autour des questions de sécurité et de santé à la mine. Les auteur.ice.s y explorent notamment
les problèmes de pneumoconiose qui sont donc les maladies pulmonaires dues à l’inhalation
de poussières. Le chapitre en question est écrit par Arthur McIvor. Arthur McIvor est un
historien anglais, spécialiste de l’histoire orale, discipline dans laquelle il joue un rôle majeur.
A ce titre, il est directeur du Scottish Oral History Centre (SOHC) depuis 2005. Il est
professeur d’histoire sociale à l’Université de Strathclyde à Glasgow. Ses domaines de
recherche sont l’histoire du travail, plus spécifiquement la santé et la médecine au travail. Il
joue un rôle novateur dans ces domaines en y appliquant les méthodes de l’histoire orale.
L’histoire orale est une discipline récente qui émerge, en tant que telle, dans les
années 1970. Elle consiste à recueillir des témoignages personnels. Ces témoignages sont
généralement collectés sous la forme d’enregistrements, et constituent ensuite une matière à
étudier et analyser pour les historien.ne.s. L’histoire orale ne peut être utilisée que pour des
périodes récentes; les moyens d’enregistrement datent du XXème siècle, cela explique
l’émergence assez tardive de la discipline. Selon Arthur McIvor, cette discipline a une place
indéniable dans le champ historique car elle permet d’explorer des sphères mises à l’écart par
l’historiographie et les objets d’étude classiques. Il n’est pas le seul à défendre cette
démarche méthodologique: il cite plusieurs historien.ne.s, Ian MacDouglas en Écosse ou
David Smith et Hywel Francis au sud du Pays de Galles dans les années 1970 (pour l’histoire
orale autour des mineurs), et sur l’histoire orale en général Luisa Passerini et Alessandro
Portelli. Il parle notamment du travail de Portelli autour des employés des mines de charbon
de Harlan aux États-Unis. Cette étude est très complète car, en effet, elle comprend plus de
200 entretiens menés sur plus de 20 ans et a pour thème principal: le corps et la santé au
travail.
Pour autant, la méthode de l’histoire orale fait l’objet de controverses car les données
recueillies (témoignages) sont considérées comme étant subjectives donc pas forcément
fiables.

Il y a un double objectif à travers ce texte. En effet, McIvor entend, en étudiant les


questions de sécurité et de maladies professionnelles dans les mines en Grande-Bretagne au
XXème siècle, reconsidérer le discours « officiel » des instances de compagnies minières et
de l’Etat quant aux conditions sanitaires dans les mines, et ainsi révéler une réalité
« cachée ». Mais il veut aussi démontrer l’intérêt de l’histoire orale qui permet de mettre en
lumière des aspects jusqu’alors négligés ou biaisés par les autres voies d’analyse. En effet,
comme expliqué plus haut, l’histoire orale est sa discipline et il souhaite la faire évoluer.

Pour mener à bien son étude, l’auteur choisit de confronter les informations officielles
- celles des documents d’archives de l’Etat et des différentes institutions des compagnies

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minières censées réguler les problèmes de sécurité et de maladies professionnelles dans les
houillères, notamment le Mines Inspectorate le National Coal Board (NCB) - à des
témoignages de mineurs britanniques, réalisés entre 2000 et 2005 dans le cadre d’un travail
antérieur, aboutissant à un ouvrage, Miner’s Lung, publié en 2007. Les témoignages sont
donc ses sources principales pour cet article, même s’il s’appuie également sur des travaux
d’historiens et historiennes de l’oralité ainsi que des travaux sur la santé au travail.

Ces entretiens permettent un récit plus intime, plus intrinsèque à la question de la


santé au travail; ils offrent un autre regard, plus personnel. Ils viennent contredire les
statistiques officielles souvent biaisées par les inspecteurs des mines, qui, comme nous le
verrons, dans un désir de produire davantage, mentent sur les chiffres et négligent les
maladies et risques d’accidents dans les mines. Comment les mineurs vivent-ils intimement la
dégradation de leur santé?

Il utilise d’abord l’exemple de la poussière. La poussière était l’une des principales


causes de maladie dans les mines. Elle endommageait les poumons et était à l’origine de
maladies pulmonaires, notamment la silicose (inhalation de silice). L’auteur recueille un
certain nombre de témoignages d’hommes racontant l’incommodité des conditions de travail
due notamment à la présence de poussière dans les mines. Il explique comment, après la
nationalisation en 1947, certaines stratégies sont mises en place par les compagnies houillères
pour limiter la propagation de la poussière et ainsi permettre aux mineurs de travailler dans
des conditions plus « saines ». Parmi elles, il y avait l’infiltration d’eau dans les galeries pour
nettoyer les machines. Cette méthode est remise en cause par les mineurs, elle apparaît
inefficace voire les gêne plus qu’autre chose: «  Ils ont commencé à introduire de l’eau
pendant la coupe (…) ça ne servait pas à grand chose »; « Certains mineurs coupaient l’eau et
abattaient à sec pour éviter d’être trempés et parce qu’ils avaient l’impression qu’elle les
ralentissait  ». Une autre méthode attribuée aux «  responsables de la réduction de
l’empoussiérage » consistait à mesurer le taux de poussière, afin d’en limiter l’inhalation par
les mineurs. Celle-ci est également discréditée par les travailleurs: « Ils disaient en haut que
les taux de poussière étaient en baisse.  » «  Mais les chiffres (…) ils étaient truqués  ». On
comprend les stratégies mises en place par la direction, « de mèche » avec les inspecteurs. Un
mineur explique: « Alors les hommes débarquaient, et c’était horrible, plein de poussière, et
on risquait de devoir arrêter l’abattage, alors ils balançaient leur veste (…) par-dessus ces
machines pour qu’il n’y ait presque pas de poussière dedans ». C’est la pression productiviste
qui participe à biaiser cette réalité

L’auteur, à travers l’exemple de la poussière et des réglementations « obligatoires »,


présente l’intérêt de l’histoire orale; en effet, cette démarche permet de remettre en cause les
conclusions auxquelles on arrivait sans témoignages, ceux-ci permettant d’appréhender la
réalité du terrain. On se rend compte que les statistiques sont biaisés par les inspecteurs, ils
cachent une réalité afin de ne pas mettre en péril le système productiviste et risquer de freiner
les rendements. Il s’agit alors de produire toujours plus au détriment de la santé des mineurs.

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Cependant, les mineurs participent à cette exploitation et sont «  complices  »: ils
acceptent de travailler dans des conditions nocives car plus le rendement est important, plus
le salaire l’est aussi.

C’est ce que cherche à démontrer l’auteur, notamment à travers un deuxième


exemple. Il s’agit ici d’étudier le lien entre virilité et prise de risque chez les mineurs. Les
études générales révèlent que les hommes prennent des risques au travail. C’est une réalité: il
existe une compétition entre les différents mineurs, il faut être le meilleur, celui qui produira
le plus, peu importe ce que le corps doit endurer. Ils engagent ainsi leur corps et le mettent en
péril, sciemment. Mais pourquoi? L’histoire orale permet précisément d’en savoir plus. Leurs
ressorts sont de l’ordre de l’orgueil et de l’image de soi. Ceux qui ne se « mouillent » pas, ne
prennent pas de risque, sont considérés comme des sous-hommes; le refus de souffrir
davantage remet même en cause leur genre et leur identité. Il y a donc cette notion d’honneur
que les mineurs explicitent dans leurs témoignages « en tant que meneur, je n’ai jamais
demandé à aucun homme de faire quelque chose que je ne pouvais faire moi-même » et celle-
ci est confortée par un facteur financier sur lequel ils lèvent également le voile. En effet: plus
les tâches seront difficiles et dangereuses, plus le salaire sera élevé. Cela amène à des
situations inattendues, avec par exemple une alliance entre la direction et les mineurs qui se
liguent contre les syndicats, qui «  freinent  » la productivité en veillant à l’application des
réglementations.
Pourtant, et c’est ce qui est tragique, cette course au rendement et cette concurrence
virile les trahit car elle les entraîne dans les formes les plus dangereuses du travail minier. La
plupart des mineurs se retrouvent invalides, avec des problèmes d’articulation ou de
respiration, jusqu’à la fin de leur vie. Certains ne peuvent plus se déplacer, ils sont
complètement dépendants. Leur virilité est finalement atteinte car le fait d’être invalide
soulève un sentiment de honte qu’on observe dans les témoignages: «  j’essayais d’entrer
avant que les hommes n’arrivent parce que si ils avaient entendu que j’étais essoufflé, ils
auraient dit « il est fichu », ce que j’étais sans doute, mais j’étais gêné ».

Ainsi, on accède à des vérités dissimulées qui tiennent aux non-dits. L’affirmation de
la virilité apparaît comme un moteur secret. Les entretiens trahissent des ressentis, tant
physiques qu’émotionnels, que ne prennent pas en compte les statistiques et les documents
d’archives: ceux-ci permettent d’aller plus loin que le « mythe » du mineur. D’où, là encore,
la nécessité de l’histoire orale. Arthur McIvor montre comment la collecte de témoignages
permet d’appréhender la réalité parfois faussée et enjolivée et ainsi d’accéder à des
informations plus souterraines.

Ce travail permet également à l’auteur de réfléchir à sa discipline, il peut affiner sa


méthode, notamment, explique-t-il, en laissant parfois les interviewés s’éloigner de sa
question, digresser; l’histoire orale est une histoire en train de se faire et de se perfectionner,
les travaux en cours permettent donc aux historien.ne.s de progresser sur la question de la
méthodologie de la discipline.

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Il aurait peut-être été intéressant de confronter ces témoignages à d’autres, par
exemple ceux d’inspecteurs ou de patrons des mines afin d’accéder à d’autres points de vue et
ressentis et ainsi faire évoluer davantage cette question de la santé et de la sécurité dans les
mines.

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