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Université de Fribourg/Suisse

Faculté des Lettres : Sciences des sociétés, des cultures et des religions

ANALYSE DE L'ÉMERGENCE D'UNE GOUVERNEMENTALITÉ PAR LE


RISQUE À TRAVERS LES PROCESSUS D'IDENTIFICATION

DU PAPIER À LA BIOMÉTRIE : SURVEILLANCE ET CONTRÔLE


DU « VIVANT-EN-MOBILITÉ »

Travail écrit pour le Master en Études européenne, dans le cadre du séminaire de la


Dr. Andrea Boscoboinik Bourquard
« Perspectives anthropologiques sur le risque et la peur » (SA 2013)

écrit par
Fournier Yvan
Rue des Moulins 127, 1400 Yverdon-les-Bains
079/5196587
TABLE DES MATIÈRES

1. INTRODUCTION...............................................................................................................2-3

2. ANALYSE.........................................................................................................................3-28

2.1. L'émergence du risque comme technique de gouvernement............................................3-9

2.1.1. Essor du commerce et esprit d'aventure : la fixation du prix du risque.........................3-5


2.1.2. Probabilité qualitative et quantitative. De l'individu raisonnable
à la statistique sociale : émergence d'un nouveau régime de gouvernementalité....................5-7
2.1.3. Risque, population et sécurité : la défense de la société................................................7-9

2.2. Liberté, sécurité, identité : les rêves politiques de la lèpre et de la peste.......................9-28

2.2.1. Des formes traditionnelles de reconnaissance au


développement d'une police à distance : le laboratoire français..........................................10-13
2.2.2. De l'anthropométrie à la biométrie : le corps-identifiant...........................................13-28
2.2.2.1. Le bertillonage : mesure et classification des corps...............................................13-16
2.2.2.2. Identification et exclusion : deux rêves d' « anatomie politique »..........................16-18
2.2.2.3. De l'usage de la biométrie : panoptisme vs banoptisme.........................................18-28
2.2.2.3.1. L'Union européenne et les États-Unis :
identification, stockage et interopérabilité...........................................................................19-22
2.2.2.3.2. Le Macro-système-technique et le corps-frontière virtuel...................................22-24
2.2.2.3.3. Le rêve de la frontière intelligente.......................................................................25-28

3. CONCLUSION................................................................................................................28-30

4. BIBLIOGRAPHIE...........................................................................................................30-36

4.1. Ouvrages.......................................................................................................................30-31
4.2. Articles de revues et de livres.......................................................................................31-33
4.3. Ressources internet.......................................................................................................33-36
4.3.1. Articles de revues.......................................................................................................33-34
4.3.2. Articles de presse.......................................................................................................34-35
4.3.3. Divers..............................................................................................................................35
4.3.4. Textes officiels...........................................................................................................35-36

1
1. INTRODUCTION

Si l'on on croit Ulrich Beck, l'attentat du 11 septembre aurait « mis en évidence la


vulnérabilité de notre civilisation »1. Pour y répondre, il faudrait dès lors que « l'analyse du
risque » examine « le possible déclenchement intentionnel de catastrophes », et que se
développe tout un ensemble de « technologies du futur », telles que « la génétique, la
nanotechnologie, la robotique,... »2. Face au risque, et encore plus face à une situation qui
nous a été présentée comme exceptionnelle, sans précédent, telle que l'effondrement des Twin
Towers, seule la technologie pourrait donc nous permettre de prévoir, d'anticiper et de
finalement neutraliser les menaces pesant sur notre société. C'est ainsi que les techniques
d'identification biométriques pour les passeports, cartes d'identité et autres documents ont été
justifiées et introduites dans notre vie courante. En parallèle, on a pu voir se développer,
essentiellement dans l'Union européenne et aux États-Unis, un nombre impressionnant de
bases de données récoltants les informations biométriques d'individus considérés comme « à
risque », telles que les requérants d'asile, les demandeurs de visa, les personnes en séjour
irrégulier ou ayant un casier judiciaire,... A travers ce continuum de (in)sécurité et de menace
s'est ainsi trouvée instituée une catégorie de population dont la dangerosité va légitimer la
mise en œuvre de dispositifs de normalisation, de surveillance, de contrôle et d'exclusion. Or,
comme nous le verrons tout au long de ce travail, l'instauration de ces dispositifs, dont
participent les techniques d'identification et la biométrie notamment, sont à analyser dans le
long terme, à travers l'émergence, entre le XVIIème et le XVIIIème siècle, de ce que Foucault
a appelé la « gouvernementalité » moderne3 , dont la gouvernance par le risque est une
modalité essentielle.

En vue de développer cette thèse, nous étudierons dans un premier temps la naissance et
l'évolution de cette notion particulière de « risque », notamment à travers l'apparition du
calcul des probabilités et de son versant fréquentiste, à savoir la statistique. Nous verrons ainsi
comment le concept de « risque » va devenir l'instrument essentiel des techniques
gouvernementales visant à la gestion et au contrôle des populations. Dans une deuxième

1 BECK, ULLRICH, « La société du risque globalisé revue sous l'angle de la menace terroriste », in : Cahiers
internationaux de sociologie, n° 114, 2003, p. 33.
2 IDEM.
3 « Technique de gouvernement qui sous-tend la formation de l'Etat-moderne, en continuité avec « les arts de
gouverner » du Moyen-Âge », la gouvernementalité moderne peut être définie, chez Foucault, d'après sa
modalité essentielle, à savoir la biopolitique, c'est-à-dire une « technologie de pouvoir qui a pour objet et
pour objectif la pris en charge de la vie en général », « avec un pôle du côté du corps et un autre du côté de
la population ». FOUCAULT, MICHEL, Il faut défendre la société. Cours au Collège de France (1975-1976),
Paris, Gallimard, 1997, pp. 166-167.

2
partie, nous allons nous intéresser plus précisément à cette autre facette de la
gouvernementalité que constitueront les techniques d'identification, en passant de l'institution
des papiers d'identité à la méthode anthropométrique, pour finir par la biométrie. Cela nous
permettra d'analyser ce que Foucault a appelé les « deux rêves politiques »4 de la modernité, à
savoir celui de la peste et de la lèpre. Nous terminerons enfin par une conclusion qui visera
non seulement à résumer les éléments essentiels de notre travail, mais également à porter un
regard critique sur la notion de « société du risque »5, telle que l'a développée Beck.

2. ANALYSE

2.1. L'émergence du risque comme technique de gouvernement

Si l'année 1986 restera marquée par la fameuse catastrophe nucléaire de Tchernobyl, elle
consacrera également et parallèlement le développement d'un nouveau paradigme, celui de la
« société du risque ». En remplaçant l'approche classique des inégalités, centrée sur la
répartition de richesses, en une conception basée sur celle de la répartition des risques, les
ouvrages de Beck6 et d'Ewald7 font de cette-dernière notion le point central de l'analyse de la
« post-modernité » pour le premier, et de l'émergence de l'Etat-providence, pour le second.
L'étrange convergence, la même année, de ces trois faits, une catastrophe écologique et
humaine, et la publication de deux ouvrages centrés sur le concept de « risque », nous paraît
être le signe d'une nouvelle lecture des enjeux fondamentaux de notre société. La prolifération
des discours sur les risques migratoires, terroristes, environnementaux, sanitaires,
économiques,... et sur la thématique de l' (in)sécurité, qui égrainent désormais notre quotidien
médiatique, témoignent de la prégnance actuelle de ce nouveau paradigme. Reste à savoir
dans quel contexte ce-dernier est apparu, pour s'imposer aujourd'hui comme une évidence, et,
quelle logique gouvernementale s'exprime à travers lui.

2.1.1. Essor du commerce et esprit d'aventure : la fixation du prix du risque

Comme le rappelle Thiveaud, si l'étymologie du mot « risque » n'est guère évidente, son
usage s'est « répandu très rapidement, quoique, d'abord, dans des cercles assez limités en

4 FOUCAULT, MICHEL, Surveiller et punir. Naissance de la prison, Éditions Gallimard, Paris, 1975, p. 228.
5 Voir BECK, ULRICH,, La société du risque. Sur la voie d’une autre modernité, trad. de l’allemand par
Bernard Louis, Paris, Aubier, 2001.
6 IDEM.
7 EWALD, FRANÇOIS, L'Etat-providence, Éditions Grasset & Fasquelle, Paris, 1986.

3
Europe »8. On le retrouve ainsi par la suite à l'identique dans « la totalité des langues de
l'Europe occidentale et orientale, en français, en anglais, en espagnol, en allemand, en italien,
en russe, en serbo-croate,... »9. On suppose son apparition dans le milieu professionnel du
grand commerce maritime méditerranéen, c'est-à-dire dans celui des armateurs, navigateurs et
marchands du XIVème siècle10. Face aux hasards de la fortune que comportent les expéditions
de plus en plus lointaines sur les mers du globe, apparaissent alors, dans les principales villes
de commerce italiennes, les contrats d'assurance maritime. Le risque devient dès lors évalué,
« calculé, chiffré » et « se traduit par un prix qui devient une forme de capital attaché à la
sécurité de l'opération »11 : c'est la naissance de la prime de risque ou d'assurance. Utilisé dans
le cadre de la « technologie assurentielle », le mot « risque » prend ainsi « une dimension
technique et plus abstraite »12, pour devenir progressivement un terme générique dont l'usage
se répandra à « tous les cas individuels ou collectifs des probabilités de mauvaises chances ou
de mauvaises fortunes », puis, finalement, « à toute forme d'éventualité, hors même de toute
réalité »13.

Dès la fin du Moyen-Âge se développe ainsi une pratique assurantielle couvrant « toutes les
transactions commerciales renfermant l'idée d'un risque susceptible de lui servir d'aliment »,
jusqu'au risque de mort lui-même14. Parallèlement, et ce malgré l'opposition de l’Église,
s'étendent progressivement la pratique de l'usure, dont le principe de base est la perception
d'un intérêt en compensation d'un risque encouru, et celle des jeux de hasard ou « de sort »,
auxquels Pascal va consacrer tout un ouvrage15. Cette passion pour le risque, l'aventure et le
jeu deviendra ainsi non seulement l'un des « trait significatif de la mentalité du marchand du
XVIème siècle », mais également « un des comportements collectifs typiques de cette
époque »16. En témoigne l'essor, entre le XVIème et le XVIIème siècle, de ce que la science
juridique appelait alors le « contrat aléatoire », dont la caractéristique était « l'échange d'une
8 THIVEAUD, JEAN-MARIE, « Le risque et son prix. Genèse d'un concept et de son évaluation juridico-
financière (XIVème - XVIIème siècle) », in : Revue d'économie financière, n°37, 1996, p. 254.
9 IDEM.
10 La notion de risque proviendrait ainsi, selon certaines hypothèses, de l'espagnol « resco » ou de l'italien
« risco », qui signifient tous deux l'écueil ou le rocher en mer. IDEM.
11 IBID, p. 263.
12 IBID, p. 258.
13 IBID, p. 259.
14 IBID, p. 269.
15 « Usage du triangle arithmétique pour déterminer les partis qu'on doit faire entre deux joueurs qui jouent en
plusieurs parties », cité par COUMET, ERNEST, « La théorie du hasard est-elle née par hasard ? », in :
Annales. Histoire, Sciences sociales, n° 3, mai-juin 1970, p. 576.
16 IDID, p. 582. Galland remarque ainsi que « ce n'est qu'à partir du XIXème siècle que se modifie le rapport à
l'assurance, et donc sa pratique ». A l'idée « de jeu et éventuellement même de possibilité d'ascension sociale
par le biais d'une souscription heureuse, se substituent les notions « plus bourgeoises » de responsabilité et
de sécurité, et en fait de garantie de non-perte en cas d'accident ». GALLAND, JEAN-PIERRE, « Risque,
probabilités et assurance. Pourquoi les corpus des sciences du risque, tantôt sont utilisées, tantôt non ? », in :
Annales des Pont et Chaussées, n° 76, 1995, p. 36.

4
valeur présente contre une valeur incertaine dans l'avenir » et qui regroupait à la fois le fait de
« parier sur un jeu, d'acheter une rente viagère, une assurance ou de spéculer sur la moisson
de blé de l'année suivante »17. Dans ce cadre de l'essor du commerce, « du volume et de la
complexité des échanges »18, « une nouvelle relation entre le temps et l'argent »19 s'instaure,
dont la notion même de risque témoigne, puisque celui-ci peut-être définit en tant que danger
ayant une certaine probabilité future d'advenir : il convient donc d'établir une « équité
fondamentale » dans ce nouveau type de contrat, qui consistera en « la proportion entre le
péril et ce qui est reçu »20. Cette recherche de la justice et de l'équité dans l'établissement des
contrats aléatoires, en vue de fixer le « juste » prix du risque, se réalisera par l'intermédiaire
d'une branche nouvelle des mathématiques : le calcul des probabilités.

2.1.2. Probabilité qualitative et quantitative. De l'individu raisonnable à la statistique


sociale : émergence d'un nouveau régime de gouvernementalité

Le XVIIème siècle marque le passage d'une conception de la probabilité en tant qu'« avis
certifié par l'autorité » à celle de « degré d'assentiment proportionnel à l'évidence des choses
et des témoins »21. Éminemment subjective, cette nouvelle approche de la rationalité et de
l'épistémologie se trouve codifiée par des mathématiciens, tels que Pascal, Huygens, Bayes,
Leibniz ou encore les frères Bernoulli, dont l'objectif est de « quantifier les niveaux de
certitude » pour à la fois décrire et prescrire le comportement de l'homme raisonnable22. On
verra alors apparaître au XVIIIème siècle le rêve d'une véritable science morale et universelle,
dont les principes de sagesse reposeraient sur le calcul des probabilités, et dont le modèle
pouvait être prolongé à « la jurisprudence, l'économie politique, et aux autres branches des
sciences morales », donnant ainsi naissance à une véritable « mathématique sociale ».23
17 DASTON, LORRAINE, « L'interprétation classique du calcul des probabilités », in : Annales. Histoire, Sciences
sociales, n° 3, mai-juin 1989, p. 717.
18 COUMET, ERNEST, op. cit., p. 582.
19 THIVEAUD, JEAN-MARIE, op. cit., p. 257.
20 DASTON, LORRAINE, op. cit., p. 718.
21 IBID, p. 720.
22 IBID, p. 720 et 725.
23 Cette notion de « mathématique sociale » est tirée de l'ouvrage de Condorcet : « Tableau général de la
science qui a pour objet l’application du calcul aux sciences politiques et morales », 1793. Voir IBID, p. 728.
En vue de réduire le risque qu'un individu courrait d'être condamné à tort pour un crime et de le quantifier,
Condorcet propose de « calculer le nombre de juges, leur degré de « lumières » et la pluralité minimum
exigée » pour « garantir cette probabilité de sécurité individuelle ». IDEM.
On retrouve ce même rêve de recourir à « une langue rationnelle, notamment le calcul, qui serait assez claire
pour se dispenser de toute interprétation » chez Leibniz dans son Ars Combinatoria, tout comme chez
Bernoulli dans son Ars Conjectandi. Pour ces penseurs, le but est de « faire du calcul des probabilités un
instrument propre à ramener la question de la justice à une question de proportion et d'harmonie sociale », en
vue de « procurer l'utilité sociale maxima grâce aux possibilités de l'art combinatoire ». Leibniz fut ainsi le
promoteur, à la Cour de Vienne, d'un système de caisse publique d'assurances sociales, anticipant ainsi
l'émergence de l'Etat-providence à la fin du XIXème siècle. ALLO, ELIANE, « Un nouvel art de gouverner :
Leibniz et la gestion savante de la société par les assurances », in : Actes de la recherche en sciences

5
L'ordre social découlerait alors naturellement d' « individus bien ordonnés », calculateurs et
rationnels, que Beccaria, Bentham et bien plus récemment Becker 24, ont pris comme modèle
dans le cadre de la sanction pénale25. Dans cette conception libérale et individualiste, comme
le rappelle Ewald, ce sont les notions de responsabilité, de faute et de prévoyance qui sont
centrales et sur lesquelles se base l'ordre juridique : l'homme n'a dès lors d'autres ressources
que « le calcul et la vertu » en vue de compenser les risques auxquels il doit faire face26.

Mais parallèlement à cette perspective subjectiviste, se développe également une version


objectiviste du calcul des probabilités, notamment avec l'émergence de la statistique ou
arithmétique politique (du nom du célèbre ouvrage de William Petty)27. Ainsi, les estimations
sur la mortalité à Londres effectuées par Graunt en 1662, pour estimer le montant des rentes
viagères, ne sont que le prélude au rassemblement de données démographiques plus amples et
plus détaillées au XVIIIème siècle28. C'est cette deuxième version du calcul des probabilités
qui va dominer tout le XIXème siècle, avec comme éminent représentant Adolphe Quetelet.
Scellant, dès 1830, le mariage entre la statistique comme « quantification des faits de société
(notamment de la population) » et « la théorie probabiliste des erreurs en astronomie » héritée
des travaux de Laplace, Gauss et Legendre, la théorie de « l'homme moyen » de Quetelet
inaugure ainsi l' « extension fréquentiste du probabilisme » à des domaines aussi divers que
« la physique, la psychologie, l'économie, la sociologie, la biologie,... »29. Cette théorie de
« l'homme moyen » prendra naissance, chez le statisticien belge, de l'étude de la répartition de
la taille des conscrits d'un régiment. « L'homme moyen », « idéal de perfection », devient
ainsi celui « dont la taille la plus probable est la moyenne des tailles observées »30. Cette
sociales, n° 55, novembre 1984, pp. 33-34.
24 Les travaux de Becker, économiste de l’École de Chicago, appartiennent à ce qu'appelle Boudia « la
nébuleuse des choix rationnels », doctrine qui fait appel à la fois aux analyses économiques et aux sciences
du comportement, et qui prendra son essor durant les années 1970. La théorie des jeux, inaugurée par
l'ouvrage de Von Neumann et Morgenstern Theory of Games and Economic Behaviour (1944), posera ainsi
« le cadre de référence » et « l'ossature sur laquelle reposera de nombreuses pratiques de l'analyse du
risque ». Ses deux postulats seront les suivants : le premier est que « la société est composée d'individus qui
agissent selon une logique utilitaire », et le second, qu' « une action est jugée rationnelle si elle vise à
satisfaire ou optimiser des intérêts, à savoir que son bénéfice est supérieur à son coût ». BOUDIA, SORAYA,
« La genèse d'un gouvernement par le risque », in : BOURG, DOMINIQUE, JOLY, PIERRE-BENOÎT ET
KAUFMANN, ALAIN (ED.) Du risque à la menace. Penser la catastrophe, PUF, Paris, 2013, pp. 65-68.
25 Dans une même approche individualiste et utilitariste, ces trois auteurs considèrent ainsi que « les individus
commettent une infraction lorsque l'utilité qu'ils prévoient d'en retirer est supérieure aux coûts qu'ils
s'attendent à subir, ces coûts étant définis par le montant de la sanction pénale multipliée par la probabilité
d'être condamné ». GILARDEAU, ERIC, Le crépuscule de la justice pénale, L'Harmattan, Paris, 2011, p. 21.
26 EWALD, FRANÇOIS, « Philosophie de la précaution », in : L'Année sociologique, Vol. 46, n° 2, 1996, p. 387.
27 Desrosières remarque cependant que « l'assimilation de la statistique aux nombres ne date que du début du
XIXème siècle », car jusque là « elle recouvrait une description « qualitative » des caractéristiques des États,
sans chiffres » . DESROSIÈRES, ALAIN, « Histoire de formes : statistiques et sciences sociales avant 1940 »,
in : Revue française de sociologie, n° 26/2, 1985, p. 280.
28 IBID, p. 721.
29 DESROSIÈRES, ALAIN, L'argument statistique I. Pour une sociologie historique de la quantification, Presses
de l’École des Mines, Paris, 2008, p. 16.
30 DESROSIÈRES, ALAIN, « Adolphe Quetelet », in : Le Courrier des statistiques, n°104, décembre 2002, pp. 4-

6
construction statistique, en mettant en évidence des régularités, des « lois causales » au
niveau « macro » émergeant de « phénomènes aléatoires et imprévisibles au niveau
« micro » »31, permet ainsi à une science de la prévision de faire son apparition. Avec
l'émergence progressive d'un corpus de statistiques administratives, rassemblées alors sous le
nom de « statistiques morales »32 et portant à la fois sur « la procréation, le mariage, le
suicide33 ou encore les crimes », va apparaître une nouvelle « alliance entre l’État et la
science »34, visant parallèlement à collecter un certain savoir35 et à articuler une certaine
technologie du pouvoir sur la population d'un État : c'est la naissance d'une forme de
gouvernementalité que Foucault appellera la « biopolitique »36.

2.1.3. Risque, population et sécurité : la défense de la société

Dans cette optique, l'instrument statistique devient le véritable levier de politiques publiques
dont la finalité consiste à viser, au niveau de la population, un état d'« équilibre global, à
quelque chose comme une homéostasie », autrement dit à « établir des mécanismes
régulateurs » et « des mécanismes de sécurité » en vue de « maximiser les forces et les
extraire » de ce nouvel objet biopolitique 37. Pour Foucault, ce nouveau régime de
gouvernementalité, tendant à considérer la population comme « source de richesse
potentielle », régime dans lequel « il ne s'agit plus de conquérir et de posséder, mais de
produire, de susciter, d'organiser la population »38 afin de mieux et de plus produire, consacre
un renversement de l'ancien régime de la souveraineté. On passe alors du « laissez vivre et
faire mourir » au « laisser mourir et faire vivre »39.
5.
31 DESROSIÈRES, ALAIN, op. cit., 2008, p. 16.
32 Ces statistiques sont en effet « morales », en ce que pour Quetelet, il est possible de les expliquer « par
l'existence de « penchants », distribués dans la population selon les lois comparables à la distribution des
caractères physiques comme la taille ». QUETELET ADOLPHE, Sur l'homme et le développement de ses
facultés. Essai de physique sociale, 1835, cité par DESROSIÈRES, ALAIN, op. cit., 1985, p. 281.
33 Il ne faut pas oublier que le premier ouvrage de sociologie publié par Durkheim, en 1897, s'intitule justement
Le Suicide.
34 DESROSIÈRES, ALAIN, op. cit., 2002, p. 5.
35 Durant le deuxième tiers du XIXème siècle, on verra ainsi se multiplier « des comptages de toutes sortes,
(...) des congrès, puis des sociétés internationales et nationales de statistiques, réunissant des professionnels
et des amateurs, médecins, hygiénistes , actuaires, réformateurs sociaux,... ». DESROSIÈRES, ALAIN, op. cit.,
1985, p. 280.
36 Contrairement à la technique disciplinaire, qui « n'avait à faire qu'à l'individu et à son corps », à « l'individu-
corps », la biopolitique « a affaire à la population, et la population comme problème politique, comme
problème à la fois scientifique et politique, comme problème biologique et comme problème de pouvoir, ».
FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1997, p. 216.
37 IBID, p. 163.
38 LASCOUMES, PIERRE, « La gouvernementalité : de la critique de l’État aux technologies de pouvoir », in :
Revue de philosophie et de sciences humaines », n°13-14, 2004, (en ligne), consulté le 8 mai 2014.
http://leportique.revues.org/625
39 FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1997, p. 163. Dans le dispositif biopolitique, « le pouvoir est de moins en
moins le droit de faire mourir, et de plus en plus le droit d’intervenir pour faire vivre, et sur la manière de
vivre, et sur le « comment » de la vie, à partir du moment donc où le pouvoir intervient surtout à ce niveau-là

7
Intimement liée au paradigme de l'économie politique et au développement de l'industrie, la
notion même de « société » ou de « population » se constitue ainsi comme « un artefact du
risque et vice versa »40. Le développement de la statistique administrative, en tant que
production d'un savoir quantitatif sur ce nouvel objet qu'est la population, participe ainsi d'un
processus de constitution de l'Etat-nation en tant que garant de la sécurité et gestionnaire de la
vie, comprise comme bios, de sa société. De l'individu-corps de la société disciplinaire, on
passe à la société-corps, ou population, qu'il faut gérer, soigner, optimiser, normaliser,
préserver, protéger et défendre contre les risques internes et externes. La socialisation du
risque, à travers l'instrument des assurances (sociales, accidents, vieillesse, maladie,...), fonde
et réalise cette nouvelle forme de contrat social à travers lequel la société émerge comme
concept et réalité, « devient son propre principe et sa propre fin, sa propre cause et sa propre
conséquence »41. Dans cette conception holiste, les notions centrales ne sont dès lors plus
celles de responsabilité, de faute et de prévoyance, mais celles de risque, de solidarité ,
d'assurance, d'indemnisation et de prévention42. « Le rêve d'une réduction toujours plus
achevée du risque », désormais mesurable, repose sur « la confiance dans la science et ses
expertises » et suppose « l'adéquation du savoir et du pouvoir »43.

Cette centralité du corps en tant que lieu où s'exerce le pouvoir et se concentre le savoir, qu'il
soit celui de l'individu ou de la société, et l'impératif disciplinaire ou sécuritaire qui en
découle, implique une double orientation de ce savoir/pouvoir : à la fois un
approfondissement des techniques d'identification du corps individuel, en vue de collecter et
de centraliser le maximum d'informations sur l'histoire de celui-ci (déplacements, résidence,
date et lieu de naissance, cotisations sociales, salaire, imposition,...), puis un affinement et une
extension des instruments statistiques sur la population, dans le cadre d'une gestion globale du
corps-société. D'un côté, il s'agira donc d'enregistrer l'identité les individus « considérés

pour majorer la vie, pour en contrôler les accidents, les aléas, les déficiences, du coup la mort, comme terme
de la vie, est évidemment le terme, la limite, le bout du pouvoir ». Une question reste néanmoins ouverte, à
ce niveau : « comment va s’exercer le droit de tuer et la fonction du meurtre, s’il est vrai que le pouvoir de
souveraineté recule de plus en plus et qu’au contraire avance de plus en plus le bio-pouvoir disciplinaire ou
régulateur ? ». Or, comme nous le verrons par la suite, et comme le suggère Foucault, ce qui va permettre au
pouvoir « de tuer, de réclamer la mort, de demander la mort, de faire tuer, de donner l’ordre de tuer,
d’exposer à la mort » ou tout simplement de « laisser mourir », c'est l'introduction d'une « coupure », d'une
césure, d'une distinction au sein du « continuum biologique » entre certaines catégories de populations ou
d'individus, autrement dit « le racisme », inscrit dans les mécanismes mêmes de l’État biopolitique. IBID, p.
164 et 168.
40 CHANTRAINE, GILLES ET CAUCHIE, JEAN-FRANÇOIS, « Risque(s) et gouvernementalité ». Reconstruction
théorique et illustration empirique : les usages du risque dans l'économie du châtiment légal », in : Socio-
logos. Revue de l'association française de sociologie, n°1, 2006, (en ligne), consulté le 9 mai 2014.
http://socio-logos.revues.org/13.
41 IDEM.
42 EWALD, FRANÇOIS, op. cit., 1996, pp. 388-393.
43 IBID, p. 394.

8
comme une menace pour l'ordre public et la sécurité nationale »44, de créer des fichiers
centralisés, des bases de données disponibles aux quatre coins du territoire, en vue de pouvoir
identifier avec certitude un individu, et de l'autre, de déterminer statistiquement les
populations, les zones, les groupes à risque, là où la probabilité est la plus grande qu'émerge
une menace, un danger, afin de pouvoir la neutraliser et la traiter le plus efficacement
possible. Deux techniques de pouvoir, deux types de savoirs, mais dont les moyens et la
finalité sont les mêmes : surveiller et contrôler pour mieux « défendre la société »45.

2.2. Liberté, sécurité, identité : les rêves politiques de la lèpre et de la peste

« Comme je l'ai appris étant enfant, dans ma famille et à l'école, quand on y apprenait encore
des principes, dans une démocratie qui se respecte, toute personne doit pouvoir présenter sa
carte d'identité aux responsables de l'ordre public, et ce pour la sécurité de tous »46. Cette
citation, dans l'ouvrage de Piazza, des propos du sénateur Jacques Machet, lors d'une
discussion d'un projet de loi relatif aux contrôles d'identité, en 1993, est emblématique non
seulement du caractère évident, « allant de soi », que revêt la nécessité d'une carte d'identité
nationale en France, mais également de son association avec des questions de sécurité
nationale. Pour un État, identifier les individus se trouvant sur son territoire, que ce soit ses
propres ressortissants ou des étrangers, est devenu un impératif sécuritaire. Or, comme toute
institution ou instrument de savoir et de pouvoir, les divers procédés permettant
l'identification des individus ne sont pas le fruit de la nature, mais au contraire le résultat
d'une construction historique particulière intimement liée à la constitution du système d'Etats-
nations dans lequel nous baignons actuellement. Il s'agira donc pour nous dans cette deuxième
partie d'éclairer les processus à l’œuvre dans la pratique d'identification, les logiques et les
discours qui l'accompagnent, et de mettre en évidence comment et pourquoi les États en sont
venus à détenir le monopole des « moyens légitimes de circulation »47.

2.2.1. Des formes traditionnelles de reconnaissance au développement d'une police à


distance : le laboratoire français

En raison de la centralisation des pouvoirs dans la capitale, le régime français représentera


l'exemple même du lent processus de monopolisation par l’État, des processus d'identification
et de reconnaissance des individus, et de l'émergence de ce que Guild et Bigo nomment « la
44 NOIRIEL, GÉRARD, L'identification. Genèse d'un travail d’État, Éditions Belin, Paris, 2007, p. 18.
45 Du titre de l'ouvrage de Michel Foucault, Il faut défendre la société, op. cit., 1997.
46 PIAZZA, PIERRRE, Histoire de la carte nationale d'identité, Éditions Odile Jacob, Paris, 2004, p. 8.
47 Du titre de l'article de John Torpey, « Aller et venir : le monopole étatiques des moyens légitimes de
circulation », in : Cultures & Conflits, n° 31-32, printemps-été 1998, (en ligne), mis en ligne le 16 mars
2006, consulté le 19 avril 2014, http://conflits.revues.org/547

9
police à distance »48. Or, comme le rappelle Noiriel, ce n'est qu'au XIIème siècle, avec l'essor
des échanges économiques, que l'identification par l'écriture commence à se répandre et que
l'enregistrement de l'identité des personnes par le nom de famille ou patronyme, devenu
héréditaire, et le prénom, s'institue49. Ce processus, « étroitement lié à la genèse de l’État
moderne » remplaçant peu à peu « les sociétés d'interconnaissance » sans État, a pour fonction
de « rendre le monde social plus lisible au pouvoir central »50. C'est au Moyen-Âge également
que s'imposera la signature comme « moyen de lier le texte écrit à son auteur » et que l'usage
du sceau se répand51. A partir du XVIIème et du XVIIIème siècle, le passeport apparaît,
remplaçant les anciens sauf-conduits, et se répand parmi les marchands et les pèlerins ; il reste
néanmoins « réservé aux voyageurs appartenant aux classes privilégiées » et joue alors plus le
rôle d'une « recommandation » que celui d'une véritable « pièce d'identité »52. Le règne de
Louis XIV marque également les débuts d'une « saisie par l'écriture »53 de la société française,
dont témoigne l'immense travail de recension des ressources du royaume et de ses habitants
par Colbert. Mais malgré tous ces développements et l'usage de plus en plus répandu, au sein
des classes populaires, de documents d'identité de toute sorte (passeports, certificats,...), la
France de l'Ancien Régime reste sous un système d'identification essentiellement basé sur
l'interconnaissance et le face-à-face. L'étranger ou le migrant, en quittant son groupe
d'appartenance (famille, paroisse, communauté urbaine, corps de métier,...), s'exclut lui-même
de ce système et devient dès lors suspect, puisque inconnu. Ce sera ainsi dans les villes, où les
famines feront affluer quantité de mendiants et de vagabonds, que les pratiques
d'identification policière se développeront, en vue de « retrancher les « mauvais pauvres » du
corps social, en les renvoyant dans leur paroisse d'origine ou en les internant »54. Instruments
de cette « culture des apparences », les agents s'appuieront avant tout sur les signes visibles
que sont « le costume, la façon de parler, les manières »55. En l'absence d'un régime
d'identification sous forme de papiers, la police se doit donc de « tenir continuellement à l’œil
l'ensemble des migrants et les lieux où ils séjournent », en « perfectionnant sans cesse son
réseau de filature » en vue de « pister ceux que leur mobilité rend a priori suspects »56.

48 Voir ELSPETH GUILD ET DIDIER BIGO, «Le visa Schengen : expression d'une stratégie de « police » à
distance », in: Cultures & Conflits, (en ligne), n° 49, printemps 2003, mis en ligne le 29 septembre 2003,
consulté le 03 mai 2014. http://conflits.revues.org/924.
49 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2007, p. 11.
50 IBID, p. 12.
51 IBID, p. 13.
52 NOIRIEL, GÉRARD, « Les pratiques policières d'identification des migrants et leurs enjeux pour l'histoire des
relations de pouvoir. Contribution à une réflexion en « longue durée » », in : Les Cahiers de la sécurité, n°
56, 1er trimestre 2005, p. 339.
53 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2007, p. 14.
54 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2005, p. 339.
55 IDEM.
56 PIAZZA, PIERRRE, « Au cœur de la construction de l’État moderne. Socio-génèse du carnet anthropométrique
des nomades », in : Les Cahiers de la sécurité intérieure, n° 48, 2ème trimestre 2002, p. 213.

10
Avec la Révolution française et l'apparition de la notion de citoyen, définie juridiquement par
des critères tels que le lieu et la date de naissance, le sexe, la profession,..., émerge un
« immense effort d'identification des citoyens, mobilisant des documents écrits, rédigés de
façon uniforme sur l'ensemble du royaume »57. On verra alors apparaître, en plus des
passeports extérieurs, ceux intérieurs, qui, en imposant un « itinéraire strictement défini » au
migrant (avec indication du trajet à suivre et l'imposition d'étapes au cours desquelles il doit
faire viser son passeport par le maire ou le commissaire de police) mettent en place les
« conditions d'un face-à-face constant entre les représentants de l’État et les individus
mobiles »58. De même, l'instauration du livret ouvrier permettra à l'administration de
« conserver une trace de tous les déplacements effectués par les ouvriers »59, grâce à
l'apposition de visas. L'avantage de ces deux types de « fichiers ambulants » tient dans le fait
que les données sont conservées par l'individu lui-même, ce qui facilite les opérations de
contrôle policier. Le principal inconvénient en est cependant le risque de falsification, risque
contre lequel les opérations d'identification basées sur le corps même de l'individu (marques
au fer rouge60, anthropométrie, dactyloscopie,...) apparaîtront bien plus efficaces.

Il faudra toutefois attendre la fin du XIXème siècle pour que se produise une véritable
« révolution identitaire ». En effet, ce n'est qu'à ce moment-là qu' « un véritable pouvoir
bureaucratique, autonome par rapport à la société civile, devient capable d'identifier les
individus sans dépendre des relations de face à face et des interactions locales »61. On passera
alors de « l'âge de la surveillance », « fondé sur le regard », à « l'âge du contrôle », basé sur
« le binôme fichier central - cartes d'identités »62. Peu à peu, « un immense texte policier » va

Comme le note Noiriel, ce système de pratiques, s'il s'explique par l'usage peu répandu de l'écriture dans le
peuple, le caractère embryonnaire de la bureaucratie et l'absence de transports mécaniques, apparaît
cependant comme le reflet de l’État monarchique lui-même, qui se base sur l'allégeance personnelle de
chaque sujet au souverain, ce dont témoigne les différents privilèges, exemptions et concessions liés à la
qualité de certains groupes sociaux. Dans cette configuration du pouvoir, ce n'est donc ni le territoire et ses
frontières qui sont déterminants, mais bien l'allégeance personnelle de chaque sujet. NOIRIEL, GÉRARD, op.
cit., 2005, p. 336.
57 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2007, p. 16.
58 PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2002, p. 213. Cette coexistence des passeports extérieurs et intérieurs, qui,
distincts dans la loi, soumettent néanmoins les migrants, qu'ils soient étrangers ou non, aux mêmes
contraintes, montre bien qu'avant l'apparition du « fait national », les populations à risques visées par de
telles procédures n'avaient pas pour objet unique l'étranger, mais le migrant, le vagabond et le mendiant. Au
demeurant, comme le note Noiriel, en 1860, avec « la signature des traités de libre-échange (...), on constate
même que les pays voisins n'ont plus besoin de passeports pour venir en France, alors que le Français qui
passent d'un département à l'autre sont tenus d'en demander un ». NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2005, p. 343.
59 IDEM.
60 Abolie en 1832, la marque au fer rouge constituait un « véritable alphabet judiciaire » : le G pour le
condamné aux galères, le T pour ceux aux travaux forcés, le V pour les voleurs, le F pour les faussaires,...
HEILMANN, ERIC, « Surveiller (à distance) et prévenir. Une nouvelle économie de la visibilité », in :
Questions de communication, n° 11, 2007, pp. 306-307.
61 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2007, p. 18.
62 PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2004, p. 63. Pour Noiriel, cette transition semble aller à l'encontre des thèses de
Foucault. En effet, « cette obsession panoptique dans la police de l'époque » marquerait en fait l'échec du

11
ainsi tendre « à recouvrir la société grâce à une organisation documentaire complexe » basée
sur les « dispositifs d'écriture ». Il ne s'agit dès lors plus simplement d'être vigilant, l'oeil aux
aguets, mais d'élaborer des « savoirs », collecter et centraliser le maximum d'informations sur
les individus63.

L'avènement de la IIIème République en France consacrera ainsi « un tournant dans l'histoire


des techniques policières d'identification des migrants»64. Du fait de leur inefficacité et de leur
aspect discriminatoire, le passeport intérieur et le livret ouvrier seront progressivement
abandonnés durant les années 1880-1890. Mais si la liberté de circulation des citoyens
français est garantie (ce qui ne faisait qu'entériner la réalité du phénomène de l'exode rural et
le développement des moyens de transports), c'est celle des étrangers qui va être
particulièrement limitée. C'est ainsi que la constitution de l'Etat-nation, devenu le garant de la
sécurité territoriale, sociale, physique et militaire de sa population, va coïncider avec un
changement d'orientation concernant les populations à risque : à la figure générique du
migrant va se substituer celle du vagabond d'origine étrangère 65. L'obligation de la carte
d'identité pour étrangers de 1917 succédera ainsi à celle du carnet anthropométrique pour les
nomades de 191266.

Mais si le port de document d'identité n'est plus nécessaire pour les citoyens français en vue
de circuler au sein du territoire national, le contrôle des « populations dangereuses »67 va
rester un objectif et un souci constant de l'administration policière. C'est d'ailleurs à cette
époque que vont fleurir les statistiques sur la délinquance et la criminalité, dont la
présentation sera faite au public lors de l'Exposition universelle de 1889. Il s'agit alors
d' « apporter la preuve de la véritable « contagion » des faits délictueux et criminels en
comptabilisant de façon exhaustive l'ensemble des individus dangereux sur le territoire »68.
Ces études tendent à présenter un « bilan de l'état moral du pays », en établissant des tableaux

système d'identification basé sur le regard. « La vraie coupure » se situerait donc à la fin du XIXème siècle,
lorsqu'on passe à l'âge de contrôle. Néanmoins, il nous paraît que loin de constituer une rupture, ce passage à
des techniques d'identification plus performantes n'est que la prolongation du système de surveillance tel
qu'il est décrit par Foucault à travers le dispositif panoptique. Il n'y a pas là de coupure entre deux
technologies de pouvoir différentes : il s'agit toujours d'identifier les individus considérés comme une
menace (que la qualification de cette menace varie est un fait, mais ne saurait constituer un changement de
technique politique), en vue de les surveiller et de les contrôler, soit pour les discipliner, soit pour les
exclure. NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2005, p. 343.
63 HEILMANN, ERIC, op. cit., p. 303.
64 NOIRIEL, GÉRARD, op. cit., 2005, p. 343.
65 PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2002, p. 218.
66 Pour plus de détail, voir PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2002 et PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2004.
67 Du nom de l'ouvrage du criminologue Paul Céré, paru en 1872 et intitulé Populations dangereuses et la
misère sociale, cité par PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2004, p. 58.
68 IDEM.

12
regroupant des données statistiques sur « la criminalité générale, la violence, l'immoralité, la
cupidité, la paresse, la misère, l'alcoolisme, les faillites, les suicides,... »69. A travers toutes ces
figures de la dégénérescence, de l'anormalité, il y en a cependant une qui mobilisera
spécialement experts et police : celle du récidiviste, symbole même du criminel-né, non-
amendable, incorrigible et agent de corruption pour les criminels d'occasion 70. Or, le grand
problème pour la police de l'époque, c'est de pouvoir reconnaître avec certitude l'identité de
ces individus récalcitrants. C'est alors vers le fils du célèbre médecin, anthropologue et
statisticien Louis-Adolphe Bertillon, Alphonse Bertillon, que la police municipale de Paris se
tournera,. Celui-ci lui donnera sa désormais fameuse « méthode anthropométrique ».

2.2.2. De l'anthropométrie à la biométrie : le corps-identifiant

2.2.2.1. Le bertillonage : mesure et classification des corps

S'inspirant des méthodes de l'histoire naturelle, Alphonse Bertillon, entré à la police


municipale de Paris en 1879 et issu d'une famille de scientifiques renommés 71, va développer
une nouvelle méthode permettant « d'identifier avec certitude n'importe quel individu » sur la
base de mesure de certaines parties du corps (longueur de la tête, du médius, de l'auriculaire,
de la coudée, du pied, ...)72. Comme le remarque Kaluszynski, suite à l'abolition de la marque
au fer rouge des coupables en 1832, « l'identification devient la condition élémentaire de la
répression »73. Le bertillonnage va ainsi consister à établir d'une part « le signalement des
prévenus » de manière rigoureuse, et d'autre part « une technique rationnelle de classement »
aboutissant « à l’instauration d’un fichier judiciaire élaboré et efficace »74. Ajoutant à ses
mensurations « le portrait parlé »75, la photographie et le relevé des marques corporelles du
coupable, Bertillon établit un classement de fichiers qui doit permettre de déceler, le plus
69 IDEM.
70 Adolphe Quetelet, dont nous avons vu l'importance dans le développement de l'analyse des statistiques dites
morales, affirme ainsi : « Ce sont toujours les mêmes personnes qui commettent toujours les mêmes
crimes ». Cité par KALUSZYNSKI, MARTINE, Maintien de l'ordre et polices en France et en Europe au XIXe
siècle, Éditions de la Société d'histoire de la révolution de 1848 et révolutions du XIXéme siècle, Paris,
1987, p. 270.
71 « Achille Guillard, son grand père est l'inventeur du mot "démographie". Son père, Louis Adolphe Bertillon,
médecin, fondera avec d’autres en 1859 l'Ecole d'anthropologie. Son frère aîné de deux ans, Jacques
Bertillon, médecin, est directeur des statistiques de la Ville de Paris. Ils furent tous dreyfusards là où lui se
révéla l’expert- graphologue, hostile et accusateur à Dreyfus, en 1899 ». IBID, p. 271.
72 PIAZZA, PIERRE, « La fabrique « bertillonienne » de l'identité. Entre violence physique et symbolique », in :
Labyrinthe, n° 6, 2000, (en ligne), mis en ligne le 23 mars 2005, consulté le 16 mai 2014,
http://labyrinthe.revues.org/453.
73 KALUSZYNSKI, MARTINE, op. cit., p. 273.
74 IDEM.
75 Le portrait parlé consiste en « une description lisible de l'individu, fait en signes convenus et abrégés, de
manière à pouvoir être transmise à distance ». MATTELART, ARMAND, La globalisation de la surveillance.
Aux origines de l'ordre sécuritaire », Édition La Découverte, Paris, 2008, p. 22.

13
rapidement et avec la plus grande certitude, le récidiviste, « tout comme le naturaliste, armé
de ses tables dichtomiques, parvient à identifier les plantes ou les animaux singuliers qu'il
rencontre dans la nature »76. La classification du jeune commis aux écritures de la préfecture
de police de Paris s'inspire en effet de celles en arborescence des naturalistes qui « par une
suite de divisions successives » permettent « à chaque rang d'éliminer les appartenances
possibles pour l'individu dont on cherche à déterminer le nom générique ou spécifique »77.

Cette méthode plus rationnelle et efficace de la technique d'identification policière va


connaître un grand succès, que ce soit au niveau national, où elle est mise en place dès 1880,
ou à l'étranger, notamment en Amérique du Sud 78. Mais le système Bertillon permet
également, à travers la codification de l'identité de l'individu par des abréviations simples et
une suite de mensurations chiffrées universellement décodables, la circulation de l'information
à distance entre les différentes administrations et polices étatiques. En effet, dans ce passage
de l'ère de la surveillance à celle du contrôle, l'objectivité, la simplicité et l'univocité de
l'information se doit d'être la plus grande possible. Or, comme le note Dubey, la principale
vertu de l'écriture, d'autant plus lorsqu'elle se résume à des chiffres ou des codes, est « de
permettre la transmission d'un message en dehors de son contexte d'élaboration »79, condition
même de toute police à distance.

Promu à l'origine pour l'identification des récidivistes, le bertillonnage va néanmoins


« toucher peu à peu les individus caractérisés par des statuts sociaux très divers », se faisant
ainsi « la tête de pont d'un projet d'ensemble, plus ou moins conscient, visant à exercer un
contrôle généralisé et subtil de la société »80. Et en effet, les opérations d'identification seront
effectuées non seulement à toutes les personnes passant par le dépôt de la Préfecture, mais
elles s'étendront dès 1887 à « tout le monde de l'errance », à « tout voleur, ou simple
76 GUILLO, DOMINIQUE, « Bertillon, l'anthropologie criminelle et l'histoire naturelle : des réponses au
brouillage des identités », in : Crime, Histoire et Sociétés, vol. 12, n°1, 2008, p. 100.
77 IBID, p. 102. Les liens intimes entre l'anthropologie criminelle, la médecine et l'histoire naturelle en cette fin
de XIXème siècle vont ainsi donner naissance à tout un courant de la criminologie tendant à populariser la
conception d'une « inscription dans le corps même du criminel de la disposition, jugée pathologique, à
dévier de la norme ». L'un de ses représentants les plus connus en est Cesare Lumbroso, dont l'ouvrage
L'homme criminel (1876), associe certains caractères corporels (l'angle facial, par exemple), à un type
particulier d'êtres humains (la prostituée, le criminel, ...). Dans la même optique, on retrouvera notamment
chez Galton, l'inventeur de la dactyloscopie, des théories eugéniques assimilant les déviants à une race
inférieure, ou les associant à une dégénérescence héréditaire. Pour plus de détails, voir GUILLO, DOMINIQUE,
op. cit., pp. 99-101.
78 Voir GALEANO, DIEGO ET GARCÍA FERRARI, MERCEDES , « Le bertillonnage en Amérique du Sud »,
in: Criminocorpus (en ligne), mis en ligne le 19 mai 2011, consulté le 16 mai 2014.
http://criminocorpus.revues.org/399 . L'Argentine est d'ailleurs le premier pays à avoir adopté le système
Bertillon par décret. MATTELART, ARMAND, OP. CIT., P. 23.
79 DUBEY, GÉRARD, « Nouvelles techniques d'identification, nouveaux pouvoirs. Le cas de la biométrie », in :
Cahiers internationaux de sociologie, n°125, 2008, p. 267.
80 PIAZZA, PIERRE, op. cit., 2000.

14
vagabond non nanti de papiers d'identité », aux « malades mentaux » voir « au monde
ouvrier », qualifié par les autorités policières de « tourbe laborieuse »81. Et comme nous
l'avons vu plus haut, c'est ce même système, auquel s'ajoutera l'empreinte digitale, qui va être
mobilisé pour identifier les nomades en 1912. La logique de suspicion, portée sur certaines
classes de la population considérée comme étant « à risques », que ce soit les marginaux, les
vagabonds, les mendiants, bref les a-normaux (autrement dit les individus ne répondant pas à
la norme, ainsi que l'a définie notamment Quetelet avec son « homme moyen »), ou plus
globalement la « population dangereuse », dont la classe ouvrière dans son anonymat et son
potentiel révolutionnaire est un exemple, va entraîner une expansion de la logique de contrôle
à distance d'une part de plus en plus importante de citoyens.

Loin donc de représenter la fin des processus de surveillance de la population française par
son administration, et la police en particulier, la suppression du livret ouvrier tout comme
celle du passeport intérieur est largement compensée par le fichage intensif d'individus non
pas seulement coupables ou ayant commis un délit, mais présentant le risque d'en commettre.
En cela, ce contrôle s'assimile bien à une logique pro-active, qui, si elle permet la circulation
des individus citoyens, rend repérables et identifiables à tout moment ceux considérés comme
menaçants. En ce sens, si le fait national a bien fait émerger une ligne de partage entre
citoyens et étrangers, les uns étant dispensés de porter un document d'identité, les autres non,
reste que cette ligne semble bien poreuse82. De l'étranger au vagabond en passant par le
criminel et le malade mental, c'est à la construction d'un même « continuum de menace»83 et
de contrôle par les institutions étatiques auquel on assiste.

Technique douce, excluant « l'usage de la violence purement physique » de l'aveu, du passage


à tabac, présentée comme la manifestation d'une « police plus raisonnée et raisonnable »,
« faisant son œuvre en silence, fonctionnant avec des frottements doux, mais avec la précision
d'une machine bien conçue »84, l'identification anthropométrique marque le passage d'une
économie de pouvoir basée sur la violence physique, le face-à-face, le corps à corps, à celle
d'un pouvoir « qui tend à l'incorporel »85 ou du moins à « une violence plus feutrée »,

81 IDEM. Selon Piazza, un journaliste parisien aurait même proposé, en 1883, la mise en place « d'un système
d'immatriculation qui permettrait à l'administration d'enregistrer la nation toute entière et de « la numéroter
comme un troupeau de mouton ». Article intitulé « L'anthropométrie à la morgue », in : Feuilleton de la ville
de Paris, 11 octobre 1883, cité par IDEM.
82 Et de fait, alors que la carte d'identité devient obligatoire pour les étrangers en 1917, celle pour les citoyens
apparaîtra en 1921, tout en restant facultative. IDEM.
83 BIGO, DIDIER, Polices en réseaux, l'expérience européenne, Presses de la Fondation nationale des sciences
politiques, Paris, 1996, p. 258.
84 PIAZZA, PIERRE, op. cit., 2000.
85 FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1975, p. 236.

15
« symbolique »86. Il n'est plus nécessaire de torturer le corps pour le faire parler, la technique
de la mesure le fait parler de lui-même. La mise en information du corps à travers sa
mensuration, le stockage des données et leur transmission aux quatre coins du territoire, réduit
ainsi à la fois l'incertitude de l'identification de l'individu par l'autorité, et celle pour ce dernier
d'échapper au pouvoir. La maxime du célèbre criminaliste Beccaria selon laquelle « la loi doit
suivre l'homme comme l'ombre suit son corps » n'est dès lors plus vraiment une utopie87.
L'anthropométrie permet ainsi ce processus d'autodiscipline décrit par Foucault dans le cadre
du panoptisme, système au sein duquel l'individu, « soumis à un champ de visibilité, et qui le
sait, reprend à son compte les contraintes du pouvoir » et « devient le principe de son propre
assujettissement »88. Technique disciplinaire participant à la normalisation des individus,
l'identification anthropométrique s'inscrit ainsi dans la logique « du partage binaire et du
marquage » : « fou-non fou ; dangereux-inoffensif ; normal-anormal »89.

2.2.2.2. Identification et exclusion : deux rêves d' « anatomie politique »90

Dans le schème du bio-pouvoir, la centralité accordée à la place du corps-identifiant apparaît


comme le reflet de celle donnée au corps-société. C'est alors le langage-même de la médecine
des corps qui est utilisé dans la gestion de la population : il s'agit de contrôler les individus à
risques comme on surveille le développement d'un virus, d'une maladie contagieuse ou d'un
cancer dans un corps sain. On retrouve dans cet imaginaire gouvernemental la vision de la
prolifération bactériologique, de « la contagion des faits délictueux », de la masse informe des
vagabonds qui grossit, de la « dégénérescence » du délinquant, l'image du sauvage et du
primitif, de la « plaie sociale »91 à traiter,... bref tout un discours, un mode de pensée et
d'action dont le corps biologique devient le point nodal et l'ultime référence. Ce même
discours se retrouvera alors mobilisé, avec la constitution du « fait national », pour
caractériser l'étranger : élément hétérogène, corps étranger à assimiler ou intégrer, ou le cas
échéant à évacuer (la métaphore digestive est ici très suggestive), de même qu'on parlera
d'invasion, de prolifération, d'afflux de population migrantes, qui comme les vagabonds ou les
mendiants du XIXème siècle, s'apparenteront à une masse informe, aux contours flous,
insaisissables, bref à cette « population dangereuse »92 dont parlait déjà Céré dans son ouvrage
en 1872.

86 PIAZZA, PIERRE, op. cit., 2000.


87 Cité par IDEM.
88 FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1975, P. 258.
89 IBID, p. 253.
90 IBID, P. 258.
91 PIAZZA, PIERRRE, op. cit.., 2000, p. 58.
92 IDEM.

16
A travers cette émergence de l’État en tant que monopolisateur légitime des moyens de
circuler et de s'identifier, transparaît ce que Foucault appelait « le rêve politique de la
peste »93. Cette-dernière symbolise en effet cette « forme à la fois réelle et imaginaire du
désordre », tout comme « la hantise des « contagions », (...), des révoltes, des crimes, du
vagabondage, des désertions, des gens qui apparaissent et disparaissent, vivent et meurent
dans le désordre »94. L’État, désormais garant de l'ordre et de la sécurité de sa population, ne
peut se résoudre à laisser exister sur son territoire cette part d'inconnu, d'étrange,
d'insaisissable et de chaotique. Il lui faut « étreindre » et « s'emparer »95 de sa population, en
objectivant les identités individuelles, en assignant « à chacun son « vrai » nom, sa « vraie »
place, son « vrai » corps et sa « vraie » maladie »96. Mais en parallèle à cette technique de
surveillance et de contrôle des corps sur un territoire, un autre rêve politique se dessine
également, celui de la lèpre, c'est-à-dire celui de l'exclusion, de « l'exil-clôture », où les
réprouvés se trouvent rejetés « dans une masse qu'il importe peu de différencier »97. Or,
comme le souligne très bien Foucault et comme nous avons pu le voir, loin de s'exclure, ces
deux techniques de pouvoir tendront à se rejoindre au XIXème siècle. Face aux mendiants,
vagabonds, étrangers et autres « sauvages de la civilisation »98, l’État ne se contente plus de
les rejeter, de les enfermer (à l'intérieur ou à l'extérieur de ses frontières) ou de les contenir
dans un espace clos, de manière uniforme et massive, comme avec des lépreux, mais il les
englobe dans ce même rêve de la peste, à travers les pratiques d'identification, de fichage et de
contrôle. Or, le XXème siècle ne fera que prolonger cette même logique gouvernementale, ce
même rêve de contrôle et d'exclusion. A la méthode anthropométrique d'un Bertillon
succédera celle dactyloscopique d'un Galton, puis à l'heure actuelle celle dite biométrique, ces
développements brillant « d'avantage par l'approfondissement de logiques anciennes que par
un quelconque nouveauté »99. Reste pour nous à analyser concrètement comment ces
nouvelles pratiques sont mises en place et quelles relations de pouvoir elles véhiculent.

2.2.2.3. De l'usage de la biométrie : panoptisme vs banoptisme

Si le système Bertillon tombera peu à peu en désuétude, notamment du fait de l'amélioration


de la technique photographique et de la plus grande fiabilité et simplicité du procédé
93 FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1975, P. 231.
94 IDEM.
95 TORPEY, JOHN, « Aller et venir : le monopole étatique des moyens légitimes de circulation », in : Cultures &
Conflits, n° 31-32, printemps-été 1998, (en ligne), mis en ligne le 16 mars 2006, consulté le 19 avril 2014,
http://conflits.revues.org/547
96 FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1975, P. 231.
97 IDEM.
98 C'est ainsi que Bertillon qualifiait les récidivistes. PIAZZA, PIERRRE, op. cit., 2000.
99 BONDITTI, PHILIPPE, op. cit., été 2005.

17
dactyloscopique de Galton100, la recherche de toujours plus d'efficacité et de certitude quant
aux techniques d'identification va se poursuivre durant tout le XXème siècle. Dans le courant
des années 1980, le développement de la biologie moléculaire va ainsi permettre de relever
des caractéristiques jusque là imperceptibles : les « empreintes dites génétiques ». Et dans la
foulée, promue par « l'industrie de la biosécurité » apparaîtra ce que l'on appelle désormais la
biométrie, « succédané de l'anthropologie judiciaire », qui désigne « l'ensemble des
techniques disponibles sur le marché de l'analyse des données morphologiques (empreintes
digitales, forme du visage, de la rétine, de la voix, ...) et biologiques (empreintes
génétiques) »101. Dans le cadre de son usage au niveau de l'identification des individus, la
biométrie consiste en la transformation de ces caractéristiques physiologiques et
comportementales en code numérique, ou gabarit, et leur stockage dans une base de données
informatiques102. La différence principale avec le système de Bertillon ou de Galton réside
donc tout simplement dans l'informatisation (ou numérisation) des données
anthropométriques ; auparavant consignées dans un système de classement de fiches
volumineux, elles sont désormais stockées dans de simples disques durs. Le passage de l'écrit
au numérique permet ainsi une plus grande rapidité d'accès aux données, une plus grande
vitesse de transmission et donc une meilleure efficacité du système d'identification.

2.2.2.3.1. L'Union européenne et les États-Unis : identification, stockage et interopérabilité

Si les premiers prototypes basés sur l'analyse d'empreintes digitales apparaissent dans le
milieu des années 1970 et se limitent à des applications de type contrôle d'accès ou gestion
des horaires, les progrès effectués durant les années '90 en matière informatique, joints à la
baisse drastique des coûts, va permettre leur application à des environnements de plus en plus
diversifiés103. Dès les années 1990, on verra ainsi la France adopter la biométrie des

100 Sur ce sujet, les pays d'Amérique du Sud seront là-encore des pionniers. C'est ainsi que Jean Vucetich,
émigré à 24 ans de la partie croate de l'Empire austro-hongrois et chef de la statistique de la police de la ville
de la Plata, va expérimenter dès 1891 la dactyloscopie et donner naissance à un système de classement
portant son nom. Il œuvrera ainsi à « son extension à « tous les hommes sans aucune distinction » » au nom
du « droit à l'identité ». Les pays d'Amérique du Sud deviennent alors rapidement un « laboratoire grandeur
nature de la carte d'identité couplée avec les empreintes digitales ». La méthode dactyloscopique ne sera dès
lors plus seulement réservée au traitement des délinquants, mais s'étendra aux immigrés venus d'Europe.
Voir MATTELART, ARMAND, op. cit., P. 27.
101 HEILMANN, ERIC, op. cit., p. 307.
102 WOODTLI, PATRICK, Cerbère au temps des bio-maîtres. La biométrie, servante-maîtresse d'une nouvelle ère
biopolitique ? Le cas du programme US-VISIT, Mémoire présenté à la Faculté des Études Supérieures,
Département d'anthropologie, Faculté des Arts et des Sciences, Université de Montréal, Juin 2008, (en
ligne), p. 31.
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/7324/Woodtli Patrick_F
2008_memoire.pdf;jsessionid=731816DC14971D9C3B 2503C87648044A?sequence=1
103 WOODTLI, PATRICK, « Entre ordre et chaos. Le corps biométrique, lieu du politique », in : Altérités, vol. 5, n°
1, 2008, p. 20.

18
empreintes digitales pour les demandeurs d'asile et les étrangers en situation irrégulière, avant
de l'étendre à tous les étrangers sur sol français. En 1995, l'Angleterre et le Pays de Galle
mettent en place une banque de profils ADN dans laquelle est stockée, de manière
permanente, le profil de toute personne arrêtée ou suspectée d'infraction enregistrable104. Au
niveau européen, il faudra attendre 1998, avec le plan d'action de Vienne concernant
l'harmonisation de la politique des visas, pour voir apparaître cette technologie au niveau des
passeports extra-européens105. Cependant, dès l'année suivante, au Sommet de Tampere, le
Conseil européen décidait de la mise en place d'une base de données biométriques, appelée
EURODAC, concernant les demandeurs d'asile et les personnes appréhendées lors du
franchissement irrégulier des frontières de l'Union. Celle-ci sera effectivement mise en oeuvre
en 2003, suivie en 2007 par le Visa Information System (VIS), qui stocke les informations
biométriques des demandeurs de visa en provenance de certaines régions (Afrique, Proche-
Orient, États du Golfe)106. Ces deux bases de données seront connectées au Système
d'Information Schengen II (SIS II), instauré en 2006 et venant remplacé l'ancien SIS de 1995,
qui contient quant à lui les données biométriques et autres informations relatives à certaines
catégories de personnes (personnes recherchées, sous mandat d'arrêt, interdites de
séjour,...)107. Les polices des Etats signataires de la Convention Schengen, de même
qu'Europol, agence de police intergouvernementale au niveau européen créée en 1999, auront
dès lors accès à ces deux bases de donnée, et ceci car « les informations contenues dans
Eurodac sont nécessaires aux fins de la prévention ou de la détection d'infractions terroristes
(...) ou d'autres infractions pénales graves (...) ou aux fins d'enquête en la matière »108. En

104 En 2006, cette banque comportait 3,3 millions d'enregistrements, soit 5 % de la population. MATTELART,
ARMAND, op. cit., P. 204.
105 CEYHAN, AYSE, « Technologie et sécurité : une gouvernance libérale dans un contexte d'incertitudes », in :
Cultures & Conflits, n° 64, hiver 2006, (en ligne), mis en ligne le 2 avril 2007, consulté le 19 octobre 2013,
http://conflits.revues.org/2173
106 CEYHAN, AYSE, « Technologization of Security : Management of Uncertainty and Risk in the Age of
Biometrics », in : Surveillance & Society, n°5/2, pp. 102-123 (en ligne), mis en ligne en 2008, consulté le 25
avril 2014, p. 114, http://www.surveillance-and-society.org/articles5(2)/technologization.pdf. Comme le
constate Weber, l'obligation de visa à certains pays a été imposée selon le risque de « forte pression
migratoire » qu'ils présentaient, donnant ainsi naissance à une véritable liste grise. Les pays du monde se
voient donc ainsi hiérarchisés « en fonction de leur « profil », selon leur plus ou moins haut degré de
« risque terroriste » et de « risque migratoire » ». WEBER. SERGE, « D'un rideau de fer à l'autre : Schengen
et la discrimination dans l'accès à la mobilité migratoire », in : Géocarrefour, vol. 84, n° 3, 2009, p. 165.
http://www.surveillance-andsociety.org/articles5(2)/technologization.pdf . Voir également ELSPETH GUILD ET
DIDIER BIGO, op. cit., printemps 2003.
107 BONDITTI, PHILIPPE, "L'Europe : tracer les individus, effacer les frontières", in: Ceriscope, (en ligne), mis en
ligne en 2011, consulté le 25 avril 2014, http://ceriscope.sciences-po.fr/content/part2/leurope-tracer-les-
individus-effacer-les-frontieres
108 PARLEMENT EUROPÉEN, Position du Parlement européen arrêtée en première lecture le 12 juin 2013 relatif
aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac présentées par les autorités répressives des
États membres et Europol à des fins répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant
création d'une agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à grande
échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, Strasbourg, 12 juin 2013.
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.dotype=TA&language=FR&reference=P7-TA-2013-
258#ref_2_1

19
2005, là aussi « au prétexte des nécessités de la lutte contre le terrorisme », la Belgique,
l'Allemagne, l'Espagne, la France, le Luxembourg, les Pays-Bas et l'Autriche ont signé un
nouvel accord intitulé « traité de Prüm » ou Schengen III, qui prévoit « l'échange entre les
Etats signataires des données génétiques, empreintes digitales et données à caractère
personnel », « la constitution de patrouilles policières communes »109, ... En vue de justifier ce
traité, les parties contractantes estiment ainsi qu' « un niveau aussi élevé possible de
collaboration, en particulier par le biais d'un meilleur échange d'informations » va leur
permettre d'être plus efficace dans « la lutte contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière
et la migration illégale »110.

Sur fond de « guerre globale au terrorisme » et de discours évoquant l'état d'urgence,


l'ampleur de la menace et des risques pesant sur l'Occident après les attentats du 11 septembre
2001, puis ceux de Madrid en 2004 et de Londres en 2005, les États-Unis, tout comme les
États européens, ont ainsi très largement eu recours aux technologies d'identification
biométriques, qui sont dès lors apparues comme « les nouvelles gardiennes de l'ordre »111 et la
solution miracle112. Comme le montre très bien Amoore, dans les mois qui ont suivi l'attentat
des tours jumelles de New-York, « the dilemmas of the war on terror were being framed as
problem of risk management (...) using risk profiling techniques »113. Les technologies déjà
présentes dans le secteur privé et militaire et permettant de classifier les populations
conformément à leur « degree of threat » allaient alors être déployées au service de la sécurité
des frontières114. C'est ce que va concrétiser la mise en oeuvre du programme US-VISIT, un
projet valant 10 billions de dollars, avec pour but de restructurer tous les aspects de la sécurité
des frontières américaines, qu'elles soient aériennes, terrestres ou maritimes. Avec pas moins
de 283 points d'accès au territoire américain équipés du « plus grand système biométrique
109 BONDITTI, PHILIPPE, op. cit., 2011.
110 Traité de Prüm du 27 mai 2005 entre le Royaume de Belgique, la République fédérale d’Allemagne, le
Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et
la République d’Autriche relatif à l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue
de lutter contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, Prüm, 27 mai 2005.
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/international/Traite_PrumVF_annexes.pdf
111 WOODTLI, PATRICK, op. cit., 2008, p. 20.
112 Néanmoins, comme nous l'avons vu, la technologie biométrique était déjà utilisée dans les dispositifs de
sécurité et de contrôle avant 2001. Mais alors que de tels projets étaient souvent bloqués pour des raisons
juridiques ou politiques, les attentats ont permis d'ouvrir une « policy window » permettant aux « policy
experts » d'exploiter la situation en vue de faire passer leurs propositions. A. MÉGIE, « La guerre contre le
terrorisme : discours, normes et pratiques au sein d'un ordre politique disloqué », Congrès AFSP Strasbourg
2011, ST 9, Ni guerre, ni paix : enquête sur les ordres politiques disloqués.
www.afsp.info/congres2011/sectionsthematiques/st9/st9megie.pdf
113 AMOORE, LOUISE, « Biometric borders : Governing mobilities in the war on terror », in : Political
Geography, n° 25, 2006, p. 337.
114 IDEM. Comme le rappelle Ceyhan, « in analytical terms, these different steps fits into the process of the
widening and deepening of security issues from the traditionnal military realm to a broad range of focal
objects like immigration, borders, identity, welfare, crime and terrorism ». CEYHAN, AYSE, op. cit., 2008, p.
103.

20
jamais développé à des fins civiles », ce programme oblige tout visiteur étranger entrant ou
sortant du territoire à enregistrer ses empreintes digitales ainsi qu'une scanographie faciale
pour vérification biométrique115. Mais ce qui est bien plus intéressant, c'est que US-VISIT
utilise une vingtaine de bases de données catégorisant les populations selon leur « degrees of
riskiness » : IDENT, qui collecte les empreintes dactyloscopiques numérisées de tous les
visiteurs étrangers, immigrants et requérants d'asile, ADIS, qui enregistre les entrées et sorties
des voyageurs, APIS, qui stocke les informations personnelles sur les passagers, SEVIS, qui
contient les données sur les étudiants étrangers et en échange, IBIS, une base de données
connectée à Interpol et à celle de la police américaine, ... et tout un ensemble de banque
d'informations liées à la finance, aux banques, à l'éducation et au systèmes de santé 116. La
qualité première qui est reconnue à ce programme, et qu'il a en commun avec notamment le
système VIS en Europe, c'est qu'il permet, grâce à la biométrie et à l'interopérabilité des
banques de données, « ce que les mécanismes de contrôle à la frontière rendaient
impossible », « à savoir une anticipation du risque en amont de celle-ci »117. Les États se
donnent ainsi les moyens « de déceler les groupes d'individus indésirables avant qu'ils
n'atteignent matériellement la frontière »118, en mettant en place ces technologies dans les
consulats, les ambassades, les aéroports119 ou auprès d'entreprises privées comme les
compagnies aériennes120. La guerre contre le terrorisme est donc menée de manière pro-active
à travers l'encodage des « risk profiles » dans des bases de données, qui deviennent « a basis
to predict and prevent futur acts »121.
115 WOODTLI, PATRICK, op. cit., 2008, p. 15.
116 AMOORE, LOUISE, op. cit., pp. 339-340.
117 FOESSEL, MICHAËL ET GARAPON, ANTOINE, « Biométrie : les nouvelles formes de l'identité », in : Esprit, n°
8-9, 2006, p. 169.
118 IDEM.
119 L'OACI (Organisation de l'Aviation Civile Internationale), membre de l'ONU, et dont l'objectif est de fixer
les normes internationales de voyage, a ainsi établi, en mai 2003, les critères relatifs aux passeports
biométriques valables au niveau mondial. WOODTLI, PATRICK, op. cit., 2008, p. 17.
120 Dans le cadre de l'accord de 2003 entre les Etats-Union et l'Union européenne concernant la transmission
automatique des PNR (Passenger Name Record), qui incluent pas moins de 39 données personnelles sur les
passagers (itinéraires, modes de paiements, goûts, ...) permettant d' « attribuer à chaque passager un code de
couleur correspondant à son niveau estimé de dangerosité (rouge, jaune ou vert) avant l'embarquement », les
compagnies aériennes se trouvent dans l'obligation de fournir ces informations aux autorités étatiques.
CEYHAN, AYSE,« Sécurité, frontières et surveillance aux États-Unis après le 11 septembre 2001 », in :
Cultures & Conflits, n° 53, printemps 2004, (en ligne), mis en ligne le 4 novembre 2004, consulté le 12
novembre 2013, http://conflits.revues.org/100.
121 AMOORE, LOUISE, op. cit., p. 340. Selon Ceyhan, « la surveillance après le 11 septembre » procéderait ainsi
« à l'image du rhizome non hiérarchique, par l'extraction du corps de l'individu de sa place fixe et son
introduction dans un flux de données en circulation qui seront re-assemblées dans des lieux différents sous
formes de catégories crées pour distinguer les individus en fonction de leur profil et de leur degrés de
dangerosité ». CEYHAN, AYSE, op. cit., printemps 2004.
Cette destructuration de l'identité individuelle, qui devient dès lors « composed of bricks of information that
are quick to travel and easy to compare » amène ainsi Aas, avec Deleuze, à parler non plus d'individus « as
discrete entities », mais de « dividuals ». FRANKO AAS, KATJA, « From narrative to database. Technological
change and penal culture », in : Punishment & Society, n° 6, 2004, pp. 387-388 et DELEUZE, GILLES, « Post-
scriptum sur les sociétés de contrôle », in : L’autre journal, n° l, mai 1990 (en ligne), consulté le 24 mai
2014. http://infokiosques.net/imprimersans2.php3?id_article=214. Sur ce sujet, voir aussi ROUVROY,

21
Mais cela va même beaucoup plus loin, comme nous pouvons le constater en visionnant une
vidéo122 de la DFBA (The Defense Forensics & Biometrics Agency), qui est sous l'autorité du
fameux département of Homeland Security créé après le 11 septembre. En effet, on y voit des
soldats américains enregistrant les empreintes digitales et une photographie de la rétine
d'Afghans, dont, de par leur origine, on suppose qu'ils pourraient risquer de constituer une
menace pour les USA, puisque potentiellement terroristes.

2.2.2.3.2. Le Macro-système-technique et le corps-frontière virtuel

On voit bien ici que le concept de sécurité nationale, tel qu'il est actuellement défini, permet
d'instaurer des pratiques d'identification bien loin des frontières matérielles de l’État, et bien
avant que le franchissement de celles-ci ne soit effectif ou même envisageable, étendant ainsi
la logique de police à distance que nous avions développée plus haut à un niveau extra-
étatique. Ainsi que le remarquent Bonditti, Bigo123 ou encore Foessel et Garapon124, la
technologie biométrique « transforme la frontière et incline la trajectoire historique de l’État
dans ses activités de contrôle et de surveillance »125. La frontière perd son statut de
démarcation géographique pour devenir à la fois ponctuelle et virtuelle : « elle passe d'une
forme linéaire et continue à un ensemble discontinu de points de contrôle »126 se situant à
l'extérieur ou à l'intérieur du territoire national, points qui ressemblent à autant de centres de
connexions informatiques liés à des bases de données numériques. Elle devient dès lors
« affirmation de puissance » et « commence dans la capacité à établir scientifiquement la
singularité de chacun pour distinguer ensuite de manière infaillible entre les hommes » selon
leur profil de risque127. En « passant désormais parmi les hommes »128, à travers eux même
pourrions-nous dire, la frontière biométrique s'apparente à une « portable border (...) carried
by mobile bodies »129 : tout homme porte désormais avec lui, « en soi, ou plutôt à la surface de
son corps », cette « norme du pouvoir »130.

ANTOINETTE ET BERNS, THOMAS, « Détecter et prévenir : de la digitalisation des corps et de la docilité des
normes », in : Politique, n° 61, octobre 2009, (en ligne), consulté le 25 avril 2014,
http://www.crid.be/pdf/public/6167.pdf
122 Vidéo de promotion du DFBA (The Defense Forensics & Biometrics Agency),
http://biometrics.dod.mil/Files/Videos/Biometrics_2012.wmv
123 Voir BIGO, DIDIER, "Frontières, territoire, sécurité, souveraineté", in: Ceriscope, (en ligne), mis en ligne en
2011, consulté le 25 avril 2014, http://ceriscope.sciences-op.fr/content/part1/frontieres-territoire-securite-
souverainete
124 Voir FOESSEL, MICHAËL ET GARAPON, ANTOINE, op. cit., p. 169.
125 BONDITTI, PHILIPPE, op. cit., 2005.
126 IDEM.
127 FOESSEL, MICHAËL ET GARAPON, ANTOINE, op. cit., p. 169.
128 IDEM.
129 AMOORE, LOUISE, op. cit., p. 338.
130 DUBEY, GÉRARD, op. cit., 2008, p. 272.

22
Ce dédoublement du « territoire réel » par ce que Dubey appelle le « Macro-Système-
Technique »131, autrement dit la numérisation des frontières et des identités, apparaît
révélateur de la technologisation de l'imaginaire politique contemporain. Le Macro-système-
technique se distingue en effet, pour notre auteur, du réseau, par « la place centrale qu'y
occupe l'activité de contrôle ». En parfaite correspondance avec le système informatique et
Internet, il est constitué d'une « toile sur laquelle se propage des flux (...) distribués autour de
points émetteurs-récepteurs (...) qui gèrent la transmission d'unités de flux pouvant être
matérielles ou immatérielles (des dignes, des objets ou des êtres) »132. Or, c'est ce même
imaginaire, à travers une logique opératoire identique, qui est mobilisé pour penser « les
problèmes migratoires en termes de faisabilité technique ou d'interopérabilité des bases de
données informatiques »133. L'individu n'est plus, dans ce nouveau cadre « un sujet de sens »,
mais « un identifiant, un gabarit circulant à l'intérieur d'un flux », une trace134. En créant « son
propre espace-temps », son « propre système de référence interne », cette nouvelle technique
que représente la biométrie, et son pendant informatique, possède donc, selon Dubey, sa
propre dimension « structurante », en déplaçant le débat « de la décision politique » à la
simple recherche de « la meilleure solution technique à un problème prioritairement
technique »135. Comme le rappelle Lianos, « une fois le risque donné, on ne peut que se
concentrer sur sa gestion et oublier sa production ». Cette exclusion du politique et du
« raisonnement en terme de valeurs » est le propre du « discours du risque », « un discours qui
privilégie l'organisation du monde naturel, technique et social selon des paramètres favorisant
l'influence des pôles de gestion et des dimensions gestionnaires de gouvernance »136.

Cette question de la place de la technique dans la gestion des flux migratoires, que ce soit
dans le cadre d'une gestion intégrée des frontières avec le nouveau système Eurosur 137, ou les

131 DUBEY, GÉRARD, « La condition biométrique. Une approche socio-anthropologique des techniques
d'identification biométrique », in : Raisons politiques, n° 32, 2008, p. 14.
132 IDEM. Dans le cadre d'une « accélération de la mobilité des individus, de la progression de la société de
l'information, de l'avènement d'un monde virtuel et de la transformation des frontières », la biométrie est
alors « représentative d'une nouvelle phase de la modernité, caractérisée par la fluidité, la miniaturisation et
la dématérialisation ». CEYHAN, AYSE, « Enjeux d'identification et de surveillance à l'heure de la
biométrie », in : Cultures & Conflits, n° 64, hiver 2006, mis en ligne le 2 avril 2007, consulté le 24 avril
2014, http://conflits.revues.org/2176. Sur la notion de « modernité liquide », voir également BAUMAN,
ZYGMUNT, Le présent liquide, Seuil, 1997.
133 IDEM.
134 DUBEY, GÉRARD, « Les deux corps de la biométrie », in : Communications, Vol. 81, n° 81, 2007, p. 155.
135 DUBEY, GÉRARD, op. cit., 2008, p. 18.
136 LIANOS, MICHALIS, « Point de vue sur l'acceptabilité sociale du discours du risque », in : Les Cahiers de la
sécurité intérieure, n° 38, 1999, p. 64.
137 Lancé en 2013, ce programme prévoit le partage, entre les Etats signataires, « des images et des données en
temps réel sur les frontières extérieures de l'Union, recueillies via plusieurs outils de surveillance (satellites,
hélicoptères, drones, systèmes de comptes rendus des navires…) ». « Qu'est-ce qu'Eurosur », Toute
L'EUROPE.eu, (en ligne), mis en ligne le 4 décembre 2013, consulté le 15 mai 2014,
http://www.touteleurope.eu/actualite/quest-ce-queurosur.html

23
différents systèmes d'identification biométriques que nous avons décrits plus haut, ne doit
cependant pas faire oublier que la technologie n'est qu'une des pièces d'un dispositif
particulier, avec « les procédés, les énoncés, les réglementations, l'environnement et les
moyens symboliques et relationnels » visant à modéliser « des comportements individuels et
sociaux »138. En soi et pour soi, la biométrie n'est donc pas uniquement structurante, mais
également structurée, ou du moins instrumentalisée. Comme le rappelle Foucault, un
dispositif englobe « tout agencement d'éléments humains ou matériels, réalisé en fonction
d'un but à atteindre »139. Or, la technologie biométrique n'a pas de finalité. Comme nous avons
pu le voir, elle ne fait que prolonger, tout en réaménageant, les logiques d'identification liées
au contrôle et à la surveillance des populations, des étrangers en particulier, telles qu'elles se
sont développées au XIXème siècle140. Elle n'est en elle-même que l'instrument d'une
gouvernementalité libérale qui a engendré le développement de techniques de savoir/pouvoir
centrée sur le risque, l'expertise, la science, la culture de la gestion et le management, dont le
XXème siècle a été le spectacle de son étendue à un nombre croissant de sphères d'activité 141.
Nous sommes toujours plongés dans les mêmes rêves politiques, ceux de la peste et de la
lèpre. Les moyens ont changé, mais l'imaginaire reste le même : faire-vivre et laissez-mourir.

2.2.2.3.3. Le rêve de la frontière intelligente

L'imaginaire de la peste, nous l'avons vu, « implique une analyse fine et détaillée de ce qui vit
et bouge sur un territoire donné »142 et va se matérialiser notamment par l'imposition de
pratiques d'identification au niveau national. Ainsi, suite aux attentats du 11 septembre, un
nombre de plus en plus importants de pays va rendre obligatoire le passeport biométrique 143,

138 CEYHAN, AYSE, op. cit., hiver 2006.


139 FOUCAULT, MICHEL, « Le dispositif, entre usage et concept », in : Hermès, n° 25, 1999, Introduction, cité par
IDEM.
140 En ce sens, la nature même du processus d'identification ne semble pas avoir changé. Que la biométrie et
l'informatique permettent « des procédures automatisées, ultrarapides et aux résultats communicables à
l'échelle planétaire » n'apparaît que comme le développement vers une plus grande efficacité, un changement
de forme et non de nature. De même, si nous suivons Woodtli, Aas, Lianos et Douglas dans leur qualification
de la biométrie en tant que « pouvoir sans discours », de ce qu'elle marque le passage du récit, du dialogue,
de la négociation à l'information « brute, objective, neutre, sans ambiguïté », cette dynamique était déjà
présente au XIXème siècle avec l'apparition des papiers d'identité écrits et des carnets anthropométriques.
WOODTLI, PATRICK, op. cit., 2008, p. 15. Voir aussi FRANKO AAS, KATJA, op. cit., 2004, pp. 379-393 et
LIANOS, MICHALIS ET DOUGLAS, MARY, « Danger et régression du contrôle social : des valeurs aux
processus », in : Déviance et Société, vol. 25, n° 2, 2001, pp. 147-164.
141 Sur ces questions, voir BOUDIA, SORAYA, op. cit., pp. 57-79 et PESTRE, DOMINIQUE, Les sciences pour la
guerre : 1940-1960, Éditions de l'École des Hautes Études en Sciences Sociales, Paris, 2004.
142 BONDITTI, PHILIPPE, op. cit., 2005.
143 Après les États de l'Union Européenne, les USA et la Suisse, ce type de passeport est devenu obligatoire en
Australie, en Russie, au Japon, à Hong-Kong, au Brésil, en Bulgarie, au Chili, en Israël, au Canada, en Inde,
en Chine, au Vietnam,... « Dossier spécial sur les passeports biométriques », LeTemps.ch, (en ligne), consulté
le 25 mai 2014. http://www.letemps.ch/Page/Uuid/43c4535e-30bd-11de-aa95-bcd5cb55b730/

24
certains Etats européens allant même jusqu'à tenter d'imposer une carte nationalité d'identité
biométrique. Néanmoins, si ce dernier projet était « déjà en application ou en phase de
déploiement », en 2009, « en Autriche, Belgique, Estonie, Finlande, Italie, Pays-Bas, Portugal,
Espagne, Suède et Grande Bretagne »144, son lancement en France et en Grande-Bretagne a
entraîné de vives résistances145, la Finlande et la Suède considérèrent que ce fut un échec, vu
son peu de succès, et en Italie, seules 83 communes furent habilitées à la délivrer 146. Justifiés
par des impératifs de sécurité étatique (lutte contre le terrorisme, la criminalité
transfrontalière, l'immigration clandestine..., toutes ces activités profitant de la fraude à
l'identité) et individuelle (le droit à la sécurité de sa propre identité), l'imposition du passeport
et de la carte d'identité biométrique le furent également par leur appartenance aux
« « technologies de confort » participant à l'amélioration de la vie quotidienne »147. Le slogan
de promotion du SIS II : « Helping you move freely, helping you live safely »148, en est
l'exemple-même. La mobilité des individus s'étant désormais imposée non seulement comme
une liberté, mais un « impératif normatif » s'entourant de tout « un dispositif visant à la rendre
désirable », le contrôle ne pouvait que devenir plus invisible, moins contraignant tout en étant
plus efficace149, en vue de « laisser passer » et d'« accélérer le mouvement »150. Or, la
biométrie, appartenant à ces technologies douces, tendant vers l'immatériel, tout en masquant

144 « Cartes d'identité numériques européennes : la pagaille », CNIS (Computer, Network and Information
Security) mag, (en ligne), mis en ligne le 5 février 2009, consulté le 24 mai 2014.
http://www.cnis-mag.com/cartes-d%E2%80%99identite-numeriques-europeennes-la-pagaille.html
145 Malgré la rhétorique du gouvernement anglais concentrant son argumentation sur la lutte anti-terroriste,
« qui a été de plus en plus mobilisé depuis septembre 2001 », mais qui l'était déjà depuis trente ans,
l'imposition d'un projet high-tech d'encartement des Britanniques a clairement échoué. LANIEL, LAURENT ET
PIAZZA, PIERRE, « Une carte nationale d'identité biométrique pour les Britanniques : l'antiterrorisme dans les
discours de justification », in : Cultures & Conflits, n° 64, hiver 2006, (en ligne), mis en ligne le 2 avril
2007, consulté le 1 avril 2014, http://conflits.revues.org/2174. Sur la même problématique en France avec le
projet de carte d'identité numérique INES, voir PIAZZA, PIERRRE, « Les résistances au projet INES », in : in :
Cultures & Conflits, (en ligne), n° 64, hiver 2006, mis en ligne le 02 avril 2007, consulté le 24 mai 2014,
http://conflits.revues.org/1829.
146 JANNIC-CHERBONNEL, FABIEN, « Les succès et les échecs de la carte d'identité numérique », Myeurop.info,
(en ligne), mis en ligne le 04 avril 2012, consulté le 24 mai 2014. http://fr.myeurop.info/2012/04/04/les-
succes-et-les-echecs-de-la-carte-d-identite-electronique-5101
147 CEYHAN, AYSE, op. cit., hiver 2006.
148 Dépliant publicitaire pour le SIS II disponible sur le site du ministère de l'Intérieur de la République de
Slovaquie,
http://www.minv.sk/swift_data/source/mv_sr_sport/schengen_pictures/HOME%20-%20SIS%20II%20-
%20Leaflet%20V1.0.HR.EN.pdf
149 C'est ce que reflète parfaitement la notion même d' « espace de liberté, de sécurité et de justice » figurant
comme objectif de la nouvelle Union européenne au sein du Traité d'Amsterdam de 1997.
150 BIGO, DIDIER, « Du panoptisme au Ban-optisme. Les micros logiques de contrôle dans la mondialisation »,
in : CHARDEL, PIERRE-ALAIN ET ROCKHILL, GERARD (SLD), Technologies de contrôle dans la
mondialisation : enjeux politiques, éthiques et esthétiques, Editions Kimé, Paris, 2009, p. 78. Le traité de
Schengen est d'ailleurs emblématique à cet égard, puisqu'il évoque à de nombreuses reprises des expressions
telles que : « réduire aux frontières communes les temps d'attente », « réduire les temps d'arrêts »,
«franchissement rapide des frontières communes sans arrêts notables », « temps d'arrêts raccourcis aux
frontières », « sans provoquer l'arrêt », « ne pas interrompre la circulation »... KADDOUS, CHRISTINE ET
PICOD, FABRICE, Union européenne. Recueil de textes (10ème éd.), Stämpfli Editions SA, Berne, 2012, pp.
1060-1065.

25
sa propre violence symbolique, correspond exactement à cet objectif 151. Mais, si, comme l'on
montré Douglas et Lianos, cet environnement de contrôle omniprésent, permanent et
automatisé semble traiter les individus « sur un pied d'égalité », c'est bien plus en tant que
« délinquants en puissance » que comme innocents en acte152. Ce rêve de la peste se
matérialise ainsi aujourd'hui à travers cette subtile mécanique de micro-pouvoirs, à peine
perceptibles et incessamment reconduits, qui, tout en fabricant de la liberté, aménage des
stratégies de sécurité visant à la gérer et à l'organiser.

Rêve de la peste, certes, mais la gouvernementalité libérale contemporaine ne se contente pas


de guider et d'aiguiller les comportements individuels. Elle exclut, rejette et met au ban du
territoire et des droits toute une partie de la population. Que ce soit à travers la politique des
visas Schengen, la multiplicité des bases de données européennes et américaines visant à
profiler, enregistrer et répertorier populations et individus à risques 153, la diffusion des centres
d'enfermements pour étrangers154, la mobilisation de tout un ensemble technologique de
sécurisation des frontières ou encore la conclusion de partenariats migratoires visant au renvoi
des étrangers vers leur pays d'origine, tout un dispositif, auquel participe la biométrie, est mis
en œuvre dans ce rêve politique de la lèpre qu'a décrit Foucault. Cette « forme
d'exceptionnalisme », constitué de « pratiques illibérales » au cœur même de la
gouvernementalité libérale fonde ce que Bigo nomme le « Ban-optisme »155.

Cette disjonction entre, d'un côté, la normalisation de la majorité constituée par les individus
qui non seulement peuvent circuler, en ont la liberté, mais dont on en provoque le désir et
dont on en fait la norme, et de l'autre, cette minorité assignée à résidence ou enfermée dans
des camps, et dont les droits sont régulièrement violés, apparaît on ne peut plus clairement à

151 La technique de la RFID (Radio Frequency Identification) permet ainsi d'identifier à distance des personnes
et des objets, donc sans contact ni face-à-face. Utilisée dans le cadres des passeports biométriques, elle a
également été introduite en Grande-Bretagne pour les délinquants en liberté conditionnelle, et dans le
traçage de marchandises. Mais d'autres projets vont encore plus loin, comme celui intitulé HUMABIO, qui
permet, « en combinant une variété de capteurs capables de combiner des données visuelles, sonores et
physiologiques », de « détecter et suivre les mouvements, trajectoires, attitudes et expressions suspectes, à
des fins sécuritaires ». ROUVROY, ANTOINETTE ET BERNS, THOMAS, op. cit.
152 LIANOS, MICHALIS ET DOUGLAS, MARY, op. cit., p. 154. Pour ces deux auteurs, tout ceci participe de la
« cindynisation » actuelle, c'est-à-dire de « la tendance à percevoir et à analyser le monde à partir des
catégories de la menace ». La notion de « cindynisation » provient du mot grec « kindynos », qui signifie
« le danger ». IBID, p. 153.
153 Voir pp. 20-23 du présent travail.
154 Voir Cartographie des camps d'étrangers en Europe et au-delà,
http://www.migreurop.org/IMG/pdf/Carte_Atlas_Migreurop_19122012_Version_francaise_version_web.pdf
155 BIGO, DIDIER, op. cit., 2009, p. 75. La notion de « ban » provient du fameux livre d'Agamben, Homo Sacer,
dans lequel celui-ci met en parallèle l'idée de souveraineté, à travers l'état d'exception, c'est-à-dire de
suspension par l'Etat de son propre ordre juridique, et celle de « vie nue », condition de l'homme ramené à sa
pure identité biologique. Voir AGAMBEN, GIORGIO, Homo sacer : le pouvoir souverain et la vie nue, I,
Seuil, Paris, 1997.

26
travers le concept de « frontière intelligente » ou de « smart borders ». Après le 11 septembre,
les Etats-Unis se sont vus en effet confrontés à un double objectif : « faire des frontières un
front de lutte contre le terrorisme » et « maintenir une libre circulation des biens et des
personnes entre les pays membres de l'ALENA - Accord de Libre-Echange Nord-Américain -
afin de ne pas entraver les relations économiques et les flux commerciaux avec leurs
voisins »156. Dans ce contexte, le Canada et les USA ont décidé de signer un accord de 30
points intitulé « Smart Borders », qu'ils ont reproduit pour le Mexique sous le nom de
« Border Partnership Action Plan ». Pour le mettre en oeuvre, est prévu tout « un dispositif
combinant les technologies les plus sophistiquées de repérage, d'identification, de filtrage
avec les techniques informatiques de constitution et d'échanges de fichiers »157. Relayant en
cela l'initiative américaine, la Commission européenne a proposé le 28 février 2013 un paquet
de mesures intitulé « Frontières intelligentes »158. L'objectif de cette proposition est « de
renforcer le contrôle des entrées et sorties aux frontières de l’Union, afin notamment
d’identifier les « overstayers » (c’est-à-dire les voyageurs séjournant sur le territoire de
l’Union au-delà de la période autorisée)159, tout en facilitant l’accès au territoire de certains
types de visiteurs ressortissants d’États tiers, soumis ou non d’ailleurs à l’obligation de
visa »160. Sont plus particulièrement visés ici « les hommes (et femmes) d’affaires, les
travailleurs sous contrat de courte durée, les chercheurs et étudiants, et les touristes riches en
provenance notamment de Russie et de Chine, dont l’apport à l’économie de l’UE serait
évalué à 300 milliards d’euros par an »161. Comme aux USA, il est prévu de mobiliser la
meilleure technologie pour mettre en place « des portails automatiques aux postes-
frontières »162 et pour constituer des bases de données répertoriant l'identité biométriques de
ces deux catégories de voyageurs. En vue de remplir le « double objectif » d' « accroître la

156 CEYHAN, AYSE, op. cit., printemps 2004.


157 IDEM.
158 COMMISSION EUROPÉENNE, Communiqué de presse. « Frontières intelligentes » : une amélioration de la
mobilité et de la sécurité, Bruxelles, 28 février 2013. http://www.gdr-elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/IP-
13-162_FR.pdf
159 Cette première mesure est intitulée « Entry/Exit System, EES ». COMMISSION EUROPÉENNE, Proposition de
règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un système d’entrée/sortie pour
l’enregistrement des entrées et sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures
des États membres de l’Union européenne, Bruxelles, 28 février 2013. http://www.gdr-elsj.eu/wp-
content/uploads/2013/03/Rt-EES.pdf
160 Cette seconde mesure est intitulée « Registered Traveller Programme, RTP ». COMMISSION EUROPÉENNE,
Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil portant création d’un programme
d’enregistrement des voyageurs, Bruxelles, 28 février 2013. http://www.gdr-elsj.eu/wp-
content/uploads/2013/03/Rt-RTP.pdf Voir PEYROU, SYLVIE, « Le paquet législatif « Frontières
intelligentes », défense et illustration par la Commission d’un parfait oxymore : une Europe ouverte et
sûre », Réseau universitaire européenne. Droit de l'espace de liberté, de justice et de sécurité, (en ligne), mis
en ligne le 24 mars 2013, consulté le 24 mai 2014.
http://www.gdr-elsj.eu/2013/03/24/liberte-de-circulation/le-paquet-legislatif-frontieres-intelligentes-defense-
et-illustration-par-la-commission-dun-parfait-oxymore-une-europe-ouverte-et-sure/
161 IDEM.
162 IDEM.

27
sécurité et faciliter les déplacements »163, la Commission européenne estime ainsi que
« l'imposition de vérifications identiques à tous les ressortissants de pays tiers,
indépendamment du risque qu'ils représentent ou de la fréquence de leurs déplacements, ne
constitue pas une utilisation efficace des gardes-frontières » et « offre une image peu flatteuse
de l'Union aux voyageurs qui arrivent sur son territoire »164.

Il s'agit donc ici encore et toujours de séparer le bon grain de l'ivraie, à travers « une césure
(...) opérée au sein du continuum biologique de l'espèce humaine entre ce qui doit vivre et ce
qui doit mourir »: c'est ce dispositif que Foucault appelle « la guerre des races »165. Or, ce qu'il
ne faut pas oublier, c'est que c'est ce dispositif lui-même, entendu en tant que système de
discours, de pratiques, de technologie d'identification, de sécurité et de contrôle, de
classifications judiciaires,... qui crée, qui construit cette distinction entre deux « races », deux
catégories d'humains. Comme le montre Duez, cette nouvelle figure de l'illégalisme qu'est
devenue l'étranger sans-papier, le clandestin, le migrant irrégulier, présenté comme « un péril
objectif, un danger imminent dont il faudrait se prémunir », est avant tout « le résultat d'un
travail policier, administratif et juridique d'identification et de catégorisation des
personnes »166. En ce sens, le clandestin ne serait « en creux », que « le reflet des techniques
de contrôle social » mises en œuvre pour le faire disparaître167. Nous voyons bien ici que
l'émergence de la société, ou de population, en tant qu'entité biologique à soigner, optimiser et
protéger, dans le cadre de la gouvernementalité libérale, est indissociable de la notion de
risque et de sécurité ; elle en est même tout simplement l'envers.

3. CONCLUSION

Ce que nous avons voulu montrer à travers ce travail écrit, et notamment par l'analyse des
techniques d'identification individuelle, dont la biométrie ne constitue que le dernier

163 COMMISSION EUROPÉENNE, Communication de la Commission au Parlement européen et au Conseil,


Frontières intelligentes: options et pistes envisageables, Bruxelles, 25 octobre 2011, p. 2. http://www.gdr-
elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/COM.pdf
164 IBID, p. 4.
165 La mort est entendue ici non pas tant comme « meurtre direct », mais plutôt « indirect », à savoir « le fait
d'exposer à la mort, de multiplier pour certains le risque de mort, ou tout simplement la mort politique,
l'expulsion, le rejet,... ». La mort, c'est donc « l'exclusion du corps social des éléments impurs et
inassimilables » pour rendre plus saine et plus prospère la population considérée comme bios, c'est
l'élimination des dangers externes et internes à cette même population. Comme le dit si bien Foucault : « la
mort de l'autre, la mort de la mauvaise race, de la race inférieure (ou du dégénéré, de l'anormal), c'est ce qui
va rendre la vie en général plus saine ; plus saine et plus pure ». FOUCAULT, MICHEL, op. cit., 1997, p. 228.
166 DUEZ, DENIS, « Immigration clandestine et sécurité dans l'Union européenne : la sécurité intérieure
européenne à l'épreuve des théories de Michel Foucault ? », in : BEAULIEU, ALAIN (SLD), Michel Foucault et
le contrôle social, Les Presses de l'Université de Laval, Laval, 2005, p. 22.
167 IDEM.

28
instrument en date, c'est que l'hégémonie contemporaine d'une gouvernance par le risque, qui
s'étend à tous les secteurs de la société, correspond à l'approfondissement d'une technique
gouvernementale apparue entre le XVIIème et le XVIIIème siècle et que Foucault nomme
« biopolitique ». Participant à une véritable « cindynisation » de la société, cette nouvelle
gouvernementalité amène tout un chacun à lire le monde extérieur et son propre
comportement à travers le risque. En ce sens, comme le note Kessler et Ewald, ce dernier
« devient notre manière de mesurer la valeur des valeurs (...), il est au cœur du rapport des
individus à eux-mêmes (morale), des individus avec la nature (épistémologie), du rapport des
individus entre eux (anthropologie politique) »168. Le risque est donc désormais ontologique à
l'homme, en tant que « manière - ou plutôt ensemble de différentes manières - d'ordonner la
réalité, de la rendre sous une forme calculable »169. En ce sens, il apparaît comme « une chose
qui n'existe pas en réalité »170, mais qui devient réalité à travers des pratiques, des discours,
des technologies, des savoirs, ..., c'est-à-dire un dispositif.

Il n'était donc pas question pour nous de répondre à la question portant sur le fait que notre
société ferait face à plus de dangers qu'auparavant ou non, qu'elle serait plus vulnérable, car
cela serait déjà entrer dans la logique-même du discours du risque 171. Il s'agissait au contraire
de montrer, à travers l'exemple de la biométrie, comment se met en place tout un ensemble de
pratiques visant à contrôler et surveiller des populations considérées comme étant « à risque »,
et à mettre en évidence l'imaginaire gestionnaire biopolitique qui s'y déployait. Nous voulions
ainsi souligner que notre modernité peut être caractérisée comme étant une véritable
« machine à fabriquer les risques », non au sens de Beck, dans un sens réaliste, ou du moins
constructiviste faible, mais au sens où l'impératif de sécurité pour la population, de « défense
de la société », entraîne nécessairement cette vision « cindynisante » que décrivait Lianos. Le
dispositif sécuritaire façonne ainsi de lui-même les risques contre lesquels il entend lutter.
Leur apparente prolifération et la « conscience de vulnérabilité » qui l'accompagne n'est dès
lors, paradoxalement, que le reflet de « la puissance et de l'efficacité de la toile des structures

168 EWALD, FRANÇOIS ET KESSLER, DANIEL, « Les noces du risque et de la politique », in : Débat, n° 109, 2000,
p. 68, cité par MARCHAND, ALAIN, « Le risque, nouveau paradigme et analysateur sociétal », in : Journal
des anthropologues, n° 108-109, 2007, p. 211.
169 CHANTRAINE, GILLES ET CAUCHIE, JEAN-FRANÇOIS, op. cit.
170 IDEM.
171 C'est exactement ce que Beck fait lorsqu'il parle de la « société du risque » comme le symptôme d'une
époque « ne se débattant plus contre des formes de vie dorénavant traditionnelles, mais contre les
conséquences de la modernisation radicalisée, contre les dangers invisibles qui peuvent frapper tout le
monde et contre lesquels personne n’est assuré ». BECK, ULLRICH, op. cit., 2003, p. 31. Sur l'approche
« réaliste, uniforme et totalisante » de Beck, voir CHANTRAINE, GILLES ET CAUCHIE, JEAN-FRANÇOIS, op.
cit.. Ainsi que le constate Lianos, « la thèse de la « société du risque » mérite son succès dans un cadre
mésoscopique, mais elle ne constitue pas vraiment un cadre théorique macroscopique pour la modernité ».
LIANOS, MICHALIS, op. cit., p. 58.

29
qui organisent et gèrent le monde naturel, technique et social »172. Tout dysfonctionnement
dans ce système de gestion biopolitique doit dès lors être prévenu, calculé, réduit et éliminé,
car, aussi petit soit-il, il constitue une menace, un danger, bref, un risque...

4. BIBLIOGRAPHIE

4.1. Ouvrages

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• PESTRE, DOMINIQUE, Les sciences pour la guerre : 1940-1960, Éditions de l'École des
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172 IBID, p. 59.

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4.3. Ressources internet

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• BONDITTI, PHILIPPE, - "L'Europe : tracer les individus, effacer les frontières", in:
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• WOODTLI, PATRICK, Cerbère au temps des bio-maîtres. La biométrie, servante-


maîtresse d'une nouvelle ère biopolitique ? Le cas du programme US-VISIT, Mémoire
présenté à la Faculté des Études Supérieures, Département d'anthropologie, Faculté
des Arts et des Sciences, Université de Montréal, Juin 2008, (en ligne),
https://papyrus.bib.umontreal.ca/xmlui/bitstream/handle/1866/7324/WoodtliPatrick_F
2008_memoire.pdf;jsessionid=731816DC14971D9C3B2503C$87648044ASEQUENCE
=1

4.3.2. Articles de presse

• « Cartes d'identité numériques européennes : la pagaille », CNIS (Computer, Network


and Information Security) mag, (en ligne), mis en ligne le 5 février 2009, consulté le
24 mai 2014.
http://www.cnis-mag.com/cartes-d%E2%80%99identite-numeriques-europeennes-la-
pagaille.html

• « Dossier spécial sur les passeports biométriques », LeTemps.ch, (en ligne), consulté le

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25 mai 2014.
http://www.letemps.ch/Page/Uuid/43c4535e-30bd-11de-aa95-bcd5cb55b730/

• JANNIC-CHERBONNEL, FABIEN, « Les succès et les échecs de la carte d'identité


numérique », Myeurop.info, (en ligne), mis en ligne le 04 avril 2012, consulté le 24
mai 2014. http://fr.myeurop.info/2012/04/04/les-succes-et-les-echecs-de-la-carte-d-
identite-electronique-5101

• « Qu'est-ce qu'Eurosur », Toute L'EUROPE.eu, (en ligne), mis en ligne le 4 décembre


2013, consulté le 15 mai 2014, http://www.touteleurope.eu/actualite/quest-ce-
queurosur.html

4.3.3. Divers

• Cartographie des camps d'étrangers en Europe et au-delà,


http://www.migreurop.org/IMG/pdf/Carte_Atlas_Migreurop_19122012_Version_franc
aise_version_web.pdf

• Dépliant publicitaire pour le SIS II disponible sur le site du ministère de l'Intérieur de


la République de Slovaquie,
http://www.minv.sk/swift_data/source/mv_sr_sport/schengen_pictures/HOME%20-
%20SIS%20II%20-%20Leaflet%20V1.0.HR.EN.pdf

• Vidéo de promotion du DFBA (The Defense Forensics & Biometrics Agency),


http://biometrics.dod.mil/Files/Videos/Biometrics_2012.wmv

4.3.4. Textes officiels

• COMMISSION EUROPÉENNE, - Communiqué de presse. « Frontières intelligentes » :


une amélioration de la mobilité et de la sécurité, Bruxelles, 28 février 2013.
http://www.gdr-elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/IP-13-162_FR.pdf
- Proposition de règlement du Parlement européen et du
Conseil portant création d’un système d’entrée/sortie pour l’enregistrement des
entrées et sorties des ressortissants de pays tiers franchissant les frontières extérieures
des États membres de l’Union européenne, Bruxelles, 28 février 2013. http://www.gdr-
elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/Rt-EES.pdf
- Proposition de règlement du Parlement européen et du
Conseil portant création d’un programme d’enregistrement des voyageurs, Bruxelles,
28 février 2013. http://www.gdr-elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/Rt-RTP.pdf
- Communication de la Commission au Parlement
européen et au Conseil, Frontières intelligentes: options et pistes envisageables,
Bruxelles, 25 octobre 2011, p. 2.
http://www.gdr-elsj.eu/wp-content/uploads/2013/03/COM.pdf

• PARLEMENT EUROPÉEN, Position du Parlement européen arrêtée en première lecture


le 12 juin 2013 relatif aux demandes de comparaison avec les données d'Eurodac
présentées par les autorités répressives des États membres et Europol à des fins
répressives, et modifiant le règlement (UE) n° 1077/2011 portant création d'une
agence européenne pour la gestion opérationnelle des systèmes d'information à
grande échelle au sein de l'espace de liberté, de sécurité et de justice, Strasbourg, 12
juin 2013.
http://www.europarl.europa.eu/sides/getDoc.dotype=TA&language=FR&reference=P7

35
-TA-2013-258#ref_2_1

• Traité de Prüm du 27 mai 2005 entre le Royaume de Belgique, la République fédérale


d’Allemagne, le Royaume d’Espagne, la République française, le Grand-Duché de
Luxembourg, le Royaume des Pays-Bas et la République d’Autriche relatif à
l’approfondissement de la coopération transfrontalière, notamment en vue de lutter
contre le terrorisme, la criminalité transfrontalière et la migration illégale, Prüm, 27
mai 2005.
http://www.cnil.fr/fileadmin/documents/approfondir/dossier/international/Traite_Prum
VF_annexes.pdf

36

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