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LE FILM DE CYBERESPACE

Parmi les différentes facettes de notre modernité, internet et les systèmes de réseau de manière
générale sont constitutifs d'une nouvelle manière de penser société et relation au monde pour
notre humanité.

Cette question a donc traversé l'espace moderne de création des artistes, auteurs, et autres
penseurs d'une société qui n'a pu connaître une aussi grande plateforme d’échange,
d'archivage et de mise en relation entre les différentes couches des sociétés occidentales. Si on
peut déjà trouver des prototypes dans des films prédatant l'internet, comme Tron (Steven
Lisberger, 1982), cela va constituer l'émergence de récits de mondes parallèles dont
l’évolution va suivre à la fois les progrès technologiques et le regard public sur ces
technologies. C’est donc des films de cyberespace dont il est question, et dont plusieurs règles
sont à préciser.

Premièrement, le cyperespace est régi et organisé, que ce soit contre le gré de leurs utilisateurs
(comme dans les films Matrix des sœurs Wachowski) ou déjà dans Tron, ou totalement
accepté (comme dans Summer Wars de Mamoru Hosoda (2009) ou encore Avalon de Mamoru
Oshii (2001)). Il est bien souvent l’objet d’un périclitement de la société humaine face à ses
propres dangers (Ready Player One) mais pour autant n’est pas forcément totalement
fonctionnel (Le segment Au-Dela de la série de courts-métrages Animatrix). C’est tout autant
un univers vidéoludique (Ready Player One, Avalon ou même eXistenZ) mais il peut aussi
s’agir d’une instance plus générale de gestion de la vie (comme dans Summer Wars).
Confrontés à cet espace, le, la ou les protagonistes devront le choix de le sauver, le détruire ou
garder le statu quo.

Ce sont les relations entre ces films et les univers virtuels et leurs influences intrinsèques qui
rendent ce possible genre si intéressant. Alors que la technologie fait un bond extraordinaire
en moins de 30 ans, la vision qu’en fait ces différents films à travers leurs espaces et leurs
manières de jouer avec rendent aussi compte d’une observation plus globale sur notre société
moderne, qu’elle soit occidentale comme c’est le cas pour la plupart de ses films ou orientale
comme c’est le cas pour Summer Wars.

Avant de plonger plus en avant dans ce proto-genre, on peut néanmoins légitimement se


demander ce qui distingue réellement les films de cyberespace des autres formes de mondes
parallèles, qu’ils soient fantastiques, rêvés ou science-fictionnels. C’est l’utilisation du virtuel

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et de la connexion formée entre les utilisateurs de ces réseaux qui crée une véritable notion
singulière de monde certes parallèle, mais reliée par cette connexion entre monde réel et
cyberespace.

A cet ensemble de films peut s’ajouter une série et même un genre entier dont le Japon s’est
révélé friand ces dix dernières années : l’isekai. Signifiant littéralement « autre monde », il se
caractérise là aussi par la présence de personnages dans des univers très vidéoludiques dans
leurs règles et codes et l’idée d’un univers parallèle au notre. Cependant, la caractérisation et
le travail déjà fait sur le genre demandera à laisser de côté ces nombreuses séries et films.
Nous le distinguerons plutôt comme un genre cousin du film de cyberespace.

Le cyberespace est donc un environnement moderne. Dès Tron


(Steven Lisberger, 1982), le personnage de Kevin Flynn (Jeff
Bridges) se fait aspirer dans un jeu vidéo d’une salle d’arcade
pour se retrouver dans un monde technologique dirigé par le
MCP, et toute une hiérarchie de contrôle du système. Le
cyberespace est alors un espace peuplé de programmes, prenant
la forme d’humains (d’ailleurs de collègues ou de personnes
proche de Flynn, souvent les informaticiens qui ont codé les
programmes) et venant en aide ou non au protagoniste.

Le film est assez proche de l’esprit des années 80. Inspiré par les comics pulp plus que les
romans de K. Dick, le cyberespace est ici un monde à explorer et à échapper, en en
comprenant les règles. Les différents jeux auxquels participent Flynn (la course de motos, le
lancer de disque) rappellent les épreuves que peuvent affronter les Rahan et autres Flash
Gordon, où le système ennemi est avant tout une série d’épreuves permettant au protagoniste
de montrer sa valeur à une civilisation inconnue, dont l’exotisme est souvent la marque de
fabrique. On est encore bien loin des réflexions de Matrix sur le contrôle et la capacité à sortir
d’un système d’où on est né.

Cependant, la dimension esthétique du film préfigure déjà le travail qui se dessinera dans le
reste du genre. Les jeux de lumière, de couleur et les formes simples rappellent les formes
basiques et les débuts de la 3D dans le jeu vidéo, comme les formes en « fil de fer », ou ne
sont représentés que les arêtes des volumes.

De plus, l’idée d’une structure hiérarchisée dont il faut en sortir est déjà l’idée principale qui
forge le genre du cyberespace. Ajoutons à cela l’influence qu’a eu le film sur le jeu vidéo

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(difficile de ne pas penser aux casse-briques en voyant l’épreuve du disque) et l’on comprend
que dès leurs origines, technologie et cyberespace étaient liés par la même volonté de
représenter un espace encore vierge. De plus, le cyberespace induit forcément une forme de
contrôle, ici celle du PDG Dillinger, qui perdra sa place face à un protagoniste sans aucun
doute jugé plus vertueux par le film.

Si le film a inspiré une poignée de films des années 80, comme The Last Starfighter (Nick
Castle, 1984) ou le très bon Wargames (John Badham, 1983), ces derniers ne participent hélas
pas au genre du cyberespace, considérant plutôt le jeu vidéo comme une toile de fond à une
plus grande aventure, le premier en s’inspirant très directement de La Guerre des Etoiles
(George Lucas, 1977), le deuxième en développant un propos sur l’équilibre de la terreur,
aucun ne repropose l’idée d’un cyberespace qui est alors laissé de côté pour les années 80

Il faudra attendre les années 90 et le début de l’Internet public pour recommencer à avoir des
films traitant de l’idée d’un cyberespace.

Mais avant ça, il y eut eXistenZ. Le projet de David


Cronenberg sorti en 1999 est basé avant tout sur une logique et
des structures vidéo-ludiques, faites de mots de passe à donner,
de personnages non-joueurs (les depuis fameux PNJ), et de
couches de réalité (à la manière d’Inception, dont on peut le
soupçonner d’avoir grandement été influencé par le film), le
tout saupoudré d’une base sur le jeu de rôles, puisque, comme
nous l’apprend le twist final, tout n’était qu’un jeu ou chacun
jouait un rôle. Si on sent ici une volonté plus méta-narrative,
qui tente de jouer avec le spectateur entre les différentes couches de réels et de rôles, la
hiérarchie des personnages entre eux existe, même si elle est jouée (dans le sens de la
comédie).

Cependant, par l’absence d’une véritable organisation du cyberespace, il est difficile de


considérer véritablement eXistenZ comme un successeur de Tron. Et même si on y trouve
beaucoup de ressemblances (la volonté de sortir de l’espace, les règles arbitraires), il agit déjà
comme une brèche dans les règles, dont il est difficile d’en discerner l’héritage dans le genre.
Car tous les protagonistes sont volontaires durant l’expérience, même si on ne sait pas à quel
niveau (les mots de passe faisaient-ils aussi partis du jeu de rôle ?), et la fin et déjà une

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inversion du genre en laisser piéger les protagonistes (et surtout le spectateur) dans le monde
du jeu.

Heureusement, la même année, sort Matrix des sœurs Wachowski qui débouchera sur deux
suites et la compilation Animatrix, marquant une incursion du Japon dans le genre.

Matrix est d’ailleurs sous influence japonaise, et notamment de


Mamoru Oshii (qui constituera une réponse à la trilogie sous la
forme du film Avalon). Il n’est pas étonnant de voir les deux
géants de l’industrie vidéo-ludique constituer les étendards du
cyberespace : par des soucis d’audience et de questionnement
par des auteurs vivant dans ce même univers, les cyberespaces
répondent alors au développement de ce qui leur est le plus
proche dans le jeu vidéo, le RPG en ligne, à travers des titres
comme Everquest (Verant Interactive, 1999) ou bien plus tard
World of Warcraft (Blizzard Entertainment, 2004). C’est ces
titres et les premières observations faites sur eux, qu’elles
viennent de médias généraux ou de milieux universitaires (et elles sont nombreuses dans ce
dernier cas !) qui a pu pousser à considérer les rapports entre ces espaces et les cyberespaces.

Matrix, donc, développe lui aussi tout une hiérarchie, ici d’origine robotique, et servant à
enfermer l’espèce humaine dans une réalité virtuelle. Si la trilogie est parsemée de clins d’œil
bibliques ou plus généralement à la figure du héros aux mille visages tel que défini par Joseph
Campbell en 1949, elle est aussi une trilogie exploitant véritablement la capacité d’un univers
virtuel. Si Tron, par son esthétique (par Moebius d’ailleurs) et eXistenZ, par ces jeux sur
l’acteur sont déjà des réflexions profondes sur le virtuel comme environnement distinct du
notre, le travail de Matrix est surtout d’exploiter les effets spéciaux comme outil de tous les
possibles dans l’environnement virtuel. Le corps ne connaît plus de limites, capable de sauter
très haut et très loin, d’apprendre des savoirs physiques en quelques secondes, de voler, et
même de ressusciter. La matrice, à la fois entité-prison et entité de libération une fois
maîtrisée, est en ce cas-là spéciale.

Ces liens entre volonté et création, puisque Neo est capable de ces choses en y croyant, créent
un univers performatif, et travaille le virtuel comme l’environnement du dépassement de soi
et du surhumain. C’est aussi par la réunion de toute une espèce que commence à transparaître
de l’univers virtuel un lieu de réunion et une forme de monde miroir au monde réel.

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On peut s’étonner alors qu’à la fin de la trilogie, les protagonistes préfèrent rester dans le
monde virtuel, certes « nettoyé », mais en ne restant pas dans le monde réel pourtant devenu
viable pour le reste des humains. Il peut s’agir peut-être d’une nouvelle possibilité pour le
genre dans la possibilité de voir une solution non dans le départ et la fuite du cyberespace,
mais dans sa transformation pour en reprendre le contrôle à travers un système plus sain.

L’autre chose intéressante est la présence de l’agent Smith, parasite et pour les protagonistes
et pour le système hiérarchique de sa propre organisation dont il prend d’ailleurs le contrôle,
agissant comme une sorte de virus médical en se multipliant et en prenant le contrôle d’autres
corps.

L’agent Smith apparaît ainsi comme un virus ou un parasite, une force chaotique qui vient à la
fois gêner les protagonistes et le système en place, un rôle que poursuivra le fameux « Love
Machine » du film Summer Wars.

A cela s’ajoute la compilation Animatrix qui, même si plus


minime, permettra d’explorer d’autres possibilités du
cyberespace, comme le bug ou le glitch, comme dans le
court-métrage Au-Delà. On présente alors des anomalies ou
des singularités rappelant des bugs informatiques, comme si
la simulation de la Matrice n’était pas totalement parfaite,
comme si elle souffrait de problèmes de code. Le reste des
courts-métrages explore eux aussi les limites de la Matrice et
des règles imposées, mais l’exemple d’Au-Delà reste
frappant par sa vraisemblance avec les univers de jeu vidéo,
notamment en 3D.

De manière générale, la trilogie Matrix est marquante par les influences qu’elle aura sur le
genre du cyberespace, en cimentant ses caractéristiques et en développant son rapport aux
nouvelles technologies et à leurs progrès et erreurs.

Il est alors intéressant de parler d’un film comme Avalon. Sorti en 2001 et réalisé par Mamoru
Oshii, il est une réponse directe aux questionnement philosophiques des sœurs Wachowski.
Son histoire est plus complexe et peut-être plus inspirée de concepts venant de l’onirisme ou
de la rencontre entre réalité et création. S’il garde la même base, à travers un jeu en ligne
multijoueur dans lequel se connecte des joueurs du monde entier, il lance l’idée d’un Graal à
travers la recherche d’une petite fille apparaissant parfois et surnommée Ghost. On retrouve

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l’idée d’une hiérarchie à travers les concepteurs du jeu, nommée les Neufs Sœurs, mais aussi
dans les classements entre joueurs, où les plus puissants sont appelés les prêtres.

L’idée d’un Easter Egg comme trouver la jeune fille Ghost amène
déjà à un lien profond avec le futur Ready Player One, mais, chez
Oshii, ce lien est renversé par le final, où la protagoniste principale
finit par trouver Ghost. Alors que l’univers réel, très inspiré de
Stalker (Andrei Tarkovski, 1979) et très grisâtre et industriel, et le
jeu vidéo, là aussi très esthétique dans ses choix de couleurs,
amenaient justement des tons très esthétisants, la rencontre avec cet
Easter Egg amène le protagoniste vers un univers ressemblant trait
pour trait à la réalité, même dans ses couleurs.

Ici, ce questionnement renverse alors les jeux entre réalité et virtuel, comme si peut-être
c’était le virtuel qui était le plus réel. Si ces réflexions sur le cyberespace et son essence
continueront dans d’autres films, ces derniers sont hélas très mineurs par rapport à Avalon.

Le film apporte cependant une réponse plus expérimentale aux recherches des sœurs
Wachowski et permet d’ouvrir la réflexion sur les cyberespaces vers des horizons inexplorés.

L’inspiration du cinéma « d’auteur » est très présente chez Oshii, notamment des cinéastes
comme Godard ou Tarkovski, et elle permet ici d’ouvrir les possibilités esthétiques du film de
cyberespace. Pour la première fois, le rythme du film est lent, plus sinueux par rapport à ses
aînés.

Avalon et Matrix se posent donc comme deux versions distinctes mais très ressemblantes dans
leur réflexion sur le cyberespace, à la fois lieu de l’extraordinaire mais limité voire diminué
par sa condition de programme.

Il est étonnant que ces films, même si leur influence est véritable, n’aient pas produit de
clones ou de véritables suites spirituels. Leur esthétique ne conduira pas à un courant
particulier sur le virtuel avec des jeux d’étalonnage ou d’esthétique très particuliers.

Il faudra attendre quelques années et le film Summer Wars de Mamoru Hosoda, sorti en 2009,
pour voir de nouvelles réflexions sur le genre.

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Le cyberespace devient alors une part intégrale de l’univers, où
ce monde très réel utilise le virtuel comme une augmentation des
capacités des gouvernements et pouvoirs publics, où police,
pompiers, trafics et flux voyagent sur une même instance, le
monde d’Oz, véritable centrale d’emplois et de gestion du monde
réel.

L’autre outil du monde d’Oz est l’arrivée de l’avatar, une entité


de double directement inspirée par le jeu en ligne et les forums et
représentant l’identité en ligne, par un pseudo et une apparence
graphique qui dans le film va représenter la véritable identité des protagonistes, comme une
représentation exprimant la « persona » des personnages.

Ces réflexions sont menées aussi par un parallèle entre le monde virtuel et l’environnement
réel, notamment par une réunion de famille à laquelle le protagoniste est convié et qui va
travailler le milieu familial comme une micro-société, à la fois lieu de hiérarchie (par le droit
d’aînesse et la parentalité, la grand-mère dirigeant l’ensemble de la famille) et de conflits,
comme le montre l’arrivée de Wabisuke, enfant illégitime qui a participé à la création du virus
« Love Machine » qui envahira bientôt le monde d’Oz et en renversera les règles.

Il y a donc une inversion du topos des règles, puisque le personnage principal n’a pas besoin
d’apprendre les règles du monde d’Oz – qui sont rapidement expliqués à travers l’introduction
narrative du film – mais celles de la famille, que ce soit la généalogie de la famille ou les
règles à table et celles de société.

L’autre élément étrange du film est la vision très traditionnaliste de la famille : très
rapidement, se pose un conflit entre le monde virtuel, monde de progrès parasité par le virus,
et le monde traditionnel, celle de la grande famille Jinnouchi à la fois décimé par la vente de
leurs territoires, notamment par Wabisuke et par la modernité. On peut questionner ainsi le
choix d’établir une frontière entre les femmes préférant organiser les obsèques et les hommes
organisant la contre-attaque dans le monde d’Oz. Très clairement, le film prend le parti des
hommes dans une vision finalement assez viriliste de vengeance. (La grand-mère étant morte
parce que ses équipements médicaux fonctionnaient avec Oz, et le virus a empêché de
détecter les problèmes de santé à temps).

De plus, on peut questionner le choix de ne jamais véritablement critiquer le système


omnipotent d’Oz, l’antagoniste étant « Love Machine », d’ailleurs crée par des américains, et

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l’ensemble donne une vision assez conservatrice de conservation du statu quo du début du
film où jamais n’est questionné le lieu de transit général que constitue le cyberespace.

Ce film se place alors comme tiraillé à la fois par l’extase et le sublime du lieu d’Oz, magnifié
par les inspirations visuelles et esthétiques (comme le mouvement Superflat) et les possibilités
données au monde (à la fois lieu de divertissement, de rencontres, de savoir, de gestion…) et
l’amour donné aux paysages traditionnels de la campagne japonaise, et surtout au manoir du
clan Jinnouchi, lieu exploré dans tous ses recoins et espace de mystères (la chambre ou officie
Kasuma, alias « King Kazma ») et de réunion.

C’est cette position qui crée la spécificité de Summer Wars dans notre corpus, et qui en fait un
film particulier tant dans la forme que dans le fond dans notre exploration du genre.

Le monde virtuel et le cyberespace continueront à inspirer l’animation japonaise par la suite.


On peut penser par exemple à la très populaire Sword Art Online (A-1 Pictures, 2012),
proposant l’idée d’une multitude de joueurs enfermé dans un jeu en ligne et, comme dans
Matrix, dont la mort dans le jeu provoque la mort dans la réalité.

Comme nous l’avons dit, il n’est pas insolite de voir la deuxième puissance du jeu vidéo se
questionner autant sur ses nouveaux médiums, liant ainsi Soft Power et réflexion sur sa propre
culture.

Le milieu finira aussi par inspirer l’animation américaine, et


notamment Disney. Dans cette idée du puissant studio de
visiter des univers et thématiques très différentes et parlant à
la jeunesse, il semblait évident de parler du jeu vidéo, ce qui
se passa avec Les mondes de Ralph, sorti en 2012 et réalisé
par Rich Moore.

Le film est intéressant par plusieurs points : tout d’abord, par


son choix de présenter une salle d’arcade, un univers oublié
depuis les années 2000 (et qui rappelle plus l’univers de Tron
que ceux des films plus récents), et en ressort les personnages pour les faire rencontrer. On
retrouve l’idée des règles arbitraires (l’obligation de littéralement « jouer le jeu » en restant à
sa place et en répondant aux contrôles des joueurs) et celle de l’univers se construisant comme
un système global, avec ses structures (ce qui permet notamment une reprise de nombreux
personnages célèbres du jeu vidéo, préfigurant la célébration de figures de la pop culture que

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sera Ready Player One) mais moins les réflexions sur l’entrée et la sortie de l’univers : ce sont
déjà des créatures du virtuel et elles sont condamnées à vivre avec les règles du virtuel,
comme le montre la borne vieillissante du jeu du protagoniste, et les questions de querelle de
popularité qui se jouent entre les différents jeux.

Le film questionne plus l’histoire du jeu vidéo, et l’utilise comme moteur de sa narration. Le
cyberspace n’est plus un espace de contrôle, mais de rencontre et d’échange entre des
franchises et idées de la pop culture. On abandonne alors toute idée de régularisation ou de
hiérarchie. En ce sens, le film prépare un tournant pop culturel préparant peut-être des films
de réunion de franchise comme le déjà cité Ready Player One ou les films Avengers.

On peut alors remarquer les différents genres du jeu vidéo convoqués : le FPS (« first person
shooter), le jeu de course à la Mario Kart, ou les vieux jeux d’arcade, comme le montre le jeu
où Ralph joue le rôle du méchant, Fix-it Felix Jr., rappelant la franchise d’arcade Donkey
Kong (Nintendo, 1981-1984).

En conclusion, le film nous raconte beaucoup sur un cyberespace qui était compris avant
comme une menace, une prison ou un lieu de mensonge, mais qui devient ici un lieu de
mémoire, d’aide et de questionnements des personnages.

Notre réflexion atteint alors le dernier film avec Ready Player


One, réalisé par Steven Spielberg en 2018.

Le film continue sur la voie empruntée par Les mondes de


Ralph en proposant là aussi une sorte d’univers très référencé,
qui, d’un point de vue ludique, va pousser le spectateur à
chercher toutes les petites références de l’univers proposé par
Spielberg.

On retrouve la hiérarchie, par l’entreprise crée par James


Halliday et les règles intrinsèques à L’Oasis. Ainsi, se jouent
toujours les mêmes idées depuis le début. Mais c’est cette
recherche de références qui est poussé jusqu’au bout qui distingue véritablement le film du
reste du corpus.

Le cyberespace devient alors une galerie, une sorte de grande archive ou de bibliothèque de
Babel de la culture populaire. On est bien loin alors de la vision pessimiste de Matrix ou de

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Tron. C’est un environnement permettant de cacher ses défauts et de montrer seulement ce
que l’on souhaite montrer, et les protagonistes en profitent pleinement.

Cette ludicité et recherche proche finalement d’une expérience de joueur de jeux vidéo, trouve
donc dans le film son interprétation par la volonté de trouver les Easter Eggs. On peut
néanmoins questionner certaines positions de Spielberg, qui nous montre un univers post
apocalyptique, puis une entreprise qui a préféré fuir cette réalité dans un environnement
virtuel et toute la population avec. Cet état de fait n’est jamais remis en cause par le film ; seul
est critiqué les administratifs, venus profiter du système et dont la différence principale est
d’être de faux fans, des faux connaisseurs. Jamais le monde n’est remis en état, et on trouve là
un final qui fait étrangement écho à celui de Summer Wars.

D’une certaine manière, on pourrait même considérer l’univers de Ready Player One comme
un avant-Avalon, avant que l’univers virtuel prenne toute la place dans la vie de la société
humaine.

Esthétiquement, Ready Player One est un film qui part dans tous les sens, justement à cause
de cette réflexion sur le jeu ludique des références. On peut regretter qu’elle se face comme
une sorte de code à craquer et non comme réflexion profonde des médias, mais elle permet au
film de garder cette essence de coffre à trésors où se joue références multiples à la pop
culture.

Concluons donc notre réflexion de genre : le film de cyberespace est traversé de réflexions
diverses et de jeux entre les différents médiums qui l’influencent et qu’il influence en retour.
Ainsi, d’un espace effrayant, de contrôle, il est devenu un espace dompté par l’humain et qui
lui sert de mémoire collective et ludique.

Dans cette réflexion, Summer Wars est un film pivot où se mêle à la fois questionnement d’un
espace parasité et contrôlé et néanmoins nécessaire à la société.

Ainsi, le film de cyberespace est à la fois un genre témoignant de l’évolution des regards sur
le virtuel, comme Internet ou le jeu vidéo, mais aussi des visions de sociétés sur la liberté de
l’individu et sur le pouvoir du gouvernement. En cela, les films des années 2010 apparaissent
peut-être comme une régression sur la réflexion autour de la liberté individuelle et la société
de contrôle.

Il est de toute façon sûr qu’avec un genre aussi jeune, de nombreux autres récits s’ajouteront
afin de compléter le corpus, et l’amener peut-être vers une autre direction.

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