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2-7058-0017-4
Aux « Biches Sauvages » de Bruxelles;
à mon jeune compagnon Marc Payen.
Depuis ces dernières années, où a resurgi avec tant de force la question du
féminisme, où elle s’est posée avec une ampleur et une totalité jamais
atteintes, il ne convenait pas seulement d’en rechercher les origines
historiques et les conséquences immédiates et contemporaines comme je
l’ai fait ailleurs1. Il nous semble nécessaire, en l’an 1974, après l’évolution
du féminisme américain 2 et la toute récente apparition en France de « La
Ligue du Droit des Femmes » après le M.L.F., de voir la question avec un
peu plus de recul; et en même temps, sans doute, avec un sentiment
d’urgence beaucoup plus brûlant qu’en 1970. Il s’agit, devant les récentes
révélations des futurologues, de considérer le féminisme sur un plan
beaucoup plus vaste que celui jusqu’alors envisagé, et de chercher en quoi
la crise moderne de la lutte des sexes se relie à une mutation de la totalité,
voire à un nouvel humanisme, seul salut encore possible.
L’aspiration à l’égalité des sexes, a dit Serge Moscovici dans Société contre
nature, répond à un besoin de justice et à un vœu du cœur; elle ne se fonde
pas sur une théorie analytique, une démarche scientifique de l’esprit. Ce
manque doit être comblé, mais comment?
Et que ce n’est pas la libération des femmes qui passe par l’édification du
socialisme, mais le surgissement d’un socialisme de type entièrement
nouveau, mutationnel, qui passe par la prise en main des femmes et de leur
propre destin et de la destruction irréversible du patriarcat.
N’y a-t-il pas des Juifs heureux? Malgré leur judéité, peut-être. A cause
d’elle, en liaison avec elle, non. On ne peut faire qu’on n’y trouve en même
temps le goût du malheur. Comme c’est un malheur d’être colonisé, COMME
C’EST UN MALHEUR D’ÊTRE FEMME, nègre ou prolétaire.
ALBERT MEMMI : Portrait du Juif.
L’hydre aux mille têtes. — Le fait misogyne. — Une parole trop duré? —
Ce si banal sadisme. — La séparation.
Car je suis femme : et, enfin, je ne puis me payer le luxe d’escamoter par
des mots les réalités qui m’écrasent. Défloration, viol (criminel ou légal,
physique ou spirituel), grossesse, avortement, parturition, ménopause (ou
plutôt : fin du désir mâle, qui est si profondément équivoque qu’il m’est
menace mais aussi possibilité de défense et de sécurité), — toutes ces
choses peuvent être compensées, adoucies, supportées, même oubliées;
elles n’en sont pas moins condamnation, limitation, et leur terreur m’en
accablera jusqu’à la mort.
Le fait misogynique, comme toute relation répressive, n’a que faire des
bonnes volontés de Piotr, Jim ou Jacques. Il déborde cruellement les
individus. Il fait partie des institutions, il sous-tend les structures mentales.
On ne peut comprendre le malheur féminin si on ne tient pas compte
d’abord de ce qu’il est : un phénomène communautaire, historique, général,
mondial, une relation fondamentale entre la femme et le non-femme (la
meilleure définition du mâle). Il affecte toute culture, et se traduit plus
fortement encore dans l’inculture. Il oriente tous les rapports entre les sexes,
et ceux des individus du même groupe sexuel entre eux. Il est à la fois le
plus intime de notre particulier, et le plus commun de notre collectif. Il est
l’air que nous respirons.
Bien sûr que je ne ressens pas tout mec comme oppresseur et menaçant! En
face de celui que j’aime, ou parmi des homosexuels, des militants du même
mouvement que moi, des écrivains du même bord, il m’arrive d’oublier ma
féminitude. Mais mon malheur toujours présent peut se rappeler à moi à
chaque seconde; en un éclair, tout peut basculer, comme à la fin du film
Malpertuis, lorsque le héros sort de son asile psychiatrique au bras de sa
bien-aimée, ivre d’être devenu comme tout le monde, et que la porte qu’il
ouvrait sur la liberté se referme sur le monde familier de son cauchemar. De
même qu’il retrouve les couloirs interminables, les murs éclairés de torches,
les portes en enfilade sinistre, je peux en un battement de cils reconnaître
dans un mot, un geste, un silence du confrère amical, du camarade
chaleureux, du compagnon qui me donne mon poids de bonheur, ce petit
rien qu’il ne m’est pas permis d’abolir : le réflexe conditionné du non-
femme. Avec l’homosexuel, en particulier, le plus important de nos
compagnons de lutte, il existe une plus grande ambiguïté de rapports; écrasé
comme moi par la structure patriarcale, il est à la fois bénéficiaire des
privilèges de son statut, en tant que mâle, et rejeté, honni par les siens
comme traître à ce statut; s’il se révolte contre le sexisme qui nous opprime,
c’est en tant que minoritaire érotique, non en tant que mâle — comme je le
fais, moi, en tant que femelle, — même si je suis majoritaire érotique,
hétérosexuelle. En sus, il cesse d’être en tant que mâle un péril pour moi —
sauf s’il est bisexuel — et à la fois peut devenir un nouveau danger, s’il
décide de voir en moi la rivale; pis encore, il contribuera à perpétrer mon
malheur, souvent, en vouant une idolâtrie irréductible à un stéréotype, envié
pour lui-même, de femme-factice pour illustration publicitaire; et c’est là un
culte que je méprise et combats comme une des causes directes de
l’abrutissement du monde et de mon propre malheur.
J’ai tracé ici le portrait du « mec traître à la société-mec parce qu’il aime les
mecs». Que dire des autres? Tous participent à une société qui rend la vie
intolérable aux femmes en tant que femmes. Cela, oui, je le sens, je le sais.
Voyons, est-ce un fantasme? Suis-je une névrosée, une aigrie, une mégère?
Nous sommes beaucoup à répondre à ce triste cliché. Nous étions plus de
cinq mille à le faire, ces jours de 13 et 14 mai 1972, à la Mutualité. Je suis
vraiment navrée si « cette parole est trop dure », comme disaient les
Disciples. Qu’y puis-je? Je suis née dans cette culture mâle, comme tout le
monde; je l’ai assimilée, je l’ai respectée, je l’ai parfois aimée; me révolter
contre elle est plus déchirant qu’on peut le croire, car c’est me révolter
contre toute une partie de moi. Que ceux qui ont fait cette culture et me l’on
enseignée soient mes ennemis en tant qu’oppresseurs, que tous, y compris
les lucides, les amis, les alliés, participent au malheur qui écrase toute
femme en tant que femme, ce n’est pas une vérité que je crie avec triomphe,
c’est une constatation que je formule dans la douleur et la consternation.
Cette parole « trop dure », elle n’en est pas moins vraie, brutalement vraie,
jusqu’au drame. Je refuse de céder à ce que Freud dénonçait comme une
tentation de l’esprit humain : tenir pour faux tout ce qui lui est désagréable.
Car enfin, c’est à un homme que je dois la vie, et j’ai un fils qui me la doit;
les poètes à qui je suis redevable d’une seconde naissance étaient des
hommes; la plupart des héros que j’ai admirés, aussi; les chefs-d’œuvre et
les ravissements de mon destin portent presque partout la marque
masculine; pourquoi voudrait-on que je me déchaîne gratuitement contre
l’approximative moitié de l’humanité? Par quelle perversité étrange?
Pourquoi refuser a priori que mes raisons soient «bonnes», si ce n’est par
crainte de découvrir, dans la réponse que nous tentons, votre propre visage
d’ombre? Votre irresponsabilité, pire encore que votre responsabilité? Oui,
tout non-femme, quel qu’il soit, qu’il le veuille ou non, participe au malheur
de toutes les femmes, même s’il s’efforce d’être le bonheur d’une seule.
Mieux : sans ce malheur, il serait limité, diminué, moins capable d’une prise
directe sur le monde tel qu’il est; c’est de la même façon que moi.
Occidentale, je bénéficie du malheur du Tiers Monde, bien que j’en déteste
l’idée.
J’entends; il y a bien des degrés dans la brutalité d’un même lot. Même les
camps de mort ont connu leurs privilégiés; mais les conduites de haine et de
dédain, la gynophobie, le mépris distrait ou virulent, la dérision même, tout
est toujours là, tous les thèmes du discours misogynique. Il est toujours là,
le mâle prêt à railler, à ricaner, à frapper, à violer et à cracher sur ce qu’il
viole. Et au bout de ce racisme sexuel, comme au bout de tout racisme se
trouve toujours la solution finale hitlérienne; l’avilissement à petit feu
débouche sur la mort, comme dans Histoire d’O dans le plus libéral des
hommes, s’il aime la chair de femme, dort un Maître de Roissy. Ne lui crie-
t-on pas de tous les côtés que sans «un peu de sadisme», il n’est pas un
véritable amant?
Pourtant, je (et quand je dis je, j’entends bien que vous entendiez parler
n’importe quelle femme) je n’ai pris conscience de moi-même que par cette
misogynie, matière première du monde où il me fallait vivre, et qui m’en
séparait. Que cela soit le sort de telle ou telle minorité. Noirs d’Amérique,
Juifs d’Occident, etc., ne sert qu’à souligner l’irrémédiable scandale du sort
de la majorité biologique de l’espèce : la femme, seule majorité à être mise
entre parenthèses et séparée à la façon des minorités opprimées. C’est ainsi
qu’abordant ma condition de femme par cette mise entre parenthèses, dès
ma jeunesse, moi (n’importe quelle femme) j’ai été amenée à en découvrir
l’aspect capital : celui d’une séparation. (Comme le juif d’Albert Memmi.)
Et c’est peut-être la conscience de ce partage, de cette rupture, qui m’a fait
rechercher avec une soif si brûlante la totalité d’un absolu, celui du sexe
comme celui du monde; et que je ne supporte l’idée d’une lutte que si elle
se jette, comme le fleuve dans la mer, dans le combat pour la Totalité.
« Cela n’a pas de sens de vouloir convaincre les autres, par toutes sortes de
déductions, de notre parité; car leur manière d’agir ne vient pas du cerveau.
»
En effet, elle s’enracine dans le sens du profit chez les uns, dans le
fanatisme du confort intellectuel chez les autres. Renoncer à son profit est
presque aussi difficile que de renoncer aux préjugés qui permettent de vivre
sans la malédiction d’avoir à penser. Je l’ai déjà écrit1; les arguments ne
changent pas les situations; ils provoquent tout au plus une crise de
conscience. De même, en cure psychanalytique, si les remaniements des
conditions de vie ne suivent pas, la « guérison » ne sert à rien; à quoi bon le
permis de conduire, si je n’ai pas de quoi m’acheter une voiture? Autrefois
on croyait le culte du pucelage nécessaire à la solidité du mariage, la
religion de la patrie indispensable au sacrifice joyeux du soldat; aujourd’hui
les filles se font déflorer en surprise-parties à quinze ou seize ans et
deviennent de bonnes mères de famille bourgeoises, et les déguisés-en-
héros s’en vont se faire tuer, sans réplique, pour des industriels qu’ils savent
fort bien se nommer patrie. Alors, pourquoi argumenter encore? Pourquoi
écrire et parler? Eh bien, comme le dit Memmi, « si les mots ont prouvé que
l’issue n’était pas verbale », ils ont déjà rempli un certain office.
Égalité dans la différence! Mon Dieu, mon Dieu, ce vieux rafiot qui fait eau
de partout surnage encore! Ce serait l’idéal, si les rapports humains
pouvaient être égalitaires. « Et certes je ne veux point d’autre paradis. »
Mais qui donc ignore qu’ils ne le sont nulle part? Pour pouvoir le devenir, il
faudrait que ce fût partout. Partout règne l’oppression; et l’oppression n’est
qu’une répression intériorisée. Comment en serait-il autrement dans un
monde mâle, c’est-à-dire compétitif? Dans cette perspective, la différence
(c’est-à-dire l’altérité) est toujours aux dépens du différencié. Les non-
femmes veulent bien que la femme leur soit différente, ce qui exprime
évidemment qu’ils sont différents d’elle; mais les conséquences sont toutes
pour la femme. Si celle-ci veut créer, commander, inventer, changer, elle
singe l’homme, honte à elle; mais l’honneur en sera doublement grand pour
quelques-unes, femmes-mecs, « corsaires de la reine » qui seront d’autant
plus considérées qu’elles ont franchi un tel pas. Par ailleurs, si l’homme se
prouve intuitif, ingénieux, plein de goût et de sensibilité, il n’en glorifiera
pas moins son sexe : philanthrope, grand couturier, grand cuisinier, nul n’ira
lui reprocher de « singer la femme » ; il n’a pas besoin, lui de « corsaires de
la reine ». Au contraire, on en fera un triomphal argument contre nous : «
même les grands cuisiniers sont des hommes». Ce qui est grand, donc
incarne l’universel, est obligatoirement le fait du non-femme. Plus question
de différence s’il s’agit du mâle. Sauf sur un seul point : le comportement
érotique. L’homosexuel est un « bâtard », au sens traître du mot. Ainsi
qu’un grand seigneur le reprochait à l’abbé de Choisy, « il feint d’être une
femme alors qu’il a le bonheur d’en n’être pas une». On n’a jamais avoué si
clairement le malheur d’être une femme...
« La femme est naturelle, donc abominable. La jeune fille est une petite
imbécile et une petite salope » (Baudelaire, notre Baudelaire des Fleurs du
Mal) Saint Augustin : « La femme ne peut ni enseigner, ni témoigner, ni
compromettre, ni juger ». (Malheureusement, elle peut encore éduquer.
Exemple : sainte Monique, mère du philosophe.) Hésiode : « Qui se fie aux
femmes se fie aux voleurs». Saint Jean Chrysostome : «Souveraine peste
que la femme». (Rappelons que c’est notre Église qui l’appelait «Bouche
d’Or».) Saint Antonin : « Quand vous voyez une femme, songez que ce
n’est ni un être humain ni une bête féroce, mais le diable lui-même».
Tertullien : «Tu devrais toujours aller en deuil et en haillons pour avoir
perdu le genre humain ». Saint Jean de Damas : « Affreux ténia qui a son
siège dans le cœur de l’homme, fille du mensonge, sentinelle avancée de
l’enfer». Saint Paul, le gérant de notre Église : « Je veux que la femme se
tienne en silence; femmes, soyez soumises à vos maris, etc. etc. » Quittons
ces bigots, dites-vous? J’y consens. Voici donc leur ennemi qualifié, le bon
géant de notre humanisme occidental, le jupitérien, le sceptique, le premier
champion de l’égalité des hommes et de la liberté sexuelle, Rabelais : «
Quand je dis femme, je dis un sexe tant fragile, tant variable, tant muable,
tant inconstant et imparfait... » Venons-en au classicisme. Racine : « Elle
flotte, elle hésite, en un mot elle est femme ». Corneille : « Mon père, je
suis femme et connais ma faiblesse». Beaumarchais : « O femme, créature
faible et décevante! » Vigny : «La femme, enfant malade et douze fois
impur». Proud’hon, après Molière et son célèbre chrysalisme, qu’une
femme en sait toujours assez : « Ménagère ou courtisane». Et plus tard :
«Nous vous trouvons laides, bêtes venimeuses, qu’avez-vous à répliquer à
cela? » Ce socialiste, ce révolutionnaire, cet auteur de l’adage «la propriété,
c’est le vol », en tire les conséquences : « L’homme sera le maître et la
femme obéira ». Avant Freud, il décrète « qu’il lui manque un organe pour
devenir autre chose qu’un éphèbe». Et Auguste Comte, dans la lettre
annonçant son mariage à un ami : « La femme la plus spirituelle et la plus
raffinée n’équivaut au bout du compte qu’à un homme assez secondaire,
avec seulement beaucoup de prétention en plus. »
Tout ceci n’est que culture française. Soit. Passons à l’Islam où le Coran
donne la femme à l’homme « comme champ à labourer ». A moins que
vous ne préfériez le Bushido, code d’honneur des samouraïs, parallèle
éclatant de la culture grecque homosexuelle où il est appris au noble
Japonais qu’il est honteux d’aimer une femme alors qu’il y a tant de jeunes
hommes. Serait-ce à l’Allemagne que vont vos préférences? Pour
Schopenhauer, je suis un animal à cheveux longs et à idées courtes; pour
Nietzsche, « le sous-homme est supérieur à la surfemme » ; pour Freud, le
titan, nous sommes toutes des hommes ratés, jalouses dès l’enfance du
pénis de notre petit frère. Tout cela n’est que livresque; on le sait; la culture
est le contraire de la vie. Bien! Scrutons la sagesse des nations; voyons
comment s’expriment par proverbes ceux qui ne savent ni a ni b.
Scandinavie : « Le cœur de la femme a été fait comme la roue qui tourne;
ne te fie donc pas à ses promesses». Hongrie: «Femme, ton nom est silence
». « L’argent est bon à compter et la femme à battre. » Pologne : « La bonne
femme descendue, les chevaux tirent mieux la voiture». «Si le mari ne bat
pas sa femme, son foie pourrit». France : « Bats ta femme comme tu bats
ton blé; t’auras de bon froment, t’auras de beaux enfants » (Dauphiné).
Afrique du Nord : «Bats ta femme, tu ne sais pas pourquoi, mais elle sait,
elle». Faut-il allonger la liste? Faut-il faire appel aux plus lointaines
religions, au bouddhisme, au zen, aux Vedas, aux cosmogonies
précolombiennes, et le diable et son train?
Je le demande : quel homme, devant un tel concert, n’aurait dès son enfance
la réaction d’une épouvante? Lequel se jugerait sans appel digne d’être un
humain à part entière? Lequel ne se sentirait pas séparé, différent,
condamné? Peut-être que, seuls, les Juifs peuvent le comprendre. Pour
nous, qui cherchions à nous justifier d’être femmes, c’était dans les textes
que nous apprenions à l’école et dans les voix que nous révérions comme
messagères de notre foi religieuse que nous recevions ce venin; il nous était
distillé en même temps que la nourriture culturelle et spirituelle. Une jeune
fille qui porta mon nom, à l’époque où Michèle ne courait pas encore les
routes de la France sans feu ni pain avec du matériel de parachutage, et où
Lina, encore en possession de sa raison, était une brillante élève, la jeune
fille que je fus a écrit après un recueil de ces citations : « Femmes, que de
fange jetée à notre figure sans nous ouvrir les yeux! Ce n’est que dans
l’Evangile que la boue guérit de la cécité », Et cependant, moi aussi,
j’appris à oublier dans la violence; je refoulai, j’inhibai, j’ai fermé mes
yeux; et la dimension de «colonisé» de mon destin, je le refusai. C’était ça
ou crever. Je ne me console pourtant pas de cette lâcheté.
Sans elles, ce n’est pas encore assez dire; c’est « contre elles » qu’il fallait.
Nous avons décidé de ne pas nier a priori les fameuses «différences». Bien
sûr, beaucoup de « traits féminins » sont imaginaires; la plupart, même, sont
créés de toutes pièces par la culture mâle. D’autres sont exagérés avec
complaisance, pour l’utilité de sa survie, comme ce fameux instinct
maternel qui existe, pourtant2. Mais est-ce à cela que se limite notre
différence? Je ne le pense pas. Après beaucoup d’hésitation et de remise en
question, je tiens aujourd’hui le Féminin pour une valeur et pas seulement
une variation culturelle sur le thème universaliste. Il est ce qui colle de plus
près à l’universalisme; ce que l’homme-mâle a feint d’être quand il se
présentait comme neutre; il est à la base même des valeurs les plus
immédiates de la Vie, et c’est par là que se recoupe le combat féministe et
le combat écologique.
Mais elle concerne aussi le non-femme, cette vieille histoire ! Lui aussi doit
se délimiter en raison de ce procès, par rapport à lui. Lui aussi doit accepter
ou refuser la misogynie constitutionnelle de son statut de mec; d’une façon
générale, il acceptera et refusera à la fois, selon un dosage infiniment
variable. (De même que moi, en tant que goï, je dois me définir par rapport
à l’antisémitisme, et en tant qu’Occidentale par rapport au Tiers Monde.)
C’est ainsi que, si loin que je remonte dans le temps, je me suis demandé
pourquoi j’étais différente, et en quoi? Question qui en amenait toujours une
autre : pourquoi cette différence que je ne savais où situer. Car pourquoi un
orifice à la place d’un relief aurait-il plus d’importance qu’un œil bleu
plutôt que noir, qu’un pelage blond plutôt que brun? me vouerait-elle à un
destin obligatoirement secondaire et subordonné? Pourquoi devais-je être
quelqu’un sans grande importance personnelle qui ne se sentirait jamais, au
mieux, que la moitié d’un autre? (Et encore, la moitié! Sans moi, celui-ci se
serait bien senti entier, non? Drôle d’arithmétique.) Pourquoi devait-il être
moi, ce quelqu’un dont on riait avec mépris, avec indulgence, avec
tendresse même, mais dont on riait comme d’un accident de la nature, non
d’un fait de la nature elle-même? Pourquoi les Sages me tendaient-ils ce
miroir déformant? Pourquoi étais-je en surplus, en trop? Pourquoi la terre
entière me crachait-elle à la figure? Sans doute, j’avais des armes. Ce «
mystère », par exemple... Mais ne nous y trompons pas. Caliban lui aussi
est mystérieux à Prospero, et le bicot au colonialiste. Dès qu’il y a
oppression, le mystère arrive à la rescousse. Ce mystère de la femme reste
néfaste; au centre de cette fleur vénéneuse se trouve la pomme d’Eve, le
bestial refus du divin Esprit mâle, le trou, l’abime. Je n’étais qu’un moulage
en creux, et je devais en être châtiée. Pourquoi? Pourtant la Bible elle-
même, qui me condamnait, appelait l’humanité peuple de la femme. Les
statistiques confirmaient : 52 %. C’étaient les non-femmes, dans ce cas,
l’accident de la nature. Alors? Je sentais en moi l’étonnement du petit
garçon dans Macbeth : les canailles étaient des fous de se laisser pendre par
les honnêtes gens, puisqu’ils étaient plus nombreux qu’eux!
2 Et d’autant plus qu’il se nie! A l’heure actuelle, le refus de procréation des femmes lucides
correspond à la plus saine résistance à ce génocide par étouffement que comporte la démographie
galopante. Il est impossible de se soucier des générations futures sans chercher à les limiter au
maximum pour la simple possibilité d’exister.
3 Aragon.
Nous avons parlé plus haut de l’obligation faite à une femme de plaire et le
grief que, parallèlement, on lui en faisait. Une de mes amies me conta un
jour comment elle l’éprouva personnellement. C’était une fille forte,
sportive et intellectuelle. On la morigénait pour son absence de « féminité »
(comme toujours confondue avec la « féminitude »). Un jour, pour se rendre
à une soirée, elle se fit belle : robe, coiffure, maquillage. En chemin, elle
passa devant un chantier. Les ouvriers s’arrêtèrent de travailler et ricanèrent
à son passage : « Oh là là! Vise-moi ça!» en se trémoussant avec de petits
cris mièvres.
— Quoi que je fasse, j’ai donc tort, me dit l’héroïne de cette anecdote. Bon,
je reprends mes pantalons et mes cheveux plats.
Fanny Deschamps s’est livrée à une enquête auprès des mâles de la France
en Ve République (Ils parlent d'elles, Grasset, 1968) :
« Si une femme ne me plaît pas d’aspect, déclare “ Nicolas ”, je ne peux pas
rester auprès d’elle. Je ne peux même pas la supporter, il faut qu’elle s’en
aille. Je suis très sévère pour cela, je sélectionne beaucoup ! » (Nicolas est
patron.)
« Le côté intellectuel et moral ne m’intéresse que si le côté physique m’a
intéressé. »
« Une femme, c’est d’abord un corps, une silhouette. »
« Une femme doit être belle. Ou alors je n’ai pas envie de lui parler. Pour
quoi faire?» (sic). (Alain.)
Et le même :
« Si elle n’est pas belle? Dans ce cas, je comprends qu’une femme... ait
envie de faire des tas de choses, puisqu’elle n’a rien pour faire une vraie
femme1 »
Il y en a ainsi des pages, des pages, des pages. En 1968, année de la
contestation généralisée.
Une femme doit à la fois plaire et se sentir sans cesse justiciable d’avoir
plu, comme le Juif se doit d’être riche pour profiter d’un minimum de paix
et de sécurité et sans cesse rendre des comptes de sa fortune, comme un
Noir se doit d’être vigoureux et sexuellement puissant pour sans cesse se
défendre de l’accusation de bestialité.
Admettons que le préjugé des études soit dépassé dans la classe bourgeoise.
Ces études ne débouchent que sur quelques grands secteurs, dont le plus
important est le secrétariat sous toutes ses formes, et deux ou trois
professions libérales : Enseignement d’abord, puis Barreau et Médecine.
Dans tous les autres domaines, la participation féminine tombe à des
chiffres d’une incroyable bassesse. Mais c’est surtout le TRAVAIL en tant
que tel, spectre vague et multiforme, qui est donné comme le grand rival de
la nécessité de plaire. Qui dit travail dit peine, et c’est immédiatement
l’idée du plus grossier, du plus rebutant, du plus sale et du plus pénible, qui
se profile à l’horizon dès que les misogynes de type paternaliste entendent
parler par une femme de travail libérateur. « Allez donc voir en U.R.S.S. les
femmes transporter des rails sur l’épaule 3. » Quelle féministe n’a pas
entendu ce genre de poncif? Au cours d’une polémique par lettres, un
docteur sexologue m’a prédit, par ironie, qu’on verrait un jour les femmes «
curer les égouts ».
« C’est vraiment une idée condamnée à l’avance que de vouloir lancer les
femmes dans la lutte pour la vie», prêche Freud dans une lettre à sa fiancée.
On ne saurait mieux dire que l’homme est le seul animal qui crée sa propre
nature7 et que la féminitude n’est en rien identifiable avec la féminité, celle-
ci n’étant constituée que par l’ensemble des traits biologiques préexistant à
toute culture, mais susceptibles d’être profondément modifiés par elle
comme le prouve la disparition de l’allaitement dans les temps modernes.
«Cache-toi, femme, je vois sur ton visage les baisers de ton mari », déclare
saint Amboise, représentant de cette Église qui fit du mariage un sacrement.
Comment ne ressentirait-elle pas sa condition de féminitude comme une
carence et une étrangeté, cette transmetteuse de vie, cette « réceptivité »,
cette « passivité » à la fois humaine et rejetée par l’humain, cet être
bizarrement enfermé dans une contradiction créée de toute pièce et qu’on
lui présente comme naturelle, voulue par la biologie ou le Ciel? Comment
ne trouverait-elle pas que la nature est le contraire de l’aisance, du
spontané, de l’instinctif, qui va toujours vers le facile et l’harmonieux?
Comment ne se sentirait-elle pas en perpétuel porte à faux, incitée à ce
caractère « oblique » et « équivoque » qui fournira un grief de plus contre
elle? Pour tout résumer en une pointe : à la femme mystifiée qui prend la
féminitude pour sa féminité, la nature apparaît comme une contre-nature.
Nous verrons plus loin qu’il est fort insuffisant de parler du travail ménager
comme « injustement dévalorisé» et que celui de la femme mariée
appartient au contraire à un travail invisible et gratuit absolument
indispensable à l’édification du travail payant et visible intitulé productif.
Nous avons dit plus haut que peu de secteurs s’offrent pratiquement à
l’emploi féminin, même si en principe ils s’offrent tous à lui, même si
parmi eux se trouvent de très larges domaines devenus presque
exclusivement féminins comme le secrétariat, qui a presque remplacé
aujourd’hui l’ancien emploi féminin du travail de l’aiguille.
En France, le tiers des travailleurs sont des femmes. Or, en 1968 elle ne
représentaient que 8 % des cadres.
Sur 303 800 contremaîtres, il n’y a que 18 000 femmes. Sur 139 000
ingénieurs, il n’y a que 3 % de femmes (rarement admises dans le secteur
production, dit P. Sartin).
Sur 371 000 cadres supérieurs, 45 200 femmes, qui ne touchent qu’environ
68 à 70 % des traitements réservés aux collègues masculins.
Dans le Barreau : 19 % de femmes. Dans la Médecine : 7 %. Dans
l’Architecture... 1%. Il y a une femme à la Cour des Comptes, et une femme
sous-secrétaire d’État. L,es femmes ne peuvent accéder aux postes de
préfet, d’inspecteur des finances, ni entrer dans la carrière diplomatique. Et
ceci en dépit de la loi du 10 octobre 1946 : « Aucune distinction ne peut
être faite entre les deux sexes pour le recrutement aux emplois de l’État. »
Non seulement les travaux les plus fastidieux, ou à l’occasion les plus
pénibles, bien souvent les plus éprouvants et malsains, — car une
mécanographe ne peut continuer au bout de dix ou douze ans et ne trouve
guère à se recycler, et les travailleuses à la loupe voient baisser si vite leur
vue qu’elles quittent le travail vers les trente ans, — mais encore les salaires
sont partout d’une inégalité qu’aucune revendication n’a pu combattre. Il
est vrai que les revendications ouvrières sont le fait des mouvements dirigés
par les hommes et des syndicats masculins.
« Mon frère a été recalé. Pour mes parents, il ne s’est pas posé le problème
de savoir s’il allait arrêter ses études pour travailler. Il continuait, parce
qu’il fallait qu’il ait un diplôme... Moi, j’ai passé le concours, mais je me
suis fait virer au bout d’un an. Là, ça s’est très mal passé, il était évident
pour mes parents que pour moi, fille, c’était différent, pas besoin de
diplôme; et ils m’ont trouvé une place à la Sécurité Sociale15. »
La fameuse « collaboration » des femmes masque un très simple
maquereautage de la plupart des hommes d’une situation élevée ayant
épousé une femme cultivée, ,— en dépit des prédictions d’Auguste Comte
préconisant, dans la lettre déjà citée, la « médiocrité intellectuelle » de la
compagne. Que d’exemples illustres de « muses » qui sont suivies
aujourd’hui par les épouses, maîtresses ou égéries de nos noms de premier
plan! On prône encore les douces, discrètes et efficaces ombres de ces
grands mâles. On, rappelle volontiers que Mme Berthelot devint la
secrétaire du savant, lui sacrifiant sa vocation de peintre; et que Mme Alain
recopiait les manuscrits du philosophe. Quant à Marie Curie, dans mon
enfance on tranchait d’un mot : « Elle n’a rien découvert du tout, c’est
Pierre Curie qu’elle a aidé seulement. » On se souviendra encore de
Georgette Leblanc écrivant près de la moitié de l’œuvre de Maeterlinck,
sous couleur de « secrétariat ».
« Ils se trouvent que ces amis qui me disaient “ Il faut que tu te maquilles ”
étaient gauchistes et c’était mes copains; d’autre part mes parents disaient le
contraire», dit une jeune fille d’origine populaire, dans Le Petit Livre de
l’Oppression des Femmes. Pourquoi les parents ne voulaient-ils pas? « Il
faut être naturelle. » Ils croyaient à la nature biologique, comme tous les
sous-informés; les gauchistes, plus évolués, croyaient à la nature culturelle;
seule, la jeune fille demeurait dans la plus complète incertitude quant à sa
nature à elle! Où était la féminité, et où la féminitude? On lui disait qu’il
fallait séduire les "garçons, que la loi était de plaire; ses parents, à seize ans,
lui interdirent d’aller au cinéma avec un copain en lui en expliquant les
dangers. « J’étais absolument terrorisée. » Résultat : se rendre laide pour ne
pas attirer les garçons. « J’ai commencé par ne plus me laver. » Suit ce
poème :
La loi de plaire renforce la différence que le travail tend à effacer. C’est une
des raisons que les moralistes d’autrefois ont brandi pour prouver que le
travail était l’ennemi de la féminité. (Bien entendu, il ne pouvait être
question de féminitude.) Mais il est difficile de parler à la fois en vers et en
prose. C’est tant pis pour les femmes à qui il est fait l’obligation de séduire,
et de s’adonner à ce travail qui doit tuer sa séduction. On conçoit qu’à tant
de contradictions elle finisse par réagir avec un certain fatalisme que
traduit, notamment, l’absentéisme si souvent invoqué contre elle dans le
monde du travail.
C’est ainsi que toute femme vit à la frange de ce possible, sait jusqu’au
tréfonds de son être que la question peut un jour se poser pour elle, que
toute sa vie la prostitution lui sera présence invisible, comme le paradigme
de sa condition. La dévalorisation des interdits moralistes d’hier sera même
une barrière de moins entre cette abjection et son destin personnel; les
petites ménagères des H.L.M. et des grandes banlieues verront beaucoup
plus facilement qu’autrefois une solution pour « arrondir leur fin de mois »
dans ce que les mâles appellent hypocritement le plus vieux métier du
monde; de jeunes mères abandonnées ou à la pension alimentaire
insuffisante, appartenant parfois à la plus haute société ou à l’élite
intellectuelle, n’hésiteront pas à participer à un réseau de call-girls, quitte à
tomber entre les mains du chantage ou de la police, à se faire marquer ou
abattre. (Ceci n’est en rien une imagination ou un excès; un jour les
bouches s’ouvriront et le scandale pourra éclater.)
Tout, dans la féminitude, désigne, sinon conduit à cet abîme, un des plus
noirs de la condition humaine. Le crime de réceptivité, le forfait d’être
creuse, d’être ce moulage en creux du non-femme, voilà ce qui, en système
de consommation-production se châtie immédiatement par l’incitation tacite
de faire d’un tel handicap un moyen d’échapper au travail; et même quand
le pire travail lui est préféré, sa possibilité sera toujours présente à titre de
ricanement et d’anathème ; « Bah, si elles ne faisaient pas ça, elles feraient
le trottoir! »
Ce n’est donc pas par le seul jeu du travail sous-payé que le fait social de la
prostitution est présent au cœur de la féminitude; il se trouve partout, y
compris chez celle de la privilégiée bourgeoise, de l’intellectuelle la plus
estimée, de la mère de famille la plus respectable, de la religieuse, de la
lesbienne; la malédiction de ce possible que tant de facteurs poussent à
rendre probable naît avec toute femme comme un second péché originel.
Même sa vieillesse ne l’en sauvera pas; les personnes qui ont assisté à une
visite médicale de prostituées ont pu constater, à leur grand ébahissement,
l’énorme proportion de vieilles, très vieilles femmes qui s’y présentaient. («
Comment voulez-vous que je vive avec ce que me donne l’Etat : 90.000
anciens francs par trimestre? » me demandait l’une d’elles.)
2 La femme libérée? (Stock, 1968). J’ai ressenti les effets de la même réaction chez ma grand-mère
lorsque, préparant mon programme de bachelière, je lus la Vie de Verlaine de François Porché qui
faisait état des relations sexuelles du poète avec Rimbaud. Bien que grande voyageuse, frondeuse et
voltairienne, mon aïeule parla d’un «coup de sang» et dut s’aliter.
3 André Pierre, dans Les Femmes en Union Soviétique (Spes, 1961) rapporte que les jeunes filles y
rêvent de plus en plus d’un mari qui gagne assez pour devenir «femmes au foyer». Il est significatif
d’apprendre que, dans la banlieue de Paris, « dès qu’il s’agit d’un travail particulièrement morne et
répétitif, on dit : ça, c’est pour une femme ou pour un colore». (Enquête d’Elle, 4 octobre 1973,
Hôtel Méridien.)
4 Ce qui sert d’argument à Stephen Hecquet (Faut-il réduire les femmes en esclavage? Oui, 1957)
pour prouver que la femme est le sexe fort et résistant, et doit être traité comme tel, pour le plus
grand bien de l’homme, sexe de luxe.
5 « Sa femme est aux galères, et tout le monde sait que c’est lui qui a volé», écrit Flaubert dans une
lettre à Maxime Ducamp, en parlant d’un domestique suspect.
6 Sociologie de la sexualité, par Helmut Schelsky, professeur à Hambourg. Les exemples cités sont
en fort petit nombre à côté de tous ceux que j’ai relevés dans ma contribution. Le Féminisme, histoire
et actualité, compter les exceptions symétriques du sexe mâle (cf. Eros Minoritaire). L’important est
de noter cette nette prise de position chez un auteur qui, par ailleurs, déclare que si l’on voyait se
réaliser une parfaite égalité des sexes, « il nous serait impossible de conserver notre héritage culturel
(p. 92) ».
7 «L’habitude seconde nature, ou la nature première coutume?» est la question de PascaL U est
comique de voir aujourd’hui s’entêter dans l’essentialisme tant d’esprits « libérés » à côté de ce
fidéiste d’il y a trois siècles.
8 C. Rochefort, La complainte.
11Connaissance sensuelle de l’homme, Buchet-Chastel, 1964. Noël Lamare a collaboré au Livre Noir
du Divorce, ou y est cité; ce passage est un des plus savoureux de ce livre consacré à démontrer «le
féminisme insidieux et démagogique» (sic) de... la magistrature française!
13 Ibid. Ceci est relaté par une jeune fille de 1972. Lorsque, en 1930, j’étais en classe mixte au cours
Hattmer, j’entendis le même discours dans la bouche de notre directeur faisant honte aux garçons
parce que je me trouvais dans les premières places. Assistait à ce cours ma mère, élève de Mme
Curie, qui avait dû dans sa jeunesse faire le coup de poing pour pouvoir s’asseoir à la Faculté des
Sciences où les étudiants faisaient barrage. (En Médecine, ils brûlaient en effigie les premières
étudiantes.) Continuité et permanence historique du discours misogynique.
14 Ibid. Ici on peut admirer de quelle façon la répression sexuelle rejoint l’antiféminisme.
15 Ibid.
16 Cf. par exemple Edmond Harcourt, un des rares à avoir soutenu Oscar Wilde, contempteur des
«grues».
17 Variante : « Alors, quand ton cul va bien, tu vas bien. » Notons que le même phallocrate, en cas
contraire, eut reproché à sa maîtresse sa frigidité.
18 Eros et Civilisation.
Le viol
Un mouvement de foule. — Le viol de Chantal. — Le viol « politique ». —
Un distinguo subtil de la justice. — Viol au détail. — Viol virtuel et
menace, — Nature ou loi? — En toute femme, c’est l’humanité entière qu’il
viole.
Il est assez remarquable que le féminisme ait débuté par les revendications
plus élevées pour en venir, si tard, aux questions les plus humblement
primordiales.
Même dans le cas de viol, lorsqu’il s’agit d’une habitude implantée « depuis
un temps » et non d’un accident spectaculaire, il est significatif de voir les
considérations et les attendus de la loi. On se souvient que dans l’affaire
Violette Nozières la justice bourgeoise préféra condamner la victime.
C’était en 1934, époque où les femmes n’avaient pas même le droit de vote.
Voici un exemple plus récent :
« Extraits des renseignements de la brigade de Champigny :
« Chantal violée par son père de 9 à 15 ans. Agée actuellement de 20 ans,
elle est en maison surveillée. C’est elle qui a porté plainte contre son père.
« En dehors des faits qui sont reprochés au père, c’est :
— un excellent mari,
— un courageux soldat,
— un honnête bourgeois,
— un bon ouvrier,
— un vrai prolétaire,
— un homme de bonne moralité,
— il est honnête, courageux, loyal, fidèle, tellement généreux et bel homme
de surcroît.
« La déchéance paternelle ne semble pas envisagée, le père ayant pris
conscience de ses actes. »
« Extrait des examens psychologiques de la jeune fille :
« Elle présente des traces d’inhibition et de rétraction, des tendances
dépressives mal compensées par quelques attitudes caractérielles
d’opposition2. »
Le viol peut être utilisé comme une arme, comme un instrument de torture,
à des fins politiques. Récemment, un numéro de Charlie-Hebdo proposait
de faire violer les nouvelles filles-soldats par des objecteurs de conscience.
Non plus à titre de fantasme mais avec exécution positive, eut lieu le viol
d’Issy-les-Moulineaux, 14 juillet 1972 :
Une cinquantaine de fascistes casqués et armés de barres de fer envahirent
le bal populaire auquel participaient une trentaine de famille, yougoslaves et
algériennes pour la plupart, squatters d’immeubles abandonnés et insalubres
de la région. Une sévère bagarre s’engagea. Les assaillants entraînèrent
deux femmes en voiture : l’une, toute jeune fille, l’autre, d’une trentaine
d’années, professeur. Ils les déshabillèrent dans un bois près de Versailles,
se contentèrent d’attouchements sur la mineure et apprirent par trois fois à
l’autre que « le pouvoir est au bout du phallus».
« Il est bien entendu que toute petite fille doit être violée, réellement ou
non, pour être dans la loi5. »
C’est à l’explication de ce « réellement ou non » que tient la réponse à la
réaction d’incrédulité, ce 13 mai 1972.
Un homme propose la botte à une femme. La loi veut que la femme soit
toujours en principe consentante. Si en fait elle ne l’est pas, c’est que le
moment est mal choisi, ou que le type est un minable. Ce qui donne pour
résultat que l’homme rebuté prenne ce refus pour un affront, tout comme il
refuse l’idée que l’affront soit pour la femme de se voir faire cette offre (au
contraire : un hommage). Un affront rend furieux. La femme insolente est,
une fois de plus, justiciable. Pourquoi pas en se voyant imposer par la force
ce qu’on lui offrait de si bonne grâce?
« Un homme est un être qui impose et, le cas échéant, s’impose», dit le
dénommé Noël Lamare, docteur déjà cité, au sujet de la virilité en face de la
femme11.
Frigides, nous disons que le vide n’est pas fait pour être comblé,
Muettes, nous disons que la parole n’est pas faite pour séduire et ordonner.
Paralysées, nous disons que la marche n’est pas faite pour piétiner.
Passer aujourd’hui de la résistance muette, solitaire et douloureuse de nos
corps
A la lutte solidaire, parlante et jouissante de toutes12
S’il est vrai que, ainsi que le disaient ces femmes (et dans la publication de
leur texte, ces mots furent tracés en majuscules), « Il y a toujours dans la vie
des femmes un moment incontournable où elles sont prises par la force 13»,
— c’est que leur vie est inéluctablement défavorisée dans la mesure où «
l’anatomie est destin » : loi non pas « naturelle», mais concertée dans une
société humaine où le mâle domine.
Les effets en sont des plus graves et des plus prolongés; ils semblent parfois
n’avoir aucun rapport avec le viol, potentiel ou réel, à mesure que ces effets
s’éloignent dans le temps. Car tout mâle humain qui viole une femme, sa
semblable et sa sœur en espèce, abaisse l’espèce tout entière; il viole
finalement l’humanité dont il porte l’image en soi et qu’il souille de son
propre chef, comme dans le meurtre.
Cet aspect qui fait partie de la féminitude sera étudié dans la seconde partie
destinée à montrer la nécessité de dépasser l’idée de révolution et d’en
arriver à celle de mutation.
1 L’orthographe même de la phrase que je viens d’écrire est révélatrice. L’effet comique des
participes passés « violé » et « engrossé » vient de leur masculin. On le sait : le mot « être », en
français, est masculin, qu’il s’applique au mâle ou à la femelle. Cette langue qui déteste le neutre l’a
remplacé par le masculin, alors que les observations les plus actuelles des biologistes concordent à
montrer que c’est la femme qui est l’espèce, et que l’homme se différencie d’elle bien plus qu’elle ne
se différencie de l’homme.
3 Ibid.
6 Certains catholiques, pendant la Résistance, ont soutenu le droit au suicide pour échapper à la
torture en se basant sur le droit que donne l’Eglise aux femmes de se suicider pour échapper au viol.
7 Un bon exemple en a été donné en décembre 73 par l'affaire du viol d’une jeune militante du «
Comité de Secours aux Immigrés » par un Antillais, relaté dans Libération par Annie Cohen. Les
gauchistes supplièrent les filles de ne pas, en l’ébruitant, discréditer l’anti-racisme; avec force
arguments sur «la misère sexuelle des pauvres immigrés » à l’appui.
8 Tout, n° 12.
9 Le torchon brûle, n° 4.
10 Ibid.
12 La fable de la femme «naturellement consentante», et de son «désir secret», est infirmée par une
foule de faits que connaissent bien les simples observateurs : par exemple le nombre de jeunes filles
en traitement pour leur peur de l’acte sexuel, le nombre de celles qui écrivent au Courrier du Cœur :
« Suis-je donc un monstre... », et le nombre de femmes qui s’engouent de prêtres, de médecins,
d’homosexuels, bref de tous les hommes qui à la fois les font accéder à un monde d’hommes et les
protègent de l’ordre mâle. C’est ce que Freud appelle (naïvement) la « tendance des femmes à
esquiver la sexualité ».
13 J’ai participé personnellement à Toulouse, il y a quelques années, à des recherches sur le viol
conjugal particulièrement grave dans les milieux prolétariens et immigrés. Les doctoresses qui
participaient à ce groupe avaient été jusqu’à faire hospitaliser une épouse que son mari alla retrouver
et violer sur son lit d’hôpital, alors qu’elle était en état d’hémorragie.
Ah! race d’Abel, ta charogne
Engraissera le sol fumant!
BAUDELAIRE.
DE
LA RÉVOLUTION
A
LA MUTATION
Le stress du rat
Une des deux plus graves menaces qui pèsent sur notre humanité est
l’actuel taux de la démographie mondiale. L’autre, qui lui est parallèle,
est la destruction de l’environnement. Nous y reviendrons dans nos
conclusions sur la nécessité d’élaborer un « éco-féminisme ».
Dans le n° 12 de Tout, déjà cité, un article fit allusion à ces mêmes travaux
sur le rat blanc et en commentait ainsi la portée : et si les femmes, dans leur
actuelle campagne pour leur libre accès à la contraception et leur droit à
l’avortement, ne faisaient que traduire la soif de l’espèce humaine à la
survie, que seul peut assurer l’abaissement du taux de naissances?
Cet apparent paradoxe recèle une vérité profonde. Celles que les
catholiques attardés incriminent d’« égoïsme » se montreraient au contraire
les meilleurs et suprêmes défenseurs d’une procréation qui a tendance à
s’étouffer elle-même, comme la baleine échouée qu’asphyxie son propre
poids. Mais cette revendication qui met en cause le droit le plus ancien du
patriarcat : la possession de la procréation par le mâle, se heurte partout à
un barrage phallocratique : le religieux en camp bourgeois, l’idéologique en
camp socialiste.
Chose étrange lorsque l’on examine le comportement des deux sexes par
rapport à la procréation : les femmes aiment les enfants, en grande majorité,
incomparablement plus que les hommes. Fréquemment, à la limite, l’enfant
devient un complice de la femme contre l’homme, dans la communauté de
la même oppression. L’homme veut se prolonger, mais il n’aime pas
d’instinct ce qui le prolonge; au contraire, il s’en méfie et le jalouse. Le
complexe d’Œdipe devrait s’appeler complexe de Laërte : c’est l’homme-
roi qui voit en son fils un rival (il prend l’amour de la femme) et un futur
assassin (il représente, par sa jeunesse, la vieillesse et la mort du père3).
L’indice le plus sûr d’une importance féminine dans une
société quelconque, les ethnologues le savent bien, c’est le statut favorable
de l’enfant. Plus la société est phallocratique, plus l’enfant et le jeune sont
maltraités, dans le but déclaré d’en faire « des hommes». (Dans le cas d’une
fille, c’est souvent la mère qui s’empare avidement des motifs de réprimer
sa fille autant qu’elle l’a été elle-même.) « Elever un enfant, dit Sartre, c’est
en faire un adulte par violence. Il n’y a pas de bon père, c’est le lien de la
paternité qui est pourri. »
L’opposition contre la femme est la première règle qui aide les hommes
de Dieu à fermer leur conscience d’être l’armée du Père.
Crachons sur Hegel! (Manifeste féministe italien.)
Or, des deux sexes, c’est celui qui aime le moins l’enfant qui l'impose à
l’autre. Le ventre des femmes, plus inépuisable que celui de la nature, a cru
et multiplié tandis que celui de la Terre se flétrissait lentement sous le
phallus-charrue, le rouleau compresseur et le poison des revêtements
chimiques. Le mâle a triomphé, mais à partir d’un principe de mort.
De toute urgence, donc, il s’agit d’une passation du pouvoir, puis, aussi vite
que possible, d’une destruction du pouvoir.
La passation doit se faire de l’homme phallocratique, responsable de cette
civilisation sexiste, aux mains des femmes réveillées.
Car, nous l’avons vu, on peut sans hésiter rendre directement l’homme
responsable de la lamentable situation démographique actuelle, et pas
seulement le pouvoir mâle : l’homme à tous les niveaux. Pour une seule
mère de famille chrétienne qui s’entête à utiliser la méthode Ogino4 nous
avons dix autres femmes qui, si réactionnaires soient-elles sur le plan
sexuel, réclament au minimum l’avortement thérapeutique élargi et
l’accession aux moyens contraceptifs. Nous avons pu lire dans Elle,
qui n’est pas un hebdomadaire d’un progressisme délirant, après les prises
de position papales : « Je suis catholique et je ne suis pas d’accord. » Si
opiniâtre soit sur ce point la résistance de l’Eglise catholique qui, en France,
compte une bonne clientèle féminine, lorsqu’il s’agit de leur ventre et de
leur prise sur le futur, les femmes les plus pusillanimes ont tendance à
s’informer, et même à se révolter à l’occasion, si elles jouissent d’un
minimum de standing social.
On m’opposera peut-être que, dans ce cas, tous les maux de notre société
sont d’origine masculine, puisque la masculinité est l’essence même de
cette société : pourquoi mettre l’accent sur l’un plutôt que sur l’autre? C’est
vrai, en gros; mais cela mérite des nuances, et importantes. D’une part, les
pires négativités des femmes sont dues aux hommes qui les ont ^ainsi
formées et façonnées à leur usage, sans conteste; d’autre part, certaines de
ces négativités-là peuvent se maintenir chez elles — ainsi que dans les
catégories opprimées, lorsque la culture évolue, les pires
réactionnaires, complices de l’oppresseur — contre l’évolution même de
l’attitude mâle. Prenons un exemple : dans les tentatives modernes
d’émanciper le sexe, si modestement que ce soit, puisque
l’émancipation totale ne peut se faire qu’avec la révolution, les adversaires
les plus déterminées à ce changement sont les masses féminines. (C’est
ainsi que naguère les plus vives protestations contre les
allocations familiales vinrent des vieux prolétaires qui, eux, avaient élevé
leur famille sans aide de l’état.) Le ralentissement du progrès
d’éclaircissement et d’information sexuels, de la délivrance de la pilule aux
mineures, la plus large approbation à la répression des homosexuels, c’est
d’une majorité féminine que viennent ces dispositions négatives.
Elles continuent à défendre la morale de l’oppresseur au moment où celui-ci
commence à ne plus y croire. En revanche, si une femme a pris conscience,
une seule fois dans sa vie, plus rien ne l’arrête.
A l’heure où nous sommes, l’unique catégorie qui puisse prendre la tête des
minorités oppositionnelles, c’est celle des femmes puisqu’elle est la seule
majorité à être traitée en minorité.
5 La proportion féminine de ces professions est encore si faible qu’elle est négligeable.
A propos d’avortement
Rien ne peut être plus éclairant que les textes incroyables publiés à titre
documentaire par le Livre Blanc de l’Avortement, édité après la journée
consacrée à ce débat au club du Nouvel-Observateur, salle Pleyel1.
Parmi les quelques signataires de ces textes qui fait conclure au
philosophique Nouvel-Obs : « Même si le M.L.F. a raison sur le fond,
qu’importe, il n’est pas vrai qu’on fasse le bonheur des gens contre eux...»
(sic). Citons ceci:
Pour un généticien il n’existe techniquement aucune différence entre un
avortement et un infanticide : dans les deux cas il s’agit d’un être
humain. (En italique dans le texte.)
Dr P. M., Hellemmes.
C. W. Wasquehal.
Les pages que vous consacrez au « Manifeste » est un quadruple défi que
les gens honnêtes se doivent de dénoncer.
— C’est un défi à la pudeur, cette vertu qui a été exaltée et respectée par
les civilisations quand elles étaient au faite de leur grandeur et reniées
dans les périodes de décadence.
— C’est un défi à la morale, quelle que soit la philosophie ou la religion
à laquelle on appartient, on porte en soi, comme un principe premier, la
notion du bien et du mal.
— C’est un défi à la famille qui est, quoique en pensent certaines
signataires du Manifeste, la cellule vivante de toute société.
— C’est enfin un défi à la loi : il y a en effet une loi connue de tous —
elle date de 1920 — qui condamne à des peines de prison et d’amendes
toutes celles qui ont pratiqué sur elles-mêmes ou sur les autres des
manœuvres abortives et tous ceux qui les y ont aidées. Or, lorsque l’on
proclame publiquement (etc.).
Les plus hautes instances de l’Etat doivent être saisies de ces délits.
Dr M.-T. G.-D.
Médecin gynécologue, mère de cinq enfants, Aix-les-Bains.
J. A., Paris.
S. O., Paris.
La Pollution tuera nos enfants.
Slogan écrit, porté au cours du défilé de la Marche Internationale pour
l'Avortement et la Contraception organisée par le M.L.F., le 20
novembre 1971.
Chercher des raisons pour ne pas marcher sur la figure d’un homme,
c’est accepter qu’on lui marche sur la figure.
Simone de Beauvoir, La Force des choses.
Bien que la position du père Oraison ait évolué depuis lors, on ne peut pas
ne pas relever sa déclaration au sujet des revendications incriminées : « Ces
militantes évacuent allègrement la délicate question de l’amour! » Naguère,
le professeur de Droit Français, Garraud, dont le cours servit de | bible à des
générations de magistrats, avait formulé l’esprit qui régit dans notre pays la
législation concernant le sexe :
Tout individu est maître de son corps comme de son intelligence et peut en
disposer même pour se dépraver sans que la collectivité puisse intervenir.
Ce principe tiré des conclusions de la Déclaration des Droits de l’Homme
devait surtout servir à garantir l’exercice de la prostitution considérée
comme l’exploitation « libre » de son capital : le corps. (Celui d’une
femme, bien entendu.)
Personne n’a encore appris aux magistrats, aux médecins et aux prêtres qui
décident de la disposition des corps féminins, de leur utilisation et de leur
procréation (même à l’heure actuelle de la démographie devenue folle)
qu’ils éludaient allègrement la délicate question de la liberté garantie par la
Révolution Française et par les multiples conventions internationales
signées depuis la guerre.
3 Est considéré comme crime contre l’humanité « l’atteinte grave à l’intégrité physique ou mentale
de membres du groupe », immédiatement à côté de «mesures visant à entraver les naissances au sein
du groupe! » Telles sont les beautés de la logique mâle : ignorer la contradiction entre ces deux
termes, dans la mesure où le seul moyen de respecter «l’intégrité physique et mentale d’un des
membres du groupe » (une femme) est précisément de prendre des mesures pour « entraver » une
naissance indésirable.
Pour un manifeste féministe planétaire
Toutes les civilisations portent cette marque bien plus ancienne que le
capitalisme, que le féodalisme, antérieure aux Gréco-Romains, et toujours
présente à notre époque en dépit des multiples concessions qui rongent le
principe même d’autorité ici comme ailleurs. Le phallocratisme, comme
conduite universelle de la société mâle, a créé le sexisme. C’est lui qui tient
la place du Fils dans cette trinité que complétera, à partir du judéo-
christianisme, la structure hétéroflic.
Massimo Consoli,
Appunti per una rivoluzione morale.
Mais la structure hétéroflic n’a pas pour seul but de maintenir tant bien que
mal — et aujourd’hui tant mal que bien, avec l’évolution de la civilisation
et la contestation générale du principe d’autorité, surtout en matière
sexuelle — la répression de la traîtrise homosexuelle; elle contribue à
rattacher à une anatomie précise : ici la présence de phallus, là son absence,
non plus des conduites sociales mais des qualités et des facultés; elle
renforce les stéréotypes sexistes; il s’agit d’être avant de faire : l’homme est
A et n’est point B, la femme est B et n’est point A. Au phallus se rattachera
donc des facultés intellectuelles : intelligence critique, analyse, spéculation,
don d’abstraction, à la limite : génie créateur, et des qualités morales : force,
courage, endurance, énergie et audace, loyauté, sens des responsabilités; et
des défauts admis : égoïsme et sensualité. Au vagin, ou plutôt à l’absence
de phallus, se rattacheront les absences à peu près absolues de toutes les
facultés intellectuelles énumérées ci-dessus, et sera reconnue l’intuition,
afin de ménager par ce recours à une sorte de magique prescience tout ce
qui pourrait, dans une intelligence féminine, vexer l’amour-propre
masculin; puis des qualités morales : abnégation, sens du sacrifice, don
d’amour, soif de dévouement; des défauts admis : faiblesse, mensonge,
absence de sens moral, conservatisme, désaffection pour les grands intérêts.
Ainsi que l’autorise un rapide coup d’œil, les qualités et les défauts qui
correspondent au stéréotype « masculin-féminin » ont été rigoureusement
choisis et sélectionnés en vertu de la prééminence d’un sexe sur un autre :
qualités et défauts sont, dans le modèle masculin, ceux des chefs, des
maîtres; dans celui des femmes qualités et défauts sont ceux des serviteurs,
des dirigés. Afin de repeindre un peu cette vieille façade, le dernier rempart
du sexisme actuel qui se nomme l’école fonctionnaliste a tenté de placer le
stéréotype masculin sous l’étiquette d’« instrumental » et le féminin sous
celui d’« expressif ». Passez muscade! C’est ainsi qu’on nous apprendra
doctement que l’instrumental est « tenace, ambitieux, original, sûr de lui»,
et l’expressif «gai, gentil, obéissant», avec tendance à être, hélas, « négatif,
bavard, querelleur». Ensuite, quelle surprise, nous découvrirons que
l’instrumental est surtout masculin et l’expressif féminin! (C’est ce que
Kate Millett appelle « la terminologie médiatrice ».) Tout cela n’est que
résistance désespérée de la structure hétéroflic à la contestation générale du
principe d’autorité.
Reimut Reiche, Sexualité et lutte des classes, prière d’insérer, éd. Maspéro.
L’Africaine, on le sait, reste parmi les femmes les plus aliénées de ce globe,
y compris dans les dominions récemment décolonisés et dont les visées
s’orientent plus ou moins vers les régimes socialistes. G. A. Smal,
spécialiste de la rééducation physique, et le Zaïrois Joseph M’buyï le
rappellent dans leur livre Femme africaine, réveille-toi :
L’exemple abonde partout, dans les régions du Tiers Monde, qui passent de
l’obscurantisme au socialisme, du maintien et parfois du renforcement du
sexisme à travers de ronflantes déclamations sur l’égalité et la liberté, sans
compter les hommages rendus aux « admirables compagnes de notre lutte ».
La situation de la musulmane est particulièrement tragique à cet égard. La
lutte militante, le dévoilement, avaient jeté en Algérie les bases d’une
certaine émancipation; cependant l’attitude intérieure, des héroïnes que dès
l’enfance avait perverties (dans le véritable sens du terme) leur soumission
au mâle demeurait très ambiguë; Fanon cite le cas d’une Arabe dont le
silence avait protégé son mari et toute l’organisation; elle avait été violée :
« Pourtant, raconte l’homme, elle ne me dit pas : “Regarde ce que je
supporte pour toi! ” Bien au contraire, elle dit : “ Tâche de m’oublier, refais
ta vie, j’ai été déshonorée! ”
Et Fanon ajoute que l’homme approuve en lui-même ce point de vue : « A
ses yeux, sa femme et son enfant étaient pourris. » (F. Fanon, A dying
colonialism, 1970.)
La situation cubaine est plus complexe et doit être plus nuancée. Une
«Fédération des Femmes Cubaines» a été fondée après 1960 pour lutter
contre l’analphabétisme; elle a lancé des campagnes antisexistes suivie de
certains effets; on trouve, depuis la libération, des techniciennes, des
femmes ingénieurs, des mécaniciennes, conductrices de tracteurs,
urbanistes et éditrices : la plupart des villes sont pourvues de crèches et de
garderies, l’Organisation des Jeunes crée des communautés d’études qui
rendent les adolescents indépendants de leur famille; devant la résistance
sexiste des employeurs, les femmes n’hésitent pas à parler de « contre-
révolution » et à se réclamer de leurs héroïnes comme Lydia et Clodmira,
les compagnes du Che.
« Les filles de la vieille société n’y ont qu’un désir : vivre leur vie de
femmes et de mères aux côtés d’un mari, même volage et tyrannique; elles
abandonnent toute ambition professionnelle pour se consacrer à leur foyer
qu’elles fondent dès l’âge de quinze ou seize ans. »
En survolant de la sorte les pays qui ont accompli une révolution populaire,
et ceux d’Amérique Latine qui croupissent encore dans leur arriération
économique et culturelle, mais non sans un vigoureux ferment
révolutionnaire, nous constatons que les variations du statut féminin sont
dues autant à des modifications économiques qu’à l’implantation de la
morale religieuse; nous verrons plus loin, à un niveau plus complexe, qu’il
en est de même pour ce problème à l’intérieur de l’autre camp, celui de
l’Europe et de l’Amérique du Nord. Ici, les régimes politiques revêtent
moins d’importance que ces deux facteurs : l’étape économique générale du
pays et l’imprégnation religieuse. Il suffira de regarder de près la position
du pouvoir en face de l’avortement ou de la contraception, si diverse, à
économie égale, selon que le pays est de culture catholique ou protestante.
La Chine est, dans le camp socialiste, un cas à part et qui mérite une
attention spéciale.
Le livre de Claudie Broyelle, La Moitié du Ciel (coll. Femmes, 1972), avec
son étrange sous-titre :
Le mouvement de libération des femmes en Chine8 apporte une contribution
incomparable à cette connaissance et donne la mesure d’un problème tout à
fait spécifique.
Les Chinoises étaient les femmes les plus opprimées du monde; chacune
devait avoir un tuteur, père, mari, frère, belle-mère, voire épouse plus âgée
du même mari; tout était bon pour qu’une femme ne fût jamais autonome.
C’est une bonne raison pour que les Chinoises aient salué avec
enthousiasme l’avènement d’une dure vie communautaire et participé avec
ardeur, d’abord à la révolution, ensuite à la productivité. Les enfants confiés
aux Palais des Enfants, les vieux parents âgés aux Maisons Heureuses, tous
les métiers sont ouverts aux femmes : elles conduisent les locomotives,
elles sont ministres, générales, etc.
Tout est-il donc pour le mieux dans le meilleur des mondes socialistes?
Hélas! la dernière partie du livre de Claudie Broyelle refroidit l’ardeur que
pourrait faire naître ce qui précède. Et c’est si loin d’être un détail que la
préfacière, Han Suyin, déclare que « la clef de voûte » de cet essai est
précisément l’accablant chapitre intitulé : A propos d’un débat sur la
sexualité en Chine.
« Très souvent, lors de mes conférences dans de nombreux pays
occidentaux je rencontre des hommes et des femmes qui semblent
convaincus que les « relations sexuelles » et la « liberté sexuelle» (c’est-à-
dire les rapports sexuels pour les femmes et les jeunes filles en dehors des
liens du mariage) sont le fin du fin de la libération.9
«... Mais je vois maintenant que je n’avais pas assez compris combien est
néfaste cette “ théorie sexuelle ”. »
Les Chinois sont à présent habitués à ce que l’Occident, y compris ses
intellectuels sympathisants, leur reproche ce qu’on appelle leur «
puritanisme». Claudie Broyelle va donc s’évertuer à en prouver le bien-
fondé, et même le «féminisme».
Nous nous voyons donc confirmer ce que nous avions déjà entendu dire et
avions cru souvent le fait de malveillants réactionnaires ou de petits
bourgeois obsédés : non seulement les relations hors mariage, sans être
interdites par la loi, sont si mal vues qu’elle déconsidèrent ceux qui s’y
livreraient, mais la vie sexuelle du Chinois, homme ou femme, est des plus
brève, puisque le mariage a été repoussé vers vingt-cinq à vingt-huit ans.
(Ajoutons que tout couple qui continue des relations sexuelles au-delà de la
quarantaine est presque aussi mal vu que celui qui copule hors mariage.)
Pour justifier ce mariage tardif, Claudie Broyelle déclare : « Il (le mariage
tardif) reste une mesure d’un grande importance révolutionnaire. »
Tout se passe donc comme si, sous de pieux prétextes, le maoïsme chinois
cherchait à s’approprier la sexualité de la jeunesse afin de la détourner et de
la canaliser vers la tâche, fort urgente et fort élevée sans doute, d’édifier une
société plus juste, c’est-à-dire où chacun mange à sa faim et où le sexisme
soit en voie de disparition.
Marcuse a fort bien fait apparaître ce qui est déjà sensible dans Hésiode
(Les travaux et les jours), à savoir la défiance du monde mâle, parce que
productif et constructeur, envers la beauté de la femme, l’Eros, sa promesse
de bonheur, bref tout ce qui relève du « principe de plaisir » ; en monde
capitaliste ou socialiste autoritaire, cette défiance prend des formes très
variables qui vont du puritanisme déclaré de la misogynie, dans les cultures
de pénurie, à la tolérance ambiguë des sociétés dites de consommation,
mettons : des économies de l’abondance. Mais partout le principe est le
même.
Evoquons les traits les plus marquants de ce que nous offrent les pays
socialistes de ce xxe siècle finissant; souvenons-nous de la dégradation des
idéaux libertaires de Kollontaï en U.R.S.S., des discours brutalement
sexistes d’un Boumedienne ou misogynes d’un Kadhafy, paternalistes d’un
Fidel Castro; et, en voyant où se retrouvent les femmes qui ont combattu,
donné leur sang, subi la torture et le viol pour cet état socialiste dont elles
attendaient leur libération, ou encore, dans le meilleur des cas, se trouvent
vouées à des fins de production et d’industrialisation à une véritable
mutilation érotique; puis relisons Hélène Brian, si oubliée aujourd’hui.
3 Rappelons une exception : les périodes de gouvernement militaire et l’état de guerre. Ainsi Louis
XIV, dévot et hétéroflic, acceptait l’homosexualité guerrière de ses généraux sur la représentation de
Louvois que l’homosexualité « était fort bonne pour quitter les dames et faire gaiement campagne
avec ses amants » ; et Napoléon, Corse fanatique au sexisme et de l’oppression familiale des femmes,
se souciait fort peu des mœurs de son juriste Cambacérès et de celles de ses grognards en campagne.
4 Les Soviétiques ont obtenu de grand succès dans les sciences appliquées et participent à la vie
militaire, seules femmes en ce cas avec les Israéliennes et les vietnamiennes; cependant, elles n’ont
envahi la carrière médicale, que parce que celle-ci est une des plus mal payées en U.R.S.S.; leur
faible participation aux leviers de commande politique a souvent été dénoncée; et la vie quotidienne
les lie étroitement à leur famille à peu près autant que toute autre Occidentale.
Autre exemple : d’après Women in the Soviet Economy, les femmes ouvrières du bâtiment ne
reçoivent ni formation professionnelle ni machines-outils.
Par ailleurs, une amie de retour d’U.R.S.S. en été 1972, m’a confirmé l’observation déjà citée que la
jeune soviétique aspire de plus en plus à épouser un mari pourvu d’une bonne situation qui lui
permette de demeurer au foyer. Dans ce pays, les femmes sont davantage protégées contre le viol; il
est puni de 15 ans de prison, et de simples gestes inconcevants peuvent faire immédiatement perdre
le travail, voire exclure du Parti ou empêcher d’y entrer. Mais la prostitution s’étale très ouvertement
depuis quelques années et semble en voie d’accroissement. Les tirades sur l’infériorité intellectuelle
des femmes ou leur infériorité biologique n’ont rien de rare ni de scandaleux, y compris dans des
milieux hautement intellectuels. Le 12 septembre 1967, une séance de « l’Union des Ecrivains » , qui
mettait en accusation Soljénitsyne, le compara à Svetlana Staline en soulignant que le danger était du
côté de «l’homme de talent»; pour le livre de Svetlana, ce n’était que « des bavardages de femmes ».
(Les droits de l'Ecrivain, coll. «Combat», éd. du Seuil.)
Dernier détail : la contraception reste uniquement masculine, la pilule introuvable, et les touristes
occidentales risquent fort de se voir voler les leurs.
5 Point n’est besoin d’aller jusqu’en Egypte pour s’ébaudir devant les «perles» du sexisme; notre
voisine, la Belgique, y suffit. « Sont réservés aux candidats du sexe masculin les postes d’inspection
à l’Office du Lait... L’exclusion des candidats féminins à l’inspection des denrées alimentaires est
fondée sur (ce que) ces agents sont exposés parfois à des situations difficiles, aux quolibets et même
aux menaces et aux coups » (sic), dit la législation du travail. De même les inspecteurs des services
agricoles doivent être des hommes, parce qu’ils doivent « parcourir les champs en toute saison et
assister au travail des machines agricoles» (sic), et les dessinateurs de la Commission des
Monuments et Sites parce qu’ils ont «l’obligation de visiter des tours et des charpentes difficilement
accessibles». Quant aux douanes «la question de l’admission des femmes ne se pose pas, ces diverses
fonctions ne se prêtant pas à l’utilisation de la personne féminine ». (Cf. Sexualité et morale
d’aujourd’hui, cahier 45, Bruxelles). Que devient la charte, signée par 52 nations, sur l’interdiction
de refuser un emploi ou une profession à quelqu’un pour une raison de race, de religion ou de sexe?
7 On ne saurait en finir avec la Brésilienne sans évoquer les abominations des tortures infligées à des
militantes révolutionnaires de ce pays, avec un accent sexuel tout particulier, qui n’a cours que pour
elles ou pour les très jeunes garçons arrêtés» par les bourreaux. (Il existe même, à cette occasion, un
terme spécial du jargon policier qui désigne une sorte d’ignoble « show », une suite spectaculaire de
brimades sexuelles; la curra!)
Maria Barcellos arretée le 21.11.69 à Sao Paulo (étudiante en Médecine). On la dénuda, on la gifla
pendant six heures, « on lui lit voir les plus monstrueuses obscénités, les gestes précisant les paroles
», on força Chaël, un de ses compagnons tortures, à « lui baiser tout le corps », on poussa sur elle, nu
à nue, son mari Antonio Roberto à qui les militaires avaient écrasé un testicule; « non contents
encore, ils la poussèrent contre le mur et avec une matraque posée sur ses organes génitaux, ils
simulèrent l’acte de buen pene comme ils disent dans leur langage de tortionnaire », puis « en
présence des soldats qui garnissaient les fenêtres et les portes » la rouèrent de coups en lui secouant
les seins, lui firent éclater les lèvres à coups de poing, l’arrosèrent de seaux d’eau et lui firent subir le
supplice de l’électricité.
Mara Alvarenga, artisanne, trente-quatre ans, arrêtée à Porto Alegre le 1.7.70, « coups de karaté,
strangulation et tortures morales de caractère sexuel». Elle a rencontré en prison Emily Vareira
devenu infirme à la suite des coups et des chocs électriques aux mains, et une noble, Eflgenia de
Oliveira, hospitalisée pour deux mois après chocs électriques dans le vagin.
Sonia Regina Yessin Ramos, étudiante en Droit, arrêtée le 21 avril 1970 à Barreo de Mesquita.
Torturée pendant tout son emprisonnement (bains électriques, entre autres) jusqu’en janvier 1971, où
on la relâche.
Immaclata de Oliveira, vingt-quatre ans, secrétaire du Syndicat de la Métallurgie, d’avril à septembre
1969, chocs électriques et coups sur tout le corps, obligée à assister aux tortures sexuelles des
garçons (par exemple son camarade José Adao sodomisé avec un manche à balai); et les femmes :
Delçi Gonsalves et Gilse Maria i « obligées de défiler nues devant d’innombrables soldats », puis
torturées.
Carmela Pezznti, quarante-quatre ans, fonctionnaire, arrêtée le 30 avril 1970, reçoit le traitement
habituel, coups, chocs électriques, etc. et témoigne que « Sonia Lacerda Macedo et Vania Abrantes
ont été torturées de façon indescriptible ». Quant à la camarade Dulce : « attachée par les chevilles et
les poignets, totalement nue, on a mis sur elle un caïman ».
Ce ne sont que quelques exemples choisis au hasard dans la brochure publiée à Bruxelles, Dossier
Brésil, par l’Association Internationale des Juristes Démocrates. Tous ces témoignages de torture
émanent de prisonniers choisis sur les 70 exilés au Chili en janvier 71, recueillis par Anina de
Carvalho, avocate au barreau de Sao Paulo (dont on reconnaîtra facilement le personnage dans le rôle
de députée de gauche du film Etat de Siège, dénonçant l’école des tortures appliquée dans
l’Amérique Latine fasciste, avec transmissions de techniques d’Etat à Etat).
9 On remarquera que la structure hétéroflic n’est pas absente d’un tel discours. De même que dans le
bloc américano-occidental, la « libération sexuelle » se résume le plus souvent à ces relations, et au
droit du plaisir dans e mariage; pour une très petite minorité bourgeoise, l’amour en groupe. Au-delà,
pour ces hardis pionniers, commence la «perversion». Dans le langage de Han Suyin, les immenses
territoires de la sexualité, y compris ceux, devenus poncifs, de la bisexualité, ne sont même pas
envisagés comme existence.
Pour un manifeste féministe planétaire (suite)
Nous venons de constater que les pays passés au socialisme, qu’il soit de
type soviétique, F.L.N., cubain ou maoïste, ont soit maintenu le sexisme,
soit l’ont entamé sans le remettre en question; ou encore ils l’ont remplacé,
dans un seul cas, par un anonymat de type égalitaire mais frustrant et
punitif; et que les pays d’Amérique Latine (qu’ils soient de type fasciste ou
socialiste) manifestent envers le « deuxième sexe », à quelques nuances
près, le même machisme. Que se passe-t-il dans le reste du monde? Où en
sont les mouvements de libération des femmes dans le camp américano-
occidental?
« Les libéraux me tuent, disait un des plus combatif des étudiants de mai
68. L’histoire est là pour leur prouver qu’ils sont toujours dépassés par leur
propre gauche. Pourquoi ne se contentent-ils pas d’être gentiment de droite?
»
En dépit des efforts des plus « politisées » parmi les militantes des
mouvements de libération des femmes comme Juliet Mitchell, qui regroupa
avec plus de cohérence que ces réformistes les principes de la révolution
socialiste et celui de la lutte des femmes 2, la constatation s’impose de plus
en plus implacablement : ce n’est qu’en partant de son oppression
spécifique que la femme se libérera; elle ne le fera que contre son ancien
maître et non avec ses nouveaux.
Nous distinguerons plus tard ce qui prouve avec éclat que le combat
féministe révolutionnaire ne peut être rattaché au combat socialiste en tant
que tel sans une mystification du rapport des forces en présence, et
pourquoi il doit former de tout autres alliances que celle des partis de
masse, de majorité et de direction masculines. Après avoir survolé les
aspects particuliers de la condition féminine en camp socialiste et au sein
des groupes gauchistes d’Angleterre et d’Allemagne Fédérale, il est bon de
retracer la formation actuelle, dans ses grandes lignes, des Mouvements de
Libération des femmes en Amérique et en Occident.
Prophétie réalisée :
Les femmes sont sournoises, mauvaises et perverses.
Merde.
Vous l’avez vraiment cherché.
William Blake.
Telles sont les grandes lignes de ce document qui va aussi loin, dans la
littérature underground et féministe, que Sade est allé loin dans la littérature
érotique et jacobine :
Le but des femmes « d'esprit civique et responsable » ne peut plus être que
de « renverser le gouvernement, éliminer l’argent, instituer l’automation
complète et détruire le sexe mâle». La science prouve que l’espèce peut
parfaitement continuer à se perpétrer sans son secours, si les femelles
acceptent de n’engendrer que des femelles. Qu’est-ce que le mâle? «Le
traiter d’animal, c’est encore le flatter; c’est un bidule, une machine qui
déambule. » Sa société distille un ennui profond». Pourquoi? parce qu’il est
« bouffé par la culpabilité, la honte, les crainte et les insécurités, obsédé
par la baise » Son secret? « Le mâle est psychiquement passif. Il déteste
cette passivité et la projette sur la femme, se définit comme un être actif et
fait la roue pour le prouver. Sa grande démonstration, c’est la baise.
Puisqu’il a tort, il lui faut prouver sans relâche. Baiser, c’est pour lui une
tentative désespérée pour démontrer qu’il n’est pas femelle. Mais il est
passif, et meurt d’envie d’être une femme. ».
Ceux qui s’étonnent de cette subite déflagration de haine entre sexes aux
U.S.A., oublient que l’affaire n’est point neuve. Voici plus de vingt ans
qu’elle a été dénoncée par quelques voix isolées dont l’une, retransmise par
Les Temps Modernes (au moment où Simone de Beauvoir venait de publier
le Deuxième Sexe et où je cherchais de la documentation pour Le Complexe
de Diane), déclarait tout net que les femmes, en Amérique, étaient «
traumatisées jusqu’à la névrose » par le ressentiment qu’elles portaient aux
hommes... Le même auteur analysait ensuite l’expression détournée de ce
ressentiment, à travers la Série Noire, (où bien avant Le Tourmenteur, il le
retrouvait dans La Mariée était en Noir). Voix perdues, voix étouffées dans
l’immense, le gigantesque canular du siècle : la dénonciation, sur une vaste
échelle, de l’Amérique en tant que matriarcat8.
Depuis cet été 1968 qui Vit naître le manifeste de Valérie Solanas et son
«programme politique en forme de science-fiction », le « Women’s Lib »
s’est répandu comme une traînée de poudre préparée pour le cordon
pickford et la mèche embrasée à travers tous les U.S.A.; et cette odeur de
dynamite a franchi l’Atlantique, gagné Londres et Paris, fait éternuer le
Vatican et secoué d’un coup de tempête les moulins et les tulipes des «
Dolle Mina», jusqu’aux berges des fjords du Nord européen.
Les groupes les plus divers se multiplièrent avec les noms les plus
inattendus : les «Bas Rouges», les «Sœurs de Lilith », «Du pain et des
roses», etc. Dans le tumulte de « ces voix furieuses », celle de Ti-Grace
Atkinson domine alors ;
Il est toujours compris avec une notion de dépendance; nous n’en voulons
pas. Ces individus aujourd’hui définis femmes doivent faire éclater le
problème. En quelque sorte, les femmes doivent commettre un authentique
suicide. »
Peu après, elle avait fondé avec Paméla Allen le premier groupe de
libération, à New York. Le ton du féminisme avait commencé alors à
changer, bien que ce groupuscule fût contemporain de l’apparition du
N.O.W. L’aile gauche de ce dernier ne pouvait que communiquer, sinon
fusionner, avec la tendance Both et Allen.
Telle est l’histoire de l’éveil américain, aux U.S.A. Au Canada, les femmes
s’étaient également mises à contester leur statut à partir de l’automne 1967.
Dans la Nouvelle Gauche canadienne, quatre jeunes filles de la Student
Union for Peace Action rédigèrent un rapport ; « Sœurs, frères, amants,
écoutez! » Ce texte partait de l’observation marxiste que la mesure de
l’homme est celle de la femme par rapport à l’homme. Elles exposaient,
avec la même amère exactitude que Carmichael ou que Juliett Mitchell, la
position des femmes au sein des mouvements de la Nouvelle Gauche; tout
bonnement celle de la tradition, soit une absolue soumission au leadership
masculin. Le radical-féminisme canadien prit là son point de départ.
Le «groupe des huit», fondé à Stockholm par huit femmes a pris en main ce
réveil du deuxième sexe, pressenti déjà par le film d’une femme metteur en
scène, amie de la féministe Bibi Anderson : les femmes, secrètement
enragées de n’avoir aucun contrôle des leviers de commande, se défoulent
en rêve et terrassent par l’emploi du judo tous les hommes qu’elles
rencontrent. Des cercles d’études, des débats et des textes impulsèrent le
mouvement qui rendit compte de son travail au congrès international du 12
août 1971.
Nous ne sommes que les servantes de nos maris. Nous n’avons pas à
nous dresser fièrement contre nos maîtres.
Les bourgeois libéraux, les gens de gauche, les gauchistes, en gros tout ce
qui resta extérieur à ce mouvement pensa ceci : cette résurgence inattendue
du féminisme de type 1848 était dû à une idée préconçue d’intellectuelles
en dehors de problèmes «réels» de la classe ouvrière; ce fut le contraire qui
se passa! Lorsque les filles du M.L.F. cèdent à une tendance intellectualiste
de gauche, elles tendent tout aussitôt à donner aux problèmes qu’on leur
soumet une tendance marxiste classique, et non pas ce qu’on appelle, à tort
du reste», « féministe pure ». Ce sont les prolétaires qui consentent à
s’exprimer devant elles qui les ramènent (parfois à leur propre insu) à partir
de l’oppression spécifique des femmes.
Fourier a plus que jamais raison. Cette libre disposition du corps chez la
femme est un scandale, et remet en cause la société tout entière. Dans la
société bourgeoise, frustrée et obsédée, cette formule se traduisait jusqu’à
présent ainsi : « Liberté de s’abandonner à ses instincts17 », « permission de
coucher avec n’importe qui ». (Il ne fut que d’entendre les poncifs amers
d’un professeur Lejeune, ce 5 mars 1971, à la Mutualité : « certain
mouvement qui revendique l’émancipation de la femme, en réalité qui ne
vise qu’à réclamer LE PLAISIR...».) Aujourd’hui, on commence à
comprendre que la vérités n’est pas si simple, et que cette «libre
disposition» entraîne de tout autres conséquences, y compris celle-là, bien
entendu; et qu’il peut être parfaitement valable dans la plus rigoureuse des
conduites morales de coucher, non « avec n’importe qui», mais avec qui
vous plaît et non vous profite; et de faire de l’amour physique un choix, une
passion, un agrément, un intérêt, une expérience, n’importe quoi sauf une
fixation et une situation sociale, sauf une prétendue source de revenus et
une réelle source d’aliénation et de servitude. Mais en dehors de ce refus
d’abandon à la morale, la libre disposition en question met en jeu toutes les
autres conduites, qui ne regardent pas que les femmes : liberté de
fécondation ou de refus de fécondation, liberté du style de vie érotique qui
fait fi de tous les préjugés contre les «déviations» et les «perversions», etc.
Ce qui, de Fourier à Marcuse, consiste en effet à la plus grave remise en
question, de l’intérieur, de notre monde, de ses structures de pensée et de
son vécu.
C’est donc sur ce « point chaud » que s’est mobilisé le M.L.F.; ainsi que
nous l’avons dit plus haut, ce combat l’a requis si profondément que
certaines militantes, répétons-le, s’inquiètent aujourd’hui, de voir
s’estomper les objectifs plus lointains au profit de cette revendication pour
l’avortement libre; il est certain que cette demande sera satisfaite un jour, et
qu’il existe un danger réel pour le mouvement de se fasciner sur ce but
unique à la façon dont le vieux féminisme s’est centré sur le droit à la
«culture», puis sur le droit de vote. L’exemple des Noirs est là pour prouver
que ces légitimes réclamations peuvent devenir des os qu’on jette à ronger à
l’appétit révolutionnaire. Et la stratégie exige que jamais l’ensemble d’un
front ne soit négligé pour un point précis, ni que ce point soit négligé par
rapport à l’ensemble.
Les femmes devraient brûler leurs taudis au lieu de passer leur temps à
les ranger stupidement.
Cet écrit d’une cinquantaine de pages (comme Scum Manifesto) pose une
remise en question fondamentale des problèmes de la femme dans la société
patriarcale, telle que la structure son économie, et telle que la reflète la
pensée occidentale, — particulièrement celle de Hegel qui justifie le
sexisme au niveau idéologique et philosophique. Caria Lonzi démontre
comment, chez ce penseur, coexistent deux positions : l’une qui identifie le
destin de la femme et le « principe de féminité » (ce que Freud, ajoutons-le,
confirme par la célèbre parole : « L’anatomie est destin »), et l’autre qui
estime que la servitude est « une condition humaine qui réalise dans
l’Histoire la maxime évangélique : «les derniers seront les premiers».
«La famille est le pivot de l’ordre patriarcal; elle est fondée non seulement
sur les intérêts économiques mais sur les mécanismes psychiques de
l’homme qui, à chaque époque, a pris la femme comme objet de domination
et comme piédestal18.» Après avoir rappelé les erreurs de Lénine en matière
sexuelle, selon les citations de ses entretiens avec Clara Zetkin et de sa
correspondance avec Inès Armand (cas mêmes pauvretés dont se réclame C.
Broyelle pour justifier le puritanisme chinois!), C. Lonzi déclare: «Aucune
idéologie révolutionnaire ne pourra plus nous convaincre que les femmes et
les jeunes gens trouvent des devoirs et des solutions dans la lutte, dans le
travail, dans la sublimation, dans le sport. » Et, constatant que le culte des
vertus mâles qui ont toutes pour centre le ressort d’une fondamentale
agressivité a fait de l’inconscient masculin « un réceptacle de sang et de
peur » et qu’à la femme a été dévolu le rôle de rassurer et de sécuriser,
Caria Lonzi propose : « Abandonnons l’homme pour qu’il touche le fond de
sa solitude. » Ce qui rejoint une des déclarations souvent entendues au
M.L.F. : la libération des femmes passe par la preuve faite concrètement, en
plein vécu, qu’elle peut se passer de l’homme à tous les niveaux.
Cet éveil italien est d’autant plus intéressant et pathétique dans le pays du
phallocratisme catholique où la libre disposition du corps est bien plus
éloignée encore que dans notre patrie, surtout quand il s’agit de la sacro-
sainte maternité obligatoire. Une enquête internationale sur la femme,
publiée par Hachette il y a une dizaine d’années, remarquait que l’Italienne
n’était si tapageuse, volubile, minaudière et hypersensible que par
surcompensation de son inexistence sociale et de son statut qui la condamne
à n’être, tout le long de sa vie, qu’en fonction de son père, de son mari, de
ses enfants. En stylisant un peu sommairement, on peut dire que l’Italienne
d’aujourd’hui correspond environ à ce qu’était la Française des années
1930-1940. C’est juger de l’impact que produit, dans un contexte pareil,
une agitation radical-féministe.
Un des pays les plus sensibles dans sa réaction à ce courant universel est le
Danemark, pays de vieille tradition féministe.
La présidente du « Conseil National des Femmes Danoises», qui se nomme
Edele Kruchow, a déclaré au journaliste Yves de Saint-Agnès :
« Aussi enviable que paraisse notre sort, l’inégalité entre les hommes et les
femmes n’en demeurent pas moins dans les faits. »
Elle s’en exprime, au sujet des salaires :
« C’est dans ce domaine qu’on constate l’injustice la plus flagrante. Le
Danemark a ratifié la convention du Bureau International du Travail relative
à l’égalité des salaires19. Cependant, la moyenne des salaires féminins
persiste à demeurer inférieurs de 20 % à celle des salaires masculins. »
C’est pourquoi les «Bas Rouges», organisation féministe extrémiste, a lancé
une opération originale : n’acquitter que 80 du prix des transports en
commun, ce qu’on a appelé « opération autobus». Ce qui ne les empêche
pas de consacrer de grands débats à la question primordiale du Koens-roll, à
savoir le rôle respectif des sexes. Défilés de pancartes, agression publique
des hommes, bousculades des soldats de la Garde Royale, sont les autres
entreprises de ces Danoises aux jambes vermeilles. Un autre mouvement
moins expansif soutient leurs revendications, «L’Union des Femmes
Danoises». Elle est impulsée par une féministe de vingt-huit ans, belle
comme un ange pour conte de Noël dans un livre d’Anderson, Grete Fenger
Moeller; et elle tient ce langage :
« Nous ne voulons pas être considérées comme des hommes mais comme
des êtres humains. Il faut qu’à tous les niveaux l’égalité soit établie et qu’on
cesse d’attribuer des rôles spécifiques aux hommes et aux femmes20. »
Donc, ce qui est fort intéressant, une certaine prise de conscience populaire,
spontanée, sauvage, du féminisme nécessaire a précédé ici le discours des
intellectuels.
C’est ainsi que même dans les régions de cette « mare nostrum » où s’est
développé le système phallocratique occidental, que G. Tillion résume et
dénonce si bien, des explosions surprenantes se produisent : Boumedienne
doit songer au contrôle des naissances, et de l’autre côté de la Méditerranée,
en pays fasciste, trois femmes écrivains voient se lever pour leur cause une
foule de personnes étrangères qui s’étaient fort bien accommodées,
jusqu’alors, de la dictature du fantoche lusitanien.
2 Son article de novembre-décembre 1966 dans la New Left Notes, «Women the Longest
Révolution», qui eut un grand retentissement, « s’efforce d’intégrer le féminisme à la révolution
prolétarienne tout en sachant que rien, dans les groupes politiques ou les régimes socialistes existants,
n’indique qu’un tel contrat serait respecté » (G. Greer).
En effet : « L’oppression de la femme est le résultat des millénaires; le capitalisme l’a reçu en
héritage plutôt qu’il ne l’a produit», dit Crachons sur Hegel (1970).
3 Cf. notre contribution Le féminisme, histoire et actualité. Les trois autres pierres angulaires sont
Une chambre à soi de V. Woolf, Le Deuxième Sexe de S. de Beauvoir, et La Politique du Mâle de
Kate Millett.
6 Cette affiche fut apposée aux Beaux-Arts après une descente matinale de jeunes fascistes casqués et
armés de barres de fer qui faisaient la tournée des Facultés en novembre 1971, avec la mention
murale : « Fascistes, le FHAR vous attend. »
8 Il s’agit d’un essai de Georges Legman traduit par Les Temps Modernes en 1950 : Avatars de la
Garce. L’auteur qui étudiait cette haine des sexes dans la littérature noire américaine notait ceci :
« L’absence de qualités littéraires importe le moins du monde en ce cas. Les livres dont on vend deux
millions d’exemplaires seraient importants même s’ils étaient écrits en petit-nègre et imprimés sans
ponctuation. »
Et G. Legman, devant l’importance démesurée de la « Garce » estimait que le ressentiment de la f
emme contre le mâle américain touchait à la névrose. Etudiant après lui ce phénomène de la haine
des sexes à travers le roman populaire aux U.S.A., nous avions conclu :
«Les plumitifs à gros tirage du nom de Ben Ames Williams, Hening Dashiell Hammett, Matthew
Head, etc. décrivent un univers dégoulinant de sang, hallucinant et mortellement naïf, où rérotisme
est obsédant, non par sa présence, par sous-entendus... La décence officielle le refoule à la frange
lumineuse du spectre sans jamais lui permettre de bondir en pleine clarté. » (Le Complexe de Diane,
p. 265.)
Nous cherchions ensuite les causes que pouvaient avoir les femmes d’être mécontentes dans ce pays
présenté comme un « matriarcat » et trouvions ceci : en 1945, un congrès féminin groupant à Paris
des femmes de tous les pays entendit la déclaration des déléguées des U.S.A.; il fut expliqué
l’impossibilité du salaire égal, et décrit l’écart parfois scandaleux entre celui de l’homme et celui de
la femme. « C’est dire que quand on cite le slogan : Amérique, pays féministe, c’est la condition de la
classe supérieure qui est présente à l’esprit, non celle de l’innombrable classe travailleuse» (ibid).
10 Cf. La victoire de la femme, « Panoramas d’Histoire », éd. Pont Royal. La pauvre F. Bremer ne
méritait peut-être pas cette comparaison faussement laudative.
11 30 000 places seulement pour 80 000 enfants. Il existe encore, en Suède, une discrimination
sexuelle du salaire et un certain chômage féminin.
12 Or, les derniers travaux publiés par l’O.N.U. sur la préparation du thème : « 1975, année des
femmes», font état de décisions prises dans trois pays d’Europe pour étendre l’enseignement ménager
aux deux sexes : la Suède, la Norvège et la Pologne.
13 Ces petits groupes fonctionnaient sans se connaître, dans la même perspective radicale de totale
remise en question. La fusion ne se fit que bien plus tard, entre avril et octobre 1970.
14 Il y aurait une bonne étude à faire sur le mot de « sauvage » si fréquemment utilisé depuis cette
époque : grève sauvage, crèche sauvage, psychanalyse sauvage, et le brusque retour en force du
rousseauisme dans la pensée universitaire; ce dont le rationalisme français a ri depuis deux siècles, «
le mythe du bon sauvage » semble reprendre du poil de la bête, grâce à la contestation du civilisé par
lui-même. Le mot « sauvage » succède peu à peu à la formule des années 60 : « En colère. »
Mais pour la résistance gauchiste opposée au M.L.F. avant meme sa naissance, voir en appendice : «
Le macho-gauchisme c’est encore du machisme. »
16 Où, en 1953, le père Xavier Tillette prononça ces paroles prophétiques : « Homosexuels et femmes
émancipées se donnent la main. »
17 De même qu’avant le nazisme (et souvent encore après lui) les psychanalystes ne parlaient que de
désobéissance névrotique et jamais d’obéissance névrotique, de même ces moralistes du dimanche et
ces conseillers pour courrier du cœur qui tinrent le haut du pavé jusqu’à ces toutes dernières décades,
n’envisagèrent jamais cet abandon à la défense (ou à la Morale) qu’implique la résistance
autodestructrice à « tous les instincts » (entendez : au tout premier chef, l’instinct sexuel).
19 Evelyne Sullerot, dans Les femmes dans le monde moderne, a dénoncé le refus opiniâtre du
patronat international à cette réforme, même après la signature de cette convention; elle a montré par
quel mécanisme subit de rétribution sur la base de « points » qui ne sont que des critères arbitraires,
ledit patronat s’est dérobé à ses engagements. Partout le salaire féminin est considéré comme salaire
d’appoint; c’est en France que la différence est sans doute la plus scandaleuse, le réajustement des
salaires en mai 1968 ayant découvert, au cours de son enquête, une masse de salariées touchant très
au-dessous du SMIG, pour le même travail que les hommes, et dans des conditions de travail souvent
beaucoup plus dures.
La libération des femmes passe par la preuve formelle qu’elle peut se passer
de l’homme à tous les niveaux. Il serait pourtant enfantin ou poétique (à la
façon du poète Valérie Solanas), d’imaginer une institution de
l’homosexualité et de réserver à une minorité le soin de procréer et le goût
de le faire. Il y aura toujours des hétérosexuels des deux sexes (y compris
les bisexuels, bien sûr!) et toujours des femmes enceintes qui n’avorteront
pas, toujours des mères, toujours des enfants. La reproduction par
ectogenèse ne produisant que des femelles n’est pas un projet. La
procréation devra être sérieusement et même énergiquement ralentie. Il
n’est pas question de la supprimer. Même en rêve. Même après la grève des
naissances que je souhaite.
Mais ceci est pour demain. Dans l’immédiat, nous n’échapperons pas à la
guerre des sexes. Nous devons nous y préparer. Les mouvements de
libération des femmes devront choisir attentivement les quelques minorités
masculines qui peuvent former des alliances avec eux, comme le FHAR,
l'I.H.R., le M.L.H.1 ou certains marginaux, contre tous les autres hommes :
complices de la phallocratie qu’ils nient, « révolutionnaires » qui ne
contestent que ses structures, et surtout « libéraux » plus pernicieux encore
que les sexistes « pur porc» de l’espèce Lejeune, Chauchard, Pierre Debray
et Tillette. «Nous devons les harceler et les détruire en tant que puissance,
jusqu’au silence de la dernière de leurs voix. Nous devons briser leur
leadership et le réduire à néant. Nous ne cesserons que lorsque nous aurons
détruit la cellule familiale, la norme hétérosexuelle en tant que base de la
société et la discrimination sexiste en tant que prise de part à la marche du
monde », a écrit une féministe révolutionnaire française.
Pour nous, les hommes ne sont pas l’ennemi. Ils sont nos législateurs,
nos employeurs, nos maris, nos amants.
La Fontaine.
Il est facile, comme je l’ai expliqué ailleurs2 de constater sur ces bases que
l’oppression féminine est donc à la fois spécifique, commune et principale;
spécifique, car ce genre d’obligations n’est imposé à personne du sexe
masculin, et les mœurs conduisent presque inéluctablement une femme à les
accepter sous peine de se condamner à l’insignifiance sociale, à la solitude,
souvent à la misère; commune, en raison de ce qui précède, puisque la très
grande majorité des femmes ou sont mariées ou se préparent à l’être, ou
encore l’ont été, ou vivent en état marital; principale, car elle retentit sur
son autre exploitation éventuelle, celle de travailleuse à l’extérieur. La
femme de l’ouvrier, de l’employé, du cadre, du commerçant, du professeur,
si elle travaille, ne sera pas exploitée de la même façon ou au même niveau;
dans la plupart des cas, le choix même de son emploi est déterminé par la
situation du mari, le milieu où il évolue et où il l’a souvent introduite; de
plus, le nombre d’enfants qu’elle a en charge oriente également son travail,
l’incitera par exemple à se contenter du mi-temps; enfin, les impératifs
économiques et l’épuisement du travail ménager, si elle est pauvre,
l’obligeront à se contenter d’un travail marron ou mal rétribué sons divers
prétextes : absentéisme, salaire d’appoint, etc.
«La phallocratie est pure négativité, qui fait partie de l’idéologie patriarcale
de la société capitaliste», déclare Anne-Marie Grélois dans une lettre privée
au professeur de philosophie et sexologue Michel Bouhy van Elzie,
fondateur du C.E.R.S.I. (Cercle d’Etudes et de Recherches Sexuelles
Internationales, à Liège). On peut ajouter que la phallocratie n’est plus que
pure négativité; elle eut autrefois sa raison d’être, comme l’esclavage et
comme la guerre ; c’est grâce à cette oppression de la femme que, rappelle
V. Woolf, « les villes purent être arrachées à la jungle et aux marais 3 ».
Mais aujourd’hui, toujours selon A. M. Grélois, « la bourgeoisie a besoin
d’être phallocratique pour se maintenir, et si l’on n’attaque la société qu’au
niveau socio-économique, on aboutit à un gouvernement pseudo-socialiste,
dominée par une bureaucratie totalitaire et phallocrate, signe de l’échec de
la révolution ».
J’ai été très étonnée quand j’ai écrit Le Deuxième Sexe d’être très mal
accueillie par la gauche. Je me souviens d’une discussion avec les
trotzkystes qui m’ont dit : le problème de la femme, c’est un faux
problème, il ne se pose pas... Il y a également les communistes avec qui
j’étais très mal à ce moment-là et qui se sont beaucoup moqués de moi.
Ils ont écrit que les ouvrières de Billancourt se foutaient bien du
problème féminin.
Interview de S. de Beauvoir, Nouvel-Obs,14 février 1972.
Cette oppression à multiples facettes semble équivoque parce que les feux
qui fourmillent sur cette surface nous éblouissent à tour de rôle : tantôt
l’oppression sexuelle, tantôt l’oppression économique; et celle qui en a l’œil
brûlé crie qu’il n’existe que celle-ci, que l’autre est un « faux problème » ;
mais ce ne sont que les aspects divers et non préférentiels de la MÊME
matière adamantine, compacte, unique endure comme un cœur de
phallocrate : la suprématie masculine. Tel est le matériau du despotisme, de
l’orgueil, de l’avidité qui sont les structures de la société mâle; c’est à
travers le prisme déformant du fidéisme que la religion y voit le « péché
originel » qui transmet la même tare à toute société humaine; et c’est en
théologien que s’exprime Céline : « Assis, debout, couché, l’homme est
toujours son propre tyran. » Remplaçons le mot « homme » par le mot «
mâle », et nous avons une pensée de Valérie Solanas. Le péché originel,
c’est la suprématie mâle.
Ce facteur sexuel n’a rien à voir avec tel ou tel taux d’œstrogène, comme
voudraient nous le faire croire des rêveurs biologistes du genre Gilbert-
Dreyfus4. Il n’est une fatalité que dans un type de société patriarcale et
phallocratique, qu’elle soit capitaliste ou socialiste, féodale ou «primitive».
Il tient alors à la simple différence des anatomies et à ses attributs
secondaires : différence de force physique et surtout différence dans le rôle
de la procréation.
Ce facteur définitif entraîne deux conséquences qui sont les deux branches
de la fourche façonnée pour saisir l’individu féminin et ne plus le lâcher : a.
— Erotique, — Le sexuel est le débouché naturel sur le champ érotique.
Sera donc astreinte à différents rôles subsidiaires, et s’en verra interdire
d’autres, érotiquement, celle pour qui, selon le mot de Freud, «l’anatomie
est destin». Selon la morale de sa classe ou de son pays, sa religion, son
entourage, elle sera plus ou moins châtiée si elle manque à ces conduites :
virginité jusqu’au mariage, fidélité au mariage, acceptation de la liberté
sexuelle de l’homme et de sa propre frustration, maternité involontaire, ou
en seul mariage, chasteté hors du mariage, voire éloignement sexuel au
cours des règles. Tous ces comportements ne sont que des obligations parmi
d’autres, éparses dans nombre de cultures humaines. En économie
développée et capitalisme tardif, en époque de scepticisme religieux, ces
différentes conduites peuvent être très relativement observées avec des
dommages très variables selon l’âge, la classe, le pouvoir économique; elles
n’en sont pas moins fondées sur des principes qui survivent fortement dans
l’inconscient, comme le prouvent les condamnations de l’avortement
portées et appliquées (parfois avec une brutale férocité), par des personnes
qui ont renié toute foi religieuse et demeurent imprégnées de l’idéologie
qu’elles croient si loin d’elles. Ces diverses sanctions qui frappent ici et là
tel ou tel de ces comportements ou tous à la fois, constituent la répression
érotique. Elle ne frappe pas que les femmes; mais elle frappe surtout les
femmes.
Quand elle se maintient dans un statu quo plus ou moins invisible, quand
elle est larvée et ne comporte que des secteurs privés dont l’individu peut
plus ou moins facilement sortir, quand elle concerne les mœurs plutôt que
les lois, on peut la baptiser oppression; l’oppression sexuelle concerne, au
départ et dès leur naissance, TOUTES LES FEMMES À part d’extrêmement rares
exceptions; elle consiste en cette obligation d’identifier le destin primordial
à un rôle sexuel, et dans l’immense majorité des cas avec des obligations
secondaires qui en font une gêne, un fardeau, une frustration ou une
dégradation, à tout coup une aliénation. Mais même quand l'ensemble des
chances individuelles et collectives n’en fait pas un cauchemar, cette
primauté du rôle sexuel dans le destin personnel aboutit à un perpétuel petit
harcèlement invisible, une mise en garde de tous les instants, uni devoir
^’observer sans relâche soit un commandement, soit une défense. Le plus
important, le plus grave de cet ensemble de condamnations grandes et
petites c’est l’énorme pression exercée en vue du mariage.
Mais toute femme est opprimée. La lesbienne subit son oppression accrue
comme une force invisible qu’elle attribue d’ordinaire à des défauts
d’entourage, à des préjugés, voire à elle-même; il lui est difficile, souvent,
de faire la discrimination entre ce que la société appelle sa « solitude »
(puisque l’autre femme ne compte pas en tant que compagnon) et son
oppression féminine (écart de salaires, difficulté d’accès aux emplois bien
rétribués ou aux leviers de commande, infériorité des tâches et des activités
tant sociales que politiques, etc.), Pour l’homme, au contraire, serait-il le
plus obtus ou le plus conciliant, il est difficile de nier sa répression, alors
que la police s’occupe de lui et de sa manière d’aimer, qu’il est l’objet de
solennels congrès traitant de sa « maladie», la cible des lazzi et des
persécutions, parfois des coups. C’est cependant ces vexations ou ces
frustrations si différentes selon le sexe qui établissent l’origine commune de
l’iniquité patriarcale : aux femmes l’oppression sexuelle en tant que
femmes, l’oppression redoublée en tant que lesbiennes (puisque lesbienne =
femme seule, objet de spectacle); aux hommes, la répression, et la pire : la
répression érotique.
Nous concluerons donc que toutes les femmes subissent, à des degrés
divers, une oppression sexuelle qui peut tourner à la répression selon son
mode de sexualité; la répression érotique sévit contre elle en tant que fille-
mère, avortée, adultère, parfois concubine ou «aventurière», voire divorcée;
la même répression érotique concerne la femme libre ou victime d’accident,
si vite traitée de putain, et l’homme homosexuel; pour la femme
homosexuelle, il s’agit plutôt d’une oppression redoublée, et à tendance
répressive; comme pour toute autre femme sans homme, sa « conduite »
serait-elle irréprochable devant la morale bourgeoise, ou « sainte » devant la
morale chrétienne.
L’oppression sexuelle du phallocratisme est donc à trois étages; et son
summum, la répression érotique, concerne les femmes révoltées ou
victimes, et les homosexuels mâles; car tous et toutes sont en état de
transgression.
b. — Economique et social. — Ce facteur sexuel que le phallocratisme rend
déterminant dans la vie des femmes comporte une seconde conséquence :
l’oppression économico-sociale.
Donc, à tous les niveaux, y compris celui du travail extérieur étudié par les
théoriciens de la lutte des classes, l’oppression spécifique de la femme est
d’origine sexuelle et relève de la société sexiste et patriarcale.
1 Mouvement de Libération des Hommes, groupe de soutien au M.L.F.
5 A quelques nuances près, évidemment, dues surtout au niveau de culture et au niveau économique.
Départ pour une longue marche
Nous venons de voir dans les pages précédentes que la cause des femmes
était étroitement liée à celle de l’Eros, et que le deuxième sexe ne se
libérerait pas sans libérer la sexualité tout entière, à savoir : ses possibilités
d’érotisme non identifiables à la fonction reproductive.
J.-L. Godard,
Deux ou trois choses que je sais d'elle.
Ce n’est pas parce qu’ils étaient mauvais, insincères et corrompus que les
chefs révolutionnaires ont barré la route, en Russie, à la libération de
Kollontaï; ni Fidel Castro quand il conjure les femmes de revenir à leurs
casseroles; ni Boumedienne, qui voit multiplier les attentats sexuels sur le
territoire algérien grâce à son puritanisme coranique exacerbé, sa législation
de répression absolue d’Eros et l’arrêt notoire donné à l’émancipation
féminine. C’est qu’avec toutes les nuances que comporte la différence des
situations, partout où le pouvoir du peuple s’empare d’une société
économiquement sous-développée, pour réaliser son développement, on
voit employer toutes les forces instinctuelles de l’individu à un effort
collectif qui le frustre et en grande partie le castre; et dans cette
exploitation, la femme est surexploitée au moment même où la
reconnaissance de ses droits et de son égalité est proclamée avec le plus de
force. «La femme doit être deux fois révolutionnaire, dit Castro. Mais qui
préparera le repas de l’enfant non scolarisé? » Il n’y a pas là hypocrisie,
mais contradiction insoluble. Insoluble dans un état, fût-il révolutionnaire,
de pouvoir mâle : c’est-à-dire impliquant un certain type de pensée, de
croyance au pouvoir et à la technologie en tant que développement social et
vital, de leadership nécessaire et de maintien du sexisme.
Comment cela serait-il envisageable dans une société qui n’est pas
réellement de consommation, comme la nôtre qui se targue faussement de
ce titre? La fin de la nécessité vitale d’un conflit entre les deux principes de
plaisir et de rendement, voici ce qui permettrait de satisfaire tous les besoins
humains, dans un environnement guéri de ses plaies, si la productivité à tout
prix était remplacée par celle correspondant au simple nécessaire (dans les
limites de la détente et du plaisir indispensable à l’humain), et surtout grâce
à la suppression des faux besoins qui masquent les vrais désirs. Jamais
aucune révolution n'a tendu à cet effet, car elles transportaient toutes avec
elles, comme une tare, le principe mâle que les nouveaux gouvernants
croyaient une «survivance» des structures abolies; mais il prenait racine à
un niveau bien plus profond : celui du sexisme qui identifie l’homme au
Masculin agressif, créateur, édificateur, ordonnateur, et la femme au
Féminin conservateur, passif, émotif, sentimental et surtout éternellement
fécondable et nourricier. (D’où l’incroyable bordel où nous nous débattons
aujourd’hui, grâce à cette dichotomie phallocratique5.)
Dans le mariage, l’homme et la femme sont perdants tous les deux, mais la
femme est à la fois plus aliénée et plus sécurisée; les avantages
économiques de la liberté et de la participation directe à la production sont
pour elle neutralisés, dans le célibat, par le désert affectif et sexuel qu'elle
redoute par tradition, et surtout par la perpétuelle remise en question du
mode de vie selon le compagnon de passage qui l’aidera à fuir ce désert,
sans compter les dangers de la fécondation dans une société où l’avortement
demeure un délit. Il faut à la femme des conditions économiques
particulièrement avantageuses, ou un goût de l’indépendance et une
intrépidité à toute épreuve, pour affronter de tels problèmes à la place du
relatif confort offert par le mariage : la petite forteresse-ghetto où un seul
mâle vous préserve des agressions, des violences, des mépris, des injures,
des mystifications et des mauvais procédés de tous les autres. C’est pour
cette raison qu’elle acceptera de façon quasi universelle ce statut de « fille
au pair » qui ne s’épuise à un travail non productif et gratuit qu’en échange
de son seul entretien, ou bien qui frôlera la folie à vouloir concilier celui-là
(et l’élevage des enfants) avec un autre travail extérieur, sous-payé dans 90
% des cas.
Si nous suivons l’un de ces deux vecteurs : soit le problème des rapports
sexuels qui se situe chez nous entre la prison sur parole du mariage ou la
liberté surveillée du célibat, soit le problème de l’exploitation économique
spécifique de la femme par le travail gratuit au foyer, nous recouperons
forcément l’un par l’autre6. La liberté sexuelle, non plus sous condition
mais totale, supprimerait toute obligation sociale de se marier, pour
l’homme comme pour la femme. En même temps disparaîtraient
l’hétérosexualité comme norme imposée et structure de base de la société,
le sexisme, le travail gratuit de la femme au foyer; ce serait la mort du
patriarcat phallocratique.
Ce serait en même temps le triomphe du Féminin en tant que seconde
pulsion sans cesse refoulée par le devenir historique mâle.
Ce serait enfin le coup d’arrêt massif à la démographie galopante et à la
productivité intensive pour satisfaire de faux besoins afin de détourner des
vrais désirs, donc l’arrêt du massacre de la nature, de la pollution
apocalyptique et de la destruction de l’environnement repris en main par les
seules détentrices des sources de vie, les femmes.
2 N.R.F., 1971.
3 S. de Beauvoir rappelle, dans l’interview déjà cité, cette femme soviétique qui figure dans Le
Pavillon des Cancéreux : grande figure médicale, et astreinte à des travaux ménagers qui l’épuisent;
aspect particulier et paradoxal de la femme en régime socialiste.
4 On peut, dans cette perspective, reconsidérer la différence marquante des traitements qu'à toute
époque connurent l’homosexualité mâle et le lesbianisme. La raison provient de cette séculaire
improductivité économique des femmes (celle-là même que leur reprochait Hésiode); c’est cette
inertie dans le circuit directement productif qui la sauvait de la persécution ouverte qui frappa
toujours l’éros minoritaire de l’homme. De même que, de tout temps, il lui fut permis de faire de son
corps un instrument de rapport, un objet à vendre alors que l’homme, le mâle, n’a le droit de vendre
que ses bras ou son cerveau. S’il vend son corps, il est exécré par n’importe quelle morale, de
quelque sexe que soit son « client » ; les états grecs les plus favorables à l’homosexualité punissent
de mort, dans l’antiquité, l’homme qui se prostitue. C’est que dans toute civilisation basée sur le
rendement l’homme doit produire pour justifier sa vie; celui qui travaille vend une activité, celui qui
se prostitue une fonction. La femme, réduite à être un animal de fonction et non d’activité n’est
redevable à la société que d’une productivité, celle de son ventre; c’est pourquoi le pouvoir est
toujours infiniment plus sévère pour l’avortement que pour le saphisme ou la prostitution féminine.
On voit par là le « totalitarisme » d’une revendication comme celle de la libre disposition du corps.
5 Il va de soi que nous employons les mots Masculin et Féminin hors de toute métaphysique. Il ne
s’agit que des deux pôles culturels, arbitrairement choisis, de l’universalisme jusqu’ici incarné par
l’homme seul; même si l’on admet comme nous que dans chaque femme il y ait au départ, par sa
féminité (et non sa féminitude) prédisposition au Féminin, prédominance possible de lui, à côté de sa
part de masculinité; de même, chez l’homme, prédisposition au Masculin et prédominance possible
de lui, à côté de sa part de féminité.
6 Voir pp. 257-259.
LE TEMPS
DE
L'ÉCO-FÉMINISME
Nouvelles perspectives
En septembre 1973 est né en France un mouvement plus proche du Parti
Féministe Unifié belge que du M.L.F. français : le Front Féministe,
formé de quelques femmes venues d’un groupe M.L.F., d’autres du
groupuscule «Evolution» (fondé en 1970 après « les Etats généraux de la
Femme » et en réaction contre eux) et surtout de femmes indépendantes de
tout parti et tout mouvement. Les statuts en furent conformes à la loi des
associations de 1901 : c’est dire qu’il s’agit d’une tendance beaucoup plus
légaliste et même réformiste.
Bien que Sulamith Firestone ait déjà fait allusion au contenu écologique du
féminisme dans La dialectique du Sexe, cette idée était restée à l’état
de germe jusqu’en 1973. Elle fut reprise par certains membres du « Front
Féministe » qui l’inscrivit d’abord sur son manifeste, puis y renonça;
leurs auteurs se séparèrent alors d’un nouveau mouvement si timoré, et
fondèrent un centre d’information, « Ecologie-Féminisme Centre », destiné
à devenir plus tard, dans leur projet de creuset d’une analyse et le départ
d’une nouvelle action : l’éco-féminisme.
C’est en fidélité à cet esprit que les militantes, tant du «Front Féministe»
que de la «Ligue du Droit des Femmes » s’appliquent à mobiliser et
sensibiliser le plus possible de leurs « sœurs » sur des objectifs relativement
restreints et immédiats, pour des buts raisonnables et qui peuvent sembler «
sécurisants » (hors du sigle, devenu déjà « effrayant» pour beaucoup, de
M.L.F.), sans que pour autant ils doivent (du moins pour la « Ligue», plus
jeune et plus dynamique que le F.F.) faire oublier ce qui est visé bien plus
loin : la disparition du salariat (au-delà de l’égalité des salaires), la
disparition des hiérarchies compétitives (au-delà de l’accès aux
promotions), la disparition de la famille (au-delà du contrôle de la
procréation). Mais surtout, au-delà de tout ceci, un nouvel humanisme né
avec la fin irréversible de la société mâle, et qui ne peut que passer par la
solution du problème (ou plutôt de l’extrême péril) écologique.
Pour le moment, certes, la mobilisation des femmes autour des aspects «
spécifiquement féminins » peut prendre même à un niveau légaliste, un ton
d’exigence qui passe largement l’antique revendication des « droits » :
— Nous voulons, disent ces adeptes du plus récent féminisme, sortir de ce
que certains groupes subversifs allemands nomment le «bourbier
antiautoritaire», sans pour autant sombrer dans la bureaucratie ni l’élitisme;
nous voulons aussi atteindre les couches travailleuses et jeter des bases en
province; mais si immédiats et concrets que soient ces projets, nous savons
surtout que notre urgence est de refaire la planète sur un mode absolument
neuf; ce n’est pas une ambition, c’est une nécessité; elle est en danger de
mort, et nous avec elle.
Hormis les socialistes autoritaires ou les gauchistes de tout poil dont nous
avons ici même cité le ronron sur « lutte principale et lutte secondaire », il
existe des analystes ou des agitateurs, de possibles compagnons de lutte
bien plus évolués que ces néo-staliniens; ils ne cessent d’appeler à la «
totalisation» du combat et de protester que tout ce qui est «parcellaire»
compromet le but final, détruire la Carthage du Système. Ceux-là ne
se placent pas sur le terrain archiminé de la «lutte des classes», mais de la
nécessité d’une prise de conscience globale : il ne s’agit pas de saborder
sa propre revendication, mais d’y introduire de nouveaux champs de
conscience :
La seule mutation qui puisse donc sauver le monde aujourd’hui est celle du
« grand renversement » du pouvoir mâle que traduit, après la
surexploitation agricole, la mortelle expansion industrielle. Non pas le
«matriarcat», certes, ou le « pouvoir aux femmes », mais la destruction
du pouvoir par les femmes. Et enfin l’issue du tunnel : la gestion égalitaire
d’un monde à renaître (et non plus à «protéger» comme le croient encore
les doux écologistes de la première vague).
Le féminisme ou la mort.
1 Le Grand Soir, journal prosituationniste, reproduit par le Fléau Social, mai 1973.
2 Le mouvement antipsychiatrique a engendré une « Internationale des Fous Furieux », qui conteste
la « normalité » encore plus radicalement que les mouvements de libération des homosexuels.
Qui s’exprime ainsi, et quand? Le New York Times... en 1970. C’est l’année
où le fils de la doctoresse Weill-Hailé, fondatrice du « planning familial »,
ralliait les U.S.A., dans le souci de lutter contre ce suicide collectif dont il
avait parfaitement saisi la corrélation avec le problème auquel s’attaquait sa
mère.
L’écologie, cette « science qui étudie les rapports des êtres vivants entre eux
et le milieu physique où ils évoluent », comprend, par définition, le rapport
des sexes et la natalité qui s’ensuit; sa fascination s’oriente plutôt, en raison
des horreurs qui nous menacent, vers l’épuisement des ressources et la
destruction de l’environnement; c’est pourquoi il est temps de rappeler cet
autre élément, qui recoupe de si près la question des femmes et de leur
combat.
Veut-on quelques détails techniques?
L’éveil est donné en Amérique depuis avril 1970 avec la jeunesse
contestataire des «Earth Day» qui, tout de suite, vont à l’éco-terrorisme :
ils enterrent les voitures et luttent physiquement contre les déboiseurs.
Celestine Ward, dans son livre féministe Women Power, dit qu’ «ils
veulent respirer en accord avec le cycle du cosmos ». Non : respirer tout
court. Qu’on en juge :
Chaque année, nous apprend Irène Chédeaux2, l’Amérique doit éliminer
142 millions de tonnes de fumées, 7 millions de vieilles automobiles, 30
millions de tonnes de papier, 28 000 millions de bouteilles, 48 000 millions
de boîtes de conserves.
« Chacun des 8 millions de New-Yorkais aspire tous les jours autant de
matières nocives que s’il fumait 37 cigarettes, et il sait maintenant qu’il y
a plus de rats dans les dépôts d’ordures que d’humains dans sa cité. »
Veut-on d’autres détails sur l’état des ondes? Les poissons crèvent en masse
dans la rivière Delaware (oh, westerns et Fenimore Cooper!), parce que Sun
Oil, Scott Paper et du Pont de Nemours y déchargent leurs déchets; ce n’est
rien, sans doute à côté du fait que le lac de Zurich est mort, suffoqué par
l’ordure humaine, et que le lac Léman n’en a plus pour longtemps; rien
encore à côté du fait que la Méditerranée, «la Grande Pure» des classiques
grecs, est devenue une telle poubelle qu’à Marseille, cet été, la signataire de
ces lignes additionnait les kilomètres le long de la côte pour trouver une
plage un peu propre. En Amérique, aujourd’hui, de nombreuses entreprises
déclarent que 10 % de leurs investissements sont absorbés par le contrôle de
la pollution. Effort dérisoire eu égard à la dimension catastrophique du
dégât. Ce modeste résultat, et celui plus frappant de l’interdiction d’un pipe-
line de 4 pieds de diamètre qui devait traverser le Sahara, on les doit à la
lutte des « conservationnistes » aux groupes divers, dont le plus célèbre
pour son radicalisme se nomme «Sierra Club». Dès janvier 1970, Nixon a
consacré à la question écologique une large partie de son « Message sur
l’état de l’Union ». Peu après passa une loi mettant en demeure les
compagnies d’aviation de trouver pour 1972 un dispositif destiné à réduire
de trois quarts les déchets de combustion. Jean-François Revel3 a relaté
comment, aux U.S.A. mêmes, ces tentatives ont été prises par certains
fanatiques comme des «manœuvres communistes » en raison de leur anti-
industrialisme. C’est la plus belle consécration d’un prophète : Kornbluth,
auteur de Planète à Gogos.4
La réponse, c’est criant : « C’est vous, c’est nous, c’est moi! » Mais je, mais
vous, mais nous sommes irresponsables : nous ne pouvons faire
autrement, à part d’infimes modalités de comportement; la première des
responsables est la civilisation technologique, superurbaine et
superindustrielle, course folle qui a lancé sa roue impossible à arrêter
vers le Profit, à la façon dont les Gaulois faisaient dévaler à une roue en feu
les pentes des collines; mais c’était pour fertiliser les champs par
écobuage, alors que notre culture technologique ruine et assassine le sol
nourricier sous le feu de sa roue. A l’accroissement du crime répond celui
de la folie : la surpopulation fies bourreaux qui engendrent en ce moment
les futures victimes de leur forfait collectif.
«La situation se révéla assez dramatique pour exiger des prévisions», dit
Elizabeth Draper dans Conscience et contrôle des naissances7. Mais la
poussée n’a fait que s’accentuer; il ne faut plus compter par siècles, mais
par décades; en 1960 nous voici déjà 3 milliards (vingt ans avant la
date prévue, puisque les experts prédisaient 3000 à 3 600 millions pour
1980!). Et voici le taux :
500 millions en dix ans : en dix ans, la population mondiale s’est
augmentée, entre 1950 et 1960, du nombre qui la représentait au XVIIe
siècle!...
Les 3 600 millions prévus pour 1980 ont sans doute été dépassés en 1969.
Ce qui atterre, c'est qu’on nous annonce le double de l’actuelle population
en trente-cinq ans!
C’est le marquis de Sade, un des plus grands génies scientifiques de tous les
temps, qui, à la veille de la Révolution, avait déjà déclaré dans Justine que
la concentration des gens dans les villes contribuait à accélérer les désordres
de la santé mentale et les obsessions du sexe. Nous avons vu que cette
hyperconcentration est due à la surpopulation dont Malthus devait, bien
plus tard, signaler les dangers. (De façon plus confuse, Restif de la
Bretonne, dans Le paysan perverti, ne dit pas autre chose.)
Nous avons cité plus haut «le stress du rat blanc», il faut y revenir ici à
loisir. J. Calhoun, chercheur, eut un beau jour de 1958 l’idée d’installer une
colonie de rats norvégiens dans une grange du Maryland qu’il avait
aménagée pour eux. Première observation : dans un espace de 900 m2, 5000
rats vivaient dans le bien-être. Mais la population ne dépassa pas 150
nouvelles naissances.
Il faut, certes, se défier des analogies trop hâtives. Au sujet des biches se
désintéressant de leur portée après un accouchement sous anesthésie,
argument avancé par les adversaires de l’accouchement sans douleur,
Simone de Beauvoir a répondu de façon décisive et cependant fort simple :
« Mais les femmes ne sont pas des biches9 » Si les rates blanches de
Norvège ne distinguent plus leur portée à la suite d’une concentration
intensive d’habitat « urbain », on ne saurait guère comparer ce fait à celui
de la jeune mère israélienne s’habituant à allaiter non salement son rejeton
mais celui de ses camarades, à la garderie du kibboutz, dans un but
intéressant de désaliénation du lien filial. Ce qui se passe au niveau des
collectifs animaux ne peut jamais être transposé directement au niveau de
l’humain sans un examen attentif des différences de structure; c’est
l’absence de ce principe qui rend si futile l’essai sociologique d’un Lionel
Tiger, Entre Hommes10. Mais ici, sans tomber dans le mécanisme, on peut
envisager un rapport certain entre l’expérience des rats de Norvège et celle
de nos concentrations urbaines. L’ethnologue allemand Paul Leyhausen est
de cet avis. Comme Sade, il trouve en l’urbanisation un facteur important
de l’élévation des maladies mentales. Le nombre des suicides augmente, et
aussi l’alcoolisme, la débilité mentale, la délinquance juvénile, la «nervous
breakdown». La difficulté croissante de l’isolement et l’épuisement dû à
l’entassement et aux transports contribue à un affaissement de la résistance
nerveuse qui, paraît-il, pourrait être transmissible. On sait tout cela?
Oui, mais jamais ce qui fut considéré comme tracas, souci, imperfection de
la vie moderne n’a atteint ces dimensions paroxystiques; le lancinement
de la carie dentaire est devenu cancer de la mâchoire. Les crimes sexuels
recommencent à Londres; des forfaits inconnus à nos mœurs — kidnapping,
viol - apparaissent à Paris; New York, pour ne citer que lui, se défend contre
la folie en la mimant par une série de « petits meurtres sans importance11 ».
A la destruction de l’environnement correspond, à ce rythme de natalité, la
destruction de l’homme intérieur. Et aussi — enfin une éclaircie — le stress
de la rate blanche.
Dans l’article intitulé Pourquoi nous avortons12, il est dit par une femme
qui signe Christianne ;
« Les rats, dans les cas de surpeuplement, ont un stress de la fécondité. Les
hommes ont un peu perdu le contact avec leurs instincts et totalement le
pouvoir de la commande spirituelle sur leurs corps. Les femmes, grâce à
leur sous-développement, plutôt moins. Peut-être commenceraient-elles une
façon de stress. Et la revendication du libre avortement serait, en plus, un
profondément intuitif cri d’alarme? Il faudrait peut-être tendre l’oreille. »
Ce n’est plus « tendre l’oreille » qu’il faut faire ; c’est pousser un
hurlement. Le monde commence à accepter l’idée de l’avortement pour
d’autres raisons qui font revendiquer violemment aux femmes leur droit à
disposer de leurs corps, de leur futur, de leur procréation; c’est grâce à
l’inquiétude du taux exponentiel que nous avons décrit et analysé plus haut
que la société mâle éprouve quelque tendance à se contester elle-même et à
accepter des revendications qui sont dictées par de tout autres motifs. Pour
une fois, l’intérêt des oppresseurs et des opprimés coïncide. Mais ce qu’il y
a de remarquable dans cette situation, c’est que cet intérêt, s’il est satisfait,
amènera à se réaliser une situation plus favorable à la caste opprimée — les
femmes — qu’à la caste des oppresseurs; et ceux-ci le savent bien. C’est ce
qui les fait hésiter à accorder ce qu’eux-mêmes ne peuvent que désirer :
l’arrêt de l’accroissement démentiel des naissances qui, parallèlement à la
destruction de l’environnement, signe l’arrêt de mort de tout le monde. En
même temps, obtenir ce bienheureux stoppage grâce à une liberté de
contraception et d’avortement donnée aux femmes, c’est pour les hommes
l’assurance qu'elles ne s'en tiendront pas là et commenceront à
disposer d’elles-mêmes; ce qui est, Rappelons encore Fourier, un scandale
d’une violence capable de miner les bases de la sociétq. D’où les
hésitations, les contradictions, les réformes et les embarras, les pas en avant,
les bonds en arrière; cette mimique des pouvoirs traduit l’extrême
opposition intérieure qui déchire la société mâle, à tous les niveaux, dans
tous les pays.
Si ces problèmes sont des problèmes d’hommes, c’est parce que l’origine
en est masculine : c’est la société mâle, bâtie par les mâles, et pour eux,
répétons-le sans nous lasser.
Il serait dérisoire de jouer au petit jeu des « si » historiques, ou cela
relèverait du domaine d’un charmant roman de science-fiction sur les
univers parallèles. Que serait-il arrivé « si » les femmes n’avaient pas perdu
la guerre des sexes au moment lointain où le phallocratisme naquit — grâce
à la passation de l’agriculture au sexe mâle? Sans ce que Bebel appelle « la
défaite du sexe féminin » et le moderne Dr Lederer, auteur de
Gynophobia14 «le grand renversement», que serait-il arrivé? Nous nous
garderons bien d’entrer dans cette fantaisie plus avant. « Ah ! si le ciel
tombait, bien des alouettes seraient prises», disait ma grand-mère. Une
seule réponse négative s’impose : peut-être l’humanité aurait-elle végété à
un stade infantile, peut-être ne connaîtrioiïS-nous ni le jouke-box, ni la
fusée lunaire, mais l’environnement n’aurait jamais connu le massacre
contemporain, et le mot même d'écologie serait resté dans la petite
boîte cervicale de l’homo sapiens, comme le mot « rein » ou « foie » ne
franchit ni les lèvres, ni le bec de plume, si l’on ne ressent nulle souffrance
ou menace de ces organes.
La planète va déborder.
«Assis, debout, couché, l’homme est toujours son propre tyran. » Céline
aurait été surpris de rejoindre la pensée de Marx : le rapport de l’homme à
l’homme est mesuré par le rapport de l’homme à la femme. Si quelques
hommes, toujours et partout, finissent par devenir les ultimes profiteurs
d’un changement révolutionnaire, c’est précisément parce qu’ils appliquent
aux autres les rapports de force que tous les nommes pris en bloc appliquent
aux femmes, toutes les femmes prises en bloc — même si, à l’occasion, il
se trouve que tel ou tel rampe devant la sienne.
En l’an 1972, Gébé, dessinateur qui ne semble pas avoir pris connaissance
de ce conte traduit de l’américain, a produit son « utopie » filmée : « L’an
01. » Le travail général s’arrête; les ouvriers quittent l’usine, les
bureaucrates le bureau, des propagandistes chantent sous les croisées : «
Ouvre ta fenêtre et jette ta clef dans la rue. » Puis on se remet au travail à
une cadence considérablement ralentie, juste pour subvenir aux besoins
immédiats des gens; inutile de tuer les capitalistes, ce sont eux qui s’en
chargent; l’air est obscurci de P.D.G. se jetant des gratte-ciels. A la question
inévitable : « Mais à quoi occuper un tel loisir? » la réponse se fait avec
simplicité : « On réfléchit, et c’est pas triste. » Tant que l’humain tremblera
devant l’idée d’un tel malheur, la possibilité de penser à soi, il en est encore
au temps de Pascal : la compétitivité, l’agression et toutes les horreurs de la
société mâle triompheront.
L’arrêt massif du travail producteur n’est pas une utopie; il a été démontré
que 7 à 10 % du travail actuel suffirait amplement à subvenir aux besoins de
manger, de se vêtir, de posséder un toit. Bien que 1’ « An 01 » ne mette pas
l’accent sur la nécessité écologique de cette solution, une séquence lie la
pollution à l’inflation démentielle de l’industrie, c’est celle où le pêcheur
bafouillant d’émotion vient hurler au téléphone : « Ça y est, j’ai attrapé un
poisson ! » C’est une fête : « Bienvenue au premier poisson de l’An 01 ! »
Quand on apprend, grâce à nos Cassandre prêchant dans le désert
futurologue, qu’en trente ans il a disparu plus d’espèces marines que dans
toute la période géologique suivant le pléistocène, on peut poser la question
: que vaut-il mieux, du poisson ou du gadget21?
Le cycle consommation-production actuel lié inéluctablement à l’expansion
industrielle, fruit des structures mentales du phallocratisme, peut
être démonté de la sorte : 80 % de produits superflus dont 20 % environ
parfaitement inutiles doivent être jetés sur le marché au prix d’une
nuisance et d’une destruction du patrimoine en courbe ascensionnelle; pour
ce faire, il faut disposer d’un temps de travail équivalent en gros à 80
% d’une vie humaine, c’est-à-dire à une aliénation pratiquement totale. Ce
n’est pas tout : ces objets superflus ou inutiles, doivent être éphémères
et renouvelables, ce qui augmente la nuisance et la destruction. Enfin,
aliénation suprême : puisqu’ils doivent être consommés, il faut par un
circuit technocratico-publicitaire en inspirer le désir, à savoir le créer de
toutes pièces. Comme le producteur est également un consommateur, il sera
donc aliéné et mystifié à tous les niveaux, en long, en large et en travers,
dirait Gébé. Une escroquerie au temps qui est la trame de la vie, à la
sensibilité qui en est sa valeur, une frustration gigantesque, planétaire,
monstrueuse; voilà l’aboutissement du cycle né depuis 5000 ans, à partir de
la mise en cage du deuxième sexe et de l’appropriation de la terre par les
mâles : le « Progrès ».
On le voit bien : nous ne plaidons pas du tout une illusoire supériorité des
femmes sur les hommes, ni même des « valeurs » du Féminin qui n’existent
que sur un plan culturel et nullement métaphysique; nous disons : voulez-
vous vivre, ou mourir? Si vous refusez la mort planétaire, il faut accepter la
revanche des femmes; car leurs intérêts personnels, en tant que sexe,
recoupent ceux de la communauté humaine, alors que ceux des mâles, à
titre individuel, s’en distinguent; et ceci, même au niveau du Système mâle
actuel; il n’est que de voir la contradiction entre les instances suprêmes de
son pouvoir, qui veut pousser les femmes dans la production (et on nous
annonce :
« Année 1975; Année des Femmes »), et les intérêts privés des mâles vivant
sous ce même Pouvoir, qui résistent furieusement contre la perspective de
se voir privés de leur ménagère! Il n’est que de voir la contradiction entre
l’effort dudit Pouvoir de diffuser et d’aider la contraception dans le but de
disposer, pour sa production, du temps féminin pris à la fonction
nourricière, et la même résistance indignée des individus mâles contre le
fait que leurs femelles puissent contrôler leur procréation! Etc., etc.
Ce pouvoir immense qui va lui être remis, qui effleure déjà ses mains, il n’a
aucune commune mesure avec celui d’organiser, décider, représenter et
opprimer qui reste encore celui du mâle; c’est justement dans cette mesure
qu’il peut lui faire le plus efficacement échec, et sonner l’arrêt de mort de
l’antique oppression; bref, selon un slogan de F «Ecologie-Féminisme
Centre», il s’agit d’arracher la planète au mâle d’aujourd’hui pour la
restituer à l’humanité de demain. C’est la seule alternative; car si la société
mâle perdure, il n’y aura plus demain d’humanité.
Menacée dans sa vie même, mais aussi dans celle qu’elle transmet (qu’elle
choisit ou non de transmettre), elle qui est la détentrice de cette source, elle
en qui se réalisent et passent les forces de l’avenir, nous voyons donc la
femme concernée à double titre par la solution très rapide du problème
écologique. Et, de plus, elle représente, de la façon la plus marxiste du
monde, cette classe productrice frustrée de sa production par la distribution
mâle; puisque cette source de richesse collective (la procréation) est
possédée par une minorité, celle des mâles, l’espèce féminine étant la
majorité humaine.
Les spécialistes eux-mêmes le reconnaissent; ainsi qu’Edgar Morin dans le
colloque écologique du Nouvel-Observateur où l’on ne vit paraître aucune
femme, ils avouent que « l’on commence à comprendre que l’abolition du
capitalisme et la liquidation de la bourgeoisie ne font que céder le pas à une
nouvelle structure oppressive». C’est ce qu’avait déjà exposé et expliqué
Reimut Reiche dans Sexualité et lutte des classes, à propos du « noyau » qui
résiste à tous les remaniements de cet ordre. Ce noyau-là, nous l’avons
déclaré ici, c’est le phallocratisme. Il est à la base même d’un ordre qui ne
peut qu’assassiner la nature au nom du profit, s’il est capitaliste, et au nom
du progrès, s’il est socialiste. Le problème des femmes, c’est d’abord celui
de la démographie, puis de la nature, donc du monde; son urgent problème,
commun avec celui de la jeunesse, c’est l’autonomie et le contrôle de son
destin. Si l’humanité veut survivre, elle doit se résigner à cette évidence.
Alors, avec une société enfin au féminin qui serait le non-pouvoir (et non le
pouvoir-aux-femmes) il serait prouvé qu’aucune autre catégorie humaine
n’aurait pu accomplir la révolution écologique; car aucune n’y était aussi
directement intéressée à tous les niveaux. Et les deux sources de richesse
détournées au profit du mâle redeviendraient expression de vie et non plus
élaboration de mort; et l’être humain serait traité enfin d’abord en personne,
et non avant toute chose en mâle ou en femelle.
1 En effet : les chiffres taxés d’exagération ont été depuis ce jour largement dépassés.
2 Anticlichés sur l’Amérique, Robert Laffont, 1971. La proportion générale de ces chiffres a
augmenté de 2 à 6 % dans les nuisances.
4 Ce chef-d’œuvre vient d’être réédité depuis peu dans Présence du Futur, Denoël. Bien antérieur à
la question de la pollution et de la destruction de l’environnement, ce roman prédit un avenir atterrant
où le bois de chêne est devenu matière si précieuse qu’on en fait des bagues, où la couche privilégiée
de la société est composée de techniciens publicitaires, la masse immense et misérable de «
consommateurs », et où la lutte pour protéger la nature est le fait de clandestins : les « conservateurs
» qui sont traités... comme des communistes.
5 Actuel, oct. 1971. Les chiffres cités depuis ont fait un bond.
6 A l’heure actuelle, l’agriculture s’est joyeusement mise à l’école des pollueurs industriels. Une de
mes amies, en été 1973, contracta la mycose et une intoxication bronchiteuse pour avoir travaillé
dans une plantation de pommiers près de Montpellier; le fermier aspergeait les arbres d’un mélange
de trois produits violemment toxiques destinés... à éviter les tavelures du fruit. De plus, à la veille du
marché, il peignait les pommes à l’aide d’une couche de cire. Cet exemple est loin d’être isolé.
7 Ed. Robert Laffont, 1971. Elle prédisait 6 milliards d’habitants pour l’an 2000. Aujourd’hui, les
prévisions sont de l’ordre de 7 milliards et peuvent être encore dépassées, ainsi que nous le rappelons
plus haut.
9 Le deuxième sexe.
13 Actuel, n° cité.
17 Le «Front Féministe » talonné par une éco-féministe, a écrit à tous les députés de Paris pour
demander une enquête sur le financement de cette opération manipulatrice que beaucoup affirment
venir de cette publicité laitière !
18 Assertion qui indignera mes amis marxistes. Mais si les femmes des prolétaires ont quelque
chose à gagner à la « victoire du prolétariat », ce ne sont que les miettes du pouvoir supposé acquis
aux prolétaires. Cependant que les bourgeoises perdraient ces mêmes miettes (ou même larges parts)
dont les firent bénéficier leurs hommes. Jamais le pouvoir en tant que tel ne serait donné
aux femmes. Ce n’est pas souhaitable, du reste, puisque la seule révolution significative sera celle qui
abolira la notion même de pouvoir, et l’état de prolétaire, en même temps que le sexisme.
19 Il est bien significatif qu'à l'heure actuelle l'inconscient collectif accepte de plus en plus l'idée
d'une Apocalypse nécessaire et s'en console par des « après », au lieu de songer a l'éviter. Comme dit
Victor Hugo, «les catastrophes ont une sombre façon d'arranger les choses ».
21 Une communauté établie dans les Cévennes depuis deux ans a accompli ce même miracle; les
truites sont revenues dans la rivière, les papillons dans les prés; ce que depuis quinze ans l’on n’avait
pas vu dans cet endroit. « La nature a rangé ses germes et il suffit que l'homme s’en mêle », m’a dit le
fondateur de cette communauté. S’en mêle pour l’aimer et non l’exploiter.
d) Lesbienne. — Le cas est bien plus fréquent qu’on ne le croit dans les
couches pauvres et se traduit par un nombre croissant de filles du prolétariat
vivant ensemble. Ici, l’absence de liberté revient à celle du travail sous-
payé; cette indépendance plus grande que celle de la condition précédente
(deux femmes ensemble se « débrouillent » fort bien et partagent la tâche
ménagère, n’ont pas d’enfants) est contrebalancée, non pas tant par le
blâme, car l’homosexualité féminine peut rester facilement invisible, que
par l’impossibilité de se faire protéger et respecter, comme toute femme
sans homme est en butte aux autres.
Dans le cas de lesbienne avec enfant, il s’agit en général d’un divorce, les
hommes du prolétariat étant moins disposés que les bourgeois à accepter
chez leur épouse ce qui paraît facilement un « vice ».
(On ne redira jamais assez qu’un des moyens les plus forts de la pression
exercée sur toute femme pour la contraindre au mariage est yu’un homme
la sauve de tous les autres — en principe.)
1 Le Système veille dans ce monde à ce qu’une plus grande possibilité de liberté, pour une femme,
soit attaché à une perte de prestige social, sensible surtout dans les classes inférieures.
2 Il y a une quinzaine d’années, une femme à qui sa carte d’identité valait quelques ennuis (car elle
était connue sous trois noms : celui de son mari, le sien parce qu’elle venait de divorcer, et un
pseudonyme) dut trouver un commissaire compréhensif pour inscrire « divorcée » sur ses papiers
d’identité. Même à sa demande, l'officier d’état-civil refusait de lui porter tort en révélant ce
honteux secret.
LA NOUVELLE « FEMME MYSTIFIÉE » (« POLITIQUE, C'EST
QUOI? »)
Nous sommes allées, nous avons vu et entendu des femmes comme Marie-
Claire, 16 ans « Je veux aussi vivre, je veux être libre de vivre et je veux que
ça change ». Nous avons bien aimé Marie-Claire et bien d’autres. Des
femmes comme nous. Et pourtant pas tout à fait. Car en discutant avec
quelques-unes nous avions l’impression d’appartenir à deux mondes. Ce
qui était politique pour nous, était pour elles des problèmes personnels. Ce
qu’on voulait changer dès aujourd’hui était pour elles à remettre à plus
tard. Ces divergences nous ont fait réfléchir. Ce qui suit est un débat
imaginaire entre des idées apparues dans les interventions et discussions de
samedi et nos propres réflexions.
Des femmes du P.C. — On est fier que le taux d’activité des femmes ait
augmenté. En U.R.S.S. 40 % des scientifiques sont des femmes. En France
aussi le nombre des femmes cadres a augmenté deux fois plus vite que celui
des femmes ouvrières. La libération des femmes passe par leur entrée dans
le monde du travail.
Libération. — C’est une belle phrase qui, pour nous, veut dire autre chose
que ce qu’explique M. Bertrand. C’est pas uniquement revendiquer le
programme commun. Notre demande de vie est plus grande. Elle dépasse ce
qui est proposé dans le programme commun. Notre demande actuelle est de
finir avec l’oppression de la femme par l’homme.
Libération. - Politique c'est quoi? Nous sommes dans une situation qui ne
nous satisfait pas et il y a des choses que nous voulons changer dès
maintenant. Surtout des choses que nous avons en tête. Et dans la tête,
même avec les plus beaux projets pour un avenir, la femme n'est pas égale à
l'homme. C'est à cause de cette inégalité depuis des siècles que les femmes
disent qu'il y a une oppression spécifique de la femme.
P.C. - Vous parlez de la maternité. Mais dans un Etat socialiste c'est l'Etat
qui prendra en charge les crèches, les maisons d'enfants, etc.
Libération. — Oui, encore les autres qui décident. Pourtant la femme sait
très bien dire ce qu’elle veut si elle fait parler son corps, si elle parle de sa
propre expérience affective et intellectuelle. Parler avec vos militantes de
choses affectives n’est pas possible. C’est le parti qui parle et non pas le
corps. Pour vous le corps n’a pas de parole.
P.C. — Et pourtant vous avez bien vu que les femmes du P.C. s’expriment
facilement et habilement à la tribune et qu’elles sont les premières à lutter
dans les usines et ailleurs.
Libération. — Mais chaque lutte n’est pas inscrite dans le corps. Pourtant
aujourd’hui où rien n’est décidé, le langage de l’affectivité féminine
pendant longtemps honteux peut, quand la femme ose s’exprimer, faire
apparaître un élan créateur et être un moteur formidable. Un moteur qui
peut aussi agir sur la mentalité de l’homme.
La politique nous devient alors plus proche et nous n’avons aucune raison
de nous taire pour remettre à demain. Nier cette oppression, ne pas favoriser
une organisation autonome de femmes où cette oppression peut être définie
et combattue, revient à éloigner de la révolution, la moitié du ciel.
Libération. — Politique c’est quoi? Nous sommes dans une situation qui ne
nous satisfait pas et il y a des choses que nous voulons changer dès
maintenant.
Surtout des choses que nous avons en tête. Et dans la tête, même avec les
plus beaux projets pour un avenir, la femme n’est pas égale à l’homme.
C’est à cause de cette inégalité depuis des siècles que les femmes disent
qu’il y a une oppression spécifique de la femme.
(Tout ce qu’on a fait dire au P.C. est tiré soit de l’Humanité, soit de France
Nouvelle, soit d’interviews auprès des militantes du P.C. au meeting de
Samedi.)
LIBÉRATION, 1er novembre 1973.
UNE ROSE POUR VALÉRIE
« Cambrée sous l’arc des sèves stridentes, une jeune femme désigne d'un
doigt de nacre les lèvres de son sexe pour glacer les soifs métaphysiques. »
C’est dans l’esprit de cette belle apostrophe de Gilbert Lely chantant Sade
qu’il faut sculpter ce tombeau pour Valérie Solanas.
Enfermée en asile psychiatrique pour avoir tiré trois coups de feu sur un
cinéaste qui l’avait escroquée; relâchée, puis enfermée à nouveau pour avoir
encore attaqué un homme; auteur d’un opuscule de cinquante pages environ
qui crève avec un bruit de tonnerre le silence feutré du cocon Women’s Lib,
fait croire à un mouvement en marche, une horde de cas-tratrices affolées
de sang, provoque le lâchage immédiat et classique du parti qu’il vient de
servir avec un tel éclat; puis relaxée encore après avoir été mise au secret de
longs mois, sans courrier (ni de son avocat, ni de son éditeur) elle s’est
donné cette mort du scorpion pris dans un cercle de feu; SCUM
l’exterminatrice n’a exterminé qu’elle-même.
Comme tous les poètes, et particulièrement les poètes maudits, SCUM a don
d’ubiquité. Elle se multiplie, elle s’épand, elle devient torrent par la magie
imprécatoire : « SCUM prendra d’assaut les autobus, les taxis et les services
de distribution... détruira les objets inutiles, voitures, vitrines... s’en prendra
aux antennes de télévision... En même temps qu’elle enculera le Système,
bousillera, tuera, SCUM recrutera... les meurtres seront toujours réalisés avec
discernement... En fait de piquets de grève, ce sont de longs couteaux que
SCUM plantera dans la nuit. Elle qui n’a jamais certainement lu Pascal
semble le plagier : « L’homme est horrifié à l’idée d’avoir du temps libre
pendant lequel il ne trouverait rien d’autre à faire qu’à contempler sa
grotesque personne. » Sa vue politique possède une justesse géométrique :
la première, et sans doute la seule, elle a découvert que le conflit ne se
situait pas, finalement, entre les hommes et les femmes, mais entre les
femmes qui ont pris conscience et celles qui refusent de le faire. L’homme,
de toute façon (tel qu’il s’est créé par sa propre société) est appelé à être
balayé prochainement. Quand Evtouchenko, en 1964, proclame que « les
vrais hommes d’aujourd’hui, ce sont les femmes », il ne fait qu’exprimer
sous une forme maladroite et sexiste (celle que j’avais utilisée moi-même
quinze ans plus tôt et qui déchaîna les railleries, non par sa maladresse et
son sexisme, mais au contraire par la parcelle de vérité qu’elle contenait 1),
l’évidence moderne qui est celle-ci : s’il y a le moindre espoir de salut en
une situation désespérée, elle ne peut venir que par les femmes.
Et c’est par cette phrase admirable sur celle qui refuse de prendre
conscience : « Elle prête machinalement son corps, éponge le front
simiesque plissé par l’effort, pousse au cul l’ego défaillant, complimente
l’abjecte crapule », que Valérie Solanas s’élève au sommet de la plus haute
littérature, et remplace l’agencement par la puissante déflagration d’un
flash. L’accent mis sur rurgence du sauvetage, tout le monde — et elle la
première — l’a pris pour un appel au génocide. Ce jeu de massacre n’est
que pour bagatelle. L’or qui reste au fond du creuset sadien de Valérie, c’est
ce rayon, que nous aimerions voir tracer partout ses lettres resplendissantes
: « SI LES FEMMES N’AGITENT PAS LEUR CUL, NOUS RISQUONS TOUS DE CREVER
AUJOURD'HUI! »
Voici ce que ces trois thèses d’un des plus dynamiques et des plus célèbres
Comités d’action gauchiste inspirent à la lecture :
Les femmes ne peuvent attendre leur salut que d’elles-mêmes. Mais cette
fois, dans une perspective totalitaire, et pas dans des revendications limitées
et parcellaires. Dans le renversement total et sans retour de la société mâle.
Nous ne libérerons le « Tiers Monde », les enfants et les inadaptés qu’en
nous libérant, nous, du machisme qui est la base de cette société de
consommation-oppression.
FRONT FÉMINISTE
1 Souligné par nous. Le texte dit : « Les femmes fascinées par une image idéalisée de la virilité et de
ses apanages. »
VOIR CLAIR
Il y a des propos que l’on ne répétera jamais assez car ils constituent le
point de départ de toute notre action. Rappelons, une fois de plus, ces
quelques citations :
Dans dix ans, au train où vont les choses, la situation des hommes sur leur
planète sera désespérée. En d’autres termes, nous aurons détruit toutes les
sources de vie, sur le plan animal, végétal et même minéral (raréfaction de
l’eau douce). Bref, en dix ans, nous aurons gagné ou perdu la « bataille de
la nature », si nous ne savons énergiquement mettre un terme au « cycle
infernal ».
Cri d’alarme lancé en janvier 1969 par les savants français réunis au
Muséum d’Histoire Naturelle.
Evelyne SULLEROT, Les femmes dans les temps modernes (Hachette), 1971.
PÉRIODIQUES
Fuori, n° 0, 1, 2, 3.
CONTRIBUTIONS PERSONNELLES