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Martín A. Biaggini
Rap d’ici
L’histoire du rap en Argentine
© L’Harmattan, 2022
5-7, rue de l’Ecole-Polytechnique, 75005 Paris
http://www.editions-harmattan.fr
ISBN : 978-2-14-029652-9
EAN : 9782140296529
Avant-propos
7
Si tout héros (ou méchant) a sa propre mythologie, la
mienne ressemblerait à la suivante : le Juan Data de 1996
que j’étais alors avait 20 ans et rêvait de devenir un jour
dessinateur de bandes dessinées. Je publiais un fanzine
composé de dessins que je vendais dans les files d’attente
des récitals hardcore de l’underground de Buenos Aires et
de Bond Street. Un jour, j’aperçois dans cette galerie em-
blématique une affiche vantant le premier festival hip-hop
underground d’Argentine et décide de filer, sac à dos et
bandes dessinées en main, à l’extérieur du Dr Jekyll, un bar
de Belgrano où ce soir-là, jouaient – si je me souviens bien
– Sindicato Argentino del Hip-Hop, Geo-Ramma, Tumbas,
Encontra Del Hombre et Actitud María Marta. Je les avais
déjà vus séparément en live mais c’était la première fois
qu’ils partageaient la scène d’un événement 100 % consa-
cré au genre en pleine émergence (le noyau de ce qui cons-
tituerait par la suite Nación Hip-Hop). A l’extérieur des
locaux, je rencontre un des membres de 9 Milimetros qui
m’informe qu’il joue dans un groupe de rap (absent ce soir-
là) et me remet un dépliant pour aller les voir le week-end
suivant. Puis, avec une certaine désinvolture, il me suggère
que ce ne serait pas une mauvaise idée de publier des inter-
views de groupes underground dans mon fanzine, en plus
des bandes dessinées. Pourquoi pas…
Le week-end suivant, je vais le voir se produire avec
Encontra Del Hombre et je ne me souviens plus qui
d’autre. Sans enregistreur ni appareil photo sur moi, je
décide de faire appel à Gabriel Di Matteo (alias M. Sur)
disposant, lui, de ce matériel. Gabriel était mon partenaire
depuis 1993. Avec lui, nous avons créé divers petits
groupes de rap qui n’ont fort heureusement jamais donné
lieu à aucun disque public. Ce dernier étudiait le gra-
phisme et la photographie et moi la communication so-
ciale et le journalisme. En tant que débouché
professionnel, je considérais mes études comme un loin-
8
tain "plan B", au cas où ma carrière de dessinateur ne por-
terait pas ses fruits. Cette nuit-là donc, nous avons fait
notre première série d’interviews – bientôt suivie par
d’autres – et j’ai fini par prendre plaisir à discuter avec des
musiciens dans les loges tout en assistant gratuitement aux
shows. L’idée d’interviewer des groupes dans un fanzine
de bandes dessinées a fini par faire son chemin pour deve-
nir une nouvelle publication indépendante. Au moment de
la sortie du deuxième numéro de Moshpit, début 1997,
j’étais pleinement engagé dans le milieu, ainsi que dans
mon rôle de journaliste. J’ai abandonné la bande dessinée
du jour au lendemain et le "plan B" a pris le dessus.
Comme mentionné plus haut, je n’avais pas la moindre
idée de ce que je faisais, aussi les erreurs dans les premiers
numéros étaient-elles flagrantes (j’aurais tellement aimé
qu’elles soient juste d’ordre grammatical…). De même,
mon regard était encore celui d’un "outsider" voulant ga-
gner la confiance de ceux qui occupaient le devant de la
scène et ma mission se limitait à poser des questions et à
écouter.
Avec le temps, j’ai cependant appris des choses en
écoutant les personnes interrogées qui en savaient évi-
demment beaucoup plus que moi sur le sujet. En 1997,
Tower Records est apparu à Buenos Aires et, grâce à ce
magasin, tous les magazines hip-hop parus aux États-Unis,
ainsi que certains livres, ont commencé à arriver mois
après mois, en même temps qu’Internet gagnait progressi-
vement en popularité en Amérique latine. C’était le der-
nier clou du cercueil d’une politique de marché
protectionniste qui nous avait laissés dans l’obscurité tant
d’années, sans accès aux outils nécessaires à la compré-
hension du phénomène hip-hop. Nous avons ainsi accueilli
la mondialisation à bras ouverts. L’importation de disques,
de vidéos et de livres n’était plus l’exclusivité d’une poi-
gnée de privilégiés pouvant voyager à l’étranger. En re-
9
vanche, les comprendre était encore l’apanage des rares
qui parlaient couramment l’anglais.
C’est ainsi que le contenu et le style du magazine se sont
progressivement améliorés mais un autre problème est alors
apparu. J’avais cessé d’être cet outsider qui pose des ques-
tions et reste en marge, j’étais devenu une "autorité" en tant
que média quasi-monopolistique sur la scène (statut que je
n’ai jamais cherché mais qui est arrivé comme ça, juste
parce que personne d’autre ne s’y était engouffré, ne serait-
ce que pour me concurrencer). Mon opinion pesait de plus
en plus, fait doublement problématique car je jouais une
part active dans le milieu où j’avais tissé des relations
d’amitié avec divers artistes, souvent de manière manifeste,
ce qui provoquait la fureur de beaucoup d’autres qui se sen-
taient, à juste titre, méprisés ou ignorés.
Si je dis tout cela, ce n’est pas pour m’excuser des
nombreuses erreurs commises par le passé mais plutôt
pour préciser que mon brouillon de l’histoire du hip-hop
argentin n’a pas d’autre prétention que celle-ci : une
ébauche pleine d’amateurisme et de subjectivité. Et je
considère le projet de Martin Biaggini avec ce livre (et
ceux à venir) comme un besoin urgent. Maintenant que
"Rap De Acá" a atteint des niveaux de médiatisation im-
pensables de nos jours, il est crucial de rembobiner la
bande et de voir le comment du pourquoi. Non seulement
pour apprécier les architectes qui ont posé les bases du
milieu, mais aussi pour éviter de répéter les mêmes er-
reurs. Ce livre vient donc compiler, corriger, étoffer et
donner une forme cohérente, avec une rigueur académique
à ces brouillons, mais aussi pour compléter les nombreux
trous que j’ai, par ignorance ou par négligence, laissés en
suspens.
Juan Data
Oakland, Californie, février 2020
10
Chapitre 1
Rap et hip-hop
11
(frapper, marteler), de l’acronyme "rythme et poésie "
(rythm and poetry), respect et paix (respect and peace),
"poésie américaine radicale " (radical american poetry), ou
comme le dit le rappeur Nach, révolution, attitude et poé-
sie. D’autres versions affirment que "rap" vient du mot
"rapsoda", une personne qui dans la Grèce antique récitait
des vers dans la rue, ou trouve ses antécédents dans le
"griot africain" (poète ou chanteur ambulant). Selon le
dictionnaire de Étymologie1, ce terme est apparu dans la
langue anglaise pour la première fois en 1300 mais ce
n’est qu’en 1965 qu’il est devenu populaire dans la langue
vernaculaire des Afro-Américains dans le sens de "parler
ou converser de manière informelle", ceci étant probable-
ment dû aux influences caribéennes et jamaïcaines où le
mot rap s’utilisait dans le sens de "utter", à savoir proférer.
Souvent le concept du rap est confondu ou assimilé à
celui du hip-hop (en fait, la première compilation de rap
argentin sortie fin 1990 s’appelle Nación Hip-Hop). Mais,
en réalité, le hip-hop est un mouvement culturel qui in-
tègre diverses pratiques urbaines consolidées dans les rues
des banlieues nord-américaines des années 1970 qui, par
manque d’espace, sont devenues le lieu d’expression pri-
vilégié.
L’objectif était alors d’unifier les affrontements entre
les gangs Afro-Américains et Latinos afin d’empêcher les
massacres, de créer une conscience collective positive et
d’améliorer la vie des opprimés et des pauvres grâce à la
connaissance, la musique, l’art du graffiti, le break dance
et les loisirs pacifiques lors des soirées hip-hop.
Le rap est l’un des éléments de la culture hip-hop qui
était initialement composée de danse (le break interprété
par bboy et bgirls), musique (DJ’s), art urbain (graffiti) et
MC’s ou Masters of Ceremony (les rappeurs eux-mêmes).
1
https://www.etymonline.com/word/rap
12
A ces éléments de base, de nombreux membres de ce
mouvement en ajoutent un. Pour Afrika Bambaataa, le
cinquième élément est la "connaissance", le "raisonnement
basé sur la bonne compréhension accrue, "overstanding"2,
la sagesse basée sur les faits" (Chang, 2014 : 123). Par
ailleurs, le rappeur d’origine jamaïcaine KRS-One dans sa
chanson "9 elementos" y insère également "Beat box", la
mode et le "Slang" (argot de la rue). D’autres y incluent
des pratiques sportives, telles que le skate ou le BMX.
DJ Kool Herc déclarait : "Les gens parlent des quatre
éléments du hip-hop : le DJ, le bboy, le MC et le graffiti.
Mais, je pense qu’il y en a bien plus, notamment la façon
de marcher, de parler et de communiquer" (Chang, 2017).
Dans ce contexte, le rap se pratiquait avec la somme ou
le mélange de deux éléments du hip-hop : le MC et le DJ.
Mais, de nos jours, ce dernier n’a plus autant d’importance
que par le passé et la plupart des rappeurs effectuent leur
pratique sur un "beat" (base instrumentale développée
avec de nouvelles séquences et rythmes, ou utilisant des
fragments de musique préexistants) conçu par un "beat
maker" grâce aux nouvelles technologies.
La pratique du rap n’était pas seulement liée à la cul-
ture hip-hop. De nombreux groupes de hard rock et de
musique alternative se sont aventurés dans le rap, aussi
bien aux USA que dans notre pays.
L’ancien membre du Morón City Breaker, le bboy et dj
Bart, explique : "Est-ce qu’il est possible de faire du rap
sans appartenir au hip-hop en tant que mouvement cultu-
rel ? Ne rien à voir avec le graffiti, le Dj et le break
dance ? Oui… D’ailleurs, j’ai connu beaucoup de groupes
qui faisaient du rap sans rien à voir avec ça. L’expérience
2
L’un des nombreux termes inventés par Bambaataa et utilisés exclusivement
au sein de la Universal Zulu Nation. C’est une modification du mot
understanding (Connaissance), qui remplace le préfixe under (under) par over
(over) ; on pourrait le traduire par "supra-connaissance" (NDLR). Generation
Hip-Hop, Jeff Chang.
13
vécue par chacun a été très différente. Dans les années 80,
on commençait à danser, on était des bboys. Dès lors, on
a vécu la culture à partir de là. On l’a reçue déjà façon-
née depuis les États-Unis".
Aux États-Unis, le rap a évolué de différentes manières
suivant l’endroit où il s’est développé. Deux régions se
sont très vite différenciées : les côtes Ouest et Est, sépa-
rées par plus de 4000 km. Pour ces deux endroits, on peut
identifier la pauvreté et le manque d’opportunités des mi-
norités ethniques et classes populaires en soulignant leurs
revendications dans les paroles. En revanche, sur la côte
Ouest, plus chaude en termes de climat, les gens sortent
beaucoup plus pour danser et se rencontrer dans un espace
public. Aussi, les rappeurs de cette région utilisaient-ils
comme base musicale des disques de genre plus festifs et
dansants que ceux de la côte Est. On a ainsi pu voir appa-
raitre différents styles de rap considérés comme des sous-
genres : G-funk ou Gangsta Rap. En revanche, sur la côte
Est, par exemple à New York, la musique était beaucoup
plus travaillée et les paroles avaient une métrique diffé-
rente.
Dans notre pays, les premiers exposants du rap
ont émergé en 1980 (voir le chapitre 3 du livre) mais, à
cette époque, c’était un genre plutôt inconnu et ambigu
(les membres de Los Adolfos ont dû ajouter le mot rap au
nom de leur groupe pour être en mesure d’expliquer ce
qu’ils faisaient). Des groupes et soliste faisant du rap sont
alors apparus, indépendamment d’une classification plus
générique.
La discussion théorique sur la définition d’un genre
musical est très large. Face à une ligne démarquant
l’identification des genres à partir d’enjeux formels et
techniques, il en est une autre qui vise à analyser la ma-
nière dont la société ou la communauté accepte tel événe-
ment sonore, sans oublier le marché, producteur et
14
distributeur de musique qui requiert le tri et classement du
produit en segments de marché (Negus, 2005).
Dans ce contexte, le rap est arrivé dans notre pays et a
commencé à évoluer au sein de la scène musicale locale,
au gré de mélanges hybrides et éléments qui ont pris diffé-
rentes formes en 1990. C’est sur ce chemin semé
d’embûches que le rap argentin a commencé à naître.
15
Chapitre 2
Préhistoire
17
avait commencé à se développer pendant cette période
(par un processus de substitution aux importations) et ac-
croître la présence de l’État dans l’économie.
Les vagues d’immigration européenne avaient nota-
blement diminué, alors que les migrations internes aug-
mentaient en raison de la crise subie par les économies
régionales qui provoquait l’exode massif d’individus atti-
rés par les centres urbains du littoral, plus particulièrement
par la zone du Grand Buenos Aires où la nouvelle indus-
trie et la construction nécessitaient une forte main-
d’œuvre. C’est ainsi que les banlieues se sont dévelop-
pées : La Matanza, Morón, San Martín, Lanús, Quilmes,
etc. En 1947, le Grand Buenos Aires était habité par
quatre millions et demi de personnes, soit un tiers de la
population nationale.
Jusqu’alors, le tango était la musique populaire par ex-
cellence à Buenos Aires, jusqu’à ce que le folklore le sur-
classe en 1950, à la suite des migrations internes qui
avaient façonné le secteur populaire.
Au début des années 1960, Sandro y los del fuego en-
registrent une série de covers3 de classic rock en castillan
pendant qu’Elvis, les Beatles et Rolling Stones commen-
cent à être diffusés sur les ondes. Comme l’expliquent les
critiques spécialisés en musique nationale Marzullo et
Muñoz (1987) : "Les premières expressions rock sont nées
comme un simple reflet du rythme à la mode venu
d’Amérique du Nord dans les années 1950".
Le directeur général de RCA Víctor, l’Equatorien Ri-
cardo Mejía, expert en marketing phonographique, se rend
compte que l’entreprise tient à flot grâce aux ventes
de Los Chalchaleros, Juan D´Arienzo et Daniel Aguayo.
Face aux problèmes financiers du label, il réalise une
étude de marché dans notre pays et comprend qu’il n’y a
quasiment pas de promesses musicales pour concurrencer
3
Une reprise (autre version) d’une musique.
18
Elvis Presley. Il décide donc de lancer de nouvelles va-
leurs et de mettre sur pied un produit commercial connu
sous le nom de "La nueva ola", caractérisé par le mélange
de twist, rock et beat. C’est ainsi qu’avec une forte pré-
sence télévisuelle, le Club del Clan s’est réapproprié le
circuit phono.
Au cours des deux décennies suivantes (70 et 80), le
monde change (Hobsbawm, 2003). Les pays capitalistes
commencent à mettre en œuvre des politiques néolibérales
imposées par les dictatures militaires en Amérique latine,
s’éloignent de l’État-providence qui prévalait des décen-
nies plus tôt (ce qui provoque des conséquences à long
terme, y compris dans le monde de l’enregistrement et les
habitudes de consommation des biens culturels). A partir
de là apparait une nouvelle période de crise économique
qui entraîne un chômage massif, de graves dépressions
cycliques et un clivage de plus en plus marqué entre les
classes populaires et les classes supérieures. Les pays so-
cialistes, aux économies fragiles et vulnérables, sont accu-
lés et au bord de la rupture, précipitant ainsi
l’effondrement de l’URSS et mettant fin au court du
XXe siècle.
Dans ce contexte, un nouveau mouvement musical en
pleine gestation surgit en 1960 en Argentine, sur la scène
underground de Buenos Aires (dans des bars tels que La
Cueva, La Perla del Once, l’Institut Di Tella, entre autres)
où de futures stars font leurs premiers pas. Cela va donner
plus tard naissance à un genre musical hétérogène appelé
"rock argentin", puis "rock nacional", et qui durant la
première décennie des années 1970 peut être considéré de
par ses caractéristiques comme acoustique ou "heavy", se
muant lentement en rock progressif les années suivantes.
Contrairement à la musique de jeune des années 1960, ce
mouvement relève d’une posture qui dépasse la simple
esthétique, contraire aux paroles vides de sens, et se lance
19
dans un dur constat de la réalité environnante. Le rock
nacional contient une dose remarquée de rébellion envers
le système. De jeunes insatisfaits de la réalité poussent un
cri de désaccord, en révolte contre toutes les règles (Mar-
zullo et Muñoz, 1987).
En mars 1976, la dernière dictature militaire civique
commence en Argentine et installe un modèle économique
néolibéral. La politique de la "plata dulce" est le nom sous
lequel ce modèle économique entre dans l’Histoire. Grâce
à cette dernière, une partie de la population avait alors
accès à l’achat, sans aucune distinction, de dollars et à la
possibilité d’obtenir à l’étranger les dernières nouveautés
technologiques.
20
avec un traitement qui utilise des principes de ce qu’on
appelle désormais "delay"". (Magazine La Mano, 2009).
Deux ans plus tard sur l’album "Peperina" la chanson
"José Mercado" (composée par Charly García) est reprise
par David Lebon qui rappe sur des synthétiseurs joués par
García, en référence à José Martínez de Hoz.
21
rap se fait à travers des cassettes passées de main en main.
Ce n’est qu’avec le lancement des singles "King Tim III"
de Fatback Band (1979), et de "Rappers Delight" du
Sugarhill Gang (1979) quelques mois plus tard avec plus
de huit millions d’exemplaires vendus dans le monde, que
le rap commence à se consolider sur le marché de la mu-
sique commerciale (García Naranjo, 2006). L’année sui-
vante, l’album "Sugarhill Gang" est publié en Argentine
par la société RCA sous le nom espagnol "Delicias de un
charlatán", puis "The Breaks" de Kurtis Blow, en 1981
avec le titre "Los Frenos" et deux ans plus tard un autre
album hip-hop, celui du groupe Whodini, édition locale de
1983 également sous le label RCA Víctor. Bien que ces
premiers disques de rap soient arrivés tôt dans notre pays,
ils ont été vendus comme des nouveautés musicales disco
car le genre rap n’était pas très connu.
Aux USA, le hip-hop a conquis une place privilégiée
dans la culture populaire suite à une forte exposition mé-
diatique réussissant à le populariser. D’abord dans les
pages des médias graphiques, comme la publication de
l’article sur le Break de Saly Banes (1981), puis plus tard
dans plusieurs films hollywoodiens comme Flashdance
(1983) et ceux des séries Breakin 1, Breakin 2 et Beat
Street, (1984). En 1982, Wild Style, film culte considéré
comme l’élément fondateur du cinéma hip-hop, était déjà
sorti aux États-Unis mais il n’a vu le jour que bien des
années plus tard en Argentine.
De cette façon, et grâce au marché de la musique et du
cinéma, le hip-hop (et ses éléments) commence à se ré-
pandre dans le monde entier.
Les années 1980 sont caractérisées par la consolidation
du processus connu plus tard sous le nom de "mondialisa-
tion". Au cours de cette période, la Guerre froide, une ba-
taille idéologique entre les États-Unis et l’URSS afin
d’imposer leur hégémonie dans le monde (et dont la chute
22
du mur de Berlin marque communément la fin), maquera
l’envol d’un nouvel ordre mondial. En Amérique latine, il
faut mentionner la fin des dictatures militaires et le retour
à la démocratie mais avec des pays lourdement endettés et
aux structures sociales affaiblies. Ce processus fera appa-
raître un nouvel acteur social sur la scène urbaine latino-
américaine : le jeune homme qui vit dans les quartiers
pauvres, produit des migrations vers la ville, de l’urbanité
précaire et du "loisir forcé". Avec lui émergent des
groupes de jeunes qui caractériseront le paysage urbain
lors des décennies suivantes.
Rap en espagnol
En 1981 sort une reprise locale de la chanson "La co-
torra criolla" du groupe Malvaho, considérée par de nom-
breux auteurs comme le premier rap en castillan, écrite par
l’humoriste vénézuélien Perucho Conde (édité en 1980)
qui se rappelle de l’enregistrement : "Chuto Navarro, le
directeur général du label Promus, m’a téléphoné un jour
et m’a dit :
- Je vais vous envoyer une cassette qu’un groupe amé-
ricain a enregistrée, Sugar hill Gang, un truc qui
s’appelle rap, très à la mode et qui fait fureur parmi les
jeunes. Je veux que vous fassiez la même chose, pas une
copie, et que vous écoutiez le rythme mais avec une touche
vénézuélienne"4.
Dans le même esprit, Arnaud Rodriguez et Miele sor-
tent "Melo do Tagarela", version brésilienne de Rappers
Delight avec des paroles satiriques mais critiques en ce qui
concerne le thème (Martins, 2015).
En 1984, Charly García enregistre le "Rap del exilio"
(Disco Piano Bar) et en 1987 le "Rap de las hormigas"
4
Perucho Conde y La Cotorra Criolla - La historia del primer rapero en
español (Consultationé sur https://www.youtube.com/watch?v=XhNWa3IgTN8)
23
(Disco Parte de la Religión). De son côté, SUMO sort "La
Rubia tarada" en 1985, qui peut être considéré comme un
autre proto-rap argentin.
Ces expériences musicales sporadiques n’ont pas eu de
continuité ou d’influence directe sur le développement du
rap dans notre pays, et Charly García lui-même ne s’est
jamais considéré comme un rappeur, raison pour laquelle
elles sont mentionnées pour créer un précédent. En ce
sens, nous pouvons rapporter ce fait à ce qui est arrivé en
France en 1980 et à son utilisation "ponctuelle" spécifique
du rap par certains artistes et producteurs, la plupart
d’entre eux avec une longue carrière, dans le seul but de
"moderniser" leur discographie (Hammou, 2012. Citée par
Muñoz, 2018).
24
Chapitre 3
Au commencement était le Break
25
La transition démocratique commence à changer ce
panorama, non seulement avec l’ouverture d’une variété
musicale mais aussi en libérant des pratiques culturelles
auparavant interdites, telles que les réunions dans les
espaces publics.
L’auteur Daniel Salerno explique : "La levée de la
censure va permettre un accès et une diffusion plus
fluides des productions discographiques du monde
anglo-saxon. Ainsi, de nouveaux groupes et de nouveaux
styles s’ajoutent-ils à ceux déjà existants". (Ugarte M.
Coord, 2008).
La musique anglophone parvient donc à nouveau en
Argentine grâce aux médias. L’un des représentants de la
musique américaine ayant eu le plus grand impact dans
notre pays est Michael Jackson avec son sixième album
solo "Thriller", sorti fin 1982. Avec ce disque, il dé-
croche sept Grammys et huit American Music Awards,
dont le Merit Award (il est alors le plus jeune artiste à
remporter cette prestigieuse récompense).
L’année suivante, "The King of Pop" fait parler de lui
dans les médias argentins. Canal 9 engage le critique de
cinéma Domingo Di Nubila pour animer l’émission "El
show de Michael Jackson", une émission qui diffuse des
clips vidéo de l’artiste et d’autres programmes similaires
et organise des concours de breakdance (danse acroba-
tique issue de la culture hip-hop).
26
Image 1. Concours sponsorisé par Channel 9
dans le club Nanday à San Miguel.
27
Image 2. Edu Caro et le frère de MC Ninja avec Domingo Di Nubila.
5
Programme de télévision diffusé sur la chaîne Canal 7, d’après une idée
originale de Juan Carlos Mesa, est diffusé entre 1983 et 1987.
28
Image 3. Affiche du spectacle de Mike Dee en 1985
29
appelées breakdance et c’est comme ça que j’ai commen-
cé à copier chaque mouvement et figure qu’ils réalisaient.
À 10 ans, j’ai essayé d’entrer dans chaque rassemblement
qui avait lieu sur les places – et surtout dans les galeries
de Florida et Lavalle – avec un matériel audio et des cas-
settes réenregistrées. On dansait au rythme de Sugar Hill
Gang, Grandmaster Flash, et autres..."6
L’effet précurseur entraîne dans son sillage l’apparition
d’autres groupes musicaux similaires sur le marché local,
comme Break Machine avec sa chanson "Street Dance"
(1983), et un clip vidéo dans lequel les trois chanteurs
d’origine afro chantent en dansant le break. La même an-
née, ils jouent au stade Luna Park où le bboy Edu Caro
sera l’un des danseurs sur scène.
6
http://soloquinceminutos.blogspot.com/2008/03/entrevista-caro-de-jazzy-
mel-stylocaro.html (Consultation janvier 2020)
30
Dans certaines clubs ou discothèques, il était de cou-
tume d’engager un groupe de danseurs qui composaient
une espèce de ballet pour célébrer l’ouverture de la soirée.
Les clubs de la région ouest commencent alors à rassem-
bler des jeunes gens ayant d’excellentes aptitudes phy-
siques.
L’un des premiers breakers, B Boy Chory, se sou-
vient : "Je dansais déjà avant le hip-hop ; j’étais danseur
de funk. J’ai commencé à 14 ans parce que j’avais un
grand gabarit. Je pouvais aller dans les clubs et je me
produisais dans les ballets (à cette époque, il y avait du
ballet dans les clubs). Il y avait aussi une émission sur
Radio del Plata appelée "Los enganchados" où ils diffu-
saient du funk".
Le duo Julio et Fabio, bboys de Hurlingham, se rap-
pelle également : "On allait à Somos, un endroit où l’on
jouait de la musique funky et celle des années 70 et 80. Il y
avait un garçon qui s’appelait Néstor y Hugo qui "faisait
le robot" habillé en costume argenté. Après la folie du film
Breakdance, on a commencé à regarder des films ainsi
que des vidéos (mais on devait attendre l’émission Música
Total le samedi sur la chaîne 9 pour les découvrir). On a
alors commencé à faire des trucs, comme regarder le
même film quatre ou cinq fois, puis on essayait de repro-
duire et de mémoriser tout ce que l’on voyait. Ensuite,
avec Chory et Marcelo, on a fait partie du ballet lors de la
soirée d’ouverture, à The Grot notamment". Somos, Joan
(Palomar)".
31
Image 5. Julio Talia au club"Somos" à l’âge de 14 ans
32
l’explique Poch Pla (2011) : "C’est comme cela qu’a
commencé l’un des éléments les plus importants de la si-
gnification sociale que le hip-hop a pris et (re)produit :
l’associativité. Au début, les réseaux associatifs étaient
essentiellement artistiques parce qu’ils visaient presque
unanimement à établir des lieux de rencontre,
l’infrastructure nécessaire et des lignes directrices afin de
s’améliorer pour ceux qui se consacrent à la danse".
Pendant que les danseurs font leurs premiers pas, les
disc-jockeys commencent à recevoir de nouveaux albums
Fabián Caruso, qui deviendra plus tard DJ Bart, organi-
sateur en 1990 des soirées de la discothèque "Tatin" à Vil-
la Madero où est né le Sindicato Argentino del hip-hop, et
DJ du groupe 9 mm, explique : "J’allais dans les disco-
thèques de Ramos Mejía. En 1981 Tatin7 a ouvert. Je suis
tombé amoureux du personnage de disc-jockey et j’ai
commencé à enquêter. Il n’y avait pas beaucoup de
groupes de l’étranger, ni grand-chose qui sortait au ni-
veau national. J’ai donc dû élargir le spectre aux autres
magasins de disques. Je suis allée en ville et j’ai regardé
dans d’autres endroits".
Fabian Caruso commence à acheter du matériel, de-
vient rapidement DJ Bart et commence à jouer lors de
fêtes d’anniversaire et dans quelques petits clubs. C’était
la naissance du Disc-Jockey.
Dj Bart se souvient : "Avant, les DJ écoutaient beau-
coup les mixers qui sont des passages de morceaux con-
nus, collés ensemble, d’une manière synchrone, audible et
qui peuvent être dansants en même temps. J’ai eu plu-
sieurs de ces mixers, de la musique Funk, Disco. Un jour,
en me promenant, j’entends la chanson "Good Times" de
Chic chez un disquaire et, par-dessus, j’entends un bruit...
7
Hall de danse situé à Villa Madero (La Matanza), qui deviendra le lieu de
rencontre obligatoire au cours des années 90 pour plusieurs rappeurs et même
lieu de naissance du Sindicato Argentino del hip-hop.
33
Et je me dis... je me dis : Ça, ce n’est pas dans la mu-
sique… J’entre dans le magasin de disques et demande au
vendeur : "C’est quoi ce qu’on entend ?" et il me dit que
c’est une cassette. Je l’ai achetée directement.
Je rentre chez moi, l’écoute et me rends compte que le
disque bouge suivant un rythme d’avant en arrière. Je
n’avais aucune idée de qui avait fait cela. C’était comme
une égratignure. Imagine que j’avais 13 ans ! J’écoute ça
et ma tête explose. Je commence à enquêter jusqu’à ce que
quelqu’un me dise un jour : "C’est du rap".
DJ Funky Flores se souvient de ses débuts : "Je faisais
des courses pour les voisins et je gardais l’argent qu’ils
me donnaient comme pourboire. Quand j’étais à côté,
j’allais chez le disquaire pour acheter des vinyles. En
1979, il y avait une émission sur Radio del Plata, appelée
Modart en la Noche qui passait de la musique étrangère,
de la pop, du funk et je notais tout. J’ai commencé à
m’intéresser plus sérieusement à la musique, puis à jouer
lors des anniversaires et des rounds dans le quartier.
À cette époque, je vivais déjà ici. Il y avait beaucoup de
disques pirates qui contenaient trois ou quatre chansons
d’un côté ou de l’autre et les tubes d’un groupe, puis d’un
autre, puis d’un autre. Sur un disque pirate, tu avais donc
quatre ou cinq groupes. Ce n’était pas de bonne qualité
mais c’était comme du pain béni et beaucoup d’entre nous
se sont mis à la musique grâce à ces disques. Puis j’ai fini
par acheter le disque importé du groupe que j’aimais".
DJ Hollywood raconte : "Avec mes économies, le pre-
mier plateau que j’ai eu était un Winco avec une pointe en
céramique et c’est comme ça que les disques sont restés,
blancs. Des années plus tard, je suis passé aux Technics
1200s".
34
Les éléments s’assemblent
Comme mentionné ci-dessus, le manque d’informations
règne dans l’environnement local. Tout part d’un proces-
sus d’auto-apprentissage avec ce qui se trouve à portée de
main. Chaque personne essaie d’apprendre des techniques
et, dans la mesure du possible, de les partager. La sortie
locale des films cités sert de tutos pour la culture hip-hop
et démocratise l’information d’une part mais homogénéise
également un style que les jeunes essaient d’imiter. Cela
suffit pour que nombre d’entre eux commencent à copier
non seulement les pas de danse mais lancent aussi la mode
des vêtements urbains de type large et sportif.
Ce processus a lieu dans plusieurs pays d’Amérique la-
tine car différents auteurs mentionnent la même date
comme étant le début de la pratique locale du hip-hop. À
titre d’exemple, on peut citer au Chili l’auteur Poch Pla
(2011) qui considère les films mentionnés comme le début
de la pratique dans son pays : "On suppose que c’était au
début des années 80 – entre les films de danses inconnues
jusqu’alors et les vinyles cachés dans les valises des rapa-
triés – qu’apparaissent sans les rues de Santiago les pre-
miers rythmes de quelque chose qui se fera connaitre sous
le nom de hip-hop" (Poch Pla, 2011). Au Brésil, on trouve
des traces et antécédents dans les danses noires exécutées
une décennie plus tôt mais on y décèle l’origine du break-
dance (Martins, 2016) : "Ce sont aussi des films comme
Flashdance et des clips du chanteur Michael Jackson qui
appuient la consolidation du break dans le pays, en enva-
hissant les médias brésiliens, les académies de danse, le
marché phonographique, les émissions de télévision et de
radio, etc. "(...) mais c’est avec Beat Street (lancé au Bré-
sil sous le nom de A Onda do Break), que ce style de
danse devient totalement à la mode dans le pays".
35
Quant à la Colombie : "Dans le cas de Bogota, le mou-
vement se médiatise grâce aux films Flashdance et Beat
Street. Ce dernier film s’avère le plus influent car il
montre comment les "battles" entre les différents groupes
à New York se sont développés" (García Naranjo, 2006).
En Argentine, en particulier, ces sorties coïncident avec
le retour à la démocratie, une période durant laquelle di-
verses pratiques artistiques et politiques auparavant inter-
dites commencent à refaire surface et à se développer dans
l’espace public.
Le bboy et rappeur Mario Pietruszka se souvient : "À
l’époque de l’hystérie liée au film, tout le monde sortait
dans les rues pour danser et ça a coïncidé avec le retour
de la démocratie. L’art de rue est revenu, principalement
dans les centres-ville, et l’état d’esprit et l’optimisme
étaient si forts que les gens étaient dehors et pleins
d’espoir".
Sur la scène locale, tous ceux que l’on appelle "Vieja
Escuela" reconnaissent la sortie des films cités comme
leur début dans le hip-hop et, dans ce cas particulier, de la
pratique de la danse (break). Dj Hollywood se souvient :
"Je suis allé voir un film qui s’appelait Breakdance. J’ai
été soufflé, scotché. "C’était mon truc !". Le hip-hop m’a
apporté beaucoup de satisfaction. C’est le bboy qui a
permis de garder la flamme intacte car il existait peu de
rappeurs. Parmi eux, il y avait mon grand ami Mario
(Jazzy Mel) qui était le premier. En 1983, je l’ai vu danser
sur Florida y Lavalle, il faisait la coupole (windmill), ain-
si que le mouvement de pieds, et rappait déjà en anglais".
Tito Caro, DJ de MC Ninja et frère d’Edu Caro confie :
"Je voyais des trucs qui me rendaient fou. Je dis toujours
que je n’étais pas un bboy mais plutôt un danseur de
breakdance car je ne savais même pas comment ça
s’appelait. On n’avait personne pour nous enseigner.
Lorsque les films sortaient, on allait au cinéma les voir
36
cinq fois de suite (on se cachait dans les toilettes) et on
prêtait une attention particulière au musicien, aux détails
des danses, etc."
Le bboy de la zone sud Robytor Argento ajoute : "J’ai
étudié dans la capitale et quand tu apprends là, les enfants
manient d’autres codes. Je suis allé voir le film Break-
dance avec l’école à 14 ans. Elle nous y emmenait car
c’était une sortie culturelle. On sortait tous ensemble et on
allait sur l’avenue Corrientes. Après avoir vu le film,
Channel 9 a commencé à faire la promo de l’émission de
Domingo Di Nubila. Une vraie "jacksonmania",
l’impression d’aller à Disney. Je m’entrainais à l’arrière
de ma maison, sur un morceau de carton".
Dj Bart raconte : "Lorsque le film Beat Street est sorti,
je suis allé le voir. Ce film "matchait" avec tout ce que je
pensais depuis longtemps. C’est là que j’ai vu le MC, la
danse, le graffiti. J’ai tout vu et je n’ai plus eu aucun
doute. J’en avais besoin. C’était les années où tu n’avais
aucune information sur quoi que ce soit. Si tu le décou-
vrais, c’est parce que quelqu’un t’en avait parlé".
Pour Funky Flores : "À cette époque, le film Break-
dance était sorti mais il y en avait un autre ici qui
s’appelait Street Dance (Breaking n Enterin, 1983)8 La
période de la danse était terminée et les films n’étaient
plus projetés au cinéma. Mais Street Dance était encore à
l’affiche du Lugano. J’y vais, je m’assieds. Il n’y avait
encore personne dans la salle mais soudain une foule
d’enfants apparaît dans l’obscurité et s’installe sur le côté
opposé. Le film se termine, les lumières s’allument et je
vois à l’autre bout de la salle Mike Dee, Marcos Vincent,
Money, Claudio, je crois, et d’autres qui discutaient du
film. A un moment donné, Mike commence à me parler,
bientôt suivi de tous les autres. Ils voulaient savoir, entre
8
Documentaire nord-américain de Topper Carew sur le mouvement Hip-Hop
de la côte Ouest des Etats-Unis.
37
autres, si je dansais. C’est à partir de là, qu’on est devenu
des potes".
Frost l’homme en acier, bboy membre du Morón City
Breaker et un des membres du Sindicato Argentino el hip-
hop se souvient : "Le film Breakdance est arrivé, puis la
mode, les vêtements en toile… C’était des films dans les-
quels tu commençais à voir apparaitre des trucs : le back-
spin phase (rotation sur le dos) dans Flashdance, puis
Breakdance est sorti ici, suivi de Break Machine, Michael
Jackson… Avec tout ce que je voyais, j’ai décidé de deve-
nir danseur. On a essayé de reproduire les figures en re-
gardant ces images parce qu’on n’avait rien d’autre.
Comment faisait-on ? On avait conçu une cassette où on
mettait Charly García dans la chanson "No voy en tren,
voy en avión" (Je ne vais pas en train, je vais en avion).
Lorsque le rythme commençait, ou au milieu, on appuyait
sur "pause" et on répétait. Ensuite, on rallongeait le
rythme. Sans le savoir, on réalisait une base/séquence de
quinze minutes et on essayait de danser sur ce qu’on
voyait".
Dans ce contexte, ces jeunes commencent à se rassem-
bler afin de représenter le hip-hop le plus fidèlement pos-
sible. Comment faire ? En copiant les moindres détails de
cette pratique culturelle, sans toujours comprendre les
paroles en anglais. D’une certaine façon, le même proces-
sus que celui du rock argentin des premières décennies
durant lesquelles les premiers représentants copiaient le
rock américain mais chantaient en espagnol (voir chapitre
2). La culture hip-hop commence donc à façonner des
groupes de jeunes qui, pour la première fois, se sentent
identifiés par les vêtements, la danse et la rue. Entre 1983-
1984 et le début des années 90, des groupes d’activistes de
la culture hip-hop émergent et nombre d’entre eux
s’identifient comme "la Vieja Escuela", copiant le concept
de "Old School " américain. Ce premier groupe se com-
38
pose de divers acteurs, principalement des breakdancers
qui suivent la tendance, des rappeurs, des graffeurs et des
MC’s. À titre d’exemple, on peut citer les Dinamycs
Breakers, trio formé par Mike Dee, Mr. Funky et Marcos
Vincent, qui fait plusieurs tournées dans différentes pro-
vinces d’Argentine.
En même temps, dans certaines régions du pays,
d’autres groupes commencent à apparaître dans des situa-
tions similaires, comme Los Duques del ritmo (Córdoba),
Bboy Tito y Mario la Mote (Mar del Plata), Marcelo Ca-
brera à Rosario, entre autres.9
D’après Alabarces (1992) lorsqu’il décrit le rock natio-
nal de la Dictature, ce groupe de pionniers n’est pas ho-
mogène mais aurait plutôt connu un processus
d’homogénéisation "imaginaire", puisqu’en interne le
groupe présente de grandes différences et ne se trouve
unifié (et continue de l’être) que dans la version officielle.
Un compte-rendu sacralisé, pur et homogène du hip-hop
local se construit ainsi, respectant à la lettre les quatre
éléments et transformant les possesseurs du "don"
(l’information) en gardiens de la clé d’entrée dans le
groupe.
Beaucoup de ces danseurs commencent à s’intéresser
aux autres éléments du hip-hop. C’est ainsi que nait et se
développe ce qu’on appelle le "Rap Hip-Hop", des pra-
tiques du rap émanant de la culture hip-hop, qui dans notre
pays tient ses origines dans la pratique du break. En paral-
lèle, une autre pratique du rap apparaît, déconnectée de la
culture hip-hop mais plus connectée à la scène musicale
underground.
9
Note : L’origine du hip-hop dans le reste du pays sera abordée dans un
prochain volume.
39
Comme Mario Pietruszka l’explique dans le documen-
taire El juego10, le rap à ses débuts était indépendant et
dans de nombreux cas continue de l’être jusqu’à au-
jourd’hui comme on l’observera dans les prochains vo-
lumes de cette collection. Au-delà de cette diversité plus
ou moins "forcée", deux éléments communs chez tous ces
acteurs : l’influence des États-Unis sur le rap local et
l’intention de s’associer les uns aux autres afin de partager
la pratique.
Comme l’explique le journaliste spécialisé Juan Data :
"Ils ont écouté 100 % de rap en anglais sans comprendre
les paroles, ou peu ou prou, seul Jazzy comprenait
l’anglais".
En référence à ce qu’avance Juan Data, Frost précise :
"Je ne comprends pas l’anglais, ça ne m’intéresse pas et
ça m’est égal de savoir de quoi parlent les Noirs quand ils
rappent. Ce que j’aime, c’est le "flow" des Noirs. Je
m’intéresse à la musique, à la mélodie, à la façon dont ils
rappent. Je me fiche de ce qu’ils disent".
Ce premier groupe, appelé "Vieja Escuela ", interprète
le hip-hop à sa manière avec le peu de ce qu’ils voient et
imaginent. Ils n’ont aucune source d’information fiable,
aucun prédécesseur à aduler et leur niveau socioculturel
est majoritairement défavorisé. (Data, 2005).
10
Documentaire réalisé par Juan Data et Ariel Winograd en 1998 (La Turma
Producciones).
40
Peu à peu, de nombreux jeunes commencent à utiliser
les espaces publics pour se réunir et faire du breakdance.
C’est ainsi que différents groupes naissent dans la capitale,
se retrouvant à l’Obelisco, dans le parc Rivadavia ou dans
les galeries Jardín et Chicago et dans les banlieues de
Buenos Aires. Radios et télévision commencent à diffuser
des morceaux de rap ou de danse et certains clubs font de
la place à de nouvelles chorégraphies.
Tito Caro se souvient : "On a commencé avec mon
frère, avec Ninja, son frère et sa petite amie et un groupe
de garçons comprenant un basketteur de San Lorenzo
appelé David qui, lorsque les films sont sortis, "a senti" le
business et a monté un groupe. On s’entrainait sur Lavalle
et Florida dans un gymnase. De là, on est allés dans la
province de Morón où on s’exerçait dans la petite école
derrière la gare. Chaque fois qu’il y avait un concours de
breakdance, on y allait. Puis on partait au Parque Riva-
davia, à l’Obelisco, à Lavalle et à Florida, à l’entrée
d’une galerie".
Le bboy Fabi raconte : "J’avais vu l’émission de Mi-
chael Jackson où Mike Dee l’imitait. A partir de ce mo-
ment, la danse a piqué ma curiosité. Par la suite, j’ai vu
dans les clubs des gens danser quelque chose de similaire
au break. J’ai alors commencé à danser avec mon ami
Julio et on est devenu un duo de plus en plus important.
On a vu Néstor y Hugo dans l’émission de Domingo di
Nubila, puis on est allé à Lavalle et en Floride où l’on a
rencontré un groupe de danseurs. Les premières per-
sonnes que j’ai vues étaient Mario et Abuelo et d’autres
dont je ne me souviens plus les noms. On a commencé à
danser dans des galeries avec un sol en béton lissé, sur
Florida et Lavalle, puis, on est retourné dans notre ville
natale, au club de danse Somos, où il y avait un ballet fixe,
ainsi que Néstor y Hugo. C’est là qu’on a commencé à
être connus".
41
Julio précise : "J’ai commencé à regarder des films et
j’adorais la danse. Avec mon ami Fabio, on allait un peu
partout, on passait par la capitale, puis on a commencé à
se fixer dans le club Somos (Hurlingam) où on a rencontré
Chory et Marcelo Herrera et beaucoup d’autres. Ils nous
ont alors emmenés faire un spectacle à Morón dans un
club où on a commencé à se produire les samedis. C’est là
que j’ai rencontré Mike Dee, Mario, Caro et beaucoup
d’autres personnes".
42
Pour pratiquer les pas de cette nouvelle danse, il faut de
l’espace. Fidèle aux débuts du break des US, l’espace pu-
blic est le lieu privilégié non seulement pour sa pratique
mais aussi pour interagir avec d’autres personnes parta-
geant les mêmes goûts (esthétiques). Les répétitions se
font sur la place de Morón et plus tard à l’entrée de l’école
d’éducation spécialisée Nro.503. Ainsi, la zone devient-
elle un lieu privilégié pour les réunions régulières de ceux
qui se feront appeler plus tard la Morón City Breakers.
Mike Dee se souvient : "J’allais toujours là-bas, juste
au coin de la place de Morón. Et comme je venais de dan-
ser dans les clubs, chaque fois que je passais devant, je
m’entraînais là. Cette école avait un immense sol de béton
glissé de couleur bordeaux, un endroit impressionnant et
génial pour s’exercer. Plus tard, lorsque les films Break-
dance et Beat Street ont commencé à "flotter", des gens
ont peu à peu pointé le bout de leur nez. La première per-
sonne à être venue à Morón avec cet esprit-là, c’est Mar-
cos Vicent".
Dj Bart confie : "Dans le quartier, il y avait des gens
qui faisaient du breakdance mais ils le prenaient plutôt
comme une mode. Lorsque celle-ci s’est éteinte, moi je
continuais toujours à le danser. C’est là qu’est apparu
Black, un voisin devenu un de mes compagnons de danse.
C’est un des premiers contacts que j’ai eu avec quelqu’un
qui aimait la même chose que moi".
Dj Black explique : "Fabián Caruso était comme mon
mentor. Dj Bart, c’est quelqu’un que je remercie car j’ai
beaucoup appris avec lui. J’habitais à Villa Madero et
Morón n’était pas si loin, alors on partait là-bas, puis
avec le bus 86 on allait à Lavalle et Florida".
DJ Bart ajoute : "De là, je vais à Morón où je rencontre
tout le monde. Un de mes amis qui avait vu du breakdance
à Laferrere vient me voir avec des informations. Il me
parle d’un gars, se faisant appeler Money, qui lui a dit
43
qu’ils étaient une trentaine à se réunir à Morón. Un jour,
par pure curiosité, je me pointe à Morón et je les vois qui
commencent à se regrouper avec leurs vêtements, puis à
entrer dans la boîte de nuit The Grot. C’est à cet instant
que je réalise qu’ils ont pour habitude de se rencontrer le
mardi à l’école".
Fabio se souvient : "Au début de l’école, les flics fai-
saient des descentes et nous viraient pour un rien, comme
ça une vingtaine de fois. On ne prenait même pas de bière,
au mieux un coca. Le poste de police était juste au coin de
la rue et ils nous emmenaient à pied. Jusqu’à ce qu’un
jour, un flic engueule son collègue qui nous embarquait :
- Encore ces gamins ? Ils n’ont rien. Arrête de me faire
remplir de la paperasse sans raison !
On ne dérangeait personne et on ne faisait rien de mal.
Au mieux, quand on était là-bas avec l’école fermée, on
leur cirait le sol gratuitement !".
Frost explique : "On était ici, dans la région de Morón,
on organisait des fêtes et des danses dans un club qu’on
nous prêtait sur Camino de Cintura. C’était un endroit
immense. On passait la journée à danser et un soir, après
l’ère du breakdance, un groupe de personnes est apparu
vêtu comme dans les films que l’on voyait. On s’est réuni
et on a découvert qu’ils savaient danser et connaissaient
tous les pas. Mario était l’un d’entre eux.
Mario avait un ami anglais qui l’a encouragé à pour-
suivre dans la musique, dans les groupes et les fanfares. Il
lui a filé beaucoup de cassettes et d’autres trucs. Avec
Mario, on se retrouvait à Vergara, sous un arbre, à un
pâté de maisons de chez Roberto Roma, un danseur assas-
siné. Ce jeune venait avec son sac et les cassettes que Ma-
rio avait enregistrées pour lui. C’est là qu’on a commencé
à connaitre Afrika Bambaataa. Mario avait la version
piratée du film Beat Street en bêta, ainsi que les tuyaux".
44
Le mélomane Mario Pietruszka ajoute : "C’était des
disques vinyles. On partait à la chasse car chaque fois
qu’on avait un tuyau sur la manière d’obtenir un disque
de hip-hop, on fonçait. Et puis, quand on voyait un joueur
de basket ou un afro-descendant, on l’arrêtait, on prenait
contact et on lui demandait de nous copier une cassette.
Plus tard, j’ai rencontré un Anglais qui m’a filé beaucoup
de sons et de livres de hip-hop, dont un de David Toop
intitulé Rap Attack. Ce livre contenait toutes les informa-
tions sur la culture hip-hop. Il était sorti en 1984 et parlait
de l’influence afro d’autres genres de musique, comme le
jazz, la soul tel James Brown, le funk, le gospel et de
beaucoup d’artistes qui ont directement influencé le rap.
Comme j’avais étudié l’anglais, je m’intéressais au rap et
j’étais l’un des rares à pouvoir le traduire et à avoir ces
infos. Alors, je les partageais et on partait en quête de
cette musique. Ce qu’on n’arrivait pas à obtenir, on se le
faisait envoyer. On allait dans un magasin de disques ap-
partenant à JC et le peu qu’on gagnait comme apprentis,
on le dépensait dedans. Niveau vêtements, on était dans la
dèche mais on avait de la musique". (Entretien réalisé par
l’auteur en 2018).
Frost raconte : "Mario avait beaucoup de vinyles ? Je
ne sais pas comment il faisait pour s’en procurer. J’avais
l’habitude d’aller chez lui avec une cassette TDK pour
qu’il m’enregistre de la musique. Tout le monde venait
danser chez moi. Ils dansaient sur la place, dans les gale-
ries et à la maison. Puis on allait au centre-ville, à Lavalle
et Florida et on fonctionnait au chapeau". Très vite,
d’autres représentants de la zone ouest se joignent à
l’équipe, comme les bboys d’Ituzaingo, Chicho, Edy et
Jesús, entre autres.
La rappeuse Karen Pastrana, qui des années plus tard
fera partie d’Actitud María Marta, se souvient : "Je me
réunissais avec les enfants de Morón qui étaient mes amis,
45
ma sœur était danseuse et les avaient rencontrés lors d’un
concours. J’allais à Morón tous les dimanches, juste pour
écouter du rap. Tu venais y chercher ton espace et ton
"chez toi". C’était vraiment un super moment. On se réu-
nissait chez Fabry11, chez la famille Kalibar ; on inventait
des fêtes qui n’existaient pas, avec des groupes qui
n’existaient pas, juste pour vivre des nuits hip-hop dans
certains endroits".
11
Il s’agit ici de DJ Fabry qui plus tard formera partie du Sindicato Argentino
del Hip-Hop au cours des années 90.
46
pendant ; c’était une street culture qui nous appartenait.
Pour la première fois, on sentait que quelque chose était à
nous, qu’on faisait partie d’une nouvelle culture de rue
qui était devenue un mode de vie (...)12".
L’un des endroits qui devient un centre de diffusion de
la culture hip-hop en Argentine, à quelques rues du Parque
Rivadavia, est la maison de DJ Hollywood, connue sous le
nom de El Templo : "J’ai commencé à écouter de la mu-
sique électronique, à l’époque c’était Kraftwerk, puis du
funk et ensuite du disco. En 1984, j’ai découvert le rap. La
musique, c’était comme une vie de militant. On allait chez
le disquaire (j’étais un ami de Mario) qui avait un cata-
logue hip-hop qu’un ami anglais lui avait donné, tiré du
livre Rap Attack avec toutes les chansons et disques clas-
sés par label des différents distributeurs. On faisait alors
un tirage au sort pour le commander. On laissait un
acompte et un mois plus tard, on avait le disque de ce livre
Rap Attack13.
À Caballito, il y avait le Caballito City Crew où l’on
enseignait et on se réunissait à El Templo. C’est là qu’on
a converti les enfants à la culture. On enregistrait des
cassettes et on enseignait. Les gens venaient de toutes les
provinces. Ils étaient mis au courant par le bouche-à-
oreille. Je faisais la même chose que Bambaataa dans les
années 80. Il recrutait chez les Bronks. Je réunissais les
quatre éléments".
Bron-K-Beat
Membres : Dj Black, Robytor Argento, Mc Enzi, JAZ,
Paula, Chelo
12
Documentaire réalisé par Juan Data et Ariel Winograd en 1998 (La Turma
Producciones).
13
Livre de David Toop publié en 1984
47
Comme pour la zone ouest et la capitale, la mode du
breakdance s’impose dans la zone sud après la sortie des
films mentionnés. Mais contrairement aux deux zones
citées, lorsque la mode commence à perdre de sa vigueur,
ses exposants disparaissent petit à petit et très peu conti-
nuent la pratique : raison pour laquelle le lien entre
adeptes de hip-hop et la création de groupes met un peu
plus de temps à se développer. Le B-boy JAZ, l’un des
pionniers de la zone sud, se souvient : "J’ai découvert le
hip-hop en allant au cinéma voir Flashdance où on les
voit danser du break. Ici, il n’y avait rien, ni beaucoup de
monde qui dansait dans cette zone. En 1984, Breadance et
l’émission El show de Michael Jackson sont sortis et c’est
là que je suis devenu fan. J’ai demandé à ma sœur de
m’acheter un pantalon en plastique. Mes premiers pas
datent de cette période. Je dansais avec un ami, Alejandro
Marino, qui m’a appris à pratiquer le popping (smurf :
contraction et décontraction des muscles en mouvements)
et je suis allé avec lui au concours du programme de Mi-
chael Jackson qui avait lieu dans un club où tu devais
danser devant un jury. À l’époque, c’était un truc à la
mode".
Alors que la mode du break et le nombre d’endroits
pour le pratiquer diminuent, JAZ continue à s’entraîner
seul. Vers la fin du 1980, il rencontre d’autres breakers
dans la discothèque Ke'thal (Ezpeleta), qui l’invitent à
partager la danse. Parmi eux, on peut citer Robytor, Dj
Black, Paula, MC Enzi et Chelo.
Paula Basoalto, membre de l’équipage, se souvient :
"On s’est tous rencontrés à Ke'thal. On se retrouvait les
week-ends pour s’entraîner et c’est comme ça qu’on a
décidé de former un groupe. Parfois, on répétait à la porte
de ma maison en mettant un carton ou alors sur la place".
C’est ainsi qu’ils décident de former un crew sous le
nom de Bron-K-Beat, composé de breakers, de Dj Black
48
(à l’époque bboy Ponja) et de Mc Enzi qui commence à
rapper et à se produit dans différents endroits.
Robytor Argento nous raconte : "Le 9 juillet 1987, je
suis sorti danser pour la première fois, ici à Ketal. C’était
le début d’une agitation adolescente. C’est là que j’ai ren-
contré DJ Blak, puis Paula et Mc Ensi et on a formé un
groupe".
Paula Basoalto ajoute : "Black et Cristian allaient sou-
vent dans la capitale, dans une maison où des vinyles ex-
clusifs arrivaient toujours de l’extérieur. On les utilisait
dans nos répétitions, puis Black a décidé de quitter le
Break pour se consacrer au DJing".
Avec le départ de Black et de Robytor, ils ne sont plus
que quatre dans le groupe et décident de changer le nom
en Section 4.
49
Chapitre 4
La renaissance du rap
51
voir avec la scène hardcore qu’avec celle du hip-hop ; ou
encore Santa Mónica fin 1990, comprenant des membres
de rap hardcore Minoría Activa.
14
Pour plus d’amples informations sur le groupe, il est recommandé de
visionner le documentaire "Hijos de nadie ". sur los Adolfos Rap, (2019), de
Pablo Apezteguía, Damian Marsicano et Maximiliano Sachetti
52
mots comme MC et Rap sur les pochettes de nombreux
disques mais on ne savait pas ce que c’était. On dansait le
break, on faisait des graffitis, toutes les choses de
l’époque, et mon collègue se procurait des disques. Il était
un peu plus intéressé par la musique brésilienne, tandis
que moi, je jouais du punk et du reggae dans plusieurs
groupes. Il n’arrêtait pas de me filer des disques de
LL Cool J, Melle Mel, Fat Boys, etc. C’est là que j’ai
vraiment découvert le rap. Jusqu’au jour où j’ai eu dans
les mains un disque de Run DMC et qu’on monte notre
groupe de rap avec Avec Gerardo Gebel, premier batteur,
Román Rosso, chant principal et guitare – mes camarades
de classe –, Diego Alonso, basse, et deux autres".
Le premier batteur du groupe, Gerardo Gebel, désor-
mais membre de Pepe Cartucho, raconte :
"Gustavo me dit :
- Tu as écouté Fat Boys ? C’est un groupe qui fait du
rap.
- C’est quoi le rap ?
Puis le type te met le disque et tu entends les bruits de
scratching, dérivés du breakdance.
Je lui dis :
- C’est curieux, ce truc… Comment ils font ? ‘
- Ils parlent... les gars parlent. Tu as écouté les Beastie
Boys ?
Il m’apportait des cassettes pour que je les écoute -.
Puis, il poursuit :
- Cela te dit de monter un groupe de rap ?
Je lui réponds que je ne sais jouer d’aucun instrument.
Et lui :
- Comment ça ? Tu m’as pas dit que tu jouais de la bat-
terie ?
- Oui, un de mes amis m’a appris une fois. ‘
- On s’en fout, on verra bien".
53
Rapidement, les amis et camarades de classe commen-
cent à façonner un groupe de rap, pionnier du genre en
Argentine, qui se produira sur la scène jusqu’à la mi-1990.
Gustavo Ferraiuolo se souvient : "Lorsqu’on a créé le
groupe, j’avais déjà joué dans quelques formations con-
nues et Mario Pergolini me demande :
- C’est vrai que tu fais du rap ? Je lui réponds que oui.
- Tu as quelque chose à me montrer ?
- Non, on commence tout juste.
- Ok. Et c’est quoi vos blazes (noms) ?
À cette époque, Gebel était parti en vacances d’été à
Gesell et il me racontait sans cesse ses aventures avec un
certain Adolfo... Il me cassait la tête avec cet Adolfo.
Alors je lui dis :
- Tu m’as tellement fait ch… pourri la vie qu’on va ap-
peler le groupe comme ça.
Je suis allé voir Pergolini et je lui ai dit :
- On est Los Adolfos Rap.
Plus tard, c’est lui qui décidé d’enlever le mot rap car
tout le monde savait déjà de quoi il s’agissait ".
Gerardo Gebel ajoute : "Un jour, je lui dis que je suis
allé à Gesell où il y a une station balnéaire appelée Africa
appartenant à un certain Tito. Il avait un fils hyperactif,
Adolfo, qui montait et démontait la tente, organisait des
parties de baby-foot et jouait aux cartes quand il pleuvait.
Il était toujours impliqué dans tout. Et le type, comme je
lui parle tellement de cet Adolfo, il me dit :
- Mais il était partout cet Adolfo !
C’est comme ça que le nom est resté : Los Adolfos
Rap."
La première formation de Los Adolfos Rap est donc la
suivante : Gerardo Gebel à la batterie, Román Rosso15 à
15
Roman sera la voix du groupe jusqu’à son départ pour d’autres cieux, ceux
du tango. Il acquiert une certaine notoriété en tant que bandonéoniste à
l’étranger et ce, jusqu’à sa mort.
54
la guitare et au chant, Diego Alonso à la basse (le seul
membre qui fera partie de tous les line-up du groupe) et
son fondateur Gustavo Ferraiuolo au second chant et aux
performances scéniques. En 1987, ils commencent à par-
ticiper à différents mouvements de l’underground por-
tègne.
55
voir le groupe. Il chantait et lorsqu’il s’arrêtait, il se ser-
vait de la tecla de luz comme d’un instrument". Le groupe
commence bientôt à jouir d’une présence importante sur la
scène underground. Leurs performances sont publiées
dans les suppléments musicaux de certains journaux et le
bouche-à-oreille constitue un solide public qui les suit
partout.
Le producteur et rappeur Rasec, membre d’Encontra
del Hombre dans les années 90, se souvient : "Le premier
graffiti que j’ai vu dans la rue était celui de Los Adolfos
Rap. J’étais de Flores et je m’arrêtais à Galaxia 2000,
une salle de jeux vidéo sur Rivadavia et l’un d’eux fré-
quentait ce lieu le soir".
Dj Bart se rappelle aussi : "Quand Los Adolfos Rap
sont apparus, je savais que c’était un groupe de rap car
j’avais vu un graffiti "Los Adolfos Rap" à Flores. A cette
époque, j’étais un bboy".
Gerardo Gebel de nouveau : "On a joué dans quelques
endroits. Je me souviens de la République Arabe Siria où
Gustavo était très productif, très drôle, puis dans la calle
Venezuela et la calle rue Jose Mármol, à Almagro. Une
fois, on a joué au Puerto Pirámides, à l’angle de la calle
Honduras et la calle Medrano. Parmi les gens qui ve-
naient nous voir, beaucoup étaient des amis (plus tard, on
est apparu dans le supplément Si du journal Clarín). On
n’avait que cinq chansons et les titres se répétaient. Ils
nous en demandaient d’autres mais on n’en avait plus. Et
à un moment donné, Gustavo se retourne et nous dit :
- On va jouer l’hymne national.
On commence à jouer l’intro, plus ou moins bien. Gus-
tavo chante mais oublie les paroles et répète l’intro. Le
propriétaire de Puerto Pirámide, au bar, se prend la tête à
deux mains… Les gens pensaient que c’était un moment
drôle mais c’était très tendu. Plus tard, Charly García
56
ouvre la voie permettant de jouer l’hymne d’une façon
différente".
Lors d’un des concerts, Mario Pietruszka, connu plus
tard sous le nom de Jazzy Mel, apparaît et établit une rela-
tion avec le groupe.
Gustavo Ferraiuolo se rappelle : "Mario est un génie. Il
venait nous voir et nous invite un jour chez lui. On décide
d’y aller avec Romá. Le gars nous dit qu’il fait ses pre-
miers pas et qu’il veut notre avis. On tombe dans la ca-
verne d’Ali Baba. Quelle bande de cons ! Il avait des
disques qu’on n’avait jamais vus. J’ai beaucoup
d’affection pour lui, c’est une véritable encyclopédie du
rap. Je pense que c’est lui "le Mr Rap" en Argentine".
En 1989, Gerardo Gebel quitte la formation, remplacé
par Pablo Ben Dov. Puis, Claudio Giménez rejoint le
groupe à la guitare (Lolo l’avait rencontré dans un club du
quartier de Flores). Durant cette période, Gustavo continue
d’incorporer des éléments de scène aux spectacles en di-
rect.
Gustavo Ferraiuolo poursuit : "Mon frère et moi, on se
promenait un jour dans le parc Rivadavia et on voit un
artisan. Je suis fan des Vikings depuis mon plus jeune âge,
encore aujourd’hui. Quand j’étais tout petit, mon père
m’a emmené voir une pièce de théâtre avec des Norvé-
giens dans les bois de Necochea, et ça parlait des Vikings.
L’artisan avait donc des boucliers, des haches, des cha-
peaux, des épées. J’ai essayé le chapeau et ma tête est
restée coincée. Un autre jour, avec Román, j’avais une
paire de lunettes de motocycliste de la Seconde Guerre
mondiale. Il était mort de rire et m’a dit :
- Qu’est-ce que tu vas faire ? Sortir comme ça ?
- Eh bien, oui !"
C’est ainsi que le casque typique de viking devient un
élément clé des apparitions en live du groupe.
57
Claudio Giménez : "En 1989, on a commencé à plan-
cher sur tout ce qui relevait du courant Run DMC : A
cette époque, il était difficile de convaincre les musiciens
de jouer du funk (pas du funk pop commercial), du funk
afro. Le rap noir et contestataire. Mais comme on venait
de musiques différentes (je jouais du heavy et du punk
rock avec mon frère), on a commencé à mélanger les
choses et on a obtenu une fusion de funk et de heavy
rock".
58
Club Nocturno
"Ils ont posé une bombe, ils ont attrapé un voleur,
Juana a gagné une voiture et un grassouillet, une télé.
Les factures augmentent et Boca est devenu champion ".
TV RAP, Club Nocturno
Pusieron una bomba, atraparon a un ladrón,
Juana gano un auto, y un gordo un televisor.
Aumentan las facturas y boca salió campeón"
59
Image 11. Club Nocturno
60
C’était le disque de Run DMC, en rapport direct avec
ce qu’on faisait. Je pensais que ce n’était que des ma-
chines et n’avais pas réalisé qu’il y avait un DJ. C’était
hyper difficile d’obtenir du matériel. C’était exactement ce
que je cherchais mais en mieux. Cela m’a tué. J’arrive à
me procurer un autre disque, les Beastie Boys et, avec ces
deux sons, je dis à Esteban et Guri :
- Regardez, c’est ça l’idée, le chemin que l’on doit prendre.
Le chanteur n’apparaissait pas mais j’étudiais
l’harmonie et la composition avec Jorge Rosso, un profes-
seur de Vicente López qui avait un mini-studio
d’enregistrement à l’arrière de sa maison et faisait des
productions pour des pubs et orchestrations. J’étais éton-
né : il travaillait avec un ordinateur Yamaha CX5N, écri-
vait la musique sur des pentagrammes et possédait un
émulateur de son qui reproduisait cette musique. C’est
ainsi qu’il faisait les orchestrations. Quand je vois ça, je
m’écris : - C’est ça la solution !
Il se trouve que Jorge voulait un autre modèle donc je
lui ai acheté le sien. J’ai suivi un cours pour apprendre à
l’utiliser et ça m’a servi de bassiste de substitution.
J’écrivais les basses directement sur la machine, je les
synchronisais par SEMPTE, un système de synchronisa-
tion, avec la batterie et j’avais mon son. Ensuite, on jouait
par-dessus. Le groupe a commencé à prendre forme. On
répétait chez moi à Pacheco. Le chanteur n’apparaissait
pas et pour donner forme aux chansons, j’ai donc com-
mencé à chanter moi-même, puis je suis resté au chant."
Fidèle à la pratique de l’époque, le groupe enregistre
une démo sur cassette au studio Buenos Aires Records de
Pablo Novoa, en 1988. Les démos étaient généralement
utilisées pour faire circuler la musique parmi le public, se
produire dans des endroits et, surtout, pour que certains
médias les diffusent.
61
Luis Beracochea : "C’est à partir de là qu’on a com-
mencé à se bouger avec la démo. On a obtenu un show
dans un club, puis un autre. Les débuts ont eu lieu à Tigre
(21 octobre 1988). À l’époque, ils n’étaient pas habitués à
écouter des machines, un clavier, des voix et une guitare.
- Ils ont l’air de kiffer ! On continue…
On a fait la démo, puis commencé à la montrer et on a
réussi à jouer dans quelques clubs. On a touché a tout.
C’était l’époque des stations-pirate, alors on les faisait
toutes. Esteban frappait tous les jours à la porte de la sta-
tion Rock and Pop pour essayer de filer la démo à
quelqu’un. C’était l’apogée de Rock and Pop. Il se trouve
que Pablo Novoa, notre producteur de démos, était un
musicien de studio. Ils l’ont engagé pour un album produit
par Fabián Ross, lequel vivait aux États-Unis et venait le
produire. Lors d’une pause à l’antenne, il demande à Pa-
blo ce qu’il faisait d’autre et ce dernier essaie de lui
"vendre" son groupe de funk en lui disant : Je viens de
faire une démo à des gars qui font du rap. Quoi ? Du rap
en Argentine ? Et ils le font dans quelle langue ? Je veux
les écouter tout de suite !
Un après-midi, alors qu’Esteban est de service à Rock
and Pop, Ari Paluch prend la démo et la diffuse le jour
suivant dans son émission. Puis, il organise un concours
dans le même temps et notre démo, ainsi que celle des
Guarros sont sélectionnées par les auditeurs. Les Guarros
gagnent mais Ari dit que la nôtre est celle qu’il préfère.
M. Ross passe dans l’émission d’Ari Paluch pour pro-
mouvoir un groupe. Ce dernier lui montre notre démo
qu’il a tant aimée et lui dit qu’Alejandro Mateos aimerait
la produire. Ross est sorti de la radio et a appelé Pablo :
- A qui appartient ce groupe ?
Pablo a répondu :
- Les gars sont avec moi.
- Je veux les rencontrer. Si ça me plait, ils signent."
62
La réunion a lieu au café Las Violetas où les trois
membres se présentent en vestes US, casquettes, jeans
déchirés et baskets aux pieds, dans le plus pur style des
Beastie Boys. Avec ce look, on leur refuse l’entrée du bar
et Ross ne peut que les apercevoir par la fenêtre.
Luis : "Une semaine plus tard, Pablo nous appelle. Ils
avaient un contrat pour nous chez BMG. Ross leur avait
vendu l’album avec seulement deux morceaux de la démo,
TV Rap et Rap del enfermero (le Rap de l’infirmier).
Avant de signer le contrat, on rencontre le producteur qui
veut savoir si on avait plus de sons. Il écoute le reste des
morceaux et dit :
- J’aime bien. Quelles sont vos conditions ? Pour com-
mencer, il n’y a pas d’argent.
- On veut enregistrer aux studios Panda, en 24 canaux,
avec Mario Breuer.
- C’est très difficile pour un nouveau groupe, je vais
voir avec BMG qui va payer pour la production du disque.
Durant les premiers jours de décembre 1988, je démis-
sionne de mon travail et vais signer le contrat chez BMG.
Lorsqu’on sort après la signature, Fernando Moya, qui
dirige la plus importante agence artistique de rock à
l’époque, nous attend et nous dit que Grimbank veut qu’on
se rende dans son immeuble à Puerto Madero pour signer
les chansons avec leur maison d’édition en échange de
passages radio. Le deal s’est fait comme ça."
En avril 1989, l’album Club Nocturno est enregistré
aux studios Panda, en 24 canaux, avec Mario Breuer et des
invités de luxe tels Pato Loza (batteur de Suéter et Los
Abuelos de la Nada), aux percussions, Isabel de Sebastián
(Metrópolis), aux chœurs, Juan (chanteur de Los Into-
cables), sur un morceau avec Luis et Mario Breuer, aux
chœurs et qui rejoint la production avec Pablo Novoa en
s’impliquant beaucoup dans le groupe.
63
Luis : "On n’avait pas de DJ, juste quelques échantil-
lonneurs de scratch mais ils étaient prévisibles. Marios
Breuer a alors pris les bobines de 24 canaux de
l’enregistreuse et a fait passer la bande d’avant en arrière
en enregistrant à son tour. Cela a créé l’effet de scratch
sur le disque".
Suite à la sortie de l’album, soutenue par l’Agence et la
Radio, le groupe devient très présent dans les médias, les
magazines et les programmes télé comme "Feliz Domingo
para la juventud" (Joyeux dimanche pour les jeunes). Ils
participent à différents concerts, en première partie de
grands groupes, lors de tournées et aussi avec des forma-
tions similaires comme Los Adolfos Rap. Avec la dissolu-
tion de Los Intocables, Juan, le chanteur, rejoint le groupe
et un deuxième album beaucoup plus orthodoxe, au style
rap et hip-hop, est en préparation. Malheureusement, les
faibles ventes, ainsi que la crise du pays, découragent la
société qui décide d’annuler la production de ce deuxième
album – non sans bloquer le contrat et le matériel, les em-
pêchant ainsi de l’apporter à un autre label –. Ceci condui-
ra à la dissolution du groupe en 1991.
On peut lire une note dans la revue mythique Pelo :
"Leur musique est très contestataire mais aussi très iro-
nique. Les paroles parlent de ce qui arrive aujourd’hui
aux jeunes qui vivent à Buenos Aires (Luis). Lorsqu’on a
commencé à rapper, on a convenu qu’il était ridicule de
parler des souffrances d’un noir du Bronx. On devait
montrer les problèmes quotidiens des gens qui vivent ici,
comme la drogue." (Polinelli, 1989)
64
Image12. Club Nocturno en live
65
chine à rythmes qu’Hugo et Néstor, les deux chanteurs,
avaient achetée et on était avec les Besaty Boys qui
jouaient à l’époque. C’était un groupe avec deux guitares,
une boîte à rythmes et deux voix. Notre première date a
été à la Nave Jungla. J’étais au lit avec une hépatite et
Néstor et Hugo, mes meilleurs amis, venaient chez moi
avec la petite machine, la Rolland, et on programmait des
chansons. Je jouais de la guitare et ils rappaient tous les
deux. Je venais du heavy metal et Gonzalo du rockabilly,
et c’est à ce moment-là que ces deux sons se sont réunis
avec les BB, la guitare distordue et le rap." (Communica-
tion personnelle avec Andrés Bonomo, 6 juin 2020)
66
Il n’y avait presque aucun point de comparaison. Quand
j’y pense, c’était mauvais ce qu’on faisait".
67
sons "Trompita" (version rap d’une chanson pour enfants
très populaire), "Tributo", "Sexy", "Mundo de hoy" et
"Muy funky en la noche".
Dylan: "À un moment donné, on a inondé tout Buenos
Aires d’autocollants collés sur les interrupteurs des bus.
C’était le seul plan marketing qu’on pouvait faire et ça a
fonctionné. En plus, si jamais on te publiait dans le maga-
zine 13/20, ça t’ouvrait des portes pour jouer dans tout le
pays. C’était important d’apparaitre dans un magazine
national".
68
Chapitre 4 (suite)
La mode, ça évolue ?
69
de musique. Le nombre d’adaptes du hip-hop commence à
diminuer et finit par se réduire à une poignée de passionnés.
Le bboy et rappeur Mario Pietruszka se souvient : "Du
jour au lendemain, ce genre de musique n’existait plus.
Les médias ont cessé de la diffuser. On n’était plus accep-
té et personne ne voulait nous voir danser dans les en-
droits habituels. Ni même dans la rue. On est donc allé
dans la zone ouest, à Villa Tesei, à Morón où l’on dansait
encore. On y a rencontré d’autres bboys qui étaient aussi
à fond dans le truc. Il y avait Roma, Mike Dee, Mr. Funky,
tous issus de l’ouest de la ville. À cette époque, on impro-
visait des rimes dans les wagons du train Sarmiento et le
changement de connexion à Morón était un rituel hebdo-
madaire".
La ligne de train Sarmiento, qui va de la station Once
de Septiembre (dans le quartier de Once) à la ville de
Mercedes, relie la capitale à la zone ouest du Grand Bue-
nos Aires, notamment les quartiers de Caballito, Flores,
Haedo, Morón et Moreno, entre autres. Ce moyen de
communication permet d’unir les crews de la capitale à
ceux de la zone ouest et fluidifie les transactions. Grâce à
cela, les Morón City Breakers et les Caballito City Crew
ont commencé à échanger des informations et des expé-
riences, sans oublier la proximité du Parque Rivadavia,
lieu emblématique de troc de disques. Les premiers frees-
tyles nationaux ont peut-être eu lieu dans ces wagons.
Juan Data écrivait dans son magazine "Moshpit Posse :
"Sarmiento n’est pas seulement la seule ligne de train
où l’on peut voir régulièrement des graffitis réalisés par
de prometteurs artistes argentins. C’est aussi la ligne de
train qui relie les quartiers de Caballito et Flores à ceux
d’Haedo et Morón, dans l’agglomération de Buenos Aires.
Des quartiers qui ont toujours été des terrains fertiles
pour les stars du hip-hop provenant des zones d’ombres
les plus éloignées de la vieille école. C’est Morón, au dé-
70
but des années 80, qui a accueilli les danses, les rêves et
les illusions des premiers bboys et de nombreux MCs
parmi les plus célèbres d’aujourd’hui. Caballito, princi-
palement, mais aussi Flores sont les endroits de la capi-
tale où l’on apprécie le plus la culture hip-hop au
quotidien.
Les amateurs de graffitis auront remarqué que Caballi-
to est le quartier le plus "graffé " du pays et que la plupart
des bombages se trouvent dans le bassin du train Sarmien-
to où Rasta, Nomad, Taiz & Cay, Pelado, Wizard et même
Os Gemeos ont dessiné. C’est aussi un lieu qui rassemble
de nombreux breakers venus de toutes parts danser
chaque jour dans les rues, grâce à l’initiative de
l’omniprésent DJ Hollywood, dont l’appartement situé à
quelques rues du Parque Rivadavi était en ces temps diffi-
ciles le lieu de rencontre des quelques adeptes du hip-hop
qui osaient sortir la tête du sable". (Data, 1998)
Robytor Argento : "Dans les années 90, on était dans
Bron-K-Beat quand j’ai vu Mike Dee à la télé en train de
tenter la coupole (windmill) sans les mains dans le studio
13. J’y vais et je rencontre Mike et Mr. Funky qui me di-
sent qu’ils se produisent à San Miguel dans un club appe-
lé Nanday. Je m’y rends un jour avec Black, puis on a peu
à peu mis en place une connexion sud-ouest".
Soudainement, la zone ouest devient un lieu de résis-
tance. Les membres du mouvement hip-hop de la capitale
et de toute l’agglomération commencent à l’ériger en lieu
de référence. Certains d’entre eux préfèrent l’appeler le
Crew Buenos Aires Breaker afin qu’il puisse englober
tous ses membres. Parmi ceux qui y participent (indépen-
damment de leur nombre ou durée de participation), on se
souvient de : Roberto Roma, Flavio Pingüino, Sergio Tor-
tuga, Pollo, Ojuez, les frères Polo, Marcelo Herrera, Cho-
ri, Julio, Fabio, Claudio y el Pequeñin, Dj Bart (Fabian
Caruso), Ruben, Roberto "tito" Caro et Eduardo Caro,
71
Carlitos, Money, Marcos Vicent, Mike D, Frost, Edy, Je-
sus, Chicho, Roxana Soraci, Fabiana, Gisella et Silvana,
Freddy dancer, Jazzy Mel, El abuelo Pablo, Gustavito,
Pitufo, Adrian, Mc Ninja, Mr Funky, Gino, Cali D, Derek,
Dj Fabry, Lady Killer, Robyto, Dj Black, Hollywood, Ja-
vier Chucky, Ufi, Martin - Charli Breaker, Nestor Fernan-
dez, Hugo Aliendro, Hugo Ferreira, Chino David,
Chunchi, Murdok, Alejandrito Airport, Gustavo Pedot, El
negro Pablo, el Bofe, Alejandro el tarta, Marito, Walter
Britos, Adrian Palermo, Dany Diaz "Pochin" (le cousin de
Funky), Dj Buda, entre autres.
72
Jazzy Mel mais on me demande de le changer en Jezzy
Mel. J’avais peur de ne pas pouvoir utiliser mon vrai nom.
C’est des conneries que tu as dans ta tête à ce moment-là.
S’ils m’avaient enlevé le nom, je ne sais pas ce que
j’aurais fait...
Je suis parti seul en sac à dos et sans un rond. C’était
l’époque où le plan Austral commençait à s’effondrer ici
avec une hyperinflation dingue. Après la mort de quelques
amis, les choses ont commencé à mal tourner. En 1988, on
a arrêté de danser alors qu’on avait tous seulement une
vingtaine d’années. Soit tu travaillais 24 h sur 24 pour
joindre les deux bouts à cause de l’hyperinflation, soit tu
allais au bout de ton rêve et le jouais à fond. C’était fou
de partir, pourtant c’est ce que j’ai fait".
Au Brésil, Mario se retrouve obligé de vendre ses vê-
tements et son sac à dos pour pouvoir rejoindre la ville de
Sao Paulo. Une fois sur place, sous le nom de Jezzy Mel,
il réussit à enregistrer deux albums de rap chantés en an-
glais : Jezzy Mel Rock" (1988) et "I am Bak again" (1989)
publiés par TNT Records. Il assiste ainsi à la naissance du
hip-hop de São Paulo et partage la scène avec Thaidi, Mc
Jack, Regiao Avisal, Mc Guzula, Os Gemios, Dj Paulo
Boy et Fish, entre autres.
Jazzy Mel : "Ils ne pouvaient pas me faire de contrat
parce que je n’avais pas de logement et ce n’était pas lé-
gal pour eux de m’embaucher. Je recevais une avance sur
les redevances gagnées et "salut". Ils ne m’ont aussi payé
qu’une session d’enregistrement, 200 dollars par chanson.
Je vivais avec ça pour la journée, logement inclus. Je
louais une chambre, soit dans la maison d’une dame âgée
ou dans celle d’une famille parce que je ne pouvais pas
me permettre autre chose. C’étaient des années très dures
mais je ne m’en rendais pas compte car je ne vivais rien
que pour ça".
73
Pendant ce temps à Buenos Aires
Le marché de la musique ne s’intéresse pas encore au
rap en tant que produit commercialisable. Seuls quelques
faits isolés, comme ceux du groupe Los Intocables en
1988 avec la chanson "Me hunde y me aplasta" (enregis-
trée sur l’album Antihéroes), et Pedro Aznar (invité du
groupe La Gente de San Juan) sortent le LP Exilio do-
méstico en 1989 avec un passage rappé par Aznar lui-
même ; ou encore Los Fabulosos Cadillacs (avec la parti-
cipation de Mike Dee) qui sortent le rap "El golpe de tu
corazón", sur l’album "El satánico Dr. Cadillac" en 1989,
qu’ils jouent ensuite en direct sur l’Avenue 9 de julio, le 8
décembre de la même année.
Au sein de l’underground, certains membres des diffé-
rents crews hip-hop de la capitale et de la région du Grand
Buenos Aires continuent la pratique de la danse et du rap
malgré le côté has-been. Quelques nouveaux représentants
viennent s’y ajouter, dont Ralph74 (DJ et MC, actuelle-
ment basé à Sao Paulo, Brésil), qui forme avec Jambo et
Street Mike le groupe Grand Ralph16 en 1988. Dans ce
sens, Ralph se souvient : "J’avais l’habitude de mélanger
rap et hip house. J’allais dans les clubs pour me montrer
et je laissais une cassette en espérant une réponse. La
plupart de ceux qui nous contactaient se trouvaient en
province. La zone Ouest était l’endroit où le mouvement
se réfugiait, généralement durant les week-ends. On sup-
pliait quasiment les DJ de faire passer quelques morceaux
pour pouvoir danser ou rapper et ce, jusqu’en 1990".
16
Journal La Parroquia, No. 1754, Septembre 1993.
74
Image 17. Show de Mike Dee Rap
75
C’était l’amour
Au Brésil, Fernando Collor entre en fonction et met en
œuvre un plan économique néolibéral qui prévoit la
restructuration la plus sévère de l’histoire du Brésil : pri-
vatisation des entreprises, déréglementation des négocia-
tions salariales, confiscation temporaire de l’épargne et
des dépôts bancaires (similaire au Corralito argentin de
2001), coupes dans les programmes sociaux, etc. Le chô-
mage augmente, les salaires baissent et le pays se retrouve
en récession économique, ce qui réduit le nombre de sor-
ties de disques et les possibilités de concerts. Dans ce con-
texte, ne pouvant pas poursuivre sa carrière au Brésil,
Mario décide de rentrer en Argentine, deux albums sous le
bras, avec lesquels il fait le tour des différentes maisons
d’édition et de production avec plus ou moins de succès.
Jusqu’à sa rencontre avec Bernardo Bergeret.
Il se souvient : "Une fois rentré, je rencontre tous les
contacts que je peux, notamment Rock and Pop. Un jour,
Lalo Mir me dit d’aller voir Bernardo Bergeret qui, par
chance, me laisse entrer et m’écoute. Là, je tombe sur un
ami et un magnétophone qui me dit :
- Je ne sais pas si on va enregistrer un album mais de-
main je veux que tu participes à mon émission, "Knock
Out".
J’avais très peur car je n’ai jamais été un mec de télé
et encore moins à cet âge-là. Le programme était à 16 h le
lendemain ; j’avais donc le temps pour me rétracter.
Comme j’allais participer en qualité de chroniqueur, j’ai
donc pensé à une stratégie pour parler le moins possible
et surtout commencer à rapper a cappella. Alors, j’ai
amorcé une phrase :
- Le rap a commencé dans le Bronx avec des groupes
comme…
76
Puis, je l’ai rappé. Il s’agissait plus de rapper que de
faire une chronique et c’est comme ça qu’ils ont commen-
cé à recevoir des lettres qui demandaient que j’apparaisse
davantage dans le programme. C’est aussi à ce moment-là
qu’ils ont viré l’animateur de l’émission et m’ont mis à sa
place".
Bernardo Bergeret est l’un des premiers à diffuser sa
musique dans le pays grâce à l’émission "Knock Out" dif-
fusée en 1990 sur canal 7, une version télévisée du cycle
du même nom sur la radio Z95. L’émission est produite
par le label Radio Knock Out (rebaptisé plus tard Rave
On). Dans ce contexte, Jazzy Mel participe à la compila-
tion "Radio Knock Out" avec le titre "Olé Olé", sous le
pseudonyme de Mc Rapper. Dans cette nouvelle étape,
Mario cherche une forme plus commerciale et décide de
faire de la hip house, un style plus en phase avec le mar-
ché.
Grâce à cette exposition médiatique, il peut enregistrer
son troisième album "MC Rapper" (le premier en espa-
gnol), qui bat tous les records de vente sous le label indé-
pendant ABR Discos. La chanson "Fue amor"17 (rap
utilisant comme base la chanson de danse "Found Love"
de Double Dee) et son esthétique personnelle (veste, cas-
quette avec visière ou bandana, ce qui représentait un clas-
sique pour les jeunes argentins voulant le copier) le
mènent rapidement au succès. Le rappeur et graffeur
Cu4tro de Villa Madero se souvient de cette mode : "En
1992, quand j’avais 11 ans, il était très courant de jouer
Jazzy Mel, on était en "septimo grado" et tout le monde
imitait Jazzy Mel à l’école, le foulard sur la tête".
Cette image du rappeur est très éloignée des standards
américains comme l’explique Sebastián Muñoz (Muñoz
S., 2019) : "Il est frappant de constater que les deux re-
17
Le journaliste musical Marcelo Figuera enregistre la partie chantée du
morceau.
77
présentants les plus répandus du rap n’aient pas montré
une image associée à la "rue", au "marginal" ou à
"l’Afro", alors qu’il y avait des figures pertinentes dans le
rap américain (Negus, 1999), chilien (Poch, 2011), brési-
lien (Macedo, 2016) ou français (Hammou, 2012) en
même temps. Dans ce cas, le rap qui apparait sous l’égide
des programmes de télévision et de radio – notamment
celui des argentins Jazzy Mel et Mc Ninja et des améri-
cains Vanilla Ice ou Mc Hammer – est combo qui mélange
fun et danse. Ceci a donné un sens particulier à ce que
serait le rap pour un grand nombre de personnes". Dans
la même veine, on peut mentionner Luciano Jr, membre de
Los Fabulosos Cadillacs qui en 1991 se sépare du groupe,
se rend à Los Angeles et se lance en solo avec son fameux
clip "Ahora Argentina".
78
Il convient de mentionner que le jeune duo jouit d’une
position privilégiée, ayant accès à des systèmes
d’enregistrement et à des samplers qu’aucun autre adoles-
cent de l’époque n’a à sa disposition en Argentine, ainsi
que de l’attention des médias qui ignorent alors le reste de
la scène.
79
À cela s’ajoute le succès du showman portoricain Wil-
fred y La Ganga qui sort "Rap de la Abuela", une parodie
du rap de son pays avec un grand succès commercial, et
des Espagnols Bravo & DJ avec le titre "Difacil Rap". Une
troisième vague de rappeurs apparaît, cette fois avec des
objectifs plus festifs et commerciaux que les deux précé-
dents. Dans cette nouvelle vague, on découvre The Copro-
fagos Rap avec leur version de la chanson pour enfants "El
elefante trompita", le groupe Cumbiatronic qui fusionne
cumbia et rap, et Mr. Flippy Rap, un célèbre DJ de la vie
nocturne de Buenos Aires qui sort sous ce pseudonyme
quelques disques de rap dance et connaît un certain succès
avec "Rap de la Cotorra" et "Rap de la Cola".
Le DJ Jokey Chippy se souvient : "Mon ami était un DJ
célèbre, Néstor Arduino18. Il travaillait à Juan de la Cosa,
un club à Flores, et j’ai découvert en y allant le dimanche
après-midi qu’il faisait du rap."
Dj Bart ajoute : "Quand je suis allé voir Néstor à Juan
de la Cosa, j’ai été frappé par sa façon de rapper. Il fai-
sait des blagues et c’est ce qui le distinguait. Plus qu’un
DJ, c’était un showman, et le club Juan de la Cosa était
bondé".
Chippy précise : "El Pato C m’a dit qu’on devait faire
un disque de rap réalisé par un Argentin. On est allé voir
ce type et il a commencé à composer les paroles. Moi,
avec de simples maxis et des vinyles, en coupant la bande
analogiquement, j’ai fait les bases sur lesquelles il a rap-
pé. Le premier truc qu’on a sorti, c’est le Rap de la Cotor-
ra sur le disque Oklahoma (1990).
D’autre part, en 1989, un groupe émerge et commence
à fusionner cumbia, pop et rap. Il s’appelle Cumbiatronic
et réussit à sortir quelques albums entre 1990 et 1991.
18
Le DJ Nestor Arduino a travaillé comme DJ au club Juan de la Cosa de
1982 jusqu’à sa fermeture. Il se faisait appeler Mr Flippy Rap et a été le
créateur, entre autres, de Rap del Disk Jockey Rap et Rap de la Cola.
80
Formé par Franki B., Guason et Henry Cuevas, il mélange
pop, techno et cumbia, avec des paroles ironiques rappées
mais cela ne reste que des expériences isolées et spora-
diques.
81
Ramon, The Clash, Sex Pistol, Randy MC. Cependant, ce
que je préférais, c’est qu’ils avaient le son très actuel des
années 80. Par moments, ça me rappelait SUMO (célèbre
groupe de rock argentin). Quand Los Adolfos jouaient,
j’étais là".
Le chanteur Roman Rosso quitte le groupe et com-
mence une carrière réussie comme joueur de bandonéon.
Tortuga, qui avait apporté ses démos au groupe, le rem-
place, avec le jeune Ñocky D, frère de Gustavo Giménez.
Tortuga se souvient : "Los Adolfos avaient du rap, du
hardcore, du funk, et j’apportais toujours les démos que je
faisais avec mes amis... Un jour, le chanteur quitte le
groupe, et Iolo m’appelle. On est devenus amis parce
qu‘on écoutait beaucoup de musique ensemble".
Tortuga a été l’une des voix de Los Adolfos pendant un
an, puis Ñocky D en devient le chanteur-symbole.
Ñocky D se rappelle : "J’étais le plus proche du groupe
et je connaissais les chansons. Alors, ils m’ont appelé et
se sont dit :
- Le gars chante...
C’était la première fois que je chantais en public. On
était au début des années 90 et j’étais encore un gamin".
82
pintiño", ce dernier accompagné des jeunes Illia Kuriaky
et des Valrderramas.
On peut lire Charly García dans le magazine Pelo (n°
397, 1991) : "Si tu vois un type parler à la télé de la crise
de l’éducation et que tu es un gamin de 13 ans, tu changes
direct de chaîne. Mais s’il te raconte la même chose en le
rappant un peu, tu obtiens un truc incroyable qui attire
ton attention et t’attrape par son rythme".
L’album passe inaperçu sur le marché, nettement de-
vancé par un autre sur lequel le duo García Aznar travaille
en parallèle (le projet Tango 4) puis, l’année suivante avec
la reformation du groupe Seru Giran – après 10 ans de
séparation.
83
Chapitre 5
En guise de conclusion
85
nécessaire d’ajouter à la vision du rap ou du hip-hop en
tant que mouvement culturel, celle de sa symbolique de
résistance politique et sociale. Selon Weller (2011), le hip-
hop se mute en mouvements de résistance esthétique et
politique car il joue un rôle-clé dans le développement,
l’action et la pratique contre les préjugés et l’hostilité en-
vers l’autre. Ces objectifs communs se transforment en
sentiment et la reconnaissance de "ne pas être seul" ren-
force l’esprit d’associativité, augmente l’estime de soi et
inspire la recherche de nouveaux moyens pour combattre
les problèmes auxquels ils sont confrontés au quotidien.
Quelle que soit l’orientation spécifique d’un groupe de
rap, de graffiti ou de breakdance, le hip-hop inspire de
nouvelles formes de collectivité. La création d’espaces
sociaux, d’expériences partagées par le biais d’activités
esthétiques et politiques permet aussi de développer de
nouvelles stratégies pour affronter la discrimination.
Dans ce sens, le rap argentin a fait ses premiers pas, a
formé ses premiers crews et a survécu jusqu’à aujourd’hui,
parfois influencé par la façon dont le marché a défini ceux
qui font l’histoire et ceux qui ne la font pas ; ceux qui pas-
sent à la radio et ceux qui sont réduits au silence ; ceux sur
lesquels ont doit écrire et ceux qui doivent être oubliés.
En 1995, le supplément "Si" du journal Clarín choisit le
duo Actitud María Marta comme groupe révélation mais
la télévision continue de prendre le rap pour quelque chose
de naïf. Entre 1994 et 1998 sur Telefe, Fena de la Maggio-
ra et Carlos Sturze ont formé le duo comique "Los Rapor-
teros" dans l’émission de variétés "Videomatch". En
même temps, plusieurs fêtes clandestines ont maintenu le
rap actif et en évolution. En 1997, avec l’aide d’Alejandro
Almada, la compilation Nación Hip-Hop et sa suite ont été
publiées. Le 21e siècle commence par la remise du Latin
Grammy au Sindicato Argentino del Hip-Hop (alors qu’il
devait être présenté le 11 septembre, un événement sus-
86
pendu en raison de l’effondrement des tours jumelles), et
en 2009 MTV choisit un groupe de rappeurs du quartier de
Fuerte Apache comme "révélation de l’année". Fin 1990,
le marché du rap espagnol commence à changer
l’hégémonie américaine et rafraîchit le rap local.
L’Organisation Mustafa Yoda réalise un rap avec ses
propres caractéristiques, sans oublier la société de produc-
tion Sudametrica. Mais, en 2005, l’irruption d’internet 2.0
change le marché des biens culturels, et donc celui de la
musique. Une deuxième génération (l’actuelle) est apparue
que nous appellerons "Rappers 2.0".
87
Piste bonus :
Bande sonore officielle
du livre "De Pibes"
par Argentina Tango Rap
89
l’histoire du rap en Argentine. Le tango a toujours été la
voix du quartier et c’est la même chose avec le hip-hop.
La popularité du tango dans les années 40, on l’a due à la
simplicité et à la description urbaine de la classe moyenne
inférieure". (Díaz, 2019).
Nous vous invitons à écouter la musique en lisant le
code QR suivant depuis n’importe quel téléphone por-
table :
"De pibes"
Voix et samplers : Smoler Bazz
Basse et chœurs : Mariano Rucci
Batterie et chœurs : Alejandro Rucci
Bandonéon : Ricardo Badaracco
Guitare électrique : Amílcar Velázquez
90
Bibliographie
91
Díaz Juan Facundo (2019), "Cómo el trap se convirtió en
el aliado menos pensado del tango", Rolling Stones
Magazine, Buenos Aires : 10 septembre.
Di Cione, Lisa. (2012). "Musicología de la producción
fonográfica. Técnicas y tecnologías en la escena del
rock durante la década del ‘80 en la Argentina". Docu-
ment présenté lors du Xe Congrès de l’Association in-
ternationale pour l’étude de la musique populaire,
section Amérique latine (IASPM-AL). Córdoba, 18-22
avril.
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Centro Editorial Universidad del Rosario
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Weller, W ; Paz Tella. (2011). A. Hip-Hop in Sao Paulo,
Identity, Community and Social Action. Duke Univer-
sity Press.
93
Table des matières
Avant-propos .................................................................. 3
Chapitre 1 - Rap et hip-hop ...................................... 11
Chapitre 2 - Préhistoire .............................................. 17
Le rap, cette musique ................................................... 21
Rap en espagnol ........................................................... 23
Chapitre 3 - Au commencement
était le Break ................................................................. 25
Les éléments s'assemblent ............................................ 35
La "Vieja Escuela" (première génération
de Hip-Hop dans notre pays) ........................................ 40
La Morón City Breakers ............................................... 42
Le Caballito City Crew ................................................ 46
Bron-K-Beat ................................................................. 47
Chapitre 4 - La renaissance du rap.......................... 51
Los Adolfos Rap........................................................... 52
Club Nocturno .............................................................. 59
Presa del Odio .............................................................. 65
The Coprofagos Rap..................................................... 66
95
Chapitre 4 (suite) - La mode, ça évolue ? ............. 69
Pendant ce temps à Buenos Aires ................................ 74
C'était l'amour............................................................... 76
Illya Kuriaky et les Valderramas .................................. 78
Troisième naissance. Un Rap simple et drôle .............. 79
Les Adolfos font partie du disque 13/20 ...................... 81
"Radio Pinti", ou Charly García de retour au rap ........ 82
Chapitre 5 - En guise de conclusion ....................... 85
De Pibes, Argentine Tango Rap ................................... 85
Piste bonus : Bande sonore officielle du livre
"De Pibes" par Argentina Tango Rap .................... 89
Bibliographie ................................................................ 91
96
Structures éditoriales
du groupe L’Harmattan
Nos librairies
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75006 Paris
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