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l
GEORGES SIMENON


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1

J Maigret lend un piege


Roman policier adapté en francais facile
par Charles MILO U

LIBRAIRIE HACHETTE
79, boulevard Saint-Oermain, Paris VIe

. .
............ .-.- ................... �-·,.

CARTE D'IOENTITÉ

Titrc Maigrct tend un piége.


Auteur Georges Simeoon
Séric Récits
Age des lecteurs A partir de 12 ans
Nombre de rnots Enviren 3 500

O Libmir,e Haclutu, 1973.


u Loi du 11 man. ,9.s7 n'autorbant, aux termes des alin�as 2 et J �e
d'une par t que tes , copies ou r<¡,roductions slnctemtnt réservées a I usage P ,rArticleJ:�
da co istc'el non dntinN.'S l une utitisation eoueeríve -. el, d·autze part, que les
aoaly � et eouetes citationsdans un bu t d'excmpte et d'illustration, • toute reprdé·
�talion ou reproduct ion 1.nt�gralc., ou part.iel.l", f&ite �� le �te:m��t e
l'auteur ou de ses ayants droit ou ayanl$ cause, est 1lhc1te • (almfa i de
1
l'Arlicle �o). ·
Cette représenratton ou reprodu�tion, par quelque. prccédé que � so1td U-
tueraít done une conrretacoe sanc:ttonn�e par lts Articlts 41.s et suivants "°�
o e
plnal.
Qui es! Maigrel?

Maigret est deuenu, d'année en a1111ée, á trauers plus de


cent romans policiers, un personrzage aussi connu que
Sherlock Holmes.
Qyand l' écriuain belge Simenon a donné pour la pre­
miér« fois le nom de Maigrel a un jeune commissaire • de
police franfais (on dit maintenant officitr de police), a­i­il
pensé au bel avenir qu'il allait acoir ? Seul Simenon pour­
rait le dire. Mais aujourd' hui Maigret est oioant, el bien
uiuant, dans l'espri; d'une Joule de lecteurs.
O« est­il ni ? L'Affairc Saiut-Fiacre nous l'apprend :
dans un peti! uillag« du Centre de la France ; a qurlques
kilométres de la vil/e de Moulms ..Son pere était régisseui *
au cháieau de Saint­Fiacre. Aup,; dt ,e pér«, .\laig,el
apprendra l'homziteti el i'amour du traoail bien fait.
Maigret aurait uoulu devenir docteur, Mais, en ce
temps­lá, Les études coútaient cher ; il sera fonctionnaire
1 dans La police . Nommé commissaire a Paris, il deciendra
bienwt dlibr«. Les joumalistes connaissent son bureau
du quai des Orflures car, bien súr, toutes les ajfaircs dijji­
ciles sont pour tui. Et chaque fois, ou presque; il trouuera
� la solution.
s
·
e
e
1 Solide, large d'épaules, toujours calme, il a gardi les
qualius du paysan francais : dur au traoail, sérieux,
honnéte. Un seul petit difaut : La pipe ou plutót les pipes,
-
e
car il en a plusieurs, qu'il remplit aoec soin, d'un geste
lent et appliqui. Maigret vous te dirait : dans les momenis

3
---- ,.

dijficiles, une bonne pipe de tabac gri_s, ;� aide a réfléchir/


Alaigret 11' est pas seul da11S lt: vze : il y .ª M"" }¿ai­
gret, une femme excel(ente, .Plein; « qu�lztés ; t�u¡ours_
inquiete pour son man ­ bien sur,. il [azt un méuer .si
dangereux ! Mais elle cache !ºn inqudtuds. Elle. suü,
de loin, les ajfaires de son man, sans poser. de questi�ns :
une femme de policier ne doit pas étre cune�e. Pati�nte,
dévouée, voila M'"' Maigret . Ah! nous allions oublier :
c'est une excellente cuisiniire comme beaucoup de femmes
frontaises ...
Nous I'ouons dit, Maigret réussit toujours ou p_r�sque.
Pourquoi ? Ce n'est pas un James B_ond, un polu�er �e
cinéma, un spécialiste du co�p de f�u; i_l n'a presque jamais
d'arme sur iui . Non, Maigret réjléchit et .comprend. Son
grand seeret, e· est de sauoir retrouve� les sentiments, les pen­
sées de l' homme qui a commis un cnme. Un mot, un regard,
w1 mouoement lui disent plus que des pages et des pages
de notes ou de rapports. Il se met, par la _pensée, a la Pl<:ce
du criminel. JI étudie son passé, ses habitudes, ses qualités
et ses défauts el, souueni, le force a dire la. vérité alors
qu'il ny a pos encere de oraies preuues centre lui.
Ajoutons en.fin que Maigret est un pa!ron, le « patron �>
comme disent ses agents, qui ont pour luz une.gran1e admi­
ration. Et aussi que Maigret trauaille en équipe : ti a par­
tout des camarades qui sont préts a l' aider et a le suiore,
les Lognon, les Janvier, toujours d'accord pour partager
ses peines et ses risques. ,. . .
Maigret est­il heuteux ? Disons qu il aune son 1;létier e�
qu'i! aime réussir. Mais il reste modeste et la meclz:incelt
des hommes ou leur folie luí remplissent le caur de ��stes.se.
Car Afaigret 'a bon ceur ; il a souuent autant de p1tié pour
le coupable que pour la victime. C' est !ªns dout� ce cóti
humain de son personnage qui le rend sz sympathique aur
ye11x des lecteurs, et explique, pour une bonne part, son lrts
grand succis.
Charles MILO U.

\
échir/
}¿ai­
u¡ours_
uer .si
. suü,
i�ns : Des jourtulisles • tris curieux...
ti�nte,
blier :
emmes

r�sque.
�er �e On était Je 4 aoüt. Le commissaire Maigret avait
amais ouvert toutes Jes fenétres de son bureau. Mais l'air du
d. Son dehors érait aussi chaud que J'air de la piécc oú le
s pen­ commissairc travaillait.
egard, Que! été ! Maintenant , Maigrct enlcvait veste et
pages era vate.
Pl<:ce Son ami, Je comrnissairc Janvier, faisait de rnérne.
ualités Mais un autre de lcurs collegues ·, Lognon, avait,
alors lui, gardé sa cravatc - une tres belle cra".ate
rouge - et portait un étonnant chapcau de paille.
tron �> Jamais on n'avait vu Lognon habillé ainsi ; alors,
admi­ quoi, a la Policc ' judiciairc, c'était un peu Jes
a par­ vacanccs?
suiore, Hélas ! Les vacances ! c'était pour les autrcs, ceux
artager qui avaient la chance d'aller au bord de lamer et de
. pouvoir se baigncr daris l'cau fraiche ...
étier e� Maigrct poussa la porte du burcau voisin et
lz:incelt demanda :
�stes.se. « Est-cc que Baron, le journalistc, est lá?
ié pour Dcpuis une demi-hcurc, patron.
ce cóti Pas d'autres journalistes?
ue aur Le petit Rougin vient d'arriver.
on lrts Pas de photographcs?
Un seul. »
O U. Ces trois personnes, Maigrcl savait qu'eJles vien-
' 5
draient. Non pas devant son burcau, mais dcvant le
burcau de son colleguc Bodart.
Car Bodart allait in terroger •, dans un momen�, un
voleur dont on avait beaucoup parlé dans les jour-
naux : Bénat. .
C'cst Maigret qui avait demandé a Bodart d'intcr-
roger Bénat. Car, pour voir. Bénat,. les journa�istes
viendraient. Et Maigret avait besom que les JOUr-
nalistes soient la ...
Bénat entre deux policiers, venait d'entrer chez
Bodart. 'Quelques minutes. aprés, on vit arrivcr dcux
autres poljcicrs; ils poussaíent de�ant cux u� _homme
assez Jeune qui cachai l son visagc derriere son
chapeau... . . .
Déjá, les trois journahstes 9uittaien� le bureau de
Bodart et couraient vers cclui de Maigret. .
« Qui �t-ce? demanderent-ils. C'est pour Mai- M
gret ? » . . , . at
Ces journalistcs conn�1ssa1e�t tres bien les _homme�
de Ja poi ice parisienne, i ls avaient tout. d_e suite pense
a une grosse affaire en voyant dcux policiers du guar- ch
tier Montmartre amener un suspcct • chcz Maigrct. im
lis continuaicnt d'interroger Lognon
« C'est pour l'assassin ·? Celui qui a tué cinq la
femmes dans le quartier de Montmartre?
- Je ne peux rien dire. de
- Pourquoi?
Ce son t les ordres du patron.
Mais cct homme, d'oú venait-il? Oú l'avcz- so
vous arrété " ? gr
Demandez au comrnissaire Maigret.
- C'est pcut-étre l'assassin? jou
- Je vous dis que je ne sais pas. » .
_ Le commissaire Lognon s'en �ll<l:,- � de co
dire : « Comprenez-moi,jevoudrais bien dire quelque ..
ici
chose, mais je ne peu� pas ... » •

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Mainunant, ils étaien! cinq joumalistes et pholographes qui
attendaient au bout du couloir.

Maigret sortit a son tour, entra dans le bureau du


chef, aveo le regard de quelqu'un qui fait un travail
important et difficile.
Quand il ressortit, les journalistcs étaient touiours
la. · �
« Di tes-nous, au moins, si e' est pour les cri m es "
de Montmartre ?
- Je n'ai rien a dire pour le moment. »
A_ leur tour, plusieurs fois, Lognon et Janv.ier
sortirent du bureau eje Maigrct et entrérent chez le
grand patrón.
« C'est sürement une affaire sérieuse » dit, un des
joumalistes. '
A :e mome.nt, un� jeune femme s'avanca dans le
couloir ; une journaliste, elle aussi.
..« Tiens ! voila �aguy, qu'est-ce que tu viens faire
ici ? •

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La mérnc chose que vous.
Mais quoi?
Attcndre. Combien sont-ils lá-dedans ? dcman-
da-t-ellc en montrant le bureau de Maigret.
_ Cinq ou six. On ne peut pas les comptcr, \a
entre et ¡;:a sort tout le temps. .
_ Alors c'cst tres séricux, tres important ? .
_ Tres; ils ont fait venir de la biérc ", du pain
et de la viandc froide. .
- lis sont la jusqu'á dcrnain !
- L'homme arrété, vous l'avez vu? . .,
_ Qui, mais pas son visage. Il se cachait dernere
son chapean.
- Jeunc? . •
:- Ni jeune,. ni, v�eux;. tre�te ans1 pcut-etre. »
Maintenant, ils étarcnt cmqJournahstcs �t.photo-
graphes qui �tlcndaient au bout du couloir .

A huit heurcs et dcmic du soir, Maigret sortit �e


son burcau les chcveux mouillés. de su�ur ·, I'air
fatigué. ll fit deux pas vers les JOurnahst�s, puis,
comme quelqu'un qui change d'idée, revint dans
son burcau.
« IL a chaud, dit Maguy.
- Celui qui est assis en face de lui doit avoir
encore plus chaud », ajouta B�ron. . ,, .
La nuit était venue. Les JOurnahstes s étaient
assis autour d'une table et jouaient aux cartes •. Un
employé avait ouvert toutes les fenétres ; d� temps
en temps un peu d'air arrivait jusqu'au?' JOueur�.
Enfin, a onze heures du soir, ?º entendit un bruit
de chaises dans le burcau de Maigret.

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Tous les journalistes s'étaicnt levés. La porte
s'ouvrit ; le comrnissaire Janvier sortit le prcmier,
an- suivi du suspect, le visage toujours caché derrierc
son chapeau. Maintenant, les photographes cntou-
\a raient les trois hommcs et prenaicnt photos sur
photos. Un momcnt, Maguy fil tornbcr le chapcau,
. mais l'homrne mit ses dcux mains dcvant son visagc
ain et les dcux cornmissaircs, qui l'avaient pris sous les
bras, se dépéchercnt de sortir.
Maigrct était rcntré dans son burcau, suivi des
, journalistes.
ere Quel bureau ! Partout des bouteilles vides, des
verres, des papiers déchirés, des bouts de cigarettes
dans tous les coins... ·
. » Maigret, qui venait de se lavcr les mains, rcmcttait
to- sa veste et sa cravate.
« Alors, Commissaire, vous allcz bien nous dirc
quelquc chose? »
Maigrer les rcgarda avec les gros yeux qu'il avait
LOujours dans ces morncnts-lá, et qui scrnblaient
regarder les gens sans les voir.
« Qui est-cc, Commissairc?
�e Qui?
air L'hommc qui sort d'ici.
uis, Quelqu'un avcc qui j'ai beaucou p parlé.
ans Un suspcct, quelqu'un qui a vu I'assassin de
Montrnartre ?
- Je n'ai ríen a dirc,
voir - Vous l'avez mis en prison ·?
- Messieurs, je voudrais vous Iaire plaisir, mais
ent cette fois je ne pcux rien vous dire.
Un - Vous nous direz quelque chose dernain?
mps - Je ne sais pas; peut-étrc.
ur�. Vous allez voir le juge?
ruit Pas ce soir; quelle heure est-il ?
Onze heures et demie.

l
9
- Bon le restaurant du « Dauphin » est encore
'
ouvert · je vais aller manger un morceau. »
.
Tout le monde sortit; Maigre_t, Janv!er et Lo�non
entrérent au restaurant. Les journalistes, qui les
avaient suivis, s'arrétercnt au bar· pour prcndrc
un café. De ternps en tcrnps, ils jetaicnt un rcgard
vers les trois policicrs qui parlaienl a voix bassc,
l'air séricux.
Quand ils furcnt partís, tout changea. Maigret,
le premier, releva la tete; un sourirc tres gai, tres
jeune, monta a ses levres.
« Et voila ! la plaisanterie • est fin ic. »
Janvier dit : , . .
« Je crois que nous avons tres bien joué la comé-
die •. Mais qu'est-cc qu'ils vont écrirc?
- Je n'en sais ríen, mais ils écriront sürcrnent
quelque chose, et quclque chose de tres ?ien, de tres
étonnant, vous verrez.
- El s'ils voient qu'on les a trompés?
- 11 ne faut pas qu'ils le voieni. Pas tout de suite.
Demain, la comédie continue . .)'espere que vous
rr'avez ricn dit a personne?
- A personne. »
JI était minuit et demi quand Maigret rcntra
chez lui. 11 aimait bien marchcr a pied. Plusieurs fois,
il avait rencontré des femmes seules-: chaque fois, il
avait vu la peur au fond de leur regard.
C'est que, depuis six rnois, cinq femmcs qui,
comme elles, rentraient a la maison, ou allaient
chez une- arnie, cinq femmes qui marchaient, seules,
dans les rues de París, avaicnt été assassinées.
Chosc ét.onnante, les cinq femmes avaient toutes
été tuées dans le mérne cndroit de Paris : a Mont-
martre.
Ces cinq crimes, Maigret les connaissait mieux
que personne : il savait tout sur l'endroit, sur l'heure,

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... depuis six mois, cinq femmes aoaient été assassinées dans
les rues de París.

l'ágc des victimes·, leur mérier, Ieurs vt'·tnncnts,


leurs habitudes. Cent fois, il avait pensé «t repensé
a toutcs ces choses.
L'assassin « travaillait » toujours de la mérue rac;on :
un ou deux coups de couteau dans Je dos; vétcments
de la victime déchirés en plusicurs cndroiis. Ei ricn
de plus, pas de vol.
Un fou, pensa Maigret.
Mais un fou tres adroit. Tout de suite aprés le
deuxiéme crime on avait doublé le nombre des
policiers ; toutes les nuits, des agcnts all.rient,
venaient, surveillaient ' chaquc rue ci'e Morumartrc.
Mais l'assassin ne se laissait pas prcndre.
Mm• Maigret avait entendu les pas de son mari
dans l'escalier. Elle ouvrit la porte.
« Tu _es fatigué?
- 11 a fait chaud.
11
r
r=:

- Toujours nen sur l'assassin?


- Toujours ríen. .
- J'ai entendu, a la radio, que vous avrez Ion-
gucmen t interrogé un suspcct. ..
- Déja !
- On dit que c'est pour l'affairc de Montrnartre :
c'cst vrai?
- Oui et non. »
Elle ne demanda rien de plus. Une fernrnc de
policier ne doit jamáis étre curieuse. A chacun son
métier.
Un peu plus tard, tous les dcux dorrnaienr, la
fenétre grande ouverte.

11 arriva le lcndemain a neuf heures a son bureau


sans avoir cu le temps de Jire les- journau.\ Le tél_é-
phone son na. Des lesprcmiers mots, 11 sut qui l appclait.
« Maigret?
Oui, rnonsieur le Jugc.
Tour cela cst vrai ?
De quoi parlcz-vous?
De ce que discnt les journaux.
- Je ne les ai pas encare lus.
- Vous avéz arrété quelqu'un?
- Pas du tour.
- Je ne comprends ,ríen. a ccuc .histoire ; c'est
moi qui m'occupe de I affaire �es c1,n9. cnr:ics de
Montrnartre, vous scmblez l'oublier. J airnerais vous
vorr.
- J'arrive, monsicur le Juge ... »
• '-l ¿
12 �
1.

Le juge Coméliau l'attendait. Et on voyait qu'il


n'était pas tres content ...
on- « Tenez, lisez ... »
Un des journaux disait :
La police tient­elle enfin l' assassin ?
re : Un autre :
Long interrogatoire d la Police judiciaire
Est­ce le criminel" de Montmartre ?
de . « J,e vous fais rcma��uer,. commissairc, que j'étais
son hier a mon bureau : J y suis resté toutc la journée.
Et no�s avons, vo_us et _moi, l� iéléphonc. Pourquoi
la ne m avez-�o.us nen dit, puisqu'il se passe • des
choses aussi importantes ?
- Mais il ne s�passe ríen.
- Et c� que je lis dans ces journaux?
Les journalistes écrivent ce qu'ils veulcnt.
. Et cet homme que vous avcz interrogé pcndant
six heures?
eau - Je n_'ai interrogé personne.
él_é- - Mais enfin, expliquez-vous !
ait. Une personne est venue me voir, hier, c'est
vrai.
Un suspect?
Un ami.
- Et pcndant six hcurcs vous avez parlé a votrc
ami!
- Le tem ps passe vi te.
- Qui est cet hommc?
- _ün tres gentil garc;on du nom de Mazet. Il a
'est travaillé avec moi, voici dix ans. Il a voulu voir des
de pays. étrangcrs, changer de vic. Il est parti pour
ous l'Afnquc. Et Je voila revenu.
- Et c'est pour lui que vous faitcs cctte comédie
a la Police judicíairc? »
Maigret se _leva, ouvrit la porte, vi t que personnc
ne 1c0couta1l et cxpliqua �
« Oui, j'avais bcsoi_n d�un _hommc qui ne soit �as
connu, et qui voudrait b1er� JOue1� d,ans ,not�e �ct1t,e
comédie le rólc • de I'assassin. Et ti I a tres bien joué.
- Vous auricz pu m'en parlerr
- Non, monsicur le Juge. J'cssaie quelque_cho��;
si c;:a ne va pas, je ne vcux p�s que vous soyez mquie-
té ", Je prcnds tout sur mor,
- Qu'est-ce que vous croyez? Que le vr�i. cri-
mine! va recommencer pour vous montrer qu il est
toujours la et que la police s'est trompée?
Oui.
C' est une idée a vous ? ·
- Oui et non. » av
ch

Pa
Ma
doc
P
ava
dan
con
et
C
Ma
rnéd
par
son
par
C
pro
I
pro
«
gen
trop
Les idées du prolesseur Tisso!

· Depuis bien des années, Maigrct et sa femmc


avaient l'habitude daller, une fois par mois, dtner
chez leur ami, le docteur Pardon.
Ces díners étaient tres agréables. Le docteur
Pardon faisait toujours venir, en méme temps que
Maigret, une personne importante, souvent un
docteur comme lui.
Parfois, ces personnes, célebres · dans leur méticr,
avaient entendu parler de Maigret , célebre lui aussi,
dans les affaires criminellcs. lis avaient .. cnvie de le
connaí'tre, de lui poser des qucstions sur son métier
et sur les grands criminels.
Ces rencontres avec des médccins plaisaient a
Maigret. Ilavait voulu, quand il était jeunc, devenir
rnédecin ; mais les études coütaient chcr et ses
parents étaient pauvres. Il esr vrai que· les criminels
sont souvent aussi des malades et qu'ils tuent poussés
par une serte. de folie.
Ce soir-Iá, le docteur Pardon avait fait venir le
professeur Tissot, célebre médecin psychiatrc".
Ils parlérent dabord de choses et d'autrcs, puis le
professeur dit a Maigret .:
« Vous avez un terrible métier, la vie des honnétes
gens est un peu entre vos rnains ; un crimine] arrété
trop tard, et c'est un crimc de plus. »

15
•J
¡

Maigret comprit que le professcur pensait a


l'affaire Montrnartre. Et le professeur avait raison :
c'était une terrible affaire. TI ne fallait pas seulcmcru
punir un assassin : il fallait avant tout ernpécher
qu'il rue encere. Cinq femmcs étaient mortes. Et ce
ri'était sans doute pas fini.
• Mais que faisait la police? Elle avait fait tout ce
qu'ellc pouvait, nous l'avons dit. C'est que l'nssassin
n'était pas un crimine! comme les autres ; un dcrni-
fou, sans doute, mais tres intelligent.
«Je connais ces sortes de malades, dit le professeur,
celui-la ne se laissera pas prendre facilement.
Ah ! je ne voudrais pas étre a votre place ! Les gens
s'inquietent, les journaux racontent n'irnporte quoi,
vos chefs donnent des ordres, et puis les changent :
aujourd'hui on fait ceci et demain on fait le contraire:
e' est bien ca ?
� Exactement <;a, dit Maigret.

... le professeur Tissot aoait raison : c'ét�it une terrible affaire.


t a - Je pense que vous avez noté ' tout ce qui était
on : scmblablc • dans ces cinq crimes?
mcru - C'est la prerniére chose que dorr faire un
cher policicr, profcsscur, et je l'ai fait.
t ce -Etquelle est votrc rcmarque la plus importantc ?»
Maigret fut étonné de cette question; d'habi tude,
t ce c'est luí qui posait les questions, pas les autres. Mais
ssin on parlait entre -arnis, et puisque cette affaire intéres-
crni- sait tellement le proíesseur, Maigret répondit :
« La chose a noter d'abord, c'cst que toutcs les
eur, victimes sont des femmes, habillées assez simplcment,
ent. pas tres grandes. Mais nous avons noté beaucoup
gens d'autres choses. »
uoi, On arrivait a la fin du repas, Mm• Pardon ser-
nt : vait le café.
ire: « Bien sur, continua le professcur, l'hcure par
exemple. »
On voyait qu'il connaissait bien l'affaire ; il avait
dü Jire avec soin toutes les informations • que don-
naient les journaux .
faire. « L'heure, en effet. Le premier crime a été
commis • a huit heures du soir, au mois de Iévrier.
il faisait nuit. La victime du 3 mars a été tuée quinze
a vingt minutes plus tard. Et les autrcs crimes ont
été commis a des heures de plus en plus tardivcs, Le
dernier, en juillet, quelques minutes avant dix hcures
du soir. On voit tres bien que l'assassin attend,
chaque fois, que la nuit soit vcnue.
- Et les dates.' ?
- Elles sont toutes la, dans ma tete, et je les ai
étudiées vingt fois, pour voir si I'assassin avait un
plan•, s'il suivait une idée. J'ai d'abord pensé a la
lune, quand elle est dans son plein.
- Les gens croient beaucoup que la lune a une
action • sur les plantes, les animaux, et mérnc les
hommes.

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Et vous, vous y croyez, professeur?
Comme médecin, non.
Et comme homme?
Eh bien, je ne sais pas ... peut-étre ...
De tout facon, l'explication n'est pas bonne ici.
Deux crirnes sur cinq seulcment ont été 'commis des
soirs de pleinc lunc. J'ai aussi pensé au jour de la
semainc : il y a des gens qui boivent toujours un peu
plus cl'alcool le samedi, ou le lundi, qui est un jour
triste. Mais ccci ne donne rien non plus; l'assassin
frappe n'importe quel jour de la semaine.
« Autre chose, dit Maigret : le quartier; tout se
passe dans quelques rues du quartier de Montrnartre.
Il est sur que l'assassin a une grande habitude du
quartier. Il connait les endroits éclairés, et ceux qui
ne le sont pas, et aussi toutes les petites rues par oú
il peut s'échappcr aprés avoir tué. C'est pour i;a
que nous u'avons jamais pu le prendre, et mérne
que personnc ne !'a jamais vu !.
.Je croyais que les journaux disaient le
contrarre.
- Ils disent n'irnpor te quoi. Nous avons tout
contrólé ". Tenez, la dame du premier étage, rue
Rachel, celle qui donnc le plus d'informations : un n
homme grand, maigre, avec un manteau jaune, et n
un chapeau gris baissé sur les yeux ... D'abord, c'est p
ce que nous racontent neuf personnes sur dix, daos p
ces sortes d'affaires. Les gens ne voient pas, ils
croient voir. Ensuite, nous sommes allés chez elle : p
de sa fenétre, il n'est pas possible de voir l'endroit
du crime ! Pour le petit garcon qui, lui, a bien vu v
quelqu'un, il n'a pas pu se rappeler et il n'a prcsque m
nen dit. Ce qui est ccrtain, encore une fois, c'est que
l'homme connait tres bien le quartier. Beaucoup
disent mérne qu'il l'habite et chacun surveille son l
voisin ! Nous avons re9u plus de cl!'flt�Iettres de

18
personncs nous disant que dans lcur ruc ou mérnc
daos leur maison, un homme paraissait suspcct,
qu'un autre av�it un vilai� rcgard, qu'un autrc
cnc�r� se cachait po�r �ort1� ! Nous avons pensé
aus�1 ª. un h?rnme qui n habitcrait pas le quarticr
rnais vicnd rau y tra vailler. •
- Et vous avez controlé tout ca ? Tous les
cmployés, les ouvriers, les domestiques· ?
- Tout. II a fallu des centaines d'hcures. Et je
ne parle pas du travail fait dans nos burcaux, de
toutes les listes· de crimincls plus ou moins fous que
nous avo:is rcvues de tre� w�s. ( t>'l ,-�e�)
- Mais rcvenons aux victimes. Se rcssernblaieru-
elles ? ·
, - T �cs p�u. L'une d'elle est née _e� Bretagnc,
I autre a Paris ; une autre dans le M1d1. .. Pour la
profcssion, mérne chose : on trouvc une bouchérc
un� infirmicr�, une employée des postes, une femm�
qw travaillait chcz elle. Ccrtaines habitaient le
quarticr, d'autrcs pas. Nous avons voulu aussi savoir
si ces femmcs se connaissaient : pas du tout.
- Qucl travail, Commissaire !
- Nous avons été plus loin; nous savons qu'elles
n'.alla_icnt pas dans les mérnes boutiques, qu'ellcs
n ava1enL pas le mérnc docteur, qu'elles n'allaient
pas dans les mérnes cinémas, qu'elles ne partaient
pas en vacances dans les mérnes cndroits.
- On peut done dire que l'assassin prenait la
prcmiére venuc, sans choisir.
. � Pas tout)l fait; vous a vez vu les photos des
victimes, elles sont toutes assez petitcs plutót grosses
mérne la plus jeune. ' '
­ Je l'a��is. noté, aussi », <lit le professcur.
Maigrct s etait leve; les deux hommcs allérent vers
la fenétre. Une pluie fine cornmcncait a tornber.
« 11 y a une question que je me pose, <lit Mai-
J

gret. Pcut-étrc pourrez-vous y répondre mieux que


moi.
« Cet homme, cct assassin, n'est plusJ,ln enfant. IJ
a vécu vingt ans, trente ans, ou encore plus sans
commettre de crime. Et tout d'un coup il se met a
tucr, cinq fois en six rnois. La qucstion queje me pose
est ccllc du commcnccment. Pourquoi, le soir du
2 févricr, a-t-il commencé a étre un assassin? Le
·I er février c'était cncore un honnéte homme, le 2
c'était un crimínel ! Vous, profcsscur, voyez-vous
une explication ?
- Je ne sais pas si je pcux donner une bonne
explication; je vais essayer. Qa ne sera pas une
explication de policier, mais une cxplication de
médccin. Devant des crirncs aussi répétés, tout le
monde pense que c'esi la l'action d'un fou ou bien
d'un demi-fou. Et je le pensc aussi.
« Mais quand un homme est-il fou? Et quand \
est-il simplement un crimine! que le juge peut punir? 1
Bien sur, le juge inrerrogera Je médecin psychiatrc :
si le médccin trouve, dans le cervcau • de I'assassin,
une blessurc, ou quclquc chosc qui n'cst pas normal",
il peut dirc : cct hommc n'est pas un crirninel, c'est
un malade. Mais, bien souvcnt, il ne trouve ríen et
ne peut rien dire de sur.
« Pour votrc crirnincl, je croís qu'il faut cherchcr
une cxplication psychologique • et mérne fairc appel
aux idées de Freud.
- Et vous a vez une idée ?
- .Je crois, mais je ne sais pas si je peux la donner.
Peut-étre qu'elle ne vaut ríen, et je ne voudrais pas
vous lancer sur un mauvais chemin.
- Si c'est un mauvais chemin, je n'irai pas,
Dires-rnoi ce que vous penscz.
- J'ai souvent été appelé par les juges, dit le
docteur Tissot, pour donner mon avis sur des crimi-

20

4 • • > '\_ º..J


º)OIB!'l?J\' np 1!CA'l?
J r � .,q'
/ -(
e neis. Presque toujours, j'ai trouvé cccí : ces hommes

J
.. �ta�ent des faihles. qui voulaient faire croirc qu'ils
eta1entforls. Ce qui les pousse a tuer, c'est l'orgueil ' . ....>
ns - C'est bien vrai, dit Maigret. Et tres soavent ils
a veulent que quclqu'un de lcurs amis - des femmes
e quelquefois - sachent _que c'c�t cux les coupables ·,
u eux qui ont tué, eux qui ont fait cctte chose terrible
e dont tout le monde parle. '
2 Et vous n'avez pas questionné les filies des
us ba_rs? Certai_ns garcons de mauvaise vie qui tra-
va.illent. aussi un P.eu pour la policc?
e - S1, vous pensez bien. Mais personne n'a nen
e pu dire.
e - Vous pensez done que ce n'cst pas un crimine!
e de profession ? ·
n - Non. C'est sürcrnent un homme qui a une vie
normale, un rnéticr, pcut-étre une fcmme, des
d \ enfants. Et tout d'1m coup sa folie le prcnd, il
? 1 tuc ...
: - Et comme il est seul a savoir, il souffre • dans
, �on orgue,i_l. Voila pourquoi, aprés quelques jours,
, il Jaut qu 11 recommencc. Je pcnse, en effet, qu'il
t recornmencera. Et c'est ainsi que vous pourrcz le
t prendrc. Car vous le prcndrez. 11 y a, chez ces
sortes de crimincls, quelquc chose qui les pousse a
r se faire prendre, un jour ou l'autre, pour que tout
l le monde connaisse enfin leurs crimes : c'cst encore
une sorte d'orgueil. Je ne veux pas dire qu'ils vont
tout droit a la police, non. Mais ils jouent au
. chat et a la souris • : me prcndra, me prendra pas ...
s Ils ont de moins en moins pcur : tout va si bien ! et
tout d'un coup, clac ! la souris est prise.
, - Je reviens a votre idée, dit Maigret : l'orgueil.
Et si quelqu'un était prisa sa place, si en ouvrant son
e joumal, le tueur lisait : « L'assassin de Montmartre
- enfin arrété »... que ferait-il?

21

e t: .... --r. . :"' ............ º ... ••vr '""�ll!Q ... "'- ...::."-411
- Je pense qu'il aurait envíe d'une scule chose :
montrer qu'il cst toujours la, libre, plus fort que la en
police. Il faudrait done qu'il tue une fois de plus ...
- C'cst vraijdit Maigret, plusieurs fois j'ai vu des bo
crirnincls écrire auxjournaux ou a la police pour dirc:
« Vous vous trompez, l'homme que vous arrétcz n'a Je
pas tué, c'est moi, l'assassin ... » av
- Une pareille lettre vous aidcrait ?
- Je le crois; nous aurions au moins quclquc lc
chose, alors que pour le momcnt nous ne savons m
ríen du tucur, ríen ... M
- Oui, mais écrirait-il? Et s'il préférait tucr, une se
fois encore ?
- Tout est possible >>, dit Maigret, jou
Il était tard. On se dit au rcvoir, Maigret el sa co
femmc, qui habiiaient tout pres, rernrércnt a picd. pe
« Voila une bonne soiréc, dit Mmc Maigrct.
Mme Tissot est une femme tres intelligcnte. Et luí?
- Tres bien, répbndit Maigret : tres intéressant. »
Ce fut pcut-étre en s'endormant, ou peut-étrc le
rnatin, au réveil, que Maigret eut l'idée de tcndre
son picge •. .
Et voila - c'était une chance! - voila que ce écr
rnatin, Mazct était venu a son bureau. Un vieil ami, M
de la police cornme lui, partí pour l'Afrique dcpuis dit
plus de dix ans, · d'a
« Qu'cst-ce que tu fais a París?
- Je me soignc; les moustiques ont été plus forts dit
que ma santé. le
- Tu es la pour longtemps ? la
- Cinq ou six semaines. Aprés, j'aimerais bien -
rentrer dans la police parisicnne : l' Afrique, c'cst ch
fini pour rnoi. Ce serait possible? . -
- Bien sur, d'accord; et pourquoi pas tout de -
suite? J'ai besoin de toi. de
Vrai? po

22
- Viens me chercher a midi. Nous déjeuncrons
ensemble et nous parlerons. »
lis avaient déjeuné dans un restaurant, a l'autre
bout de París.
« ll ne faut plus qu'on se voic pres de mon burcau,
Je ne vcux pas que les journalistcs te rcconnaisscnt »
avait dit Maigrel. '
EL Maigret avait expliqué son plan : dcux col-
lcgucs. du cornmissariat de Montrnartrc, que J'on
mcttrau clans le sccrct ·, conduiraient Mazct chcz
Maigrct. Mazet cacherait son visage. Des journalisics
seraicnt la ...
Et ('affaire avait parfaitement réussi : tous les
journaux parlaient de Maigret, des deux autrcs
commissaires et d'un homme longuemcnt interrogé,
peut-étrc l'assassin ...

« Vous connaisscz les journalistes : il faut qu'ils


écrivcnt, mérnc quand ils ne savcnt ríen», expliquai;
Maigrci au jugc Coméliau. Nous, nous n'avons pas
dit un mot. On ne peut done pas nous rcprocher
d'avoir mcnti,
- Vous n'avez pas menti ; mais vous n'avez pas
dit la vérité non plus. Et si demain, parce que tout
le monde croira l'assassin arrété, des femmes sortent
la nuit ce se font tuer?
- J'y ai pensé; rnais il fallait bien fairc quelquc
ch ose.
- Fairc quoi?
- Voila, j'ai été voir le chef des agents de policc
de Paris, Vous savcz qu'ils ont des femmes-agents
pour certains serviccs, dans les hópitaux, les écoles, cte.
Elles sont fortes et courageuses. Je luí ai demandé
J
de me préter cinq ou six de ces employées - celles
qui voudraient, bien sür. •
- Vous avcz Iait \a sans me le dire, encare une
fois?
- Je ne suis pas sur df ré1;1ssir; s� ca , ne
marche pas, il ne faut 1;as qu on �b_sc : I� jugc � est
trompé. On dira que e est le policier. C cst rnieux
comme 9a.
- Et vos fernrnes-agents, vous les avez ?
- Je les ai. Beaucoup voulaient venir; elles sont
tres courageuses. J'ai pris celles qui, p�r J'a�e� par
les formes ressemblaient un pcu aux cinq vicnrnes.
j
Elles se p;omeneront cl�ns le qua�tier comrne si elles
q
rentraient de Jeur travail ou sortaient pour aller chez e
un voisin. On les mettra en place vers dix heures du
p
soir clans les rues mal éclairées. I
� Pour tout dire vous tendrez un piége ? d
- Je tends un p{ege, comme fait. en �frique le
chasseur qui attache un mouton au pied d un arbre
m
pour faire venir le Iion qu'il veut tuer. Seulement, s
ici, ce ne sont pas des moutons : ce sont des femmes
solides et bien préparées a l'attague • ···. » . é
Le jugc écoutait Maigret; il comprenait, rnais cette e
affaire ne lui plaisait pas. d
« Savez-vous, Commissaire, que je n'aime pas
9a du tout? . . . q
- Moi non plus, dit Maigret. Mais quoi ? On ne s
peut pas laisscr ce fou continuer ... » M
s
a
d
e
.. d
f
J

/Jn qustlier bien surveillé

A la Police judiciaire, a u tour du b�reau de _Maigret,


)a comédie continuait. Les journalistes éta1ent. tou-
jours la : _Baron, biei:i sur,_ et Maguy, la plus c_une!1se,
qui n'avait peur de nen m de personne, et os�1t m<_:me
entrer dans un bureau sans frapper, parfois meme
prendre un papier qu'on. avait �ublié su� une table I. ..
Il y avait aussi d'autres journalistes, moins connus, et
des photographes. .
Ils restaient la jour et nuit; quand les uns all�ent
man�er, ou dorrnaient un peu, les autres revenaient
surveiller la porte de Maigret.i. . .
C'étaient des gens tres forts dans l�ur m_ét1_er, ils
étaient toujours la pour les grandes affaircs cnmrn�lles
et connaissaient les habitudes et la facon de travailler
de la police aussi bien qu'un policier. .
Pourtant, aucun ne devina • qu'on les trompan e�
qu'on leur jouait la cornédie. _Tres occuJ?és par ce qui
se passait - ou ne se passa1t pas - a la porte ?e
Maigret, ils n'avaient pas vu que tous_ les comm1�-
saires et inspecteurs • des a u tres quartle:s de Pans
avaient quitté lcur bureau et se regroupa1ent autour
du quartier de Montmartre. Comme des voyageurs
en vacances venus de loin, ils étaient descendus dans
des petits hótels du quartier, quelquefois avec leur
femme.
Dans les rues, il faisait toujours aussi chaud.
Beaucoup de Parisiens étaient partís pour la campagne
ou la mer, mais les étrangers avaient pris lcur place.
Aussi, les patrons d'hóte1 ne s'étaient pas étonnés
de voir des clients qui dcmandaicnt une chambre
avec des Ienétres sur la rue. D'habitude, ils dcman-
daient plutót une chambre calrnc ", loin du bruit.
Mais, avec les étrangcrs, allcz savoir ! lis voulaient
peut-étrc voir vivre les Parisicns de ¡;¡lus ¡:¡res ... ?
On pensera peut-étre que Maigret préparait son
piége avec trop de sérieux ; mais l'affaire était telle-
ment importante! Et on ne savait toujours ríen sur
l'assassin : un homme cornme tout le monde, que
personne ne rcmarquait. C'était peut-étrc un bon
pére de famille, un bon rnari, un ouvrier, un employé,
un comrncrcant ou pcut-étre méme un juge ou un
médccin ! Tout était possible.
Et pourquoi pas un patrón d'hótel? C'est pourquoi
Maigret n'avait pas voulu que ses agents se pré-
sentent en disant: « Police, donnez-moi une chambre
sur la rue, et pas un mot a personne. » Non, il fallait
le plus grand secret.
Quand Maigret, aprés avoir vu le juge, revint a
son bureau, tout le groupe des journalistes lui tomba
dessus.
« Monsieur le Commissairc, vous venez de chez le
juge?
- Je suis allé chez le juge Cornéliau cornme je
fais tous les matins. '
- Vous lui avez parlé de l'homme que vous avez
interrogé hier?
Nous avons parlé de plusieurs affaires.
- Vous ne voulez ríen nous dire ?
- Ce n'est pas c;a; je ne sais ríen etje n'aí rien a
dire : je ne peux tout de mérne pas raconter des
histoires, pour vous faire plaisir ! »

1
d. Maigret entra chcz le grand patrón. Luí aussi
e semblait inquiet :
e. « Vous avcz vu le juge?
s - Oui, nous avons parlé.
e Et il vous laissc contínuer? II cst d'accord?
- - Il n'a pas dit oui, mais il n'a pas dit non. Si
. l'affaire tourne mal, tour me rciombcra sur le dos,
t ¡;:a il est d'accord !
- Alors, vous continuez ;>
n - Il faut trouvcr I'assassin : croycz bien que tout
- ceci ne m'amuse pas.
r - Vous pensez q�r les journalistes encore
e longtemps?
n - Je fais tout ce que je peux pour ¡;a : jusqu'á
, maintenant ca n'a pa.� mal réussi. >'
n

On avait fait venira Montrnartrc des policiers de


tous les quartiers de París pour survciller les endroits
les plus dangereux. Maigrct n'avait pas voulu qu'on
lcur clise tout de suite la vérité : ils croyaient qu'on
les mettait la pour remplacer lcurs collegucs en
vacances. C'est que dans les affaires difficiles on a
toujo�rs pcur que quelqu'un parle trop.
Maigret avait revu le profcsseur Tíssot et Iui
avait posé quelques questions.
« Est-ce que notre assassin est vrairnent intelligent?
avait demandé Maigret.
- Oui, je crois, ces gens la ont une espéce • d'intel-
ligence •. Par exemple, ils jouent tres bien la comédie.
Je suis sur que cet hornme-ci, aprés son crirne,
rentre chez lui, embrasse sa fernrne et se met a
table comme s'il revenait d'une prornenade. E'il n'est

1
pas marié, il sort avec des amis, ou alors il les ren-
contre au café, il plaísante, il parle de la pluie et du
beau temps : qui -pourrait penser qrr'il vient de tucr
quelqu'un? Le lendernain, il va a son bureau a son
atclier. Et voyez comme il est adroit : jamais personne
. .., -. ne "I'a v.u a cóté de sa victime : on ne J'a mérne
pas �·.,'courir ou essayer de se cacher.
. - J� voudrais encore vous poser une question :
cmq fois, cet homrne tranquílle, cet homrne comme
vous et rnoi, a changé d'árne et d'une minute a
l'autre est devenu un criminel. Mais comment
change-t-il? Est-ce qu'íl choisit sa rue? Est-ce qu'il

pe_nse longuement _ce qu'il va faire? Est-ce qu'il
suit longtemps sa victime? Ou bien est-ce que l'envie
de tuer vient tout d'un coup, au hasard d'une
rencontre, quand il voit une femme scule · dans la
rue? Ce serait tres important pour moi de savoir
cela. S'il tue la premiére venue, c'est qu'il habite le
quart_ier, ou un quartier voisin; ou alors, il vient
travailler a Montmartre cbaque soir. Mais si l'envie
de tuer luí vient plusieurs jours avant le crime alors
il peut habiter a l'autre bout de París et venir a
Montmartre seulement pour y choisir une victime.
Mais pourquoi Montmartre? Pourquoi pas un autrc
quartier? Seul l'assassin le sait. »
Le professeur Tíssot avait écouté Maigret et il ne
répondir pas tout de suite.
« Il est difficile de donner son avis : pensez que
nous ne savons ríen du malade ... je veux dire : de
l'assassin. Je crois qu'á un moment il doit partir en
chasse, comrne une béte. Et la, ce n'est plus le mérne
homme : ses yeux voient plus loin, ses oreilles
entenden t le plus léger bruit; il devine le meilleur
rnornent et tue.
- Bon, mais il rencontre, tout au long des rues
beaucoup de femmes qu'il pourrait tuer : pour-

28
- quoi, tout d'un coup, choisir celle-ci et non pas
u celle-lá ?
r � Peut-étrc un geste, un coup d'eeil, une parolc
n qui lui font peur. Peut-étre tout simplement la
e couleur de la robe. A-t-on noté la coulcur des
e robes?
-:- II Y en avait de t?utes les couleurs, dit Maigret,
mais pas de couleur clairc ; surtout des gris. »
··�

Ma�ntenant, Maigret était revenu a son bureau.


Il ava1t. enlevé sa veste et sa cravate. Quelle chaleur !
Il ouvnt la porte du bureau voisin :
« Tu es la, Janvier? Ríen de nouveau?
-Non.
- Pas de· lettres ?
.m.:,,Quelques lettres de gens qui accusent • leurs
voisms, comme d'habitude.
- Il faut voir ca, il y a peut-étre du vrai dans une
?e ces lettres. Maíntenant je voudrais voir Mazet,
11 est la?
- Oui, il est en bas, Je vais le chercher?
- Oui, mais qu'il cache bien son visage.
- Je lui mets les menottes • ?
- �h ! non, pas �a ! » ·
, Ma1gi_-et ne �oulait pas pousser la comédie jusque-
la. Les journalistes se trompaient, ils croyaient que
Mazet était I'assassin, et ils I'écrivaient dans Jeurs
journaux ; bon, mais Maigret pourrait toujours dire:
« Cet homme? dans mon bureau? Mais c'était un
vieil an:i a moi ! Je ne vous ai pas trompés ... e' est
vous qm vous étes trornpés ... Il fallait attendre avant
p'écrire. » '
du matin donnaient pcu d'information, mais po-
saicnt beaucoup de questions, sur l'homme ínterrog�.
« Si la policc avait pu, disait \'un d'cux, rile aurait
mis un sac noir sur la tete du suspcct, pour que
pcrsonne ne le voie ! » . . .
Cela arnusait Mazct. 11 aidait les autrcs, donnait,
Jui aussi, des coups de téléphone, rracait, sur le p�an,
des traits au crayón rouge, tout �e.urcux de trav�1ller
a nouveau avec la police parisiennc. Ah,! _si l�s
journalistcs av�i�nt su que le « suspcct » erait lui-
mérne un policier ! ,
Quand le gar�on_ de res�aurant frappa a la por!e,
tout le monde repnt son role : Mazet tourna la tete
pour cacher son visa�e, Maig:ret s'cssuya le, front
d'un air fatigué. J anvier prenait des �?tes. pes que
le gan;on fut sorti, on se Jeta sur la biére et tout ce
qu'il y avait a manger... . .
« Mes amis, di t Maigrct, une �01s �e derruc� mo�-
ceau de pain avalé, un dur travail m attend ; Je vais
me reposer un pe�
.

ll passa dans un burcau vorsin, se rnit dans un


fauteuil et forma les yeux.
IJ se révcilla deux heurcs plus tard et eommanda a
Janvier et a Lognon de se reposer eux aussi, l'un aprés
l'autrc. C'est que la soiré_e alla�t �lr� du�e. Plus le
tcmps passait et plus M?1g:et el/'.•t. mquict. �st-c�
qu'il allait s� montrer_? fa st ce.º e_tan pas �on_Jour �
S'il attendait dcux jours, trois jours, dix jours :
On ne pourrait pas continuer longternps a garder
quatre cents personnes sur place ! .
Maigret avait cnvoyé Lapointe, un de ses rneilleurs
.1
po- inspecteurs, faire le tour du quartier su1;eill�. La-
g�. pointe, en veste blcue, le chapeau sur l oreillc, Ja
ait cig_arette a la bouche, Jouait ª1:1 gar�o� de 1� poste
que qui porte les paqucts : 11 poussait sa peute voiturc et
. toutes les dix minutes s'arrétait dans un café pour J
ait, téléphoner a Maigret. Tout était en place, mais
an, l'assassin ne se rnontrait toujours pas.
ler Maigret essayait de dcviner ce qui allait se passer :
l�s en ce mornent, alors que la nuit n'était pas encare
ui- venue, que faisait l'assassin ?
Était-il chez lui? Préparait-il son arme? Peut-étre
r!e, était-il déja a la recherche de sa victime. I1 marchait
ete dans la rue, le couteau en poche. Pour les gens qui
ont le voyaient, il était un homme comme les autres ;
que on lui parlait, on lui serrait la rnain, un gar�on le
ce servait a table; et l'assassin aussi parlait, riait peut-
étre ...
o�- Et si Maigret et le professeur Tissot s'étaient
ais trompés? Si Je tueur se disait : bon, ils ont trouvé
un coupable ? Tres bien, je rn'arréte ... Et si l'assassin
... changeait de quartier? C'est qu'en plein mois
d'aoüt il y a bcaucoup de rucs dans Paris oú pendant
plusieurs minutes prcsque personnc ne passe :
un assassin a dix fois le tcmps de frapper et de s'en
aller tout tranquillcmcnt !
un L'assassin pouvait aussi, toujours pour les mérnes
raisons, frapper avant que la nuit soit venuc ! Avant
a a mémc que les Iernmcs-agents aient pris Jeur place
rés dans les enclroits que Maigret avait choisis. Alar�,
le tout ce beau travail n'aurait serví a ricn et il y aurait
-c� une victime de plus.
r Maigret essuya la sueu r qui coulai t sur son front.
rs �: Il continuait de penscr a tout ce qui pouvait ernpé-
der chcr son piége de bien marchcr. Par exemplc :
pourquoi l'assassin tuerait-il toujours dans la rue?
urs Qui sait si, un soir, il ne frappcrait pas a la porte

33
r

Q;á sait si, un soir1 l' assassin ne .frapperait pas a la porte


d'une maisoriou une ftmme seule habüait ?
d'une maison oú il savait qu'une femme seule habi-
tait? C'était si facile !
Maigret regarda le ciel : a ce mome!1t de l'a�née,
il faisait nuit vers neuf heures et dernie. Ce soir, la
lune ne serait pas trop brillante : il y avait quelques
nuages daos le . ciel. . .
« Les joumahstes sont toujours dans le couloir ?
demanda Maigret.
- Il y a Baron et son photographe, les autres sont
allés díner.
_ J'y vais, moi aussi: » • •
Maigret rentra chez lui et dina la fenetre ouverte.
« Tu as eu chaud, <lit Mine Maigret, en regardan�
la chemise de son mari toute mouillée de sueur. S1
tu sors encore, il faudra changer de chemise.
- Je sors.
- Votre suspect n'a pas parlé? »

34
Maigret ne répondit pas, car il n'aimait pas lui
mentir.
« Tu rcntreras tard?
- Je pense, oui, que je rentrerai asscz Tard.
- Pcnscs-tu toujours que, quand ccuc affaire
sera finie, nous pourrons, nous aussi, prcndrc des
vacances ? »
Cettc année, ils dcvaicnt allcr en .13rctagnc. Mais
elle avait maintenant l'habitude de ces vacanccs
retardécs de mois en mois ...
« Peut-étrc », murmura Maigrct.
Pcut-étre, cela voulait dire : oui, si je réussis ce
soir ; mais si le tucur ne fait pas ce que j'cspcrc, si le
,professeur Tissot et moi nous nous sornmcs trompés,
il n'y aura pas de vacances : tout sera a recommencer ·
.
les journaux accuseront la police, l'inquiétude •'
porte grandira chez les Parisiens, le juge Coméliau dira :
« J'avais raison, tout cela est votre Iautc ! » Et
peut-étre mérne que le chef de la Police judiciaire
abi- devra s'expliqucr devant le ministre· ... Mais le plus
terrible, c'est qu'il y aurait encere des fcrnrnes assas-
née, sinées, des employées, des ouvriéres, de bonncs meres
r, la de famillc parries pour acheter leur pain ou rcvcnant
ques de chez une amie.
« Tu sembles fatigué », lui dit M"'c Maigrct,
.
oir ? 11 leva les épaules comme pour dirc : Bah ! un
peu plus,, ?n yeu moins ... Il était trop tót pour partir;
sont la nuit n était pas encore ven u e. Maigrct allai t d 'une
piéce a l'autre, remplissait sa pipe.
Il finir par s'arréter devant la fcnétre et regarda la
erte. rue un long moment.
dan� Pendant ce temps, sa femme avait preparé une
r. S1 chemise propre et brossé sa veste.
Quand il fut prét, il revint a son bureau et sa
femmc vit qu'il prenait son pistolet •, et le glissait •
dans sa poche, ce qui n'était pas dans ses habitudes. 1

35
c

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Maigret allait d'une piice a l'cutre ... Il finit par s'arréter sa


deuant fa fenétre. ét
11 n'avait aucune envíe de tuer quelqu'un, mérne
un crimine! aussi dangcreux que celui-Iá ; rnais, la,
il fallait d'abord sauvcr les Icmmes ...
lJ descendit et traversa la rue : une voiture
conduite par un policier l'attendait.
« On y va, patron?
- On y va, répondit Maigret; place Clichy. »
Bien assis a u fond de la voiture, il regardait
chaque passan t ", chaque café, chaque coin de rue.
« Passe par la rue Caulaincourt, pas trop vite,
comrne si tu cherchais une maison. »
Il y avai t encere beaucoup de gens dans les rues, et
d'autres aux fenétres, qui respiraient un peu d'air
frais. Beaucoup de clients aussi dans les cafés et les
restaurants, clont les tables arrivaient presque au
milieu des trottoirs.
Mais Maigret savait qu'a cóté des grandes rues,
si vivan tes, si éclairées, il y avait a quelques pas de la
des douzaines de perites rues sans lumiére et oú peu
de gens passaienr. C'est la. que l'assassin frapperait ...
Maintcnant, Maigret aurait voulu que tout aille
vite; il avait envie de voir l'assassin en face, de voir
son visage, de savoir qui il était ; il était fatigué de ne
voir, dans son esprit, qu'une forme, une ombre mal
dessinée. Avait-il un visage de fou? les yeux d'une
béte méchantc? Ou simplement la tete d'un bon
pére de famille? Ah ! le tenir enfin, le rcgarder droit
dans les ycux et lui dire : « Maintenant, parle! » ,

Tout en avancant, Maigret reconnaissait au pas-


sage les policiers qu'il avait mis en place. Tous
étaient la, l'ceil bien ouvert. De tcmps en ternps, une

37
fernme passait, perite, assez grosse, habillée simple-
ment : une des íemmes-agcnts qui attcndaient
T atraque du LUCUT ••.
Mais combien de tcmps allait-on attcndrc? Dcpuis
son prcmier crimc, le tueur avait toujours frappé un
pcu plus tard ; seulemcnt, dcpuis une sernaine, les
jours devcnaient plus courts, il faisait nuit un pcu
plus tót.
Alors, qu'allait faire l'assassin?
Daos une minute, ou cinq, ou dix, on cntendrait
pcut-etrc le cri d'un passant pris de peur a la vue
d'un corps couché sur le trottoir. C'était comme �a
que les choses s'étaient passées, les autres fois.
Et cette fois, comment allaient-elles se passer ?
« Qu'est-ce que je fais, patron? demanda le
chauffeur.
- Rcviens vers la rue des Abbesses. »
11 aurait pu prendre une voiturc-radio et attcndre
les informations des policiers qui surveillaient les rues,
mais tout le monde connaissait les voitures-radio de
la policc. 11 ne fallait pas que l'assassin soit inquict :
qui sait s'il n'observait pas longuement le quartier
avant de fi�ppcr?
Mon Dieu, pensa Maigret, faitcs qu'il n'y ait pas
de victime ce soir ! A dix heures, il ne s'était ríen
passé. Tout allait bien ; trop bien ! Il ne viendra pas,
pensa Maigret. 11 fit arréter la voiture pres d'un
café et demanda une hiere. Avant de sortir, il donna
un coup de téléphone a la Police judiciaire. Ce fut
J anvier qui répondit :
« Rien d'intéressant ; un marin qui avait trop bu
a frappé une filie dans un bar. Mais il était sans
arme et se trouvait en France seulement depuis
trois jours.
Les journalistes sont toujours la?
Non, ils sont allés dormir. »

38
le-
nt

uis
un
les
cu

ait
vue
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?
le
.. · il Y aoait a quelques pas de la des doueaines de oetites mes
dre saus lumiire.i, ' r

ues, De temps en temps, une femme passait ... 111,c des [emmes­agents
de qut auendaient l'auaque du tuera ...
ct :
tier

pas
íen
pas,
'un
nna
fut

bu
ans
puis
Janvier sortit; Maigrct téléphona a Lognon.
« Lognon ? ... Bonjour. Quoi de nouvcau dans ton
quartier?
- Peu de chose; un homme m'altendait ce matin
devant ma porte, il m'a suivi. Maintcnant, il cst en
bas en face du cornmissariat.
� Envoie un agent lui demandcr ses pap1ers.
C'est sürcrnent un journaliste.
- Je le ero is aussi.
- Bon je t'attends ici, avcc Janvicr. Vous Ierez
montcr Mazet, cornme la dernicrc fois.
- Tout de suite?
- Disons dans dix minutes. »
Quand Mazet apparut • entre deux _policic�s, dans
le couloir, les photographes et les J?urnahstes �e
levérent comrne poussés par un ressort .. Mazet avait
encore mis son chapeau devant son visagc : Maguy
s'approcha de luí et réussit, une fois encare, a faire
tornber le chapean, mais Mazet, les <leux mains devant
la figure, le ramassa et entr_a dans_ le bureau. de
Maigret. Infatigables, les journalistes lancaient
question sur question : pas de réponse !

Pendant ce ternps, dans les rues de M�ntm�rtre,


les policiers prenaicx:it place, le:1-tem�nt, silencieuse-
ment • : ces journahstes sont si cunett:x ! Le� �ues
étaient assez calmes. Beaucoup de boutiques étaient
fcrmées : patrons et employés prenaient leurs
vacan ces.
Au total, c'était quatre cents perso_nnes que Maigr�t
avait mises en place dans le quaruer. Il y en avait
partout : dans les hótels, dans les cafés, daos des
chambres placécs en coin de rue, avec des fcnétres
regardant sur les deux directions.
Les femmes-agents, elles aussi, recevaien t des ordres.
Mais, pour que le seeret soit bien garué, -on ne les
avaient pas réunies : tour se Iaisait par téléphonc.
Vingt policiers venus des villcs voisines avaicnt
loué des voitures (on connaissait trop bien IC's voiturcs
de police de la capitale !). lis savaicnt oú 1·t quand ils
devraicnt passer dans le quartier, comrnc s'ils_étaient
des voyageurs a la recherchc d'un restaurant ou
d'un hotel. Tout ceci se préparait sous les ordres de
Maigrct qui ne sortait plus de son burcau.
« Janvier, <lites qu'on nous apporte de la biére et
de quoi manger. » !1
Ainsi, les journalistes croiraient encere a un long
interrogatoire du suspect. Et de toute facón, personne
n'aurait le temps d'aller dincr : il y avait tellernent
de travail a faire pour mettre le piegc en place !
Le commissaire Lognon intéressait beaucoup les
journalistes : pourquoi portait-il cette belle cravatc
rouge? Pourquoi un chapeau de paillc?
« Rien a voir avec l'affaire, dit un jcune journaliste
qui savait toujours tout ; sa femrne est partic en
vacances, alors Lognon s'habille comme un jeune
homme ! ... »

Au vrai, les journalistes croyaient toujours a


I'hornme au chapeau; ils étaient maintenant une
dizaine dans les couloirs du comrnissariat, qui atten-
daient avec I'idée qu'ils seraient les prerniers a
annoncer que l'assassin de Montmartre était enfin
arrété. Les joumaux de l'apres-rnidi, camine coux · ... .. .
.. · , ··: '.3-;.;:··
; .-Ji;�
-
Avallt de sortir, ,\laigret donna u11 coup de tiliphone ti la Police
Judiciaire.
Ils ont bien fait, pensa_ Maigret ; �e toute fa�on,
c'est manqué. Mon assassm est peut-etre tr�nqmlle-
ment assis dcvant la télévision ... ou alors 11 est en
vacances au bord de la mer, ou a la montagne, et
ui sait? en Afrique, pcut-étre ...
q Par momcnt, Maigret perd�lt courage. !ant de
travail, tant de gens mis a surv�11l�r, _et pcut-�.tre tout
cela pour ricu I Car, enfin , qut disait que. l idée de v
Ti�ot étai t bonnc ? Et si I'assassin n'éta1� p�s un
orguc1·11 cux· ·;,. S'il n'érait pas poussé
. . par I envie de;,
monircr qll'íl u'avait pcu•: �e n�n' ru d e personne. t
Dans quellc affaire s'éta1t-d mis. a
« Alors, patrón, oú va-t-on ? C
_ Oú tu voudras. » • . l
Le rcgard étonné du c�auffeur le gcna : lui, le t
chef il n'avait pas le droit de pcrdre courage. 11 f
fall¡il aller jusqu'au bou t.
« Monte la rue Lepic. »
IJ passa devant l'endroit oú, voila deUJC mois, on
avait retrouvé Je corps de I'infirmiére ... Cinq femmes
assassinées, et le tueur était toujours libre, prét
peut-étre a Irappcr de nouveau ! Et il pensa aux
femmes-agcnts qui, en ce momcnt mérne, se prorne-
naient dans le quartier ; c!Jes jouaient leur vie dans
cette affaire. Bie11 sür, tous les policicrs font un
métier dangcreux . .Mais la, c'était lui, Maigret, qui
avait cu l'idée. Bien sur, toute la journée, avec ses
collegues, il avait étudié Je plan du quartier; il avait
tout préparé, mis des hornmes a tous les endroits
dangcreux. Mais on peut toujours oublier quelque
chose. Les rneilleurs agents peuvent, a un mornent,
étre imprudcnts '.
Maigret rcgarda sa montre : il était plus de
dix heures. L'assassin ne s'était pas montré ; il était
trop tard, il ne se montrcrait plus.
Tant mieux, pensa Maigret, au moins, la vie de
mes agents n'est plus en danger.
ll passa place du Tertrc ; c'était, en plcin París,
commc une fétc de campagnc; on jouait de la musiquc
dans tous les coins, aux tables des cafés les gens
buvaicnt de la bierc ou du vin blanc. Et, pensa
Maigrct, a moins de cent mcr res, les rues sont presque
vides et le tueur pcut encoré frapper sans qu'on le
voie !
« Rcdescends par la ruc Junot. »
Des jcuncs gens marchaient lentemcnt sur le
trottoir ; quclqucs-uns, garcons et filies, s'étaient
arretés et s'ernbrassaienr. Maigrci pensa a Lognon.
C'était, de tous ses collégucs, cclui qui connaissait
le rnicux le quariicr. JI avait dü, a picd, faire le
tour ele chaque place, de chaquc rue, plus de dix
fois !
« Arrétc, dit Maigrct, écoute ! » /

41
Il scmblait qu'on entendait des bruits _de pas, des
gens qui couraient du �ólé d,c �a rue _Lcp1c._ .
lis essa yaien t de dcviner d o� venai t le br ui t. A ce
moment une voiturc de police passa.
« Suis-Ies », dit Maigret.
En quelques secon?es, ils se �rouver�nt e?tourés
de voitures-radio, qui, elles aussi, rou!a1ent a toute
vitcssc vers la rue Lepic. On cntcndi t des appels,
des cris. U_n hommc courait s�r le tr_o;toir. Enfin !
il se passait quelque chose. Mais quo1. ,�
des

ce

rés
ute l 'allaque
els,
n!

Pendant un moment, pcrsonnc ne sut bien ce qui


s'était passé ; la rue était mal éclairéc, trop de gens,
venus de partout, couraicnt dans tous les sens.
Les autos rernontaient la ruc, mais d'autres la
descendaient. Le chauffcur de Maigrct suivait
toujours la voiture de policc, qui roulait a toute
vi tesse.
« Par la, a gauche, cría un ageru. Je l'ai vu pas-
ser... »
Des gens couraient aprcs un hornme. Maigret
crut voir Lognon, qui courait aussi. Un autre, un
policier pcut-étrc, avait perdu son chapeau !
Une idée, une idée terrible, habitait maintenant
la tete de Maigret : si c'était l'assassin, avait-il rué
cncore une fois? Et qui?
Il apercut un groupe d'une douzaine de personnes ;
il regarda d'abord le trottoir, pour voir si un corps y
était couché, Il ne voyait pas bien ; pcrsonne ne se
penchait; on parlait seulernent ; quelqu'un, du
doigt, montrait le coin de la rue.
Au moment oú Maigret descendait de voíture,
un homme s'approcha; le commissaire prit sa lampe
électrique et regarda le visage de celui qui arrivait ;
c'était Lognon !
« Patron, elle n'est pas blesséc. »

4-3
· Jl aperyul u11 groupe d'une doucaine de personnes.

Maigret respira. Le piégc a marché; tout va bien,


pensa-t-il. , .
« Qui est-ce ? Ou est-il ?
- Jr ne sais p:-is. On n'a pas pu I'arréter. On
court toujours aprés luí. :.\ve� tous les h?.mmcs q�1e
nous avons dans le c1uartu:r, JC pense qu 11 sera vite
retrouvé. »
Tout en marrh.mt , ils éta icnt arrivés pres d'.un
autre groupc; :'.L!i,t;rct :·it un� Jcune Icmrne, p�tltc,
en robe bleu clair, qm souriart ; m.a1s son v1�age
tout pide· et sa rcspiration trop rapidc montraient
qu'ellc \'Cl1:tÍI cl'nvoir pr!ir, tres pcur.
Elle vit l\[aig1Tr 1·L <lit : . , . .
« Je ,·011s_dc1:1,1ndc p'.1rdon, J� n �1 pas pu le tc111�.
Pounant · JC 1 .1,·a1s bien, mais e est un serpcnt ,
cci hnmmr-Iá ! 11 ma glissé des mains ... »
Maigrct 1-cga1dai1 la jcune filie : cst-cc que ce

44
n'était pas elle qu'il avait vue, tout a l'heure en train
d'crnbrasser un garcon ? Pendant le tra�ail, pas
scrieux, 1,a !
« Teru-z, continua-t-elle ; un des boutons de sa
veste m'cst resté dans les doigts.
JI vous a auaquée ?
Oui, je passais devant ceue petite rue. Comme
vous voycz, elle est tres étroite et tres sombre.
j'ai tout de suite pensé qu'il pouvait étre la. J'ai
avancé sans aller plus vite, et j'ai tout d'un coup vu
une. ombre d_errie�e moi. Je me suis retournée, j'ai
senn u�e ':lªm qui essayait de me serrer le cou, j'ai
alors reussi a le prcndre au poignet ' et cl'un coup
bien placé je l'ai jeté par terre. »
La. foulc, place du Tertre, avait compris qu'il se
passait quclque chose; beaucoup de curieux laissant
la leur hiere et leur vin blanc, s'avancaient du cóté
d'oú venait le bruit.
Un agcnt essayait de les arréter, mais les gens
étaient a chaque minute plus nombreux. Un car de

l
police s'arréta : une dizaine d'agents se mirent en
rang, d'un cóté a l'autre de la rue.
Et I'assassin ? Maigret pensa que, pour ce soir
il n'y avait plus aucune chance : comment retrouver
un hornmc au milicu de tout ce monde?
11 se rctourna vers la jeunc fille et lui dit : « Com-
ment vous appcllc-t-on ?
- Marthc J usscrand.
- Vous avez vingt-deux ans?
- Vingt-cinq, »
C'était une filie plutót petite, assez largc d'épaules
solide sur ses jambcs. '
«Ala Police judiciaire », dit Maigret au chauffeur.
C'était la, en eflcr, qu'il pouvait avoir le plus
d 'informa t ions.
II fit monter la jcune filie a ses cótés et dita Lognon :

45
« Je rentre au bureau. Téléphonez-moi s'il y a du
nouveau. »
On, traversait la place Clichy; des gens sortaient
du cinérna. Les cafés étaient éclairés.
« Vous avcz cu peur? demanda Maígret a lajeunc
fi lle.
Pas trop, sur le moment, mais aprcs, oui, j'ai
eu tres peur.
- Vous I'avez vu?
- Oui, mais je n'ai pas �u l� ten:-ps, d_e b�en le
regarder; tout c;:a s'est lait tres v1_te : )C l ar pns par
le poignet, j'ai tiré, _il es� to0;bé; Je fais beaucoup de
sport, vous savez, JC surs _ t,res forre.
- Vous n'avez pas ene?
- Je ne sais pas. ». ., . .
A la véri té, elle rr'avait pas ene, mais avait appelé
quand elle avait vu l'homme se sauver.
« Alors vous ne pouvez ríen dirc?
- Il porte un vétcment gris foncé, ses chcveux
sont bloods, courts, et je crois qu'il cst assez
jeune. .
- Assez jeune? moins de trente ans ? plus?
- Je ne sais pas, je ne me rappclle plus.
- 11 Iallait regarder, c'est important; on vous
l'avait bien dit.
- Je sais, mais pendan� l'attaq_ue j'ai tout oubli,�.
C'est terrible, vous savez, Je pensais au couteau qu 11
avait dans les mains ...
- Et le couteau, vous l'avez vu? »
Elle ne savait plus tres bien. Maís elle. se ra�pe-
lait maintenant la couleur de ses yeux : ils étaient
bleus.
« Vous le teniez bien ; commen t s' est-il échappé * ?
- Je ne sais pas;'je ne comprends pas_. J'ai essayé
de l'arréter par le bord de sa veste, mais le bouton
m'est resté dans la mam. »
du Elle avait l'air fatigué.
« Vous ne voulez pas boirc quclquc chosc?
nt demanda Maigret.
- No_n,_ merci, j� ne bois jamais. Mais une ciga-
nc rette, oui, Je veux bien.
:----;:- Je n'en ai pas - je me suis arrété d'en fumer
'ai voila un mois - rnais, attendez. »
II arréta la voiturc..á cóté d'un burcau de tabac.
« Quelles cigarcucs furnez-vous ?
le - Des américaines. »
par C'était bien la prcrnierc fois que Maigret achetait
de du tabac blond ! �rrivé quai des Orfévres, il la
Iit monter devant lui, Janvier était la.
« Toujours ríen? demanda Maizret.
- Toujours ríen. Il court toujours. »
elé Il court �ouj_ours, ou il ese chez lui, bien tranquille,
pensa Maigret.
« Asseyez-vous, rnadernoiselle. Qa va mieux ?
ux .- Qa va tout a Iait bien, monsieur le Cornrnis-
sez saire. »
Maigrct rcdit j anvier ce qu'on savaii maintenant
á

us? de I'assassin.
« Faitcs passcr une note dans tous les commissariats
ous et dans toutes les garcs »
Puis, se tournant vers la jcune filie
li,�. « Voyons, comment était-il ? grand? petit?
u 11 - Pas plus grand que moi.
- Gros ? maigre ?
- Pas tres gros.
pe- - Vous avez dit assez jeune, essayez de vous
ent rappeler: trente, quarante ans?
- Trente peut-érre, mais pas quarante.
*? - Et ses véternents, ses chaussures ?
ayé - Je vous ai dit ce que j'avais vu.
ton - Pas de era vate?
- Si, il me scrnblc.

47
- A quoi ressemblait-il? a un ouvricr? a un
crnployé ? » . , .
La jeune fille <;ssaya1t de se r�ppe!er .. C était
difficilc. La rue n étart pas tres bien éclairée.
« II était cornrne beaucoup de gens : un ouvrier?
non, je ne crois pas ; pcut-étrc un c�ployé. Ah!
je me rnppcllc, il avait une bague au doig t.
- U ne alliancc • ? »
Elle terma les vcux pour micux se rappcler. Un
mornent elle avait touché la main de l'assassin.
« Oui, je crois, une petite bague, une bague toute
simple.
- Et les cheveux, longs, eourts?
- Pas tres courts.
- Vous norcz tour ceci », dit Maigrct a ses deux
collegucs . ,' . . . .
Maizrct cnlcva sa veste : pourtant 11 Iaisait moins
chaud,"c!cpuis une h�ure o_u dcux ; mais il n;sp�rait
rnieux aj nsi. 11 Iallait mamtcnant dernandcr a la
jeunc filie ele racontcr son histoirc par écrit.
« Asscvcz-vous a mon burcau, ne vous presscz pas,
écrivez lcnternent, pcnscz bien a tout ; mérnc les plus
perites choscs pcuvcnt étrc importantes! ». , .
Maigret savai t que, so\1.vcnt, l�s gens q�1 ccnv�nt
retrouvent des choses qu ils avaicnt oublié de dire.
« Quand vous aup:z fini, v��s m'appcllc1�ez .. »
Il passa dans le bure�u vo1s�n : LuC;as était au
téléphone. Toutes les. rrunutcs, �l recevait un appel
des voitures-radio qui con tmu aient leur recherche.
Les agents restés sur place contrólaient tous le_s hó�els,
passaicnt dans toutes les_ charnbres. Mais nen.
Plus le temps passait et moms on avait de chance de
retro u ver l' assassin.
Maigrct avait trouvé, au fond de sa pochc, le
bouton que la jeune filie avait arraché a la veste de
l'hornme. Un bouton gris, avec un petit morceau
d'étoffe. Maigret le regarda de plus pres : un bouton
comme des millions d'autrcs boutons !
Mais il fallait tout essaycr : Maigrel íit appcler
Mocrs, le chef du laboratoirc • de la police.
Au mérnc moment, Lognon appcla Maigrct.
« Alió, Lognon ?
- Oui, c'est moi; on continuc ele chcrcher.
Mais on ne trouvera ríen. J'ai vu l'hornme partir en
courant, et justement vers le quartier oú j'habite.
Tu n'as pas pu le suivrc ?
- Non, il allait plus vite que moi !
- Tu ri'as pas tiré•? C'était les ordres tirer dans
les jambes.
- J'allais tircr, mais juste a ce mornent-Iá une
vieillc femmc est sortie de chez elle; j'ai eu peur ele
la blesscr.
- Et tu ne l'as plus revu?
- Non, mais j'ai appelé tous les agents qui
étaicnt daus le coin ; nous avons interrogé les gens
clans les cafés. Au café des « Bons amis », on a vu
cntrcr u11 hommc; il a demandé a téléphoner, et il
est rcssorti sans ricn dire.
- Commcnt était-il?
- Blond, jcune, mince, sans chapeau, Il était
habillé d'un véternent sombre.
- Je te remercie.
- Je reste dans le quartier, Je continue de
chercher.
- Tu as raison, il faut continuer. »
Ce client, dans ce café, était-� l'assassin? A qui
avait-il téléphoné? Cet homme n avait peur de ríen :
il avait peut-étre <lit a sa femme de venir le cher-
cher ! Mais quelle explication lui avait-il donnée? /

49
On ne pcut pas téléphoner a sa fcmme et lui dirc :
« Viens vite, j'ai tué quelqu'un ! »
Maigret rctourna a son bureau ; la jeunc filie
avait fini d' écrire.
« J'ai écrit c?m!11e <rª. me venait, ,il. y � peut-e�r.e
des fautes, mais Je cr?•s que Je n ar �1en oublié.
- Merci » dit Maigret. Il lut rapiderncnt les
deux pages ': il n'y avait ríen de _nouveau. .
« Mocrs le chef du laboratoirc, est arrivé, dit
Janvicr. o'n !'a révcillé, il était déjá couché.
- Je vous demande pa1�d�n, di� �aigr�L en
tcndant la main a l\1oers, mais 11 Iallait Iairc vite et,
souvent, une heure de perdue cornpte pour dix, dans
ces affaires.
- Vous a vez bien fait, dit Moers ; je vais regarder
�a, vous vene� avec moi?
- Pourquoi pas. »
lis passércnt dans Je laboratoire. La, Moers
prit Je bouton et le rcgarda longuement, de tres
pres.
« Qu'cst-ce que vous voulez savoir ?
- Tout !
- Eh bien, je peux vous dirc déjá une chose : ce
bouton est de tres bonnc qualité, on n'cn trouvc pas
dans les pctits magasins. Sculs les grands tailleurs se
servent de ces boutons-lá. Demain, nous le mon-
trerons a quelques gros marcbands, et ils nous
diront sürerncnt d'oü il vient.
Et le fil?
C'cst un fil, cornme tous les fils; ríen a dire.
Bon et le morceau de tissu ?
I· - ya,' c'cst plus intéressant. Il cst aussi de tres
bonne qualité; je suis presque sur que c'cst un tissu
qui vient d'Angleterre .. ll y,ª seu_lement quatre ou
cinq vendcurs de ces nssus � Pans. On r�trouvet:a
facilcrnent le cornmcrcant qui a vendu cclui-lá. Mais

50

t
nous ne pourrons pas cornrncnccr a chercher avant
demain 8 hcures.
- Bien, prenez avec vous tous les gens qu'il \'OUS
faut et voycz tous les rnarchands de boutons et ele
tissus anglais, l'un aprés l'autre.
- Ce sera facilc, ils habircnt prcsquc tous au
quarticr du Temple. » /

Maigret allait quitter son burcau quand il vu,


dcvant sa porte, les journalistcs. II se scntair, tour
d'un coup, tres fatigué, la journée avait été diflicilc,
il voulait aller dormir; rnais les journalistcs aussi
faisaient leur dur méticr. Alors le micux était
pcut-étre de Ieur parlcr tou t de suite ...
_« On peut vous poser quelques qucstions, Cornrnis-
saire ? »
Il lcur montra la pone de son bureau, les journa-
listes cntrérent, le crayón a la main.
. « \:ot�c suspect, celui que vous avez intcrrogé
hicr, il s est échappé?
Pcrsonne ne s'est échappé,
Alors, vous l'avez rcrnis en liberté ?
Pcrsonne n'a été rernis en liberté.
Pourtant, le tueur a encere Irappé ceue
nuit.
- Une jeune femme a été attaquéc, pres de la
place du Tertre, vers dix heures.
Elle n'a pas été blessée? Elle n'a pas recu de
coup de couteau P
Non.
Elle n'est plus ici? Comment s'appelle-t-elle ?
- Son nom n'est pas important pour nous.

51

1
- Vous ne voulez pas le dire? Elle est mariée ? 1
- Je vous répcie, ce n'cst pas la femme qui nous [
intéresse, e' cst le tucur.
- On l'a vu ? 011 va I'arrétcr ?
- Peut-étre.
- Vous ne pouvcz ríen dire de plus?
- Si, je peux vous dire ce que je sais de I'hornme
de ce soir. » .
Les journalistes écrivaient, ne perdant pas un
mot ...
« Voila, c'cst tout pour le moment, dit Maigret
en se levant. ,
- Alors, l'homme que vous avez interrogé hier, e�a
vous allez le rernettre en liberté? <l, a
na
- Il n'a jarnais été arrété, c'est une personne qui
I
nous est utile pour l'affaire, c'esi tout. Plus de
sur
questions? E
- Nous vous avons vu, avec NL Moers, sortir
Ro
du laboratoire. L'assassin a laissé quelque chose?
Son arme peut-étre ? _«
rru
- Messieurs, je vous ai dit tout ce que je pouvais
vous dire. Je suis fatigué et j'ai sommeil. Vous aussi, P
con
je pense; alors, a demain. J'aurai peut-étre d'autres nal
informations a vous donner. » .,..-
pas
les
apr
rec
Q
avc
com
«
(
iyra
I ho
pas

1
1
[

Maígrel cherche une ves/e

, �out le mo1?de, ce n:atin-la, au quai des Orfevres,


e�a1tencoref�t!gué. M�1gret avait dormí trois heures;
<l, aut�es policiers avaient cherché toute la nuit et
n avaient pas dormí du tout.
Il y e_n avait mérne qui cherchaient encore, qui
surve11la1�nt les métros, les arréts d'autobus.
En. arnva:it a son bureau, Maigret avait trouvé
Rougin, _ le journaliste. Il avait l'air content.
_« Bonjour, monsieur le Commissaire. Bien dor-
rru ? »
Pou:quoi était-il si _heureux celui-lá ? Maigret
con:ipnt, en 0�1vran� le journal. C'était le seul jour-
naliste a avoir deviné la vérité · il avait lui aussi
' l . ' ' ' ' '
passe. a )Ournee a Montmartre; il avait interrogé
les ,ho�ehers, reconnu deux ou trois policicrs et,
apres I attaque manquéc du tueur, il avait suivi les
recherches de la police.
Quelques h<.:�res plus tard, son journal sortait,
avcc, en pren:uere pagc, ce litre en lettres grosses
commc le doigt :
« Le fue�r a échappé au piege tendu par la police. »
(?n lisait encere : « Notre bon ami, Je cornmissaire
iyra1grct, n�. pe�t plus, ca.cher, maintenant, que
I homme qu 11 a mterroge hier et avant hier n'était
pas un suspect. On voulait tromper les journalistes ...

53

J
et obligcr le vrai tucur a se montrcr. C'était un
piege, » . .
Et Rougin, qui était un garcon intclligcnt,
expliquait le plan de Maigret : , . . .
« Le commissaire a-t-il cru que l assassin vicndrait
pres du commissariat pour voir qui était arrété a
sa place? C'cst possible. Mais nous croyons plutót
que le cornrnissairc � joué su_r l'orgu�il de l'assassi�_;
sans doutc un dcrni-fou, qui voudrait montrcr _qu il
était plus fort �ue la po_lice. L'assassin a réussi. .. a
moitíé - Maigret auss1. » . .
Maigret entra dans le bureau de Janv1er. Son ami
était la. .
« Tu es toujours ici? Tu ne vas pas dorrnir ?
- J'ai dormi dans un fauteuil; je vais me passer
un peu d'eau s_ur la fig�re �t m� donncr un coup de
peignc, et ca rra tout a fa1t_ bien. .
- Avec qui peut-on travailler ce matm?
- Presquc tour le monde est la. .
- Appellc-moi Lognon, Lucas et deux ou trois
autrcs collegues. »
Il était 8 heurcs et la visite des marchands de
tissu anglais et de boutons a_llait �ommenccr. .
« Voici quclqucs adrcsscs, dit Maigret a ses amis.
Partagez-vous en deux groupes : les uns chercheront
les tissus les autres les boutons. »
Maigr�t. reprenait
co�_rage; _il se �sait que
rien rr'était perdu et qu il aurait peut-étre de la
chance.
Il reprenait courage, mais il n'_ét�it pas g�i; cel_a
se voyait a son· visage. Il pensa1t. a l assassm qui,
maintenant, avait donné une partie de son secret;
son image, dans l'esprit d� Maigret, était plus claire,
mieux dessinée. Il le voyait jeune, blond, sans doute
de bonne famille; il était marié, il avait peut-étre
encore son pére et sa mere. Qu'avait-il fait aprés

54
un
l'attaquc manquéc de la nuit dcrniére ? II avait
dormi, pcut-étrc ...
nt,
Le premier iravail de Maigret fut d'aller chez le
. juge Coméliau. Justement, le juge lisait les journaux
ait
du matin.
a « Eh bien, Commissaire, qu'cst-ce que j'avais dit?
tót
C'est vous qui avez lancé toute cctte affaire; et
�_; pou r arri ver oú ?
u il - L'assassin nous a laissé q uelq uc chosc ; je crois
a que c'est intércssant. Nous finirous par le rctrouvcr,
. vous vcrrcz.
mi
- Mais quand?
- Dans une sec= ine. rlans un iour, personne ne
peut le dire ... »,.
ser
de

.
ois
En vérité, il ne fallut rnérnc pas dcux heures ...
de
Chez le prcmicr cornmercanr oú Lognon était
allé, le patron avait reconnu le bouton qu'on lui
. montrait :
is.
« Cela vicnt de la maison Mullcrbach, dit-il, ils
nt
ont leurs bureaux ici mérne, dcux étages au-dcssus. »
Le patron de la maison Mullcrbach recut Lognon
ue avec beaucoup de politessc.
la
« Est-ce vous qui vendez ces boutons?
- Mais oui, c'est nous.
el_a - Pouvcz-vous me donner les noms des tailleurs
ui, parisicns qui ont acheté cctte rnarchandise ?
t;
- Je vous demande une minute.»
re, Le patron donna des ordres a un employé qui,
te
bientót, revint avec une liste d'une quarantaine
re de noms, dont une moitié était ceux de taillcurs
és travaillant a Paris.

55
« Voila, monsieur, je vous souhaite bonne chance. »
Lognon remercia et redescendit sans perdre une ce
minute. Il entra dans un café et téléphona la bonne
nouvclle a Maigret, qui était encore chez le juge. lu
« Téléphone a Janvier et aux autres, dit Maigret
et prenez trois ou quatrc adresses chacun. » ' vo
Bonn e facón de partager le travail, mais on d'
n'avait qu'un seul morceau de tissu. La encore, M
la chance fut pour Maigret; le premier tailleur
in tcrrogé rcconnut le tissu; il en avait encore; on
put done en dormer un morceau a chacun des poli-
ciers. Et la chasse recomrnenca. Dix tailleurs seule- tro
ment avaient fait, a París, des costumes de ce tissu. un
Ce fut Lucas qui trouva la bonne adresse.
Un petit tailleur polonais, qui travaillait en
charnbre, avec un seul employé. po
« Vous connaissez ce tissu? Lu
- Mais oui, vous voulez un costume ? C'est un his
tres bon tissu, tres a la mode ... po
- Non, je veux seulernent le nom du client qui
vous a demandé un costurne dans ce tissu. po
C'est qu'il y a plusieurs mois ...
Et vous ne savez plus son nom?
Mais si, c'est M. Moncin. Un monsieur tres
bien, vous savez, qui s'habille chez moi depuis plu-
s1eurs années ... » M
Le policicr prenait des notes. Était-ce possible?
Tout d'un coup, les choses allaicnt trop bien, trop da
vite ! 11 demanda I'adresse. de
« C'est au 28, rue Dufour, tout pres d'ici.
- Vous le connaissez? II est marié? M
- Oui, sa fcmmc cst venue plusieurs fois avec lui.
Elle est tres bien, elle aussi, une vraie dame. » do
Le policier remercia rapidcrnent, descendit l'esca-
licr en courant et, courant toujours, arriva au 28.
C'était done la!.,,

56
Mais il ne pouvait continuer seul. I1 ne fallait pas
cette fois, que l'oiseau s'échappát ! '
Un agent de police était au coin de la rue. Lucas
luí rnont ra ses papiers,
« Je suis de la police, surveillez cette porte; si
vous voyez sortir un homme blond, d'une trentaine
d'années, demandez-lui ses papiers ; il s'appelle
Moncin, ne le laissez pas partir.
- Mais, pourquoi ?
- Je vous le dirai plus tard ; je vais téléphoner. »
Lucas appela Maigret, mais tout d'un coup il ne
trouvait plus ses mots, il voulait tout dire a la fois,
une sueur froide mouillait son front ...
« Restez la, dit Maigret, je viens. »
Un quart d'heure aprés, plusieurs voitures de
police arrivaient. Maigret était la; en dcux mots,
Lucas luí raconta la courte, mais intéressante
his�o�re du tail�eur polonais. Pendant ce temps, les
policiers prenaient place autour de la maison.
Maigret et son collégue s'avancérent vers la
porte de la concierge ",
« M. Moncin, s'il vous plait? 1
- Second étage, a gauche. •

Vous savez s'il est chez lui?


- Je crois, je ne l'ai pas vu descendre. Mme
Moncin est la aussi. »
C'était une maison comme on en voit beaucoup
dans ce quartier, habité par des gens assez riches,
des comrnercaats, des chefs de bureau.
Au second étage, agauche, on lisait sur une carte :
Marcel Moncin, architecte ".
Ce Iut Maigret qui frappa a la porte. Une jeune
domestique vint ouvrir.
« M. Moncin est chez lui?
- Je ne sais pas; je vais demander a Madame. »
Si elle dit qu'elle ne sait pas, c'est qu'il est la,

57
pensa Maigret. Mais, déjá, M?" Moncin s'avan-
cai t.
« Qu'est-ce que c'est?
- Madame, ce sont deux messieurs qui veulent
voir Monsieur. »
Maigret salua et demanda :
« Est-ce que votre mari est �ci, �adame?
- Oui mais il dort; en fin, Je crors,
- Je vous demande de bien. vouloir le révciller.
- Mais qui ércs-vous, rncssicurs ? .
- Police judiciairc. Veuillez appeler votre ma1:,
madame. Je. pensc qu'il cst rentré tard, la nuit
derniére ? Je vois qu'il dort encore a onze heures !
- Mon' mari travaille souvent tard le soir.
- Il ri'cst pas sorti lá nuit dernicre ?
- Je ne pense pas. Si vous voulcz vous asseoir,
messieurs. >• ·
La jeunc fen:i-mc so�tit et revi nt presque tout de
suite. Elle avait repeigné ses cheveux. .
« Mon mari s'habille ; il n'aime pas qu'on le voie
en robe de chambre. »
Elle n'avait pas J'air gené; aucun; .inquiétude
dans ses paroles. Etait-ce une comedie? Est-ce
qu'clle savait quelque. ch�s�?
« Votre mari travaille 1c1?
- Oui voila son bureau. »
) •

Elle ouvrit une double porte; e était une piece


)I •,

assez grande ; a droite de la fenérre, on voy�it une


planche a dessin et, sur une table, des feuilles de
papier.
· « Il travaille beaucoup?
- Trop pour sa santé. Il. n'a ja�ais été fort.
D'habitude, en aoüt, le médecin l'env�ne a la mo�-
tagne; il Je faut, p�ur ses poumons. Mais cette annee
il a pris un travail important, et nous ne pouvons pas
partir en vacances. » t
- Elle était toujours tres calme.
Étonnant, pcnsa Maigrct; la poi ice demande a voir
son mari et clic ne pose aucunc qucsrion ; clic nous
t parle commc si nous étions des voisins 1
«Je mis voir s'il cst prét. »
Elle vcnait tout juste de sortir quand son man
entra. Il était blond, le visage tres jcunc, les ycux
bleus.
r. « Je vous ai fait attendrc, mcssicurs, je vous
demande pardon. Je me suis couché tres tard ; je
, dois finir un uavail pour un ele mes amis qui vcut
t faire une tres grande maison au bord de la mcr. »
! ll tira un mouchoir de sa poche, s'essuya le front
oú l'on voyait de fines goultes de sucur.
« II fait encore plus chaud qu'hier, n'est-ce pas? ll
, faudrait un peu de pluie; on rcspirerait mieux ...
- Je vous demande pardon, <lit Majg'.et, mais
e je voudrais vous poser q uelq ues quesnons. Et
d'abord, pouvcz-vous montrcr le vétcrnent que vous
e aviez, hier? »
II sembla étonné, mais pas inquiet. Il sortit et
e revint, avec, bien plié sur le bras, un costume gris.
e « Vous l'avez mis hicr au soi r?
- Oui, juste avant le dincr. Ensuite, j'ai mis une
robe de chambre.
­ Vous n'étes pas sorti apres 8 hcures du soir?
e
e
- Non, j'ai travaillé a mon bureau, tard dans !ª
nuit,jusqu'a 2 ou 3 heures. C'est a ce moment que Je
e travaille le mieux. Mais le matin je dors.
- Puis-je vous dernander de me montrer vos
autres costumes? »
. ll attendit deux ou trois sccondes avant de ré-
- pendre : « Si vous voule.z. Venc.z par ici. »
e 11 ouvrit un placard ; 11 y avait deux manteaux et
s cinq ou six costumes, tous tres ?ien, ra�g�s. Mais le
vétemerit que Maigret cherchait n y était pas.

59
11 prit dans sa peche le rnorceau de tissu et le
montra a Moncin.
« Vous aviez un costume fait avcc ce tissu? » tr
au
Moncin rcgarda le morceau d'étoffe.
« Oui. .
cia
- Ou est-il?
- Quelqu'un, dans l'autobus, me l'a brülé avec
une cigarette. po
- Vous l'avez fait réparer?
- Non, je n'aime pas sortir avcc des véternents no
m
réparés. Je l'ai jeté.
- Vous avez jeté ce véternent presque neuf?
- Non, a vrai dire, je I'ai donné a un pauvre,
dans la rue. ex
- Oú sont les souliers que vous portiez hier au
soír? » ·
Moncin devina le piége et, tres calme, répondit :
« Je n'avais pas de souliers puisque je suis resté
chez moi, j'avais les panroufles • que j'ai aux pieds.
- Voulez-vous appeler Ja domestique? »
C'était une jeune filie venue de Ja campagne, un
pcu inquiete devant un policier,
« Vous couchez ici?
- Non, monsieur, j'ai une chambre au sixieme
étage.
Vous étes montée a quelle heure, hier au soir?
V ers g h cures.
Oú était M. Moncin, a ce moment-Iá ?
Dans son burcau.
Habillé comment?
Comme mainrenanr.
Quand M. Moncin a-t-il mis son costume
gris a perites lignes bleues pour la derniére fois?
- Je ne sais pas bien, deux ou troisjours peut-étre.
- Vous n'avez pas entendu dire a M. Moncin
qu'on avait brülé son costurne ?

60
- Je ne me rappelle pas. »
Maigrct se r etourna vers Moncin qui souriait
' ca 1 me, avcc sculernent quclques gouttes
tres ' de sueur'
au-dessus de la lévre.
. <'. Je vous prie de me survre a la Police judi-
ciaire.
- Tr�s bien ; mai_s est-ce que je peux savoir le
pourquo1 de tour ceci ?
- Je pense que_ vous a:1ez beaucoup de choses a
nous dire sur les cnmes qui ont étéyommis a Mont-
martre, ces derniers mois.
- Je ne comprends pas.
- Tout a l'heure, dans mon bureau, Je vous
expliquerai. »

1
'
La ves!e esf retroevée

En arrivant a son bureau, Maigret irouva les


journalistes dcvant sa porte.
« C' est le vrai, cette fois ? » demanda le pctit
Rougin, pendant que le commissaire et Moncin
traversaient le couloir. Maigret ne répondit pas.
« Asseycz-vous, monsieur Moncin. Vous pouvez,
si vous voulez, faire comme moi et enlever votre
veste.
- Non, merci. »
Maigret rangca d'abord les papicrs qui étaient
sur son burcau, rcmplit sa pipe, sans se presser, lut
une ou dcux notes, puis demanda
« Il y a longtcmps que vous étes rnarié, monsieur
Moncín?
- Douzc ans.
- Et que! ágc a vez-vous?
- Trent-deux ...ans. Je me suis marié jeune.
- Vous étes architectc?
- Je n'ai pas le djplóme", mais je donnc des
idées a ceux qui veulent faire leur maison plus belle;
je suis un artiste. Les tableaux que vous avez vus
dans mon bureau, c'est moi qui les ai faits. »
Maigret se rappelait : des tableaux faits de ronds
et de lignes aux formes compliquées, une peinture
triste, ou l'on voyait surtout du rouge et du noir.
« �I est plus facile, bien sur, d'étrc pcintre que d'étrc
archi tectc.
- Vous voule� dire 9ucjc n'étais pas asscz intelli-
gcnt pour devenir architecte ? D'auu cs me l'ont dit
aussi. Et e' est peut-étre vrai.
- Vous a vez beaucoup de clicnts?
- Non, je travaille seulement pour les gens qui
me comprcnnent.
- D�ns qucl quartier ele Paris étcs-vous né? »
Moncin attcndit une ou dcux secondcs avant de
répondrc :
« A Montmartre, ruc Caulaiucourt.
es
- Vous a vez habité la longtcrnps?
- Jusqu',a .mon rnariage. Ma mere habite toujours
it
la maison ou Je suts né. Mon pere cst mort.
n - Qucl était son rnétier ?
- ll était boucher. »
z,
re �n frappa a la porte. M�igrcl se leva, ouvri t,
sortit dans le couloir et rev111L quelques secondcs
apres avec quatre hommes qui ressernblaient assez
á
Moncin.
nt
« Voulez-vous vous lever, monsicur Moncin et
ut vous mettre á cóté de ces messieurs ? » '
On frappa de nouveau,
ur
« Entrez », cria le cornrnissaire.
On vit entrer la fernme-agent, Marthe J usserancl.
Un peu_ étonn�e _d'abord, elle avait vite compris
p_ourquo1 elle etait la. Elle regarcla lentement les
cmq hommes clebout centre le mur et montrant
Moncin du doigt, dit : '
es
« C'est lui, je suis presque süre que c'est lui. »
e; Elle s'approcha et regarcla Moncin de cóté :
us « Oui, c'est lui, mais les yeux n'étaient pas si
bleus; le costume n'�st p�s le 1:1eme non plus.
ds
re -: Je vous rernercie, dit Maigret, vous pouvez
partir. »
r.
Lognon était entré en me?Ie tcmps �ue �arthc
Jusserand; il regarda Moncin et dit a Ma�grct :
« J'ai déjá vu cette tete quclquc part, rnais oú ? l
- Qa ne m'étonne pas, il cst né a cinq cents r
rnétres de I'endroit oú tu habites.
- Je l'ai vu, et je luí ai parlé, mais quand? j
Pourquoi? Impossible de me souvenir. j
- Je vais chcz Mmc Moncin, la mere, tu
viens? » j

e
La rnaison de la mere était moins bellc que cclle l
du fils. Maigret sonna. Q
La fcmme qui vint ouvrir était encere jeunc, mais
on voyait remuer sans arrét ses bras maigres et ses
épaules. j
« Qu'est-cc que vous voulcz?
- Cornrnissairc Maigret. Vous avez vu votre
fils, hier au soir? M
- Pourquoi me dema�dez vous <;a? Mon fils
n'a ríen a faire avec la pollee.
- Répondez, s'il vous plait. Je pense que votre
fils vous rend visite de temps en temps? n
Souvent.
Avec sa femme? f
Qu'est-ce que i;a peut vous faire?
Il est venu hier au soir?
Non mais allez-vous m'expliquer pourquoi
toutes ces' questions? Je suis chez _moi, je suis une p
honnéte femme. Je ne vous répondrai plus. l
- Madame Moncin, il se passe des choses tres
sérieuses : votre fils est interrogé par la police; nous
pensons qu'il a tué cinq femrnes, dcpuis quelques mois. t

J
- Qu'cst-cc que vous di tes?
- Je dis que c'cst sans d?ute luí qui a assa�siné
les cinq fernmcs du quarncr Mont mart rr- ; il a
recommcncé hicr au soir, mais il a manqué son coup !
- Quoi? Mon Marcel, un assassin ? Eh bien,
je vous dis rnoi que ce n'est pas vrai ; Marce! n'a
jamais fait de mal a pcrsonnc.
- Votre fils n'cst pas vcnu vous voir dans la
journée d'hicr? »
Elle répéta avcc force
« Non, non, non.
- Ditcs-rnoi, madarne Moncin, quand il érai ;
enfant, cst-cc qu'il a fait une grossc rnaladic ?
- Non, il a fait de perites rnaladics, cornrn e tous
les enfants; qu'cst-ce que vous voulez me fairc dirc ?
Qu'il est fou?
- Lorsqu'il s'est marié, vous étiez d'accord?
- Oui, c'cst moi qui ai cu l'idée de ce mariagc ;
je pensais avoir trouvé quclqu'un de bien ...
- Et elle n'cst pas bien?
- Ce ne sont pas vos affaires. Vous avcz arréré
Marce!?
Il est dans mon bureau, quai des Orfévres.
- Vous allcz le mettre en prison?
- Peut-étre, la jeune fille qu'il a artaquée, la
nuit dernierc, l'a reconnu.
- Elle ment, ce n' est pas vrai. Je veux voi r mon
fils. Emrnenez-rnoi quai des Orfévres. »
Ses yeux étaient cornme brillants • de fiévrc.
« Je vous emméne », dit Maigret.
Dans les couloirs de la Policc judiciairc, elle vit les
photographes et marcha droit sur eux, le point
levé : ils rcculerent.
Dans le bureau de Maigret, il n'y avait que son fils.
« N'aie pas peur, Marcel, je suis ici. Est-ce qu'ils
t'ont Irappé ?

J
- Mais non, maman.
- lis sont Ious, je te dis qu'ils sont fous ! Mais je
vais aller voi r le meilleur avocar • de París. J'écrirai
au ministre, au présidcnt de la République, s'il faut.
- Calrnc-toi, maman.
- Asscycz-vous, rnadamc, dit Maigrct.
- Je ne veux pas m'asseoir, je vcux qu'on me
rende mon fils.
- Veuillez vous asscoir, madame, et répondre
a quelques qucstions.
- Rien du tout ! N'aic pas peur, Marcel, Je
m'occupc de roi, Je rcviendrai bientót. »
Et, avcc un rcgard méchant pour Maigret, elle
sortit.
« Laissez-la partir», dit Maigrct. Puis il se retourna
vers Moncin.
« Votrc mere vous aime bcaucoup?
- Elle n'a plus personne ; je suis son scul enfant.
- Elle était h cu reusc avec votrc perc ?
- C'était un boucher.
- Et alors? C'est un vilain métier?
- Je n'ai pas dit ¡;a. Laissez ma mere en paix,
Et ma femme a ussi , Elles ne savcnt rien et ne vous
dironl ríen. Et moi non plus. »
Maigret af:>pela J anvier.
« Interroge-Ie, sur lui, sur sa vie, sur ses amis, sur
la veste brüléc. Demande-luí ce qu'il faisait les
jours oú les cinq femmes ont été assassinées. Essaie
de savoir pourquoi sa mere et sa femme ne s'airnent
pas. »
Il était midi et demi. Maigret entra au restaurant
« Dauphine ». Il était fatigué, triste. Et pourtant, les
choses ne marchaient pas mal ! Il fallait trouver la
veste : mais les pauvres qui tendent la main au coin
des rues ne sont pas tellement nombreux dans Paris.
Ce qui gcnait Maigrct, c'était de ne pas comprendre

66
is je
rirai
aut.

me

dre

Je

elle

rna

ant. « N'aie pos peur, Marcel, Je m'occupe de toi. »

pourqu?i c�t homme avai_t tué. On comprcnd le geste


de cclui qu_, vole, et ensuite LUe pour ne pas étre pris,
aix, ou un man_ que sa femme a quiué, ou le crime d'un
ous homme qui a trop bu. Mais Moncin? C'était un
garc;on intclligcnt, menant une vic calme et qui
avait un assez bon métier. '
sur Quand Maigret revint a son bureau, un homrne
les sale et mal habillé était la, qui attendait, entre deux
saie gendarmes; du premier coup d'ccil, Maigret recen-
ent nut la veste de Moncin !
« Ou a-t-il trouvé <;a?
ant - Au bord de la Scine, ce matin. »
les Maigret regarda la veste et vit le trou de la
r la cigarette a la place du bouton.
oin - Portez c;a chez Moers; qu'il essaie de savoir
aris. si c'est br�lé depuis plusieurs jours ou si on a fait
dre ca ce matm. »

67
J
Janvier était toujours avec Moncin ; Maigrct
rcgarda les notes de l'interrogatoire et n'y �i.t rie1.1
cl'intéressant. Il passa dans le bureau voism ou
Lognon l'attcndait.
« On a visité sa chambre; on a rarnassé des coupe-
papier et un couteau, ayee une lame de huit cerui-
metros. »
Maigret pcnsa a ce qu'avait dit le doctcur qui
avait regardé les blessures : on avait frappé avec une
lame étroitc.
Il revint a son burcau.
« Nous avons retrouvé votre veste, monsicur
Moncin. M
- Sur les bords de la Scinc? f
- Oui ...
- Je prends ta place», dit Maigret a Janvier. t
Quand la porte fut referrnéc, il retira sa veste, d
s'assit devant son bureau et, pcndant cinq minutes, M
regarda Moncin sans rien dire. h
« Vous étes tres malheureux, ri'est-ce pas? » e
Moncin ne bougeait pas. Enfin, il dit :
« Pourquoi serais-je rnalheurcux?
- Quand avez-vous compris que vous n'étiez pas
commc les a u tres?
- Vous pcnsez que je ne suis pas comme les
a u tres?
- Lorsquc vous étiez jeune, vous sentiez déja
en vous quclquc chosc qui n'allait pas? » e
Maigrct chcrchait ses mots : il savait _qu'il ne p
dcvait pas se trompcr, une seule quesuon mal p
posée, et Moncin s'cnfcrrnerait dans le silcncc.
« Vous savez que les juges comprendront tres M
bien votre ... comrnent dire? votre maladie. Vous d
n'irez pas en prison.
-- Je n'irai pas en prison, parce que je ne suis pas la
coupablc ; maintenant, je ne vous dirai plus rien. » q

68
.

J

La victime qu'on n'sttendsil pas...

Dans l'aprés-rnidi, Maigret monta au laboratoire.


Moers était la.
« Vous a vez reyu ma note, Comrrússaire?
f - Non.
t - Je viens de vous l'envoyer. C'était pour .vous
dire que j'avais fini mon travail sur la veste de
Moncin : le tissu a été brülé depuis moins de douze
heures. Si vous permettez, je vais brüler deux autres
endroits pour faire un essai, et étre tout a fait sur. »
Maigret f t oui de la tete et redescendi t.

Le rnatin, Moncin était passé devanr le médecin,


et maintenant des employés de la Police judiciairc le
photographiaient de face et de cóté, comme on fait
pour tous ccux qui vont peut-étre entrer en prison.
Les journaux aussi paraissaient avec des photos de
Moncin prises le rnatin, quand il était arrivé quai
des Orfévres.
Dcpuis plusieurs heures, des inspecteurs circu-
laient dans Montmartre, posant sans fin la mérne
question aux employés du rnétro, aux cornmcrcants,

69
a tous ceux qui auraicnt pu voir l'architecte lesjours
oú l'assassin avait tué.
Maigret se fit conduire ci:1 auto au 28 d� la �ue
Dufour. La jeune domestique de Moncin vmt
ouvrir :
« Votre collégue est déja la», luí ?it-elle.. .,
C'était Janvier q_ui, tout l� maun, avart étudié
les papiers de Moncin, r�gard(: dans tous les meubl�s
et qui, maintenant, faisait une note sur tout ce qu 11
avait vu d'intércssant. .
« Oú est sa fcmme? demanda Maigret.
_ Elle vient de me dirc qu'cllc était fatiguée ;
elle est dans sa charnbre.
- Elle t'a parlé? . .
- Tres pcu; de �e�ps en temps, el�e _ve�a1t voir
ce que je faisais. Je n _a1 nen trouvé de tres mteressant.
- Et la domestique ? . . .
_ Nous avons parlé. Elle est la depuis six mois.
Les Moncin ont une vic tres simple; ils ont peu
d'amis. De tcmps en temps, ils vont passer le
dimanche chcz ses parents a elle.
- Qu'est-cc qu'ils font, s_es pare�ts ! ,
_ Le pérc était pharrnacien ; n1:a1s il n est plus
tres jeune, il a ve�du �� pharmae1e. » . ,
Janvier morura a Maigret la photogr�ph1e d un
groupe, dans un jardín. On voyait �o,nc1� en �este
d'été un homme aux cheveux gns a coté d une
fernme assez grosse qui souriai], la main posée sur le
toit d'une vieille auto.
« En voici une autre, dit Janvier. La je�ne fem?'le
est la sceur de M?" Moncin ; elle a aussi un frcre
qui vit en Afrique. »
Il y avait une pleine b?ite de photos, surtout de
Mm• Moricin et de sa farnille. .
« J'ai aussi trouvé quclques lettres de ses cl1�nts,
assez peu : il ne faisait pas beaucoup d'affaires.

70
Des lcttres de cornmcrcants aussi qui écrivaient
(souvent plusicurs fois) pour éire payés. »
Mme Moncin, qui avait entcndu parler, était
revenue dans la piécc. Elle avait le visagc fatigué.
« Vous n'avcz pas rarnené mon mari?
- Je le rarnenerai s'il nous donnc les explications
que je lui demande.
- Vous croyez vrairncnt que c'cst lui? »
Maigret ne répondit pas. Elle leva les épaules
et dit :
« Vous verrcz, un jour, que vous vous e tes trompé,
et que vous tui avcz fait du mal pour rien.
- Vous l'aimez?
- C'est mon mari. »
La réponse n'était pas tres clairc. Elle continua
« Vous l'avez mis en prison?
- Pas encere. 11 est dans mon bureau. On a
encere des qucstions a lui poser.
- Qu'est-ce qu'il dit ?
- Il ne vcut pas répondre. Et vous, vous n'avez
ríen a me dire?
- Ríen.
- Cornprencz bien, madame, mérnc si votre rnari
est coupable, il ne sera pas jugé comme un crirninel ;
je le lui ai dit. Un homme qui, sans raison, tuc
cinq Icmrnes daos la ruc, est un malade. Dans ses
moments de calme, il peut trornpcr ceux qui I'en-
tourent, vivrc avec sa farnille comme un homme
normal. Mais c'est tout de mérne un malade. Vous
m'écoutez?
- J' écouie. »
Elle écoutait peut-étre, mais elle avait I'air de
penser a autre chose, comme si on ne parlait pas de
son mari, mais d'un étranger qu'elle n'aurait pas
connu.
« Cinq femmes sont mortcs, continuait Maigret.

i[
'..

«
Toutes mées dans la rue, Mais .il peut changcr
d'idée, s'attaq11a aux gens qui vivent pres de luí.
Vous navcz pas peur ?
- Je n'ai pas peur.
- Vous nr pensez pas que, pendant des armées, se
vous a vez éLé en grand danger?
- Non.>)
Le calme de certe fcmmc érait étonnant. Mai-
gret la regardait et essayait de comprendre. Elle
demanda:
« Vous avez \'U sa mere? fai
-· Elle est venue a la Police judiciaire et nous a
dit des choses tres désagréables ... Elle ne vous arme ma
il
pas beaucoup, pourquoi? .
- Je rr'ai me pas parler de c;:a ..ce sont nos affaires. pou
Vous allez me rendre mon man ?
- Non, pas maintenant. » , 1 pa
! fem

-�- 1

Maigrct et J anvier ét'.3-ient allés �in�:· Ils ava_ient


laissé Lucas avec Moncin, pour voir sil pourrait le
faire parler. . .
Le soir, vers 9 heures, Moncm,' Ma!gret. et ma
Marthe Jusserand se retrouverent a l endroit merne
óú
la jeune fille avait été attaquée.
On avai t obligé Moncin a remettre le véternent brülé.
« Il faisai t aussi nuit que maintenant? demanda
Maigret. ma
- Oui, r'étaiL la rnéme chose.
- Mairuenant, mettez-vous pr�s de lui, comme
vous étiez hier, et regardez-le bien. »
La jeune fille s'approcha, se déplac;:a deux ou sor
trois fois.
.

« Vous le reconnaissez ?
- Je deis dire la vérité, n' est-ce p.as ?
- Seulernent la vérité, mais toute la vérité.
- Je suis súre que c'est lui. »
Et tout d'un coup cette fille, pourtant courageuse,
se mit a pleurer,
« Vous avez entendu? » dit Maigret a Moncin.
- J'ai entendu.
- Vous n'avez rien a dire?
- Rien. »
Le travail de Maigret était terminé. Au juge de
faire le sien.
11 aurait dü étre content : son piége avait bien
marché. Le coupable était arrété. Seulement, voila,
il n'avait toujours pas la réponse a sa question :
pourquoi?
Il ne comprenait toujours pas ce qui s'était
1 passé dans !'esprit de Moncin ; ni dans celui de sa
! femme.
1

Maigret s'était fait reconduíre chez lui.


« Tu as l'air fatigué, dit 2\1mc Maigret. Mais
maintenant, c'est fini.
- Qui a dit ca ?
- Les -journaux, la radio aussi.
- D'une facon, c'est fini, oui.
- ]'espere que tu vas dormir et te reposer dernain
matin.
- ]'espere aussi.
- Tu n'as pas l'air contcnt ?
- Tu sais, c'est souvent comme c;:a, dans ces
sortes d'affaires. »

73
Dcpuis combien de temps ,dor�ait-il quand_ le
téléphone se rnit a sonner? ll n aurau pa� pu le dire.
TI laissa sonncr un long morncnt, pu1s tcndit le
bras et prit l'appareil.
« All6 ? ...
- C'cst vous, monsieur le Commissaire?
- Qui cst-ce qui parle?
- Ici, Lognon ... Je vous demande pardon de vous
révcillcr. .. vous rri'cntcndcz ?
- Oui je t'écoutc, oú es-tu?
- A M.ontmanrc, ruc de Maistrc ... un nouveau
crime vicnt d'étrc commis.
- Quoi?
- Une femmc ... a coups de couteau ... sa robe
est déchirée ...
Vous étes sürs ? Alió, Lognon ...
- Oui, je suis lá, j'écoute.
- Quand?
- V ers 1 1 hcurcs et dcrnie.
- J'arrive. .
- Encere une? » demanda l\tfmc Maigrct,
Il fit oui de la iérc, et dit :
« Appcllc-rnoi la Policc judiciairc, pendant que je
m'habille.
- Je croyais que I'assassin était arrété ?
- Je pcnse qu'il l'est toujours.
- Alló ! la Police j udiciaire? C'cst toi, Lucas? Tu
sais ce qui se p�sse ?. Est-c.e que º'?,tre _homme �st
toujours la? ... oui ? ... ti est la ... Bon, J arnve. Envoie-
moi une voiture. »

74
Rue de Maistre, il vit un groupe d'unc vingtainc
de personnes, � un c�dro�l mal écl_airé. _Logno�
était la et aussr un medecm et des infirrniers qui
attendaient les ordres. Une femme était couchée _le
long d u mur; du sang coulait encorc s�r le trott�ir.
« j'ai compté six coups de coutcau, dit le médecin.
- Toujours dans le dos?
- Non, quatre dans la poi trine, el un autre. au
cou. Quelques blessurcs aussi aux bras et aux mains.
- On a trouvé les papicrs de la victime?.
- Oui, dit Lognon, dans son sac : c'est une jeunc
domestique qui travaille chez des cornmercants du
quarticr.
- Que! áge ?
- Dix-neuf ans. »
Maigrct n'cut pas le courage de la regarder,
elle avait une robe bleu pále, sa plus bcllc robe peut-
étre. Sans doutc était-elle allée danscr. Pauvre fille !
Maigrct se tourna vers Lognon.
« Tu as donné des ordrcs ?
- J'ai mis sur le quarticr tous les agents que.j'ai
pu trouver. » . . • . . .
II fallait le faire bien sur, mars Maigrcr savair
bien que tout ca ne' servirait a ríen, cncorc une fois,
Une auto arrivait; clic s'arréra pres du groupe :
c'était Rougin, le journaliste. .
« Alors monsieur le Commissairc, l'hommc d'hier,
ce n'était ' pas encore le vrai? » .
Maigret ne répondit pas. 11 remonta dans sa voi-
ture ...
« Oú allons-nous, patron? demanda le chauffeur.
- Dcscendez vers la place Clichy. »
11 n'avait plus sommeiJ. Il fit arréter la voiture
pres d'un café qui était encore ouvert et demanda
une biére. Il fuma trois pipes, l'unc aprés l'autre,
sans retrouver le calme ..

75
Jusque-lá, tout avait si bien marché! Mais il
avait cornmis une faute, il le savait ; il y avait une
chose a laquelle il n'avait pas pensé : il aurait dú
surueiller quelqu'un ... Et il ne l'avait pas fait. Et une
pauvre filie était marte, en revenant de danser,
marte dans sa bel le robe bleue ...
Et que penseraient ses agents, ses collegues, demain
matin, quand ils liraicnt les journaux? Que pense-
raient-ils de lui, Maigret ?
Et le juge Coméliau ? Il entendait déja son coup
de .téléphone !. ..
·Il se fit conduire quai des Orfévres. II passerait
la nuit dans son bureau. La, il aurait tout le temps de
penser a ce qu'il fallait faire. Il téléphona asa femme
et lui die qu'il ne rentrerait pas.
Il téléphona ensuite a Janvier et a Lucas en leur
demandant d'étre la des 5 heures du matin. Puis
il s'assit a son bureau et ferma les yeux. �
11 était cinq heures moins 5 quand un agent lui
apporta une tasse de café. J anvier était la.
« Et Lucas ? demanda Maigret.
- Me voila, patron !
- Bon, toi, Janvier, tu vas chez sa mere et tu la
rarnénes ici ; attcntion ! S:ª ne sera pas facile. Quant
a toi, Lucas, tu iras me chercher la femme de
Moncin. Quand elles seront la, vous les rnettrez
toutes les deux dans Je mérne bureau et vous revicn-
drez me voir.
- Les journalistes sont déja dans le couloir, pa-
tron; s:a ne fai t ríen ?
- Non, laissez-Ies. »
Maigret avait toujours, dans un coin de son bureau,
ce qu'il faut pour se laver et se raser, En un quart
d'heure, il fut prét,
11 regardait les quais, par la fenétre. 11 faisaitjour,
maintenant. Des bateaux glissaient sur la Seine.
Lá-bas, pres du pont, un pécheur surveillait sa
ligne ...
On entcndit un bruit dans Je couloir et une fcmme
qui parlait. Maigret reconnut la mere de Moncin.
« Ca y ese, dit Janvier, en entrant dans le bureau;
elle est la. Elle ne voulait pas m'ouvrir, j'ai dit que
j'allais faire dérnolir la porte ... Elle a fini par s'habil-
ler et me suivre. »
Une dizaine de minutes plus tard, Lucas arrivait
a son tour.
« Tu les as mises ensemble? demanda Maigret.
- Oui, mais elles ne se sont pas regardées ...
qu'est-ce que je fais maintenant?
- Va dans le bureau qui est a cóté, mets-toi
pres de la porte, et écoute.
Et si elles ne disent rien?
- On verra bien. 11 faut tout essayer. »

77
Heigre! cotnptend el gagne

Deux heures aprés, les deux fernmes n'avaicnt


encore ríen dit. Elles restaient assises, sans bouger
comme si elles ne se connaissaient pas. '
« Faites-leur porter des journaux », dit Maigret.
Un agent posa les journaux bien en vue; sur tout
le haut de la prerniére page on pouvait lire :
« Nouoeau crime a Montmartre »
Maigret avait envoyé deux inspecteurs interroger
les concierges des dcux fcmmes. Pour la mere, tout
était facile : il y avait une seconde porte, dans la
cour; elle pouvait done entrcr et sortir sans étre vue.
Pour la femme, c'érait plus compliqué : la concierge
fermait la pone vcrs T 1 hcures du soir. Avant
onze heures, elle ne Iaisait pas trop attention aux
gens qui cntraient et sorraient, mais aprés Ir heures
il fallait sonner et donricr son nom en passant la porte'.
« La concierge n'a ouvert a personne aprés
I I heures. Mais les voisins disent qu'elle boit beau-
coup et qu'elle ne sait' plus tres bien, le soir, ce
qu'elle fait. »
D'autres inforrnations arrivaient, On savait que
Moncin et sa femme s'étaient connus a l'école. Que
pendant quelques mois le ménage avait habité un
appartement juste en face de celui de la mere de
Moncin.
<� Allez 171c chcrch_ez Monc_in, d_it Maigret. Et si
le J_uge téléphone, dires que Je suis sorti et que je
reviendrai daos une heure. »
M�ncin entra sans ri_en dire; il n'avait pas dú
dor�1r bcaucoup; la fatigue se voyait sur son visage.
Maigret lui tcndit le journal.
Pendant qu'il lisait, son front dcvcnait sombre
ses poings se serraicnr : on voyait qu'il n'étair pas
con len t.
«. Commc vous voycz, dit .Maigrct, quclqu'un
cssaic de v?us s�uvcr. Et pour c;a tue une pauvre
filie vcnue a Pans pour gagncr sa vie. Beau travail ,
Votre mere et votre femmc sont ici, continua Mai-
gret; tou t a l'heurc on les amen era et vous vous
expliquercz. »
Que se passait-il dans la tete de Moncin? IJ serra
les _dcnts et jeta a Maigret un regard méchant.
Mais peut-étre avait-i] pcur aussi.
« Vous ne voulcz toujours pas parlcr? demanda
Maigret.
- Je n'ai ríen a dirc.
- Vous ne pensez pas q uc cette histoire doi t
finir? �i vous aviez parlé hicr, i l y aurait une victime
de moms.
- Ce n'est pas ma fautc.
- Laquellc des deux a essayé de vous sauver?
yous vous taisez? Je vais vous dirc, moi, ce que vous
etes_: un malade, un fou, car un homme normal ne
ferait pas ce que vous faitcs. »
Maigret, maintenant, cherchait des rnots désa-
gréables, quelque ch ose qui obligerait en fin cette
bouche a s'ouvrir. .
« Qa vous génait d'érre fils de boucher, hein?
Comme i;a génait votre mere de dire qu'clle était
la femmc d'un boucher ; alors pourquoi s'est-clle
mariée? Parce que votre pere avait un peu d'argent;

79
mais elle voulait que son enfanL soit élcvé comme un enf
fils de ministre. Elle ne vivait que pour vous, vous I ma
achetait les plus beaux costumes, les plus beaux un
jouets • ... » cha
Moncin se taisait toujours. pen
« Cela ne vous a pas géné, fatigué, d'érre airné peu
comme cela? d'étrc soigné, survcillé comme une
filie et, pour tour dirc, cornmc un malade? Vous bie
auricz pu vous défendre, dcmander votre liberté, mo
comme beaucoup d'autres ont fait. Mais vous ne «
l'avez pas voulu parce que vous étes a la fois un hom
gars:on sans courage et surtout un orgueilleux ... M
« Ne croyez pas que je vous disc tout ca parce que fen
je suis votre ennerni ; non, pour moi, vous étes surtout san
un malheurcux ; je vous parle sans haine ·, sans «
méchanccté; croyez-moi ;j'essaie de vous comprendre rép
e�, en rnérne temps, je voudrais que vous me compre- c'e
ruez. Et
«Je sais que vous étes intelligent, mais je voudrais Vo
aussi que vous ayez du cceur. » dan
Moncin le regardait sans bouger et sarrs rien Pas
dirc ; Maigrct, lui, attendait toujours un geste, un «
regard, un mor, qui lui ferait deviner ce qu'il y vou
avait derriére ce visage silencieux. , vot
« Je ne suis pas sur que vous aimiez votrc femme : vot
vous n'aimez que vous. Vous vous éies marié, poussé vou
par votrc mere, en pensant que vous scricz un peu fou
plus libre. Votre mere, elle, pensait que cettc jcune crim
fcmme lui obéirait ·, comme vous aviez obéi. Scule- crir
rncnt, la, elle s'est trompéc. Votre fernmc, au bout bes
de quclque temps, n'a plus voulu partagcr. Elle a pas
voulu vous avoir pour elle toutc scule. Et vous avcz je s
quitté l'appartement de votre mere. Une nouvelle vic vou
a cornrncncé, mais c'était toujours la mérne chose, M
votre femme a pris la suite de votre mere: a elle aussi, yeu
il fallait obéir, elle aussi vous rcgardait cornme un terr

80
enfant, qu'il faut toujours surveiller, comme un
malade ... Et ces deux femmes ont fait naitre en vous
une haine terrible, car toutes les deux vous empt­
un
chaient d'étre homme. Et c'cst alors 'que vous avez
pensé a tuer, a les tuer. Seulcmcnt, la, vous avcz cu
peur : la police vous aurait tout de suite acensé.
« Et puis vous avez bcsoin de ces dcux femmes;
bien sur, vous étiez lcur chosc, lcur jouct ·, mais au
moins, elles, elles vous aimaicnt.
«J'ai <lit qu'ellcs vous empéchaicnt d'étre un
homme; mais non, vous n'étiez pas un homme ! »
Maigret, la sueur au front, se leva et alta vers la
fenétre, Moncin le suivait des yeux, sans rien dire,
sans bouger.
« Vous ne dites rien, continua Maigret. Vous ne
répondez pas. Parce que vous savez que j'ai raison ;
c'est votre orgueil qui vous ernpéche de parler.
Et c'est aussi votre orgueil qui vous a poussé a ruer.
Vous vouliez étre quelqu'un. Mais commcnt? Pas
dans votre métier, vous n'étes pas un vrai architecte.
Pas dans votre farnille : vous avcz toujours obéi.
« Alors, parce que votre malheur venait des femmes,
vous avez voulu frapper les femmcs. Et vous avcz tué
votre prerniére victime. Oh ! vous aviez bien calculé
votre affaire, pris toutes vos précautions : vous ne
vouliez pas alter en prison, ou erre enfermé avec les
fous. Vous étes un crirninel, Moncin, mais un
crimine! qui ne ueut pas payer Le prix. Vous éies un
crirnincl qui a besoin d'étrc airné, soigné, qui a
besoin d'une vie confortable. Tenez, si vous n'étiez
pas un rnalade, je crois que je vous Irappera is, oui,
je suis sur que la peur des coups vous Icrait parler,
vous ferait lácher votre sale secrct... »
Maigret devait étre terrible a voir : Moncin, les
yeux agrandis par la pcur, étai e devcnu cou lcur de
terre.

Gr
« N'ayez pas peur, <lit Maigrct en revenant a son
bureau, je ne vous frapperai pas-; je n'ai jamais
frappé un suspect ...
« Il y a pourtant quelque chose que je voudrais
savoir : est-ce que vrairnent votre femme et votre
mere vous croient coupable ? Je pense que oui. Au
moins, l'une des deux. Et celle-lá a essayé de vous
sauver, elle a essayé, en tuant elle-mérne, exacte-
ment • comme vous aviez fait : coups de couteau,
véternents déchirés... Quand je dis exactement, ce
n'cst pas tout a fait vrai, car il y a quelques petites
différences; mais nous en reparlerons ... »
Maigret appela J anvier.
« Fais venir les deux femmes. »
Il avait besoin d'en finir. S'il n'arrivait pas au
bout dans la dcrni-heure qui allait venir, Maigret
cornprit qu'il ne saurait plus jamais la vérité.

« Entrez, mesdames. »
Il leur tendit une chaise a chacune.
« Écoutez-moi je n'essaie pas de vous trompcr. ..
Ferrnc la porte, Janvier. .. Non, ne sors pas. Reste la,
prends des notes ... Je dis queje n'cssaie pas de vous
trornpcr, de vous faire croire que chacun de vous
m'a tout dit, en vous inrerrogcant les uns aprés les
autres. Non, nous allons cssaycr de rcgarder la vérité
en Iace, tous ensemble. »
La mere navair pas voulu prendre la chaise que
Maigrct lui tcndait. Yvonne Moncin, elle, s'érait
assise au bord de sa chaise et écou tai t sans bouger,
tres calme, cornme si Maigret ne parlait pas pour elle.
« De toute facon, continua Maigret, qu'il parle
ou non Marce! Moncin ira en prison, ou sera
enfermé' chez les fous : trop de choses l'accusent. Mais
l'une de vous deux a pensé qu'en tuant encore un�
fois elle ferait croire que Marce! n'était pas le vrai
coupable. Il me reste ª. savoir qui, de ':'ous deux,
a tué une jeune domestique, rue de Maistre, cette
nuit. »
La mere s'était approchée, l'air mauvais, les dents
serrées.
« Vous ne pouvez pas nous interroger tant que
nos avocats ne sont pas la.
- Asseyez-vous, madame, s'il vous plaít, et
dites-rnoi, tout simplement, si vous étes coupable ou
non.
- Coupable, moi ! Il m'accuse, maintenant
Soyez poli, monsieur. .. » . . .
Elle frappa sur le bureau, l'ceil _bnllant de ha11:e.
«Je _vous demande encore une fo�s de vo�� asseoir ;
sinon, JC vous envere chez mon collegue et J interroge
votre fils et sa femme sans vous ... »
Laisser son fils seul, aux mains de ces fous? Elle
se calma tout d'un coup et s'assit.
« Done une de vous a eu le courage de cornmettre
un nouvcau crime. Elle savait, si elle était prise,
quelle serait sa punitio� : la m�rt. �lle sait �onc
qu'elle ne revcrra peut-etrc plus pma1s ce man -:-
ce fils - qu'clle airne plus que tour, plus que la v1�,
mais elle essaie quand mérne de le sauver. Je suis
obligé de dire qu'un tel amour est a la fois �ra�d et
terrible. Mais Jaquelle de vous deux pouvait airner
cet homme avec assez de force pour ...
- Ca m'est égal de mourír pour mon fils. C'est
mon cnfant oui mon enfant a rnoi, vous entendez? »
Debout, ie vi;age penché vers Maigret, la mere de
Marce! s'accusait.
« C'est vous qui avez tué Jeanne Laurent?
« <;a m'est égal de mourir pour mon fils. »

­ Je ne sais pas son nom ... oui, c'est moi ...


- Vous pouvez me dire, alors, la couleur de sa
robe?
- Je ne me rappelle pas, il faisait nuit.
- Pardon ! il y avait une lampe qui éclairair
la rue, juste a cet endroit-Iá ...
- Il me semble qu'elle était grise.
- Non, la robe érait bleue, monsieur le Commis-
saire ... »
C'était Yvonne Moncin qui venait de parler,
toujours aussi calme, comme une bonne éleve, qui,
a l'école, leve le doigt et donne la boone réponse ...
Il y eut une longuc minute de silence.
La mere s'était assise, tout d'un coup vieillic de
dix ans. Moncin, plié en deux sur sa chaise, ne bou-
geai t plus. Peut-étre pleurait-il ?
l�
..
.
.
« Tu con ti nueras, dit Maigret a Jan vier. Je v;üs
donner un coup de téléphone au jugc. Aprés, j'irái
dormir. Tu répondras aux journalistcs. »

Maigret s'était couché sans rnérnc mangcr un


morceau. Quand il se réveilla, a six heures du sorr,
sa femme était pres de luí.
« Tu te leves ?
- Je me leve; ce soir, nous irons au cinéma. Et
demain, j'irai a la gare chercher deux billets pdt1r
la Bretagne... »

l�
..
.

..
.
Exercices

RECON'>IAISSEZ CES VERBES


_ Modcs et rcmps : (imp.) = irnparfait - (fut.) =
futur - (p.s.) = passé simple - (cond.) = conditionnel
- (sub., = subjonctif

INDICATIF
TEXTE INFINITIF
PRÉSENT
ll s' en alla ( p.s.) s'en aller ll s'en va
Il aurait (cond.) avoir ll a
Vous auriez (cond.) avoir Vous avez
Qu'il y ait (sub.) avoir ll a
Vous aviez (imp.) avoir Vous avez
11 apparut (p.s.) apparaitre Il apparait
11 comprit (p.s.) comprendre ll comprend
Qu'il connaisse (subj.) connaitre ll connait
l I devrait (cond.) devoir 11 doit
JI faudrait (cond.) falloir 11 faut
II faudra /ut.) falloir JI faut
JI fallut (p.s.) Ialloir Il faut
11 fut (p.s.) e ere Il est
]Is furcnt (ps.) etre lis sont
JI pourrait (cond.) pouvoir Il peut
11 serait (cond.) etre Il est
Qu'il soit (sub.) etre 11 est
Qu'ils soienr (sub.) étre Ils sont
Que vous soyez (sub.) etre Vous étes
Il viendrait (cond.) venir Il vient
Je voudrais (cond.) voulqir Je veux
Veuillcz (impératif) vouloir Vous voulez
lis voyaient (imp.] lvoir Ils voient

86
; .

A VEZ-VOUS BIEN RETEN U LES MOTS DU


LEXIQUE?

Note; vos réponses sur une feuille de papier et contréles;


en regardant le tableau au bas de la page 89.
=
nel
Le poignet vient aprés A la main
B Je pied
F e
la tete
T
2 Semblable veut dire A qui est ensemble
B qui est pareil
C qui a fait une faute

3 Soujfrir c'est A rire un peu


B ouvrir a moitié
e avoir tres mal
d 4 On est en sueur ?
A quand il fait tres chaud ?
B quand on est seul ?
C quand on sait beaucoup de choses ?

5 Qui a sürcment tué la victime? A l'accusé ?


B le coupable ?
e
le suspect ?
6 Le mot comedie va bien avcc quel autrc mot ?
A crime
B rólc
e prison
7 On ne me dit ricn, et pourtant­ je sais, je vois,
je cornprcnds ; cela c'esi A deviner
z B interrogcr
e
obéir

87
8 Ou sont les choses qui glissent ? ( deux lcttres)

A �
B �
e � 1 ­;;?¿

9 Il a peur de tout, il est A irnprudent


B inquiet
e calme
Io Je commets A un cadeau
B un crime
e une plaísanterie
[ 1 +
Exactement cst fait avec l'adjectif exacte ment.
Avec quels autres adjectifs est-ce que je peux
faire des adverbes en ment? A calme
B célebre
e inquiet
D adroit
12 Quan"ti met-on des pantoujles?
A le soir a la maíson ?
B au cinéma?
e a l'école?
Il a faít le plan de ma maison,
c'est un A domestique
B archi tecte
e policier
14. Qu'est-ce qui n'est pas silencieux?
A un coup de pistolet?
B un monsíeur en pantoufles ?
C une larrne qui glisse sur un visage?

88
A quoi sert une note écrite? A a plaisanter ?
B a s'informcr ?
e a s'échapper?
16 Que! est l'anirnal le moins clangcreux ?
A la souris ?
B le serpen t ?
e le chien?

V 91 V zr ::)·V 8 yt
RÉPONSES S: �I a-v 11 V l o t
V ti 8: 01 s9 g: z
a tl a: 6 as VI

89
Lexique

accuser : penscr que quelqu'un briller i. donner beau�oup de


a fait quelque chose de mal lurniére : le soleil brille.
et le dirc, On dit aussi que le verre,
l'eau, l'or, cte. brillen; a la
une action : un mouvernent : lurniére.
ce que quelqu'un a fait dé
bien ( bonne action} ou <le calme : tranquille, qui ne fait
mal ( mauuaise action) . pas de grands rnouvements.
alliance 1c1, bague que des caries (jouer a11x caries)
portent les gens mariés.
apparaítre: arriver, se montrcr.
un architecte : celui qui dessine
les plans" d'une rnaison.

arréter un crimine/ : le pr end re
et le rneure en prison *. célebre : se <lit d'une personne
un assassin : celui qui a , rué tres importante, connue de
et que la police recherche. tout le monde. Napoléon
est célebre.
attaquer : aller a J'ennemi et le cerueau : partie intérieure de
se battre.
la tétc oü nait la pensée.
un avoca/ : celui qui défend
un accusé" dcvanr les juges. un col/egue : un camarade de
travail.
un bar : a) un café modemc.
une comedie : a) une piécc de
�o
b) dans un café, endroit

¡
oú l'on boit debout. rhéárre ou l'on rit. b) une
suite d'actions* et de men-
de. la biire songes bien arrangés pour ha

i
tromper quelqu'un.

.
commettre : faire une mauvaise
act ion : commettre un crirne.

90
revo
r

le crimine](Isssassin}

�o
¡ hall,

/$
i
revolver
xlR
Innocent? líbéré
un� cornmissaire de police : chef une espéce de : une sorte de.
de la police. Il travaille exactement : de facón tout a
dans un commissariat. fait pareille.
un concierge : dans les grandes glisser : passer sur quelque
maisons oú il y a plusieurs chose ou dans quelque
appartcments, c'est I'ern- chose tres légérernent, sans
ployé qui surveille la porte. frotter,
amtréler : regarder de pres la haine le contraire de
si tout va bien, si tour est l'amour. On a de la haine
en ordrc. pour ses enncmis.
un couloir : la partie longue imprudent : qui ne fait pas
et étroire d'une rnaison ou assez attention au danger.
on passc pour aller dans une informatlon : ce qui nous
les charnbres. informe, nous apprend du
un coupabl« : cclui qui a fait nouveau sur quelque chose:
le mal et qui doit étre puní. les journaux, la radio
donnent des informations sur
un crime : la mau vaise action les sports, la politique, etc.
d'un crirninel.
inquiet : dont I'esprit n'est pas
un criminel : celui qui a com- tranquille, qui pense que
mis* un crirne, une grosse quelque chose de mal va
faute. arriver,
la date : le jour, le mois, I'an- étre inquiété : avoir des ennuis
née. Pour les Francais, le avec la police ou la justice,
14 J uillet est une date une inquiétude : �e q1;1c sen�
importante. une personne inquiete, qui
deoiner : dirc ce qui va se a un peu peur.
passer, comme si oo voyait un inspecteur de police un
les choses avaot qu'elles
arrivent. policier qui aide le com-
missaire.
un dipléme : un papicr qui di:
l'inteliigence : la pensée; ce qui
qu'on a fait des érudes et fait que nous sommes diffé-
qu'on a réussi a des exa- rents des anirnaux.
mens.
interroger : poser des questions.
un domestique : un ernployé Le professeur interrogo l 'éléve.
qui rravail!c dans une fa-
millc et s'occupe des choses des jouets :
de la maison.
s'échapper : tromper celui qui
vous garde et s'eu aller

g2.""<!-·0
tres vite.

L
de. étre le jouet de quelqu' 1111 : se p/ile : qui n'a prcsque plus ele
a laisscr commander. couleur.
w1 jo11rnaliste : cclui qui écrit une pantoufle : une chaussurc
ue dans un. journal. légcre pour la maison.
ue un passani : cclui qui marche
ns w1 laboratoire : un atelicr oú
travaillent les hornrnes de - qui passe - dans la rue.
scrence. il se passe quelque diose : Il y a
de quelquc chose de nouveau ;
ine 1111eliste : des rnots ou des
noms mis les uns au-dcssus quclquc chose d'Iruércssaru
se fait ou va se faire,
<les autrcs.
as un pistolet : voir page 91.
er. maladroit : qui n'cst pas adroit.
une plaisanterie : quelque chose
us des menottes : qu'on fait ou qu'on dit
du pour fairc rirc.
e:
io un ¡,la11 une note qu'on
ur ministre : une personne qui écrit avant de fai1'C un
11n
travail pour, en donner les
tc. fait partie du gouverne-
ment d'un pays el qui est grandes parties. C'est quel-
as quefois un dessin : le plan
ue placé a la téte d'un servicc d'une maison, d'un moteur.
va irnportant. Ex. : le ministre
de I'Lntérieur, le ministre le poignet : la partic du bras
des Finances. juste avanl la main.
uis
normal. : qui va bien, qui est la Police judiciaire : bureau de
ce,
comrne il Iaut. Il a une vue police qui étudie les affaires
n� normale, il n'a pas bcsoin avant de les donner au
ui de lunetces. juge d'instruction, qui lui-
une note écrite : un papier oú meme les passe au tribunal.
un l'on a écrit des informa- A París, la P. J. cst au
m- bord de la Seine, quai des
tions", des ordres : j'ai
Orfevrcs.
pris note de votre adrcsse -
ui j'ai noté votre adresse. pourtant : mot qui sert a pré-
fé- senter une idéc qui étonm;
obéir : [aire ce qui est comruan-
dé : il faut obéir a la loi. apres ce qui a été <lit.
ns. la priso11 : la tnaison de justice
l'orgueil : le défaui de l'or- ou l'on enferme· les cou-
ve.
gueilleux qui vcut dépas-
ser LOUL le monde. pables.
un psychiatre : un· médecin qui
un orgueilleux : celui qui se
croii plus fon, plus intclli- soigne les fous.
genr. plus bcau que les la psychologie : la science qui
auues. essaie de savoir commcnt

93

L. - ­­ ­­­r­ " ­
---------- --

marche le cerveau et la une SOUTI.<


pensée.
un régisseur: dans les cháreaux
ou les grandes propriétés,
celui qui surveille les ern-
ployés et les fermiers. la sueur : ce qui coule sur
un ressort : notre peau -quand nous
avons tres chaud et que
nous suons.
surueiller : garder les yeux
ouverts pour voir si tout
se passe bien : je surueille
le lait sur Je feu; le policier
un rále : ce que fait et dit une suroeille le prisonnier. D
personne qui joue au
théátre ou au cinéma. un suspect : quelqu'un qui Le
sernble coupable mais qui
un secret : quelque chose qu'on ne l'est peut-étre pas. U
est seuJ a savoir et qu'on
ne doit pas dire. tendre un piege : L'
semblable : pareil. M
� La
tircr un UJIJP de pistola:
La

=�"

M
silencieux : qui se tait, qui Ex
fait silence.
une victime : celui a qui on
a fait du mal. Ici, I'assassin
souffrir : avoir tres mal. Sa et sa femme ont fait six Lg
dent malade le fait souffrir. victimes.

To
1 Cin
Jea
ph
94

• ·:,a, ..

..

Table des maliéres

Des journalistes tres cuneux . 5


Les idées du professeur Tissot . 15
Un quartier bien survcillé . 25
L'auaquc . 43
Maigrct cherche une veste . 53
La veste est retrouvée . 62
La victime qu'on n'attendait pas . 69
Maigrct comprend et gagne : . 78

Exercices . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
Lgxique .: . . . . 90

Toutcs les photos de cet ouvrage proviennent de la


1 Cinérnatheque Francaise et sont tirées du film de
Jean Delannoy : lvlaigret tend un piege. La photogra-
phie de Gcorges Simenon est de Doisneau-Rapho,
J�t/1 e�b¿u·r1.
95

Textes e
vous plaisent. A

pas
la rcvue trancaise p

Chaque mois. 1 6 pages


journalistes tout spécialern
Les récits et les jeux. le
reportages. le sport. les a
pages de culture.

pas
vous plaira

Vous voulez savoir comm


Vous voulez apprendre le
Vous voulez connaitre la
Alors. il faut absolument

pass
Di tes
á

voire professeur
i
pass
et les conditions d'a

pas
79. Boulevard S

lmpnme en Fronce Por S

Oépo1 lógol n• 0

Edn,on n• 07 · �
1)

Les
extes en fram¡;ais facile
aisent. Alors vous aimerez lirc f
passe-partout
ncaise pour la [eunesse du monde.

I; 1±
pages écrites en Irancais facile par des
pécialernent pour vous.
jeux. les sciences et les spectacles. les
ort. les actualités. les histoires dróles. les

passe-partout
s plaira d'un bout a l'autre! ll

ir comment vivent les jeunes Francais?


111 =·

endre le trancáis tel qu'on le parle? 1 ..

naitre la France?
1,
lument lire
,.
passe-partout,
ofesseur de demander un spécimen de
passe-partout
tions d'abonnernent en écrivant a: '

passe-partout ,,
ulevard Saint-Gerrnain. Paris-6•.

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.,·.
once Por Société Por,,ic.nnt d'lmprimcr•• O Pcr11

lógol n• 0030,12,1979 · Colleetion n• 01

• 07 · � 15 417611 · ISBN l.01.002438,9

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