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MILLE
REGRETS
Nouaelles
Éorrroxs DEr.[oiiL
19, rue Arnelie, 19
PARIS-VII"
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MILLE REGRETS
PRINTED IN CANADA
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10 MILI,E REGRETS MILI,E REGRE'IS 1t
litres à la fois, telle était la loi. La dame faisait des mi' vint avec de minuscules pots de caviar noir: * Soixan'
nes, el}e essayait de s'arranger aveo I'éXricier: évidem' Ic-dix, soixante, quarante ", disait.il tout en écrivant
ment, c'était la Ioi, mais il pouvait bien faire ça polJr k:s chifires sur le papier, et iI regardait interrogative-
ell., qrr* voulait-il qu'elle fii avec deux llorateilles, elle rncnt le vieux. Celui-ci étendit Ia main et prit un ilee
n'étaii pas une saoulardc! tr'épicier, qui avait eu sa pctits pots. Llne bague âvec un gros diamant apparut à
Iloutique fermée pendant huit jours parce qu'i] av^ait. xrn doigt et se cacha à nouveau sous la manche. Et je
,erdr-du la charctlterie un jour oà c'était dé{endu d'en. nrr: suis sentie rougir parce que j'ai vu qu'il avait su-r'
vendre, s'éehauffiait: n Deux Iitres, Madanae, c'est la loio pris mon rcgard sur le diarnant. Il paya et sortit. L'é-
et j'e n'irai pas contrc la loi! Pas pour rna rnàre, pae picier eut un petit hochement de tête et recommença
pas pour rnon frIs!-" Il-trra"-iait fort et
p".i* *u feri*., -morr,lc rrrrssitôt à s'expliquer avec les trois Ànglaises. La petite
iega*dait tout le d'un air de défi, qni voulait rlurne ne pouvait toujours pas se décider à prentlre deux
diie: . Vous êtes peut-être tous des inspecteurs, mais litrcs d'alcool quand elle n'en voulait qu'r'-n-
vous ne fiia.urrez pá"! " Il en avait eneore gros sur le Le vieux bonhomme se tenait de l'autre côté de la
ceur de ces latlif jouns tle fcrrneture' Le honhornme ruo, en face de I'épicerie. Je l'ai remarqué aussitôt. Dàs
crasseux traversa 1ã lroutique en cliagonatre et s'arrêta rlrr'il m'a vue sortir, il a traversé et fait quelques pas ra'
pràs de l'épicier, clui cessa tle cricr' T-e honlaomme po' pirk:s dans ma direction.
â. .u *ui, *ur la Áanche tle l'épicier et chuclaota: n Du l[ faisait déjà nuit. I-es réverbôres étaient allumés,
caviar. , rrrais Ie faible courant n'arrivait qu'à rougir ces troules,
J'attendais cléjà depuis un bon uroment c4tle la petite rlrri pendaient c{evant tres maisons co[rme cl'énormes
darne eüt flni son achat d'alcool' Il y avait aussi trois t,,,,r,,t". et n'éclairaient Pas davantage. Mes semelles de
vieilles Ânglaises qui voulaient de la viande de cheval ciroutchouc glissaient stlr le pavé mouillé, les gens par'
hachée et i'arrivaienf pas à cornprentlre pourquoi il l;riclrt fort, le tramway rasait le trottoir et promenait
fallait donner des tickets cle pain pour de la viande de rrvr,c lui un grantl hruit de forge. Le capuchon de rnon
cheval. Elles jetaiant cles petits cris alau-rnés' Fersonne irrrpcrméahle rrre mettâit des oeillàres et m'empêchait
ne protesta qüa*d I'épicier s'occupa d'ahord du vieux' r!r: lourner Ia tête. Je sentais le vieux qui marchait der'
* üo*, dur ca"irt rouge? lui dernanda't'itr' je rii'r«: rnoi.
"oril"n
n'en ai -Dtr
plus depuis Xongtemps' ' I-e vieux le regar- !l n'y a pas d'âge, pour une femme, qui lui perlret'
dait: . », ltrlrlrmulra't-il encore' " Du rou' lt rlt: vivrc seule. Tant qu'eXle a de la jeunesse, il lui
"*rino
gc? , rópéta I'épicier. Tout. le monde attendait patiem' lrrrrt un chaperon, Plus tard il ltei faut une garde. Je
ãrent. u tlt, cavia" », nlurtrl1llrait tre vieux et il Êt u-n pag vis sr:rrle. Juin 1940 a fait que je vis seule: sur la route
vers l'épicier qui reculait, et lui dit presqu'à tr'oreille: rl,, .iuin, j'ai perdu ceux qui faisaient que je ne tr'étais
. i. .oi. souttli, é:crivez.,. ' tr a suite de la corlversation Me voi'
1,,,*. 't'tr*t a sãmbré dans le cataclysme général.
,u ,lé"o*tr* avec Ia rnusique du cinérna uruet' X"épicier ,'i ;, l{i"". avec mes derniers billets de cent francs' Et
dit oui tle Ia tête, disparut dans 1'a!:riàre-boutique' re-
Ir
!,']
ÀtL
MIT.I-E EEGRETS 13
L2 MILI,E F,EGRETS
feuo sur une table ronder dans un §erYice à dorures, tou' ,fl frrmais maintenant une cigarette anglaise. Le so'
tes les choses promises. lril uv:rit roulé jusqu'en bas du ciel... Le vieux ee pro'
Le vieux tirait les cordons de lourdes tenture§ roses rrrr.rurit dc trong en large. " Alors, dit-il en s'arrêtant
devant la fenêtre: le soleil sauta sur l'oecasion, fit bril' lrill rlcvant rnoi, alors? Je suis un pouilleux, n'est'ce
ler du satin rose, 1'or de la théiêre sur la tableo le verre ;rru'/ , .lc ne dis rien: j'étais au. delà de l'étonnement.
des tableaux... Le vieux tourna vers moi des yeux grist .llir.rr r1u'un vieux pouilleux? " répéta-t-il, et il se mit
ses joues pas rasées. II avait jetó son pardessus sur le ri r.lrlr:vr:r son veston. u Dans les magasins on ne \reut pa§
canapé, mãis cela ne changeait rien: son veston, sa che- rrrrr rrrontrer lee Ileaux lrijoux, parce ![ue je ne suis qu'un
rrrise sous le cache-nez qu'il avait gardé, étaient de la virrrx pouilleux... Eh trrien, je vais vous montrer
même couleur poivre et sel quc son pardessus. Stlr sa rlrrrlr;rrr: chose, à vous! , 11 avait pris sur la table un
tête chauve il y avait quelqucs croütes. Il était dans illx pctits corlteaux en or, tout bartrouillé de caviar, et
ce boudoir rose comme LIn cactus dans une serre de n','rr sr:rvait pour découilre la doublure de son veston:
fleurs tendres. .Ie posai mon nlanteau pràs de son par' il lrr tombait des liasses, encore eÚ encore des liasses
dessus, sur le canàpé. Il rn'indiqua un petit fauteuil rltr lrillcts de cinq rnille francs. Il les rangeait sur la
devant la table servie, lui'nêrne prit un pouf et se rnit tnlrlr', :ru {ur et à mesure qu'elles apparaissaient. Il me
en face de moi. ar.rrrlrlait, et c'était peut-être vrai, qu'il y avait là des
Il n'avait pas menti! Pâté de foie gras, caviar, sand- rrrillions. Il posa ses deux mains sur le tas:
wiches *, p.ol"t, toasts de pain blane! à ne pasy croi' .lr: veux acheter votre manteau, dit-il, le rnanteau
re... et puii des confitures, et tlcs chocolats, et des pe' rlrr(. v()us poÍtez. Combien?
tits-fours... Les tasses ovales, rayées or et blanc, avec .l'í'r,r'ivis sur le carnet qu'il tira de la poche de son
leurs pieds et leurs anscq corail étaient de véritables ;riurl:rlorr: . Fourquoi croyez-vous que je veux le ven'
petits couteaux, des {our' tlrr'1 ,
-."rruiil"r. Des cuillàres, descotlronne. Je mangeais' Je (.)rrand on pon:te un manteau de vison et qu?on
chettes en or, ornés d'une
noangeais heaucoup. f,ui aussi mangeait beaucoup, tout rrrru.lrr: nu-pieds darls cles souliers à talons tournés, on
en surveillant attentivemerrt mon assiette, et me ser- tr.rl vr:nrlrc le manteau.
vant dàs qu'il me la voyait vide' Il avait de petites .l'írr:rivais: " 'Irente mille" "
mains velues et je rernarqlrai que ce n'était pas une' .lc vous en donne deux.
que c'étaient deux bagues qu'il portait à la main alroi'' .f i.r'r'ivais: « Deux, quoi? ,
t-e: le gros diamant que j'avais déjà vu et un rubis en- I),'rrx mille.
touré áe petits diamants. Pour servir le thé, il s'était .lr. r,rr<,ouai la tête.
rnême leoé deux fois de son potrÍ. Il y avait dans son Vorrs avez mangé pour cent cinquante francs. Cela
hospitalité quelque chose de digne, de grave, comme [ait rlr.rrx mille cent cinquante. Voulez-vous manger en'
** ,it. et aussi quelque chose d'oriental. Nous man' .'.u." un{: tois? Je vous donnerai de la mortadelle.
gions dans le silence le plus complet. f,es oiseaux je' .1,' v,'rrais de manger, je n'avais plus faim. J'écrivis:
iaient des trilles derriêre Ia fenêtre grand'ouverte'
L-
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de musée? Et tout ce beurre... Il faut que je rrrange tous 0nla aurait certainement été une histoire pour rire.
Ies iours".. J'ui appris sa mort par quelques ligraes dans le journal.
IJne femme seutre est toujours suspecte. I-es gens trou. ll cst mort, et à catlse de sa femme je ne peux pas en
vent quc cela ne se fait pas, qu'une famille est obliga- tuvoir plus. IJne grantle, belle ferrme. ElIe ignorait
toire. Je ne sais cornfircnt m'excuser de ce mauvais tout, elle ignorait que j'existe. Il ne faltrait pas qu'elle
genre. Je n'ai mêrne pas l'étrange gloire d'être une veu- lor:lte, il y avait les enfant. C'est surtout à cause des en'
ve de guerrc. Quand on vous tue votre amant, celâ ne Írtrts.. Lui, venait me voir dàs qu'il pouvait, dàs qu'il
fait pas de vous unc ycu\/e de guerre. Si seulernent j'a- rvnit dix minutes cle libres entre ses affaires, son usine
vais une bonne vieille tante quelque pârt en provin- at trrr famille. J'attendais, je passais ma vie à attendre.
ce, du bon côté, en (Jorr:êze, par exemple... Avec un jar- lfrris il y avait les vacanccs, s4 fernme et les enfants
din potager, un poulailler et une vache. Yoilà des mois lrartaient. Il {aisait si chaud à Paris. I-es volets de ma
que je n'ai phrs goirtír au lait. En ce momeÍrt qui n'a qlrumbre étaient fermés, il y avait sur le tapis un soleil
pa6 une vieille tenlc pour l'héberger? Je n'ai pas de rayri. Il habitait chez moi, j'étais jeune...
vieille tante, moi, 1'e rr'ai personne, je n'ai pas besoin Ls clef dans Ia serrure... Il a beau faire doucement,
d'écouter à la radio Comtnent retrowüel l,es aôtres. De moi j'ai de bonnes oreilles.
miens, je n'en ai pas. Plus un cmur dans lequel je se. ,- Vous avez réfléchi, Madarne?
rais la premiêrc... J'écrivais: n Deux mille, mais je vous le donne seu-
Dommage que je n'aie plus Íaim, je lui aurais man- lomcnt dans deux semaines. Et cinq cents francs d'a'
gé le reste de son heur:re, à ce vieux salaud... Qu'est-ce oornpte tout de suite.
que je vais lui clire pour le rnanteau? C'est que je n'eu -* Non.
ai pas d'autre, je vais avoir fa:oitl, faim et froid. Le J'ócrivais ; * J6 ne \reux pas mourir de froid. Dans
commutateur est Xrro!.rahlcmcnt pràs de la porte. Ce çftrrrx sernaines, il {era meilleur, "
sont des hougies à petits ahat-jour roses qui s'allu- - C'est juste, chuchota-t-iL, et itr tendit la main.
ment aux mllrs. "I'aimerais habiter cette charnbre, il y Jc reculai, n'auriez-vous pas reculé, vous? Cette main
fait un silence douillet. Est-ce que le vieux m'aurait bnguée ne pouvait être une main innocente.
oubliée? J'espàre qu'il ne lui est rien arrivé de fâ- - Non... c'est pour voir votre bague.
cheux, je serais bien cmbarrassée si on venait me poser ll a donc remarqué que je portais une bague. C'est
des questions, je ne sais rnême pas son nom. .Je vais rrn rnneau err or rouge, flexible et pas plus épais que
voil dans le couloir... A[r, il a ferrné la porte à clef. rlrr papier, âvec un dessin en relief. IJn cadeau de
Et sans bruit cêtte fois. C'est à cause des petites cuil- 'lirny.
lêres en or. Il faut me faire une raison et attendre... - Laissez-rnoi votre bague en gâge, je vous donne'
Qu'est-ce que je vais lui dire? Qu'est-ce que Tony rni lcs cinq cents francs,
aurait pensé, s'il rrr'avait vue dans ce boudoir de théâ- Jc veux bien. Je n'ai pas besoin de souvenir§e corn'
tre à attendre un vieux fou?... Il aurait ri, parce que tnn on fait un noeud dans un mouchoir' J'ai donné au
q
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MII,LE REGNETS 2l
vieux la bague de Tony pour cinq cente franc. Il tire
un billet de cinq cents francs de sa poche, il doit en nritte avec mon linge, Ies deux chemises depuis long'
avoir plein, à même les poches. J'avais envie de pren- lornps en loques. Il fait tràs froid. C'est en fourrant
dre l'air. J'ai trop mangé, et Ie vieux promàne avec lui dnn büches dans Ie Mirus que ;'e me suis sali la manche
une odeur de moisi qui m'incommode. Je suis trêe senf
droite de ma robe de chambre. Il chauÍIait bien, ce
sible au.x odeurs. Je mets mon manteau de vison. Je Llirus.
m'en vais.
Je rne tords les pieds sur les cailloux de la pente Jc vais me coucher sans faire ma toilette, Je ne peux
raide. Il fait noir. Une branche me giffle au passâge. 1us m'habituer à me laver à l'eau froide. Tous les soirs,
Je suis humiliée cornrne ei c'était une main d'honrme. fbn chauffe une bassine pleine, mais aujourd'hui je
auis rentrée trop tard, il n'y a plus de gaz. On ne nous
Je sens une rage démente qui me prend tout le corp§"
tlonne le gaz que trois fois par jour, matin, midi, soir.
J'ai envie de me rouler par terre et de hurler. Je ne l{uviron deux heures chaque fois. On n'aurait jamais
le ferai pas. La petite porte et l'escalier. Ça va mieux
déjà. Eon, voilà que je pleure. Tony, une fois, une pe- rrrr que ces réglementations pourraient être la cause
drr tant d'accidents. Il y en a eu un aujourd'hui, je l'ai
tite fois seulernent, entendre ta voix qui m'appelle...
Írr dans " l'Eclaireur » sou€ le titre: Encare une
uphyxie accídentelle par le gtz d.'éclairdge. C'est le 35e
Mon meublé. Ah, là, Ià... Dês l'entréo on est saisie ra,, de ce gerure surüenu depwis trois mois.
par une odeur de choux et d?autres choses. Maie la
charnbre avait un l\{irus, et je crains beaucoup le froid. Forcérnent, on n'arrive pas à s'habituer qu'on vous
Maintenant j'ai lc Mirus et pas de bois. o(nrpe le gaz, alors on a l'impression de l'avoir coupé
fmaginez-vous un de ces studios rustiques, avec co§f-
lli.nrôme, et puis pas du tout: les robinets sont restés
corner, les ridcaux et le dcssus du lit-divan en cotoÍrna- ouvorts. Et le tour est jouó. Je me passionne pour les
potitcs histoires du journal, surtout que je n'ai rien
de à fleurs, sales et Íripés, comrÍre si tous ceux qui ont
passé par le meublé s'en étaient servi pour faire leurs
rl'nutre à lire. ll y a les Désespérés, il y a lee voleurs de
souliers. C'est le bidet qui est le rneuble le plus impor- ;x»trlcs et de lapins, les voleurs de bicyclettes.'" Mais
ta.nt. Le paravent masque juste le lavabo et un réchaud
lrtr vole aussi n trois draps de lit, quatre serviettes et
à gaz. Sur la cherninée il y a des fleurs en paille qui troirr kilos de haricots, à une dame Pestuggia, on vole
ramassent la poussiàre cornme un aspirateur.
tur tapis brosse, quinze bottes d'<eillets, un pardessus,
rn malfaiteur dérobe cent francs dans Ia loge d'une
Je'me suis acheté une robe de chambre en molleton r,rtrrr:icrge, un inconnu coupe les branchee dee oliviers
gris-marron. Mais quand on fait soi-même Ie ménage, rlrng une propriété,.. Et cette noce: «lUne noce tràs
on se salit vite, surtout le devant et les manches. Je me ctylrr 1941 a parcouru hier apràs-rnidi, l'avenue de Ia
demande si elle se Xave. Aucun intérêt d'ailleurs, on a Vitloire, soulevant sur son passage la plus eympathi'
droit à trop peu de savon. Déjà j'use toute ma Bavorr. rlrrt curiosité. Le cortàge n'er1 était compoeé ni de lan-
rlarrr.r, ni de taxis, comme naguêre; il était constitué
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nsrccssités de na guerre, " llrr rnc fait três mal. Je me corlclae sur ]c dos. Mêrne
I?uisque je ll'ai pas tl'cau chaude, je vais juste me rlnns Ic noir je ne peux pas me faire d'itrlusrions sur mon
brosser les dents. C'est hizarre, depuis quelque temps nrrps. Oü donc est mon mouc*ioir, morn de Dieu.
j'ai l'inlpressioll gue toutcs mes dents bougent. Il fau. J'lllume. Je mc voi-o hougcr dans la slacc: une petite
drait tout de lnênac quc jc me lave les mains apràe lc lllk' tvec des boucles défaitcs... Voilà nrom mouchoir. Je
vieux. Dans cc lava]ro rlans lequel je viens de cracher. lttl lrrouche hruyarnlnent pour faire peur à rales obses-
"l'ai hcau f,aire t:onrlt:r' l'eau, Ie {rotter avec du Nab, rir»rs, Je me renlets à penscr à cette nuit de rrai, à Pa"
ce lavabo me {ait frissonner de dégoüt avec son odetrr, plr, r;rrand j'étais sans noravelles r,Ie Tony. Je ne dor-
et tre rob,inet dénicliclé qui n'arrête pas dc couler, com- Irrnix pas une nuit. Il y avair ce sitrence de Faris qui
ure url nez clrnlruulír. L'eau chaude que je verse dans tre Illr.rrlit sa respiration, un silence fait tX'ahsences, du
lavabo sc rcl'ri'oirlit. :russi[ôt à cause de cette rigole d'eau Iroir ilcs rucs, do tous les horar-rnes nrartis, rne tous les
Íroiclc qui solt r:onlinuellement du robiriet. Itrix immobiles. Pas une voix, pas un rire, pas une por.
.Lcs chcvcrLlx lnainlcnant, Dans les eaux troubles de ].a lrr rgrri hatte, pas un klaxon de voiture, pas un passant.."
glacc, je voig rnoll visagc reprendre son air d'enfance. J'rilnitr dans mon grand lit, une lampe enveloppíre de
"Ie mc r-etrouve ainsi tous les soirs, et tous les soirs j'ai ;rapirrr bleu éclairait les rnurs farniniers qui essayaient
un rnonlent ptrus tprc ti'i.llusions: d'espoir.., trl y a pou-r- tL. trrc réconforter, corlllne ne faisaient dans la journée
tant ttres gens qui vicitrlisscnt si hien, tout comme cer- Itrn lronne et ma concierge, Ies amris, et les rclatiorrs,..
taines rnatiàres, coulrre l'ivoire qui fonce et embellit, llsl lqrund hruit se décXenctrta hrrLlsquement rtrirrrs le loin-
comme Xe cuír' tlui se tanne. Les jaunes, le temps Xes l.ur (:t sc mit à foncer sur rmoi. D'ahorrl j'ai cnr que
';ieilnit conrrlle ctre X'ivoir:e. X'Iais les Européens sont faits t'r:l;rit tout. Paris qui s'écroulait, puis Xe hruir. s'est.pré-
d'une matiàre trop fragile, trop périssable. Je 'r,ieillis , rri rrt j'ai c,:rnpris que ce n'était qil'un carnion qui
rmal, rnoi.
T.es drraXrs. J'éteins vite pour ne pas voir Ies draps
lilrqnil tlans la rue. Et môrme il ,-.'est arrêté devant la
ur*rh()n. u Tony! , Ce qu'nn eauliom pcr-rvait avoir à
qui ne sont Xlas eirangés depuis plus d'un mois. Je pen- frrirc u'r,cc Tony, je n'aura-is pas su tre dirt:, rnais toute
se subiterraent aux cahinets du train qui m'a amenée ici, r ltnrr. r:xtraordinaire, coJrlrne ce camion rlui s'arrêtait
er oü l'on avait vomi. par terre. Non, je ne veux pas y rlrrvurrl Ia rnaison en pleine nuit, ne pouvait avoir qu'une
Xlenser. Je {ais uin tetr effort pour ne pas y penser, qu(} l'ulr.signification" Je me prócipitai à Ia Íenêtre.
je me rnets à plieurer -.ans larmes. Ma main rencontre .\ llrrvcl's lcs fentes des pe.rsiennes ferrnóeg, j'ai pr-r voir
na peau grurrraeleuse de ma cuisse, elle est devenue com- rll ('rrr arrêté devant la porte dc la rnaison d'en face.
me ça à force de ne pàs prcndre rie l:ain. Maintenant lL'rrr irgcnts, leur rnousqueton an han<noui.íiirre ótaierrt
je sais nloun-quoi r:ertaines femmes ont le haut des hran rltr', lrrlus sur le trottoir, un trclisid,me venait de santer
lcouvert d'une c,hair de poule permÍrnente: elles ne st: ,t lrtr rltt r:ar.
Iavent pas comntÍ]e itr faut. J'ai les pieds froids, froids.
24 MILLE REGRETS MII/I,E REGRETS 25
-- Quand je disais qu'il fallait une ambulance... La l'rrrlrcsse: boulevard Fort.Royal, La Maternité. Vous Ia
voix de l'agent emplissait l'univers silencieux. ví,rro(, demaial,.. "
Maintenant qu'on est là, dit l'autre... La porte de l,'arnbulance démarra. Les deux ombres restêrent
Ia-maison était ouverte à deux battants, une lumiêre r:ní:ore un lIloment devant Ia porte ouverte à deux
bleue dansait dans les fenêtres de la cage de l'escalier. lrrrltants. " Âllez,dit une voix, bonsoir, Monsieur Mar-
.- Je te l'avais dit, c'est une ambulance qu'il fallait.., » Cela devait être le concierge. La porte se re-
lirr...
Ír'rrna. Je restai couchée sur le plancher. Je pleurai à
Elon, alors grouillez-vous... Le temps d'y aller, elle
- ôtre là dans dix minutes. ritorrlfer, j'étais ridicule à gigoter cornme ça par terre,
peut (.r)rrme si j'essayais de nager... J'étais seule, seule, seu-
Les agents grirnpaient dans le car. Le bnrit s'en alla L., tout était fini pour moi. Il y avait des enfants qui
mourir tians le Faris noir. lruissaient, il y avait Ia vie qui continuait, mais pas
J'attendais à genoux devant la fenêtre. J'avais éteint porrr moi, pas pour rnoi.,.
même la petite lampe à abat-jour, et j'ai mis ma douil- l,r:s enfants... .Ie revois sur rlne place d'Orléans un
Iette, une douce douillette en soie blanche. Devant la nrrlobus parisien plein de nouveaux-né, emrnaillotés et
porte ouver:te de la rnaison d'en face se tenait une oÍn- rtlrgós stlr tres trranquettes comnre deo büches. Feut.être
hre si'lencieuse. La lune éclairait d'une large lumiàre y rrvait-il celui pour lequel des agents étâient venus une
hlanclae tra rue et les lumiàres bleues des réverbàres. rrrrit, clans }a rnaison en face de la mienne" Deux infir-
L'ombre devant la rnaison toussa. Enfln un bruit de rrr ii:res clratrÍfaien[ les biberons dans un seau d'eau
mote&r, ct unc arnbulance grondante s'arrêta devant tra t'lrirrrtle, qu'elles allaient cherchcr derriêre Ie zinc d'un
,úlaisoÍr. T-a coiffe blanche d'une infirmiêre apparut à r,rrli!. il était six heures du matin, il y avait des rnilliers
Ia portiôro. Derriêre ello un homme descendait un rlr voituyes, urre odeur d'essenee. Depuis combien de
brancard. une ltami.àre se rnit à nouveau à sautiller lrrtrps ràgne ae oilence du rrroteur calé?
dans l'escalier. Déjà l'infirrniàre ressortait de la mai- .lr: n'ai pas chorché à savoir commerxt Tony a été tué.
solr, a\rec à côté c}'elle une fernme qu'elle aida à monter Avoir tout supporté cle son vivant pour lgte ea femme
dans l'ambulance. L'trromme et le chauffeur qui était nÍr s.rctrle rien et risquer qu'clle apprenue maintenant.
clescendu de son siôge, rernettaient le brancard vide à Jr, n'ai pas écrit à son colonel, pas recherché un carna-
l'intérieur de la voiture et grirnpaient maiúteÍrant sur rrrrl<: de régirnent, pas mis d'annonce dans }es journaux,
le siàge evant. * Non, disait f infirmiàre, c'est inutile, rrrc de ces épouvantables arulonces qui eont comme
Monsieur, on ne vous laisserait pas entrer de toute arrllnt de cris.
façon... On s'occupera de Madame tout de suite. 'Je
vous assure que c'est inutile... " L'homme parlait à . o**
voix si hasse que je n'entendais rien de ce qu'il disait.
" n6ais oui, reprit l'infirrniàre, vous viendrez demain llier, aprês avoir payé ma chambre, rtr me restait
matin, peut-être que ce sera déjà fini... Retenez bien rlrratre.vingts francc trente centimes. Les cinq cents
e.
26 MII]LE REGRETS I{ILI,E REGRETS AI
f,rancs sont venus à temps. bfaintenant, je possêde cinq lorrrnrct de la tête. .I'essaye r}'arrarager mon visage. Il a
cent quatre-vingts francs trente centimes. lrrlltr remplacer tolrtes rnes cràmes par un tube de cold-
Le vieux s'appelle M. Oléonard. Un drôle de nom, r'r'(ranr tle claez lc pharnaacien voisin. J'ai des yeux de
tout huileux. Il. faut que je lui apporte rrron manteâu lrLrrnb, gris et ]ourds. Ils ont perdu ce regar,d qu'ils a-
dans detrx sernaines. Il a l'air d'ôtre bien sür de son virir:nt eu toute leur vie. T-e tailleur dans lequel j'ai
aÍfaire. Je pourrais pourtant aller le venclre ailleurs, rlrritté Paris, qui faisait se retourner toutes les fermrnes,
on rn'efl donnerait certainernent plus de deux rnille rl aussi les hommes, n'est plus qu'une loque. La jupe
francs. On dirait qu'il me connait, qu'il sait que je suis Iiril une poche sur le dcrriêre, la douhlure cst déchirée,
incapal:le du moindre effort. Il faut que les choses se r.l ruêrne quand je viens rXe Ia repaoser, j'ai l'air tl'avoir
f,assent d'elles-rmêrnes, orl .ie rne laisserais simplement r:tí: sous une averse. Je suis partie de Faris avec une
rnourir de faim. Je n'ai 3'arnais rien fait de ma vie, on pclite valise, et mou rnanteau sur le bras. Je ne vais
u toujours tout fait pour moi. Quand je suis sortie de 1,lrrs chez le coiff,eur, heuretlsement. que mes cheveux
la pension oü j'étai.s interne (apràs la mort de Farrain, rorrl doci]es et qüe je ne ]es ai jamais teints, ce sont
j'avais un par:rain, que je n'ai jamais vu), j'ai été pen- rl'lronnêtes cheveux châtains caflrfire on n'en voit. ptrtls.
dant huit jours mannequin chez Pacluin. Et tout de !,rr iqlace est trottblée, et à ccntre-jour, avec mes épau-
suite, j'ai rerrcon[ré nlcn futur mari... maintcnant je lcs, ct mes bras graciles, j'ai l'air d'une jeune Slle.
ne possêde plus r:ien. .l'li rraal ctroisi rnon jour pour ll1e faire des houclet-
Jamais rien fait cic rnes dix cloigrs. Fas mêrne cousu trs, Âu dehors c'était la tempête, en plein jour, en plein
un Jrorrton... Ou a toujotrrs tout fait pour m.oi. Juliet- rolr:il,.. Rue de France je n'ai pas pu traverser, n'eau
te, lria ferarrne rie chamhre, a quitté Faris bien avant rrlrivait par les trues rrcnant cle tra rrrer. I-e déjeüner à
juin, elle est parti,e dans le Jura, oà elle a sa famille. prix-fixe était de quinze francsl avec Ie vin et le pour-
J'ai ]reaucoup vovagé apràs la rnort de mon rnari. l,oirc, cela en fait presque l.ingt. Mais j'ai bien rnangé,
Quand j'ai cc,nuu Tony, je me suis mise à lire. Il fal- il y avait de la viande. Fuis j'ai'r,oultr voir la rner.
lait bi.en, pendant que je l'attendais sans bouger de Lc tereeps de tléjeunel, et }'eau s'était déjà retirée
chez moi, pour le cas oà il aurait un moment pour rl,'s rues. Sur ]es.. quais détrempés, cles homrles enle-
venir, oü il me téIéphonerait. Cela fait déjà huit ans vlicnt les galets que la rner avai,t laissés jnsque devant
que cela rlure avec Tony, j'ai eu le tenrps dc bcaucoup ft's grands hôtels et les belles rrilnas. Le soleil n'avait
Iire... rir,lr d'apaisant. T-a rner grondait et. rnontrait ses dents
Allons, le vieux a raison, je n'irai pas vendre mon l,lirnches. La Promenade était presque vide à cause du
ürarrteâu ailtreurs. Ifais que des êtres cornme lui puis- tí.nrl)s et de l'heure. Soudain, je vois la mer qui se
sent exister sous le soleil! Le rubis entouré de dia- .'r('lrse, des vagues se cabrent corrnme des chevaux,
mants à sa petite rnain crasseuse est inoubliable. rluoues et criniêre blanches au vent, elles sautent par-
Aujourd'hui, en l'honneur des cinq cents francs, je ,L'ssrrs le parapet! Je suis nestée longternps à regartner
rne coií{e soigneusement. J'arrange fiies boucles sur }e frrirc les vagues, Les balayeurs ont presque fini d'enle-
MILLE BEGNETS 29
28 MIITITE REGRETS
Time on my hands
ver les galets, rernettent en place les fauteuils blancs Ánd, you in rny an,nts.
renversés, trerrrpés. Je suis bien dans mon rnanteau, je
n'ai pas froid.
Puis je me suis assise à la terrasse d'un café, au coin Les cafés, les cinómas sont pleins dàs Ie matin, de
d'une rue. C'est la grande vie. &Iais j'ai dü partir tràs ;qtns qui sont Ià à attendre le coup de baguette magi-
vite à cause d'une dame qui m'agaçait à répéter: . C'est rgrrc qui remettrait tout en place. Je ne rn,attends pas?
três, tràs bon, je vous assure. Je les fais revenir avec lrroi, à me retrouver à Faris dans mon appartement,
un peu d'huile ou de margarine.,. C'est três, tràs bon. rl'c(: mes rentes, rnes an.is, et rxes habitudes; les mê-
C'est aussi bon que Ies pornmes de terre!... rrrcs; points de vue, les mêrncs idées. Tout s'est ern]rrouil-
" Si encore li' r,sp11116 une pelote rtre laine qu'on aurait ahandonnée
elle avait dit cc que c'était qui était aussi tr]on que les
pornfires de terre, rnais c'était là juste ce qui na'échap- ir rrrr chat. F"ien ne pcut être remis à sa place. Jc veux
pait. J'ai pris le tranxway, autre grand luxe, jusqu'à la rlirr'c à la mêane place. Tony ne ressuscitera pas.
pnaae Masséna, pour tlescendre l'avenue de Ia Victoire .lr: fais coxnlme tolrt le monde, je vais au ciraérna, au
en me prormenant. Il y a les devantures des Galeries r':rlii. Aujourd'hui j'ai essayé d'aller au Cinéac, rurais on
I-afayette à voir. J'airne aussi regartler les devantures p('ltt y arr:iver ti n'importe quelle lecure, matin ou soir,
des pâtisseries, il y a de jolies corbeilleo cle fruits con- il rr'y a jarnais que cles places debotat, Je rn'en vais
fits. Des petites r-,eriges rouges? transpar,entes, et de l'a- rrlnirrc Alsace-Lorraine regarder jouer les enfants. Ja-
nanas jaune et des prunes vertes... On dirait de gros rrriris personne ne ul'adresse la pitroX.e, jamais per-sonne
hijoux de tltóâtre. Il y a toujours foule devant la fa- rí' rire sourit... f{eureux }es moins de trente ans, l:r vie
çade rle !,'Eclaireuro pour lire les télégrammes affichés. llrn' cst légàrc. -dh! si j'avais tÍevant moi I'ót.ernitó, ce
Oar peut aussi lire les norns aux portes des restaurants: n'r's[ p&s la résignation, c'cst la patieuce ctruc je prê-
Frix-fixe X5 francs, prix-frxe 45 francs. Í.es rrenus inté- llrll'rris.
r:essent énorurément de gcns.
C'est ici un pays habitué à abriter des gens qui ne l! a déjà en }'aia: unc petite orleirr de print<,rnps.
1,
font rien de leurs dix doigts, colltme rnoi. Ça n'a pas fait des profilesses que derrrair.l nc tit:nt
,t u.iourtl'trer-ri
changó avec la gxÍcrrc, c'est toujours plein tle gens qui p;rs: c'est tamtôt Ie soleil et }e bleu, tantôt un froid,
ne font rien, mais ce ne sont plus tles habitués du rien- .rli!!r!)c ccluii de n'cau sous }a neige fondue. Dt':jà res-
$airc. Ce sont des gens qui n'ont plus de bureau oü lr'r'itrr soleil est devenu url rnoyen de passer le ternps.
aller, plus de chez-soi dont s'occuper, plus de travail, 1,,'s Xauteuils cle la prornereade tles Aarglais sont tous
ou rnême d'occupation. Ils ne sont pas habitués à avoir oclrrlrris. Cornment forat les gems pour avoir cles beaux
Ie ternps à leur disposition, ils se battent avec lui, ils \'ritr.nrclrl.s neufs? Ils ont donc de I'argent? Cornmc I[.
essayent de le tuer. Je m'en tire mieux, moi. C'est que
pour moi Ia vie était comme la chanson:
&u,'
30 MÍI,LI' REGRETS MII,I,E REGRETS ôt
&,'_
32 MILLÉ NEGBETS
MIIJLE REGREIS ôÕ
&
34 MII,I,E REGRETS
r MIIJJE REGRETIS 35
entre le monde et moi. Je nee sens une ombre parmi ttlrinhlo. J'ai froid jusqu'aux os, Je l'auraig bien laissó
des êtrcs vivants. Pas encore un revenant, une ombre. lottrlr<rr, ce grossier personnage, mais j'ai besoin de ses
Je peux déjà regarder les gens, sans qu'ils me voient t;trirrzo cents francs.
les regarder. Mais avant de revenir il faut partir, moi lui. J'ai eu du mal à retrouver
Jrr suis donc allé chez
je ne suis qu'en partance, je vais partir, je pars. Jc la petite porte. La petite porte
lr. r'lrcrnin, l'escalier et
pars, Tony... élnit fcrmée à clef, il m'a fallu faire le tour. Je ne
Á.h, si j'avais devant rnoi l'éternité.." La hanque nc uri.r! sortais plus... Il était sept heures quand enfin je
gagne que parae que ses fonds soÍrt sans limites, elle firturrri à Ia porte de l'appartement, La même femme est
peut attendre. Lo pauvre jotaeur arrive vite au bout, ?t.nrrr, m'otlvrir.
et pôurtant, encore uÍr coup et iI aurait gagné, sâre' M. OIéonard est chcz lui?
rnent! Mais ses poches sont vidos. Ah, misêre... Entre l,rr rla,me nre regardait attentivement avec ses yeux
chaque iradividu et la guerre, c'est rnaintenant que§- Itrrit'r.. cn bouies. .I'ai clú répéter ma question.
tiora dte vitesse: qui durera plus longternps, lui ou elle. Vr»rs avez rendez-vous?
.Ie leur soutraaite du plaisir, à tous; rnni, je tire mon (l"cst-à-dire que j'avais rendez-vous, rnais pas ici.
épingtre du jeu. Dire qu'il y a seulement deux semaines, M. Olóonard n'habite plus ici... Et si j'ai un con-
je lisais encore les ;'ournaux, je m'intéressais encore à xtil rr vous donner, Madam.e, n'essayez pas de le re-
savoir si Ia Yougoslavie adhérerait au pacte tripartite, I rut t vr:r...
je nr'arrêtais devant l'Eclaireur pour lire les affiches ()'est que,..
avec tout, le monde. Imbécile que j'étais. Fuisque Tony llladame; M" Oléonartl n'habite plus ici. Vous avez
est mort. l'rir rl'rrne per-qonne comme il faut.,. hle cherchez pas
Mais sôrement à s'agiter de la sorte, à secouer la ter- ll. Olíronard, je m'exptrique pourtant clairement!
re, l'eau et l'air, tres hommes finiront par déclencher lc !,rr rllrne me ctraqua la porte at Í\e2,.
cataclysrne frnal. La terre n'est peut'être guêre ptrus so' l,r. vieux s'est fait prendre dans quelque chose. On
lide qu'un botr fendu. {Jn léger choc et elle s'ouvrira orr lr,rt lc lrt:aucoup dans les joulnaux de trafiquants d'or,
roulera, cournoe une boule qu'elle est, vers queXquc ;lr lil1-1y1s d'or. Comment est.ce fait un lingot d'or? Je
abime inconnn. Une affaire. lria r;rrctrque ch.ose comme un saucisson, J'imagine M.
lllr,otrurrl coupânt des rondelles d'or" Deux tranches
**o l.lr uu manteau de vison! Il me fait rire ce sinigtre
tt,,illrrrrl.
C'est donc pour atejourd'hui cette histoire de rnan'
teau. J'ai rendez-vous avec le vieux en Íace de l'épicerirr plus que cinquante francs. Et le manteau. Je
1,, rr'rri
oü 3e I'ai rencontré la premiàre fois. A quatÍe heurcs' aute lr.llcrnent déguenillée que, si i'allais le vendre, on
Ii nt'a posé un lapin' Je l'ai attendu jusqu'à cinrl rrltr'lit rlue je l'ai volé. Je pourrais écrire à.fosette...
heures, rnon rnarlteau §ur le bras, vêtu de mon imper" llrr rr l'ir:rrc Grange. Non, je ne pourrais pas. J'ai perdu
&,
:".Ír:i:":: !i:riI I;rf,l' ir, I :. riir fir itL,rrlrr;:ri: r:,rr r/
! l, .l l,
\'
MILI,E BEGBEM§
36 MILLE BEGnEtrS
Qui a parlé d'espoir? Connais pas. C'était Xron porlr nlrllro de payer une paire de bas soixante-dix-sept
ces temps merveilleux oü l'inquiétude me routrsit par frturr,s. Derriàre Ie cornptoir, elle ne voit pas mes pieds
terre dans ma chambre? quaÍrd la distance entre nous i Irrrr rlarrs d'invrai-oemblables godasses, ni l'aspect de mon
pouvait encore se calculer en mesurj'es humaines... Touy, Inillr,rrr sous mon manteau croisé. Elle ne voit que ma
je voudrais, je voudrais encore une fois, une toute pe' l.rlr' ílui sort de chez le coiffeur, et du vison, elle me
tite fois entendre ta voix! Jllll ccs bas à la figure. J'entends, rmoralement. Je suis
t.onltrtc, j'ai donc encore l'air d'un objet de ltrxc.
***
.l'rri rnis les bas dans les cabinets. Pour so,ixante.dix-
rr,1,t l'rancs, j'ai eu des bas dont je n'aurais pas voulu
Je suis tombée tout droit sur Me Ferdinand. J'ai vu tllrr., [c temps.
passer daus ses yeux un effarement qui voulait dire : l,rr lirmme des cabinets parlait à mi-voix avec une au-
o Comme elle a changé ! » mais il s'est aussitôt ressaisi: Irr. li.rrrme qui se lavait les mains ; * ...Qu'est-ee qtl'on
Je ne saurais vous dire, Madame, combien je suie lll lirisse? Dix sous... A la fin du mois j'ai le ceur qui
-
heureux de vous rencontrer! Tony a retourné ciel et trrl l'rrit mal, tant j'ai peur de ne pas y arriver, avec
terre pour vous retrouver, il est au désespoir! :
Ir', gr»sscs... ,
Tony?... Tony?... :
,l'rri acheté des souliers en satin. C'est tout ce qu'on
-Je bégayais.'" r r'oulrr me vendre sans bon. Un ennui sans fin régnait
entrer dans rlrrrrn k: rnagasin désert, le long des fauteuils jamais dé.
-- Mais oui, mais... Madame... Voulez'vous joure I rrrrp',i,s, tes vendeusos, adossées arl ulllr, les bras bal.
ce caÍé... Vous vous sentez mieux? Ces maudits
sans alcool! Garçon, deux cafés! Pas de café aprês troir
lnnl* rcgardaient la rue, les passânts? qui, eux, jetaient
heures? Voyons, Madame n'est pas bien, donnez'noul
tl'o 1'1.1411fls envieux stlr les belles chaussures des de.
quelque chose! Alors, deux portos... Comment vous sen' ?rrtllrrrcs... Ces chaussures valent les " boites f,actices »
rL." i.1riciers.,.
tez-vous, Madame? Je suis navr'é' Ce n'est pourtant pag
une mauvaise nouvelle! .f c rr'ti pas eu le ternps de m'aeheter une robe, juste
po!:te une chevaliôre, avec couronne. Il adore Tony et .ly(rz assez de l'hôtel. On trouve tout ce qu'on veut en
notre rencontre l'a vrailuent érmu. Àussi est'il tout sou' r!r1rnoment. Les affaires de Tony vont três bien, sou usi-
riant de me voir pltls sermi:lable à rnoi'mêrne, il m'est rrrr remarche, il a un travail fou.".
reconnaissant d'avoir mis un peu d'ordlre dans le dé' l,os musiciens apathiques grattent leurs instruments
sastre. On peut plaisanter sur des, rnalheurs qui vont r'.Dnrrne s'ils allaient s'arrêter à chaque instant. Ils jouent
s'arranger. 11 a ri de bon coeur quand je lui ai dit : « Ne Il rornance de cette guerre, celle qui n'a pas de frn:
me dernandoz surúout nras d'ennever flloll rmanteau ; je
n'ai rien dessotrs.., Mais je serais au contraire ravi, Depui.s quelqwe tem.ps on fred.onne
ravi!... N'insister- pas, je serais capable de le faire, Dans mon qwartier une chanson,.,.
et nouc-reous {eri.ons re[oarque6... " Il riait avec soula'
geúnent : il avait dü avoir tràs peur de cette soirée" l'r.rrrlant l'autre guerre? disait Tony, c'était Sous les
Faut-itr qu'il tienrae à Tony, pour aoceptor une pareille Paris.,.
1xtrr.l.s d,e
corvée.
'l'outes les tables sont occupées, cela grouille de là-
Il s'entretenait maintenant avec le garçon en ve§ton
trrlanc, eraúrctien qui ne pouvait portcr: que sur le vin,
vrcr peintes, cle sourires et d; regards qoi .* crãisent,
àe lrouvent.
Ie reste du repas étant fixe et prohatrrleureÍrt triste, com'
ere Í)artout. lV{ais voi}à apparaitre }e sarrnmelier, et un
rnaitr.'e d'hôtel en vest@n cle tussor. Conciliabules. Oh, mon afi.,ottí',
trl est d'excellente humeur, il parle beaucoup, il est .l'irrragine Tony chez lui, avec ga femrne et ses en-
plein de nouvelles: Faris, Vichy. les Anglais.'. 11 est frurts, les diÍficultés à l'usine... Il eourt, il se démàne,
comme toujours tràs au courantr'comrne toujours il tu' lorrt lc rnonde a besoin de lui : c'est lui qui trouve de
toie les ministres et les actrices, Il a un peu de rouge l'lrgr:nt pour une échéance, c'est lui qui procure le
aux pommettes : r'lrrrrlron, c'est lu.i qui va chercher un paquet pour sa
Ce soir, ie retrouve votre regard, Madame, enfin fr.rrnrrc à l'autre bout de la ville... Comment fait-il sans
je-le retrouvc! rrr voiture?... il lit tous les jour:naux, il parle potritique,
Quel regard avais-je donc ce matin? il prrrlc des raisons d'espórer... Tandis que moi je n'ai
Il me raccompagne dans un fiacre. I-es rues sont dé' r;rr'i'r rcster sur un banc du sqnare Alsace-Lorraine. Je
sertes. Tzoc-tzoc-tzac-tzoc, fait le cheval. I1 fait noir, de- nrri'r rlt:vcnue une de ces fernmes qui ne savent que faire
main il va pleuvoir. Nfous nous taisons. Me Ferdinand rl,' l,rur temps et d'elles-mêmes, qui s'ennuient à lon-
furne, il est absorbé. Demain il part pour Vichy et de p,rrlrrr tlc jo.urnées, et accablent l'homme de reproehes
là pour Paris. lrrrrcc qu'il ne ]eur donne pas assez de temps. Comme
ai rrrr llomm.e était une rnaniêre de tuer le temps, un
rlivtrtissement. Qu'est-ce que Tony ferait de moi, d'un
,r**
poirls mort?
Je ne sais pas ce qu'il y a, je ne pernx pâs me Íemet'
tre. I-e choe a dü être trop fort. Fas celui de la résur- .fr.r:rois que le soleil a eu le dessus. Il sort de terre
reetion, celui de }a molt clc Tony. Je ne m'en rerlrets rlr. pr:titcs jeunes frlles, janabes nues et soquettes de
pas. Tout me dégoôte, et en prernier lieu moi-rnême. lurrlcrrrs. Ces perce-nei.ge sont fianquées de jeunes gar"
J'ai entendu parler d'une f,ernrne dont tra folie était que lrus í.n pantalons <ne flanelle et cravates fantaisie... De
tout ce à qlloi eltre touchait resseülblait pour clle a du ;olils lrctites filles, aux fronts ucts, les cheveux au veút,
püs, ern avait l'odeur, le goât... Je n'ai mêrrle pas démé' sulirlr,s sur leurs jambes. J'étais autrement belle à seize
nagé, ici ou ailXeurs, rmon dégoüt rre suivra' Je pleure 'ai cncore au bras la cicatrice de la balle que m'a
'in',. .f
souvente et ee n'egt pas de joie. rrrlr»vric Ie petit Serge Orloff pour úlon anniversaire!
11 y a huit jours, j'ai reçu uno carte interzone de l,r'soloil {ait aussi sortir les vieilles fernmes. I1 y en
Tony: l t,'llr.rrrcnt sur la Côte, elles viennent par ici réchauffer
u Je suis em ltottne santé..,., Je ne suis pas tué,.".. Je l,'rrl r,:rrrg clui se glace.-I-e soleil révàle leurs tricheries,
ne suis pas décéd.é..... Sons nouue'l,les de toi..... Je vais l,rit ..rrler les fards au fond des rides, va chercher les
all.er à l\ice dàs qtae eela sera possible..... r'lr,'r'r.rrx gris sous la teinture...
'l'orrt r'r l'heure, j'ai fait une drôle de rencontre, C'était
E aiser s..,.. Sí gn ature rrrrr' p,,riurde femme tout en blanc : une jaquette d'Ieer-
rrrirrr'. urrc jupe cle soie blanche, escarpins et bas hLancs,
Towv. " rlr,rp,.rrrr blanc avec un grand voile hlanc. Tous ces
r-
M MII]LE REGRETS MII,I,E REGRE?S 45
blancs ne se ressemblaient pas : l'hermine était jaune, rrrnls. I-e petit chien tire sur la laisse. La dame, un sou.
la jupe tirait sur le gris, Ies souliers sur le marron' Ce r'itr: cn coin, crir: : " Bijou!... Bijou!... ,
q";it y avait de plus blanc était le voile troué' Une ma' Voilà! YoiIà pourquoi je ne veux pas revoir Tony!
iiae q.ri traine uã de mariage, depuis que le marié Norr, je ne peux pas supporter f idée de son premier
le jour"olr" noces, il y a de cela cinquante
a disparu des t,'i1lrd sur tnoi, de cette stupeur vite réprirnée : u lMon
uou.".iJr" foUL? Ene s'appuyait §ur une canne blanche, l)ilu, rnais c'est une r.ieille f,emme! "
coülme une averagle, mais ce n'était là probablement .fr: vais rentre!:, je vais encore me regarder dans tra
que de la coquetterie, pour aller avec Ie hlanc du reste' p:lrrrrr:, petlt-être ÍIe suis-3'e que fatiguée, peut-être qne de
' .I" ,rui. retJouver la n er, rna belle turquoise verte, je
lr.llcs robes, des rnassages...
veux échapper au dégoât, aux cheveux gris"' Elle est (l'cst alors que j'ai vu apparaitre M. Oléonard. 11 se
belle aujourd'leui, la reler, calme, d'un seul tenant, et §e rl,itirchait netterxlent sur la splendeur du ciel. Je ne lui
défait rr* p.r, jtlste au bord, cornrne un tr:icot"' Il fau' rlois r:ien puisqu'il a ma bague et pourtant je me sens
drait s'aclieter clcs lunettes noires, le soleil est déjà a' ( onune prise en faute. Cornrne si les choses qui m'é-
veuglant. lrrir:nt arrivées entre temps je n'avais pas le droit de
Ii y " là ctres gâr:çons et des frlles qui se préparent L',r vivre sans lui era avoir demandé Ia permission. Com-
porir une ourp"ise'pa"ty. Ils s'atteldent ies uns les au' rrrt si je les lui avais cachées. Je rne faisais toute petite
ires, courpteoi l""ro ârgent, descenclent eur-la plage pour rlirrrti mon fauteuil. trl est passé sans mle voir, trainant
une pa*ie de ping-poág? reülonteÍrt... Je í{otte sur leurs l,',. 1»icds cllaussés d'incroyables souliers de clorrn, re-
convàrsation., iu {ui. la planche. De ternpo en ternps,
je
lr.virnt du loout.
rme souvien. qte Tony n'est pas mort et j'ai l'impres'
.!c suis restéc dlans mon f,auteuil. L'apparition de ilI"
sion de .**lroàr. Fourquoi, pourtluoi ne suis-je pas heu' I )lí'onard m'a distraite de rnon idée flxe : Tony est vi-
reuse? Tony est vivant, Tony va venir"" r'rrrrl, n:rais c'est trop tard. Âh, s'il ne ur'avait pas quit-
lfJne fernme, vêttae de quelque chose dans le vert- tr.r'! On aurait vicilli ensernble, l'usure serait venue peu
**r*orr, une petite cloche sur lã tête et des Lro-ucles d'o' ir 1rcur... Peut-être que mêrme lui aurait un peu ehangé...
reiltres qni clescendent jusqu'au-x épaules, passe sous mon I'r'u ir peu... Mon heau Tony!
rr"u, .rriiorrat derriàr,e etrle un petit chien jaule, de race .!r: suis restée longtemps devant la rner, écrasée par
indáfinie. Le chien porte au "ãili"* un noeud de ruban rrr,,rr malheur. Fuis j'ai lentement regagné la plaee Mas-
rose, qui devait autiefois orne]: une hoite de bonbons' ri.rur. Cornrne elle est belle, cette place, avec ses grands
peut-êire du temps oü la dame avait des adorateurs lrutirnents {raicherneret repeints, rose et blanc. On di-
lui iui envoyaient des honbons' Il face y a rle ça nne tretl'
à la rner et dos
rrrit r1u'elle s'était préparée pour une fête qui n'a pas
tàine cl'annéás... La dame s'arrête, lu licu. J'étais sous lc:s arcades et j'allais traverser?
au public, lêve sa jupe et se met à--arranger la jarre- rprurttr j'aperçtas I{. Otréonard adossé à une affiche. I1 se
Írrarron' Elle jette par'dessus
tiêrà de son bas de-cátou tlrrrrit là comme s'il m'attendait. Tout de suite il se dé.
l'épaule des regards effarouchés et coquets sur les pas' trrrlra de l'affiche et s'approcha de moi.
t"
46 MILLE REGRETS MII,I,E REGRETS 47
J'ai changé d'adresse, chuchota-t-il, venez avec ,f i':«:rivis : u Quelle affaire? "
-
rnoi.., 'l'rop curieuse, trop curieuse. Mauvais, neauvais...
J'allais lui dire ; u J'ai changé d'avis ,,, puis je me .l'rir:rivais : " ÂIors vous ne voulez pas ]ÍIe rendre ma
rappelai qu'il ne pouvait m'entendre et je décidai que Itapirr,"/ n
Ie plus simple était encorc de le suivre. ll lralrssa encore une fois les épaules. Je lui tournai
Cette fois, ce n'était pas loin, dans l'avenue de la Vic- lr. rlos ct partis en claquant la porte. Four ma propre
toire mêr"ne. tlne porte percluc entre les boutiques, un lrrtirl'rrction, puisqu'il ne pouvait l'entendre.
escalicr sordide. M. Oléonard sortit une clef de sa poche l);urs ma joyeuse petite chambre, ie trouvai sous la
et ouvrit trn petit hureau sombre, donnant sur la cou!:. lroll(: llne lettre : elle venait cl'une banque et contenait
J'allai vite rre'asseoir à une table, passée au brou de rrrr r.lu',r1ue de vingt rnille francs. Le chêque ótait signé
n,oix, couverte rle taches d'encre, et j'écrivis : . Je ne tl'rur rrom que je ne connaissais pas. C'est Tony qui a
veux plus vencl.re mon ülantcau et je veux ma bague" rlrr r':rrranger pour rne faire parvenir de I'argent.,.
Je vais ,;ous r:endre les cinq cents francs, , i'ouvrais .1,' v;ris rne regarr]er dans la glace, j'allais rentrer me
lmon sac polu sortir l'argent, rnais le vieux secoua la l, g,,rrrlr:n daras }a gtrace quancl Ie vilain bonhorrrme a
tête : Irnlr.rsr'-r rnon chemin cornme un chat noir, présage de
trnutile, Ia bague est partie. Alors, rien à faire pour Irt,rllrr,rrr, Xl rn'a fait oublier ce que je voulais faire.
le -rnanteau? Non? Voulez-vous du sucre? Je peux vous ",,llrr vovage! Se trouver parmi les MM, Oléonard qui
ere clomer 10 kilos à soixante-dix {rancs Ie kilo. " r !r.uslnt la terre sous nos pas. Je vois des rats qui trans-
"tr'écrivis ; " Js n'ai pas besoin de sucre, je veux rna lrurllnl. des saucissons en or et des rrrortadelles en vrai
trrague. , Xl haussa les épaules, se pencha sur moi : lr,.í', rlo la farine moelleuse et du sucre blanc, ]rlanc...
Vous ne voulez pas travailler avec moi? Je votls lI.r;rroi ai-je donc l'air pour qu'il ait songé à me pro-
- {aire des voyages intéressants, loin,,.
ferai t)rÊr'r' rrrre affaire? Il faut que je me regarde dans la
Cornmclnt sait-il. que je voudrais partir au hout rln glrrlr', rllre je rlre regarde bien.
maonde pomr ú1e cacher de Tony, pour que Tony ne 'l'.rry pense ir moi! Comme il a du courir, télépho-
puisse pas rne voir.." La France est devenue aussi petite rr,,r, í.r:rire pour me faire parvenir cet argent. Il pense
qu'une celiule dc prisonnier: trois pas en large et un n rrlri tclle que j'étais. Je parle corrrüle si entre temps
mur, ci.nq pas en long et un mur. La fantaisie n'est plus l'lvrris óté déf,rguróe par la petite vérole... lVlais je ne
dans nos moyeus. Mais de toute façon, oà peut-on aller lrr.r\ l)ils supporter f idée de son premier regard sur
dans ce monde qui flarnhe de partout, rnôrne si on pou- ttrrri.
vait aller c{uelque part? J'écrivis : " Oü? Fourquoi fai' l'risrlrrc je suis là, je vais m'occuper: de ures pois chi.
re? " llrr.a. Jr: ne vais tout de même pas les laisser se perdre
Je vous le dirai quanil vous serez d'accord pour Ê;rrlx rrvoir fait Ia queue pour en avoir. fls sont restés
-
l'affaire. Yous aurez dix pour cent et tous les frais rt lr'r,nrllcr pendant deux jours, comrme on m'a dit de le
payés. l,nrr' ('lr()z l'épicier, maintenant il faut qu'ils cuisent
f,'
MIIJI,E REGRETS 49
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deux ou trois heures. Âlors, s'ils ne §ont pas prêts au' rrvrrit la corbeille à fleurs, cela siffiait comme si elle
jourd'hui, je les mangerai demain. Apràs, je vais me rrvrril. été pleine de serpents. Et cette odeur! Le gazl"'
regarder dans la glace. lr' locataire descendit l'escalier quatre à quatre pour
I. *. suis regardóe tlans la glace"' ;rrrivcnir la gérante : . Oh, se mit à crier la gérante'
Il n'y a rien á f*i"". Mon corps étâit fâit doune ma' ill,!lu purroÃtt"! Elle a oublié de fermer le gaz! C-ou-
tiêre tiop fragilc, fragile colxune certaines pierres que ,,''r,. .orl*.r, Monsieur Giordani, voici le passe"' C'est
le vent ãr"ou", conlfile certaines soies qui se eoupent, rprrr rnoi je ne vais pas vite avec mes jambes enflées"' '
cornme certains alliages qui se brisent"' C'était pour' Lt gérante montait lenternent, souffiant et gémissant
tant beau quand c'était neuf... l,r,,yaàment. Des locataires sortaient de leurs chad'
Co**urri pourrais'je avoir: du désir? N'est'ce pas de 1,,','n, oEncore un accident à cause du gaz! " se lameu'
son propre corps quo nait le désir? Un jour oü
j'ai vou' tnit. la gérante, en s'arrêtant à chaque marche' Ça ne
je
l, *u iuer, il-y u- du çu plusieurs années, n'ai gla' p-as rL'vrait las êtt. petmis! Avec leurs réglernentations, ils
pu le faire pu*tu qo. jc m" dans la lirriront par nous avoir tous! Ah, la pau'l'rette!'La pau'
-sup 1e.Sa1dée ytcl,tc!... Peut-être est'elle encore vivante'.. >'
à. , detruire-un si bel objet? Mais quand- ce
"o**"it
n;est plus un cadeau à faire à quelqu'un, quanf ce n'est l,l[[e n'était pas vivante. On a prévenu la police, un
Ah uon, ne plus sentir urrirlcein est venu constater la mort. C'éta"it dans le cou'
;ú ;" cadeau à faire à Tony-' luir un va-et-vient, une agitation de catastrophe"' La
ious lcs vêterments toutes ces déchéances"'
Il ne farat pas que j'ouJrlie rnes pois chiches sur le feu' rorlreille de fleurs était renversée, personne ne songeait
í l'onlever. IIne carte de visite trainait à terre : au'
rlr.nsous du nom, gravé, Álexandte Oléonaril, il y avait
**ru
rrlc ligne, écrite à la main :
Un garçon'trivreur a longuement frappé à la -porte Á la plws belle des temmes.
d'ro" meublée. C'était pourtant bien là le nu'
rméro qu'on lui avait indiqué en bas' Finalernent' re'
"Xruàhre
Nice 194I.
oorrç^ria au pourboire, il déposa dev-ant la porte--une
d* Àeo"* comme on en voit dans la loge d'une
"orbli["
danseuse. Toute la journée, Ies locataires du meublé
butàrent dans le couloir étroit et sombre contre cette
ão"b.ill" qui était là comme un monument' Et tout le
couloir *eitait les jacinthes, un parfum tendre et ioy'
eux.
Ce n'est que vers le soir qu'une autr-e odeur commen'
jacinthes' Un locataire
çu à pereei à travers celle des
J;tt.eL, surpris : dans la chambre devant laquelle il y
i"t