Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
CRASH
Castor de SAINT-ELME
Roman
OMAR KHAYYÂM
1048 - 1131
Poète et mathématicien,
philosophe, astronome persan.
Avertissement :
___________________
Des notes de lecture complémentaires sont consultables en fin d’ouvrage.
PROLOGUE
PRODROME
PREMIERE PARTIE*
___________________
* Avant de poursuivre, il est proposé au lecteur l’écoute de la chanson Be
(6 min. 30) écrite et interprétée par Neil Diamond pour le film de Hall
Bartlett : Livingston Seagull - A Story, tiré du livre de Richard Bach, écrivain
et pilote, publié pour la première fois aux États-Unis en 1970 puis traduit en
français sous le titre Jonathan Livingston le goéland par Pierre Clostermann,
aviateur et écrivain également.
JACQUES BREL
___________________
Dans les chapitres suivants, les textes en italique correspondent à des visions
du narrateur alors qu’il se trouve dans un état de conscience modifiée.
10
11
3
12
13
14
15
16
17
18
19
5
Courrier professionnel :
Commandant,
20
21
— L’équipage.
—…
— Tu as déjà les noms ?
—…
— Je note. Vas-y !
J’ai mal au ventre ce soir ; et pas uniquement à cause
du gras de jambon déposé dans ma gamelle pour me faire
plaisir. Je suis comme ma maîtresse, prompt à une
excessive empathie dont le principal effet indésirable nous
conduit à subir le dérangement de nos intestins respectifs.
« J’ai du mal à digérer quelque chose ! », répète t-elle à
satiété et sur tous les tons lorsqu’elle est contrariée. Je
réalise aujourd’hui combien cette phrase a accompagné
son quotidien depuis le crash du vol 447. Profitant d’un
nouvel arrêt — un peu plus long, je l’espère — je
m’installe dans le caniveau pour y commettre une énième
déjection diarrhéique.
—…
— Oui, effectivement, je connais l’un des deux copilotes.
J’ai fait un New-York avec lui il y a un peu plus d’un mois.
Je ne m’en souviens plus très bien, j’ai beaucoup volé
depuis.
—…
— Je te remercie ; bon courage.
—…
— Oui, salut ! Toi aussi.
22
23
24
25
26
27
28
29
SERVICE COMMUNICATION
30
*
* *
31
32
33
34
35
36
37
38
10
39
*
* *
40
___________________
Note de l’auteur : il est conseillé de conclure la lecture de ce chapitre par une
pause musicale consacrée à l’écoute de The Great Gig in the Sky - piste
numéro 5 de l'album The Dark Side of the Moon des Pink Floyd.
41
11
42
43
12
44
13
45
46
47
INTERMISSION
48
49
[ Je ferme à nouveau les yeux.
Le manège émotionnel tourne de plus en plus vite ! ]
50
14
De : thalie@free.com
A : charles.villette@live.com
Objet : TSUNAMI
Par écrit, cela m’est possible. Je m’autorise à te
dire le tsunami intérieur qui est le mien depuis
notre dernière rencontre. Derrière mes pleurs se
cachent des désirs. Mon corps de femme s’est
51
De : charles.villette@live.com
A : thalie@free.com
Objet : SANS
Ma louve d’amour, on s’est tout à coup
enflammés, trouvant le sens de nos vies dans
cette claire jouissance. Jamais je n’aurais
imaginé qu’une femme comme toi puisse
m’aimer. J’aime la tendresse de ton regard. Je
suis fier de boire tes larmes salées et ta douce
cyprine. Je t’aime, Thalie, mais, comme toi, je
suis tiraillé par la peur de voir ce rêve finir et la
crainte de ne pouvoir répondre à nos aspirations
réciproques. Cette souffrance est le prix de notre
amour. Charles
52
De : thalie@free.com
A : charles.villette@live.com
Objet : A EN PERDRE LA RAISON
M o n amo ur, tes eff leu r emen ts d ’h i e r
m’enveloppent encore ce matin. Je n’en avais
jamais reçu autant de la part de mains si
chaudes, pressantes, bienveillantes, douces et
attentionnées. Je me sens tellement vivante et
vibrante au contact de ta peau. Je me sens
femelle aussi dans ce tourbillon de caresses qui
me fait perdre la raison et me précipite vers
l’urgence d’y répondre avec mon corps, ma
bouche, ma langue, mes baisers. Thalie
53
15
54
16
De : thalie@free.com
A : charles.villette@live.com
Objet : VOLCAN
Mon amour, tu m’as dit hier comme il est
difficile de gérer la puissance d’un volcan
d’amour. Je commence à comprendre la
stratégie que j’avais mise en place pour éviter
de souffrir. J’étais coupée de mon ressenti, ce
qui m’interdisait toute capacité à offrir et
recevoir. A ton contact, tout s'effondre et je me
sens nue. Nue comme un ver misérable,
vulnérable face à mes peurs : l’abandon, le rejet,
la trahison… J'affronte tout cela depuis le crash,
d’où ces paniques à plein volume. Je vis
55
De : thalie@free.com
A : charles.villette@live.com
Objet : LES TROIS A LA FOIS
Mon amour, jamais aucune étreinte ne m’avait
autant nourrie. J’ai connu des hommes. Assez
différents les uns des autres. J’en ai aimé avec
ma raison, d’autres avec mon cœur, d’autres
avec mon corps. Jamais avant toi, Charles, je
n’avais trouvé en un seul homme ces trois
dimensions. Thalie
56
*
* *
57
58
17
*
* *
59
60
18
61
62
Charles de Villette
60700 Pont Sainte Maxence.
*
* *
63
64
65
19
66
67
68
20
« Et brusquement, il pleure
Il pleure à gros bouillons
69
Et puis
Et puis infiniment
Comme deux corps qui prient
70
Infiniment, lentement,
Ces deux corps se séparent
Et en se séparant
Ces deux corps se déchirent
Et puis en reculant
Comme la mer se retire
Il consomme l’adieu
Il bave quelques mots
Agite une vague main
71
Et brusquement, il fuit
Fuit sans se retourner
Et puis, disparaît
Bouffé par l’escalier
72
DEUXIEME PARTIE
73
74
75
76
77
78
79
80
81
82
83
84
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillé de conclure la lecture de ce chapitre par
une pause musicale consacrée à l’écoute de la chanson « Le pont Mirabeau »
de l’album Léo Ferré « Chante les poètes ».
85
86
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillée de conclure la lecture de ce chapitre par
l’écoute de la chanson Orly, du dernier album de Jacques Brel, Les
Marquises, paru en 1977.
87
88
89
90
91
8
92
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillé de conclure ce chapitre par l’écoute de la
chanson de Nino Ferrer, La Rua Madureira. La mélodie aurait été emprunté
au prélude N°4 de Chopin par le guitariste Antonio Carlo Jobim. Madureira
est un quartier populaire de Rio de Janeiro où bat le coeur du carnaval.
93
94
10
*
* *
95
96
11
97
12
98
99
100
101
13
102
*
* *
103
104
105
14
106
107
J’interviens, exalté :
— C’est ça, c’est exactement ce que j’ai senti !
— En plus de ton corps et de ton esprit, sans doute y
avait-il autre chose. Ce qu’on appelle « le cœur », ou
« l’âme », si tu préfères…
Les plis du front tendus vers le haut de son crâne, il
laisse sa phrase en suspens dans l’attente d’une réaction.
Trop occupé par la résurgence de mes souvenirs, j’écourte
involontairement sa tentative d’ouverture spirituelle :
— Avec le recul, tu sais, je suis frappé par ce que j’ai
vécu à Notre-Dame…
Et comme on se parle à soi même, je laisse ma voix va-
gabonder :
— Je me suis senti investi d’un devoir. Il m’appartenait
de conduire les épouses, maris, filles et fils, mères et pères,
amants, amis, tous assemblés autour de moi. Je me devais
de leur indiquer le chemin, celui de l’acceptation ultime.
Se calant sur mon débit de parole, freiné par l’émotion,
la voiture a ralenti. Mon regard s’est embué. D’un revers
de main, j’éclaircis la route devenue floue et émerge du
songe éveillé dans lequel j’ai glissé. Un appel de phares
dans le rétroviseur m’aiguillonne. Alors, d’une voix sourde
et sans relief, je reprends où je m’étais arrêté :
— Le devoir est la valeur clé de mon métier. Le devoir
est ma raison d’être. On me l’a répété à l’école de pilotage,
répété encore et encore : « Jamais tu ne dois lâcher les
108
109
110
111
112
113
15
114
115
16
116
117
118
119
17
120
121
122
123
124
18
125
126
127
128
19
129
130
20
131
132
21
133
134
135
136
137
138
139
140
22
141
142
143
144
23
145
146
147
148
149
24
150
151
152
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillée de conclure la lecture de ce chapitre par
une pause musicale consacrée à l’écoute du morceau : Is there anybody out
there ? des Pink Floyd. Il apparaît sur leur onzième album studio The Wall,
sorti le 30 novembre 1979. Pink, le personnage principal, tente de reprendre
contact avec le monde…
153
25
154
155
156
157
26
158
159
désemparé et je réalise qu’à travers les yeux de mon chien
je suis en train de voir défiler tous les événements de ces
derniers mois.
160
27
161
162
163
___________________
* Note de l’auteur : Les dialogues retranscrits dans les chapitres suivants sont
ceux, réels, issus des enregistreurs de bord du vol 447 (l’une des boîtes
noires appelé « voice recorder »).
164
28
165
166
167
*
* *
168
169
nécessaire à l’analyse.
Il est 2 heures 10 minutes et 13 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
Je constate des anomalies sur les données primaires de
vol. Je me tourne vers David :
— On n’a pas une bonne... On n’a pas une bonne
annonce de… vitesse.
— On a perdu les… les, les vitesses alors ? me demande
de confirmer David, incrédule.
Je scrute mes écrans. J’essaye de comprendre. Pourquoi
cette alarme, pourquoi les barres de tendance, lorsqu’elles
sont visibles, me demandent-elles de cabrer ?40
Nous prenons de l’altitude. A cet instant, le plan
horizontal réglable à l’arrière de l’avion a un
comportement aberrant41 mais je n’ai aucun moyen de le
savoir. Il nous pousse à sortir du domaine de vol. C’est un
point que soulèvera l’enquête.
David hausse le ton, il ne comprend pas pourquoi mes
actions sur les commandes sont si peu efficaces :
— Fais attention à ta vitesse… !
Il insiste :
— Fais attention à ta vitesse !
— Ok, ok, je redescends.
— Tu stabilises…
— Ouais…
170
171
172
173
174
175
176
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
Le taux de chute de l’avion augmente. Je m’emporte :
— Putain, j’ai plus le contrôle de l’avion, là !
J’en suis réduit, incrédule, à constater mon impuis-
sance.
2 heures 11 minutes et 36,1 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
David décide de prendre les commandes. Il presse le
bouton de priorité de son manche et annonce :
— Commandes à gauche !
L’avion est incliné à droite et son angle d’incidence à
cabrer est de quarante degrés. Nous n’en avons pas
conscience. De nuit, sans aucune référence visuelle
extérieure, privés d’indications instrumentales et doutant
de celles disponibles, ils ne visualisent pas la position très
inusuelle de l’appareil.
2 heures 11 minutes et 38,9 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
La crécelle retentit. Je cherche toujours à comprendre.
— Putain, on est où ? C’est quoi là ?
177
178
29
179
180
181
— D’accord.
— On n’a plus aucune indication qui soit valable !!!
crie David.
— J’ai l’impression qu’on a une vitesse de fou, non ?
Qu’est-ce que vous en pensez ? s’exclame Pierre-Cédric.
Est-il trompé par le bruit aérodynamique ambiant ?
L’air s’écoule autour du fuselage sous un angle inhabituel
et le son produit donne une impression de vitesse. En fait,
l’avion est pratiquement à plat. Nous tombons verticale-
ment, de plus en plus vite. Les ailes battent mollement de
droite à gauche et le nez de l’appareil est toujours cabré.
David n’a pas la même analyse.
— Non !
Pierre-Cédric, sûr que l’avion est entré en survitesse,
sort les aérofreins. David s’interpose :
— Non, surtout ne les sors pas !
— Non ? Ok…
2 heures 12 minutes et 07,7 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
« STALL ! »
— Tire ! crie David avant de se tourner vers moi.
L’incompréhension et l’impuissance rendent son regard
fiévreux. Il attend de son commandant une solution :
182
183
184
« STALL ! »
— Ok, on est en TOGA.
2 heures 12 minutes et 40,2 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
Deux nouveaux claquements aérodynamiques reten-
tissent, accompagnés de fortes vibrations. Les filets d’air
viennent à nouveau de fouetter brutalement les ailes.
— On est quoi là… On a quoi là ?
2 heures 12 minutes et 42,4 secondes :
« STALL ! »
« STALL ! »
Je suis abasourdi. Impuissant. Mon avion tombe :
— Putain, c’est pas possible !
185
30
186
187
188
189
190
« SINK RATE… »
« SINK RATE… »
« SINK RATE… »
Puis elle ordonne une illusoire remise de gaz :
« PULL UP… »
« PULL UP… »
« PULL UP… »
Marc, en une tentative désespérée, me crie :
— Allez, tire !
J’encourage Pégase de la voix :
— Allez, on tire… on tire… on tire… on tire ! …
— Putain, on va taper… C’est pas vrai !!!
191
192
31
193
194
195
196
32
197
198
199
33
200
201
INTERMISSION
202
PROCES VERBAL
203
204
TROISIEME PARTIE
205
Je voulus cent fois me tuer, mais j'aimais encore la vie. Cette faiblesse
ridicule est peut-être un de nos penchants les plus funestes : car n’y a-t-il
rien de plus sot que de vouloir porter continuellement un fardeau qu'on peut
toujours jeter par terre ? D’avoir son être en horreur, et de tenir à son être ?
Enfin de caresser le serpent qui nous dévore, jusqu'à ce qu'il nous ait mangé
le cœur ?
VOLTAIRE (Candide)
206
207
208
209
210
211
212
213
214
215
216
217
218
219
220
221
222
223
224
225
226
227
228
229
230
231
8
232
233
234
235
236
Un amour inconditionnel.
237
238
— YiiiiiiiiOOOOuuuuuuuuuuu !
Dès la chanson terminée, Biraci pousse un cri puissant
en direction de la lune. Un cri venu du fond de ses
poumons et sans doute de plus loin encore. Accompagné
du tambour de Nut, le Pajé entonne un chant tribal, suivi
par les hommes Yawanawá. Le contraste avec la mélodie
cristalline de Céline Dion est saisissant. La puissance des
voix réunies me transporte plus loin dans l’émotion.
Acérola, Putanny et les femmes Yawanawá reprennent le
phrasé des incantations, en canon et à tue-tête. Je suis
transcendé. Inutile de fermer les yeux pour avoir des
visions.
239
240
241
242
___________________
*Note de l’auteur : il est conseillée d’accompagner la lecture de ce chapitre
par l’écoute de : We will rock you de l’album du groupe Queen Live at
Wemblay ’86.
243
244
245
246
247
___________________
*Note de l’auteur : il est conseillée de conclure la lecture de ce chapitre par
une pause musicale : Arrival (9 min. 03) de Douglas Spotted Eagle - piste
numéro 12 de l'album Closer to far away paru en 1996.
248
INTERMISSION
249
250
251
*
* *
252
*
* *
253
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillé de conclure la lecture de cette
INTERMISSION par une pause musicale consacrée à l’écoute de : See Emily
play de Syd Barrett des Pink Floyd, — de préférence dans la version chantée
par David Bowie en 1973 sur son album Pin Ups.
254
QUATRIEME PARTIE
255
ANTOINE DE SAINT-EXUPERY
Lo Pti Prins - Kréol la Rénion69
256
257
258
259
260
261
262
Il continue à me dévisager.
— Monsieur !
Son regard s’est empli d’une étrange aura. Comme s’il
admirait une madone.
— Vous m’écoutez, Monsieur ?
Non. Il semble trop occupé à détailler les soubresauts de
ma bouche, ce qui me rend plus mal à l’aise encore.
D’ailleurs ma voix a un peu tremblé. Je dois me reprendre.
Je hausse le ton comme on me l’a appris à l’école de
police :
— Monsieur, je vous le demande à nouveau, avez-vous
entendu ma question ?
Devant sa mine effarée et son silence persistant, je me
détends d’un coup :
— Vous avez vraiment l’air complètement à l’ouest,
Monsieur. Vous êtes sûr que ça va ? Vous voulez un verre
d’eau ?
Je me reprend in extremis :
— Avez-vous consommé de l’alcool ou un produit
stupéfiant récemment ?
Je le vois se raidir à nouveau.
263
INTERMISSION
264
265
266
4
267
268
269
étaient destinés.
Pour masquer mon embarras, je lui propose que nous
nous tutoyions. Surpris je l’entends me répondre d’une
manière toute mitterrandienne72 :
— Oui, si vous voulez ; tutoyions-nous !
J’éclate de rire ; il en fait autant et imperceptiblement
s’approche de moi. La glace est rompue. Au fil de son
récit, je comprends qu’une prédiction du chef de la tribu
— au nom décidément imprononçable — me vaut d’être
là aujourd’hui : « A ton retour, celle qui te fera venir à elle
sera celle-là », avait-il prophétisé. Je l’avais convoqué au
commissariat. J’avais été la première. Le bracelet de perles
colorées me revenait donc. Conformément à la vaticination
d’un oracle amazonien, coiffé qui plus est d’un chapeau à
plumes, me voici élue princesse de pacotille. Et là,
évidemment, je ne peux m’empêcher de sourire.
Heureusement, il prend ma moquerie pour une
gratification. Après deux cafés, ses doigts effleurent ma
main. Deux cafés plus tard, ses mains caressent mes
cheveux. C’est moi enfin, qui par surprise, l’embrasse à
pleine bouche, le forçant incidemment au silence. Voltaire,
son drôle de chien, en profite pour me flairer. Je dégage
surement quantité d’odeurs hormonales. Un peu ridicule ce
houret, surtout la manière dont son maître lui parle comme
à une personne. Heureusement l’heure de ma prise de
service approche.
270
271
272
273
274
275
276
277
— Un cari coco-poulette, ça te va ?
Je répond, encore sous l’effet de la surprise :
— Oui, oui… J’adore !
Mes lèvres humides se tordent avec gourmandise, tant
pour l’eau de sa bouche que pour la crème du coco épicé.
Un peu décontenancée, je le rejoins. Il me dévisage avec
douceur avant de se lancer dans un monologue exalté :
— Tous les humains, tous les peuples du monde
transforment la nourriture. La cuisine est la meilleure porte
d’accès à une culture, tu ne trouves pas ?
— Oui, oui… Sûrement !
J’ai à peine le temps d’esquisser un hochement de tête
qu’avant de poursuivre, enjoué, il a déjà posé un baiser
surprise sur mes lèvres entrouvertes :
— La cuisine est essentielle. Le lieu, je veux dire. On y
parle, on s’y réunit et souvent les confidences éclosent
dans la moiteur des fourneaux.
Sur le ton de la confession, il me confie qu’absolument
tous les événements marquants de sa vie ont eu leur origine
— ou trouvé leur dénouement — dans une cuisine :
— Quoi qu’on fasse, c’est ici, au milieu des gamelles et
des victuailles… assène t-il doctement avant de
s’interrompre pour fourrer d’un geste rapide une cuillère
de cari coco dans sa bouche et, tout en m’adressant un
large et beau sourire, lécher avec sensualité l’ustensile.
Toujours aussi vivement, il s’en prend ensuite aux
278
279
280
INTERMISSION
Et là… L’éclipse !
Emilie me caresse, m’embrasse, me masse, me suce…
Rien ! Rien n’y fait. Je ne bande pas ! Pris d’un début de
panique, je me stimule. Mon crâne raisonne de mille
acouphènes. Incrédule, je crois même entendre une
alarme :
« STALL ! STALL ! STALL ! »
Mon estomac se noue. Je tremble tout entier. La voix
d’Emilie, chaleureuse, s’intercale entre les alarmes
sinistres et mon incompréhension :
— Ça n’est pas très grave tu sais. Ce n’est vraiment pas
important. Ça arrive parfois… Surtout quand on a vécu un
trauma…
La crécelle de l’alarme retentit encore :
« STALL ! STALL ! STALL ! »
Je m’emporte :
— Putain, j’ai plus le contrôle, là…
Je ne peux que constater, angoissé, mon impuissance.
Emilie, consolante, prend ma main, me caresse la joue et
les cheveux, pose ma tête sur sa poitrine. Mais la panique
281
282
10
283
284
INTERMISSION
*
* *
285
286
287
288
CINQUIEME PARTIE
289
Sully PRUDHOMME
La Naissance de Vénus
290
291
292
293
294
295
flatulences océaniques ?
Je ne peux m’empêcher d’esquisser un sourire tant le
terme est inattendu, incongru et très peu élégant.
— Non Monsieur, répond sèchement mon commandant-
chéri ; non, je n’en ai jamais entendu parler.
En a t-il d’ailleurs la moindre envie ? Encore un
passager phobique cherchant à évacuer sa peur, est-il
certainement en train de se dire. Le Professeur, satisfait de
son effet, entame sans délai son exposé, expliquant
doctement en prenant à peine le temps de respirer, qu’il
s’agit d’émissions sous-marines de gaz. Du méthane plus
précisément.
— Lors des émissions, la densité de l’eau se trouve
fortement diminuée, jusqu’à provoquer une perte de
flottabilité. Un navire, à l’occasion d’une éruption
flatulente, se retrouve ainsi dans de l'eau gazeuse. Il ne
flotte plus, précise t-il.
Je souris à nouveau ; intérieurement cette fois. Il
poursuit :
— D’ailleurs, de nombreux bâtiments dans le monde ont
sombré de la sorte, assène le Professeur, tapant même du
poing sur l’accoudoir de mon siège.
Surprise, je sursaute. Puis il ajoute sur le ton de la
confidence :
— Une fois relâchées dans l’atmosphère sous forme de
nuage de méthane, les flatulences océaniques présentent un
296
297
298
299
*
* *
300
301
5
302
303
304
305
306
307
308
— C’est beau.
— C’est de Rimbaud. Un poème inachevé… Ça raconte
la naissance de Vénus.
Le grondement des moteurs de l’Airbus vient de
changer de fréquence. Au cockpit, les pilotes suppléants
ont dû décider de monter vers un niveau de vol supérieur.
309
310
311
EPILOGUE
*
* *
312
*
* *
313
314
___________________
* Note de l’auteur : il est conseillé de conclure la lecture de ce roman par une
l’écoute de la chanson La faute à Voltaire issue de la comédie musicale Les
Misérables, adaptée du roman de Victor Hugo par Claude-Michel Schönberg
(musique) et Alain Boublil.
315
POSTFACE
316
1er juin,
anniversaire du crash du vol 447.i
317
318
HOMMAGE
319
REMERCIEMENTS
320
NOTES DE L’AUTEUR
321
322
323
324
325
326
327
39 - La Speed Trend est une flèche qui indique sur l’écran de pilotage la
tendance de vitesse (accélération ou décélération). Il s’agit d’un indicateur
très utile en pilotage manuel. Les enquêteurs déduisent page 86 du rapport
qu’il est possible que le pilote ait identifié une situation de survitesse
notamment par l’interprétation de (…) la flèche de tendance de vitesse
indiquant une accélération au moment de l’activation de l’alarme de
décrochage. — Extrait du texte intitulé : Rapport, celui d’un pilote.
328
précise page 101 que ces barres indiquaient un ordre à cabrer, confortant
encore un peu plus le pilote dans son action. De plus, page 204 du rapport on
peut lire : « Les barres de tendance ont disparu puis réapparu à plusieurs
reprises en changeant plusieurs fois de mode. » — Extrait du texte intitulé :
Rapport, celui d’un pilote.
329
52 - Plus exactement, 3° 03′ 57″ nord, 30° 33′ 42″ ouest n'est pas à
proprement parler la position de l’impact — bien entendu inconnue —, mais
bien la position de l’épave de l’Airbus qui gît dans une zone relativement
plate du fond de l'océan à 3900 m de profondeur.
54 - L’urucum (souvent appelé roucou) est une teinture issue des graines
contenues dans les fruits rouges à épines produits par un arbuste originaire
330
331
332
333
334
335
80 - Chacun fait (c'qui lui plaît) sortie en 1981 du duo Chagrin d’amour
est considérée comme la première chanson rap en français.
*
* *
336
337
Castor et Pollux - romans à venir :
338
fi
339
J'aurais dû me trouver aux commandes de
l'Airbus A330 qui la nuit du 31 mai au 1er juin
2009, s'est abimé dans l’Atlantique sud entre
Rio de Janeiro et Paris.
l’autre rive.
340