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La charité dépasse la justice, parce que aimer c’est donner, offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe

jamais sans la justice qui amène à donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en
raison de son être et de son agir. Je ne peux pas "donner" à l’autre du mien, sans lui avoir donné tout
d’abord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec charité est d’abord juste envers eux.
Non seulement la justice n’est pas étrangère à la charité, non seulement elle n’est pas une voie
alternative ou parallèle à la charité: la justice est "inséparable de la charité" (Paul VI, Populorum
progressio, n. 22), elle lui est intrinsèque. La justice est la première voie de la charité ou, comme le
disait Paul VI, son "minimum", une partie intégrante de cet amour en "actes et en vérité" (1 Jn 3, 18)
auquel l’apôtre saint Jean exhorte. D’une part, la charité exige la justice: la reconnaissance et le respect
des droits légitimes des individus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le
droit et la justice. D’autre part, la charité dépasse la justice et la complète dans la logique du don et du
pardon. La cité de l’homme n’est pas uniquement constituée par des rapports de droits et de devoirs,
mais plus encore, et d’abord, par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité
manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines."

Différence entre justice et charité


By Emma Smith /  Fait vérifié / Dernière mise à jour : 30 mai 2023
Pour comprendre le sens exact et la différence entre les deux termes, commençons par une
petite histoire. Il y avait un village qui organisait autrefois une réunion sociale lors d'un
événement. Au milieu de l'événement, une personne a vu un bébé pleurer dans la rivière, alors
il s'est précipité pour le sauver.

QUESTIONNAIRE SUR L'ÉDUCATION


Testez vos connaissances sur des sujets liés à l'éducation

Dès que les gens se sont précipités vers la rivière, plus de bébés ont été ajoutés à la rivière, les
gens ont commencé à tous les sauver. Mais deux d'entre eux sont montés sur le pont et ont
arrêté la personne qui jetait les bébés dans la rivière.

Cette histoire peut sembler un peu contraire à l'éthique, mais la différence est assez claire ici.
Les personnes qui ont sauvé la baie ont montré l'acte de charité tandis que les personnes qui
ont remonté le pont pour arrêter la personne ont montré l'acte de justice.

FAITS MARQUANTS

1. La justice est le traitement juste et équitable de tous les individus en vertu de la loi,
tandis que la charité donne à ceux qui en ont besoin.
2. La justice est un principe juridique, tandis que la charité est un principe moral.
3. La justice vise à créer une société égalitaire, tandis que la charité vise à soulager les
souffrances immédiates.

Justice contre Charité


La différence entre la justice et la charité est que la charité répond au besoin immédiat de
quelqu'un et l'aide, tandis que la justice va à la racine du problème et le résout de la meilleure
façon. Fondamentalement, la justice supervise le concept de surveillance du besoin urgent de
faire le bien et de rester dans le système pour résoudre le problème par des voies légales.
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La justice, c'est plutôt donner aux gens ce qu'ils méritent réellement. Il ne s'agit pas d'avoir
toujours raison ou de toujours faire le bien, mais de faire ce qui est juste même si cela blesse
les sentiments des autres. La justice consiste à s'attaquer à la racine et à la cause principale du
problème et à trouver la meilleure solution.

La charité, en d'autres termes, est la générosité envers les personnes ou quelqu'un qui est dans
le besoin et qui souffre. La charité ne fournit pas toujours une aide financière, mais peut être
n'importe quoi fait hors de l'esprit à quelqu'un qui est dans le besoin.

La charité est un acte humanitaire qui vous permet de donner volontairement quelque chose à
quelqu'un dans le besoin.

Tableau de comparaison
Paramètres
de Justice Charity
comparaison

Sens La justice est le La charité est un


processus de changer service social qui est
quelque chose fait volontairement
socialement et à travers comme un acte
les structures politiques. humanitaire.

Réponse Il répond au besoin à C'est la réponse


long terme d'un individu immédiate aux
ou de l'ensemble du nécessiteux.
groupe.

Dirigé à Il s'adresse à la racine et Il réagit aux problèmes


à la cause principale du qui existent déjà et
problème, explique s'oriente vers les effets
pourquoi et comment le et les problèmes de
problème s'est produit et l'injustice.
trouve la meilleure
solution.

Agis C'est un acte public. La charité est un acte


privé.

Exemple Cour annonçant la Fournir des abris aux


Paramètres
de Justice Charity
comparaison

punition au criminel sans-abri ou leur


après avoir obtenu des donner de la nourriture
preuves valables. et des vêtements.

Qu'est-ce que la justice ?


La justice, c'est plutôt donner aux gens ce qu'ils méritent réellement. Il ne s'agit pas d'avoir
toujours raison ou de toujours faire le bien, mais de faire ce qui est juste même si cela blesse
les sentiments des autres. La justice consiste à s'attaquer à la racine et à la cause principale du
problème et à trouver la meilleure solution.

La justice est l'idée à la fois de l'éthique et de la méthode légale de résolution d'un problème.
Ce n'est pas une action immédiate, cela peut prendre plus de temps pour atteindre la bonne
plate-forme et prendre la bonne décision, mais c'est le seul moyen de passer législation et faire
la bonne chose.

Les concepts, voies et méthodes de la justice sont différents dans chaque culture et dans
chaque pays. C'est un moyen pour que les gens de tous religion, la caste, la race, le sexe et la
culture se comportent de la même manière, et personne ne se sent jamais exclu ou déshonoré.

La justice est la seule voie qui marque le chemin d'une société civilisée. Sans justice et lois,
les sociétés seront intolérantes, dures et conduiront par conséquent à des conflits et peut-être
même à la guerre
Qu'est-ce que la Charité ?
La charité, en d'autres termes, est la générosité envers les personnes ou quelqu'un qui est dans
le besoin et qui souffre. La charité ne fournit pas toujours une aide financière, mais peut être
n'importe quoi fait hors de l'esprit à quelqu'un qui est dans le besoin.

La charité est un acte humanitaire qui vous permet de donner volontairement quelque chose à
quelqu'un dans le besoin.

La charité est la manière de manifester des actes humanitaires envers la société. C'est essentiel
pour qu'il y ait quelque chose pour le bien public, le soulagement et l'aide aux personnes dans
le besoin.

L'objectif principal de l'organisme de bienfaisance est de faire de telles choses qui satisfont les
besoins des nécessiteux et entrent également dans la catégorie de ce que la loi dit caritatif afin
que vous n'enfreigniez pas la loi et que vous n'aidiez pas les gens aussi.

Ces choses comprennent le soulagement des besoins des pauvres, la fourniture d'installations
aux nécessiteux. Fondamentalement, il est établi dans le but de bénéficier au public par
volonté personnelle.
Principales différences entre la justice et la charité
1. la différence principale entre la justice et la charité est que La justice est le processus de
changement social et à travers les structures politiques, tandis que la charité est un service
social qui est fait volontairement comme un acte humanitaire.
2. La justice répond au besoin à long terme d'un individu ou de l'ensemble du groupe, mais la
charité est la réponse immédiate aux nécessiteux.
3. La justice est dirigée vers la racine et la cause principale du problème, pourquoi et comment le
problème s'est-il produit et trouver la meilleure solution alors que la charité réagit aux
problèmes qui existent déjà et est dirigée vers les effets et les problèmes de injustice.
4. La Justice est un acte public, tandis que la Charité est un acte privé.
5. Un exemple de justice est- Cour annonçant la punition au criminel après avoir obtenu une
preuve valable. Un exemple de charité est de fournir des abris aux sans-abri ou de leur donner
de la nourriture et des vêtements.
Références

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Emma Smith

Emma Smith est titulaire d'une maîtrise en anglais du Irvine Valley College. Elle est
journaliste depuis 2002, écrivant des articles sur la langue anglaise, le sport et le
droit. En savoir plus sur moi sur elle page bio.

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93/3 | 2019
Varia

Justice et charité : conflit d’interprétation à


la fin du  e siècle XX

Justice and Charity. A Conflict of Interpretation in the Late 20th


Century
Marc Feix
p. 281-301
https://doi.org/10.4000/rsr.6800
Résumé | Index | Plan | Texte | Notes | Citation | Auteur
Résumés

FRANÇAISENGLISH
La fin du  e siècle est caractérisée dans l’Église catholique par un débat entre charité et
XX

justice. La justice prime-t-elle sur la charité ou la charité parachève-t-elle la justice ? La


controverse est vive dans la période postconciliaire jusqu’à nos jours. La figure du père Pedro
Arrupe, préposé général des jésuites de 1965 à 1983, et les réflexions au sein de la théologie
de la libération sont emblématiques à cet égard. Il apparaît aujourd’hui que justice et charité
partagent le même destin : être des concepts sécularisés dans les sociétés modernes.
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Entrées d'index

Mots-clés : 

charité, justice, amour-caritas, option préférentielle pour les pauvres, doctrine sociale de


l’Église, théologie de la libération, annonce de l’Évangile, peuple de Dieu, signes des
temps, jésuites, Pedro Arrupe
Keywords: 

charity, justice, love, caritas-love, preferential option for the poor, social doctrine of the


Church, theology of liberation, proclamation of the Gospel, Pedro Arrupe
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Plan

I. La figure du père Pedro Arrupe


II. Pedro Arrupe au concile Vatican II
III. Le concile Vatican II et le rapport au monde
1. La notion de peuple de Dieu comme image de l’Église
2. La lecture des signes des temps
3. La recherche de valeurs objectives
4. La priorité à l’amour
5. Orientations vers des directives et actions pastorales
IV. La justice comme condition de l’annonce de l’Évangile
V. L’apport de la théologie de la libération
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Texte intégral
PDF 234k

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1Le concile Vatican II, dans sa constitution pastorale sur l’Église dans le monde de ce temps
(Gaudium et spes) invite explicitement les chrétiens à dépasser une éthique individualiste :

L’ampleur et la rapidité des transformations [du monde] réclament d’une


manière pressante que personne, par inattention à l’évolution des choses ou par
inertie, ne se contente d’une éthique individualiste. Lorsque chacun, contribuant
au bien commun selon ses capacités propres et en tenant compte des besoins
d’autrui, se préoccupe aussi, et effectivement, de l’essor des institutions
publiques ou privées qui servent à améliorer les conditions de vie humaines, c’est
alors et de plus en plus qu’il accomplit son devoir de justice et de charité (§ 30-
1).

1  M. F , « Justice », dans : L. L


EIX  – É. G
EMOINE AZIAUX  – D. M
ÜLLER  (dir.), Dictionnaire encyclopédiq (...)

2  P. A RRUPE,  « Enracinés et fondés dans la charité (Ep 3, 17) », dans : I ., Itinéraire d’un jésuite (...)
D

3  Le terme « philadelphie » vient du grec philos, amour, et adelphos, frère. À ce propos on pourra


c (...)

2Si les pères conciliaires insistent sur le « devoir de justice et de charité », réclamant
responsabilité et participation (Gaudium et spes, § 31), force est de reconnaître que le devoir
de justice va prendre, notamment après la publication de la lettre encyclique Populorum
progressio du pape Paul VI, une importance particulière dans la période de l’après-concile1.
La figure du jésuite Pedro Arrupe est emblématique à cet égard. Dans une conférence
prononcée lors de la clôture du cours ignatien du Centre ignatien de spiritualité à Rome (6
février 1981) intitulée « Enracinés et fondés dans la charité »2, la justice apparaît comme le
sacrement de l’amour. Et le père Arrupe justifie cette affirmation en l’enracinant dans la
fraternité, mais en faisant jouer les notions complémentaires des deux mots grecs que ce terme
peut traduire, adelphotès, la fraternité, et philadelphia, l’amour fraternel3 :

4  A
RRUPE,  « Enracinés et fondés dans la charité (Ep 3, 17) », p. 170-171.

[La] communion fraternelle de l’amour mutuel dans le Christ est la « koïnonia »,


l’attitude partagée avec tous d’un service fraternel qui se traduit en œuvres.
Cette « koïnonia » qui naît de l’amour fraternel constitue dans la Compagnie tout
l’ensemble de notre mission qui est d’aider les hommes à « croire » — au sens
johannique de proclamation de la foi et de don de soi au Christ — en propageant
la foi, et de les aider à s’aimer mutuellement en promouvant la justice entre eux.
L’amour fraternel est l’expression de notre filiation divine (1 Jn 5, 20) […] On ne
peut pas aimer Dieu en solitaire, ni dans l’abstraction. C’est un amour trilatéral.
Aimer ses frères et le montrer par des œuvres n’est pas chose artificielle, ajoutée
à l’amour de Dieu pour compléter celui-ci. C’est une exigence constitutive de la
notion même d’amour de Dieu. […] Mais il faut aussi affirmer le contraire : il n’y
a pas d’amour authentique des hommes, si nous considérons la réalité de notre
christianisme, sans amour de Dieu. Ce qui nous est demandé n’est pas un amour
de « philanthropie » mais de « philadelphie », de fraternité. En chaque homme,
avec les circonstances concrètes qui sont les siennes, il y a une valeur qui ne
dépend pas de moi et qui le fait semblable à moi. Dieu est en lui, avec son
amour, qui m’attend, et c’est là un appel que je ne peux pas négliger. Refuser à
un seul homme l’amour et le service que l’amour comporte, c’est refuser de lui
reconnaître sa dignité et, en même temps, abdiquer la sienne propre, laquelle n’a
pas de meilleur fondement. Il est fondamental que l’on ait une conscience claire
de cette parité des dignités entre chacun de nous et nos semblables pour
comprendre ce que supposent de monstrueux la haine, le fait d’abuser de la
liberté d’un autre, l’exploitation, tout simplement le manque de miséricorde. […]
La présence de chaque homme devant moi en vient à être, fondamentalement,
une forme de la présence de Dieu et l’exploitation de mon frère en vient à être
l’exploitation implicite de Dieu. C’est, comme on l’a dit, le sacrement du
prochain4.

I. La figure du père Pedro Arrupe


5  Voir « Notice biographique », dans : A RRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 191.

6  Voir La Documentation catholique 1767, 1979, p. 647.

3Pedro Arrupe est né à Bilbao le 14 novembre 19075. Il est le dernier d’une famille de cinq
enfants. Il est le seul garçon. Son père est l’un des fondateurs du journal catholique La Gaceta
del Norte, l’un des premiers en Espagne. Le jeune Pedro entame des études de médecine à
l’université de Madrid. Il les interrompt le 15 janvier 1927 pour entrer dans la Compagnie de
Jésus. En février 1932, le gouvernement républicain espagnol décide la dissolution de la
Compagnie. Il quitte l’Espagne et poursuit ses études en Belgique, aux Pays-Bas et aux États-
Unis. Il est ordonné prêtre le 30 juillet 1936, veille de la fête de Saint Ignace de Loyola. En
1938, il part au Japon comme missionnaire. Très rapidement il est nommé maître des novices
puis recteur du noviciat. Il est à Hiroshima le 6 août 1945, lors de l’explosion de la première
bombe atomique. Avec les novices, il soigne les blessés en montant un hôpital de fortune dans
les locaux du noviciat. En 1954, il est appelé à la direction de la vice-province du Japon et en
devient le préposé provincial à la création de la province du Japon le 18 octobre 1959. Il
occupe ce poste jusqu’en 1965. Le 22 mai 1965, à Rome, lors de la 31 e congrégation générale,
au troisième tour de scrutin, les 218 pères jésuites (qui représentent les 36 000 membres issus
de 90 pays) élisent Pedro Arrupe comme préposé général de la Compagnie de Jésus. En 1967
il est élu président de l’Union des supérieurs généraux pour une période de trois ans. Il est
réélu cinq fois à ce poste (en 1979 pour la dernière fois), ce qui est un fait sans précédent 6. En
1974-1975, il préside la 32e congrégation générale qu’il a lui-même convoquée, ainsi que les
congrégations des procureurs en 1970 et 1978. Les fortes tensions suscitées par les prises de
positions lors de la 32e congrégation générale sur le rapport entre le « service de la foi » et la
« promotion de la justice », ainsi que les discussions qui ont suivi avec les papes Paul VI,
Jean-Paul Ier et Jean-Paul II (qui publia la lettre préparée par son prédécesseur) provoquent
Pedro Arrupe à proposer sa démission en 1980 à l’occasion de la congrégation des
provinciaux suivante, qui selon les statuts se réunit trois ans après celle des procureurs (donc
1981 au plus tôt). C’est en revenant d’un voyage de quinze jours aux Philippines, à l’occasion
du 400e anniversaire de l’arrivée des jésuites en ce pays, qu’il est atteint, le 7 août 1981, à
l’aéroport de Fiumicino (Rome), d’une thrombose cérébrale. Le pape Jean-Paul II lui écrit le 5
octobre 1981 de Castel Gandolfo :

7  J EAN-PAUL  II, « Lettre au père Arrupe », La Documentation catholique 1818, 1981, p. 1023.

La préoccupation que j’ai éprouvée à la nouvelle de votre maladie, comme je


vous l’ai écrit le 27 août, ne m’a pas quitté tandis que je suivais ces dernières
semaines l’évolution de votre état de santé. […] Votre maladie m’a fait percevoir
de façon encore plus vive la signification du désir que vous m’avez manifesté dès
l’an passé de présenter votre démission à la congrégation générale. Ce désir est
encore plus justifié dans les circonstances actuelles, même si vous avez déjà, par
la nomination d’un vicaire temporaire, pourvu aux nécessités urgentes du
gouvernement de la Compagnie7.

4Du fait de sa paralysie, sa démission est acceptée le 3 septembre 1983. Il est remplacé par le
père Peter-Hans Kolvenbach. Pedro Arrupe survit dix ans, mais sans pouvoir communiquer
(ni par écrit, ni oralement), et meurt à Rome le 5 février 1991 à l’âge de 83 ans.

8  Voir M. G IULIANI , « La congrégation générale de la Compagnie de Jésus », Études 322, 1965/5, p. 73 (...)

5Le 22 mai 1965, Pedro Arrupe avait succédé au père Jean-Baptiste Janssens, mort durant la
troisième session du concile Vatican II (session interrompue par Paul VI le 21 novembre
1964). Lors de la 31e congrégation générale des jésuites8, le pape s’était adressé à eux le 7
mai 1965 en ces termes :

L’athéisme, ce danger redoutable qui menace la communauté humaine, ne se


présente pas comme une doctrine toujours identique à elle-même, mais revêtant
des formes multiples, il se manifeste et se propage sous des aspects variés… Il
se répand de nos jours tantôt ouvertement, tantôt subrepticement, souvent sous
le couvert des idées de progrès, dans les arts et dans les sciences, dans les
domaines économique et social. C’est tout à fait le propre de la Compagnie de
Jésus de défendre la Sainte Église et la religion lorsque les temps deviennent
plus difficiles ; aussi confions-Nous à la Compagnie de Jésus la tâche de
s’opposer vigoureusement à l’athéisme en unissant les forces de ses membres
[…] Vous accomplirez plus volontiers et plus allègrement cette tâche, qui vous
occupe déjà et vous occupera plus encore à l’avenir, si vous considérez que vous
ne l’avez pas assumée de votre propre initiative, mais qu’elle vous a été confiée
par l’Église, par le Souverain Pontife9.

10  Cité par A RRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 99.

6À l’occasion de la 32e congrégation générale en 1975, Paul VI maintient cette mission et la


qualifie « d’expression moderne de votre vœu d’obéissance au Pape ». À Jean-Paul II comme
à Paul VI, le préposé général demande : « Que devons-nous faire ? » ; leur réponse est
toujours la même : « À vous de trouver10 ! » Mais revenons à la période conciliaire.

II. Pedro Arrupe au concile


Vatican II
7À l’occasion de la quatrième session du concile qui s’ouvre le 14 septembre 1965, Pedro
Arrupe présente un plan d’action contre l’athéisme. Antoine Wenger, chroniqueur du concile,
relate que le préposé général des jésuites, après avoir décrit l’ampleur du mal, affirme que
l’Église réagit en ordre dispersé et propose un plan d’action en quatre points : 1. faire un état
des lieux scientifique ; 2. fixer des lignes directrices ; 3. que le pape détermine les
compétences de chacun dans le peuple de Dieu pour mener ce combat ; 4. que l’Église invite
tous les hommes de bonne volonté à cette tâche commune. Le père Wenger remarque :
11  A. W Vatican II : Chronique de la quatrième session (Église en son temps), Paris, Centurion, (...)
ENGER, 

L’intervention du P. Arrupe provoqua quelques remous hors du Concile. Des


évêques furent surpris de voir un supérieur général d’ordre convier toute l’Église
à une action concertée contre l’athéisme sous l’autorité exclusive du Pape.
D’autre part, les journalistes furent étonnés d’apprendre que tout le vaste
secteur de la presse était entre les mains des athées. Le père s’expliqua à
l’occasion d’une conférence de presse, quelques jours après, sans être
parfaitement compris de tous11.

8De son côté le jésuite Robert Rouquette écrit dans la revue Études :

12  R. R OUQUETTE , « L’intervention du père Arrupe sur l’athéisme », Études 323/11, 1965, p. 575-578 (p (...)

L’intervention du père Arrupe, […] au cours de la discussion du schéma XIII a,


sur le moment, déconcerté les commentateurs. Elle a été assez mal comprise. Le
latin, peu capable d’exprimer les concepts modernes, la nécessité d’exposer en
quelques dix courtes minutes un problème entre tous complexe et qui demande
tant de nuances, peut-être aussi le fait que le père Arrupe, dans le lointain Japon
d’où il arrive, n’a pas eu la possibilité de se pénétrer d’une certaine sensibilité
conciliaire, toutes ces causes conjointes expliquent ce malentendu 12.

9Le père Arrupe intervient une nouvelle fois pour revaloriser l’aspect missionnaire de l’Église
le 12 octobre 1965. Avant de revenir à ce malaise qui ne cessa d’affecter les rapports entre le
préposé général des jésuites (le pape noir) et les papes successifs (les papes blancs), il faut
porter un rapide regard sur le tournant inauguré par le concile Vatican II et les conséquences
qu’il est possible d’identifier dans le rapport de l’Église catholique au monde.

III. Le concile Vatican II et le


rapport au monde
13  Voir P. L , « Catholic Social Teaching: 1891-1981 », Center Focus 43, 1981, p. 3-4, présenté
AND

dan (...)

10La quatrième session du concile Vatican II marque un tournant important des rapports
Église – monde. D’après l’analyse du théologien Philip Land il est possible d’identifier cinq
changements importants dans l’approche méthodologique de l’enseignement social de
l’Église13.

1. La notion de peuple de Dieu comme


image de l’Église
11Dans sa constitution dogmatique Lumen gentium, le concile Vatican II définit l’Église
comme peuple de Dieu. Ceci implique que les croyants sortent de leur rôle jusqu’alors passif
pour devenir actifs dans la conception et l’orientation de l’histoire du monde. Par ailleurs,
l’Église ne prétend plus avoir seule la compétence pour résoudre les questions. Elle cherche à
y répondre avec d’autres. Elle n’a plus la prétention d’avoir une réponse à tout, ni des
réponses qui aient valeur universelle. Il revient aux communautés chrétiennes locales de
rechercher avec tous les hommes de bonne volonté des solutions aux questions de société,
explique clairement Paul VI dans sa lettre Octogesima adveniens.

2. La lecture des signes des temps


12La foi chrétienne n’a de cesse d’affirmer que Dieu parle aux hommes dans et par l’histoire.
Le concile Vatican II a donné un nouveau contenu à cette vérité de foi. Pour servir
l’humanité, selon Gaudium et spes,

l’Église a le devoir, à tout moment, de scruter les signes des temps et de les
interpréter à la lumière de l’Évangile, de telle sorte qu’elle puisse répondre, d’une
manière adaptée à chaque génération, aux questions éternelles des hommes sur
le sens de la vie présente et future et sur leurs relations réciproques. Il importe
donc de connaître et de comprendre ce monde dans lequel nous vivons, ses
attentes, ses aspirations, son caractère souvent dramatique (§ 4-1).

13Ainsi scruter les signes des temps et les interpréter à la lumière de l’Évangile conduit à une
nouvelle approche méthodologique. L’Église observe les affaires du monde et cherche à y
découvrir la présence de Dieu. Il existe en effet des signes qui attestent sa présence ou qui
indiquent sa volonté sur le monde. Comprendre ainsi la foi fait sortir d’une théologie qui se
construit par un pur raisonnement déductif et spéculatif. L’histoire cesse d’être uniquement
l’environnement auquel s’imposent des principes façonnés par les seules réflexions
spéculatives de la philosophie. L’histoire devient sans cesse le lieu de la révélation de Dieu.

3. La recherche de valeurs objectives


14Les points de repères donnés jusqu’à présent par la loi naturelle paraissent insuffisants dans
la complexité des rapports sociaux. Classiquement ces repères sont universels, immuables et
connus de tous. Dans la situation présente, l’homme contemporain part sans cesse à la
recherche de valeurs objectives. Les valeurs extérieures, pour autant que l’on puisse les
posséder, ne peuvent se transmettre que par l’expérience humaine, l’observation de la société
dans laquelle vit la personne, sa propre réflexion et les réalités sociales qui l’entourent. Ainsi,
autant qu’on puisse l’envisager, c’est l’humanité elle-même qui devient sa propre valeur. Ce
processus suppose une perception personnelle de l’expérience humaine et de la vie en société,
dans lesquelles il est possible de percevoir l’action de Dieu.

4. La priorité à l’amour


15Le fait d’accorder une place centrale à l’humanité et de remarquer qu’elle devient elle-
même sa propre valeur conduit à évaluer les sociétés contemporaines à la lumière de la place
occupée par les plus pauvres en son sein. Dans le langage ecclésial on parle ainsi d’amour
préférentiel ou d’option préférentielle pour les pauvres. Jésus invitait déjà ses contemporains
à vivre les préceptes moraux de leur temps, mais dans l’amour (agapè). Cela a trois
conséquences : premièrement, l’amour constitue le cœur de la justice. Lui seul donne à la
justice toute sa force, lui donne pleinement sens et lui permet de s’accomplir avec et dans la
vie. Deuxièmement, l’amour motive l’engagement pour la justice et les signes et prodiges de
la Parole de Dieu attestent de son efficacité. Troisièmement, poser l’amour comme fondement
de l’engagement humain ouvre la personne à la réalité de ce qui la dépasse, à la question du
sens de sa vie et de son action. Ainsi elle peut s’interroger sur Dieu agissant dans le monde.
Cet accent — la priorité à l’amour — n’affecte pas l’enseignement social de l’Église en lui-
même, mais son ajustement à la réalité.

5. Orientations vers des directives et


actions pastorales
16Par le passé, l’enseignement social de l’Église a conduit à des idéalismes. Ces idéalismes
séparaient la raison d’un côté et l’expérience, l’engagement et la pratique de l’autre. Les
développements successifs de l’enseignement social de l’Église au cours du  e siècle XX

s’orientent de plus en plus vers la pratique. Cette pratique relève à la fois de l’application des
principes, mais aussi de la réflexion sur la pratique elle-même. Il y a un va-et-vient entre
réflexion et mise en œuvre. La réflexion nourrit l’action et l’action nourrit en retour la
réflexion.

14  Voir L , « Catholic Social Teaching: 1891-1981 », présenté dans : K


AND ERBER  – E  – H
RTL AINZ  (éd.), K (...)

17Philip Land, toujours, décrit quatre aspects principaux du tournant que marque ainsi
Vatican II. Ces aspects ont influencé depuis les textes du magistère sur l’enseignement social
de l’Église14 :

181. Une critique de l’indifférence politique

19Le concile dénonce le repli de la personne sur la sphère privée et son indifférence à la
politique. L’Église exerce des responsabilités dans l’histoire du monde, comme institution
humaine et au nom de la foi qui anime ses membres. Le pape Paul VI insistera plus tard
dans Octogesima adveniens sur cette conviction : l’engagement en politique des chrétiens
répond à leur vocation de transformer la société.

202. L’engagement pour une « humanisation » de l’existence

15  V
ATICAN  II, Gaudium et spes, § 36, 2.

21Le concile rappelle la responsabilité de l’Église à l’égard du monde, un monde créé par
Dieu et dans lequel Jésus a vécu. Ainsi aux yeux des pères conciliaires comme pour le pape
Jean-Paul II, dans son encyclique Laborem exercens, le travail des hommes poursuit l’œuvre
du créateur et contribue à la manifestation de l’œuvre de Dieu dans l’histoire. C’est à partir de
cette conception que s’est développée la notion d’autonomie des réalités terrestres : « Si, par
autonomie des réalités terrestres, on veut dire que les choses créées et les sociétés elles-
mêmes ont leurs lois et leurs valeurs propres, que l’homme doit peu à peu apprendre à
connaître, à utiliser et à organiser, une telle exigence d’autonomie est pleinement légitime :
non seulement elle est revendiquée par les hommes de notre temps, mais elle correspond à la
volonté du Créateur15. »

223. L’engagement pour la justice sur le plan universel

16  A
SSEMBLÉE GÉNÉRALE DU SYNODE DES ÉVÊQUES , Justicia in mundo, § 7 (texte adopté par les évêques et (...)
23À l’occasion du synode de 1971 sur la justice dans le monde, les évêques insistent sur la
nécessité de réaliser la justice à tous les niveaux de la société, et plus spécialement dans les
rapports entre nations riches et nations pauvres ou faibles. Les évêques affirment que « le
combat pour la justice et la participation à la transformation du monde […] apparaissent
comme une dimension constitutive de la prédication de l’Évangile qui est la mission de
l’Église pour la rédemption de l’humanité et sa libération de toute situation oppressive16 ».
Avoir le monde entier comme horizon de réflexion est la marque du chrétien.

244. L’option préférentielle pour les pauvres

25L’Église a toujours cru que le Christ s’identifiait aux plus pauvres. Aujourd’hui elle
considère cette vérité avec une nouvelle urgence et en tire des conséquences pratiques pour sa
pastorale. La foi de l’Église réclame une identification et entraîne une option préférentielle
pour les pauvres. Cette option qui provient de la théologie de la libération d’Amérique latine
et qui sera reprise comme « choix prioritaire » par le pape Jean-Paul II a influencé beaucoup
de prises de positions de conférences épiscopales à travers le monde. Ce concept est ainsi
devenu universel.

IV. La justice comme condition de


l’annonce de l’Évangile
17 Notons que Jean-Yves Calvez a été appelé en 1971 à être l’assistant de Pedro Arrupe à Rome, puis
él (...)

26Cette évolution générale se retrouve bien entendu au sein de la Compagnie de Jésus. Pour
les jésuites, il ne saurait y avoir d’évangélisation sans prise en compte de la situation sociale
de celui à qui l’on s’adresse. Il ne sert à rien de prêcher, d’annoncer la Bonne Nouvelle à
quelqu’un qui a faim ou qui souffre d’injustice. Il est nécessaire d’abord de le nourrir ou de le
rétablir dans ses droits. C’est ce que fait remarquer le jésuite Jean-Yves Calvez 17 dans un
article de 2002 sur Pedro Arrupe dans la revue Études : dans ses interventions au concile à
l’invitation de Paul VI, où il s’agissait de lutter contre l’athéisme,

18  J.-Y. C ALVEZ , « Le premier Pedro Arrupe », Études 397/6, 2002, p. 646-650 (p. 648).

il n’est aucunement question […] de ce qui deviendra comme la définition de la


tâche de la Compagnie de Jésus à partir de sa 32e congrégation générale en
1975 : « le service de la foi et la promotion de la justice », ou « le service de la
foi dont la promotion de la justice constitue une exigence absolue » — définition
que beaucoup attribuent à l’influence du père Arrupe. Or, s’il n’est sans doute
pas faux que, directement ou indirectement, le père Arrupe ait influé sur le
recours à cette formule fameuse, il semble […] que ce ne soit qu’après avoir fait
la rencontre des situations d’injustice, en visitant ses frères jésuites répartis dans
le monde. Il n’avait peut-être pas eu l’occasion de tellement faire cette
expérience auparavant18.

27C’est ce qu’indique effectivement Pedro Arrupe lui-même à l’occasion d’une conférence à


la Pauluskirche de Francfort-sur-le-Main en 1976 :

19  P. ARRUPE , Écrits pour évangéliser (Christus 59), Paris, Desclée de Brouwer, 1985, p. 70-71, cité (...)
Je l’avoue, ces dix dernières années, depuis que je dirige la Compagnie de Jésus,
j’ai suivi un processus d’apprentissage. Bien sûr, j’avais vécu pendant 27 ans
hors d’Europe, au Japon […], mais la civilisation japonaise, marquée par
l’économie industrielle moderne, a bien des points communs avec l’Europe.
Durant ces dix dernières années, au contraire, des rencontres personnelles et de
nombreux contacts directs m’ont fait découvrir toute l’ampleur de la
problématique du tiers-monde : le monde de l’Inde, des pays arabes, de l’Afrique
et de l’Amérique latine. J’ai vu le fléau de la pauvreté et de la faim dans ces
régions […] Je n’oublierai pas cette expression de méfiance, ce regard de
suspicion chez les pauvres, qui pensent que les pays industrialisés sont les
principaux responsables de leur misère et de leur difficulté de s’en sortir 19.

20  ARRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 35-36. Pedro Arrupe précise : « Prenez, par exemple, la lettre (...)

28Dans ses entretiens avec Jean-Claude Dietsch, Pedro Arrupe analyse de la manière suivante
ses interventions au cours des années : « J’ai surtout suivi l’Esprit. Tous les points sur lesquels
je me suis, par la suite, appuyé ne venaient pas de moi, mais de l’Esprit qui a animé, pendant
et après le concile Vatican II, la vie de l’Église20. »

29Pedro Arrupe aborde la question de la mission en 1968, la replaçant dans son contexte
économique et social, mais aussi dans le cadre de la mission fondamentale de l’Église, et ce
notamment dans la dynamique de l’encyclique sur le développement des peuples Populorum
progressio de 1967. Il écrit :

21  P. A , « Foi chrétienne et action missionnaire aujourd’hui », La Documentation


RRUPE

catholique 1518 (...)

L’action de l’Église missionnaire en faveur du développement des peuples est


avant tout une « exigence interne de l’être même de l’Église », en tant qu’elle est
porteuse du message et de l’amour du Christ. Le vif intérêt que porte l’Église à
l’aide aux peuples en voie de développement n’est pas une nouvelle tactique
d’apostolat ni une simple adaptation à de nouvelles circonstances de l’Histoire ; il
est suscité plutôt par une prise de conscience plus profonde de la mission
fondamentale que l’Église sait être la sienne comme continuatrice de l’amour et
du service du Christ à l’égard de toute l’humanité. Cette prise de conscience lui a
permis de découvrir que son action en faveur des peuples en développement ne
doit pas être envisagée, en premier lieu, comme un moyen de conversion au
christianisme, mais avant tout comme « réalisation et expression de l’être même
de l’Église », ou comme témoignage du Christ même, présent par son Esprit dans
l’Église, « sacrement d’intimité de l’homme avec Dieu et de l’union de tous les
hommes entre eux » 21.

22  Voir Informations catholiques internationales, 1er février 1967, p. 26-27, cité par R. R OUQUETTE , (...)

30On aura reconnu au passage l’expression du concile Vatican II dans sa constitution


dogmatique Lumen Gentium (§ 1). À la question qui lui est posée en 1967 de savoir si c’est le
rôle des prêtres de travailler à lutter contre le scandale des injustices économiques, notamment
dans l’engagement des jésuites dans le travail social en Amérique latine, il répond en
s’appuyant sur les lettres de son prédécesseur, le père Jean-Baptiste Janssens, sur l’apostolat
social (1949) et sur les problèmes de l’Amérique latine (1960), et le concile. La réponse est
donnée dans une Lettre aux Provinciaux d’Amérique latine, dont seuls des
extraits22 semblent avoir été publiés en France :

23  R OUQUETTE , « Les jésuites et la question sociale en Amérique latine », p. 565-568.

Il est certain que la mission première de l’Église — et de la Compagnie — est


d’unir l’homme à son Créateur et Seigneur ; mais il est non moins certain que
Dieu a voulu sanctifier les hommes, non seulement un à un comme séparément,
mais qu’il les a constitués en une société de relations interprofessionnelles et
temporelles qui Le reconnaissent et Le servent ; il est non moins certain que
l’Église a une mission, une lumière et une énergie, qui découlent de sa mission
religieuse première, et qui sont capables de coopérer à la structuration
temporelle de la société. De même, il est indéniable que le domaine des
structures temporelles comme telles est proprement l’affaire des laïcs, tandis que
notre tâche se situe plutôt dans le domaine des mentalités. Mais nous ne
pouvons pas oublier que ces mêmes activités séculières ne relèvent pas
exclusivement du laïcat. Pour autant, j’exhorte tous les Provinciaux à attacher
davantage leur réflexion à ce « devoir d’humaniser et de personnaliser la
société », et à le faire comprendre clairement […] La Compagnie n’a pas été
efficacement orientée vers un apostolat en faveur de la justice sociale ; par suite
d’une stratégie, justifiée fondamentalement par des conditions historiques, elle a
eu bien plutôt pour objectif principal d’exercer une influence sur des classes
sociales dirigeantes et de former ses leaders ; mais, précisément, elle ne s’est
pas préoccupée des facteurs d’évolution qui aujourd’hui déterminent la
transformation sociale. D’autre part, les hommes appliqués à l’apostolat social
n’ont pas été soutenus, compris, encouragés, munis de moyens adéquats… Il est
tristement grave qu’il y ait encore aujourd’hui, dans la Compagnie, des hommes
qui occupent des charges de grande responsabilité, qui n’ont pas saisi l’urgence
et la prévalence du problème de la justice sociale. […] En dernière instance, la
nouvelle société que nous cherchons, n’est pas simplement une société en
laquelle chaque individu possède sensiblement davantage de biens et de
services, mais une société dans laquelle chaque individu réussit à se réaliser de
plus en plus comme personne humaine et, en ce sens, non seulement
« possède » davantage, mais « est » davantage23.

31Après les synodes romains sur la justice (1971) et l’évangélisation (1974) et surtout la
32e congrégation générale des jésuites qui pose la justice comme condition même de
l’exercice d’évangélisation, Pedro Arrupe s’adresse de manière provocatrice en 1976 aux
congressistes du 41e Congrès eucharistique international réunis à Philadelphie aux États-
Unis :

24  P. A RRUPE , « L’Eucharistie et la faim dans le monde », La Documentation catholique 1704, 1976,


p. (...)

Et si, à la fin de nos discussions sur « L’eucharistie et les faims dans le monde »,
en quittant cette salle, il nous fallait nous frayer un chemin à travers cette masse
de corps moribonds, comment pourrions-nous prétendre que notre Eucharistie
est le Pain de vie ? Comment pourrions-nous prétendre annoncer et partager
avec les autres le même Seigneur qui a dit : « Je suis venu pour qu’ils aient la
vie, et qu’ils l’aient en abondance » ? […] Nous sommes tous responsables, tous
engagés ! Dans l’eucharistie Jésus devient la voix de ceux qui n’ont pas de voix.
Il parle au nom des faibles, des opprimés, des pauvres, des affamés. En fait, il
prend leur place. Et si nous fermons l’oreille à leurs cris, c’est sa voix même que
nous refusons d’entendre. Si nous refusons de les entendre, notre foi est aussi
morte que celle dont nous parle si clairement saint Jacques […] (Jc 2, 15-18). La
plupart de ceux qui sont ici ce matin sont bien nourris et jouissent d’une aisance
satisfaisante. Dieu veuille que nous ne méritions pas la condamnation que saint
Jacques réserve aux riches égoïstes, qu’il s’agisse d’individus ou de nations :
« Eh bien, maintenant, les riches ! Pleurez, hurlez sur les malheurs qui vont vous
arriver… Vous avez vécu sur terre dans la mollesse et le luxe, vous vous êtes
repus au jour du carnage. Vous avez condamné, vous avez tué le juste : il ne
vous résiste pas » (Jc 5, 1-6)24.

32Il nous faut maintenant revenir aux tensions nées au moment de la 32e congrégation
générale et de l’intervention de Paul VI. Le père Arrupe reconnaît que le pape

25  A RRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 132-133. Voir l’intervention à l’occasion de la 3e Rencontre i (...)

n’est intervenu que parce que nous n’avions alors pas compris certains points
[…] C’est aussi comme se sentant hautement responsable de la Compagnie que
Paul VI, par l’intermédiaire du cardinal Villot (lettre du 2 mai 1975), a attiré
notre attention sur les aspects délicats de certains décrets qui avaient été votés.
Et ces aspects, nous les avons bien vu apparaître — et nous les constatons
encore aujourd’hui — dans l’application de ces décrets : risques de confusion
entre promotion de la justice et engagement politique, risques d’oublier la
dimension spirituelle de nos ministères et d’appauvrir ainsi la vie de prière, ou
bien oubli du charisme ignatien, tendance à une spiritualité désincarnée, etc. 25

33Les orientations votées au cours de cette 32e congrégation générale ne calment pas le jeu.
Mais la fin du pontificat de Paul VI n’est pas propice à régler rapidement l’affaire, et ce
jusqu’à sa mort le 6 août 1978. L’affaire est néanmoins instruite régulièrement. Dès son
élection le 26 août 1978, Jean-Paul Ier accorde une audience à l’occasion de la réunion des
procurateurs des jésuites à Rome. Elle est fixée le 30 septembre 1978. Mais Jean-Paul
Ier meurt deux jours avant, le 28 septembre 1978. À la demande du père Arrupe, le cardinal
Jean-Marie Villot transmet le texte préparé par Jean-Paul Ier à cette occasion. La lettre du
cardinal Villot qui accompagne cet envoi mentionne que le pape Jean-Paul II a fait sien le
contenu de l’allocution de son prédécesseur. Le texte de Jean-Paul I er observe les évolutions
récentes de la Compagnie :

26  J EAN-PAUL  Ier, « Directives aux jésuites », La Documentation catholique 1757, 1979, p. 111-113 (p. (...)

Puisque durant ces jours vous devez procéder dans le recueillement et la prière à
un examen sur l’état de la Compagnie en jugeant de la situation objective de
façon sincère, réaliste et courageuse, en analysant s’il le faut les défiances, les
lacunes, les zones d’ombre, je veux confier à votre méditation responsable
certains points qui me tiennent à cœur26.

27  Si la traduction a été établie par la Compagnie de Jésus, les sous-titres reviennent à la
rédactio (...)

34Il aborde ainsi quatre aspects principaux : « Les prêtres ne doivent pas se substituer aux
laïcs en négligeant leur tâche spécifique qui est d’évangéliser » ; les jésuites « doivent
présenter et enseigner une doctrine solide et sûre » ; les jésuites et la « discipline religieuse » ;
les jésuites : « contemplatifs dans l’action »27.

28  P. S AUVAGE , « Cardenal, Ernesto », dans : M. C HEZA  – L. M


ARTINEZ SAAVEDRA  – P. S
AUVAGE  (dir.), Dic (...)

29  SAUVAGE , « Cardenal, Fernando », p. 126-127.

35Les tensions ne sont pas résolues pour autant. Nombre de jésuites, aux côtés de laïcs, de
religieux et de prêtres diocésains, notamment en Amérique latine et en Inde, et dans le réseau
ignatien des réfugiés, poursuivent l’engagement politique. Il en va ainsi au Nicaragua où de
nombreux religieux s’engagent dans la lutte sandiniste au tournant des années 1980. La figure
de proue de cet engagement sera incontestablement le père Ernesto Cardenal28 qui devient
ministre de la Culture du gouvernement d’extrême gauche dans le gouvernement
révolutionnaire instauré par le président Daniel Ortega. En effet, après la victoire sandiniste
en 1979, beaucoup de chrétiens qui ont participé à la révolution pensent pouvoir instaurer un
régime social-chrétien. Quelques prêtres participent directement au gouvernement sandiniste,
dont un jésuite, Fernando Cardenal29 (à ne pas confondre avec le précédent), au poste de
ministre de l’Instruction, qui quitte alors la Compagnie. À la suite de l’élection de Jean-Paul
II, un changement se fait sentir. La Conférence épiscopale nicaraguayenne commencera à
s’écarter du sandinisme. Le 17 octobre 1980 elle publie un document sur la religion
catholique, ses postulats, les manipulations dont elle a été l’objet qui veut montrer les
antagonismes entre l’action du gouvernement sandiniste et les principes chrétiens. Elle se
place cette fois-ci du côté de l’opposition au sandinisme.

36En 1983, la première force d’opposition au régime sandiniste est l’Église catholique.
Certains des prêtres qui participent au gouvernement sandiniste sont sanctionnés par Rome
avec l’accord des évêques nicaraguayens. D’autres doivent quitter le pays à cause des
pressions hiérarchiques. Des congrégations religieuses sont accusées d’idéologisation. Le
Saint-Siège fournit aux évêques nicaraguayens de nouvelles instructions sur la mission de
l’Église, sur ses rapports avec le pouvoir politique et économique et sur la formation du
clergé, qui marquent un tournant par rapport à ce qui avait été fait les années précédentes. Le
pape Jean-Paul II décide alors de se rendre au Nicaragua. On se souvient de cette image du
pape qui admoneste publiquement, sur le tarmac de l’aéroport, le père Ernesto Cardenal venu
l’accueillir avec les autres membres du gouvernement. Lorsque dans son homélie à Managua
le pape condamne le sandinisme, il est sifflé par une partie de l’assistance. Cette visite, qui
allait consacrer la division Église – sandinisme, va montrer aussi une autre division : celle de
l’Église.

V. L’apport de la théologie de la
libération
30  Voir B. C HENU , Théologies chrétiennes des tiers mondes. Théologies latino-américaine, noire
améric (...)

37Qu’est-ce alors que la théologie latino-américaine de la libération ? Elle revêt, selon le


théologien Bruno Chenu, un double aspect : une méthode et un contenu30. Sur le plan de la
méthode, elle souligne que l’engagement est premier et que la réflexion théologique est l’acte
second, ce qui ne veut pas dire secondaire. Il faut d’abord, en s’engageant, se donner les
moyens de comprendre la réalité que l’on veut changer. Il faut pour cela faire appel à des
outils d’analyse qui permettent de comprendre le pourquoi des phénomènes de pauvreté. Dans
les années 1960-1970, les Latino-Américains ont utilisé un vocabulaire marxiste, parlant par
exemple de praxis, mais l’insérant dans un cadre de réflexion chrétienne qui modifiait sa
signification. Pour eux, la théologie est toujours une réflexion critique à partir d’une praxis,
d’un engagement historique. Si la méthode est importante pour prendre au sérieux le réel, le
contenu ne l’est pas moins, et c’est la fameuse option préférentielle pour les pauvres, le choix
prioritaire des pauvres. Ce choix n’est pas d’abord celui de l’Église mais celui de Dieu, auquel
l’Église se doit d’être fidèle. Il oblige à regarder le présent à partir des victimes, à partir des
plus petits : les pauvres. Et cela change beaucoup de choses.

31  Voir l’intervention à l’occasion du synode des évêques sur la catéchèse : P. A RRUPE , « Marxisme et (...)

38L’apport inestimable des théologies de la libération est d’obliger tout un chacun à prendre
en compte la réalité dans toutes ses dimensions et à chercher à y inscrire la foi chrétienne
comme un geste de libération, comme une action de transformation, comme un refus de la
fatalité, comme une volonté de fraternité, en s’appuyant sur l’espérance et le dynamisme des
pauvres. Désormais, le croyant ne peut plus échapper à la question : ma foi est-elle
concrètement libératrice ? La théologie de la libération a fait l’objet de deux recommandations
romaines en 1984 et 1986. Tout en reconnaissant la légitimité d’un combat contre la misère, la
congrégation pour la Doctrine de la foi condamnait les emprunts faits à la philosophie
marxiste et tentait de recadrer les aspirations des peuples sud-américains dans la doctrine
sociale de l’Église31. De leur côté le pape Jean-Paul II et le courant de l’Opus Dei, très
influent à cette époque au Vatican, se sont montrés défavorables à ce mouvement, à cause des
théories reprenant des concepts marxistes comme la lutte des classes. Le 8 décembre 1980,
Pedro Arrupe adresse une longue lettre sur l’analyse marxiste aux provinciaux jésuites
d’Amérique latine. La théologie de la libération était ressentie comme une menace pour
l’unicité et l’impact public de l’Église catholique. En outre, affirmer la lutte des classes
pouvait dans une certaine mesure encourager la participation à des actions violentes comme la
guérilla, ce que refusait le Vatican. On peut lire dans la lettre du préposé général :

32  P. A RRUPE , « L’analyse marxiste », La Documentation catholique 1808, 1981, p. 482-485 (p. 485).

Je demande à tous un comportement de netteté, de clarté et de fidélité. Qu’ils


s’engagent de toutes leurs forces, dans le cadre de notre vocation, pour les
pauvres et contre l’injustice, mais qu’ils ne laissent pas l’indignation obscurcir
leur vision de foi et qu’ils gardent en tout, même au sein des conflits, un cœur
chrétien qui soit empreint de charité et jamais de dureté. […] Dans le moment
présent, je tiens à ce que tous observent les indications et directives contenus
dans cette lettre ; j’espère qu’elle vous permettra, à vous et aux autres
supérieurs, de mieux aider ceux des nôtres que leur ministère met en contact
avec des hommes et des femmes de conviction marxiste, y compris les chrétiens
qui se proclament « chrétiens marxistes », d’aider aussi plus généralement tous
les nôtres qui, ayant besoin d’analyser la société, ne peuvent pas ne pas être
affrontés à la question de l’analyse marxiste. Nous pourrons ainsi mieux travailler
à la promotion de la justice qui doit accompagner notre service de la foi 32.

39C’est donc l’ensemble de ce contexte ecclésial qui explique les tensions entre les jésuites et
les papes successifs. Mais même cette expérience est relue spirituellement par le père Arrupe,
avant même l’épilogue disciplinaire :

33  ARRUPE , Écrits pour évangéliser, p. 315, cité par C ALVEZ , Le père Pedro Arrupe », p. 375.
« 
L’Histoire sainte du peuple de Dieu nous apprend que les montées dans la
libération et la conversion vers Dieu se sont réalisées à travers le désert. Le
désert est un espace vide, sans routes ni horizons définis, où le peuple passe par
l’expérience redoutable de la solitude et le dépouillement de toutes les sécurités
humaines, parce qu’on ne peut rencontrer Dieu vivant que moyennant une telle
expérience33 …

40Les tensions entre les jésuites et Rome ne cesseront qu’au milieu des années 1990.
L’élection de Peter-Hans Kolvenbach en 1983 lors de la 33e congrégation générale ne calma
pas le jeu, loin de là. Le pape Jean-Paul II prit même la décision exceptionnelle de suspendre
pour un temps le gouvernement ordinaire de la Compagnie (avant la 34e congrégation
générale qui a débuté le 5 janvier 1995).

41Dans cette affaire, c’est bien la conception de la justice qui est au centre du débat. Pour les
pères conciliaires, il était bel et bien question du « devoir de justice et de charité » pour
dépasser une éthique individualiste. Le constat pour la période qui suit est que la justice
penche de plus en plus du côté du politique et échappe au contrôle ecclésial. Dans un monde
sécularisé, la charité apparaît a contrario comme la réponse religieuse aux situations
d’injustice. À la politique, la justice ; à l’Église, la charité. Giacomo Todeschini l’a bien
montré dans Les marchands et le temple :

34  G. T ODESCHINI , Les marchands et le temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la riche (...)

Entre les  e et  e siècles, au moment où l’Église de Rome s’affirme comme centre
XI XII

institutionnel de la chrétienté occidentale, cette caritas unificatrice dont avaient


parlé les Pères de l’Église devient le signe linguistique d’une unité sociale, rendue
visible économiquement par les possessions ecclésiastiques et monastiques 34.

35  G. T ODESCHINI , Les marchands et le temple, p. 115-117.

42Toutes les relations économiques, y compris les rapports entretenus avec les pauvres,
s’inscrivent dans cette conception totale de la société, organisée par l’Église sous le régime de
la charité. Res publica et civitas chrétienne, qui exercent toutes deux la justice, sont ordonnées
au bonum commune (bien commun) d’une collectivité (notamment les villes-États) pensée
comme ecclesia35. C’est ce que l’on retrouve sous la plume du pape Benoît XVI dans sa
lettre encyclique Caritas in veritate en 2009. Citons les paragraphes 6 et 7 :

« Caritas in veritate » est un principe sur lequel se fonde la doctrine sociale de


l’Église, un principe qui prend une forme opératoire par des critères d’orientation
de l’action morale. Je désire en rappeler deux de manière particulière ; ils sont
dictés principalement par l’engagement en faveur du développement dans une
société en voie de mondialisation : la justice et le bien commun.

La justice tout d’abord. Ubi societas, ibi ius : toute société élabore un système


propre de justice. La charité dépasse la justice, parce qu’aimer c’est donner,
offrir du mien à l’autre ; mais elle n’existe jamais sans la justice qui amène à
donner à l’autre ce qui est sien, c’est-à-dire ce qui lui revient en raison de son
être et de son agir. Je ne peux pas « donner » à l’autre du mien, sans lui avoir
donné tout d’abord ce qui lui revient selon la justice. Qui aime les autres avec
charité est d’abord juste envers eux. Non seulement la justice n’est pas
étrangère à la charité, non seulement elle n’est pas une voie alternative ou
parallèle à la charité : la justice est « inséparable de la charité », elle lui est
intrinsèque. La justice est la première voie de la charité ou, comme le disait Paul
VI, son « minimum », une partie intégrante de cet amour en « actes et en
vérité » (1 Jn 3, 18) auquel l’apôtre saint Jean exhorte. D’une part, la charité
exige la justice : la reconnaissance et le respect des droits légitimes des
individus et des peuples. Elle s’efforce de construire la cité de l’homme selon le
droit et la justice. D’autre part, la charité dépasse la justice et la complète dans
la logique du don et du pardon. La cité de l’homme n’est pas uniquement
constituée par des rapports de droits et de devoirs, mais plus encore, et d’abord,
par des relations de gratuité, de miséricorde et de communion. La charité
manifeste toujours l’amour de Dieu, y compris dans les relations humaines. Elle
donne une valeur théologale et salvifique à tout engagement pour la justice dans
le monde.

43À deux reprises le pape emploie la notion de « famille humaine » dans un sens téléologique
pour construire la cité des hommes et la cité de Dieu. Par ce procédé, déjà mis en place par
Augustin lui-même, le cadre privé et familial et le cadre politique et social tendent à se fondre
et à se mélanger (pour reprendre les catégories de Todeschini). Justice et charité tendent-elles
également à se fondre et se mélanger ? Il ne semble pas, car elles n’agissent pas sur le même
plan.

36  Voir Pape F RANÇOIS , Laudato si’ (2015), § 109.

44Dans des sociétés caractérisées par la mondialisation, par la pluralité religieuse et par la
sécularisation, mais aussi largement dominées par le discours économique anglo-saxon, il
n’est pas étonnant que le politique ne se réclame plus de la charité, y compris dans les
systèmes de redistribution privés ou collectifs (entreprises, associations et autres fondations, y
compris des Églises). Même là, sauf pour les fondations et organisations caritatives des
Églises, le concept de charité est détaché de son sol nourricier chrétien pour n’être qu’un
échange fonctionnel orienté vers la philanthropie et le bien-être social. Justice et charité
partagent donc aujourd’hui le même destin : être des concepts sécularisés dans les sociétés
modernes. Faut-il le regretter, comme l’expression d’un âge d’or qui a vécu, ou s’en réjouir,
comme l’expression d’une assimilation de leur substance même ? Finalement, en toute
rigueur, il en va de la vie des pauvres et des exclus. Il s’agit de promouvoir « l’inclusion
sociale36 », comme le rappelle si souvent le pape François.

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Notes

1  M. F , « Justice », dans : L. L


EIX  – É. G
EMOINE  – D. M
AZIAUX ÜLLER  (dir.), Dictionnaire encyclopédique d’éthique
chrétienne, Paris, Cerf, 2013, p. 1170-1184.

2  P. A , « Enracinés et fondés dans la charité (Ep 3, 17) », dans : I ., Itinéraire d’un jésuite.
RRUPE D

Entretiens avec Jean-Claude Dietsch (Les interviews), Paris, Centurion, 1982, p. 141-189.

3  Le terme « philadelphie » vient du grec philos, amour, et adelphos, frère. À ce propos on pourra


consulter M.-J. Thiel – M. Feix (éd.), Le défi de la fraternité (Theologie Ost-West 23), Zürich, LIT,
2018.
4  A RRUPE,  « Enracinés et fondés dans la charité (Ep 3, 17) », p. 170-171.

5  Voir « Notice biographique », dans : A RRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 191.

6  Voir La Documentation catholique 1767, 1979, p. 647.

7  J
EAN-PAUL  II, « Lettre au père Arrupe », La Documentation catholique 1818, 1981, p. 1023.

8  Voir M. G , « La congrégation générale de la Compagnie de Jésus », Études 322, 1965/5, p. 730-


IULIANI

733. Cette 31e congrégation est déjà l’objet d’âpres débats sur la mission des membres de la
Compagnie de Jésus. Ce contexte permet au jésuite Bruno Ribes de s’interroger dans la
revue Études pour savoir si les jésuites sont en révolution (voir B. R , « Les jésuites en IBES

révolution ? », Études 326/1, 1967, p. 93-107).

9  P  VI, « Allocution à la congrégation générale de la Compagnie de Jésus », La Documentation


AUL

catholique 1449, 1965, col. 965-969, cité par A , Itinéraire d’un jésuite, p. 98. RRUPE

10  Cité par A RRUPE , Itinéraire d’un jésuite, p. 99.

11  A. W , Vatican II : Chronique de la quatrième session (Église en son temps), Paris, Centurion,
ENGER

1966, p. 155-156.

12  R. R OUQUETTE , « L’intervention du père Arrupe sur l’athéisme », Études 323/11, 1965, p. 575-578 (p.
575).

13  Voir P. L , « Catholic Social Teaching: 1891-1981 », Center Focus 43, 1981, p. 3-4, présenté
AND

dans : W. K  – H. E  – M. H  (éd.), Katholische Gesellschaftslehre im Überblick. 100 Jahre


ERBER RTL AINZ

Sozialverkündigung der Kirche, Frankfurt-am-Main, J. Knecht, 1991, p. 31-35.

14  Voir L , « Catholic
AND Social Teaching: 1891-1981 », présenté
dans : K  – E  – H  (éd.), Katholische Gesellschaftslehre im Überblick, p. 31-35.
ERBER RTL AINZ

15  V ATICAN  II, Gaudium et spes, § 36, 2.

16  A G
SSEMBLÉE S ÉNÉRALE DU YNODE DES ÉVÊQUES , Justicia in mundo, § 7 (texte adopté par les évêques et rendu public par
Paul VI en 1971).

17 Notons que Jean-Yves Calvez a été appelé en 1971 à être l’assistant de Pedro Arrupe à Rome, puis
élu assistant général (lors de la 32e congrégation générale en 1974-1975 où il fut l’artisan du
rapprochement du « service de la foi » avec la « promotion de la justice »), fonction qu’il exerça
jusqu’en 1983.

18  J.-Y. C ALVEZ , « Le premier Pedro Arrupe », Études 397/6, 2002, p. 646-650 (p. 648).

19  P. A , Écrits pour évangéliser (Christus 59), Paris, Desclée de Brouwer, 1985, p. 70-71, cité par
RRUPE

J.-Y. C , Le père Arrupe. L’Église après le Concile (L’histoire à vif), Paris, Cerf, 1997, p. 45-46 et
ALVEZ
« Le premier Pedro Arrupe », p. 648. Voir aussi J.-Y. C ALVEZ, «  Le père Pedro Arrupe ou la passion
d’évangéliser », Études 374/3, 1991, p. 371-379.

20  A , Itinéraire d’un jésuite, p. 35-36. Pedro Arrupe précise : « Prenez, par exemple, la lettre sur le
RRUPE

discernement (25 décembre 1971) : une lettre courte, de trois pages, qui a été critiquée — mais j’ai
senti que là était une vraie question. De même ce que j’ai écrit sur l’obéissance et le service (2 janvier
1967), sur la pauvreté, le témoignage, la solidarité et l’austérité (14 avril 1968), sur les quatre
priorités pour la rénovation spirituelle de la Compagnie (l’absolu de Dieu dans nos vies, le
dynamisme apostolique, les garanties et le progrès de la vie spirituelle, la vie communautaire — 24
juin 1971). […] Je suis en effet convaincu que cela ne vient pas de moi seul, mais concerne le bien de
toute la Compagnie. Il en est de même pour mes plus récentes lettres sur l’intégration authentique de
la vie spirituelle et de l’apostolat (1er novembre 1976), sur la disponibilité apostolique (19 octobre
1977), sur l’inculturation (14 mai 1978), ainsi que de mes conférences sur notre manière d’agir (18
janvier 1979), sur l’inspiration trinitaire du charisme ignatien (8 février 1980) et celle
intitulée Enracinés et fondés dans la charité (6 février 1981). Ce sont des dimensions du charisme de
saint Ignace sur lesquelles je suis convaincu qu’il faut insister aujourd’hui » (p. 35-37).

21  P. A , « Foi chrétienne et action missionnaire aujourd’hui », La Documentation catholique 1518,


RRUPE

1968, col. 1029.

22  Voir Informations catholiques internationales, 1er février 1967, p. 26-27, cité par R. R OUQUETTE , « Les
jésuites et la question sociale en Amérique latine », Études 326/4, 1967, p. 564-568.

23  R OUQUETTE , « Les jésuites et la question sociale en Amérique latine », p. 565-568.

24  P. A , « L’Eucharistie et la faim dans le monde », La Documentation catholique 1704, 1976, p.


RRUPE

761-764 (p. 761-762).

25  A , Itinéraire d’un jésuite, p. 132-133. Voir l’intervention à l’occasion de la 3e Rencontre


RRUPE

interaméricaine des religieux : P. A , « Le religieux, témoin de l’austérité dans le monde
RRUPE

d’aujourd’hui », La Documentation catholique 1737, 1978, p. 235-240.

26  J
EAN-PAUL  Ier, « Directives aux jésuites », La Documentation catholique 1757, 1979, p. 111-113 (p.
112).

27  Si la traduction a été établie par la Compagnie de Jésus, les sous-titres reviennent à la rédaction
de La Documentation catholique, p. 112-113.

28  P. S , « Cardenal, Ernesto », dans : M. C  – L. M


AUVAGE S  – P. S
HEZA  (dir.), Dictionnaire
ARTINEZ AAVEDRA AUVAGE

historique de la théologie de la libération, suivi de « Genèse, évolution et actualité de la théologie de


la libération » par Pierre Sauvage, Bruxelles, Lessius, 2017, p. 124-126.

29  S
AUVAGE , « Cardenal, Fernando », p. 126-127.

30  Voir B. C , Théologies chrétiennes des tiers mondes. Théologies latino-américaine, noire
HENU

américaine, noire sud-africaine, africaine, asiatique, Paris, Centurion, 1987, p. 33-52. Il est possible
d’approfondir avec C  – M S
HEZA  – S
ARTINEZ  (dir.), Dictionnaire historique de la théologie de la
AAVEDRA AUVAGE

libération.
31  Voir l’intervention à l’occasion du synode des évêques sur la catéchèse : P. A RRUPE , « Marxisme et
catéchèse », La Documentation catholique 1730, 1977, p. 971-972.

32  P. A RRUPE , « L’analyse marxiste », La Documentation catholique 1808, 1981, p. 482-485 (p. 485).

33  A RRUPE , Écrits pour évangéliser, p. 315, cité par C ALVEZ, «  Le père Pedro Arrupe », p. 375.

34  G. T , Les marchands et le temple. La société chrétienne et le cercle vertueux de la richesse du


ODESCHINI

Moyen Âge à l’Époque moderne, préf. de T. Piketty, trad. de l’italien par I. Giordano, avec la collab.
de M. Arnoux (L’évolution de l’humanité. Bibliothèque de synthèse historique), Paris, Albin Michel,
2017, p. 60.

35  G. T ODESCHINI , Les marchands et le temple, p. 115-117.

36  Voir Pape F RANÇOIS , Laudato si’ (2015), § 109.


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Pour citer cet article

Référence papier
Marc Feix, « Justice et charité : conflit d’interprétation à la fin du  e siècle », Revue des sciences
XX

religieuses, 93/3 | 2019, 281-301.

Référence électronique
Marc Feix, « Justice et charité : conflit d’interprétation à la fin du  e siècle », Revue des sciences
XX

religieuses [En ligne], 93/3 | 2019, mis en ligne le 01 septembre 2019, consulté le 30 mai 2023. URL :
http://journals.openedition.org/rsr/6800 ; DOI : https://doi.org/10.4000/rsr.6800
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Auteur

Marc Feix
EA 4377 – Faculté de théologie catholique
Université de Strasbourg

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COMTE

intégral]

(Chrétiens et société ; Documents et mémoires 40), Lyon, Laboratoire de recherche historique Rhône-
Alpes, 2020, 193 p.

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COULANGE , Paul H., Écologie et technologie. Au prisme de l’enseignement social
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chrétien [Texte intégral]

Saint-Maurice (VS), Saint-Augustin, 2021, 278 p.

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  Yves – M , Philippe (dir.), Jésuites et protestantisme  e- e siècles. Actes du colloque de


KRUMENACKER, ARTIN XVI XXI

Lyon (24-25 mai 2018) [Texte intégral]

(Chrétiens et société. Documents et mémoires 37), Lyon, Laboratoire de Recherche Historique Rhône-


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  Christian (éd.), Le Concile Vatican II et le monde des religieux (Europe occidentale et Amérique
SORREL,

du Nord, 1950-1980), Actes du colloque international de Rome (12-14 novembre 2014) [Texte


intégral]

(Chrétiens et société. Documents et mémoires 36), Lyon, Laboratoire de Recherche Historique Rhône-


Alpes (LARHRA, UMR 5190), 2019, 400 p.

Paru dans Revue des sciences religieuses, 95/1-2 | 2021

 , Gaston, Démocratie et éthique. Émancipation politique et sociale de l’Afrique [Texte


DYNDO ZABONDO

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(Études africaines. Série philosophie), Paris, L’Harmattan, 2019, 400 p.

Paru dans Revue des sciences religieuses, 94/2-4 | 2020

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