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La Torah (Philippe Haddad)
La Torah (Philippe Haddad)
La Torah
Éditions Eyrolles
61, Bd Saint-Germain
75240 Paris Cedex 05
www.editions-eyrolles.com
Du même auteur :
■ Les Rendez-vous de Dieu, Éd. Daleth, Paris, 1998
■ Kasherouth ou La diète éthique, Éd. Daleth, Paris, 1999
■ Épreuves d’espérance, Éd. Actes sud, Arles, 2000
■ Pour expliquer le judaïsme à mes amis, In Press, Paris, 2001
■ Durban, Éd. Safed, Paris, 2001
■ L’Aigle de Dieu (roman), Éd. Jean-Cyrille Godefroy, Paris, 2002
■ L’Islam et le judaïsme en dialogue, avec Ghaleb Bencheikh, Éd. de l’Atelier, Paris 2002
■ Israël, j’ai fait un rêve, Éd. de l’Atelier, 2003
■ Le Méiri, rabbin catalan de la tolérance, Mare Nostrum, Perpignan, 2006
■ Anthologie du judaïsme : 3 000 ans de culture juive, sous la direction de Francine
Cicurel, Éd. Nathan, Paris, 2007
■ Juifs, chrétiens, musulmans, ne nous faites pas dire n’importe quoi !, avec Ghaleb
Bencheikh et Jacques Arnould, Éd. Bayard, Paris, 2008
■ Les Fêtes juives : réflexions sur les solennités du judaïsme, avec Gérard Haddad, Éd. du
Cerf, Paris, 2008
À ma « Douleur »
Sommaire
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .193
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .197
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .201
Table des matières . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 205
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Introduction
La lecture de ce livre pourrait ressembler à la visite d’un grand pays. Le
touriste ne pourra pas tout voir d’un coup ; mais en faisant confiance à
son guide il aura au bout de son périple un aperçu général des monu-
ments importants, de l’atmosphère sociale, de l’historique des lieux, il
pourra même côtoyer quelques habitants. Ce pays se nomme Torah, le
livre fondateur de la foi d’Israël, et nous serons votre guide.
Ce long récit narratif entrecoupé de règles législatives, d’oracles prophé-
tiques, d’interventions divines, de poèmes et de maximes morales ou
religieuses, couvre une période très large de la période antique proche-
orientale ; les héros y sont nombreux, la période couverte très longue,
les narrations parfois contradictoires, le climat souvent passionné, l’en-
semble s’exprimant en hébreu ancien, plus rarement en araméen.
Le guide que nous voudrions être a dû faire un choix au regard de la
somme impressionnante des chapitres. C’est notre œil subjectif
d’auteur, guidé par les questions d’amis ou de fidèles étudiants qui a eu
raison de nos décisions. Tout ne sera donc pas dit, mais nous espérons
que les extraits donneront l’esprit du tout, et que les morceaux choisis
satisferont la curiosité du lecteur tout en ouvrant son appétit.
Pour la méthodologie, nous avons suivi la voie la plus simple : chaque
chapitre est inauguré par la citation de quelques versets suivis d’un
commentaire analytique augmenté d’approches traditionnelles juives
qui s’ajoutera à la couleur biblique. Certains textes ont été inspirés de
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nos écrits antérieurs parus dans d’autres livres ou des journaux. Nous le
signalerons en bas de page.
Mais avant de passer au détail de ces écritures, il nous faut présenter
le livre dans son ensemble. Dans ce but, le premier chapitre éclairera
l’histoire de la Torah, et la manière dont ces textes sont vécus depuis
toujours par ceux qui en ont été les dépositaires.
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Pentateuque Genèse / Béréchit Gn
Exode / Chémot Ex
Lévitique / Vayikra Lev
Nombres / Bamidbar Nb
Deutéronome / Dévarim Deut
Néviim Richonim ou Josué / Yéochoua Jos
Premiers Prophètes Juges / Choftim Jug
Premier livre de Samuel / Chmouel 1 Sam
Deuxième livre de Samuel / idem 2 Sam
Premier livre des Rois / Mala’him 1 Rois
Deuxième livre des Rois / idem 2 Rois
Néviim A’haronim ou Isaïe / Yichayahou Is
Derniers Prophètes Jérémie /Yirmiyahou Jr
Ezéchiel / Yé’hezkel Ez
Douze petits prophètes / Tré Assar
Osée / Ochéa Os
Joël / Yoël Jo
I nt ro d uc t io n
Amos / Amos Am
Obadia / Obadia Ob
Jonas / Yona Jon
Michée /Mi’ha Mic
Nahum /Na’houm Nah
Habacuc /’Habakouk Hab
Sophonie / Tséphania Soph
Aggée / ‘Hagaï Ag
Zacharie /Za’haria Zach
Malachie / Mala’hi Mal
Kétouvim Psaumes / Téhélim Ps
Proverbes / Michlé Prov
Job / Yov Jb
Cantique des cantiques / Chir Hachirim Cant
Ruth / Rout Ru
Lamentations /E’ha Lam
Ecclésiaste / Kohélet Eccl
Esther /Esther Est
Daniel /Daniel Dan
Esdras /Ezra Esd
Néhémie / Né’hémia Neh
Premier livre des Chroniques / Divré Hayamim 1 Chr
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Chapitre 1
Quelques repères
historiques
et pratiques
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C ha p it re 1. Quel q ues re p è re s histo r i que s e t pra t i que s
Le terme Torah désigne, au sens strict, le Pentateuque et, au sens large,
l’ensemble de la Bible. Avant de définir la structure de la Torah et le
détail des livres qui la composent, il semble primordial de revenir sur le
contexte qui l’a vu naître, autrement dit l’histoire de son écriture. Cette
histoire est étroitement associée à celle du peuple hébreu.
1. Notons qu’en français le « d » de Judéen est devenu « f » pour donner Juif ; mais en espagnol,
par exemple, il a été conservé (judeo).
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av. J.C. Le terme hébraïque ivri (Hébreu) signifie « passeur » car Abraham
passa, traversa l’Euphrate, avec sa femme, son neveu Lot et ses bergers
pour se rendre au pays de Canaan (Israël), répondant ainsi à un appel
divin (Gn 12, 1-3). Certains archéologues approchent le terme ivri de celui
d’hapirou ou habirou, terme désignant des nomades d’ethnies vivant au
Proche-Orient à l’âge du bronze.
Durant toute leur vie, Abraham, puis son fils Isaac et son petit-fils Jacob,
se considérèrent comme des étrangers installés sur la terre promise
(Gn 23, 4 ; 37, 1), car pour l’heure, les peuplades cananéennes l’occu-
paient (Gn 12, 6). Personnages bénis par le Ciel, ils n’eurent pas à souffrir
de leur situation d’immigrés ; au contraire, ils étaient respectés, voire
craints, par les autochtones (Gn 23, 6 ; 21, 27 ; 26, 28 ; 35, 5).
T ERRE PROMISE
tion de la loi divine par le peuple d’Israël. Remarquons que l’histoire juive,
au sens large, s’est autant déroulée sur la terre d’Israël qu’en dehors, dans
une alternance d’exils et de retours, et ce, depuis les jours antiques jusqu’à
notre période contemporaine.
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effet, que le peuple hébreu en tant que tel naîtra, puisque Jacob et sa
maisonnée s’y installeront conséquemment à une famine qui toucha
le pays de Canaan. Accueillis par Joseph, fils de Jacob – qui, à la suite
d’une série de circonstances, se retrouva vice-pharaon d’Égypte – le clan
hébreu trouva pour quelque temps un havre de paix dans une région
nommée Gochen (Gn 47, 1).
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Cette conception religieuse implique l’idée de l’élection du peuple d’Is-
raël, parfois dénommé « peuple élu » ou « peuple choisi » (Dt 7, 6). Il ne
s’agit en rien d’une élection de droits ou d’un favoritisme divin, mais
bien d’un sacerdoce qui consiste à se soumettre à une législation révé-
lée très stricte, les commandements (mitsvot). D’ailleurs, chaque fois
que la notion d’élection apparaît, elle est suivie du rappel du devoir
d’observance de la Loi.
Ainsi Dieu, en distinguant le peuple d’Israël qu’Il a délivré d’Égypte, en
fait Son témoin au milieu des hommes (Is 43, 10), de la même façon que
la figure du prêtre dans toute religion témoigne d’une transcendance.
La vocation d’Israël sera ainsi définie au mont Sinaï, avant la révélation
du Décalogue (ou encore les dix paroles, comme il est dit en hébreu) :
« Vous serez pour Moi une royauté de prêtres » (Ex 19, 6). Dans l’idéal,
l’ensemble du peuple hébreu constitue une sorte « d’église » qui, en
introduisant dans sa vie quotidienne, chacun selon ses prérogatives, les
préceptes religieux du Sinaï actualise la conscience de Dieu dans l’esprit
L a To r a h
des hommes, sans imposer cette conscience par la force. On peut parler
d’une pédagogie par l’exemple.
Tel est le seul prosélytisme reconnu et accepté par le judaïsme : procla-
mer l’existence d’un Dieu unique et la fraternité humaine qui en découle,
selon le schéma abrahamique. Quant à la pratique religieuse, chaque
peuple est libre de suivre ses voies spirituelles en fonction de ses pères
fondateurs, pourvu que la morale universelle soit respectée.
I SRAËL
Israël, qui signifie « prince de Dieu », est le second nom du patriarche Jacob
qu’il reçut lors d’un combat mystérieux, la veille de sa rencontre avec son
frère Esaü (Gn 32, 29 ; 30, 10). Par la suite, en descendant en Égypte, les
enfants de Jacob seront nommés béné Israël « fils d’Israël » (Ex 1, 1), expres-
sion qui finira par être abrégée en Israël pour désigner la nation israélite.
Du fait que, dans la Bible, un pays prend le nom du peuple qui l’habite, la
terre originellement appelée Canaan deviendra la terre d’Israël, c’est-à-dire
la terre des enfants d’Israël.
La première mention archéologique du nom « Israël » se trouve sur la stèle du
pharaon Méneptah ou Mérephtah datant du XIIIe siècle av. J.-C. Les versions
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bibliques et historiques se recoupent à partir du VIIIe siècle av. J.-C., les histo-
riens confirmant l’existence des deux royaumes de Juda et d’Israël.
Dans notre ouvrage, le terme Israël sans autre précision désignera le peuple,
et non la terre.
19
L a To r a h
20
MER
CASPIENNE
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Ashteroth-Karnaïm Babel
Sichem
LO
Au temps des patriarches
CH
CA
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Jérusalem (Salem) IN
IE
AR
Kiriat-Arba (Hébron)
Ramsès MER
ÉGYPTE MORTE Ur
Moph (Menphis)
MER GOLFE
Nil
ROUGE SINAÏ PERSIQUE
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Les royaumes de Juda et d’Israël
LIBAN
Sidon
Tyr
ROYAUME D'ISRAEL
MER détruit
en -722
MÉDITÉRRANÉE
Jourdain
Samarie
Sichem
Jaffa Silo
Jéricho
J ud é e
Jérusalem
Bethléem détruite par
Nabuchodonosor
en -586
Gaza MER
ROYAUME
MORTE
DE JUDA
Invasions
assyriennes
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La période hébraïque
Période patriarcale
Bien que l’archéologie n’ait fourni aucun document fiable sur les
premiers faits bibliques, nous nous fierons à des conjectures tradition-
nellement admises.
Vers 1700 av. J.-C., traversant l’Euphrate, Abraham se rend en Canaan,
porteur d’un message monothéiste. C’est le premier Hébreu. Son ensei-
gnement passera essentiellement par le fils qu’il aura de Sarah, Isaac,
qui le transmettra à Jacob. Le dernier patriarche engendrera une fille et
douze fils, à l’origine des douze tribus d’Israël.
P ATRIARCHE
Le terme de patriarche désigne étymologiquement le père. La Torah se réfère
aux trois pères fondateurs d’Israël qui sont (du grand-père au petit-fils)
Abraham, Isaac et Jacob. Les épouses, nommées matriarches, sont Sarah,
L a To r a h
Rebecca, Rachel et Léa (les deux dernières étant les épouses de Jacob).
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La royauté
En -1070 av. J.-C. David consolide les frontières de la Judée, prend Jéru-
salem et en fait sa capitale. Salomon, son fils, y construit le premier
Temple. À sa mort, un schisme déchire la Judée en deux royaumes : au
Nord, le royaume d’Israël ou d’Éphraïm (dix tribus), au Sud, le royaume
de Juda, ralliant les tribus de Lévi (pour la prêtrise), Juda et Benjamin.
S YNAGOGUE
Avant la déportation à Babylone, le seul lieu de dévotion était le Temple
de Jérusalem (voir page 15). Les synagogues sont donc une invention de
l’exil, pour permettre un culte de proximité, en même temps que la prière
devenait complémentaire des sacrifices. Aujourd’hui, la synagogue est le
lieu de culte de la communauté juive. C’est là que se trouve le rouleau de la
Torah, enfermé dans l’armoire sainte et sorti pour l’office public. En hébreu,
synagogue se dit beth haknesset, « maison de rassemblement ».
De l’hébraïsme au judaïsme
Le retour d’exil
En -538, Cyrus autorise le retour et la construction du second Temple.
Une partie de la population revient sur la terre ancestrale.
En -458, le scribe Esdras (Ezra) fonde la Grande Assemblée (Knesset
Haguédola), composée de 120 sages, afin de structurer la religion juive
sur trois piliers : la prière, l’étude et la solidarité sociale. Cette insti-
tution cessera de fonctionner à l’époque de l’occupation grecque de
la Judée. Le judaïsme doit à Esdras la lecture publique du rouleau de
la Torah, qui à cette époque est traduite oralement en araméen (les
Judéens ne parlaient plus l’hébreu) et commentée, ce qui enrichira la
tradition orale.
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H ÉBREU , ARAMÉEN , ETC .
Isaïe parle de l’hébreu comme « la langue de Canaan » (Is 19, 18). L’hébreu
biblique s’apparente aux langues sémitiques de l’Antiquité (le phénicien, le
moabite ou l’édomite). L’étude des différents livres bibliques et rabbiniques
montre que cette langue a évolué au cours des siècles, depuis l’hébreu des
prophètes jusqu’à l’hébreu des rabbins, ce dernier étant teinté d’aramaïs-
mes. En effet, après la destruction du Temple de Salomon (-586) les Judéens
se sont retrouvés en Babylonie et ont parlé la langue du pays d’exil. Selon
les spécialistes, le babylonien (qui s’exprime dans différents dialectes :
araméen, chaldéen, syriaque, assyrien) découlerait du phénicien, ce qui fait
qu’entre l’hébreu et ces dialectes, il existe de nombreux liens phonétiques.
Ajoutons qu’Esdras emprunta de manière définitive les lettres de l’alphabet
araméen pour en constituer l’alphabet hébreu, dite écriture carrée, toujours
utilisée pour la rédaction du rouleau de la Torah.
L’époque grecque
L a To r a h
L’époque romaine
À cette époque, la société juive présente notamment trois visages :
³ Les saducéens : C’est la classe sacerdotale et l’aristocratie qui colla-
borent avec l’occupant. Ils croient dans la Torah écrite, mais refusent
la tradition orale. Ils nient l’immortalité de l’âme et la résurrection
des morts.
³ Les pharisiens : Il s’agit des rabbins, issus du peuple. (En Judée, ils
sont appelés Rabbi, « mon maître », en Babylonie, Rav, « Maître ».) Ils
adhèrent au principe d’une double transmission, écrite et orale ; ils
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³ Les esséniens : Cette communauté ascétique vit à l’écart de la
cité, dans l’attente du libérateur. Les manuscrits de la mer Morte
(Qumran) nous ont éclairés sur leur vie.
En 70, Jérusalem et son temple sont détruits par Titus. Grâce à l’in-
tervention du rabbin Yohanan ben Zakaï, Vespasien accorde une ville
d’étude pour les sages : Yavné. Yohanan y fonde le Sanhédrin (conseil
de 71 sages) vers 80. C’est à Yavné que la Bible hébraïque (Tanakh) est
définitivement canonisée en Pentateuque, Prophètes, Hagiographes ou
Écrits soit 24 livres.
La révolte échouée des Zélotes (132-135) met fin aux espoirs d’indépen-
dance nationale. Les Romains nomment la Judée, Palestine (de Philis-
tie). Seule la mouvance pharisienne survivra à ces catastrophes.
Durant ces décennies, le débat interne au judaïsme quant à la person-
nalité de Jésus (Yéoshoua) aboutit à une rupture entre deux religions ;
judaïsme et christianisme suivront alors chacun leur voie et leur foi.
R ABBIN
De la racine rav (beaucoup), le rabbin (rabbi en hébreu) est le maître qui a reçu
l’enseignement de la Torah et qui le transmet à ses disciples. Aujourd’hui,
le rabbin est le responsable spirituel d’une communauté juive, chargé de
l’enseignement et de la direction du culte à la synagogue.
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Le peuple de la Torah
Nous en resterons là pour l’histoire du peuple juif, car les périodes décri-
tes correspondent peu ou prou à la période durant laquelle furent reçus,
proclamés et rédigés de manière définitive (canonisés) les textes de la
Torah. Mais quelle place religieuse occupait ces textes dans cette période
antique ? N’ayant d’autre source archéologique ou manuscrite que la
Torah, nous la prendrons pour guide pour répondre à cette question.
Selon la Bible, la Torah (au sens de Pentateuque) fut transmise par Dieu
au peuple d’Israël par l’intermédiaire de Moïse. Une partie fut rédigée
lorsque Moïse descendit du mont Sinaï (Ex 24, 3) et le reste à la fin des
quarante années que dura la traversée du désert pour arriver en terre
promise (Dt 31, 24-26). Ce rouleau fut placé dans l’arche d’alliance près
du décalogue de pierre que Moïse avait taillé (Ex 34, 4). Ce rouleau est
nommé sefer habérith, « livre de l’alliance », car il constitue le lien entre
Dieu et Israël (Ex 24, 7). Chez le prophète Malachie (Mal, 3, 22) ou en
L a To r a h
P ROPHÈTE
Le prophète est un porte-parole de Dieu et un défenseur acharné de
l’éthique monothéiste. Son souci est de pouvoir se faire entendre par ses
contemporains dans un temps où la « transmission de l’info » reste grande-
ment limitée. A défaut de disposer d’un organe de presse, le prophète use
d’oracles, souvent passionnés ou de signes et d’attitudes symboliques.
Il semble cependant que le rouleau de Torah n’ait pas été intégré dans
un rituel particulier, avant la réforme du roi Josias (640 - 609). À cette
époque, le peuple d’Israël vivait dans le polythéisme, comme les peuples
voisins, et la Torah semblait oubliée. Le prêtre Hilkyahou, ayant décou-
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vert dans le Temple un rouleau de la Loi2, le transmit au roi. Josias fit de
ce livre la base de sa réforme religieuse, notamment en éradiquant le
culte des idoles. Cette réforme fut inaugurée par une lecture publique
du rouleau retrouvé, en présence d’une foule nombreuse réunie sur le
parvis du Temple (II Rois 23, 2). Cependant, les effets de cette réforme ne
perdureront pas. À la mort du roi, les cultes idolâtres reprendront leur
place. Les prophètes lutteront encore pour l’idéal monothéiste contre le
I DOLES ET IDOLÂTRES
Dans la Bible, les idoles sont des éléments du monde, divinisés par les
hommes. Ces éléments peuvent être extérieurs à l’homme, notamment
les astres et les planètes ; mais ils peuvent aussi être des forces internes
comme la sexualité ou la force. Les idolâtres sont ceux qui vouent un culte à
ces éléments. Les prophètes d’Israël menèrent un combat incessant contre
cette trahison du monothéisme.
J ÉRUSALEM (S ION )
La ville de Jérusalem, en hébreu Yérouchalaïm, a été choisie par le roi David
comme capitale de son royaume. C’est à Jérusalem que son fils Salomon
élèvera le Temple. À l’occasion de certaines fêtes (Pâque ou Pessah, Pente-
côte ou Chavouot et la fête des Cabanes ou Soucot) les Juifs montaient à
Jérusalem (voir aussi « Alyoth » page 190).
Jérusalem reste le lieu de l’orientation des synagogues dans le monde
entier.
© Groupe Eyrolles
2. Certains chercheurs pensent qu’il s’agit du Pentateuque complet, d’autres qu’il s’agit
uniquement du Deutéronome (le livre de Moïse).
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Dans le chapitre 8 du livre de son contemporain Néhémie, Esdras est
présenté comme l’homme qui lit la Torah au peuple et qui renoue avec
l’alliance ancestrale (voir page 174). Parmi les décrets d’Esdras, citons
justement l’institutionnalisation de la lecture publique de la Torah, le
samedi (repos hebdomadaire), les jours de fêtes, ainsi que le lundi et
le jeudi (jours de marché et donc de rassemblement populaire). Les
Juifs ne parlant plus l’hébreu mais l’araméen, un traducteur disait
dans la langue vernaculaire ce que le texte exprimait dans la langue
des prophètes.
Pour offrir à cette lecture publique une certaine solennité, de nombreu-
ses synagogues virent le jour dans tout le pays, comme l’attestent les
fouilles archéologiques modernes. Petit à petit, à côté de la pratique
sacrificielle qui avait cours uniquement au sein du Temple de Jérusa-
lem, la synagogue devint le lieu de la liturgie, de la lecture et de l’étude
de la Torah. Les sages qui succédèrent à Esdras fixèrent de lire toute la
Torah en une année juive, depuis le début de la Genèse jusqu’à la fin du
L a To r a h
K IPPOUR
Kippour, dit « jour du grand Pardon » ou, plus précisément, « jour des expia-
tions », est la plus grande solennité du calendrier juif. Cette fête est célébrée
le 10 du mois hébraïque de tichri (septembre-octobre) et se traduit notam-
ment par un jeûne complet de 25 heures qui débute au coucher du soleil et
s’achève le lendemain à la nuit tombée. Toute cette journée est consacrée
par cinq prières afin d’obtenir le pardon divin pour les fautes commises
© Groupe Eyrolles
3. Il existait une autre tradition de lire toute la Torah en trois ans, mais elle ne fut pas retenue
par les communautés.
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durant l’année écoulée. Selon la tradition, la date de Kippour correspond au
jour au Moïse descendit la seconde fois du mont Sinaï avec les tables de la
Loi et le pardon divin pour la faute du veau d’or (Ex 32).
29
Qu’est-ce que la Torah ?
Torah vient d’un verbe qui signifie « enseigner », le mot torah peut donc
être traduit par « enseignement ».4
La trilogie biblique
La Synagogue, et à sa suite l’Église, divise la Bible (ou la Torah, entendue
au sens large) en trois parties :
³ Torah, littéralement « enseignement » ou « doctrine » ;
³ Néviim, littéralement « prophètes » ;
³ Kétouvim, « écrits » ou « hagiographes ».
Ces trois parties bibliques sont généralement citées par l’acrostiche
de leur nom qui donne le sigle Tanakh. Certains exégètes ont justifié
cette trilogie de la manière suivante : La Torah correspond au niveau
L a To r a h
M OÏSE
La Torah témoigne que Moïse a été le plus grand prophète d’Israël (Dt 34,
10), car il est le seul dont on dit qu’il a parlé avec Dieu « face à face, comme
un homme parle à son ami » (Ex 33, 11), et c’est par son intermédiaire que la
Torah a été donnée à Israël. Les autres prophètes se réfèrent à Moïse sans
inaugurer une nouvelle Torah (voir, par exemple, Malachie 3, 22).
4. Cet enseignement se fit progressivement. On pourrait dire que chacun des livres qui
composent la Torah est une étape de la doctrine.
30
1. La Torah se partage en cinq livres (‘hamicha ‘houmché Torah) d’où
son nom de Pentateuque. Dans la tradition d’Israël, chaque livre est
désigné du premier mot signifiant de son verset inaugural ce qui
donne : Béréchit (« au commencement »), Chémot (« noms »), Vayikra
(« il appela »), Bamidbar (« dans le désert »), Dévarim (« paroles »).
La Septante, traduction grecque de la Torah, a opté pour des termes
S EPTANTE
La Septante est la traduction grecque de la Bible. Selon la légende, 72 rabbins
l’auraient traduite pour le roi Ptolémée II, à Alexandrie (vers -270). En fait,
cette traduction était devenue nécessaire car les Juifs hellénisés d’Alexan-
drie, qui constituaient une communauté très importante, ne comprenaient
plus l’hébreu.
Talmud
Le Talmud, littéralement « ce qui est étudié », désigne l’ensemble des
discussions rabbiniques autour des lois juives afin de définir les conduites
rituelles pour toute la communauté juive. Le Talmud qui fut rédigé entre
le IIe et le Ve siècle en Palestine et en Babylonie (c’est pourquoi il existe
deux Talmud) se divise en six grands ordres qui traitent :
1) des lois agricoles ; 4) des lois civiles ;
2) des fêtes ; 5) des lois du Temple ;
3) des lois familiales ; 6) des lois de purifications.
© Groupe Eyrolles
31
M IDRACH
Le Midrach, littéralement « recherche » est une méthode d’investigation
dans le texte biblique pour en déduire des enseignements soit sur le plan
du rite soit sur le plan de la foi. Le Midrach est fondé sur un total de 32
règles herméneutiques qui permettent d’analyser les versets bibliques
pour en tirer des leçons. Comme le Talmud, le Midrach fut rédigé après la
destruction du Temple, jusqu’au début du Moyen Âge pour les textes les
plus tardifs.
32
Les trois premiers livres se distinguent par leur phraséologie plus
concise que celle des autres livres bibliques d’où leur nom technique
de « livres métriques ». Cinq livres des Hagiographes sont particuliè-
rement appelés rouleaux (méguila au singulier, méguilot au pluriel), il
s’agit des rouleaux d’Esther, du Cantique des cantiques, de Ruth, des
Lamentations et de l’Ecclésiaste. Pourquoi rouleaux ? Car dans les temps
anciens, ils étaient lus dans des parchemins, déroulés par chaque fidèle
9 AV
33
P OURIM ( FÊTE DES SORTS )
Cette fête rappelle l’histoire d’Esther, une jeune fille d’Israël en exil dans
l’empire perse qui devint reine et put ainsi déjouer le complot d’extermi-
nation de la communauté juive, fomenté par le ministre du roi. Cette fête
tombe au mois de mars et donne l’occasion aux enfants de se déguiser
en roi, en reine, et de participer à une sorte de carnaval joyeux. Le rouleau
d’Esther a été rendu célèbre par la pièce de Racine qui porte ce nom. Durant
cette fête d’institution rabbinique, le rouleau d’Esther est lu le soir et le
lendemain matin.
Le canon biblique
Ces vingt-quatre livres forment le canon biblique ou livres canoniques
– que l’Église désigne par Ancien Testament, par opposition aux livres
apocryphes (extérieurs), ces derniers désignant ceux que la Synagogue
n’a pas retenus.
C ANON / APOCRYPHE
Certains livres ont fait l’objet de débat, notamment deux livres attribués
à Salomon, le Cantique des cantiques et l’Ecclésiaste ; le premier à cause
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de son atmosphère pessimiste (« vanité des vanités, tout est vanité »).
Ils furent finalement intégrés dans la Bible grâce à des sages qui surent
en donner une lecture cohérente avec l’esprit monothéiste. Ainsi, par
exemple, Rabbi Aquiba, mort en martyr vers 135 ap. J-C., présenta le
Cantique des cantiques comme une allégorie amoureuse entre Dieu et
le croyant mystique. Le Siracide ou Sagesse de Ben Sirat fut lui aussi
objet de débat, mais finalement exclu ; il n’en reste pas moins cité à
35
Heymann, Yedouthoun, Assaf et les fils de Coré5. Jérémie
a écrit son livre, le livre des Rois et les Lamentations. Le roi
Ézéchias et son assemblée (de sages) ont écrit Isaïe, Proverbes,
le Cantique des cantiques et l’Ecclésiaste. Les hommes de
la Grande Assemblée ont écrit Ézéchiel, les Douze (petits
prophètes), Daniel, le rouleau d’Esther. Esdras a écrit son livre
(qui englobe Néhémie) et les Chroniques.
B ABA B ATRA
Baba Batra (Porte médiane) est l’un des traités du Talmud qui se trouve
dans l’ordre des lois sociales. Mais, le Talmud présentant des discussions à
L a To r a h
36
Livres Auteurs Rédacteurs
Pentateuque (hormis les Dieu Moïse
8 derniers versets)
8 derniers versets du Josué Josué
Pentateuque et Josué
37
L’objet de notre livre n’est pas d’analyser chacun des vingt-quatre
livres pour en discuter l’historicité, la date d’écriture et l’authenticité
des auteurs, ce qui relèverait d’un travail minutieux de spécialistes.
Cependant, ce tableau permet, grâce au distinguo posé entre auteurs et
rédacteurs, de laisser une marge de manœuvre au croyant pour rejoin-
dre le scientifique, sans que la foi du premier ne soit bouleversée par les
preuves argumentées du second. Même animé par la certitude que Dieu
parle aux hommes, le fidèle de la Synagogue peut admettre que cette
parole divine a été transmise puis rédigée soit peu avant la destruc-
tion du premier Temple (-586), soit plus certainement au moment de
la construction du second Temple, et au plus tard à l’époque helléniste
pour les textes plus tardifs (IIIe siècle av. J.-C.). Ce qui importe finale-
ment, c’est que l’ensemble de cette littérature riche et variée ait trouvé
sa forme aboutie et sa cohérence à travers la canonisation.
(Josué 24, 26). Samuel après l’onction du roi Saül, écrit la chartre de la
38
royauté et la dépose devant l’Éternel (I Samuel 10, 25). Ainsi procède-
ra-t-on plus tard pour les listes généalogiques, comme cela ressort des
livres d’Esdras et Néhémie.
Dans le livre des Maccabées (2, 13), non canonisé par la Synagogue,
nous apprenons qu’il existait une bibliothèque sacrée où figuraient,
entre autres, les livres des Rois, des Prophètes et de David. Si tous ces
S AGES DE Y AVNÉ :
Après la destruction du second Temple de Jérusalem par les Romains (70 ap.
J.-C.), les rabbins rescapés des massacres trouvèrent refuge avec l’accord
de Rome dans une ville nommé Yavné (Jamna), situé au centre de la Judée.
C’est à Yavné que les rabbins mirent par écrit une bonne partie de la tradi-
tion orale. La ville moderne de Yavné est jumelée avec la ville du Raincy (en
Seine-Saint-Denis).
© Groupe Eyrolles
39
Quoi qu’il en soit, le rôle assigné à Esdras et sa Grande Assemblée de
120 membres a été décisif pour la sauvegarde des livres saints et donc
pour la survie du judaïsme. Sans son activité, le judaïsme n’aurait sans
doute jamais vu le jour et les livres des Hébreux auraient perdu de leur
prestige.
À l’époque helléniste, les derniers membres de cette solennelle Acadé-
mie posèrent les pierres ultimes de l’édifice biblique. Les sages posté-
rieurs de Yavné purent s’investir alors dans une autre tâche, celle de
confirmer l’entrée de tel ou tel livre dans la demeure.
Pour conclure, il nous semble que les fidèles de la Synagogue et de
l’Église, et dans une certaine mesure de la Mosquée, se doivent d’ex-
primer une pensée reconnaissante pour ces hommes du Livre dont les
efforts et les préoccupations allaient orienter, de manière non négligea-
ble, une partie de l’histoire future de l’humanité.
Le Talmud
L a To r a h
leçons de vie.
40
Il existe deux Talmud : le Talmud de Jérusalem et le Talmud de Baby-
lone. Celui dit de Jérusalem a, dans les fait, été écrit en Galilée, puisque
Jérusalem avait été détruite et la nouvelle ville interdite aux Juifs par les
Romains. Il est moins complet que le Talmud de Babylonie, en raison
précisément des conditions économiques difficiles dans lesquelles il a
été rédigé.
41
Chapitre 2
La Torah ou le livre
du Pentateuque
© Groupe Eyrolles
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
Nous entrons maintenant dans le vif du sujet en suivant l’ordre des cinq
livres du Pentateuque, rédigés par Moïse. Pour présenter ces livres, nous
avons choisi quatorze textes qui marquent chacun une étape détermi-
nante dans la progression du peuple hébreu vers la terre promise et,
plus encore, dans l’accueil de la révélation divine, qui est à la fois don
et loi de vie.
L’œuvre du Créateur
La Torah s’ouvre sur le récit des commencements : création du monde,
création des hommes… et ce que les hommes font du monde qui leur est
confié. Ces premiers textes décrivent comment Dieu se révèle à l’homme
en même temps que l’homme découvre ses propres faiblesses.
45
poissons de la mer, aux oiseaux du ciel, à tous les animaux
qui se meuvent sur la terre ! » Dieu dit : « Or, je vous accorde
tout herbage portant graine, sur toute la face de la terre, et
tout arbre portant des fruits qui deviendront arbres par le
développement du germe. Ils serviront à votre nourriture. »
Genèse, I, 26 à 296
À l’image de Dieu
La création de l’homme et de la femme est mentionnée dans deux
passages de la Torah, aux chapitres 1 et 2 de la Genèse. Pour les spécia-
listes, ces deux chapitres, différents dans leur écriture, renvoient à deux
sources que le compilateur final a réunies. Du point de vue de la foi
juive, l’important demeure la cohérence des textes, cohérence immé-
diate ou cohérence à bâtir par l’analyse car, une fois le canon établi, la
Bible est perçue dans sa totalité.
L a To r a h
6. Nous nous référons à la traduction de la Bible par le Rabbinat français, voir la bibliographie,
page 201.
46
peut, ce vocabulaire charnel. Pour notre sujet, Dieu ne crée pas Adam
selon Son dessin, mais selon Son dessein.
Au sommet de cette création, Adam devient donc porteur d’un projet qui
le distingue radicalement des autres créatures. Car rien dans le domaine
minéral, végétal ou animal ne porte cette différenciation. Quelle est la
nature de ce projet ? Le texte le révélera par la suite, et il faut s’armer de
patience pour lire la Torah.
47
La seconde création
Alors que le premier chapitre présente une création simultanée de
l’homme et de la femme, le chapitre 2 souligne un décalage chrono-
logique. Pour l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra, le chapitre 2 expli-
cite le chapitre 1. « Comment Dieu créa-t-Il l’humain, mâle et femelle ?
En créant Adam, puis Ève. » Dans une lecture psychanalytique, Éliane-
Amado Levy-Valensi entend le premier texte dans un idéal d’égalité,
alors que le second décrit la réalité historique de l’écart de pouvoir entre
les êtres7. L’histoire, au sens moral, consisterait alors à cheminer vers
cet idéal, où la guerre des sexes cesserait devant la pacification des rela-
tions hommes - femmes.
48
aux sonorités de l’homme et de l’humus. Dans l’esprit biblique, la terre
forme un corps de femme, un corps de mère, qui justifie que les noms
de lieu soient toujours au féminin.
Dans les narines de cet être d’argile, Dieu insuffle le souffle de vie, et
Adam devient un souffle vivant. Certains lisent les versets dans leur
littéralité. Comme dans la légende du Golem, Dieu offre la vie à une
statue qui se dresse de la glaise. D’autres voient le récit de la Création,
du jardin d’Éden, de la tentation du serpent sur un plan symbolique :
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
L’homme, quel qu’il soit, est une combinaison complexe de matière et
d’esprit, de corporéité et de spiritualité, partagé, voire tiraillé, entre le
monde d’en bas et le monde d’en haut, entre des désirs primaires et des
valeurs éthiques et spirituelles.
G OLEM
Mentionné dans le psaume 139 (verset 17), le Golem est un être informe.
Selon la légende, le rabbin de Prague, Rabbi Loewe (XVIe siècle) fabriqua
un être d’argile puis, par des incantations kabbalistiques, insuffla à cette
statue le souffle de vie. Le Golem devint le gardien du ghetto de Prague,
jusqu’à ce que le rabbin lui retire définitivement la vie. Le nom Golem a été
repris dans les récits fantastiques, ce qui a donné Gollum.
Gérer sa faim
Si au chapitre 1, Adam est invité à conquérir la planète, ici, il devient plus
modestement jardinier de Dieu. Le travail n’apparaît pas après la faute,
mais avant. Travailler et garder le verger, voici le cahier de charges qui
confirme la noblesse du labeur humain. Après la faute, l’homme devra
manger son pain à la sueur de son front (littéralement « de ses narines »)
car le sol produira « des ronces et des épines » obligeant l’agriculteur
à un effort supplémentaire de tri entre les bons épis et les mauvaises
herbes (Gn 3, 18 et 19).
© Groupe Eyrolles
49
Autre clause du contrat : Adam peut manger de tous les fruits du jardin,
excepté le fruit de l’arbre de la connaissance du bien et du mal. Curieuse
espèce ! Les rabbins y voient un paradigme. Chaque fois qu’un interdit
est posé sur une réalité du monde – baignade interdite, pêche interdite,
etc. – l’alternative s’offre au sujet libre d’accepter ou de refuser l’injonc-
tion. Le bien signifiera accepter la loi divine, le mal la refuser. Or, seul
Adam, doté de son image divine, est en mesure d’assumer cet ordre.
Ne serait-il pas plus simple de vivre sans loi ? Vivre uniquement selon
son instinct, son désir ? Si l’homme vivait seul sur une île déserte, la
réponse pourrait être affirmative, mais les hommes vivent ensemble,
en couple, au sein d’une famille, d’une communauté, d’une cité, d’une
nation. La question du partage surgit alors. Si seule la loi de l’instinct
devait régner, ce serait toujours au détriment du plus faible. Le monde
de la jungle existe pour les animaux, le Créateur veut un autre monde
pour l’humanité. C’est pourquoi, pour la Torah, la rencontre avec Dieu
induit une rencontre avec la loi de Dieu.
L a To r a h
Bien comprise, cette loi ne frustre pas, mais gère le désir. Elle pose
les limites de chacun dans son rapport à Dieu, à l’environnement et
à autrui. Elle rappelle que personne ne peut tout consommer, sous
prétexte d’une faim illimitée. La loi originelle s’inscrit dans une éthique
du vivre ensemble.
Créer la femme
La question du vivre ensemble devient nécessité existentielle quand
Dieu déclare « il n’est pas bon que l’homme soit seul ». Quelques versets
plus loin, Adam fait le même constat au milieu des bêtes qu’il vient
de nommer, suggérant qu’il est prêt à être anesthésié. La femme appa-
raît au réveil de l’opération, « aide en vis-à-vis », littéralement « aide
à portée de parole ». Loin d’être un objet de convoitise, une image
érotique, Ève porte idéalement la vocation du dialogue. C’est pourquoi
la tradition juive refuse de voir une « côte » à l’origine de la femme, et
préfère traduire, selon l’exégète Rachi, que Dieu prit un « côté ». Comme
dans Le Banquet de Platon, Adam aurait été créé androgyne, autant mâle
que femelle, Dieu ayant transformé le dos à dos en face-à-face.
© Groupe Eyrolles
50
Rachi (1040-1105)
Rachi, acrostiche de Rabbi Salomon fils d’Isaac (Chlomo ben Yitzhak),
est né à Troyes, en France du nord en 1040 et est mort à Worms
(Allemagne) en 1105. Après avoir étudié dans les instituts talmudiques
(yéchiva) de Worms et Mayence auprès de grands maîtres de l’époque,
il revient dans sa ville natale en 1070 pour ouvrir sa propre école, en
même temps qu’il vit de la viticulture.
Sa notoriété, due à la fois à son érudition, sa pédagogie et ses qualités
humaines, attire de nombreux disciples. En plus de son travail
seuse, et Ève (Hawa) « mère de vie », l’avenir du couple. Leur lien s’ex-
51
primera par la parole et la volonté de transmettre à leur progéniture la
parole divine. Mais l’histoire ne fait que commencer…
52
N OÉ
Noé (Noah) est le premier juste es qualité mentionné dans la Torah. Consi-
dérant ses vertus, Dieu l’épargne avec sa famille du déluge qui noie ses
contemporains. Noé est considéré comme un nouvel Adam dont descend
toute l’humanité.
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
breu, selon le texte. Ils tiennent « les mêmes propos ». Redondance du
verset que l’exégèse interprète de cette manière : une langue unique
pour communiquer, et des dialectes particuliers selon les sources sémi-
tes, chamiques et japhétiques. (De même, en France, nous parlons le
français, pourtant les patois locaux restent vivants dans quelques
régions.)
Cette humanité dialogue, converse, échange. La Torah présente l’homme
en vivant parlant. La parole sert à nommer et à communiquer.
Cette humanité trouve une vallée à Sinar ou Chinar. Chinar en hébreu
peut s’entendre « lieu de la noyade ». La population s’installe dans le lieu
de l’échec passé. Après les catastrophes, les rescapés tentent souvent
de reconstruire un monde viable pour leurs enfants, comme après la
Seconde Guerre mondiale, quand on se disait : « plus jamais ça ! ».
53
En effet, l’énoncé « un homme à son prochain » traduit un grand lien
entre deux personnes, au point qu’elle est utilisée pour parler du lien
prophétique entre Dieu et Moïse : « et l’Éternel parlait à Moïse, face à
face, comme un homme à son prochain » (Ex 33, 11). Ce « face à face » ou
ce « visage à visage » indique toujours une attention particulière et réci-
proque à autrui. Il signifie que la multitude, le collectif n’a pas réussi à
annihiler le bon rapport entre les individus. La disparition de la formule
suggère une brisure du lien social, amical, fraternel, un relâchement du
rapport de sujet à sujet.
La descente de Dieu
Les hommes ont achevé de construire leur ville. Ils envisagent à présent
d’élever une tour, sans doute une ziggourat, suffisamment haute pour
toucher le ciel (un gratte-ciel, déjà) ; et d’ajouter « faisons-nous un
nom », une renommée. Depuis l’Antiquité, les civilisations construisent
des édifices qui leur survivront. Elles impriment dans la pierre la trace
L a To r a h
P ÉRICOPE
Il s’agit de la section hebdomadaire lue le jour du Chabat à la synagogue.
Cet extrait est formé généralement de 4 ou 5 chapitres du Pentateuque.
Sur le déroulement du Chabat, voir aussi page 119 et page 184.
Nous avons là une lecture midrachique typique (voir page 32) : un même
© Groupe Eyrolles
mot apparaissant dans deux textes différents relie les deux textes entre
54
eux (Freud reprendra (inconsciemment ?) ce même principe pour l’inter-
prétation des rêves). La tour servira à monter vers le ciel pour combattre
Dieu, et prendre sa place, c’est-à-dire pour empêcher qu’une loi trans-
cendante définisse le bien et le mal. Rêve d’immortalité, substitution de
Dieu, ne sont-ce pas les fantasmes du pouvoir absolu ?
Dieu descend alors au milieu des hommes, moins pour constater le
travail que pour juger les intentions. Si le crime de Caïn engendra la
société de la violence, quel modèle de société allait naître de ce projet
La première autocratie
La clef de lecture de ce récit se trouve dans le geste divin de séparer les
hommes selon leur dialecte particulier. Traditionnellement, cet éclate-
ment babélien s’entend en une punition céleste. Dieu sépare ceux qui
s’unissent pour Le combattre. Diviser pour mieux régner, le proverbe
est bien connu ! Certes, il y a pu avoir dans cette vallée désertique un
projet arrogant, voire une contestation du pouvoir divin, mais surtout il
y eut une déshumanisation du sujet humain. Au fil du temps, le rapport
d’ « un homme à son prochain » s’est étiolé, au profit d’un face à face
anonyme avec la muraille de briques brunes.
Le Midrach accentue cette lecture :
« Quand un homme tombait, on allait chercher une autre
personne ; quand une pierre tombait, on se lamentait en se
disant : quand aurons-nous fini le travail ? »
Yalkout Chimoni sur la péricope Noé
55
Au bout de son constat, l’Éternel ne punit pas, mais comme à l’origine,
il remet la distinction en mouvement, pour que le rapport d’un homme
à son prochain, d’un peuple à un autre peuple soit riche de la différence
de chacun.
56
treize à la seule vie du patriarche. Ce fait souligne incontestablement
l’importance que la Torah veut accorder à ce personnage embléma-
tique. Si aucune trace archéologique ne prouve son existence, il suffit
au croyant monothéiste de voir dans ce héros un modèle de foi, d’abné-
gation, d’amour de Dieu et du prochain.
Abraham restera vivant dans la mémoire prophétique notamment à
travers la voix d’Isaïe.
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
« Écoutez-moi, ô vous qui poursuivez la justice, vous qui
recherchez l’Éternel ! Jetez les yeux sur le rocher d’où vous
fûtes taillés, sur le puits de carrière d’où vous fûtes extraits.
Considérez Abraham, votre père, Sara, qui vous a enfantés ;
lui seul Je l’ai appelé, Je l’ai béni et multiplié. »
Isaïe, 52, 1-2
57
6. l’alliance de la circoncision ;
7. l’enlèvement de Sarah par Abimélekh ;
8. le renvoi d’Agar sa concubine ;
9. le renvoi d’Ismaël son fils ;
10. la ligature d’Isaac.
Maïmonide (1135-1204)
Rabbi Moché (Moïse) fils de Maïmon (dit Rambam ou Maïmonide)
est l’un des plus grands savants de la Torah de tous les temps. Il est
né à Cordoue (Cordoba), en Espagne en 1135, et est mort à Fostat
en Égypte en 1204. Il étudie d’abord la Torah auprès de son père,
Rabbi Maïmon, le juge rabbinique de Cordoue. Mais, en 1148, suite à
l’invasion de l’Espagne, par les fanatiques Almohades, venus d’Afrique
du Nord, la famille Maïmon s’exile à Fez, au Maroc, en 1160. Durant
ces années difficiles, le jeune homme ne cesse d’écrire, en arabe, des
commentaires sur le Talmud et les sciences. C’est à Fez qu’il étudie la
L a To r a h
qui, a priori, ne lui convenait pas mais sans jamais se rebeller contre son
58
Créateur. Abraham sera l’homme de la foi, de la émouna, de la confiance
en Dieu qu’il exprimera dans tous les aspects de son existence.
Abraham, le déraciné
Pour notre propos, nous nous bornerons à commenter la première
épreuve qui s’exprime dans les trois versets cités. Que demande l’Éter-
nel à Abram ? La rupture avec son passé : son pays, sa ville natale, la
maison paternelle. Les exégètes toujours attentifs aux détails scriptu-
59
Un témoin de Dieu
Pour Rachi (voir page 51), la bénédiction : « J’agrandirai ton nom » se
réfère à la renommée d’Abraham. Par sa vie, le patriarche va témoi-
gner de la présence de Dieu, mais non pas en s’excluant du monde,
en bannissant la réalité mondaine, en optant pour une vie ascétique.
L’idéal biblique ne peut s’identifier à de telles conduites. À la limite, le
fait que des hommes et des femmes décident de vivre en retrait, selon
un appel intérieur, peut être louable en soi, mais ce modèle ne pourra
servir de référence à la majorité d’une société humaine.
Aussi, Abraham va-t-il nous apparaître peu différent de ses contempo-
rains. Il aime la vie, il gère des biens et des troupeaux, il aspire à être
père, il va jusqu’à prendre les armes pour délivrer son neveu Lot, premier
prisonnier de guerre selon la Torah. Rien d’humain ne lui reste étranger.
Il se distingue des autres hommes que d’une manière : pas un seul de
ses gestes, une seule de ses paroles qui n’actualise la présence de Dieu
dans la cité. Telle est le sens de la foi (émouna) pour la Torah : il ne s’agit
L a To r a h
pas de fuir la terre pour accéder au ciel, mais bien de faire descendre le
ciel sur la terre.
Le monothéisme éthique
On a souvent présenté Abraham comme l’inventeur du monothéisme,
rompant définitivement avec les formes polythéistes antérieures. Une
lecture minutieuse des textes trouvera l’affirmation fragile. En effet,
Adam, Abel et Noé ne croyaient-ils pas déjà en une seule divinité ? La
découverte abrahamique se situe ailleurs, dans l’affirmation que ce
Dieu unique est inséparable de la morale.
Parcourons la Bible, relisons les exigences réitérées de ce Dieu d’Israël
qui reste le Dieu de l’humanité pour entendre Ses incessants appels à
la justice, à la fraternité, à l’amour du prochain. À aucun moment, Il
ne laisse l’homme s’abandonner à ses propres faiblesses. Les rois, les
juges, les prêtres, les individus et les nations sont invectivées à chaque
trahison de la morale, chaque fois que le pouvoir des uns sert à écra-
ser les autres. Cette découverte, nous la devons à Abraham, et c’est au
nom de cette découverte que Dieu le distinguera, selon l’affirmation du
© Groupe Eyrolles
verset :
60
« Si Je l’ai distingué [dit l’Éternel], c’est afin qu’il prescrive
à ses enfants et à sa maison après lui d’observer la voie de
l’Éternel, en pratiquant le droit et la justice. »
Genèse, 18, 19
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
s’accompagne pas simultanément d’une démarche éthique obligeant
l’homme à être « gardien de son frère ». Telle est sans doute la nature de
la marche d’Abraham qui ne peut s’ouvrir alors que sur une bénédiction
pour « toutes les familles de la terre ».
9. Ce texte est dédié à feu mon maître le grand rabbin Emmanuel Chouchana.
61
Après la circoncision
Voici un épisode célèbre de la vie d’Abraham : l’accueil des trois émis-
saires divins qui lui annonceront la naissance d’Isaac. Ce texte révèle
l’hospitalité du patriarche à l’égard des étrangers. Cette attitude bien-
veillante découle de sa croyance monothéiste. À l’origine, Dieu a créé
un seul homme et une seule femme. Toute l’humanité descend de ce
couple originel. Tous les humains sont frères : le membre de famille et
l’immigré, le prochain et le lointain.
Avant d’analyser dans le détail la gestuelle abrahamique, les rabbins
resituent ces versets dans leur contexte. Que s’est-il passé avant ? Au
chapitre 17, l’Éternel s’est révélé à Abram, lui a changé son nom en Abra-
ham (Père d’une multitude), de même qu’Il a changé le nom de Saraï
(Mes princesses) en Sarah (Princesse). Ce changement de nom découle
du changement morphologique d’Abraham qui va se circoncire, c’est-à-
dire procéder à l’ablation de son prépuce.
Pour la Torah, la circoncision représente une alliance (bérit), un partena-
L a To r a h
d’être replié sur sa douleur, au fond de son lit, le vieillard est assis au
62
seuil de sa tente, malgré la chaleur ardente. Il attend d’offrir son hospi-
talité à ceux qui sont en manque de pain, d’eau et d’ombre.
Le zèle de l’amour
Nous sommes touchés par le zèle de notre héros. Le vocabulaire le
prouve : « il court » (il est âgé de quatre-vingt-dix neuf ans), « il entre en
hâte », il demande à sa femme, Sarah, de faire « vite » ; lui-même « se
précipite vers le troupeau » pour chercher une belle bête, qu’il demande
« Chamaï dit : […] Parle peu et fais beaucoup, et accueille tout homme
63
avec un beau visage. » L’un de mes maîtres disait que le beau visage se
dégage du sourire que l’on offre à autrui. Maïmonide commente ainsi
ce passage :
Les justes parlent peu et font beaucoup, ainsi que nous
l’apprenons d’Abraham qui a proposé un peu de pain,
mais qui a apporté de la crème, du lait, un jeune veau et
un gâteau de trois grandes mesures de fleur de farine. Par
contre, les méchants parlent beaucoup et ne font même pas
un petit peu, ainsi que nous l’apprenons d’Efron qui promit
à Abraham de lui donner la caverne et le champ de Hébron
pour enterrer Sarah, mais qui à la fin ne laissa pas passer un
seul dinar (Gn 23).
De Noé à Abraham
Abraham n’est pas le premier juste de la Torah, Noé le précède par ses
vertus, comme en témoigne le verset : « Noé était un homme juste,
intègre ; Noé marchait avec Dieu » (Gn 6, 9). Il existe cependant une
différence majeure entre Noé et Abraham car, pour ce dernier, il est écrit
qu’il marchait « devant » Dieu (17, 1), et non « avec ». La tradition dégage
deux types d’homme juste : le type Noé qui cultive ses vertus pour lui-
même, afin d’accomplir la volonté divine, mais qui à aucun moment ne
se soucie de son prochain. Le Midrach remarque qu’il ne versa aucune
larme quand le déluge noya l’humanité. Pour Noé, on peut parler d’une
morale fermée (« après moi le déluge ! »).
Abraham marche devant Dieu, c’est-à-dire qu’il prend des initiatives
dans le domaine éthique : il plaide la cause de Sodome, il accueille des
étrangers, il fraternise avec les Cananéens, et il finit par comprendre
que Dieu ne désire pas les sacrifices humains (Gn 22). Pour Abraham, on
peut parler de morale ouverte.
On comprend alors qu’il fut reconnu par tout Israël comme son père
fondateur et modèle de vertus à imiter. On comprend aussi que Dieu
© Groupe Eyrolles
64
Isaac, la force tranquille
Et Isaac dit à son père : « Mon père ». Il répondit : « Me voici
mon fils. » Il dit : « Voici le feu et le bois, mais où est l’agneau
pour l’holocauste ? ». Abraham dit : « Dieu se pourvoira
lui-même du mouton pour l’holocauste, mon fils ? » Ils s’en
allèrent tous deux ensemble.
Quand ils furent arrivés au lieu que Dieu lui avait dit,
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
Abraham y bâtit l’autel ; il disposa le bois, lia Isaac, son fils,
et le mit sur l’autel, par-dessus le bois. Puis Abraham étendit
la main et prit le couteau pour immoler son fils. Mais l’Ange
du Seigneur l’appela du ciel et dit : « Abraham ! Abraham ! »
Il dit : « Me voici. » L’Ange dit : « Ne porte pas la main sur
le garçon et ne lui fais rien, car maintenant je sais que tu
crains Dieu et que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique. »
Genèse, 22, 7-12
Le fils du miracle
Le deuxième patriarche se nomme Isaac, fils d’Abraham et de Sarah.
Si, du point de vue de la Torah, toute naissance exprime un miracle,
celle d’Isaac porte la trace d’un miracle plus marqué, puisque Sarah fut
stérile jusqu’à l’âge de quatre-vingt dix ans, tandis qu’Abraham avait
atteint l’âge de cent ans au moment de cette naissance.
Lorsque le vieux couple apprit par les voies du ciel qu’ils allaient être
parents, ils se mirent à rire (Gn 17, 17 ; 18, 12), si bien qu’ils nommèrent
leur fils Yitzhak (Isaac) qui veut dire « il rira ». La foi n’enlève pas une
part d’humour devant l’inouï des situations !
Le jour du sevrage du fils tant espéré, une dispute éclata entre Sarah et
Agar, sa servante. Ce n’était pas la première fois, mais ce coup-ci Sarah,
en maîtresse intraitable, demanda à son époux de renvoyer la femme et
son fils Ismaël, pourtant semence d’Abraham. Le patriarche se soumit
à la volonté de son épouse. Dieu le rassura en promettant à Ismaël une
descendance nombreuse, mais Isaac grandit sans frère (Gn 21, 8-14).
© Groupe Eyrolles
65
Entre une mère au caractère fort et un père hautement charismatique,
Isaac développa un tempérament réservé et solitaire, méditant l’héri-
tage spirituel de son père, ce que son travail de berger lui permettait
de faire. Ce qui singularise ce premier enfant du miracle est incontesta-
blement sa force de caractère, marquée par l’acceptation des situations
sans jamais s’y opposer de front. Isaac considérait que tous les événe-
ments cachaient en réalité la volonté divine ; pourquoi dès lors résister,
se débattre ou se mettre en colère ? On pourrait, à son propos, appliquer
la formule du Talmud (TB Taanit 20 b) : « L’homme sera toujours souple
comme le roseau, jamais dur comme le cèdre ». Isaac traversera son
existence sans se briser contre les épreuves.
L’épreuve de la ligature
Toute cette existence se jouera au seuil de sa vie lors de l’épreuve dite de
la ligature (akédat Yitzhak), quand l’Éternel demanda à Abraham de sacri-
fier son fils (Gn, 22). La Torah restant imprécise sur l’âge du fils, certains
L a To r a h
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nelle de Gn 12, 5) ? Le texte reste muet. En revanche, il est présenté
comme un homme portant le deuil de sa mère et se consolant en épou-
sant Rébecca (Gn 24, 67). Rébecca fut d’ailleurs le seul amour de sa vie,
avec qui il riait tendrement (Gn 26, 8).
Contrairement à Abraham, son père, et Jacob, son fils, qui eurent épou-
ses et concubines, Isaac restera l’homme d’une seule femme, l’homme
d’un seul nom (alors qu’Avram devint Abraham, et Jacob, Israël) et d’un
seul lieu, la terre de Canaan (alors qu’Abraham et Jacob connurent
jalousie des autochtones, qui bouchent les puits creusés par Abraham.
67
Comble de malheur, le roi Abimélekh lui demande de quitter les lieux.
Isaac ne s’oppose pas.
Prenant son bâton de pèlerin, il se déplace avec sa maisonnée vers l’Est,
plus désertique. À chaque fois qu’il creuse d’anciens puits, l’eau monte
en surface ; et à chaque fois les Philistins l’obligeront, avançant leur
droit de propriété sur la source. Enfin, à Rehovot (Largesses), aucune
contestation ne sera exprimée (Gn 26, 12 à 23).
Au bout de quelques années, Abimélekh venu en grandes pompes dans
le campement d’Isaac, reconnaîtra en ce dernier le béni de l’Éternel.
Quelques mots de mise au point et un bon repas partagé permettront
aux deux hommes de se séparer dans le chalom, la paix, qui porte en
hébreu une connotation puissante de plénitude. Signe de cette béné-
diction ? On annoncera alors à Isaac que de l’eau venait d’être trouvée
dans le désert.
68
Jacob chez Laban
Jacob revient au pays de Canaan après vingt ans d’absence, vingt ans
passés à Haran (Syrie) chez son oncle Laban. Rien n’a été simple là-bas.
Éperdument amoureux de la belle Rachel, Jacob a travaillé sept ans pour
obtenir sa main. Laban a vite jugé le personnage : solide garçon, excel-
lent berger et honnête au labeur. Il sait, le filou, que Jacob sera prêt
à tout pour épouser sa cadette Rachel. C’est l’occasion rêvée pour le
garder longtemps, quitte à l’exploiter. Le soir venu, le beau-père prend
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
sa fille aînée Léa, la recouvre d’un épais voile de mariée, de bijoux somp-
tueux et officialise l’union en présence de toute la bourgade. La nuit,
les costumes et le vin aidant, Jacob n’a rien vu ; et Rachel n’a rien dit.
Le fils d’Isaac consomme sa relation. « Et voici au matin, c’était Léa »
(Gn 29, 25).
Jacob a beau hurler à la tromperie, Laban répond sereinement : « Ici, il
n’est pas coutumier de marier la cadette avant l’aînée. Travaille encore
sept ans et tu auras Rachel ». Jacob obtempère, en pensant sans doute
que le Ciel lui fait payer sa tromperie passée.
Pour ajouter à la souffrance, Rachel la bien-aimée est stérile et Léa
largement féconde. Dieu s’est donc immiscé dans le jeu. Mais Laban
n’en restera pas là, et il changera par dix fois le salaire de son gendre
(Gn 31, 7). Enfin, « Dieu se souvint de Rachel », elle enfanta Joseph, le
onzième fils de la famille.
Jacob décide de s’enfuir avec femmes, concubines, enfants, serviteurs,
et le troupeau durement gagné. Laban en colère le rattrape à la frontière.
Dernière altercation virile. Finalement tout est dit, et les deux hommes
se séparent. En revenant sur la terre de ses parents, Jacob repasse ces
vingt années d’épreuves. Et s’il payait sa faute d’autrefois ?
sont plus nobles : Dieu lui a annoncé lors de sa grossesse que le dernier
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né des jumeaux portera la vocation abrahamique (Gn 25, 23). Alors en
entendant son mari, Isaac, appeler Esaü pour le bénir (d’autant que ce
dernier venait de contracter un double mariage avec des Cananéennes
idolâtres), son sang de mère « juive » n’a fait qu’un tour ! Rébecca a donc
décidé de déguiser Jacob en Esaü, pendant que celui-ci chassait quelque
bon gibier. La ruse a marché, pour le bonheur de Rébecca et de Jacob.
Même Isaac au fait, après coup, de la duperie a confirmé la bénédiction
sans la moindre allusion à l’imposture (Gn 28,1-4). Vingt ans après, Jacob
entend encore les pleurs d’Esaü et ses terribles mots : « Je tuerai mon
frère ! »
Et voici Jacob, près du territoire de Séïr, le territoire de son frère, avec
cette ultime question qui n’a cessé de le tarauder : est-ce que son élec-
tion prénatale justifiait une telle inconduite vis-à-vis de son père et
de son frère ? Jacob avait trompé Isaac et Esaü, et Laban avait trompé
Jacob. Mais était-ce la fin de ses malheurs ?
L a To r a h
Jacob a peur
Jacob envoie à Esaü des émissaires porteurs de paroles de paix et de
présents nombreux. De retour, les messagers annoncent que le frère
arrive accompagné de quatre cents hommes. Jacob a peur et en est
terriblement angoissé. Est-il si faible que cela ? N’est-il pas lui-même un
homme vaillant et physiquement capable de se battre ? Déjà, lorsqu’il
rencontra Rachel pour la première fois, il déplaça à lui seul la grosse
margelle qui couvrait le puits, margelle qu’il fallait plusieurs bergers
pour la rouler (Gn 29, 10). Jacob est fort comme en témoigne son long
monologue devant Laban, qui décrit le dur travail du berger continuelle-
ment au service de son troupeau et subissant les climats les plus rudes
(Gn 31, 36-42). Jacob est fort. N’a-t-il pas lutté la veille de cette rencontre,
près du fleuve Yabok, contre un mystérieux adversaire toute une nuit ?
Une nuit complète d’empoignades et de coups, dont il sortira blessé à
la hanche, blessé mais vainqueur. C’est là qu’il recevra pour la première
fois son nom : Israël, « le lutteur ou le prince de Dieu » (Gn 32, 25-32). Et
puis si sa force ne suffisait pas, Jacob est entouré de serviteurs dévoués
et surtout de ses fils, dont Simon et Lévi qui triompheront de toute une
ville (Gn 34, 25-27). Alors, de quoi Jacob a-t-il peur ?
© Groupe Eyrolles
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Il a peur de lui-même, de son passé qui remonte à la surface et qui l’ac-
cuse. Pour la tradition, cette crainte traduit la bonne peur, la peur de
l’homme juste qui prend conscience du mal commis et qui veut réparer.
Si au début de sa vie Jacob fut le « talonneux » ou le « tortueux », après
sa lutte nocturne (peut-être contre lui-même), il se transforma en Israël
(voir page 18).
Celui qui trompa à deux reprises son père aveugle et son frère, s’incli-
nera humblement sept fois devant ce dernier. Celui-ci ne s’y trompa
71
grand que moi dans cette maison et il ne m’a rien défendu,
sinon toi, parce que tu es son épouse. Et comment puis-je
commettre un si grand méfait et offenser le Seigneur ? »
Quoiqu’elle en parlât chaque jour à Joseph, il ne cédait point
à ses vœux en venant à ses côtés pour avoir commerce avec
elle. Mais il arriva, à une de ces occasions, comme il était
venu dans la maison pour faire sa besogne et qu’aucun des
gens de la maison ne s’y trouvait, qu’elle le saisit par son
vêtement, en disant : « Viens dans mes bras ! » II abandonna
son vêtement dans sa main, s’enfuit et s’élança dehors.
Genèse 39, 7-12
72
Un fils trop aimé
Joseph est le fils préféré de Jacob, non seulement parce que, enfant de
la défunte Rachel, il devait en refléter la gracieuse beauté, mais aussi en
tant que « fils de sa vieillesse » (Gn 37, 3). Cet amour du patriarche pour
son fils engendre une préférence dangereuse pour l’équilibre familiale.
Les rabbins, toujours critiques vis-à-vis du texte, même s’il parle des
pères fondateurs, n’hésitent pas à remettre en cause cet aveuglement
qui faillit coûter la vie au fils de Rachel, et qui eut pour conséquence
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
d’amener toute la famille dans l’exil égyptien. Les versets soulignent
cette attitude outrancière : Joseph reçoit une magnifique tunique bario-
lée avec laquelle il se pavane devant ses frères. De plus, il révèle au père
leurs mauvaises paroles, leurs petits secrets, sans que ce dernier ne le
réprimande. Joseph un petit rapporteur !
La situation devient terriblement tendue quand le fils de Jacob relate
à la cantonade ces deux rêves : les gerbes de ses frères se prosternent
devant la sienne, puis le soleil, la lune et onze étoiles s’inclinent devant
sa grandeur. Réaction « naturelle » des frères devant ces faits : « Ils le
haïrent et ne purent lui parler en paix. »
Certes, ses rêves révèlent indubitablement sa vocation : partager le pain
entre les hommes, sans oublier le Ciel. On retrouve ici les éléments du
songe de l’échelle de Jacob (Gn 28, 12). Cette échelle relie le bas et le
haut, suggérant de ne pas séparer le monde matériel du monde spiri-
tuel. Chez Joseph, ce projet hébraïque prend une forme économique.
Que Joseph soit élu pour une grande destinée, soit ! Cela ne le dispense
pas d’un peu d’humilité, vertu qu’il ne semble pas pratiquer pour
l’heure. Et même si Jacob le tance quelque peu au sujet de son dernier
songe, c’est en toute confiance qu’il envoie l’adolescent de dix-sept ans
rejoindre ses frères pour garder les troupeaux. Un agneau au milieu des
loups ! L’ombre de Caïn assassinant Abel plane, mais Ruben et surtout
Juda refuseront de verser le sang innocent : Joseph sera vendu comme
esclave.
Lorsque la tunique de Joseph, déchiquetée et ensanglantée, est présen-
tée à Jacob, celui-ci fond en larmes : « Un fauve l’a dévoré ! » Curieux
retournement de l’histoire, souligne le Midrach : Jacob avait trompé son
© Groupe Eyrolles
père avec un habit, il est trompé par ses enfants avec un vêtement.
73
Joseph, l’honnête homme
Abandonné à son triste sort dans la maison de son maître Putiphar,
loin de sa famille, Joseph se métamorphose lentement en un nouveau
personnage, bien plus noble de cœur et d’esprit. La nuit tombée et sa
besogne terminée, Joseph repasse toute sa jeune existence : l’excès
d’affection de son père, l’excès de haine de ses frères, ses propres excès
de vanité. Une histoire trop passionnée, trop passionnelle.
Là, au milieu de son malheur et de sa solitude, au lieu de cultiver l’esprit
de vengeance et de rancune, il décide de devenir aussi exemplaire que
possible, afin de sanctifier le nom du Dieu de ses pères. S’il est Son élu,
il s’en montrera digne !
Joseph assume avec honnêteté son labeur, faisant fructifier les biens de
son maître. Plus tard, quand sa maîtresse veut abuser de lui, il refuse
proclamant clairement l’éthique monothéiste qui interdit l’adultère. La
femme l’accuse de viol, Joseph se retrouve en prison, mais il n’a pas
failli.
L a To r a h
74
serviteur de Dieu. Joseph mérita, pour toutes les générations, d’être
surnommé Yossef Hatsadik, « Joseph le Juste ».
Courage de femmes
Par ces mots commence le célèbre épisode du buisson ardent qui fera
de Moïse l’envoyé de Dieu, auprès du pharaon et d’Israël. Dans la vie
des grands guides spirituels, nul trait ne reste indifférent à la posté-
rité toujours à la recherche des signes avant-coureurs de l’ascension qui
mènera le héros au sommet de la renommée. Certes, si les documents
archéologiques ne peuvent prouver la vie des Hébreux en Égypte, Moïse
restera dans la tradition juive au centre d’une foule de récits greffés
sur la trame narrative de la Torah. Incontestablement, la figure de ce
personnage en est l’une des plus riches. Il ne pouvait en être autrement
pour celui que le verset qualifie de « plus grand prophète levé en Israël »
(Dt 34, 10).
Tout commence quand les Hébreux considérés trop nombreux sont
asservis par le pharaon, souverain despotique. Malgré les pénibles
travaux des champs et la construction des villes, le peuple continue de
croître. Le roi opte pour une solution radicale, à défaut d’être finale :
© Groupe Eyrolles
75
tous les nouveau-nés mâles seront noyés dans le Nil, seules les filles
seront épargnées.
Jokéved, de la tribu de Lévi, vient de donner naissance à un enfant
prématuré qu’elle cache trois mois. Mais les inspections des gardes se
font de plus en plus pressantes, elle dépose alors son fils dans un panier
d’osier qu’elle confie aux eaux du fleuve, à la grâce de Dieu !
Myriam, l’aînée des enfants de Jokéved, suit la fragile embarcation
qu’une main invisible conduit vers le palais pharaonique. La princesse
qui se baigne insouciante découvre le panier – berceau ou tombeau ? –
et son cœur s’emplit de pitié pour cet enfant larmoyant.
Le pharaon ne sait pas qu’il cache, dans sa propre maison, une fille à
l’âme pure qui élèvera en secret celui qui retournera l’Égypte. Celle-ci
nomme son fils adoptif Moïse, Moché, « sauveur des eaux », un nom
qui préfigure une grande mission. En réponse, cette princesse anonyme
sera nommée par les rabbins Bitia, « fille de Dieu ». Fille adoptive ?
L a To r a h
76
hommes, bourreaux ou victimes, l’esprit de domination voudrait avoir
le dernier mot ? La loi du plus fort, encore et toujours !
Moïse préfère abandonner l’Égypte ; il s’enfuit au pays de Madian. Il y
découvre le même scénario. Des bergers poussent du coude pour passer
devant les filles de Jéthro, le prêtre de la région, et profiter les premiers
du puits. Moïse fera encore justice. Initié au combat dans les gymnases
égyptiens, il met sa force au service du droit. Il recevra en récompense
Tsipora, fille aînée de Jéthro, qui enfantera deux fils. Son chemin de
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
fraternité aura mené Moïse à cette humble famille du désert qui prati-
que l’hospitalité abrahamique. L’amour existerait-il quelque part ?
Le berger de Jéthro
Les années passent. L’ancien prince d’Égypte est devenu pasteur de
petit bétail. Ici, plus de violence, car le bon berger veille sur le troupeau,
au fond du désert. À son habitude, le Midrach brode sur le texte :
Moïse faisait d’abord sortir les bêtes chétives qui allaient
brouter l’herbe tendre. Puis il menait les bêtes âgées qui
consommaient l’herbe drue qui leur convenait. Enfin venait
le tour des plus vigoureuses qui broutaient les racines les
plus tenaces. Le Saint, béni soit-Il, déclara alors : « Celui
qui sait faire paître le petit troupeau, avec sagesse, en
pourvoyant à chacun la pâture qui lui convient, sera le
berger de Mon peuple. »
Sagesse de berger qui est déjà sagesse politique. Ici, elle consiste à
distribuer à chacun selon son manque, en évitant la domination des
plus forts sur les plus faibles. Le bon politique serait le bon gestion-
naire de la grâce divine. Non seulement Moïse prend garde à ce que les
membres de son troupeau n’entrent pas en conflit, mais il a également
souci qu’ils ne fassent de tort à personne. Ainsi avançait-il « au fond du
désert » dans un lieu où les animaux ne risquaient pas de brouter dans
un espace privé. De pasteur de moutons et d’agneaux, Moïse deviendra
pasteur d’hommes comme, plus tard, David.
Et la Midrach de conclure (Exode Rabba 2) : « Le Saint, béni soit-Il, ne
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tes choses de la vie. » L’homme peut grandir en s’occupant de choses
infimes, comme il peut déchoir en voulant profiter des grandes choses.
Sortir d’Égypte
Chaque année au mois d’avril, le mois du printemps, toute la famille
juive se retrouve à la maison pour célébrer un événement fondateur : la
sortie du pays d’Égypte à l’époque de Moïse. Car cette sortie marque la
naissance du peuple d’Israël.
Avant cette date historique, Israël ne formait qu’un clan autour du
patriarche Jacob, au nombre symbolique de soixante-dix âmes (Gn 46,
27), correspondant au nombre des nations issues de Babel ; comme si
l’identité israélite se trouvait en harmonie avec l’universel humain.
Descendues en Égypte pour fuir une famine et rejoindre Joseph, devenu
haut fonctionnaire du pharaon, les soixante-dix âmes se multiplieront.
Ils deviendront si nombreux que le souverain craignant la formation
d’une cinquième colonne dans son territoire décidera de les asservir (Ex 1,
10) jusqu’à noyer les nouveau-nés mâles dans le Nil. Dans le « creuset de
fer » de l’Égypte, le clan hébreu deviendra une nation d’affranchis.
© Groupe Eyrolles
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Curieux giron que cette matrice faite de glaise, de paille, de coups de
fouets et de larmes. Israël devait-il en passer par là ? La servitude, la
haine, la violence restent-elles des lois sociologiques incontournables ?
Certes, pour la Torah, l’histoire peut toujours s’écrire autrement ; mais
puisqu’elle fut écrite ainsi, Israël devait en garder la mémoire. Ainsi,
pour justifier l’amour de l’étranger, c’est-à-dire le rejet de toute xéno-
phobie, le verset exigera clairement :
« Si un étranger vient séjourner avec vous dans votre
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
pays, ne le molestez pas. Il sera pour vous comme l’un de
vos compatriotes, l’étranger qui séjourne avec vous, et tu
l’aimeras comme toi-même ; car vous avez été étrangers
dans le pays d’Égypte ; je suis l’Éternel votre Dieu. »
Lévitique 19, 34-35
Et Rachi d’annoter : « Quoi qu’il arrive, et bien qu’ils aient jeté vos
enfants dans le Nil, la terre d’Égypte a été pour vous une terre d’asile
pour un temps. » On remarquera jusqu’où devrait aller la reconnais-
sance selon le rabbin de Troyes.
Dans la Torah, la sortie d’Égypte signifie plus que le souvenir d’une
libération et d’une naissance, elle implique aussi de se libérer de ce qui
© Groupe Eyrolles
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Le rite pascal
Avant leur libération, l’Éternel, par l’intermédiaire de Moïse et d’Aa-
ron, donne aux enfants d’Israël le rite pascal. Cette injonction pour la
collectivité se situe juste avant la dernière et dixième plaie : la mort
des premiers-nés d’Égypte. Durant cette terrible nuit, l’ange de la mort
n’épargnera que les maisons sur lesquelles aura été badigeonné un peu
du sang d’un agneau sacrifié. La mort « sautera » littéralement au-dessus
de ces habitations, d’où le nom de Pessah (Pâque) « passer au-dessus ».
Ce rite concerne la nourriture. Chaque fois qu’un nouveau commence-
ment apparaît dans l’Histoire, la Torah pose une loi concernant l’acte
de manger : Adam reçoit un ordre concernant l’arbre de la connaissance
du bien et du mal ; après le déluge (Gn 9, 3) Dieu autorise Noé et sa
descendance à consommer « la viande comme l’herbe des champs » (fin
du végétarisme). Ici encore, avant de sortir d’Égypte, Israël reçoit un rite
alimentaire.
Chaque famille devra consommer trois aliments : une part d’agneau
L a To r a h
80
À travers ces trois rituels, les enfants d’Israël devaient à la fois rompre
avec la société esclavagiste tout en gardant le souvenir de la barbarie.
Servitude et libération constituaient les deux socles du rituel de Pâque
qu’il fallait transmettre aux enfants.
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
Lorsque vos enfants vous demanderont : « Que signifie pour
vous ce culte ? » Vous répondrez : « C’est le sacrifice de Pâque
en l’honneur de l’Éternel, qui a passé par-dessus les maisons
des enfants d’Israël en Égypte, lorsqu’il frappa l’Égypte et
qu’il sauva nos maisons. »
Exode 12, 25-27
allaient quitter la terre de leur aliénation, mais surtout pour les généra-
81
tions futures qui ne connaîtrait cette libération que par l’oralité d’une
mémoire.
Au fond, il n’est pas faux de dire que, dans l’esprit de la Torah, il n’existe
que deux générations, celle dite des pères (qui inclut les mères) et celle
des fils (qui inclut les filles). Être interrogés par ses enfants, c’est accep-
ter voire susciter leurs interrogations, avec humilité ; cela induit bien
sûr de la part des parents d’être reconnus en autorité de référence. Tel
est l’enjeu de la fête de Pessah : réunir deux générations pour donner un
sens à la liberté.
82
3. « Tu n’invoqueras point le nom de l’Éternel ton Dieu à
l’appui du mensonge ; car l’Éternel ne laisse pas impuni celui
qui invoque son nom pour le mensonge. »
4. « Souviens-toi du jour du Sabbat pour le sanctifier. Durant
six jours tu travailleras et t’occuperas de toutes tes affaires,
mais le septième jour est la trêve de l’Éternel ton Dieu : tu n’y
feras aucun travail, toi, ton fils ni ta fille, ton esclave mâle ou
femelle, ton bétail, ni l’étranger qui est dans tes murs. Car en
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re du Pen tateu q ue
six jours l’Éternel a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils
renferment et il s’est reposé le septième jour ; c’est pourquoi
l’Éternel a béni le jour du Sabbat et l’a sanctifié. »
5. « Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se
prolongent sur la terre que l’Éternel ton Dieu t’accordera. »
6. « Ne commets point d’homicide. »
7. « Ne commets point d’adultère. »
8. « Ne commets point de larcin. »
9. « Ne rends point contre ton prochain un faux
témoignage. »
10. « Ne convoite pas la maison de ton prochain ; Ne convoite
pas la femme de ton prochain, son esclave ni sa servante, son
bœuf ni son âne, ni rien de ce qui est à ton prochain. »
Exode 20, 2-13
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Tout l’avenir d’Israël se joue là, au moment où un peuple d’esclaves se
transforme en un « royaume de prêtres » au cœur de l’histoire humaine.
Cette solennité relativement discrète quant au rituel – aucun objet de
culte ne lui est associé – est vécue à la synagogue par la lecture des dix
commandements présentés en exergue.
Que disent en substance ces commandements ? La reconnaissance d’un
Dieu qui proclame la liberté des hommes et des peuples, l’interdiction
de rendre un culte aux éléments de la nature (idolâtrie), le respect d’un
jour de repos après six jours de travail, la piété filiale, le respect de la vie,
des liens familiaux, du bien d’autrui, l’interdiction du faux témoignage
et de la convoitise.
Tous ces principes d’ordre religieux, moral ou social, dont certains sont
tombés dans le domaine public à défaut d’être inscrits dans les mœurs
et les cœurs, représentent autant de victoires de la loi du Sinaï devenue
chartre universelle de la société moderne. Le style lapidaire, la concision
de certaines formules révèlent leur portée illimitée. Nous nous trouvons
L a To r a h
De dix à dix
Les commentateurs mettent en évidence le parallélisme entre les dix
paroles de la Création et les dix paroles de la Révélation. En effet, si l’on
compte le nombre de « Et Dieu dit » du chapitre inaugural de la Torah
(« Et Dieu dit : que la lumière soit ! … Et Dieu dit : qu’il y ait une éten-
due », etc.) nous trouvons dix formules. Ce parallélisme n’est pas fortuit
pour l’exégèse qui lui donne sens.
Dans la Genèse, Dieu est créateur de la nature. Il fonde les cieux et la
terre avec ses lois physiques, chimiques, électroniques ; Il génère la vie
et l’instinct de conservation. En créant l’homme, Dieu ajoute les lois
psychologiques, les désirs, les passions. De l’infiniment petit à l’infi-
niment grand, de l’inerte au vivant parlant, le Créateur construit Son
monde qui dorénavant suivra son cours.
Dans cet univers naturel, l’homme oublie très vite le Transcendant pour
ne percevoir qu’une réalité immanente qu’il prend d’abord en modèle
et qu’il va finir par idolâtrer : idolâtrer la puissance du soleil, idolâtrer
© Groupe Eyrolles
84
sexuel. Ainsi naît le panthéon païen, avec ses dieux, ses déesses et ses
forces occultes.
L’archétype de la société idolâtre dans la Torah s’appelle l’Égypte (Mits-
rayim). Pharaon, « fils du soleil », se proclame créateur du Nil (Ez 29, 3),
tout en reproduisant le schéma naturel du plus fort dominant le plus
faible, l’Égypte écrasant Israël.
Or, au mont Sinaï, Dieu offre un autre code, non plus naturel, mais
surnaturel ; non plus fondé sur l’immanence du réel, mais sur la trans-
Au fondement de la Loi
Si capitale qu’ait été l’action du Décalogue sur Israël et sur l’humanité,
il serait faux d’en considérer l’expression comme la forme la plus abou-
tie de la loi divine. En fait, dans l’ensemble des devoirs vis-à-vis de Dieu
et à l’égard du prochain, il n’occupe pas une place prééminente. Loin de
constituer le sommet de la Révélation, les dix paroles sont à considérer
comme les fondations d’une maison sur lesquelles s’appuie tout l’édi-
fice du judaïsme.
En effet, les prescriptions mentionnées ici ne constituent que des règles
religieuses et morales élémentaires, tant l’idéal biblique reste élevé. Il
suffit de s’en référer à la formulation de la majorité des commande-
ments qui s’exprime sur le mode négatif : ne pas faire. Nous pouvons
justifier ainsi cette énonciation : on ne peut exiger de tout un peuple,
sur le plan religieux ou moral, que le minimum. Ne pas faire le mal est
déjà bien !
L’héroïsme de la vertu ne se révèle que chez l’individu qui sort du cadre
normatif du groupe. Aussi les grands idéaux bibliques se trouveront
© Groupe Eyrolles
85
l’étranger comme toi-même », « tu ne te vengeras pas, tu ne garderas
pas rancune » (Lv 19) ; tout comme « tu aimeras l’Éternel ton Dieu »
(Dt 6), ou encore « tu ouvriras ta main pour l’indigent » (Dt 15).
Il n’en reste pas moins vrai qu’au cours de la lecture publique de ces dix
paroles, il est usage dans beaucoup de communautés de se lever, lors-
que l’officiant les lit sur une cantilation solennelle (voir page XXX ?). Il
est difficile d’oublier les événements fondateurs !
86
d’assumer sa vocation de « royauté de prêtres et de nation vouée à la
sainteté » (Ex 19, 6).
Nous pouvons ainsi résumer les grands thèmes qui constituent le
contenu de ce livre : les règles du culte sacrificiel (le culte liturgique
naîtra dans l’exil babylonien), la consécration de la tribu de Lévi au
Sanctuaire, les lois de pureté et d’impureté, les temps et les lieux consa-
crés, la valeur des personnes humaines. Sur le plan des rites, le Lévitique
offre 247 des 613 commandements répartis sur l’ensemble du Pentateu-
Le Lévitique tranche parmi les cinq livres du Pentateuque par son style
et son contenu. Ici, le narratif se fait rare, et quand un récit surgit, il
illustre un thème du livre. L’aspect technique et rébarbatif du Lévitique
pour le moderne se justifie par le fait qu’il est d’abord le code de vie de
la tribu consacrée au Temple, celle de Lévi, restée fidèle à Dieu lors de
la faute du veau d’or. Cette fidélité modifiera conséquemment le projet
divin originel.
En effet, si primitivement tous les premiers-nés des familles israélites
devaient être consacrés au culte, en réponse à la protection que l’Éternel
leur accorda lors de la dernière plaie d’Égypte (la mort des premiers-nés
égyptiens), après le veau d’or, seuls les lévites mériteront les honneurs
du Temple (Nb 3, 12).
© Groupe Eyrolles
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Au sein de la tribu lévitique un clivage supplémentaire s’opère entre
Aaron (cohen) et ses descendants d’un côté et leur reste de la tribu.
Dans les faits, les descendants d’Aaron se chargent des sacrifices, de la
bénédiction pontificale, de la purification et de l’éducation du peuple ;
les lévites musiciens chanteront l’Éternel durant le service quotidien
et celui des fêtes, et gèreront les aspects matériels du culte. Les uns
et les autres seront cependant tenus de respecter des règles précises,
car lorsqu’une distinction apparaît dans la Torah, elle s’accompagne
toujours de devoirs supplémentaires.
Apprendre à séparer
Le livre du Lévitique tourne autour du principe qui consiste à bien sépa-
rer les réalités : séparer l’espace du Temple de l’espace profane, le pur de
l’impur, le prêtre de l’israélite, d’où une législation extrêmement rigide
et détaillée.
Cette idée de la séparation renvoie à la Création, quand Dieu sépare le
L a To r a h
jour de la nuit, les eaux d’en haut des eaux d’en bas ou l’homme de
l’animal. Tout se passe comme si la tribu de Lévi recevait pour fonction
de maintenir des clivages à l’échelle de la société hébraïque. Car la Torah
se méfie sans cesse des mélanges, des confusions, des panachages. Les
identités incertaines l’affolent : qui est qui et qui fait quoi demeurent
des questions essentielles dans un monde créé sensé posséder une
signification ; d’où l’importance quasi-obsessionnelle de définir les
cadres d’actions, le permis et l’interdit, le bien et le mal, etc.
Cette conception aura pour conséquence de radicalement distinguer la
religion d’Israël des autres religions de l’époque. Alors qu’en Égypte, par
exemple, le roi est aussi le grand prêtre, ici le roi ne joue aucun rôle,
il n’a pas plus d’importance qu’un pauvre apportant son oblation de
farine.
La séparation ne s’opère pas qu’avec le pouvoir politique (ce qui est en
soi novateur) mais aussi avec le monde des ancêtres. Les morts sont
aux morts, ils ne peuvent plus interférer dans la vie des vivants. En écar-
tant le culte des ancêtres, la loi lévitique rompt avec la démonologie,
la magie, la sorcellerie, si pratiquées en terre de Canaan. Le Dieu de la
© Groupe Eyrolles
Torah se proclame autant Dieu vivant que Dieu des vivants. Le monde
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des morts n’intéresse pas le prophétisme et « ce qui est caché appar-
tient à l’Éternel notre Dieu » (Dt 29, 28).
Or, comment l’Hébreu, être de chair et de sang, peut-il se relier à ce Dieu
vivant et éternel ? En appliquant la révélation qui est « Torah de vie ».
Respecter les règles rituelles, c’est choisir la vie, les rejeter, c’est choisir
la mort ; ainsi s’entend le distinguo important entre le pur et l’impur.
Le pur et l’impur
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re d u Pe nta te uqu e
Le français, pour désigner ces deux notions religieuses utilise le mot
« pur » et son négatif « impur » (non-pur). En hébreu, l’impureté se
distingue de la pureté dans le vocabulaire, puisque il existe deux termes :
touma pour « impureté » (littéralement « fermeture ») et tahara pour
« pureté » (littéralement « brillance »). L’impureté n’est pas l’absence de
pureté, mais le contact avec la mort, qui empêche l’homme d’évoluer,
qui l’enferme dans une réalité statique, voire dans une désespérance. Le
Talmud désigne le cadavre par « grand-père de l’impureté ».
Dans la doctrine biblique, l’impureté ne se confond pas avec la souillure,
la saleté ou une quelconque notion biologique ou esthétique, il s’agit
bien d’une notion religieuse, objective et légale. L’Hébreu doit se débar-
rasser de la touma qu’il a contactée pour pénétrer dans l’enceinte du
Temple, notamment durant les fêtes de pèlerinage, pour se relier au
Dieu de vie.
Si l’individu a touché un cadavre, s’il est frappé d’une forme de lèpre
nommé tsaraat10 qui trouble sa relation sociale, si des pertes sémina-
les pour l’homme ou des saignements pour la femme surviennent de
manière accidentelle, en d’autres termes si le clivage entre la vie et la
mort devient flou, il pourra être déclaré impur et faire appel aux règles
de purification appliquées par le cohen. Car le cohen a entre autres
pour devoir de se tenir, autant que faire se peut, à distance de la mort,
devenant la référence de vie au sein de la cité. Ce travail de purification
ressemble à un travail de deuil. Sept jours sont nécessaires, accompa-
gnés d’immersions et d’aspersion d’eau, l’eau symbolisant la vie.
© Groupe Eyrolles
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Deux exemples soulignent encore l’esprit de la loi du Lévitique. Tout
d’abord la mort soudaine des fils d’Aaron, foudroyés le jour de l’inau-
guration du sanctuaire, car ils avaient apporté « un feu étranger qui ne
leur avait pas été demandé » (Lv 10, 1-2). La leçon vaut pour tous, même
si ce feu étranger peut exprimer un enthousiasme sincère envers l’Éter-
nel. Comme l’enseigne le Midrach, toute action religieuse doit se situer
dans un cadre défini qui sépare le bien du mal, le permis de l’interdit.
En brisant les barrières du code cultuel, les fils aînés d’Aaron payèrent
de leur vie.
L’autre exemple concerne des règles, toujours appliquées, de l’alimen-
tation biblique (kacher, voir ci-dessous). Le Lévitique donne les signes
morphologiques des animaux permis à la consommation : les rumi-
nants à sabots fendus pour les mammifères terrestres, les écailles et
les nageoires pour les poissons, quant aux oiseaux, la Torah cite vingt-
quatre espèces interdites. Aucune justification n’est présentée, hormis
cette formule qui traduit l’esprit du livre : « car je suis l’Éternel, qui vous
L a To r a h
ai tirés du pays d’Égypte pour être votre Dieu ; et vous serez saints, car
je suis saint… afin qu’on distingue l’impur du pur, l’animal qui peut être
mangé de celui qu’on ne peut manger (Lv 11, 45-47).
K ACHER
Le terme kacher signifie littéralement « ce qui est valable ». Au sens large,
il désigne toute réalité conforme à la loi juive ; au sens strict, il désigne un
aliment qui répond aux exigences de cette loi. Aux États-Unis, l’expression
“it’s not kocher» vaut notre « ce n’est pas très catholique ».
Le projet de sainteté
Après les lois sacrificielles et les règles de purification, l’autre élément
clef du Lévitique, son cœur, concerne la sainteté d’Israël. Il ne s’agit
nullement ici d’une sainteté intrinsèque ou naturelle, mais bien d’être
un projet pour toute une collectivité humaine, à réaliser par chaque
individu au profit du groupe. Ce projet s’énonce par le verset inaugural
du chapitre 19 :
© Groupe Eyrolles
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« L’Éternel parla à Moïse en ces termes : Parle à toute la
communauté des enfants d’Israël et tu leur diras, soyez
saints, car saint Je suis l’Éternel, votre Dieu. »
Lévitique 19, 1
91
La cité de Dieu
Pour la Torah, la cité de Dieu représente la cité où les vertus garanties
par le Créateur seront respectées. Le psalmiste chante ces vertus :
« Il a fait le ciel, la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent ;
il est éternellement fidèle à sa parole. Il fait valoir le droit des
opprimés, donne le pain à ceux qui ont faim ; l’Éternel met
en liberté les prisonniers. L’Éternel rend la vue aux aveugles
(aussi bien au sens physique qu’intellectuel), l’Éternel
redresse ceux qui sont courbés. L’Éternel aime les justes ;
l’Éternel veille sur les étrangers, soutient l’orphelin et la
veuve, tandis qu’Il bouleverse la vie des pervers. »
Psaume 146, 6-9
qu’ils ne répètent pas entre eux le jeu des forces aveugles. Bien entendu,
le lecteur d’un tel texte comprendra qu’il devra imiter Dieu (imitatio Dei)
dans sa relation au prochain.
Le postulat du discours prophétique peut ainsi s’énoncer : oui, il existe
de l’injustice dans la création, du fait des décalages de bénédictions
(les forts et les faibles ; les riches et les pauvres ; les intelligents et les
niais, etc.), mais quiconque possède un pouvoir devient responsable de
celui qui n’en possède pas ou moins. Cette justice fondatrice de la cité
de Dieu favorisera incontestablement dans le rapport interpersonnel
l’amour du prochain, grand principe de la Torah.
92
Dans la cité biblique, le propriétaire terrien doit au temps de la récolte
laisser un coin de champ pour le pauvre. De même, les épis tombés des
mains du moissonneur deviennent propriété du nécessiteux qui suit
l’ouvrier (Lv 19, 9-10, voir page RUTH).
L’indigent se trouve-t-il dans un vignoble ou au milieu d’un champ
de céréales ? Il peut consommer le raisin sur le pied, jusqu’à satiété,
à condition de ne pas emporter de fruits, et il peut arracher quelques
épis de blé, tant qu’il n’utilise pas la serpe (Dt 23, 25-26). Rappelons que
93
Ainsi, l’ensemble de cette législation vise à protéger le pauvre contre
une dégradation sociale sans retour. Mais, simultanément, elle permet
d’éduquer les possesseurs de biens à plus d’humanité et de générosité.
Certes pour chaque loi biblique une jurisprudence détaillée sera déve-
loppée par le Talmud, mais l’esprit du texte reste clair : la justice sociale
ne dépend pas uniquement des pouvoirs publics, il y va de la responsa-
bilité de chaque citoyen qui pourra dans ce cas légitimement déclarer :
« l’État, c’est moi ! ».
Le monothéisme d’Israël
Moïse est âgé de 120 ans. Il sait sa mort imminente. Le livre du Deuté-
ronome (Dévarim) constitue son dernier discours, son testament légué
aux générations d’Israël, celle qui va franchir le Jourdain pour la terre
promise, et celles qui viendront après (Dt 29, 14). En trente-trois chapi-
tres, il dira l’essentiel de la vocation hébraïque dans la continuité des
patriarches : assumer l’alliance du Sinaï, vivre la Torah à la lettre et en
esprit, refuser toute forme d’idolâtrie, construire une société modèle
fondée sur la justice sociale et sur l’amour du prochain, et proclamer
l’unité absolue de l’Éternel.
© Groupe Eyrolles
94
Dans notre passage, le prophète exhorte son peuple. Les enfants d’Is-
raël, c’est-à-dire les descendants du patriarche Jacob devenu Israël, sont
désignés du nom générique « Israël », nom qui traversera l’histoire pour
désigner une nation puis une terre. En six mots, Moïse pose la profes-
sion de foi israélite. Nous rendrons ainsi la traduction pour la calquer
sur l’hébreu : « Écoute Israël, YHWH notre Dieu, YHWH un ». Trois couples
de mots.
95
soleil ou la lune. Et si des doutes pouvaient subsister, les deux derniers
mots les dissiperont : « YHWH (est) un ». Autrement dit, l’Éternel notre
Dieu – et non le soleil ou la lune – est l’unique Dieu, un en Lui-même,
Créateur des cieux et de la terre, et père de l’humanité tout entière.
Voici la lecture traditionnelle proposée par Rachi, le rabbin de Troyes :
YHWH (est) notre Dieu, YHWH (est) un : Pour l’instant,
l’Éternel n’est que notre Dieu, mais dans les temps
messianiques, l’unité divine sera reconnue par toutes les
nations, selon la prophétie de Sophonie (3, 9) : « Alors (dit
l’Éternel) Je transformerai toutes les langues des nations
en une langue épurée afin que tous invoquent le nom de
l’Éternel. »
Amour et amour
Le verset suivant débute par à un appel à l’amour de Dieu. Ce n’est pas
Dieu qui demande de L’aimer, mais Moïse. L’amour exigé par l’Éternel ne
concerne que les rapports humains : « tu aimeras ton prochain comme
toi-même » ou « l’étranger comme toi-même » au chapitre 19 du Léviti-
que. Dieu appelle à aimer l’homme, et l’homme appelle à aimer Dieu.
Selon l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra (voir page 48), cet amour
s’exprimera par toutes les facultés humaines : le cœur qui dans la Bible
désigne le siège de l’intelligence et l’âme qui renvoie à l’instinct. Et
l’homme, animal social et être pensant, est invité à vivre cet amour de
« tous ses moyens », littéralement « de tout son beaucoup », signifiant
que l’amour de Dieu ne connaît nulle limite tant qu’il se conjugue avec
l’amour du prochain.
Les rabbins remarquent que cet amour n’induit aucune conséquence,
alors qu’un peu plus loin au chapitre 11, il est écrit : « Si vous aimez
l’Éternel votre Dieu de tout votre cœur et de toute votre âme… Je vous
donnerai la pluie en son temps… méfiez-vous que votre cœur ne soit
© Groupe Eyrolles
pas séduit… et que vous serviez d’autres dieux… car alors Je fermerai
les cieux. »
96
Ici l’amour de Dieu s’entend donnant-donnant. De là, les maîtres distin-
guent l’amour intéressé qui consiste à servir Dieu pour en tirer un béné-
fice, qu’il soit matériel, psychologique ou spirituel, de l’amour désinté-
ressé qui se justifie par l’amour de Dieu pour Lui-même.
On soulignera que l’amour intéressé s’adresse à toute la collectivité d’Is-
raël « si vous aimez », alors que, dans notre premier passage, le verbe est
au singulier « tu aimeras ». La Bible reconnaît l’amour intéressé de Dieu,
car on ne peut tout de go exiger d’un groupe humain d’accéder à des
C ha p it re 2. L a To ra h o u le l iv re d u Pe nta te uqu e
hauts niveaux de spiritualité. Ce travail ne peut être accompli que dans
une démarche personnelle, lente et minutieuse, à l’instar d’un alpiniste
gravissant le flanc d’une montagne.
Le Talmud (TB Pessahim 50 b) use de cette formule optimiste :
« L’homme s’investira dans l’étude de la Torah et la pratique
des commandements, même de manière intéressée (par
exemple, pour être appelé Rabbi ou pour que ses enfants
vivent), car de manière intéressée il pourra en arriver à aimer
Dieu de manière désintéressée. »
Un amour en acte
Comment vivre cet amour de Dieu ? La Torah ferait sienne le dicton
populaire : « il n’y a pas d’amour, mais des preuves d’amour ». L’amour
se traduit par des actes. Si cela se vérifie dans une relation familiale
ou amicale, cela reste vrai dans la relation au Ciel. Les versets suivants
parlent en effet d’actions concrètes, il nous suffira pour conclure de les
énoncer brièvement.
³ « Ces paroles seront sur ton cœur » : invitation à l’étude et la médi-
tation de la Torah, pilier de la vie juive.
³ « Tu l’enseigneras à tes enfants » : valeur de la transmission.
³ « Tu en parleras assis dans ta maison, en allant sur le chemin, en te
couchant, en te levant » : tout lieu et tout temps sont propices à la
méditation de la parole divine.
© Groupe Eyrolles
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³ « Tu les attacheras sur ton bras, en signe entre tes yeux » : la tradi-
tion orale y voit une allusion aux téfilines.
³ « Tu les écriras sur les montants de ta maison » : toujours selon la
tradition orale, il s’agit ici de la mézouza.
On remarquera la progression d’écriture depuis la pensée (la médita-
tion) jusqu’à l’action, en passant par la parole de l’enseignement.
T ÉFILINES OU PHYLACTÈRES
foi d’Israël.
M ÉZOUZA
Comme les téfilines, la mézouza est un boîtier contenant un parchemin de
la Torah. Elle est placée sur les portes des maisons juives et rappelle l’unité
de Dieu en entrant et en sortant.
© Groupe Eyrolles
98
Chapitre 3
Néviim ou le livre
des Prophètes
© Groupe Eyrolles
Cha p it re 3. Név iim o u le l iv re de s Pro p hè tes
Avec le livre de Josué, successeur de Moïse, nous entrons dans le
deuxième volume de la Bible, le livre des Prophètes (Néviim). Si la Torah
(Pentateuque) décrit la naissance d’Israël, la sortie d’Égypte jusqu’à
l’arrivée des Hébreux au bord du Jourdain, le livre des Néviim présente
les Israélites sur la terre promise. Après les promesses des commence-
ments, vient l’accomplissement. Mais celui-ci ne va pas de soi… l’ap-
prentissage de la loi de vie se poursuit. Cet apprentissage passe par les
épreuves et les victoires, mais aussi par un enseignement « direct ». Les
prophètes, messagers de Dieu, y jouent un rôle déterminant.
C ANAAN
Ce nom est d’abord celui d’un peuple, le peuple de Canaan, descendant de
Cham, fils de Noé, qui vit la nudité de son père (Gn 9, 22). Par la suite, on
© Groupe Eyrolles
101
ce peuple. C’est là que vint s’établir Abraham, c’est de là que partirent pour
l’Égypte Jacob et ses fils, c’est vers cette terre que Moïse, relayé par Josué,
conduisit les Hébreux.
102
Le serviteur de Moïse
Le livre de Josué se découpe aisément en trois parties : les chapitres 1
à 12 présentent la conquête de Canaan ; les chapitres 13 à 22 traitent
du partage des terres entre les tribus ; quant aux deux derniers cha-
pitres (23 et 24) on pourrait les qualifier de testament de Josué, écrit à la
manière du testament de Moïse, le Deutéronome, qu’il énonça devant
son peuple avant de mourir.
Josué (Yéochoua « Dieu sauve ») succède donc à Moïse. Il est, avec Caleb,
103
La réalisation des promesses
Le livre de Josué doit être intégré dans la cohérence biblique et lu tout
particulièrement en résonance avec le livre de la Genèse. Dans ce livre
des commencements, en effet, l’Éternel se révèle successivement aux
patriarches, Abraham, Isaac et Jacob, pour leur exprimer une seule
et même double promesse : la naissance d’un peuple et l’octroi de la
terre de Canaan. Le livre de Josué narre l’accomplissement de cette
promesse.
Après que les soixante-dix nations, nées à Babel, se sont installées sur
leur territoire selon leur langue, la soixante-et-onzième nation émerge
lentement. Ce peuple, distingué par le Ciel, aura la lourde tâche de
témoigner du Dieu un, au milieu des peuples, en construisant la cité
de la Torah. Or, le lieu élu pour la réalisation de ce projet n’est autre
que la terre de Canaan, terre promise, terre jurée. Comment compren-
dre ce particularisme national ? La parole de Dieu ne peut-elle se situer
au-delà des frontières humaines ?
L a To r a h
Nous l’avons dit, le peuple d’Israël est appelé « royaume de prêtres » (Ex
19, 6). Comme tel, il se doit d’assumer la loi révélée. Or, cette loi a pour
finalité de substituer à la loi de la jungle (le plus fort domine le plus
faible) la loi de la responsabilité morale (le plus fort aide le plus faible),
et ce, dans tous les domaines de l’existence. Seule une nation confron-
tée aux problèmes inhérents à toute société pourrait jouer ce rôle de
témoin aux yeux d’autres nations. Certes tout groupement humain,
depuis les temps anciens jusqu’aujourd’hui, produit des êtres d’excep-
tion sur les plans éthique et spirituel. Mais, dans la logique de la Torah,
le défi concerne toute une collectivité, et le lieu de réalisation de cette
chartre morale et religieuse sera la terre de Canaan. D’ailleurs, le terri-
toire ne sera octroyé qu’après la révélation de la constitution légale : les
commandements de la Torah.
En d’autres termes, la distinction d’Israël par Dieu ne se justifie que
dans la mesure où et afin que la vie nationale de ce peuple reste exem-
plaire, pour que nul ne puisse se revendiquer au-dessus de la justice et
du droit. Henri Bergson, dans Les Deux Sources de la morale et de la reli-
gion, avait saisi cette dimension en écrivant : « Rappelons-nous le ton
et l’accent des prophètes d’Israël. C’est leur voix que nous entendons
© Groupe Eyrolles
quand une injustice a été commise et admise. Du fond des siècles, ils
104
élèvent leur protestation. Si tel d’entre eux, comme Isaïe, a pu penser
à une justice universelle, c’est parce qu’Israël, distingué par Dieu des
autres peuples, lié à Lui par un contrat, s’élevait si haut au dessus du
reste de l’humanité, que tôt ou tard, il serait pris en modèle. »
Canaan et sa culture
Pour bien comprendre le livre de Josué, interrogeons l’historien et
l’archéologue sur ce qu’est le pays de Canaan peu avant et durant la
Jacob (Gn 36, 1). Il est fait également mention des Amoréens venus de
105
Syrie et installés à Sichem, où séjourna Jacob. Le livre évoque d’autres
peuplades, dont nous ne savons pratiquement rien. En résumé, Canaan
présente une mosaïque d’ethnies, révélant un haut degré de civilisa-
tion : fortifications militaires, maisons à étages, approvisionnement en
eau, travail du fer, économie développée, artisanat, agriculture.
En comparaison du niveau de civilisation atteint par ces peuples, la reli-
gion cananéenne qui tourne autour du culte de Baal (que nous connais-
sons grâce aux découvertes de la bibliothèque d’Ougarit) semble primi-
tive : ici, on chante les merveilles de la nature, la virilité des hommes,
la fécondité des femmes, tout en pratiquant des cultes orgiaques, la
prostitution sacrée et même le sacrifice d’enfants. C’est sans doute à
ce niveau religieux que doit se lire, finalement, le livre de Josué. Si l’his-
torien et l’archéologue remettent en cause la conquête11, il faut enten-
dre dans ce livre inaugural des Prophètes le grand combat mené par le
monothéisme contre les idéologies païennes. Par là, Josué réalisait la
promesse faite aux patriarches.
L a To r a h
106
à mes compatriotes, et tu ne m’en as pas dit le mot ! » « Vois !
répondit-il, je ne l’ai pas dit à mon père ni à ma mère, et à toi
je le révélerais ? » Elle l’obséda ainsi de ses pleurs pendant les
sept jours qu’on célébra le festin, si bien que le septième jour,
vaincu par ses instances, il lui révéla le mot, qu’elle apprit à
son tour à ses compatriotes. Le septième jour, avant que le
soleil fût couché, les gens de la ville dirent à Samson : « Qu’y
a-t-il de plus doux que le miel, et de plus fort que le lion ? » À
quoi il répondit : « Si vous n’aviez pas labouré avec ma génisse,
107
« Ne bois ni vin ni liqueur et ne mange rien d’impur. Car tu vas concevoir
et enfanter un fils ; le rasoir ne touchera pas sa tête » (Juges 13, 4-5). Car
ses cheveux vont dissimuler une puissance exceptionnelle.
A BSTÈME OU NAZARÉEN
108
collectivité d’Israël vouée à témoigner de l’Éternel au cœur des nations.
Les Hébreux perdus n’arrivent pas à assumer cette vocation spirituelle.
Comme diront les kabbalistes, Dan descend dans les « écorces », dans
les lieux sombres où la lumière divine ne peut luire, pour ramener les
brebis égarées.
Samson sera forgé de ce fer-là. Il ne deviendra jamais un roi-soleil, sa
route empruntera des sentiers tortueux aux femmes séduisantes, mais
il sauvera son peuple à sa manière.
109
T RAITÉ A VOT
Le Traité Avot (« pères ») est un livre de la Michna (voir page 29) qui traite
essentiellement de la valeur de l’étude de la Torah et des vertus que devrait
cultiver tout disciple de sage.
les Philistins dominent les Danites, Samson écrase les Philistins, les
femmes triomphent de Samson. La loi de Moïse proclame pourtant que
l’homme reste libre de choisir entre la vie et la mort, et la paix pourrait
vaincre la guerre. Samson, en tant que juge d’Israël le sait, il en fait ici
une allusion : le mangeur (le lion) peut donner une douce nourriture (le
miel), à condition que la force soit l’instrument d’un sacerdoce envers
les plus faibles.
Le message ne passera pas, puisque la violence l’emportera. La ruse de
Dalila aura raison des sept belles tresses du juge d’Israël. Les yeux du
héros ne verront plus la lumière, il tournera seul la meule à laquelle l’ont
attaché ses ennemis. Quand les Philistins pousseront l’humiliation en
exposant leur prisonnier dans le temple du dieu Dagon, Samson expri-
mera son ultime prière : « Rends moi fort cette fois seulement, ô mon
Dieu, pour que je fasse payer d’un seul coup mes deux yeux ! » et d’ajou-
ter : « Que je meure avec les Philistins ». Samson sera exaucé, il ébran-
lera l’édifice et toute la foule « de sorte qu’il fit périr plus de monde à sa
mort qu’il n’en avait tué de son vivant. »
La morale de cette histoire se situe peut-être dans ce désastre suprême :
dans tous combats il n’y a que des perdants !
© Groupe Eyrolles
110
Samuel, juger et unifier
Or en ce temps là, Héli, dont les yeux commençaient à
s’obscurcir et qui y voyait à peine dormait. Samuel aussi
dormait, et la lampe sacrée brûlait encore dans le temple
de l’Éternel, où était l’arche divine, lorsque l’Éternel appela
Samuel, qui répondit : « Me voici ! ». Et il accourut près
d’Hélie en disant : « Tu m’as appelé, me voici. » Héli répondit :
« Je n’ai point appelé, va te recoucher. » Ce que fit Samuel.
111
ce temps-là, il n’y avait point de roi en Israël et chacun faisait ce que
bon lui semblait ». En d’autres termes, l’absence d’une autorité politi-
que centrale traduisait un manque cruel face à cette menace philistine.
Samuel va alors apparaître comme un personnage providentiel pour le
peuple. Mais providentiel, il l’est d’abord pour sa mère Hanna, malheu-
reuse femme stérile.
Le fils du miracle
Le chapitre inaugural des deux livres de Samuel nous présente Elkanna
de la tribu d’Éphraïm marié à deux femmes, Hanna et Pénina, selon les
mœurs courantes de l’époque. Or Hanna est stérile. On peut supposer
qu’Elkanna avait épousé la seconde pour avoir des enfants, ce qui fut
le cas.
Ce récit évoque un schéma familial déjà connu, celui du patriarche Jacob
marié à Rachel, la femme aimée et stérile, et à Léa, non-aimée mais
porteuse de la progéniture.
L a To r a h
112
Et tout Israël, depuis Dan jusqu’à Beersheba reconnut
l’autorité de Samuel, comme prophète du Seigneur.
1 Samuel 3, 20
Avec Samuel l’histoire d’Israël avance d’un cran, car nous arrivons alors
à l’instauration d’un pouvoir politique centralisé. L’anarchie antérieure
fait place à un État plus structuré. Cette unification permettra aussi un
développement de la vie spirituelle en fidélité aux principes de la Torah.
113
son aîné, Samuel vit-il dans ce jeune et beau berger aux larges épau-
les l’image d’un fils modeste et attentif qu’il aurait aimé chérir ; alors
que ses propres enfants se détournaient de l’Éternel en profitant écono-
miquement du statut de leur père ? C’est probable. Aussi, la désobéis-
sance de Saül et son rejet par Dieu furent-ils indubitablement vécu par
le vieillard comme une profonde déchirure (I Samuel 15 et 16). N’était
la contrainte divine, Samuel n’aurait sans doute pas accepté d’oindre
le nouveau roi, en la personne du jeune David. Durant les dernières
années de sa vie, Samuel fut le témoin passif du conflit qui opposa Saül
et David, un Saül souffrant d’un délire de persécution devant la gloire
du jeune David, vainqueur du géant Goliath. Samuel restera dans la
mémoire d’Israël l’honnête homme qui n’abusa jamais de son pouvoir
prophétique ou de sa notoriété nationale. S’adressant au peuple réunit
pour réclamer un roi il déclarera : « Je vous ai gouverné depuis ma
jeunesse jusqu’aujourd’hui. Eh bien accusez-moi à la face de l’Éternel
s’il est quelqu’un dont j’ai pris le bœuf ou l’âne, quelqu’un que j’ai lésé
ou pressuré, quelqu’un qui m’ait acheté par un présent pour fermer les
L a To r a h
114
dit : « Donnez le petit qui est vivant à la première, ne le faites
pas mourir : c’est elle qui est sa mère ! »
I Rois 3, 23-27
115
La question de la royauté
Les exégètes, autant que les historiens, s’interrogent sur la nécessité
d’une royauté en Israël : était-ce un type de pouvoir incontournable ou
un pis-aller selon la doctrine toraïque ?
En présentant le Lévitique, nous avons montré comment le culte du
Temple évitait la contamination du pouvoir monarchique, en n’évo-
quant pas une seule fois la fonction royale. Certes le Deutéronome
mentionne la possibilité d’un roi, mais en n’y consacrant que six versets
(Dt 17, 14-20) que nous pouvons ainsi résumer : pas trop de richesse,
pas trop de chevaux, pas trop d’épouses ; en revanche, une méditation
quotidienne de la Torah. Car la grande peur du Deutéronome demeure
que la monarchie engendre une société totalitaire à l’instar de l’Égypte
pharaonique.
Dans le livre des Juges, lorsque le peuple demande à Gédéon, vainqueur
des Madianites, d’être leur souverain, celui-ci répond (Juges 8, 23) : « Ni
moi, ni mes fils ne vous gouvernerons ; Dieu seul doit régner sur vous ».
L a To r a h
Pour Gédéon, si le peuple vit selon les préceptes de la Torah, à quoi bon
la monarchie ?
En fait, la question de la royauté se pose à l’époque de Samuel, quand
les Israélites réclament au vieux sage un roi, « car nous voulons êtres
comme les autres peuples ». Samuel est déçu de la requête, Dieu
confirme aussi cette déception : « ce n’est pas toi qu’ils rejettent mais
Moi. » Le juge obtempère, tout en mettant en garde la nation contre
les abus de pouvoir d’un roi (I Samuel 8), ce qui se confirmera par la
suite. Au fond, Samuel aurait préféré le modèle politique des Juges : une
autogestion tribale chapeautée par un conseil supérieur, la fonction
religieuse restant aux mains des lévites. Sans doute le défaut majeur
de ce système se révélait dans son manque de continuité, alors qu’une
monarchie héréditaire pouvait consolider les acquis du passé, et s’enga-
ger vis-à-vis de tout le peuple aussi bien en temps de crise qu’en temps
de paix. Le roi pouvait aussi influencer l’ensemble de la nation vers le
culte de l’Éternel, pour peu qu’il y adhéra lui-même. Mais le risque souli-
gné par Samuel était double : un abus de pouvoir sur le plan écono-
mique, voire une tyrannie sociale, et un rejet du culte monothéiste au
© Groupe Eyrolles
116
profit des cultes païens ou tout au moins un syncrétisme qui ne bute-
rait pas les peuples environnants. Car en ces temps antiques, politique
et religion restent intimement liées.
Finalement Saül est oint premier roi d’Israël ; mais la royauté atteint son
apogée avec David : il gagne ses combats, vit une foi totale en Dieu, il
Lui compose des psaumes, il gère la nation selon la Torah, si bien qu’il
incarnera l’image du Messie futur. Et pourtant David ne fut pas exempt
de fautes : il cohabita avec Bethsabée et envoya son mari Uri au front
afin qu’il se fasse tuer dans la bataille (II Samuel, 11 et 12). Le grand David
Le règne de Salomon
On aura reconnu en exergue le célèbre jugement de Salomon. Cet
épisode fait suite à la vision que reçoit le jeune prince. Quand l’Éternel
lui demande ce qu’il désire pour régner, il répond : « Donne donc à ton
serviteur un cœur intelligent, capable de juger ton peuple, capable de
distinguer le bien du mal. » Dieu, en appréciant la requête, lui offre en
plus la richesse et la gloire, tout en lui rappelant de toujours se confor-
mer aux préceptes toraïques.
On aurait pu penser que le fils de David inaugurerait le jour de gloire
d’Israël, dans un royaume pacifié avec tous ses ennemis. La renommée
de sa sagesse touche, en effet, les terres les plus lointaines (visite de la
reine de Saba), il préside à la construction du Temple de Jérusalem avec
le Phénicien Hiram, il s’intéresse aux arts, aux sciences. Ne sont-ce pas
là les signes du royaume de Dieu sur terre ?
Malheureusement Salomon tombera dans l’excès et la démesure (ce que
le Deutéronome redoutait). Sa politique de mariages avec des princes-
ses étrangères, pour maintenir la paix des peuples, introduit les cultes
idolâtres dans le pays ; à cela s’ajoute une centralisation monarchique
autour de Jérusalem qui déplaît aux tribus du Nord. Sa volonté de puis-
sance lui fait oublier Dieu et la vocation d’Israël. Ce sera le début de la
fin.
© Groupe Eyrolles
117
À sa mort, le schisme est inévitable entre le royaume du Nord et le
royaume du Sud. L’unité tribale tant recherchée par le patriarche Jacob
n’est plus qu’un rêve pour un avenir meilleur.
Dans la tradition rabbinique, Salomon incarne le roi-philosophe, comme
son père incarnait le roi-poète. Pour souligner sa chute, les sages usent
de cette image :
« Au début Salomon régna sur le monde entier, puis il régna
sur tout Israël, ensuite sur Jérusalem, à la fin il ne régna plus
que sur son bâton. »
Midrach Yalkout Chimoni sur Rois I, 176
118
Le despotisme de Jézabel
Parmi tous les prophètes, Élie (Eliahou) occupe une place singulière dans
la Bible et dans la tradition juive, au point d’être devenu un héros de
légende. Personnage thaumaturge au charisme vigoureux, défiant les
souverains de son temps, il est chanté le samedi soir, à la fin du Chabat
(samedi) dans les familles juives, comme l’annonciateur du Messie, il
est évoqué au jour de la circoncision d’un garçon.
119
L’épreuve du Carmel
Rescapé de cette tuerie, Élie va alors affronter courageusement Achab
et Jézabel. Son courage, Élie le puise dans sa conscience de la présence
de Dieu dans l’Histoire, le seul Roi et le seul Juge de l’univers. Et ce Roi
absolu ne supporte ni la corruption, ni l’injustice. En fait, la royauté des
hommes n’a de sens que si les dirigeants politiques incarnent et intro-
duisent le droit et la justice dans la société ; sinon aux yeux de Dieu, ils
ne sont que des usurpateurs, signant par là leur condamnation. Certes
le règne d’Achab fut, de l’avis des historiens relativement prospère,
malgré la menace assyrienne, mais sa lignée s’éteindra avec la destruc-
tion de Samarie en -722.
Afin de montrer la puissance divine sur les forces de la nature, Élie
demande au ciel de n’envoyer ni pluie ni rosée durant trois ans. Dieu
l’exauce. Mais le cœur de la reine demeure aussi fermé que la voûte
céleste. Élie ne s’avoue pas vaincu et décide de défier les prêtres de
Baal au mont Carmel, qui surplombe la ville de Jaffa. Le défi s’exprime
L a To r a h
à travers une ordalie. Les prêtres de Baal d’abord, Élie ensuite, vont
présenter une offrande d’animaux sur un autel, mais sans les consumer.
Cette combustion sera accomplie par un feu du ciel que chaque acteur
sollicitera de sa divinité.
C’est un Élie déterminé et en colère qui se présente face à une foule
nombreuse, réunie dans l’attente des événements. « Jusqu’à quand
clopinerez-vous sur deux pieds ? Si l’Éternel est Dieu, allez à sa suite, et
si c’est Baal allez à sa suite ; mais le peuple ne répondit nul mot ». Incer-
titude du peuple qui vit dans une double croyance dont il ne perçoit pas
l’incompatibilité.
Les prêtres de Baal commencent leur liturgie, implorant ce feu de la
victoire ; mais rien ne se passe. Les heures s’écoulent et Élie se fait ironi-
que : « Criez plus fort, peut-être dort-il ou est-il parti en voyage ! » Les
prêtres se lacèrent le corps jusqu’au sang ; en vain ! Le tour d’Élie arrive,
il invoque le Dieu d’Abraham, d’Isaac et d’Israël, les trois patriarches,
dans une fervente prière, et là devant la multitude stupéfaite, un feu
descend des hauteurs pour consumer la dépouille animale. Chacun
s’écrit : « L’Éternel est Dieu ! L’Éternel est Dieu ! ». Animé par son zèle reli-
gieux, Élie exige l’élimination des prêtres idolâtres et de leurs escortes,
© Groupe Eyrolles
120
Élie pense avoir gagné le cœur du peuple, il est persuadé que le culte du
Dieu retrouvera sa place dans le pays. Il se trompe. Le peuple ne chan-
gera pas, et Jézabel décidera d’en finir avec ce prophète de malheur.
La réponse de Dieu
Élie constate tristement l’échec de sa mission. Il refuse de demeurer au
milieu d’une nation ingrate et se retire dans le désert du Horeb pour y
réclamer la mort. Il marche sur les traces de son prédécesseur, le grand
121
prochain. Mais Élie peut-il entendre ce nouveau discours, lui qui possède
un tempérament de feu ?
Le retour d’Élie
La tradition rabbinique enseigne que lorsque Élie accusa le peuple d’Is-
raël d’avoir abandonné l’alliance du Sinaï, Dieu lui rappela que l’alliance
de la chair, la circoncision était toujours pratiquée. Dans sa chair, le
peuple d’Israël ne fut jamais infidèle à la mémoire d’Abraham. Consé-
quence de cette accusation, Dieu imposa à Élie d’être présent à toutes
les circoncisions futures des familles juives. Telle est l’origine textuelle
de la chaise du prophète Élie sur laquelle s’assoit le parrain de l’enfant
à circoncire.
Élie quitta ce monde d’une manière grandiose : il fut enlevé, corps et âme,
dans un char de feu. Il ne pouvait en être autrement pour un personnage
qui vivait dans une proximité presque physique avec Dieu. Héros légen-
daire avons-nous dit, Élie va devenir le compagnon de quelques sages et
L a To r a h
Sans doute le plus bel hommage offert à ce zélé, trop zélé de Dieu…
122
Les oracles prophétiques
La première partie du livre des Prophètes dessine comme en une
immense fresque les grandes étapes de l’installation du peuple élu
en terre promise. La seconde partie n’est plus narrative. On y voit
les prophètes s’adresser directement au peuple d’Israël, mais aussi à
d’autres nations voisines. Ces textes, tour à tour fougueux ou plaintifs,
nous font entrer dans l’intimité de la relation qui unit les hommes au
Dieu unique.
123
Parmi tous les prophètes, Isaïe est le plus introduit dans la liturgie
synagogale du samedi et des fêtes, du fait de la grande actualité de son
message. Yichayahou, dont le nom signifie « Dieu sauve », débute sa
vocation dans le royaume du Sud, celui de Juda, vers -746, à la mort du
roi Ozias, et la poursuivra du temps des rois Jotham, Achaz et Ézéchias.
Au huitième chapitre, nous apprenons qu’il est marié à une prophé-
tesse, dont nous ne connaîtrons jamais le nom. Cette épouse mettra
au monde deux fils, aux noms surprenants : « vite au butin, hâtivement
au pillage » et « un reste reviendra ». On peut imaginer la réaction des
gens, quand la mère devait appeler ses rejetons au jardin public ! Bien
entendu, en connaissant la suite de l’histoire, on saisit toute la symbo-
lique prophétique de ces noms. Le premier renvoie à la destruction de
Samarie, en -722, quand les troupes assyriennes de Salmanasar fondront
sur les dix tribus du Nord, massacrant, pillant puis déportant les survi-
vants. Le second nom se réfère à la promesse du retour des exilés de
Judée vers la terre ancestrale, après la destruction de Jérusalem, capitale
du royaume du Sud, en -586. Catastrophe et espérance !
L a To r a h
124
chapitres changent de ton, en décrivant l’ère du Messie. Le Messie
attendu sera un descendant de David, il apportera la paix de Dieu au
cœur des nations, « et les hommes n’apprendront plus la guerre ».
L E M ESSIE
Le Messie, en hébreu machiah, a reçu l’huile d’onction sur la tête afin d’être
distingué des autres hommes pour exercer un pouvoir. Dans la société
hébraïque, il existe deux « oints » : le prêtre (pouvoir religieux) et le roi
(pouvoir politique), c’est de ce dernier dont parle Isaïe. Le judaïsme croit
125
taire sa voix. Alors, sans craindre la riposte du public, Isaïe exprime l’un
des textes les plus puissants de la Bible.
Il commence par dénoncer un culte mécanique, sans âme et sans cœur.
Pire, le jour du jeûne, certains lèvent le poing, insultent leurs voisins.
Mais, surtout, la situation sociale reste inchangée : les riches conti-
nuent de s’enrichir en écrasant les pauvres. Si pour la Bible la richesse ne
fait pas scandale, car elle est bénédiction divine, la pauvreté, elle, reste
toujours scandaleuse. Les hommes auraient-ils oublié tous les appels
à l’équité formulés dans la Torah : « ton frère vivra avec toi » (Lv 25, 36),
« tu ouvriras ta main » (Dt 15, 8 et 11), et tant d’autres ? Dans les cités
judéennes, des hommes ont faim, ont froid, sont spoliés de leurs biens
vitaux. Ici, dans le sanctuaire des hommes jeûnent, se mortifient durant
vingt-cinq heures. Mais que signifie véritablement jeûner ? Quel sens
donner à cette mortification, à cette privation de nourriture et d’eau ?
Une ascèse pour se faire absoudre ? Une privation pour gagner son para-
dis, et être inscrit dans « la livre de la vie » ? Isaïe va balayer cette théorie
L a To r a h
d’un grand revers de manche. Le rituel de Kippour vise une autre fina-
lité : il ne s’agit pas de se faire bien voir par Dieu, mais de bien voir son
prochain nécessiteux.
Le jeûne de Kippour permet, durant une journée complète, de vivre la
condition de l’indigent, d’avoir faim comme lui, soif comme lui. Renver-
sement copernicien ! Le véritable jeûne de l’Éternel, consiste à nourrir
l’affamé, à habiller le nu, à offrir un toit à l’errant de la ville. Pour Isaïe, la
relation verticale avec le Ciel ne peut se couper d’une relation horizon-
tale avec la terre et ses problèmes concrets. Comment l’homme pour-
rait-il obtenir son salut tout seul, en oubliant son frère dans le besoin ?
Tel est le texte qui résonne de génération en génération dans toutes les
synagogues du monde aux oreilles des fidèles, durant ce saint jour.
Certes, il ne s’agit pas pour Isaïe de réformer le judaïsme en supprimant
le jeûne ou d’autres rites. Non, et pour le judaïsme, le rituel restera
toujours central, mais à condition de lui donner son sens plein et entier,
à savoir une prise de conscience de la responsabilité de l’homme vis-à-
vis de l’homme. C’est à l’aune de cette exigence éthique que la religion
pourra parler à tout sujet humain, croyant ou non croyant, puisque la
fraternité sera toujours sauve.
© Groupe Eyrolles
126
Jérémie, lamentations et espérance
Ainsi parle l’Éternel des armées (du cosmos), le Dieu d’Israël, à
toute la diaspora que J’ai dispersée de Jérusalem à Babylone :
Bâtissez des maisons et habitez-les ; plantez des jardins et
mangez-en les fruits ; prenez des femmes et engendrez des
fils et des filles ; prenez des femmes pour vos fils et donnez vos
filles à des hommes ; qu’elles enfantent des fils et des filles ;
multipliez-vous là-bas et ne diminuez pas ! E t recherchez la
par les trois grands prophètes : Isaïe, Jérémie et Ézéchiel, chacun offrant
127
un livre du canon, alors que les discours des douze « petits » prophètes,
d’Osée à Malachie, ne constituent qu’un livre.
Si les qualificatifs « grands » et « petits » ne désignent pas le degré
prophétique des personnages mais le nombre plus ou moins important
de chapitres légués à la postérité, il semble clair que cette répartition
en 3 et 12 n’est pas accidentelle. En fait les maîtres de la Synagogue ont
voulu reproduire le schéma de la Genèse qui parle des trois patriarches
et les douze fils de Jacob à l’origine des douze tribus d’Israël. (L’Église
reprendra cette thématique avec la Trinité et les douze apôtres). Se
dessine là une structure fondatrice qui évoque un socle sur lequel se
construit un édifice religieux pour une communauté de croyants.
Le Talmud (TB Baba Batra 14 b) propose une lecture globale du contenu
des ces trois prophètes : Jérémie est tout entier destruction (car il traite
de la destruction de Jérusalem) ; Ézéchiel est, au début, destruction et,
à la fin, consolation (il commence par la destruction de Jérusalem et
s’achève par la vision du Temple futur) ; Isaïe est tout entier consola-
L a To r a h
128
du Sud, le royaume de Juda, en même temps que la puissante Babylone
supplantait l’Assyrie. Il assista à l’arrivée des troupes de Nabuchodo-
nosor à Jérusalem qui pillèrent dans un premier temps les objets du
Temple, jusqu’à la destruction de la capitale davidique et l’incendie du
Sanctuaire. Son livre des Lamentations dépeint en cinq chapitres déchi-
rants ce qu’a représenté cette grande catastrophe nationale. Ce discours
poignant a donné en français jérémiades.
Pourtant jusqu’au bout Jérémie restera confiant en l’avenir, espérant
que la classe dirigeante, le roi, les juges, ses frères prêtres se ressaisi-
présence des prêtres et d’un peuple nombreux, notre héros porte sur
129
ses épaules un joug, nouveau symbole de la domination babylonienne.
Hanania prophétise que dans deux ans la puissante Babylone tombera
et que les objets du Temple seront rendus. En signe d’assurance, Hana-
nia brise au sol le joug de Jérémie. Ce dernier n’ayant reçu aucun oracle
dans ce sens s’en remet à cette dernière parole, tout en exprimant
quelques réserves au regard de la situation politique. À peine sorti du
Temple, Jérémie reçoit la parole divine qui dénonce les propos fielleux
de Hanania et sa mort dans l’année, pour confirmer le contre-oracle de
Jérémie. Ceci se réalisera (Jr 28).
Cet épisode met en évidence les tensions qui devaient exister entre
les prophètes de cour qui caressait le pouvoir dans le sens du poil,
dénommés « prophètes de mensonge », et les prophètes de l’Éternel qui
prenaient le risque de dénoncer ouvertement les abus des dirigeants.
On comprend alors que Jérémie, perçu comme un trublion, connut les
geôles royales et un risque de lynchage. On pourrait appliquer à cette
situation ce couplet du chanteur Guy Béart : « Ma chanson a dit la vérité,
L a To r a h
L’espérance de Jérémie
Finalement, Jérémie ne fut pas écouté. Lui qui proclama aux dirigeant
du peuple « Servez le roi de Babel et vivez ! » ne trouva que des oreilles
sourdes. Jérusalem et son Temple furent détruits et la population resca-
pée exilée en Babylonie.
Nonobstant la formule talmudique qui n’entend du discours de Jérémie
qu’une longue réprimande, Jérémie annoncera l’après-catastrophe : au
bout de soixante-dix ans, l’Éternel se souviendrait de son peuple et le
ramènerait sur sa terre ancestrale. Jérémie, lui qui dénonça toutes les
failles morales de la société judéenne, qui osa comparer le Temple à
« un repère de brigands » et Israël à une épouse infidèle, voire à une
prostituée, trouva les mots justes pour redonner courage aux déportés.
Que leur disait-il en substance ? De construire des villes, de planter des
vergers, de fonder des foyers, de marier les enfants. En d’autres termes,
la vie ne doit pas s’arrêter sur le passé, aussi tragique fut-il. Jérémie
demande même de prier pour la paix de Babylone, car « par sa paix, vous
aurez la paix. » Cette requête est d’ailleurs à l’origine de la prière récitée
© Groupe Eyrolles
130
aujourd’hui dans les synagogues françaises, nommée « prière pour la
République ».
La promesse du retour se réalisera avec la victoire de la nouvelle puis-
sance perse, Cyrus accordant aux Judéens de son royaume l’autorisation
de construire le second Temple. L’exil ne sonna donc pas le glas d’Israël ;
et telle la graine dans son terreau, une nouvelle germination se prépa-
rait.
131
Après quelques années d’accalmie, la tentative de révolte du roi Joaquim
se retourne en reddition de Jérusalem (-597) suivie de la déportation du
roi et d’une partie des Judéens à Babylone. Sédécias, son successeur,
risquera la même démarche, ce qui entraînera cette fois la destruction
de Jérusalem, de son Temple et une nouvelle déportation en -586.
Les avis divergent de savoir si Ézéchiel fut de la première ou la seconde
vague de l’exil, mais du lieu où il se trouvait, il proposa, comme Jérémie,
la soumission à Babylone, jusqu’à ce que l’orage passe. Sa voix se perdra
dans le désert.
Il reste que l’essentiel de son sacerdoce se déroule en Babylonie dans la
ville de Tel-Aviv (en babylonien « mont de la Tempête », mais en hébreu
« mont du Printemps », nom repris par les fondateurs de l’État moderne
d’Israël). Là, il reçoit ses plus grandes visions : la vision fantastique
du char divin (Merkava) des premiers chapitres ; le siège et la chute de
Jérusalem (Ez 8-11) ; la vallée des ossements desséchés et reconstitués
(Ez 37), la reconstruction du troisième Temple (Ez 40-48).
L a To r a h
Un prophète passionné
Quel prophète biblique n’est pas plus ou moins passionné, voire fanati-
que ? Ce serait faire fi du caractère oriental de ces hommes (ou femmes).
Oui, Ézéchiel, comme Élie ou Moïse, nourrit un amour ardent et illimité
pour son Dieu, et conséquemment pour Son peuple, Sa terre et Son
sanctuaire. Au nom de cet amour indéfectible qui n’appelle nul compro-
mis, le prophète se voit contraint de condamner le peuple infidèle qui
© Groupe Eyrolles
devra connaître la destruction, l’exil avant son retour glorieux ; tel est,
132
par exemple, le sens de la vision des ossements desséchés et ressusci-
tés. La justice divine sonne le châtiment, soit, mais la miséricorde de
Dieu offrira les consolations futures.
Cette passion pour Dieu, Ézéchiel en fait l’expérience dans son âme,
dans son corps ; incontestablement, il somatise. Sa première prophé-
tie entraîne un véritable mutisme de plusieurs jours. Il lui faut alors
consommer un livre tendu par Dieu (Ez 3), comme s’il devait être tota-
lement sevré de la parole divine, avant de pouvoir à nouveau commu-
niquer et agir. Même la mort de sa femme « délice de ses yeux » (24,
133
des fautes d’Israël n’auront d’égal pour notre héros que la force de la
consolation, quand le char divin regagnera son ultime sanctuaire dans
une Jérusalem reconstruite. Passion pour passion, c’est la passion de la
consolation qui clôt le livre.
Responsabilité individuelle
Plus que tout autre prophète, Ézéchiel met l’accent sur la responsabilité
individuelle face à la loi divine : « Le fils ne portera pas la faute du père
et le père ne portera pas la faute du fils ».
À son époque, une autre doctrine, populaire celle-là, circule dans les chau-
mières. On répétait « les pères ont mangé des raisins verts et les dents
des enfants ont été agacés », ce qui signifiait que les enfants payaient
pour la faute des parents. Le peuple pouvait se sentir moins coupable
en faisant remonter la faute aux générations antérieures. Ézéchiel refuse
catégoriquement cette conception de la transmission des péchés. Pour
lui, chaque nouveau-né possède un casier judiciaire vierge devant le Ciel.
L a To r a h
134
Osée, le mari qui espérait l’être
Je lui ferai expier ces jours où elle encensait les dieux Baal,
où, parée de ses joyaux et de ses atours, elle courait après ses
amants et moi, elle m’oubliait ! dit l’Éternel. C’est pourquoi
Je veux la regagner, en la conduisant dans la solitude, et là
Je parlerai à son cœur. Là Je lui rendrai ses vignobles, et la
Vallée du Malheur deviendra comme la Porte de l’Espérance.
Elle y entonnera des chants comme aux jours de sa jeunesse,
comme au temps où elle sortit du pays d’Égypte. À cette
135
dans l’histoire, le culte des forces instinctuelles s’accompagne d’injus-
tices sociales, le riche s’enrichissant encore, et les pauvres s’appauvris-
sant toujours.
Le Dieu d’Israël se retrouve seul, oublié des descendants des Hébreux
qui avaient pourtant proclamé en recevant le Décalogue : « Nous accom-
plirons et nous écouterons » (Ex 24, 7). Mais point d’accomplissement et
point d’écoute. Osée traîne sa douleur au milieu de son peuple, ressen-
tant en son âme une saumâtre amertume : l’amertume même de Dieu.
Comment réveiller la foi d’Israël qui, pour la Bible, n’est pas un don
divin, mais une expression de la bonne volonté humaine ? Comment
réaliser cette requête oséenne : « Reviens, ô Israël, jusqu’à l’Éternel ton
Dieu, car tu as trébuché par ton iniquité » (14, 2) ?
Dieu va proposer une solution : marier son prophète.
Israël ». Qui dit premier-né, dit d’autres enfants. Ces enfants sont les
136
soixante-dix nations nées à Babel ; et Israël consacré par l’aînesse devra
assumer la morale exigeante de la Révélation en tant que « nations de
prêtres » (Ex 19, 6).
Créateur, Roi, Père, les attributs divins auraient pu en rester là. C’est
oublier l’intimité qui relie Dieu et Israël, une relation maritale. Si cette
relation transparaît chez d’autres prophètes, avec Osée, elle occupe
la centralité de son discours, puisqu’elle traduit son existence même.
Dieu, le mari et Israël, l’épouse. Entre eux, la même formule qualifiant la
relation originelle entre l’homme et la femme : « aide en vis-à-vis ». Un
Miroir du peuple
Osée marche dans les rue de Samarie avec Gomer, connue pour son
passé aventureux, précédés de leurs trois jeunes garçons aux noms
outranciers, que l’on rappelle quand ils s’éloignent trop. Ce mariage
bien réel exhale pourtant une aura d’allégorie. Les gens parlent, les
conciliabules vont bon train : que fait le prophète, le saint de l’Éternel,
avec cette femme aux amants multiples ? Et pourquoi avoir choisi de
tels noms pour leurs enfants, l’histoire juive en offre de plus beaux et
de plus célèbres ? Aujourd’hui un tel couple alimenterait la voix people !
La réponse se trouve dans le scandale même de ce mariage : Osée vit la
condition de Dieu ; le couple est le miroir d’Israël.
Voilà donc à quoi se trouve réduit le puissant Dieu d’Israël ? À la condi-
tion d’un mari trompé, bafoué, humilié par une nation, épouse infidèle,
qui va satisfaire ses désirs auprès de ses amants, de ses idoles, de ses
Baal ?
Dans la Bible, prostitution et idolâtrie se ressemblent. Dans le livre des
Nombres (15, 39) un verset traduit mot à mot le prouve : « et vous ne
vous détournerez pas après vos yeux et après votre cœur par lesquels
vous vous prostituez ». La même pulsion habite l’idolâtre et le libidineux
que l’histoire des sectes mettra d’ailleurs en évidence.
Humilié le prophète, bafoué Dieu, et au peuple de comprendre la
déchéance de sa trahison. Les noms des fils annoncent alors un bien
© Groupe Eyrolles
sombre avenir.
137
La vallée de Yizréël (Jezréel) évoque le crime abject de la reine Jézabel,
la femme d’Achab, qui mit à mort l’innocent Nabot pour lui voler sa
vigne (I Rois 23), ainsi que l’inconduite du roi Jéhu qui maintint le culte
du Baal dans le royaume d’Israël (II Rois 9-10). « Non-Aimée » et « Non-
Mon-Peuple » expriment quant à eux l’écœurement de ce Dieu exclusif
qui souffre que Son amour ne soit pas réciproque. Il est vrai que le Dieu
biblique est divinement passionné.
Mais ici encore après la réprimande cinglante, le prophète laisse entre-
voir des jours meilleurs. Jouant sur le mot Baal, la divinité cananéenne,
et sa signification hébraïque de « possesseur », Osée dépeint de nouvel-
les fiançailles entre Dieu et Israël : « En ce temps, tu m’appelleras Mon
époux (Ich), mais tu ne M’appelleras plus mon possesseur (Baal). » L’épo-
que messianique ? Les jours de l’amour en vérité.
Un récit surprenant
Dans la série des douze « petits » prophètes, le livre de Jonas occupe une
place singulière. Les quatre chapitres de ce « suspens biblique » nous
© Groupe Eyrolles
12. Paru dans Tribune juive de septembre 2000, le texte est ici remanié.
138
présentent un prophète qui fuit sa mission, qui refuse d’écouter Dieu,
qui n’hésite pas à se cacher au fond d’un bateau et qui au terme de sa
tâche se permet de réprimander son Créateur, jugé trop clément à ses
yeux. Ni Moïse, ni Job n’étaient allés aussi loin dans la contestation.
Sans doute, l’élément le plus pittoresque se trouve mentionné au chapi-
tre 2, quand Jonas va passer trois jours dans le ventre d’un poisson, que
la tradition populaire affirme être une baleine. Le texte surprend si bien
que les maîtres les plus orthodoxes y verront une allégorie sur le rapport
entre Israël et les nations, et sur la valeur du repentir. C’est en raison
La fuite de Jonas
Dieu s’adresse à Jonas et lui demande de partir à Ninive, capitale de l’As-
syrie, du fait de la méchanceté des habitants qui a atteint son comble.
Invariance biblique : l’Éternel ne peut rester indifférent à la haine, à la
violence, à l’injustice, à l’exploitation des pauvres et des faibles. Tout se
passe comme si le mal s’accumulait au fil des infractions jusqu’à former
un amoncellement de malices, finissant par rejoindre le trône divin.
On se souvient de la violence des contemporains de Noé qui périront
dans le déluge (Gn 6, 13), ou des fautes répétées des Sodomites qui
entraîneront un autre déluge, de feu et de souffre (Gn 19, 24). Même la
conquête de Canaan est justifiée par les abominations des Cananéens
(Lv 18, 26 à 29). Dieu est patient, mais Sa patience connaît des limites,
quand les sociétés atteignent à Ses yeux des points de non-retour.
Dieu se choisit donc un prophète pour mettre en garde les Ninivites, les
invitant à revenir de leurs mauvaises conduites, à faire téchouva, c’est-
à-dire à réaliser un authentique retour moral. Somme toute, c’est bien là
la fonction prophétique ! S’il peut décrire des visions d’avenir, dépeindre
les temps eschatologiques, le rôle du prophète consiste d’abord à dire
© Groupe Eyrolles
139
un oracle, le prophète agit en tant que contre-pouvoir dans la cité afin
d’y proclamer les principes moraux de l’Éternel, ici et maintenant.
Jonas ne l’entend pas de cette oreille. Et sans aucune justification, l’ap-
pelé s’enfuit. Il descend vers le port de Jaffa, et s’embarque pour Thar-
sis, un ancien port de Cilicie (en Turquie actuelle). Pense-t-il que le Dieu
du ciel et de la terre n’est pas aussi Celui de la mer ? La tempête qui se
déchaîne va vite lui servir de leçon. Mais alors qu’une panique générale
s’empare de l’équipage, Jonas ne trouve rien de mieux à faire que de
descendre en fond de cale pour dormir. Sommeiller, quand les mate-
lots tentent de regagner le rivage ; rêver, quand les marins se battent
physiquement contre les flots déchainés ; s’oublier, quand des bate-
liers, autant par esprit de survie que par solidarité, œuvrent ensemble
pour sauver leur existence. Épuisés, les matelots se tournent alors vers
le Ciel, chacun invoquant son dieu.
Une coutume ancienne conseille un tirage au sort pour connaître le
coupable. Le sort désigne Jonas (on croit entendre la comptine « Il était
L a To r a h
un petit navire »). Découvert dans sa sombre cachette, il est sommé par
le capitaine de décliner son identité. Et là, Jonas révèle à la cantonade
ses origines « Je suis Hébreu, et je crains l’Éternel qui a fait les cieux et
la terre, et certes, je suis la cause de ce malheur car je me suis enfuis
de devant Lui. » Le groupe est retourné par cette déclaration, mais leur
surprise atteint son comble quand Jonas déclare : « Jetez-moi à la mer
pour que la mer se calme ». Non sans hésiter, les marins obtempèrent,
et les eaux retrouvent leur calme d’huile. Les compagnons de fortune
offrent alors des sacrifices au Créateur de l’univers. Une conversion au
monothéisme ? En tout cas, après la déclaration de Jonas, le texte ne les
appelle plus « marins » mais « hommes ».
De la mer à Ninive
Pendant ce temps, Jonas se retrouve avalé par un poisson (le texte ne
dit jamais baleine) dans le ventre duquel il passe trois jours. Du fond des
mers, le prophète exprime un psaume émouvant où il reconnaît la toute
puissance divine. Subjugué (ou submergé) par cette puissance, accepte-
t-il enfin d’assumer sa mission ?
© Groupe Eyrolles
140
Vomi sur la terre sèche, l’Éternel lui parle une seconde fois, et là Jonas
se met en marche vers la capitale assyrienne. Autant son discours est
prolixe dans les entrailles de l’animal, autant ici son oracle se réduit,
en tout et pour tout, à cinq mots qu’il répète peut-être en boucle : Od
arbaïm yom véninvé néhépa’het. « Encore quarante jours, Ninive retour-
née ». Jonas fait mouche : le roi de Ninive quitte son trône s’habille d’un
cilice, décrète un jeûne pour les hommes et les animaux. Ce troisième
chapitre s’achève par ces mots : « Et Dieu constata leurs comportements
qu’ils revenaient de leurs mauvaises conduites, et Dieu se ravisa du mal
L’ombre de Noé
Quelles pistes nous ouvrent ce récit ? Tout d’abord, il veut mettre en
garde contre l’intransigeance religieuse incarnée par Jonas. En hébreu
son nom complet est évocateur Yona ben Amitaï, « Colombe fils de mes
Vérités ». Jonas se prend peut-être pour la colombe blanche, symbole
de pureté et d’innocence ; et qui plus est, attaché aux vérités d’Israël
qui font que les autres peuples, surtout s’ils sont des ennemis jurés,
n’existent pas. Or Dieu oblige Jonas à partir au milieu des pécheurs afin
© Groupe Eyrolles
qu’ils se repentent.
141
Mais Jonas, Yona, « Colombe » nous fait penser à une autre colombe :
celle que Noé envoie depuis son arche pour savoir si les eaux du déluge
ont diminué. Pourquoi ce déluge ? Car « l’Éternel se ravisa d’avoir fait
l’homme » du fait de la méchanceté de son cœur (Gn 6, 6). Noé entend le
verdict et construit son arche, « sans verser une larme » dit un midrach.
Mais Dieu veut-il la mort du pécheur ? Par ailleurs, le prophète Ézéchiel
(18, 23) n’a-t-il pas proclamé au nom du Ciel : « Je ne désire pas la mort
du pécheur mais qu’il revienne vers Moi et qu’il vive ».
Ici Dieu essaye une nouvelle stratégie de salut : choisir un émissaire
pour faire revenir les pécheurs, et le verset de confirmer « Dieu se ravisa
du mal qu’il avait voulu faire, et Il ne le fit pas». Dieu se ravise dans
l’autre sens comme si le récit de Jonas se présentait en contre-récit du
déluge. On remarquera d’ailleurs que dans ce texte, personne ne périt,
ni homme, ni animal, alors que le déluge recouvre l’humanité et les
bêtes.
Jonas aurait dû être un nouveau Noé plus compréhensible qu’il ne sera
L a To r a h
142
dit l’Éternel des armées. Souvenez-vous de la Loi de Moïse,
Mon serviteur, à qui J’ai signifié, sur le Horeb, des statuts et
des ordonnances pour tout Israël. Or, Je vous enverrai Élie,
le prophète, avant qu’arrive le jour de l’Éternel, jour grand
et redoutable ! Lui ramènera le cœur des pères à leurs
enfants, et le cœur des enfants à leurs pères, de peur que Je
n’intervienne et ne frappe ce pays d’anathème.
Malachie 3, 20-24
143
Nous ne savons rien de la vie de ce prophète hormis que son ministère
se déroula après la construction du second Temple de Jérusalem, vers le
cinquième siècle avant l’ère chrétienne. Certains rabbins du Talmud ont
vu en Malachie l’autre nom d’Esdras, le grand organisateur du culte au
retour de l’exil. Selon l’exégète espagnol Abraham ibn Ezra (voir page 48)
rien ne prouve cette allégation.
Nous retiendrons des trois chapitres que nous lègue Malachie, quelques
leçons qui rendent l’esprit de ce prophète.
Pire, chacun proclame « il n’y a pas de mal ! ». Devant cet irrespect géné-
ralisé de Dieu, le prophète va présenter un argument choc : « Du lever au
coucher du soleil, Mon nom est grandi parmi les nations, et en tout lieu
on présente à Mon nom un encens fumant. »
Mais le peuple d’Israël n’est-il pas présenté comme le seul monothéiste
dans cet univers antique polythéiste ? La guerre des prophètes ne fut-
elle pas menée contre les faux dieux ? Que veut donc dire Malachie ?
L’aide d’exégètes traditionnels nous sera utile. Rachi tout d’abord
glose :
« Même l’idolâtre sait qu’il existe un Dieu au-dessus de ses
divinités, aussi lorsqu’il présente son offrande à son dieu, son
intention n’est pas éloignée du Dieu un. »
144
Pour Malachie, cette simple intention occultée, associée à la ferveur qui
se dégage des temples païens, suffit d’argumentaire contre la paresse
d’Israël.
Abraham ibn Ezra, déjà cité, présente deux interprétations différentes
mais singulières :
« L’Éternel déclare : si Je demandais aux nations païennes de
M’offrir des sacrifices honorables accompagnés d’encens, Je
suis certain qu’elles le feraient avec abnégation écoutant Ma
Il est clair pour Abraham ibn Ezra que les idolâtres restent des idolâtres ;
il suffirait cependant que l’Éternel se révélât à eux pour que ces derniers
concurrencent haut la main la froide religiosité des Judéens. Raisonne-
ment par l’absurde qui pourrait fonctionner, avant d’ajouter cette expli-
cation entendue de la bouche d’un sage espagnol :
« L’Éternel envisage que tous les rites idolâtres opposés
pourtant à Sa propre révélation sont à considérer comme
si les nations, du lever au coucher du soleil, ne servait que
Dieu. »
145
De Moïse à Élie
Le conflit des générations est évoqué par Malachie en conclusion de son
discours. Rien ne garantit qu’un enfant suive les traces de ses géniteurs.
Déjà la Bible présente Abraham en personnage extraverti contre l’intro-
version de son fils Isaac. L’interprétation psychanalytique de la ligature
d’Isaac (Gn chap. 20) s’entend d’ailleurs comme le dépassement d’une
rivalité latente entre le père et le fils.
Malgré ce conflit toujours possible entre les parents et les enfants, entre
les rationalistes et les mystiques, entre les anciens et les modernes, « la
Torah de Moïse » ne doit pas être oubliée. Elle constitue « l’héritage de la
maison de Jacob » (Dt 33, 4), le bien le plus précieux d’Israël.
Pour les sages (Midrach Dévarim Rabba), cette désignation « Torah de
Moïse », et non « Torah de l’Éternel », honore le grand prophète : « la
Torah est nommée de celui qui a investi toute son âme pour la recevoir ».
La leçon mérite d’être méditer en chaque génération. Bien entendu ce
souvenir de la Torah de Moïse ne signifie pas rester prisonnier du passé
L a To r a h
146
Chapitre 4
Kétouvim ou
le livre des Écrits
© Groupe Eyrolles
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
Tandis que la Torah de Moïse reprend en grandes parties les « mots »
mêmes de Dieu, tandis que le livre des Prophètes se compose des hauts
faits d’Israël et des oracles prophétiques, le livre des Écrits donne une
plus grande part aux mots des hommes, certes inspirés par Dieu. Si le
degré d’inspiration divine reconnue aux Écrits est moindre que celui des
deux livres précédents, poésie et sagesse confèrent à ces textes en prise
avec la réalité quotidienne une place toute particulière dans la lecture
personnelle et collective des croyants.
Notons que dans ce chapitre, dans un souci d’organisation, nous n’avons
pas respecté l’ordre chronologique des livres (voir page 37).
149
Les Psaumes
Psaume de David. L’Éternel est mon berger, je ne manquerai
de rien. Dans de verts pâturages, il me fait camper, il me
conduit au bord d’eaux paisibles. Il restaure mon âme, me
dirige dans les sentiers de la justice, en faveur de son nom.
Dussé-je suivre la sombre vallée, je ne craindrais aucun
mal, car tu es avec moi. Ta houlette et ton bâton sont ma
consolation. Tu dresses la table devant moi, à la face de mes
ennemis ; tu parfumes d’huile ma tête, ma coupe est pleine
à déborder. Oui, le bonheur et la grâce m’accompagneront
ma vie durant, et j’habiterai de longs jours dans la maison
du Seigneur.
Psaume 23
L a To r a h
De Moïse à David
Le livre des Psaumes est associé à la figure du roi David. Bien que l’on
y trouvât d’autres noms d’auteurs (Moïse, Salomon, Assaf, …), le grand
roi d’Israël y a laissé une empreinte indélébile. Face au guerrier qu’il fut
durant une bonne partie de son existence, l’image du souverain compo-
sant sur sa lyre des louanges à l’Éternel l’a emporté dans la ferveur
populaire.
Le livre des Psaumes ou Téhélim est traditionnellement divisé en cinq
livres, comme la Torah. La Bible ne contient donc pas un, mais deux
pentateuques. Comment expliquer ce choix de la Synagogue ? Il vise
à souligner la complémentarité de la vocation de Moïse et de celle
de David. Si le premier fait descendre la parole de Dieu au milieu des
hommes, David fait monter la prière de l’homme jusqu’au trône de
Dieu. Aucune parole divine n’est mentionnée dans le livre. Si Moïse
inaugure la dimension du maître, David initie la conduite du chantre,
si bien que l’étude et la prière constitueront deux piliers fondateurs de
la foi d’Israël.
Ce double mouvement du ciel vers la terre et de la terre vers le ciel se
© Groupe Eyrolles
150
débute en citant le nom de Dieu, « Élohim », qui crée les cieux et la terre,
et se termine par « Israël », peuple témoin des hauts faits de l’Éternel en
Égypte. Quant aux Psaumes, il commence par « heureux l’homme » et
culmine par un alléluia, un « louez Dieu », chanté au rythme des instru-
ments de musique du Temple.
Ces 150 psaumes ont ceci de particulier qu’ils expriment les états d’âme
du psalmiste, auquel tout lecteur peut s’identifier : la joie, l’euphorie,
la sérénité, le doute, la colère, l’impatience, la gratitude, la confiance, la
contemplation, l’étonnement, la curiosité, la méditation, la haine, l’es-
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
poir, l’amour… Ces sentiments jaillissent de situations aussi nombreu-
ses que variées : le psalmiste pourra se trouver au milieu des pèlerins
montant à Jérusalem ou face à un groupe de moqueurs ; devant une
nature chatoyante ou dans l’esseulement d’une chambre à coucher.
Pour dire sa foi, l’auteur restera ici purement descriptif, alors que là le
mode liturgique l’emportera ; parfois des souvenirs personnels ou ceux
de la nation l’enivreront, alors que d’autres moments lui feront entre-
voir un avenir proche ou eschatologique. Toutes ces modalités, toutes
ses couleurs font du Téhélim un livre à vivre autant qu’un livre à lire.
Un berger personnel
Le psaume 23 est lu à la synagogue le vendredi soir, à l’office de l’ac-
cueil du Chabat. Il décrit dans un langage allégorique le rapport entre
l’homme et son Dieu : l’Éternel est mon berger. Ce lien d’appropriation
sous-entend que l’homme se compare à une brebis ou un agneau.
Appartient-t-il à un troupeau ? Est-il l’unique bête, comme dans la para-
bole du prophète Nathan (II Samuel 12) ? Quelle que soit la réponse, il
ressent la proximité de son maître. L’auteur joue même sur le mot roï
« mon berger » qui se rapproche de réï « mon ami ».
Le pasteur idéal ne peut se réduire à un gestionnaire d’une totalité
grégaire, au seul souci de rentabilité, mais il est le pasteur attentif de
chacune des vies à sa charge.
Quand Dieu parle au Sinaï, Il n’adresse pas le Décalogue à tout Israël,
mais à chaque membre du peuple. Au lieu du vouvoiement, l’Éternel
tutoie chacun : « Je suis l’Éternel, ton Dieu » ; et cette relation person-
© Groupe Eyrolles
151
de cette grandiose théophanie – homme, femme, jeune, adulte ou
vieillard – reçoit de la sorte une communication à la mesure de sa capa-
cité d’écoute. Dieu est le berger de chacun.
Par-delà le manque
Conscient de recevoir l’amour de Dieu, le psalmiste chante son berger
qui le guide à travers les vicissitudes de l’existence, et l’autorise à dire
« je ne manquerai de rien ». La condition humaine par nature porte le
manque à combler. Sans air, sans nourriture, sans amour, le bébé ne
peut survivre, il ne peut se développer dans son corps et dans son esprit.
Lorsqu’il sera plus grand, les choses ne changeront pas, sauf que les
sollicitations, et donc les manques à combler, se multiplieront.
Le verset peut s’interpréter au moins sur deux niveaux (il en existe une
infinité selon la tradition). Tout d’abord, Dieu pourvoit aux carences.
Le Créateur est l’Être qui donne ; la créature, l’être qui reçoit. Le psal-
miste exprime une conviction profonde : Dieu ne peut abandonner Ses
L a To r a h
152
La foi dans l’épreuve
À partir du verset 2, le psalmiste décrit sa condition de brebis de Dieu.
« Il me conduit dans les verts pâturages », voici pour calmer la faim ; « Il
me fait reposer près des sources calmes », voilà pour étancher la soif ;
la vie s’écoulant dans une atmosphère sereine, reposante, édénique. « Il
restaure mon âme » : le poète est en chalom – autant en paix avec toutes
les parties de son être qu’en plénitude, loin des tentations illusoires de
la ville.
Pour autant, la Bible ne se situe pas du côté de la vie tranquille. Elle
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
décrit pour chaque personnage ses épreuves, ses faiblesses, ses ratés.
Ici le côté obscur se nomme « la vallée ténébreuse ». Les rabbins, jouant
sur le mot tsalmavet « ténèbres, obscurité », le décomposent en tsel
mavet « vallée de l’ombre de la mort ». Là où la lumière s’absente, la
mort se présente. Cette vallée obscure sur laquelle plane une pénombre
mortifère peut se référer aux épreuves de la vie : pertes, dépressions,
découragements, échecs familiaux, professionnels, personnels, mais
aussi haines, violences, conflits.
Pour le psalmiste, ces nuages d’épreuves n’assombriront pas le ciel de sa
foi, car « Tu es avec moi ». Foi du charbonnier ou état de conscience qui
rend relative toute épreuve endurée ? Quelle que soit la nature de cette
vallée ténébreuse, le psalmiste ne désespère pas, car il se sait conduit
par l’Éternel. « Ton bâton et ta houlette me guident ». Le bâton permet
de chasser les animaux sauvages, la houlette guide le troupeau qui
risque de s’égarer. L’agression peut provenir de l’extérieur de l’homme,
comme elle peut jaillir de son for intérieur. Dieu sera alors le rempart
contre ces deux dangers.
L’hôte de Dieu
À partir du verset 5, l’allégorie change de ton. « Tu dresses la table devant
moi ». Le psalmiste n’est plus comparé à une brebis mais à un convive
(humain), attablé en présence du Seigneur. Il reçoit d’ailleurs l’accueil
que l’on accordait à tout voyageur dans la cité hébraïque : un repas, une
coupe de vin et même un peu d’huile parfumée que l’on versait sur les
pieds et les cheveux de l’hôte.
© Groupe Eyrolles
153
Protégé par Dieu, il se sent fort face à ses adversaires. Qui sont donc
ces ennemis qui reviennent sans arrêt dans le livre des Psaumes ? Les
méchants, les iniques, les médisants, les blasphémateurs… ; le psau-
tier connaît plus d’une centaine de noms pour qualifier ces adversaires.
Certes, David connut de nombreux rivaux qui voulurent attenter à sa
vie ; citons le roi Saül, jaloux de la victoire de ce jeune berger qui terrassa
Goliath, ou encore Absalon, le propre fils du souverain qui déclara la
guerre à son père pour s’emparer du trône. Mais il semble qu’il faille
aller plus loin dans l’analyse en s’immergeant au cœur du discours bibli-
que pour se rendre compte d’un conflit plus profond qui exclut toute
nuance, tout compromis et toute compromission.
Dans cette vision, l’histoire se divise en deux camps : celui du bien et
celui du mal. Les tenants de ce duel sans merci sont le juste (tsadik)
et l’impie (racha). Le premier assume la parole divine qui délimite les
frontières du bien, le second se rebelle, définissant par là le cadre du
mal. Le premier se veut collaborateur de Dieu, le second veut vivre sa
L a To r a h
vie à la mesure de son désir. Le premier aiguise son être à l’aune d’une
éthique exigeante, le second ne recherche que sa propre satisfaction,
en niant toute valeur pérenne à la morale. L’un et l’autre ne peuvent
coexister ensemble. Tels sont les protagonistes qui s’affrontent dans ce
livre de louanges, avec cette conviction de l’auteur : le méchant finira
dans le néant, dans les ténèbres qu’il aura lui-même tissées, alors que
le juste se retrouvera à la table de Dieu pour le festin final qui marquera
le triomphe du bien.
Pour arriver à ce repas ultime, l’auteur doit réussir son existence ce qui
signifie parvenir à une mutation, à une sorte de métamorphose anti-
kafkaïenne : de brebis, le héros doit devenir homme, de nature humaine
il doit assumer son image divine qui le fera grandir aux yeux de Dieu
autant qu’à ses propres yeux.
Ce psaume est récité à l’entrée du Chabat, jour de repos et de vie spiri-
tuelle intense après six jours de labeur. Dans le monde économique,
l’homme aura toujours besoin de l’aide du Ciel pour trouver sa pitance
et sa subsistance. Au jour du Chabat, la question économique de l’avoir
s’estompe devant une question plus essentielle : savoir être. Pour le
psalmiste, cela signifie accéder au niveau supérieur de son humanité,
© Groupe Eyrolles
154
Job, le juste souffrant
L’Éternel répondit à Job du sein de la tempête et dit : « Quel
est celui qui dénigre les desseins de Dieu par des discours
dépourvus de sens ? Ceins donc tes reins comme un homme :
Je vais t’interroger et tu m’instruiras. Où étais-tu lorsque Je
fondais la terre ? Dis-le, si tu en as quelques connaissances.
Qui a fixé ses dimensions, si tu le sais, ou qui a tendu sur elle
le cordeau ? Sur quoi sont assis ses piliers, ou qui a lancé sa
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
pierre angulaire, tandis que les étoiles du matin chantaient
en chœur, et que tous les fils de Dieu poussaient des cris de
joie ? Qui a fermé la mer avec des portes, quand elle sortit
jaillissante du sein maternel, quand Je lui donnai la nuée
pour vêtement et une brume épaisse pour langes ; quand Je
brisai son élan par mes barrières et lui posai des verrous et
des portes, et que Je lui dis : “Jusqu’ici tu viendras et non au-
delà : ici s’arrêtera l’orgueil de tes flots“ ? »
Job 38, 1-10
Un poème universel
Job, le héros du livre qui porte son nom, est un célèbre inconnu13. Ni le
livre ni son auteur ne peuvent être situé dans l’espace ou dans le temps.
Certains maîtres du Talmud attribue son écriture à Moïse (Traité Baba
Batra 14b) ; d’autres sages déclarent : « Job n’a jamais existé ni n’a jamais
été créé, il s’agit d’une pure allégorie » (idem 15a).
Dans cette allégorie, le héros mystérieux n’est ni judéen, ni israélite,
mais iduméen (d’Arabie). En revanche, le premier verset souligne ses
vertus : « il était intègre et droit, craignant Dieu et évitant le mal. » Ce
juste est livré au bon vouloir du Satan qui, sans être le diable ou Lucifer,
que la Bible ne connaît pas, devra selon l’ordre de l’Éternel épargner la
vie du juste.14 Job perdra successivement ses biens, ses enfants, sa santé,
13. Nous nous inspirons pour cet article de notre travail de traduction du livre d’Yéshayahou
Leibowitz, Les Fêtes juives, Éd. du Cerf, Paris, 2008.
© Groupe Eyrolles
14. Dans la Bible, Satan dont le nom signifie « incitateur » est un ange de Dieu qui éprouve les
hommes dans leur foi. Dans l’idéal, le rôle du Satan est d’être vaincu par le croyant.
155
au point de se jeter sur un tas de cendre, grattant ses plaies purulentes
avec un tesson. Cette souffrance permet d’évoquer la question la plus
brûlante sans doute de la foi monothéiste : celle du mal, et son corol-
laire : la justice divine.
Or, nous, lecteurs, savons dès le verset inaugural que cette thèse ne
tient pas puisque Job est déclaré juste par Dieu, ce qu’Il confirmera de
nouveau à la fin du livre.
Avant la manifestation divine, Élihou intervient. Il admet que la souf-
france de Job ne trouve pas sa cause dans une faille quelconque du
personnage. Pour autant, il n’accepte pas le ton accusateur de Job à
l’encontre de Dieu car, ce faisant, il oublie l’amour divin à la source de
toute existence. Dieu pourrait-Il exclure l’homme de cet amour infini ?
Pour Élihou, l’amour de l’homme pour Dieu ouvrirait un autre regard sur
la souffrance et répondrait à l’amour de Dieu pour l’homme.
Job ne répliquera pas à cet argument mystique. L’amour de Dieu emplit
le monde, soit ! Mais à l’échelle humaine une souffrance reste objecti-
vement une souffrance !
Job revendique
Le livre surprend par les revendications intempestives de Job, mais
surtout par son côté irrévérencieux envers le Ciel. L’audace de Job
deviendra légendaire. Notre héros commence par maudire le jour de sa
© Groupe Eyrolles
naissance. Puis, par une série de débats jusqu’à la fin du chapitre 27, la
156
discussion devient plus profonde. Il cesse de crier contre l’injustice de
son âpre destin, car il apparaît progressivement à Job que l’essentiel de
son tourment ne réside pas dans sa souffrance, mais dans son incapa-
cité à en comprendre le sens. Le ton change. À la limite, Job serait prêt à
accepter l’injustice comme un élément du fonctionnement de l’univers, à
condition d’en saisir la raison, car l’incompréhension est insupportable.
Job pense qu’il peut saisir cette raison puisque Dieu a doté l’homme
de l’intelligence. Cette intelligence s’exprime dans la domination de
l’homme sur la nature : la technique, l’extraction de matériaux, les
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
barrages fluviaux, la fertilisation des déserts, la construction des
maisons, etc. Pourtant cette intelligence de maîtrise ne résout pas la
question essentielle du sens de l’existence. À partir du chapitre 28 et
jusqu’au chapitre 31, Job porte encore de graves accusations contre
Dieu, non plus au sujet de sa propre souffrance, mais au sujet de la
dissimulation par le Créateur du sens profond de la vie. Voilà pour Job la
plus grande injustice divine. Et l’homme en colère entend bien recevoir
une réponse.
L’intervention de Dieu
Finalement, Dieu consent à se révéler, mais nulle réponse ne sera audible.
Pire, aux questions de l’homme, Dieu répond par d’autres questions
mentionnées dans notre citation : « Où étais-tu lorsque Je fondais la
terre ? » En guise de réponse, Dieu ne fait que décrire le monde tel qu’il
fonctionne, depuis le ciel jusqu’à la terre, depuis les astres jusqu’aux
différentes formes de vie, sans jamais en donner le moindre sens. En
présentant son univers, Dieu semble dire à Job : « Voici Mon monde,
à toi de décider si tu acceptes de Me servir et de M’aimer dans ce
monde-là. »
Dès lors, Job établit un nouveau rapport à Dieu, passant d’un rapport
utilitariste à un service de Dieu désintéressé.
L’épreuve de Job peut s’exprimer ainsi : si l’homme était privé des sour-
ces de bonheur que chaque humain, en tant qu’être humain, attend de
la vie (la santé, la famille, la richesse, l’honneur, etc.), servirait-il Dieu
avec amour ? Accepterait-il avec humilité de se situer en face-à-face
© Groupe Eyrolles
157
La tradition juive parle de deux dimensions de la religion : le culte inté-
ressé et le culte désintéressé. Dans le premier cas, l’homme attend du
Ciel ses bénédictions, des plus matérielles aux plus spirituelles. Dans
le second cas, l’homme n’espère rien de Dieu ; quelles que soient les
circonstances, « même s’il devait apprendre que les portes du paradis
devaient lui être fermées » (selon la formule de Baal Chem Tov (1698-
1760), fondateur du mouvement hassidique), il aime Dieu d’un amour
infini. À la fin du livre, Job le juste est devenu encore plus juste, car le
tissu de son existence est fait de cette nouvelle étoffe de la foi.
que tes seins soient pour moi comme des grappes de vigne,
et l’arôme de tes narines comme celui des pommes ; et ton
palais comme un vin exquis, qui coule doucement de mon
bien-aimé et rend loquaces même les lèvres assoupies ? Je
suis à mon bien-aimé et mon bien-aimé est à moi. »
Cantique 7, 7-11
La chair et le canon
Le Cantique des cantiques apparaît de prime abord non seulement
comme une œuvre profane mais, qui plus est, charnelle et voluptueuse.
Comment alors expliquer son introduction dans le canon biblique ? En
admettant même, ce qui est très probable, que les maîtres du Talmud
l’aient considérée comme une allégorie, le risque de n’y voir qu’un
poème érotique en est-il écarté pour autant ? Quelle que soit la pureté
des intentions de l’auteur, l’élévation religieuse de sa pensée, quelle
que soit la beauté du sens ésotérique dissimulée dans le contenant,
celui-ci reste criant de la hardiesse de ses images. Une allégorie dont
© Groupe Eyrolles
l’intention profonde ne se révèle pas une seule fois dans tout le rouleau
158
risque de rester incomprise, tout au moins pour le commun des fidèles.
Or ce Cantique des cantiques est lu au moins une fois l’an, lors de la
fête de Pessah (Pâque), et dans les communautés sépharades (orienta-
les) chaque vendredi soir pour l’accueil du Chabat. Si son efficacité s’ef-
face devant ses inconvénients, comment le but pédagogique serait-il
atteint ?
Incontestablement ce genre de considération n’échappa pas aux maîtres
de Yavné qui devaient trancher en définitive de la validation de tel ou tel
livre. Ainsi, lisons-nous dans l’ouvrage antique de Rabbi Nathan (I, 1) :
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
A l’origine, on considérait les Proverbes, le Cantique des
cantiques et l’Ecclésiaste comme des apocryphes, car ils
exprimaient des paraboles et n’avaient point leur place
dans les Hagiographes et on décida de les cacher. Vinrent les
hommes de la Grande Assemblée qui les interprétèrent.
Avot de Rabbi Nathan 1, 1
Cette déclaration d’un des plus grands maîtres de la Michna, par ailleurs
grand mystique, a fini par faire pencher la balance du côté de la canoni-
sation. Mais que répondre à nos questions introductives ?
et qui ne mentionne pas une seule fois le nom divin, a été enveloppé
d’une aura de sainteté toute particulière.
159
Selon le sens obvie, il s’agit indubitablement d’un chant d’amour entre
un homme et une femme qui se cherchent pour vivre leur passion.
Certes, le lien entre l’homme et la femme constitue l’un des éléments
fondamentaux de l’existence humaine que la Bible ne renie pas, selon
le verset (Gn 2, 24) : « C’est pourquoi un homme abandonne son père
et sa mère pour se joindre à sa femme et former une seule chair. » Mais
comment justifier, par exemple, la déclaration de Rabbi Aquiba qui voit
dans cette œuvre une sainteté sublime ?
Le fait que ce soit justement Rabbi Aquiba (mort en martyr, après l’in-
surrection manquée contre Rome vers 135) qui ait défendu ce livre n’est
pas anodin. Le Talmud rapporte son histoire, un vrai roman d’amour.
Simple berger, ignorant, Aquiba tomba amoureux de Rachel, la fille de
son employeur. Devant le refus du père de donner sa main à un illettré,
le couple se maria secrètement et vécut un amour intense jusqu’au jour
où Rachel demanda à Aquiba de s’investir dans l’étude de la Torah. Il
écouta la voix de sa bien-aimée et devint le plus grand maître de sa
L a To r a h
La vérité de l’amour
Les vingt-quatre livres du canon biblique ne sont pas saints intrinsè-
quement, mais parce que les Sages de Yavné, après débat, en ont décidé
ainsi. Comme l’enseignait un éminent penseur du judaïsme, le profes-
seur Yéshayahou Leibowitz (1903-1994) : « La religion d’Israël n’a pas été
créée par les Saintes Écritures, mais ce sont les Saintes Écritures qui sont
l’une des institutions de la religion d’Israël ». C’est là une idée révolu-
tionnaire qui inverse notre lecture traditionnelle. Mais historiquement
c’est ainsi que les choses se sont passées, et Rabbi Aquiba a eu gain
de cause contre ceux qui refusaient la canonisation du Cantique des
cantiques.
© Groupe Eyrolles
160
Dans la lignée de Rabbi Aquiba, Maïmonide inscrit le Cantique des
cantiques dans le concept de « Saint des saints », mais non pour souli-
gner le lien entre Dieu et le peuple juif. Pour notre auteur, il s’agit plus
généralement d’un discours symbolique décrivant les capacités et les
potentialités spirituelles de chaque homme, par le fait qu’il est homme,
de connaître Dieu et de Le servir. Ainsi Maïmonide ne s’empêche pas
d’utiliser uniquement les versets puissants et sensuels du Cantique des
cantiques, comme modèle permettant à l’homme de connaître la vérité
divine. Alors, l’âme s’élève dans le même rapport du sentiment qui se
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
concrétise dans l’amour naturel et sensuel.
À propos de cet amour, Maimonide écrit dans l’une des dernières lois
qui clôture son Livre de la Connaissance :
Qu’est-ce que l’amour de Dieu ? C’est le fait d’aimer l’Éternel
d’un amour grand, fort, extrême ; au point que l’âme
soit attachée à cet amour divin, et qu’il en soit hanté en
permanence, tel celui qui est malade d’amour, au point
que son esprit ne puisse se détacher de cette femme. Il y
pense toujours soit en se couchant, soit en se levant, soit au
moment où il mange et boit. Plus que cela, l’amour de Dieu
dans le cœur de ses amants qui en font leur préoccupation
constante, traduit le commandement du verset : « de tout
ton cœur, de toute ton âme de tout ton pouvoir ». Salomon,
dans un langage allégorique, l’a affirmé : « car je suis malade
d’amour. »
Lois sur le repentir 10, 3
161
Ruth, une conversion pour la vie
Alors Naomi dit : « Vois ta belle-sœur est retournée à sa
famille et son dieu, retourne toi aussi et suis ta belle-sœur ».
Mais Ruth répliqua : « N’insiste pas auprès de moi pour que
je te quitte et que je m’éloigne de toi ; car partout où tu iras
j’irai ; où tu demeureras je demeurerai ; ton peuple sera
mon peuple, ton Dieu sera mon Dieu ; là où tu mourras je
mourrai et je serai enterrée. Que l’Éternel m’en fasse tant
et plus, si jamais je ne me sépare de toi autrement que par
la mort. » Naomi voyant qu’elle était fermement décidée à
l’accompagner, cessa d’insister auprès d’elle.
Ruth 1, 15-18
Un chemin d’épreuves
L a To r a h
Suite à une famine qui sévit en Canaan à l’époque des Juges, Elimé-
lekh, riche propriétaire de Bethléem, fuit le pays avec sa femme Naomi
et ses deux fils pour s’installer à l’Est, sur les terres fertiles de Moab.
Elimélekh meurt. Ses fils qui ont épousé des Moabites, Orpa et Ruth,
disparaissent à leur tour, plongeant la mère et les deux brus dans la
désolation et l’indigence la plus totale. La famine passée, Naomi décide
de retourner à Bethléem, en prenant congé des deux belles-sœurs. Alors
qu’Orpa accepte de partir, Ruth s’accroche à sa belle-mère, proclamant
sa déclaration sincère, qui deviendra par la suite la formule de conver-
sion au judaïsme.
Arrivée à Bethléem, Naomi est méconnaissable dans ses haillons. À la
question : « Est-ce Naomi (Ma grâce) ? », elle répond : « Appelez-moi
Mara (Amertume), car le Tout-Puissant (Chadaï) m’a rendue amère ».
L’été est de retour, la moisson abondante, mais les malheureuses n’ont
rien à manger. Naomi envoie Ruth récolter les épis tombés que les
moissonneurs doivent abandonner, selon la loi du Lévitique (19, 9). Par
hasard, Ruth se dirige, vers les champs de Boaz, un parent d’Elimélekh.
Apprenant la fidélité de Ruth envers sa belle-mère, Boaz l’invite à glaner
© Groupe Eyrolles
dans son champ, lui accordant sa protection. Ruth rapporte les faits à sa
162
belle-mère qui s’en réjouit. Car Boaz est un double « libérateur » poten-
tiel pour les deux femmes.
En effet, selon Lv 25, 25, si un homme est contraint de vendre sa terre,
son plus proche parent s’efforcera de la racheter, pour maintenir l’héri-
tage tribal. De même, Boaz peut mettre fin au veuvage de Ruth, selon
la règle du Lévirat (Dt 25, 5 à 10) qui stipule que si un mari meurt sans
laisser d’enfant, la veuve épousera son frère ou, à défaut, le plus proche
parent, afin de perpétuer le nom du défunt.
Naomi, qui joue l’entremetteuse discrète, propose à Ruth d’aller le soir
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
venu se coucher aux pieds de ce parent. Au milieu de la nuit, Boaz décou-
vre Ruth qui lui demande d’être son époux. L’homme répond qu’il existe
un libérateur prioritaire par sa proximité parentale avec Elimélekh, mais
que s’il refuse de racheter les biens et de la prendre pour épouse, lui,
Boaz, le fera. Lors d’une cérémonie en grandes pompes, le premier libé-
rateur dénie sa double responsabilité, Ruth épousera alors Boaz.
Un schéma de délivrance
Quelles leçons la tradition juive tire-t-elle de ce délicieux récit ? Sur
le plan structurel le premier chapitre contient 12 fois le verbe « reve-
nir », le deuxième, 12 fois le terme « récolte », tandis que les troisième
et quatrième utilisent 23 fois le mot « délivrance ». Si les chiffres ne
sont jamais contraignants, la massivité du vocabulaire renvoie ici à une
trame mentale d’espoir, trame essentiellement hébraïque.
« Revenir » au sens biblique, faire téchouva, signifie reconstruire une
identité humaine, en conformité avec les principes de la révélation
divine, « récolter » les éléments disparates d’une fraternité perdue, afin
d’amener la « délivrance ». Ce retour implique toujours une démarche de
mémoire et nécessite souvent des retrouvailles avec les lieux de l’insuc-
cès. Elimélekh en quittant Canaan a fui ses responsabilités de chef de
clan, ce qui pour l’auteur du récit ne peut entraîner que sa mort, celle de
ses fils et donc « l’amertume » de Naomi.
Ce mouvement de retour, géographique tout d’abord, est amorcé par la
veuve, qui accepte d’être l’indigente de la ville après avoir été la grande
dame du lieu. Elle refuse cependant de partager son triste sort avec ses
© Groupe Eyrolles
brus, en dévoilant le fond de son cœur : « Aurai-je encore des fils dans
163
mes entrailles ? Existe-t-il pour moi une espérance ? ». La matrice (ré’hem)
est le lieu d’espérance, car espace de la miséricorde divine (rahamim).
Naomi pense sa matrice vide de toute vie, que la miséricorde divine
n’aura plus d’effet sur elle ; son monde restera une immense béance.
Plutôt que d’abandonner sa belle-mère, Ruth s’arme de courage en quit-
tant ses propres valeurs nationales, locales et familiales. Ruth devient
un Abraham au féminin. Mais n’est-elle pas reliée à l’illustre patriarche
par Moab, l’enfant incestueux né de la relation de la fille aînée de Lot,
neveu d’Abraham (Gn 19, 37) ? Lot fuyait l’inhospitalité de Sodome, sa
lointaine descendance renouera avec la générosité abrahamique.
Un acteur manque au récit : Dieu. Dieu n’intervient pas dans la Bible
quand la femme agit dans le sens du Ciel. L’étrangère de Moab portera
l’espérance pour deux, intimement persuadée que rien n’est jamais
scellé dans l’Histoire.
Elle ne sera pas seule dans son acte héroïque, Boaz qui possède littéra-
lement la « force en lui », assumera la rencontre. Ce courage s’exprimera
L a To r a h
164
Juda et Tamar
L’alter ego de Ruth se nomme Boaz (Booz), descendant de Juda et Tamar
(Gn 38). Après la vente de Joseph, Juda s’éloigne de sa famille. Il épouse
une Cananéenne, attitude contraire à la volonté de l’aïeul Abraham qui
craignait que sa démarche monothéiste soit polluée par l’introduction
d’un culte idolâtre.
Cette femme enfante trois fils : Er, Onan et Chéla. Juda trouve une
épouse pour l’aîné, une autre Cananéenne répondant au joli nom de
Tamar (palmier). Le verset révèle en la masquant l’inconduite d’Er. « Er
étant mauvais aux yeux de l’Éternel, l’Éternel le fit mourir ».
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
Quelle est donc cette faute qui oblige le Tétragramme, le Dieu
miséricordieux à supprimer cette vie ? « Er répandait sa semence hors
du corps de sa femme, afin qu’elle ne tombe pas enceinte et ne perde
pas sa beauté » glose Rachi. Selon cette tradition, Er refuse d’assumer
une relation paternelle, il refuse la continuité de sa propre histoire, en
détruisant sa semence. Le plaisir, sinon rien !
Fidèle à l’ancienne pratique du lévirat, Juda donne Tamar à son deuxième
fils afin qu’il perpétue le nom du défunt. Onan refuse ce devoir de mémoire
et de fraternité et détruit lui aussi sa semence. Il disparaîtra à son tour.
Juda qui ne sait rien de l’inconduite de ses fils, pense que la responsabilité
de ces morts obscures en incombe à Tamar. Et si elle portait malheur ?
Tamar devient le « bouc émissaire » des peurs de Juda.
Plutôt que de lui donner Chéla, Juda demande à sa bru d’attendre dans
son veuvage. Les années passent, et Tamar ressemble à une Pénélope
attristée.
Finalement cette Cananéenne décide de donner une leçon à Juda, non
seulement pour prouver son innocence, mais surtout pour affirmer que
les forces occultes ne gèrent pas la vie des hommes. Pour le prouver,
elle use d’un curieux stratagème : elle se déguise en prostituée. Elle sait
qu’elle peut légalement s’unir à son beau-père, car il est un libérateur
potentiel, même si Chéla reste prioritaire.
Tamar se voile en femme publique et se place sur le chemin de Juda. Ce
dernier succombe à son instinct. Tamar tombe enceinte. Non seulement
elle n’est pas responsable de la mort de ses époux, mais elle est bien
porteuse de vie.
Juda comprendra à la fin la leçon : « Elle est plus juste que moi » lance-
t-il avec courage à la cantonade, dévoilant sa faiblesse.
Tamar donnera naissance à deux jumeaux : Pérets et Zérah. Pérets
« celui qui bouscule » passera devant Zérah « celui qui brille » tel le
soleil à son lever. Deux noms, deux stratégies d’engagement dans
© Groupe Eyrolles
l’Histoire : Aller au rythme du temps qui passe (les fruits seront toujours
mûrs en leur temps) ou bousculer les évènements pour amorcer la paix
plus rapidement.
165
L’impatience est souvent cause de faute dans la Bible, pourtant le coup de
pouce de quelques femmes audacieuses, étrangères de surcroît, ne fut pas
inutile pour forcer la conscience humaine à se construire. Ruth fera partie
de ces femmes discrètes, qui cachent dans leur discrétion même toute la
puissance de la foi hébraïque. Elle s’unira à Boaz, prince de Juda. Son petit-
fils se nommera David, l’ancêtre du Messie.
166
Un livre de paraboles
Nous avons vu à propos de Pessah la place accordée par la Torah à l’édu-
cation des enfants. Transmettre, éduquer, enseigner, parler constituent
des mots-clefs du registre biblique. Pour autant, aucun livre jusque là
ne traitait intrinsèquement de cette instruction. Le livre des Proverbes
vient combler le vide selon l’un des versets inauguraux cités en exergue.
Un père parle à son fils. S’il ne s’agit pas d’un livre de pédagogie, au
moins la relation entre les générations est-elle prise au sérieux.
Le mot machal traduit généralement par « proverbe », pourrait aussi
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
être traduit par « parabole », dans la mesure où, comme nous le verrons,
le texte peut se lire à deux niveaux, une leçon pouvant en cacher une
autre.
Le texte annonce comme auteur le roi Salomon, celui du Cantique des
cantiques et de L’Ecclésiaste. Les critiques situent l’ouvrage dans sa
forme définitive entre le Ve et le IIIe siècle av. J.-C. soit à l’époque hellé-
nistique. Le rouleau présente 31 chapitres, dont quelques uns sont attri-
bués à deux autres personnages : Agour et Lémouel. L’idée centrale de
l’œuvre consiste en un persistant plaidoyer visant à montrer la supé-
riorité de la Sagesse (Hokhma) sur la folie, non pas la démence clinique,
mais celle qui consiste à s’éloigner de Dieu et de Sa Torah.
Nous retrouvons un thème récurrent de la Bible qui ne connaît pas
les nuances : d’un côté, les bons, les justes, les sages, les humbles
qui suivent le chemin de l’Éternel, de l’autre, les transgresseurs, les
moqueurs, les médisants, les fripouilles qui n’en font qu’à leur guise,
pire, qui s’en prennent aux justes. Le père usera alors de nombreuses
images pour frapper l’imagination de son fils et lui faire choisir, bien
entendu, le camp de Dieu.
167
tenté, éprouvé, séduit. A-t-il trébuché ? Peut-être, il le suggère dans un
proverbe en antithèse : « car le juste tombe sept fois, mais il se redresse,
alors que le méchant est culbuté pour son malheur », (24, 16). Le roi
David n’en est-il pas un exemple avec Bethsabée ? Mais « le juste se
redresse », et en ceci il est juste.
À l’instar du laborantin qui, étudiant la matière, en déduit des lois, le
père par ses expériences au milieu des hommes en a tiré une sagesse,
une science du bien-vivre devant Dieu. Cette science, il la nomme
hokhma. Le terme est utilisé 30 fois dans le livre, et celui de hakham
(sage) 27 fois, tandis que son synonyme tsadik (juste) est mentionné
34 fois.
Traduire Hokhma par Sagesse ne rend pas la polyphonie du vocable
hébraïque. Avant d’être une pensée sur le bien-vivre devant Dieu, la
Hokhma est interrogation, questionnement, curiosité, remise en cause.
Cette curiosité insatiable qui caractérisera plus tard l’étude juive.
Le père transmet la Hokhma qui induit une vigilance, une critique pré-
L a To r a h
168
et de soi-même. Intransigeante dans sa méthode, elle vise d’abord à
ne pas se faire piéger par les illusions du réel dont l’archétype est la
prostituée.
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
Le livre des Proverbes n’aborde pas la question douloureuse du juste
souffrant, Job en a parlé. Ici l’auteur est plus simpliste dans sa présenta-
tion (il se veut pédagogue déterminé, non philosophe doutant). Conclu-
sion : le juste connaît toujours le bonheur, le méchant sera toujours
perdant. Ses succès ? Des illusions d’optiques, des trompe-l’œil.
L’exemple viendra de la prostituée, fardée, parfumée « elle se met en
embuscade tel un brigand… elle finit par piquer comme le serpent »
(23, 28). La femme adultère ne vaut pas mieux qui délaisse mari et
enfants pour jouir avec ses amants. En passant, Salomon écorche la
femme acariâtre et querelleuse avec qui la vie n’en est pas une. Au bout
de son long couloir de tableaux de femmes, l’auteur décrit dans un
poème somptueux la femme vertueuse : épouse fidèle, mère vaillante,
conseillère avisée, gestionnaire efficace, dame généreuse, guide de la
maison et lumière dans la cité. Le roi Salomon, légendaire pour son
nombre d’épouses et de concubines, décrit pour son fils la femme
idéale. Mais parle-t-il seulement de la femme ?
Prostitution et vertu nous renvoient à une autre thématique celle de
l’idolâtrie et de la fidélité à Dieu (voir Osée). En mettant en garde le
jeune homme contre les leurres de l’existence, en lui enseignant la
valeur de la Hokhma, le précepteur veut en somme le guider vers la voie
de Dieu. En dédiant sa conclusion à la femme vertueuse, il montre que
le choix du Ciel ne va pas sans la bonne compagne de vie.
© Groupe Eyrolles
169
L’Ecclésiaste, de la vanité à la crainte de Dieu
Vanité des vanités, a dit Kohélet, vanité des vanités ; tout
est vanité ! Quel profit tire l’homme de tout le mal qu’il
se donne sous le soleil ? Une génération s’en va, une autre
génération lui succède, et la terre subsiste perpétuellement.
Le soleil se lève, le soleil se couche : il se hâte vers son point
de départ, où il se lèvera encore, pour s’avancer vers le sud et
décrire sa courbe vers le nord ; le vent progresse en évoluant
toujours et repasse par les mêmes circuits. Tous les fleuves
vont à la mer, et la mer n’en est pas remplie ; vers l’endroit
qui est assigné aux fleuves, ils dirigent invariablement leur
cours. Toutes choses sont toujours en mouvement ; personne
n’est capable d’en rendre compte. L’œil n’en a jamais assez
de voir, ni l’oreille ne se lasse d’entendre. Ce qui a été c’est ce
qui sera ; ce qui s’est fait, c’est ce qui se fera : il n’y a rien de
nouveau sous le soleil !
L a To r a h
Ecclésiaste 1, 2 à 10
autres livres bibliques. Car, même chez les prophètes les plus virulents
170
de Moïse à Malachie, il y eut toujours quelques paroles de consolation
qui offraient une respiration à la conscience pour s’améliorer. Cet esprit
mélancolique n’échappa pas aux sages du Talmud qui débattirent au
sujet de la canonisation du rouleau.
Les sages voulurent éliminer le livre de l’Ecclésiaste du canon,
car ses propos se contredisaient. Pourquoi l’ont-ils malgré
tout conservé ? Car le début est parole de Torah et la fin
est parole de Torah. Le début est parole de Torah ainsi qu’il
est dit : « Quel bénéfice tire l’homme de son labeur sous
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
le soleil » ; la fin est parole de Torah, car il est dit : « Crains
Dieu et accomplis Ses commandements, car c’est cela tout
l’homme ». En quoi les propos se contredisent-ils ? Car il est
dit ici : « J’ai loué la joie » et ailleurs il est écrit : « et la joie
qu’apporte-t-elle ? »…
TB Chabat 30 b
Le questionnement de l’Ecclésiaste
Le fait que les sages aient inscrit l’ouvrage parmi les 24 livres bibliques
démontre le caractère éminemment religieux de ce rouleau, caractère
qu’il s’agit alors de mettre en exergue. Kohélet, identifié au roi Salomon
qui enseignait la sagesse au peuple, s’interroge sur le sens de l’exis-
tence humaine : « Quel bénéfice tire l’homme de tout son labeur sous le
soleil ? » (I, 3), question qui revient une dizaine de fois selon des formu-
lations différentes.
L’auteur n’est pas un théoricien ; il va vivre concrètement les expériences
dont il parle. S’il incarne vraiment le pouvoir royal, alors il possède les
moyens matériels de satisfaire ses demandes. Or, les demandes touchent
concrètement tous les domaines humains : la richesse, le pouvoir, les
© Groupe Eyrolles
171
Pour chaque expérience vécue intensément, l’auteur en arrivera à la
conclusion d’une vanité. Tout au plus, pour donner une certaine saveur
à l’existence passagère conseille-t-il dans un pis-aller : « Il n’y a de
bonheur pour l’homme qu’à manger et à boire, et à trouver, pour son
âme, du bien dans son labeur », ou bien « jouis de la vie avec la femme
que tu aimes tous les jours de la vie éphémère que l’on t’accorde ».
Épicurisme modéré pour une vie limitée.
que l’homme ? ».
Quand l’auteur semble trouver une solution, elle s’effrite telle une motte
de terre entre les mains pour ne laisser qu’un arrière-goût d’éphémère.
Ainsi peut s’entendre la formulation rabbinique : « les propos se contre-
disent », comme si l’existence elle-même n’offrait que des contradic-
tions permanentes entre des plaisirs ou des bonheurs que l’homme
voudrait conserver indéfiniment et des lendemains qui déchantent à
cause de l’ombre de la mort. L’Ecclésiaste mène-t-il alors son lecteur
vers une voie sans issue, une impasse ?
172
« Fin de discours, tout a été entendu : crains Dieu et
accomplis Ses commandements, car c’est cela tout
l’homme. »
Ecclésiaste 12, 13
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
est une créature divine, distingué dès l’origine par l’image divine qui est
en lui, sa mission consiste à craindre Dieu et à accomplir Ses commande-
ments.
En hébreu, le verbe craindre (yaro) non suivi de la préposition èth ne
signifie pas « avoir peur », mais « vénérer » ; il s’agit d’une crainte révé-
rencielle devant la grandeur divine. Cette vénération se traduit toujours
en actes dans la cohérence biblique, et la foi, loin de se limiter à une
conscience de Dieu, s’exprime à travers une conduite idoine : l’accom-
plissement des commandements.
Tant que l’homme recherche son bonheur individuel, les doutes pour-
ront toujours l’assaillir à travers les contradictions de l’existence et les
vanités du monde :
Car le sort des fils de l’homme et le sort de la bête sont un
même sort ; comme meurt celui-ci, ainsi meurt celui-là.
Ecclésiaste 3, 19
Ce n’est qu’au bout d’une réflexion menée dans la vie elle-même que
l’Ecclésiaste découvre une vérité ultime au-delà des catégories du
bonheur personnel. Le livre dans sa conclusion reste cohérent avec
l’esprit général de Bible : le bonheur n’est jamais une fin en soi, mais
la conséquence du service de Dieu. La réponse touche à la foi la plus
authentique. Le psalmiste déjà enseignait cette idée dans son verset
inaugural :
© Groupe Eyrolles
173
Heureux l’homme qui ne suit pas le chemin des méchants…
mais dont le désir s’exprime dans la Torah de l’Éternel et qui
médite sa Torah jour et nuit.
Psaume 1, 1-2
Le retour à Jérusalem
En -539, le roi des Perses et des Mèdes, Cyrus conquiert Babylone. Pour
montrer sa magnanimité, il autorise l’année suivante les Judéens à
retourner à Jérusalem. Une bonne partie des fils d’exilés, bien installés
à présent, resteront à Babylone et formeront une diaspora puissante,
l’autre partie prendra son bâton de pèlerin pour retourner vers la terre
ancestrale. La prophétie de Jérémie se réalisait.
Pourtant le désenchantement sera à la hauteur des espérances : des
villes dévastées, une terre aride, une nature sauvage et, qui plus est, une
© Groupe Eyrolles
population hostile aux nouveaux venus qui occupe les lieux. Au Nord,
174
notamment, les Samaritains, mélange d’anciens habitants du royaume
d’Éphraïm et colons établis par l’ancienne Babylonie expriment verba-
lement voire physiquement leur désapprobation. (Jésus se servira de
ce vieux conflit dans sa parabole du bon Samaritain). Peut-on dans ces
conditions entreprendre la reconstruction du Temple ? Deux prophètes
feront alors entendre leur voie, Aggée et Zacharie.
Aggée (vers -520) tance les riches qui se sont bâti de belles maisons au
lieu de s’occuper de la demeure de l’Éternel, et demande à l’ensemble
du peuple de se mettre à la tâche. Son contemporain Zacharie constate
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
la dure réalité : Zorobabel, descendant de David et haut-commissaire
nommé par la puissance tutélaire, possède un pouvoir limité. Josué,
le grand-prêtre reflète pâlement l’antique splendeur pontificale. Pour-
tant, Aggée annonce que les ténèbres se dissiperont prochainement et
que Jérusalem sera exaltée. En -515, le nouveau Temple s’élèvera sur les
ruines de l’ancien.
Néhémie et Esdras
Deux hauts dignitaires de la cour perse vont venir en renfort de l’œuvre
de restauration : Néhémie et Esdras. Néhémie, l’architecte, malgré l’op-
position samaritaine, bâtira de hautes murailles autour de Jérusalem
pour assurer sa sécurité.
Si Néhémie s’occupe du corps de la nation, Esdras, le scribe, s’occupera
de son âme. Ayant reçu l’autorisation du roi Artaxerxés (465-424 av. J.-C)
de conduire un second groupe d’exilés à Jérusalem, Esdras s’engage
dans une grande réforme religieuse. Sans son action, la Torah aurait été
oubliée en Israël. Le Talmud le compare à Moïse (TB Sanhédrin 21b), les
historiens le considèrent comme l’inventeur du « judaïsme ».
Parmi ses décrets novateurs (le Talmud en recense dix. Voir TB Baba Kama
82 a) compte l’institution de la lecture publique du rouleau de la Torah
dans les synagogues. N’oublions pas qu’avant la déportation à Baby-
lone le seul lieu de dévotion était le Temple. Les synagogues, inventions
de l’exil, permirent alors un culte de proximité en même temps que la
prière devenait complémentaire des sacrifices.
Notre extrait relate la première lecture officielle de la Torah par Esdras,
© Groupe Eyrolles
175
de l’année hébraïque (1er tichri), ce jour de nouvelle lune qui deviendra
par la suite le Nouvel An juif, le Roch Hachana.
La lecture de la Torah
On remarque les éléments de cette lecture publique, qui caractérise-
ront le rite synagogal : L’armoire où se trouve entreposé le rouleau de
la Torah qu’Esdras amène sur la place ; l’estrade sur laquelle il se tient ;
le peuple composé des hommes et des femmes et de ceux qui sont en
mesure de comprendre, c’est-à-dire les jeunes enfants. Nous avons là
une communauté et une ébauche de lieu de culte.
La présence des Lévites à la droite et à la gauche de l’officiant répond à
une nécessité du moment : traduire et commenter la Torah de l’araméen
en hébreu. En effet, en exil les Judéens ont oublié la langue des ancêtres
et ne communiquent plus qu’en dialecte babylonien.
Avant la lecture, Esdras bénit l’Éternel, et l’assemblée répond « amen,
L a To r a h
amen », qui peut s’entendre par « nous avons confiance, nous avons
confiance » en Dieu et en Sa Torah.
Le verset 8 précise que notre scribe lisait d’une « manière distincte » –
méforach en hébreu– qui peut signifier en respectant chaque section
(paracha), puisque le texte toraïque se présente sous la forme d’une
succession de paragraphes plus ou moins longs. La fin de cette lecture
traduite s’achève par une homélie instruite par les fils de Lévi qui déve-
loppent le sens religieux dudit passage. Encore aujourd’hui, la lecture
achevée, le rabbin explique le texte afin d’en tirer un enseignement à
l’adresse de ses fidèles.
Depuis Esdras, cette lecture publique de la Torah s’accomplit le samedi
(Chabat), matin et après-midi, le lundi et le jeudi, de même que lors des
grandes solennités ou les jours de jeûnes.
À travers ses décrets, notre scribe visait l’instruction religieuse de ses
coreligionnaires qui avaient oublié l’hébreu ancestral et ne pouvaient
donc plus accéder à ses textes fondateurs. Cette lecture constituait l’axe
majeur de sa grande réforme.
Esdras avait conclu que l’ignorance du peuple à l’époque des prophè-
tes avait occasionné la chute morale du royaume de Juda et l’exil final.
© Groupe Eyrolles
176
Il restait intimement persuadé que grâce à une éducation solide à la
piété, passant par la connaissance de la Torah, le peuple juif ne faillirait
plus.
Il est vrai que par la suite, sans prophète et sans miracle du Ciel, le peuple
juif sut se montrer fidèle à son Dieu et sa Torah comme en témoigne sa
longue histoire. Là où les prophètes avaient échoué, Esdras, et les rabbins
après lui, avaient réussi. L’histoire d’Israël pouvait se poursuivre.
Cha p it re 4. Ké to uv im o u le l iv re d es Éc r i ts
© Groupe Eyrolles
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Chapitre 5
Lectures de la Torah
© Groupe Eyrolles
Cha p it re 5. L e c t ure s d e la Tora h
Au terme de cette lecture commentée des principaux récits bibliques,
on peut s’interroger sur la suite de la Torah, ou plus exactement sur
ses prolongements. Plus de vingt siècles après la formation du canon
biblique, la tradition juive est toujours vigoureuse. C’est de la lecture de
la Torah que la communauté juive, dispersée, s’est nourrie et c’est ainsi
qu’elle a entretenu une foi vivante.
Au cœur du culte
Que signifie lire la Torah pour un croyant d’aujourd’hui ? Qu’est-ce que
cela implique pour lui ? Nous avons déjà partiellement répondu à cette
question à travers les chapitres précédents. Nous voulons maintenant
tenter d’y répondre plus largement, en présentant d’abord la manière
dont ces textes sont lus, individuellement et, surtout, en commu-
nauté.
181
commençait le travail et demandait à l’homme de l’achever. Même la
sanction contre Adam, « tu mangeras le pain à la sueur de ton front »
(Gn 3, 19), n’est pas entendue comme une punition, mais comme une
responsabilisation consistant à transformer la nature brute (le blé) en
pain.
Ce qui est vrai pour la transformation de la nature reste vrai pour l’in-
vestissement de l’homme dans l’étude de la Torah, entendue comme la
parole de Dieu. L’importance de cette méditation de la parole divine fut
enseignée par Moïse à son disciple Josué qui répéta l’enseignement au
peuple d’Israël (Josué 1, 8) : « tu la méditeras jour et nuit ». De même, le
livre des Psaumes est-il inauguré par ces versets : « Heureux l’homme
qui ne suit pas le chemin de méchants… mais dont le désir s’exprime
dans la Torah de l’Éternel et qui la médite [littéralement « roucoule »]
jour et nuit. »
Il s’agit de comprendre que cette méditation ne se limite pas à une
simple lecture répétitive, aussi fervente soit-elle, mais bien à une
L a To r a h
réflexion, une analyse du texte afin d’en tirer des enseignements pour
la vie quotidienne, des rites ou des conduites pieuses. Pour la foi juive,
cette démarche s’inscrit dans la logique de l’alliance (bérit) entre Dieu
et l’homme. Puisque Dieu a fait grâce à sa créature humaine de qualités
intellectuelles et morales, ces qualités doivent être mises au service de
Dieu à travers l’étude. Dès lors, la Torah devient l’espace de rencontre
entre l’homme, être relatif, et Dieu, l’Être absolu. Si, durant la prière,
l’homme se place face à Dieu pour proclamer qu’Il est source de vie,
durant l’étude de la Torah, l’homme étudie ce que Dieu attend de lui à
travers les récits et les lois de la Bible.
Il existe deux modes d’interprétation : le mode littéral et le mode
midrachique. Le mode littéral ou sens obvie consiste à comprendre
exactement le verset en tenant compte de l’hébreu, de sa grammaire,
du contexte, etc. ; le second sens prend appui sur le sens littéral pour
aller au-delà afin d’en découvrir des leçons de foi. On pourrait parler ici
d’une double recherche, selon la lettre et selon l’esprit, sans que l’une
ne puisse se revendiquer supérieure à l’autre.
La joie suprême d’un étudiant de la Torah s’exprime dans ce que le
judaïsme nomme le ‘hidouch, le renouvellement de sens. Le ‘hidouch
© Groupe Eyrolles
est une interprétation nouvelle qui n’a jamais été transmise par la tradi-
182
tion mais qu’une analyse pointue met en exergue. Pour les rabbins du
Talmud, cette joie représente le summum des béatitudes, qui sera la
récompense même des disciples de sages dans l’autre monde.
L’autre dimension qui transparaît de l’étude de la Torah est la dimen-
sion dialoguale avec le texte. En fait l’étudiant ne se trouve jamais seul
devant son livre ou son parchemin. Il est toujours face à Dieu. Il ressem-
ble à Moïse au sommet du mont Sinaï, recevant la parole divine et inter-
rogeant le Législateur céleste pour comprendre le sens et les modalités
de la loi révélée. Précisons que cette dimension dialoguale est ampli-
fiée par le fait que l’étude de la Torah s’accomplit idéalement avec un
compagnon d’étude, le ‘haver, l’ami. C’est pourquoi dans la maison
183
Le déroulement d’une assemblée aujourd’hui
Pour comprendre le respect accordé à la Torah, décrivons une lecture
hebdomadaire du Chabat. Cette lecture se situe au milieu de l’office,
entre la prière nommée cha’harit et celle nommée moussaf. Lorsque
l’heure de la lecture arrive (vers 10h-10h30), toute l’assemblée se lève
et l’officiant s’approche de l’armoire sainte (aron hakodech), qui évoque
le Saint des saints, le cœur du Temple de Jérusalem. Après s’être incliné
devant les rouleaux15, l’officiant récite une prière de louange à l’Éter-
nel pour avoir révélé sa Torah à Israël. Puis un fidèle est invité à porter
le rouleau qu’il amènera jusqu’à l’estrade où se déroulera la lecture.
Durant cette procession, le public embrasse avec vénération le rouleau
et chante des versets bibliques.
Sur l’estrade, un fidèle est chargé de retirer la tunique du rouleau
(qui évoque celle des prêtres du Temple). Avant (ou après) la lecture,
une personne relativement forte soulève la Torah et, en tournant sur
lui-même, présente le parchemin qui sera lu à la communauté, placée
L a To r a h
15. En général, une synagogue possède plusieurs rouleaux, achetés par la communauté ou
offerts par des fidèles.
184
également des éditions bilingues pour ceux qui ne maîtrisent pas suffi-
samment l’hébreu.
Après le temps de la lecture, vient le temps de la réflexion, puisque le
rabbin offre une pensée du jour, une sorte d’homélie construite sur une
phrase ou une idée de la paracha. Ce moment est important, il consti-
tue pour beaucoup de fidèles qui n’étudient pas pendant la semaine, la
possibilité d’entendre un commentaire de la Torah.
Nous avons dit qu’Esdras avait fixé la lecture publique de la Torah, le
samedi, ainsi que le lundi et le jeudi, qui étaient jours de marché. Les
rabbins ont trouvé dans le texte toraïque un appui scripturaire à cette
lecture trihebdomadaire. Il est écrit en effet (Ex 15, 22 et 24) :
À l’écoute de la Tradition
La bibliothèque juive impressionne par le nombre d’ouvrages de
commentaires sur la Torah. Ce travail rédactionnel a visé un double but :
extraire les idées religieuses et les rites à partir du texte, et montrer la
cohésion de l’œuvre, soulignant comment les versets se répondent l’un
l’autre dans une parfaite harmonie. Certains livres ont fait l’objet de
discussions ardues entre les sages antiques quant à leur canonisation
(le Cantique des cantiques à cause de ses images érotiques ou L’Ecclé-
siaste à cause de son pessimisme), mais ils furent finalement intégrés
© Groupe Eyrolles
185
du fait que des maîtres démontrèrent qu’ils demeuraient intelligibles à
l’intérieur du corpus biblique.
De cette unité textuelle, posée en postulat d’étude, découle un autre
principe : l’idée de permanence. En d’autres termes, le texte peut être
interrogé en tout lieu, dans toute culture, en toute époque, il secrètera
toujours de la pensée. Ce qui est dit n’est jamais définitivement dit,
mais il restera toujours du dire qui débordera du commentaire antérieur.
Le philosophe Emmanuel Levinas parlait d’un « au-delà du verset »16.
La permanence du Livre
La Torah comme mémoire du peuple juif ; la Torah comme référence
identitaire ; la Torah comme lien entre Dieu et l’homme ; la Torah comme
point central de l’office du Chabat et des fêtes ; la Torah comme source
de méditations religieuses ; la Torah comme livre permanent… toutes
ces propositions sont vraies, et le Juif peut les intégrer toutes ou en
L a To r a h
186
qu’un maître expliqua cent et une fois la leçon à une élève qui avait du
mal à assimiler les raisonnements.
La fin du prophétisme n’a pas sonné le glas d’Israël, comme les épreu-
ves les plus tragiques n’ont pas eu raison de sa survie. Le Juif de la foi
reste persuadé que Dieu a parlé à tout un peuple, il y a près de 3 000 ans,
dans le désert du Sinaï, et que cette parole de feu est consignée dans un
Livre qui est plus qu’un livre.
« Pourquoi la Torah a-t-elle été donnée dans le désert, un lieu non
habité ? demande un rabbin. Afin que personne ne puisse dire cette
parole est de ma patrie et non de la tienne. La Torah est posée devant
tout homme qui veut venir la prendre, vienne l’étudier et elle deviendra
187
L A T ABLE DRESSÉE
Ce livre a été écrit par le rabbin Joseph Caro qui avait fui l’Espagne après
l’expulsion des Juifs en 1492. La Table dressée (Choul’han Arou’h) présente de
manière abordable pour un large public tous les aspects de la vie religieuse.
Ce livre reste une référence incontournable de la religion d’Israël.
La modernité juive
Cette Émancipation ouvre plusieurs voies identitaires. Le temps où la
religion modèle le Juif se métamorphose en temps où le Juif modèle la
religion.
Le judaïsme consistorial
L a To r a h
I SRAÉLITISME
En histoire, ce terme désigne l’attitude bienveillante des Juifs émancipés
par la Révolution française à l’égard de la France. L’israélitisme se traduisit
par un esprit national exacerbé et par la volonté de vivre la religion juive
en harmonie avec les principes de la République. Cet esprit s’est maintenu
pour la grande majorité des Juifs de France.
188
Le judaïsme libéral
Le mouvement juif des Lumières se développe en Allemagne, mais
percera surtout aux États-Unis, à partir du XIXe siècle. Au début, le culte
est réformé : suppression de l’hébreu des offices remplacé par la langue
vernaculaire, déplacement du Chabat au dimanche, patriotisme et fin
de l’aspiration du retour à Sion. Le judaïsme réformé pose l’évolution de
la religion et la critique biblique. Après la Shoah et la création de l’État
d’Israël, on observe un retour au Chabat le samedi, l’introduction de
l’hébreu dans les offices, la formation de femmes-rabbins.
Le judaïsme orthodoxe
Le sionisme religieux
Incontestablement, la liturgie juive exprime une nostalgie du retour
à Sion (Jérusalem). Par exemple, il est dit dans le psaume 137 : « Si je
t’oublie Jérusalem, que ma main droite m’oublie ». Chaque siècle
d’ailleurs connut des alyoth, soit en conséquence de l’antisémitisme,
soit en décisions personnelles. Bien que le retour en Palestine fût majo-
© Groupe Eyrolles
189
religieux diagnostique la création de l’État d’Israël comme l’expression
de la volonté divine.
A LYOTH
Pluriel d’alyah (montée), le terme alyoth désigne les montées individuelles
ou collectives de personnes juives vers la terre d’Israël, considérée comme
terre des ancêtres. Il en est question à plusieurs reprises dans les Psaumes.
Ainsi, on peut lire au psaume 122 : « J’ai été dans la joie quand on m’a dit :
“Allons à la Maison du Seigneur !” Nos pieds s’arrêtent à tes Portes, Jéru-
salem, Jérusalem bâtie comme une ville où tout se tient ensemble. C’est
là que montent les tribus, les tribus de Yah ; c’est un ordre pour Israël de
célébrer le nom du Seigneur. »
Le judaïsme laïc
Cette tendance est née avec les utopies révolutionnaires. Pour faire valoir
L a To r a h
leurs droits dans des pays à forte tendance antisémite, les Juifs créent
un mouvement ouvrier indépendant, le Bund, en 1897. L’émanation la
plus réussie de ce judaïsme laïc fut l’engagement dans le sionisme, à
travers la création du kibboutz. En France, une association portant le
nom de « judaïsme humaniste et laïc » voit le jour en 1991, autour d’in-
tellectuels comme Albert Memmi. Cette association est née en réaction
au discours parfois intransigeant de l’orthodoxie (conversions, maria-
ges mixtes, actions politiques, etc.).
K IBBOUTZ
Ce sont des villages collectivistes qui se sont développés en Israël depuis le
début du XXe siècle. Les familles qui y vivent partagent l’idéal socialiste du
partage des biens et des outils de production. Généralement, elles mangent
ensemble dans de grands réfectoires et proposent une éducation très atta-
chée à la nature. Aujourd’hui, le kibboutz fonctionne comme une grande
entreprise agricole.
© Groupe Eyrolles
190
La liberté d’interprétation
Quiconque goûte à l’étude juive sera surpris du nombre d’interpréta-
tions, souvent contradictoires, qui jaillissent d’un même verset. Une
blague juive annonce que lorsque deux rabbins se rencontrent, il y a
toujours trois opinions !
Le Talmud rapporte les nombreuses divergences qui opposèrent les
écoles d’Hillel et de Chamaï, deux maîtres qui vivaient quelques décen-
nies avant Jésus. Chacun argumentait afin que la loi soit appliquée
selon son interprétation, mais on ne pouvait trancher. Une voix céleste
se manifesta dans la maison d’étude et proclama : « Celles-ci et celles-là
sont les paroles du Dieu vivant ».
191
Dans cette optique la loi juive embrasse tous les aspects de l’existence :
la vénération et l’amour de Dieu, la célébration du Chabat et des fêtes,
pour le domaine religieux ; les relations humaines, la vie commerciale,
la famille, pour le domaine civil. De ce fait, respecter le repos chabati-
que devient aussi important que de venir en aide à une personne défa-
vorisée, de même que l’honnêteté dans son travail vaut autant que la
ferveur liturgique.
Concrètement, ces règles obligent l’homme juif à vivre selon une
certaine discipline qui aura des implications sur ses relations avec son
environnement humain. Ne pas travailler le samedi, manger kacher
(selon les règles alimentaires tirées de la Bible), prier trois fois par jour
induit une organisation de vie qui tranchera avec le mode de vie de
personnes non-juives17.
Le croyant juif au sein de la société française a toujours su adopter
ses exigences religieuses avec le vivre-ensemble. Prenons l’exemple de
l’une de nos amies, pharmacienne, qui ne travaille pas le samedi, mais
L a To r a h
17. On parle souvent du non-juif comme du goy. Étymologiquement le mot goy désigne un
peuple quel qu’il soit, Israël inclus (cf. Gn 12, 2). Par évolution de langage, ce terme a fini par
© Groupe Eyrolles
désigner le non-juif, l’homme des nations, sans que ce terme ne porte la moindre coloration
péjorative.
192
Conclusion
Ici se termine notre visite. Nous espérons qu’elle vous aura procuré
autant de joie que nous en avons eu à être votre guide. Nous avons
présenté quelques brefs extraits de ce pays nommé Torah ou dans son
sens large, la Bible, le livre le plus vendu au monde. Mais, avant de nous
quitter, nous aimerions conclure par ces quelques mots.
On peut dans un premier temps considérer la Torah comme un ensemble
de textes rédigés à différentes époques de l’Antiquité. Grâce aux outils
d’investigation moderne (histoire, sémiologie, philologie, archéologie,
ethnologie, etc.), on peut établir des ponts avec d’autres cultures reli-
gieuses, avec d’autres légendes, et s’arrêter là. Mais on peut aussi, tout
en ne niant pas le premier fait, y investir un peu plus d’intelligence afin
d’en découvrir la cohérence interne, l’originalité, telle que les compila-
teurs ont pu l’entendre à l’époque de la canonisation finale.
Dès lors nous entendons d’abord une immense histoire qui commence
aux origines du monde et qui nous amène au Ve siècle avant l’ère chré-
tienne. Son objet n’est pas universitaire, mais religieux ; et il serait
autant dommageable pour la foi que pour la science de vouloir à tout
prix les concilier.
Ceci posé, chaque période de cette grande saga, entrecoupée de poèmes
et de maximes sapientales, connaît ses héros, sans que le texte ne s’at-
tache à l’un d’entre eux en particulier. Le caractère de l’un diffère du
caractère de l’autre ; pour l’un, la foi en Dieu s’exprime d’une certaine
© Groupe Eyrolles
193
pas sa préférence, il ne conclut pas. L’histoire avance au rythme des
« engendrements », au lecteur d’entendre, d’analyser, d’appréhender,
de critiquer s’il le veut.
Car à la différence d’autres livres fondateurs, les personnages bibliques
ne sont pas irréprochables, et même les plus grandes figures révèlent
leurs failles. Rares sont ici les héros qui peuvent se targuer d’un parcours
sans faute. Le croyant affirme ce livre inspiré par Dieu et pourtant les
chroniques restent profondément humaines.
Certes Dieu est présent, par Ses manifestations, Ses miracles, Ses paro-
les, Ses appels, Ses colères, Ses nostalgies, Ses amours, par Ses silen-
ces aussi, mais Il semble finalement prisonnier du bon vouloir de Ses
créatures humaines, de leur sagesse ou de leur folie. L’Éternel réclame
le droit, la justice, l’amour du prochain, mais Il n’impose pas ces vertus
en transformant miraculeusement le cœur de l’homme. Dieu et homme
même destin ! Et si ce dernier ne pratique pas ce droit, cette justice et
cet amour, alors ces valeurs demeureront éthérées en attente d’incar-
L a To r a h
nation.
Curieux livre que cette Torah qui évoque toujours les égarements d’Is-
raël, ses manquements, ses chutes plutôt que ses élévations et qui
s’écrit presque toujours contre celui à qui la Parole s’adresse en premier
chef. Les compilateurs n’ont rien caché, rien gommé, rien passé sous
silence, ni le veau d’or, ni la concupiscence de David, ni la fuite de Jonas.
On ne censure pas la nature humaine. On la montre à nue et on invite à
l’améliorer de l’intérieur, d’autant que l’idéal mosaïque est si exigeant.
Car au cœur du Livre apparaît en filigrane permanent la loi de Moïse
dont s’inspirèrent tous les prophètes. Cette lutte des prophètes au nom
de la liberté, de l’égalité, de la responsabilité, de la fraternité préparait
la voie des grandes révolutions qui allaient changer la face du monde au
cours des siècles. Dans ces temps ancestraux ces inspirés étaient trop
en avance pour leur temps d’où le décalage entre leurs aspirations et
une réalité humaine, trop humaine.
Mais à l’instar du songe de Jacob, une échelle se dresse entre le ciel et la
terre. L’homme n’est jamais condamné par un fatum aveugle à stagner,
il peut toujours avancer à l’image d’Abraham. L’espérance jaillit, même
© Groupe Eyrolles
194
Par delà Israël, la Torah parle à l’homme dans ce qu’il a d’éternel, les
passions, l’amour du bien ou le désir du mal, voilà pourquoi elle peut
s’adresser au moderne, pourquoi elle inspira les peintres, les écrivains,
les musiciens, les artistes de toutes les époques. L’homme évolue moins
vite que ses découvertes technologiques.
Il existe d’autres livres emplis de sagesse, de récits pertinents, de
réflexions profondes dans d’autres fois, d’autres cultures ; et notre
humanité marquée par la rencontre et les échanges nous les mets à
disposition. La Torah appartient à cette bibliothèque.
Le philosophe Jankélévitch usait de cette formule : « Le judaïsme ne
vise pas à judaïser le monde, mais à l’humaniser ». Dans son langage
propre, la Torah dit quelque chose à l’homme pour qu’il soit toujours
plus humain. C’est là l’invitation de cette œuvre toujours actuelle.
C o nc l usio n
© Groupe Eyrolles
195
Index
La liste ci-dessous recense noms, lieux, livres, fêtes et concepts mention-
nés dans l’ouvrage. Les noms des « héros » sont en gras, les noms de
commentateurs de la Torah sont en petites capitales. Les noms de livres
sont en italique.
Lorsqu’un terme a fait l’objet d’une définition particulièrement déve-
loppée, le numéro de page correspondant est en gras.
A B
Aaron 80, 88, 90, 113, 128, 129, 136, 144 Babel 52, 56, 78, 104, 137
Abel 60, 73, 172 Babylone 15, 23, 27, 36, 41, 124, 127,
Abraham 15, 16, 22, 56, 57, 58, 59, 60, 129, 130, 131, 133, 174, 175
62, 63, 64, 66, 67, 77, 81, 115, 122, 146, BEN ZOMA 109
164, 168, 194 Boaz 162, 163, 164, 165, 166
Abstème 107, 108
Adam 46, 47, 49, 50, 51, 60, 80, 182 C
Agar 57, 65 Canaan 16, 18, 22, 24, 32, 59, 67, 69,
Aggée 32, 37, 175 88, 101, 104, 105, 106, 107, 111, 139,
Alexandre 24 162, 163
Alyoth 190 Canon 34, 35, 38, 158, 160, 171, 193
Amos 32, 37 Cantique des cantiques 32, 34, 35, 37,
Apocryphe 34, 159 159, 160, 161, 167
AQUIBA 35, 67, 159, 160 Cham 52, 101
Araméen 9, 23, 24, 29, 34, 176 Chroniques 32, 35
© Groupe Eyrolles
197
Cyrus 23, 27, 131, 174 G
Genèse 17, 28, 30, 46, 52, 56, 61, 65, 68,
D 72, 84, 104, 128, 181
Dan 108, 109, 113 Gochen 17, 74
Daniel 32, 35, 36, 37 Golem 49
David 15, 22, 27, 37, 77, 107, 113, 114, 117, Grande Assemblée 23, 36, 37, 40, 159
150, 168
Décalogue 18, 22, 26, 28, 38, 85, 117, H
136, 151 Habacuc (livre) 32
Deutéronome 28, 31, 79, 91, 92, 94, 95, Habacuc (prophète) 37
116, 117 Hanna 112
Hébreu (langue) 9, 23, 24, 28, 47, 53,
E 68, 81, 82, 89, 95, 108, 125, 132, 141,
Ecclésiaste 32, 34, 36, 159, 167, 170, 172, 172, 173, 176
173, 185 Hébreux (peuple) 15, 17, 22, 75, 78, 82,
Élie 118, 119, 120, 121, 122, 132, 143, 146 83, 89, 101
Esaü 16, 18, 67, 68, 69, 70 Héli 111, 112
Esdras (livre) 32, 34, 35, 37, 39
L a To r a h
198
Jérémie (prophète) 29, 37, 128, 129, M
130, 131, 136 Madian 75, 77
Jérusalem 15, 23, 24, 25, 27, 33, 41, 115, MAÏMONIDE 41, 57, 58, 64, 161
117, 124, 128, 133, 136, 174, 189, 190 Malachie (livre) 32, 122, 143
Jésus 25, 91, 175, 187, 191 Malachie (prophète) 37, 122, 128, 143,
Jéthro 75, 77 144, 145, 146
Jézabel 119, 138 Manuscrits de la mer Morte 25
Job (livre) 32, 35, 37, 155, 156, 157 Massoreth 41
Job (personnage) 139, 155, 156, 157, 169 Mésopotamie 15
Joël (livre) 32, 37 Messie 108, 117, 119, 125, 143
Jokéved 76 Mézouza 98
Jonas (livre) 32, 125, 138 Michée (livre) 32
Jonas (prophète) 32, 37, 138, 139, 140, Michée (prophète) 37
141, 142 Midrach 31, 32, 41, 48, 55, 64, 73, 77,
Joseph 17, 69, 71, 72, 73, 74, 78, 165 90, 108, 118, 142, 146, 168, 182, 185
Josué (livre) 32, 35, 37, 102, 104, 105, Mitsvot 18, 191
106 Moïse 17, 22, 26, 27, 29, 30, 35, 37, 38,
Josué (prophète) 22, 37, 38, 102, 103, 45, 54, 58, 75, 76, 77, 78, 80, 86, 91,
106, 107, 175, 182 94, 95, 96, 101, 102, 103, 107, 108, 110,
I nd ex
Juda (frère de Joseph) 23, 73, 165 113, 121, 128, 129, 132, 136, 139, 143,
Juda (pays) 15, 19, 23, 124, 129, 176 144, 146, 149, 150, 155, 164, 170, 174,
Juges (livres) 32, 35, 37, 107, 108, 111, 175, 182, 183, 185, 191, 194
116 Myriam 76
Juges (personnages) 113
Juif 15 N
K Nabuchodonosor 15, 23, 27, 129, 133
NAHMANIDE 74
Kacher 90 Nahum (livre) 32
Kibboutz 190 Nahum (prophète) 37
Naomi 162, 163, 164
L Néhémie (livre) 32, 34, 36, 37, 174
Laban 69, 70, 108 Néhémie (prophète) 28, 37, 175
Lamentations (livre) 32, 33, 35, 36, 37, Noé 52, 53, 54, 55, 60, 64, 80, 101, 139,
129 141, 142
Léa 16, 22, 69, 72, 108, 112 Nombres 31, 137
Lévi (frère de Joseph) 23, 31, 70, 176
Lévite 87, 88, 116, 176 O
Lévitique (livre) 31, 86, 87, 90, 91, 96, Obadia (livre) 32
125, 144, 162
© Groupe Eyrolles
199
Osée (livre) 32, 37, 135 Sinaï 18, 22, 26, 29, 83-85, 94, 103, 122,
Osée (prophète) 128, 135, 136, 137, 138 134-137, 143, 151, 168, 183, 187, 189
Sinar (voir Babel) 52, 53
P Sion (voir Jérusalem) 27, 132, 189
Patriarches 22, 94, 104, 109, 128 Sophonie (livre) 32
Péricope 28, 54, 184 Sophonie (prophète) 37, 96
Philistins 68, 105, 108, 109, 110, 111, 113 Synagogue 23, 28, 30
Phylactères 98
Prophète 26 T
Proverbes 32, 35, 36, 37, 159, 166, 169 Table dressée (la) 41, 187, 188
Psaumes 32, 35, 37, 49, 87, 92, 113, 150, Talmud 31, 32-36, 40, 41, 46, 51, 57, 63,
151, 152, 154, 174, 182, 189, 190 66, 89, 94, 97, 122, 141, 143, 171, 175,
186, 189, 191, 192
R Aggada 41
Rabbin 24, 25, 31, 41 Baba Batra 35, 36, 103, 128, 155
Rachel 69, 70, 72, 73, 108, 112 Guémara 40
RACHI 50, 51, 60, 74, 79, 96, 144, 165 Hala’ha 41
Rébecca 16, 67, 69, 70, 72 Michna 29, 40, 159
L a To r a h
Rois (livres) 32, 35, 37, 39, 114, 115, 118, Miqraot Guédolot 41
119 Traité Avot 57, 109, 110
Ruth (livre) 32, 33, 35, 37, 162 Tamar 165
Ruth (personnage) 162, 164-166 Téfilines (voir Phylactères) 98
Temple de Salomon 15, 24
S Terre promise 16, 26, 45, 49, 79, 83,
Sages de Yavné 39 94, 101, 104, 115, 123
Salomon 23, 27, 34, 37, 117, 118, 161, Tétragramme 95, 165
167, 168, 169, 170, 171
Samson 22, 106, 107, 108, 109, 110, 111 Y
Samuel (livres) 32, 35, 37, 111-113, 115 Yavné 25, 39
Samuel (personnage) 22, 35, 37, 38, YHWH 95, 96, 164
111-113, 116
Sarah 15, 16, 22, 58, 62-65, 72, 108 Z
Saül 22, 38, 107, 113, 117, 154 Zacharie 32, 37, 121, 175
Septante 30, 31
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SCHOLEM Guershom, La Kabbale et sa symbolique, Payot, Paris, 2003
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Introduction au Talmud, Albin Michel, Paris, 2000
TRIGANO Shmuel, La Société juive à travers l’histoire, Fayard, Paris, 1992
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203
Table des matières
Sommaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
205
Abraham, en avant, marche ! . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .56
Abraham : une course pour trois invités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61
Isaac, la force tranquille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .65
Jacob et la peur de la bonne conscience . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 68
L’histoire d’une libération . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .71
Joseph, chute et ascension du juste . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71
Moïse, le bon berger . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .75
Pessah, la naissance de la liberté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .78
L’apprentissage d’une loi de vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 82
Le Décalogue, quand Dieu parle aux hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .82
Le Lévitique, appel à la sainteté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 86
La cité biblique, droit et justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91
Ecoute Israël, la profession de foi d’Israël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
Le monothéisme d’Israël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94
206
Ruth, une conversion pour la vie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 162
Les livres sapientiaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .166
Le livre des Proverbes, un père parle à son fils . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 166
L’Ecclésiaste, de la vanité à la crainte de Dieu . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 170
Esdras, le renouveau d’Israël . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 174
Ta b le d e s m a t iè res
Torah et société : implications pratiques . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 191
Conclusion. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .193
Index . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .197
Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .201
© Groupe Eyrolles
207