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vec

Espaces

Une nouvelle
dela
ï;DITIONS ~
POLE~
Bibliothèque
Tcing - L'aventure mathématique
e

Tangente Hors-série n° 65

Vecteurs
Espaces vectoriels
Une nouvelle approche de la géométrie

EDiTiONS
POLE

© Éditions POLE - Paris - Novembre 2018


Toute représentation , traduction, adaptation ou reproduction , même partielle, par tout procédé, sur
quelque support que ce soit, en tout pays , faite sans autorisation préalable , est illicite et exposerait le
contrevenant à des poursuites judiciaires (loi du 11 mars 1957).
ISBN: 9782848842189 ISSN: 2263-4908
Prochaineinent
dans la Bibliothèque Tangente

les seerre
des - osions

EDiTiONS
POLE
Vecteurs,
espaces vectoriels
Le latin, source de mots nouveaux
Le manifeste de l'art vectoriel

Histoire et axiomatique
La notion d'espace vectoriel voit le jour progressivement
tout au long du xix• siècle, dans le but de formaliser
l'espace qui nous environne. Des précurseurs ont permis
ce changement de point de vue en introduisant les
notions de« base», de« déterminant», d'« application
linéaire» ...

Expliquer les vecteurs par la géométrie


Une relation qui s'est fait un nom
Un concept révolutionnaire
« La » dimension : une idée pas si évidente !
Applications linéaires
Le théorème du rang
Les matrices vues comme des vecteurs
Les modules

la géométrie autrement
Peut-on traiter la géométrie comme une branche de
l'algèbre? C'est l'enjeu de l'usage des espaces vectoriels.
Cette « mathématique sans figures » s'intéresse aux
transformations de l'espace et à leurs invariants.
L'intuition géométrique y trouve un sens renouvelé.

Une géométrie sans figures


Le programme d'Erlangen
Du vectoriel à l'affine .. . et vice versa !
Précieux barycentres
Alignement, coplanarité, concom·ancc ...
Les transformations géométriques
Composer des transformations géométriques
La conjecture de Rota sur les bases

En bref 12, 31, 53, 85, 95, 111, 115, 121


Nouvelle : L'héritage extraordinaire de Papy Askilman 63
Mathématiques récréatives 138
Problèmes 150
Notes de lecture 153
· Solutions 154

(suite du sommaire au verso)

Hors-série n°65. Les espaces ve


Espaces euclidiens,
distances et normes
En introduisant le concept d'orthogonalité et d'angle
grâce au produit scalaire, le champ des espaces
vectoriels débouche sur les espaces euclidiens et
hilbertiens. Les espaces normés sont ainsi devenus
des cadres incontournables dans lesquels s'inscrivent
désormais la géométrie et l'analyse.

Propriét és affines et m étriques


La lente émergence des espaces euclidiens
Espaces normés, espaces fonctionnels
Le produit vectoriel
L'orie ntation des angles
Les polynômes ... vus comme des vecteurs
Le pla n projectif et l'espace universel
Calcul approché d'une intégrale et orthogonalité

Des applications aux sciences


Les vecteurs se sont révélés indispensables à l'étude des
mouvements et des forces. Leur champ d'application
s'étend bien au-delà : toutes les sciences de l'ingénieur
font un usage immodéré de l'algèbre linéaire, du calcul
matriciel, et des notions qui en sont dérivées, comme
les spineurs.

Cinématique : l'atout « vecteurs »


Le mouvement vectoriel de la comète Encke
Équations linéaires et suites r écurrentes
Au-delà des vecteurs
Les spine urs
L'analyse vectorielle, des outils pour les champs

Ils sont partout !


Les vecteurs apportent un enrichissement de notre
approche de nombreux domaines. Leur présence a opéré
une véritable révolution, accentuée par l'avènement de
puissants outils de calcul, aussi bien dans le stockage et
la définition d'une image, qu'en art ou qu'en littérature.

Les mots sont des vecteurs


Du calcul matriciel dans nos images
Les espaces vectoriels, c'est ludique!
Le dessin de la toile d'araignée
« Lambertiser » l e cadastre !
Les espaces vectoriels musicaux de Iannis Xenakis

Tangente Hors-série n°65. Les espaces v


par B. Hauchecorne

le latin, source de mots nouueaux


Le développement de l'algèbre linéaire fut la source de vo-
cables nouveaux, comme « scalaire », ou remis au goût du
jour, tel« vecteur».

Vous avez dit II linéaire n? un II vecteur n? Pourquoi ce mot...


Dans le courant du x:rxe siècle, le sens Les Ro mains possédaie nt déjà le mot vector. Iss u du
du mot « algèbre » prend une dimen- verbe vehere s ig nifiant « tran spo rte r », il désignait au ss i
sion nouvelle. D'origine arabe, issu bi e n le passage r que le conducte ur d ' un bateau o u d ' un
du titre d'un ouvrage du savant per- chariot. On retrouve e n fra nçais cette rac ine cl ans les
san al-Khwarizmi, le terme désignait mots fran çais « vé hi c ul e », « vo iture » ou mê me « vo ie »
depuis Viète et Peletier du Mans l'en- et « in vective ». Le françai s médi éval re prend le sens
latin de conducte ur d ' un bateau o u d ' un véhic ul e, mais le
semble des techniques de calcul utili-
mot to mbe vite e n désuétude .
sant ces nombres nouveaux qu'étaient
C'est so us fo rme d ' adjectif que re naît au xv 111• s iècle le
les entiers négatifs, puis les nombres
mot clan s l' expressio n « tourbillo n vecte ur », pui s dans
complexes. Les structures mathé-
« rayo n vecte ur ». So us ce de rnie r nom, les as tronomes
matiques telles que les groupes, les
dés igna ie nt le segme nt ori e nté jo ig na nt le soleil à une
anneaux ou les corps sont conçues à planète, comme s' il lui impul sait lui -mê me son mou ve-
l'origine comme des extensions de la me nt. On voit la dé ri ve sé ma ntique vers la petite fl èche
notion de nombre et se rangent tout jo ig nant de ux po ints du pl an o u de l' espace : c ' est à Wi l-
naturellement sous l'aile de l'algèbre. liam Harn.ilto n q ue l'on do it cette no me ncl ature, mais
Plus généralement, tout ce qui se base c ' est sans do ute Maxwell qui l' a popul arisée. Si , e n
sur du calcul (opérations d'addition mathé matiques appli q uées o u en physique, c'est e nco re
ou multiplication.. . comme les es- cette notio n qui do mine, pour ceux qui sont baig nés dan s
paces vectoriels !) se voit classé dans l'ax io matique, vecte ur no mme un é lé me nt d ' un espace
ce même domaine. vec to rie l, souve nt é lo ig né de to ute interprétati o n géo mé-
Cependant, l'origine géométrique se trique. So n utili satio n e n médec ine clans le se ns de « vec-
fait sentir dans la désignation de ces te ur d ' une maladi e » apparaît au début du xx 0 siècle cla ns
différents concepts, comme le rap- le sens latin originel de « co nd uc te ur ».
pelle clairement l'emploi du mot « es-
pace ». De même, dans « linéaire », on T
F
devine le mot « ligne » . Issu du latin,
La planète E
linearis dénomme ce qui se rapporte à
décrit une orbite
une droite. Il apparaît en français à la
elliptique autour
Renaissance dans le même sens ; on s ---------- du soleil S.
qualifie depuis de linéaire les notions
Le rayon
ayant un lien étroit avec les droites
vecteur est SE.
(vectorielles dans notre cas), c'est-à-
dire possédant une équation du pre-
mier degré.

Hors-serre n 65 Les espaces vectoriels Tangente


·: PASSERËi.i.,a·
.
s '.
- par P. Schmitt et D. Owczarski

le manifeste
de l'art uectoriel
Méconnu, inclassable, objet de définitions contradictoires et
ambigües, tel est le triste sort de l'art vectoriel, à la frontière
entre mathématiques, arts numériques et arts plastiques. Ce
domaine d'activité constitue pourtant depuis cinquante ans
une composante fondamentale de l'art contemporain.

'
L
art vectoriel, c'est tout sim- dont les applications a1tistiques rele-
plement l'art de dessiner vaient alors le plus souvent de l' abs-
des vecteurs : il s' agit d'un traction géométrique (par exemple les
art traditionnel, dont 1'objectif premier recherches de Véra Molnar) ou de la fi-
est de réaliser un dessin sur une feuille guration conceptuelle (voir les travaux
de papier. Il repose sur ! 'utilisation de de Scowcza, qui utilise pour la première
l'ordinateur, lequel est incapable de fois le terme « art vectoriel » au début
Le cht1poa 11 111,m, tracer une ligne autrement qu 'en la dé- des années 1980). L' art vectoriel est à
Scowczu, 1985 composant en petits segments de droite, distinguer de la production d'images
(encre d • 'hine sm· appelés vecteurs (voir la Droite, Biblio- numériques vectorielles , ainsi nom-
Pllllkr Cnnson, thèque Tangente 59, 2017),Cette forme mées pour les distinguer des images
trnccur Wntannbc et d' art très particulière se distingue de matricielles (constituées d'une simple
ordinateur Apple lie). l'image de synthèse, qui cherche es- mosaïque de pixels, dont la quantité
sentiellement à générer, habiller et ani- conditionne la netteté de l'image). Les
mer des volumes, et de l'art numérique images vectorielles sont quant à elles
contemporain, qui cherche le plus sou- constituées d' une juxtaposition de sur-
vent à générer des processus dématéria- faces colorées, dont les contours (que
Jjsés, interactifs ou aléatoires. les informaticiens appellent pour cette
raison « vecteurs ») sont des objets
Dessin par ordinateur mathématiques entièrement redessinés
lors de chaque nouvelle représentation
L ' art vectoriel trouve son origine dans de l'image (selon le principe même de
le « dessin par ordinateur sur table tra- la programmation orientée objet) ; ain-
çante », apparu dans les années 1960, si, leur netteté est indépendante de la

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


taille. La qualité des images ainsi obte-
nues est si grande que l' on est parfo is
enclins à leur attribuer le terme d' « art
vectoriel » ; il serait cependant plu s
approprié de parler dans ce cas d' « art
semi -vectori el » (dans la mesure où le
colori age des contours vectoriels reste
généralement réalisé de façon matri-
cielle).
L'art vectoriel, quant à lui, est dans
son principe un art résolument linéaire,
voire même l' art linéai re par excel-
lence. Il se distingue donc des arts
surfac iques (images matri cielles ou
semi-vectori elles, assimilables à des
peintures hyperréali stes plutôt qu 'à
des dessins) ou volumiques (images
de sy nthèse, sculptures). Dans l' art
vectoriel (et c'est ce qui constitue sa
principale caractéristique), la surface
et le volume n'existent que comme
prolongements de la ligne, ou encore
comme conséquences du trait, qui en
est l' unique élément générateur.
L'origine de l' ambiguïté actuell e est
née du fait que les informati ciens dé-
fini ssent exclusivement le vecteur
comme l'ensembl e des paramètres
numériques qui permettent de générer
une forme géométrique, en oubli ant
quelque peu le vecteur purement géo-
métrique, qui fait aussi partie du des- __.,,--:---
sin . Répétons-l e : selon le principe ' -.. ..---'
mi s en avant dans la défi nition de l' art ~~~?
vectoriel, la véritab le particulari té de
l' ord in ateur est qu ' il est incapab le de
tracer une ligne

Animation vectorielle,
Scowcza, 2010.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


PASSERELLES Le manifeste de l'art vectoriel

Dans le processus multifractal, la ligne


se « hisse » progressivement elle-
même, par complexification, au rang de
smface, voire de volume. L'exemple
de la page 7 combine ainsi l' ensemble
de ces deux processus génératifs.

Ce sont principalement les développe-


ments multifractals de l'art vectoriel
qui vont définitivement assurer l'an-
crage de ce mouvement, avant-gar-
diste bien que traditionnel, dans l'art
contemporain du XXIe siècle. Ainsi, dans
le programme Resyn, qui est dévelop-
pé depuis le début des années 1980, la
ligne traditionnelle fait place à un par-
cours spatial généralisé, dont les étapes
constituent en quelque sorte les traits.
Plus précisément, le trait désigne à la
fois l'emplacement où se situe l'étape
(origine du vecteur dans la conception
traditionnelle), et l'individu (ou consti-
tuant) faisant étape à cet emplacement
(tracé du vecteur, joignant l'origine à
l'extrémité du trait, dans la conception
En haut : perspective traditionnelle.
traditionnelle). L'individu peut être non
En bas : perspective bi-logarithmique.
seulement un trait, mais également une
ligne, voire un dessin à part entière. 11
sans la discrétiser, c'est-à-dire mettre en résulte qu'un dessin peut alors être
des vecteurs bout à bout. On peut ainsi plus généralement défini comme une
facilement aboutir à des compréhen- ligne dont chaque trait est un dessin.
sions différentes du concept d'art vec- Chacune de ces notions, très subjec-
toriel selon la définition à laquelle on tives, ne définit que l' étape de la com-
se réfère ... position à laquelle le dessinateur consi-
Deux processus sont privilégiés. Dans dère qu ' iJ se situe à un moment donné :
le processus classique, l'ordinateur le trait est l'élément sur lequel il est en
n'est utilisé que comme un automate train de se concentrer, la ligne est Je
servant à prolonger et démultiplier le parcours dans laquelle cet élément va
geste traditionnel du dessinateur : l 'ef- ensuite s' insérer, le dessin est la finalité
fet surfacique ou volumique est obtenu de l'ensemble.
par hachurage, ou saturation progres- Ce processus créatif très général en-
sive d' un contour au moyen de diffé- globe le cas particulier des dessins qui
rentes textures, à l'instar du dessin à la s'incluent eux-mêmes, c'est-à-dire les
plume ou de la gravure traditionnelle objets fractals : c'est en cela que l' art
( « estampes numériques », au plein vectoriel peut être considéré comme
sens du terme). « art multifractal » à part entière.

8 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Perspective hi-logarithmique

L 'écriture d ' un programme exp loitant


les possibilités multi-fractales de l'art
vectoriel peut être l'occasion de com-
pléter les lois de la perspective linéaire,
traditionnellement utilisée en dess in
d 'art bien qu 'elle ne soit à l'év idence
pas adaptée à la représentation d ' un
paysage complexe. Le dessinateur figu-
ratif qui cherche à représenter un arbre
situé à un mètre de distance s'attachera
avant tout à re produire la rugos ité de
l'écorce et les veines de chaque fe uill e.
Si l' arbre est à dix mètres, le tronc ap-
paraîtra plus li sse, et les fe uilles d'une
texture plus homogène. À cent mètres,
les fe uilles ont perdu le ur individuali-
té pour se fo ndre dans le fe uill age. À
mil le mètres, l'arbre lui-même a di spa-
ru pour se fo nd re dans la forêt. Ainsi ,
une vue en perspecti ve ne saurait se
contenter de représenter « grands »
les arbres qui sont devant, et « petits »
ceux qui se trouvent au lo in .

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


PASSERELLES Le manifeste de l'art vectoriel

La dimensio n apparente d ' un objet tance, en simplifi ant d ' autant plus les
diminue linéairement en fo nction de é léments gra phiques qu ' ils sont plus
la di stance, conformément aux lois de éloignés.
la perspecti ve class ique. Par contre, La fo rmali sation mathématique de ce
il semble que la simplifi cation de sa savoir-faire empirique découle très
représe ntatio n doive évoluer, qu ant à logiq uement de l'analyse fractale. En
elle, assez ra pidement pour les fa ibles effet, si l' o n admet que la réalité est
di stances, ma is « de mo ins en moins fa ite d 'objets de grande ur intrinsèque
rapidement » pour les di stances plus G 0 et de dimension fractale D (au sens
importantes, selon une progress ion de de la dimension de Hausdorff), alors la
ty pe logari thmjque plutôt que linéaire. grandeur apparente d ' un objet situé à la
Les dess inateurs savent intu1t1vement di stance d vaut G = G 0 / cl°.
faire évoluer la complex ité de leur Par exemple, une ligne traditionne lle,
re présentati on en fo nction de la di s- de dimension D = 1 et de longue ur L0 ,
mesurera L = L0 / d à la distance d,
comme le ve ulent les lois de la perspec-
Scowcza a fait l'objet d'une grande rétrospective en 2017 ti ve cl assique. De même, une surface,
à l' Atelier Grognard de Rueil-Malmaison (Hauts-de-Seine). de dimension D = 2 et d 'aire S0 , mesu-
Les personnages suspendus sont les « scowczis », rera S = S 0 / d 2. Et si TJ est la plus peti te
emblèmes du collectif. lo ngue ur perceptible par le dessin ate ur
(que l'on pourrait ap peler « pouvoir de
résolution de l'œil »), alo rs la plu s pe-
tite unité de mes ure d ' un objet frac tal
est TJ D (soit TJ pour une ligne, T) 2 pour
une surface, TJ 3 pour un volume ... ). La
grande ur de cet objet, exprimée dans
cette uni té, est par dé finiti on égale
à n x TJ D. O n obtient do nc la re latio n
G = G0 / dD = n x T) D.
S i l' on caractéri se la complexité d ' un
dessin par le nombre de petites entités
é lémentaires, ou traits, nécessaires à
sa re présentation, soit n, on pe ut ex-
primer cette compl exité sous la fo rme
sui va nte : n = G 0 / (d x TJ)D ou encore
log n = log G 0 - D log (clTJ).
Cette relatio n bi-logarithmique, pour
un pouvoir de réso lution TJ do nné, e ntre
la complex ité n de la représentation et
la di stance cl à laquelle se tro uve l'objet
re présenté, de grandeur in trin sèque G 0 ,
est illustrée par le schéma qui sui t.

La perspecti ve traditionne lle, quant à


e lle, fixe la complex ité n, et par consé-
quent le prod uit dTJ . La résolution TJ se

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


log (n)
ture, mais il s'agit dans le cas présent
de dépasser les clivages traditionnels.
D Perspec ti ve
Le dessin n'est plus limité à un schéma
/ bi-Jogarithmique constructif destiné à disparaître ensuite
Perspec tive sous le pinceau du peintre, la peinture
/ tradi ti onne ll e n'est plus limitée au simple remplis-
n =n0 sage de contours tracés au préalable (et
dont il ne fallait surtout pas déborder).
Les signes du dessin , que sont les
lignes-assemblages de traits, se
trouvent ainsi mêlés aux signes de la
Évolution de la complexité peinture, gestuels et surfaciques, pour
en fonction de la distance. véhiculer (au sens vectoriel du terme :
le latin vehere signifie « conduire ») le
sens d 'œuvres appelées peintures vec-
voit donc contrainte de varier en raison torielles. Une application inédite de ce
inverse de la distance. concept consiste à animer les éléments
Le pouvoir de résolution, ou plus petite vectoriels pour mettre en résonance
longueur visible, ne traduit rien d'autre les couleurs du tableau, comme sur
que les limites de l'acuité optique de l'œuvre qui figure en haut de la page 9.
l'observateur ; il s'agit bien d'une
grandeur intrinsèque, qui n'a aucune P.S.& D.O.
raison de diminuer lorsque la distance
augmente. L'hypothèse d'une résolu-
tion variable conduit à une densité de
traits et à une confusion d'autant plus Trophée réalisé
grandes que les éléments sont plus par Scowcza pour
éloignés, comme en témoignent, sur le prix Bernard-
la base d ' un exemple classique (arbre Novelli organisé
fractal), les deux représentations en par le Club
page 8 de la même forêt virtuelle. Tangente.

Déueloppements artistiques

L ' association de l'art vectoriel avec


les arts plastiques est le but du col-
lectif Scowcza. Un élément artistique
important est le caractère linéaire de RÉFÉRENCES
l'art vectoriel , qui le distingue des • Maths et arts plastiques.
autres formes d'art numérique ; il se Bibliothèque Tangente 23, 2005.
prête tout particulièrement à une asso- • Dossier« La géométrie projective ».
ciation avec cet art fondamentalement Tangente 162, 2014.
surfacique qu'est la peinture. Cette dé- • Les secrets des dimensions.
marche pourrait être comprise comme Tangente hors-série 66, 2018.
un simple prolongement de l'associa- • Le site de Scowcza: www.scowcza.com
tion classique entre le dessin et la pein-

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


EN BREF par Cassiopée Cunibil

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
:• ~ Des notations multiples
• Avertissement:
• les notations
• Les notations mathématiques pour un •
• même un concept sont multiples et évolutives. •
de cet ouvrage

.


Celles utilisées en analyse vectorielle ne font pas
. '
except10n. A la multiplicité des formes que l'on


• observe, tout au long de l'histoire, dans les textes •
• originaux de mathématiciens, s'ajoutent la diver-
••
• sité des usages en fon ction du pays, voire de la •
• communauté : ainsi les notations utilisées dan s • Selon les auteurs, les natio-
l'enseignement scolaire ne passent pas, en gêné- •
nalités, les années, les textes
•• ral, la grille du lycée, les chercheurs étant plutôt •
mathématiques utilisent d es
• enclins à adopter les standards internationaux. •
• Restent encore des différen ces, les physiciens,
•• notations différentes. Par souci
de cohérence, les notations
• les mathématiciens, voire les mathématiciens •
• appliqués ayant leur propres usages. • adoptées dans les articles de
•• La notation du vecteur, actuellement utilisé e
• ce numéro sont:

• par les lycéens français, à savoir une lettre sur-


•• U ou û pour les vecteurs. Les
seules exceptions viendront des
• montée d'une flèche, qui semble provenir de la •
extraits de textes pour lesquels
• physique, est apparue dans les années cinquante. •
•• On peut voir, dans les textes historiques, des •
les auteurs se sont efforcés de
garder les notations originales.



lettres surmontées d 'une b arre ou soulignées.
On trouvera aussi, dans les textes allemands '
des lettres minuscules gothiques.
.



Ainsi, dans l'exposition de son
axiomatique, H erman Weyl
•• (voir en page 24) utilisait des
La notation internationale actuellement en usage •
minuscules gothiques .
• est une lettre en gras qui se transforme parfois en
•• Giusepp e Peano, dans son
• soulignement lorsqu'il faut écrire au tableau. Le •
• produit scalaire (dot product en anglais) se note • Calcul géométrique, se sert de
• avec ... un point. • minuscules classiques a, b, cou
•• Dans la littérature actuelle, on retrouve également,
•• de majuscules U, V.
Le produit scalaire d e deux
• pour le produit scalaire de deux vecteurs u et v, les •
vect eurs û et v (respective-
• notations< li, v >, < u I v >, (li, v), (u I v). •
ment U et V) sera noté û . v



Le produit vectoriel de deux vecteur li et v ' noté
u I\ v en France et en Italie, est désigné par le
.•

ou < û I v > (respectivement
U.V ou< U I V>). Pour la norme
• symbole li x v d ans les pays germanophones •
d'un vecteur û (respectivement
• (Krellzprodukt) et anglophones (cross prodllct). •
U), on trouvera N( û ) ou 11 û 11
•• Enfin, la notation [u , v ] , plus rare, est visible chez •
• certains mathématiciens russes. • (respectivement N(U) ou IIUI 1) .

• • • • • • • • • • • • • • • • • • • • •
12 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels
I

Expliquer les vecte~rs par la qéométrie 14


une relatio lt un aom 18
Un concept • 22
idée 11s Si évidente 1 28
s: Il •1111 d• de l'algèbre_ linéaire 32
g H
36
40
SAVOIRS par Gilles Cohen

E1epliquer les uecteurs


par la géométrie
Dans les mathématiques d'aujourd'hui, on définit les espaces
géométriques (espaces affines) à partir des espaces vectoriels.
Pourtant, c'est historiquement parlant dans l'autre sens que s'est
produite la naissance des espaces vectoriels.

n dehors des nombres , la géo- si le quadrilatère ABDC est un parallé-

E métrie a précédé la plupart des


notions mathématiques, voire
permis leur introduction. Les vecteurs
logramme. Une condition équivalente
consiste à dire que les milieux des seg-
ments [ADJ et [BC] sont confondus (au
n'échappent pas à la règle. point M de la fig ure ci-dessous).
Pour construire la notion de vecteur,
B
on va donc partir de l'ensemble (P) des
points d'un plan ou d' un espace-qu'on
appelle aujourd'hui« de dimension 3 » -, A
dans lequel une géométrie a déjà défini
un certain nombre de propriétés clas-
siques, rigoureusement ou de manière C
intuitive. On remarque que cette définition entraîne
que les quatre points A, B, Cet D sont
Du bipoint au vecteur coplanaires (ils sont dans un même plan,
même si on travaille en dimension 3).
On s'intéresse alors aux bipoints, les Les segments [AB] et [CD] correspon-
couples ordonnés de points de (P), de dant à deux bipoints équipollents sont
la forme (A, B). On dira que le bipoint donc parallèles. On peut ajouter qu 'i ls
(A, B) est équipollent au bipoint (C, D) sont« de même sens» et, si l'on a défini
une distance, qu'ils sont « de même
longueur». Mais cette notion n'est pas
« La mathématique est l'art de donner utile à ce stade.
Ce qui est intéressant, c'est la consta-
le même nom à des choses dijférentes. » tation que la relation d'équipollence
Henri Poincaré (1854- 1912) est ce que l'on appelle une relation

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


d'équivalence. Elle est en effet : -
Le vecteur AB
- réflexive : un bipoint est équipollent à
lui-même (d'accord, le parallélogramme
est aplati, mais c ' en est un) ;
- symétrique : si (A, B) est équipollent
à (C, D), alors (C , D ) est équipollent à
(A, B );
lA
kB
représente
la translation
menant de A à B.

- transitive : si (A, B) est équipollent à Géométrique ment, un e translation T


(C, D) et (C, D) à (E, F), alors (A, B) qu i transforme un point A en un point
est équipoll ent à (E, F). B = T (A) tran sforme un point C en un
point D = T(C) tel que le qu adril atère
À partir d'une relation d' équivalence, on ABDC soit un parallélogramme. Ainsi,
peut définir des classes d'équivalence. pour tout point M , le bipoint (M , T(M))
Ain s i, pour l' équipol lence, la classe est équipollent à (A, B).
d'équivalence d ' un bipoint (A, B) est La translation T , dite translation de
l'ensemble des bipoints équipollents à vecteur AB, est donc entièrement carac-
(A, B). On l'appellera dorénavant vec- téri sée par ce vecteur. Réciproquement,
teur AB et on la note AB . tout vecteur est associ é à une unique
L 'e nsembl e E des vecteurs ainsi mi s translation .
en év idence est appelé espace vectoriel De là à identifi er translations et vecteurs,
assoc ié à (P) . il n'y a qu'un pas, que nous allons fran-
On pourrait continuer en défini ssant dès chir immédiatement, car cette re lation
ce stade, à partir de cette introduction de va s' avérer un isomorphisme, qui relie
la notion de vecteur, des opérations (et non seulement les deux ensembles, mais
leurs propriétés) sur ce nouvel ensemble aussi les opérations que l' on peut définir
E. Mais on va faire mie ux, en utilisant dessus.
un e autre notion fondamenta le de la
géométrie, celle de transformation. C 'est La pre mière opération class ique sur
la plus élémentaire des transformations , l'ensemble des translation s es t la
la translation , qui va être mise à contri- composition. On peut composer deux
buti on. trans lations T et T' , ce qui donn e la
trans lation T o T' .
vecteurs el 1ranslalions. Cette opération a ce qu ' on appel le des
mêmecombal propriétés de groupe abélien :
- Elle est commutative, puisque l'ordre
On re présente souvent les vecteurs en dans lequel on opère deux translations
les surmontant d ' une fl èche. C'est sans n'affecte pas le résultat ;
doute pour sig nifier l ' idée de déplace- - Elle est associative ; en effet, on peut
ment sou s-jacente . Si l' on se donn e composer troi s translations dans n' im-
deux points A et B du plan ou de l'es- porte quel ordre en obtenant le même
pace , le vecteur AB permet de passer résultat: (T o T ') o T " = T o (T ' o T ");
de A à B ; il re présente la tran slation - Elle admet un élément neutre, l' identité
menant de A à B . I (P)' qui laisse chaque point du plan (P)
Cette représentation cinématique justi - in variant. C'est la translation de vecteur
fie l' addition des vecteurs, comme leur AA (on l'appellera translation de vecteur
multiplication par un scalaire. nul), qui vérifie l (P) o T = T o I(P) = T ;

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Ta:n9ente


C W sont deux vecteurs, on définira la
La relation de Chasles somme V + W par le vecteur associé à
la composée de la translation de vecteur
Addition de deux vecteurs :
--+ V et la translation de vecteur W.
si AB mène de A à B
--+
et BC de B à C,
--+ --+ À la bijection entre les deux ensembles,
alors AB + BC A B
--+ on associe donc aussi une correspon-
mène de A à C, c'est donc AC. dance des opérations (ou isomorphisme),
L'une des conséquences de la correspondance entre qui permet d'affirmer que l'ensemble E
translations et vecteurs est la relation de Chasles. des vecteurs associés à (P) est muni d'une
addition qui lui confère une structure de
En effet, si l'on compose la translation qui trans-
groupe abélien. Et comme l' élément
forme A en B avec celle qui transforme B en C, on
neutre de l'addition dans un ensemble de
trouve la translation qui transforme A en C. En nombres est noté 0, on appelle vecteur
notation vectorielle, cela s'écrit tout simplement : nul (et on note aussi 0) le vecteur AÂ
AË + Bê = Aê. associé à la translation identité.

- Chaque translation T de vecteur La multiplication externe


V = AB admet une translation symé- grâce à l'homothétie
trique T' de vecteur BA telle que
Ta T' = T' a T = I(P)" Mais dans un espace vectoriel , il existe
une autre opération, dite multiplication
L'idée géniale va être de transposer cette externe, qui consiste à pouvoir multiplier
opération aux vecteurs , en définissant un vecteur par un nombre réel (cela se
la somme de deux vecteurs à l' aide de générali se ensuite à d'autres corps , dits
la composition de translations. Si V et corps de scalaires).

Familles libres et familles génératrices


La multiplication externe permet en particulier de définir une « combinaison linéaire »
de vecteurs. On dit qu'un vecteur W est une combinaison linéaire d'une famille F (finie
ou infinie) de vecteurs s'il existe n vecteurs V,1 V2 , V3 ... Vn , de F et n scalaires (ce sont ici
des réels)\, À.2 , \···\tels que W = \V1 + 11.2 V2 + \V3 ... + \V11 •
Pour obtenir une combinaison de vecteurs de F égale au vecteur nul, une solution évidente
est que tous les coefficients (À,1 À2 , À3 ... Àn) soient nuls. S'il n'y a pas d'autre possibilité, on
dit que la famille Fest une famille libre.
Si tous les vecteurs de l'espace vectoriel E s'expriment comme des combinaisons linéaires
de la famille F, on dit que Fest une famille génératrice de E.
Une famille à la fois libre et génératrice de E est appelée une base. Si elle contient un nombre
n fini de vecteurs, on dit que l'espace vectoriel est de dimension.finie n. C'est évidemment
le cas de l'espace vectoriel associé à un plan (de dimension 2) ou à l'espace dans lequel
nous nous mouvons, qui est de dimension 3.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Pour multiplier un vecteur V par un
réel À (on notera le résultat ÀV), on va Définition axiomatique
s'intéresser à la translation obtenue en des espaces vectoriels
composant, dans cet ordre, la transla-
tion de vecteur AB par l'homothétie
de centre A et de rapport À.

Giuseppe
Peano
(1858-1932)
A fut le premier
à définir
Le point C est le transformé de B par
les espaces
l'homothétie de centre A et de rapport À
(sur cet exemple À = 5/4). vectoriels
de manière

Cette composition transforme B en un axiomatique.


point C. Par définition, on dira que :
i\AB = AC. On appelle espace vectoriel sur un corps K
(appelé corps des scalaires) un ensemble E
On remarque que IV= V et que OV = 0
dans lequel existent :
(vecteur nul).
• une addition interne, entre éléments de E,
On montre assez facilement aussi, en
utilisant la géométrie, les propriétés de ayant les propriétés d'un groupe abélien ;
distributivité de cette opération (voir le • une multiplication externe de K x E dans E
détail en encadré). qui, à tout couple (À, V), associe le vecteur ÀV
ayant les propriétés de distributivité suivantes :
Les dés sont jetés ! Il ne reste plus qu'à
pour tous scalaires À et µ, ainsi que pour tous
faire comme si on avait oublié l' origine
géométrique de ces notions et de leurs vecteurs V et W,
démonstrations, et de tout réinventer. - (Àµ)V = À(µV) ;
Comment ? En proclamant l 'axioma-
tique des espaces vectoriels (voir enca- -(À+ µ)V= (ÀV) +(µV);
dré ci-contre), puis en redéfinissant la -À(V + W) = (ÀV) + (µW).
géométrie dite affine à partir des espaces
vectoriels ! On peut alors, à partir d'un espace vectoriel E
sur le corps K (R pour les espaces réels), (re)
G.C. définir un espace affine (A) associé à l'espace
vectoriel: c'est un ensemble de points tel qu'on
puisse associer un vecteur de E à tout couple de
points de (A) : (O, M) H 0M, cette application
étant une bijection quand O est fixé et vérifiant
la relation de Chasles !

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Élisabeth Busser

Une relation
qui s'est fait un nom
La fameuse « relation de Chasles », celle qui reste après avoir
tout oublié des mathématiques, était connue avant Chasles,
mais il revient à ce maître de la géométrie de l'avoir formalisée.
Selon le contexte, elle porte sur les vecteurs, sur les angles ou
sur les intervalles d'intégration.

' déjà développé la géométrie à un haut

C
est dans son Traité de géo-
métrie supérieure que le niveau. Archimède (Ille siècle avant
mathématicien français notre ère), par exemple, le décrit avec
Michel Chasles introduit, selon son préci sion dans ses Opera Mechanica :
vocabulaire, la « somme des trois seg- « Quand un corps est mû selon un cer-
ments », ayant pris soin au préalable tain rapport [entre deux mouvements
d ' indiquer avec soin la définition d ' un rectilignes qui s'y appliquent], le corps
segment et la « manière d'indiquer la se meut en ligne droite et cette droite
direction des segments » . Cela va de- est le diamètre de lafi.gure formée par
venir l'antienne que tout bon collégien, les deux droites entre lesquelles est éta-
tout bon lycéen, tout bon étudiant, va bli le rapport. » Déjà un diagramme,
Sir William Rowan ressasser sous diverses formes au cours donc, permettait de définir et calculer
Hamilton (1805- 1865). de son existence scolaire, la célèbre les composantes d'une résultante de
« relation de Chasles » . forces, sans toutefo is faire apparaître
le concept de somme de deux vecteurs.
De lointains précurseurs Les Chinois, au premier siècle avant
notre ère, dans les Neuf Chapitres sur
Connue sous la forme vectorielle, la l'art mathématique, envi sagent, eux ,
- - -
plus courante, AB+ BC = AC , ladite les vecteurs sous un angle algébrique,
relation n' a pas toujours été exprimée allant jusqu 'à inventer plus tard la no-
en termes de vecteurs, loin s'en faut ! tion de congruence, au x111e siècle. En
Précurseur du vecteur, on voit appa- Europe , Leibniz lui aussi, dans une
raître le « parallélogramme des vi- lettre à Huygens de 1679, parle de
tesses » chez les Grecs , qui avaient congruences de points ou de figures ,

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


,,.,, ,. ~

:1 _:
1': HISTOIRE ET AXIOMATIQUE

initiant une sorte d'algèbre dont les


symboles sont des éléments géomé-
Bipoints et équipollence
triques. Un bipoint est un couple de points du plan ou de
La notion même de vecteur est définie l'espace. On le note (A, B). Deux bipoints (A, B) et
par Hamilton vers 1850, mais on n'uti- (C, D) sont dits équipollents (on le note souvent
lise pas encore le symbole de la flèche (A, B) ~ (C, D)) si les segments [AD] et [BC] ont
en surlignage, qui pourtant existait déjà même milieu, autrement dit si le quadrilatère ABDC
chez Simon Stevin (1548-1620). est un parallélogramme.
La notation fléchée n'apparaissant en La relation d'équipollence est ce que les mathémati-
France que vers 1930, et surtout chez ciens appellent une relation d'équivalence, à savoir
les physiciens pour être utilisée plus qu'elle vérifie:
tard par les mathématiciens, c'est donc
à l'aide de symboles graphiquement • (A, B) ~ (A, B) : c'est la réjlexi.vité,
plus simples que Michel Chasles, dès • si (A, B) ~ (C, D), alors (C, D) ~ (A, B) : c'est la
les premières pages de son Traité de symétrie,
Géométrie Supérieure paru en 1852, • si (A, B) ~ (C, D) et (C, D) ~ (E, F), alors
exprime la relation qui portera plus (A, B) ~ (E, F) : c'est la transitivité.
tard son nom. Il pose les choses clai-
rement: Ces trois propriétés permettent de faire une« parti-
tion» de l'ensemble des bipoints en sous-ensembles
disjoints dont la réunion est l'ensemble de tous les
TRAITR bipoints du plan ou de l'espace: ce sont des classes
GÉOMÉTRIE SUPERIEURE,
d'équivalence, regroupant dans une même classe
tous les bipoints équipollents entre eux, comme par
exemple (A, B) et (C, D), dont on dit (A, B) ~ (C, D).
Ce sont ces classes de bipoints équipollents que l'on
appellera vecteurs. On nomme ainsi la classe de
tous les bipoints équipollents à (A, B), et donc tous
équipollents entre eux.

« Quand le segment compris entre !1 D


.. .... .. . . ... ······· • ·······
deux points a et b, sera représenté par
ab, nous dirons que le point a est son
origine. S'il est représenté par ba, ce
sera le point b qui sera regardé comme C
son origine.
Nous indiquerons la direction [des Les bipoints (A, B) et (C, D) sont équipollents
segments d 'une même droite J en regar- car [AD] et [BC] ont même milieu I.
dant comme positifs tous ceux qui se-
ront dirigés dans un même sens conve-
nu et comme négatifs tous ceux qui
seront dirigés dans le sens contraire, le calcul, le signe + aux premiers et le
c'est-à-dire que nous donnerons, dans signe - aux autres.»

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Une relation qui ...

C F G
la notion de bipoint et d' équipollence,
a conduit à la forme encore enseignée
aujourd ' hui.

Hu-delà des vecteurs

La désormais célèbre relation de


A B D E Chasles s 'est déclinée ensuite sous di-
verses formes , s' app liquant à des êtres
Visualisation de la relation de Chasles : mathématiques ayant les mêmes pro-
dans les deux figures, la somme des vecteurs rouges priétés d' additivité que les vecteurs.
est égale au vecteur bleu. Pour les mesures algébriques sur une
droite orientée, on a : AB+ BC = AC,
où AB , dite mesure algébrique du
segment [AB] , désigne la longueur du
Vient ensuite le « Théorème fondamen- segment [AB] affectée d ' un signe, se-
tal » : lon l'orientation.
« Étant donnés trois points a, b, c, dans Pour les angles orientés en géométrie
un ordre quelconque, sur une même p~a1~e, la__ r~atio1_1_ ~ Chasles s'écrit
droite, la somme des trois segments (u , v) + (v, w) = (u, w) .
consécutifs ab, be, ca, est toujours Pour les intégrales, on obtient :
nulle. » Et de conclure : « C'est-à-dire
que l 'on a toujours ab + be + ca = 0,
J,j(x)dx + J"j(x)dx = J,j (x)dx,
b C C

en donnant aux segments les signes qui f étant une fonction intégrable - c' est-
leur conviennent. » à-dire dont on peut calculer l'aire sous
Pour démontrer sa proposition qui la courbe - sur un intervalle I conte-
fera le tour de la Terre, il considère nant les trois points a, b etc.
soigneusement l' ordre des trois points Et voilà que la formul e initiée par Mi-
sur la droite qui, dit-il, « donne lieu chel Chasles a essaimé vers de multi-
aux trois séries a, b, c ; c, a, b et a, c, ples autres domaines, facilitant gran-
Giusto Bellavitis
b », remarquant toutefois que comme dement le calcul, qu'il soit vectoriel,
(1803- 1880).
« on passe d'une série à une autre par angulaire ou intégral !
la permutation de deux lettres, l 'équa-
tion ab + be + ca = 0 ne change pas É.B.
cette permutation ». Ainsi, le théorème
« sera vrai dans les trois cas s'il l'est
dans l'un » . C ' est là que, faisant in-
tervenir le fameux « ab + be = ac »,
joint à « ac = - ca », il conclut enfin : RtFitRENCES
ab+ be + ca = O. • Les 111u1riu•.1.
Bibliothè4ue Tangente 44.
La notation AB+ BC = AC est ani- 2012 .
vée après la publication du traité de • Le <'Uic11I intégrul.
Chasles puisqu ' elle est due aux travaux Bibliothi:que Tangente 50.
de formalisation du mathématicien ita- 2014.
lien Giusto Bellavitis qui, introduisant

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par Élisabeth Busser EN BREF

Michel Chasles,
l'artisan du retour
es figures en géométrie
En poursuivant inlassablement l'idée que les figures
sont essentielles pour étayer le raisonnement, Mi-
chel Chasles (1793-1880) a transformé totalement
l'approche de la géométrie par ses contemporains.
Outre les progrès importants qu'il a apportés dans
cette discipline, il a permis de simplifier de nom-
breuses démonstrations ; il a surtout influencé de
manière notable l'enseignement des mathéma-
tiques en France pendant plus d'un siècle.
Ses contemporains exploraient les notions nouvelles
de géométrie comme la tangente ou la courbure par
des opérations purement calculatoires. La représen-
tation d'une figure n'est alors plus que d'un apport
secondaire. Chasles, lui, traçait des ellipses, des po-
lygones ou des cercles tangents à trois autres. Ses
occupations semblaient dérisoires et paraissaient
devoir l'éloigner des « bonnes méthodes ». Ne fai-
sant pas appel au calcul différentiel ou intégral, ses
travaux sont plutôt mal reçus et passent inaperçus.
La parution en 1837 de !'Aperçu historique sur l'origine et le développement des méthodes en
géométrie est un tournant essentiel pour la compréhension de la géométrie. Chasles y retrace
l'histoire de cette discipline, mettant en valeur l'approche synthétique des Anciens et réhabili-
tant les travaux de Girard Desargues et Philippe de la Hire.

Trois ouvrages remarquables


En 1852 paraît le Traité de géométrie supérieure de Chasles, dans lequel il présente des
résultats intéressants sur le birapport, les faisceaux et les involutions. Il publie en 1860
un remarquable travail sur un livre disparu d'Euclide et connu seulement par les écrits de
Pappus. Cet ouvrage, intitulé les Trois Livres des porismes d'Euclide, tente de reconstituer
un certain nombre de résultats du mathématicien grec montrant qu'il s'était penché lui-
même sur des propriétés projectives des figures. (Un porisme désigne, si l'on s'en réfère
au Littré,« une question dont la solution consiste à tfrer une vérité géométrique de condi-
tions assignées par l'énoncé».) Le Traité des sections coniques, daté de 1865, est princi-
palement une étude projective de ces courbes avec une utilisation récurrente du principe
de dualité.

RÉFÉRENCES
•Dossier« La saga des mathématiciens: Michel Chasles» . Tangente 160, 2014.
•Dossier « Coniques et formes quadratiques ». Tangente SUP 75, 2014.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente 21


par Bertrand Hauchecorne

Un concept
réuolutionnaire !
Entre les motivations géométriques des premiers savants et
son axiomatisation autour des années 1900, la notion d'espace
vectoriel s'est affinée pour devenir le socle indispensable de
nombreuses théories mathématiques. En voici la palpitante
histoire.

L
a description du plan comme de
l'espace nécessite un repérage
des points. La donnée d'une
origine permet d'associer, à tout point
A, le vecteur OA. Pour parvenir à
cette conception des choses, encore
fallait-il avoir la notion de repère, ce
qui n' arrive qu'au xvue siècle avec
René Descartes et Pierre de Fermat.
Ces savants ont ramené ainsi les pro-
blèmes de géométrie au maniement
d'équations algébriques.

Des savants visionnaires

Dans les dernières années de ce même Pierre de Fermat.


siècle, Gottfried Wilhelm Leibniz a
critiqué cette démarche, estimant que
la géométrie analytique se ramenait à qu'il nomme une « géométrie de la
des nombres et ne donnait donc cer- situation » , c 'est-à-dire une algèbre
tainement pas la plus courte méthode agissant sur des entités géométriques
pour aboutir au résultat d'un problème. comme des angles ou des mouvements.
Il émet alors l'idée visionnaire, mais Vers le milieu du xv111° siècle, Gabriel
irréalisable à son époq ue, de créer ce Cramer se penche sur l'étude de l' in-

Tc::r:ngente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


tersection de courbes algébriques , recherchent aucune structure, mais
c'est-à-dire admettant des équations avant tout un outil pratique de résolu-
polynomiales des coordonnées. Ceci tion de problèmes géométriques.
) 'amène à résoudre des systèmes
d'équations linéaires et à introduire Au début du XIXe siècle, la représenta-
la notion de déterminant. Le nom de tion planaire des nombres complexes,
ce mathématicien suisse reste d' ail- sous l'impulsion de Jean-Robert
leurs attaché aux systèmes comportant Argand et de Carl Friedrich Gauss,
autant d'équations que d'inconnues est désormais acquise. Sir William
(voir Tangente 136). Pour lever une Rowan Hamilton cherche alors à défi-
contradiction apparente dans les tra- nir un ensemble de nombres permet-
vaux de son compatriote, Leonhard tant de traiter la géométrie dans l' es-
Euler comprend que n équations à n pace comme une branche de l'algèbre.
inconnues ne donnent pas nécessai- C'est ainsi qu ' il définit les quaternions
rement une et une seule solution. Il en 1843, grâce auxquels une rotation ,
remarque en effet qu'une équation par exemple, correspond à une mul-
peut « être comprise dans les autres » . tiplication. En fait, l'espace H des
En d'autres termes, il met, le premier, quaternions peut se définir comme le
le doigt sur la notion de dépendance produit cartésien [ij x E où [ij désigne
linéaire. l' ensemble des nombres réels et E
Cependant, un long chemin reste l'espace de dimension 3 ; Hamilton
encore à parcourir pour atteindre la construit ainsi un ensemble contenant
notion d'espace vectoriel ; elle voit le à la fois les scalaires et les vecteurs !
jour progressivement tout au long du Ce que nous nommons de nos jours
xrxe siècle, dans le but de formaliser Je produit scalaire ; .; et le produit
l'espace qui nous environne. August vectoriel ; /\ ; se déduisent du produit
Ferdinand Mobius, célèbre pour la des quaternions par la simple opération
bande qui porte son nom, introduit la (0, ;) X (0, ;) = (- ;.;,; /\ ;).
notion de segment orienté dans son
ouvrage Der barycentrische Calcül L ' année suivante, Hermann
(« Le calcul barycentrique »), publié Grassmann, un « simple » profes-
en 1818. Considérant deux points A et seur de mathématiques du lycée de
B, il note AB cet élément en précisant Stettin (aujourd'hui Szczecin en
que AB = - BA. Il effectue alors des Pologne), pétri de théologie védique,
additions de vecteurs colinéaires et des publie Die lineale Ausdehnunglehre
multiplications par des scalaires afin ein neuer Zweig der Mathematik , que
de définir la notion de barycentre. Sa l'on peut traduire par « La théorie
méthode est un peu sophistiquée car des extensions linéaires, une nouvelle
il n'additionne pas des vecteurs non branche des mathématiques ». Dans
colinéaires, laissant le soin au savant cet ouvrage, on retrouve en germe
italien Giusto Bellavitis de l'introduire les notions fondamentales de l'algèbre
dans Calcolo delle equipolenze, paru linéaire. Le mathématicien allemand
en 1833. On voit donc apparaître la cherche à modéliser l'espace ; pour
notion de vecteur ainsi que celle d 'opé- ce faire, il introduit des opérations sur
rations sur ces entités. des symboles représentant les points,
Cependant, les deux hommes ne les droites . .. à l'aide desquelles il

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


U n concept révolutionnaire !

définit les différentes opérations que


Vers un formalisme algébrique nous connaissons, y compris les pro-
La première axiomatisation des espaces vectoriels, duits scalaire, vectoriel et même ten-
soriel. Cependant, sa démarche est
telle que nous la connaissons, apparaît en 1918 dans
trop confuse et sans doute trop précoce
Raum.Zeit·Materie ( « Espace·temps·matière ») du savant
pour être comprise de ses contempo-
allemand Hermann Weyl, au chapitre 2, intitulé « Fonde- rains. Grassmann publiera deux autres
ments de la géométrie affine», en ces termes : éditions, en 1862 et 1878, sous le
Deux vecteurs a et b déterminent de manière unique un titre de Die Ausdehnunglehre ; cette
vecteur a + b appelé leur somme ; un nombre À et un dernière est achevée l'été précédent,
vecteur a déterminent de manière unique un vecteur À.a quelques jours avant son décès fin sep-
(multiplication). Ces opérations vérifient les lois sui- tembre 1877.
vantes.
Die Ausdehnnngslehre von 1844 .
•Addition: oder

l. a + b = b + a (loi de commutativité),
Die lineale_ Ausdehnungslehre
2. (a+ b) + c =a+ (b + c) (loi d ' associativité),
3. Soit a et c n'importe quels vecteurs, alors il existe un nener Zweig der Mathematik
et un seul vecteur rc qui vérifie l' équation a + rc = c. Il dargel'ltellt

s'appelle la différence, notée c - a, de c et a (possibilité


durch Anwendungen auf die ùbrigen Zweige der Mathematik,
de la soustraction).
aof die Statik, Meehanik, die Lehre Tom M&gneti!lmWI und die
.Kryatallonom.ie etliutert

• Multiplication :
Hermann Graamiann.
1. (À+ µ)a= À.a+ (µa) (première loi de distributivité),
2. À(µa) = (Àµ)a (loi d'associativité), ZWalto, lm Tut unverlnderte Aufl•se.

3. la= a,
4. À(a+ b) =À.a+ À.b (deuxième loi de distributivité). De manière beaucoup plus pragma-
tique , Arthur Cayley introduit les
Les axiomes d ' addition donnent sans le dire la définition matrices, effectue des opérations
sur ces dernières et, de manière plus
d ' un groupe commutatif. En effet, on retrouve le vecteur
générale, définit des additions et des
nul noté O comme solution de a + ra = a et le symétrique
multiplications par un scalaire sur les
comme solution de a+ r0 = O. n-uplets de réels. Le mathématicien
britannique anglais ose ainsi braver
l'interdit de considérer des espaces
de dimension supérieure à 3 ; rapi -
dement, de nombreux autres savants
Hermann Weyl s 'engouffrent dans la brèche.
(1885-1955).
Un « Grassmann pour les nuls »

Giuseppe Peano n'a que 20 ans lors de


la parution du travail de Grassmann. Il
en compre nd néanmoins rapidement

Tangente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


raisonnement par une transformation
d'équations.»
Il ajoute : « Le calcul géométrique pré-
sente une analogie avec la géométrie
analytique ; il s'en différencie en ceci
que dans la géométrie analytique les
calculs se font avec des nombres qui
déterminent les entités géométriques,
dans cette nouvelle science les calculs
se font sur les entités elles-mêmes. »
Ainsi, avec Peano, le rêve de Leibniz
devient réalité !

Hermann Günther Dans le dernier chapitre, intitu-


Grassmann lé « Transformation des systèmes
(1809- 1877). linéaires », Peano donne la première
axiomatisation d ' un espace vectoriel.
l'importance. Il publie en 1888 Calcul Sans dire exactement ce qu'il entend
géométrique selon l' Ausdehnunglehre par « entité (ente en italien) apparte-
de Grassmann. L'auteur se présente nant à un système », il en définit la
donc modestement comme celui qui somme en disant d'une part qu'elle
permet à un plus grand nombre de appartient au système et vérifie la com-
comprendre l'œuvre du mathémati- mutativité, l'associativité et la règle
cien allemand, en quelque sorte un de simplification (soit a + c = b + c
« Grassmann pour les nuls ». implique que a = b). Il définit ensuite
Compte tenu du génie du jeune mathé- la multiplication par un nombre (nous
maticien italien, on se doute que son disons aujourd'hui un scalaire), claire
apport est lui aussi très important. pour un entier mais qui s'étend même
L'ouvrage débute par une des pre- à un réel quelconque. Il donne alors les
mières présentations de la théorie des quatre axiomes suivants :
ensembles (réunion, intersection, com- m(a + b) =ma+ mb,
plémentaire) et l'introduction de sym- (m + n)a =ma+ na,
boles qui sont toujours utilisés de nos m(na) = (mn)a,
jours. Ceci est suivi de quelques pages la= a,
sur la logique déductive. Cependant, ainsi que la règle de simplification
dès la préface, Peano expose son (ma= mb implique a= b).
objectif: Il ajoute enfin l'existence d'une entité
« Le calcul géométrique, en général, nulle, notée 0, qui vérifie, pour toute
consiste en un système d'opérations à entité a, Oa = 0 (le premier O représente
exécuter sur des entités géométriques, 1'entier naturel 0).
analogues à celle que l'algèbre fait On voit que l'axiomatisation utilisée
sur les nombres. Ceci permet d 'expri- actuellement est déjà presque en place,
mer avec des formules les résultats de même si elle est exprimée « à la
constructions géométriques, de repré- Peano», c'est-à-dire avec énormément
senter avec des équations des proposi- de formalisme et donc d'une grande
tions de géométrie, et de remplacer un lourdeur.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Un concept révolutionnaire !

Sous-espace vectoriel AUM ·ZEIT MATERJE

VOIU.ESl:'NG&."1 OOC'"R
Contrairement à ce que l'on pourrait croire naïvement, ALLCEMl!lNE RELATIVITi\TSHIEORIE

on ne démontre que très rarement qu'un ensemble muni


d'une addition interne et d'une multiplication par un HËRl.fANN WEYL

scalaire d'un corps K est un espace vectoriel. La liste


des propriétés à vérifier est longue et fastidieuse (voir
en page 24) ! On passe en fait souvent par la notion de
sous-espace vectoriel.
Qu'est-ce qu'un « sous-espace vectoriel » ? C'est tout
simplement un sous-ensemble F de l'ensemble Ede dé- RERUN

part qui possède lui aussi une structure d'espace vectoriel. VUlU(lVONJllUl!S Sî•ltM;;rlt

Pour démontrer que ce sous-ensemble F constitue bien un


sous-espace vectoriel de E, il faut et il suffit que, pour tout
couple de vecteurs ; et ï7 de ce sous-ensemble et tout jours dans un ouvrage d ' Hermann
couple a et~ de scalaires du corps K, le vecteur a; + ~; Weyl (voir encadré en page 24).
appartienne à F. C'est une condition de stabilité.
Il est déjà nécessaire que l' élément neutre pour l'addi- Dans les années qui suivent, la théo-
tion, le vecteur nul Ô, appartienne à F. Le vecteur nul est rie des espaces vectoriels prend son
d'ailleurs (voir ci-contre) un sous-espace vectoriel appar- envol. Dès 1920, plusieurs mathémati -
tenant à tous les autres ! ciens, parmi lesquels Stefan Banach et
A contrario, pour démontrer qu'un sous-ensemble G de Norbert Wiener, définissent la notion
E n'est pas un sous-espace vectoriel de E, on commence de norme, donnant à l' analyse un cadre
souvent par regarder si le vecteur nul appartient à G. En nouveau. Inspirés de notre intuition
cas de réponse négative, la démonstration est immédiate ! géométrique, les espaces vectoriels
Les espaces vectoriels classiques contiennent en général sont dorénavant un élément fonda-
un foisonnement de sous-espaces vectoriels, et nous allons mental de nombreuses théories mathé-
en rencontrer quelques-uns au cours de ce hors-série .. . matiques. D' une part, ils permettent
de mieux « vi sualiser » des théories
abstraites , et inversement ils donnent à
l'axiomatique de Weyl la géométrie un cadre des plus féconds.
Les précurseurs de cette théorie ne
Ceci explique sans doute qu ' il faille pou vaient se douter de la puissance
attendre presque un quart de siècle qu ' il s étaient en train de donner aux
pour qu ' apparai ssent des nouvell es mathé matiques !
formul ati ons ax iomatiques des espaces B.H.
vector iels, c uri euse ment dans des
ouvrages do nt la fin ali té était souvent
tournée vers la phys ique, en particuli er RÉFÉ RENCES
la toute réce nte théorie de la relat i- • A General Outline
vité. En 1909, Cesare Burali-Forti et of the Genesis of Vector
Roberto Marcolongo repre nnent une Space Theory. Jean-Luc Dorier,
axiomatique des « systèmes linéaires Historia m.athematica 22, 1995 .
minimaux ». Cependant, c 'est en 19 18 • Les ensembles. Bibliothèque
que paraît la première axiomatique Tangente 61, 2017.
conforme à celle popularisée de nos

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par Jean Jacques Dupas EN BREF

Espaces triuiau1e
Il est des évidences qu'il est toujours bon de rappeler. Ainsi,
la plupart d'entre nous ont déjà croisé des espaces vectoriels
sans parfois même le savoir ...

L'espa,e vedoriel nul Le ,orps de base


Le plus élémentaire de tous les espaces vectoriels Un autre exempl e trivi al d 'espace vectori e l
est ... simplement l'ensemble {Ô}, constitué du seul sur un c01v s K est le corps K lui-même.
vecteur nul Ô. C'est bien un espace vectoriel ! En Dans ce sens, l'ensembl e Q des nombres
effet, il vérifie toutes les propriétés techniques re- rationne ls, celui IR des réels ou encore ,
quises, puisque additionner le vecteur nul à lui- l'e nsemble des no mbres complexes, so nt
même ou le multiplier par un nombre quelconque des espaces vectori els sur e ux-mêmes .
produit toujours le même résultat : le vecteur nul. En fa it, l'archétype de l'espace vectori el est
Cet espace vectoriel trivial est bien entendu le plus IR" (avec 17 un enti er naturel), c 'est-à-dire
simple qui soit. Est-il pour autant nullement digne l'e nsemble des (a 1, a 2, a 3 . .. a,,) avec les a;
d'intérêt? appartenant tous à IR. On y définit l'additio n
L'espace vectoriel nul peut être vu comme un interne naturellement par la fo rmule:
sous-espace de tout espace vectoriel. C'est en cela (a 1, ci 2, ci 3. .. ci.,) + W1, ~ 2, ~ , - . ~ .,)
qu'il est important. Par exemple, les applications = (ci 1 + ~1, ci2 + ~2 , a J + ~3 . . .
ci,, +~) et la multi-
linéaires possèdent certaines propriétés si leurs
pli cation externe par :
noyaux, qui sont des espaces vectoriels, sont ré-
À(a 1, a 2, a 3 •• . a,,) = (À a 1, À a 2, À a 3 • •• À. a,,).
duits à l'espace vectoriel nul.
Pourquo i IR" est-il l' arc hétype de l' espace
vectori e l ? Tout simpl ement parce que
1'o n reconn aît, dan s un élément de IR", les
coordo nnées d ' un vecte ur de dimens ion n..
Dans ce cadre, l'élément ne utre pour l'ad-
dition est (0 , 0 , O... 0) . Dans cet es pace
vectori e l IR" on pe ut définir la base cano-
nique, ense mbl e constitué des n vecteurs
e; (avec i va riant de I à 17 ), avec e; enti ère-
bon de plaisanter avec les
ment constitué de zéros sauf à la fè"'c pl ace
Hèches, on s'autorisera à ne
pas surmonter les lettres où se tro uve un 1. Ainsi, e 1 = (1, 0, O... 0) ,
représentant les vecteurs e2 = (0, l , O. .. 0), . .. , e,, = (0, 0, O... 0 , ! ).
d'une ffèche lorsque aucune Enfi n. IR" est le so us-espace vectoriel des
confusion avec un scalaire n'est matrices lignes à 17 é lé ments de l'es pace
possible.
des matrices réelles . De même, mais d'une
façon beauco up plus générale, K " est un es-
pace vectoriel sur le corps K.

Hors-serie n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Hervé Lehning

<< la>> dimension ■


une idée pas si éuidente !


La notion de dimension se devine chez Euclide puis se précise
avec Descartes avant de se diversifier selon le sujet d 'étude:
géométrie analytique, espaces vectoriels ou topologie.
Il y a pléthore de « dimensions » ! L'accent est mis ici sur celle des
espaces vectoriels, due à Georg Hamel.

D
a ns le livre I d es Éléments, se diversifie e nsuite. Mais restons sur la
E ucli de défi nit la li gne comme dimension des espaces vectoriels. L' idée
une longueur sans largeur et la sous-j acente est qu 'i l s'agit du nombre
surface comme ce qui possède longueur de paramètres nécessaires pour décrire
et largeur seulement. Au li vre XI, il y un vecte ur.
ajoute les solides comme ce q ui possède
longueur, largeur et profondeur. De nos Retour à la base ...
jours, on décrypte cela comme ce qui
a trait aux dimensions l , 2 et 3. Avec Envisageons un espace de dimensio n 2,
la géométrie analytique de Descartes, comme celui des couples de nombres
do nt on peut trouver les prém ices chez réels V = (x, y) . On peut les décomposer
Apo ll oni us dans son ouvrage s ur les comme combinaison linéai re des de ux
Coniques, chaq ue point se défi nit à partir vecteurs I = (l , 0) et J = (0, 1), pui sq ue
d ' un nombre sur une li gne, de deux sur V = x I + y J. Cette décomposition est
une surface et de trois dans un solide ; naturell ement unique puisque x et y sont
la notion de dimension se préc ise : il les composantes de V. Pour cette ra ison,
s' ag it du nombre de paramètres néces- l'ense mb le {I , J} es t dit une base de
saires pour définir un point. Cette idée l'espace vectorie l des couples de nombre
rée ls : tout vecteur se décompose, de
manière uniq ue, comme combinaison
La notion de dimension se précise : linéaire de I et J. Le système de vecteurs
{I, J} n'est pas la seule base, il en existe
il s'agit du nombre de paramètres une infinité 1 Ainsi, {(-'lï, 0) , (0, V2) }
nécessaires pour définir un point. conviendrait to ut autant. Cependant,

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Décomposition
d'un vecteur
de l'espace usuel
sur une base.

J
b
a

toutes les bases ont le même nombre coplanaires r' --;' et k de l'espace usuel
d'éléments, deux dans ce cas. forment une base de cet espace, c'est-
Pour montrer pourquoi, imaginons que à-dire que tout vecteur s'écrit de façon
{U}, qui ne possède qu ' un seul élé- uniquesouslaformeV =ai + + ck bJ
ment, soit une autre base. Dans ce cas, où a, b et c sont des nombres réels.
I comme J s'exprime comme combinai- Autrement dit, un vecteur est donné
sons linéaires de U, c'est-à-dire qu'il entièrement par un triplet de nombres
existe a et b tels que I = a U et J = b U. réels (a, b, c). Géométriquement, on
On en déduit que b I - a J = 0 (faites la obtient une figure en forme de parallé-
vérification !). Comme a est non nul, logramme qui, à partir des vecteurs de
puisque I n'est pas égal à (0, 0), on peut base, décrit le vecteur V en fonction du
écrire que J = (b / a) 1. Ainsi, J s'ex- triplet (a, b, c) .
prime de deu x façons distinctes selon Les règles de calcul sur les vecteurs,
la base {I, J}, à savoir J = O.I + l.J et addition et multiplication par un scalaire,
J = (b / a) .I + O.J, ce qui est contradi c- correspondent aux règles de calcul sur les
toire. Ainsi, {U} ne peut être une base triplets. Additionner les vecteurs revient
de 1' espace considéré. à additionner les triplets, composante
Toute base possède donc au moins deux par composante ; les multiplier par un
vecteurs. scalaire revient à multiplier chaque com-
De même, en imaginant que {U, V , W} posante du triplet par le scalaire. Ainsi,
est un e a utre base, on aboutit à un e V+ V' correspond au triplet (a + a',
con tradiction . L'idée est la même e t b + b', c + c') et mV au triplet (ma,
la démonstration , plus technique si on m b, m c) . On résume souvent ceci en
veut la mener à terme, est proposée en di sant que l'espace vectoriel usuel est
encadré. isomorphe à R 3 , l'espace des triplets
Concrètement, vous avez déjà tou s de nombres réels . Le mot « isomorphe »
rencontré les notions d'espace vectoriel sign ifie ici que les deux structures fonc-
et de base. En effet, trois vecteurs non tionnent de manière identique !

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


HISTOIRES « La » dimension ...

Si un espace aune base formée de deux vecteurs...


Supposons que {I, J} et {U, V, W} soient deux bases du même espace vectoriel.
Il existe alors des coefficients au, bu, ay, bv, aw, bw tels que :
U = au I + bu J, V= a v I + bv Jet W = aw I + bw J.
En combinant ces égalités, on obtient (assurez-vous des simplifications obtenues !) :
bv U - bu V= (au bv - av bu) I et av U - au V= (av bu - au bv) J .
En utilisant la troisième égalité (qui permet d'exprimer W sur la base {I, J} ), on obtient une
relation liant U, V et W, ce qui est contradictoire ... sauf si tous ses coefficients sont nuls ,
auquel cas au= bu = av= bv= aw = bw = 0 (et alors U, V et W représentent le vecteur nul).
Voici la relation obtenue in fine pour les curieux :
(au bv- av bu)Cav bu - au bv) W = aw(av bu - au bv)Cbv U - bu V)+ bw(au bv - av bu)(av U - a u V).
Inutile d'aller jusqu'au bout de cette discussion laborieuse sur laquelle débouche un raisonnement
naturel : il vaut mieux raisonner par récurrence sur le nombre d'éléments de la base.

Montée on abstraction
Les espaces vectoriels abstraits (sur le Le mathématicien allemand Georg Karl
corps des réels) ont été introduits pour la Wilhelm Hamel (1877- 1954) est allé
première foi s par Hermann Grassmann plus loin en démontrant l'existence de
mais de façon tellement obscure que bases dans tout espace vectoriel ; il a
son ouvrage la Théo rie des extensions également prouvé le fait qu 'elles avaient
linéaires, une nou ve lle branche des toutes même cardinal. Sa démonstration
mathématiques ne fut compri s que fait intervenir l'axiome du choix (voir
vingt ans après avoir été écrit, en 1866 les Ensembles, Bibliothèque Tangente
par Hermann Hankel , puis en 1869 par 61 ). En son honneur, la notion de dimen-
Felix Klein. Comme l' arithmétique, sion concernant les espaces vectoriel s
les espaces vectoriels abstraits seront est nommée dimension de Hamel et on
axiomatisés par Giu seppe Peano trente appelle base de Hamel toute base d' un
ans plus tard . espace de dimension infinie (en particu-
Si un espace possède au moins une base lier les bases de l'ensemble des nombres
finie , alors toutes les bases possèdent le réels vu comme espace vectoriel sur le
même nombre d'éléments, ce qui permet corps des nombres rationnels). Georg
de définir la notion de dimension dan s ce Hamel utilisait ces bases pour montrer
cas. Elle correspond bien au « nombre qu'il exi stait des fonction s disconti-
de paramètres nécessaires pour définir nues vérifiant l' équation fonctionnelle
un vecteur », tout en étant plus préci se. f (x + y) = f (x) + f (y). Cela ne signi-
Il est donc essentiel de montrer propre- fie pas pour autant que l'on puisse en
ment que tout espace vectoriel possède exhiber une seule !
une base, ce qui est facil e si l'on suppose H.L.
que J'espace en question a un système
générateur fini .

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par J.-J. Dupas et H. Lehning EN BREF

Le corps s'exprime
Il n'est de bon espace vectorie l E que sur un corps de
base K. Mais qu ' est-ce qu ' un corps exactement ?
Il s'ag it d' une structure fondamenta le de l'algèbre « cal-
quée » sur les propriétés de l' ensemble des nombres
réel s : il s'agit d ' un ensemble, possédant au moins deux
élé ments, muni de deux opérations binaires, tradition-
nellement notées + (addition) et x (multipli cation), qui
rendent possible le calcul d 'opposés et d ' inverses. Cela
permet de définir la soustraction et la divi sion (par tout
élément non nul) en respectant certaines règles usuelles
de calcul (commutativité des deux opérations binaires,
di stributivité de x sur+ notamment).
Ain si, l' ensemble des entiers naturels n'est pas un corps
car on ne peut pas y définir une soustraction (0 - 1 par
exemple n' appartient pas à N). L' ensemble des entiers
relatifs n'est pas non plus un corps, car on ne peut pas y
définir une division (en effet, 1 / 2 n'appartient pas à l'.') .
Mai s l'ensemble IR des nombres rationne ls, l'ensemble
des réels ou encore IC, l'ensemble des comp lexes sont des
corps. Mais il y en a bien d'autres encore ...

Codes correcteurs d'erreurs et espaces vectoriels finis


La transmission d'informations numériques Sur chaque ligne et chaque colonne, on ajoute
peut être parasitée, ce qui conduit à une in- un bit de parité. On obtient un carré 4 x 4 dont
version de certains bits. L'information est les sommes des lignes, comme des colonnes,
alors altérée. Pour l'éviter, on a inventé des sont paires. On le complète par un dernier bit,
méthodes où les messages erronés se cor- en bas à droite, afin de respecter la règle. Par
rigent d'eux-mêmes ! Les messages doivent construction, c'est le bit de parité des bits du
alors être redondants : pour transmettre un carré 3 x 3. Si lors de la transmission une er-
message de k bits, on le code en un message reur survient, on détecte une erreur de parité
de n bits avec n > k. en ligne, et une erreur en colonne (deux er-
Prenons un exemple où k = 9 et n = 16. Le reurs en tout).
message est de 9 bits et on en transmet 16.
D'un côté, le message d'origine appartient Si c'est l'un des bits de
à l'espace vectoriel (Z / 21:') 9 , de l'autre on 0 1 0 1 parité qui est erroné, l'er-
transmet un élément de (Z / û '. )1<' . Si le mes- 1 0
reur est également repé-
0 0
sage d'origine est 010101110, on le dispose en rée. Si deux erreurs de
1 1 0 0
un carré 3 x 3. transmission sont corn-
0 0 mises, l'existence d'er-
0 1 0 1
0 1 0
t reurs est détectée, mais
on ne pourra pas les cor-
l 1 0 0 riger.
0 0

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Jean-Jacques Dupas
---- -- - - - - - - - - - - --

Hpplications linéaires : le << noyau dur >>


de l'algèbre ... linéaire
Les applications linéaires sont un concept incontournable de la
théorie des espaces vectoriels. Leurs utilisations sont multiples,
y compris pour concevoir et résoudre des jeux.

'
L
image et de noya u sont qui, à chaque vecteur Û de l'espace vec-
deux espaces vectoriels toriel E 1, associe le vecteur v = J(û)
privilégiés, ce sont même de l'espace vectoriel E 2 , on définit le
des notions fondamentales de l'algèbre noyau comme le sous-espace vectoriel
linéaire. Pour une application linéaire/ de E 1 constitué des éléments Û tels que
J(û) = Ô. L'image est, comme son
nom l'indique, le sous-espace vectoriel
El E2 de E 2 constitué des vecteurs v atteints
par l'application linéaire/, c'est-à-dire
qu'il existe un vecteur Û de E 1 tel que
v = J(û).
Ces définitions, pour naturelles qu'elles
soient, sont terriblement abstraites !
D' un autre côté, ces notions sont omni-
présentes en algèbre linéaire. Si f est
1
un endomorphisme, son image, notée

I
Im(f ), et son noyau, noté Ker(f), sont
des sous-espaces vectoriels (respecti-
vement de E 2 et de E). Par exemple, il
faut et il suffit que Ker( f) soit réduit
au vecteur nul pour que/soit une bijec-
tion dans le cas d 'espaces de dimen-
sions finies ... Mais n'égrainons pas les
L'image et le noyau de l'application linéaire/ . propriétés de l'image et du noyau, ce
hors-série n'y suffirait pas ... Voyons
plutôt sur un jeu leur signification .

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Être ou ne pas être une forme linéaire
Parmi l'ensemble des applications, celles qui sont linéaires sont remarquables par leurs
propriétés. Une application linéaire f est simplement une fonction d'un espace vectoriel E 1
vers un espace vectoriel E 2 qui vérifie :
f (x + y) = f (x) + f(y) (propriété d'additivité) et/ (Àx) = Àf (x) (propriété d'homogénéité),
x
quels que soient les vecteurs et y de E 1 et quel que soit le scalaire À du corps de base. Si
E 1 = E 2 , on parle plutôt d'endomorphisme.
En faisant x=y= Ôdans la propriété d'additivité, on obtient/ (0) = 2/ (0), d'où nécessairement
f ( 0) = O. Ainsi, l'application de lR 2 dans lR qui, à (x, y), associe x + y + I n'est pas linéaire,
puisque/ (0, 0) n'est pas nul.
La seule application linéaire qui puisse être constante est celle égale à O (qui associe, à tout
.xde E 1, le scalaire 0).
Une forme linéaire est un cas particulier d'application linéaire. Soit E 1 un espace vectoriel
sur un corps K (par exemple sur lR ). Une/orme linéaire est tout simplement une application
linéaire de E 1 dans K.
Les formes linéaires sur un espace vectoriel portent parfois le nom de covecteur (typiquement
en mécanique et en calcul tensoriel) .

Éteins la lumière...

Le Lights Out était un jeu électronique Au début du jeu, une configuration


produit par la société Tiger Toys en de boutons allumés est choisie par la
1995. On pourrait traduire ce nom par machine. On peut repérer les boutons
« Éteindre les lumières » . Il se pré- par leurs numéros, de 1 à 25, plutôt que
sente sous la forme d' une matrice 5x5 par un repérage matriciel ( « ligne tant,
de boutons poussoirs. Chaque bouton colonne truc » ). Une configuration de
possède deux états, allumé (1) ou éteint jeu devient alors une matrice colonne,
(0) . '(a 1, a 2 ••• a 24 , a 25 ), que pour des raisons
typographiques on représente sous la
forme d' une matrice ligne (le petit « t »
en exposant signifie que l'on prend la
matrice transposée , transformant une
lJn bouton allumé lJn bouton éteint ligne en une colonne).

Ç) (i> w <;> w Configuration


initiale :
1) ~ ~ 4) e Repérage
des cases
Ci) ~ Ci) Ci) ~ les vingt-cinq e) cr; i i r~ du

www~ w boutons
sont tous
1~ 1~ ~ 1~ 1,
Lights Out.

wwwww éteints. fp 11 1il3 1'.B


wwwww ~

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


HISTOIRES Applications linéaires ...

RÉFÉRENCES En appuyant sur l'un des vingt-cinq bou- Malheureusement, avec les règles clas-
• Œuvres (tome tons, on en modifie l'état... et celui de siques du Lights Out, la matrice J n'est
ill). Archimède, ses voisins ! Les règles usuelles du jeu pas inversible. Le noyau est engen-
Les Belles montrent que l'état d'un bouton donné dré par deux vecteurs indépendants,
Lettres, 2002. ne dépend pas de l'ordre d'activation si et 82, donc le noyau contient les
quatre vecteurs , 81 , 82 , 8 1 + 82, ce
o ---+ ---+ ---+
-+ ---+
• Turning Lights de l'ensemble des boutons et que la
Out with description d'une séquence se résume, qui signifie que l'exécution des straté-
Linear Algebra. pour chaque bouton, à zéro ou un appui. gies si, 82, si + 82 ne fait absolument
Marlow Ainsi, une séquence s de jeu .se résume rien ! La dimension du noyau (en tant
Anderson et à une matrice colonne composée de 0 qu'espace vectoriel) est 2 . Par voie
Todd Feil, et de 1 ; cette séquence est la stratégie. de conséquence, l' image n'est pas
Mathematics Les règles du jeu se résument à une l'espace vectoriel complet, mais un
Magazine 71 , matrice J d'ordre 25, composée elle espace de dimension 23 (soit 25 - 2),
1998. aussi de Oet de l. Dire qu'une stratégie ce qui veut dire que si l'on génère
s donne la configuration c, c' est écrire une configuration au hasard il n'est
• Les matrices.
l'équation matricielle J s = c. Dans le pas forcement possible de résoudre le
Bibliothèque
monde des espaces vectoriels, on tra- problème ! Alors comment savoir si
Tangente 44,
vaille sur des vecteurs colonnes à valeurs une configuration est résoluble ? Elles
2012.
booléennes. J est la matrice qui repré- ne sont que 2 23 , c'est-à-dire 8 388 608.
• Jeux sente un endomorphisme. La solution
d'ampoules, du Lights Out serait facile si la matrice Un théorème, dû à Marlow Anderson et
ou comment J était inversible .. . Todd Feil, nous dit que la configuration
éviter la crise est résoluble si elle est orthogonale à
de nerfs à un La conception d'un nouveau jeu si et 82. Ceci va se calculer en effec-
électricien tuant le produit scalaire entre notre
dépressif Comme nous sommes en dimension configuration et si et 82. Le produit
à coup finie , J serait inversible si le noyau de scalaire a un sens puisque nous tra-
d'algèbre l' endomorphisme associé était réduit vaillons sur des vecteurs ! Le calcul se
linéaire sur au vecteur nul (à savoir le vecteur dont conduit par les règles habituelles du
F 2 • Grégory toutes les coordonnées sont 0, c'est-à- calcul binaire. Si le produit scalaire
Berhuy, dire qu'aucun bouton n' est actionné). avec les deux vecteurs est nul , alors
Quadrature 79, Les autres éléments du noyau seraient la configuration est résoluble. Ensuite,
2011 . les stratégies qui ne changent pas la il faut encore fai re un peu d'algèbre
configuration du jeu (on les appelle linéaire pour éteindre la lumière ...
stratégies silencieuses).
L'image est l' ensemble des configura- L' important ici était de montrer que le
tions que l'o n peut atteindre en appli- noyau et l' im age de l'endomorphisme
qu ant toutes les stratégies possibl es. du jeu ont une signifi cation très par-
Donc si une confi guration n'appartient lante: c' est respectivement l' espace des
pas à 1' image, on ne peut pas l' atteindre configurations muettes et l'espace des
en partant de la configuration où tous configurations résolubles . li est donc
les boutons sont éteints ; réciproque- crucial d'évaluer ces deux espaces lors
ment, il existe une solution au jeu si, et de la conception d' un nouveau jeu !
seulement si, la configuration proposée
appartient à l'image. J.-J. D.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par J.-J. Dupas & H. Lehning

Applications linéaires, le llléerème llu 11111


images et novaux L'application/définie par la relation
j(x, y,z) = (x+ y, y+ z) oùx, y etz
Une application linéaire est une application/d'un es-
sont des nombres réels est une ap-
pace vectoriel E vers un espace vectorie l F, tou s les
plication linéaire de IR3 dans IR3• En
deux ur le même corps commutatif K ,
effet, on vérifie facilement les deux
• telle que pour tout x et tout y de E on ait
relations suivantes :
f(x + y) =.t(;) +f (y),
f (x + x', y + y', z + z') =f(xi y, z) +
• et telle que, pour tout -; de E et tout scalaire fi de K ,
j(x', y', z') pour tout x, y, z, x', y' et z',
f( p x) = ",1(;).
J(>..x, Xy, Xz) = Xj(x, y, z) pour tout
Suivant que E =Fou no n et que/ est bijective o u non,
x, y,z, et À.
ces applications linéa ires pre nnent les noms résumés
Le noyau de f est l'ensemble des
dan le tableau suivant:
(x, y, z) de IR3 tels quej(x, y, z) = o,
soit x + y = y + z = o, c'est-à-dire
f .f non bijective fb ije
-~ ctiv~ qu'ils sont de la forme (x, - x, x).
Morphi sme ou
E ;é F l somo rphisme Ker f est donc le sous-espace vec-
homomorphisme
~
toriel de IR3 engendré par le vecteur
E=F Endomorphi sme Automo rphi sme
- (1, -1, 1). Il est de dimension 1.
Le théorème du rang affirme que
L'ensemble des applications linéa ires d ' un espace vec-
dim(IR3) = dim(Ker j) + dim(Im /),
tori el E dan s un espace vectoriel F est lui -même un
donc la dimension de l'image de/est
espace vectoriel. De plus, chaque application linéai re
égale à 2. Comme l'image est incluse
o ndre naturellement un certa in nombre de sous-es-
enoe
dans 1R2 , qui est de dimension 2, on a
pace vectoriels.
lm/= 1R2 • Cette égalité peut être dé-
Ainsi, si f e. t une telle application linéa ire. alors
montrée directement mais le théo-
l' image par / d"un sous-espace vectorie l de E est un
rème du rang simplifie la tâche.
sou -espace vectoriel de F. En particulier (vo ir en
De même, on peut reprendre laques-
page 32), l'image de E est un sous-espace-vectoriel de
tion avec l'application g définie par
F, appe lé image de E et noté Im (E).
la relation g (x, y) = (x + y, x - y)
De même, l'ense mble des éléments de E dont l' image
où x et y sont des nombres réels et
est le vecteu r nul de Fest un sous-espace vec torie l de E
démontrer qu'il s'agit d'une applica-
appelé noyau def et noté Ker(./) : le terme « ker » fai t
tion linéaire de IR2 dans IR 2 , de noyau
référence au mot ang lais kern el (le noyau). Pour que .f
réduit à { o} et d'image égale à IR 2 •
soit injective, il fa ut et il suffit que ker (J) o it réduit
Quant à h, définie par
au vecteur nul (de E). Si E et Font la mê me dimension
h (x, y)= (x +y+ 1, x - y - 3), il ne
(finie),Jest bijective si. et se ulement si. ker(.f) est ré-
s'agit même pas d'une application li-
duit au vecteur nul. Le noyau de la fo nction nulle. qui à
néaire puisque h (o, o) = (1, -3), qui
tout vecteur de E associe le vecteur nul de F, est E tout
n'est pas égal à (o, o).
entier ; on ne sa urait être mo in s injectif!

Hors-serie n 65. Les espaces vectoriels Ta:ngente


par Hervé Lehning

les matrices
uues comme des uecteurs
L'ensemble des matrices à trois lignes et trois colonnes
forme un espace vectoriel de dimension 9 dont il peut être
intéressant de considérer des décompositions diverses pour
résoudre des problèmes concrets, comme celui des matrices
magiques.

L
es matrices, et plus générale- Cette écriture montre que les Eu for-
ment l'algèbre linéaire, sont ment un système générateur de l'es-
des objets mathématiques uti- pace des matrices carrées d'ordre 3. La
lisés par tous les ingénieurs. Une ma- question naturelle est de se demander
trice carrée M d'ordre 3 s'écrit sous la s'il s'agit d'une base. C'est bien le cas
forme générale suivante : car la matrice M est nulle si, et seule-
Gu G 12 G13) ment si, tous les coefficients au sont
M = ( a2, a22 a23 nuls , donc les Eu forment un système
G31 G 32 G 33 libre de l'espace des matrices carrées
Somme et produit par un scalaire de d'ordre 3. Autrement dit, l'espace vec-
telles matrices s'écrivent de façon sem- toriel des matrices carrées d'ordre 3 est
blable, donc l'ensemble des matrices de dimension 9, et les Eu en forment
carrées d'ordre 3 forme un espace vec- une base.
toriel. On peut reprendre le même raisonne-
De plus , la matrice M peut s'écrire ment pour montrer que l' ensemble des
ainsi: M = a 11 E 11 + a 12 E 12 + a 13 E 13 + matrices à n lignes et p colonnes est un
a 21 E 21 + a22 E 22 + a 23 E 23 + a 3 1 E 3 1 + espace vectoriel de dimension n x p
a 32 E 32 + a33 E 33 , où Eu est la matrice dont les Eu (pour 1 ~ i ~net 1 ~.i ~ p)
carrée d' ordre 3 dont tous les éléments forment une base.
so nt nuls sauf celui de la ligne i et la
colonne j qui est égal à 1. Ainsi , par Symétriques, antisymétriques
exemple: (a 11
G 12 G1 3) Une matrice carrée M est dite symé-
E l.3 = G 21 a 22 a 2.1 trique si a1; = au pour tous les indices i
G 31 G 32 G 33 etj, ce qui correspond à une « symétrie

Tan9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


géométrique des coefficients autour de
la diagonale principale ». De même, Une interprétation
elle est dite antisymétrique si a1; = - aiJ géométrique féconde
pour tous les indices i etj.
Sans unité de mesure, on ne peut définir la longueur
En définissant la transposée de la
matrice M = (a;) comme la matrice d·un segment. Cependant, on peut calculer le rapport
1
M = (b;) dont l'élément courant bu est des longueurs de deux d·entre eux. De même. pour
égal à aji, on peut écrire ces définitions deux vecteurs colinéaires Ü et ï7 (non nuls) d'un espace
sous forme synthétique : M est symé- vectoriel, il existe un scalaire À tel que;= À?; : le sca-
trique si, et seulement si, elle est égale laire À est le « rapport algébrique des deux vecteurs »
à sa transposée, soit M = 1M. De même, (À < 0 si les deux vecteurs sont de sens opposés). Le
M est antisymétrique si, et seulement déterminant est une généralisation aux dimensions su-
si, elle est égale à l'opposé de sa trans- périeures de cette propriété.
posée, soit M = - 1M. Si E est un espace vectoriel de dimension 2.
B = ( T, J)
une base de E et Ü, ï7 deux vecteurs, cha-
cun des couples (i. 1)
et (iT, P) engendre un parallélo-
gramme (notés P 1 et P 2). Parler de leur aire n·a pas de
sens: en revanche, le rapport de! ' aire deP 2 par celle de P 1
en a un, c'est ce qu'on appelle le déterminant du couple
(Û, ;) dans la base (i, J).
Ceci se généralise aux di-
mensions supérieures.
Cette approche très intuitive fournit une signification
géométrique à la notion de déterminant. Ainsi, le déter-
rninant d'un n-uplet de vecteur est nul si et seulement
si ces vecteurs sont liés.
En dimension 2, le déterminant de (u, ;) dans la base
(i, J)avec Û =x 1T 1 et; =x1T+y J +)'iJ
vaut., 1y 2 -x2_v 1•
En dimension 3, avec des notations analogues. le déter-
minant du triplet (z;-, ;, ;) dans la ba e (i, 7, k) vaut
X1Y2::3 + Xz.)'3::1 + X3y1:::2 - X1)'3::2 -X2.Y1Z3 - XJY2:::1-

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Les matrices vues comme ...

Les matrices symétriques constituent lièrement simple ; on trouve qu'elles


un espace vectoriel , noté Sym, et les sont toutes colinéaires à la matrice L
matrices antisymétriques en forment su ivante :

=(-~1 - 011 -11 ) .


un autre, AntiSym. D' autre part, ces
définitions synthétiques permettent L
de montrer que toute matrice M est la 0
somme d ' une matrice symétrique A et Pour les matrices magiques symé-
d'une matrice antisymétrique B. En triques, on trouve les matrices J et K,
transposant l'égalité M =A+ B, on ob- sans prétendre à ce niveau de les avoir
tient tM = tA + 1B, soit LM= A - B, ce toutes par combinaison linéaire (même
qui fournit un système de deu x équa- si une étude directe est possible) :
tions à deux inconnues A et B. On en
déduit les valeurs de A et B : J=(~ ~ !),K=(~l -Ol ~ )-
1 1 1 0 1 - 1
Bien entendu, les combinaisons li-
Enfin, Sym et AntiSym sont en somme néaires de J, K et L sont toutes des
directe, c'est-à-dire que leur intersec- matrices magiques . Mais . .. les avons-
tion se réduit à la matrice nulle. On en nous toutes obtenues ainsi ?
déduit que la somme des dimensions Pour examiner cette question , consi-
de ces deux espaces est égale à 9. Une dérons la combinaison linéaire
base de Sym est donnée par les six ma- Q = a J + b K + c L, ce qui s 'écrit :
tri ces E;; et Eu + EJi si i <}; une base de a+b a -b -c a+c )
AntiSym est fournie par les troi s ma-
Q = a-b+c a a+b-c .
tri ces E;1 - EJi si i <j. (
a-c a+b+ c a-b
Ce raisonnement reste valable pour les
matrices carrées d 'ordre n, quel que Donnons-nous alors une matrice
so it l'entier strictement positif n. Sym carrée magique Q = (a;) d ' ordre 3.
et Anti sy m ont alors pour dime nsions D 'après le calcul précédent, on est
respectives n(n + l ) / 2 et n(n- l) / 2, ame né à poser a = a22 , b = a 11 - a 22 et
dont la somme est bien égale à n2 . c = a 13 - a22 . Il reste alors à montrer
l' égalité Q = a J + b K + c L. IJ s' agit
matrices magiques d ' un calcul fastidieux et systématique,
qui utilise simpl ement le côté magique
Les matri ces carrées magiques de la matrice Q.
d 'ordre 3 sont celles dont les so mmes D 'autre part, Q = 0 implique facilement
des colonnes, des lig nes et des diago- a = b = c = 0 , donc le système constitué
nal es sont toutes égales. Il s' agit d ' un des matrices J, K et Lest libre. Il s ' agit
sous-es pace vectoriel de l' ensemble d ' une base de l' ensemble des matrices
des matrices d 'ordre 3. Comme la mag iques d ' ordre 3, qui est ainsi de di-
somme directe de Sym et AntiSym est mension 3.
égale à l' espace vectorie l des matrices Bien entendu, ce résultat se généralise aux
carrées d 'ordre 3, o n a intérêt de cher- matrices magiques d 'ordre n ~ 3 : l'en-
cher séparément les matrices mag iques semble des matrices magiques d 'ordre
sy métriques et les antisymétriques . n est un espace vectoriel de dimension
Le cas des matrices mag iques antisy- n2 - 2n. À vous de vous en assurer !
métriques conduit à un calcu l particu- H.L.

Tg.ngente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

un outil essentiel en algèbre linéaire


Le déterminant est un critère pour reconnaître le caractère
bijectif d'un endomorphisme. Son interprétation géométrique
nous renseigne en outre sur la nature des transformations
linéaires.
le lien avec Dites-le avec des parallélogrammes
les svstèmes linéaires Pour bien comprendre la définition et les propriétés du déter-
minant d'une application linéaire d ' un espace vectoriel dans
La première étude d'un système li-
lui-même (d'un e11c/0111orphisme donc), plaçons-nous en di-
néaire, en ce cas trois équations et deux
inconnues, est l'œuvre de Leibniz dans
mension 2, prenons une base quelconque ( T, J)
et un endo-
morphisme/ . Le déterminant du couple(/( i),f( J))
dans la
les années 1670. Dans son ouvrage base ( T. J) est le même, quelle que soit la base choisie. Cette
Treatise of Algebra, publié de façon valeur commune s'appelle le déterminant de f.
posthume en 1748, Colin MacLau- Ainsi, l'aire de tout parallélogramme est multipliée par un
rin traite des systèmes allant jusqu ' à même scalaire quand on applique f à ses cieux vecteurs de
quatre inconnues ; on y voit apparaître base. Si le déterminant est négatif. c'est quef inverse l'orien-
des quantités proches des déterminants tation de la base. Aussi, le déterminant d · une symétrie s
actuels. vaut +I ou - 1 pu isque s ne modifie pas l'aire d'un parallélo-
Par la suite, Gabriel Cramer définit le gramme. Pour une homothétie de rapport À, 1·aire est multi-
déterminant tel que nous le connais- pliée par À 2• qui est clone son déterminant.
sons, mais son calcul est élaboré car
la notation matricielle (en tableau)
n'existait pas. Étienne Bézout améliore
ces travaux et montre en 1764 qu ' un
\
système de n équations à n inconnues
v - 7
\
possède des solutions non nulles si, et /
/
seulement si, son déterminant ne s ' an-
/
nule pas. / f( Î)
Alexandre Vandermonde et Pierre- u /

Simon Laplace donnent en 1772 les 0

méthodes de développement des dé- Parallélogramme engendré Le rapport de l'aire de 1\


tenn in ants. Le mot déterminant lui - par II et v. sur l' aire de P, est égal
même n' apparaît q u'en 1801 , en latin , au déterminant clef .
sous la plume de Carl Friedrich Gauss.
Louis-Augustin Cauchy note dès 1815 Cette détinition s ·applique de manière analogue en dimen-
les déterminants sous forme de tableau, sion supérieure. Or. un endomorphisme est bijectif si, et seu-
mais la notation actuelle, entre deux lemen t si. il transforme une base en une base : il en résulte
barres verticales, est une idée d ' Arthur aussitôt que ceci éq ui vaut à ce que son déterminant ne so it
Cayley en 1841. pas nul.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Bertrand Hauchecorne

les modules
Apparus avec Richard Dedekind et développés par David Hilbert
et Emmy Noether, les modules sur un anneau sont les frères des
espaces vectoriels sur un corps : ils répondent à des définitions
très proches. Ils sont pourtant très différents !

o ur l 'é tudi ant e n li cence de Dedekind, le seigneur des anneaux

P maths ou préparant l'agréga-


tion, un module se définit tout
simplement comme un espace vectoriel,
La notion d'anneau, comme celle de
module en 1871, furent introduites par
à la différence près que les scalaires le mathématicien allemand Richard
varient. .. dans un anneau (supposé Dedekind. Pour lui, un module est une
ici commutatif et muni d'un élément partie M (non vide) de l'ensemble lR
unité), et non forcément dans un corps. des nombres réels (ou de celui C des
Comme tout corps est un anneau (mais nombres complexes) telle que, si x et
pas réciproquement), cette notion y appartiennent à M, il en est de même
généralise donc la théorie des espaces de x - y. Dedekind montre alors que
vectoriels. Pour rendre le propos plus 0 = x - x est dans M et que, pour tout
concret, choisissons l'anneau Z des élémentxde M, - x= 0-x s'y trouve éga-
nombres entiers re latifs (positifs et lement. En sorte, il justifie que M est un
négatifs) et le corps lR des nombres groupe pour l'addition. Il prouve ensuite
réels . La principale différence est que que, pour tout entier n (d'abord positif
l'inverse d'un e ntier (non nul) n'en puis négatif), nx est encore un élément
est généralement pas un : dans un tel de M. Les lecteurs avertis remarqueront
module, on ne peut donc pas diviser que les modules de Dedekind ne sont
un vecteur par un scalaire autre que autres que les sous-groupes additifs de
1 ou -1 , alors qu'on peut le faire par l'ensemble lR des nombres réels.
tout élément non nul dans un espace
vectoriel. Quelle importance, d i rez- La théorie des invariants initiée par
vous ? Détrompez-vous, cela change Arthur Cayley était un sujet d'étude
fondamentalement la structure. Mais très en vogue dans cette fin de XIXe
faisons un peu d'histoire. siècle. Il s'agissait de trouver des pro-

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


priétés des applications multilinéaires,
invariantes par changement de base, en
particulier orthonormée. Le mathémati-
cien allemand Paul Gordan (1837- 1932)
s'y était plongé et David Hilbert y avait
consacré sa thèse ; il avait fait le lien avec
les anneaux de polynômes. Poursuivant
ses recherches, Hilbert a généraEsé ces
concepts, ce qui l'a conduit à développer
la théorie des anneaux, des idéaux et des
modules. C'est sur ce thème qu'Emmy
Noether (1882-1935) a obtenu son
doctorat en 1907 sous la direction de
Gordan. Dans les années qui suivent la
Grande Guerre, elle donne une certaine
rigueur à la théorie des modules.

Des propriétés surprenantes

On peut définir dans un module, comme


dans un espace vectoriel, les notions
d'indépendance linéaire, de familles
libres et génératrices, et donc de bases.
Seulement, les choses ne se passent pas
de la même façon . La cause en est élé-
mentaire : dans un espace vectoriel, si
deux vecteurs non nuls il, et ·ü ont un
rapport de colinéarité, cette relation est
symétrique; ceci signifie que s'il existe
un scalaire non nul À tel que iJ = ÀÜ,
a1ors u- = ~1 v- .
Ceci devient faux pour un module ! Si
l'anneau de base est Z et que ·ü = 2û,
alors, 1/2 n'étant pas un élément de
l'anneau des entiers relatifs, on ne peut
écrire ü en fonction de iJ. Pour cette
raison, de nombreuses propriétés des
espaces vectoriels tombent en défaut
pour les modules.
De même que l'on parle d' espace vec-
toriel de dimension finie, on dit qu'un
module est de type fini s'il possède une
famille génératrice finie, c'est-à-dire
telle que tout élément peut se décom-
poser comme une combinaison linéaire

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Les modules

des éléments de cette famille. Ceci n'en- Un corps K est un espace vectoriel sur
traîne pas l' existence de bases ! On ne lui-même, qui ne possède aucun sous-
peut pas alors parler de « dimension ». espace vectoriel propre (autre que lui-
Seule consolation, s'il existe une base même et celui réduit à {O}). Certes, un
comptant un nombre fini d'éléments, anneau A est un module sur lui-même ;
alors toutes les autres bases possèdent cependant, une partie stricte B de A
le même nombre d'éléments; on parle peut être, elle aussi, un module sur A ;
alors de module libre. pour ceci, il suffit que ce soit un sous-
groupe et que, pour tout a dans A et
tout b dans B, l'élément ab soit dans
Modules et groupes commutatifs B (stabilité de la loi externe). De telles
parties s'appellent des idéaux de A.
Un module sur un anneau commutatif A est un
Un exemple simple : l'ensemble des
ensemble M muni deux lois. nombres pairs est un idéal sur Z, c'est
La première est une loi de composition interne, un module sur Z.
La théorie des modules s'est avérée
notée+, qui munit M d'une structure de groupe
extrêmement féco nde dans diverses
commutatif. branches des mathématiques comme
la théorie des nombres et la géométrie
La deuxième associe à tout couple d'éléments a (de
algébrique. Les questions s' y posent
l'anneau A) et x (de M) un élément de M noté il= o:x naturell ement en termes de modules sur
tel que que les propriétés suivantes sont vérifiées pour un anneau, et non en termes d'espaces
tous scalaires a, f3 et tous vecteurs i, il: vectoriels sur un corps. L'étude des
modules sur un anneau D d'opérateurs
o:(x +il)= o:x + ail, (a+ (3)x = o:x + (3x, différentiels (théorie des D-modules) est
(o:(3):l = o:(/3:l) et lx= i. actuellement en pleine effervescence.

On reconnaît la définition del' espace vectoriel, à cela B.H.


près que l'ensemble des scalaires est un anneau et
non forcément un corps.
Prenons un groupe commutatif G et notons additi-
vement son opération.

Il possède naturellement une structure de module


sur Zen désignant, pour l'entier n > o et l'élément
a de G, na= a+ a+ ... + a (n fois), (-n)a = -na, et en
complétant par on = o. Les axiomes se vérifient tous
aisément. Ainsi, la théorie des groupes commutatifs
n'est qu'un cas particulier de celle des modules.

Tangente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


par Élisabeth Busser

Une géométrie
sans figures
L'algèbre linéaire est née du besoin de trouver un cadre à la
géométrie usuelle. Du point de vue de la pratique calculatoire,
c'est réussi! La simplification de certaines opérations et mani-
pulations, devenues plus systématiques, simplifie et rend plus
rigoureux le raisonnement géométrique.

'
L
ancienne géométrie était pour sens, uti li sant des lieux géométriq ues
Michel Chasles ( 1793- 1880) po ur réso ud re certa in s prob lè mes :
« hérissée de figures » et il « On a ainsi la résolution et construc-
souhaitait déj à s'évader des représenta- tion exacte et la plus simple possible
tions particubères qui , pour lui, empri- des problèmes de géométrie par des
sonnaient un problème. De nombreuses lieux naissant suivant le cas de courbes
tentatives ont été faites dans ce sens au d'esp èces différentes et convenant à
cours de l' hi stoire des mathématiques et ces problèmes. » Peu après, Gottfried
la géométrie vectorielle est l' une d'elles. Wi lhe lm Le ibniz suggère, dans une
lettre à Huygens de 1679, « qu'il nous
La tentation faut encore une autre analyse propre-
d'une géométrie sans figure ment géométrique linéaire, qui exprime
directement la situation comme l 'al-
A u XVII" siècl e déj à, s i la fig ure e n gèb re exprime la grandeur» et propose
géométrie reste prégnante dans I' œuvre une « géométrie de situation», mais son
de René Descartes, le mathématic ien et idée n'est pub liée qu ' en 1833.
philosophe cherche déjà, avec l' intro- Peu après, Joseph -Louis Lagra nge
duction des coordonnées, à algébriser la (1736- 18 13) précise, dan s son tra ité
géométrie, et recommande, pour venir à de Mécanique analytique: « On ne trou-
bout d' un problème géométriq ue: « De ve ra point de fi gures dans cet ouvrage.
toutes les lignes courbes qui doivent être Les méthodes que j'y expose ne deman-
reçues en géométrie, il faut avoir soin dent ni constructions, ni raisonnements
de toujours choisir la plus simple par géométriques ou mécaniques, mais
laquelle il est possible de le résoudre. » seulement des opérations algébriques. »
Pierre de Fermat va également dans ce Gaspard Monge (1746-1818) a, lui ,

44 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Jakob Steiner
(1796- 1863)
était un
mathématicien
suisse.

Portrait de
Lazare Nicolas Marguerite Carnot
(1753- 1823), mathématicien,
homme politique et général français.

contribué, avec sa géométrie descriptive, corrélatives » de Carnot (rapporter une


à évacuer la figure en transformant son figure dont on cherche les propriétés à
mode de représentation, pour, disait-il , une autre, mieux connue), les propriétés
s'affranchir« de cette complication des projectives utilisées par Poncelet, les
figures dont l'usage distrait de l'atten- « formes fondamentales» (par exemple,
tion qu 'on doit au fond des idées ». faisceaux de droites et de plans) de
Michel Chasles, pourtant l' un des plus Steiner, la « géométrie de position »
grands géomètres de son temps (voir (par opposition à la géométrie métrique)
notre dossier dans Tangente 160), n' a de von Staudt, amorcent de nouvelles
pas besoin de figure pour écrire, dans pratiques en géométrie, tendant à faire
sont Traité de géométrie supérieure disparaître le carcan de la figure, que
( 1852) : « Étant pris trois points a, b, c va prolonger l'apport de la géométrie
dans un ordre quelconque sur une même vectorielle.
droite [. .. ] on aura toujours ab + be
+ ca = 0 en donnant aux segments les Enfin le vecteur vint
signes qui leur conviennent. »
D' autres mathématiciens, de l' époque L'algèbre dite « linéaire » englobe
révolutionnaire eux aussi, Lazare aujourd'hui à la fois le linéaire, héritage
Carnot, Jean-Victor Poncelet et Jakob fin XIXe del' œuvre d'Évariste Galois,
Steiner, et un peu plus tard Karl von de Camille Jordan, d'Arthur Cayley, et
Staudt ( 1798- 1867), ont développé des le vectoriel, qui a une histoire à lui. La
méthodes de démonstration mettant notion de vecteur et le calcul vectoriel
en avant la généralité. Les « _figures ont des racines nombreuses, variées et

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Une géométrie sans figures

solides. C itons pour mémoire : - ]a théorie des quaternions de William


- la représentation géométrique des Rowan Hamilton (1843), ces nombres
nombres complexes, concrétisée par complexes de la forme a + ib +je+ kd,
Jean-Robert Argand en l 806, où a, b, c, d sont réels et i,j, k des « ima-
- le calcu l barycentrique de Mobius ginaires » tels que i2 = / = k2 = ijk = - 1
(1827), et dont l' ensemble préfi gure la notion
- le calcul sur les équipoll ences du d'espace vectoriel.
mathématicien italien Giusto Bellavitis Mais c'est plus tard que le concept s'est
( l 803-1880), répandu . On doit en effet la diffusion du
- le calcul d'extension (Ausdehnung) calcu l vectoriel, dont le mathématicien
de I ' Allemand Hermann Günther et physicien écossais Peter Guthrie Tait
Grassmann (1814), disait pourtant qu'il allait à l'encontre

Une seule ligure, mais... déterminante


Pour résoudre un système d'équations, on est amené à considérer« le déterminant » du système,
considération qui peut rester uniquement algébrique et permet d'aller jusqu'au bout de la résolution.

Le déterminant possède toutefois une signification géométrique. Prenons par exemple le cas d'un
système linéaire de deux équations à deux inconnues, { ax + bx = c,
a'x + b'y = c' .

Le déterminant 1; , :, 1 = ab' - ba' n'est autre, en valeur absolue, quel' aire du parallélogramme

construit sw- les vecteurs OA( a, a') et OB(b, b').

À quelle réalité géométrique cela


correspond-il ? Étrangement, le - 18- -
dessin nous est ici d ' un grand
16
secours : il visualise en effet que
l'aire du parallélogramme OACB 14
(a b, a'+ b') C
est égale à celle du polygone t
ODEBFG, qui n'est rien d'autre 12 ~
que celle du rectangle ODEH
10 H-
diminuée de celle du rectangle (

GFBH, soit ab' - ba', le fameux


8
déterminant. C'est ainsi que dans
sa Théorie des flots et marées, 6

publiée en 1911 , le mathématicien


4
allemand Grassmann, utilisant des
méthodes vectorieIJes, définit en
2
particulier le produit de deux vec-
0 D
teurs comme la surface orientée du
-4 -2 0 2 4 6 10 12 14 16
parallélogramme qu'ils forment. 1 1

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


des idées de Hamilton sur les quater-
nions, à James Clerk Maxwell, qui intro-
duit dans la réédition (en 1873) de son
Traité d'électricité et de magnétisme en r
parallèle l'écriture en coordonnées et /1\

l'écriture en vecteurs. William Clifford


(!§; 1, N
\
(1845-1879) utilise lui aussi dans ses
Éléments de dynamique produit scalaire
et produit vectoriel séparément.
Si l'analyse vectorielle se développe
rapidement à la fin du XIXe siècle,
sous l'impulsion de physiciens comme
Josiah Gibbs aux États-Unis et Oliver
Heaviside en Grande-Bretagne, l'adap-
tation à cette nouvelle pratique ne s'est
faite en France, surtout dans les travaux
de mécanique, qu'après 1920, où la
notation surlignée fléchée ne s'est impo-
H
sée définitivement qu'à partir de ... 1960.
Un peu plus de dix ans plus tard, les
vecteurs ont la part belle dans les pro-
grammes de 1972 d'enseignement
français, puisqu'en terminale C, le pro-
gramme de géométrie commence d'em-
blée par« Somme directe de deux sous-
espaces vectoriels», pour enchaîner sur
« Applications linéaires d'un espace
Toutes les figures
vectoriel euclidien dans lui-même »,
nécessaires
puis sur « Produit vectoriel de l'espace voir la géométrie d'Euclide que sous
à Euler pour
vectoriel euclidien de dimension 3 ». l'angle vectoriel. La méthode pouvait
résoudre
Autant dire qu'avec une telle approche, dérouter, mais elle avait ses adeptes,
son problème.
les manuels scolaires contenaient à peine qui revendiquaient des démonstrations
plus de figures que l'ouvrage de Michel largement facilitées par l'apport du
Chasles . calcul vectoriel.
Ainsi, démontrer par exemple que, dans
Revisiter la géométrie classique un triangle, le centre de gravité G, le
centre du cercle circonscrit O et l'or-
Il était courant, dans les années d'en- thocentre H sont alignés (sur la fameuse
seignement des mathématiques dites « droite d' Euler») peut ne prendre que
« modernes », non seulement de voir quelques lignes. Pourtant, dans son
des manuels de géométrie presque mémoire de I 767, Solutionfacile de cer-
sans figures , mais de ne traiter les pro- taine problèmes très difficiles, Leonhard
blèmes d'intersections que grâce à des Euler, utilisant les coordonnées dans un
systèmes d' équations, de ne regarder repère convenablement choisi, parvient
les transformations géométriques que à donner les coordonnées des points
sous l' angle matriciel , en un mot, de ne G, 0 et H en fonction des côtés et de

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Une géométrie sans figures

l'aire du triangle et, de gros calculs et Cela signifie que les vecteurs AS etm
de nombreuses figures plus loin, arrive sont colinéaires, donc que les droites
à HG= (2/3) HO et GO= (1/3) HO, ce (AS) et (OI) sont parallèles. Or la droite
qui signifie que non seulement ces trois (01) n'est autre que la médiatrice de
points sont alignés, mais que de plus G [BC] : ainsi (AS) est-elle perpendiculaire
est, sur le segment [OH], au tiers à partir à (BC). C'est donc la hauteur issue de
de O. Ce résultat, obtenu de haute lutte, A . On montre de même que (BS) est
fait dire au géomètre britannique H.S.M. la hauteur issue de B et (CS) la hau-
Coxeter : « Certaines des découvertes teur issue de C. Le point S est donc
les plus simples d'Euler sont de telle l'orthocentre H du triangle ABC et
nature qu 'on imagine l'esprit d'Euclide OB = 6A +OB +oê.
s'exclamant: "Pourquoi sur Terre n'y Or, par définition du centre de gra-
ai-je pas pensé ?" »
GA+ GB +CC = rf , so it
vité G,
Et que dirait l' esprit d'Euclide devant ce 6A + OB + oê = 36G.
petit calcul vectoriel qui prouve le même
On vient donc de démontrer très rapi-
résultat encore beaucoup plus vite .. . et
dement, et sans figure aucune, que
sans figure? L'idée est d'introduire un
point S tel queOS = 0A + OB + OC. OB 30G = et, comme Euler, de trou-
ver la même position de G sur le segment
C'est dire que OS - 0A = OB +OC, [OH]. À chaque amateur ou utilisateur
soit AS= OB +OC= 2m si I est de mathématique de choisir le point de
milieu de [BC]. vue qui lui conviendra le mieux !

É.B.
RÉFÉRENCES
• Dossier « Michel Chasles ». Tangente 160, 20 14.
• Euler.Bibliothèque Tangente 29, 2007.
• La magie des invariants mathématiques. Bibliothèque Tangente 47 , 2013.
• La droite. Bibliothèque Tangente 59, 2017 .

48 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

le programme d'Erlangen FelixKlein


Le xrx 0 siècle a vu naître de nouvelles approches Sa date de naissance, donnée par
très diverses de la géométrie avec la naissance des trois carrés de nombres premiers,
géométries non euclidiennes, le développement de
le rendait très fier ! Sachant qu'il
la géométrie projective, l'introduction des espaces
vectoriels et les balbutiements de la topologie. L'hé- est né un mercredi, seule deux
ritage d'Euclide n'était plus qu'une géométrie parmi dates sont possibles : c'est la plus
tant d'autres. En présentant son programme d'Er- récente ...
langen, Felix Klein n'a pas cherché à unifier toutes À 21 ans, déjà détenteur d'un doc-
ces approches. Il a seulement voulu mettre del' ordre
torat , il vient à Paris suivre les
et chercher une notion sous-jacente commune pour
redonner un sens à ce que l'on peut nommer « géo- cours de Camille Jordan et se lie
métrie» . d'amitié avec un jeune mathéma-
Les cours de Camille Jordan sur la toute naissante ticien norvégien, Sophus Lie. La
théorie des groupes l'ont influencé. Celle-ci concer- guerre franco-prussienne l'oblige
nait jusqu'alors avant tout les groupes de substitu-
tions. L'idée de Klein fut d'entrevoir, en géométrie, à quitter la France. Il obtient bril-
l'importance des groupes de transformations (un lamment, en 1872, un poste à l'uni-
ensemble de bijections de l'espace géométrique sur versité d'Erlangen . Il devient par la
lui-même). suite le m athématicien allemand
Pour son habilitation comme professeur à l'univer-
le plus prestigieux grâce à ses tra-
sité d'Erlangen en 1872, Klein propose une nou-
velle vision de la géométrie dans un exposé intitulé vaux, bien sûr, mais aussi par son
Vergleichende Betrachtungen über neuere geome- rôle fondamental dans la diffusion
trische Forschungen (Considérations comparées des recherches en mathématiques,
sur de recherches récentes en géométrie) dans le- en particulier en tant que rédac-
quel il définit une géométrie par la recherche des
invariants par un groupe de transformations . La teur en chef des Mathematische
géométrie n 'est donc plus inhérente à l'espace, mais A nnalen.
sur le même espace, on peut définir différentes géo-
métries. Ainsi, la géométrie affine correspond au
groupe des bijections affines de l'espace, la géomé-
trie euclidienne à celui des isométries. Dans la pre-
mière, les ellipses sont des invariants, on ne peut
parler de « cercles » alors que dans la seconde, à
chaque ellipse sont attachés ses paramètres : une
isométrie transforme une ellipse en une autre el-
lipse de mêmes paramètres. Klein n'exclut pas de
son propos la topologie naissante et , influencé par
son ami Sophus Lie, les variétés différentiables.
Son principe (voir en pages 76 à 79) est une brillante
synthèse qui fait de la géométrie non plus la science
des propriétés des figures , mais celle des propriétés
de l'espace.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Bertrand Hauchecorne

Du uectoriel à l'affine ...


et uice uersa !
L'algèbre linéaire est née du besoin de trouver un cadre à la
géométrie usuelle. Du point de vue de la pratique calculatoire,
c'est réussi! La simplification de certaines opérations et mani-
pulations, devenues plus systématiques, simplifie et rend plus
rigoureux le raisonnement géométrique.

arcel Berger, grand géomètre XVIIe siècle avec René Descartes puis

M fra nçais disparu en octobre


2016, aimait à dire : « Un
espace affine, c'est un espace vectoriel
Pierre de Fermat avait fait comprendre
que la donnée d'une origine O et de deux
points A et B pour le plan (trois pour
dont on a oublié l'o rigine. » En ces l'espace) permettent de repérer tout point
termes il exprimait le fait que, dans le M; en termes modernes, d'exprimer les
premier, tous les points jouent des rôles coordonnées du vecteur 0M dan s la
analogues, tandis que dans le second, le base (OA , OB) . Sans le dire, travailler
vecteur nul est un élément privilégié. En sur les coordonnées correspondait déjà
fait, historiquement. . . c'est la démarche à le faire dans un espace vectoriel ; il
inverse qui a prévalu ! faudra cependant deux siècles pour for-
maliser cette structure. En inversant le
Décrire notre espace propos de Marcel Berger, on peut dire
que, historiquement, un espace vectoriel
Jusqu 'au début du XIX e siècle, on ne dis- est un espace affine dans lequel on a fixé
tingu ait pas vraiment la réalité physique un point. Mais qu'est-ce qu ' un espace
de sa formulation mathématique. Aussi, affine ?
certaines propriétés étaient justifiées
par l' év idence visuelle. Il n'était alors Un ensemble <f est muni d' une structure
point besoin de définir une structure d'espace affine, associé à un espace
mathématique représentant l'espace qui vectoriel réel, par la donnée d' une appli-
nous environne, elle semblait découl er cation 0 du produit cartésien <f x 'E
de notre expérience et de notre intui- dans E qui vérifie les deux conditions
tion. L'introduction des coordonnées au su ivantes , en notant AB = 0(A, B) :

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


• Pour tout point A de Gf., l'application
0 A : B >---+ AB est une bijection de Les applications affines
Gf. dans E, Dans toutes les structures, les applications conservant
• ~ r to~oin~, B et C de Gf., on a les opérations jouent un rôle fondamental car elles per-
AB + BC = AC. mettent le transfert de diverses propriétés et favorisent
La première condition assure qu'en souvent d'élégantes démonstrations. Les espaces affines
choisissant un quelconque point A de n'échappent pas à la règle.
Gf., on « vectorialise » l'espace affine Considérons deux espaces affines Gf. et GJ=, associés
en prenant A comme origine et en iden- respectivement aux espaces vectoriels E et F. Une
tifiant le point B et le vecteur AB. La application <p de Gf. dans q: est affine s'il existe une
seconde condition est la célèbre relation application linéaire f de E dans F telle que, pour tous
de Chasles. Les éléments de Gf. s'appel- points A et B de E, cp(A)cp(B) = f (AB).
lent des points et ceux de E des vecteurs. L'application f s'appelle l'application linéaire associée à
Il est de coutume de noter les premiers à <p. Sil' on compose deux applications affines, la composée
l'aide de majuscules d'imprimerie choi- est aussi affine et l'application linéaire associée est la
sies au début ou au milieu de l'alphabet composée de celles associées aux deux éléments initiaux.
et les seconds de minuscules, surmontées Les applications affines conservent l'alignement des
ou non d'une petite flèche, et prises vers points, transforment un sous-espace affine en un autre ...
la fin de l'alphabet. La dimension de Le cas Gf. = q: (et donc E = F) joue un rôle très important,
l'espace affine est par définition celle de en particulier pour les applications bijectives. Elles for-
E. Étant donné un vecteur û de E et un ment alors Le groupe affine de E, c'est-à-dire que leurs
point A de Gf., l' unique point B tel que applications réciproques sont encore affines bijectives.
AB = û se note A + û. Les translations y appartiennent et sont exactement celles
Étant donné un sous-espace vectoriel associées à l'application identité del' espace vectoriel. Les
F de E et un point A de Gf., l'ensemble homothéties, les projections, les symétries affines sont
q: = {A + û ; û E F} s'appelle le sous- respectivement associées à leurs homologues vectorielles.
espace affine diligé par F (on dit aussi que Mieux : tout élément du groupe affine <p s'écrit comme
F est la direction de q: ) et contenant A ; le composé d'une translation et d'une application affine
on a donc e A ( q:) = F. Cet espace q: peut laissant invariant un point fixe A. Or cette dernière, en
être défini à l' aide de n' importe lequel « vectorialisant » en A, se comporte comme une appli-
de ses points ; en revanche, sa direction cation linéaire. On se ramène ainsi à des techniques
est unique. Deux sous-espaces affines d'algèbre linéaire (calcul matriciel. .. ).
de même direction sont dits parallèles.
Toutes les proprié- Ainsi , ce que nous appelons espace

t1
8
tés classiques de la affine, c'est le cadre de la géométrie
géométrie affine se traditionnelle, celle que nous a ensei-
c redémontrent dans gnée Euclide, en précisant bien qu'on en
ce cadre, comme par exclut tout ce qui concerne les distances,
exemple la règle du parallélogramme ; les angles et, en conséquence, l' 011ho-
elle stipule qu'étant donnés quatre points gonalité. On appelle notion affine tout
A, B, Cet D, les égalités AB = CD ce qui traite des droites, des plans, leurs
et Aê = BD sont équivalentes. intersections, du parallélisme ... Les
En effet, la relation de Chasles nous applications affines bijectives comme
donne AB = Aê + CD + DB , soit les translations , les homothéties, les
AË - cî5 =AC +W = AC - BD , symétries y jouent un rôle important
d' où le résultat. (voir en encadré).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Du vectoriel à l'affine ...

Les isométries, en particulier les rota- Alors: A1A3 B 1B3


tions et les symétries orthogonales, en A1A2 B1B2
sont exclues puisque la notion d'angle
et de même OA3 OB3
et de distance n' existe pas dans cette
structure. OA 2 OB2
Si le lecteur en est gêné, qu'il prenne La barre indique la mesure algébrique,
conscience que nous étudions une c'est-à-dire que si ~ = >.M ,
structure mathématique, et non pas alors ~ = >.îf;B;' (avec le même
la géométrie traditionnelle dont nous
scalaire À).
aurions omis des propriétés essen-
tielles : si aucune structure euclidienne Montrons la première égalité, pui sque
n'a été définie, les notion s d'angle, de la seconde en découle en rempla-
distance ou de droites perpendiculaires çant A 1 et B 1, alors confondus, par O.
n'ont pas de sens ! Considérons la projection TI sur 'Ü"
parallèlement à D ; elle envoie A 1 sur
Ce bon vieux Thalès... B , A sur B 2 et A 3 sur B 3 . Notons À
1 2 ---i- -----+
le scalaire tel que A 1A 3 = >.A 1A 2 .
Le plus célèbre des Alors , en notant p la projection vec-
théorèmes typiquement torielle associée à TI (voir en encadré),
affines est celui de p(~) = p(>.M ) = >.p(M )
Thalès (si vous attendiez car p est linéaire, soit ~ = >.M ,
celui de Pythagore, c' est ce qui est le résultat attendu .
que vous avez oublié On pourrait aussi citer le théorème de
qu ' il se traite dans le Pappus, connu dès l' Antiquité, ou celui
cas euclidien puisqu'il de Desargues, qui sont, eux aussi, du
y est question d' ortho- ressort des structures affines.
gonalité).
On considère dans le Ainsi, définis dans le cadre de l' algèbre
Le théorème de Thalès. plan affine 'Ü,, 'Ü2 et linéaire, les espaces affines sont un
'Ü3 trois droites paral- cadre idéal pour traiter de la géométrie.
lèles de même direction Ils évitent la lourdeur de l'approche
D et 'Ü' , 'Ü' ' deux droites sécantes en axiomatique proposée par Hilbert en
0, non parallèles aux précédentes. On complément de celle d'Euclide et s' uti-
note, pour i = l, 2 et 3, A . l'intersec- lisent de manière très naturelle pour
tion de 'Ü avec 'Ü' et B. ~elle de 'Ü. ceux qui sont familiarisé s avec leurs
avec 'Ü". ' ' ' cousins vectoriels.

B.H.

RÉFÉRENCES
• Géométrie. Marcel Berger, Cassini , 2016.
• Géométrie.Michèle Audin, EDP Sciences, 2013.

52 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par Hervé Lehning EN BREF

Pourquoi l'algèbre linéaire


L'algèbre fait partie de la boîte à outils fondamentale pour faire des mathématiques.
Pourquoi ? Bien sûr, une réponse est la géométrie, où les problèmes les plus simples
sont linéaires ou affines et impliquent des droites et des plans. Cependant les questions
linéaires se trouvent dans bien d'autres domaines, comme l'analyse. Par exemple, inté-
gration et dérivation sont linéaires. Les équations différentielles linéaires se résolvent
ainsi facilement en utilisant des outils algébriques. De plus, comme on sait bien résoudre
les problèmes linéaires, on linéarise souvent les problèmes plus sophistiqués.
L'étude de la linéarité est ainsi un prélude indispensable aux études mathématiques. Du
fait de ce succès, avec la multitude et la grande variété des applications, l'algèbre linéaire
est devenue particulièrement abstraite afin que chacun dispose d'une théorie s'adaptant
à son objet d'étude. Pour bien comprendre la question, il est ainsi indispensable de multi-
plier les exemples concrets sans se limiter aux cas génériques, car ils peuvent faire penser
que l'algèbre linéaire est purement abstraite ... alors que c'est exactement le contraire.

Pourquoi l'algèbre multilinéaire


L'algèbre multilinéaire découle directement de l'algèbre linéaire par deux voies distinctes. La
première concerne les questions d'orthogonalité, qui introduisent naturellement des formes
bilinéaires (c'est-à-dire linéaires en chacun des deux arguments de la fonction). Les applica-
tions ne se limitent pas à la géométrie mais concernent aussi, par exemple, les questions d'ap-
proximation de points ou de fonctions avec, en particulier, la méthode des moindres carrées
ou la théorie du signal, domaine où l'on projette orthogonalement sur des espaces de fonc-
tions ! Un autre exemple concerne les statistiques, où l'on projette les données sur un espace
bien choisi pour simplifier leur interprétation.
La seconde voie concerne la résolution des systèmes linéaires à l'aide de déterminants, la ca-
ractérisation de l'unicité d'une solution, de l'alignement des points dans le plan, la coplanarité
dans l'espace.

En projetant U1 0

8 oo 0
des données 0 (j
0
statistiques N

sur un ()lan
0
adéquat, l'analyse N
N
'i 0
X

en composantes x 0

principales
permet d'en
faire émerger des
0
caractéristiques
significatives 0 4 4 6 8

cachées. x1 x1+x2

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Élisabeth Busser

PrécieuM
barycentres
Déjà utilisé par Archimède, le centre de gravité, généralisé en
barycentre, s'avère être une ressource précieuse en géométrie.
Il permet de caractériser simplement les points remarquables
d'un triangle. De nombreux résultats, comme le théorème de
Desargues, se démontrent aisément grâce à lui.

a notion de barycentre (de la Calculer en mode barvcentre

L racine grecque papù(, «poids »,


associé au mot « centre ») est
plus qu'un simple concept facilitateur de
Parmi les traités d'Archimède qui ont
survécu, D e l'équilibre des figures
calculs. C'est une philosophje_ Tout s'est planes traite, dans son tome 2, la notion
déroulé entre Archimède, au mesiècle de centre de gravité, qu'il évoque en
avant notre ère, et August Ferdinand ces termes : « Tout corps pesant a un
Mobius ( 1790-1868). Le mathématicien centre de gravité bien défini en lequel
de Syracuse a défini, dans son ouvrage De tout le poids du corps peut être considéré
l 'équilibre des figures planes, le centre comme concentré. » Le principe des
de gravité ; l'élève de Carl Friederich moments constitue une définition du
Gauss, dans son Barycentrische Calcül centre de gravité : pour que la balance
de 1827 introduit les « coordonnées avec une masse a sur le plateau A et une
barycentriques », ouvrant la voie à une masse b sur le plateau B soit en équilibre,
nouvelle conception de la géométrie. le fléau doit reposer sur le centre de
gravité G, car alors les moments a GA
et b GB sont égaux. On a traduit plus
tard cette égalité en termes vectoriels :
aGA + bGB = Ô.
La notion de barycentre d'un système
de « points pesants » était née : pour
un système de points A 1, A2 , ••• , A,, de
1' espace ou du plan, et des nombres réels
a 1, a 2 , • •• , a,, dont la som me n' est pas
nulle, il existe un unique point G tel que

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


a1 Gf½ + a2 ~ + ... +an = Ô, cIA: d'une part p + q + r"' 0, et d'autre part
harycc11. t1·isc.ùc Calcnl
ce que les mathématiciens écrivent de
n
pOA + qOB + r·OC = (p + q+r)OP.
Le triplet (p, q, r) constitue les coor-
manière compacte Lai GJC = Ô. données barycentriques du point P dans
i=l
Ce point peut encore se définir, quel le repère affine (A, B, C) et tous les °"',l;,,llli,l'"f.,._~-.....-t'HO""'
•=~"'o'-f: • .......;r;,.~
""'~
que soit le point O choisi comme triplets correspondant à un même point
ongrne, par : sont proportionnels.
n
Lorsque p + q + r = 1, on parle de coor-
LaiOX-: données barycentriques normalisées.
0G = _i=_ l_n __ Cela revient, dans ce cas, à exprimer que
L<i~• i Jo,
• ,..,.._., • .,. lo)•• • _.. ..,. _ ,.._,~

/ '"~ .
tout point P du plan peut être considéré
i= l de manière unique comme barycentre Le Calcul
Dans le cas où tous les coefficients a1 de A, B et C « pesant » respectivement barycentrique,
sont égaux, on parle d'isobarycentre. certains poids p, q, r de somme égale à 1. par Mobi us.
Si l'idée d'Archimède a donné lieu à On peut évidemment généraliser cette
cette définition, une vingtaine de siècles définition aux coordonnées barycen-
plus tard, les mathématiciens allemands triques d'un point M dans un repère
Karl Wilhelm Feuerbach ( 1800-1834) affine de plus de trois points, et Mobius
et Julius Plücker (1801 - 1868) inven- insiste dès le début de son livre sur le fait
tent de nouvelles coordonnées et c'est que les nombres p, q, r peuvent aussi être
Mobius qui théorise dans son ouvrage négatifs : c'est pourquoi il préférera le
de 1827 la notion de coordonnées bary- mot« barycentre » à celui de « centre de
centriques, une nouvelle façon, selon gravité». Comme le dit le mathématicien
lui, de définir la situation des points. Il allemand, persuadé d'ouvrir la voie d'un
commence en considérant dans le plan nouveau type de calcul,« toutes nos for-
deux points A et B. On pourrait traduire mules sont beaucoup plus que de simples
ainsi l'un de ses premiers résultats : raccourcis de calcul[. .. ], A, B, C. .. ne
« Si, pour un point O quelconque, il sont pas que de simples points, mais[. .. J
existe un couple (a, b) de nombres tels ils permettent de traduire les propriétés
que ao + bOB = OC, alors C est essentielles du centre de gravité dans
BC le langage de l'algèbre. »
Z- ,
a tgne avec
A
et
B
et ba = CA. »
Mobius considère ensuite trois points Les notations de Grassmann
A, B et C coplanaires et généralise le
résultat à un point P du plan (ABC), Dans nos natations modernes, toutes les
disant exactement qu'une relation du formules sont écrites en termes vecto-
type po + qOB + roê = Ô est riels. En fait, Mobius lui-même utilise une
l' « expression » du point P ; il nomme autre notation, celle de son contemporain
p, q, r les « coordonnées » de ce point. Hermann Gunther Grassmann ( 1809-1877).
Voici donc une première approche des M ê lant points et vecteurs, ce dernier
coordonnées barycentriques, comme on parlera donc de M + ü pour l' image du
peut les définir dans le plan : étant donné point M par la translation de vecteur ü et
trois points coplanaires A, B et Cet O un n' hésitera pas à écrire B - A pour le vec-
n n
point quelconque de ce plan(]' origine),
pour tout point P du plan il existe un
teur AB ou L aiMi pour L ai 6M;,
i=l i= l
triplet (p, q, r) de nombres réels tel que quelle que soit l'origine O choisie.

Hors-sér ie n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Précieux barycentres

On trouve ainsi dans l'ouvrage de Mobius,


Tous barvcentres ! dès les premières pages, des formules
On trouve à de multiples reprises chez Mëibius comme pA + qB + rC = P pour expri-
le fait que tout point peut être considéré comme mer, plus simplement qu'avec l'écriture
barycentre d'un système de « points de base ». Ainsi pOA. +qOB +rOC = OP, que P
est barycentre de A, B et C pesant res-
le milieu d'un segment [AB] est-il barycentre de A
pectivement p, q, r avec p + q + r = 1,
et B affectés chacun du coefficient 1, le centre de
puisque ce fait est indépendant
gravité d'un triangle ABC barycentre des points A, du choix de l'origine O. L'égalité
B et C tous affectés du coefficient 1. pA + qB + rC = P exprime également
Le mathématicien allemand énonce aussi que, que les coordonnées barycentriques
étant donné trois points ABC formant un triangle, (normalisées) de P dans le repère d' ori-
tout point P a pour coordonnées barycentriques gine O sont (p, q, r) avec p + q + r = l.
un triplet proportionnel à (Aire(PBC), Aire(PAC), Mobius pourra ainsi affirmer que « les
Aire(PAB)). Mëibius considère implicitement qu'il objets du calcul barycentrique sont
s'agit d'aires algébriques, dont le signe va dépendre des points et des coefficients numé-
de la position du point P par rapport au triangle riques », jetant effectivement les bases
ABC. En particulier, tous les points remarquables d'un «nouveau calcul».
du triangle peuvent être définis comme barycentres
des sommets, affectés de coefficients relativement Un allié au quotidien
simples, et les coordonnées barycentriques vien-
nent aisément. Le barycentre, de par sa définition et
certaines de ses caractéristiques, repré-
Notons, pour plus de simplicité, a, b etc les longueurs
sente déjà un allié précieux dans l' éla-
des côtés du triangle ABC respectivement opposés
boration de certaines démonstrations
aux sommets A, B, C, et Â, B, ê ses angles. Le centre
géométriques. Une de ses propriétés
de gravité est isobarycentre des points A, B, C. essentielles, par exemple, est l' asso-
Par ailleurs, le centre O du cercle circonscrit (de ciativité : un simple calcul vectoriel
rayon R), compte tenu des propriétés des angles démontre en effet qu ' on ne change pas
inscrits et du fait que l'aire du triangle OBC a le barycentre d'un système de points
pour aire (1/2) sin 2Â, est barycentre du système en remplaçant certains d'entre eux par
{(A, sin 2Â), (B, sin 2Ê), (C, sin 2ê)}. leur barycentre, à condition d'affecter
Pour le centre I du cercle inscrit (de rayon r), comme celui-ci de la somme des coefficients
l'aire du triangle IBC est égale à (1/2) r x a, il sera <lesdits points.
barycentre du système {(A, a), (B, b), (C, c)}. Cette seule propriété peut par exemple
Quant à l'orthocentre H de ce triangle, si l'on désigne servir à prouver que les médianes d'un
par A', B', C' les pieds des hauteurs issues respec- triangle sont concourantes. Soit en effet
tivement de A, B et C, on peut montrer que A' est G l'isobarycentre des trois points A,
B, C, et I, J , K les milieux respectifs
barycentre du système {(B, tan Ê), (C, tan ê )}, et
de [BC], [CA], [AB]. En considérant
B' barycentre du système {(A, tan Â), (C, tan ê )}.
le « barycentre partiel » I, milieu de
Ainsi, si l'on désigne par K le barycentre du système
[BC], barycentre de {(8 , 1), (C, L)},
{(A, tan Â), (B, tan B), (C, tan ê )}, en raison de l'as- alors, par associativité, G, barycentre
sociativité du barycentre, K est à la fois sur (AA') et de {(A,1), (1,2)}, est sur la droite (AI),
sur (BB'). Il est donc confondu avec l'orthocentre H. médiane issue de A. On a de plus
Tous ces points sont ainsi aisément caractérisés ! GA + 2 GÎ = Ô (ce que Mobiu s ou

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


0

A'

R ,, -/ - - ----
Q

Le théorème de Desargues.

Grassmann écriraient G = A + 21), qui et à Mobius : il existe trois réels a,


situe G aux deux tiers de la médiane b et c tels que O = aA + (1 - a)A' =
[Al] à partir de A. De même, J étant bB + (1 - b) B' = cC + (1 - c) C' .
barycentre de {(A, 1), (C, l)} , le point On introduit ensuite le point R ' de la
G se trouve sur (BJ), médiane issue de droite (AB) tel que (a-b) R' = aA-bB,
B, aux deux tiers à partir de B. Enfin, K expression qui est aussi égale à
étant barycentre de {(A, 1), (B, l)}, G (a - l)A'+(b-l)B '.
est sur (CK), médiane issue de C, aux Ainsi, R' est aussi sur la droite (A'B'),
deux tiers à partir de C. On a démontré et R' est en fait confondu avec R, inter-
d'un seul coup que les trois médianes section de (AB) et (A'B').
passent par le même point G et que Gest De même, l'intersection Q de (AC) et
situé aux deux tiers de chaque médiane (A' C') vérifie (c - a) Q = cC - aA, et
par rapport au sommet. l'intersection P de (BC) et (B 'C') satis-
Les calculs barycentriques de Mobius et fait à (b- c) P = bB - cC.
les notations de Grassmann, qui offrent De ces trois dernières relations vient
à la géométrie une autre vision et des 0 - MR+~ - ajQ+0 - 0P=~ce
simplifications d'écriture, vont permettre qui achève la démonstration : P, Q, R
de dénouer les complications de nom- sont bien alignés.
breuses démonstrations géométriques
un peu délicates. Mobius l'avait dit : avec le calcul bary-
L'un des« beaux » théorèmes classiques centrique, qui transformait des pro-
de la géométrie est celui quel' on doit à blèmes géométriques parfois compliqués
Girard Desargues (1591 - 1661) : en calculs algébriques le plus souvent
Si, dans le plan, ABC et A ' B 'C' sont simples, s'ouvraient de nouvelles pers-
deux triangles tels que (BC) et (B'C') pectives en géométrie, donnant une fois
se coupent en P, (AC) et (A'C') en Q et de plus rai son au physicien Jean Perrin
(AB) et (A'B ' ) en R, alors les points P, lorsqu ' il affirmait, longtemps après
Q et R sont alignés. Mobius, que « la science explique du
La démonstration se fait simplement en visible compliqué par de l 'invisible
utilisant la notation chère à Grassmann simple».
É.B.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

Hlignement, coplanarité, concourance ...

même combat !
Les notions de points et de droites du plan sont duales : aux
théorèmes concernant des alignements de points correspondent
des théorèmes concernant des concourances de droites. Cette
dualité peut être définie géométriquement. On la retrouve même
dans l'espace avec la coplanarité.

E
n géométrie, la dualité permet Le théorème de Ceva affirme quant à
de transformer un théorème lui que si ABC est un triangle et P, Q,
concernant des alignements de R trois points sur les côtés [BC], [CA]
points en un théorème concernant des et [AB], alors les droites (AP), (BQ) et
concourances de droites. On peut se (CR) sont concourantes ou parallèles si,
contenter d ' un simple principe de dua- . PB QC RA
etseulements1 = · = • = = -1.
lité, permettant de prédire un théorème ' pc QA RB
à partir d'un autre, avant de le démon-
trer indépendamment. Ainsi, à partir du A
théorème de Ménélaüs , on peut prédire
A le théorème de Ceva.
Le thé orème de Mén é laüs
énonce que si ABC est un
D triangle et D une
droite cou-
p
pant s e s
troi s côtés
C
B en P, Q et R, Bien ente nd u, cette façon empirique de
. PB rai sonn er reste très imprécise. On peut
a 1ors 1e pro d u1t = . =QC . =RA es t cependant la justifier à partir d ' équa-
éga l à 1. PC QA RB
tion s en considérant les coordonnées
Réciproquement, une telle relation entre homogènes d ' un point, qui consistent
les mesures algébriques des segments à ajouter une troisième coordonnée aux
implique que les trois points P, Q et R coordonnées affines . Plus précisément,
sont alignés. si M a pour coordonnées affines x et y ,

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


-, - LA GÉOMÉTRIE AUTREMENT

il a pour coordonnées homogènes X, gente en Pau cercle. Si Pest intérieur au


Y et Z telles que x =X/ Z et y= Y/ Z. cercle, la configuration de la figure pré-
On s'éloigne alors de l'intuition géo- cédente est inversée. Réciproquement,
métrique. Comment définir la dualité une droite ne passant pas par O est la
géométriquement ? polaire d'un (et d'un seul) point distinct
de 0, appelé son pôle.
La géométrie des pôles
p
Considérons dans le plan un cercle de
centre O et de rayon R. À tout point P,
qu'on appelle le pôle dans ce contexte,
on associe une droite p qu'on appelle
la polaire de P. Si Pest à l'extérieur du
cercle, on trace les deux tangentes au
cercle passant par P, (PA) et (PB) . La 0
polaire p de Pest alors la droite (AB).
II s'agit maintenant de généraliser cette
définition aux autres points P.

p Si l'on rapporte le pl an à un
p
repère orthonormé d 'ori -
gine 0 , et si le pôle Pa pour
coordonnées a et b, alors sa
polaire p a pour équation
ax + b y = R 2 . Considérons
un point Q de coordonnées a
0 et f3 appartenant à la polaire
p , ce qui se caractérise par
aa + b f3 = R 2 . La symétrie
de cette équation entre P
Polaire d'un point
et Q montre l'équivalence
extérieur au cercle.
entre les deux propriétés : la
polaire de P passe par Q et
Si P ' est le point d' intersection de (OP) la polaire de Q passe par P.
et de (AB), alors (BP') est la hauteur On en déduit le théorème suivant liant
issue de l'angle droit du trian gle rec- alignement et concourance : s i de s
tangle OBP. En utilisant la similitude points sont alignés , alors leurs polaires
des trois triangles OBP', BPP' et OPB , sont concourantes (et réciproquement,
on montre que OPxOP ' = R 2 • Cette si des droites sont concourantes, alors
égalité permet d'étendre la notion de le urs pôles sont alignés). En outre, si
polaire d'un point P (distinct de 0) , en des points sont alignés avec le centre 0
considérant le point P ' de (OP) tel que du cercle, leurs polaires sont parallèles
OPxOP' = R 2 et p la droite perpendi- (et réciproquement, si des droites sont
culaire à (OP) passant par P ' . Ainsi , si parallèles, leurs pôles sont align és avec
P est sur le cercle, sa polaire est la tan- le centre du cercle).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Alignement, coplanarité ...

Un certain nombre de théorèmes sur C sont alignés. De même, a', b' etc' sont
des points alignés ont une version duale concourantes. Comme I est aligné avec
concernant des droites concourantes. En B et C', sa polaire i est concourante avec
guise d'exemple, considérons le théo- b et c '. De même, elle est concourante
rème de Pappus: si A, B, C d'une part avec b' et c. La droite i joint donc les
et A' , B', C' d'autre part sont des points points d'intersection bnc' et b' nc. Il
alignés, alors les points d'intersection I en de même pour j et k.
de (BC') et (B'C), J de (AC') et (A'C)
et K de (AB') et (A'B) sont alignés. Des points et des droites
A
Considérons trois points du plan, A, B et
C, de coordonnées respectives (xA, yA),
(x 8 , y 8 ) et (xC' Yc) dans un repère affine.
Ces points sont alignés si, et seulement
si, il existe une droite D les contenant
tous les trois.
A B C D

A'
Sa version duale est : si a, b etc d' une L'équation de cette droite D est de la
part et a', b' , c' d'autre part sont des forme ax + f3 y + y= 0 où a et f3 ne sont
droites concourantes, alors la droite i pas tous les deux nuls. Le triplet (a, {3,
joignant les points d'intersection bn c' et y) est donc une sol ution non nulle du
b' n C, la droite} joignant anc' et a' n C système (S) suivant de trois équations
et la droite kjoignant anb' et a'nb sont à trois inconnues X, Y et Z :
concourantes. XAX + YA Y+ Z = 0,
Pour démontrer ce résultat, il suffit d'uti- (S1) XBX + YB y+ z = 0 ,
liser la transformation précédente : a, b et {
xcX + Yc Y + Z = O.
c sont les polaires des points A, B et C,
donc sont concourantes puisque A, B et Si le déterminant de ce système était
non nul, il aurait une solution unique
(c'est le célèbre théorème de Cramer qui
nous l'enseigne). Ici, ce n'est pas le cas
puisque (0, 0, 0) et (a, {3, y) en sont deux
solutions distinctes I Cela implique que
son déterminant est nul, ce qui s'écrit,
de manière plus formelle :
XA YA 1
XB YB 1 = O.
XC Yc 1
Réciproquement, si ce déterminant est
nul , cela implique que le système (S)
possède une solution (a , /3, y) non nulle.
Si a et f3 sont tous les deux nuls, (S 1)
implique que y = 0, ce qui est contra-
dictoire, donc a et f3 ne peuvent pas

Ta.n9ente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


LA GÉOMÉTRIE AUTREMENT

être tous les deux nuls . L'équation pas tous les trois nuls, et l'équation
ax + f3y + y= 0 représente alors une ax + f3 y + y z + 8 = 0 représente un plan
droite D contenant les trois points A, P contenant les quatre points A, B, Cet
B et C, qui se trouvent ainsi alignés. D ... qui se trouvent ainsi coplanaires.
Place à l'espace, maintenant !
Pour ne pas laisser
les droites en plan
Ao Bo
Revenons au plan !

Trois droites A, B et
0 0
C C sont concourantes
D
s'il existe un point D
A commun aux trois.
Considérons A, B, Cet D quatre points
de l'espace, de coordonnées respectives
(xA, YA' zA), (xs, Ys, Zs), (xc, Yc, Zc) et Considérons maintenant trois droites A,
(x 0 , y 0 , z0 ) dans un repère affine. Ces B et C du plan, d'équations respectives
points sont coplanaires, si et seulement aAx + f3Ay + YA=0, asx+ f3sy+ Ys= 0
si, il existe un plan P les contenant tous et ac x + f3c y + Yc = 0 avec (aA, {3A),
les quatre. L'équation de ce plan Pest (as, /3s), (ac, f3c) différents de (0, 0).
de la forme a x + f3 y + y z + 8 = 0 où Si elles sont concourantes, il existe un
a, f3 et y ne sont pas tous les trois nuls. point D de coordonnées (x 0 , y0 ) appar-
Le quadruplet (a , {3, y, 8) est donc une tenant aux trois droites, ce qui signifie
solution non nulle du système de quatre que le système (S 3) suivant possède une
équations à quatre inconnues X, Y, Z solution non nulle (x 0 , y 0 , 1) :
et T:
ŒAX + f3A Y+ 'YA Z = 0,
XA X + YA Y+ ZA Z + T = 0, (S3) ŒB X + f3B Y+ 'YB Z = 0,
{
(S ) XB X + YB Y+ zB Z + T = 0, acX + /3cY + 'Yc Z = O.
2
{ xc X + Yc Y+ zc Z + T = 0,
xo X + YD Y+ zoZ + T = 0. Comme précédemment, cela implique
que le déterminant de (S 3) est nul :
De même que dans le cas de l' aligne- ŒA f3A "/A
ment de trois points sur une droite, cela ŒB f3B 'YB = 0.
implique que le détermin ant de (S) est ac f3c 'Yc
nul , soit :
1 Réciproquement, si ce déterminant est
XA YA ZA
1 nul, cela implique que le système (S 3)
XB YB ZB
1
= O. a une solution non nulle (X, Y, Z ). Si
XC Yc zc
xo YD zo 1 Z est différe nt de zéro, le point D de
coordonnées (X/Z, Y/Z) appartient aux
Réciproquement, si ce déterminant est trois droites, qui sont donc concourantes.
nul, cela implique que le système (SJ Les trois droites vectorielles d ' équa-
a une solution non nulle (a, /3, y, o) tions aAx + f3Ay = 0, asx + f3 sY = 0 et
Si a , f3 et y sont tous les trois nuls , acx + f3cY = 0 contiennent le même
(S 2 ) implique que o = 0, ce qui est vecteur non nul (X, Y), donc A, B et C
contradictoire, donc a, f3 et y ne sont sont parallèles. Cela introduit la notion

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Alignement, coplanarité ...

de « concourantes ou parallèles » et Que pe ut-on alors dire de A , B , C et


introduit donc à la géométrie projective ! D ? De même que dans les di scussions
On a en effet obtenu que les trois droites précédentes, on en déduit que le système
A, B et C sont concourantes ou paral- (S 4) suivant:
lèles si, et seulement si, le détermin ant
aAX+fJAY +,AZ+oAT = 0,
aA fJA "/A estnul. aBX + fJB Y + 1B Z + ôBT = 0,
aB fJB ÎB (S4 )
{ acX + fJc Y + ,cZ + bc T = 0,
ac fJc 'Yc aDX + fJo Y + , oz + ÔD T = 0,

Ces rés ultats nous a mènent à nou s possède une solution non nulle (X, Y ,
poser une ques tion : que se passe- Z, T) . Si Test différent de zéro, le point
t- il s i le d é terminant formé par les de coordonnées (XfT, Yff, Zff) appar-
coeffic ients des équations de quatre tient aux quatre plans A , B, C et D qui
plans est nul ? Plu s préci sément, on se trouvent donc concourants. Si T est
se donne quatre plans A, B , C et D nul, les quatre plans sont parallèles à
de l'espace, d'équation s respectives une même droite, de vecteur directeur
aAX +f3Ay +yAz +OA=0, (X, Y , Z). Réciproquement, si A, B, C
a 13 x + {3 13 y + y8 z + 08 = 0, et D sont concourants ou para llè les à
une même droite, alors le déterminant
acx + f3cY + YcZ + oc =0
Li est bien nul.
et a 0 x + {3 0 y + y0 z + oD = 0, avec
Ainsi , il est important en géométri e de
(a A, f3A, YA), (a B, /3B, YB), (aC' f3C' Yc) et rechercher les dualités de type po int-
(a 0, f3D , yD) différents de (0 , 0, 0). On droi te, par exemple pour év iter de
s uppose que le déterminant Li suivant démontrer deux fois un même rés ultat
est nul : qui se présente sous deux formes d iffé-
aA fJA ÎA ÔA rentes en apparence. Les applications sur
as fJB ÏB ôB
ô. = ,c = 0. des problèmes d'alignement, de concou-
ac fJc oc rance o u de coplanarité sont souvent
ao fJo Ï D ôo spectaculaires.
H.L.

R ÉFÉ RENCES
• Doss ier « Les systèmes de coord on-
nées ».Tangente 157, 20 13.
• Doss ier « La géométri e projective » .
Tang ente 162, 20 14.

62 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


l'héritage e8traordinaire de Papy Hskilman
L'Institut intergalactique est le temple de l'excellence, où exerce
le redouté professeur Phi. Dans la salle de classe, une trousse
antédiluvienne contenant des billes est propice à une belle question
mathématique ...
êta promène un pouce respectueux sur de mesure donnée. Si une bille a une valeur de poids

B les coutures de la vieille trousse av~nt de


tirer délicatement sur la fermeture Eclair.
Son regard émerveillé contemple alors un trésor
paire (soit un poids pair pour simplifier), la somme
des poids des autres billes étant paire (car toujours
divisible par 2), /,a somme totale des poids sera paire.
qui vient du fond des âges, d'une époque où l'on Si l 'on prend une autre bille quelconque, la somme
avait encore besoin de crayons et de trousses pour des poids des billes restantes sera toujours paire, tout
les ranger dedans. D' une époque où les trousses comme la somme totale des poids. Le poids de cette
servaient également à transporter tout autre chose. nouvelle bille sera donc pair. Toutes les billes auront
« Tu n'es pas un peu vieux pour jouer avec ça, un poids pair. De /,a même façon, on montre que si le
Bêta ? » Le garçon sursaute en entendant la voix poids d'une bille est impair, alors tous les poids sont
de son camarade Alpha. Ce dernier est accompa- impairs. Qu'en déduit-on?
gné d'Epsilon, qui observe à son tour le contenu - Que tous les poids ont la même parité, déclare
de la trousse avec un air amusé. Alpha, qui a à peu près suivi.
« Ce n 'est pas un jeu ! s'exclame Bêta, outré. Il - Et une petite démonstration par l'absurde per-
s'agit bien d'un objet de collection qui me vient de met de conclure ! »
Papy Askilman, qui l'avait lui-même reçu de son Et vous, cher lecteur, sauriez-vous poursuivre
grand-père ... » la démonstration d'Epsilon dans le cas de va-
Dans sa paume scintillent à présent des billes mul- leurs de poids entières ?
ticolores - agates, yeux de chats, pétroles, tourbil- « Ensuite, poursuit Epsilon, il est facile d'étendre
lons cyclones ... Onze billes de verre en tout. ce résultat à des poids de valeur rationnelle. Il suffit
« C'est vrai qu'elles sont jolies, reconnaît Epsilon. d'imaginer que les valeurs des poids sont écrites sous
- Il n'y a pas que ça ! Ces billes possèdent une leur forme fractionnelle, de prendre le produit de tous
propriété particulière. Si tu en mets une de côté, les dénominateurs comme facteur multiplicatif et de
n 'importe laquelle, il sera toujours possible de se ramener ainsi au cas des poids de valeur entière
répartir les autres en deux tas de cinq billes qui traité précédemment - puisque multiplier la valeur
auront exactement le même poids. » de tous les poids par un même nombre ne changera
Devant la mine émue de Bêta, Alpha entreprend de pas la vérification de la propriété.
pousser un sifflement admüatif un brin moqueur - Clair, marmonne Bêta tout en faisant rouler une
tandis qu ' Epsilon fronce les sourcils : « Mais ... agate entre ses doigts.
Cette affirmation ne signi;fie-t-elle pas simplement - Maintenant, enchaine Epsilon , si l 'on doit prou-
que les billes ont toutes le même poids ? » ver cette propriété pour toute valeur de poids
Le visage de Bêta se décompose que lque peu. réelle ... Hmm , en considérant que ~ est un 0 -es-
« Mais non ! Attends .. . Tu crois ? » pace vectoriel .. . »
Cher lecteur, cette indication vous permet-elle
Un problème de poids de conclure ?
« Et si on passait aux choses sérieuses ? propose
La jeune fille réfléchit quelques instants avant de dé- Bêta. Je vous prête une bille à chacun ... et on se
clarer : « Bon, c'est assez simple sil'on considère que fait une tic ! »
les poids des billes sont des entiers, pour une unité Solutions en page 156.
SAVOIRS par Gilles Cohen
--- -- - -- - -- -

les transformations géométriques


sous l'angle des uecteurs
Derrière chacune des transformations géométriques connues
du plan ou de l'espace se cache un endomorphisme de l'espace
vectoriel associé. Le va-et-vient de l'un à l'autre peut considé-
rablement simplifier un certain nombre de problèmes.

T
out espace géométrique classique toriel E (les applications linéaires de E
(espace affine .'A.) est associé à dans lui-même). À tout endomorphisme
un espace vectoriel E dont les f de E, on fait correspondre toutes les
éléments (les vecteurs) sont les « classes applications, dites affines, de .Jl dans
d'équipollence » de ses bipoints (voir .'A., qui à deux points A et B de .'A.,
page 14). Une autre façon de définir les associent respectivement A' et B' tel s
vecteurs consiste à associer à une trans- que A'B ; = f(AB).
lation T de l'espace affine un vecteur La relation étant valable pour tous points,
V, celui qui mène d' un point M à son on remarque que la connaissance de/ et
image T(M). Autrement dit, pour tout de l' image d'un point (par exemple A)
point M de .'A, V = MT(M) . entraîne la connaissance totale de l' ap-
plication affine (appelée transformation
Deux applications affines de base affine quand elle est bijective).
On remarque également que si une l 'ap-
Il est intéressant de remarquer que tout plication affine F 1 est associée à / 1 et
vecteur AB est invariant par transl a- l'application affine F 2 est associée à/2 ,
tion. En effet, si deux points A et B sont alors F 1 o F 2 est associée à.f; 2 •
0 /

respectivement transformés en A ' et Reprenons, en sens contraire, l'exemple


B' par la translation T de vecteur V, le vu plus haut : lorsque f est l' identité Ide,
vecteur A'F s'écrit, d'après la relation on montre que les seules applications
de Chasles, A'F = A'Â + AB + 13W affines associées sont les translations.
= - V + AB + V = AB. On dit que En effet, de A'F = AB, on tire, grâce
l'endomorphisme de E associé à une à la relation de Chasles, AfïY = Bir,
translation est l'identité de E, notée Id e. valable pour tout B. Il suffit donc de
On s' intéresse alors, plus généralement, connaître l' image de A pour définir la
aux endomorphismes de l'espace vec- translation.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Un deuxième exemple classique corres- résultat est simple, découlant de la rela-
pond au cas où f = k . Id Eest l' endomor- tion de Chasles. La composée de deux
phisme qui transforme un vecteur V en translations, respectivement de vecteurs
k V, où k est un nombre réel différent de V 1 et V 2 , est la translation de vecteur
1 (le cas k = l a été étudié précédem- V 1 + V 2 (la composition de translations
ment) . On considère une application est commutative, peu importe l'ordre).
affine associée, notée <D.
Deux points dis- Supposons maintenant quel' on souhaite
tincts A et B de composer l'homothétie H 1 de centre 0 1
l'espace affine .'A_ et de rapport k 1 et l'homothétie H 2 de
se transforment centre 0 2 et de rapport kz- Avant de cher-
respectivement en cher à étudier géométriquement cette
A' et B', tels que composition, l'idée est de s'intéresser à
ffi = k.AB. l'endomorphisme associé. H1 est associé
(AB) est parallèle à k 1• 1~ et H 2 à k2 • Id E. Les applica-
à (A'B') mais tions composées, que ce soit H 1 ° H 2 ou
(AA') n'est pas H2 ° H 1 sont donc associées à k 1 k2 ldE.
parallèle à (BB') En conséquence :
si k"' 1. - si le produit k 1 k2 est égal à 1, la com-
Les quatre points étant coplanaires, posée est une translation ;
quelle que soit la dimension de .'A_ (ils - si k I k 2 "' 1, la composée est une
forment un trapèze), il existe donc un homothétie.
point O à l'intersection des droites (AA') Une petite étude géométrique simple
et (BB'). Soit O' son image par <D. consistera alors à trouver :
On a ~ = k.OÂ. , donc O' est sur la - dans le premier cas, le vecteur de trans-
droite (AA ' ). lation, qui est kM pour H 2 ° H 1 ; on
On a aussi~= k.OB , donc O' est étudie simplement l'image d'un point
sur la droite (BB'). Le point O' étant à particulier, le plus souvent l'un des
l'intersection des droites (AA') et (BB'), centres d'homothétie ;
c' est que O' = O. Le point O est inva- - dans le second cas, le centre de l'ho-
riant par <D. mothétie : on cherche l'unique point
Ainsi, pour tout M d'image M', on a invariant, aligné avec chaque point et son
c5M1 = k.OM . image, grâce à l'image de deux points,
Vous avez reconnu qu'il s'agit d'une par exemple les centres d'homothétie.
homothétie ! Réciproquement (c'est Attention, la composition d'homothé-
évident), une homothétie de rapport k ties n'est pas en général commutative,
est associée à k ldE. contrairement à la composition de leurs
endomorphismes associés.
El si on composait Dans le même esprit, on peut composer
homothéties el translations ? une homothétie H de centre O et de
rapport k et une translation de vecteur
Une opération fort intéressante, facile V. L'endomorphisme associé à cette
à étudier à partir de cette définition , est composition est k. ld E. C' est donc une
la composition de deux applications homothétie, dont il reste à trouver le
affines. centre, toujours de la même façon, en
Quand il s'agit de deux translations, le cherchant l'unique point invariant.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Transformations géométriques ...

Les férus d'algèbre remarqueront que Deux cas se présentent. S'il existe un
l'ensemble formé des homothéties point invariant 0, pour to~oint M,
et des translations de A, muni de la on décompose le vecteur OM en une
composition, forme un groupe (non somme V + W, où V E F et W E G
commutatif), dont l'élément neutre (la décomposition est unique). Alors,
est, naturellement, l'identité (il laisse Of(M) =V+ kW. On dit alors que
invariante la transformation à laquelle <j> est une affinité géométrique.
il est composé). Un des cas le plus connus d'affinités
B'(kb) géométriques, outre les homothéties,
sont les symétries, correspondant à
k = -1. Symétries « point » si F est
(direction G)

B (b)
1 C'(kc) réduit à {O}, symétries axiales si Fest
de dimension 1, symétries planaires si

b
cf C(c) F est de dimension 2 ... La composée
d'une symétrie avec elle-même donne,
•K
naturellement, l'identité.
H
S'il n'existe pas de point invariant,
en vertu de ce qui est décrit en début
(plan fixe// F)
d'article, c'est que <j> est la composition
d'une affinité géométrique associée à
f et d'une translation. On montre alors
Affinité géométrique dans que l'on peut choisir convenablement
l'espace quand Fest de dimension 2 l'affinité géométrique de sorte que le
et G de dimension 1. vecteur de la translation soit dans F.

Avez-vous des affinités Dans un espace euclldlen


avec la géométrie vectorlelle ?
Quand on ajoute à l'espace affine une
Les homothéties vectorielles (de la structure euclidienne (c'est-à-dire un
forme k. Id E) sont des cas particuliers produit scalaire, voir en page 80), de
d'applications plus générales, appe- nouvelles transformations remarquables
lées affinités. L 'espace vectoriel E est viennent enrichir la collection, les iso-
décomposé en somme directe de deux métries, qui ont la particularité de laisser
sous-espaces vectoriels F et G (on le invariante la distance entre deux points
note E = F E8 G, cela signifie que leur (on en connaît déjà une sous-famille,
intersection est réduite au vecteur nul : celle des translations).
tout vecteur de Es' écrit d'une façon et Les isométries sont, ell es aussi, des
d'une seule comme somme d'un vecteur transformations affines (elles sont toutes
de F et d' un vecteur de G). bij ectives), assoc iées à des endomor-
On définit alors une affinité vectorielle, phismes qui conservent les normes des
application de E dans E qui laisse inva- vecteurs, et qu'on appelle endomor-
riant tout vecteur de F et transforme phismes orthogonaux. Une condition
tout vecteur de G en k fois lui-même. équivalente est de dire qu'ils laissent
Quelles sont alors les applications invariant le produit scalaire de deux
affines <j> de .'A. associées à une affinité vecteurs. On montre alors que leur déter-
vectorielle f? minant est 1 ou -1 (voir en page 39).

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Correspondance endomorphisme / application affine.
Si l'endomorphisme orthogonal est
direct (de déterminant 1) dans un espace - . -
; Endomorphisme
~ -
Transformation
vectoriel de dimension 2 ou 3, on a
de l'espace vectoriel E de l'espace affine A
affaire à une rotation vectorielle. - -- - -- - - - - - - - - - - · --

Identité Translation
En dimension 2, cette rotation vecto-
Homothétie vectorielle Homothétie affine
rielle, peut être mis en bijection avec une
valeur réelle modulo 2rr, appelée angle Affinité vectorielle Affinité géométrique
de la rotation vectorielle. La combinai- laissant F invariant ou composée d'une affinité
son de deux rotations d'angles a et pest géométrique et d'une
la rotation d'angle a+ p. Les transfor- translation de vecteur
mations affines associées à une rotation appartenant à F
vectorielle d'angle a non nul sont toutes
les rotations d' angle a : elles ont un point Symétrie vectorielle Symétrie affine
invariant appelé centre de la rotation. En laissant F invariant ou composée
passant par l'endomorphisme associé, d'une symétrie affine
on en déduit que la composée de deux et d'une translation
rotations d' angles respectifs a et p est, de vecteur appartenant à F
quand a+ p n'est pas nul, une rotation
Endomorphisme orthogonal Rotation du plan affine
d'angle a+ p. Pour trouver son centre, il
direct d'angle a d'angle a
suffit de chercher son unique point inva-
dans un espace vectoriel
riant. Si a+ pest nul, l'endomorphisme
de dimension 2
associé est l'identité. La composée est
donc une translation. Endomorphisme orthogonal Rotation du plan affine
En dimension 3, une rotation vectorielle direct d'angle a d'angle a autour
laisse invariants les vecteurs d'un sous- et d'invariant F d'un axe de direction F
espace F de dimension 1 et transforme (de dimension 1) ou composée d'une telle
les vecteurs du sous-espace G orthogo- dans un espace vectoriel rotation et d'une translation
nal à F selon une rotation vectorielle de dimension 3 de vecteur parallèle à F
plane. Dans l'espace affine, la transfor-
mation associée sera appelée rotation Endomorphisme orthogonal Symétrie orthogonale
si elle possède un point fixe O. Toute la indirect laissant invariant ou composée
droite de direction F passant par Osera un sous-espace vectoriel F d'une telle symétrie
alors invariante. Mais il existe cette fois et transformant avec une translation
d'autres transformations associées à la les vecteurs de G (de de vecteur
rotation vectorielle, qui peuvent toutes dimension impaire) appartenant à F
être obtenues par composition d'une en leur opposé
rotation et d'une translation de direction
parallèle à F. l'espace vectoriel et l'espace affine per-
On peut continuer ainsi pour de nom- mettra de préciser rapidement les choses,
breuses transformations : symétries dans la mesure où l'on connaît le type
orthogonales (symétries vues plus haut de correspondance qui existe entre les
où F et G sont orthogonaux et G de endomorphismes de l'espace vectoriel
dimension impaire), similitudes (compo- et les transformations del' espace affine.
sitions d'homothéties et de rotations) ...
Dans chaque cas, l'aller-retour entre G.C.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS . par Élisabeth Busser

Composer
des transformations géométriques
Certains problèmes géométriques, même compliqués en
apparence, s'éclairent vite en utilisant des transformations
géométriques et se résolvent souvent en les composant. Pour
cela, il convient de les reformuler en termes vectoriels.

ésoudre un probl è me de géo- Transtormations ponctuelles

R mé trie, dans le plan ou dans


l'espace de dimen sion 3, peut
parfois s'avérer ardu. On gagne souvent
11s vectorielles

Dans le plan ou dans l'espace, une trans-


à le transformer en un problème vecto- formation est avant tout une bijection,
riel et à faire intervenir des transforma- c'est-à-dire qu'à tout point du plan (ou
tions convenablement choisies. On peut de l'espace) elle associe un et un seul
alors les composer. .. ou les décomposer, point du plan (ou de l'espace). Il est des
et faire jouer le calcul vectoriel pour transformations géométriques que nous
concl ure plus aisément. connaissons bien. Ce que nous connais-
sons un peu moins bien cependant, ce
sont les transformations vectorielles
associées : nous passerons d'un espace
de points - que les mathém aticiens
appe ll ent affine - à un espace vectoriel.
On associe ainsi à chaque transformation
A' C' d ' un espace de points (du plan ou de
l' espace) une transformatio n vectorielle:
si f est une transformat ion ponctuelle
qui, à tout point A, assoc ie A' et à tout
point B associe B', alors la transforma-
Translation
D' tion vectorielle associée cp est définie
et symétrie centrale.
par cp(AB) = A'Îr, dont il est aisé
de montrer qu ' elle est linéaire , c'est-à-
dire que cp(aû + bv) = acp(û) + bcp(v)

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


pour tout couple (a, b) de nombres réels.
Voyons quelques cas simples. Pour la
translation, bijectionf qui, étant donné
un vecteur û, à tout point M associe le Symétrie axiale. \ vecteur -b
pointM' tel que MM' = Û, c'estsimple,
\
la transformation vectorielle associée
n'est rien d'autre que ... l'identité. En
effet, si A a pour image A' et B a pour
image B' par cette translation, il s'avère
que, AA'B'B étant un parallélogramme,
W = AB. Ainsi, pour la translation
vectorielle associée cp, cp(AB) = ru, _..,..
_..,.. \ vecteur b
qui est égal à AB, ce qui fait de <p la \
_..,.. vecteur a
transformation identique.

Autre transformation élémentaire, la


a=::'---_..,..--_..,..----------~\s
symétrie centrale : de centre 0, elle fait
correspo~ à tout Foint A le point A' l'unique point A' tel que, d'une part
tel que OA' = -OA . Dans ce cas, si OA= OA', d'autre part (OA, 6A1) = a .
l'image du point B est B', on retrouve Ici, si B' est l'image de B dans cette
en AB'A'B un parallélogramme, mais rotation, comme (OA , OB)=
cette fois ru = ~ , et la transforma- (OA, Oi0)+(0i0, oo)+(oo, OB)=
tion vectorielle associée est définie par o+(OJV, 00)-a = (OJV , 00),
cp(AB) = ~ , s i bien que <p est-Id. les triangles OAB et OA 'B' sont
isométriques. Ainsi, non seule-
Une autre symétrie est la symétrie axiale, ment (AB,ru) = a , mais aussi
ou réflexion. Elle se définit de la manière AB = A'B ' . La transformation vec-
suivante, dans le plan comme dans l'es- torielle associée <p est donc telle que
pace : si (8) est l'axe, et A' l'image de cp(AB) = ru avec AB= A'B ' (en
A, alors A' est l'unique point du plan longueurs) et (AB,ru)= a. Une
tel que la droite (8) soit la médiatrice rotation vectorielle, c'est donc avant
de [AA']. Pour définir la transformation tout un angle !
vectorielle associée, on décompose le
vecteur AB en somme d' un vecteur â de Dans l'espace, en dimen sion 3, une
même direction que (8) et d' un vecteur rotation f est définie par son axe (L'.) et
bde direction orthogonal e à (8). Alors, son angle a. Dire que A a pour image
si AB = â + b, on a ru = â - b. A' signifi e à la fois que A' est dans le
plan perpendiculaire en A à (L'.) , qu ' il
Toutes ces transformation s conservent coupe en 0 , avec (OA, 6A1) = a et
les longueurs (on dit que ce sont des que OA = OA'. Il en est de même pour
isométries) ; c ' est dire que les tran s- le point B et son image B' : B' est dan s
formations vectoriell es associées aussi. le plan perpendiculaire en B à (L'.) , qu ' il
Une autre isométrie un peu plus subtile coupe en Q, avec (DA, nA1) = a, et
est la rotation. Considérons d'abord la que QB = QB'. On démontre là encore
rotation plane, de centre O et d'angle que (AB, ru)= a et que AB= A'B'.
a, qui à tout point M du plan associe On a donc encore affaire à une isométrie.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Composer des transformations ...

Rotations (LI.)

dans le plan
/
et dans /
r
l'espace. Q
\

/
I
\

Arrivée de l'homothétie

Une autre transformation bien connue Pour une homothétie vectorielle, pas
n' est plus, sauf dans des cas très par- besoin de centre, donc, c'est tout sim-
ticuliers, une isométrie : il s'agit de plement la multiplication par un scalaire.
l'homothétie. Que ce soit dans le plan On retrouve ici la symétrie vectorielle,
ou dans l'espace, elle se définit de la lorsque k = - 1.
même façon : il faut un centre O et un Tout cela ne répond pas à la question :
rapport, le nombre réel k. L'image du pourquoi (et quand) utiliser des trans-
point A par l'homothétief de centre formations vectorielles ?
0 et de rapport k est l'unique point Une bonne transformation vectorielle
A' tel que ~ = k OA. C'est dire peut, dans bien des cas, apporter de
en particulier que 0, A et A' sont ali- réelles simplifications. En voici un
gnés. Considérant un second point B exemple, sur une figure banale (voir
et son image B ' par cette homothé- ci-contre): deux triangles équilatéraux,
tie, on a aussi OB = k OB. Ainsi, OAB et OA'B ', ayant un sommet com-
w = & - ~ = k (OB - OA) mun. Le point Pest le milieu de [AB']
=kAB. et Q celui de [BA'], P' le symétrique
de P par rapport à 0, et Q' celui de Q.
Quelle est la nature des triangles AB ' Q'
Homothétie de centre 0 et A'BP' (en vert sur le dessin)?
et de rapport k La présence des triangles équilatéraux
et transformation OAB et OA ' B' incite à mettre en œuvre
vectorielle associée. une rotation d'angle n/3; la présence de
parallélogrammes, comme OAP'B ' ou
OBQ ' A' , invite à faire intervenir une
rotation vectorielle. Cela va effective-
ment simplifier les choses. Ce qu'il y
a de bien avec les vecteurs, c'est qu ' on

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vecto riels


peut les décomposer grâce à la rela-
Square lùuit.
tion de Chasles. Ne nous en privons
Mm1rits Escher,
pas, par exemple avec le vecteur B'A,
1964.
que l'on écrit B'A = 0A - W.
Effectuons sur ces vecteurs la rotation
vectorielle cp d'angle rr/3 : l'image de
0A par cette rotation est OB, qui est
aussi égal à A'cy puisque OBQ' A'
est un parallélogramme, et celle de
W est W. Ainsi, cp étant linéaire,
<p(B'Â) = <p(OA) - <p(œ) =
x,zy - A'F = 13'Cf.
Ainsi, l'image par cp, rotation vectorielle
d'angle rr/3, du vecteur B'A est-elle
13'Cf, ce qui signifie exactement que
le triangle AB'Q' est équilatéral. On que composer les transformations vec-
démontre par la même méthode que le torielles associées (en l'occurrence ici
triangle A'BP' l'est aussi ! l'identité) fournit encore une translation.
De même, composer deux symétries
Q' centrales, l'une de centre A, l'autre de
centre B, définit une translation de vec-
teur 2 AB (propriété de la droite des
Triangles milieux), résultat quel' on retrouve pour
équilatéraux deux symétries vectorielles, dont la
de même composée est Id, ce qui caractérise
sommet. une translation. Lorsque l'on com-
pose deux réflexions du plan, l'une
d'axe (8), l'autre d'axe (8'), on
montre que la résultante est,
dans le plan orienté : une rota-

B;/.
~~!:=::~~~::~:::;:tfi,: : =: : :=:- A tion d'angle double de celui
que fait (8) avec (8') si ces deux
0 dernières droites sont sécantes ;
une translation si ces deux droites
Un rôle de composition sont parallèles. Ceci permet de voir,
inversement, une rotation plane comme
Une fois définies ces quelques transfor- la composée de deux symétries axiales
mations de base, aussi bien ponctuelles d' axes sécants ! Composer deux rota-
que vectorielles, on peut les composer tions planes, qu ' elles soient ponctuelles
pour aboutir à de nouvelles transforma- ou vectorielles, produit une rotation dont
tions, faisant surgir de nouvelles proprié- l'angle est la somme des deux angles de
tés. Ainsi, dans le plan ou dans l'espace, chacune des rotations.
la composée de deux translations, l'une On peut maintenant passer à la com-
de vecteur û, l'autre de vecteur v, est- position d'une rotation plane et d'une
elle la translation de vecteur û + v : translation. C'est là qu ' interviennent
c'est la relation de Chasles. Il est évident efficacement les réflexions.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Composer des transformations ...
,j

B
Composée
A
rotation-translation.
(d1)

rot
rot f B1
1

vecteur û

B'

Pour composer la translation t de vecteur Elle est le produit d'une homothétie


,ü et la rotation rde centre O et d'angle 8, vectorielle et d'une rotation vectorielle
on décompose t en produit de la réflexion et on montre que le produit de deux telles
s d'axe (d), perpendiculaire issue de similitudes (qui d'ailleurs est commuta-
0 à la direction du vecteur û, et de la tif) est encore une similitude, l'ensemble
réflexion s 1 d'axe (d) , droite image de des similitudes vectorielles constituant
(d) par la translation de vecteur - û / 2. un groupe commutatif. Le tableau du
Ainsi, t = s s 1•
O
graveur néerlandais Maurits Cornelis
On décompose également r en produit de Escher montre un magnifique exemple
la réflexions et de la réflexion s 2 d'axe de poissons se déduisant l'un de l'autre
(d), image de (d) dans la rotation de par des similitudes.
centre O et d'angle 8/2.
On obtient r = s 2 ° s.
On a obtenu la décomposition
suivante : r t = s2 os os o s 1 =
O

s2 ° s 1, c'est-à-dire la rotation de
centre Q et d'angle 8. La trans-
formation vectorielle associée
à cette composée d'une trans-
lation et d'une rotation est bien
une rotation, de même angle que
la précédente.
Venons-en maintenant à une
nouvelle transformation, large-
ment utili sée en géométrie, la rapport k = OA' / OA = OB '/OB
similitude directe. Cette dernière
est la composée d'une homothé-
tie, par exemple de centre O et Similitude.
de rapport k > 0, et de la rotation
de même centre et d'angle 8. Ainsi , la Composer des similitudes, ponctuelles
similitudefassocieA' àAetB' àB. La ou vectorielles, amène bien souvent
transformation vectorielle associée, <p, des simplifications. Sur cette figure,
associe le vecteur A'F au vecteur AB. par exemple, le triangle ABC est quel-

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


conque, ACDE, AFGB et CHIE sont des
carrés, de centres respectifs P, Q, R. li
s'agit d'explorer le quadrilatère AQRP.
Composons la similitude s 1 de centre
A, d'angle n/4 et de rapport V2 et la D
similitude s2 de centre C, d' angle - n/4
et de rapport 1/ V2:
Q - - - - - - - - > B - - - - - - - - > R,
A-------> A - ------> P.
G
Cela signifie que la similitude vecto-
rielle associée, qui n'est rien d'autre que
l'identité, transforme AP en QR . C'est
dire que AP = QR et donc que AQRP Le dernier quadrilatère.
est un parallélogramme. Efficace, non ?

É.B.

RÉ FÉ R ENCES

• Les transformations, de la géométrie à l'art. Bibliothèque Tangente 35, 2009.


• Le triangle. Bibliothèque Tangente 24, 2005.
• Le cercle. Bibliothèque Tangente 36, 2009.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


- ,, .... "'' " -
EN .B REF par Hervé Lehning

La conïecture de Rota une vision géométrique


sur les bases de la coniecture
En 1989, le mathématicien italien Restons sur l'exemple ci-contre. Les vecteurs
Gian-Carlo Rota (1932-1999) a émis une donnés représentent des points de l'espace,
étrange conjecture concernant les permu- les bases (des triangles non aplatis, sur la fi-
tations des éléments d'une base. Jusqu'à gure ; le premier est en rouge, le second en
ce jour, elle a résisté à toutes les tentatives bleu et le dernier en vert).
~
de démonstrations !
Soit E un espace vectoriel de dimension fi-
nie net soit M une matrice carrée d'ordre
n dont les éléments sont des vecteurs de
E. On suppose que les lignes de M sont des
bases disjointes de E. Rota affirme alors
que l'on peut permuter les éléments de
---
certaines lignes de sorte que les colonnes
soient elles aussi des bases de E.
Illustrons cette propriété sur un exemple
dans IR 3 :
>
La conjecture affirme que l'on peut regrou-
(1,0,0) (0,1,0) (o, o, 1)
per les sommets de ces triangles en trois
(1, 1, 0) (o, 1, 1) (1, o, 1) triangles non aplatis ayant un sommet de
(1, 1, 1) (2, 2, o) (2, o, o) chaque couleur.

Les trois lignes et les deux premières co-


lonnes forment toutes des bases de IR3, ce
que l'on peut vérifier en calculant cinq dé-
terminants. Ce n'est pas le cas de la troi-
sième colonne. Cependant en échangeant
les deux derniers éléments de la deuxième
---
ligne, on obtient :

(1, o, o) (o, 1, o) (o, o, 1)


(1, 1, o) (1, o, 1) (o, 1, 1)
(1, 1, 1) (2, 2, o) (2, o, o)

Depuis, la conjecture a été étendue (conjec-


Les trois lignes et la première colonne
ture des bases de Kahn, 1991) et généralisée
restent des bases de IR 3 , les deux dernières à des objets combinatoires très généraux
colonnes le sont aussi maintenant. C'est (les matroïdes). Si certains cas particuliers
le miracle de la conjecture des bases de peuvent être prouvés, la conjecture origi-
Rota! nelle de Rota résiste à toute attaque.

Tangente Hor serie n 65 Les espac s vector els


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1-
SAVOIRS par Bertrand Hauchecorne

Propriétés
affines et métriques
Euclide mêlait, comme nombre de mathématiciens après lui, ce
qui touchait à la métrique, c'est-à-dire les mesures et les angles,
et ce qui en était indépendant. Les distinguer permet d'avoir un
regard plus pertinent sur la géométrie.

a ns le pre mi e r li v re d es métriques. À quoi bon , direz vo us ? Ces

D .
Éléments , Euclide a posé les
bases de la géométrie en énon-
çant c inq postu lats, considérés comme
propriétés sont toutes inhérentes à notre
espace, à notre quotidi en '
Il ne fa ut pas oublier que ces structures
non démontrabl es. Le premier affirme peuvent représenter bien autre chose et
que par deux po ints di stincts passe une qu ' y mettre une métrique peut paraître,
droite et une seule ; le second dit que dans certains cas, tout à fa it arbitraire
to ut segment est prolongeable en une ou superflu . ..
d ro ite. Ces de ux as se rtion s ne font
appe l à aucune noti o n ni de distance, Affine 11ersus métrique
ni d 'ang le.
I.l n' en est pas de même des troi s sui- Lorsque l'on définit l' espace affine par
vants. Ainsi, le troisième demande que, l'algèbre linéaire, tout ce qui découl e
deux points A et B étant donnés, il existe unique ment des propriétés de l' espace
un unique cercle de centre A et contenant vectorie l est affi ne, comme le parallé-
B ; or un cercl e n'est défini que dans lisme, la noti on de droites ou de plans
un ensem ble muni d ' une di stance. Le sécants. Ce qui fait appel à une structure
qu atrième ava nce que tous les angles euclidienne (voir le doss ier précédent)
droits sont éga ux , et le cinqui ème fa it est métrique. Dans le premier cas, on
lui aussi appe l à la noti o n d ' angle. À travaille dans une base quelconque, dans
l' époq ue, on cherchait simpl e ment à le second, on privilégie celles qu i sont
décrire l' espace; le faire à l'aide d' une orthonormées.
ax iomati sati on était déjà remarquable. D es d e u x p lu s cé lèb res théorè mes
Depuis, on sépare les propriétés qffines, connus dès I' Antiquité, le théorème de
celles qui ne fo nt pas appel au x notions Pythagore se cl asse dans le camp des
de di stances et d 'ang les , des propriétés résultats métriques pui squ ' il évoque un

76 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


angle droit. Le théorème de Thalès, au Des propriétés passées à la loupe
contraire, est un excellent exemple de
résultat purement affine. Rappelons son Plusieurs autres théorèmes , comme
énoncé : on se donne deux droites 'D et ceux de Pappus (voir encadré) ou de
'D ' du plan et trois droites parallèles Menelaüs, connus dès l' Antiquité, ou
L':.i, L':. 2 et L':. 3 les rencontrant. En notant de Desargues et de Ceva, plus près de
A 1, A2 , A3 les trois points d'intersection nous, correspondent à des propriétés
respectifs de 'D avec L':. 1, L':. 2 et L':. 3 ( et A' 1, affines et peuvent se traiter de nos jours
A' 2 , A' 3 les trois points d'intersection par l' algèbre linéaire, sans utilisation de
respectifs de 'D' avec L':. 1, L':. 2 et L':. 3), on a: métrique euclidienne.
A1A2 A'i A'2 La notion de milieu d'un segment [AB],
elle aussi , est une propriété purement
A1A3 A'i A'3 .
affine. On pourrait là encore s' en étonner
puisque ce point, noté I, est équidistant
de A et B. En réalité, il peut se définir
comme l'unique point de la droite (A, B)
tel que IA + IB = Ô. Il en découle
que la notion de médiane est une pro-
priété affine ; il en est donc de même du
centre de gravité d'un triangle (gui est le
point d'intersection des trois médianes).
En revanche, l'orthocentre, point de
concours des hauteurs, tout comme le
Sachant qu'une expression du type centre du cercle circonscrit, point de
A 1 A 2 désigne la mesure algébrique du concours des trois médiatrices, sont des
vecteur ~ , soit en quelque sorte sa concepts métriques. Plus généralement,
« longueur orientée », on peut s' éton- il faut ranger dans la catégorie purement
ner que ces expressions entrent dans le affine la notion de barycentre et tout ce
cadre purement affin de la géométrie. gui en découle, en particulier la notion
C' est pourtant le cas car nous sommes de convexité (très utile dans les appli-
en présence de quotients de telles quan - cations de la géométrie, à l'économie
tités . On comprend aisément en effet que ou à l'optimisation par exemple). Quant
dire gu' un bâton mesure trois mètres, aux propriétés projectives, comme celle
c'est une propriété métrique (on a besoin de birapport, elles n'impliquent aucune
d'avoir une mesure étalon, le mètre, pour notion d'angle ni de distance; elles peu-
le justifier). En revanche, affinner gu 'un vent être considérées comme affines.
bâton est trois fois plus long qu'un autre Elles répondent cependant aux invariants
ne nécessite aucune unité de mesure (il d'une structure plus large que celles
suffit de reporter trois fois le plus petit des espaces affines et se traitent mieux
pour constater le résultat) . dans ce que l'on nomme la géométrie
Pour l'énoncé du théorème de Thalès, projective (voir Tangente 162).
c'est exactement la même chose.
. ,, . A1A2 Un Klein d'œil
En fait, 1 ecnture = est un abus de
A1 A:-.
langage pour désigner l' unique scalaire La vision du mathématicien allemand
À vérifiant ~ = .À~ . Felix Klein ( 1849-1925) peut nous

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Propriétés affines et métriques

éclairer dans ce domaine. En présen- La place de l'algèbre linéaire


tant son célèbre programme d'Erlangen
en 1872 (voir en page 49), il explique Pour la géométrie métrique, on choisit
qu ' une géométrie du plan (ou de l'es- naturellement le groupe des isométries
pace) est la recherche ou l'étude des affines, c'est-à-dire des applications qui
invariants par un groupe de bijections conservent les distances entre les points.
pour la composition. Une bijection est Les cercles sont classifiés par leur rayon :
une application pour laquelle chaque si deux d'entre eux ont le même rayon,
élément de l'ensemble d'arrivée possède une isométrie envoie l'un sur l'autre.
un antécédent unique dans l'ensemble Les ellipses, comme les hyperboles, sont
de départ ; on peut donc les composer caractérisés par leurs deux paramètres
et parler d'application réciproque. Dans (et les paraboles par leur unique para-
cette optique, le groupe correspondant mètre). On peut là aussi voir le même
aux propriétés affines est celui des bijec- problème sous un angle différent :
tions affines; il n'existe alors que trois étant donné une ellipse de paramètres
types de coniques. a (petit axe) et b (grand axe), il existe
En effet, étant donné deux ellipses, un repère orthonormé dan s lequel son
on peut trouver une bijection affine équation s'écrit sous la forme standard
envoyant l'une sur l'autre. Il en est de dite réduite x 2 /a 2 + y 2 /b 2 = 1.
même pour les paraboles, comme pour On peut choisir aussi un groupe plus
les hyperboles. Exprimé différemment, large, celui des similitudes affines. Dans
on peut affirmer qu'une ellipse étant ce cas, les cercles sont indifférenciés
donnée, il existe un repère du plan dans puisque deux cercles étant donnés, il
lequel son équation s'écrit x 2 + y 2 = 1. existe une similitude envoyant l'un sur
l'autre ; il en est de même de tous les
Mais, direz-vous, ceci est l'équation d'un triangles équilatéraux ou de toutes les
cercle; détrompez-vous, cette notion n'a paraboles!
aucun sens dans cette géométrie !
A
Nous devons au mathématicien et Q'
révolutionnaire Lazare Carnot
(1753-1823) une très belle R
propriété, purement affine,
reliant un triangle à une
conique. Considérons
un triangle de sommets
A, B et C ; des couples
de points (P, P'), (Q, Q')
et (R, R') situés respecti- C
vement sur les côtés [BC] ,
[CA] et [AB] . Il existe alors
une unique conique contenant
ces six points si, et seulement si : B

(P
_C PP''BC ) (QA
PB
x __
QC
Q
x'A) (RB
Q'C
_ R'B) _
x _ _
RA R'A
x _ x __ - 1.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


le théorème de Pappus
Distinguer ces deux types de proprié-
tés permet d'avoir un regard plus avisé Dans ses Collections mathématiques écrites vers
en géométrie proprement dite mais l'an 340 de notre ère, Pappus d'Alexandrie énonce
aussi d'être mieux armés lorsque l'on un théorème concernant des propriétés purement
traite, dans le cadre de la géométrie, affines.
des domaines qui semblent totalement On se donne deux droites distinctes 'D et 'D'
éloignés de l'étude de l'espace. Dans du plan, des points A, B et C de 'D,
l'axiomatique actuelle, les propriétés n'appartenant pas à 'D' et des
affines s'étudient dans le cadre des points A', B' et C' de 'D',
espaces vectoriels. Tout ce qui concerne n'appartenant pas
les mesures, les angles nécessitent en sus à 'D.
la notion d'espace euclidien. L'algèbre
linéaire marque ainsi nettement la diffé-
rence entre ces deux types de propriétés !

B.H.

RÉFÉRENCES
• Algèbre et géométrie. Pascal Boyer,
Calvage et Mounet, 2015.
• Géométrie. Michèle Audin, EDP On suppose que la droite (AB') est parallèle à (A'B)
sciences, 2013. et que la droite (BC') est parallèle à (B'C). Alors la
droite (AC') est parallèle à (A'C).
Pappus en donnait une démonstration classique ; en
voici une entrant totalement dans le cadre de l'al-
gèbre linéaire. Supposons d'abord que les droites 'D
et 'D' sont concourantes au point O. Or, les homothé-
ties transforment une droite en une droite parallèle.
Considérons celle, notée f, de centre O envoyant A
sur B ; elle envoie donc B' sur A'. Soit alors g celle de
même centre envoyant B sur C ; elle envoie C' sur B'.
La composée h = g of de ces deux transformations
est elle aussi une homothétie ; elle envoie A sur C.
Or, deux homothéties de même centre commutent,
donc h(C') = fog(C') = f(B') = A'. La droite (A'C)
est donc l'image de (AC') ; h étant une homothétie,
on en déduit par la propriété citée ci-dessus que la
droite (A'C) est parallèle à (AC').
Le cas où 'D et 'D' sont parallèles se traite de même
en remplaçant les homothéties par des translations.
Ce résultat ne considère que des intersections de
droites et du parallélisme : il concerne donc des
Projet de monument à Lazare Carnot propriétés purement affines.
(Auguste Rodin, 1881).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


HISTOIRES Bertrand Hauchecorne

la lente émergence des


espaces euclidiens
La définition axiomatique du produit scalaire a donné un cadre
rigoureux et fécond pour l'étude des propriétés métriques, à
savoir celles qui concernent les notions de distance, d'angle
et d'orthogonalité. Il faudra attendre les années 1920 pour
dégager cette notion.

ans la nomenclature, l'adjec- tique britannique comme James Clerk

D tif affine désigne tout ce qui


touche aux notions de droites
et de plans mais exclut ce qui concerne
Maxwell, Oliver Heaviside ou Josiah
Willard Gibbs ont préféré le définir à
l'aide de coordonnées. Plaçons-nous
les distances, les angles et donc l' or- dans l ' espace de dimension 3 des
thogonalité. Ces dernières notions sont triplets de réels. Notons û = (x, y, z)
quali fiées d'euclidiennes, du nom du et v = (x', y ' , z') deux d'entre eux.
célèbre mathématicien grec. Les pre- Le produit scalaire est défini par
mjères sont parfaitement modélisées (ûlv) = xx' + yy' + zz '. Un calcul élé-
dans le cadre des espaces vectoriels. mentaire montre que (û l v) = (vl û), que
Pour les secondes, il faut attacher, (û1+û2 lv) = (û11ïi) + (û2 I ïi) et que, pour
à un couple de vecteurs, un nombre tout réel À, ('11.ûl ïi) = À (ûl ïi). La pre-
appelé « produit scalaire » . Comment rruère propriété s'appelle la symétrie
le fait-on ? et les de ux dernières la linéarité par
rapport à la première variable (celle
Produit scalaire et norme par rapport à la deux ième variab le
se déduit immédiatement grâce à la
La notion de produit scalaire est rruse symétrie). On peut bien sûr calculer le
en évidence par William Hamilton produit scalaire d'un vecteur par lui-
dans le cadre des quaternions, nombres même ; on trouve (ûl û) = x2 + y2 + z2 •
en dimension 4 qu'il a introduits en On constate que cette quantité est
1843. Peu après, des mathématiciens toujours positive, et même strictement
de l'école de physique mathéma- positive dès que le vecteur ü n'est pas

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


nul. On reconnaît même la formule du
carré de la distance. C'est pourquoi la
racine carrée de cette quantité s'ap-
pelle la norme de û ; on la note N (ù)
ou llûll.
Cette approche n'est cependant pas tout
à fait satisfaisante puisqu'elle est défi-
nie sur les triplets de scalaires et non
sur un espace vectoriel E quelconque.
Si E est de dimension finie, on pourrait Illustration
prendre une base B et se ramener au du théorème
cas présenté, mais B jouerait alors un de Pythagore,
rôle privilégié ; que se passerait-il si avec ü et v
on en changeait ? D'autre part, ceci deux vecteurs
exclut les espaces vectoriels de dimen- orthogonaux.
sion infinie qui, comme on le verra
(en encadré), peuvent être aussi dotés
de telles structures. Aussi définit-on En dimension finie, les bases dont tous
une application f qui associe à deux les éléments sont unitaires, c'est-à-dire
vecteurs û et v un nombre réel j(û, v), de norme 1, et orthogonaux deux à
possédant les propriétés de linéarité deux, jouent un rôle particulièrement
par rapport à la première variable et de important car les calculs y sont aisés.
symétrie, et qui vérifie f(û, û) > 0 si û On peut prouver que de telles bases
n'est pas nul. Le scalaire f(û, v), noté existent en toute généralité.
(ûl v) ou plus simplement û.v, s'appelle Plaçons-nous en dimension 3 et notons
le produit scalaire des vecteurs û et v. (~J, k) une telle base. Le produit scalaire
de Ü=xi+ y]+zketde v=x'i+y'] + z'k
La notion d'orthogonalité est fonda- est (ûlv) = xx' + yy' + zz'. On revient
mentale. On va inverser la démarche à la case départ, direz-vous. Pas tout à
de la géométrie élémentaire en disant fait, car cette fois-ci, l'expression du
que deux vecteurs non nuls sont ortho- produit scalaire est valable dans toutes
gonaux si leur produit scalaire est nul. les bases orthonormées !
Le théorème de Pythagore n'est alors La notion d'angle non orienté peut
qu'une banalité ! En effet, pour deux s'étudier dans un tel cadre. On définit
vecteurs û et v orthogonaux, on a : le cosinus de deux vecteurs unitaires û
N(û + v)2 et vpar cos (û, v) = (ûl v) ; plus généra-
= (û+vlû + v) lement, si û et v sont quelconques non
= ca1 a+ v) + (vl a + v) nuls, on a alors :
= ca 1ü) + ca 1v) + (v l ü) + (vl v) (ûl v) = N (û) N (v) cos (û, v).
= N (û)2 + N (v) 2 + 2(ûl v) En reprenant l'égalité :
= N(û) 2 + N(v) 2 N (û + v) 2 = N (û) 2 + N (v) 2 + 2(ûl v),
puisque que û et v sont orthogonaux. on retrouve l'égalité connue sous le
On a même une équivalence : û et v nom de théorème d 'al-Kachi:
sont orthogonaux si, et seulement si, N (û + v)2 = N (û) 2 + N (v) 2
N(û + v) 2 = N(û) 2 + N(v)2. + 2 cos(û, v) N (û) N (v).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


HISTOIRES La lente émergence ...

Les espaces hilbeniens


À la fin du x1xc siècle, Dav id Hilbe rt s' inté resse a ux fo nctio ns périodiques
et s'aperçoit que, lo rsque l' on as oc ie à de ux d ' e ntre e ll es l' intég rale de
le ur produit sur une période, on retro uve certa ines pro pri étés analogues au
produit scalaire . .. sauf que les espaces cons idé rés sont de dime nsio n infi -
nie . Plu s préciséme nt, sur l'ense mble des fo ncti o ns continues de [O, n ] dans
IR, l' appli cati o n (f;g) ...... f "f(x)g(x) dx
Il
dé finit un produit scalaire. Alors,
pourquo i se limite r à la dime nsio n fin ie?
Fort juste ment, John vo n Ne uma nn modé li sa de te ls espaces, qu ' il no mma
hilbertiens, le qua i ifi cati f d'e uclidien éta nt réservé à ceux de d imens io n
finie.
O n pe ut de mê me dé finir de nombre ux produits sca laires sur l'e nsemble des
polynô mes, comme sur di ve rs es paces de fo nctio ns. Que l l' intérêt ? Utiliser
notre intuitio n géométrique po ur raisonner da ns de te ls es paces, y défi ni r
des projectio ns o rthogonales, et re mpl ace r des cal c ul s par des rai sonne-
me nts é lé me ntaires ! La reche rc he de fa mill es de po lynômes o rthogonaux
po ur dive rs produits scalaires jo ue a ins i aujo urd' hui un rô le cons idé rable .

David Hilbert John von Neumann


(1862-1943). (1903-1957).

Le cadre des espaces euclidiens per- phisme, et tout ceci se compose à


met aussi d'étudier les isométries du merveille, ce qui facilite l'étude des
plan ou de l'espace. Une application compositions d 'isométries de l' espace
linéaire qui conserve la norme, et affine (il suffit de donner l' image d ' un
donc le produit scalaire, s'appelle un point et d ' y faire agir le composé des
endomorphisme orthogonal. À chaque deux endomorphismes orthogonaux
isométrie est attaché un tel endomor- associés).

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Ainsi, la notion d'espace euclidien vision géométrique qui est non seule-
permet de transformer le raisonnement ment propice à l'intuition du mathé-
géométrique en calculs algébriques, maticien, mais également utile à l'in-
ce qui s'avère particulièrement inté- génieur.
ressant pour la conception de logiciels
intégrant des mouvements. La notion B.H.
d'espace euclidien apporte donc une

Erhard Schmidt élève de Hilben


Le mathématicien allemand Erhard Schmidt voit le jour dans la ville de
Derpt (ou Dorpat), actue11e Tartu en Estonie. Il débute ses études dans sa
vi11e natale et les poursuit à Berlin, où il suit les cours de Hermann Schwarz,
puis à Gottingen, où il passe son doctorat sous la direction de David Hilbert
en 1905. Ceci l'amène à étudier les espaces introduits par son maître ; il
définit les opérateurs auto-adjoints, mais surtout, il en simplifie l'étude. Ses
travaux recouvrent de nombreux domaines, en particulier l'analyse fonc-
tionnelle, la topologie et la théorie des nombres.

Erhard Schmidt
(1876-1959).

Schmidt travaille et enseigne essen-


tiellement à Berlin. Très actif jusqu 'à
sa mort, il préside de longues années
! ' Union des mathématiciens alle-
mands dans l'entre-deux-guerres.
Jouissant alors d' une position pri-
vilégiée dans le monde universitaire
allemand, il ne cache pas son admi-
~ ration pour Hitler, mêmes 'il traite de
manière correcte ses collègues juifs.
Déjà membre fondateur de la revue Mathematische Zeitschrift en 1918, il
crée en 1948 les Mathematische Nachrichten.
Souvent associé à celui du mathématicien danois Jorgen Gram, son nom
reste attaché à un algorithme qu'il a développé en 1908. Partant d' une base
quelconque, celui-ci permet de construire une base orthonormée telle qu'à
chaque étape, le sous-espace vectoriel engendré par les k premiers vecteurs
de la première base soit aussi celui engendré par ceux de la seconde.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


EN BREF par Bertrand Hauchecorne

John von Neumann et les espaces hilbertiens


Né à Budapest en 1903 dans une famille juive, John von
Neumann a montré très jeune des aptitudes intellectuelles
exceptionnelles. Dès 18 ans, il publie ses premiers travaux
mathématiques. Il achève ses études à Berlin où il obtient
à 24 ans un poste de professeur à l'université. Dans les
années 1920, il travaille dans deux directions différentes.
D'une part, il se passionne pour la logique et propose une
nouvelle axiomatique pour la théorie des ensembles ; il est
aussi, avec David Hilbert, Wilhelm Ackermann et Paul Bernays, l'un des initiateurs de la théo-
rie de la démonstration. Parallèlement, il s'intéresse à la topologie. Il se penche en particulier
sur l'étude des espaces vectoriels de dimension quelconque munis d'un produit scalaire. Il en
donne en 1927 une définition précise et propose de les appeler hilbertiens en référence à Hil-
bert, qui le premier les avait étudiés. Il démontre en particulier le théorème de projection sur
un sous-espace vectoriel de dimension finie et applique ce nouveau formalisme pour donner
un cadre mathématique à la mécanique quantique.
Esprit sans cesse curieux de tout, il se penche aussi sur les comportements économiques ; il
démontre le célèbre théorème du minimax en 1928 et fonde avec Oskar Morgenstern la théo-
rie des jeux. Après la guerre, il se détourne des mathématiques pour porter son intérêt dans
différents domaines, où chaque fois il excelle et propose des idées novatrices. Il reste célèbre
pour son apport dans la réalisation des premiers ordinateurs et s'amuse à rivaliser avec eux en
calcul mental ! Il décède prématurément en 1957 d'un cancer des os.

Des Phvsiciens qui font progresser les maths


James Clerk Ma:.\.'Well (1831-1879) est célèbre pour avoir énoncé les équations qui ré-
gissent les lois de l'électromagnétisme. Pour le faire, il a développé des notions mathé-
matiques très inspirées des quaternions d'Hamilton mais auxquelles il a réussi à donner
un cadre plus simple et surtout plus accessible. Il a su détacher du produit de deux qua-
ternions purs les produits scalaire et vectoriel. C'est surtout dans l'étude des fonctions
vectorielles que son apport est le plus important pour ses découvertes en électromagné-
tisme. Dans un opérateur différentiel introduit par Hamilton, il nomme convergence
la partie scalaire (Clifford appellera divergence son opposé) et rotationnel sa partie
vectorielle. Il démontre ensuite que le rotationnel du gradient d'une fonction scalaire et
la divergence du rotationnel d'une fonction vectorielle sont nuls.
Son compatriote Oliver Heaviside (1850-1925) poursuivra cette démarche. Physicien
autodidacte, il fut un grand défenseur de l'utilisation des vecteurs pour décrire les
phénomènes physiques. On lui doit une reformulation de plusieurs des équations de
Maxwell à l'aide de la divergence et du rotationnel.

Tangente Hors-serie n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

Les contributions
des mathématiciens polonais
Stefan Banach l1892-1945J Banach et le Café écossais
On ne sait pas grand-chose de la petite enfance Le nombre de théorèmes ou de notions mathé-
de Stefan Banach, sinon qu'il fut abandonné à matiques portant des noms de mathématiciens
sa naissance par sa mère. Son père, du nom de polonais dans le cadre des espaces normés est
Greczek, l'aurait alors recueilli. On ignore si le surprenant : outre Stefan Banach, on peut ci-
patronyme de Banach était celui de sa mère ou ter Hugo Steinhaus, Stanislaw Ulam, Stanisfaw
d'une personne proche de la famille. Mazur, Otton Nikodym, Waclaw Sierpinski
Stefan effectue ses études à l'Institut polytech- ou Juliusz Schauder (voir Tangente 120 et
nique de Lw6w, qu'il achève en 1919. Il se lie Tangente SVP 41).
d'amitié avec son professeur Hugo Steinhaus. D'où provient cette floraison de talents ? Tout
Il y obtient aussitôt un poste d'enseignant. Ses simplement de !'habilité de Banach à créer une
recherches l'amènent à introduire, en 1920, la atmosphère propice à l'étude, à motiver des pas-
notion d'espace normé. L'idée était dans l'air: la sions mathématiques dans la convivialité. En et:
même année, on a vu apparaître plusieurs défi- fet, dès sa nomination à l' Institut polytechnique de
nitions d'une telle structure. Cependant, Banach Lw6w (ville située alors en Pologne et désormais
est celui qui a le mieux exploité cette nouvelle en Ukraine sous le nom de Lviv), il rencontrait
notion, faisant que son nom reste attaché à de ses jeunes collègues et ses meilleurs étudiants au
nombreux théorèmes. Kawiama Szkocka (en français, le « Café écos-
Le climat de confiance qu'il avait su créer avec ses sais »). Il échangeait avec eux sur des thèmes
étudiants et ses jeunes collègues au Café écossais concernant la topologie et chacun proposait des
(voir ci-contre) a permis de voir fleurir de nom-
problèmes ouverts. Lors des rencontres suivantes,
breuses idées fructueuses. Cependant l'œuvre de
des solutions étaient données, souvent par Ba-
Banach ne se limite pas à l'analyse fonctionnelle.
nach lui-même mais également par les autres par-
Il se penche aussi sur la théorie de la mesure,
ticipants. Ulam rappelle que les tables étaient en
ce qui l'amène à démontrer, en 1923, dans un
marbre, ce qui permettait à chacun d'écrire dessus
travail commun avec Alfred Tarski, le fascinant
diverses fonnules ; Lucia, l' épouse de Banach,
paradoxe qui p01te leurs deux noms (voir les En-
proposa de noter tous les problèmes évoqués dans
sembles, Bibliothèque Tangente 61).
un cahier appelé le Livre écossais.
À partir de 1922, toujours à Lw6w mais désor-
L'occupation soviétique puis allemande a dis-
mais à l'université, Banach poursuit ses re-
persé ces mathématiciens, juifs pour un grand
cherches qui font de lui l'artisan principal des
nombre d' entre eux. Les plus chanceux ont
fondements de l'analyse fonctionnelle.
pu s'installer aux États-Unis, d' autres comme
Lors de l'occupation soviétique de 1939 à 1941, il
peut poursuivre son travail. En revanche, à l'ar- Steinhaus, Sierpiùski ou même Banach ont
rivée des Allemands en 1941, plusieurs membres vécu dans des conditions très difficiles. Juliusz
de l'école de Lw6w sont dép01tés, Banach lui- Schauder, arrêté par les nazis, fut exécuté par la
même est contraint de travailler à l'Institut bac- Gestapo, sans doute en 1943 .
tériologique, à la culture des poux (!). À la Libé- Le Café écossais a rouvert en 2014, au sein
ration, on lui propose un poste à l'université de d'un hôtel de luxe. Une copie du Livre écossais
Cracovie, mais hélas il décède l'année même d'un est mise à disposition, sur laquelle chacun peut
cancer du poumon. ajouter des problèmes.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Bertrand Hauchecorne

Espaces normés,
espaces fonctionnels
Les solutions de nombreuses équations fonctionnelles s'obtien-
nent par des limites de fonctions. Mais comment les définir
rigoureusement? La théorie des espaces vectoriels s'est avérée
être un cadre adapté pour le faire, à condition d'introduire
une nouvelle notion : la norme.

endant des s iècles, la notion

P cl ' équation concernait la recherche


de solutions numériques, c'est-
à-dire que l'on cherchait un ou des
nombres entiers, réels ou complexes
vérifiant certaines cond itions. Avec I' in-
troduction du calcul différentiel à la fin
du XVII° siècle, la notion d 'équation
différentielle apparaît. On ne cherche Augustin Louis, baron Cauchy
plus un nombre mais une fonction déri- (1789-1857).
vable liée à une certaine relation avec sa
fonction dérivée. Par exemple, l'équation Les prémices
différentielle y' = 2 y admet pour solution de l'analvse fonctionnelle
toutes les fonctions f vérifiant, pour tout
réel x, la relationf'(x) = 2f (x); pour Le XIX 0 siècle voit se développer des
mémoire, les seules solutions sont les théories rigoureuses de l'i ntégration.
fonctions de la fo rme fk qui, au réel x, On savait bien sûr depuis Newton et
associent k exp (2x) où k désigne une Leibniz, au XVIIe siècle, calcu ler une
constante. intégrale, trouver une primitive. Il faut
On pourrait citer auss i les équations cependant attendre Cauchy pour établir
aux dérivées partielles, dont les plus une construction de la notion d'intégrale
célèbres sont celle des cordes vibrantes pour les fonctions continues, et Riemann
introduite par Laplace et celJe de I' équa- vingt ans plus tard pour l'étendre de
tion de la chaleur chère à Fourier (voir façon extrêmement féconde à une classe
Tangente SVP 72, 2013 et Tangente plus large de fonctions (voir le Calcul
SVP 76, 2014). intégral, Bibliothèque Tangente 50,

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


2014). De nouvelles équations dites inté-
grales sont alors apparues avec parfois Qu'appelle-t-on une norme ?
des contraintes, souvent linéaires. Une norme, définie sur un espace vectoriel E, est
une application N qui attribue à chaque vecteur
il, de E un réel N(ü), strictement positif si il, n'est
pas nul et tel que pour tout u et v éléments de E,
N(ü+ v ) :,; N(ù) + N(v ) et, pour tout scalaire À.,
N(À. ù) = IÀI N(ù). Un espace vectoriel muni d'une
norme s'appelle bien évidemment un espace vecto-
riel normé. On en déduit une notion de distance en
posant d( ù, v) = N( i7 - ü), ce qui en fait un espace
métrique.
La boule unité fermée, sous-ensemble contenant
Bernhard Riemann (1826-1866). tous les vecteurs de norme inférieure ou égale à 1,
joue un rôle important : à l'aide de translations ou
Les solutions étaient parfois obtenues
non pas directement avec une expres- d'homothéties, elle se transporte dans tout l'espace.
sion analytique mais par approximations Dans0lR 3 muni de la norme euclidienne, elle est réel-
successives. Deux écoles mathématiques lement une boule. En revanche, pour la norme très
se penchent alors sur une formulation utile N(x, y, z) = max(lxl, IYI, lzl), elle est un cube!
rigoureuse de la notion de limite de suites La notion de norme est fondamentale pour l'étude
de fonction s. C'est en effet délicat : des espaces fonctionnels , dont les éléments sont
avec ce que l'on appelle la convergence
des fonctions.
simple (c'est-à-dire que la suite (f ,),,, 0
Par exemple, sur l'espace F des fonctions continues
de fonction s converge vers la fonction
f si, pour chaque valeur de x, la suite de [a, b] dans lR, NJJ) = max(lf(x)I , x E [a, b])
(f ,,(x)),,, 0 tend vers f (x)), des proprié- et N (f) = J~lf(x)ldxjouent un rôle fondamental.
1

tés importantes comme la continuité ne Ces deux normes ne sont pas équivalentes !
sont pas conservées. Ceci amène George En particulier, une suite de fonctions peut converger
Stokes et Philipp Seidel à introduire pour N1 sans le faire pour N comme on le voit avec
00
,

indépendamment, en 1847, la notion de la suite définie sur [o, 1] par f n(x) = xn.
convergence uniforme.

Sir George Gabriel Stokes (1819-1903). Philipp Ludwig von Seidel (1821- 1896).

Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels Tangente


Espaces normés ...

En Allemagne, l'école de Weierstrass , Les espaces vectoriels normés


dans les années 1860-1870, définit de
bonnes bases sur la connaissance des La somme de deux fonc tions, comme
nombres réels , la notion de conver- la multipli cation par un sca laire
gence uniforme et les méthodes d'ap- d' une fonction, sont encore des fonc-
proximation. Dans les années 1870, tion s conservant (presque) toutes les
Georg Cantor introduit la théorie propriétés initiales. La majorité des
des e nse mbles (voir les Ensembles, ensembles de fonctions étudiés sont
Bibliothèque Tangente 61, 2017); peu en fait des espaces vectoriels. Le fruit
après, des mathématiciens italiens de était mûr pour les introduire dans le
l'école mathématique de Pise, Cesare cadre de l'analyse fonctionnelle (voir
Arzelà et Giulio Ascoli, considèrent des les Fonctions, Bibliothèque Tangente
espaces de fonctions, c'est-à-dire dans 56, 2016). Mais comment y intégrer
lesq uels une fonction est assimilée à un l'idée de Fréchet ?
point: une sorte de géométrisation des
ensembles de fonctions ! Il s'agissait de défi nir, sur un espace
À leur suite, Vito Volterra et Salvatore vectori el, une notion s'apparentant à
Pincherle étayent cette théorie que l'on la valeur absolue dans lR ou le module
appelle, comme Paul Lévy l'a proposé, dans C, que l'on a bapti sé norme, et
l'analyse fonctionnelle. permettant de donner un sens à la dis-
Poursuivant cette approche, un jeune tance e ntre deu x é lém e nts (vo ir e n
mathématicien français, Maurice Fréchet encadré). Alors parler de convergence
( 1878- 1973), constate de nombreuses de suites ou de continuité d'une fonc-
similarités dans les notions classiques tion dont la variable est un élément de
de limites : elles se définissent à l' aide l 'espace prend sens. Tl suffit en effet
d' une notion de distance (Fréchet dit de remplacer, dans la définition du cas
«écart» ), c'est-à-dire une fonction qui réel, la valeur abso lue par la norme. La
à deux éléments a et b associe un réel notion de distance entre deux éléments
positif noté (a, b), qui est nul si, et seule- en découle puisqu 'e ll e correspond à
ment si, a= b, et qui vérifie (a, b) = (b, a) la norme de la différence de ces deux
ainsi que (a, c) s (a, b) + (b, c). Il insiste éléments.
bien à donner le nom d'espace abstrait
à cette nouvelle structure. Ce besoin était particulièrement pressant
Felix Hausdorff qualifiera en 1914 pui sq u'en 1918 le Hongrois Frigyes
de métrique un tel espace. Jacques Ri esz a vait a morcé une ap proch e
Hadamard résume bien l' esprit de cette théori que des espaces de fonctions et
nouvelle approche en expliquant, e n qu 'en 1920 plusieurs mathématiciens
19 l 2 : « Le continu fonctionnel n 'offre ont proposé une défi nition de la notion
à notre esprit aucune image simple. de norme : l' Autrichien Otto Hahn , les
L'intuition géométrique ne nous Américains Eduard Helly et Norbert
apprend rien a priori sur son compte. Wiener, et surtout le Polonais Stefan
Nous sommes forcés de remédier à cette Banach, le plus productif d' entre eux.
ignorance et nous ne pouvons le faire Ce dernier avait réuni et formé de nom-
qu 'analytiquement; en créant à l 'usage breux étudiants brillants, qui furent des
du continu fonctionnel un chapitre de la acteurs prépondérants pour donner de
théorie des ensembles. » la substance à ces nouvelles structures.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


De nombreux théorèmes furent énon-
cés et démontrés dans les quinze ans Hahn-Banach :
qui suivirent, permettant de faire des un théorème mvthiaue 1
espaces vectoriels le cadre le plus natu- Tout étudiant en mathématiques, même s'il en a
rel de l'étude des espaces de fonctions oublié l'énoncé, se souvient du caractère fonda-
et de leur donner toute leur place dans
mental de ce résultat dans la théorie des espaces
l'analyse mathématique.
normés. Sa preuve, et même son énoncé, qui exige
Les espaces de fonctions sont pour la l'introduction de notions délicates, dépassent très
plupart de dimension infinie. Pourtant, largement le cadre de cet article. Disons qu'il est
en dimension finie, la notion d'espace à la fois un outil de prolongement d'une forme
vectoriel normé a toute son importance, linéaire (application linéaire à valeurs numériques)
en particulier en dimensions 2 et 3 pour et de séparation d'un ensemble ouvert convexe et
modéliser le plan ou l'espace. On peut d'un sous-espace affine par un hyperplan fermé.
y introduire diverses normes (voir en Devenu l'un des éléments essentiels de l'analyse
encadré page 87), certaines provenant
fonctionnelle, il est un véritable ciment entre la
même d'un produit scalaire. En effet,
bien qu'issus de préoccupations bien
géométrie et l'analyse, puisqu'il existe sous deux
différentes, les espaces euclidiens, et formes équivalentes, chacune concernant l'une de
plus généralement hilbertiens, sont des ces deux branches des mathématiques.
cas particuliers d ' espaces vectoriels Eduard Hellyen 1912 tout comme Marcel Riesz en
normés, en choisissant pour norme d'un 1923 avaient ouvert la voie en établissant des cas
vecteur ü la racine carrée du produit particuliers. C'est cependant fort justement que
scalaire ( ü I ü ). Ainsi , la théorie des son appellation rassemble les noms de deux mathé-
espaces vectoriels normés est devenue
maticiens fondateurs de la théorie des espaces
un cadre commun englobant la géomé-
normés. Le mathématicien viennois Hans Hahn,
trie et l'analyse.
B.H. d'abord, membre du Cercle de Vienne, a rédigé
quatre articles en analyse fonctionnelle, l'un d'entre
eux donnant la preuve géométrique de ce théorème.
Stefan Banach ensuite a établi cinq ans plus tard
la démonstration analytique.

Hans Hahn Stefan Banach


(1879- 1934). (1892- 1945).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Jean-Jacques Dupas

Le produit
uectoriel
Les vecteurs se manipulent aisément. On peut même
les « multiplier ». Mieux : il n'existe qu'une seule façon
naturelle de définir cette opération, qui du coup possède
des propriétés géométriques remarquables, très appréciées
des mathématiciens comme des physiciens.

n peut additionner facilement il a néanmoins été formalisé par Josiah

0 les vecteurs, tout comme on


peut les multiplier par des sca-
laires . Mais peut-on ... « multiplier »
Willard Gibbs, qui introduit la notation
â x b pour désigner le produit vectoriel.

des vecteurs? Déjà, qu'est-ce que cela L'embarras du choix


voudrait dire ?
Idéalement un « produit vectoriel » Le produit vectoriel est défini pour les
devrait être une application bilinéaire, espaces vectoriels euclidiens orientés de
c' est-à-dire que, si l'on note /\ ce pro- dimension 3, dont un exemple typique est
duit, il devrait vérifier, pour tous vecteurs notre géométrie à trois dimensions. On le
â, b et ê et tout scalaire a : note â /\ b en France (et uniquement en
(â + b) /\ ë = (â /\ ë ) + (b /\ ë ), France). Dans ce cadre, le produit vecto-
c'est la distributivité à droite ; riel â /\ bde deux vecteurs â et b est une
â /\ (b + ë) = (â /\ b) + (â /\ ë), application bilinéaire et antisymétrique
c' est la distributivité à gauche ; (~'-est-à-dire que â /\ b = -b /\ â ) telle
et enfin que, si (ei', eî, ei) est une base ortho-
a (â /\ b) = â /\ (ab)= (aâ) /\ b . normée directe, alors ei' /\ eî = e"; ,
L ' ensemble des application s bili- eî /\ ei = ei' et ei /\ ei' = eî . On
néaires forme un espace vectoriel. Ces montre qu ' il existe une telle applica-
quelques contraintes laissent l' embar- tion, et en fait qu'elle est unique. Cette
ras du choix pour les mathématiciens. propriété signifie que l'image de deux
Historiquement, ce sont Hermann vecteurs normés orthogonaux est le
Grassmann et William Hamilton qui troisième vecteur, permettant ainsi de
sont à l'origine du produit vectoriel ; construire une base orthonormée directe.

Ta:ngente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


u/\v

De la propriété d'antisymétrie on
déduit que, pour tout vecteur â, on a
â A â = - â A â , et donc â A â = Ô
(le vecteur nul). Plus généralement, â,
et b sont colinéaires si , et seulement si ,
a Ab== ô.
Si â et t/ sont deux vecteurs non coli-
néaires , alors â Ab est orthogonal à
â , et de même â Ab est orthogonal à
b- Le produit vectoriel â Abfabrique Encore faut-il savoir calculer un produit
donc un vecteur orthogonal à â, et à b. vectoriel... Voici la procédure de calcul :
De plu s, la norme ll â AbIl du produit
vectoriel des deux vecteurs est égale à
llâ Il llb 111 sin(â' b)I.Géométriquement,
llâ Ab Il est la mesure de la surface du
parallélogramme construit sur â et b.
Cette formule peut se mémoriser de la
sorte, en notant par exemple la ressem-
blance avec le calcul d'un déterminant:

Terme 1 Terme 2 Terme 3

Pour toutes ces propriétés à cheval sur


l'algèbre et la géométrie, le produit
vectoriel est très utile en géométrie
de l'espace à trois dimensions . Cela
Omniprésent en Phvsique explique qu'il soit massivement utilisé
en physique, notamment en mécanique
La propriété d'orthogonalité est fonda- et en électromagnétisme . . .
mentale ! Soit à calculer par exemple le
vecteur normal iî d' un plan passant par C' est d'ailleurs pour ses étudiants en
les trois points A, B et C non alignés. physique que Gibbs l'a mis au point !
C'est maintenant très simple : on peut
prendre n = â Ab. J.-J. D.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

l'orientation
des angles
L'orientation des angles du plan est nécessaire pour définir les
fonctions sinus, cosinus et tangente. Cependant, son intérêt
ne s'arrête pas à la trigonométrie. Elle permet d'éviter des cas
particuliers fastidieux à travers, en particulier, la formule de
Chasles et le théorème de l'angle inscrit.

L
a définition la plus élémentaire étant posé, cos x est égal à la mesure
des fonctions trigonométriques algébrique de OH et sin x à celle de OK,
demande la notion de cercle tri- où H et K sont les projections ortho-
gonométrique et d' arc orienté. Le cercle gonales respectives de M sur les deux
trigonométrique est un cercle de rayon 1 axes et les mesures algébriques sont
et de centre O. On considère A et B deux comptées suivant les vecteurs OA et OB.
points du cercle tels que les axes (OA) La fonction tangente peut également
et (OB) forment un repère orthonormé être définie géométriquement, mais il est
direct. Six est un nombre réel , on définit plus simple de la définir algébriquement
un point M en portant sur le cercle la comme le quotient du sinus et du cosinus.
longueur égale à la valeur absolue de x
dans le sens de A vers B si x est positif,
dans le sens contraire sinon. Ainsi le B
point A correspond à x = 0, mais auss i
K
à x = 2TI (la circonférence du cercle)
si on fait un tour complet du cercle, et S in X X
plus généralement à tout multiple positif
ou négatif de 2TI. De même, le point 1

cosx '
B correspond à x = TI/ 2 plus tous les
nombres de la forme x = TI / 2 + 2 kTI O H A
où k est un nombre enti er relatif. Cela

L'orientation des angles participe à


l'algébrisation de la géométrie.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


La formule de Chasles Dans cette optique, il suffit de consi-
dérer la somme d'angles orientés
Les angles orientés peuvent être définis à (AB, AC) + (BC ,BÂ) + (CA ,cË) ,
partir des arcs orientés, il convient alors puis d' utiliser la relation (BC , BA) =
a priori de les mesurer en radians mais (CE, AB) et la formule de Chasles
on peut facilement passer aux degrés. pour montrer que cette somme vaut
Plus précisément, si Ü et 1Î sont deux (CA , AC) , ce qui fait 180°.
vecteurs non nuls, il leur correspond De même, on prouve ainsi que la somme
deux points U et V du cercle trigonomé- des angles d'un quadrilatère est égale
trique (en les divisant par leurs normes). à 360°, et ainsi de suite pour tous les
Par définition, l'an~orienté (û , v ) est polygones.
égal à l' arc orienté UV qui, a priori, est
défini à un multiple de 360° près. Angle au centre et angle inscrit

Avec la notion d'angle orienté, la pro-


u priété de 1' angle au centre ne souffre
d' aucun cas particulier, ce qui simpli-
fie son utilisation. Si A , B et C sont
trois points d'un cercle de centre 0 ,
0
l'angle au centre (OB, OC ) est égal
au double de l'angle inscrit (AB , AC ) ,
soit(OB,OC) = 2(AB, AC) modulo
360°.

On démontre alors la formule de Chasles


pour trois vecteurs u, v et w non nuls :
(ü , v) + (v, w) = (ü , w) .

L' égalité est une égalité à un multiple


de 360° près, ce que l'on note : A
(û,v) + (v ,w) = ('û , w) modulo360°.
Cette formule permet de retrouver de
manière purement algébrique un résultat
bien connu : la somme des angles d' un
triangle est égale à 180°. On en déduit la propriété
de l'angle inscrit sans
cas d ' e xce pti o n ,
C l' éga lité se fai sant
alors modul o 180° à
A
cause de la division
par 2. Si A , B , C et
B D sont quatre points
d ' un cercle, les angles
A
(AB , AC) et (DÊ,:5ê)
sont égaux modulo 180°.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS L'orientation des angles

Considérons maintenant un angle inscrit Points cocvcliques ou alignés


BAC interceptant l'arc ÊC et un point
mobile D partant de A et allant jusqu' à Ce résultat permet d'énoncer simple-
~

B en restant~ cercle. L'angle BDC ment une caractérisation des points cocy-
reste égal à BAC . cliques (c'est-à-dire se trouvant sur un
même cercle) ou alignés (c'est-à-dire
situés sur une même droite). Quatre
points distincts A, B, Cet D sont cocy-
cliques ou alignés si, et seulement si :
(CA ,CÊ) = (DA,DB)modulol80°.
A

La partie directe est le théorème de


l'angle inscrit, le cas de l'alignement
B étant évident. Seule la réciproque est
délicate.
La corde [DB] a pour limite la tangente On se donne donc A, B, Cet D véri-
~ On en déduit que l ~ e inscrit fiant l'identité (CA, CB) = (DA , DB)
BAC est égal à l'angle TBC, ce qui modulo 180°. On peut supposer les quatre
constitue un corollaire du théorème de points deux à deux distincts puisque
l' angle inscrit. trois points sont toujours cocycliques.
Considérons donc le cercle r passant
par les trois points A, B et C. Soit (AT)
Pour tout savoir sur les angles la tangente en A à r et a = (CA, CE)
L'angle est un concept ambivalent: est-il mesure, modulo 180°. D 'après le théorème de
est-il figure? Il est les deux, et cette dualité explique l'angle in scrit, (AT ,AB) = a modulo
que les élèves ont souvent bien du mal à l'appréhen- 180°, T est donc entièrement déterminé
der. On pourrait alors s'attendre à ce que pléthore par A, B et a.
d'ouvrages lui soient consacrés. Eh bien non : si
l'on trouve des techniques ou des applications dans
les chapitres de manuels scolaires ou d'ouvrages de
trigonométrie, d'astronomie, d'optique, d'architec-
T
ture, de géographie ou de navigation, aucune étude
consacrée à l'angle ne nous est parvenue.
L'équipe de Tangente s'est donc attelée à la tâche
pour proposer cet ouvrage de référence, unique en
son genre. Non seulement il répond à la question
« Alors, c'est quoi un angle ? », mais en outre il
montre la richesse de la dualité angle-mesure / Le centre O de r est l' intersection de
angle-figure à travers des géné- la perpendicul aire en A à (AT) et de la
ralisations et des applications médiatrice de [AB]. Le cercle f' passant
dans toutes les sciences. par les trois points A, B et D a donc le
M.D.R. même centre et passe par le même point
A, il est donc identique à r, ce qui prouve
Les angles sous tous les angles. que D appartient à r et donc que A, B, C
Bibliothèque Tangente 53, POLE, et D sont cocycliques. Le tour est joué !
P(lQ
168 pages, 2015, 19,80 euros. H.L.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

les pionniers autrichiens


Hans Hahn, des maths à la Philo des sciences
Né en Autriche, à Vienne, en 1879, Hans Hahn se détourne rapidement de ses études de droit
pour s'initier aux mathématiques, successivement à Strasbourg (alors allemande), à Munich,
puis à Gottingen, pour les achever à Vienne, où il obtient son doctorat en 1902. Il enseigne
alors à Czernowitz (actuelle Tchernivtsi, en Ukraine). Gravement blessé en combattant dans
l'armée austro-hongroise, il enseigne à Bonn de 1916 à 1921 avant de revenir dans sa ville na-
tale, où il restera jusqu'à son décès prématuré en 1934.
Son nom reste attaché à différents résultats dans le cadre des espaces vectoriels normés, en
particulier le théorème de Hahn-Banach, dont il donne une preuve en 1927. Pourtant, la to-
pologie n'était pas son seul centre d'intérêt puisqu'il a aussi travaillé à développer la théorie
des ensembles et la logique mathématique. Le plus brillant de ses étudiants n'est autre que son
compatriote Kurt Godel.
Hahn fut par ailleurs l'un des fondateurs du Cercle de Vienne (voir Mathématiques et Philo-
sophie, Bibliothèque Tangente 38). Ce groupe de discussion, composé de philosophes et de
scientifiques, s'est réuni régulièrement de 1923 à 1936. Son but était d'élaborer une vision des
sciences, appelée l'empirisme logique, séparant nettement la métaphysique et les sciences,
celles-ci devant être basées sur l'expérience. Avec Otto Neurath et Rudolf Carnap, Hahn en
rédigea le manifeste en 1929, intitulé la Conception scientifique du monde.

Eduard Hellv :un séminaire dans un camp en Sibérie


Eduard Hellyvoit le jour à Vienne en 1884; Tibor Rad6, à qui il donne des cours de
il y obtient son doctorat en 1907. Il se rend mathématiques ; celui-ci deviendra lui aus-
alors à Gottingen, où il rencontre les grands si un mathématicien de renom. Les deux
mathématiciens que sont David Hilbert, hommes parviennent indépendamment à
Felix Klein et Hermann Minkowski. N'obte- s'échapper et à rentrer chez eux, en 1920,
nant pas de poste universitaire, il enseigne après un périlleux périple.
en lycée. Ceci ne l'empêche pas de pour- Revenu à Vienne, Helly poursuit ses re-
suivre des recherches en analyse fonction- cherches mais ne parvient pas à obtenir de
nelle et de démontrer en 1912 le théorème poste rémunéré à l'université, ce qui l'amène
de Hahn-Banach dans le cas particulier des à travailler dans une banque, puis une com-
fonctions continues sur un segment. pagnie d'assurance. Étant juif, les nazis, ar-
Mobilisé dans l'armée austro-hongroise, rivés en 1938 en Autriche, le privent de tout
il est grièvement blessé en 1915 ; fait pri- travail. Aidé par Albert Einstein, il s'installe
sonnier par les Russes, il est placé dans un aux États-Unis, où il décède cinq ans plus
camp en Sibérie. Il y poursuit ses recherches tard d'une crise cardiaque. Son nom reste
et organise un séminaire mathématique au- attaché à un théorème sur des intersections
quel assiste un jeune ingénieur hongrois, d'ensembles convexes .

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

les polynOmes...
uus comme des uecteurs
Quel rapport peut-il y avoir entre un trinôme du second degré
et un vecteur de l'espace? A priori aucun, car il s'agit d'objets
de natures différentes. Cependant, les deux ont la même forme :
ils sont décrits par un triplet de nombres. Mieux : les calculs
sur chacun se correspondent !

I(x) = x 2 ; de même, J(x) = x et K(x) = 1.

L
es trip le ts de nombres réels
se retrouvent dans le paysage Ceci permet d'écrire formellement
des trinômes du second degré, P =al+ bJ + c K, ce qui est analogue à
où on ne les attendait pas forcément. l'écriture V = ai + b.i + ck. Même si
Pour s'en convaincre, donnons-nous on ne peut pas donner à cette décomposi-
un polynôme P(x) = ax 2 + b x + c. Ce tion de P le même sens géométrique, elle
dernier est entièrement défini par les garde son sens algébrique et le dessin
coefficients a, b etc, qui forment donc est toujours valide. Ces remarques peu-
un triplet del' espace. L'addition de deux vent sembler une curiosité sans grand
trinômes correspond à l'addition des tri- intérêt. En fait, elles permettent de trans-
C plets. De même, la multiplication férer les propriétés de l' espace usuel à
d'un trinôme P par un scalaire celui des trinômes. Là est l' intérêt de
coïncide avec la multiplica- l' abstraction ! On peut raisonner sur
k tion du trinôme représen- les polynômes comme sur des vecteurs.
tant P par ce scalaire.
Autrement dit, l ' es- Jouer sur les bases de trinômes
pace des trinômes
du second degré L'ensemble des trinômes du second
b et l' espace usuel
J degré est donc un espace vectoriel de
sont isomorphes. Il est dimension 3 dont une base, que l' on dit
ain si_possible d'associer à canonique, est formée des trois poly-
la base {i ,j, k} = {(l , 0 , 0) , nômes I, Jet K. À quoi peut servir cette
(0, 1, 0) , (0, 0, l)} de l'espace une base ? À résoudre des problèmes sur
base {I, J, K} de l' espace des trinômes : les polynômes ! Voici par exemple un
I est le polynôme qui à x associe x2, soit problème classique :

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Étant donné trois nombres a, f3 et ser un système libre de trois trinômes
y, existe-t-il un polynôme T tel que T 0, T 1 et T 2• La recherche de T sous la
T(-l)=a, T(O)=[3etT(l)=y? forme T = aT0 + bT 1 + c T 2 équivaut à
En cherchant T sous la forme résoudre le système de trois équations
T = a I + b J + c K, ce problème équivaut à trois inconnues suivant :
à chercher a, b etc solutions du système aTo( - l)+bT 1 (- l)+cT 2(-l)=a,
de trois équations à trois inconnues aTo(O) + bT1(0) + cT2(0) = /3,
suivant : { aTa(l) + bT (1) + cT (1) =,.
1 2
a - b+c = a,
C = j3 Ce système semble plus compliqué que
{
a+b~ c =,. le précédent, mais un choix judicieux
des trinômes Ta , T 1 et T 2 le simplifie
Ce système n'est pas bien difficile à considérablement. Pour cela, le mieux
résoudre : c est donné et les deux autres est d'utiliser des polynômes s'annu-
inconnues sont obtenues en ajoutant et lant chacun en deux des points -1 , 0
retranchant la première et la dernière et 1, soit par exemple T 0(x) = x(x - 1),
équation. On trouve, tous calculs faits : T 1(x) = (x + l)(x- 1) etT 2(x) =x(x+ 1).
a = a - 2/3 +, b = -a +, On verra plus loin que ce système est
2 ' 2 bien une base de l'espace vectoriel des
etc= /3, trinômes.

ce qui fournit le polynôme Pour l'heure, en faisant cette hypothèse,


T (x)= le problème posé revient au système :
2a=a, - b=/3 et 2c=y, d ' où l' on tire
a - 2/3 + , 2 -a + ,
2 X + 2 X + (3 . la solution
a ,
Q(x ) = x(x - 1) - f3 (x + l)(x - l) + x(x + 1).
Il est facile de vérifier ce résultat, mais 2 2
il est aussi plus fac ile .. . d' utiliser une
Un petit calcul montre que l'on retrouve
autre base pour trouver T !
bien le résultat précédent.
L' idée est que toute autre base de tri-
nômes doit également faire l'affaire . L' avantage de cette méthode réside dans
Bien entendu, on ne peut plus parler la simplification des calculs. Pour la
de trois vecteurs « non coplanaires » . valider, il reste cependant à prouver
Il devient nécessaire de passer à une que T0, T 1 et T 2 constituent bien une
caractérisation algébrique, et non plus base de l'espace vectoriel des poly-
géométri.9ue des vecteurs. Reprenons nômes de degré au plus 2. Pour cela,
donc i,
.i , et k, nos vecteurs de l'es- il suffit de remarquer que le nombre
pace usuel. Le fait qu ' il s soient non de vecteurs est le bon (c'est-à-dire
coplanaires se caractérise algébrique- 3, la dimension de l'espace en ques-
ment par la liberté de ces trois éléments, tion) . Ensuite, on démontre qu'il est
c' est-à-dire l'implication suivante : libre en considérant une combinaison
ui + v_j + wk = 0 linéaire nulle de ces troi s vecteurs, soit
entraîne u = v = w = O. u T a + v T, + wT 2 = O. En appliquant
cette égalité aux trois points - 1, 0 et 1,
Cette propriété a toujours un sens pour en raisonnant comme précédemment,
les polynômes ! li s' agit donc d' utili- on obtient bien u = v = w = O.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Ta.n9ente


SAVOIRS Les polynômes ...

a= c = 1/3 et b =4/3, d' où l'expression:


y= p (x)
1
P (-1 )+4P(0) + P (l)
1- 1
()
P x dx =
3

pour tout polynôme P de degré au


plus 2. Étonnant, non ?

Les calculs précédents impliquent que


la formule
1
f (x) d x= f( - 1)+4f(0)+f(l)
/_
- 1 3
-1 0 1
est exacte pour les polynômes de degré
La formule de Simpson consiste à remplacer l'intégrale au plus 2. Si on l'applique pour une autre
sur [- 1, 1] d ' une fonction f (graphe en rouge) par celle fonction , l'erreur commise sera égale à
du trinôme Payant les mêmes valeurs en - 1, 0 et 1 la différence
(graphe en bleu). Le résultat est exact si la fo nction f 1
E(J) = ; J (x) dx _ f( -1 ) + 4f(O) + f( l ).
est un polynôme de degré au plus 3. - 1 3

Ainsi, E définit une forme linaire, qui


Les termes linéaires est nulle sur l' espace vectoriel des tri-
nômes du second degré. Un petit calcul
L ' ensemble des formes linéaires sur montre que E est également nulle pour
les trinômes est également un espace le polynôme T 3 défini par T i x)= x 3 .
vectoriel de dimension 3. On constitue Tout polynôme de degré au plus 3 étant
une base de cet espace en considérant combinaison linéaire des polynômes
les trois formes linéaires % , <p 1 et <p 2 Ta, T 1, T 2 et T 3 , on en déduit que E est
définies par <fo(P) =P(-1), <p 1(P) =P(0) nulle pour tous les polynômes de degré
et <p 2 (P) = P(l). Pour s' en convaincre, il au plus 3, donc que la formule est exacte
suffit de voir qu'elles sont bien au nombre pour les polynômes de degré au plus 3.
de 3 et que l'égalité u <pa+ v <p 1+ w <p 2 = 0 L ' expression proposée donne une
implique u = v = w = 0, ce qui est évident approximation de l' intégrale connue
en appliquant simplement cette égalité sous le nom de formule de Simpson,
aux trois polynômes Ta, T I et T 2 . À partir dont la paternité est douteuse. Selon
de là, en considérant la forme linéaire les sources , on l' attribue à Thomas
1
Simpson (1710- 1761 ), à Abraham
<p défini e par <p(P) =[ P(x) dx,
Newto n (169 1- 1742) o u mê me à
1
on p e ut affirm e r qu ' il e xi s te Johannes Kepler (1571-1630). Dans
troi s co nsta ntes a , b e t c te ll es tous les cas, à cette époque, aucun ne
qu e <p = a <pa + b <p 1 + c <p 2 , so it pouvait voir cette fo rmul e comme elle
a été exposée ici, elle permettait plutôt
[ P(x) dx = a P (- 1) + b P (O) + c P (l )
1 le calcul de l' aire sous une parabole.
pour tout trinôme P. Notre méthode moderne a l' avantage
Ces constantes peuvent se déterminer de laisser deviner qu ' en augmentant le
en utilisant cette égalité pour les trois degré des polynômes, l'approximation
polynômes Ta, T 1 et T2 . On obtient s' améliore .. .

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


ProJetons-nous dans l'espace Prenons l'exemple du sous-espace vec-
toriel F de E engendré par les polynômes
Mais revenons à l'espace usuel. Le point de Legendre L 0, L 1, L 2 et L 3 (voir en
d'un plan le plus proche d'un point donné encadré). Ces quatre vecteurs en consti-
del' espace est sa projection orthogonale tuent une base orthogonale. Soit f une
sur ce plan. Ce résultat très géométrique fonction continue sur [-1, 1]. Si elle
se généralise à des espaces de fonctions, existe, la projection orthogonale de f sur
conduisant ainsi à des applications spec- F est l'élément g de F tel que g - f soit
taculaires en analyse. orthogonale à tous les vecteurs de F ce
Dans l'espace usuel, une distance peut qui est le cas si g - f est orthogonale à L0,
être définie à partir d'un produit scalaire. L 1, L 2 etL 3. CommeL 0, L 1, L 2 etL 3 est
Dans ce cas, le point d'un plan« le plus une base de F, on peut chercher g sous la
proche» (au sens de cette distance) d'un forme d'une combinaison linéaire de la
point donné est sa projection orthogo- base: g = a 0 L 0 + a 1 L 1 + a 2 L 2 + a 3 L 3 .
nale sur le plan. Ce résultat se géné- La condition d'orthogonalité de g -f
ralise naturellement à des dimensions avec L 0 donne l' équation ( a 0 L 0 + a I L 1
supérieures, et même infinies. Pour le + a 2 L 2 + a 3 L 3 IL 0 )= <f lL 0 ) , ce qui,
voir, considérons l'espace vectoriel E compte tenu de l'orthogonalité, se sim-
des fonctions continues sur le segment plifie en a 0 (L 0 IL 0 >= <JIL 0 ). Il en est
[-1, 1] muni du produit scalaire défini de même des trois autres polynômes
1 de Legendre. On en déduit que la pro-
par (fig)= [ J( x ) g(x )dx. jection orthogonale g de f sur F existe
1
et est unique. Le calcul montre que :
Ce produit scalaire définit une distance
d entre deux fonctions de cet espace : ao = 1 Jl
2 _1 f( x ) dx,
= 2 Jl
d(J ,g) = Il! - gll , où 11!1 1 = JU[i).
a1
3_ J(x) dx ,
Les résultats classiques de géométrie 1

admettent une généralisation, en parti-


culier en ce qui concerne la projection a2 = f (x !)
45
8
1
-1
2
-
3
f(x) dx
d'un point sur un plan:

M
a3 = 175
8 -1
!1 (x3 - 3x ) J( x )dx.
5
Le polynôme g ainsi défini réalise bien
le minimum de la distance de f à F et ce
résultat est général. En effet, considérons
un élément h de F. En écrivant!- h =
No
(f - g) + (g - h) et en utilisant la bili-
néarité du produit scalaire, on obtient :
II
llf-hll 2 =((f- g)+ (g-h) l(f- g)+ (g-h))=
Il!- g Il 2 + 2 <f- g Ig - h >+Il g -h Il 2 .
Si Il est un plan et M w1 point de Comme g - h appartient à F, f - glui est
l'espace, il existe un (et un seul) point orthogonal, donc :
N de Il minimisant la distance MN : 2
Il!- hll =Il!- 811 2 + llg- hll 2 .
il s'agit de la projection orthogonale On en déduit l'inégalité IIJ-h Il~ IIJ-h Il,
de M sur Il. avec égalité si, et seulement si, h = g .

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Les polynômes ...

L'espace des polvnômes tauration d'un enregistrement audio du


XIXe siècle, l'analyse des fluctuations
La notion de vecteur émergeant de la géométrie, on comprend
de la Bourse ou la compression de
bien que des espaces comme JR" sont des espaces vectoriels
sons ou d'images ! C'est en cherchant
assez naturels. L'ensemble des polynômes de degré inférieur
à résoudre une question liée à la chaleur
à un entier d donné fournit un exemple beaucoup plus éloi-
que Joseph Fourier (1768-1830) a ren-
gné de la géométrie, car a priori purement algébrique. Un
contré les séries qui portent depuis son
tel polynôme est de la forme a 0 + a I x + a 2x 2 + . . . + adxd.
nom,f(x) = a 1 sinx + a 2 sin 2x + ...
On peut bien définir une somme interne (a O + a 1 x + a 2x 2
Les différents termes de cette série sont
+ . .. + adxd) + (/3o + /3 1 x + f32x2 + ... + f3dxd) = (ao + /3o)
appelés les harmoniques de f Il est natu-
+ (a1 + /31 )x+ (a2 + /32)x2+ .. . + (ad+ /3d)xd _ rel d'approximer f par ses premières
L'élément neutre est le polynôme nul. Enfin, on définit le
harmoniques, qui se trouvent être les
produit d'un tel polynôme par un scalaire À de manière
projections orthogonales de f sur les
naturelle : À(a 0 + a 1x + a 2x 2 + ... + adxd) = Àa 0 + Àa 1x
espaces En (engendrés par sin x, sin
+ Àa 2x 2 + ... + Àadxd.
2x ... sin nx) pour le produit scalaire
On obtient ainsi un espace vectoriel de dimension d + 1.
Ce qui est un peu plus original avec les polynômes est que (fig) = -1 171" f(x) g(x)dx .
21r -7r
certaines bases non canoniques vont être pertinentes. La
base canonique est ( 1, x, x2, x 3 ••• xd). Mais les polynômes Quand f représente une image ou un
., son, ces approximations mènent aux
deBernstein,définisparB~d)(x) = '( i~,-) 1xi(l-x)d-i compressions JPEG et MP3. Pour expri-
d. d i .
pour i compris entre O et d, forment aussi une base de l'en- mer les harmoniques de f, on utilise le
semble des polynômes de degré inférieur à d. Ils possèdent produit scalaire.
des propriétés utiles pour certaines applications (ils sont au
cœur des courbes de Bézier). De même, les bases de Grobner
Comme 1_: (sinpx)(sinqx) dx =0
ont connu un essor considérable ces dernières années, à cause sip ,.. q,
de leur utilisation dans le calcul formel. J.-J. D. on obtient an= - 1171" f(x) sinnxdx ,
7r - 7r

et le tour est joué. Vous ne regarderez


Un peu de théorie de Fourier plus vos fichiers musicaux de la même
manière.
Les considérations précédentes ont des H.L.
applications importantes en théorie R ÉFÉRENCES
du signal, qui concerne aussi bien la • Le calcul intégral.
transmission des images d'une sonde Bibliothèque Tangente 50, 2014.
sur Mars , la gestion des fichiers d' em- • Les fonctions.
preintes digitales ou génétiques, lares- Bibliothèque Tangente 56, 2016.

Les polvnômes de Legendre


Un produit scalaire étant donné sur l' espace vectoriel des polynômes, on peut imaginer trouver une
base L 0 , L 1, L 2 , L 3 ... orthogonale pour ce produit, comme on en trouve dan s l'espace usuel avec
les traditionnels repères orthogonaux. On peut même astreindre cette base à ce que son énième
vecteur soit unitaire (c'est-à-dire de coefficient de plus haut degré égal à 1) et de degré n, un peu
comme les repères de l 'espace peuvent être choisis orthonormés.
Les polynômes L 0 (x) = 1, L 1(x) = x, Lix) = x 2- 1/3 et Lix) = x 3 -3x /5 conviennent et sont
appelés polynômes de Legendre; on les trouve à l'aide de la méthode de Gram-Schmidt.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


pa r M. Brilleaud & H. Lehning EN BREF

Construction d'une
Dans l'encadré de la page ci-contre, il est fait mention d'un base de polynômes
algorithme dû à Jorgen Gram et Erhard Schmidt. Une base
quelconque d'un espace vectoriel euclidien E étant donnée,
de Legendre
cette méthode permet de construire une nouvelle base, or-
Dans le cas de la construction
thonormée cette fois, telle qu'à chaque étape le sous-espace
vectoriel engendré par les k premiers vecteurs de la première de la base orthogonale
base soit aussi celui engendré par ceux de la seconde. {L0 , L1 , L2 , L3 , ••• } des poly-
Ainsi, en dimension 3, le procédé d'orthonormalisation de nômes de Legendre, l'idée de
Gram-Schmidt transforme une base (";, -;7, -;) de vecteurs en
--->- --->- --->-) la méthode de Gram-Schmidt
une base orthonormée ( e,, e2, e,i .
est fondée sur la récurrence.
Première étape : la normali~tion du vecteur u permet de Mettons-la en œuvre à partir
définir le vecteur unité e7 = I: 1. de la base {1, X, x,, x3, ... , xn}.
On suppose les éléments Li de
)
li > la base construits, pour i égal
à 1, 2 ... n - 1, et on cherche Ln
Deuxième étape : V: =(-;71 C:)ë'; est la projection de v sur
comme somme du monôme xn
la droite vectorielle engendrée par ë';. Le vecteur I½ = ; - v7
est alo.!!' orthogonal à cette droite et permet de définir et d'une combinaison linéaire

e'; = li 2li ' de norme unité.


de L0 , L1 ••• Ln_,• La détermina-
tion des coefficients se fait en
écrivant que le polynôme Ln
v est orthogonal à L0 , L, ... Ln_,•

X"

Troisième étape: -w,=,wl ; - --->-)--->-


e, e, et -w2= ;,wle2
- -----)-
e2 sont
les projections respectives de -; sur les droites vectorielles
engendrées par ë'; et e';. Le vecteur W: = -;- w7 - -;; est
orthogonal au plan ~ctoriel de base (ë';, e'; ) et conduit à la Pn=aoLo + ... + a11_1L11-1

définition de e: = Il ~ Il' Vect (L0 , ... , L,,_,)

De proche en proche, on
trouve LJx) = 1, L1 (x) = x,
L2 (x) = x 2 - 1 / 3 et
\] '
L/ x) = x 3 - 3x / 5...
En divisant ces polynômes
e2 par leur norme, on obtient
une base orthonormée.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Bertrand Hauchecorne

le plan projectif et
l'espace uniuersel
Simplifier la géométrie en ajoutant, au plan, une droite à l'infini où
se couperaient les parallèles ? Concevoir un « espace universel »
contenant à la fois les points et les vecteurs ? Rêve de matheux
utopiste? Non, c'est bien un outil utile au raisonnement ...

n entend paifois dire que « deux Construction du plan proiectif

0 droites parallèles se rejoignent


à l' infini » ! C'est même une
illusion visuelle lorsque l'on regarde
Prenons un espace vectoriel réel E de
dimension 3. Il contient une infinité de
une voie de chemin de fer rectiligne. droites vectorielles, c'est-à-dire celles
La géométrie projective, conçue pour passant par l'origine Ô (vecteur nul) .
donner sens à cette approche privilé- Notons P(E) l'ensemble de ces droites (et
giant un point particulier d'où partiraient non leur réunion, qui est E); en d'autres
des rayons convergents, donne réalité à termes, une telle droite est un élément de
ce fantasme, très apparenté à la vision P(E), nous dirons que ce sont des points
oculaire. de P(E) ! L'ensemble P(E) s'appelle le
plan projectif. On a perdu une dimen-
Le point A de 'P
sion, d'où le terme de « plan » ; on va
s'identifie à la droite DA
comprendre pourquoi.
du plan projectif.
Puisqu'une droite devient un point de
La droite D' de P
A ce nouvel espace, logiquement, un plan
s'identifie à un point
/ D devient une droite. En effet, prenons
de la droite à l'infini.
un plan vectoriel P, c'est-à-dire conte-
p nant l'origine. L'ensemble des droites
vectorielles qui le composent forme un
ensemble de points de P(E) : c'est une
ô droite I':,. du plan projectif. Considérons
/J
/
1
D'
/
1
alors deux droites distinctes I':,. et I':,.' du
/
p plan projectif issues de deux plans Q et
Q' de l'espace initial. L'intersection de

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


DISTANCES ET NORMES

ces deux plans est une droite vectorielle


D, qui correspond à un point du plan la construction de l'espace vectoriel E
projectif. Dans cette géométrie, il n'y a On considère l'ensemble '.E'des couples (À, x) où À
pas de parallèles, deux droites distinctes désigne un réel non nul et x appartient à P. On définit
ont toujours un point d'intersection ! l'ensemble '.E comme réunion disjointe de Pet '.E' et
Mais quel rapport avec la géométrie l'on identifie l'élément x de P à (1, x) afin que P soit
traditionnelle? Choisissons un plan vec- inclus dans '.E. On munit alors '.E d'une structure
toriel P de E. Il correspond à une droite d'espace vectoriel prolongeant celle de P: pour deux
/1 de P(E). Prenons un plan affine P, ne réels non nuls À et µ et deux éléments x et x' de P, on
contenant pas l'origine et parallèle à P. À définit l'addition (À, x) + (µ, x') par (À+ µ, x") avec
tout point A de P, faisons correspondre x'' = x +-˵

d si À+µ =1= o (x" est en fait le
l'unique droite vectorielle DA contenant
A, que l'on considère comme un point
de P(E). Identifions maintenant A et DA:
le plan affine devient un sous-ensemble
du plan projectif. On a ainsi plongé le
-
barycentre de x et x' muni des coefficients À et µ)
et par Àxx' si À+ µ = o. Enfin, si u appartient à P,
(À, x) + u = (À, x + u/À).
Comme opération externe, on pose À(µ, x) = (Àµ, x)
plan affine dans un espace « un peu si À n'est pas nul, et o(µ, x) = o. Il reste à vérifier
plus grand». Mais quels sont les points que cette structure répond au problème.
ajoutés ? Ils correspondent aux droites
vectorielles incluses dans le plan vecto-
riel P. Ces droites qui le composent sont consiste seulement à ajouter un point à
les points d' une droite de P(E) : on la l'infini. Pour décrire l'espace de dimen-
nomme la droite à l'infini. Deux droites sion 3, il faut partir d'un espace vectoriel
parallèles de P sont issues de deux plans de dimension 4 !
vectoriels de E dont l'intersection est une
droite vectorielle de P, c'est-à-dire, dans l'espace universel
P(E), un point de la droite à l' infini : c'est
bien le résultat espéré. L'espace E dont est issu le plan projectif
Dans cet espace, les bijections qui contient à la fois le plan vectoriel P,
conservent la structure s'appellent des c'est-à-dire celui des vecteurs, et le plan
homographies : elles englobent large- affine P, celui des points. Intéressons-
ment l'ensemble des bijections affines nous au problème inverse. Donnons-
et leurs invariants forment des classes nous un plan affine P, associé à un plan
plus vastes (voir en page 49). vectoriel P. Le but est de construire ( voir
À quoi cela peut-il servir sinon répondre en encadré) un espace vectoriel '.Ede
à une sati sfaction intellectuell e ? En dimension 3 contenant à la fois P et P
fait , les démonstrations dans le plan de telle sorte que, si x et x' sont deux
projectif sont souvent plus simples que
dans le plan affine ; en particuli er deux
droites distinctes se coupent touj ours en
-
points de P (et deux vecteurs de '.E)
alors le vecteur xx' ne so it autre que
x' - x dans ce nou vel espace et que P RÉFÉRENCES
un point. En choisissant habilement la soit un plan affine de direction P. Dans • Géométrie.
droite à l' infini, certaines démonstrations cet espace, le calcul barycentrique se tome 1.
se raccourcissent de manière spectacu- ramène à des combinaisons linéaires Marcel Berger,
laire. Ceci se généralise sans problème avec des coefficients de somme égale à l. Cassini, 2016.
à d'autres dimensions : en partant d'un
plan, on aboutit à la droite projective, qui B.H.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

Calcul approché
d'une intégrale et orthogonalité
Les formes linéaires sur les polynômes peuvent être vues
comme des vecteurs. On en déduit des méthodes de calcul
approché d'une intégrale en fonction des valeurs de la fonction
considérée en un certain nombre de points. Le choix optimal
de ces points utilise la notion d'orthogonalité.

Dans le précédent article, les Polynômes a 0 P(x0 ) + a 1P(x 1) + a 2 P(x) pour tout
vus comme des vecteurs (voir en page 96), trinôme P. Les trois constantes peuvent
1
se déterminer en utilisant cette égalité
l' intégrale défin ie ef>(P) = .[ P(x) dx
1 dans le cas de trois polynômes conve-
est exprimée , de façon arbitraire, en nablement choisis, comme Q0 , Q 1 et Q2
fonctio n des valeurs du polynôme Pen définis dans l' encadré. On obtient, tous
les extrémités et le milieu du segment calcu Is faits :
[- 1, l]. Le choix de ces trois points
était-i l judicieux ? Pourrait-on faire un ao = Qo(xo)
1 j l Qo(x) dx
- 1
meilleur cho ix ?
Pour répondre à la question, cons idé-
rons troi s points x 0 < x 1 < x 2 du segment
[- 1, 1] et les trois formes linéaires
q; 0, q; 1 et q; 2 défi nies par q;/P) = P(x 0 ),
q;l(P) = P(x 1) et q;z(P) = P(x 2). Elles for-
ment une base de l' espace vectoriel des
fo rmes linéaires sur les trinômes (voir
l'encadré) . On conclut à l'ex istence de
trois constantes réelles a 0, a 1et a 2 telles
que cp = ao % + a 1 q;1 + a 2 ({J2•
En revenant aux définitions de ces
formes lin éa ires, cela signifie que

l'intégrale ;•l
- 1
P(x) dx est éga le à

104 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Le choix des points
Une base de l'espace
Les points x 0 , x 1 et x2 étant fixés , il est des formes linéaires
naturel de considérer le polynôme T
défin i par T(x) = (x-x0 )(x -x 1)(x-x2 ) et Pour démontrer que les trois formes linéaires cp 0 ,
P un polynôme non déterminé. Le reste cp 1 et cp 2 définies par %CP) = P(x0 ), cp 1(P) = P(x) et
de la division de P par Tétant de degré
cp/ P) = P(x) forment une base del' espace vectoriel des
au plus 2, en l'effectuant, on se ramène
à un polynôme R (le reste) tel que : formes linéaires sur les trinômes, il suffit de remarquer

I 1

1
R(x) dx
qu'elles sont bien au nombre de trois et que l' égalité
a0 cp 0 + a 1 cp 1 + a 2 % = 0 implique a 0 = a 1 = a 2 = O.
= ao R(xo) + a1 R(xi) + a2 R(x2). Cette dernière condition est évidente en appliquant
cette égalité aux trois polynômes Q0 , Q 1 et Q 2 défini s
En introduisant le quotient Q, on obtient
par QoCx) = (x - x 1)(x - x 2), Q/x) = (x - x 0 )(x - x2 ) et
P = QT + R. Comme T s' annule en x 0 ,
x 1 et x 2, Pet R sont égaux en ces points, Q/x ) = (x -x0 )(x -xJ
d'où l' égal ité suivante :

I 1
P(x ) dx =
1
I
Q(x )T(x )d.r +
1 1
+ ao P( xo) + a 1 P(x i) + a2 P(x2)-
De plus, (PIP) = I 1

1
[P (x)]2dx > 0

sauf si Pest nul. Ainsi, (PIP) = 0


•l entraîne P = O. Pour le démontrer, il
L'égalité j- 1
P( x ) dx suffit d' utiliser la continuité de P sur le
segment [-1 , 1] pour en déduire que P
= ao P(xo) + a1 P(x1) + a2 P(x2) est nul sur ce segment, donc nul (comme
est donc vraie pour le polynôme P tout polynô me ayant une infinité de
à la condition que zéros).

I 1

1
Q(x )T(x )dx = O.
Notre expression formelle définit donc
bien un produit scalaire sur l'espace
vectoriel des polynômes. Il s'agit
Cette expression réfè re à un produit
d 'ailleurs également d'un produit sca-
scalaire sur l'espace vectoriel des poly-
laire sur l'espace vectoriel des fonctions
nômes et à une famille de polynômes
continues sur le segment [- 1, l].
étudiées par le mathématicien français
Adrien-Marie Legendre (1752- 1833)
Les polynômes de Legendre L0 , L 1, L 2
et orthogonaux deux à deux pour ce
et L 3 ont été définis en page 103 :
produit scalaire.
L 0 (x) = 1,
L 1(x) = x,
Les polvnômes de Legendre
L/x) = x 2 - 1/3,
Si P et Q sont deux polynômes, l'expres- L/x) = x 3 - 3x/5 .

sion formelle (PIQ) = I 1

1
P(x )Q(x )dx Le polynôme L3 est orthogonal à L0 , L 1
a un sens, est symétrique en P et Q, et et L2 , donc à toutes les combinaisons
linéaire aussi bien en P qu'en Q. linéaires de ces trois vecteurs , c'est-

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Calcul approché ...

à-dire à tou s les trinômes du second trou vées plu s haut, on trouve a0 = 5/9,
deg ré. Ain si, si T = L 3 , la formul e a 1 = 8/9 et a 2 = 5/9 .

I 1

1
P(x) dx = I 1

1
Q(x)T (x) dx + On en déduit enfin la fo rmule suivante :
1
+ ao P(xo) + a1 P(x 1) + a2 P(x2)
!- 1
P (x ) dx =

se simplifie en :
i [p(- v;)+ v;)] + P (- ~P(O).

j- 1
•I P(x) dx

Cette formul e explicite est exacte po ur


les polynômes P jusqu 'au degré 5. Rien
Cette relati on ass ure que cette formul e, ne no us e mpêche ensuite de continue r
vraie pour les trinômes, l' est encore pour et d 'établir des fo rmul es exactes pour
les polynômes jusqu 'au degré 5. des polynô mes de degrés plus élevés.
C o mm e T = L 3 , ses racine s sont De te ll es égalités so nt d ' une utilité
Xo = - fi/5, X 1 = 0 et X2 = fi/5. in estim a bl e da ns to us les do main es
Les no mbres a0 , a 1 et a 2 s' en dédui - de l' a nalyse numé rique e t du calc ul
sent. Grâce aux express ions expli cites sc ientifigu e.

H.L.

Tan9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


ACTIONS par Élisabeth Busser

Cinématique ■

l'atout « uecteurs »
En cinématique, c'est-à-dire dans l'étude du mouvement, la
géométrie vectorielle a su se rendre indispensable. Les physiciens
n'ont pas eu peur de jouer la carte « vecteurs » pour parler de la
position d'un mobile, de sa vitesse ou de son accélération.

Phvsique et vecteurs :

S
i en mathématiques
le vecteur est un une histoire coniointe
concept à la croisée
des chemins entre géométrie Si, pour les mathématiciens, un vecteur
et algèbre, en physique il est est un é lément d'un espace vectorie l,
un outil puissant. En é lec- la notion revêt pour les phys iciens un
tricité ou en électromagné- tout autre aspect, lié à une réa li té de
tisme, il permet de modéli- terrain qui inclut l' usage de vecteurs et
ser des champs, électriques de repères adaptés aux circonstances.
,; _:;·/ - ou magnétiques , ou offre L ' usage du vecteur en physique est le
r.•
1\, .

•::./!;;~.: la construction de Fresne l frui t d' une longue histoire qui commence
en courant alternatif (voir au début du XVII° siècle avec Gal il eo
les Nombres complexes, Galilei ( 1564- 1642). On trouve déjà,
. . .,.;
_,î:-}f.1 Bibliothèque Tangente 63, dans des man uscrits non publiés du
-:.~ 20 18). C'est cependant en savant italien retrouvés à la bibliothèque
mécanique qu ' il exprime de Florence en 1972, une décomposition
le mieux ses divers talents. de la vitesse en composante horizontal e
Représenter de s g ran- et composante verti cale, a insi que le
Dans les manuscrits de Galilée
deurs comme les forces, la tracé de la trajectoire parabolique d' un
déjà on trouve la notion de repère.
vitesse ou l'accélération va objet lancé, dessiné dans un repère.
permettre d'étudier, géométriquement
d 'abord , a lgébriquement ensui te, les Peu ap rès, René Descartes (1596- 1650),
mouvements, aussi bien dans l'espace auss i bien dans sa correspondance avec
que dans le plan. Voyons ici l' incidence Pi erre de Fermat (vers 1601- 1665) que
du vectoriel sur la c inématique du point. dans son traité les Dioptriques, admet

Tangente Hors-série n°6S. les espaces vectoriels


que les inscrire dans un repère (il parle n' est cette fois pas caractérisé par un
alors de « calcul d'arithmétique») per- nombre unique, mais qui « exige, pour
met de résoudre tous les problèmes de son expression numérique complète,
la géométrie euclidienne. un système de trois nombres » . « Un
Plus tard encore, Isaac Newton (1643- vecteur, ajoute+il, est donc une sorte
1727) développe l'idée du parallélo- de triplet naturel suggéré par la géomé-
gramme des forces, écrivant dans ses trie. » Les vecteurs et leurs coordonnées
Principia Mathematica (1687): dans un repère étaient nés, et toutes les
« Un corps soumis à l'action simultanée étapes de leur histoire ont fait référence
de deux forces décrira la diagonale d'un à des notions physiques de mouvement.
parallélogramme dans le même temps
qu 'il décrirait les côtés en étant soumis Les vecteurs de la cinématique
à ces forces simultanément. »
Les forces , parce qu'elles ont une gran- L'étude d' un mouvement, la cinéma-
deur et une direction, peuvent être com- tique, se fait par rapport à un référentiel,
binées pour produire une nouvelle force : qui peut être par exemple la Terre, ou
l'idée de vecteur et d'addition des vec- un véhicule se déplaçant sur la Terre, ou
teurs est déjà là! D ' ailleurs, à l' époque alors un repère géocentrique constitué du
de Newton, une publication britannique, centre de la Terre et de trois étoiles fixes .
The English Oxford Dictionnary, fait li faut, dans un référentiel , une horloge,
déjà état du nom de « vecteur », mais qui définira le temps, t, et un repère
plutôt dans le sens de « rayon vecteur » d' origine O et de vecteurs unitaires i,
(du latin vehere, transporter), comme .7 et k,que l'on nommera (0 , i ,_ j, k) .
il est utilisé en astronomie, c'est-à-dire
z
une « ligne » joignant une planète au ).

centre ou au foyer de son orbite, dont on i M(t)


ne donne que la longueur. C'est encore
dans ce contexte que l'emploie Pierre-
Simon de Laplace ( 17 49- 1827), toujours
comme nombre uniquement.
Il faut attendre les travaux de ]'Italien
Giusto Bellavitis (1803-1880), qui ► Y
évoque en 1835 « bipoints » et « équi-
pollence », pour avancer sur la question .
Mais c'est au mathématicien irlandais
William Rowan Hamilton (1805-1865) Vecteurs vitesse et accélération.
qu ' il revient d'évoquer les« vecteurs »
dès 1846 et de formaliser complètement Étudier le mouvement du point en dépla-
le concept dans ses Lectures sur les qua- cement M de coordonnées (x(t), y(t),
ternions de 1852. Il déclare clairement z(t)) consistera à déterminer la trajectoire
qu'un « rayon-vecteur » « a seulement de ce point en cherchant une relation
une longueur et[. .. J n 'est exprimé que entre les coordonnées, à trouver la rela-
par un seul nombre», et propose d' in- tion vitesse-temps et éventuellement
troduire un nouveau vocabulaire avec le la relation accélération-temps (voir le
mot « vecteur », qui a « une direction dossier« Les systèmes de coordonnées »
tout autant qu 'une longueur » et qui dans Tangente 157).

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


ACTIONS Cinématique : l'atout « vecteurs »

Les vecteurs utilisés en cinématique Ainsi, décrire le mouvement d'un point


sont donc essentiellement le vecteur M (x(t), y (t), z (t)) dans un certain repère
position 0M =xi+ YJ
+ zk, le passera par I, etude
,
de v-> ( d.T , -dy , -dz )
-
vecteur vitesse, noté v et le vecteur dt dt dt
accélération, noté â. Tous deux dépen-
dent évidemment du temps t.
--+
et de a
(ddt2x' ddt2y ' ddt2z) .
2 2 2

Pour le vecteur vitesse, si M I et M 2 sont Un exemple simple est celui d'un mou-
deux positions du point M aux instants vement circulaire uniforme : le point
t 1 et t 2 , le vecteur déplacement ~ M se déplace à la vitesse angulaire w
1 -----, sur une trajectoire circulaire de centre
conduit au vecteur - - - M 1 M2, qui 0 et de rayon 1. On choisit le repère
t2 - t1
permet de définir le vecteur vitesse ins- (0 ,i, J).Le mouvement étant circulaire
--+ dOM , tangent à chaque uniforme, v = wt.
tantané v =~
Ainsi, 0M = cos(wt)i + sin(wt)J,
instant à la trajectoire du point M.
v = -w sin(wt)i + w cos(wt).J
Quant au vecteur accélération, qui décrit et â = -w 2 cos(wt) i - w2 sin(wt)J,
les variations de la vitesse en fonction qui est égal à - w2 0M, d'où le schéma
d u temps, 1·1 est donne, par ->
a = -dv . ci-dessous.
dt
Les vecteurs ont donc plus d' un tour dans
leur sac, puisque c'est bien grâce à eux
quel' étude du mouvement est possible !

É.B.

Mouvement circulaire uniforme.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par Élisabeth Busser EN BREF

Le traitement d'images
La notation matricielle joue un rôle primordial non seulement dans le stockage des images
numériques, mais également dans la modification de ces images.
Pour une image en noir et blanc, la pondération de chaque pixel va de o (noir) à 255 (blanc),
les valeurs intermédiaires correspondant aux 256 niveaux de gris. Pour une image en couleur
selon le code RVB (rouge, vert, bleu), on a 256 intensités de rouge, autant de vert et autant de
bleu.
En traitement d'image, l'une des modifications les plus
courantes pour améliorer la qualité d'un fichier est la
création de filtres de traitement. Les opérations sur
les matrices vont prendre place lors de la « convolu-
tion». L'opération consiste à transformer les éléments
de la matrice d'image A, généralement de très grand
format , par une matrice de convolution F plus petite.
Par exemple, si l'on souhaite modifier chaque pixel de
A grâce à ses huit voisins, F sera de taille 3 x 3. Ce for-
malisme permet une grande économie opératoire lors
du traitement d'image.
RÉFÉRENCE : Les matrices,
Bibliothèque Tangente 44, 2012.

Le trièdre de Serret-Frenet
Les vecteurs permettent l'étude du compor-
tement local de certaines courbes parfois vecteur unitaire normal à la trajectoire en
difficiles à étudier autrement. Deux mathé- M, et B le vecteur unitaire complétant le
maticiens et astronomes français ont ainsi repère orthonormal (f, N, B) d'origine M
défini, indépendamment, un repère local, Oe trièdre de Serret-Frenet). On a alors,
c'est-à-dire d'origine M, le point courant étant donné les propriétés de la vitesse et
sur la courbe. Joseph-Alfred Serret (1819- de l'accélération, et en supposant que les
1885) et Jean Frédéric Frenet (1816-1900) fonctions qui les définissent possèdent les
ont aussi inventé les formules qui vont avec propriétés de dérivation nécessaires :
ce repère de Serret-Frenet pour calculer f = dOM N= R dT et Ê = f AN.
aisément certains paramètres de la courbe : ds ' ds
les fameuses formules de Serret-Frenet. R ainsi défini est le rayon de courbure de
On suppose l'espace muni d'un repère or- la courbe en M. On arrive alors, après déri-
thonormal ( 0, I,J,ïé). Soit M le point en vation, aux formules de Serret-Frenet, qui
question, d'abscisse curvilignes Oa mesure permettent, grâce aux vecteurs, de décou-
algébrique de l'arc AM, une origine A étant vrir certaines caractéristiques des courbes
choisie sur la courbe) . Il a ainsi pour coor- du plan ou des surfaces de l'espace:
données (x(s), y (s), z (s)). Le repère mobile
est alors ( M, f, N, B) où f est le vecteur
unitaire tangent à la trajectoire en M, N le

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


ACTIONS par Emmanuel Rollinde

Le mouuement uectoriel
de la comète Encke
La physique utilise abondamment les vecteurs pour ses
représentations ou ses modèles. Il est ainsi très commode de
visualiser et d'étudier la position, la vitesse et l'accélération
de corps célestes qui gravitent autour du soleil.

L
es physiciens utilisent le représenter un vecteur correspondant
formalisme et les objets à une grandeur physique réelle, il fau-
mathématiques comme dra préciser une échelle et choisir un
un langage pour exprimer des unique représentant dont l'origine sera
relations entre des grandeurs. ce point d' application. Prenons le cas
Certaines sont des sca- de l' observation du mouvement de la
laires (une masse, un Terre et d'une comète en orbite autour
volume . .. ), d' autres du Soleil. Ils' agit donc de cinématique.
sont des vecteurs Les constructions vectorielles sont faites
(une vitesse, une ici pour le mouvement de la Terre. Le
force), d 'a utres lecteur construira les vecteurs pour le
sont des champs mouvement de Encke !
scalaires (un champ
électrique) o u des Espace vectoriel
champs vectoriels (un des positions et déplacements
champ magnétique). Ces
grandeurs physiques ont une Les positions successives de la Terre et
Représentation de dimension. Ainsi, au-delà des règles de la comète Encke le long de leur orbite
la comète Encke. opératoires des mathématiques, il faut sont représentées sur le schéma.
ajouter des règles propres aux dimen- Les vecteurs (déplacements et accélé-
sions; on ne peut ainsi pas add itionner rations) sont tracés à partir de quatre
une masse et une vitesse. positions successives. Un représentant
En physique, le vecteur va souvent être particulier de l'accélération, dont le
associé à un point d' appli cation, et la prolongement passe par le Solei l S, est
norme du vecteur à une dimension . Pour tracé à partir du point G.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Schéma réa lisé par N. Rambaux / IMCC E

Trajectoires
\
\ de la Terre (bleu)
et de la comète
Encke (vert)
'
, ,,,__, I
, a
\ ':).€
D
autour du Soleil (S) .
Chaque point
représente la
position des deux
~ B'\ corps le long

-
' G
-, de leur orbite
\
\
\
à in tervalles de
échelle de longueur : HF ~ 1 UA temps constants.
H F \
\

La durée qui s'écoule entre deux posi- est de 2dt. Par application de la relation
tions, notée dt, est de seize jours pour de Chasles, le vecteur AB est égal à
la Terre et de quarante-huit jours pour f (t8 ) - f (tA). Les vecteurs déplacements
Encke. Chaque point peut être interprété en A et C sont tracés sur la figure.
comme un vecteur dans l' espace vecto-
riel lR 2 en supposant des orbites copla- L'espace vectoriel des vitesses
naires. Le repère cartésien est défini par S
pour origine, un axe horizontal et un axe À partir du déplacement de A vers B,
vertical. Le point A est associé au vecteur il est possible de calculer une vitesse
SA de coordonnées (0, - 1). Ainsi , la moyenne (ou taux d 'accroissement).
fonction f représentée associe à chaque Cette vitesse vectorielle est égale au
instant t la position du point mobile M rapport du déplacement vectoriel divisé
sur la trajectoire, SM=(x(t)) , y(t)) . par la durée du déplacement :
Le point A correspond donc à l'image
_, (A, B ) = AB
2dt
par/ de l'instanttA. L'espace des images V

de f est bien un espace vectoriel, mais


associé à la dimension L (longueur). = f(ts) - f (tA) = TJ(t A, ts)-
t s - tA
Il faut également définir l'échelle de lon-
gueur. SA représente la distance Terre- Sur la figure, le vecteur vitesse moyen
Soleil, soit une unité astronomique (UA) . doit donc avoir la même direction et
Cette échelle est spécifiée sur le segment le même sens que le vecteur-dépl ace-
[HF], dont la longueur est égale à SA. ment AB . Par contre, sa longueur doit
Un vecteur peut également représenter correspondre à une autre échelle reliée
un déplacement : il donne la direction, aux vitesses ! Un déplacement de la
le sens et la norme du déplacement. Son longueur HF sur une durée 2dt corres-
point d'application est le point de départ pond à une vitesse de l UA / 32 jours
unique du dépl acement. Sur la figure, le pour la Terre, et de 1 UA / 96 jours
déplacement se fait de A à Bou de Cà pour Encke. Le « même » vecteur AB
D. La durée de ces deux déplacements correspond alors à un déplacement dans

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


ACTIONS ... la comète Encke

l'espace associé à la dimension L, avec associée à la dimension LT -2 • Le vecteur


l'échelle HF.-. 1 UA, et à une vitesse accélération ainsi obtenu est alors placé
(de dimension LT - 1 où T désigne le à nouveau dans l'espace réel del' orbite
temps) dans l'espace correspondant, pour observer la direction associée. Il
avec l ' échelle de vitesse adaptée. La peut alors être placé entre les points A,
signification d' un vecteur en physique B, C et D : on ne peut savoir en quel
inclut donc sa dimension (et l'échelle point cette accélération correspond à une
associée). Il est alors préférable de tracer accélération instantanée (ou même si un
les vecteurs vitesses sur un autre schéma tel point existe). Les mesures de vecteurs
(cf encadré de la figure). peuvent être comparées avec la loi de la
Le point d'application du vecteur vitesse dynamique de Newton (qui relie la force
n'est pas aussi simple: il s'agit ici d'une F à l'accélération via F = mâ ) et la loi
vitesse moyenne sur une trajectoire non de la gravité universelle (qui stipule que
infinitésimale. Le passage du taux d' ac- la force de gravité du Soleil vers la Terre
croissement (vitesse moyenne) à une ou vers Encke est dirigée vers S). En
dérivée (vitesse instantanée) pourrait effet, l'accélération (et donc la force) est
se faire avec le théorème des accroisse- toujours dirigée vers S. Ceci permettrait
ments finis si le mouvement étudié se alors de justifier ces deux lois à partir de
faisait en une dimension. En deux dimen- l'observation des mouvements des objets
sions, il existe un instant situé entre du système solaire ! Pour la Terre, qui
tAet t8 pour lequel x' (t) = (x8 - x A) / 2dt, a un mouvement circulaire uniforme,
et un autre instant, également entre tA la direction de l'accélération passe par
et t 8, pour lequel y'(t) = (y 8 -yA) / 2dt. S lorsque le représentant du vecteur
Il n'y a aucune raison pour que ces deux accélération est positionné (environ)
instants soient les mêmes ... À nouveau, au milieu de B et de C. Dans le cas d'un
il est alors préférable de représenter les mouvement accéléré et elliptique comme
différentes vitesses dans un autre espace celui de la comète, il existe aussi un point
(schéma en encadré), sans point d'ap- d' application situé entre A et D (mais
plication. On est alors très proches du pas au milieu) pour lequel l'accélération
vecteur mathématique, à la différence sera dirigée vers S. Notre construction
près de la dimension (LT - 1) associée est donc cohérente avec la direction de
au vecteur. la force de gravité établie par Newton .
En calculant ensuite la norme de l' accé-
L'espace vectoriel des accélérations lération pour différentes distances r au
Soleil, on utilise les deux lois de Newton
Pour l'accélération, il faut faire la dif- pour écrire :
férence des vecteurs vitesses divisée à 1
F = GmMs 2 = ma .
nouveau par la durée : r
vcô
acë = - ---VAEÏ
-- Ceci permet alors de calculer la valeur du
3dt produit de la constante gravitationnelle G
La durée est estimée en supposant que la par la masse M 5 du Soleil : GM 5 = ar 2 •
vitesse calculée correspond à la vitesse Ce calcul fait en plusieurs points le
instantanée au milieu de [A,B] et de long des deux trajectoires doit donner
[C,D]. Le vecteur - VAfÎ est représenté le même résultat, aux incertitudes de
en pointillé. Pour représenter le vecteur mesure près ...
accélération, il faut une troi sième échelle E.R.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par Hervé Lehning EN BREF

Transformer une translation


en rotation
Dans les locomotives à vapeur, l' un des problèmes
était de transformer un mouvement de translation
alternatif, créé par un piston poussé par la force
de la vapeur, en un mouvement de rotation. Le
principe de la solution trouvée est simple et très
géométrique.

Une locomotive à vapeur. Le piston ainsi


Transformation que la bielle alimentant la première grosse roue
d'un mouvement rectiligne sont visibles à gauche.
alternatif en mouvement circulaire.

On retrouve le même problème dans les moteurs Quand la composée


à explosion, il y est résolu d'une manière qui
semb le différente mais qui est, de fait, identique !
de deux rotations
La partie mise en rotation est le vilebrequin, et est une translation
non directement les roues.
Considérons deux rotations de centres
A et B, d'angles a et b respectivement.
Dans les locomotives, les roues étaient alors so-
La partie vectorielle de la composée
lidarisées par une autre bielle destinée à l'accou-
plement des deux roues. Cette bielle est animée
est une rotation d'angle a+ b. Il s'agit
d'un mouvement de translation. Inversement, une d'une rotation si cet angle n'est pas nul
crémaillère transforme une rotation en translation. (modulo 360°), d'une translation s'il
On en trouve dans les trains en montagne. En fait, est nul. Dans ce cas, le vecteur de la
il s ' agit d ' un couple d'engrenages où l'un des translation est AC, où C est le trans-
cercles est de rayon infini (donc est une droite). formé de A par la seconde rotation. Ce
résultat se généralise à un plus grand
nombre de rotations dès lors que la
somme des angles est égale à o modu-
lo 360°.

B
Solidarisation de deux
roues par une bielle.
Détermination du
C vecteur de translation
de la composée de deux
rotations dont la somme des
Rails à crémaillère vecteurs est nulle modulo 360°.
(au centre).

Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels Tan9ente


SAVOIRS par François Lavallou

Équations linéaires et suites récurrentes

ne font qu'un !
Un des arts du mathématicien est de reconnaître des structures
sous des formes différentes. Une analogie calculatoire entre des
domaines considérés comme distincts en est souvent un signe
prémonitoire ... Intéressons-nous au cas de certaines équations
différentielles et suites.

es mathématiques ne se résument

L
nalistes) et ceux amenés à la traiter
évidemment pas à 1' art calcu - (essentiellement les politiques). Cette
latoire mais sa maîtrise permet notion, si naturelle à comprendre et
d'augmenter son horizon quand on préalable à tout développement scien-
s'engage dans une voie de recherche. tifique, est pourtant riche de consé-
Avant de jouer avec la stratégie, il faut quences. Le concept de linéarité est
s' affranchir de la technique. Et puisque au cœur de la définition des espaces
le taux d' erreurs dans un calcul est fonc- vectoriels, qui sont des ensembles,
tion de sa durée, il semble sage d'en constitués d'éléments appelés vecteurs,
faire le moins possible. li est possible stables par combinaisons linéaires. On
d'illustrer cette démarche calculatoire retrouve cette stabi Iité par corn binaison
minimaliste avec les suites récurrentes linéaire dans la définition d'une fonc-
linéaires et les équations différentielles tion, ou d'un opérateur, linéaire : la
linéaires à coefficients constants. transformée d'une combinaison d'élé-
ments est égale à la même combin ai-
linéarité et espaces vectoriels son des transformées. Plus clairement,
T(ax + f3y) = aT(x)+ f3T(y), où a et
L ' essentiel de l' apprentissage mathé- f3 sont des nombres qui appartiennent
matique des jeunes classes concerne, à un e nsemble (un corps) sur lequel
sous une forme ou une autre, la notion on peut effectuer les quatre opérations
de linéarité. Pour autant, des exemp les habituelles. Simplifions-nous la vie en
réguliers confirment que la notion de nous plaçant dans le corps des nombres
proportionnalité n 'est toujours pas réels.
maîtrisée par ceux qui comm uniquent La con séquence fondamentale de la
l' information (typ iqu ement les jour- définition est que si l'on a deux so lu-

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


tions (u, v) indépendantes, c'est-à-dire
non proportionnelles, de l ' équation la recherche de solutions types
T(x) = 0, alors l'ensemble des combi- Pour éviter la lourdeur de notations générales, illustrons
naisons de la forme au + f3 v est solu- la démonstration avec un polynôme du second degré
tion de cette même équation : T(a u + de racines a et b distinctes, et considérons l'équation
{3v) = aT(u)+{3T(v) = O.
différentielle linéaire associée : y"-(a+b)y'+aby=0.
Appliquons cette propriété fondamentale
En notant D l'opérateur linéaire de la dérivation,
à deux domaines des mathématiques
tel que Dy= y', cette relation différentielle devient
malheureusement souvent présentés
(D 2 -(a+b) D+ab)y=0, c'est-à-dire (D-a)(D-b)y = O.
séparément : les équations différen-
Ce produit étant commutatif, (D-a)(D-b)y = (D-b)
tielles linéaires, et les suites récurrentes
(D - a)y, on constate que les fonctions y= eax, solution
linéaires.
Pour une suite récurrente linéaire
de l'équation (D - a)y = y' - ay = 0, et y= eh' , solution

d' ordre n, le terme général est une com-


de l'équation (D-b)y = y'-by = 0, sont solutions de
binaison linéaire à coefficients constants l'équation initiale.
des n termes précédents. La même rel a- Deux vecteurs non proportionnels, donc indépendants,
n constituent une base du plan, objet géométrique de
tion linéaire L an - k U k + p = 0 existe dimension 2, et tout vecteur de ce plan est une com-
k=O binaison linéaire de ces vecteurs de base. De même,
donc , pour tout p, entre n + l termes
une solution générale de l'équation différentielle
consécutifs avec , sans perte de géné-
y"-(a+b) y'+aby=0 sera une combinaison linéaire
ralité, a0 = l.
y (x) = ae ax + f3ehx des vecteurs de base, pour a et b
Quittons un instant l'arithmétique distincts, y (x) = e ax et y (x) = e bx _ Cette démarche est
pour l' analyse. Une équation dUféren- valable quel que soit l'ordre de l'équation.
tielle linéaire d ' ordre n à coefficients Pour une suite linéaire définie par la relation
constants est définie comme une combi- u 11 -(a+b)un- i + abu 11 _ 2 = 0, on procède de façon similaire
nai son linéaire à coefficients constants en posant U 11 = u11 - au11 _ 1• La relation initiale devient alors
de dérivées dont le plus grand ordre U,, - b U,, _1 = 0, qui est vérifiée pour (U,,) 11 ,,, 1= 0, c'est-à-
est n : elle peut donc s'écrire a 0 y C" ) + dire pour u11 = a 11 u 0 . Pour d' évidentes raisons de symétrie,
a 1Y (n-l) + ... +a,, y= 0, où y (n) repré- une autre solution, géométrique, est u11 = b11 u0 • Les solu-
sente la dérivée n; ème de la fonction y tions cherchées, u = aa'' + {3h 11 , sont donc engendrées
et / 0l = y. Puisque cette relation est
Il

par les combinaisons linéaires de ces solutions de base.


d ' ordre n, a O # 0 et nous pouvons
prendre, en toute généralité, a 0 =1. constituent, dans les deux cas, un espace
En dérivant p fois cette relation diffé- vectoriel de dimension n. La détermi-
n nation d'une solution nécessite donc n
rentielle L a n - k Y (k) = 0, on obtient informations, soit n conditions initiales
k=O pour une équation différentielle et n
n
l' expression L an - k Y( k+p) =0 termes (souvent les premiers) pour une
suite.
k=O
formellement similaire à celle définissant Pour ne pas être submergé par la géné-
une suite récurrente ! ralité, étudions le plus célèbre exemple
de suite récurrente, la suite d'ordre 2,
Comme il a été évoqué, la linéarité est dite de Fibonacci, u11 - u11 _ 1 - u 11 _ 2 = 0 ,
le lien fondamental qui relie ces deux et par symétrie, l'équation différentielle
notions. L'en sembl e des solution s associée y" - y' - y= O.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Équations linéaires ...

Des recettes de résolutions


On peut aussi en déduire (voir l'encadré
en page 120) une solution de l'équation
Avant de commencer une étude compa-
fonctionnellef(x+I) =f(x) + f(x-1).
rative, rappelons quelques méthodes de
Pour l'équation différentielle associée,
résolution classiques de ces problèmes ,
avec les conditions y(0) =0 et y' (0) = 1,
qui sont justifiées en encadré, en en pré-
sentant un compagnon incontournable, on obtient y( x ) = ~ ( e<l>x - e-xf</> )_
le polynôme caractéristique de degré n :
n
Dans le cas général, pour des suites et
P n (x) = Lan- kX k _
équations différentielles d'ordre n, le
k= O
polynôme associé de degré n possède
Pour a 0 = 1, on a ak = (-l)k (Jk, où n racines (rk) k= 1_____ ,, dans le corps des
les coefficients ((Jk\=i. sont les nombres complexes, que l' on supposera,
fonctions symétriques des racines du dans un premier temps, distinctes. À
polynôme P,,. Pour notre cas particulier, chacune de ces racines correspond une
P 2 (x) = x 2 - x - 1. Ses racines, de somme solution, suite géométrique ou fonction
(J = 1 et de produit (J = - 1, sont le trop exponentielle, et l'ensemble de ces solu-
1 2
tions constitue un espace vectoriel de
ceTb ,1,
e re nombre d'or '+' l +-v15
=- - et
2 dimension n. Les solutions générales
l'opposé de son in verse, -1 / <p. ont alors pour expression :
n

En cherchant pour solution de la suite Uk = L Œm7'~


m= l
de Fibonacci une suite géométrique, aux n
termes successifs proportionnels, sou s et y(x) = L f3merrnx,
la forme u,, = r u,, _1 = r " u 0 , on obtient m= l
la relation r"-2 P/ r) u 0 = O. avec P,,(r,,,) = 0 pour tout entier m com-
En cherchant de même pour solution de pris entre I et n.
l'équation différentielle associée une Dans le cas d'une raciner multiple
fonction dont les dérivées successives d'ordre m, il faut considérer les dérivées
sont proportionnelles, soit y Cnl = r yC"· 1l, des solutions par rapport à cette racine
c ' est-à-dire y(x) = e'-' y(0), apparait une (voir l'encadré ci-contre). L'analogie
relation semblable : P/r) y= 0. entre les suites récurrentes linéaires et
Dans les deux cas, on est amené à les équations différentielles linéaires est
rechercher les racines du polynôme P 2 • trop forte pour qu'il n'existe pas de cor-
De tout ceci, il ressort qu'une solution respondance entre ces deux domaines !
générale de la suite de Fibonacci est
u,,= acp"+/3(-1)" cf> -"(voirl'encadréde la La suite est dïfférée
page précédente). Avec les conditions ini-
tiales u0 = 0 et u 1 = l, on trouve le résultat Une fonction f ne présenta nt pas de
problèmes pathologiques est égale à
classique un = ~(cf/" - (-l )ncp- n),
sa série de Taylor:
ce qui confirme le résultat bien connu
selon lequel le rapport de deux termes
f( x) = L J<nl(o) n. X~ .
n~ O
consécutifs tend vers le nombre d ' or
En d é rivant p fois cette expres-
(soit lim ~ = cp ).
n--+oo U n - 1 s ion , ou en établissant la série de

Ta.n9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Taylor de la dérivée pième, on a aussi
la recherche
jCPl(x) = ~ jCn+p)(otn .
L
n?:O
n! de solutions particulières
On peut alors établir formellement, Illustrons sur un exemple un calcul qui se généralise
c'est-à-dire sans s'occuper pour l'ins- facilement, mais lourdement. Les solutions de l'équation
tant des critères de convergence des
différentielle y" -(a+b)y' + aby= 0 sont des combinai-
séries, une bijection entre une fonction
y et la suite (u = y< l (0)) 11 2:: Û de ses
11 sons linéaires de la forme y (x) = ae ax+ f3ebx quand a est
Il

dérivées à l' origine. différent de b.


Sans perdre en généralité, on peut écrire ces solutions
Et, à toute suite (u,,) " "" 0 , on associe ebx _ eax
xn sous la forme y(x) = Àeax + µ b
la fonction y( x) = L Un
1n. , pour - a
n?:O
Cette expression permet le passage à la limite
laquelle (/"l (0) = u,) 11
"
0• ebx _ eax ]
y(x ) = lim [ Àeax + µ -- - =(À+ µx) eax ,
b➔ a b- a
qui représente l'ensemble des solutions quand a = b.

à toute combinaison linéaire entre De même, pour les suites récurrentes, puisque
les dérivées y(n) correspond la même
la solution générale de la
combinaison entre les termes u et 11
,

en particulier, relationu n -2au ,1 - 1 +a 2u =0estu =(Àr+µn)r " - 1•


fi - 2 t1

1
y Il -y-y= On constate, si besoin était, la cohérence de la corres-
pondance entre les solutions y (x) = x e r x et u,, =n r" - 1,

La suite de Fibonacci détermine donc


entièrement sa fonction associée, et
réciproquement. On vérifie que les
solutions générales se déduisent bien membre. Ainsi, à la suite qui est solution
l'une de l'autre. de la relation u u 1 - u 2 = f(n) cor-
11
-
11
_
11
_

En effet, si [uk = t Œmr~]


m=l n ?: O
, respond la fonction y(x) = L un 1xnn . ,
n?: O

on a effectivement ell e-même solution de l' équation dif-


férentiel le y" - y' - y = F(x), avec
xk n (rmxt
L uk k! = L Œm L - k!-
k?:O m= l k?: O F(x) = L J(p) 1xPp. .
p?:O
n
= L Œm,ermX' et réciproquement. D ' une façon générale, connaître la
rn= l
solution d' une équation différentielle
Cette correspondance entre suites et linéaire, avec ou sans second membre,
équations différentielles linéaires se permet de déterminer in stantanément la
conserve avec l' exi stence d' un second soluti on de la suite récurrente linéaire

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Équations linéaires ...

assoc iée, et réciproquement, pour peu ou les suites, et maîtri ser le passage
que l' on maîtrise les calcul s de passage de l' une à l'autre, et vous ferez des
entre les deux mondes. Et il peut s' avé- mathématiques, c'est-à-dire l'art d' être
rer qu ' un probl ème transposé soit plus intell ectuell ement efficace !
simple à résoudre ... F.L.
Par ce li e n e ntre le discret (l 'arith -
métique) et le continu (l 'analyse), on R ÉFÉRENCES
restreint le champ des apprentissages. • Tangente SUP 72,
Potassez les équ ations différenti ell es, « Les équas diffs », 201 3.

La fonction de Fibonacci
Il s'agit de résoudre l'équ ation fo nctionnelle! (x +l ) = f (x) + f (x -1 ) . Pour les valeurs

entières de x , la suite u,, = f (n) est la suite de Fibonacci et alors f (n) = )g (q>n - (- 1t 4>-n) .
. 1 .
En écrivant e'" = -1 , on a f (n) = vlf;(q>n - ernn q>- n) , ce qui no us permet d' établ ir une
ex press ion complexe de la solutio n J(x) = )g(<t>x - ei1rx4>-x ).

La relation de Fibonacci étant linéaire, les parties réelle et imaginaire de cette fonction sont des

solutions réelles de notre problème.


On a représenté ci-dessous la partie réelle R (x ) = )g [cpx - co~:x) ] , qui est la suite de Fibo-
nacc i pour les valeurs entières de la variable. La partie imaginaire I(x) = sin( 1rx) est solution de
q>x
l' équati on foncti onnelle mais est null e pour les valeurs entières de la variable. Elle est associée

à la suite (uJ nac o = 0, solution triviale de la relation u,, - u,, _ 1 - u,, _2 = O.

La fonction de Fibonacci oscille par Représentations linéaire (en rouge)


et logarithmique (en bleu)
rapport à son asymptote a(x) = ~ .
de la fonction de Fibonacci.

Si l' on s' intéresse aux surfaces de

ces osc illation s, f(x + l) =f(x) + f (x -1)


k+ l / 2
!:':,. k =
1
k-1/2
(f(x) - a(x))dx, on

montre que l' on a affaire à une suite


1
géométrique t:,. k +l = - efJ t:,. k u1 u2 ,

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

un vrai scandale !
La notion de produit scalaire On sait les recherches de Wil-
n ·est mise en exergue qu'au liam Hamilton qui le condui-
milieu du x1x" siècle. Appelé sirent à introduire en 1843 un
produit linéaire par Grass- ensemble de nombre de dimen-
mann, il semble que ce soit sion 4. Son objectif était d'ex-
Hamilton qui le qualifie de pliquer les transformations de
scalaire dans le cadre de sa l'espace par simple manie-
théorie des quaternions ; elle ments de nombres, fussent-
est par la suite clairement ils monstrueux, comme les
exposée par les membres de complexes le font pour celles
l'école britannique de phy- du plan. Dans son esprit, ces
sique mathématiques, comme nombres étaient un couple
James Clerk Ma:-,..-well et Oliver (À, Ï7) composé d'un sca-
Heaviside. Plus récemment, le laire réel et d'un vecteur de
mot se substantive pour dési- l'espace. En multipliant deux
gner les éléments du corps de quaternions purs (0, Ï7) et
base d\m espace vectoriel. (0, ; ), on obtient en notations
La racine indo-européenne actuelles (- ;_;, ï7 A;J
skand signifiait « lever le Hamilton pensait avoir dé-
pied ». Naturellement, elle se couvert un outil très utile
trouve en latin sous la forme pour décrire l'espace. Vers
scandere, « monter » et scala. 1850, James Clerk Maxwell
«échelle». On la retrouve (1831-1879) avait popularisé
dans les mots français « des- l'idée d'utiliser les vecteurs
en physique. Deux mathémati- Oliver Heaviside.
cendre », « ascension » ou
ciens, l' Américain Josiah Wil-
« transcendant ».
lard Gibbs (1839-1903) et le Britannique Oliver Heaviside
L'adjectif scalaris qualifie
(1850-1925), eurent l'idée d'extraire le produit scalaire et le
en latin ce qui est relatif à
produit vectoriel du produit de deux quaternions purs, créant
l'échelle et son utilisation en
ainsi les bases d'un nouveau champ des mathématiques :
mathématique vient de l'ana-
1'analyse vectorielle.
logie entre les nombres et les
Une querelle s'ensuivit entre les partisans de Hamilton, qui
barreaux d'une échelle (mais
préconisaient l'usage des quaternions, et ceux de Heaviside,
clans ce cas on est passé du
qui trouvaient plus aisé de manier directement les produits
discret au continu).
scalaire et vectoriel et d'éviter ainsi la dimension 4 pour
En grec, la même racine s·uti-
étudier l'espace. Le plus virulent des « quaternionistes », le
lise pour désigner un dispositif
mathématicien Peter Guthrie Tait (1831-1901), traita même
faisant trébucher, un piège.
« l'algèbre de Heaviside de monstre hermaphrodite, mélange
Les Pères de l'Église s'en sont
indigeste des notations de Grassmann et de Hamilton ». Pour
servi, au sens figuré, pour s'in-
sa part, Heaviside déclara que l'utilisation des quaternions
digner de l'incitation au péché,
« entrave la diffusion de l'analyse vectorielle de manière aus-
d'où les mots« scandale » et
si vexatoire et angoissante qu 'inutile».
« esclandre » qui subsistent
L'histoire a donné raison aux partisans de Heaviside.
dans notre langue.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Jean-Jacques Dupas

Hu-delà
des uecteurs
Un vecteur, c'est en première approximation un segment avec
une orientation. N'est-ce pas la représentation graphique
traditionnelle ? Cette vision permet de généraliser la notion
de vecteur et de créer un outil général et incroyablement
puissant : l'algèbre de Clifford.

e pourrait-on pas imaginer un secours. Sil' on veut se plaire à imaginer

N « vecteur de dimension 2 »,
c'est-à-dire une surface (au lieu
d'un segment) avec une orientation ?
des éléments de dimension O avec une
orientation, on tombe sur. .. nos nombres
réels usuel s !
Idéalement ce hi-vecteur serait construit
à partir des deux vecteurs sur lesquels
s'appuie l'élément de surface. Un peu
comme le produit vectoriel : celui-ci
est bien proportionnel à une surface et
y
Un vecteur,
possède une orientation. Hélas, le pro-
v
duit vectoriel Ü /\ fournit un nouveau
vecteur, élément homogène à la dimen-
sion 1, et non pas un bi-vecteur. C'est
d'ailleurs un souci pour les physiciens:
avec le produit vectoriel, on « mélange »
des vecteurs qui représentent des champs
V ➔

V
un bi-vecteur,
avec des vecteurs qui représentent des
surfaces. En physique, on distingue les
vecteurs axiaux et les vecteurs polaires.
Comme le produit vectoriel est quand
même bien pratique, on souhaiterait aussi
créer des tri-vecteurs pour représen- - ➔
ter des volumes avec une orientation, U/\V
voire des k-vecteurs ; dans ce cas, le
produit vectoriel ne nous est d'aucun et le produit vectoriel habituel.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Vers une nouvelle algèbre Calculons le carré scalaire de la somme
de deux vecteurs Ü et v.
On trouve :
La solution est de créer une nouvelle (ü + v) · (û + v) = Ü · Ü + v · v + 2Ü · v
algèbre. Elle se nomme algèbre de
Clifford, ou encore algèbre géométrique, On obtient ainsi une expression du
pour bien exprimer que c'est une façon produit scalaire :
différente de faire de la géométrie. Ses
-+ -+ = -1 ((-+
u-v u+v--+) · (--+
u+v--+) -u-u-
--+ --+ v-v
-+ --+)
origines se trouvent dans les travaux de 2
Hermann Günther Grassmann ( 1809-
1877) et William Kingdon Clifford = 1 (( u
-+ +--+)v ·(--+
u+ --+)v --+2
u - v-+2)
(1845-1879). Ici , on se limitera à
2
l'algèbre de Clifford construite sur IR";
U + 'V
= 1 (--+2 --+ 2 + UV
-+--+ + 'UU-U
--+-+ --+ 2 - V--+ 2)
on peut la définir de manière beaucoup 2
plus générale.
À partir des vecteurs de R , les élé-
11
= 1 (--+-+ --+-+)
UV+ 'VU .
ments del' algèbre géométrique G "seront
2
notés en majuscules italiques, avec une Par ailleurs, si les deux vecteurs sont
nouvelle loi de composition interne : orthogonaux, alors ü • v = 0 et donc
le produit géométrique, noté multipli- ûv = - vû. Si en outre ils sont non
cativement. Pour être compatible avec nuls, on a (uv -+-+ )2 = uvuv
--+-+ ➔➔ --+--+--+ --+
= -uuvv
2 2
les règles opératoires usuelles sur les = - (ü - ü ) (v - v) = -lûl lvl , qui
vecteurs, le produit géométrique devra est un nombre réel strictement négatif.
vérifier les axiomes suivants : Donc le produit géométrique ûv n'est
A(B + C) = AB +AC ni un scalaire, ni un vecteur : c'est un
(distributivité à gauche) bi-vecteur !
et (A + B) C =AC+ BC En fait, dans G", on trouve des sca-
(distributivité à droite) ; laires (éléments à O dimension), des
(aA) B = A(aB) = a(AB), a étant un vecteurs (éléments à 1 dimension), des
réel (associativité et commutativité par bi-vecteurs (éléments à 2 dimensions) ,
rapport aux réels) ; (AB) C = A(BC) des tri-vecteurs (éléments à 3 dimen-
(associativité); lA =AI= A. sions) .. . et des n-vecteurs (éléments à
Mais attention, ce nouveau produit n'est n dimensions). Le terme « dimension
pas commutatif ! On n'a donc pas en » peut prêter à confusion ; on emploie
général AB= BA. Enfin, l'algèbre G " donc plutôt le terme de grade en algèbre
contient lR ", mais aussi des éléments géométrique. Les éléments de G" ont
11
qui ne sont pas dans R • donc un grade inférieur ou égal à n (il
Il nous faut encore relier l'algèbre de ne peut pas y avoir un élément à plus
G" à celle de R ", par la relation sui- den grades).
vante: si Ü est un vecteur de IR", alors
--+--+
uu -+
= u · u-+ = 1-+12
u ou. . u.
--+
u--+ est 1e En prendre pour son grade
produit scalaire usuel. Ainsi, les réels
positifs (et en fait tous les réels) sont Fixons une base orthonormée (e 1, e2 ••• e,,)
aussi des éléments de G 11• Cela peut de IR". Formons le produit géométrique
sembler curieux de mélanger des réels e = e 1e2 •••• e,,. Si l'on multiplie e par le
et des vecteurs, mais c'est ce qui fait la vecteur e; (où i est compris entre 1 et n) ,
grande force du système. par permutations successives on va for-

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Au-delà des vecteurs

mer e;e;, qui est donc Je scalaire 1 : ee; Ici, ei' e,,l est un hi-vecteur unitaire du
est un élément de dimension n - 1. plan engendré par û et v, et :
= 1 ( uv+vu
-► ---+ --+--+ )
En fait, G n est un espace vectoriel de --+ --+
u/\v
dimension 2 ". Par exemple, une base de 2
G 3 est (1, e 1, e2 , e3, e 1e2 , e 1e3, e2e3, e 1e2e3 ) . = lûllvl sin(0) ei'e-I .
Attention : dans cet article, le terme
« vecteur » est réservé aux éléments de En combinant ces relations, on obtient
lR n; les éléments de G n sont certes eux l'équation fondamentale du produit
aussi des vecteurs (au sens d' éléments géométrique de deux vecteurs :
d'un espace vectoriel), mais ils peuvent üv=ü-v+ü/\v.
être des scalaires, des vecteurs, des
hi-vecteurs ... Le produit géométrique est la combi-
naison de deux produits possédant une
Le pseudoscalaire interprétation géométrique simple, et
ceci quelle que soit la dimension. Et
Dans l'algèbre géométrique Gn, on note ce, sans jamais parler de coordonnées !
I = e 1e2 ••• e,,. Ainsi, tous les n-vecteurs C'est une grande force de cette algèbre,
sont des multiples de I. Pourquoi cette qui permet de manipuler des entités
notation I ? Regardez : I 2 = -1 ! Si l'on sans se préoccuper de repères ou de
travaillait en dimension 2, dans G 2, alors coordonnées.
I vaudrait i.
On sait définir le « produit scalaire » de L'utilisation de l ' algèbre de Clifford
deux éléments de G n : offre de nombreux avantages. Déjà, les
--+ --+
U ·V =
1 (--+--+ ➔ ---+ )
UV+ VU .
rotations et les réflexions s' expriment
2 simplement et uniformément. Ensuite,
Dans G 2, cela correspond au produit ce cadre offre une unification des outils.
scalaire habituel, et û . V = lû IlvIcos 0 Dans Je plan, l' utilisation des nombres
où 0 est l'angle entre û et v. complexes permet de résoudre élé-
On peut aussi définir un autre « produit» gamment de nombreux problèmes. En
qui « ressemble beaucoup » au produit dimension 3, 1' utilisation des quater-
vectoriel (on utilisera la même notation /\, nions est la méthode la plus élégante
en prenant garde aux confusions, notam- pour manipuler les rotations. Les
ment dans les deux identités qui suivent). matrices de Pauli permettent, elles, de
Ce produit donne la même valeur algé- travailler sur l ' électron . Les spineurs
brique que le produit vectoriel, c' est-à- permettent de traiter d' autres cas, les
dire la surface du parallélogramme qui tenseurs permettent l'étude de la rela-
s' appuie sur les deux vecteurs. Mai s au tivité générale ... Toutes ces techniques
lieu de produire un vecteur, il donne, en sont des cas particuli ers de l'algèbre
général , un hi-vecteur. géométrique !
J.-J. D.

RÉFÉRENCES
• A Survey of Geometric Algebra and Geometric Calculus. Alan Macdonald,
Advances in Applied Clifford Algebras 27 , 2017.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

Produit uectoriel et produit mixte


Définis sur l'espace euclidien de dimension 3, ces deux
produits sont des héritiers des quaternions d'Hamilton. Ils
sont devenus des outils utiles en géométrie et en mécanique.

Le produit mixte
Les bases orthonormées jouent un rôle primordial dans l'espace euclidien de dimension 3. Le
déterminant d ' une telle base dans une autre base vaut toujours 1 ou - 1 puisque ces deux bases
engendrent le même volume. On peut donc les ranger en deux classes (deux éléments sont
d ' une même classe si le déterminant de l'une dans l 'autre vaut 1). On choisit l ' une des deux
classes dont les éléments sont des bases (orthonormées) directes : c'est ce qui s'appelle orienter
l 'espace.
La structure euclidienne induit une notion de volume : l ' unité de volume est celle du parallélé-
pipède engendré par une base orthonormée (c'est le même pour toutes). Le déterminant d ' un
v,
triplet de vecteurs (û, w) est alors identique dans toute base orthonormée directe. Il correspond
au volume orienté du parallélépipède engendré par ces trois vecteurs. C'est que l 'on appelle le
v, v,
produit mixte du triplet (û, w), noté en général [û, w]. Étant en fait un déterminant, il jouit
de toutes ses propriétés.
Enfin, le double produit vectoriel û /\ (v /\ w) est égal à (û /\ w) v - (ü /\ v) w. Le produit mixte
v,
doit son nom à l'égalité [ü, w] = (ü /\ v l w); on a donc: 11 û /\ v ll2 + (ül v) 2 = Il û ll 2 li v ll 2 .

Le produit vedoriel
Le produit vectoriel a été introduit par Gibbs en 1881 en s'inspirant des
Josiah Willard Gibbs
tra vaux d'Hamilton et de Grassmann. Prenons deux vecteurs üet vde l'es-
(1839-1903).
pace euclidien orienté de dimension 3. Le produit vectoriel de û et de v,
,.,....,...., noté u' /\ v, est le vecte ur nul si i7 et vsont colinéaires ; sinon, c'est un vec-
teur orthogonal à ü et à v, tel que la base (u', v, u' /\ v) soit directe, et dont
la norme correspond à l'aire (non orientée) du parallélogramme engendré
par Et et i/
On peut, dans un tel espace, définir le cosinus d'un angle par la formule
cos (û, v') = (dl v) / Il üll.11 v ll. Définir son sinus reviendrait à orienter le
plan engendré par î] et ïï'; certes c'est possible mais aucune orientation
naturelle ne découle de celle de l'espace (pour cette raison, un observa-
teur posté au pôle Nord voit tourner la Terre en sens inverse que celui qui
se trouve au pôle Sud). Ce endant, sa valeur absolue a un sens : en po-
sant I sin ( "ï7.;) 1 = 1 - cos" (Ï7,; ), on a alors Il ü /\ vil = Il üll Il vll sin (ü, ïï) 1.
Ce produit est linéaire par rapport chacune des variables, mais n'est pas
commutatif (17 /\ v= - v /\ ü) .

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par François Lavallou

les spineurs
Les mathématiques évoluent par généralisation. Celles de
Hamilton pour les nombres complexes et de Grassmann
pour les produits scalaires et vectoriels furent elles-mêmes
synthétisées par Clifford en une algèbre vectorielle. De cette
structure surgissent les spineurs.

L
es mathématic ie ns cherchent fondamentale, en montrant son appli-
naturellement la plus grande cation à la représentation des rotations
généralité pout tout nouveau dans l'espace usuel.
concept, au prix d'une abstraction
croissante, ce qui en rend la pédago- Spineurs PVthauoriciens
gie difficile. Ainsi, les spineurs sont
formellement présentés comme un idéal Le principe de relativité générale
de la structure d'anneau de l'algèbre précise que les lois de la physique
de Clifford. Cette définition « bourba- sont covariantes, c'est-à-dire qu 'elles
kiste » nous éloigne cependant de toute ne dépendent pas du repère choisi.
représentation géométrique. Sir Michael Tous les repères orthonormés sont
Atiyah lui-même, médaille Fields et alors équivalents et on cherche à en
prix Abel, affirmait ainsi : « Personne construire un de façon générale.
ne comprend pleinement les spineurs. Le terme spinor apparaît pour la
Leur algèbre est form ellement com- première fois dans un ouvrage sur
prise mais leur signification générale la physique quantique du physicien
est mystérieuse. Dans un certain sens, théoricien autrichien Paul Ehrenfest
ils décrivent la "racine carrée" de la (1880-1933). Les spineurs sont uti-
géométrie et, de même que la compré- lisés par Wolfgang Ernst Pauli et
hension de la racine carrée de - 1 a pris Paul Adrien Maurice Dirac à partir
des siècles, la même chose pourrait être de 1927 pour représenter les fonc-
vraie des spineurs. » Heureusement, il tions d'onde (voir Mathématiques et
est possible d' illustrer la notion de spi- Chimie, Bibliothèque Tangente 43) ,
neur, entité incontournable en physique sans cependant exploiter la profonde

TQ.n9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


connexion qu ' il s créent entre géomé-
trie et physique. En fait, ils avaient
la ceinture du garçon de café
été mathématiquement découverts dès Le jeu de Tangloïd, inventé par Piet Hein, peut être vu
1913 par le mathématicien français comme un modèle du calcul spinoriel : vous attachez
Élie Cartan , sous le nom de groupes trois cordes à un barreau d'un côté, et à une chaise
fondamentaux, lors de ses études sur de l'autre. En tournant le barreau, vous enroulez
les espaces de Clifford (voir en page les cordes. Le jeu consiste à les démêler en utilisant
122). Il a introduit, avant généralisa- uniquement des translations, sans aucune rotation.
tion , la notion de spineur dans le cadre On peut toujours y arriver pour un nombre pair de
de l'espace euclidien de dimension 3, rotations!
et par voie analytique . À son instar, C'est comme le plateau du garçon de café : il faut
utilisons une approche géométrique- effectuer deux tours complets (sans faire tomber les
ment « simple » de la théorie de s verres ... ) pour revenir à la position initiale. Le coup
spineurs. de la ceinture, ou belt trick, en est un autre exemple,
Soit O l'origine commune de deux dont vous trouverez des animations sur Internet. De
vecteurs x;:' et x;' de même norme et même, le déplacement du vecteur sur le ruban de
orthogonaux. Dans l'ordre correspon- Mobius ci-dessous demande deux tours complets
dant à leur indice, ces deux vecteurs pour retrouver
définissent un plan orienté. En le s son orientation
complétant par le produit vectoriel initiale. Toutes
5G = x;:' A x";, on obtient un trièdre ces propriétés
dont l' orientation est dite directe. Les qui illustrent
coordonnées des vecteurs x;:' et x;' une périodi-
contiennent toute l'information sur la cité de 4n sont
similitude qui tran sforme le repère de directement
référence en ce trièdre . Pour garder Inversion d'un vecteur liées à la notion
la distinction entre ces deux vecteurs
le long d'un ruban de Mobius. de spineur.
et sy nthétiser les calcul s, constituons
le vecteur complexe X = x;:' + ix;' . pythagoricien (on a bien a 2 + b 2 = c 2 ,
Ce choi x est guidé par le fait qu ' un quel s que so ient les entiers p et q,
nombre complexe es t en fait un opé- voir Tangente 172) , une poss ibilité
rateur de si militud e dans le plan. est de po ser, d'après le s notation s
Pui sq ue les vecteurs x;:' et x;' so nt d' Élie Cartan, p = i/3 , q = ia, a= x,
de même norm e et orthogonaux, les b = z etc= iy:
coordonnées (x , y, z) du vecteur X ne X= a2 - ;32 ,
so nt pas indépendan tes. On a en effet Y= i(a2 + 132) ,
--), 2 ----+ 2 ----+ 2 --+ ----------t

X = X1 - X2 + 2iX1 · X2 = 0, {
z = - 2a/3 .
so it x 2 + y 2 + z 2 = 0, qui n' es t autre
qu ' une relation de Pyt hagore co m- Le coupl e (a, /3) de deux nombres com-
plexe. Les coordonnées (x, y, z) de X, plexes a et /3 soluti ons de ce système
qu alifié de vecteur isotrope , possèdent constitue un spineur, qui est donc une
deux de grés de libe rté, et peuv e nt représentation des deux vecteurs et de
don c être ex primées au moye n de leur ordre, puisque les parties réelle et
deux nombres (com pl exes). imaginaire des expressions ci-dessus
Vérifion s-le ! Pui sque le triplet fournissent respectivement les compo-
(a, b , c) = (p 2 - q 2 , 2pq, p 2 + q 2 ) est santes des vecteurs x;:' et x;'.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Au-delà des vecteurs

On calcule que On en déduit le système suivant :

llxf = 11x:f + llx;f 2


az + f3 (x - iy) = 0,
{ a(x + iy) - f3z = 0,
= 2 [lal2 + 1/31 2 ] - qui s'écrit, sous forme matricielle:
M Les vecteurs x7 et x;
étant normés,
C~ ·iy x =ziy) (~) = (~) '
le spineur associé est lui aussi unitaire,
et lal2 + 1 /312 = 1 ; il est donc néces- faisant apparaître une application linéaire
sairement de la forme a = cos( 'P )ei 01 , entre ces deux ensembles de coordon-
f3 = sin( 'P )ei 0 2 avec q;, 81 et 02 trois réels nées. Pour qu ' il existe des spineurs
compris entre O et 2n. C'est essentiel- solutions non nuls, le déterminant de la
Rotation comme lement un opérateur de similitude dans matrice 2x2, notée L'., doit être nul, ce
produit de deux l'espace euc lidien à trois dimensions. qui implique bien l' isotropie du vecteur
symétries planes. Puisque l'on disposait de six degrés de X, à savoir la condition x2 + y 2 + z2 = O.
liberté dans les coordonnées de X, et de Cette représentation matricielle des spi-
trois contraintes, à savoir les normes de neurs définit des matrices de base, dites
x7 et x; et leur orthogonalité, il est matrices de spin, retrouvées par Dirac,
naturel qu'un spineur ne dépende que puis Enrico Fermi, en bâtissant la théorie
de 6 - 3 = 3 paramètres. de l'électron.

Les matrices de Pauli En posant 0-1 = (~ ~) ,


L'ensemble des spineurs constitue un
espace vectoriel complexe à deux dimen-
0"2 = (~ ~i)
sions, muni du produit scalaire hermitien
(a, /3)-(y , o) = ay + -p o.
et 0"3 = G~ 1) ,
Le spineur (a, f3) permet de construire on a L'. = X0" 1 + )'0"2 +w 3, qui peut formelle-
le spineur (-i-P, i a). Ce dernier est lui ment être noté comme un produit scalaire
aussi unitaire et orthogonal à son anté- I; = x -a en posant a= (0-1, 0-2, 0-3 ).
cédent (vérifiez-le !). Ces deux spineurs, Ces trois matrices , dites aussi matrices
indépendants, constituent donc une base de Pauli , « anticommutent » : <J;<Jj
orthonormée de cet espace spinoriel. = - <JO" pour i =I=- j , et elles sont unitaires
1
2 J 2 2 '
Du fait des relations quadratiques du (o- 1 = o- 2 = o- 3 = o-o, ou <J0 = 12 est la
système précédent, les spineurs (a, f3) matrice unité de dimensions 2x2).
et (-a, -/3) définissent les mêmes vec-
(X:,x;,x;'),
3
teurs et donc la même
similitude dans l'espace euclidien. Le
Une combinaison linéaire L ÀiO"i de
i =O
vecteur X associé au spineur (a, f3) doit ces quatre matrices indépendantes
« tourner » de deux tours pour que le spi- constitue une généra li sation de s
neur revienne à sa position initiale. Ceci nombres complexes, appelée nombres
explique les symétries de 720° associées hypercomplexes .
aux spineurs (voir encadré). En particulier, les matrices (Œ);=i,2_3 mul-
Des expressions des coordonnées com- tipliées pari =v=î et la matrice unité 0"0
plexes (x, y, z) de X en fonction de celles constituent la base de nombres hypergéo-
du spineur (a, f3 ), on obtient x - iy =2 a: 2 métriques, isomorphes aux quaternions
et X+ iy = -2 /3 2 • de Hamilton.

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


svmétries et rotations
formation ( ~:) = [A] ( ~ ) , où la
Les rotations de l'espace à trois dimen-
matrice [A] = ( a3 . ai - 'ia 2 )
sion s sont définies par le produit de a1 + ia2 - a3
de ux sy mé tries planes. La caracté- peut s'écrire
-+ ->
ri stique d ' une symétrie f est d'être [A] = a1Œ1 + a2Œ2 + a 3 Œ3 = A · ii. 0
involutive : .f (f(x)) = x pour tout
vecteur x. La structure d'une appl i- Pmsq. ue a 2 + a 2 + a 2 = 1, on ven
1 2 3
, .fi e
2
cation linéaire est caractérisée par des que A = CJ0 , qui est bien la caractéristique
vecteurs x, dits propres, dont l' image d'une symétrie. Symétrie plane.
f (x) leur est proportionnelle, c'est-à- Retenons l'idée du calcul plus que le
dire qu'on a une relation f(x) = Àx détail. Considérons donc deux symétries
pour un certain scalaire À appelé planes, dont les normales Aet B à leur
valeur propre associée au vecteur x. plan respectif font entre elles un angle
Pour toute application linéaire, on a 8/2. Le vecteur unitaire C(c 1,c2, c3)
f O f(x) = f(Àx) = Àf (x ) = À2 x. qui complète ces vecteurs en un trièdre
Pour une symétrie, ceci implique À2 = 1, direct est porté par l'axe de la rotation
et donc À = 1 ou -1 . L'espace se partage constituée par la composition de ces deux
ainsi en un sous-espace invariant conte- symétries. On a A/\ B = sin(0/2)C ,
nant les vecteurs x tels que f (x) = x, et, tous calculs faits, la rotation d' angle 0
et un autre, sy métrisé, où f (x) = -x. est représentée, au moyen des spineurs,
Soit un plan déterminé par un point par la matrice suivante:
0 et un vecteur unitaire A qui lui est R(C, 0/2) = [B][A]
perpendiculaire. Le point M ' sy mé- = ( cos(0/2) - ic3 sin( 0/2)
trique de M par rapport au pl an est ( - ic1 + c2) sin( 0/2)
te l que6"K:f = 0M - 2HM, d 'où
6"K:f = 0M - 2(A •OM)A pui sq ue qui est de la forme(~ ~v),matrice
HM = (A. 6M)Â. unitaire caractéristique des rotations.
On retrouve directement le fait que la
En notant (a 1, a2 , a 3 ) les coordonnées
périodicité pour un spineur correspond à
du vecteur A, l'écriture matricielle T
une rotation d' angle 4rr pour les vecteurs.
de cette symétrie est alors :
Tout comme les matrices sont une repré-

T ~ lo, - 2 G:) (a, a, a,),


sentation des applications linéaires, l'es-
pace vectoriel complexe de dimension 2
des spineurs permet donc de représenter
soit
- 2a1a2 les vecteurs de l'espace euclidien de
T= 1 - 2a~ dimension 3. On peut dire, avec Cartan,
- 2a3a2 que la géométri e spinoriell e, qui a son
identité propre, est à la géométrie vec-
Aux vecteurs x7 et x;' , représentés torielle, ce que cette dernière est à la
par X = x7 + ix;' , corresponde..!:!!_par
géométrie euclidienne.
cette transformation les vecteurs X'i et F.L.
x,;', représentés par 5f = X\ + ix,;'.
Le calcul montre que les spineurs(a, f3) R ÉFÉ RENCES
et (a', f3 ') associés à ces vecteurs X • The theory of spinors. Élie Cartan, Hermann , 1966.
e t 5f se correspondent par la tran s- • Géométrie spinorielle. M ax Morand, Masson et Cie, I 973 .

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par François Lavallou
1

Hnalyse uectorielle ■

des outils pour les champs


L'analyse vectorielle étudie les applications différentielles définies
sur un espace vectoriel euclidien. Mathématiquement rattachée
à la géométrie différentielle, elle a connu un essor dès la fin du
XIXe siècle avec son utilisation intensive en électromagnétisme
et mécanique des fluides.

L
a phys ique traite de notre réalité, trois principaux opérateurs linéaires
dans laquelle les phénomènes du premier ordre (dépendants de déri-
usuels sont considérés comme vées partielles du premier ordre, notée
différentiables, c'est-à-dire « réguliers
dans leur mouvement ». Un champ, sca-
Ôu = :u pour une variable u) .

laire ou vectoriel, définit une application Ce sont le gradient, la divergence et


différentiable qui, à tout point d' un le rotationnel. Sauf avis contraire, on
volume V d' un espace euclidien, associe travaillera en coordonnées cartésiennes
une grandeur (respectivement scalaire, (x, y, z). Pour une écriture synthétique
comme l'altitude ou la température, ou (et sympathique), ces trois opérateurs
vectorielle, comme la pesanteur). Cette peuvent être définis à partir d' un opé-
modélisation d' une dépendance spatiale rateur différentiel vectoriel que Gibbs
par la notion de champ est au cœur de note formellement V (« nabla »), et qui
1'analyse vecto rielle, dont les termes a pour expression V= (ôx, Ô11 , Ôz).
se retrouvent dans les notes de cours Un champ scalaire est une fo nction f
de Josiah Wi llard Gibbs à l' université définie en un point M de coordon nées
de Yale, publiées par son élève Edwin (x, y, z) d' une certaine partie de l'espace.
Wi lson en 190 1. L' analyse vectorie lle Pour un déplacement dM. du point M,
est particu lièrement impliquée en élec- la différentielle totale, ou « accroisse-
tromagnétisme et mécanique des fluides. ment » , du champ f est df = èJ_J dx +
à f dy + à_f dz.
y ,(. ---------+ -
Le gradient ingrédient de base En écrivant df = gradf • dM (comme
un produit scalaire), on définit ainsi le
Dans l'espace euclidien lR 3, notre espace gradient ~ f du champf, générali-
usuel « mathématisé », on a besoin de sation à trois dimensions de la dérivée :

130 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


gra.d f = (êJx f; êJYf, êJJ), de sorte que Pour un déplacement du vecteur A d'un
gra.d f = vJ. point M(x, y, z) à un point M'(x + dx,
Si l'on se promène sur une courbe y+ dy, z + dz) « voisin», calculons son
de niveau f (x, y, z) = c, où c est une flux à travers le parallélépipède rec-
constante, alors d f = O. Ceci signifie tangle de diagonale MM' et de volume
que le gradient est perpendiculaire au dV = dxdy d z .
déplacement dM_, il suit la ligne « de La variation de A (Ax, A Y, A ) le long
plus grande pente». de l'axe x est A x(x + dx, y+ dy, z + dz)
En coordonnées cylindriques, dM_ a 8
-A (x, y, z), soit A x dx = DxA xdx au
pour coordonnées (dr, r d0, dz) . Puisque X
8X
premier ordre.
df = êJJ dr + êJ 0 f d0 + êJJ dz s'écrit
La composante
df= a' fdr + l_a
r 0
Jrd8 + a fdz,
z
on du flux de ce
en déduit que V a pour composantes vecteur à travers
les parois perpen-
(a,, ; êJ 0 , a,). Le principe est le même
diculaires à l'axe
pour tout autre système de coordonnées.
des x de smface
dydz est donc
z ( êJx A , dx) dydz
M
I.e~ coordonnées = aA X X
dV. En
cylindriques. z
additionnant les
composantes
y du flux dans
-~---+---
r toutes les directions, le flux total Le théorème
donne l'expression de la divergence : de Green-
div.A = DxAx + DyAy + DzA z , qui Ostrogradski.
Alors que le gradient indique la direction s'écrit formellement sous la forme du
de la plus grande variation d' un champ produit scalaire div.A = V· A. On
scalaire, la dive rgence div( A ) indique la parle de flux conservatif pour un champ
tendance d'un champ vectoriel A à pro- vectoriel lorsque sa divergence est nulle.
venir d'un point ou à y converger, d'où
son nom. Elle fait correspondre un sca- Circulation et rotationnel
laire à un champ vectoriel. L ' opérateur
divergence est lié au flux d'un vecteur Intéressons-nous maintenant à la cir-
à travers une surface et intervient en culation d'un vecteur de champ A le
physique dans les équations de conser- long d'une courbe fermée C. Pour une
vation. Le flux d<P du vecteur A sortant illustration heuristique, on considère un
de la surface délimitée par un volume rectangle infinitésimal de côtés (dx, dy)
élémentaire d V a pour expression et orthogonal à l'axe des z.
d<P = div( A) dV, ce qui définit intrinsè- La contribution de la circul ation, dans
quement la divergence.C'est le théorème le sens trigonométrique, sur les côtés
de Green-Ostrog radski qui stipule que parallèles à l'axe des x est égale à
le flux du champ vectoriel A à travers (A , (x, y, z) - A , (x, y + dy, z))dx, soit
la surface fermée S d'un volume V est -êJYA _, dS , avec dS , = dxdy . Sur l'en-
égal à l'intégrale sur ce volume de la semble du périmètre du rectangle, on
divergence de ce flux. obtient donc (êJ A - a.Y A )dS.Z
X )' X

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Analyse vectorielle ...

l'opérateur nabla
La lettre grecque ~
(delta) était déjà utilisée pour
éP J 8 2 J 8 2 f
symboliser le laplacien 6.f = x 2 + Y2 + z 2 en
8 8 8
électrostatique. En l'inversant, Sir Hamilton, le père Tl admet lui aussi une notation formelle
des quaternions, crée en 1847 le symbole v' rotA =V/\ A. Il traduit la prope n-
. 1 ( -8 , -8 , -8 ) . sion d' un champ de vecteur à tourner
d e l,operateur
, d.",
111erent1e
8x 8y 8z autour d ' un point ; il apparaît ainsi
Le symbole fut popularisé par Peter Guthrie Tait naturelleme nt en physique des fluides
(1831-1901) qui lui donna, pour sa forme , le nom et électro magnétisme.
de nabla, nom grec d'une harpe assyrienne(!).
Des maths à tort potentiel
Il en fit un usage intensif dans le domaine de la
physique, au point que Maxwell le surnomma le
Nos trois opérateurs fo ndame ntaux
« musicien en chef de nabla » . Ce dernier proposa
sont liés par les formules suivantes :
pour sa part la version palindromique atled, alors div(rot) = 0, rot (graci) = Ô
que Gibbs opte, pour sa simplicité de prononcia- et rot(rot) = graci(div) - 6. .
tion, pour l'apocope del.
Cette derni ère relation constitue une
Dans son cours de l'École polytechnique, Jacques défi nition intrinsèque du laplacien vec-
Hadamard introduit cet opérateur « nabla » et en toriel. Pour un cham p scalaire f, on a
montre l'intérêt évident, selon lui, par la formule 6.f = div(graci f) = V· Vf pour le
v' x (v' x â) = v' (V â) - v' 2 â, équivalente, disait- ----, 2
laplacien scalaire, soit 6. = v' .
il, à rot · rota = grad · div · â - 6.â (sic.). Depuis
De la première relation, on déduit qu ' une
lors, le terme « nabla » qualifie, dans l'argot de l'X,
condition nécessaire et suffisa nte pour
un « truc » , un « machin » , « quelque chose dont la
qu ' un cha mp soit à flux conservatif
définition et l'intérêt sont obscurs ».
(c'est-à-dire div(A) =0) est qu ' il soit un
champ de rotationnel. Ainsi, il existe un
y champ vectoriel A dont le champ magné-
Ax(x,y + dy, .:) tique Best le rotationnel : B = V /\ A .
Le théorème
de Stokes. D' après la deux ième re lation, le champ
dx A, appelé potentiel vecteur, est déter-
miné à un grad ient près. De même, pour
A 1 (x,y, .:) dy ( dSzJ dy A .v (x +dx,y, .:)
un champ A à circul ation conservative,
so it rotA = Ô, il ex iste un champ sca-
dx lai re U, appe lé potentiel scalaire, tel que
X
A= gradU.
La nature lle apparition de ces poten-
tiel s, au cœ ur des théori es électrom a-
D' un e façon gé nérale, la circ ul ation gnétiques et relativi stes, n'est qu ' une des
du champ vectoriel A le lo ng d ' un nombreuses i!lustrations de la richesse
contour C est égale au fl ux d' un vecteur, applicative de l' analyse vectorielle en
le rotationnel, à travers to ute surface physique mathématiq ue.
S s' app uyant sur ce contour. C'est le
fame ux théorème de Stokes ! F.L.

Ta:n9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Les mots sont des vecteurs · 134
Images matricielles, images vectorielles 137
les espaces vectoriels, c'est ludique ! 138
le-dessin de la toile d'araignée 140
11 Lamlleftiser II le cadastre ! 145
les espaces vectoriels musicaux de lannis Xenakis· - 146

Que nous apportent les vecteurs et les espaces vectoriels au-delà d'une présence,
comme toutes les structures mathématiques, un peu partout autour de nous ?
Une ouverture et un enrichissement de notre approche de nombreux domaines,
illustrés par quelques exemples saisissants, où leur présence a opéré une
~ véritable révolution, accentuée par l'avènement de puissants outils de calcul!
~ L'art en a bénéficié de manière étonnante : le graphisme avec le « dessin
1 vectoriel», la littérature avec les sommes faramineuses de textes ou de corpus
disponibles ... Et même la composition musicale où Iannis Xenakis en personne
ouvert la voie à d'intéressantes techniques « vectorielles » !
' f'/

• '
[
ACTIONS par Cyril Labbé

les mots
sont des uecteurs !
Comparer deux vecteurs revient un peu à comparer deux textes.
En fait, cette analogie se révèle très pertinente pour étudier
un corpus littéraire : les outils de l'algèbre linéaire, alliés à la
puissance informatique, permettent de confronter deux textes,
ou de mesurer leurs similitudes.

C
Cyril Labbé (LIG, omment mesurer la similitude On peut par exemple marquer la pré-
université Grenoble- entre des textes ? Il faudrait sence ou l'absence d ' un mot (d'un
Alpes) tie nt à remercier
son homonyme par exemple pouvoir définir vocable). Un texte est alors représenté
Cyril Labbé des distances entre ces objets. Une par un vecteur dont les composantes
(Ceremade, université
manière de procéder est de représenter ont pour valeur O ou 1. Le nombre
Paris-Dauphine) pour
sa relecture attentive. un texte par un vecteur, puis de définir n de composantes du vecteur (la
une « fonction de similarité », ou une dimension de l'espace vectoriel) est
distance, permettant de comparer ces le nombre de vocables considérés, soit
vecteurs. la taille du vocabulaire. En numérotant
chaque vocable de I à n, un texte X
est alors représe nté par un vecteur
(x) ;= i ,, où x; = 1 si le vocable i apparaît
A PLUS OE po, dans le texte, et x; = 0 sinon.
rv1Mv1"S q \JE Cette représe ntation vectoriel le est
que -ru c1toés ! en générale utilisée pour calculer la
proportion de vocabulaire comm un

<(
,, Oeo
~
entre les textes. C'est l ' indice de
Jaccard , que l'on peut définir par :

Sim(X, Y) = L
n
X i Yi
n
~ i= l

"" ~
,, •••
••• avec X= (x);=i .. .,,
••
Orîoo-'E
deux textes de n mots .

134 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


Prenons deux exemples. Le texte S est : Sur notre exemple,
« Le Soleil dit : "Je suis le Soleil. " » DistE(S , L) =
Le texte Lest le suivant : « "Je suis le J0 + 0 + 1+1 + 1+1+0=2.
Soleil " dit la Lune. »
Alors n = 7 etSim(S, L) = (lxl + lxl + Mais en pratique, le nombre d'occur-
Oxl + lxl + Oxl + lxl + lxl)/7 = 5/7 . rences absolu est très dépendant de la
taille des textes. Plus le texte est long,
1 2 3 4 5 fi 7 plus les valeurs des composantes sont
dit je la le lune soleil .mis grandes. Pour ces raisons, on préfère
s 1 1 0 1 0 .1 1
utiliser comme similarité le cosinus
L 1 1 1 1 1 1 1
de l'angle 0 entre les deux vecteurs :
Décompte des vocables présents SimCos(X, Y) = cos 0 =
n
dans l'ensemble des deux textes
et classés par ordre alphabétique.
i =l

Ce n'est pas la taille qui compte ...

Ainsi, l'indice de similarité vaut 1 si


exactement le même vocabulaire est uti- Comme les composantes des vecteurs
lisé dans les deux textes, et Osi les deux sont toujours positives, la mesure de
textes n' ont aucun mot en commun. similarité varie entre O et l. Elle vaut
Cela peut arriver quand on compare 1 quand l'angle entre les vecteurs est
deux textes rédigés dans des langues 0, c'est-à-dire lorsque les deux vec-
différentes. teurs sont identiques (même nombre
On peut raffiner cet indice en remplaçant d' occurrences pour tous les vocables)
l'information de présence/absence d' un ou colinéaires (nombres d'occurrences
vocable M par le nombre d'occurrences multiples l'un de l'autre). La similarité
de M dans le texte. vaut O quand les deux vecteurs sont
Dans ce cas, chaque composante du orthogonaux, c'est-à-dire lorsqu ' ils ne
vecteur indique le nombre d'occurrences partagent aucun vocable. Dans notre
de M .
Sur ce type de représentation vectorielle
exemple, SimCos(S , L) = ;,✓7
11 7
'
on pourrait utiliser une distance eucli- soit environ 0,8 .
dienne classique :
n
Pour tenir compte de la taille (en nombre
de mots) des textes, on peut aussi rem-
DistE (X , Y)= :Z::)x-i - Yi ) 2
.
pl acer les nombres d' occurrences par
i= l
la fréquence relative d ' apparition de
dit je la le lu ne so leil su is chacun des vocables. On peut alors
s 1 1 0 2 0 2 1 interpréter une composante du vecteur
L 1 l 1 1 1 l 1 comme étant la probabilité de rencontrer
un vocable donné dans le texte.
Prise en compte du nombre Un texte est maintenant représenté par
d'occurrences de chaque vocable. un vecteur (x);=1. .. N où x ; = ni / T, ni
étant le nombre de fois que le vocable i

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


ACTIONS Les mots sont des vecteurs !

apparaît da ns le texte et T la taill e du le suit (du verbe« suivre »). Dans cer-
texte (en nombre de mots). Avec ce type taines applications, il est indi spensabl e
de re présentati on, on peut utili ser une d 'év iter de mélanger « sui s » (être) de
distance (dite intertextuelle) de ty pe L 1 : « sui s » (s ui vre) , « été » (être) de la
1 n saison, o u encore « est » (être) de la
J (X, Y) =
2L [xi -
i= l
Yi [ direction orientale. Il est donc souvent
nécessaire de travailler sur des textes où
chaque mot est étiquetés par sa fo rme
d it. je la le lune soleil suis
canonique (entrée du dicti onnair e) et sa
s 1/ 7 1/ 7 0/ 7 2/ 7 0/ 7 2/ 7 1/ 7
L 1/ 7 1/ 7 1/ 7 1/ 7 1/ 7 catégorie grammati cale .
1/ 1 1/ 7
E n pratique, ce type de représentatio n
Les textes S et L représentés par un vectorie lle est très utili sé en rec herche
vecteur de fréquences. d ' info rmation, par exemple pour retrou-
ver les textes similaires à un texte ini -
La distance intertextuelle peut s' in- ti a l qu i sert d e requê te. Une fo rme
terpréter de manière assez naturelle tri viale de texte requête pe ut être une
comme un nombre moyen de mots série de quelque mots cl és. Un moteur
diffé rents pour cent mots, ou en- de recherche documentaire, grâce à la
core comme la proportion de vo- représentation vectoriell e et à un calcul
cables qu ' il fa ut « changer » pour de simi larité, peut cl asser les documents
passer d' un texte à l'autre. Ainsi, réponses du plus pertinent (le plus simi-
(S, L) = ( l /2)x(4/7) = 2/7 , et en chan- laire à la série de mots clés) au mo ins
geant deux mots sur sept on peut « pas- pertine nt. L es mo te urs de recherc he
ser » d' un tex te à l'autre (abstraction (Google, Y ahoo, Bing ... ) peuvent auss i
fa ite de l' ord re des mots). utili ser ce type de représentations pour
comparer les pages Web répondant à une
Un peu d'ordre ... req uête et suppri mer les doublons de la
li ste des réponses fo urnie à l'utili sateur.
Les approches précédentes ne ti ennent
pas compte de l' ordre des mots. De plus, En littérature, la distance intertextuell e
dans S et L, si le Soleil est le soleil , on est aussi uti lisée pour étudier ce qui rap-
peut raisonnabl ement penser que la lune proc he ou é loigne les diffé rents genres
(roman, théâtre, français parlé vs écrit,
poés ie, genre épi stolaire .. . ) ou encore
oK I ootJv o~ r-J'= pour di scuter de la paternité d' une œuvre
~6lf PLùS -(~e,t-!E-rt. (Romai n Gary vs Émile Aj ar, Molière vs
r-1 i EN MA 11-l '? 1 Corneill e). Avec to utes les polémiques
L ·,T,É:12-A"fù Rf que ces trava ux peuve nt susciter. . .

C.L.

ffe7!i:.\ RÉFÉ RENCES


• Mathématiques et littérature. Bibliothèque Tangente 28, 2007 .
• Dossier « Mathématiques et langage ». Tangente 174 , 201 7.

136 Tangente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


par É. Busser et M. Criton EN BREF

Du calcul matriciel dans nos images


Matrices et vecteurs sont devenus des outils mathématiques et
informatiques incontournables pour le traitement numérique
des images.

Images matricielles,
images vectorielles
Dans de nombreux formats d'image se cachent des
concepts de calcul matriciel : matrices de grande di-

O)ô)
mension, opérations algébriques sur les matrices,
transformations géométriques, expression matri-
cielle ou vectorielle d'une forme algébrique... De
même, la représentation des données informatique
emprunte au vocabulaire des matrices et des vec-
teurs : matrices pour figurer un volume, vecteur-ligne Image matricielle Image vectorielle
011 bitmap
ou vecteur-colonne pour représenter une suite de
données, matrice pour coder les pixels d'un écran ...
Les formats d'images matricielles les plus répandus ont pour nom JPEG (Joint Photographie
Experts Group), qui est le format de photo « classique », GIF (Graphical Interchange), et son
remplaçant PNG (Portable Network Graphie). Les formats TIFF (Tagged Image File) ou PSD
(Photoshop Document) pour la retouche d'image sont également très répandus.
Les formats d'image vectorielle les plus populaires se nomment PICT (Apple Picture), qui est
un peu ancien, PDF (Portable Document Format), pour un affichage efficace des documents,
PS (Postscript), intéressant pour l'impression, SWF (Flash), pour des animations sur le Web,
ou encore SVG (Scalable Vector Graphie), qui permet animation et transparence.

Des approches mathématiques différentes


En informa tique, il existe différents formats d'images. Les images matricielles (en anglais
bitmap, ou « carte de points ») sont constituées de points, les pixels (picture elements ), af-
fectés d'une couleur. Un tel objet n'est donc rien d'autre qu'un tableau de valeurs ordonné
et structuré. La définition d'une photo par exemple est ainsi fonction du nombre de pixels
par unité de surface.
Les images vectorielles, quant à elles, sont constituées d'objets géométriques (points, seg-
ments, droites, cercles, courbes de Béziers ... ) repérés par leurs coordonnées. L'intérêt du
mode vectoriel est que tous ces objets d'une image peuvent être modifiés de façon indépen-
dante. Ils peuvent aussi être transformés par des translations, des rotations, des agrandis-
sements (ou des réductions), des déformations faites à l'aide de« poignées» ...

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Michel Criton

les espaces uectoriels,


c'est ludique !
Un espace vectoriel cher aux amateurs de jeux mathématiques
est celui des carrés magiques. C'est l'occasion de mettre nos
connaissances en application !

T
raditio nne ll eme nt, un carré magique la somme de celles des deux
magique d 'ordre n est consti - carrés. Mais si les de ux carrés addition-
tué de n2 entiers écrits dans les nés étaient normaux , les nombres qui
cases d' un tableau n x n. Ces nombres constituent le carré résultant ne sont en
son t disposés de telle sorte que le urs général pas tous distincts.
sommes sur chaque ligne, sur chaque
co lonne et sur chacune des deux diago- On peut également multiplier tous les
nales principales soient toutes égales. nombres d ' un carré magique par un
Un carré magique est normal s' il est même nombre, entier naturel, entier
composé des entiers positifs de J à n2 • relatif, rationnel ou réel. L 'ensemble
des carrés magiques d 'ordre n est un
sous-ensemble de l'ensemble des ma-
Le Lo Shu, 4 9 2 ➔ l5 trices carrées n x n. Si les coefficients du
carré magique carré magique sont des entiers relatifs,
3 5 7 ➔ l5
connu en Chine l'ensemble des carrés magiques d 'ordre
bien avant notre ère. n muni de l'addition case à case et de
8 1 6 ➔ 15
la multiplication par les entiers relatifs
a une structure de module sur l' anneau
des entiers relatifs.
15 15 15 15 15
Un espace de carrés
Si l'on additi onne case à case les
nombres de deux carrés mag iques du L 'ensembl e des matrices carrées
même ordre, le carré résultant est tou- mag iques n x n à coeffi cients réels,
jours magique , avec pour constante muni de l' addition case à case et de la

16 3 2 13 2 7 11 14 18 10 13 27 ➔ 68 Les deux carrés normaux additionnés


5 10 11 8 13 12 8 l 18 22 19 9 ➔ 68 (de somme 34) sont « de type associé »
9 6 7 12 + 16 9 5 4 25 15 12 16 ➔ 68 (les nombres placés symétriquement par
rapport au centre du carré sont complé-
4 15 14 1 3 6 lO 15 7 21 24 16 ➔ 68
mentaires). Cette propriété

68
✓ tttt'\..68 est conservée par l'addition.
68 68 68 68

Tangente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


. MATHS RÉCRÉATIVES

multiplication par un réel, a, lui, une 1 0 - 1 0 1 - 1 1 1 1


structure d'espace vectorie l. C'est un
sous-espace del ' ensemble des matrices A - 2 0 2 B -1 0 ] C 1 1 1
carrées n x n. Sa dimension est égale à 0 - 1
1 1 - 1 0 1 1 1
n(n - 2). Pour l'ordre 3, on a donc un
espace vectoriel de dimension 3. Voici Avec les carrés A et B, on peut construire tous les carrés
(ci-contre) une base possible de cet es- de somme magique nulle, le carré C permettant d'ajuster
pace vectoriel. la constante magique à une valeur donnée.

1. Écrivez le Lo Shu comme une corn- 2. Écrivez le carré d' Albrecht Dürer
binaison linéaire de ces trois carrés. (dont deux cases en bas indiquent sa
date de création, 1514) comme une
Pour les carrés d' ordre 4, la dimension combinaison linéaire de ces huit car-
est égale à 8. Vous en trouverez une rés.
base ci-dessous. Solutions en page 156

1 0 0 - 1 0 1 0 - 1 0 0 l - 1 0 0 0 0
Les carrés A à
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 - 1
A B C D G permettent de
0 2 -2 0 0 1 - 1 0 0 1 - 1 0 0 2 - 1 0 construire tous les
-] -2 2 l 0 - 2 l l 0 - l 0 1 -1 - l 1 1 carrés de constante
magique nulle, le
carré H permettant
0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 l 1 1 d'ajuster la
0 1 0 - 1 0 0 1 - 1 0 0 0 0 l 1 1 1 constante magique
E F G H à une valeur
0 0 - 1 1 0 - 1 0 1 1 1 - 1 - l 1 1 1 l
donnée.
0 - 1 1 0 0 1 -1 0 - J - 1 1 1 1 1 1 1

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS par Georges Marty

le dessin de la
toile d'araignée
Vous êtes-vous déjà laissé aller à dessiner quelques toiles
d'araignée en marge d'un calcul infructueux? Non pas à la
façon d'un entomologiste ( car les araignées ne sont pas des
insectes), mais au gré de votre fantaisie, encadrée par quelques
règles géométriques simples ...

'
L
ave nture m at h éma ti q ue
se ni che parfo is là o ù o n
ne l' attend pa., co mm e au
détour ... d ' une to il e d ' ara ig née . Tout
commence avec un carré servant de
cadre à la toile. L ' arachnide se trouve
initialement sur le côté gauche en A0 ,
pui s va rejoind re les mili e ux des côtés
adj acents en tournant dans le sens des
aiguill es d ' une montre. D ' accord, une
vraie ara ignée ne s'y pre ndrait pas
comme ce la (vo ir Mathématiques et
Biologie, Bibliothèque Tangente 42) ,
mais ic i nous avons affa ire à un e arai-
gnée mathématique ! Cette construction
en va ut d 'a ill e urs bien une autre et sa
récurrence géo métrique simpl e permet
de se changer les idées .
E n avança nt dans le tracé, force est de
constater que l'araignée se dirige vers un
point bi en préc is sur sa toil e. En d' autres
termes, on dirait qu 'ell e converge' C'est
la po11e d' entrée d' une in vestigation qui
va nou s promener agréab lement dans le
paysage ... de l'algèbre lin éaire.

140 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


ILS SONT PARTOUT

L'espace vectoriel des toiles

La suite des points (A 11 ) 11 est parfaite- ,-., 1ovlO"~s


ment déterminée par la suite de le urs
c! ÉTA~T l' Lù5
affixes (z,) 11 , obtenue en immergeant le
cadre carré de la toile d'araignée dans le u ~,e,oî '.
carré du plan complexe délimité par 0 ,
1, i, i + l. On choisira O pour l' affixe du
so mmet Sud-Ouest, l pour le sommet
S ud-Est, i pour le sommet Nord-Ouest
et l + i pour le sommet Nord-Est. Si le
point M a pour coordonnées (xM, YM ),
o n posera zM = xM + i yM et on appe l-
lera zM l'affixe de M (vo ir les Nombres
complexes, Bibliothèque Tangente 63) .
Le point initial de la toile, nommé A 0,
est chois i de faço n quelconque su r le
segment vertical gauche. Son affixe est
z0 = Ài, avec O ,; À ,; 1. Les premiers
termes de la suite sont ain si :
Zo = Ài, géométriques complexes non nulles (q 11 ) 11
z. = 1/2 + i,
1 appartenant à E. La raiso n q d' une de
z2 = 1 + i/2, ces suites est alors soluti on de l'équation
z3 = 1/2, 2q 5 = l + q. Or, mis à part la so luti on
Z.4 = Ài / 2. év ide nte q = 1, les autres racines ne
sont pas facilement access ibl es , et ce la
Les termes s uivants s'obtiennent par même si le théorème fondame ntal de
la relation de récurrence suiva nte : l' a lgèbre nous permet d 'affirmer que
Z 11 +s = (z 11 + Z,, + 1)/2 , du fait que, pour le po lynôme 2q 5 -q- 1, qui est égal à
to ut entier naturel n, le point M 11 +s est (q- 1)(2q 4 +2q 3 +2q 2 +2q+ l ), possède
le milieu du segment [M 11 M 11 + 1l c inq racines complexes . Pas question
L 'ensembl e des suites co mplexes véri- non plus d ' utili ser la méthode de Fe,rnri
fiant cette relation de récurrence est un pour obtenir les zéros du polynôme du
espace vectoriel de dimension finie, quatrième degré apparaissant dans cette
éga le à 5. On le vérifi e aisément en s'as- première factorisation (vo ir à nouveau
surant que c'est un sous-espace vectoriel les Nombres complexes). Quiconque
de l' ensemble des suites à valeurs com- aya nt essayé de mettre en œ uvre cette
plexes : il est stable par combinaisons stratégie ne serait-ce qu'une fo is dans sa
linéaires, et les suites le composant sont vie comprendra immédiatement.
parfaitement déterminées dès la connais- La question est de se prononcer sur la
sance de le urs ci nq premiers termes, conve rgence des suites de l'espace vec-
ceux-ci pouvant être choisis arbitraire- toriel E. Certes , la convergence s' im-
ment et indépendamment. Cet espace pose naturellement sur le dess in de la
vectoriel sera désormai s noté E. toile en cou rs de réali sation. Il importe
L'étude c lass ique de ces suites réc ur- néa nmoi ns de démontrer proprement ce
rentes consiste en la recherche des suites qui apparaît comme une év idence. Pour

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS . Le dessin de la toile d'araignée

cela, il suffit d'établir que le polynôme Toute suite de E s'écrivant comme


Q = 2q 5 - q - l admet cinq racines combinaison ]jnéaire de ces cinq su ites
complexes distinctes, ce qui permettra géométriques convergentes (y compris
d'affirmer que les suites géométriques I" = l) est donc convergente à son tour.
(q,,)n correspondantes constituent une En particulier, la suite de cet espace
base de cet espace de suites. Il suf- qui marque les positions successives de
fit donc de montrer que l ' équation l'araignée est elle-même convergente
2q 5 - q - l = 0 n'admet aucune racine vers un point du carré.
double. Le lecteur attentif remarquera que la
Or, si q est racine double d'un polynôme relation de récurrence Z,,+s = (z,, + Z,,+ 1)/?,
Q, alors q est aussi racine de son poly- n'apporte aucune information sur la
nôme dérivé Q'. On aurait alors simulta- valeur z de la limite de la suite, car
nément 2q 5 - q - l = 0 et 10q 4 - 1 = 0, el le conduit après passage à la limite à
ce qui conduit, en remplaçant q 4 par l'éq uation stéri le z = (z + z)/2.
1/10 dans la première équation (et
après quelques simplifications faciles) Une limite commune
à q = -5/4, qui n' est pas solution de la
seconde équation . C'est une absurdité ! Laissons désormais de côté la base de E
Aussi , les deux équations n' ont pas de constituée des cinq suites géométriques
solution commune, et toutes les racines qui a été utilisée jusqu ' ici. Ell e nous a
de Q sont simples. permis d'établir la convergence de toutes
Il reste maintenant à se convaincre que les suites de cet espace mai s demeure
les su ites (q 11 ) 11 sont convergentes, c'est- abstraite, ne serait-ce que parce que les
à-dire que les racines q de Q vérifient différentes racines du polynôme Q n'ont
lql < 1 ou q = 1. pas pu être calculées.
Démontrons cela par l'absurde : si l' on On peut cependant caractériser ces suites
avait lql > 1, l' égalité 2q 5 = l + q entraî- à partir de leurs cinq premiers termes.
nerait 12q 5 1 = 21q l5 > 21q l = lql + lql > Pour cela, considérons la suite e I de E
lql + 1 2: lq + 11, ce qui est incompatible suivante :
avec l'égalité dont on est partis. e 1 = (1 , 0, 0, 0, O.. . ), suite de E dont
Maintenant, si l' on pose lql = 1, alors seuls les c inq premiers termes sont
12qsl = lq + 11, ce qui implique 2 = lq + 11, précisés, les autres termes s'obtenant
puis lql + 1 = lq + 11. On se trouve alors à l'aide de la relation de récurrence
dans le cas d 'ég alité de l'inégalité e1n+5 = (e 1,, + e111+ 1)/2.
triangulaire, qui n'a lieu qu'en cas de On introduit de même les suites e2,
proportionnalité des complexes q et l. e3, e 4 et es par e 2 = (0, 1, 0, 0, O... ),
Ici , cela se traduit par le fait que q est e3 = (0, 0, l , 0, O... ), e4 = (0, 0, 0, 1, O... )
un réel positif, et donc que q = 1 ; c'est et e5 = (0, 0, 0, 0, 1. .. ).
effectivement l' une des racines de Q, Les suites e 1, e 2 , e 3 , e 4 et es constituent
comme nou s l' av ions déjà observé. une base de E. Aussi , toute suite de E
On déduit de ce travail que le s s ' exprime comme une combinaison
quatre autres racines de l' équation linéaire unique de ces cinq suites cano-
2q 5 - q -1 = 0 se trouvent dans le niques, et ses coefficients sont justement
disque unité ouvert, et qu 'ell es corres- ses cinq premiers termes.
pondent ainsi à des suites géométriques La suite des position s de l' araignée
convergentes. admet donc pour coordonnées dan s

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


ILS SONT PARTOUT

la base (e1, e2, e3, e4, es ) le quintuplet obtient c + 2c + 2c + 2c + 2c = 1, ce qui


(Ài , 1/2 + i , 1 + i/2 , 1/2, Ài / 2). donne c = 1/9.
Examinons maintenant de plus près les Toutes les limites des suites de E peuvent
termes de la suite e5. On trouve aisément alors être fac ilement déterminées, et
0, 0, 0, 0, 1, 0, 0 , 0, 1/2 .. . On constate en particulier la suite des positions de
que, quel que soit l' entier naturel n, on l'araignée, défi nie par ses cinq premiers
a e4,, = e5,,+ 1, e3,, = e5,,+ 2 et e\ = e5,,+ 3 , ce termes, converge vers
qui montre que les suites e2, e3, e4 et e5
ont la même limite!
z= + [Ài+2 (1/2 +i) +2(1+ i/2) +

En outre, si l'on écrit patiemment les 2(1/2)+2(Ài/2)] ,


termes de la suite e 1 , on obtient 1,
So it vers z = _±_
9
+ 3+2À
9
i
.
0 , 0 , 0 , 0 , 1/2 . .. et l' o n constate que
(e5,,)!2 = e\,+ 1, ce qui montre que la Comment construire, géométriquement,
limite de e 1 est la moitié des limites le point de convergence ? Le point Z
précédentes. d 'affixe z varie sur la droite verticale
Désignons par c la limite de e 1• Les suites d 'équation x = 4/9 lorsque l'on modi -
e 2, e 3 , e 4 et e 5 ont alors pour limite 2c. fie l' ordonnée À du point initial A 0 . De
Utilisons la suite non nulle « la plus façon plus précise, Z(z) apparaît comme
simple » de cet espace : la suite constante l' image de A 0(Ài) par une homothétie
de valeur 1 (notez qu 'elle vérifie bien la dont l'écriture complexe prend
relation de récunence qui définit E, et la forme z' = l z + 4 + 3 i
9 9 .
qu ' elle est égale à la suite e 1 + e 2 + e 3 +
e 4 + es). Cette suite a pour coordonnées Son rapport est 2/9 et son centre Q, d'af-
(] , 1, 1, 1, 1) dans la base (e1, e2, e 3 , e4, fixe w, est point invariant, ce qui conduit
es) et donc, par linéarité de sa limite, on à l' égalité w = (4 + 3i)/7. En nommant les

I J

. z·.
•. : 0
-: ..·

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


SAVOIRS Le dessin de la toile d'araignée

sommets du cadre de la toile 0(0), U(l ), [IU] et [OV], V étant aux trois quarts de
l(i) et J(l+i), Q s'exprime comme le la haute ur du segment [UJ] .
barycentre de (U, 4) et (I, 3), relation que Mettons tout cela en pratique. Dess inons
l'on peut encore écrire 7 Q = 4 U + 31. un nouveau cadre carré pour une nou-
Le placement de Q n'étant pas encore velle araignée, plaçons le point V et
immédiat géométriquement sans effec- traçons le point Q comme l'intersection
tuer de ca lcul, on peut rechercher la des segments [IU] et [OV]. Choisissez
position du point intermédiaire V inter- la hauteur du point AO, qui servira de
section des droites (OQ) et (UJ). Les point de départ pour la construction de
relations barycentriques 4 U + 3 I = 7 Q la toile. Vous n' aurez pas trop de mal
et I = 0 + J - U permettent d'obtenir à construire le point Z, image de AO
4U + 30 + 3J - 3U = U + 30 + 3J = 7 Q, par l'homothétie de centre Q et de rap-
puis, en séparant les points 0, Q d'une port 2/9 (divisez le segment [AO Q) en
part et U , J d ' autre part, on obtient trois, puis chaque tiers encore en trois,
U + 31 = 7 Q - 30 = 4V , avec V bary- et prenez deux divisions à partir de Q).
centre de (U , 1) et (J, 3). Il ne reste plus maintenant qu'à vous
Le point Q, centre de l' homothétie, transformer en petite araignée et finir
est donc fac il ement constructible sans le travail de tissage .. .
nécess iter le moindre calcul ! On l'ob-
tient comme l' intersection des segments G.M.

SÏP\OIIIE,

--
STOP 11..
___.-:

144 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par B. Hauchecorne EN BREF

11 lambertiser II ou II vectorialiser II le cadastre


Créé par Napoléon, le cadastre recense dans Pour minimiser les erreurs, l'IGN effectue,
chaque commune les différentes parcelles pour la France métropolitaine, quatre projec-
avec pour chacune divers renseignements la tions de Lambert, l'une pour le tiers nord, la
concernant (nom et adresse de son proprié- deuxième pour celui du centre, la troisième
taire ... ) ; des plans les représentant toutes pour le tiers sud et la dernière pour la Corse.
étaient consultables en mairie. L'informa- Des méthodes de calculs précises ont été défi-
tique passant par là, on a numérisé les don- nies pour gérer les raccordements de ces dif-
nées. Chaque parcelle, vue comme un poly- férentes cartes.
gone, est repérée par un certain nombre de RÉFÉRENCE:
coordonnées ; elle peut donc être considérée Mathématiques et géographie.
comme un vecteur dans un espace de grande Bibliothèque Tangente 40, 2010.
dimension.
Cependant, la représentation graphique est
plane alors que la surface terrestre est sphé-
rique (ou plutôt ellipsoïdique) ; on ne peut
donc conserver surfaces, angles et distances
simultanément. Le choix de l'Institut géo-
graphique national (IGN) est la projection
de Lambert ; elle est conforme, c'est-à-dire
qu'elle conserve les angles. Elle consiste en
une projection sur un cône tangent à la sur- Principe
face terrestre vers le milieu de la carte ; plus de la projection
on s'éloigne du centre de la carte, plus la dé- de Lambert.
formation est importante.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Daniel Justens

les << espaces uectoriels musicau1e >>


de lannis Xenakis
Le célèbre compositeur Iannis Xenakis a introduit en 1963 une
sorte d'arithmétique de la composition musicale, qui repose
sur la notion de structure mathématique, en particulier celle
d'espace vectoriel. Cette contribution de l'artiste se prête
merveilleusement à l'analyse scientifique.

Iannis Xenakis (1922-2001).

ann is (ou Iannis) Xenakis notamment avec Le Corbusier pour

Y est surtout connu du grand


public en tant que compo-
siteur. Il fut l'un des premiers à uti -
créer le pavillon Philips lors de l'expo-
sition universelle de Bruxelles de 1958
(voir Mathématiques et Architecture,
liser l'informatique en musique, fai- Bibliothèque Tangente 61). Il y com-
sant émerger ce qu'il a nommé la bine structures architecturale et sonore
« musique stochastique ». Il bénéfi- pour créer un ensemble indissociable
cia également d ' une formation d'in- de so ns et de volumes. D'origine
génieur et d 'architecte, collaborant grecq ue, encore que né en Roumanie,

Tc:ingent:e Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


il opta finalement pour la nationalité position informatisée implique donc
française. Le nom de Xenakis reste la mise en correspondance réciproque
résolument associé aux lettres et aux des caractères physiques des sons et de
arts : son épouse, Françoise Xenakis, l'ensemble des nombres réels, de façon
femme de lettres bien connue, et leur que les sons deviennent manipulables
fille, la peintre et sculptrice Mâkfo symboliquement, comme les nombres
Xenakis, contribuent de concert à la auxquels ils sont associés. Dans cette
renommée du patronyme. optique, Xenakis s'attelle à la formali-
sation de la notion de gamme au départ
Structures mathématiques d ' une philosophie musicale d'inspira-
et composition tion résolument pythagoricienne.
La musique occidentale est basée sur
Ce qui est révolutionnaire, dans I 'ap- une suite de douze sons, qui traduisent
proche musicale de Iannis Xenakis, un enchaînement de quintes à partir
ce n'est pas tant le recours à l'infor- d'une fondamentale, en se ramenant
matique en musique que l' idée qu ' il « à peu près » à une octave du son ini-
soit possible de créer un espace musi- tial. Mathématiquement, le son quinte
cal obéissant à un nombre minimal est obtenu par multiplication de la
de contraintes, et que cet espace soit fréquence du son par 3/2, l' octave par
à même d 'être totalement engendré multiplication par 2. Il convient donc de
au moyen d ' une modélisation mathé- résoudre approximativement l'équation
matique et, partant, d ' une création (3/2)" = 2"', en restant dans l'ensemble
stochastique. Xenakis défend l' idée des entiers naturels non nuls. La solu-
de l' existence d'une musique totale- tion la plus élémentaire livre n = 12 et
ment symbolique, dont les structures m = 7 puisque (3/2) 12 = 129,75 et que
pourraient directement être déduites 2 7 = 128. En réalité, les choses sont
d ' un symbolisme mathématique. Pour plus subtiles ( voir Mathématiques et
y parvenir, l ' ingénieur-compositeur Musique, Bibliothèque Tangente 11)
introduit ce qu ' il appelle des « struc- et ne permettent pas une définition
tures hors temps », indépendantes du univoque des sons .. .
temps , se référant à ce qu ' il appelle
une « algèbre des intervalles » , avec Xenakis opte donc résolument pour
la volonté de construire un « espace une version tempérée de douze sons,
vectoriel » pour tout ce qui concerne de plus en plus aigus, obtenus suc-
les hauteurs, les intensités et les durées cessivement à partir d'une fondamen-
des sons. Les structures temporelles , tale par des fréquences en progression
indispensables à la création musi- géométrique de raison '1/2. Il nomme
cale, vont s 'expliciter ultérieurement les intervalles sonores ainsi créés des
dans une algèbre d 'opérateurs comme « demi-tons ». Des sons de plus en
« avant » ou « après » , agissant en plus graves sont obtenus à partir de
tant qu ' opérateurs de translation, dans la même fondamentale par divisions
ce que le compositeur nomme des successives par la même valeur '1/2.
« structures en temps » . Cette façon de faire permet à Xenakis
d 'établir une première relation entre
Les ordinateurs génèrent des suites de nombre et hauteur de son. Partant
nombres pseudo-aléatoires. La corn- d'une fondamentale, qui sera l' origine

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


Les « espaces vectoriels ...

de sa représentation sy mbolique (le qui possède évidemment toutes les


« 0 » de l'espace vectorie l en construc- propri étés vo ulues de commutati vité et
tion ), il assoc ie à chaque son un rée l cl ' assoc iativité.
qui quantifi e le nombre de demi -tons
le séparant de la fondamentale choi sie. Des décibels négatifs !
Pratiqueme nt, il transforme la structure
multiplicative des fréquences de sons Po ur compléter son espace, Xenaki s
en structure additive (et clone, dan s quanti fi e éga lement l' intensité de
son esprit, vectorielle). Y aurait-il du chaq ue son (espace G) et sa durée
logarithme (vo ire du « logarythme ») (espace U ). L ' unüé de G sera par
dans l'air ? L ' espace des haute urs exempl e (Mu sique formelle, page 193)
de sons est noté H. Afin de concréti - choisie à di x décibels (dB ), avec une
ser la démarche de Xenakis, vo ici un ori gine située sur 50 dB. Pour étendre
exemple tiré de son ouvrage Musique sa structure et la transformer en es pace
fo rmelle (di sponible en li gne). Le cha- vectori el, Xenakis émet !' hypothèse de
pitre 5, « Musique sy mbolique », est l'ex istence de décibels négatifs ! Des
celui qui nou s co ncerne. L ' auteur choi - va leurs numériques différentes seront
sit, comme unité de mesure de H, le év idemment alors associées à la même
demi -to n, avec une origine située sur a bsence d ' intensité de so n. Pour son
le do grave co rrespondant au la 440 espace de durée, le co mposite ur opte
(fréquence cl ass ique ment utilisée). Ses pour une unüé égale à la seconde, avec
conve ntio ns lui permettent alors d ' in- une ori g ine pl acée en di x secondes. Le
troduire une structure additive sur H. même problè me se pose alors pour cer-
Ain si la va leur « 5 » correspond-ell e taines durées physiques négatives qui
à la note fa, la vale ur « 7 », au sol n'ont qu ' une re présentatio n form ell e.
(cieux demi -to ns plus haut). La somme Sou s ces conve ntions, Xenaki s tra-
5 + 7 = 12 correspond au do situé à va ill e avec l'espace vectoriel produit
l'octave du do fo ndamental. Le son H x G x U. Dans cet espace, le triplet
fondamental do joue le rô le d 'élément (5 , - 3, 5) re présente un fa joué avec une
ne utre dans cette additi on formelle intensité de 20 dB (et donc pianissimo)

Tangente Hors-série n°6S. Les espaces vectoriels


durant quinze secondes. En associant positeur impose drastiquement à son
la croche à c haque seconde, Xenakis modèle est la mieu x adaptée aux évè-
nous e n donne l'écriture traditionnelle ne ments musicaux qu'il entend géné-
(Musiqueformelle, page 194): rer. À vous d 'en juge r e n découvrant
les nombre uses créations du composi-
teur disponibles sur Internet '
C'l --==
1'~ ~ ( so-~o = 20 J.B) D.J.

De même, le triplet (7, 1, - 1) va


être assoc ié à la note sol jouée avec
intensité 60 dB (forte) pendant neuf
seco ndes. La somme de nos deux vec-
teurs, calcul ée fom1ellement par addi -
tion de ses composantes, à savoir le
triplet (12, -2, 4), représente un so n
do a ig u (à l'octave) avec intens ité
30 dB (me zza piano) pendant qua-
torze secondes. L'exemple donné par
Xenakis n'est pas correct (en page
l 94), pui squ' il représente cet intervalle
par une ronde (huit secondes) li ée à
une blanche (q uatre secondes). Mais
il fa llait encore lier le do à une noire !

;-------; J
" ~ (50 -
'"""~ 20 = 5o d. B)

Les exemp les introduits par le compo-


s ite ur, volontairement simplifi és, n ' in-
trod ui sent que des valeurs e ntiè res.
Qu'en est-i l a lors des sons (o u « évè-
nements sonores », comme Xenab s
les bapti se) assoc iés à des va le urs
réelles ? Si leur définition fo rme lle
ne pose pas de problème majeur, le ur
représentation traditionnelle dev ie nt RÉFÉRENCES
imposs ible . .. Mais le travail est plus • Musique formelle. Iannis Xenakis, Revue musicale
complexe encore. Il convient égale- 253-254, 1963, disponible en ligne à l'adresse
ment de confier un timbre parti c ulier à suivante:
chaque son ; surtout, il fa ut introduire http://iannis-xenakis.org/fxe/ecrits/musJonn.html
des structures « en temps ». L' espace • Théories de la composition musicale au xJé' siècle.
de Xenaki s s'enrichit a lors de dimen- Sous la direction de Nicolas Donin et Laurent
s ions supplémentaires. Reste à savoir Feneyrou, Symétrie, 2013.
s i la structure vecto ri e lle que le corn-

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente 149


par Miche l C riton

Uectoriels ou pas,
des espaces magiques
HS6501 - magique ce carré ! v
NiVeau de difficulté
Un carré magique est tel que la somme
sur chaque ligne, chaque colonne et sur 0 très facile
chacune des deux diagonales soit la V facile
même. Vv' pas facile
Vt/V difficile
16 N Vt/VV très difficile
Complétez ce
11 15 carré magique
et trouvez la va-
12
leur de N. Quant aux lunettes à montures translu-
cides (T) , elles ne changent pas les
couleurs.
HS6502 - les lunettes magiques v Il est possible de superposer deux
paires de lunettes. Dans ce cas, leurs
Un magicien vend des lunettes. Celles effets se « composent».
à montures dorées (D) ont la particu- Complétez la table de composition des
larité suivante : quand on les chausse, lunettes magiques.
le rouge apparaît bleu, le bleu apparaît
jaune et le jaune apparaît rouge. HS6503 - Une drôle d'opération ? (1)
À travers les lunettes à montures ar- v't/
gentées (A), le rouge semble jaune,
le jaune semble bleu et le bleu semble Soient deux nombres réels x et y. Une
rouge. loi de composition o vérifie :
(l) (x + y)(x o y) = x 2 o y2, quels que

/4. T D A soient les réels x et y ;


(2) (x o y ) = (x + z) o (y + z), quels que
T T soient les réels x, y et z ;
(3) 1 o O = 1.
D Prouvez que, quels que soient x et y, on
a la relation x o y = x - y .
A

Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


La façade de la Maison de la magie à Blois et ses dragons.

HS6406 - Une suite de matrices vvv

On considère la suite de matrices M (1),


M (2), M(3) ... construite comme suit:
HS6504 - Une matrice antimagique ? On fixe un entier non nul n. Quelle est
vvv 7
Ex iste-t-il une matrice d 'ordre 3, (1) 10
contenant unique ment les nombres
- 1, 0 et 1, telle que les six sommes 13
des lignes et des colonnes soient
toutes différentes ? la somme des termes de la diagonale
principale de M(n)?

HS6505 - Hnti-associatiuité vvv

Soit S un ensembl e à n éléments. Peut-


on trouver une opération o sur S
qui vérifie les deux propriétés sui-
vantes?
(1 ) la simplification à droite :
a o c = b o c implique a = b, quels
que soient a, b etc ;
(2) l 'anti-associativité:
a o (b oc) -:1; (a o b) oc, quels que
soient a, b, etc.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Michel Criton

HS6507 - Une drôle d'opération ? (2) nombre pour obtenir un troisiè me


v'v'v' nombre, et ainsi de suite.
Le sixième nombre que vous obtenez
Soit o une loi de composition interne est 17 347.
définie dans l'ensemble des nombres Quel était alors le premier nombre
réels te lle que, quels que soient les que vous aviez choisi ?
réels a, b et c, on ait :
(l)0oa= - a ;
(2) a o (b oc)= c o (boa). HS6509 - Quatre éléments, c'est tout !
Démontrez que v'v'
a o (b oc)= (a o b) o (- c).
1. Dans l'ensemble E = {2 ; 4 ; 6 ; 8},
on considère l'opération notée * défi-
HS6508 - Deuine nombre vvv nie de la faço n suivante :
Quel s que soient les éléments x et y ap-
Une opération magique sur un nombre parte nant à l'ensemble E, x*y désigne
ne se terminant pas par le chiffre 0 le chiffre des unités du produit xy.
co nsiste à l'additionner avec son sy mé- Montrez que E muni de l'opération
trique en lecture, à savoir le nombre * possède une structure de groupe.
obtenu en le li sant de droite à gauche. Quel est l'élément neutre de ce
Par exemple, une opération magique groupe?
sur 20 17 donnerait 2017 + 7102, so it
9119.
Vous choisissez un premier nombre HS6510 - Ensemble fermé ou non ?
tel que son premier chiffre (celui tout v'v'v'
à gauche) soit strictement inférie ur à
son dernier chiffre à droite (ce lui des On définit une opération o sur l'en-
unités). semble des entiers positifs par :
Effectuez une opération mag ique sur
ce premier nombre pour obtenir un a o b = ab + 2, quels que soient les
deuxième nombre, pui s réali sez une entiers positifs a et b.
opérat ion mag ique sur ce deuxième
Un sous-ensembl e S de l' ensemble des
entiers positifs est dit antifermé vis-à-
vis de o si, et seul ement si, a et b étant
SOURCES DES PROBLÈMES
deux é lé ments quelconques de S, a o b
n ' appartient pas à S.
• Tournoi mathématique de Saint-Michel- en-l ' Herm
Démontrez qu'il existe un ensemble
(HS6501 )
infini T de nombres premiers tel que
• Tangente Sup , POLE (HS6502, HS6508)
T est soit fermé, soit antifermé vis-à-
• Indiana Stare Mathematics Journal (HS6503)
vis de o et trouvez un tel ensemble T.
• Ontario Secondary School Mathematics Bulletin (HS6504)
• Math ematics Magazine (HS6505, HS6506)
• Crux Math ematicorum (HS 6507 )
Solutions p.154
• Championnat des je ux mathématiques et logiqu es
(HS6509)
• American Mathematical Monthly (HS65 IO)

Tan9ente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


par P. Boulanger et M. de Ruelle EN BREF

Tracer un trait : Les matrices, sources


pas si simple 1 d'émerveillement mathématique
Pour tracer des vecteurs, et
Parmi le bestiaire mathématique, les matrices
donc notamment des segments
sont de beaux spécimens. Le lecteur nostalgique
de droite, il suffit de relier deux
points. Le tracé d'un segment de ses études de mathématiques se souviendra
étant à la base de toutes les autres avec ravissement de la découverte que la valeur
instructions graphiques, il importe d'un déterminant est égale au produit des valeurs
de ne pas négliger cette tâche. propres de la matrice associée. Il y a comme cela
Mais l'ordinateur, justement, des moments de grâce mathématique qu'ont vé-
est incapable de tracer une ligne cus tous les étudiants lors de leur cursus ...
autrement qu'en la décomposant La lecture du livre les Matrices multipliera ces
en petits segments de droite ap-
délectations à travers les propriétés de l'objet et
pelés vecteurs. La procédure d'un
logiciel graphique consiste alors à ses applications. La matrice est passée du statut
noircir certains points d'un écran. de procédé de calcul à une existence indépen-
Mais lesquels? Pour le savoir, on dante et riche de significations, justifiant son éty-
superpose au plan de l'écran une mologie de « mère nourricière » (de l'invention
grille de pixels suffisamment fine mathématique).
pour passer par les deux points Ces objets témoignent de la créativité de l'esprit
considérés. Une série de tests humain : dans la querelle opposant les tenants
permet ensuite de sélectionner les
des mathématiques créées ou découvertes, ils fe-
pixels à noircir. Dans la pratique,
raient pencher la balance en faveur des mathé-
la procédure conduit à un segment
de droite « en escalier » si l'on y matiques inventées. Lisez les articles très variés
regarde de très près ... Pour tout et accessibles de l'ouvrage, ils vous transporte-
savoir sur les algorithmes utilisés ront dans un« autre monde». P.B.
pour tracer des droites, le lecteur
est « orienté » vers la Droite, Bi-
bliothèque Tangente 59, 2017.

Les matrices.
Bibliothèque
Tangente 44,
POLE, 160 pages,
2012,
19,80 euros.

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente


par Michel Criton

HS6501 - N = 9.
La« somme magique» est égale à 16 + 11 + 12, a • 0= ~~;c~y O
x~y)
soit 39. On en déduit une à une la valeur des = x+y(x - y
x-y x - y
O o)
cases vides.
= a(l 0)
0

16 9 14 = a.
D' après l'énoncé, quels que soient les réels x
11 13 15 ety:
(x + y)(x O y)
12 17 10 = x2o y2
= (x2 _ y2) o (y2 _ y2)
= (x2- y2) o 0
HS6502- T D A = (x2- y2),
* d'où l'on tire x O
y= x - y.
T T D A
D D A T
HS6504 - Sept sommes sont réalisables : -3,
A A T D -2, -1, 0, 1, 2, 3.
On vérifie que si les sommes -3 et 3 appa-
HS6503 - On rappelle les trois règles de l 'énon- raissent sur deux lignes ou sur deux colonnes,
cé : il n'est pas possible de compléter le carré pour
(1) (x + y)(x O y) = x2 0 y2, quels que soient les avoir six sommes différentes. Il en est de même
réels x ety; si les sommes -3 et 2 apparaissent sur deux
(2) (x O y) = (x + z) 0 (y + z), quels que soient lignes ou sur deux colonnes.
les réels x, y et z ; Par ailleurs, si la somme -3 apparaît sur une
(3) 1 ° 0 = l. ligne et que les sommes 2 et 3 n'apparaissent
Montrons que pour tout réel a, on a déjà pas sur une autre ligne, elles ne peuvent
a O O = a. apparaître en colonne et il ne reste que quatre
Tout nombre réel a peut s'écrire sous la forme valeurs possibles : -2, -1 , 0 et 1 pour cinq ran-
(a+l)+(a - 1) . gées (deux lignes et trois colonnes).
(a+ 1 )-(a_ 1), s01t, en posant x =a+ 1 et
La somme - 3 ne peut donc être utilisée, et il
y=a-1: en est de même pour la somme 3. Il reste cinq
sommes possibles : - 2, - 1, 0, 1 et 2 pour six
x +y (x + y)(x - y)
a= x- Y = (x - y )2 rangées, d'où une impossibilité.
x2- y2 x2
- (x - y )2 - (x - y )2 (x- y)2•
HS6505 - Considérons les éléments a 1, a 2 • • • a11 •
On peut alors écrire : Posons ai * b = ai+I pour tout b (on suppose que
a 11 + 1 = aJ Alors la propriété de simplification
à droite est vérifiée ; en effet, si a; * c =ai* c,
a • O= ((x :_2y)2 (x ~2y y ) • o
alors ai+i = ai+I' d'où i =j.
x2 y2 L'anti-associativité est également vérifiée, car
= (x - y)2 • (x-y)2
ai * (b * c) = ai+I' mais (ai * b) * c = ai+i * c
soit encore = a . + 2.
1

154 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


HS6406 - Le premier nombre de la première
diagonale de la matrice M(n), où n > 1, est
X Y 3-Y 17-X
égal à:
(n - 1)3 / 3 + (n - 1)2 / 2 + (n - 1) / 6 + 1, et le 17-X 3-Y Y X

dernier nombre de cette même diagonale vaut


n3 / 3 + n 2 / 2 + n / 6 + l. On en déduit la somme
des n nombres de la première diagonale de la
matrice M(n), égale à n4 ! 3 + n2 / 6 + n / 2.
......
1

z
7

T
3

13-Y-T
4

8-Z
7

8-Z 13-Y-T T z

---
9 y 3-Y 8

HS6507 - Quels que soient les nombres réels a,


b et c, nous avons :
V w 8-V
a o (b oc)
= (0 o (- a)) o (b o c) 8-V w V

= (0 o (0 o a)) o (b oc) 9 6 8
= (a o (0 o 0)) o (b o c)
= (a o (- 0)) o (b o c) Nous avons obligatoirement X = 9 et nous
= (a o 0) o (b oc) sommes dans le troisième cas pour le cin-
= c o (b o (a o 0)) quième nombre : 4 - Y= Y, d'où Y= 2. Le
= c o (0 o (a o b)) cinquième nombre est donc 9218. Si nous
= (a o b) o (0 oc) étions dans le troisième cas pour le quatrième
= (a o b) o (- c). nombre, alors Z = 4, qui entraînerait T = 11.
Une telle opération existe, par exemple celle Nous sommes donc dans le premier cas et
pour laquelle a o b = a - b (voir le problème Z = 1. Le quatrième nombre est 1 837 et le
HS6503). troisième nombre 968 (troisième cas).
W = 8. Si nous sommes dans le premier cas
HS6508 - Trois cas sont possibles. pour le deuxième nombre, alors V = 1 et le
1. Lorsque la somme des deux derniers chiffres premier nombre est 89. Si nous sommes dans
est (10 + N) avec O :;; N :;; 8, l' opération le troisième cas, alors V = 4 et le premier
donne 10 .. 0, 11..1, etc., 18 .. 8 ou, si une rete- nombre est 143.
nue intervient sur le rang le plus à gauche,
11..0, 12 .. 1, etc., 19 ..8.
2. Lorsque cette somme est 9, l'opération HS6509-
donne 9 ..9 ou 10 .. 9. on vérifie que 6 est l' élément neutre de l'opé-
3. Lorsqu'elle est N avec 2 :;; N:;; 8 (pas de 0 ration * dans E, que chaque élément possède
aux extrémités), l'opération donne 2 .. 2 , 3 .. 3, un symétrique pour cette opération (6- 1 = 6,
etc., 8 ..8 ou 3 .. 2, 4 ..3, etc., 9 ..8. 3- 1 = 2, 4- 1 = 4, 2- 1 = 8). Enfin, l'associativité
Le sixième nombre étant 17 347, nous sommes de la loi * découle direc-
dans le premier cas, représenté par le tableau tement de celle de la
suivant. multiplication dans l'en-
semble des entiers natu- 4 2 6
rels. Le groupe (E, *) est
2 6 8
isomorphe au groupe
cyclique d'ordre 4. 6 8 4

Hors-série n°65. Les espaces vectoriels Tangente 155


HS6510 - Nous avons 3 o 3 = 11 , qui est bien Solution de la nouvelle de la page 63
pre mier, mais si p -:;:. 3, 3 divi se p o p. On en
déduit qu ' aucun ensemble non vide de nombres Cas de valeurs de po ids entières vérifiant la
pre miers n 'est fermé . li s' agit donc maintenant propriété : si tous les poids sont pairs, on peut
de montrer qu ' il existe un ensemble infini de les diviser par 2 jusqu 'à arriver à au moins
no mbres premiers anti-fe rmé . une valeur impaire. Comme la propriété est
Si E est un ensemble in fi ni de nombres pre- toujo urs vérifiée, tous les poids seront impairs.
miers, on obtient un sous-ensemble T anti-fer- On peut retrancher à tous les poids la plus
mé de E en choisissant un élément t 1 de E, petite valeur de la distribution. Soit on obtient
puis en défini ssant t,,+ 1 pour tout n > l , comme des poids tous nuls (donc ils étaient tous égaux
étant le plus petit élément de E stricte ment au départ), soit il reste au moins un poids no n
plus grand que t,,2 + 2. Il est donc fac ile nul. S' il est impair : il est dans une di stributio n
de construire un ensemble infi ni de nombres qui contient le po ids O (pair) et on arri ve à une
premiers anti-ferrné en respectant l'inégalité contradictio n par rapport au résultat énoncé par
t,,+ 1 > t,,2 + 2, par exemple : Epsilon. S 'il est pair : on peut continuer à di v i-
{3, 13, 173, 29947 ... }. ser les poids par 2 jusqu ' à arri ver à un poids
impair et un poids nul dans la distributi on ;
nouvelle contradiction. Donc tous les po ids
Solution des maths récréatives de la page 138 étaient égaux au départ.
Cas de valeurs de poids réelles : on considère
l. Lo Shu = -3A + 4B + SC ou l'espace vectorie l E e ngendré par les vecteurs
Lo Shu = - A+ 4B + SC. (p 1, p 2 • .. , p 11 ) correspondant aux onze poids de
2. La constante magiq ue des carrés n' étant valeur réelles. So it (e 1, e2 .• . e,,) une base de E,
pas multiple de 4, on peut chercher une com- avec n ~ 11 . Pour tout P;, il existe une fa mille
binaison linéaire pour le double du carré, pui s \_ , ''ï_••• \ _,, te lle que pi = ,.,_ e + \ . e
1 2 1 1 2 2
multiplier par 1/2. + . .. À,_ . ,, e,, avec les coefficients À . / _ ratio n-
/,

On obtient 15A - llB - 13C - 70 + 3E + SF nels, IR étant un Q-espace vectoriel. La base


+ G + 17H. (e 1, e2 ... e,,) étant li bre, chaque famille
Référence : Vector spaces of magic squares. ( À. 1. J , À. 2 . .. . À. 11 ) vérifie la propriété. Il s ' agit
,} .J
James W ard III, Mathematics de ratio nnels, donc, d 'après la démonstratio n
Magazine 53, 1980. d'Epsilon, pour tout j , tous les (\) 1s ;s i i sont
égaux. Ainsi, tous les /J; sont égaux.
Référence:
Énigmes mathématiques corrigées.
G uiii aume et C lément Deslandes ,
E ll ipses, 20 14.

156 Tangente Hors-série n°65. Les espaces vectoriels


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Tan9ente Hors-série n° 65
Vecteurs , espaces vectoriels

Tangente
Publié par le s Éditions PO LE
Sf1 S au cap ital de 42 000 euro s
Siège social
BP 101 76 - 75 263 Pari s ce de:-; 06
Commi ss ion paritaire : 1021 T 8088 3
Dépôt légal ÎI parution
Directeur de la publication
Gilles COHEn
Directrice de la rédaction
martine BRILLEHUD
Coordination du numéro
Bertrand HHUCHECORUE
Secrétaire de rédaction
Édouard rnomns

Ont collaboré il ce numéro


Philippe BOULHUGER, Élisabeth BUSSER,
michel CRITOn, Jean-Jacques DUPHS,
Daniel JUSTEns, Cyrille LHBBÉ, François LflUflLLOU,
Herué LEHnmG, Georges mflRTY,
Dominique OWCZHRSIU, llylie RflUERfl,
Emmanuel ROLLIRDE, Pierre SCHmlTT

maquette
natacha LflUGIER, noémie SOUILLHRD

Photos : droits réserués

Dessins : Julie LflmBERT [catoune.com)

Couuerture : © Collectif Scowcza, étude réalisée en 201 S

ftbonnements
abo@poleditions.com
0232221393-Fax:0232221397

Achevé d'imprimer pour le compte des Éditions POLE


sur les presses de l'imprimerie Bialec à Heillecourt (54, France)
Dépôt légal - Novembre 2018
toriels
Le concept de vecteur, puis d'espace
vectoriel, s'affine progressivement tout
au long du x1xème siècle dans le but de
formaliser l'espace qui nous entoure.
Des éléments fondamentaux sont intro-
duits : base, dimension, déterminant,
application linéaire ...
La géométrie, et c'est une révolution,
peut être traitée comme une branche de
l'algèbre. Cette nouvelle approche
apporte des solutions miraculeuses à
certains problèmes réputés difficiles.
L'espace vectoriel a ensuite conquis peu
à peu les grands continents mathéma-
tiques que sont l'algèbre et l'analyse,
puis l'ensemble des sciences.
Qui, mieux qu'un vecteur, peut encoder
la direction, le sens, la force d'un mou-
vement ? Que ce soit pour retoucher
une image numérique, évaluer l'orbite
d'un corps céleste ou réaliser le calcul
approché d'une intégrale, on ne peut
plus s'en passer !
De nombreuses applications sont mises
en évidence, dans des domaines variés :
le dessin vectoriel, le traitement de
données de masse, et même des tech-
niques de composition musicale, illus-
trées par Iannis Xenakis.

Prix: 22 €
POLE•

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