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Mille ans I

des mathé .

1001-2000: l'accès
Bibliothèque
Tcin e

Tangente Hors-série n° 10

Mille ans d'histoire


des mathématiques
1001-2000 : l'accès à la modernité
Sous la direction d'Hervé Lehning

• POLE

© Éditions POLE - Paris 2005


Toute représentation, traduction , adaptation ou reproduction , même partielle, par tous procédés, en
tous pays, faite sans autorisation préalable est illicite, et exposerait le contrevenant à des poursuites
judiciaires. Réf.: Loi du 11 mars 1957 .
I.S.B.N. 2-84884-029-3 I.S.S.N. 0987-0806 Commission paritaire 1006 K 80883
Mille ans d'histoire des mathém

Sommaire
INTRO Les étapes d'un millénaire
Après les flux et reflux des périodes antiques, le
deuxième millénaire de notre ère se caractérise par un
progrès continu des champs de la connaissance et des
mathématiques en particulier. Une étude détaillée
laisse cependant voir de grandes époques et une
respiration de l'histoire.

Numérologie, la tentation ésotérique

DOSSIER Histoire des idées : l'époque classique


Pour décrire les phénomènes naturels, Newton
invente le calcul infinitésimal. Jugée non rigoureuse,
la notion d ' infiniment petit est évacuée par Cauchy et
ne sera réintroduite que très récemment dans
l'analyse non standard. Galois, de son côté, apporte
une contribution majeure aux mathématiques de son
temps et de ceux qui suivront.

Newton ... et la physique devint mathématique


Les infiniment petits : actuels ou potentiels ?
Évariste Galois : génie méconnu ?
Petite histoire des récréations mathématiques
L'invention des nombres rééls

DOSSIER Les noouelles tendances


D'un XVIIIe siècle où Voltaire surnommait Dieu « le
grand horloger», la science entre avec Poincaré dans
une ère où l'univers affiche un comportement
mystérieux. De même, les courbes très régulières des
mathématiciens échouent à modéliser certains
phénomènes naturels : il faut inventer la géométrie
fractale. Enfin les ordinateurs engendrent d'autres
domaines d'études comme celui des automates.

Sept défis pour un millénaire


La logique moderne de Boole à Godel
Le chaos : grandeur et misère du linéaire
Géométrie fractale
Les automates : maths avant tout
DOSSIER Éuolution des techniques
Pratique, rapide , efficace : notre système actuel de
numération est le fait d 'une lente maturation depuis les
Arabes jusqu'au Moyen-Age. Cette étape était
nécessaire avant de commencer à calculer avec des
lettres, à faire de l'algèbre. En inventant les repères qui
portent son nom, Descartes a ensuite ramené la
géométrie à l'algèbre. Toujours soucieux d 'éviter ou de
simplifier les calculs, les mathématiciens inventèrent
les logarithmes, ou plus tard les logiciels de calcul
symbolique.

Symbolisme et mathématiques arabes


Moyen-Âge : la numération décimale s 'impose
Viète : la naissance du calcul littéral
Le repère de Descates
Des logarihmes au logarithme
Calcul symbolique : avenir des mathématiques ?
Les tables de mortalité aux XVIIe et XVIIIe siècles

DOSSIER Les grands problèmes


Pourquoi les Grecs ont-ils privilégié la règle et le
compas pour la construction des courbes? Quelle qu'en
soit la raison véritable, ce choix a marqué les
mathématiques jusqu'à nos jours. Autre héritage des
Grecs, l'arithmétique ne verra son véritable avènement
qu'avec Pierre de Fermat, célèbre grâce aux problèmes
qu'il a résolus, mais aussi à celui qui n 'a pu être
démontré que récemment et qui porte son nom.

Constructions à la règle et au compas


Résolution des équations algébriques
Les probabilités : une paternité multiple
Fermat ou l'avénement de l'arithmétique
Les nombres premiers
Le fabuleux nombre 3t
D'impossibles problèmes
Le cercle enfin carré

En bref
Problèmes

Solutions

ll!JII Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d'histoi ·


EN BREF

Où sont les femmes ?

Tel père, telle fille ... Maria Gaetano Agnesi


Maria Gaetana Agnesi (1718-1799) est fille d'un professeur milanais.
À 9 ans , elle compose un poème en latin qui constitue un véritable ,
plaidoyer pour le droit des filles à l'éducation supérieure. Fine lettrée,
connaissant, outre le latin , le grec, l'hébreu et plusieurs langues
vivantes, elle apporte dans les deux tomes de son lnstituzioni
analytiche (1749) une contribution d'algèbre, de
géométrie et d'analyse infinitésimale /a mieux faite qu'il
y eût en ce genre , aux dires de l'Académie des
Sciences. Insigne honneur, elle laisse son nom à
une courbe du troisième degré, qu'elle nomme elle-
même « versiera », la sorcière ...

Lorsque (OP) pivote autour de 0,


M décrit la « cubique d' Agnesi » . M.,,__--+----<

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente D


HISTOIRES par Hervé Lehning

Les étapes
du millénaire
Après les flux et reflux des périodes antiques, le deuxième
millénaire de notre ère se caractérise par un progrès continu
des champs de la connaissance et des mathématiques en
particulier. Une étude détaillée laisse cependant voir de
grandes époques et une respiration de l'histoire.

aire co mmencer une hi stoire

F
sous le nom de Sylvestre II .
des mathé matiques en l'an Enseignant à Reim s l'astro nomie , les
1001 semble une gageure . Yu mathé matiques et la log ique , il déve-
de lo in et intell ectue ll e ment parlant , loppa l' usage de l 'abaque et construi sit
ri e n ne bouge avant le xv1e s iècle. des instrume nts astro nomiques. Nous
Cepe ndant , cette vision de ]' hi sto ire lui devons auss i la pre mière introduc-
est abu sive pour au mo in s de ux ra i- ti on des chi ffres ara bes e n Occ ide nt.
son s . Tout d 'abord , ell e met exagéré-
me nt le centre de la pl anète e n
Occ ide nt c hrétie n. Les Ara bes
n'ava ie nt pas perdu les acqui s de
I' Antiquité. Ensuite, elle fait ]' impasse
sur la renaissance médiévale. En effet,
Le Moyen-
le Moyen-Âge n'a pas été auss i obscu-
Âge n'a pas rantiste que sa caricature le laisse par-
été aussi foi s croire.
obscurantiste
Le pape de l'an mil
que sa
caricature L'égli se catholique passe souvent pour
le laisse l' in stituti on la plu s obscura nti ste de
ces te mps. La fi gure du ponti fe de I'An
parfois Mil contredit cette idée pui squ ' il s' agit Gerbert d 'A urillac
croire. de Gerbert d' Aurill ac, qui dev int pape (946-1003)

O Tc:in9ente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


INTRODUCTION

Faut-il s'en éto nner ? Sans doute


moins qu ' il n'y paraît. Les monas tères
étaie nt les seul s lie ux de culture de
cette époque. Gerbe rt ava it découvert
ces chiffres en Espag ne, alors partie du
monde mu sulm an . Ne vo us étonnez
pas tro p de cette présence d ' un mo ine
dans un tel lieu. Les croisades n'ont pas
encore eu lieu.

Transmission

À l'époque de Gerbe rt , les co nna is-


sances mathé matiques g recques et
indi ennes co mmencent à pé nétre r
l' Occ ident , princ ipa le me nt à trave rs
les relati o ns co mme rc ia les avec
l' Ori e nt, le ro ya ume no rmand de Voies de transmission des mathématiques
Sic il e et l'Espag ne. Le sièc le qui s uit grecques e t indiennes à l'Occide nt chré tien
sera ce lui des traducteurs. Les
Eléments d 'Euc lide so nt traduits en Le repère de Descartes). Ces deux
latin ainsi que les tables as tronomiques grands apports se situent donc surtout au
d ' Al-Kh warizmi . De cette tra nsmi s- ni veau technique. Rien de péjoratif dans
sion par les Ara bes, nous devons cette remarque, ce ni veau était indispen-
d'a utres mots co mme algèbre (vo ir sable aux progrès ultérieurs.
Symbolisme et mathématiques arabes) La véritabl e redécou ve rte des math é-
ou sinus (tradu cti on latine du mot matiques se situe quand ces techniques
ara be « ja ib » déform ati o n du mot de calcul a lli ées au symbo li sme a lgé-
indien signifiant « corde»). brique (vo ir l'arti cle: Viète, la nais-
sance du calcul littéral) commencent à
Hssimimiliation progressiue féco nder le vie il hé ritage grec . No us
so mmes a lo rs e n pl e ine Re na issance,
Les premières traducti o ns ne sont pas au xv1e sièc le. Les a lgè-
accompagnées d ' une co mpréhension bri stes ita li e ns (Card an ,
profo nde des tex tes. Aucun progrès Tartagli a, Ferrari) résolvent
dans la lignée des anciens ne les accom- les équations du troi siè me et
pagne. Les mathématiciens de l'époque du qu atri è me degré. Il s
sont dava ntage intéressés par les nou- éc ho ueront s ur les équ a-
vell es techniques de ca lcul. Ell es sont ti o ns généra les de
utiles pour le commerce . Nous les degré supé ri eur et il
devons essentie ll ement aux Indi ens et fa ud ra atte ndre le
aux Arabes. Les plus grands mathémati- XIXe siècl e pour
ciens de l'époque fu rent Fibonacc i (voir qu 'A be l dé montre
l'article Moyen-Âge : la numération l' imposs ibilité de
décimale s'impose en Occide nt) et cette tâc he (vo ir
Oresme, précurseur de l' utili sati on des l'arti c le La résolu-
systèmes de coordonnées (voir l'article tian des équations). Tartaglia

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente D


HISTOIRE Les étapes du millénaire

plus célèbres du point de vue des


Simon Stevin est né à mathématiques. Sans doute faudrait-il
Bruges en 1548 et mrn1 à La citer également Simon Stevin , Galilée
Hag ue e n 1620 . C'était un et Kepler. Ces deux derniers sont plus
très bo n ingénie ur, il a connus comme astronomes , le premier
co nstruit des mo ulin s à comme ingénieur et physicien. Cette
ve nt , des éc lu ses e t des époque prépare également la suivante ,
ports. En mathématiques , il puisqu'on y voit plusieurs mathémati-
a introduit !'utili sati o n des ciens devenir maîtres des méthodes
décimales en Occ ident. Il a d ' Archimède de calcul d'aire. Ce sont
éc rit plus ieurs li vres les véritables précurseurs modernes du
impo11ants de mécanique. calcul infinitésimal et de l'introduction
des mathématiques dans les sciences
physiques. La tradition médiévale dans
le début des temps modernes cette discipline venait d ' Aristote. Elle
voulait trouver des explications aux
La pleine éclosion des mathématiques phénomènes naturels et non se conten-
modernes attendra le XVIIe siècle. Les ter de les décrire pour les prévoir
découvertes succèdent alors aux comme nous le faisons depuis (voir
découvertes : logarithmes avec Napier l'article Newton et la physique devint
et Briggs (voir l' article Des loga- mathématique).
rithmes au logarithme), naissance des
probabilités avec Pascal (voir l' article l'explosion mathématique
Les probabilités : une paternité mul-
tiple), Descartes (voir l'article Le La grande époque est juste postérieure.
repère de Descartes) et Fermat (voir Le xvue siècle voit successivement
l'article Fermat ou l'avènement de l'invention du calcul infinitésimal et
l 'arithmétique) pour ne citer que les son utilisation pour résoudre les pro-
blèmes de tangente et de calcul d'aire
ainsi que de nombreux problèmes de
Ga lilée es t né à Pi se e n 1564 et mo rt physique.
près de Flore nce e n 1642. li est surtout De plus, à partir de ce siècle , on peut
connu pour ses trava ux e n mécanique parler de croissance explosive de la
e t e n as tron o mi e a ins i que par son recherche en mathématiques . Une
procès o rdonné par le pape de l'époque façon sans doute approximative mais
a u cours duque l il dut abjure r ses néanmoins objective de la mesurer est
erre urs. « Et pourta11t , elle tourn e » de compter le nombre de périodiques
a ura it - il aj o uté da ns sa barbe se lo n la contenant des articles concernant les
légende . À cette é poque, les sa va nts mathématiques . Jusqu ' en 1700 , on
étaie nt beaucoup plus générali stes que n' en dénombre que 17. A la fin du
de nos jo urs, la sc ience était éga le ment siècle, on en trouve 210 et un siècle
mo ins éte ndue . D 'a utre part , les plus tard 950 . Combien à la fin du xxe
astronomes avec leurs calcul s sont les pre miers consomm ate urs siècle? L' unité de compte est devenue
de mathé matiques. À l' he ure ac tu e ll e , a uc un mathé m ati c ie n ne la dizaine de milliers.
do mine to utes les bra nc hes de sa propre di sc iplin e, sa ns pa rl e r
des a utres . Mais revenons au XVIIe siècle. Dans un
premier temps , ces avancées scienti-

K:JII Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
INTRODUCTION

fiques se font au détriment de la La circonférence d'un cercle étant proportionnelle à son


rigueur. L' introduction d' infiniment diamètre, le premier demi-cercle a même longueur que
petits actuels c'est-à-dire existant réel- les deux demi-cercles de diamètres moitié, que les
lement comme quantités non nulles quatre demi-cercle de diamètre quart et ainsi de suite.
inférieures à tout nombre réel stricte-
ment positif aboutit facilement à des Nous arrivons ainsi à une figure se confondant visuelle-
absurdités. Les grands mathématiciens ment avec le ruamètre de départ et de même longueur que
de l'époque n'en étaient d 'ailleurs pas le premier demi-cercle. Un raisonnement trop rapide per-
dupes et voyaient en fait ces infiniment mettrait de conclure que le demi-cercle a même longueur
petits comme potentiel s. Il s'agissait que le ruamètre c'est-à-dire que rc = 2 .
de quantités variables pouvant être
rendues aussi petites que désirées. Ces Ceci est bien entendu absurde et montre le type de para-
subtilités restaient bien obscures à la doxe que peut produire des
plupart et leur faisaient comparer les raisonnements abusifs si
mathématiques à la théologie . La l'infini est en jeu.
manipulation d 'ex press ion formelle
comme la somme infinie : La notion de longueur ne
1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + ... passe pas forcément à la limite.

aboutissait à toute sorte d 'erreurs. Pour fondement théorique rigoureux dans la


rester sur cet exemple, en groupant les seconde moitié du xxe siècle. Cela
termes deux à deux des deux façons n'enlève rien à l'importance de la
différentes, on obtient deux résultats construction entamée par Cauchy.
différents : Cette clarification des bases n'en resta
(1 - 1) + (1 - 1) + ... = 0 pas là. Les découvertes du XIXe siècle
1+ (- 1 + 1) + (- l + 1) + ... = 1 vont amener les mathématiciens à
essayer de préciser les fondements des
Ces deux résultats sont bien entendus mathématiques . Ce sont des recherches
faux. Euler en déduira que le résultat sur les séries trigonométriques intro-
exact est la demj-somme c'est-à-dire duites par souci des applications en
1/2 . L'i ntuition d ' Euler était tout à fait Physique qui vont produire une préci-
correcte majs , sans définition adéquate sion de cette notion apparemment si
de la somme d ' une série, Je raisonne- simple d 'ensemble.
ment sous-jacent n'est guère soutenable
(voir l'article Infiniment petits : actuels la crise des fondements
ou potentiels ?) .
Si nous restons au niveau du vocabu-
Retour à la rigueur laire courant et baptisons « ensemble »
toute collection d 'objets considérée
Le retour à la rigueur des Anciens vint comme un tout unique . Il s'agit alors
avec Cauchy. C'est à lui que nous de l'ensemble de ces objets. Dans ce
devons la définition des limites et de la cas, nous arrivons vite à de nombreux
continuité utili sée de nos jours dan s paradoxes. C'est pour cette raison que
l'enseignement secondaire. Les infini- cette « théorie » des ensembles est dite
ment petits actuels disparaissent des naïve . Le paradoxe le plus simple a été
mathématiques jusqu'à ce fourni par Bertrand Rus sel (voir l'ar-
qu'Abraham Robinson leurs donne un ticle La logique moderne : de Boole à

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente 11;]111
HISTOIRE Les étapes du millénaire

Gode!). Il est li é à la notion d'en- connus. Un certain nombre d 'ax iomes


semble de tous les ensemb les. Georg étant adm is, les Mathématiques se
Cantor a montr.: q ue ce dernier est réduisaient alors via quelques principes
paradoxal en lui-même. de raisonnements à la Logique.
D'autres paradoxes sont apparus dans Les règles de départ d ' une théorie sont
différents domaines des mathématiques. appelées ses axiomes. Ils ne sont pas
Bertrand Russell a montré que tous ces censés avoir de sens en eux-mêmes.
paradoxes étaient plus ou moins équiva- Les seu les conditions que l'on puisse
lents à celui d ' Épiménide. Ce philo- poser concernant ces axiomes sont
sophe créto is du v,e siècle avant d 'être consistants et complets c'est-à-
Jésus-Christ aimait dire : « les Crétois dire de ne pas conduire à des résultats
mentent toujours ». Etant lui-même cré- absurdes et de permettre de prouver
tois, cette phrase était donc un men- tous les résultats vrais de la théorie.
songe. Conclusion : Epiménide disait la Il n'est pas besoin que ces axiomes
vérité et donc il mentait , etc . Le cercle aient une signification sensible. Les
vicieux était qu 'Épiménide étant lui- noms des objets introduits n'ont pas de
même crétois énonçait une assertion sens en eux-mêmes. Seules leurs rela-
impliquant tous les crétois, lui -même tions importent. Ainsi, l'ax iome de
compris. Autrement dit, cette phrase géométrie élémentaire : « par deux
était autoréférente. points distincts , il passe une et une
seule droite » pourrait être changé en :
la méthode axiomatique « par deux bretzels distincts , ils passe
un et un seu l bock de bière » si dan s
L'ex istence de tels paradoxes fit sentir les axiomes de la géométrie, nous rem-
que les mathématiques étaient bâties sur placions « point » par « bretzel » et
des bases peu solides. La réponse à ce « droite» par « bock de bière ».
problème fut le dés ir d ' étendre la Pour les formalistes comme Hilbert
méthode axiomatique telle qu 'Euclide (voir l'article La logique moderne: de
l'avait conçue à toutes les mathéma- Boole à Gode!), cet d' oubli du sens des
tiques. L' idée de départ était de créer des objets mathématiques pour ne s'occuper
bases qui excluaient les paradoxes que de leur forme était la condition à

II!J Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
INTRODUCTION

atteignable par un ordinateur, fut-il très


puissant.
Dans une vision humaniste , ce résultat
est somme toute très rassurant.
Finalement , aucune machine ne sup-
plantera jamais l' homme .

Bourbaki

Ceci dit , une idée ainsi lancée ne s'ar-


rête pas comme cela. L'époque
Bourbakiste devait naître de la concep-
tion de Hilbert. L' idée de ce groupe de
mathématiciens français était d 'écrire
un traité de toutes les mathématiques
Henri Ca rta n est né e n 1904 à Nancy « achevées » . Les domaines en mou-
o ù fi g ure un e statu e du gé né ral vement étaient ignorés et laissés
C harl es Bo urba ki qui , e n son te mp s , volontairement en dehors du traité. Le
ne fut pas auss i o bsc ur que la légende défaut principal est sans doute que ce
veut bie n le dire . fait n'est pas toujours perçu par le lec-
teur. Ainsi , les mathématiques pourtant
très vivantes au xxe siècle, y semblent
payer pour éviter les paradoxes. mortes.
L' important était de montrer la consis-
tance et la complétude d' une théorie. Ce nouuelle réuolution
programme bien modeste en apparence
ne put être mené à bien même pour les À propos de ce courant bourbakiste, on
théories les plus élémentaires comme a souvent parlé de mathématiques
celle des ensembles ou l'arithmétique. modernes. Ce qualificatif devrait tou -
Godet prouva qu 'i l était imposs ible de jours être évité car ce qui est moderne
prouver qu'un système assez riche pour un jour est ancien le lendemain . Ceci
contenir l'arithmétique était complet. dit , les mathématiques sont à nouveau
Plus précisément, il existe des résultats dan s une période de découverte.
vrais dans une théorie dont on ne peut Comme au XV IIIe siècle , il en sort le
prouver qu'ils le sont en restant dans meilleur comme le pire. L' hi sto ire
cette théorie . Godet nous a appris qu'il jugera . Sans doute écrit-on de nos
fallait distinguer le prouvable et le vrai. jours bien des absurdités concernant
On pourrait résumer ce fait en disant entre autres les notion s de chaos et de
qu'il en est de même en mathématiques fractales. Il n'en est pas moins qu'il
que dans les affaires judiciaires. s'agit de notions nouvelles et impor-
Les travaux de Turing complétèrent tantes. Ce bouillonnement des idées
cette idée d'impossibilité de la preuve montre à quel point les mathématiques
de certains résultats vrais en montrant restent viv an tes et utiles . Il serai t
qu'on ne pouvait inventer aucun algo- absurde de vouloir les normaliser com-
rithme fa briquant mécaniquement tous plètement. On ne fige d'ailleurs une
les résultats prouvables d'une théorie. source qu'en la tarissant .
Le prouvable n'est pas entièrement H.L.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente Il)
HISTOIRE Les étapes du millénaire

ID Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d' histoire des mathématiques


EN BREF

Où sont les femmes? (suite)

Tel père, telle fille ... Emmy Nœther


Emmy Nœther (1882-1935) , est fille d'un mathématicien
d'Erlangen . Obligée de suivre en auditeur libre les cours universi-
taires de son père - les filles n'ont pas encore droit de cité à
l'Université -, elle obtient cependant en 1921 un poste modes-
tement rétribué de professeur associé (non officiel) à
l'Université de Gôttingen. Démise de ses fonctions par les lois
raciales de 1933, elle s'exile aux États-Unis. Son œuvre eut
un grand retentissement, développant la théorie des anneaux
et des idéaux, reformulant la géométrie algébrique .
L'originalité de son enseignement - dispenser ses théories au
fur et à mesure de leur conception - permit à Van der
Waerden et Dedekind - qui suivaient ses cours - de devenir
célèbres. Les étudiants qui pratiquent aujourd'hui les anneaux
noetheriens savent-ils que ces derniers doivent leur nom à
une femme?

Sophie Germain alias Monsieur Le Blanc


Heureusement pour elle - et les mathématiques - Sophie Germain ( 1776-1831) put
mener à bien ses recherches tout au long de sa vie grâce à la fortune de son père,
commerçant aisé. Elle vint aux mathématiques par dégoût pour le
« Newtonianisme des Darnes » d' Algarotti , censé expliquer aux marquises
par les lois de la réfraction pourquoi on augmente la dose de rouge à
lèvres pour aller à l'Opéra. Suivre le cours de Lagrange à l'École
Polytechnique lui est refusé ? Qu 'à cela ne tienne, elle entre en
relation épistolaire avec le mathématicien sous le pseudonyme de
Monsieur Le Blanc. Son audace scientifique lui vaut d'ailleurs les
compliments de Gauss. Rapidement appréciée, elle reçoit en 1816
le Grand Prix des Sciences Mathématiques de l' Académie des
Sciences de Paris. Outre ses travaux sur le mode vibratoire des
surfaces, elle nous laisse le « théorème de Sophie Germain », qui
permit à l'époque de progresser dans la démonstration du théorème
de Fermat en réduisant les cas à envisager. On peut le généraliser
ainsi : « Si n est premier impair et si 2n + 1 est premier, x' + y" = t
implique que x, y ou z est divisible par n ».
..
Depui s, les nombres premiers n tels que 2n + l soit aussi premier
sont appelés « nombres premiers de Sophie Germain ». On ne sait pas
s'il y en a une infinité, et on ne vous demandera pas le dernier trouvé.
C'est 3905 x 26()() 1 - l (Keller, 1986).

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tc:ingente m


HISTOIRES par Hervé Lehning

numérologie •

la tentation ésotérique
De même que « scientologie », « numérologie » est un mot
d'origine récente. Ce qu'il désigne est toutefois beaucoup plus
ancien, aussi ancien que le besoin de l'homme de comprendre
même quand il n'y a rien à comprendre.

Quell e définition donner à la numéro- Certa ins disent qu ' il faisa it référence
logie ? La plus simple est sans doute la ain si à l'empereur Néron. C'est tout à
sui vante: la numéro/ag ie est l'étude fa it poss ible mais importe fin alement
du sens occulte des nombres et de leur peu, intéressons-nous plutôt à ! ' histoire
influence sur la vie humaine. de ce nombre au deuxième millénaire.
Avant de vo ir les derni ers prog rès de
cette sci ence di vin ato ire, voyons sa Des comptes à dormir debout
grande traditi o n. To ut est dans votre
nom . Des va leurs numériqu es so nt Pour diverses ra isons, un certa in
attribuées à chaque lettre. En les ajou- no mbre de mathé mati ciens se sont
tant , on arri ve au no mbre qui vo us essayés à retro uver ce no mbre 666
caractérise . Il ne reste plus qu 'à inter- chez des personnages célèbres.
préter celui -ci. Di sons- le de suite, cer- Voyons que lques exemples remontant
Îiîi~l'J'"IP tains sont mauva is, très mauva is, et le au j oli te mps des gue rres de re ligion .
pire est bien sûr le nombre 666 . Mi chae l Sti fe l, in venteur des loga-
rithmes indé pe ndemment de Napi er,
le chiffre de la bête mo ntra que 666 désignait le pape de
l'époque , Léon X . Voyons son ra ison-
Ce nombre se trou ve dans le livre des nement. Tout d 'abord , écri vez le nom
révélations de Jean (Apocalypse en du pape de la faço n sui vante:
grec) à la fin du chapitre 13 : LEODECIMVS
C'est le moment d'avoir du discerne- mais ne retenez que les lettres ayant un
ment : celui qui a de l'intelligence , sens dans le système numéri que des
qu' il interprète le chiffre de la bête, ro main s, c'est-à-dire LDCIM V.
c'est un chiffre d 'homme: et son Mainte nant ajoutez X parce que LEO
chiffre est six cent soixante-six. DECIMVS a di x lettres et e nl evez le
Nous ne di scuterons pas de l' intenti on M car c'est l' initi ale du mot
de l'évangéliste. Peut-être voul ait-il « mystère » . Vo us obte nez LDCIXV.
coder un message trop dangereux. Réarrangez tout cela et vo us obtenez

e Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


INTRODUCTION

DCLXVI c'est-à-dire 666 ! Élémen- Apparemment, iJ était excellent prédi-


taire, n'est-ce-pas? cateur car, en prêchant dans les cam-
John Napier lui-mê me ne fut pas en pagnes, il réussit à convaincre de nom-
reste et montra par une autre méthode breux paysans de quitter leur terre. Rien
que 666 dés ignait bien ce pape. ne se produisit le jour dit et Stifel , dut se
Répon se du berger à la bergère , un réfugier en prison pour échapper à la
père jésuite montra alors qu'il dési- co lère de ceux qui avaient cru en lui .
gnait en fait Martin Luther. Son raison- Nous aimerions pouvoir sourire de la
nement étant plu s proche du naïveté de ces braves paysans si des
classicisme numérolog ique , nous le exemples récents ne montraient tout le
donnons ici. Pour notre jésuite , les pouvoir de nuisance de ceux qui jouent
lettres A à I représentaient les nombres avec la crédulité humaine .
1 à 9, les lettres de K à S les nombres
10 à 90 (de dix en dix) et les lettres de Déueloppements actuels
T à Z les nombres de 100 à 500 (de
cent en cent). Ecrivez alors : Selon les numérologues modernes, le
MART!NLUTERA nom et le prénom constituent le bagage
30 1 80 100 940 20 200 100 5 80 1 personnel de chacun. Ils renferment les
Ajoutez le tout et vous obtenez 666. tendances de l'être, ses carences et ses
Rendons à ce brave père jésuite l' hom- forces. La date de naissance, quant à elle,
mage qu ' il mérite car il fallait y penser. détermine les cycles de l'existence, leur
Durant la première guerre mondiale , on influence dans chaque domaine et leur
décou vrit de même que 666 représen- durée. La numérologie est fondée sur ces
tait l'empereur Guillaume II . Vou s deux données. Aucun autre renseigne-
aurez deviné qui il désignait pendant la ment n'est nécessaire à un numérologue
seconde . Et oui, si A vaut 100 , B 101 , pour déterminer, dans les grandes lignes,
etc. DCLXVI se prénomme Adolf. ce que nous sommes, nos potentialités, la
Comme souvent en matière d 'occul - tournure que peuvent prendre nos rêves
ti sme , l'exercice reste en général bon et nos désirs secrets, la nature et la com-
enfant. À condition de ne pas y croire, il préhension de nos problèmes . À croire
est à ranger dans les divertissements de ces lignes, un nom et une date sont plus
l'esprit comme les mots croisés. Le lec- déterminants sur notre être que notre
teur intéressé pourra s'amuser à cher- code génétique. En quoi, quelques sym-
cher la règle attribuant le nombre 666 boles alphanumériques dépendant de
au président actuel de la république choix artificiels (écriture et calendrier) et
française ou au roi des belges. L' usage de plus différents dans chaque civilisa-
du code ASCII n'est pas interdit. tion pourraient-ils influencer nos poten-
tialités ? Tout ceci serait sans grande
La fin du monde conséquence si la numérologie restait
cantonnée à la sphère privée. On frémit
L'affaire se corse quand il se trouve des en constatant que ce n'est pas le cas. Elle
gens assez crédules pour laisser influen- commence à être utilisée pour le recrute-
cer leur vie par de telles balivernes. ment du personnel dans les entreprises et
Malgré ses qualités de mathématicien , l'orientation professionnelle. Il importe
Michael Stifel semblait croire à ses donc de dire que la numérologie tient de
petits comptes. Il prophétisa ainsi la fin l'occultisme, pas de la science.
du monde pour le 3 octobre 1533.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


EN BREF

Jacques Ozanam
Jacques Ozanam (1640-1717) se consacra aux mathématiques après des études de théologie. Il
aimait à dire qu ' il fallait laisser les docteurs de la Sorbonne argumenter,
L ' l'SAGE
le pape en décider et le mathématicien aller au paradis par un chemin
I> l
perpendicul a ire . Après avo ir amélioré les tables de logarithmes de
COMP AS
Briggs, son manu scrit Les six livres de ['Arithmétique de Diophante or
P ~OrO R't "'.1 :,- ,
augmentés et réduits à la spécieuse reçut les félicitations de Leibniz. Il } pli-t ~ .,:._in, T"l'C ,'\ ~ t. 1, ,e
.. . . r
consacra sa vie à l'enseignement et publia un grand nombre d 'ouvrages
parmi lesquel s Méthode générale pour tracer des cadrans ( 1673),
Traité des lignes du premier genre (1687), De l 'usage du compas
( 1688), Dictionnaire mathématique ( 1691 ), Traité de la fortification
(1694), ... Mais son nom est passé à la postérité pour ses Récréations
mathématiques et physiques (1694), ouvrage qui fut augmenté et révisé
par Jean Étienne Montucla en 1778 . ...... ,. • " r.

Jean Étienne Montucla


Jean Étienne Montucla (1725-1799), ami de
Diderot et d 'Alembert, développa le livre de récréa-
tions mathéma-
tiques d 'O zanam en
lui adjoignant de
nombreux pro-
blè mes de décou-
pages géomé-
triques .
Il est célèbre pour
son Histoire des
mathématiques,
ouvrage réédité par
les Éditions Gabay
(4 tomes).

m Tangente Hors-série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


SAVOIRS par Chérif Zananiri

newton...
et la physique deuint mathématique
Newton a bouleversé la conception de la physique. Depuis
l'antiquité, les physiciens voulaient connaître les raisons des
phénomènes. Newton se contente de les décrire de façon à
pouvoir les prévoir sans se soucier de savoir l'origine des lois
qu'il découvre. La recherche du « comment » a chassé celle du
« pourquoi ».

L
es mythes ont la vie dure, et on raisonnement de Newton . D 'abord ,
ne prête qu'aux seuls gens Newton connaît la durée de révolution
célèbres les légendes les plus T de la Lune (environ 27 jours) , et la
tenaces. C'est Stuckeley, qui le premier distance Terre-Lune R (environ 60 fois
lance celle de la « pomme de Newton ». le rayon de la Terre) .
Une pomme qui symbolise les relations
entre les mathématiques et la physique. D 'où l'accélération centripète a :

la légende de newton a=v 2 /R=41r 2 R/T 2


Par ailleurs, les lois de Kepler, connues
À l'époque , vers les années 1684, de empiriquement, lient la durée de révo-
grands esprits tels Hooke - et Halley, lution Tet le rayon de l'orbite R par la
dont une comète porte le nom - pres- relation : T 2 = C R 3 où C est une
Isaac Newton sentent que le Soleil attire les planètes constante. Ceci conduit à :
(1642-1 72 7 )
suivant une force en 1 / r 2 , mais il leur
manque les preuves et les outils mathé- a=k! R 2
matiques. C'est Newton qui met tout
sur pied . Il sait, même s'il ne l'a pas avec k une nouvelle constante .
publié, que pour un mouvement circu- Ainsi, la force de gravitation, propor-
laire uniforme , l'accélération est centri- tionnelle à l'accélération est en
pète et qu'elle vaut a= v 2 / R, v vitesse « inverse carré». Il reste à vérifier le
et R rayon de la trajectoire. résultat. Détaillons l'argu ment de
Newton.
Comme une pomme , attirée par les
forces de la pesanteur, tombe sur le sol, Si la Lune n'éta it pas attirée par la
la Lune tombe sur la Terre. Suivons le Terre, elle aurait un mouvement recti-

m Ta.n9ente Hors série n° 1 O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

ligne uniforme, « elle irait tout droit » . La Lune tombe sur la Terre. Le tour de
Sa trajectoire courbe (circulaire) force de Newton fut de voir cette chute
montre que tout se passe comme si elle que nul n'avait pressentie avant lui.
tombait sur Terre. C'est d'ailleurs là, le
tour de force de Newton, que de voir Réfl échi ssons un peu au travail de
cette chute, que nul n'ava it pressentie Newton et à sa loi qu ' il étend à tous les
avant lui . systè mes, et en particulier au système
Ainsi, en l' absence de la Terre, la Lune solaire , ouvrant la voie à la découverte
des pl anètes (à son époque, elles
L d n'étaient pas toutes connues), et à la
compréhension des trajectoires et des
périodicités de passage des comètes.
Newton manipule des entités ayant une
réalité physique (la Terre , la Lune)
avec des concepts clairement définies
T
accessibles à un non spécialiste (l'ac-
Trajectoire de la Lune célération, la vitesse, la di stance par-
courue, la durée de chute), et utili se
aurait parcouru le segme nt LL 1 • À des bases géométriques simples (le
cause de l' attraction terrestre, la Lune cercle, sa tangente , un rayon de
tombe de L 1L 2 , segment que nou s cercle): il s'agit d ' un vrai travail de
allons évaluer. physicien.
Du triangle TLL 1, nous tirons:
Isaac Newton naquit le jour de Noël 1642. De
famille humble, il se montra très inventif dès son
enfance. Il entra à l'université de Cambridge en
avec d = LL 1 d' où 2Rh + h 2 = d 2 donc 1660. Son professeur et ami Isaac Barrow sera
h- d 2 / 2R. déterminant dans sa formation. Newton maîtrisa
Or la distance d que la Lune aurait dû rapidement les mathématiques de son époque.
parcourir pendant le temps t est telle Mais la grande peste (1665-1666) l'obligea à
que: d = vt , avec: d = (2 7TR / T) t. Il retourner dans son village natal de Woolsthorpe,
est à noter qu ' ci Newton assimile le ce qui lui donne du temps pour ses recherches
mouvement à vecteur vitesse constante mathématiques et physiques.
au mouvement circulaire uniforme
dont seul e la norme de la vitesse se Et quelles recherches ! Lois du mouvement des
conserve . Il arrive donc à : astres (attraction universelle), loi de l'optique
47T 2 R I
sont brillamment abordées et Newton découvre
a= - -2- d'où h =- a t2 le calcul différentiel (rien que ça) grâce à sa
T 2
méthode des fluxions.
Il est possible alors que pour expliquer A ce sujet, Newton et Leibniz se querelleront vio-
son travail , Newton ait eu recours à lemment sur la paternité de l'invention du calcul
l' image de la pomme. Ainsi est née une infinitésimal jusqu'à la fin de la vie du mathé-
légende. Le travail de Newton , et c'est là maticien allemand.
l'essentiel, était conforme aux résultats La disparition de Newton le 20 mars 1727 pro-
expérimentaux obtenus par Galilée lors voque un deuil rarement égalé en Angleterre. Il
de son étude de la chute libre des corps est inhumé à l'abbaye de Westminster.
sur Terre.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS Newton ...

De la uitesse à la dériuée finis » . Newton qui succède à Barrow à


la chaire de mathématiques de
Le chemin qui mène de Galilée à Cambridge, a un point de vue plus phy-
Newton est celui , entre autres, qui per- sique. Il introduit o, quantité infinitési-
met de définir la dérivée à partir de la male et la notation xo pour désigner la
vitesse. Jusqu'à Newton, l' idée de variation de l'abscisse ; il constate que
vitesse est vague et imprécise, plus la vitesse de variation de l'aire décrite
qualitative que quantitative. Le mot par la courbe est égale à l'ordonnée y.
« veloceta » qui recouvre ce que nous Les variations des coordonnées des
entendons par vitesse instatanée n'est points de la courbe sont notées xo et yo .
jamais défini. Il faut attendre 1700 pour
en trouver chez Varignon une définition Dans sa célèbre « méthode des
rigoureuse. Galilée ne manipule pas fluxions », Newton ne calcule pas exac-
directement des vitesses variables mais tement la dérivée mais le rapport des
utilise un artifice « le théorème du composantes de la vitesse. On doit
degré moyen » pour ramener les mou- cependant noter que Newton place la
vements uniformément accélérés à des dérivée au cœur de sa démarche , éta-
mouvements uniformes. blissant le lien entre quadrature et déri-
Avec Torricelli , la physique se fait géo- vation.
métrie. Torricelli crée des êtres mathé-
matiques nouveaux, de nouvelles le ressort de Hooke
courbes pour y appliquer les résultats de
Galilée, il se sert de mouvements fictifs Hooke est un scientifique contempo-
pour déterminer les tangentes aux rain et ami de Newton , et qui le pre-
courbes décrites. Fermat fut le premier mier se rend compte de la proportion-
à définir la tangente comme position nalité entre l'allongement d'un ressort
limite d'une sécante mais Fermat abuse et la force qui le tend ; il arrive à la
des « accroissements infinitésimaux » . relation bien connue F = k.x. Ainsi, si
L' Anglais Isaac Barrow rapproche le pour une force de I newton , le ressort
procédé de Fermat de la théorie s'allonge de l cm , pour 2 newtons l'al-
moderne de la dérivation en introdui- longement sera du double. Bien sûr
sant l'équivalent des « accroissements nou s parlons d 'objets matériel s, et en

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

ce sens on peut considérer que nous Isaac Barrow,


faisons de la physique (un peu simple) , professeur et
mai s peut-on qualifier de mathéma- ami de Newton
tique les calculs sous-jacents ? La est né à Londres
réponse est positive . Toute modifica- en 1630, mort à
tion de la position d'équilibre implique Cambridge en
une équation différentielle dont les 1677.
solution s sont périodiques. La situa- Il invente une
tion physique la plus si mple est riche méthode des
de mathématiques élaborées. tangentes (titre
de l'un de ses
Les lois de newton livres) qui préfi-
gure la notion
Revenons aux loi s de Newton . Notre de dérivée.
homme montre en un premier temps D'autre part, il
que l' accélération est en l / r 2 et cor- une trajectoire telle que la force soit en est le premier à
respond à une force centripète . inverse du carré de la distance qui les remarquer les
Comment étudier le mouvement des sépare », est mathématique ; ainsi on peut relations entre
corps soumi s à une telle force ? faire des mathématiques sans écrire intégration et
Newton, toujours lui , sait que la d'équations , des maths avec des mots. dérivation.
somme des forces appliquées s'écrit Pour aller plus loin, c'est-à-dire pour
sous la forme du produit de la masse et effectuer une prévision de la trajectoire,
de l'accélération ; il reste alors à la résolution des équations devient
résoudre l'équation qui traduit la pro- nécessaire ; c'est d'ailleurs ce que
portionnalité vectorielle entre l'accélé- Halley a fait pour identifier la trajec-
ration et une force centripète en l / r 2 . toire de « sa» comète.
On peut tout de suite se rendre compte Les équations scientifiques définissent
qu'à un instant donné, (' accélération est des relations entre des mesures alors
proportionnelle à l / r 2, ce qui a pour que les processus naturel s renseignent
effet de modifier la trajectoire, donc la sur les interactions entre systèmes et
valeur der , donc en ricochet la valeur objets. Ces derniers sous-tendent une
de l'accé lération , et ainsi de suite. La organisation très complexe qui fait
relation est donc vérifiée à tout instant , intervenir plusieurs lois. Les équations
seconde après seconde et à chaque mathématiques quant à elles, en dépit
position. Seules les mathématiques de leur éventuelle complexité appa-
nous permettent de passer de cette évi- rente, sont simples, car elles se définis-
dence qualitative , à une idée précise de sent en termes de variables et de para-
la trajectoire. Il est alors indispensable mètres clairement répertoriés et
de mettre en œuvre des loi s et des parfaitement séparables. Le physicien
outils mathématiques performants ; ne pourra donc jamais se séparer des
passer de rel ations in stantanées à une mathématiques qui constituent pour lui
trajectoire, sous-entend la nécess ité un langage et un outil ; il ne faut pas
d ' une intégration (au sens mathéma- qu ' il se satisfasse d'une vision globale,
tique). Du reste l' énoncé lui -même : intuitive, qualitative des choses, sinon
« deux corps en interaction newto- son interprétation des phénomènes
nienne, agissent l' un sur l'autre , ce qui serait erronée.
modifie leurs vitesses, et leur imprime c.z.
Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tc;1,n9ente Hl
SAVOIRS par Hervé Lehning

les infiniment petits :


actuels ou potentiels ?
Le calcul infinitésimal inventé par Leibniz péchait par le flou
de la notion d'infiniment petit. Jugée non rigoureuse, elle fut
évacuée par Cauchy pour n'être réintroduite que très
récemment dans l'analyse non standard de Robinson.

L
es pre mi e rs ca lc ul s d 'a ires à ces segme nts est éga le au hui tiè me
re monte nt à l'antiquité de l'aire du tri ang le ABC soit 'A.
g recque et e n partic ulier à
Arc himède . Ce lui -c i développe une On obtient un polygo ne (voir la fig ure)
méthode proc he du ca lcul infinités i- approx imant mieux l'a ire cherchée que
ma l po ur déterminer e n parti c uli er le tri ang le initi al. So n a ire est éga le à
l'aire d ' un segment de parabol e (vo ir 1
la fi gure). Sa méthode de calcul d ' aire
est proche de l' idée d ' infiniment petit.
'7l multiplié par 1 +
4.
Cependant , le passage au calcul inté-
gra l propre ment dit de manda it égale- E n reco mm ençant le mê me procédé
me nt une évo lution du co ncept de sur les nouveaux segments, on obtient
nombre. Ce lle-ci a attendu le di x-sep- un po lygo ne approx imant mi eux le
Gottfried Leibniz
tiè me siècle. segment de para bo le. Son a ire est
l l
méthode d'Hrchimède égale à '7l fo is 1 + + :j2.
4
Partant du seg me nt de parabol e de
corde AB , Archimède considère les En continu ant ain si, o n obti ent une
deux segme nts de para bo le de corde suite de po lygo nes d 'a ires éga les à '7l
AC et CB . Il démontre alors que l'aire fac teur de:
de chac un des tri angles correspondants 1 1 l
1+4+:jz"+ ... + ~ .
Archimède utilise un raisonnement Archimède utili se un ra isonne ment
géométrique pour calculer une somme géométrique pour mo nt rer que la
continuée à l'infini. somme c i-dess us co ntinuée à l' in fi ni

m Tg.ngente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE
c

Un segment de parabole.
Archimède a montré que l'aire du
segment de parabole ABC (la par-
tie grisée) est égale aux quatre
tiers de l'aire du triangle ABC.

Calcul par Archimède de la


somme 1 + 1/4 + 1/42 + ...
Les parties en forme de coin sur
lafigure ci-dessus sont homothé-
tiques l'une de l'autre dans le
rapport un demi. Leurs aires
sont donc dans un rapport un
quart. Elles s 'emboîtent l'une
dans l'autre pour forme1· le carré
dont l'aire est égale aux quatre
tiers du premier « coin » .

méthode de newton

Deuxième polygone approximant Po ur Newto n , une co urbe est e ngen-


le segment de parabole. drée par le mo uve me nt d ' un po int.
Dans cette co ncepti o n , une qu antité
est éga le à 4/3 (vo ir la fi gure). va ri abl e (co mme les coo rdo nnées de
Cette méthode fut réutili ée pour calcu- ce po int) est dite flu e nte. Sa vitesse
ler certaines aires aux xve et xv,e siècles in stantanée est appe lée sa flu xio n. Ce
en parti culier par Cava li eri (1 598- voca bul a ire qui pe ut se mbl e r étra nge
1647). Sa méthode nommée méthode
des indivisibles consiste à découper une
surface en éléments d'épaisseur « indi- Leonhard Euler est né à Bâle en
vis ible » mi s en correspondance avec 1707 et mort à Saint Pétersbourg
ceux d ' une surface d ' aire connue. Cette en 1783. Il a été élève de Johann
idée est donc une généralisation de celle Bernoulli. Il s'agit d'un
d'Archimède fa isant correspondre aux mathématicien immense dont
segments para bo liques précédents les bien des travaux dépassent cet
« co in s » co mposa nt fi nale me nt un ouvrage.
carré d ' aire connue (voir fig ure).

Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente m
SAVOIRS Les infiniment petits

de nos jours vient de la notion de flux


Pourquoi le calcul intégral ?
(comme pour les marées). En notation
Le terme est du mathémati-
moderne, il s'agit de la dérivée d ' une
cien suisse Jakob Bernoulli
fonction . En ce qui concerne le calcul
en 1696; Leibniz aurait pré-
d'aire, si une courbe a une équation
féré au départ le terme calcul
y= f (x) où f est positive , soit P(a)
« sommatoire » mais a été
l'aire sous la courbe entre les abscisses
convaincu par Bernoulli. Ce
Oeta (voir la figure). Newton montre
terme provient du latin inte-
que l'aire entre les abscisses a et a + ë
ger « entier, total », probable-
est approximativement égale à ëf (a).
ment car une intégrale est le
rassemblement
(l'intégration !) d'une infinité
y = f(x) de termes infinitésimaux en
un tout.

quence un retard d ' un siècle dan s les


L 'aire entre les P(a) mathématiques anglo-saxonnes.
abscisses
a eta +evaut Ef(a) notations de Leibniz
approximative-
m ent celle du De façon beaucoup moins rigoureu se
r ectangle grisé
que Newton en apparence, Leibniz uti-
c'est-à-dire ef(a) - + - - - - - - - - - - - ~ - ~
lise la notion d ' infiniment petit. Six
En termes modernes , est une quantité variable, il note dx un
accroissement infinitésimal de cette
P(a + ë) - P(a)
lim = f(a). quantité. Si une quantité y dépend de x,
ë- 0 ë
par exemple y = x 2 , alors :
Ainsi, l'intégration est l'opération dy = (X + dx) 2 - X 2
inverse de la dérivation. Cette or:
approche semble bien plus rigoureuse (x + dx) 2 = x 2 + 2xdx + (dx) 2
que celle de Leibniz car elle n'utilise donc :
pas la notion floue d' infiniment petit. dy = 2xdx + (dx) 2
Ceci dit, la lourdeur du calcul infinité- A ce niveau, Leibniz dit que le terme
simal de Newton et son opposition à (dx) 2 est négligeable devant 2xdx et le
celui de Leibniz auront pour consé- considère tout simplement comme nul
d'où:
dy = 2xdx
Abraha m Robinson est né en Le manque de rigueur annoncé se situe
1918 à Waldenburg (Allemagne) et à ce niveau . A priori , une quantité est
mo1t en 1974 à New Haven (Etats nulle ou ne l'est pas. Elle ne peut pas
Unis). l'être quand on le désire et ne plus
Sa famille émigra en Palestine en l'être quand on ne le veut pas. Cette
1933. Il fut professeur en Israël difficulté fut levée par Cauchy au
avant d'occuper un poste aux Etats début du XIX~ siècle grâce à la notion
Unis. de limite mais elle fit perdre la richesse
intuitive de l'idée d ' infiniment petit.

HJ Ta.n9ent:e Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

Elle évitait cependant bien des erreurs aussi petites que l'on désire . C 'est
à ceux qui n'arrivaient pas à acquérir pourquoi , on parle parfois d ' infiniment
facilement l'i ntuition de ce qu 'est un petit potentiel à l'opposé de la notion
infiniment petit. d'infiniment petit actuel. Une intuition
correcte de ces derniers reste cepen-
La difficulté ne fut réso lue complète- dant délicate.
ment que par Abraham Robinson dans la
seconde moitié du xxe siècle avec Ceci posé , il note tu un accroissement
l'analyse non standard . Il nomma son de x et !'J,.y l'accroissement correspon-
invention ainsi par opposition à l'ana- dant de y= f (x), c'est-à-dire:
lyse classique qui se trouve donc
considérée comme standard. Dans !'J,.y = f (x + tu) - f (x)
cette analyse (et d 'autres), on manipule
donc des infiniments petits « actuels » . I·1 cons1"d'ere 1e rapport tu
puis !'J,.y .
par opposition aux infiniments petits
« potentiels» de l'analyse classique. Si celui-ci a une limite quand tu tend
Le mot potentiel signifie ici que , quel vers 0, cette limite est appelée la déri-
Ü X
que soit le nombre 1; > 0 envisagé, il vée de y par rapport à x au point x.
existe des nombres strictement plu s Une autre approche : A ire sous la courbe
petits. Derrière cette idée, la notion de Reprenons le cas précédent où y = x 2 : e ntre o e t x
limite n'est pas loin. !'J,.y = (X + tu) 2 - X 2
donc:
2
la rigueur de Cauchy /'J,.y = 2x tu + (tu)
d 'où:
Cauchy exclut l' idée d ' infiniment petit
actuel en précisant d'abord la notion de !'J,.y = 2x + tu.
limite qu ' il définit de la façon suivante:
tu

« Lorsque les valeurs successivement La limite du rapport est donc 2x qui est
attribuées à une même variable s 'ap - donc la dérivée de y = x 2 .
prochent indéfiniment d 'une valeur Sur cet exemple, nous voyons donc la
fixe, de manière à finir par en différer proximité des deux approches. Dans
aussi peu que l'on voudra, cette der- les exemples, la première est souvent
nière est appelée la limite de toutes les plus manipulable .
autres».

En termes plu s précis et plu s Augustin Cauchy est né à Paris en


modernes, Weierstrass écrit : 1789 et mort à Sceaux en 1857.
Il est à l'origine de la réintroduction
Si pour tout 1; > 0, il existe ô > 0 tel de la rigueur en mathématiques. Sa
que lx - a 1< ô implique If contribution est impmtante et par-
(x) - t 1 < 1; alors on dit que f (x) tend fois non reconnue en France dans
vers l quand x tend vers a. ce1tains milieux à cause de ses idées
politiques ulb·a-monarchistes.
Dans cette approche, la quantité 1; n'est Il fut cependant assez grand mathé-
infiniment petite que potentiellement, maticien pour qu'on lui pardonne.
c'est-à-dire qu'elle prend des valeurs

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente fD
SAVOIRS Les infiniment petits

vérifie donc A(O) = 0 et A' (x) = px 2 .


Johann Be rnoulli est né Co mme (x + dx) 3 = x 3 + 3x 2dx ,
comme son frère Jakob à nous en dédui sons que :
Bâle en 1667 et mort dans la px 3
même ville en 1748. La A(x) = - - .
3
famille Bernoulli a encore
produit plusieurs grands L'aire du segment de parabole entre les
mathématiciens. absc isses a et b est donc égale à :

Calcul d'aire
Il ne reste plu s qu 'à ca lculer l'a ire du
Pour do nner un exempl e simpl e d'ap- tri angle pour retro uver le rés ul tat
pli cation , il ex iste plu sieurs faço ns de d'Archimède.
présenter le calcul de l'aire so us la
courbe d 'équ ati on y = ! (x) o ù f es t Calcul d'une tangente
pos iti ve. La pre mière a été déj à vue
avec Newto n. Ell e consiste à reli er la Le calcul in fi nitési mal ne sert pas qu' à
questi on à la notio n de déri vée intro- déterminer des aires . Il permet éga le-
duite par Cauchy. Il est également pos- ment de trouver la tangente au po int
sible d ' utili ser la noti o n d ' infi niment courant à la courbe d'équation y= f (x) .
petit. Si dx est infi niment petit , y reste
constant entre x et x + dx do nc l'aire
correspo ndante dA est celle d' un rec-
tangle de côtés dx et y donc dA = y dx .

On retro uve le résultat : A est déri vable


et a pour déri vée y. dy
On peut reprendre le calcul de l'aire du
segment de parabole à la lumière de ce
résultat. dx

L'équation de la parabole dans un repère Tang ente à une courbe


orthonormal est y = px 2 .
L'a ire A (x) entre les absc isses O et x Intuiti vement, la tangente en un point x à
une courbe y = f (x) est la droite à
laquelle elle se confond au voisinage de
Jakob Bernoulli est né à Bâle en ce point. Elle passe donc par les points de
1654 et mort dans la même ville en coordonnées (x, y) et (x + dx, y + dy), elle
1705. On lui doit très probablement a donc po ur vecteur directeur, le vec-
le terme de calcul intégral qui vient teur de coordonnées (dx , dy).
du latin médiéval integralis Dans le cas de la parabole d'équation
signifiant entièrement. L'idée est y = px 2 , cela donne donc la droite de vec-
qu 'ici d'une somme d'infiniment teur directeur (dx, 2px dx) . Une équatio n
petits, on obtient le tout. On lui doit en est : (Y - y) dx = (X - x) 2px dx
aussi les fonctions exponentielles. soit, après ca lcul s simpli fica teurs :
Y = px (2X - x).

~ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

On en déduit que la tangente passe par le


point de coordonnées (x/2, 0) ce qui
donne une façon de la construire (voir la
figure ci-après).

M
\
dite la tangente en A à la courbe.

Exploitation

Dès le XVIII e siècle , les mathémati-


ciens exploitèrent le nouveau calcul
pour obtenir les principaux résultats
que l' on peut en déduire. Par exemple,
les frères Bernoulli étudièrent le pro-
blème de la courbe brachystochrone.
O Q p
Il s'agit de trouver la courbe joignant
Tangente à la parabole. deux points assurant la descente la plus
Le point Q est le milieu de [OP]
rapide possible entre ceux-c i d'un
Dans ce cas encore , Leibniz modifie point pesant assujetti à rester le long de
légèrement la définition intuitive de la cette courbe.
tangente. Il la définit comme une limite. La réponse est un arc de cycloïde,
Il considère un point A fixé d' une courbe c'est-à-dire la courbe engendrée par un
et M un point variable. Si la droite AM a · point d'un cercle roulant sans glisser
une position limite quand M tend vers A sur une droite.
en restant sur la courbe, cette position est H.L.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente HJI
SAVOIRS par Hervé Lehning

.,
Euariste Galois :
génie méconnu ?
Évariste Galois est souvent présenté comme l'exemple même
du génie méconnu. Mythe ou réalité ? Et pour commencer,
quelle est la contribution majeure de Galois aux
mathématiques de son temps et des temps qui suivirent ?
Équation soluble par radicaux

Galois s'est essentiellement intéressé à


la résolution des équations par radicaux.
Dire qu ' une équation est soluble par
radicaux, c'est dire que ses racines s'ex-
priment à l'aide des coefficients de
l'équation , des quatre opérations et de
radicaux.
Par exemple, l'équation du seco nd
degré x 2 - 2x - J = 0 a pour racines
Galois a 1 ±V2.
précisé les De même, l' équation générale du
travaux de a mort en duel d'Evariste second degré

Niels Abel
en trouvant
L Galois a beaucoup contribué
à l'image romantique qu ' il a
laissée. S'agit-il d ' un suicide déguisé
a.x 2 + bx + c = 0
a pour racines
- b ± \fi,,
une comme l'affirment certains, d ' une
2a
condition aventure sentimentale se terminant mal
ou bien encore d ' un règlement de où l'1 s'exprime à l'aide des coefficients
pour compte politique ? Difficile de le de l' équation et des quatre opérations.
qu'une savoir avec certitude et qu ' importe Plus précisément : l'1 = b 2 - 4ac et le
pour notre propos ? Le lecteur inté- symbole "'Vi. désigne une quelconque
équation soit
ressé pourra cependant consulter l'ou- des racines du nombre /'1.
résoluble par vrage de Robert Bourgne et Jean Pierre En ce qui concerne les équations géné-
radicaux. Azra cité en référence . rales, on sa it également résoudre par

m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

radicaux les équations du premier telle fonction V ne change pas de


degré , du troisième et du quatrième. valeur quand on opère une substitution
Dans les deux dernier cas, ce n'est pas S des racines, on dit qu'elle est inva-
si simple comme le montre l'article sur riable par S.
la question dans ce numéro . Par exemple, V = ab + c est inva-
Après que bien des mathématiciens riable par les substitutions abc et bac
aient cherché à résoudre l'équation (on échange a et b ce qui ne modifie
générale du cinquième degré , Abel pas le produit ab).
( 1802-1829) a démontré que c'était On démontre que si une telle fonction
impossible. Galois a précisé ses travaux est invariable par toutes les substitutions
en trouvant une condition pour qu ' une alors elle s'exprime rationnellement en
équation soit soluble par radicaux. fonction des coefficients de l'équation.
Par exemple, considérons la fonction :
Théorie des groupes V =a 2 + b 2
où a et b sont les racines de
La condition pour qu ' une équation soit l'équation :
soluble par radicaux n'est pas facile à x 2 +px+ q = O.
exprimer directement en termes élé- On peut écrire V sous la forme suivante :
mentaires. C'est pour cela d 'ailleurs V = (a+ b) 2 - 2ab
que Galois est à l'origine d ' une nou- or, en remarquant que
velle théorie . Pour parler de choses x 2 + px + q = (x - a) (x - b) ,
nouvelles, il faut souvent des mots en effectuant le produit et en identi-
nouveaux . Cela ne veut pas dire que fiant , on montre que :
l' on ne puisse pas approcher cette a + b = - p et ab = q
notion en termes simples. donc:
La condition de Galois porte sur cer-
tains groupes de substitutions des
racines de l'équation considérée. Pour Ceci signifie que V s'exprime ration-
expliquer ceci, prenons un exemple. nellement (c'est-à-dire en n' utilisant
Les trois lettres abc peuvent être que les quatre opérations) en fonction
écrites de six façons différentes : abc, des coefficients p et q de l'équation.
bca, cab, bac, acb et cba. Ce sont les En fait, ce résultat est général. Si une
permutations de abc . Les substitutions fonction des racines est invariante par
sont le passage d'une permutation à toute substitution de ces racines , elle
l'autre . Il y en a également six et on les s'exprime rationnellement en fonction
note comme les permutations. Par des coefficients de l'équation .
exemple bca signifie que l'on substitue
b à a, c à b et a à c. Groupe d'une équation

fonction des racines Galois a montré que ce fait se générali-


sait d'une certaine façon en réduisant
Ceci dit , Galois considère les fonctions l'ensemble de toutes les permutations à
rationnelles des racines et de certaines un groupe d'entre elles qu ' il appelle
quantités adjointes éventuellement. groupe de l'équation . Voici son résultat :
Plu s précisément , ces quantités
adjointes peuvent être des radicaux ou Si une fonction des racines est inva-
des racines d'autres équations. Si une riable par toutes les substitutions de ce

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS Evariste Galois

Évariste Galois, est né à Paris le 25 octobre 1811 et décédé toujours à Paris le 31 mai 1832.
La vie de Galois fut dominée par la politique et les mathématiques. Il était dans une position incon-
fortable. Le seul mathématicien français capable de comprendre ses travaux était Cauchy, royaliste
tout aussi ardent que lui était républicain.
En 1829, il publia une démonstration prouvant l'impossibilité de résoudre l'équation générale du
cinquième degré par radicaux. Cela conduisit à la théorie de Galois, une branche des mathéma-
tiques traitant en particulier de la résolution des équations algébriques. Il découvrit également une
méthode déterminant quand une équation pouvait être résolue par radicaux apportant ainsi une
réponse à des problèmes fort anciens tels que la trisection de l'angle et la duplication du cube.
Il introduisit le mot « groupe » en considérant le groupe de permutations des racines d'une équa-
tion. C'est la théorie de groupes qui rendit possible la synthèse de la géométrie et de l'algèbre.
Après avoir passé quelque temps en prison pour « délits » politiques, il fut tué en duel à l'âge de 21 ans
peu après sa remise en liberté.

~ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

groupe alors on peut l'exprimer ration-


nellement en fonction des coefficients Les travaux de Ruffini, d'Abel et de Galois ne mirent pas
et des quantités adjointes éventuelles. fin à l'étude de la résolution des équations algébriques.
Parallèlement à la recherche d'algorithmes toujours plus
Pour commencer, on voit qu'un tel puissants de résolution numérique, on mit en œuvre de
groupe, notons le G , possède plu sieurs nouveaux outils pour étendre le domaine de
propriétés, entre autres : « solvabilité ».
l) l' identité I c'est-à-dire la s ubstitu -
tion qui la isse invari antes toutes les Charles Hermite parvint
racines, appartient à G, ainsi en 1858 à résoudre
2) si S et T appartiennent à G alors S o l'équation générale du cin-
T, c'est-à-dire la substitution obtenue quième degré à l'aide de
e n effectu ant success ive ment Tet S , fonctions elliptiques :
appartient auss i à G. à partir de la recherche de
la longueur d 'un arc d'el-
Pre non s le cas de notre pre mi ère lipse, on est amené à consi-
éq uation : dérer l'intégrale
x 2 - 2x - 1 = O. Charles Hermite

Si nou s appe lons a et b les de ux


rac ines, il n'y a que deux substitution s
possibles ab et ba.
Les deux groupes poss ibles sont donc où e désigne l'excentricité de l'ellipse.
{ab} et {ab, ba}.
1
Sous des conditions convenables, la fonction réciproque E-
Supposons que le groupe G de l'équa- permet de définir un certain type de fonctions elliptiques.
tion (sans quantités adjoi ntes) so it Comme
réduit à {ab} . Les ex press ion s V= a x dt
et V = b sont alors invariables par tous
les é léme nts de G. D ' ap rès le théo-
Arcsin x =
f
0
,r---;,
V 1 - t~

rème, o n e n déduit qu'elles s'ex pri- on voit que les fo nction s elliptiqu es so nt à l'ellipse ce
ment rationnellement e n fonction des que les fonctions trigonométriques sinus et cosinus sont
coefficients de l'équat io n. C'est fa ux, au cercle.
G = {ab, ba}.
S i on adjo int la quantité V2 alors c'est
vrai donc G = {ab} .
Calcul du groupe
De faço n généra le, si le groupe d'une
équat ion est réduit à l'ide ntité alors, Bien entend u, ce théorème n'a d'inté-
pour toute racine a, l' express ion V = a rêt pratique que si o n est capab le de
est invariable par tous les é léments de ca lc ul er le groupe d'une éq uat io n
G donc a s'exprime rationnellement en sa ns déterminer les quantités
fonction des coefficients et des quanti- adjo intes. La question est bien plus
tés adjointes. Le ca lcu l du groupe délicate, nous ne ! 'aborderons donc
d'une équation est donc essentie l pour pas ici.
répondre à la question posée. H.L.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente III
HISTOIRES par Gilles Cohen

Petite histoire
des récréations mathématiques
Les jeux et les mathématiques entretiennent des relations
privilégiées depuis leurs origines, qui remontent à la nuit des
temps. Mais c'est au deuxième millénaire que les
mathématiciens ont pris conscience du côté ludique de la
recherche mathématique. Peut-être avaient-ils besoin de
mettre en avant cet aiguillon pour renouer avec un intérêt
perdu depuis de nombreux siècles.

L
es Arabes, les premi ers de
notre millénaire à s' intéresser
aux mathématiques , nous o nt
tran smi s les écrits grecs à l' a ide de
force jeux, dev inettes , défi s, poèmes à
contenu scientifique, qui décri va ient
aussi l'enrichissement qu ' ils en ont fa it.
Dans le numéro excepti onne l de
Tangente 74 consacré aux jeux mathé-
matiques, Ahmed Djebbar raco nte e n
détail co mment les mathé matiques de
la traditi on ara be médiévale o nt
ex primé leur intérêt po ur des fo rmes
que l'ont po urra it qu ali fie r de « peu
sérieuses ». Les mathématiques y sont
prétexte à problè mes liés à la relig ion ,
au commerce , voire à l' amour !

Dix siècles de défis

Du pl aisir de chercher à celui de défier


les autres , il n 'y a qu ' un pas, fra nchi
dès l ' Antiquité et largement e mboîté
par les mathé mati c ie ns de la fi n d u

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

Le défi de Newton
Dans son Ari1'1111ctirn Unil ·cr.mlis ( 1707 ). Jsacc Newton propose le problème suivant :
Si a vaches tondent à ras l'herbe de h prairies en c jours.
si a ' vaches tondent à ras l'herbe de b' prairies en c' jours.
si <i''vaches tondent à ras l'herbe de b" prairies en c" jours.
quelle est la relation vérifiée par les neuf paramètres en jeu '?
Solution
Supposons que chaque prairie fournisse initialement la même quantité d'herbe M. que la pousse
d'herbe 111 soit la même chaque jour dans chaque prairie et que chaque vache broute quotidienne-
ment la même quantité Q d'herbe. alors
bM + cb111 - rnQ = 0
b' M + c'h' m - c'a'Q = 0
b"M + c"h" 111 - c" a"Q = O.
Ce système linéaire n'est pas un système de Cramer (l'énoncé laisse entendre qu'il existe une solu-
tion non nulle). il s'ensuit que le déterminant associé au système est nul :

:: ' ~ \ .' : :(.;, ' 1 = ()


1 b" h "c " c "a "

Ceux qui ne connaissent pas les déterminants arriveront néanmoins par combinaisons et élimina-
tions à la relation demandée :
b"cc'(ah' - ha') + c" b"(bc'a' - b'rn) + c"a"hh'(c - c') = O.

Moyen-Âge et de la Renaissance. De Jusqu'à l'aube du xxe siècle, les grands


grands mathématicien s se sont ainsi
adonnés au plai sir de la joute mathé-
mathématiciens s'adonnaient aux jeux
matique. Léonard de Pi se (1170-1250), mathématiques, et les problèmes ludiques
qui allait devenir célèbre sous le nom nourrissaient la recherche fondamentale.
de Fibonacci , ne s'est-il pas fait
connaître lors d ' une « dispute » mathé- Descartes , Mersenne ... Et n'est-ce pas
matique organ1see par Maître le grand I aac Newton en personnes qui
Giovanni de Palerme pour l' empereur proposa le « casse-tête des 9 arbres » ?
Frédéric II ? François Viète (1540- Au XVIII e siècle, Euler imagina le pro-
1603) n'a-t-il pas résolu le défi « à tous blème des « 36 officiers » et jeta les
les mathé maticiens d ' Europe » lancé bases de la théorie des graphes pour
par le Flamand Adrianus Romanus ? résoudre un autre casse-tête, celui des
Bl aise Pascal , quant à lui , organisa un « sept ponts de Konigsberg ». Au x,xe
véritable jeu primé autour de cinq pro- siècle, Hamilton, Cayley, Bertrand puis
blèmes. Personne ne ré pondit dans les Lucas perpétuèrent ces défis ludiques.
temps pour remporter les deux prix de Encore plus près de nous , Pal Erdosz
40 et 20 pi stoles qu ' il avait mi s en jeu. ( 1913-1996) avait l' habitude , lors de
Le XV II e siècle vit d ' ailleurs de nom- ses conférences , de proposer des pro-
breux échanges sous forme de défis , en blèmes et d ' offrir pour le ur résolution
particulier entre Pascal, Fermat , de petites sommes - de l'ordre de 50 $

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Ta.n9ente m


HISTOIRES Petite histoire ...

mathématiques, et qu ' il s n 'étaient pas


F ibona cci propose dans son issus du sérail des chercheurs. Les pre-
L ibe r A baci ce petit problème miers « ludogra phes », comme on les
qui depuis a fait florès. appe lle , firent leur ap parition à la fin
S'il faut 4 heures à un lion pour du XIXe siècle à la faveur d ' un intérêt
dévorer un mouton, 5 hew·es à un croissant du public , de li vres ou de
léopard et 6 heures à un ours, revues pour les « récréations mathéma-
mathématiques combien d'heures faudra-t-il aux tiques». Dans le monde anglo-saxon,
trois animaux réunis pour mettre troi s nom s se détachèrent : Lewis
à mal un mouton ? Carroll , Sam Loyd , Ernest Dude ney.
Parmi eux, seul l'aute ur d' « Alice au
pays des merveilles » était mathémati-
- qu ' il payait de ses deniers quand on cien, et encore n 'éta it-il pas chercheur.
lui fournissait une solution acceptable. Les deux autres, qui étaient autodi-
dactes des mathématiques rivali sèrent ,
l'auènement des ludographes par rubriques de journaux interposées,
de part et d 'autre de l'A tl antique, se
Jusqu 'à l'aube du xxe siècle, les grands plag iant mutue lle ment , à te l point
mathématiciens s' adonnaient aux jeux qu 'on hés ite parfoi s lorsqu ' il s'ag it
mathématiques, et les problèmes d 'attribuer la paternité de te l ou tel
ludiques nourrissaient la recherche fon- problè me à l' un des de ux. Une chose
damentale. C 'est à cette période qu 'on vit est sûre : il s bénéfic ièrent d ' une popu-
néanmoins un début de schi sme entre larité inouïe , vendant leurs productions
mathématiques ludiques et mathéma- à des millions d'exemplaires. Le coup
tiques fondamentales. Quelques médiatique -et commercial- le plus
mathématicien s affichèrent un certa in réussi fut sans nul doute celui du taquin.
déda in pour les jeux, para ll è le ment à Sam Loyd promit une somme cons idé-
- ou à cause de - l' arrivée de nou- rable à celui qui parviendrait à reconsti-
veaux ve nu s dans le mo nde des jeux tuer l'ordre nature l des 15 premiers
nombres dans ce puzzle où le 14 et le 15
avaient été inversés . Il ne prenait pas
grand risque : la théorie de la parité des
permutations permettait de montrer que
le problème était impossible !
En langue française , à la même époque,
parurent les œuvres d'Édiuard Lucas ,
qui , outre le fait de brosser un panorama
complet des récréations mathématiques,
apporta de nombreuses trouvailles , tant
théoriques que ludiques. La « tour de
Hanoï » reste sans aucun doute le plus
célèbre de ses casse-tête.
Dans la première moitié du XXe siècle , de
nombreux spécialistes s' intéressèrent aux
récréations mathématiques , au point que
de ux congrès f urent organi sés : le pre-
L ewis carroll mier à Bruxelles en 1935 par Maurice

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

Kraïtchik , animateur de la re vue « Le


Sphinx », le de uxiè me à Paris e n 1937
par André Sainte-Lagüe, responsable du
département mathématique du Palais de
la Découverte.

martin Gardner

Une no uve lle vie fut insufflée après


gue rre aux récréatio ns mathé matiques,
grâce avant tout à un ho mme, qui , bie n
q ue no n mathé matic ie n , po pul arisa les
mathé matiq ues plus effi caceme nt que
to us les mathé maticie ns réuni s. Il s'agit
de Martin Gardner, chronique ur à la
rev ue « Sc ientific American » (traduite
en français sous le no m de « Pour la
Sc ience » ), qui , pa r son géni e fa it à la
fo is d' imagination et de rigueur, les rela- Martin gardner
tions étroites et les échanges permane nts
qu'i l a e ntrete nus avec la communauté magazine Jeux & Stratégies, qui fédé ra
mathématique, fut à l'origine de no mbre a uto ur de lui plu s ie urs centa in es de
de vocations, tant en mathématiques que millie rs d 'amate urs, e t le la nceme nt du
dans le domaine ludique, à comme ncer C ha mpi o nn at Inte rna ti o na l de Je ux
par celle de l'auteur de ces lignes. M athé ma tiques (bi e ntôt sui vi pa r des
D ' autres vul garisate urs de ta le nt lui ra ll yes rég io na ux e t pa r le Concours
emboîtèrent le pas : Ray mo nd Ka ngo uro u), po int de dé pa rt d ' une
Sm ull ya n a ux USA, Pi e rre Be rl oquin no uve ll e vag ue de co mpé titi o ns
en France. La France fut mê me e n mat hé matiqu es qui ne s'es t pas to u-
poi nte da ns les a nnées q uatre-v in gts, jo urs dé me nti e.
avec de ux événe me nts : la parutio n d u G.C.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente 11:11
SAVOIRS par Benoit Rittaud

l 'inuentiondes
nombres rééls
Le dix-neuvième siècle est le siècle de toutes les remises en
question mathématiques. Les fondements sur lesquels
reposent les mathématiques ne semblent plus sûrs. Les
nombres en particulier font l'objet de doutes.

A
Dedekind expliquant à Cantor sa théorie des coupures. u di x-neuviè me siècle , les
f,: \; ,I mathématiques semblent
,C1tly
f prendre l'eau de toutes parts .
La géométrie d 'Euclide, qui passait pour
invulnérable, est attaquée, notamment par
Riemann . La logique , qui n'avait plus
fa it parler d ' e lle pratiquement depui s
Ari stote, change de peau avec les tra-
va ux de Boo le . Sans parler de la ques-
ti on des fo ndements, des bases de la
science mathématique , qui semblent de
moins en moins assurés. Et les nombres
ne sont pas épargnés par cette vague de
remise en question.

Un concept central

Il peut sembler curieux qu ' un concept


auss i central que celui de no mb re a it
mi s si lo ngte mps à être tiré au c lair.
Les notions de continuité, de convergence Pour nous qui manipulons les no mbres
ou de limite n'émergent qu'au début du à longueur de journée , il y a de quo i se
de mander ce qu ' ont bien pu fa ire les
dix-neuvième siècle, et c'est pour mieux mathé mati c ie ns plutôt que d 'essayer
comprendre ces notions difficiles qu'ilfaut d ' e n dégager une notion claire le plu s
préciser ce qu'on entend par nombre. vite poss ibl e . Mais il fa ut compre ndre

m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

que le besoin ne s'en était guère fait pline, après avoir régné en maître sur
sentir. Les notions de continuité, de toutes les mathématiques, avait déjà
convergence ou de limite n'émergent perdu de sa superbe. Depuis le dix-
qu'au début du dix-neuvième siècle, et septième siècle, l'arithmétisation des
c ' est pour mieux comprendre ces mathématiques était commencée (cf.
notions difficiles qu ' il faut préciser ce L'avènement de l'arithmétique dans ce
qu'on entend par nombre . numéro) . On ne reconnaissait donc
Tous les nombres ne posent pas les plus à la droite l'autorisation de définir
mêmes problèmes. Ce qui intéresse les les nombres, comme on avait pu l'en-
mathématiciens comme Bolzano , visager auparavant en disant que, un
Weierstrass, Méray , Cantor ou point origine O et un point A étant
Dedekind est surtout de fonder une choisis sur la droite (pour fixer l'unité
théorie qui bouche correctement les de mesure), chaque nombre s'identifie
trous laissés par les nombres ration- au point de la droite dont la distance
nels. On admet l'ex istence des algébrique à O (mesurée par l'unité de
nombres entiers (voire : on ne se pose mesure OA) est égale à ce nombre
pas la question), on en déduit une (vo ir figure).
construction des nombres fraction-
naires, et l'on cherche comment définir Il fallait faire le contraire : la droite
proprement les autres nombres, les n'était déjà plus qu'un support visuel à
" irrationnels" tels que V2 ou 1r (I ' irra- une réalité mathématique différente, de
tionalité de ce dernier est. connue nature non plus géométrique mais
depuis le dix-huitième siècle) . arithmétique, algébrique.
Hi storique ment , les choses se dérou- On peut séparer les différentes
lent selon une chronologie quelque peu constructions proposées des nombres
désordonnée: c'est en 1872 que réel s en deux catégories. La première
Dedekind propose ses célèbres "cou- est celle qui utilise les propriétés des
pures" (q ue nou s verrons plu s loin), suites , elle est notamment l'œuvre de
donnant une première définition Cantor et Heine. La seconde est due à
"acceptab le" des nombres réels, alors Dedekind , elle utilise, elle, la relation
qu'il faut attendre 1892 pour que d 'ordre entre les nombres . Les deux
Peano propose une première axiomati- présupposent l'ex istence des nombres
sation de l'ensemble des entiers natu- rationnels, qui servent de tremplin
rels. Les nombres complexes, entités pour définir les irrationnels.
algébriques étudiées depui s la
Rena issance et englobant entre autres l'idée de Cantor
les réels, étaient , eux, clairement défi-
nis dès le début du dix-neuvième Pour décrire en quelques mots la
siècle, avec notamment les travaux de méthode de Cantor, on pourrait dire
Gauss. Clairement définis , pour peu qu 'e lle consiste à définir les irration-
tout de même que l'on s'accorde sur la nel s comme limites de rationnels.
définition d'un nombre réel .. .
X

Définition des nombres réels


0 A M
À l' époque, il n' est plu s question de
faire appel à la géométrie. Cette disci- La droite réelle

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS L'invention des réels

Con sidéron s une suite (u,,) 11 E 1\1 de On pe ut mo ntre r, sans fa ire appe l à
nombres rationne ls possédant la pro- d 'autre notion que cell e de no mbre
pri été sui va nte: pour toute suite d 'en- rati o nne l, que cette suite te nd ve rs
tiers r (n), la quantité u,, + r(n) - u11 tend 1/( 1 - 1/1 0 ), c'est-à-dire 10/9 (que
vers zéro quand n tend vers l' infini nous écri vo ns auss i l , l l l l l l l ... , utili-
(en un sens que l'on pe ut définir so i- sant les points de suspe nsio n co mme
gne usement). définiti on intuiti ve d ' une limite) .
M ais il est d 'a utres s uites fo nd ame n-
Cette propriété correspond à une suite ta les po ur lesque lles il n 'ex iste aucun
dont les termes sont de plus en plus rati o nne l qui en so it la limite. Par
proches les uns des autres. Une telle suite exemple, la suite dé fini e par
est appelée "fondamentale" par Cantor.

On pe ut dé mo ntrer qu ' il ne pe ut y u 2 = 1, 1 1 + 1/ 10
avo ir de ux no mb res rati o nne ls I po ur u3 = 1, 11 1 + 1/ 10 + ( 1/10) 2
lesque ls la suite des quantités u 11 - l u 4 = 1, 1101 1 + 1/10 + ( 1110)2 +
tende vers zéro. En langage intuiti f, on ( 1/1 0)4
dirait qu ' une s uite ne pe ut avo ir de ux U5 = 1, 110 1000 1
limites à la fo is . = 1 + 1/1 0 + ( 1110)2 + ( 1/10)~ +
( 1/ 10) 8
C'est là l' idée de C anto r. Pour cer- u6 = 1, 1 10 100010000000 1
ta ines suites fo nda me nta les, co nsti - = 1 + 1/1 0 + ( 111 0)2 + ( 1/10) 4 +
tuées, ra ppe lo ns- le, unique me nt de ( 1/1 0) 8
nombres rationnels, il ex iste effecti ve- + ( 1/10) 16
ment un rati onne l l po ur leque l u,, - L
te nd vers zéro : c'est par exempl e le etc. (Le fa it que cette suite n'admette
cas de la s uite dé fini e par la somme pas de limite ra ti o nn e ll e prov ient d u
des termes d ' une suite géométrique de fai t que l' écriture déc imale de la li mite
premier terme I et de raison li 10 : n'est pas pé riodique .)

u, = Qu 'à ce la ne ti enne, décla re a lors


u 2 = 1,1 + 1/ 10 Méray, auteur en 1894 d' un tra ité dont
u 3 = 1,11 + 1/1 0 +( 1/1 0) 2 les idées sont assez proches de ce! les
u 4 = 1,11 ! + 1/10 + ( 1110)2 + de Cantor : créons tout simple ment un
( 1/1 0) 3 . nouvea u no mb re, irrati onne l celui -là,

E:J Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: L'ÉPOQUE CLASSIQUE

qui sera, par définition la limite de nombre (rationnel , redi sons-le) corres-
notre suite . C'est la façon la plu s pond une coupure (et une seule), mai s
séd ui sante de conclure, mai s, comme qu'à une coupure ne correspond pas
nou s le verrons plus loin , e ll e fut en toujours un rationnel pour faire la fron-
butte à de nombreuses attaques. tière . Définissons par exemple l'en-
se mble A + comme l'ensemble des
Cantor, lui , en reste aux suites. Il rationnels positifs dont le carré est plus
déclare que toutes les suites fondamen- grand que 2, et A - comme l'ensemble
tales (u,,) 11 E N telles que (u,, - v,,) 11 E N des autres rationnels.
tend vers zéro constituent une mê me On montre facilement que le couple
classe, celle de (u,,) 11 E N ' et que c'est (A - , A +) constitue une coupure : tout
cette classe prise dans so n ensemble rationnel est soit dan s A soit dans
qui constitue un nombre. Ce nombre A+, et tout élément de A - est inférieur
est rationnel lorsqu ' i I existe un à tout élément de A +. Mais aucun
membre de la classe qui est une suite rationnel n'est là pour faire la fron-
constante éga le à un certain rationnel l, tière, et pour cause : la frontière est ce
irrationnel sinon . Cette méthode , très que nous appelons d ' habitude V2, qui
abstraite , est aujourd'hui la plu s cou- n'est pas rationnel.
rante dans les cours de mathématiques Dedekind définit alors les nombres
pour définir les réels. L'ex pliquer en réels en postulant que les frontières des
détails serait trop long , retenons s im- coupures non associées à des ration-
plement que Cantor a franchi un pas nels constituent les entités nouvelles
important en acceptant l' idée que les que sont les i1ntionnels.
nombres réel s pouvaient être définis de Bien sûr, dans toutes ces construc-
façon fort é loi gnée de nos idées pré- tions , il importe de démontrer soi-
conçues sur ce que c'est qu'un nombre . g neusement chacune de nos
affirmations, et aussi de s'assurer que
L'idée de Dedekind ce que l'on construit correspond bien
à l'idée que l'on se fait de l'ensemble
Venons-en à Dedekind , dont l'ap- des nombres réels. En particulier, il
proche est toute différente. Dedekind faut s'assurer de ce qu'on peut multi-
est l' homme de l'ordre . Il remarque plier, additionner, comparer, sous-
que, lorsq u'o n se donne un nombrer traire , etc., comme on le faisait depuis
(rationnel) , le reste des nombres toujours (et sans trop se poser de
(rationnels) peut se répartir en deux questions) .
catégories : les nombres inférieurs à r
et les nombres supérieurs à r.
Appelons Ir la partie de gauche, consti-
tuée des nombres (rationnels,
toujours !) inférieurs à r, et Sr la partie
de droite, des nombres supérieurs à r :
le couple (Ir, Sr) constitue une cou-
pure, c'est-à-dire une partition de l'en-
semble des rationnels en deux
morceaux tels que tout élément de l'un
est inférieur à tout élément de l'autre .
Dedekind remarque alors qu 'à chaque

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente II;]
HISTOIRE DES IDÉES L'invention des réels

sur la vision, plus intuitive, de Méray.


Pour corriger la construction de
Dedekind, Russell supprime purement
et simplement ces "créations", et définit
comme nombre la coupure elle-même,
et non plus sa frontière. Ce que l'on note
V2 ne désigne alors plus le point limite
entre les ensembles A - et A + définis
plus haut, mais la coupure (A - , A +)
dans son ensemble. En d'autres termes ,
on prend la carte des deux régions, et
non simplement le lieu de la rencontre.
Bilan : rien n' est plus créé pour la cir-
Problème de logique constance, aucun lapin irrationnel ne sort
plus du chapeau des nombres rationnels.
Reste une objection logique qui se pose, Le prix à payer pour cela est analogue à
aussi bien dans la démarche de Méray celui de la construction de Cantor : une
que dans celle de Dedekind. Les deux abstraction grandissante , qui éloigne la
mathématiciens ont en effet créé des défmition mathématique de la perception
entités nouvelles, ou plus exactement usuelle. Est-on alors bien sûr que les
défini des objets nouveaux qui leur objets abstraits ainsi construits représen-
convenaient. Russell , au début du ving- tent bien ce que nous voulons, et dont la
tième siècle, s'oppose de façon humoris- droite géométrique nous donne la percep-
tique à ce procédé en ces termes : « la tion ? Les constructions de Cantor et de
méthode qui consiste à [créer] ce dont Dedekind (en tenant compte de la correc-
on a besoin présente de nombreux avan- tion de Russell) sont-elles équivalentes ?
tages. Ce sont les mêmes avantages que La réponse à cette dernière question est
présente le vol vis-à-vis du travail hon- oui. Pour la première question , il faut se
nête » . C'est là le réel problème de souvenir de ce que les mathématiciens
l'existence du défini. Il ne suffit pas de qui ont proposé ces constructions ont été
définir une notion nouvelle pour que des inventeurs et non des découvreurs.
celle-ci représente automatiquement un Leur but était d'arithmétiser une notion
objet existant. Notons que le problème intuitive aux contours flous , pour ensuite
ne se pose pas pour la construction de poursuivre l'œuvre mathématique.
Cantor, c'est l'avantage qu'elle présente B.R.

Pourquoi N, 7L, Q , IR, C ?


N désigne l'ensemble des entiers naturels. baptisés ainsi par lïtalicn Giuseppe Peano ( 1858- 1932) (naturale en
italien) : dire que N est l'initiale de nombre est donc un contresens .
:71_ est l'ensemble des entiers relatifs . initiale duc it !'Allemand Richard Dedekind ( 1831 - 1916). car « compter »
se dit ::.ah/en en allemand : cela n'empêchera pas certains de dire que c'est l'ensemble des « zcnticrs » .. . Q est
l'ensemble des nombres rationnels. baptisé ainsi par Peano (tJ11otie11te = quotient en italien).
IR est l'ensemble des nombres réels. baptisés ainsi par I' Allemand Georg Cantor ( 1845 - 1918) (Real= réel en
allcmand) .IC est l'ensemble des nombres complexes . baptisés ainsi par Karl rricdrich Gauss ( 1777 - 1855) en
remplacement du terme « imaginaire ».

~ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


HISTOIRES par BenoÎt Rittaud

Sept défis
pour un millénaire
En 1900, David Hilbert avait recensé les « 23 problèmes du
siècle ». Cent ans après, la communauté mathématique lance
un défi à l'avenir sous forme de sept problèmes majeurs,
primés à la hauteur de leur enjeu.

L
es défis du prochain siècle siècle. S. Smale a relevé le défi, en pro-
font écho au « Programme de posant une liste qui fait une place signi-
Hilbert », proposé en 1900 au ficative à des problèmes issus de
cours d'une conférence restée célèbre, l'informatique. D'autres mathémati-
dans laquelle le mathématicien David ciens, sollicités, ne s'y sont pas risqués,
Hilbert avait donné une liste de 23 pro- tant il est difficile de prévoir la manière
blèmes qu ' il pensait être les plus déci- dont les mathématiques évolueront dans
sifs pour les mathématiciens du les prochaines décennies. Un grand col-
vingtième siècle. Le grand retentisse- loque sur le thème des mathématiques
ment de son programme tint à son du prochain siècle s'est d'ailleurs tenu à
caractère visionnaire : beaucoup des Los Angeles , au mois d'août.
problèmes de Hilbert se révélèrent Si vous vous demandez comment deve-
extrêmement féconds. Hilbert lui-même nir millionnaire en faisant des mathéma-
n 'en a résolu qu'un seul, et les plus tiques , voici la réponse : il vous suffit de
grands noms du vingtième siècle sont résoudre l'un des sept problèmes choisis
attachés à l'étude de certains d'entre par le Clay Mathematics lnstitute
eux. Tous ne sont pas résolus, et nul ne (CMI), une fondation créée il y a deux
Steve Smale sait quand le programme sera achevé. ans par le mécène américain Landon
(1930-2000) La tentation était grande d 'élaborer un Clay, son épouse Lavinia ainsi qu'Arthur
programme analogue qui concernerait Jaffe. Si ce dernier est professeur à l'uni-
les mathématiques du vingt-et-unième versité de Harvard , l'homme qui a donné
son nom au CMI est un homme d 'affaire
américain, qui n'a jamais été mathémati-
Les défis du prochain siècle font écho au cien ; « pas même un amateur, mais plu-
« Programme de Hilbert », proposé en 1900 tôt un spectateur», confie-t-il lui-même.
au cours d'une conférence restée célèbre. Le 24 mai dernier, au Collège de France,

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

Les 23 problèmes de David Hilbert


Pb 1 : L'hypothèse du continu (existe-t-il une partie de IR qui ne soit équipotente ni à N, ni à IR?).
Pb 2 : L'arithmétique est-elle consistante? Oes axiomes de l'arithmétique sont-ils contradictoires ?)
Pb 3 : Peut-on reconstituer un cube et un tétraèdre de même volume à l'aide des mêmes polyèdres
en nombre fini ?
Pb 4 : Déterminer toutes les géométries pour lesquelles la distance la plus courte entre deux points
est obtenue par le segment de droite.
Pb 5 : Existe-t-il des groupes de Lie « continus » ?
Pb 6: Peut-on mathématiser les axiomes de la physique?
Pb 7 : e rr est-il transcendant?
Pb 8 : Prouver la conjecture de Riemann.
Pb 9 : Prouver le résultat le plus général sur la loi de réciprocité quadratique.
Pb 10 : Trouver un algorithme permettant de déterminer en un nombre fini de pas si une équation
diophantienne à des solutions entières.
Pb 11 : Établir la classification des formes quadratiques à coefficients dans des anneaux d'entiers
algébriques.
Pb 12 : Généraliser le théorème de Kroneker sur les corps communatifs.
Pb 13 : Montrer l'impossibilité de résoudre des équations généralisées du 7e degré à l'aide de
fonctions de deux variables.
Pb 14 : Prouver la finitude de certains systèmes complets de fonctions.
Pb 15 : Trouver un fondement rigoureux de la géométrie énumérative de Schubert.
Pb 16 : Questions sur la topologie des variétés algébriques.
Pb 17 : Une fonction rationnelle qui ne prend que des valeurs positives
est-elle une somme de carrés de fonctions rationnelles ?
Pb 18: Avec quelles familles de polyèdres identiques peut-on paver l'es-
pace?
Pb 19, 20 et 23: Questions liées aux équations aux dérivées partielles.
Pb 21 : Prouver l'existence d'équations différentielles linéaires ayant un
groupe de monodromie donnée.
Pb 22 : Résoudre le problème d'uniformisation des courbes analytiques.

À l'heure actuelle, un certain nombre de ces problèmes ne sont pas ou


ne sont que partiellement résolus. Mais rien ne dit qu'ils ne le seront
pas un jour s'il faut en croîre l'épitaphe de David Hilbert sur sa tombe à
Géittingen : Wir müssen wissen, wie werden wissen (nous devons
savoir, nous saurons) .

dans un amphithéâtre bondé de plus de Un million de dollars par problème


500 personnes, ont ainsi été présentés sept
problèmes mathématiques contempo- L' initiative fait bien entendu écho à la
rains, dits« problèmes du millénaire », célèbre conférence donnée durant l'expo-
dotés chacun d' un prix de un million de sition universelle de Paris en 1900 par
dollars pour celui - ou celle, ou ceux - qui David Hilbert, lequel avait sélectionné 23
en viendrait à bout. problèmes ouverts pour le vingtième

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


HISTOIRES Sept défis pour un millénaire

siècle qui allait naître. Parmj ces vingt-


Une formulation de la trois problèmes, douze sont aujourd' hui
conjecture de Riemann résolus, huit autres ont été bien entamé ,
et trois résistent encore à la sagacité des
chercheurs. Seul l' un des problèmes de
Hilbert a été repri s par la commiss ion
Si n{x) désigne le nombre scientifique du CMI : l' hypothèse de
d'entiers naturels premiers
Riemann , dont il ex iste plusieurs for-
inférieurs ou égaux à x et
mulations poss ibles, toutes assez com-
Li désigne la fonction
pliquées (cf. encadré). En gros, il s'agit
« logarithme intégral », i.e.
de savoir comment se di stribuent les
nombres premjers (i.e . qui ne sont divi-
Li(x) = rx dt ' sibles que par eux-mêmes et par 1) dans
J2 ln t l'ensemble des entiers naturels.
alors, pour une certaine
constante c, on a l'inéga- Tous les problèmes choisis par le CMI ,
lité suivante, pour tout x : s' ils ont une importance considérable
e n eux-mê mes, souffrent sans doute
I n{x) - Li(x) 1 ~ c x ln x. d' être véritablement hermétiques au
profa ne. Difficile de croire, donc, que
l' intérêt que l'événement pourra susci-
ter dans le grand public concernera
autre chose que l'argent mis en jeu, et
difficil e auss i d 'espérer érieuseme nt
expliquer en des termes access ibles le
contenu et les enjeux de ces problèmes.
En-dehors de la conjecture de Riemann ,
les six autres problèmes sont : la
conjecture de Birch et Swinnerton-
Dyer , relative aux équations dites
« dioph antiennes», c'est-à-dire des
équations à plusieurs inconnues dont on
cherche à déterminer d 'éventuelles
solutions qui soient des nombres
entiers; le problème P= NP, le seul du
lot à être un problème issu de l' informa-
tique, qui consiste à savoir, en gros, s' il
ex iste ou non des problèmes difficiles à
résoudre dont on puisse contrôler rapi-
dement la validité d' une solution éven-
tu e ll e; la conjecture de Poincaré ,
qui co ncerne des proprié tés topo lo-
giques d 'ensembl es tridime ns ionne ls
(analogues à des « surfaces de dime n-
s ion 3 ») ; la conjecture de Hodge,
posée en 1850 , qui se réfère à la classi-
fication d'objets mathématiques à partir

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

d'outils originellement destinés à qu ' Alain Connes , ont reçu le « Clay


l'étude d'objets géométriques; enfin , la Mathematics Award » pour leurs travaux
théorie de Yang-Mills et les équations mathématiques des mains d ' Andrew
de Navier-Stokes , qui sont deux pro- Wiles, qui en avait été le premier lauréat,
blèmes de la physique mathématique. À notamment pour avoir démontré la
noter que, pour Yang-Mills, certains fameuse « conjecture de Fermat ». Avant
chercheurs considèrent que la formula- que John Tate, de l'université d'Austin
tion du problème donnée par le CMI est (Texas) et Michael Atiyah, professeur
partiellement erronée. « Emeritus » de l'université de
Cambridge (Royaume-Uni) n' exposent
Un siècle après Hilbert ces problèmes, Timothy Gowers , profes-
seur à Cambridge, a présenté une confé-
L'esprit de Hilbert était bien au rendez- rence sur « L'importance des
vous du Collège de France, les organisa- mathématiques ». Il s'est livré, en utilisant
teurs de l'événement ayant même pu faire des exemples particulièrement ludiques, à
écouter un enregistrement audiophonique un plaidoyer pour la recherche mathéma-
de la voix du mathématicien allemand, tique , laquelle, somme toute peu coû-
que l' on entend notamment prononcer teuse, doit être défendue y compris
son épitaphe : « Wir müssen wissen. Wir lorsque les applications ne semblent pas
werden wissen. » [Nous devons savoir. se manifester tout de suite : on ne peut pas
Nous saurons.]. La « rencontre du millé- savoir à l'avance quelles parties serviront
naire » a tenu ses promesses , bien qu ' on un jour (pensons à la théorie des nombres ,
ait pu reprocher au conseil scientifique du qui a mis des siècles à servir, en crypto-
CMI (composé d'Alain Connes, d 'Arthur graphie) ; de plus, même ce qui ne sert
Jaffe , d ' Andrew Wiles et d'Edward pas peut parfois être relié à quelque
Witten) d'avoir été un peu conventionnel chose d ' utile qu 'on ne pourrait atteindre
dans son choix de problèmes. autrement . Puissent nos décideurs ne
À l'occasion de la rencontre du millé- pas l'oublier.
naire, Laurent Lafforgue, du CNRS, ainsi B.R.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ~


HISTOIRE DES IDÉES par Francis Casiro

la logique moderne
de Boole à Gtidel
La logique, philosophie ou mathématique ? Dès son origine,
elle jouit de ce double statut. Mais jusqu'au XVIIIe siècle elle
appartient surtout au discours philosophique. Il faut attendre
Georges Boole pour qu'elle bascule définitiv ement dans le
giron mathématique.

gramme (dans son Grand Art, il ima-


gine un moyen infaillible de convertir
les infidèles musulmans à l'aide d ' une
technique de mécanisation des opéra-
tions logiques), mais il est préférable
de voir en Hobbes ( 1588-1679) qui ,
dans son Levathian, proclame « La
raison n 'est rien d'autre qu 'un
calcul » , et surtout en Leibniz (1646-
1716) les premiers tenants d ' une
logique symbolique . Ce dernier envi-
sage de créer un langage universel
(charasteristica universalis) couplé à
un calcul du raisonnement (calculu s
ratiocinator) pouvant régler toutes les
disputes et tous les différents entre par-
ties opposées (les adversaires tradui-
sent les arguments en characteristica
et se mettent ensuite simplement à cal -
culer). Le travail de Leibniz est resté
en grande partie non publié et son
influence a été quasi nulle.

L
'idée de réduire le raisonne-
ment au calcul n'est pas nou- les lois de la pensée
velle. Certains historiens des
sciences voit en Raymond Lulle Le premier système logique cohérent
( 1233-1316) l'initiateur de ce pro- est l'œuvre de George Boole (1815-

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d ' histoire des mathématiques
DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

1864) dans son livre Les lois de la pen- les travaux de Frege (1848-1923) et de La civilisation
sée. Boole éta it convaincu que l'esprit Peano (1858-1932) pour voir appa- progresse en
accomplit certains processus de raison- raître, avec l' introduction des quantifi-
nement qui ne sont que les axiomes de cateurs « pour tout » et« il existe», les
augmentant
la logique . Ainsi la loi « A ne peut être premiers systèmes de logique formelle le nombre
B et non-B en même temps » est for- aptes à s'appliquer à l'ensemble des d'opérations
malisée par l'équation : mathématiques. importantes
x( l -x)=O
la grande crise pouvant être
(x est la classe des A qui sont B , 1 - x,
celle des A qui ne so nt pas B, 1 est la exécutées
classe universelle , 0, la classe nulle) . Parallèlement aux développements de sans y penser.
Boole a créé une algèbre des classes et la logique formelle, Georg Cantor Alfred N .
une algèbre des propositions. En voici (1845-1918) inventait la théorie des
Whitehead
deux exemples très simples. ensembles. On lui doit la découverte de
l'existence de plusieurs types d' infinis, (1861-1947)
Si x = {portant un chapeau} et y = ce que n'avaient pu voir deux mille ans
{portant une cravate}, alors x + y équi- de spéculations philosophiques .
vaut à la classe des hommes portant un
chapeau ou une cravate et xy coïncide Deux ensembles ont le même cardinal
avec la classe des hommes portant à la (le même type d ' infini) s'il existe une
fois un chapeau et une cravate. bijection entre eux (à chaque élément
du premier on peut faire correspondre
Si z = {Anglais} alors z (x + y) équi- un et seul élément du second, et réci-
vaut aux anglais portant un chapeau ou proquement). Il montre ainsi qu ' un
une cravate, soit z (x + y) = zx + zy. ensemble infini et l'ensemble de ses
L'algèbre de Boole possède beaucoup parties n'ont jamais le même type d ' in-
de similitudes avec l 'algèbre « clas- fini . Il parvient aussi à prouver que
sique » mais elle s'en écarte sur un l'infini des entiers naturels, qualifié de
certain nombre de points ; il en est
ainsi de la loi d ' idempotence: x 2 = x
(qui n'affirme rien d 'autre que: « les Bertrand Russel
logiciens qui sont des logiciens sont (1872-1970) est l'un des
des logiciens »). protagonistes de la crise des
fondements née de la
Une proposition est so it vraie (1), soit découve1te de contradictions
fausse (0). Pour deux propositions x et dans la théorie naïve des
y, le produit xy (c'est-à-dire la proposi- ensembles.
tion x et y) est égal à : Lui-même a mis le doigt sur
si x = 0 et y = 0 alors xy = 0 ce1tains paradoxes comme
si x = 0 et y = 1 alors xy = 0 celui-ci qui porte son nom :
si x = 1 et y = 0 alors xy = 0 Si on considère l'ensemble A= {X / X El: X}, chacune des
si x = 1 et y = l alors xy = l . hypothèses A E A et A El: A aboutit à une contradiction.
On en déduit la « loi » : « x et y » est Il l'a vulgarisé sous la forme du paradoxe du barbier:
vraie si et seulement si x et y sont vraies. Dans un village, un barbier rase les honm1es qui ne se rasent
La logique de Boole souffrait d ' un pas eux-mêmes et seulement ceux-là. Le barbier se rase-t-il
grave défaut : elle se limitait au calcul lui-même ? Russel a reçu le prix Nobel de littérature en 1950.
sur les proposition s. Il fallut attendre

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


HISTOIRE DES IDÉES La logique moderne

Cantor avait montré qu'à tout ensemble


George Boole est né à Lincoln en on pouvait en associer un autre « beau-
1815 et mort à Balling Temple en 1864. coup plus gros », à savoir l'ensemble de
Boole est le premier avec de Morgan à toutes ses parties. Si on appliquait ce
fonder la logique mathématique indé- résultat à l'ensemble uni versel, l' en-
pendamment de la philosophie. semble de tous les ensembles, on devait
admettre que cet ensemble devait conte-
nir l'ensemble de ses parties, étant ainsi
dénombrable est distinct de l' infinj des plus grand qu ' un ensemble qui était
nombres réels, qualifié de continu , en strictement plus grand que lui !
utili sant l'argument de la diagonale
(vo ir l'encadré) . Il se pose a lors la Le prem ier re mède fut apporté par
question épineuse de savo ir s' il existe Russell lui-même dans le monumental
un infini qui s' intercale entre celui du ouvrage Principia Mathematica qu ' il
dénombrable et celui du continu. Il ne écrivit en co ll aboration avec
parviendra jamais à résoudre ce pro- Whitehead . Outre l' apparei l mathéma-
blème , connu aujourd ' hui sous le nom tico-logique indispensable à tout sys-
d ' hypothèse du continu. tème formel , il y développe la théorie
des « types » qui interdit l'existence
Mais ses soucis ne s'arrêtèrent pas à d ' ensembles qui appartiennent à eux-
cela. Dans l'esprit de Cantor, la théorie mê mes. (Depui s, la commun auté
des ensembles devait être le socle de mathé matique lui a préféré un autre
tout ! 'édifice mathématique . Or ce système axiomatique, celui de
socle était des plus friables. La théorie Zermelo-Fraenkel .)
des ensembles souffrait d ' un défaut
rédhibitoire : elle était contradictoire ! Pour avoir une idée de la façon dont
Le premier à révéler la faille de la théo- Ru ssell a contourné la difficulté , sui-
rie cantorienne fut Bertrand Russell , vons son exem ple du « paradoxe du
entraînant par là-même ce que l'on a bibliothécaire ». Imaginons un biblio-
appelé depuis la crise des fondements. thécaire se proposant d 'établir le cata-
logue des livres qui se ci tent
eux- mê mes et le catalogue des li vres
Ku r t God e ) est né à Brünn en 1906 et mort à qui ne se citent pas . Avant d' e ntre-
Princeton en 1978. Sa pensée est avant tout métaphy- pre ndre son travai l titanesque , le
sique et son oeuvre mathématique se limite à la bibliothécaire se pose la question de
logique. En philosophie, il pense que savoir si le second catalogue , celui des
les objets mathématiques existent livres qui ne font pas référence à eux-
par eux-mêmes, indépendamment mêmes, doit se c iter ou pas . S'il ne se
de notre esprit. Pour lui, les mathé- cite pas , il doit appartenir aux livres qui
matiques se découvrent, elles ne ne se c itent pas, et doit donc , pui sq ue
s'inventent pas. Il s'inscrit donc telle est sa caractéristique, se citer. S ' il
dans la logique du Platon du mythe se cite , il doit appartenir à la catégorie
de la caverne. Pour la petite histoire, des li vres qui se citent , et par consé-
notons qu 'il semble que Gi:idel ait quent il ne doit pas se c iter. Dans tous
cru aux fantômes et à la possibilité les cas, on aboutit à une contradiction.
du voyage dans le temps. Pour sortir de l' impasse, Russell pro-
pose une idée très simple. Le catalogue

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

La diagonale de Cantor et le problème de l'arrêt


Un no111hre réel est calculahle s'il existe un algorith111e permettant de calculer. l'un après l"autre . les chiffres
de son développement décimal. li existe . par exe111ple. des program111es d 'ordinateurs qui calculent le no111hre
\/2. le nomhre rr. le no111hre e. les racines d'équations algéhriques il coefficients entiers. etc.
La plupart des no111hres que l"on rencontre d1cctivement en Analyse sont calculahles . De 111ême que les pro-
gra111111es qui les produisent. on peut nu111éroter l"ense111hle de ces no111hres . Autrement dit. l"ense111hle des
nomhn.:s calculahles peut être écrit sous forme d'une suite .
Pre111ier fait trouhlant : Cantor a 111ontré que l"cnse111hle des réels n ·est pas déno111hrahle '
Écrivons la liste de tous les progra111111es possihles : p 1 • fl è · p ,. fl -1 · fi , . fi,, . . .. (on peut les classer co111me on
classe les 111ots dans un dictionnaire) .
Sur la 11 -iè111e ligne . on écrit le nomhre réel que calcule le progra111me JI,, . Turing retient le premier chiffre
après la virgule du premier nomhre. le deuxiè111e chiffre après la virgule du deuxième nomhre . le troisième
chiffre après la virgule du troisième nomhre . et ainsi de suite . li ohtient ainsi un no111hre O.d 1d èd ,d:/f,d,, . . . li
modifie alors chacun des chiffres de ce nomhre œ qui donne un autre no111hre O.a 1aèa ,a-10 ,a,,... Si œ nomhre
est calculahle . il figure dans la liste précédente. Soit II k nu111éro de la ligne ou figure œ nomhre. On a :
a,, = d,, œ qui est ahsurde . Le no111hre ohtenu n ·est donc pas cakulahle .

Montrons 111aintenant que le prohlè111e de l"arrêt n·a pas de solution . Raisonnons par l".1hsurde. Supposons
que nous disposions d'un programme uni,ersel qui permette de s.l\rnr en un no111hre fini d'étapes s1 un pro-
gra111me donné s · arrête ou non . Considéron, le nomhre .. diagonal .. précédent et proposons-nous de l 'é, aluer.
Pour déterminer le 11-iè111e chiffre de œ nomhre. on rn111111enœ il exécuter le progra111111e /1,, jusqu"it œ qu'il
fournisse un 11 -iè111e chiffre. Arrivé là . on modifie le chiffre . Mai, il y a un prohlè111e . Que ,e passe-t-il si le 11 -
iè111e progra111111e ne produit ja111ais de 11 -iè111e chiffre et que nou, restion, lit ù attendre éternellement ·>C ' est
impossihle. En dkt. le 111eneilleux programme uni,ersd dont nous a,ons supposé l"existenœ . a été exécuté
au préalahk. li nous a pré,·enu ,ur le statut de /1,,· Si /1,, ne .. plante .. pas. on lanœ l"exécution de /1,, et on
modifie k 11 -ième chiffre. sinon. on n' exécute surtout pas /',, et on reco111111enœ toute la procédure précé-
dente avec le progra111me sui, ant ,,,, 1• On ohtient ain,i une procédure effective de calcul du nomhre "dia-
gonal" de Turing . Ce nomhre est donc cakulahk . !\Jou, ahoutissons ainsi il une contradiction. li n'existe pas
d'algorithme per111ettant de savoir si un program111e quelconque s'arrête .

et le li vre ne sont pas de la mê me Hilbert et la méthode


nature. Le catalogue est un « sur- axiomatique
li vre », il est d ' un type différent. Au
li eu de se perdre dans l' uni vers uni- Le projet initi al de Hilbert (Congrès
fo rme de l' imprimé , on crée une hié- des mathémati ciens, Pari s, 1900) était
ra rchie qui év ite toute confusion : les de re ndre parfa ite ment claires les
li vres, les catalogues, les catalogues méthodes du raisonne me nt mathé ma-
sur les catalogues et ainsi de suite . tique. Pour ce la, il fa ll ait définir un
Ma is, avant même que la cri se des fo n- systè me ax iomatique fo rme l dont on
dements ne soit résolue , Dav id Hilbert pourrait déduire toutes les mathé ma-
(1862- 1943) , conva incu que « rien, ne tiques. Un tel système devait compor-
pourra nous chasser du paradi s créé ter une li ste ex pli cite des postul ats et
par Cantor », se lança it dans une entre- des méthodes d ' infé re nce ayant l'as-
prise ex traordinairement ambitieuse. sentiment de tous les mathé maticiens.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente fI;J
1
HISTOIRE DES IDÉES La logique moderne

Les problèmes indécidables


Lïnùécidahilité d'une proposition est toujours relative ù une théorie aximnatiséc et ù un système de démonstra-
tions . Changer les axiomes ou ajouter des axiomes (l't en supposant que le système ainsi transformé reste consis-
tant). peut faire changer le statut d'un énoncé: il peut très hicn dl'YL'llir décidahle dans la nou,·cllc théorie.
L'hypothèse du continu est un énoncé indécidahle dans le cadre de la théorie des cnscmhles de Zcrmclo-
rracnkcl (résultat démontré par Giidcl en 19.,X). La négation de lï1ypothèsc du continu est indécidahlc dans le
même cadre (résultat démontré par Paul Cohen en 196., ). li existe un autre type dïndécidahilité lié i1la notion
d'algorithme.Un problème est indécidahle sïl n'existe pas de procédure cfkcti,c de calcul qui donne un résul -
tat en un nomhrc lïni d'étapes . Cc type dïndécidabilité est de nature absolue. Considérons par exemple k pro-
blème sui,ant. Soit tous les programmes écrits dans un langage de programmation donné : tous cc, programmes
comportent un nomhrc fini d'instructions conformes ù la syntaxe du langagL' de programmation. Il se peut très
bien que dans les lignes dL' cc programme . il existe du code inutile qui n' affecte en rien k bon fonl'tionnemcnt
du dit programme. Peut-on construire un algorithme qui décidL' en un temps fini ,i. pour tout programme . il
existe du code inutile ·>Cc problème est indécidable. li n'existe aurnn algorithme répondant il la question pour
tous les programmes .
Pourquoi ne faut -il pas confondre ces deux types dïndécidabilité ., La première qui porte sur une proposition
unique dL;pcnd étroitement des règles du jeu du système formel auquel clic appartient. La ,crnndc met en jeu
une infinité d'énoncés et k changement de, règles n·atkctl' en rien la nature du probli.·mL' . ,\in,i dan, 1·c,cmpll'
précédent. changer de langage de programmation Ill' modifie L'll rien le caractère indécidable du problèml' posé .

Hilbert spécifia qu'on était en droit son contraire. La contradiction est un


d'exiger de son « programme péché mortel en logique. «Complet»
logique » un certain nombre de carac- signifie que devez pouvoir décider de
téristiques : les deux premières étant la vérité de toute assertion sensée et
que le système devait être consistant et bien définie. Autrement dit, que, soit
complet. A, soit non A doit être un théorème et
que ce théorème doit être démontrable
« Consistant » signifie que vous ne à partir des axiomes et des règles d'in-
pouvez pas prouver une assertion et férence. La consistante et la complé-
tude semblent constituer des exigences
très raisonnables. Hilbert demandait en
outre de résoudre le problème de la
décision (Entscheidungsproblem). Il
s' agit de construire un algorithme per-
mettant de décider si une quelconque
assertion sensée est un théorème ou
non. Cette dernière exigence paraît au
premier abord démesurée et bien trop
ambitieuse. Comment peut-on imagi-
ner une procédure mécanique apte à
décider, en un temps fini, de la vérité
de tel ou tel théorème? Il y a de quoi
mettre au chômage tous les mathéma-
ticiens du monde .

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

Il est cependant très facile de montrer que, au problème de la procédure décision-


pour tout système axiomatique formel à la nelle pour les « vérités accessibles » .
fois consistant et complet, il existe une La réponse allait être apportée par
telle procédure. Ce résultat époustouflant Alan Turing.
est à la fois effrayant et inacceptable.
Effrayante l' idée d' une machine débitant Turing apporte le coup de grâce
un à un tous les théorèmes possibles et
imaginables. Inacceptable l'idée que l'es- L'existence d'une procédure mécanique
prit humain puisse se réduire à une procé- permettant de décider sans coup férir
dure mécaniste. qu'une assertion est vraie ou non est
En fait , le projet de Hilbert s' est révélé d' une certaine manière une question
être impossible ; en contrepartie , les encore plus fondamentale que celle de
conséquences d'un tel renoncement l'incomplétude. L'article de Turing sur
ont été extraordinaires . le sujet, publié en
1936, fut le dernier
Enfin, Güdel uint coup de théâtre,
fatal et destructeur.
Kurt Gode! a porté un coup fatal au pro- La réponse est
gramme de Hilbert. L'onde de choc pro- définitivement
voqué par ses théorèmes non. Le rêve méca-
d ' incomplétude n'a pas fini d ' ébranler niste a viré au cau-
l'édifice mathématique . Le résultat chemar. Ce qui
démontré par Gode! peut se résumer devait être l'acmé
ainsi. Imaginons un système axioma- de deux mille ans
tique formel incluant la théorie élémen- de pensée mathé-
taire des nombres (c'est-à-dire 0 , 1, 2, 3, matique s'achève
4 , .. . , les axiomes de Peano, l'addition, sur un formidable
la multiplication). Exigeons de plus que constat d'échec.
ce système soit consistant. On l'a déjà Le raisonnement
dit , une telle demande est vraiment de Turing met en
minimale. Il serait intolérable de pou- jeu la machine de Turing , sorte d'or-
voir démontrer des résultats faux. Bien , dinateur idéal, et repose sur l'argu-
ces prérequis étant acceptés , Gode! a ment de la diagonale de Cantor. (voir
prouvé que le système ainsi défini est l'encadré « La diagonale de
obligatoirement incomplet. Il existe des Cantor »). Le problème de la procé-
propositions vraies dont on ne peut dure décisionnelle de Hilbert est équi-
démontrer qu 'elles sont vraies. De telles valent au problème de l'arrêt :
propositions sont dites indécidables . grossièrement parlant, un programme
d ' ordinateur une fois lancé peut très
La preuve de Gode! est l' un des plus bien bouclé indéfiniment ou ne jamais
grands exploits intellectuels de ! ' his- fournir de résultat ; la question de
toire de l' humanité , un incroyable savoir si un programme quelconque
tour de force qui a inauguré un nou- s ' arrête ou non est indécidable. Le
veau type de raisonnement. Le résul- problème de l' arrêt ne peut pas être
tat de Gode! n ' avait pourtant pas résolu . Le projet de Hilbert était ainsi
totalement mit à mal l' entreprise de définitivement ruiné .
Hilbert. Il avait laissé la porte ouverte F.C.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente GI


SAVOIRS par Hervé Lehning

le chaos •

grandeur et misère du linéaire
Au XVIIIe siècle, Voltaire surnommait Dieu « le grand
horloger». Le cours des planètes semblait réglé comme par
une autorité divine. Henri Poincaré a découvert que ce
comportement n'était sans mystère qu'en première
approximation.
~

E
coutons le grand mathémati -
cien Henri Poincaré lui-même
parler de sa découverte :
« Il peut arriver que de petites diffé-
rences dans les conditions initiales en
engendrent de très grandes dans les
phénomènes finaux. Une petite erreur
sur les premières produirait une erreur
Une cause énorme sur les derniers. La prédiction
devient impossible et nou s avons le
très petite qui
phénomène fortuit. .. Une cause très
nous échappe, petite qui nous échappe, détermine un
détermine effet considérable que nou s ne pou-
un effet vons pas ne pas vo ir, et alors nous
considérable disons que cet effet est dû au hasard ».

que nous ne Chaos interplanétaire


pouvons pas
ne pas voir, Quand Poincaré prononce ces paroles, il les planètes, leurs satellites , les asté-
et alors nous s'occupe d'astronomie , le domaine roïdes, les comètes, etc. or nous ne les
même de l'absolue certitude sc ienti- connaissons pas tous et notre connais-
disons que fique. sance est seulement approximative .
cet effet est De quoi est-il question ? Les corps Nos prévisions sont donc également
dû au hasard. célestes agissent les uns sur les autres : approximatives et l' erreu r ne fa it que

m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

Henri Poincaré est né à Nancy en 1854 et mort à Paris en 1912. Il


s 'agit sans doute du dernier savant universel susceptible de
connaître la totalité des mathématiques de son temps.

Il ne faut pas le confondre avec son cousin germain Raymond


Poincaré (1860-1934) qui fut un homme politique important
de la troisième république.
La production mathématique d 'Henri Poincaré est considérable.
Il publie beaucoup, souvent trop rapidement ce qui explique des
articles parfois confus.

Ses positions philosophiques se devinent derrière des phrases telles que :


Une théorie est bonne lorsqu'elle est belle.
Les mathématiques sont l'art de donner le même nom à des choses di.fférentes.
Les mathématiciens n 'étudient pas des objets mais des relations entre ces objets.
Le savant n'étudie pas la nature parce que cela est utile; il l'étudie parce qu'il y prend
plaisir et il y prend plaisir parce qu 'elle est belle. Si la natu1·e n'était pas belle, elle ne vau-
drait pas la peine d'êh·e connue, la vie ne vaudrait pas la peine d'être vécue.
Les générations.futures regarderont la théorie des ensembles (de Cantor) comme
une maladie dont ilfaut guérir.

s'amplifie r avec le temps. Un exemple simple


Depui s qu ' il s di sposent d 'ordinate urs
pui ssa nts, les as tro no mes o nt é tudi é Il n'est pas questi o n à ce ni veau de
les trajectoi res des pl anètes po ur plu - décortiquer les équations de la méca-
sieurs millions d 'années à veni r. E n ce nique po ur ex pliquer l'ori g ine de ce
q ui co nce rne les grosses pl anètes chaos .
(Jupiter, Saturne, Uranu s et Ne ptune), Nous raisonnerons sur un exe mple.
les rés ul tats so nt plutôt confo rmes à
l' idée d ' un grand horloger. Leurs tra- Remarquons simpl e me nt que le sys-
jecto ires so nt re lati ve me nt stabl es. tème solaire se conduit comme un sys-
Par co ntre, les pe ti tes pl anè tes tè me dynamique où l'état à un instant
(Mercure, Vénu s, Terre et M ars) o nt t + l est e nti ère me nt déterminé par
des orbites chaotiques. l'état à l' in stant tavec une re lati on du
Plu s préc isément , si no us estimons la ty pe :
pos iti o n d 'une pl a nè te co mme la x,+ J = f( x,)
Terre à 15 mètres près, l'erre ur sur lO où f est une fo nction et x, l' état à l' ins-
m illi o ns d 'a nn ées n 'es t que de 150 tant t.
mètres. Au bo ut de 100 milli o ns d 'an- Très souvent , un te l système n'a pas de
nées, l'erre ur atte in t 150 milli ons de comportement chaotique.
k il o mètres. L'éc he ll e de te mps es t Ce la ti e nt essentie ll e me nt à la confi -
co ns id érabl e ma is fo rce est de g ura ti o n e ntre d ' un e part la co urbe
constater qu ' une petite e rreur dans la d 'équ atio n y= f ( x) et d 'autre part
co nditi o n initi a le ( 15 m) e n pro dui t la d ro ite d 'équati o n y = x (vo ir e nca-
une é norme dans le résultat fi na l. dré).

Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente m
SAVOIRS Le chaos

Le cas classique
Le cas classique est assez bien représenté par la suite définie par: x0 = a > 0 et x, + 1 = ~ .La fonction! est
donc définie sur [0 , + oo [ parf (x) = Vx. Pour toutes les conditions initiales a , nous retrouvons le même ordre
simple dans les valeurs successives de xr
1,414213562 1,010889286 1,000338508 1,000010576 1,000000331 1,0000000 11
1, 189207115 1,00542990 1 1,000169240 1,000005288 1,000000166 1,000000006
1,090507733 1,002711275 1,000084616 1,000002644 1,000000083 1,000000003
1,044273783 1,OO 1354720 1,000042307 1,000001322 1,000000042 1,000000002
1,021897149 1,000677131 1,000021153 1,000000661 1,00000002 1 1,00000000 1
Sans connaître la règle de formation des éléments de ce tableau , son simple examen reflète un ordre évident
pour un œil mathématiquement averti. En effet , les nombres se rapprochent de 1, la distance étant divisée par
2 à chaque étape. On peut montrer que le I vient def(I) = 1 et le 2 def'(I) = 1/2.

Si a > l, la figure ci-contre représentant les valeurs succes- y1


sives de x, suggère également que la limite de x, vaut 1. Ceci
est en fait facile à prouver. On montre d'abord que x, > 1
pour tout t. On en déduit que x, + 1 > 2 et donc, puisque x,
+ / - 1 = x, - 1, la double inégalité :
0 < x, + 1 - 1 < (x, - 1)/2.
On démontre alors par récurrence que
0 < x, - l < (a - 1)/21
d'où l'on déduit le résultat.

Le cas O < a < 1 se règle alors en remarquant que la suite


y, = llx, vérifie les hypothèses précédentes et donc que sa limite est I d' où l'on déduit que I est également la
limite dexr
Ce raisonnement se généralise assez bien dès que la fonction possède un point « fixe » À tel quef (À) = À et
If'(}...) < l. Réciproquement , on démontre que si la suite x, converge vers À sans être stationnaire alors
1

J<À) = À et lf'<À) 1 < 1.

Un cas simple de chaos façon compliquée. Il est préférable de


faire une étude numérique. Pour la condi-
Considérons la fonction tente définie tion initiale a = 0,2356, nous obtenons:
par:
f (x) = 2x si O :,;;;; x:,;;;; 0,5 0,2356 0,4712 0,9424 0,1152
{f 0,2304 0,4608 0,9216 0,1568
(x) = 2 - 2x si 0,5 :,;;;; x:,;;;; 1 ·
0,3136 0,6272 0,7456 0,5088
Si vous essayez d'appliquer la 0,9824 0,0352 0,0704 0,1408
méthode graphique de ! 'encadré à la 0,2816 0,5632 0,8736 0,2528
suite définie 0,5056 0,9888 0,0224 0,0448
par la condition initiale x 0 = a 0,0896 0,1792 0,3584 0,7168
entre O et 1 0,5664 0,8672 0,2656 0,5312
et la formule x 1 + 1 = f ( x 1 ), 0,9376 0,1248 0,2496 0,4992
vous constaterez qu'elle se comporte de 0,9984 0,0032 0,0064 0,0128

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

va le urs, la règ le de form ation des


valeurs de la suite implique que:
x1+T+ 1 = xi+ 1,X1+T+2 =xi + 2,
et ainsi de suite si bien que le système
est périodique de période T à partir de
l' in stant t. La pé riode peut être très
grande. Ainsi pour a= 0 ,2356 comme Robert Devaney
pour a = 0 ,2357 , e lle est de 250. Elle est né en 1948 aux
pe ut être éga le à I comme pour les Etats Unis.
conditi ons initi ales te lles que 1/2, 1/4 , Il est actuellement
3/4, etc. Po ur a= 0 ,2355 , la péri ode professeur à
est égale à 50 . Mais, dans tou s les cas, l'unive rsité de
au mili eu d ' un chaos général , o n Berkeley en
0 0,5 retrou ve un o rdre va lable pour cer- Califo rnie. Il est
Lafonction tente ta ines conditions initi ales. conn u pour son
livre A n
Une te ll e li ste est lo in de refl éter Une définition du chaos Introdu ction to
l'ordre souvent re ncontré dans l'étude Chaotic
de suites de ce type. De plus, cette suite La dynamique c hao tique est un Dynamica l
de va leurs est ex trême ment sens ibl e à do ma ine ne uf, les définiti ons ne sont Systems paru en
un change me nt mê me infime de la pas e ncore bie n fi xées. Ce pe ndant , 1985. On lui doit
condition initiale. Prenons a = 0,2357 , to utes mette nt l'accent sur l'ex trê me une définition
nous obte no ns la suite de va leurs sui - sens ibilité à la conditi o n initi a le. La du chaos .
vantes: plu s simpl e es t sa ns do ute ce ll e de
0,2357 0,471 4 0,9428 0, 11 44 Robert Devaney.
0,2288 0,45 76 0,9 152 0, 1696
0,3392 0,6784 0,6432 0,7 136 La dynamique d ' une fo ncti on! de [0 ,1]
0,5728 0,8544 0,29 12 0,5824 dans [0 ,1] est dite chaotique (au sens de
0,8352 0,3296 0,6592 0,68 16 Devaney) si e lle vérifie les deux condi-
0,6368 0,7264 0,5472 0,9056 tions suivantes :
0, 1888 0,3776 0,7552 0,4896
0,9792 0,04 16 0,0832 0, 1664
0,3328 0,6656 0,6688
Vo us re marque rez qu 'a u dé part , les
va leurs ne sont guè re di ffé re ntes ma is
les deux li stes bifurquent très vite . X1+ T - I

Cec i di t, les calcul s so nt exacts. Pour


les de ux conditions ini tiales, les suites
sont fo rmées uniquement de nombres à
quat re chi ffres. Il n' y a do nc que
10 000 va leurs poss ibl es . Parmi les
10 00 1 prem iers, de ux a u mo ins so nt
égaux. A partir de ces deux là, la suite
se répète ide ntiq ue. Plus préc iséme nt, Quand on.figure les états comme des points du
si nous écrivo ns x 1 et x 1 + T avec T > 0 plan,on comprend pourquoi xt, xt + 1 , xt + T- 1
(le plu s petit poss ible) ces deux est appelé un cycle def.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ~


SAVOIRS Le chaos

La gest ion d es stocks 1) Si a et b sont deux points de [0 ,1], il dice t e n questio n . Une dé mo nstrati o n
pe ut égal ement être exi ste au moins une condition initiale x0 précise fi g ure en e ncadré . Cette preuve
chaotique. Une diffé- aussi proche que l 'on veut de a te lle que reste valable dès que la courbe d 'équa-
rence infime dam, les
la suite x, approche auss i près que l'on tio n y= f (x) garde une fo rme simila ire.
conditions initi ales pe ut
entraîner une demande veut de b.
importante sur un article. 2) Si a est un point de [0 ,1], il ex iste au Bifurcation
Pensez par exemple à la moins un cycle de la suite x, aussi proche
vente des parapluies . JI que l' on veut de a. C 'est le cas de la fo nc ti o n log istique
fa ut e n stoc ker asseL
Po ur sa is ir les rai sons du carac tè re f( x) = 4x ( 1 - x ). Ce no m de log is-
po ur ne pas perdre de
ve ntes éventue ll es mais chaotique de la d ynamique de la fo nc- tique vie nt de la bio logie. Il s'agit d ' un
pas tro p ca r ce là a un tion te nte, l' idée essenti e ll e est de modè le de c ro issa nce de po pul ati o n .
coût. 11 e n est de même re présente r les courbes d ' é qu ation s E n fa it , cette fo ncti on n'est pas la seule
po ur beaucoup de pro- y= f[f (x) ], y=f [f[f (x) ]], etc. à ê tre no mmée a in s i. C 'est le cas de
duits . De nos jours , po ur
(vo ir fi g ure). Très vite, nou s o bte no ns to utes ce ll es de la fa mill e
év iter les fra is de stoc-
kage. la plupart des
un grand no mbre de te ntes côte à côte !;.. ( x) = Â x ( 1 - x) po ur O ~ Â ~ 4.
hypcr-marchés ainsi que s i bi e n qu ' il suffit d ' une di ffé re nce Elles ne sont pas to utes chaotiques. E n
les marchés d'intérêt infime sur la conditi o n initi a le po ur fa it , e lles le sont à partir d ' une certa ine
nati o na l te l ce lui de c ha nge r de te nte . Ain s i, o n pe ut donc valeur du para mètre Â. Cette valeur est
Run g is fo ncti o nnent en
o bte nir n ' importe que lle vale ur à l' in- éga le e nviron à 3 ,57. A ce ni vea u , se
flu x tendu s. Les stoc ks
dé passent rare me nt de
produit une bifurcati o n e ntre de ux
plus de 10% les ventes dy namiques très di ffé re ntes .
jo urn alières. Ce ll es-c i
do ive nt do nc être éva- Effet papillon
luées de faço n très pré-
c ises e n fo ncti o n des
Reveno ns à des c haos plu s nature ls.
para mètres pertinents.
Ce sera it les prév is io ns Les phé no mè nes que no us veno ns de
météoro log iques e n ce décrire sur des exemples mathé ma-
qui conce rne les para - tiques ava ie nt é té o ubliés a près
pluies. les ve ntes de la Po incaré po ur ê tre re découve rt par
ve ill e. les ca mpagnes
Edward Lo re nz. E n 1963, il s' occupait
publi cita ires o u d'autres
évè nements encore pour de mé téorol og ie. A près de no mb re ux
des produits différent s. ca lc ul s sur o rdinate ur, il s'aperç ut que
Dan s to us les cas . les la conna issance des lo is phys iques dont
modè les utili sées sont dé pe nde nt les phé no mè nes atmosphé-
avant to ut mathéma-
~ riques ne pe rme t pas de prévo ir le
~ ~
tiques et tiennent compte
du côté chaotique de cer-
taines ve ntes. ' te mps à moyen te rme. Un simple batte-
me nt d 'ail e de pa pill o n perdu da ns un
coin du mo nde suffi t pour provoquer un
dé pl ace me nt de l' a ir qu i modi fie la
Deux premières
itérées de la d yna mique de ! 'atmosphè re. M a is,
fonction «tente». voic i ses paro les exactes :
Nous obtenons « Au co urs de no tre trava il , no us
des tentes côte décid â mes d'examine r l'une des so lu -
à côte car nous
tio ns de ma niè re plu dé ta illée ; no us
appliquons
f à nouveau sur prî mes des d o nnées inte rmé di a ires
chaque segment qui ava ie nt é té imprimées pa r l'ordi-
~

m
moitié.
' ~

Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
nate ur e t les introdui sîmes co mme de
DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

no uve ll es do nnées initi ales. A no tre le non linéaire


retour, une heure plu s tard , après que
l'ordin ate ur e ut simulé e nviron de ux Le chaos est sou vent ass imil é à juste
mois de te mps, no us déco uvrî mes titre au non linéaire. Dans l'encadré sur
qu'il éta it e n désacco rd total avec la le cas cl assique, on peut voir le carac-
so luti on qu 'il avait fo urni e antérieure- tère linéaire de l'évolution du système
ment. Notre pre miè re réacti on fut de au vo isinage de son point fixe. Les
suspecter une pa nne de machin e, ce dynamiques linéaires ont l'avantage de
qui n'ava it ri e n d' inh a bitu e l, mais pouvoir être modéli sées par une simple
no us comprîmes rapide me nt que ces réduction . Vous faites une maquette au
de ux so luti o ns n'é ma na ie nt pas de di xiè me ou au centi è me, vou s faites
données ide ntiques ; l'ordinate ur fa i- vos mesures, multipliez par di x ou cent
sa it le ca lcul s avec s ix déc im ales sui vant le cas et vo us avez le résultat
ma is n'e n n'imprim a it qu e tro is, s i cherché . Dans le cas du no n linéa ire
bie n que les nouve ll es conditio ns ini - co mme pour la météorolog ie, une
ti ales étaie nt éga les aux anc ie nnes maquette ne sert à rien. Pour cette rai -
plu s de petites perturbatio ns. Ces per- son , les essai s e n souffl eri e doi vent
turbati o ns s'a mpli fia ie nt , do ubl a nt être fa its en vraie grandeur. De même
tous les qu atre jours du temps simulé, les effets de turbule nce ne sont pas
si bi e n qu 'a u bo ut de de ux mo is les linéa ires, une fu sée Ari ane a ex plosé
so luti o ns al laie nt c hac une de so n pour cette raison . Dans tous ces cas, il
côté. J'en conclu s immédi ate me nt que y a deux so luti o ns : ('essa i e n vraie
si les vérita bl es équ ati o ns rég issa nt grandeur ce qui est assez cher ou l' uti -
l'atmos phère se comportaient comme li sation d ' un modèle mathé matique .
ce modè le, il sera it imposs ibl e de En fa it , on commence par le modèle
fa ire des prév is io ns météoro log iques pour continue r par l'essa i, c'est plu s
détaillées à long terme . » écono mique et plus sûr.
H.L.

Preuve du chaos de la fonction « tente »


Pou r t assez grand , la li gne brisée d'éq uati on y= f[f[ ... [f ( x )] ...]] (où le symbo le! apparaît t fo is) est la

ligne brisée A0 _, , A1., • .. . ., A2,. , où A,,., est le po int d'abscisse ;, et d'ordo nnée O si p est pair, 1 sinon.

Soit ô > 0, pour t assez grand, ~' <ô donc il ex iste ptel que l' interva ll e [ ;, , p; 1 Jsoit contenu dans l' in-
terva lle] x - ô , x + ô [ et donc l' image par J' de cet interva lle est l' intervalle [0, 1] tout entier. La fo ncti on! véri-
fie donc la condition ( 1).

p p + 1
D' autre part , la fonc ti on continue qui à x fai t correspondre!' ( x) - x a des signes opposés en 2' et -
2
-,- donc ,

d'après le théorème des va leurs intermédi ai res , e ll e s'annule sur ] x - ô , x + ô [. Ainsi, cet interva ll e contient un
élément d' un cycle def. La fo ncti onfvéritie donc la condi tion (2).

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ~


SAVOIRS par Hervé Lehning

Géométrie
fractale
Au delà des structures très régulières comme les trajectoires
des planètes, la géométrie classique ne permet pas de
modéliser correctement les phénomènes naturels complexes.
La géométrie fractale est un nouvel outil pour étudier ces
structures.

L
a nature est compl exe . Les g ine de la c réati o n des o bje ts c uri e ux
objets que l'on y rencontre ne que Be noît M ande lbrot a bapti sés frac-
se la issent pas modé li ser pa r ta ls à la fin des a nn ées 1960.
les fi g ures us ue ll es de la géomé tri e L'exemple le plus s imple a été in venté
cl ass iqu e. Les mo ntag nes ne sont pas bi e n plu s tô t par He lge vo n Koch au
des cônes, les nu ages ne so nt pas des dé but du xxe s ièc le. Sa courbe se
s phè res. E t que di re de no tre systè me construit à pa rtir d ' un s impl e tri a ng le
vasc ul a ire o u des branches d ' un arbre, équil até ral (voir c i-dessous).
de la s urface des ma té ri a ux o u de la En reproduisant ainsi di vers motifs, nous
Te rre? pouvons créer bien d 'autres fo rmes te lle
celle représentée c i-contre. Les dessin s
Comment modéliser ? obtenus sont souvent très beaux .

Pre no ns un c ho u-fl e ur. E n dé tac ha nt Un eKemple simple


Le monde un bo uque t , no us o bte no ns un pe tit
d'application c ho u-fl e ur très sembl abl e a u c ho u- Les o bje ts de la géomé tri e c lass iqu e
des fractales fl e ur initi a l. Sa ns fa ire de bi o log ie, sont cl assés sui va nt le ur dime nsion ce
no us po uvo ns no us do ute r que cette qui pe rm e t éventue ll e me nt de les
est donc struc ture v ie nt de la fo rm ati o n mê me mes ure r. Les o bj ets de dime ns io n I
immense du légume. Ce tte s imilitude du local et sont les Iig nes o u courbes, ceux de
même si nous du g loba l se re trou ve da ns bi e n des dime ns io n 2 les surfaces e t ceux de
o bjets nature ls : côte roche use, fl ocons dime ns io n 3 les so lides . Au x objets de
pouvons de ne ige, a lvéoles pulmo na ires, etc. dime ns io n 1, o n assoc ie une lo ng ue ur,
y voir un effet Cette idée de s imilitude du mic rosco- à ceux de dime ns io n 2 une a ire e t à
de mode. pique e t du mac roscopique est à l'ori - ceux de dime ns ion 3 un volume .

m Tcin9ente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

Formation de la courbe de von Koch


La courbe.floconneuse représentée ci-dessous est un exemple classique de courbe
fractale. Elle est obtenue par reproduction de même motif simple indéfiniment.

Première étape: un simple motif triangulaire Deuxième étape : on répète ce motif sur chaque
segment

Troisième étape : et on recommence Quatrième étape : el on recommence indéfiniment.


L 'empilement final est incompréhensible sans
rechercher chacun des triangles

En première analyse, la courbe de von 1 : 1OO 000. Si vous êtes très coura-
Koch ou la côte de Bretagne semblent geux, recommencez avec des cartes au
être des lignes. Elles ont donc une lon- 1 : 50 000. Si vous trouvez le même
g ueur. Quelle est celle de la côte bre- résultat , vous avez triché. En effet,
tonne? quand la précision de la carte est
Prenez une carte de France à l'échelle meilleure, de petites criques se décou-
1 : 1000000. Me urez en n'oubliant vrent et elles ont une longueur que
aucun recoin. Refaites le calcul avec vous n 'av iez pas comptée quand vous H elge von
une carte au 1 : 250 000 puis au utilisiez une carte plus grossière. Koch est né à
Il en est de même de la courbe de Stockholm en
Koch. Lors de sa construction, chaque 1870 et 111011
fois que l'on ajoute un triangle , on dans la même
augmente sa longueur du tiers. Ainsi , ville en 1924.
après n étapes, nous obtenons une lon-
gueur égale à (4/3)". On en déduit que
la longueur de la courbe est infinie . Si
on veut mesurer son aire, on trouve O.
En fait, ni la longueur ni l'aire ne sont
la bonne mesure d'un tel objet. En uti-
lisant , une généralisation de la notion
de dimension proposée par Felix
Hausdorff, la courbe de Koch a une
dimension non entière. Plus précisé-
ment , elle est égale à
ln 2
2-.
ln 3

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente m
SAVOIRS Géométrie fractale

Aquoi ça sert ?

C'est la rançon du succès, le mot


« fractal » est devenu porteur.
L'utiliser pour faire moderne est visi-
blement tentant . Fouillez l' internet. •
Vous trouverez bien des emplois de ce
B e noît mot dans lesquels Mandelbrot ne
Mand e lbrot reconnaîtrait pas sa création. Méfiez-
est né en 1924 vous donc si un enseignement se dit
à Varsovie. Sa « fractal ». Il est possible que cela ne
fa mille a émi- soit qu ' un mot pour faire « à la pointe »
gré en France du progrès. Dans un autre domaine,
en 1936. nous ne prendrons pas position sur ce L'en semble de Mandelbrot est
Depuis la fin que l'on peut (ou ne peut pas) appeler li é à l'étude de l'itération des
des années 50 , peinture ou musique fractale . polynômes co mpl exes du second
il travaille aux Ces remarques faites, les fractales degré. C'est compliqué mais n'est-
Etats Unis. fournissent un modèle plus adapté à ce pas beau et fascinant?
certaines réalités que la géométrie
usuelle . Nous retrouverons donc les
fractales dans l'étude de la surface des elles permettent de recon stituer les
matériaux , en biologie (système vascu- attentes des clients potentiels et la ges-
laires) , en géologie (sédimentation), en tion où elles proposent un nouveau
astronomie, etc. En mathématiques type d 'organi sation de l' entreprise. Le
appliquées à l' informatique , on les monde d'application des fractales est
retrouve dans des techniques de corn- donc immense, même si nous pouvons
pression d ' images. En économie, elles y voir aussi un effet de mode .
servent également dan s l'étude des
marchés financiers, dans la vente où H .L.

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

Une dimension non entière / r-- c---v


-
'
Kolmogorov ( 1903- 1987) a proposé une notion qui , a priori vient de l' idée de
I 1
mesure. Partant d ' un domai ne borné A du plan, il compte le nombre minimal N
/
(r) de carrés de côtés r > 0 nécessaires pour le recouvrir : V
Recouvrement d'une partie bornée par des carrés de côtés r. '--- ~/

Et il définit sa dimension comme étant : la borne inférieure des nombres d > 0 tels que r1 N (r) soit borné au voi-
sinage de zéro. Par exem ple, pour un segment de longueur a, il est facile de trouver le recouvrement optimal:

00000 R"ou.,,m,m opti~I d'un "gm,nl.

a a
On en déduit que : ,.Jf - 1s N (r) s r./Ï donc r1 N (r) tend vers O quand r tend vers O si d > 1 vers +oo si

a
d < 1 et vers .fi si d = 1. La dimension est donc égale à 1. On trou ve de même la dimension I pour les
Recouvrement de la courbe de von Koch
courbes usuelles et 2 pour les surfaces.
Pour calculer la dimension de la courbe de von Koch, nous affi nons notre
méthode . Nous commençons en fai t par utiliser des carrés de longueurs par-
ticulières: celles des côtés de l'étape n de la construction de von Koch. Par
exemple , exam inons le recouvrement suivant , valable à l'étape numéro 1 :

On démontre assez fac ilement que les étapes successives restent englobées dans ces carrés construits sur les
côtés des triangles. On peut donc itérer le processus. Ainsi , il nous reste à calculer le nombre en et la longueur
rn des côtés à l'étape n. Ces deux suites vérifient les re lations de récurrence:

r,,

l r11 +1

1
=-
3
c, + 1 = 4c,,

a
En tenant com pte des va leu rs pour n = 0 , ce la donn e : r11 =
311 et c 11 = 3.4" d'où l'on co nc lut que:

N(r11 ) 2: 3 .4".

D' au tre part, du fait de leurs distances mutue lles , un carré de l' étape n ne peut contenir plus de deux som-
mets de cette même étape. Le nombre de som mets étant égale au nombre de côtés , . Pour conclure, il suffit
de remarquer que , com me la suite (rn) est décroissante et tend vers zéro , pour tout r > 0 , il ex iste n tel que:
rn+ 1 fr f rn et donc , puisque la fo nction N est décroissante :

_3 _::.__
d ( - 4 ) " sr" N(r) sl 2ad ( - 4 )"
2 3" 3" 3"
4 2
On en déduit que la dimension de la courbe de von Koch est égale à ln =2 ln c'est-à-dire 126 à 10·2 près. a
ln 3 ln 3
notion de dimension fractale permet donc ! 'ex istence de dimensions non entières .

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente 6)


SAVOIRS par Jean-Christophe Novelli

les automates :
maths auant tout
Les automates permettent aux hommes de s e consacrer à des
tâches plus nobles que serrer les mêmes boulons toute la
journée. Imiter la machine qu'est notre cerveau est une toute
autre affaire.
depui s que lques temps. Plus générale-
ment , o n sa it c rée r des mac hines qui
font des mouve me nts répétiti fs (des
horl oges par exempl e, qui ont aussi le
mérite de les fa ire de faço n ré gui ière)
et qui n' utili sent aucune intelli gence.
Un des p1·emiel's Alors, comment fa ire « comme le cer-
Ol'dinateul's : veau », cette g igantesque mac hinerie ?
l'ENIAC. Co mment s'y prendre pour fa ire, avec
des moyens simpl es, la mê me chose

D
epui s très longtemps, les que nos chères synapses ?
hommes cherchent à cons-
truire des mac hines inte lli - la préhistoire des automates
gentes qui pui ssent alléger leur travail.
Quel bonheur ce serait de ne plus aller à Pre no ns le pro bl è me à rebours.
l'usine ou au bureau tous les jours en se Descartes, en son te mps , compara it le
fa isant remplacer par une machine ! co mporte me nt des animaux, et ce lui ,
pour une large part, des huma in s à
Construire une machine qui sache ser- celui d ' auto mates. En effet, les ani-
rer des bo ul o ns toute la j ournée n'est maux réagissent à des stimuli et réagis-
pas le plu s diffic il e, et on sa it le fa ire se nt to uj ours de la mê me faço n
lorsqu ' il s sont so umi s aux mê mes
conditi ons. Ceci ressemble à l' intuition
Comment s'y prendre pour faire, que l'on a d' un automate: un objet qui
avec des moyens simples, la même chose répète les mê mes mouvements lors-
que nos chères synapses ? qu 'on lui donne les mêmes consignes .

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

A l'époque de Descartes, o n n'ava it Alan Turing est né à Londres en 1912 et mort à


pas d 'auto mate à di spos iti o n et le Wilmslow en 1954. Pendant la seconde guerre mondiale,
me illeur moyen qu ' on avait pour sou- il travailla pour lees armées britanniques et américaines
lage r l' huma in de ses lourdes tâc hes au service de décodage. Il contribua ainsi de faço n essen-
était l' utilisation d 'outil s. tielle au décryptage des mes-
A la fi n du siècle dernier, on a construit sages de l'armée allemande.
des automates pour re mpl acer les Ai nsi, au cours de la bataille
huma in s dans les tâc hes les plu s d 'Angleterre, l'aviatio n bri-
ingrate . Mais là-dedans, aucune inte l- tannique co nnaissa it à
li gence, aucun ra isonne ment. Al o rs, l'ava nce les cibles de la
bi en sûr, o n ava it auss i construit des Luftwaffe. Ses avions d e
auto mates so i-di sant inte lli ge nts, chasse furent touj ours au
comme celui qui avait joué aux échecs rendez vo us d es bombar-
contre Napoléon (et qui l'avait battu! ), diers allemands.
mais ce ux-l à n'étaient que des fa rces
destinées à mys tifie r le publi c : des
huma in s les manipul a ie nt di scrète- recherches d ' où allait naître l' informa-
ment , comme des marionnetti stes. tique contemporaine dont la théorie des
automates est un des thèmes.
l'auènement de l'informatique
machines de Turing
La situ ati o n a ll a it radicalement chan-
ger avec l'avènement d ' une révo lution Turing a proposé dès 1936 le principe
tec hno log ique: l' in fo rmatique. Peu d ' une mac hine (appelée aujourd ' hui
ava nt , de brill ants mathé mati c ie ns, mac hine de Turing) comme suit. On
précurseurs dans l'â me, ava ie nt co m- imag ine un ruban infini divi sé en
mencé à trava ille r sur les ques ti o ns petites cases dans lesquels on peut ins-
théoriques soul evées par les auto- crire un sy mbol e pri s dans une Iiste
mates. On venait de passe r de l'ère des fini e. Un mécani sme, bapti sé tête, lit le
marionnettes aux objets conceptue ls et contenu d ' une case, modifie éventuel-
ce progrès all ait être décisif : o n all ait lement son contenu en écri vant dedans
d' un objet qu 'on essaya it de pui s se dépl ace soit sur la case immé-
« bri co ler » à la ma in à un objet que di ate ment à droite , soit sur la case
l'on dé fini ssa it. Ain s i, construire une immédi atement à gauche . Décri vons le
ma ison sans pl an est à pe u près pos-
sible mais construire un édifice impor-
Pourquoi o r dinateur?
tant sans étude théorique préalable est
pro prement irréali sable. Le français est la seule langue où l'on dit « ordinateur », et
non « calculateur ». Ce mot, qui se trouve dans Le Littré
Construire une mac hine sans fi xer de comme adjectif désignant « Dieu qui met de l'ordre dans le
cadre autour l'est tout auss i peu et c'est monde » a été proposé non par un scientifique, mais par le
ce cadre que les mathématiciens allaient philologue .Jacques Perret, en 1955, à IBM France, et a été
apporter sans tarder à ces asse mbl ages retenu contre l'anglicisme computeur.
d 'électronique . De grands noms, te ls Le choix de ce qualificatif divin n'est sans doute pas inno-
ceux de Turing, Gode], Kl eene et cent et trahi l'image de l'ordinateur dans les mentalités de
Shannon (pour ne c iter que les plus l'époque.
cé lèbres) all aient s' illustrer dans ces

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS , Les automates

je possède qu atre euros) et de tra nsi-


tions qui re présentent les évo lu tions
0 0 a b a a b 0 0 0
entre situations (s i j 'ai un euro et qu'on
m' e n donne troi s, j'en possède alors

Une machine de Turing


t qu atre) . Certain s états sont dits in i-
ti aux, c'est-à-dire que l'on com mence
toujours dans ces états. Certain s états
mécani sme dans son ensemble : la tête so nt dits termin aux, c ' est-à-d ire que
se trouve dans un certain « état » l'on a accompli son travail qu and on
interne . Lorsqu 'elle lit un symbole, elle est dans un tel état.
pe ut acco mplir une acti on (écrire un Exa minons des conséquences pra-
sy mbole), pui s changer d ' état interne tiques de cette fo rmul ation abstraite .
pui s se dépl acer dans une direction. Un di stributeur déli vre une cannette de
Autre ment dit, une machine de Turing Ora nco lmaid moyenn ant le paie me nt
est décrite par un nombre fini de suites de la somme de 50 centimes . Il accepte
de la fo rme {2, 6, 3, 5, D} qui se lisent : les pièces de 10, 20 et 50 centimes .
si la machine est dans l'état 2 et lit le Pour déterminer, si e ll e a reç ue une
sixième symbole, elle écrit le troisième somme suffisante , la machine dispose
sy mbole, se met dans l'état 5 et se de 6 états, notés 0 , 1, 2 , 3, 4 et 5 dont
dépl ace vers la droite. L' idée des le nom correspond à la somme déjà
machines de Turing est tout à fa it pas- perçue. La machine change d'état en
sionn ante car elle contie nt dans son fo nction de chaque nouvell e pi èce
germe tou s les principes des ordina- qu 'on lui donne et de la somme qu'elle
teurs d'aujourd ' hui . Elle contient aussi a déja pe rç ue. G ra phique ment, on
l' idée des autom ates, mê me s' il est re présente les états par des ro nds
revenu à Kleene d 'en présenter le pre- contenant leur numéro et on représente
mier une vision limpide. les tra nsiti ons par des flèc hes all ant
d ' un état à un autre . Par exempl e , la
Qu'est-ce qu'un automate? fl èche all ant du ro nd marq ué I au rond
marqué 3 , et portant un 2 , signifie que
Un automate, au sens mathé matique la machine compte bi en (!) : s i elle a
(ou plutôt informatique) du terme , est 10 centimes (état de départ) et si l' uti-
un objet composé d'états qui représen- li sateur met une pi èce de 20 centimes
tent des situati ons Ue possède un euro , (tra nsiti on), e ll e a, après cette opéra-
tion 30 centimes (état d 'arri vée).
5
La flèche tout à gauche du dess in et ne
venant de nulle part est une convention
pour noter un état initi al. Ici , il est bien
cl air que le seul état de départ est celui
où la machine est vide (sauf si le cl ient
précéde nt a laissé de l'argent dedans
mais le phénomène est assez ra re) . La
fl èche tout à dro ite du dess in et n' al-
lant nulle part est une convention pour
noter un état termin al. En effet, si la
L 'automate d 'un distributeur de boissons. mac hine arri ve dans cet état, ell e do it

œ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d 'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES NOUVELLES TENDANCES

nous donner notre boisson ! Elle quitte sachant rendre correctement la monnaie.
donc ce circuit pour accomplir une L'enseignement qu'on peut tirer de cette
action mécanique. histoire est qu'avant de se servir d ' un
objet utilisant un procédé automatique,
Question : en suivant le même principe, il vaut mieux s'assurer qu'on arrive
pourriez-vous dessiner un automate qui toujours, au bout d'un nombre fini
rend le minimum de monnaie sur des d'étapes, dans un état terminal.
sommes allant de l à 2 euros pour des Autrement dit, ne pas mettre en route
articles valant 50 centimes ? un projet avant d'avoir fait un auto- Claude
Shannon est
mate complet.
né en 1916 à
A ce sujet, une anecdote amusante Gaylord (Etats
s'est produite au moment de l'intro- Conclusion Unis). Il est à
duction (il y a maintenant quelques l'origine de la
années de cela) des distributeurs de Depuis les années 40-50, de très nom- théorie
billets de banque : ! ' utilisateur tapait la breuses recherches ont été menées sur mathématique
de l'information.
somme voulue (en francs à l'époque) , les automates, qui sont devenus des
puis la machine lui donnait un billet de objets centraux de 1' informatique théo-
100 F et regardait si le solde était nul. rique. Ils fournissent des descriptions
Si celui-ci n'etait pas nul, elle lui très visuelles et par conséquent très
redonnait un billet et testait si le nou- pratiques à utiliser.
veau solde était nul , etc. Ceci se modé- La profondeur d'un tel objet mathé-
li se très bien à l'a ide de l'automate matique vient, comme souvent, de son
ci-dessous. extrême simplicité et de son caractère
universel : on peut réellement tout
décrire à l'aide d'automates, que ce
soit les systèmes de réservations de
billets SNCF, des chaînes de montages
Co mme nt d év aliser cette bille terie ? en usine ou des organisations de sites
(L'unité est la centaine d e.francs.)
Web. De grands et beaux théorèmes ont
été démontrés sur les automates, sur les
La faille d'un automate suites d 'actions qui permettent de pas-
ser d'un état initial à un état terminal
Voyez-vous la faille d' un tel automate? mais ceci est une autre histoire ...
Bien sûr, il suffisait de demander OF J.-C. N.
et on vidait Je coffre ! !
Depuis , cette petite plaisanterie a été La joueuse d e Tympanon
réglée et on ne peut plu s vider de
banque aussi facilement ! Vue interne du mécani sme et vue
D'ailleurs, quelle était l'erreur des d 'ensembl e.
concepteurs? Ils ont oublié qu ' il exis- Cet auto mate est ex posé au musée
tait une transition partant de 1'état O et des arts et métiers à Pari s.
aboutissant à l'état -100. Celui-ci La j oue use de ty mpano n fut la
aboutissant lui-même à J'état-200 , etc. conte mpo ra in e e t la favo rite de
Naturellement, en faisant d 'abord Je Marie- Anto inette ( 1785).
test du solde puis le versement d'un Réa lisée par l' horl oge r P. Kintzing
billet de 100 F, on évitait la petite plai - et l'ébéni ste D . Roentgen.
santerie mais on était loin d' un automate

Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente ~
EN BREF

Les carrés magiques en trois questions


On a longtemps attribué une vertu magique aux carrés du même nom.
De nos jours, il nous reste un jeu mathématique.

On considère un carré constitué des n2 premiers 2. Ordre trois


nombres rangés en lignes et colonnes . Un tel Montrer que , s'il existe un carré magique
carré est dit un carré magique d'ordre n si les d'ordre trois alors S est égale à 15 .
sommes des lignes , des colonnes et des diago- Montrer que le nombre 5 est au centre puis que
nales sont toutes égales. 1 est au centre d'un côté .
L'exemple ci-dessous est un carré magique En déduire que les carrés magiques d'ordre trois
d'ordre trois . Il est intéressant de considérer la sont au nombre de huit et qu'il se déduise tous par
somme S des lignes , des rotation et symétrie du carré donné en exemple.
8 1 6 colonnes et des diagonales . La situtation se complique à partir de l'ordre
3 5 7 Le nombre S est égal à la2 quatre . On a dénombré 880 carrés magique
somme des nombres de 1 à n d'ordre quatre, ensuite on ne sait pas combien il
4 9 2 divisée par n. en existe.

1. Ordre deux 3. Ordre quatre


Montrer que, s' il existe un carré magique Compléter le carré suivant de
d'ordre deux alors S est égale à 5. En déduire façon à obtenir un carré
qu' il n'existe pas de carré magique d'ordre deux. magique :

4.
A la fin du xv11 8
siècle (1693), De La Loubère, après un voyage au Siam , publia une métho-
de apparentée à celle de Bachet, quoique différente. Cette méthode consiste à partir de la
case du milieu de la première ligne, puis à monter en diagonale, de 1 à n (1 à 3 sur l'exemple
3 3 représenté ci-contre), à des cendre verticalement d'une case, puis à reprendre la marche
en diagonale montante de n+1 à 2n, etc ... On ramène ensuite les nombres écrits à l'extérieur
du carré de départ dans ce carré par des translations (ce qui revient à considérer le carré de
départ comme un tore, les
deux bords horizontaux étant
confondus, de même que les
deux bords verticaux). Pour
l'ordre 3, la méthode de La
Loubère donne évidemment le
même carré que la méthode de
Bachet, puisque ce carré est
unique. Par contre, pour l'ordre
5, vous obtiendrez un carré dif-
férent de celui de Bachet.
Construisez ce carré.
8 1 6
3 5 7
Solutions p.144 4 9 2

~ Tangente Hors-série n° 1O. Mille ans d 'histoire des mathématiques


HISTOIRES par Ahmed Djebbar

mbolismeet
mathématiques arabes
Les Arabes du Moyen-Age sont reconnus pour avoir transmis
l'héritage mathématique de l'antiquité grecque. Ce point
essentiel ne doit pas faire oublier qu'ils l'ont repensé et
perfectionné en particulier au niveau du symbolisme.

comptabilité de l' Occident mu sulman


et, bien sûr, numération indienne en cal-
cul qui admet deux variantes régionales
(voir l'encadré « Les chiffres arabes »).

Calcul sur les polynômes

Le développement de l'algèbre a ensuite


entraîné la généralisation de la notion
d 'équation et l'extension des opérations
arithmétiques aux nouveaux objets :
monômes et polynômes abstraits. Il était
alors devenu nécessaire d ' introdu ire un
symbolisme permettant de répondre à la
complex ité des calcul s en rendant leur
présentation plus claire et en automati-
sant les opérations élémentaires. C'est
ainsi qu 'apparut , en Orient, le symbo-
C hiffres de Fès lisme des tableaux. Cela a consisté à

L
e symbolisme est apparu dans assigner à chaque monôme de degré n la
les mathématiques arabes n- ième colo nne pui s à représenter un
d 'abord avec les di ffé re ntes po lynôme par ses seul s coefficients en
re présentation s des chi ffres et des mettant le coefficient associé à x' dans
no mbres entiers : numération alphabé- la n- ième colonne. On obtient ainsi une
tique en as tro no mie, numératio n rûmî série de nombres placés dans les
(dite aussi de Fès) dans les services de colonnes correspondantes. Comme de

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

plus, les mathématiciens arabes de ' . arabes d'Orient


Chiffe.es .
l'époque avaient énoncé la règle des
signes:
) &, 7. V /\ .q
(+)(-)=- (-)(+)=-
(-)(-)=+ (+)(+)=+ ..
Chiffres arabes d'Occident
0 )._ 7 ~ '1 b 1 8 J
et la règle des pui ssances :
x!' . x!" = x!' + Ill'
Çhijjres actuels
les opérati ons arithmétiques sur les .0 2 3 4 5 6 7 8 9
polynô mes devenaient a lo rs presque
automatiques, comme o n pe ut le vo ir Tech~ique de multiplication dite du.filet
sur l' exemple sui va nt. Pour multiplier
3x3 - 5x2 + 7X - 1 + 2.x - I + 6x - 2
par
l lx 2 - 9x + 4 - 3x- 3 ,
on utilise le tableau de la page ci-contre .
Le produit des deux polynômes est donc :

33x' - 82.x4 + I 34x3 - 94x2 + 59x + 35


-3 Ix- 1 +3x- 2 +3x- 3 - 6x- 4
- I8x- 5

Ce symbolisme est utilisé pour la pre-


mière fo is par le mathématicien as-
Samaw'al (mort en 1175), savant juif
d ' origine maghrébine converti tardi ve-
ment à l'Islam, né et ayant vécu à Bagdad. ï ï 0

De nouueaux symboles
a re ndu le travail plus a isé. Parmi les
A peu près à la mê me époque, appa- symbo les introduits, il y avait la
raissent de nouveaux sy mbo les dans fa meuse barre de fraction et la lettre
des ouvrages de calcul d 'Espagne et du arabe j qui , lorsqu 'elle surmonte un
Maghreb, comme le Livre de la nombre signifie qu ' on prend la rac ine
démonstration et de la remémoration de ce nombre. Cette lettre est d 'ailleurs
d ' al-Hassâr (x 11° siècle). Ces symbo les la pre mi ère du mot arabe j idhr qui
ont permis de supprimer les ambiguïtés signifie « rac ine» (voir l'encadré).
dans l'écriture des di ffé rents nombres Le sy mbo li sme des fraction s va être
irrati onnels s'exprim ant à l'aide des rapidement diffusé en Europe, en par-
racines ainsi que des diffé rents types de
frac ti ons (s impl es, composées, li ées). Parmi les symboles introduits,
Comme les frac ti ons étaient abondam- il y avait la fameuse barre de fraction
ment manipulées non seulement par les
et la lettre arabe j qui, lorsqu'elle surmonte
enseignants et leurs élèves mais aussi et
surtout par les spécialistes chargés de la un nombre signifie qu'on prend
répartition des héritages, le symbo lisme la racine de ce nombre.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


HISTOIRES Symbolisme arabe

D'où vient le mot algorithme ?


Malgré so n petit air grec, ce mot , comme beaucoup co mm ença nt par al
(comme alcool), vient de l'arabe. Al-khwarizmi est un mathématicien du IX 0
siècle, originaire de la région du Khwarezm (actuellement en Ouzbékistan),
d'où son nom. L'un de ses livres d'arithmétique a été traduit en latin sous le
nom de liber algorismi (livr e d'Al-kh wari zmi ). Du coup , on a désigné par
algorismus Je système de numération décim al, puis c'est devenu en fra nçais
« algorithme » avec un sens plus général, par l'influence du mot arithmos
( « nombre » en grec) et de « logarithme » qui en est un anagramme.

ticulier à travers le Liber Abac i, un des Symbolisme algébrique


o uvrages du grand mathé mati cien ita-
Iien du XIIIe siècle, Léonard de Pi se Quant au symbolisme algébrique propre-
(Fibonacc i). C 'est d'ailleurs lui qui dit , ment dit, il apparaît, pour la première fois
dans l' introduction de son li vre, qu ' il a à notre connaissance, dans un ouvrage
appri s les pre mi èrs éléments du calcul mathématique maghrébin du XIIe siècle,
à Boug ie, une ville du Mag hreb le Livre de la fécondation des esprits sur
Central qui était alors un centre sc ien- l 'utilisation des chiffres de poussière,
tifique dynamique. d 'Tbn al-Yâsamîn (mort en 1204).
2 Comme cet auteur ne s'attribue pas cette
Fraction simple : invention, on ne sait toujours pas qui en a
3 eu l' idée le premier et dans quelle vilie de
Frac tion liée : l'Espagne ou du Maghreb. Nous consta-
tons auss i que son utili sation dans les
352 = 2_ + ~(~) + ~(~(~)) manuels et dans l'enseignement ne s'est
867 7 6 7 8 6 7
vra iment étendue qu 'à partir du XIVe
Fraction non liée: siècle, tout en restant d'abord limitée au
Maghreb puis en se diffusa nt vers l'É-
gypte à partir du xve siècle.
En plu s des chi ffres, ce sy mbo li sme
xs x4 x3 xl x- I x- 2 x- 3 x - -1 x - 5 utili se des lettres de l'alphabet qui sont
X
les premières ou les derni ères de cer-
3 - 5 7 - 1 2 6
ta ins mots : la lettre sh , qui est la pre-
Il - 9 4 0 0 - 3 miè re lettre du mot Shay' (chose) ,
33 - 27 12 0 0 - 9 dés igne l' inconnue, la lettre m, qui est
- 55 45 - 20 0 0 15 la première du mot mât (le bien, la fo r-
77 - 63 28 0 0 - 21 tune), dés igne le carré de l' inconnue,
- Il 9 - 4 0 0 3 la lettre k, qui est la pre miè re du mot
22 - 18 - 6
kéb (c ube), dés ig ne le cube de l' in -
8 0 0
connue, la le ttre l, qui est la derni ère
66 - 54 24 0 0 - 18
lettre du mo t cadala (éga ler), est le
33 - 82 134 - 94 59 35 - 3 1 3 3 - 6 - 18 signe de l'égalité dans l'équation. Puis ,
Multiplication de deux polynomes à partir de la pui ssa nce qu atriè me, on
utili se des combina isons des lettres m

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

et k : mm pour la quatrième pui ssance,


mk pour la cinquième, mmk po ur la
septiè me, etc. Ces abrév iation s so nt V~ (t-o)fj~ J!/_J--0 J
alors utilisées de la manière suivante :
pour représenter, par exe mpl e, le ~~~-.~~ ---- -- ~
monôme « 3 ca rrés-c ubes » (c'est à
dire 3x5), on écrit le chiffre 3 et on met
au dessus de lui les lettres mk. Pour
représenter un polynô me on procède
de la même manière en introdui sant un Symbole des racines carrées et barre de.fraction.
(à lire de droite à gauche,
nouveau symbole qui est le mot lâ ou
les + ne sont pas toujours notés)
le mot illâ (s ignifi ant « moins ») pour
retrancher deux monômes, et un vide
ou la lettre wâw (= et) pour représenter absent remplacé par une succession
la somme de deux monômes. d'opérations exprimées symboliquement
et séparées par des mots de liaisons. On
Rôle du symbolisme trouve cette fom1e dans des manuels tar-
difs, parfoi s en marge du texte comme
Quant au rôle de ce symbolisme dans le pour le résumer en écriture symbolique et
cadre de la pratique mathématique quoti- pour tester la validité de ses résultats.
dienne, il semble avoir évolué d ' une En conclusion, il faut dire que mal gré
fo nction de simple support de la pensée, le caractère performant du double
comme l'a été la notation alphabétique sy mboli sme (arithmétique et algé-
dans les textes et dans les figures géomé- brique) qui vient d 'être décrit , il n'a
triques, à un instrument de calcul et de pas été un moteur dan s le déve loppe-
résolution des équations ayant le même ment des mathématiques arabes. Il
statut et la même fonction que le symbo- semble que la raison ne soit pas liée à
lisme actuel. D' une manière plus précise, la nature de ce sy mboli sme mai s au
on découvre, dans les manuels qui ont été fait qu ' il so it arrivé trop tard , c'est à
publiés entre le x1f et le XV' siècle, quatre dire à une époque où les activités
fo rmes d' interventions différentes. Il y a
des résolutions de problèmes où )'écri-
ture symbolique accompag ne l'expres- Et le mot algèbre ?
sion verbale du calcul ou du
raisonnement et en résume les étapes Encore un mot d'origine arabe, commençant par al
essentielles. Dans ce cas, l'écriture sym- ( « le » en arabe). Il provient de la première partie du
bolique n'est pas indi spensable au texte titre d'un livre du mathématicien Al-khwarizmi, dont
et elle n'est pas compréhensible sans lui . nous venons de parler: Aljabr wa 1-muqâbalah, signi-
Dans d'autres problèmes, l'écriture sym- fiant « la restauration et la comparaison » . La restaura-
bolique est indi spensable à la compré- tion (qui signifie aussi la remise en place) en question
hension du texte qui expose la méthode est le passage des éléments négatifs d'une équation de
et formu le les étapes du calcul. Une troi- l'autre côté du signe égal pour les rendre positifs : voilà
sième forme d' intervention est celle où le le point de départ de l'algèbre. Vous pourrez d'ailleurs
texte, qui est considérablement réduit, ne voir dans un dictionnaire espagnol que algebrista ne
fait qu ' annoncer ou définir le opérations signifie pas « algébriste », mais « rebouteux » : en effet,
écrites en symboles. La dernière forme celui-ci remet en place les membres luxés !
est celle où le texte est pratiquement

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente Hl


HISTOIRES Symbolisme arabe

~-- -----ri ·-- c ····- - ·---- ·-- --·


j J-
L ,. .e, t •
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-- .. - ~ - -,---,......-.- · -

___. . ... -- ---·-- -··-~ - - - ------------- - --- -- ---- ~ --

J
-"r /
Résolution de !'équati on 13 + 33 + ... + .r' = 1225.
Ibn G hazi ra mène d ' abord cette équati on à une équati on du quatrième degré en utili sant la form ule donnant la
somme des cubes des II pre miers en ti ers impa irs d ' où l 'éq uati on 211 4 - 11~ = 1225 (avec x = 211 - 1)

L'équation mathé matiques arabes comme nçaient


4X = 30 - 3X à connaître un phénomène de ralentis-
dans un seme nt do nt les causes profo ndes
manuscrit étaient extérieures aux milieux scienti-
fiques de l'époque, de sorte qu 'aucune
innovation technique n'était suffisa nte ,
à elle seule, à redynami ser la recherche
en mathématique.
A.D.

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d 'histoire des mathématiques


EN BREF

Soyons logique
Dans le style des paradoxes de Ru ssell , voici quelques casse-tête plus pro-
fonds qu ' il ne paraît.

Le paradoxe du mensonge
À la frontière de Bordurie, les soldats demandent à chaque visiteur :
- Pourquoi venez-vous ici ?
Si le voyageur dit la vérité tout va bien, sinon il est pendu .
Un jour, un voyageur répond :
- Je viens ici pour être pendu.
En quoi cette réponse est judicieuse ?

Nous irons tous au paradis


Un homme qui vient de mourir arrive dans une salle où se trouvent deux
portes. L' une mène au paradis, l'autre en enfer. Devant chaque porte se
trouve un gardien. L' homme sait qu 'un des deux gardiens ment toujours
et que l'autre dit toujours la vérité. Mai s il ne sait pas lequel ment et
lequel dit la vérité. Ayant droit à une seule question, que doit-il deman-
der à l'un des deux gardiens afin de trouver la porte du paradis ?

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente &)
HISTOIRES par Benoit Rittaud

l'à..

moyen-Hge •

la numérotation décimale s'impose
Pratique, rapide, efficace : notre système actuel de numération
cumule beaucoup d'avantages. Il est le fait d'une lente
maturation.

C
'est au tournant du millénaire plusieurs structures de données, chacune
qu'un changement capital a étant plu s ou moins adaptée à l'usage
lieu dans les mathématiques qu'on veut en faire. Par exemple, la
occidentales : l'apparition de la numé- « numération électorale » consiste à
ration décimale. représenter les nombres de voix de cha-
Invention hindoue du premier millé- cun des candidats de la façon suivante :
naire , on parle le plus souvent de
« chiffres arabes » pour désigner notre
système actuel de numération. La rai-
, n D
son en est que c'est par l' intermédiaire
de l' Islam que les savants européens
médiévaux en ont eu connaissance.

Une structure de données Cette structure de donnée est plus effi-


Fibonacci cace dans le contexte d'un dépouille-
Avant l'avènement de ce système de ment que la numération qui nous est
numération, dite « de position», les habituelle : en utilisant cette dernière,
calcu lateurs occidentaux utili sa ient il faut, à chaque nouveau bulletin, bar-
encore les ch iffres romains, un sys- rer le dernier chiffre écrit , puis mar-
tème particulièrement inefficace pour quer le suivant.
réaliser des opérations arithmétiques , L'exemple précédent est certes un cas
même la plus é lémentaire d'entre très isolé où la numération arabe n'est
elles: l'addition. pas la plus performante. Dans la plu-
part des autres contextes, où les
Tout système de numération constitue ce nombres doivent être ajoutés, sous-
qu'on appelle, depuis l'apparition de traits ou même simplement écrits , la
l'informatique, une structure de données. numération décimale est la plus effi-
Pour représenter des nombres, il existe cace, car elle constitue une structure de

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

données que l'on peut très bien exploi- Le zéro est l'expression d'un vide, d'une
ter pour la réalisation d'opérations (ou absence, c'est-à-dire de quelque chose
algorithmes) telles que l'addition ou la
multiplication.
qui semble intrinsèquement différent
d'un nombre « ordinaire ».
l'innouation du pape Pourtant, comme chacun sait,
son emploi ne peut être évité
Le premier à avoir importé la numéra-
tion indo-arabe en occident est un cer-
dans notre système de numération.
tain Gerbert d'Aurillac, qui devint pape
par la suite, Je pape de l'an mil , sous Je Le chiffre zéro
nom de Sylvestre Il. Le système intro-
duit par Gerbert devait permettre une Il est pour nous extrêmement banal
modernisation des méthodes de calcul d'utiliser le signe O pour désigner une
alors employées: à l'époque , on comp- valeur nulle. Pourtant, à voir Je temps
tait encore à l'aide de ses doigts , mais que l' on a mis avant de l'utiliser, il
aussi à l'aide d' une table à calcul appe- semble bien qu ' il y ait là une
lée abaque, constituée d ' une rangée de démarche intellectuelle difficile à
compartiments représentants les unités , mener à bien. Le zéro est l'expression
les dizaines , les centaines, et ainsi de d'un vide, d'une absence, c'est-à-dire
suite , dans lesquels étaient disposés des de quelque chose qui semble intrinsè-
jetons. Par exemple, pour représenter quement différent d'un nombre
Je nombre 324, on disposait 4 jetons «ordinaire ». Pourtant, comme cha-
dans Je compartiment des unités , 2 cun sait, son emploi ne peut être évité
dans celui des dizaines et 3 dans celui dans notre système de numération. Le
des centaines. L' innovation de Gerbert zéro était connu en Inde au
d ' Aurillac aurait été l'apice , ou jeton moins depuis Je neuvième
marqué, qui, dans notre exemple, rem- siècle. On baptisa
plaçait les troi s jetons du comparti- algoristes ceux qui utili -
ment des centaines par un jeton unique sèrent Je système de
sur lequel était marqué la valeur trois. numération décimale,
C'est la naissance de l'abacisme, qui s'opposant aux aba-
n' utilise pas encore un élément qui se cistes, qui utili saient
révélera par la suite essentiel au bon encore l 'abaque et
fonctionnement du système de numé- la numération
ration qui est le nôtre : le zéro. romaine.

L'abaque est en quelque sorte l'ancêtre de notre


machine à calcu ler. Comparable au boulier, ell e
consiste en groupes de jetons représentant les
ordres de gra ndeur (un ités, dizaines, etc).
L'addition se fait en groupa nt les jetons
représentant Je même ordre de grandeur, et en
remplaçant tout groupe de dix jetons par un seul
jeton d'un ordre supérieur (com me pour nos
« retenues » ) . La soustraction se réalise de
manière analogue.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


HISTOIRES La numérotation décimale

Fibonacci
Septante, octante et nonante.
Un autre auteur du treizième siècle se
Ce sont nos soixante-dix, quatre-vingts et quatre-vingt- fera l'ardent promoteur du système de
dix pour les Suisses et les Belges, issus des mots latins numération décimal : le célèbre
septuaginta, octoginta, nonaginta. Léonard de Pise , plus connu sous le
Il s'agit d'un archaïsme issu du gaulois, langue celte, nom de Fibonacci . En 1202 , il com-
comme le breton. Le système vigésimal a cours en bre- posa son livre le plus connu, intitulé
ton où 20 se dit ugent, 40 daou-ugent, 60 tri-ugent, 70 Liber abaci (Livre de l'abaque) , dans
dek ha tri-ugent (c'est-à dire 10 plus 3 fois 20) etc. Cela lequel il expose longuement la
proviendrait de langues pré-indo-européennes utilisant méthode de numération de position.
un système vigésimal que nous retrouvons en basque et
en danois par exemple. En fait , bien qu'aujourd ' hui le nom de
On trouve aussi une trace de base 20 dans le nom du Fibonacci soit de loin le plus connu
très célèbre hospice des « Quinze-Vingts » datant de parmi ceux des mathématiciens de son
1254, ainsi nommé pour loger 300 vétérans aveugles. temps (dont il fut le plus brillant repré-
sentant), son influence ne fut pas très
L'hégémonie francilienne a imposé récemment ces grande au treizième siècle . Le Liber
archaïsmes à toute la France. Les Suisses et les Belges (dont abaci, son principal ouvrage, était en
les dialectes ne connaissent pas la base 20) ont résisté ! fait trop compliqué pour les mathéma-
ticiens d' alors. Ce n'est que bien plus
tard qu'on accordera à Fibonacci la
Les algoristes l'emportèrent, notam- place de choix qui lui revient dans
ment sous l'impulsion du Français l'histoire des mathématiques .
Alexandre de Villedieu et de I' Anglais
John d'Halifax (aussi connu sous le
nom de Jean de Sacrobosco). Mais tout
cela prendra du temps : ces deux
auteurs sont du treizième siècle.

Leonardo Fibonacci
Né et mort à Pise probablement en 1170 et 1250 respectivement.
Aujourd'hui, le nom de Fibonacci reste attaché au problème
suivant, posé dans le Liber abaci : « Combien de couples de lapins
obtiendrions-nous à la fin d'une année si, commençant avec un
couple, chacun des couples produisait chaque mois un nouveau
couple lequel deviendrait productif au second mois de son
existence ? ».
Nous avons là ce qui semble être la toute première modélisation
mathématique d'une évolution démographique. La suite de
Fibonacci définie par le problème s'est révélée porteuse de
nombreuses propriétés, notamment celle d'être reliée au
nombre d'or,
1 +Vs
2

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


EN BREF

L'aube du calcul intégral


L'inventeur de la balance qui porte toujours son nom , Roberval (1602-1675) était passé
maître dans l'art des quadratures (calculs d'aire) .
C'est en pesant un arc de cycloïde découpé dans du métal
qu'il conjectura l'aire de celle-ci avant de prouver son résultat
rigoureusement.
Galilée avait effectué cette pesée aupa-
ravant mais n'avait conjecturé qu 'un
résultat approximatif.
Roberval était professeur au Collège
Royal (devenu depuis Collège de
France) . À cette époque , le poste était
remis au concours tous les trois ans sur
une question posée par l'homme en place.
Roberval avait donc l'habitude de ne pas publier tous ses résultats pour avoir un avanta-
ge sur ses concurrents. Ceci explique que sa découverte fut d'abord publiée par Torricelli
(1608-164 7) .

Aire de la cycloïde Solutions p.144


La cycloïde est la courbe engendrée par un point d'un cercle roulant sans glisser sur une
droite . Si IR est le rayon du cercle, le point mobile M(t) engendrant la cycloïde a pour
coordonnées :
x = R t - Rsin t y = R - Rcos t

Un arc est obtenu pour t variant de O à 21r (ce qui correspond à un choix de la vitesse).
Soit A(t) l'aire de l'arc de cycloïde limitée par la droite verticale passant par M(t) et l'axe
des x. D'autre part, soit dt un "petit" accroissement de t.
Pourquoi peut-on dire de la différence A(t + dt) - A(t) qu'elle est sensiblement égale à
R2 (1 - cos t )2 dt?

Soit B(t) = (3/2) t + (sin 2t)/4 - 2 sin t. Calculer la différence B(t + dt) - B(t) , montrer
qu'elle est également sensiblement égale à R2 (1 - cos t )2 dt
Soit C = B - A, montrer que le rapport de la différence C(t + dt) - C(t) à dt tends vers O.

En déduire que la fonction C est constante égale à O puis la valeur de A(t) . En conclure
que l'aire de l'arc de cycloïde est le triple de celle du cercle qui l'engendre.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente lf.ii
HISTOIRES par Jean-Paul Guicard

Uiète :la naissance


du calcul littéral
Calculer avec des nombres, c'est vieux comme le monde.
Calculer avec un nombre inconnu , Diophante l'a fait le
premier. Ne calculer qu'avec des lettres , c'est somme toute
très récent. Ce fut alors un progrès rapide et considérable des
sciences et des mathématiques.

François Viète Un calcul nouueau


est né à Fontenay-
le-Comte en 1540 Le conte nu de ce li vre est un ca lcul
et mort à Paris e nti ère ment no uvea u . Il n' utili se que
en 1603. Il vécut des lettres, des majusc ul es. Viète uti -
donc au temps li se des voyelles: A , E, 1, 0 , U , Y pour
des guerres de les grande urs che rchées, et des
religion. Juriste, consonnes B, D , F, ... , Z , pour les gran-
il fut conseiller à la deurs connues .
cour des rois de
France. Sa position Le but de ce no uvea u calcul n'est pas
ne fut pas toujours mince pui squ ' il s'ag it de la réso lution
facile car il de tout probl ème. « Résoudre tout pro-
fréquentait le bl è me» est d 'a ill eurs la derni ère
milieu (était ?) ph rase de so n o uvrage. Cet ouvrage
protestant. paraît d ans le co ntex te de la
Renaissance et de la culture humani ste.

L
'acte de na issa nce du ca le ~! On redécouvre les œ uvres des gra nds
litté ral d ate de l'an 1591 . A sava nts grecs : Euc lide, Apo ll oniu s,
cette date F ra nçoi s Vi è te Archimède , Pto lé mée , Pappu s,
publi e à To urs un petit o u vrage e n Di o phante. Parfo is inco mpl ètes , e ll es
latin de 18 pages. Ce li vre intitul é li vre nt des fo ul es de rés ultats, ma is
L'Aigèbre nouvelle va révo luti o nne r auss i des pro bl è mes no n réso lu s, et
la pratique des mathé matiques . auc un e indi cati o n sur la méthode,

m Ta:n9ente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

a ppe lée ana lyse, po ur trou ve r ces


rés ultats . D 'autre part , les traités D'où viennent les parenthèses?
d 'A lgèbre se développent , la nécessité Le besoin d' une notation ne s'est fai t sentir que vers la fin du xv 0
de notations se fa it sentir : on ass iste à siècle pour l'écriture des expressions contenant des radicaux. La
le ur fo isonnement , ma is les méthodes plus courante jusqu ' au xvm0 siècle a été le surlignage, qui a été
de réso luti on des probl è mes et des supplanté par nos parenthèses , apparues chez Bombelli , pour des
équations ne sont données que sur des raisons de typographie . Mais elle a survécu dans l'écriture des
exemples numériques. racines. Viète, quant à lui , utilisait des accolades .

La résolution générale D'où vient le symbole = ?


des problèmes Viète utilise = pour désigner la di fférence arithmétique : a = b
signifie I a - b 1- Mais ce même symbole = signifie le parallé-
Pour illu strer sa nouve ll e algè bre, li sme de deux droites chez Dul aurens (1667). C'est l' Anglais
Vi ète publi e, en mê me te mps que son Recorde , en 1557 , qui l'a utilisé le premier pour désigner l'éga-
Introduction, un recue il de probl èmes: lité. Mais cet usage ne se gé nérali sera qu 'au dé but du xvm0
Les Recherches. Il e mprunte une siècle grâce à Leibniz .
grosse partie de ces problèmes au livre
de Di ophante : Les Arithmétiques. Il D'où vient le symbole des radicaux?
veut ain si fa ire appréc ier au lecteur la Ce symbole tel qu e nous le conn aissons est dû à )'Alle mand
profondeur du changement apporté par C hri stoff Rudolff en 1525, dans son ouvrage die Coss . C'est
son nou vea u ca lcul. Étudion s le pre- probable me nt un r minusc ule déformé, initiale de « rac ine »
mier problème : (radix en latin). Voir aussi l' article sur les symbolisme dans les
mathé matiques arabes. Viète utilise un 1 du mot latin latus.
« Trou ve r deux no mbres conn a issa nt
leur somme et leur di ffé rence » . D'où vient le symbole d'intégration?
Ce symbole est dû à Gottfried WiJhem Leibniz (1646-1716). C'est
Dio phante traite le probl è me s ur un un S allongé, car une intégrale est une somme (swnma en lati n).
exemple, comme le fo nt les conte mpo-
ra ins de Vi ète . Il pre nd IOO pour D'où vient le symbole de l'infini oo ?
somme et 40 pour différence . En dés i- Ce symbole est dû à John Wallis qui l' a introduit en 1655 ; il se
g nant comme inconnue le plu s petit trace comme un 8 couché mais son origine n'est pas le symbole
des deux no mbres c herchés, il tro uve 8. Il y a deux hypothèses plausibles :
30 et 70. • soit ce sont deux zéros acco lés, pe ut-être parce qu e les
Romains notaient 1000 « oo ».
Que fa it Vi ète? li utili se la mê me • soit il est issu de la lettre grecque « w », car c ' est la dernière
démarche de réso lution, mais note B la de l'alphabet grec .
diffé rence, D la somme, A le plus petit
nombre cherché , et E le plus grand .
application numérique. Dev inez que ls
D- B nombres il choisit ? Ceux de Diophante !
li trouve A égal à - - - Pour tous les problèmes Vi ète re prend
2
le même schéma : résoluti on généra le
avec un ca lcul sur des lettres, énoncé
D+ B
et E égal à d ' une règle ou d ' un théorème, applica-
2
tion numérique.
Puis il énonce le résultat sous fo rme A ins i o n garde trace des do nnées de
d ' une règle générale et termine par une dé part : les fo rmules trou vées donne nt

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


HISTOIRES Viète ...

le lien entre les grandeurs donc on peut calculer x - y en fonction


cherchées et les grandeurs de S et P. Connaissant x + y et x - y,
données. Le problème est on en déduit x et y (premier problème).
résolu dan s toute sa généra- Viète termine bien sûr par une applica-
lité. Pour les cas particuliers, tion numérique: S = 12, P = 20, donc
il n 'y a plu s qu 'à faire une (x - y) 2 = 64, et vous laisse achever
application numérique . C'est le calcul.
une démarche devenue clas- L' utili sation des identités remar-
sique que l'on retrouve par quables, et d' identités obtenues à partir
exemple couramment en d 'elles permet ainsi de résoudre si m-
physique . Alors que dans le plement tout un ensemble de systèmes
cas de Diophante , de nou- de deux équations à deux inconnues.
veaux nombres obligent à Cette méthode permet auss i de
recommencer les calculs . résoudre toute équation du second
degré.
Frontispice de la le rôle des formules Voici comme nt : on écrit l'équation
traduction en sous la forme x2 + a.x = d, puis sous la
français parVasset Ju squ 'à Viète , les formules de calcul, forme d ' un produit constant x (x +
de !'Algèbre comme les identités remarquables, a) = d. En posant y = x + a, on est
nouvelle de Viète sont établies géométriquement. ramené à trouver x et y te ls que
(1630). Le L'algèbre littérale de Viète permet pour y - x = a et .xy = d. On peut alors opé-
personnage de la première fois de démontrer formules rer comme pour le problème précédent.
gauche figure et théorèmes par le calcul, d 'en créer à
Apollonius, et celui volonté, et de s'en servir. Ce qui per- la méthode algébrique
de droite Viète, met de mettre en œuvre de nouvelles
!'Apollonius méthodes pour résoudre les problèmes . Jusqu'à Viète, les méthodes de résolu-
français, celui qui a tion des équations sont établies et jus-
résolu le problème Étudions le problème 4 du livre 2 de tifiées par la géométrie. En particulier
des quatre cercles ses Recherches : « Trouver deux pour les équations du second degré, il
tangents qu'évoque nombres connaissant leur somme et faut savoir transformer un rectangle en
la figure sous ses leur produit ». carré : un des outils clé est une figure
pieds. C'est un problème classique que l'on en équerre nommée gnomon . De plu s
Viète tient dans sa trouve chez Diophante , mai s aussi ces équations ne sont réso lues que sur
main gauche un chez les Babyloniens . Pour le des exemples numériques.
bandeau sur lequel résoudre , Viète ne suit pas du tout la Voyons comment Viète, dans son Traité
est écrit B + D, démarche de Diophante, mais va utili- des Équations , résout de façon littérale et
symbolisant sa ser une formule reliant x + y, xy et avec une méthode purement algébrique
création du calcul x - y pour ramener ce problème au une équation du type x2 + a.x =den util i-
littéral. précédent . Voyons sa méthode avec sant , pour simplifier, nos notations.
nos notations actuelles. Il écrit le coefficient a sous la forme
Traduction littérale : trouver x et y 2b, et pose y = x + b. Il e n déduit
sachant que y2 =V+ 2
b , et donc que
x + y = S et .xy = P. X= d + b 2 - b.
Or on sait que : Suit, bien sûr, une application numé-
ri~ : b = 1, d = 20, donc x =
(x + y)2 - 4.xy = (x - y)2, V21 - 1. On re marquera que Vi ète
« oublie » une solution :

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

X = - Yd + b2 - b. Nous pouvons remarquer que


ses notations sont loin d'être
Mais ce n'est pas un oubli. Pour Viète les nôtres : pas de signe =,
n'existent que des grandeurs positives. mais le verbe être ou égaler,
On pourra vé,Vier que si d et b sont pas d 'exposant pour les puis-
positifs, x = d + b2 - b est positif sances, mais un adjectif, qua-
puisque Yi+,} > b . C'est néanmoins dratus (carré), des accolades
la manipulation des équations et du cal- pour parenthèses, un 1, pre-
cul littéral qui amènera, petit à petit, les mière lettre de latus (côté du
mathématiciens à accepter nombres carré), pour la racine carrée, in
négatifs et nombres imaginaires. pour x, bis pour 2 fois. Il fau-
dra attendre 50 ans pour que
On voit là , à l'œuvre , l'esprit de l'al- Descartes les fixe à peu près
gèbre nouvelle. Au lieu de transformer toutes, et élimine la loi des
des figures géométriques, on trans- homogènes. On sait cependant
forme des expressions algébriques, au son intérêt pour la vérification des cal- Adria an van
lieu du gnomon, on utili se le change- culs. On la retrouve par exemple en phy- Roome n (dit
ment de variable. Pourquoi Viète pose- sique sous la forme de ce qu'on appelle Adrien Romain)
t-il a= 2b ety = x + b? Parce qu'il l'équation aux dimensions . était ami de
veut ramener son équation à la forme Ludolph van
« pure» y2 = a, et qu ' il connaît bien la Achaque problème son équation Ceule n
formule (154 0 -1610) ,
L'une des anecdotes les plus célèbres à célèbre pour avoir
a2 + 2ab + b2 =(a+ b)2 propos de la vie de Viète est sa résolu- calculé 35
tion , en 1595 , d'une équation du 45e décimales du
qui permet de transformer des sommes degré qui avait été proposé par un nombre nen
en carrés. mathématicien belge , Adrien Romain, utilisant un
en défi à tous les mathématiciens de la polygô ne à 2 62
la loi des homogènes Terre . Comment a-t-il pu, aussitôt lu, côtés.
l'avoir résolu , comme il le dit lui-même Lui-même en avait
Dans l'équation précédente nous avons (ut legi, ut solvi) dans sa réponse à calculé 16 en
écrit d pour la constante, ce que n'au- Adrien Romain , alors qu 'à l'époque les utilisant un
rait jamais fait Viète, car x2 est homo- équations ne dépassaient guère le degré polygône à 2 30
gène à l'aire d'un carré, ax à celle d'un 2 ou 3 ? C'est qu'il avait essayé d'utili- côtés. Ces
rectangle, donc d est homogène à une ser sa nouvelle algèbre pour résoudre les recherches
aire : pour l' indiquer Viète rajoute à célèbres problèmes irrésolus : trisection expliquent qu'il
toute constante de dimension s upé- de l'angle, construction de l' heptagone . ait considéré
rieure à l l'indication de sa dimension . À chaque problème il associe une équa- la division d'un
Ici il noterait d plan. tion liant la grandeur cherchée aux gran- angle en 45 parties
Vérifions-le en regardant la réso lution deurs données. Et pour les angles, il égales .
de l'équation s'est vite rendu compte que diviser un
x2 - ax = d, angle en n parties égales revient à
qui su it celle que nous venons d'étu- résoudre une équation de degré n. Donc
dier, et qui dans le texte même de Viète l'équation d' Adrien Romain devait cor-
est notée respondre à la division d'un angle en 45
Acarré - Bfois A doublé parties égales, ce qui était bien le cas.
soit égal à Zplan. J.-P.G.

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente (D
SAVOIRS par Benoit Rittaud

Le repère
de Descartes
En inventant les repères qui portent son nom, Descartes a
ramené la géométrie à l'algèbre. Il pensait en déduire la
résolution de tous les problèmes géométriques.

Ren é Descartes pendiculaires. Chacun des axes est


est né à La Haye orienté et muni d'une unité de mesure :
(en Touraine) en généralement, lorsqu'on représente des
1596 et mort à grandeurs géométriques, on choisit la
Stockholm en même unité pour chacun des axes, et
1650. Sa méthode l'on parle alors de repère orthonormé .
consiste avant tout On appelle O le point de rencontre des
à douter de tout à axes (c'est l'origine), (Ox) et (Oy) les
commencer par sa axes. Tout point A du plan est alors
propre existence. identifié par ses deux coordonnées ,
Son je pense donc abscisse et ordonnée, qui sont par défi-
je suis est resté nition les mesures algébriques des seg-
célèbre. Il est ments [OA_rl et [OAY], où Ax est la
typique de sa projection du point A sur l'axe (Ox)
méthode pour parallèlement à (0) et A" la projection
sortir de la spirale de A sur (Oy) parallèlemént à (Ox).
dans lequel le y
doute aurait pu
l'enfermer. Mais Ay --------------------------- 0
comment faire
autrement, puisque

N
ous savons tous ce qu'est une
nous ne pouvons courbe représentative d'une
raisonner qu'à certaine grandeur en fonction
partir d'éléments d'une autre. Le principe consiste à se
premiers fixer deux droites appelées axes de
considérés comme coordonnées, qui servent de référence . 0 X

évidents? Le plus souvent, on prend ces axes per- Un rep èr e cartésien .

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

Ce repérage des points permet notam- figurait, selon ce qu'on en dit, au fron- Le pastiche
ment de représenter graphiquement la ton de l'Académie de Platon : « Nul d'Hervé
faço n dont une grandeur est fonction n'entre ici s'il n'est géomètre » . Lehning de
d'une autre. C'est ainsi que l'on voit Les questions de géométrie que se
régulièrement, dan s les journaux , posaient les Grecs concernaient tout
la page 87
divers types de courbe avec, par naturellement des figures, matière de montre de
exemple , en abscisse les derniers moi s base d 'une immense variété de pro- façon
écoulés et en ordonnée les chiffres du blèmes . L'un des plus simples et des
chô mage, ou de la consommation, ou plus anciens d'entre ces problèmes
humoristique
encore des cours de la bourse. consiste, trois points non alignés étant les for ces et
donnés , à trouver un quatrième point les faiblesses
y équidistant des trois autres : c'est le de Descartes
problème du centre du cercle circons-
crit à un triangle .

Pour répondre à cette question , on


trace les trois segments reliant les
trois points , puis les médiatrices des
segments. Un raisonnement géomé-
0 X trique classique montre alors que ces
médiatrices sont concourantes, en un
Evolution du cours de la bourse: point équidistant des trois sommets
les mois sont en abscisse, la du triangle (c'est le centre du cercle
valeur en ordonnée circonscrit).

Géométrie grecque

Cela semble un procédé si naturel et si


efficace qu'on a peine à imagi ner com-
ment les choses se passaient avant l'in-
vention de ce qu'on appe lle le repère ...>t .-·
cartés ien, ossature de la figure précé-
dente. Sachant que Descartes a vécu au
dix-septième siècle, on a tout autant de
difficulté à imaginer que personne
parmi tous les grands esprits de la
Grèce antique , de l'Inde ou de l'Islam
médiéval n'ait eu l'idée de quelque Pour ce problème, comme pour la plu-
chose de ressemblant. part de ceux que se sont posés les
Ces deux problèmes sont bien diffé- Grecs, il n'est absolument pas néces-
rents. Pour comprendre le premier, il saire de se servir d'un repère cartésien.
faut se replacer dans le contexte C'est une première explication à l'in-
mathématique que nous a légué existence de cette notion avant le
('Antiquité. Les mathématiques, à deuxième millénaire : les mathéma-
l'époque, se confondent pratiquement tiques qui se faisaient avant n'avaient
avec la géométrie. C'est ainsi qu'il faut tout simplement pas besoin de cet
comprendre la célèbre sentence qui outil.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS Le repère de Descartes

Pourquoi une abscisse, une ordonnée?

Ces deux noms sont des adjecti fs substanti vés , abréviati ons de « ligne abscisse
(c'est- à-dire coupée , voir le mot « sc ission ») et ligne ord onn ée ».
Hi storiquement, l'ordonnée est apparue ava nt l'abscisse ; étant donnée une
courbe décrite par un point M et une droite D, les ordonnées étaient les seg ments
[MP] où Pest le projeté de M sur D; ces segments « régulièrement » (ordù zatim
en latin) di sposés, ont été appe lés « ordin atim applicatae » en latin. puis ordon-
nées en françai s.
Étant donné un point O sur D, les abscisses étai ent les segments lOP ], qui sont
bien des « lignes coupées ».
Le mot « ordonnée » serait apparu en premier sous la plume de Pasca l en 1658 et
le mot « absci sse » en 1694 dans le Dictionnaire des Arts et des Sciences de
0 p D Thomas Corneille (frère de Pierre) .
Euler est le premier à remarquer l'équivalence des deux axes du repère crut ésien.

Une inuersion de perspectiue


Autre obstacle e ntre !'A ntiquité et le
Autre aspect, complémentaire du pre- repère cartésien : la notion même
mier : l'idée sous-jacente au repère car- d'équation , qui n'a acquis son autono-
tésien consiste en une traduction d'une mie que tardiveme nt sur la scène des
figure géométrique en une expression mathématiques. Écrire y = 2x - 3
algébrique. Par exemple, une droite comme équation d'une droite est lourd
dan s un repère cartésien est définie à de contenu : cela suppose qu'une quan-
partir d'une équation du type tité inconnue (ic i, x) pui sse être multi-
y= ax + b. pliée par deux , et qu'on pui sse
Et ça, ça n'a l'air de rien, mai s c'est un soustraire 3 au résultat , autrement dit
renversement complet. on s'autori se à manipuler une quantité
inconnue en lui appliqu ant les mêmes
Comme nou s l'avons dit , depui s tou- règ les algébriques qu 'aux qu antités
jours, les mathé matiques se confon- connues (la théorie des éq uati ons est
daient plus ou moin s avec la notamme nt l'œuvre d 'A l-Khwarizmi,
géométrie. C'est cette dernière qui était au neuvième siècle).
considérée comme formant le fonde-
ment des mathématiques : a in si peut- Géométrie analytique
on s'expliquer qu'on n'ait pas cherché à
remplacer les droites, les cercles et Le repère cartésien est le point de
autres coniques de la géométrie plane départ de la branche des mathéma-
classique par les autres outils que sont tiques qu'on appe lle la géométrie ana-
les relations entre variables. À cette lytique.Celle-ci a pu ex ister à partir de
époque, on aurait probablement consi- la réunion de trois idées : d'abord , il
déré que cette opération était analogue faut accepter que des relations entre
à celle consistant à fa ire reposer les inconnues puissent représenter une
fondations d'un édifice sur son premier situatio n géométriq ue. C'est ce que
étage au lieu du contraire ! nous expri mo ns lorsq ue nous disons

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

que l'équ ati on d'une dro ite est y = s'ag it d'un brill ant homme de sc ience,
ax + b. Mais, bi e n entendu , il fa ut qui a eu de nombreuses idées vision-
aussi avo ir le bo n outil po ur pouvo ir naires dans plu sieurs domaines : dans
fa ire le transfert entre la fi gure géomé- la représentation analytique comme
trique (la dro ite) et son ex press io n en nous l'avons dit , mais égale ment e n
terme de relatio n entre vari ables (y = physique (il eut , de ux s iècl es et de mi
ax + b) : c'est ce que permet le repère avant Galilée, l'intuition du principe de
cartés ien . Une fo is ces deux idées l'inertie, allant jusqu 'à parler de mou-
réunies, o n pe ut traduire e n termes vement de la Terre, sans toutefois aller
algébriques des énoncés géométriques : au bout de ses idées), ou en théorie des
par exemple, dans une situation donnée, probabilités sur des e nsembles conti -
on peut montrer le parallélisme de deux nus (affirm ant qu 'en tirant un no mbre
droites en établi ssant l'égalité de leur au hasard , il y avait beaucoup plu s de
coefficient directeur (si y = ax + b et y chances d'obtenir un irrationne l qu'un
=a'x + b' sont les équ ati ons des deux rationne l, un pressentiment qui ne sera
droi tes, alors ces droites sont parallèles tiré au clair qu' au début du vingtiè me
si et seul ement si a = a' et, dans ce siècle). Peut-être Oresme serait-il resté
dernier cas, elles sont confo ndues si et plus célèbre s' il avait pu être davantage
seulement si b = b'). qu'un précurseur génial. En son temps
toutefoi s, ses représentation s gra-
Un précurseur phiques (qu 'il éte ndit à l'es pace, et
mê me quas iment à une quatriè me
Mais il y a davantage : le repère carté- dimension) eurent un grand succès.
sien permet éga leme nt la représenta-
tion graphique d'autres choses que des Et dans tout ça, que dev ient
grandeurs géométriques . Dans l'une de Descartes ? Si son nom est attaché au
nos courbes représentées plus haut, en concept de repère, c'est moins pour ce
absc isse fi gurait le temps et en ordon- repère lui -mê me que pour ce qu'il en
née les cours de la bo urse : tout sauf faisait : il a unifié les idées alors dispa-
des grandeurs géométriques. Le repère
cartés ie n ne se limite do nc pas à une
représentation algébrique commode de Nicole Oresme
données géométriques, il permet éga-
lement de matéri ali ser des fo nction s, Né à Allemagne (en France)
même lorsque ces fonctions mettent en en 1323 et mort à Lisieux en
jeu des qu antités numériques n'ayant 1382. Il a inventé les systèmes
aucun rapport direct avec la géométrie. de coordonnées longtemps
Au qu atorziè me sièc le déj à, Nicole avant Descarte . Charles V
Oresme pro posa it de représenter des (époque de la guerre de cent
situ ations no n géométriques de cette ans et de Du Guesclin)
manière. S'a idant de la longitude et de utilisait ses conseils en
la latitude dont on se servait en carto- matière d 'administration .
graphie, il imag inait quelque chose de Théologien , il est le premier
proche du repè re que l'on connaît à utiliser la métaphore du
aujourd'hui. monde horloge et de son grand horloger. Dans cette question
On a aujourd'hui un peu oublié le nom comme dans d'autres, il aura été un précurseur génial.
de Ni col e Oresme, alors même qu'il

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente l;tJ
SAVOIRS Le repère de Descartes

Tout n'est pas nouveau dans ce que di t


Nikolai Lobachevsky Descartes. Toutefo is, à partir de lui , le
monde des courbes s'enri chit considé-
(1792-1856). Véritable inventeur ra bl e me nt , pui squ 'acqui ère nt d ro it de
des géo métries non eucl idiennes c ité toutes celles qui peuvent se décrire
qui nient le postul at d'Euclide par des équati ons algébriques, c'est-à-
selon lequel par un point il passe dire des re lati o ns e ntre absc isse et
une et une seule parall èle à un e ordonnée fa isa nt intervenir n'importe
d roite donnée. Ce postul at doit en quel ex posant entie r. Descartes est le
fa it être pris comme un axiome pre mie r à avo ir franchi ce pas impor-
indépendant des autres. tant qui consista it à accepter de nou-
velles courbes dans le champ des
investigations mathématiques. li fa ud ra
rates de la géométrie analytique. C'est to ut de mê me attendre encore un peu
en 1637 qu 'il publie un ou vrage, sim- avant que l'on intègre dans le giron des
pleme nt intitulé Géométrie, dans courbes les graphes représentant autre
lequel il expose ses idées, qui con sis- chose que des fo ncti o ns algébriques ,
te nt à représenter algébrique me nt , à co mme les sinu soïdes. La notio n de
l'a ide de relations entre vari ables, des fo ncti on fi ni ra alors par prendre le pas
courbes géo métriques. En fa it , le sur celle de courbe géométrique.
repère de Descartes n'est pas e ncore
cartésie n : Desca rtes ne considère lui Les bo n vieux dess in s de courbe ne
qu'un seul axe, celui des absc isses. Le seront a in si plu s ri en d'autre qu 'une
second est négli gé, au profit d'une aide à la co mpréhension d'une réa lité
simple direction qui détermine ce que mathématique beaucoup plus abstra ite.
nous appellerions, nous, l'ordonnée. B. R.

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

M.onsieur,

j'ai [u so011eusement [e [iwe que vous avez yris [a J'eine de m'envoyer, et je vous en remercie.
L'auteur témo{gne être homme de bon esyrit et je Jerai miens sans yeine (a y[uyart des bons
yri nciyes qu'i{y exyrime. 'Ainsi, _p_ar exemp(e, je ne y11is qu'ayyrouver son ref:Ls de tenir
your vrai ce qu'i[ n'a au yréa[ab(e véritaG(e,nent démontré. j'admire (a réso(ution qu'i[
ymufs de s'en tenir aux véritabfes axiomes et doiu de refuser toutes fes demandes d''Eudide.

je aains se u[emen t qu'ayant vou(u écarter une âemanâe c[airement yosée, i( n'ait fait
entrer en sa (jéométrie une autre bien subti(ement dissimu(ée. je n'ai su avoir [a yatience de
[ire tout du fong sa démonstration, et je veux croire qu'effe est toute vraie. j'ai seu[ement
remarqué que tout décou(ait de sa construction d'une [igne droite restant à égafe distance
de (a do nnée. je confesse ~ue je ne vois yoint cormnent i(infère de ses axiomes 11 ne teffe
co nstni ction. '1[ me sembfe bien y[utôt que ce sont ses sens qui [ui dictent cette idée et Je
yense qu'en ce domaine, comme Jans tout ceux qui re[èvent de [a science, on doit s'accoutu-
mer à douter de tout et yrincij,a[ement
des choses co,yore[fes.
'
'
'
'En essaya nt moi amsi ae démontrer [e ''
yostufatum, j e crois avoir découvert un e '
''
a ut,-e voi de recherche. 'Toutefois, [e
'
temps qui m'est comyté ne m'a yoint yer- ''
mis de (a yoursuivre jus~u'au y[ein suc- '
cès. je considère ici une fiane droite 'A'BC 'A r:B C
et un yoint 'D hors de ceffe-ci. je trac~ [es frgnes droites 'B'E et 'Bff" de sorte que fes a ng(es
'B'A'D et C'B'E d'une yart, 'A'D'B et 'D'Bff" d'autre yart soient égaux.

Si (e yostu[atum est vrai, 'B'E et 'Bff" seront yaraffè[es à 'A'D et donc co,ifondues. j'en déduis
que [a somme des angfes du triang[e 'A'B'D Jera deux droits d'où i[ s'ensuivra qu:i[ en sera ae
même pour tout triangfe. Si (e yostu(atum est faux, i[ en ira autrement. 'En fait, i[ se trou-
vera deux yossibiUtés. La yremière est que [es ang[es C'B'E et 'D'Bff" se recouvrent, [a seconde
qu'i[s ne se recouvrent yoint. Sefon [e cas, [a somme aes ang[es d'un triang[e se trouvera
inférieure ou st~érfeure à deux cfroits. 'Nous en déauisons afors des yroyriétés si étranges
des yaraffè[es qu'i[ est vérita6(ement irnyossib[e qu'effes fassent. 'l'{u[ doute qu'en continuant
ainsi, f'étabUrai une yrpyriété absurde avec [es axiomes et [a aémonstration au yostu[atum
s'en âéauira. 'Mais comme je vous [e disais, [e temys me manque your me p erdre en futifes
recherches car j'ai réso{ii de n'emyfoyer ce[ui qui me reste à vivre à autre chose que d'acqué-
rir que[ques connafssances que je yuisse ayyfiquer à [a yratique de que[que art. 'Nianmoins,
si en uti(isant [es exceffents yrfnciyes que je vous ai exyosés, votre auteur finissait ma
aémonstration, je vous serais reconnaissant de vous aonner (a yeine ae me fenvoyer. Pour
(%:ure, je vous remercie encore de votre attention ob[igeante. je suis, 'Monsieur,
Votre très humG[e et très obéissant serviteur,

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente l'.;iJ
SAVOIRS par Norbert Verdier

Des logarithmes
au logarithme
Les mathématiques sont en partie l'art de pratiquer les
calculs. Le métier du mathématicien est donc de les éviter, les
réduire ou les simplifier. Il est plus facile d'additionner que
de multiplier. Les logarithmes sont nés de ce constat.

L
es mathématiques , n 'en rie du système solaire, synthéti sée sous
déplaise à leurs détracteurs , la forme des fameuses lois qui portent
évitent à tout prix les calcul s. son nom. Comme tous ceux qui étaient
L' histoire des logarithmes , où l' on ren- confrontés à des observations astrono-
contrera, entre autres, un horloger miques, Bürgi butait sur de nombreux
su isse et un baron écossais, fait partie calcul s issus de considérations trigono-
de cette quête d 'économie que recher- métriques. Pour les s implifier, il
chaient les savants du XVIIe siècle. 200 « inve nta » ce qu 'on devait appeler
ans plus tard , le marqui s et néanmoins plus tard les logarithmes. Sou s l' insis-
mathématicien Pierre Simon de tance de Kepler, Bürg i publia ses tra-
Laplace (1749-1827) affirmait que les vaux en 1620 . Trop tard ! Entre temps,
logarithmes, en réduisant les calculs un baron écossa is les avait découverts
_ ont doublé la durée de vie des astro- (indépendamment de Bürg i) et avait
nomes . C 'est dire s' il s méritent qu ' on publié ses recherches. Exit Bürg i.
Joost Bürgi s'y attardent ! L' Histoire est parsemée de trappes !
Né à Lichtensteig Le baron de Merchi ston, plu s connu
(Suisse) en 1552 et Des calculs, encore des calculs sous le nom de Neper ou Napier (bien
mort à Kassel en que de son vivant, il n' ait jamais porté
1632. Il fut le fabri- Au début du XVIIe siècle, à Prague , les ce dernier nom) publia en 1614 , à
cant d'horloge le astronomes Tycho Bra hé ( 1546-1601 ) Edimbourg , un travail au sous titre
plus réputé de sont et Johannes Kepler ( 1571 -1630) ont é loquent : Description des mer-
temps. Il inventa pour assistant un horloger sui sse, Joost veilleuses règles des logarithmes et de
les logarithmes à la Bürgi (1552-1632). Bürgi s'était fait leur usage dans l'une et l'au tre trigo-
même époque et de remarquer en concevant des horloges nométrie, aussi bien que dans tout cal-
façon indépendante d ' une précision remarquable , grâce cul mathématique. Avec l'ex plication
à Napier. auxquelles Kepler a pu établir sa théo- la plus large, la plu s facile et la plu s

r.r.11 Tangente Hors série n° 10 . Mille ans d'histoire des mathématiques


~
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES
1

dégagée de complications. Pourtant


Neper n'était pas mathématicien mais John Napie r (francisé
s'adonnait , à ses heures perdues , aux en Néper) est né à
mathématiques. Heureux temps , où Edimbourg en 1550 et
l'amateur éclairé pouvait faire progres- mort en 1617 dans la
ser la science. Riche propriétaire ter- même ville. A son
rien , protestant convaincu, Neper a époque, Napier fut plus
laissé son nom à une notion mathéma- connu comme théolo-
tique qui s' est avérée capitale. gien que comme mathé-
maticien et son oeuvre
Les merveilleuses règles la plus célèbre (rééditée
des logarithmes trente fois !) fut Plaine
Discouery of the Whole
L' opuscule de Neper comprend 56 Revelation of St. John
pages. Des définition s, des explica- qui est une condamna-
tion s et des tables. Rien que des tables . tion du catholicisme
En s'appuyant sur des considérations romain dans laquelle il
mécaniques de points en mouvement , faut lire également une
il établit une table des logarithmes des défense de la liberté.
sinu s d ' un angle. Nous n'allons pas
entrer dan s les détails historiques du
travail de Neper, d ' ailleurs sa défini - Oublions les « dix », pour ne garder
tion du logarithme n'est pas celle qui que les exposants :
est restée. Seule compte l'idée sous-
jacente. Il explique ainsi dan s sa pré- Ol 2 3 4 5 6 7 8
face qu 'i l cherche à mettre au point un
procédé de calcul transformant auto- Plu s généralement, on posera que n est
matiquement des produits de nombres le logarithme en base dix de 10" et on
et des extractions de nombres en des écrira (notation actuelle) :
sommes et des divi sion s d 'autres
nombres. Ces autres nombres furent log(lO") = n.
qualifiés d 'artificiel s ou encore de
logarithmes, mot formé sur les racines Grâce à ce logarithme , on a transformé
grecques « logos » (signifiant une progression (ou suite) géométrique
« raison » ou « rapport ») et « arith- en une progression (ou suite) arithmé-
mos » (signifiant « nombre » ). L' idée tique . La première est obtenue en pas-
de Neper est là , toute simple : transfor- sant d'un terme au suivant en
mer les multiplications en additions et multipliant toujours par le même
les extractions de racines en divi sions. nombre appelé raison, la seconde en
passant d' un terme au suivant en addi-
Des multiplications aux additions tionnant toujours le même nombre
appelé également raison. En l'occur-
Partons d ' une suite de nombres obte- rence on est passé d ' une suite géomé-
nue en multipli ant toujours par le trique de raison 10 (et de premier terme
même nombre , par exemple 10. Si le 1) à une suite arithmétique de raison l
premier nombre est 1, on obtient : (et de premier terme 0) . Le logarithme
1 10 102 103 104 105 106 107 .. . (ici en base dix appelé aussi logarithme

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


SAVOIRS Les logarithmes

Henry Briggs est décimal, mais nommé autrefoi s loga- la constructio n de tab les de calc ul s ,
né à WarleyWood rithme vulgaire ou encore de Briggs) d'où le travail de Neper et ses succes-
en 1561 et mort à transforme une suite de multiplications seurs à construire des tables de calcu ls .
Oxford en 1630. en une suite d 'addition s. Et alors ? Et Bénéfic iant de ces tables de calculs ,
Très vite convaincu alors, l'intérêt est patent ! Sur mon les descend ants de Neper o nt pu plus
de l'utilité des exemple, si je prends deux nombres de fac ile ment multiplier entre eux de très
logarithmes, il en la suite a et b, il est aisé de voir que « le grands nombres.
publie une table logarithme (décimal) de a fois b est égal
avec huit décimales au logarithme de a plus le logarithme de Remarquon s que dans la formule pré-
en 1617. C'est b » ce qui s'écrit : cédente, en prenant a = b, il vient :
Briggs qui introduit log a 2 = 2 log a
les mots mantisse log (ab) = log a + log b et plus généralement :
et caractéristique. log a" = n log a
Cette relation est vraie pour n' importe Calculer la pui ssance n-ième d'un
quels nombres a et b strictement posi- nombre devient aisé. Connaissant son
tifs et pas seulement pour ceux qui logarithme , on le multiplie par n, puis
I l. Lo1?i:trilhm~ d('S noml
font partie de la suite posée initiale- on cherche le nombre dont il est loga-
ment. En effet, on a défini le loga- rithme . Le nombre obtenu représente
rithme des puissances entières de dix , a". Il reste à voir comment les loga-
mais on peut adapter aisément pour rithmes permettent d'extraire faci le-
n ' importe quelle pui ssance (stri cte- ment des racines.
ment positive) . Par exemple :
d. i ] 10 ''J 1lh I J,U Il, 1 1·~ ·•,J
Des extractions aux diuisions
log (10 312 ) = 3/2.
t l".'b ;.l•I') 1111
'\.,', ].h
'l l •.i 4ct.. d 1 '_p7 ,\•1
J 5., 'I _·,1 ..~ .>·'l : •f> tilt•
4
S
~:1 ".'0.; ".'~1 -J~ •(11
83, 1<·1:, 11 ... ,li,..,.J ss&
La "rac ine carrée d ' un nombre positif
t l& 6 9'•·, ~,, •,·,· · 01" o~,;
' . ... l
7 5"li •• ~. 1:1.. 1 · 1 ·,- ••• , Le fait que le logarithme transforme un a" est le nombre positif qui é levé au
i ~;~ Il Ù· ,:itil ' ~1, i·1·
,
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~.ti
~ ,n
:J 3.,!I ,, 1; '1v•, °'"'' , H produit en somme est primordial . Ainsi, carré donne a. Sous forme d 'éq uatio n
:,;:: ~ ~:~ ;~~:: .:;~ ~~·; ~::~ si je veux calculer un produit a b, je ce la s'écrit : x 2 = a. En pre nant le
...., ,.1 ,,,,,
1 -····1.-·.' ,,,• ,•1"7\....
~·r;- •I'•:.r•i ,,_,~
l'oublie provisoirement , je cherche la logarithme de x 2 et de a, on a : log x2
h :, , u.,a ,M,I\ .. 111 ·~1-• 1,,/,

= log a mais log x2 = 2 log x (en vertu


5 t SS ,·11:.t :11,1 :.t:.1K 1'12
6 :1~-· lül ,1 11& :il,i :1-., valeur de log a et de log b dans une
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,,,, ·:t.t 1'11o - ,.,
:-:~1 ~~~ ;r:.r>·~ table, j' ajoute ces deux nombres, je de la propriété qu 'on vient de mention-
~ ~:'' S30 ic: .. li ,J i,;-~ ll•tl ·~··1 cherche dans la table le nombre aya nt ner sur les pui ssances), ainsi 2 log x =
(,, \ 1 ~~ 1 •~1bl •""1 . O:Sl ·,, :')
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pour logarithme : log a+ log b. Ce
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. . ... , J .,\\ "i- J~.. :,l'i\ J,- log a soit
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nombre , c'est le produit de a par b. 1
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Notons au passage que les " nou veaux"
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nombres log a et log b méritent bien leur
qualificatif d"'artificiel" car au final, ils Avec une phrase, cela dev ient : le loga-
~ -,,o
~:: ' 11:,1. 1)1.:( {,\1 l".1'1
di sparai ssent. Il s sont des intermé- rithme de la racine carrée d ' un nombre
:,: : j,, ~i'.I:r,:il '.:Il ~\) .J,., ·n
diaires. Seulement des intermédiaires. est égal à la moitié du logarithme de ce
'I tl i l();, J.,~
no mbre. Autrement dit , ex traire une
, 1 °l1 1 2 I ~ l I Il
L' usage du logarithme consiste à racine revient à di viser par deux, après
contourner l'obstacle (ici le ca lcul passage au logarithme . On tient là, une
Extrait de la d ' un produit) . Le chemin peut paraître méthode faci le pour ex traire les
table d e long mai s les chemins les plus co urts racines : si je veux la racine carré de a,
Bouvart &
Ratinet encore ne so nt pas toujours les me ill eurs ! je considère log a, je di v ise par 2, je
utilisée dans les Comme l'ex plique cet exemple, cette cherche le nombre dont le logarithme
années 1970. nou velle démarche de calcul s nécess ite va ut (l/2) 1og a: c'est la rac ine carrée

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

de a. De même, la racine cubique se logarithmes sont restés sur le devant de


ramène à une divi sion par 3, la racine la scène mathématique.
quatrième à une division par 4, et ainsi
de suite. L'avènement du logarithme Le logarithme
est un hymne à l'addition et à la divi-
sion (par des entiers). Napier entre Si Bürgi, Neper ou Briggs assistait à
deux prises de position en faveur des un cours actuel sur les logarithmes, ils
protestants , aidé de son ami, le mathé- ne reconnaîtraient pas leurs créations.
maticien anglais, Henri Briggs (1561- Et pour cause. Pour eux, les loga-
1630) , élabore patiemment les rithmes sont des nombres (qu'on a
indispensables tables de calculs. qualifié d 'artificiels) ou au mieux des
procédés de calcul permettant de cal-
Un logarithme, des logarithmes culer facilement des produits et des
extractions de racines en s'aidant de Johannes
Ayant conçu la notion de logarithme en tables patiemment élaborées. Kepler est né à
base dix , il est manifeste qu 'on peut la Aujourd ' hui, on présente les loga- Leonberg en 1571
généraliser à d'autres nombres que 10 . rithmes comme des fonctions. Ce ne et mort à
Si on considère une suite géométrique sont ni des nombres, ni des techniques Regensburg en
de raison a (un nombre strictement opératoires, ce sont des fonctions! Le 1630. Il est surtout
positif distinct de 1) et de premier terme XVIIIe siècle - mettant au centre des connu pour sa
1, on a: mathématiques la notion de fonction - découverte des
a apporté un éclairage nouveau sur les trois lois régissant
1 a a2 a3 a4 a5 a6 a7 ... logarithmes de Neper et alii. Soit la le mouvement des
courbe d 'équation y = 1/x pour x > O. planètes. La
On dira que O, 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7 , ... sont On appelle cette courbe hyperbole découverte des
les logarithmes (en base a) de l , a, a2, équilatère. L'aire hachurée sous la logarithmes par
a 3 , a4, a 5 , a6 , a 7, ... et on transforme courbe compris entre les droites verti- Napier le réjouit
ainsi, là encore, une suite géométrique cales d 'abscisses 1 et x (voir la figure) car ils facilitent les
en une suite arithmétique. Le loga- dépend de x: c'est une fonction de x et calculs ast ro no-
rithme (en base a) vérifie la propriété on démontre que cette fonction est un miques.
fondamentale du logarithme décimal :
4
il transforme les multiplications en
additions. Les propriétés qui en décou- L 'hyperbole
3,5
lent sont évidemment conservées. logarithme népé rien
Seules les tables de valeurs changent !
3
Ces tables, ont servi pendant plusieurs
siècles à effectuer rapidement des
2,5
multiplications et surtout à extraire des
racines. Pour la petite histoire , encore,
2
il y a quelques années, les lycéen s,
muni de leur tables de logarithmes
1,5
comme celle représentée ci-contre cal-
culaient produits et racines à la
manière des mathématiciens du xv 11e
sièc le. Aujourd'hui, depuis I'avène- 0,5
ment des calculatrices, les tables de
logarithmes ont di sparu . Pourtant, les
2 X 3 4
Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente Hl
SAVOIRS Les logarithmes

2
ln x
En particulier log x = - - .
y= lnx ln 10

Le logarithme (népérien) a fait entrer


dans l' arène mathématique le nombre
e qui a désormai s rejoint une célébrité
2 e 3 4 comme 7T.

- 1 le nombre e
La fonction
logm·ithme n épé1-ien Pour avoir une représentation moins
-2 abstraite de e, li sons un passage du
Théorème du Perroquet de Deni s
Guedj : « Suppose qu 'i l y a un an tu
logarithme . Plus précisément , c'est le aies amassé un beau pécule qui nou s
logarithme de base e où est un nombre permettra de payer notre voyage pour
appelé jadis le nombre de Neper et Manaus. Soit P, ce pécule. Tu l'as placé
dont la valeur est 2,71 et des pou s- en attendant. Coup de bol , ton banquier
sières. Ce nombre, correspond à l'abs- t 'a proposé un taux d ' intérêt mirobo-
cisse pour laquelle l'aire limitée par lant: 100 % ! Ne rigole pas, ça s'est vu.
l'axe des abscisses, la courbe , et les Pas avec les pauvres, mai s avec les
deux droites verticales d 'équations x = riches. Rêve! Calcule! Au bout d ' un
l et x = e vaut l' unité . La fonction an, tu aurais eu P + P = 2P. Tu aurais
logarithme ainsi définie est appelé doublé ton pécule . Si au lieu de toucher
logarithme népérien (depuis les tra- les intérêts à la fin de l'année , tu les
vaux de Sylvestre François Lacroix avais touchés tou s les six moi s et que
(1765-1843) publiés dans son traité tu les aies replacés, au bout d ' un an ça
d'analyse) , par hommage à Neper. t'aurait fait P (] + 1/2) 2 . Calcule ! Tu
Elle fut aussi appelée logarithme natu- aurais plu s que doublé ton pécule : tu
rel ou encore logarithme hyperbolique aurais 2,25P.
par référence à son interprétation en Si au lieu de toucher les intérêts tous les
terme d 'aire limitée par une hyperbole six moi s, tu les avais touchés tou s les
mai s la désignation de Lacroix a fini trimestres et que tu les aies replacés, au
par l'emporter. Le logarithme népérien bout de l' année , ça t ' aurait fa it P(l+
est noté ln mais on l'a longtemps noté 114)4. Calcule ! Tu aurais gagné encore
Log (et il est encore ainsi noté dans plu s : 2,44 l P. Si tu les ava is touchés
certains pays comme aux Etats-Unis) tou s les moi s et que tu les aies repla-
et Lacroix le désignait par l' . cés, ça t'a urait fait P(l + 1/12) 12 .
Désormais, on centralisera notre étude Calcule ! 2 , 596. Encore plus ! Puis, tous
sur ce logarithme car tou s les autres les jours : P( l + 1/365) 365 . Encore
sont liés à lui dans un rapport de pro- plu s ! Toutes les seco ndes, encore
portionnalité . Ainsi, en convenant de plu s ! Et pui s, tous les riens du tout,
désigner le logarithme de base a par "en continu". Tu n 'en peux plu s, tu
log", on a: t'envoles, tu planes, tu te di s que c'est
Byzance, que ton pécule pécuple , qu ' il
ln X
logax = - - va quadrupler, décupler, centupler,
1n a
millionupler, milliardupler, [ ... ] Tes

m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d' histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

intérêts composés, il s o nt beau se


décomposer, eh bien, à l' arri vée, tu n'a Le Théorè m e du Pe rroquet de Denis Guedj a e
même pas le tripl e de to n péc ul e, ni mérite de montrer que les mathématiques sont faites
même 2,9 fo is plu s, ni mê me 2,8 fo is par des êtres humains et ont une histoire. Il aura fallu
plus, ni même 2,75 fo is plus, ni même bien du temps pour redécouvrir qu'elles ne sont pas
2,72 fo is plus ... Tu as seulement 2, 71 sorties un beau jour des années trente achevées et défi-
828 1828 ! ... Mon pauvre John , après nitives du cerveau pluriel de Nicolas Bourbaki.
toute cette richesse, te voil à seulement La respiration naturelle des mathématiques fait succè-
e fois moins pauvre qu 'au départ ! » der des époques de mises en ordre aux périodes de
découvertes.
les logarithmes aujourd'hui Euler est l'exemple parfait des mathématiciens intuitifs
et inventifs. La rigueur n'est pas sa préocupation essen-
Ce ne sont ni des nombres ni des procé- tielle. Ses outils, dans des
dés opératoires, ils fo rment une fa mille mains moins adroites, pro-
de fo nctions qui sont toutes proportion- duisent bien des erreurs. C'est
nelles à la fo nction logarithme népérien pourquoi, à de tels décou-
souvent appelée logarithme par abus de vreurs succèdent des périodes
langage. Le logarithme permet de cal- de mises en ordre. Cauchy et
culer l'ai re sous une hyperbole équ ila- Bourbaki sont les meilleurs
tère. Cette fo nction, outre le fa it qu 'elle exemples de ces mathémati-
constitue l' un des pi vots du programme ciens rigoureux. Le revers de
du baccalauréat, est omniprésente dans la médaille est une tendance à
de nombre uses modé li sations scienti- la stérilité.
fi ques. Les lois physiques les plu s
simples sont les lois de proportionnalité
(Exemple: la loi de Newton peut s' in- fo is ta mi se, c'est trop. Et de te propo-
terpréter en disant que la fo rce d'attrac- ser un taux de 10 %. Pas plus ! Pas
tion entre deux masses est moi ns! Pas si mal, par les te mps qui
proportionnelle à leurs masses) mais les coure nt ! Hi sto ire de vo ir, tu te
lois d' inverse proportionnalité sont aussi de mandes quand tu vas doubl er ta
légions (Exemple : la loi de Newton dit mi se. Au bout d ' un an , (l ,l )P
aussi que la fo rce d'attraction entre deux (Calcul e !), de 2 ans l ,2 1P
masses est inversement proporti onnelle (Reca lc ule !) de troi s ... Atte nd s !
à la di stance (au carré) qui les sépare) . Arrête de tâto nner ! Et les logs, c'est
Etant do nnée l'étroite relation entre le pas po ur les chie ns ! Ou du moin s s i,
logarithme et la fo nction qui à x associe pour les savants ! Dans n ans, t' auras
1/x (c'est-à-dire la fo ncti on qui traduit (l ,l )"P. Si tu veux doubl er, tu dois
l' in verse proportionnalité), il n'est pas avo ir (l ,l )"P ;,. 2P soit (l ,I )" ;,. 2.
surprenant que le logarithme intervient Co mment tro uver n ? Passe au log,
da ns de nombreuses lo is sc ientifiques mon pote!
(des lois acoustiques régissant la propa- n ln (1, 1) ;,. ln 2 (Cherche pourquoi !)
gation d' un son dans l' air aux lois phy- Si tu pre nds ta calculette o u " la table
siologiques dites de Fechner). de logs" de tes pare nts, tu tro uves
Terminons par une petite fi cti on, écrite qu 'au bout de 8 ans, ta mi se est do u-
en parodiant Denis Guedj , montrant au bl ée quelle que so it ta mi se de
quotidien l' utilisation du logarithme: départ.»
« Imagine ! Ton banquier tro uve que e N.V.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m)


ACTIONS par Henri Lemberg

Calcul symbolique •

auenir des mathématiques ?
Les logiciels de calcul symbolique prennent en charge
certains des calculs longtemps effectués« à la main». Vont-
ils pour autant remplacer l'activité mathématique humaine ?

A
la manière de M . Jourdain , Ces mê mes manipul ati o ns q u i se
vous effectuez des calculs sym- tro u ve nt s ur les déso rm a is cé lè bres
boliques « tous les jours » ; par calcul atrices fo rme ll es ne sont que la
exemple, trouver les racines de l'équation partie é mergeante d ' un iceberg beau-
ax = b co up plu s impo rta nt q ue vo us ne
corres po nd à une manipul ati o n fo r- l' imag inez .
melle de l' équatio n du pre mier degré ,
au contraire de la résolution de 6x = 2, le calcul formel,
qui , e ll e, en est une manipul ati o n c'est quoi eKactement ?
Simon Plouffe numérique
(on tro uvex = b/a, si a n 'est pas nul ). Un log ic ie l de calcul fo rme l do it être
capa bl e - dans l'abso lu - d'effectuer
U n log ic ie l de calcul sy mbo lique (on le trava il mathé matique d ' un être
dit auss i fo rme l o u algé brique) n 'est humain . Malhe ure usement cette défi-
ri e n d 'autre qu ' un programme info r- niti on mo ntre rapidement ses limites :
matique capable de réa li ser de te ll es si l + 0 se réduit à 1, est-on sûr qu e
manipul atio ns d ans des do maines (] + x - 1)/x se rédui se , q ue lque so it
va ri és de l'acti vité mathé matique: x, à 1 ? Ic i inte rvient déjà la notion de
l'algèbre (résolutio n d ' équ ations, opé- contexte (x est-il nul ou non ?) que le
ratio ns s ur les po ly nô mes, e tc.) et logic ie l aura du mal à pre ndre en
l'analyse (déri vation, intégration, etc.). compte. Plu s e ncore, vo us vo us êtes
s ûre ment déj à he urtés à certaines
manipul ati o ns q ui dé pendent du
Les mathématiques, qui sont une sorte de
contex te o u du rés ultat souha ité :
paradigme de l'activité humaine, ne qu and fa ut-il fac to ri ser, qu and fa ut-i l
peuvent être réduites à un calcul. développer ?

m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

Que va ut-i l mieux écrire :


S rini vasa
? cos (2x) + 1
cos-x ou - - - - - ? Ram anuj an est
2
né à Erode (Inde)
ln(9) ou 2ln(3) ? en 1887 et mort à
ln(.xy) o u ln (x) + ln(y) ? Kumbako na m en
1920. Il s'agit de
Et pe ut-on to ujo urs écrire avec exacti - l'un des m ath é-
tude q ue ln (xy) = ln (x) + ln (y) ? Si maticiens les plus
certains calcul s sont pure me nt automa- étonna nts qui ait jam ais existé.
tiques et do nc auto mati sables (la déri- Il a consigné da ns des ca rnets des
va tion d' une fo nc ti o n e n est un fo rmul es a ussi (ou m ê m e plus)
excelle nt exempl e), beaucoup d 'autres éto nna ntes qu e cell e de Plouffe. Il
req uière nt l' inte lli gence huma ine les a intuitées sa ns l'aide d' un
(l'o pposé de la dé rivati o n qui est le o rdinateur bien entendu mais il ne
ca lc ul intégral fo urnit le me ille ur do nn ait aucune dé mo nstration de
exemple possible). Or aucune machine ses résultats.
ne saura dépasser l' ho mme , car il lui
manq ue un corps, cond itio n nécessaire
d'ex istence inte ll igente . Un ro bot par- effectue r d ' inte rm inables exerc ices
vie ndra a u mie ux à copier )'acti v ité ré pétitifs de manipulation , d 'apprenti s-
mécanique humaine, ma is no n à réagir sage e t d ' util isati o n d 'algo rithmes;
comme l' ho mme. Les mathé matiques, e lles consiste nt à résoudre des pro-
q ui sont une sorte de pa radi g me de bl è mes e n utili sant log ique et ra ison-
l' ac ti vité huma ine, ne peuve nt ê tre ne me nt , à découvrir des lie ns e ntre
réd uites à un calcul . Dans ce sens, elles d iffére nts concepts, à raisonne r à partir
de do nnées po ur construire des
modè les. Le calc ul e t les ma nipul a-
Godfrey Hardy tio ns ne sont que les outil s qui pe rmet-
est né Cra nl eigh te nt de fa ire des mathé matiques e t ne
en 1877 et mort à seront j a m a is une fin e n e ux mê mes.
Camb ridge en No us devons do nc reste r plu s
1947. Ses livres modestes qua nt à notre ex igence vis à
In eq ualities et vis du calcul algébrique.
An Intmduction
to the th eo ry of Poson s a lo rs : un log ic ie l de calcul
nu mbers pa ru s en 1934 et 1938 fo rme l d o it ê tre capa bl e d 'a ide r le
sont toujo urs incontourn ables t rava il m a thé m atique d ' un ê tre
pour aborder les suj ets évoqués. humain . On pe ut ain s i cons idé re r que
In dé penda mment de ses rech er - les prog rammes ac tue ls, qu ' il s fo nc-
ches personn elles, il eut le grand tio nne nt sur calcul atrices o u sur o rdi-
mérite de reco nnaître le t ale nt de nate urs, ré po nde nt assez bie n à cette
Ramanujan. ex igence e t lo rsqu 'on sa it ce que l'on
c he rc he e t s i l' on sa it les pilote r , il s
offre nt une a ide excepti o nn e ll e à la
ne po urro nt ê tre re mpl acées pa r une déco uve rte e t à la co mpré he ns io n
mac hine. Ell es ne cons iste nt pas à mathé m atique.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente m


ACTIONS Calcul symbolique

La formule de Bayley, Borwein et Plouffe

Voici la formule permettant de trouver directement la n-ième décimale de rc sans calcul er les déc imales pré-
cédentes (les instructions utilisent le logic iel Maple) :

>Sum(l/16 Ak*(4/(8*k+l)-2/(8*k+4)-l/(8*k+5)-l/(8*k+6)),k=O.. infinity) = Pi:

> Int(x A(q-l)/(l-x A8),x=O .. l/sqrt(2))=Int(Sum(xA(q-


1+8*k),k=O .. infinity),x=O .. l/sqrt(2)):

> assume(k>O,q>l):Int(Sum(xA(q-1+8*k),k=O .. infinity),x=O .. l/sqrt(2))=


Sum(int(x A(q-1+8*k),x=O .. l/sqrt(2)),k=O •. infinity):

> Sum(l/16 Ak*(4/(8*k+l)-2/(8*k+4)-l/(8*k+5)-l/(8*k+6)),k=O .. infinity)


=Int((4*sqrt(2)-8*xA3-4*sqrt(2)*xA4-8*xA5)/(l-xA8),x=O .. l/sqrt(2)):

> int((4*sqrt(2)-8*xA3-4*sqrt(2)*xA4-8*xA5)/(l-xA8),x=O .. l/sqrt(2)):

> evalf( %);


3.141592655

les mathématiques expérimentales cette concepti on des mathémati ques.


Les log icie ls de ca lcul fo rmel permet-
On dit souvent : les sciences phys iques tent d '« intuiter » , vo ire de démontrer
sont une sc ience expérime ntale, alors à l'aide de dé monstrateurs automa-
que les mathématiques ne reposent que tiques de théorèmes qui mécani sent
sur le raisonne ment intell ectue l. Les une parti e du ra isonne me nt , de nou-
log icie ls de calcul fo rme l vont peut velles vérités mathématiques.
être re nverser cette idée. Pourtant les
mathématiques expérimentales ne sont Pre nons )'exemple du ca lcul di rect de
pas un no uveau concept. L'exempl e la n- iè me déc im ale de 1r sans ca lcul
hi storique le plu s cé lè bre est celui des déc imales précédentes (Bail ey,
d ' Euler qui évalu a gross ièreme nt la Borwe in et Pl o uffe). L'essenti el de
valeur de la somme infinie : cette découverte n'est pas tant dans la
1 1 1
fo rmul e e ll e- même, qui n' est pas très
1+ -4 + -9 + -16 + ... compliquée (les auteurs all ant j usqu 'à
se demander pourquoi Euler ne l' a pas
y reconnut une vale ur approchée de tro uvée !) mais parce qu 'ell e fut trou-
n-216 , pui s dé montra ce résultat de vée par un ordinateur. Depui s, d' autres
mani ère exacte. L'expérimentation est for mul es du même type ont été déter-
par ailleurs une excellente méthode de minées de la même faço n. Il paraît évi-
réso luti o n , lo rsqu 'on ne sa it par que l de nt qu 'avec le prog rès des
bout aborder un problème. Les moyens ordin ate urs, d 'a utres résultats sero nt
info rmatiques actue ls et futurs suggè- obte nu s, rés ultats te ll e ment co mpli -
re nt de repre ndre et d 'approfo ndi r qués que le ur dé monstrati on deman-

m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

dera trop de temps pour être réell ement Sûre ment pas; ma is qu 'en est-il des
access ible et qu ' il s éc happeront à la identités remarquables, de la résolutio n
déno minati on « théorè me mathé ma- des équ ati o ns du second degré, des
tique » pour être rangés dans une caté- fo rmul es tri gono métriques, vo ire de
gori e « théorè me ex pé rimenta l » . l'apprenti ssage des tables de multipli -
Yerra-t-on a in si naître une nouve ll e cation , de l' additi on ou de la di vision ?
mathématique ?
La prog ress io n dans la résolution
le calcul symbolique d ' une questi o n mathé matique
dans l'enseignement demande un effort de mémori sation et
ne saurait être entravée ou ralentie par
L'appariti on récente des ca lcul atri ces des lac unes dans ces connaissances de
sy mbo liques à un pri x ra isonn abl e et base . Al o rs, que lles sont ces noti o ns
d ' utili sati on qu as i immédi ate - donc fo nd ame ntales que to ut é lève do it
access ibl e à la maj orité des é lèves - co nnaître? So nt-ce cell es que l'on
soulève de nombreuses questions quant retro u vera dans les autres sciences
à leur utili sati on en cl asse et dans les (phys ique, chimie, bio logie, économie,
examens. Ces mac hines remettent e n etc .) ? Nou s ne ri squeron s pas de
cause le contenu des progra mmes de réponse car en donner une demanderait
mathé matiques et des co mpéte nces à une connaissance beaucoup plus ava n-
ex iger ! En effet , ces petits ordinateurs cée des processus psycho log iques de
sont capables d'effectuer les opérati ons l' apprenti ssage et du raisonne me nt. Il
algébriques demandées au lycée beau- fa ut néanmo ins noter l'effort de ! 'Édu-
coup plu s rapideme nt qu ' un être cati on Nationale pour intégrer le calcul
hu mai n et quas iment sans erreurs. Il s fo rme l dans les programmes offic ie ls.
sont capab le de tracer le graphe de M a is s ur le terrain la plu s grande
n' importe que lle fo nctio n , de déri ver confusio n règne : les enseignants sont Nous allons enfin
une ex press ion , de ca lcul e r de no m- encore une infime minorité à ! ' utiliser nous débarasser
bre uses intégra les (ma is pas to utes), co mme outil d 'ense ig ne ment et les des
d 'étud ier certa ines suites ou équations é lèves en fo nt une utili sation sauvage, mathématiciens !
différentielles. Il s sont capables d 'obte- comme « mac hine à donner des résul -
ni r 15 ou plus au Bac, série S . tats » sans aucune compréhe nsion ni
regard critique sur les résultats fourni s .
Alors pourquo i continuer à appre ndre
et fa ire ce trava il au crayo n et s ur Po ur conc lure, n'o ubli ons pas que si
pap ie r ? Pour répo nd re à cette ques- les mathé mati c ie ns utili sent le ca lcul
tion ép ineuse, il fa udra it savo ir di ffé- fo rme l, celui -c i leur rend la pareille en
re ncier les compéte nces nécessa ire à soulevant de nombreux et intéressants
l'apprenti ssage des mathé matiques de pro bl è mes de recherche : la mi se au
cell es qui ne sont qu 'accessoires: qui po int de nouvea ux algorithmes a per-
penserai t (qui sa it) aujourd ' hui extraire mi s une percée dans di ffé re nts
une rac ine carrée à la ma in ? Pourtant domai nes de l'algèbre (par exemple en
cet algorithme était encore e nse igné il cryptog raphi e), o u le probl è me du
y a 30 ans , mais a di sparu avec l'arri- contrô le de la ta ille et de l'éva lu ati o n
vée des calcul atri ces d ans les années des temps de calcul qui sont à l'orig ine
1970. Éta it-i l nécessa ire à la co mpré- de la théorie de la complex ité.
he nsion des mathé matiques ? H . L.

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente l;iJ
ACTIONS Calcul symbolique

La machine peut-elle démontrer?

P
o ur trouver leur fo rmule, Bay ley, Ce rtain s d 'entre e ux ont mê me rejeté cette
Borwein et Plouffe utili sèrent un logicie l pre uve. Il s o nt fa it va lo ir q ue Appel et Haken
de calcul symbolique et donc un ordina- n 'ava ie nt pas pro uvé que l' unité centra le fo nc-
teur. Cependant , une fo is tro uvée, il est fac ile de tionnait bien !
vérifier leur fo rmule "à la main" . Autre me nt dit , Cet arg ument peut sembler abusif. Si les ordina-
si la machine est utile dans la phase de recherche, teurs ne marchaient pas, ça se saurai t depu is le
elle ne l'est plus pour prouver le résultat. Ce type temps que l'on compte sur eux pour tout calculer.
d ' utili sation de la machine ne gêne aucun mathé- Quelques années plus tard , un autre professeur de
maticien. Il en est diffé remment quand elle inter- mathématiques - Thomas Nicely (vo ir page 84) -
vient au ni veau de la démonstration. tro uva une e rre ur dans un microprocesseur et
montra a in si q ue ces réti cences n' éta ient pas
les quatre couleurs inj ustifiées. La démo nstration du théorème reste
cependant admi se pui squ 'ell e a fo ncti o nné sur
En 1976 , deux mathé maticiens amen ca in s - di vers ty pes d'o rdin ateurs. Po ur beaucoup de
Kenneth Appel et Wolfga ng Haken - acheva ient mathématiciens, l'essentiel est qu' une preuve soit
la démonstrati o n du théorè me des quatre cou- reproductible par son lecteur. la question du non-
leurs. Ce théorème s 'énonce ainsi : « quatre cou- fo nctionnement d ' une unité centrale est-elle plus
leurs suffisent pour colorier une carte de sorte que préoccupante que cell e du bo n fo nctionnement
de ux pays ayant une fro ntiè re co mmune so ient d' un cerveau ?
coloriés différemment » . Ce résultat était expéri-
mentalement connu par les cartographes depui s Un eKemple
fo rt lo ngte mps , mais to us les essa is de preuve
avaient échoués. Pour le prouver, Appel et Haken Vo ic i un petit exercice d ' arithmétiq ue e n guise
ont d ' abord réduit - par une preuve « class ique » - d 'exemple élémentaire:
les cas à examiner à un no mbre fini et « raison- Tro uver tous les nom bres égaux à la som me des
nable », 1025 en l' occurrence . Pui s, il s ont exa- cubes de Jeurs chiffres .
miné ces 1025 cas e n s'aidant d ' un ordinate ur, Ce pro blè me de ni veau é lémentaire admet une
sui vant un algorithme do nt il s o nt prouvé « clas- dé mo nstrati on par ordinateur du même type q ue
siquement » la correction. Je théorème des quatre couleurs.
On démontre d'abord de façon classique (voir enca-
Réticences dré) qu ' une solution a au plus trois chiffres puis on
essaye en utilisant un ordinateur tous les nombres de
Quand Appel et Haken ont présenté leur démons- O à 999 . La machine donne 0, 1, 153 , 370 , 371 et
tra tio n du théorème des qu atre couleurs, les 407. Vous pouvez essayer avec votre logiciel favori,
mathé maticiens se sont sentis un peu tro ublés . ça marche. Que pensez-vous de ce type de preuve ?

Si anan _ 1•• •a0 est un nombre égal à la somme des cubes de ses chiffres, on a :

Donc, puisque a;:,;;;; 9 pour tout i et an :p 1, nous avons: 10n :,;;;; (n + l) 93


Nous montrons alors que la suite 10" / (n + l) est croissante. Comme 103 / 4 ;;,: 93, nous en dédui-
sons que n :,;;;; 2. Donc, toute solution a au plus trois chiffres.

m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d' histoire des mathématiques


EN BREF

Problèmes historiques
Le problèrre de Sylvester
En 1893, James Sylvester (1814-1897) posa le problème suivant.
Soit un ensemble fini E de n points tel que toute droite
passant par deux des n points passe au moins par un
troisième point de E. Les n points de E sont-ils obliga-
toirement tous alignés ?

Solution.
La réponse est oui.
Pour le démontrer, supposons qu 'il n'en soit pas ainsi.
Considérons toutes les droites passant pas au moins
deux points de l'ensemble de points et une droite.
L'ensemble des points et celui des droites étant finis , il
existe une distance non nulle plus petite que toutes les
autres . Soit (d) une droite et A un point n'appartenant pas
à (d) qui réalise cette distance minimale. Désignons par
H le pied de la hauteur abaissée de A sur (d). La droite (d) , d'après notre hypothèse,
contient au moins trois points de l'ensemble. Il y en a donc au moins deux situés d'un
même côté par rapport à H (l'un de ces deux points pouvant d'ailleurs être confondu
avec H). On peut alors dire que la distance de B à (AC) est strictement inférieure à la
distance AH , ce qui contredit l'hypothèse de minimalité faite sur AH. Cette contradiction
entraîne que les points de l'ensemble sont obligatoirement tous alignés .
Ce problème, posé en 1893, n'a été résolu que beaucoup plus tard par Gallaï, puis de
façon élémentaire par L. M. Kelly en 1948.

Le problèrre de Jacob Steiner


Une femme du monde souhaite inviter sept amis à dîner. Mais
elle ne peut recevoir que 3 personnes à la fois ; elle organisera
donc plusieurs diners. De plus elle voudrait que chaque paire
de ses amis se rencontre à sa table exactement une fois.
Comment doit-elle procéder ?
e

Solution.
Cette solution peut être représentée par la
figure ci-contre , qui aussi une représenta- cl<C-- - -=-~' - - - -~
tian d'un plan projectif à 7 points. a b

Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente ~
ACTIONS par Paul Louis Hennequin

les tables de mortalité


aux xune et xu111e siècles
Les tables de mortalité servent de nos jours à déterminer les
primes d'assurance vie. C'est dans le même souci qu'elles ont
été créées au XVIIe siècle. Il s'agissait alors d'établir le montant
des rentes viagères.

B
.. b ,!,\
ie n que les je ux de hasard
TABLE DE MO R TAL I TÉ soient pratiqués depui s la plu s
D e D uvillo r d .
haute antiquité, o n fa it remon-
ter la théori e des probabilités au xv 1e
.::J:::~
0 1 000000
ACES.

28
1\"I\ASTS.

!,51 635
ACCS.

56
=I
,48-;81
AC;ES.

8!1
\ïV\..,B.

--
15175
s ièc le avec Lucas Pacc ioli ( 1445-
1514), Nicolas Tartag lia ( 1500-1537),
1 -67 525 29 444932 5ï 2'10 21 'i 85 11 886
2 671 834 30 438 1s:, 58 ,3, 4ss 86 ~224 Jé rô me Cardan ( 1501-1576) ma is sur-
3 624 668 31 431 398 59 221605 87 ~,65
4 598713 32 424 583 60 213 567 88 ~670 to ut a u xv 11e avec Pi e rre de Fermat
5 583151 33 41 ,-4'1 61 204 380 89 '.686 ( 1601-65), Blai se Pascal ( 1623- 1662) ,
6 5ï3025 34 4 10886 62 IgS o5~ 90 3830
7 565 838 35 4o4 o J? 63 1 5 600 91 3 093 Christiaan Hu yge ns ( 1629- 1695) et
s 560 245 36 397123 64 io35 n 2!,b6
Jacques Be rn o ulli ( 1654- 1705) qui, le
9 555 486 37 390 219 65 1 "6377 93 1 938
10 55 , 122 38 383 300 66 156651 94 pre mi e r, é no nce une lo i des g rands
·4~9
Il 5\6888 39 376 363 67 1!,6882 95 l 140
nombres permettant d 'éva luer des pro-
12 512 630 40 3tigio4 GS 137 102 DG 850
13
14
538 255
533 711
41
42
362 ', 1~
355400
69
70
127 34
117 65
l 97
98
621
!i', 2 babilités à partir de re levés stati stiques.

15 528969 43 3\S 3!,2 71 10 o~o 99 307


16 524 020 1\4 34 1 235 72 986 I 100 207 De mê me , ho rmi s l' usage de recense-
17 5,8863 45 331072 î3 8940~ 101 ,h
18 513502 4G 326 813 74 Sofi23 101 84 me nts e t de co mpil a ti o ns c hez les
19 507949 47 319539 ïj î r 7'J5 103 5,
Égy pti e ns e t les Ro ma in s et quelques
20 5on r6 48 312 148 76 63 424 104
21
22
496317 49
50
3o4 662 77
78
55 511 105
106
~i8 rudime nts c hez Ulpianus e t Cardan,
4§0267 48 0571
23 4 4 083 51 ~~rn~ 79 4 1 10~1 107 4 c'est a u xv 11 e e n Angleterre qu 'appa-
24 477777 52 281 527 80 3170 1 108 2
ra issent les pre mi ers trava ux de démo-
25 4r366 53 •t56o 81 288861 109 1
26 4 4 863 54 2 5 450 82 23 680 110 o graphie .
27 458 282 55 25n3 83 19 1061 Jo hn Grau nt ( 1620-74) pui s Willi am
28 451635 56 24 7 2 84 15 175
Pe tty ( 1623-67) trava i li e nt sur les
li! !li
Bills of Mortality qui publie nt c haq ue
Un e table d es mortalité publiée e n 179 7 sema ine à partir de 1592 et du ra nt plus

[m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d' histoire des mathématiques


DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

de 60 ans ! 'état de sa nté à Lo ndres


afi n de permettre à la haute société de
s'é lo ig ne r à la ca mpag ne qu and sév it
une épidémie.
Huyge ns repre nd ces données dans sa
correspondance e n 1671 .
La mê me année , Jea n de Witt ( 162 5-
1672) publi e à La Haye un tra ité s ur
les re ntes v iagè res qu e Ni co las
Stru yck ( 1687- 1769) republ iera e n
1740 e n in sista nt sur le fa it qu ' e n
moyenne les fe mmes vivent plu s que
les ho mmes. Edmo nd Ha ll ey ( 1656-
1742), co nnu surtout co mme as tro-
no me , publi e e n 1693 des tabl es
re lati ves à la po pul ati o n de Bres lau ,
ca pita le de la Pru sse Ori e nta le
(actue lle Wroslaw en Po logne) qui lui Edmond Halley est né à Londres en 1656 et mmt à
para it beaucoup plu s stabl e que ce ll e Greenwich en 1742. Il est plus connu comme astronome que
de Londres . comme mathématicien. Auteur du premier catalogue des
Abra ham de Mo ivre ( 1667- 1754) étoiles du ciel austral (1679), il observa en 1681-1682 la
republi era ces tabl es e n 1726 e n vue comète à laquelle son nom est restée ; attaché, avant et après
du ca lcul des rentes viagè res. son passage au pé1iphélie ; il calcula son orbite et prèdit son
retour pour 1758, annonçant pour la première fois le retour
En 1746, Anto ine Deparc ieux ( 1703- au périphélie des comètes péiiodiques (confirmation de la
1768) repre nd dans un in qu arto de théorie de Newton). Il découvrit l'amas d'Hercule (1715) et
154 pages , Essa i sur les probabilités mit en évidence le mouvement propre des étoiles (1718) en
de la vie humaine, les tabl es de Ha lley, montrant que ce1taines s'étaient déplacées depuis Ptolémée.
ce ll es de Th o mas Simpson ( 1710-
176 1) re lati ves a ux re ntes v iagè res
ca lc ul ées à partir d 'études de John Lapl ace ( 1749- 1827) con sacre en
Smart en 1726 sur les reg istres mor- 18 12 un c hapitre de son monume nta l
tu a ires de Lo ndres , a in s i qu e ce ll es Traité analytique des probabilités à la
établi es e n 1743 par Willi a m durée de v ie d ' un coupl e ou d ' une
Kerseboom ( 165 1- 1771 ) en Ho ll ande. assoc iation .
li les co mpare à ses propres tabl es
co ncernant les re nti e rs et di verses Qu'est-ce qu'une table
communautés pari siennes de re lig ie ux de mortalité ?
et re ligieuses.
Une table de mortalité est re lati ve à un
Me nti onnons encore la publicatio n en ensemble d ' indi vidus décédés , c lassés
1760 par Leonhard Euler ( 1707- 1783) sui vant la durée de leur vie , c'est-à-dire
de deux mé mo ires à l' Acadé mi e de l' âge à leur décès.
Berlin , l' un sur la morta lité et la mul - Cet e nsembl e correspond à une aire
tipli cati o n du genre huma in , l' autre géographique et à une période pour les-
sur les rentes viagè res où il utili se les que ls des reg istres sont di sponibles
tables de Kerseboom. Pierre Simo n de complets et exacts.

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tc::r.ngente &I!IJ
ACTIONS Tables de mortalité

Pour O ,;;; n ,;;; m, la table donne M11 , Uie probable


nombre d'individus morts à l'âge n,
c'est à dire dont la durée de vie appar- À partir de la table de {S 11 } , on peut
tient à l'intervalle [n, n + l]; la table déterminer par un calcul trés simple la
s'arrête à l'âge m, âge extrême atteint vie probable à partir den, notée V11 ; en
par au moins un des individus. On a gros, il s'agit du nombre d'années
donc M 111 > 0 et M 11 ;;;,, 0 pour nécessa ire pour que la population soit
0,;;; n ,;;;m. divisée par deux , précisément, c'est la
médiane de la survie de ceux qui ont
Définissons maintenant la suite atteint l'âge n, c'est à dire que V 11 est
{S,,} 0 "" où nous notons S11 le
11 "" 111
égal à p si on a la double inégalité :
nombre de ceux qui ont atteint l'âge n
et S0 l'effectif total de la population : s" + p ;;;,, ~ > s" + e + ,
on a S111 = M 111 , et, pour O ,;;; n < m:
s11
2 s 11

111
s
s" = M" + s" +, = I Mk. >-___!!_>
0 uS 11 + p~ 2 S 11 + p + ,.
k = J1

La suite {S 11 } est décroissante, les suites


{M 11 } et {S 11 } se déduisent aisément La décroissance de la suite {S 11 } assure
l' une de l 'autre; certaines tables (voir qu ' il n'y a qu ' un seul p satisfaisant
ci-dessus) donnent directement la suite cette double inégal~ ; V 11 se détermine
{S 11 } et choisissent pour S0 une puis- donc en calculant ____!!_ et en lisant dans
2
sance de 10 (1000, 10000 , 1000000) la table I' âge le
pour faciliter les comparaisons. plus grand n + p tel que :

Pour un individu tiré au hasard dans la


population , l'âge au décès est n avec une
M 11 Remarquons que, si V 11 = p et
probabilité - • V 11 + 1 = q, on a:
So
La probabilité d 'avo ir atteint l'âge n

s"
est s·
0 qui implique : n + 1 + q > n + p, vue
la décroissance de {S 11 } , et puisque p
Pour un individu tiré au hasard parmi et q sont entiers, q ;;;,, p - 2, donc
ceux qui ont atteint l'âge n, la probabi- v 11
;;;,, v,, +, - 2.
lité d'être décédé à l'âge p (avec Remarquon s aussi qu'on a S 11 + P > 0,
donc n + p ,;;; m ou V11 ,;;; m - n.
M
n ,;;; p < m) est i!.
Il Espérance de uie

Celle d 'avoir atteint l'âge p est ~ Défini ssons maintenant la durée


s" moyenne ou espérance de survie à âge
M 11 n, et notons- la E,,.
Celle de ne pas dépasser n est - • Ce concept a été introduit en 1709 par
s" Nicolas Bernoulli ( 1687-1759) : parmi

[I!E Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: ÉVOLUTION DES TECHNIQUES

les S11 individus qui ont atteint l'âge n, Bills ofmortality


les M 11 + j décédés à l'âge de John Graunt pour Londres et ses environs l'année
n + j , donc entre n + jet n + j + l , 1624.
ont survécu en moyenne j + l/2 ; on
pose donc: The Total of ail the Burials in the places aforesaid, is 12 210

E = "'
"
- "(
·+ -
111

L.., J
1) -----1!....±...
2
MS ._ Whereof, of the Plague, 11
J = 0 n

Christned in ail the aforesaid p laces this Year, 8299


Comme M11 +j = S11 +j - S11 + j + 1, et
111 - n Parishes clear of the Plague, 116
I Mil + j =
J=O
Sil,
Parishes that have been Infected this Year, 6
on a:
1 1 Ill - Il
Sur cet extrait, on voit que l'un des buts principaux de ce
E,, =2+ s .I jcs,,
II J = 1
+j - s" + j + ,) type de statistiques était de suivre les avancées de la peste.

or
Ill - 11

I
j = I
j(S,, +j - s,, + j + ,) =

(S,, + 1- S,, + 2) + 2(S,, + 2 - S,, + 3) = s,, + 1


+ ... ou

+ (m - n - LXS111 _ 1
- S111) + (m - n)S111 • S,, ( E,, - +) = S,, + 1( E,, + 1 + +)
1
On en déduit : EIll = -2 , et pour
qui permet de calculer les E11 de proche
O :s;; n < m: en proche à partir des S11 et de
J m - 11
S · J
E111 = l/2.
E =-+I..::..!!...±... > -
11 2 J= ' S" 2 La suite {Sn} est décroissante.
l)
(
m - 11
ou : s,, E,, - -
2
=
j =
I 1
Sii + j On a donc S11 :s;; Sn+ 1, qui équivaut à
l 1
Ill
E - -:s;; E + -
" 2 Il + 1 2
i
I
= n + 1
S;,
ou E11 :s;; En + 1 + l

de même S11 + 1( E11 + 1- +) = ce que l' on peut écrire:

m En + n :s;; E11 + 1 + n + l
I S; et, en retranchant,
i = n +2
La suite {E,, + n} est donc croissante.

Connaissant Sm , on peut déterminer la

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ;l!E
ACTIONS Tables de mortalité

suite {S,,} à partir de la suite {E,,} par : Usage des tables


1 + 2E 11 + 1
La questi o n de la va lidité d ' une tabl e
s" = s" + i - I + 2E
Il
ne se pose pas tant qu 'on la cons idè re
po ur O ,;;; n ,;;; m - 1. comme le compte-rendu d ' une certaine
Donnons maintenant une interprétatio n réa lité: l'âge au décés des indi vidus de
géométrique de E,,. la po pul ati o n ta bul ée e t qu 'on est sûr
Peprésento ns {S,) par la suite { P11 } des des info rmatio ns .
points P11 de coordonnées (n, S,,) .
M a is e n généra l, o n ve ut utili ser les
Notons Q,, le point de coordonnées (n, 0). ta bles po ur les a pplique r à d 'autres
Pour O ,;;; n ,;;; m + 1, écrivons : po pul ati o ns compo rta nt des indi vidu s
1 1 1 encore e n vie; il pe ut s'agir d ' une utili -
E ,,-
- -S {- S
2111 + -(S
2111 + S 111 - I) satio n co llecti ve (ass ura nces, re ntes)
Il
qui inté resse à la foi s les organi s mes
1 fin a nc iers e t le urs c lie nts, ou plu s per-
+ 2(S111 - i + S111 - 2) + ... so nne lle, c hac un d 'entre no u se
de ma nda nt ce que la tabl e pe ut lui
appre ndre sur sa propre vie .
Or la mo rtalité dé pe nd de no mbre ux
fac te urs a utres que l'âge : géogra-
phiques (c limat), soc ia ux (ni vea u de
vie), sanitaires (épidé mies, découvertes
médicales), politiques (guerre) et varie
1 beaucoup d ' un s iècle a u sui va nt , d' un
2 s,,, est l'aire du triang le QmP,,,QIII + I' pays à l'autre e t se lo n le sexe (vo ir
l'encadré).

l'a ire du trapèze Mê me à une é poque e t dans un pays


fi xés, son a ppli cati o n à un indi vidu
do nné suppose qu ' il est raisonnable de
ca lc ul e r sa pro ba bi I ité de survie
comme ce lle d ' un indi vidu tiré a u
A
E =-" hasa rd pa rmi ceux qui o nt servi à
" s", construire la table.
où nou s no to ns A,, l'a ire dé limitée
par l'axe d es a bsc isses, la li g ne bri- Co mpte te nu de la ra pidité des évo lu -
sée P "P " + 1··· PkPk + 1··· P111 Q 111 + 1 ti o ns, o n ne pe ut pas utili ser directe-
e t la pa ra ll è le à l'axe des o rdo nn ées me nt aujo urd ' hui des tables du passé
d 'absci sse n . re lati ves à des po pul ati o ns éte intes,
ma is o n do it construire par
ex trapolatio n une table plus
s" P,, InterprétatiQn géométrique de réa li ste, ce qui n 'est pos-

~
l'espérance de vie : il s 'agit du s ibl e qu 'après une analyse
1
quotient de l'aire indiquée et de fin e des causes de décès et
la longueur du premier de le ur évo lutio n prévisible.
Q" 0 111 + 1 segment vertical QnPn. P.L. H.

[I!E Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques
1
ACTIONS par Elisabeth Busser

Constructions
à la règle et au compas
Pourquoi les Grecs ont-ils privilégié la règle et le compas pour
la construction des courbes? Quelle qu'en soit la raison
véritable, ce choix a marqué les mathématiques jusqu'à nos
jours.

Droite, d'un grave port, pleine de pas, à qui il semble prêter une certaine
majesté, désinvolture :
Inflexible et surtout observant
l'équité, ... Son frère le compas fut pourvu seu-
lement

T
elle est la règle, décrite par le De jambes et de tête, et marche jus-
conteur du XVIIe siècle Charles tement,
Perrault. Il lui associe, comme Tournant de tous côtés par ordre et
le faisaient déjà les Anciens , le corn- par mesure,
Et toujours de ses pas traçant
quelque figure.
Lore n zo Mascheroni est
né à Bergame en 1750 et mort À eux deux, ces instruments mythiques
à Paris en 1800. Il a dédié son de l'architecture grecque, referont le
livre La géométr·ie du compas monde de la géométrie, et leur usage
(1797) à Napoléon Bonaparte. défiera longtemps les mathématiciens.
Dans ce travail, il montra que
toute construction à la règle On peut évidemment se demander
et au compas peut être faite pourquoi les Grecs , ces grands bâtis-
avec le compas seul. En fait, seurs, inventeurs de nombreux et ingé-
ce résultat avait déjà été éta- nieux moyens mécaniques pour tracer
bli un siècle auparavant par des courbes, ont à ce point privilégié
un mathématicien danois dont il ignorait l'existence, ces deux instrument simples que sont
Georg Mohr (1640-1697). L'un de ses problèmes est la règle et le compas, refusant à tou s
connu sous le nom de problème de Napoléon. Il s'agit les autres le statut géométrique que la
de retrouver. le centre perdu d'un cercle. pratique leur conférait. Il n 'y avait,
disait déjà Platon de vraie construction

;::m Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

demande de «construire», il sous-


ente nd auto matique ment « à la
Jean Poncelet est né à Metz en règ le et au compas » ; vo us bannirez
1788 et mort à Paris en 1867. d 'office règle graduée, équerre, ou tout
Inspiré par Mascheroni, il montra autre instrument.
que la règle s uffisait pour les
constructions à la règle et au com- Un jeu d'enfant
pas à condition de disposer d'un
Depui s le début de vos c lasses pri-
ma ires, vo us savez jouer de votre
compas po ur trace r des rosaces,
des tri angles équilatéraux, des
hexagones inscrits dans des cercles.
Vous savez auss i, depui s le collège,
utiliser règle et compas pour tra-
cer la médi atrice d ' un seg-
ment , la bi ssectrice d ' un
angle, ou pour construire un
angle droit .

Vous utili sez,


parfo is sans le savoir,
une méthode codifi ée
constructio n de fi g ures,
cercle et de son centre (théoréme n' utili sa nt que les de ux ins-
de Poncelet-Steiner) . Lui aussi a truments autori sés. Qu 'est-ce
un lien avec Napoléon Bonaparte. que construire une fi g ure à la
Il fut laissé pour mort pendant la règle et au compas ? C' est
retraite de la campagne de Russie construire une suite fini e de po ints
à laquelle il participait en tant que M " M 2 , ... , M ,, du pl an, dont chaque
lieutenant du génie. po int est obtenu à partir des précédents
par l ' une des constructions é lé men- Un compas ancien
(XVIe siècle)
ta ires sui vantes: tracé d ' une dro ite
qu 'à la règ le et au co mpas. E ux seul s passa nt par deux po ints do nnés, o u
éta ient capabl es de produire un mou- tracé d ' un cercle de centre un po int
veme nt« vra i et é léme nta ire», selo n donné, et de rayo n obte nu à partir de
T héon de Smyrne, « pur » comme po ints connus.
aurait d it le philosophe du mythe de la Dans les trois premières constructions ci-
Caverne. C'est po urquo i, de pui s contre, la règle sert bien év idemment à
I' Antiquité grecque, qui a marqué de tracer des droites, mais le compas sert
son sceau to ute la géométri e jusqu 'au plus à reporter des longueurs qu 'à tracer
XV IIIe siècle, et laisse encore des traces véritablement des cercles. On pourra
da ns celle q u'on ense ig ne à l'éco le ainsi utili ser ces deux seuls instruments
aujourd ' hui , on ne tient pour géométri - pour reproduire un ang le, ou pour
quement valables que les constructions construire des droites parallèles.
réd uctibl es à la c irconfé re nce et à la Po ur reproduire un ang le, l' idée de
droite . Bien pire, dès lors qu ' un énoncé base est e n cho isissa nt un no uvea u

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente .:I!E
ACTIONS La règle et le compas

somme t O ', de con struire d 'abord un Po ur le tri ang le équil até ral, c'est
tri ang le isocè le AOB , pui s de fac ile.
co nstruire un triang le isométrique Pour construire un carré de côté [AB]
A'O 'B' , en re portant les longue urs des donné, on pe ut par exemple construire
trois côtés ( voir c i-contre où 1'ang le de le sy métrique A' de A par ra pport à B ,
droite est une re production de celui de pui s la médiatrice de [AA '), qui donne
gauche). le côté [BC] . La constructi o n de la
médi atri ce de [AC] , dont on conn aît
Une droite d étant donnée (en bas sur déjà un po int , 8 , donne non seul ement
le dess in ), pour me ne r par O (vo ir la le centre du cercle inscrit , mais en plus
c roix) la parall è le à d , o n utili se une le quatrième sommet.
sécante quelconque (OA), et o n re pro-
duit en O l' ang le que fa it (OA) avec d Pour le pe ntago ne, de nombre uses
sui vant la tec hniqu e décrite dans le co nstructi ons o nt été proposées au fi l
dess in précéde nt. Nou s o bteno ns la des âges. L' une des plu s s imples
droite cherchée. consiste, po ur in sc rire dans un cerc le
do nné de centre O et de rayo n r , un
Ces cinq constructions sont tellement pe ntago ne rég ulie r, à trace r d 'abord
fondamentales qu 'elles fo nt partie du de ux di amètres perpendi culaires [AA'J
bagage indi spensable à tout géomètre. et [BB 'J pui s, à partir du milie u l de
Elles ouvrent la voie à des tracés plus [OAJ, le po int E de [IA' J te l q ue
compliqués comme ceux des po lygones IE = IB .
réguliers.
On pe ut alors vé rifi er que la di stance
Les polygones constructibles

'J -;·./s
BE vaut exactement :

Un po lygone régulie r, de n côtés, est 5


dit constructibl e à la règle et au co m-
pas s i ) 'ang le de mes ure 21Tln radi ans qui est le côté du pe ntago ne régulier
est lui-même constructible. inscrit dans le cercle de rayon r. li suf-
fit a lors de re po rte r ce lui -c i avec le
Quelques constructions simples compas qu atre fo is à partir d ' un po int
du cercle.

Notons au passage qu 'on retrouve ici le

fameux nombre d 'or q;


1 +vs
2

puisque BE= r ~ -
Médiatrice d'un segment Perpendiculaire à une droite
passant par un point donné
Après le pe ntago ne, l' hexago ne, sur

4-4--
lequel il est inutile de s'étendre tant sa
co nstructi on vo us est fa mili ère, ma is
)' he ptago ne? F ig urez-vous que le
po lygo ne rég ulie r à 7 côtés n 'est pas
Bissectrice d'un angle Reproduction d'un angle co nstructibl e à la règ le et au co mpas.
C' est G auss lui -même qui l'a d it :

iI!I:J Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

A' 0 A A' 0 A

B' B'

A' E 0 A

B'

Construction d 'un pentagone r égulier

Un polygo ne rég uli er à n. côtés n' es t Et si on jetait règle ou compas ?


constructibl e à la règ le et au compas
que si n. est de la fo rme 2r p 1p 2 •• •p 5 où Plus difficile maintenant : essayons de
les P; so nt des no mbres pre mi ers de nous passer de l 'un des de ux in stru-
Fermat d istincts (c ' est-à-dire qu ' il s me nts. Il est prouvé (théorème de
s' écri vent sous la fo rme i< 2 ") + 1). Mo hr-Mascheroni , 1672) que to ute
D' après ce théorè me , les polygones à construction à la règle et au compas est
3 , 4 , 5, 6, 8 , 10, 12 , 15 , 16 , 17 ou 20 possible avec le compas seul.
côtés sont constructi bles , mais effecti - On peut donc , par exempl e , construire ,
vement pas l' heptagone! dans un cercle do nné, sans règ le, le

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ;:m
ACTIONS La règle et le compas

po int di a métrale me nt opposé à un


po int A : il suffi t d ' in scrire dans ce
cercle un demj-hexagone dont l' un des
sommets est A . On peut auss i, c'est un
peu plus délicat , retrouver à l' aide du
seul compas, le centre perdu d ' un
cerc le c. D ' un po int A que lco nque du
cercle c comme centre, on décrit un arc
qui co upe c e n B et C . On construit
e nsuite de ux arcs, l' un de centre C et
de rayo n AB , l'autre de centre B et de
même rayo n , qui se recoupe nt e n D ,
pui s un autre arc de centre D et de
rayo n DA , d 'où les po ints E et F. On
termine en construi sant deux arcs , l' un
de centre E et de rayo n E A , et l'autre
de centre F et de mê me rayo n , qui se
coupent en 0 , et do nt vo us po uvez
vérifier que c'est le centre cherché du
cerc le c. Jakob Steiner est né à Utzentorf
(Sui sse) en 1796 et mort Berne en
On pe ut auss i imag iner des construc- 1863 . Outre le théo réme de
ti o ns à la règ le se ul e. Essayons la Poncelet-Stein er (voir ci-dessus),
mê me rec he rche de centre perdu à sa contributi on à la géo métrie est
l'a ide d ' une règ le à bord para llè les immense
dont la largeur est infé ri eure au di a-
mè tre du cercle. On peut pl acer la
règ le sur le cercle et tracer deux para l- L' id ée do min a nte est de tracer de ux
lè les le lon g de ses bo rds, coupant cordes (B ' A) et (A 'B) du cerc le
l' une le cercle en A ; l'autre en B , pui s connu , qui so ie nt para ll è les po ur un
fa ire pi voter le bord supé ri eur de la cercl e co mme po ur l' autre . Il suff ira
règ le autour de A jusqu 'à ce que le alors de recommencer la constructi on
bord infé rieur rencontre B , et marquer pour retrouver le centre du cercle C.
à nouveau les deux bords parallè les . Il
est a isé de dé mo ntrer que les po ints La géo métri e de la règ le e t du com-
d ' intersection ainsi déterminés sont sur pas, si e ll e est un pe u to mbée e n
un di amètre du cerc le. Il suffit d 'en dés uétude a uj o urd' hu i, a fa it les
construire un deuxième pour retrou ver bea ux j o urs des mathé mati q ues
le centre. d ' hi e r. E ll e a permi s de trou ver une
so lutio n à d ' inno mbrables pro blè mes
À la règle seule, sans utili ser le para l- de constructi on , mais auss i de mettre
lé li sme de ses bo rd s, on ne pe ut pas e n év ide nce l' imposs ibillité d ' en
fa ire grand chose, mais tout s'arrange réso udre d 'autres. Ell e res te néa n-
si l'on di spose déjà d ' un cercl e connu mo in s une excell ente éco le d 'appren-
tracé dans le pl an . Il s'agit de retrou - ti ssage des ges tes é lé me nta ires de la
ver le centre du cercl e C , le cerc le c géo métri e.
étant do nné, et son ce ntre co nnu . E. B.

~ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


EN BREF

Problèmes historiques
La souricière de Cayley
Ce problème , inspiré d'un jeu de cartes , est dû à un
mathématicien anglais, Arthur Cayley (1821-1895) .

On distribue n cartes numérotées de 1 à n et mélangées


dans un ordre quelconque , et on les dispose en cercle,
face au-dessus . On part ensuite de la première carte dis-
tribuée , et on suit les cartes dans l'ordre où elles ont été
disposées, en comptant 1, 2, 3, 4, 5, ... Si, en passant sur
une carte, on prononce le numéro de cette carte , on ôte la
carte du jeu , puis on redémarre à la carte suivante . Dans
l'exemple représenté ci-contre, on dit « 1 » sur le 3, « 2 »
sur le 2, on ôte le 2, on redémarre à « 1 » sur le 1, donc on
ôte le 1, on dit à nouveau « 1 » sur le 4, « 2 » sur le 3,
« 3 » sur le 4, « 4 » sur le 3, « 5 » sur le 4 , « 6 » sur le 3,
etc. C'est perdu !

Pour un jeu de quatre cartes (comme


sur le dessin), quelle est la probabilité
que l'on gagne, c'est-à-dire que l'on
enlève les quatre cartes du jeu.

Solution.
Il y a 24 dispositions possibles des quatre
cartes, compte tenu de la cartes de démar-
rage et du sens de parcours .
Sur ces 24 dispositions , 9 ne permettent
d'enlever aucune carte , 6 permettent d'en
enlever seulement une, 3 permettent d'en
enlever exactement deux et 6 permettent
d'enlever les quatre cartes .
La probabilité est donc égale à 6/24 , soit
0,25.

On remarquera qu 'aucune disposition ne


permet de laisser une seule carte ! En effet,
en ôtant l'avant-dernière carte, on redémar-
re à 1, et on prononce donc forcément le
numéro de cette carte !

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ilI]
SAVOIRS par David Delaunay

Résolution des
équations algébriques
La recherche des solutions des équations algébriques a
amené la naissance de la notation algébrique, de la notion
d'algorithme ainsi que de celle de groupe.

ne équ ati o n a lgébrique de « Une quantité et une porti on de

U degré n est une équ ati on de la


fo rme
x'' + a,, _1 x 11 - 1 + .. . + a I x + a0
ce lle-c i vaut tant , que lle est cette
quantité? » .

Les Baby lo nie ns sava ie nt éga le me nt


d ' inconnue x e t de coeffi c ie nts a,, _ réso ud re des pro bl èmes cond ui sant à
1 , •• • , a 1, a 0 co mpl exes. Le théorè me des équ ati ons de degré deux , co mme
fo nda me nta l de l'a lgèbre ass ure par exemple :
Tartaglia qu ' une te lle équati on possède exacte- « La surface d' un carré, ajoutée à son
ment n so luti ons complexes comptées côté, est éga le à 3/4, que l est le côté
avec le urs o rdres de multipli c ité. Au du carré ?» .
cours de l ' hi stoire, o n a cherc hé à
résoudre ces équ ati o ns au moyen Dans to us les cas, les p rob lè mes
d 'extraction de radi ca ux. Cette posés éta ie nt numé riqu e me nt
mé thode issue des exe mpl es s impl es co nc re ts et la réso luti o n des éq ua-
Un problème des degrés un et deux fo ncti o nne jus- ti o ns é ta it pure me nt verba le. Il
qu 'au degré quatre. n 'ex ista it pas e ncore de sy mbo li sme
purement
math é matiqu e. Les Grecs sava ie nt
technique l'ftntiquité e ux auss i réso udre des équ ati o ns d u
peut amener pre mi e r e t du seco nd degré , ma i
la naissance Les Egypti e ns se so nt intéressés à la n'aborda ie nt ce ll es-c i que d ' un po int
réso luti on d ' équ ati ons algébriques de de vue géo mé trique . L' hi sto ire
de concepts degré un . Dans le papyru s de Rhind mo ntre qu ' un p ro bl è me pure me nt
théoriques (vers 1700 ava nt Jés us-Chri st), o n technique pe ut ame ne r la na issa nce
profonds. trou ve des problèmes du type : de concepts théoriques profo nds.

ilE Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

L'algèbre arabe troi siè me degré. Il garde sa méthode


sec rè te ma is De l Fi o re e n pre nd
L' essor de l' algèbre a eu I ieu au début conna issance et l'expl o ite dès la mort
du IXe siècle dans les bibliothèques de de De l Fe rro . E n 15 35 , il la nce un
Bagdad . Les Arabes découvrent , en les défi à Tartag li a e n vue de réso ud re
trad ui sant , les écrits g recs e t il s les tre nte pro bl è mes , c hac un condui sant
com plète nt. De surcroît , il s profite nt à une équ atio n de deg ré tro is . L' un
de la notati o n déc im a le de pos iti o n d ' eux est par exemple:
mode rne déco uverte par les Indi e ns.
Al Kh wa ri zmi é tudi e e t réso ut les « Tro uver un no mbre qui aj outé à
..
.

éq uatio ns a lgébriques de degré deux , sa rac ine cubique, fasse 6 » . Al Khwarizmi


en commençant par ajouter, de part et
d ' autre de chaque membre , des qu an- Tartagli a découvre une dé marche
tités éga les de sorte de fa ire di s pa- généra le de résoluti o ns de ces équ a-
raître les qu antités négati ves. Ce tte ti ons , il re mporte le due l mais garde
manipul atio n , appe lée a l-j abr est à ses mé thodes de résolutio ns secrètes .
l' origine de la déno min ati on algèbre. Cardan , après ma intes suppli cati ons,
A l Kh wa ri z mi prése nte alors c haqu e arrache ce secret et le publie dans I 'ou-
type d ' équatio ns possibles : vrage Ars Magna en 1545. Comme Al
Khari zmi , il comme nce par réorgani-
ax2- = bx, ax2 = bx + c, etc. ser l'équ ati on de sorte que chaque
quantité e ngagée so it pos itive, puis e n
pui s donne les règ les de réso luti on de fo nction du type d 'équation obte nu , il
ce ll es-c i acco mpag nées de dé mo ns-
tra ti o ns de nature géo métrique . La
dé marc he d ' Al Kh wa riz mi est no u-
ve ll e , il ne part plu s d ' un pro bl è me Une équation du troisième degré
concret po ur le résoudre, ma is donne
des méth odes de réso luti o ns géné- Soit à résoudre l'équation y3 + 3y2 - l = O. Le chan-
ra les qu ' il suffi t d ' appliqu e r pas à gement de variable y = x + a conduit à l'équation
pas. Il invente la notio n d 'algorithme , x 3 + 3(a + l ) x 2 + ... = 0 qui est de la forme
ce mot est d 'a illeurs une défo rmatio n x 3 + px + q = 0 si et seulement si a = -1 . Posons
du nom de ce mathé mati c ien . y = x - l, l'équation devient x 3 - 3x + l = O.
On écrit x = u + v avec u v = l et on parvient à
La Renaissance u 3 + v3 + l = O. u 3 apparaît comme solution de
l'équation t2 + t + l = 0 dont
Dès lo rs , o n sa it réso udre les équ a- 1i1r 1iir
3
ti ons algébriques de degré de ux , ma is les racines sont e 3 et e •

que se passe-t-il po ur les équ ati o ns de 2itr 8i1r 14h t

deg rés supé ri e urs ? Fibo nacc i (XIW Par suite , u est égal à e 9
, e 9
ou e 9 .

sièc le) pense qu ' il n ' est pas poss ibl e


de réso udre algébrique me nt les équa- De plus, v =-,l x =u + v et y =x - l donne comme
tio ns d u tro isiè me deg ré, les mathé - solutions : u
mati c ie ns du no rd de l ' Ita li e vo nt le
27T 87T 147T
contredire . Au XVIe sièc le, le mathé-
mati c ie n De l Fe rro parv int à tro uver
2cos
9 - l , 2co
9
- 1 et 2cos - - - 1.
9
ce rta in es so luti o ns d ' équ ati o ns du

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente D


SAVOIRS Les équations algébriques

Une équation du quatrième degré


Soit à résoudre l'équation x 4 = 12x - 3. On introduit

x 4 + 2x2t + t2 =
r
2tx2 + 12x + t2
et on réécrit l'équation étudiée :

- 3.

Le second membre peut s'écrire comme un carré si t3 - 3t -18 = 0 qui a t = 3 comme


solution apparente . L'équation de départ s'écrit :

(x2 + 3)2 =6(x + 1)2.


Il reste à résoudre les deux équations x + V6x+ 3 + V6 = 0 et x V6x + 3 - V6 = 0 qui
2 2
-
donnent respectivement les solutions :

-V6±iV6+4V6 et - V6 ±
2
a=~
2

présente la résolution de celle -c i. Pui squ e x = u + v, l' équ ati on est


Voyon s la dé marche géné ra le de la réso lue. On obtie nt a in si :
méthode qui porte désormais son nom .

la méthode de Cardan-Tartaglia

Pour résoudre l'équation x 3 + a x 2 +


bx + c = 0 , on commence par réali ser
une translation d ' inconnue de sorte de
Cardan se ramener à l' équation so luti o n parti c uli ère de l' équ ati on
x 3 +px + q = O. x 3 +px + q = 0 (vo ir l'encadré « une
On écrit e nsuite l' inconnue x sous la équati o n du tro isiè me degré »).
forme u + v avec la condition 3uv + p
= 0 , x est alors solution de l'équatio n Dans la pratique , cette dé marche peut
étudiée si et seulement si co nduire à des ex press io ns co m-
u 3 + v3 + q = O. plexes des so luti o ns, par exempl e , la
En posant U = u3 et V= v3 , on est réso luti o n de x3 - 6x + 40 = 0 do nne ,
alors amené à résoudre le système e ntre autres so luti ons,
somme-produit :
x = V20 + 14V2 + V20 - 14V2
l
U +V= - q
3
UV=- L qui est en fa it éga le à 4 car
27

do nt les soluti o ns so nt les de ux 20 + l 4V2 = (2 + "2/


rac ines de l'équ ati on t2 + q t - p 3 / 27
= O. Une fo is U e t V trou vés , u e t v Pire, pour mener à terme certai nes réso-
s'obti ennent par ex tracti on de racines lutions, Cardan et Bombelli introduisent
c ubiques sacha nt auss i 3u v + p = O. des racines carrées de nombres négatifs

œ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

avant de parvenir à simplifier leurs cal- quatre, o n s'est à chaque foi s ra me né


cul s pour les fa ire d isparaître. C'est la aux degrés infé rie urs, est-ce to ujo urs
première apparition des nombres imagi- poss ibl e ? Le math é mati c ie n no rvé-
naires . Paradoxalement , les nombres g ie n Abe l dé mo ntre e n 1824 qu ' il
imagin aires apparaissent alors que les n 'es t pas poss ibl e de résoudre pa r
mathématic iens de cette époque fa i- radi caux l 'équ ation de degré c inq.
saient en sorte de ne pas avoir à manipu- Ma lhe ure use me nt so n trava il ne
ler de nombres négati fs et appelaient tro uve pas de lecte ur e t , ma lg ré so n
« raci nes mo ins pures » les solutio ns gé ni e, il me urt dans la pa uvre té à
négati ves de leurs équations ! l'âge de 27 a ns. Le mathé matic ie n NielsAbel
fra nça is G a lo is, s' inté resse lui a uss i
la méthode de ferra ri aux équ ati o ns a lgébriques. Afin
d 'établir l' imposs ibilité de réso udre
Dans la fo ul ée, Fe rrari , se rvite ur de les équ ati o ns de degrés supé ri e urs à
Cardan , détermine co mment réso udre c inq , il é bauc he les co nce pts a lgé-
! 'équati on de degré quatre . briques mo de rnes (groupes, mo r-
phi smes, etc.) ma is me urt e n due l à
Pour résoudre l'équation l 'âge de 2 1 ans, « v ic time d ' un e
4
x + a.x3 + b2 + ex + d = 0, in fâ me coque tte » . Néa nm o in s, la
on commence par réaliser une translation ve ill e du due l , il rédi ge à la hâte les
d'inconnue pour se ramener à l'équation idées essenti e ll es de sa th éo ri e.
Ce ll es-c i ne seront co mpri ses que
4 2
x + px + qx + r = 0. tre nte ans plu s tard . La théo ri e de
Galo is est actue lle me nt e nse ignée e n
O n introduit a lors un pa ra mètre uni versité au ni veau Maîtri se .
pour écri re l'équ ati on sous la fo rme: Évariste Galois
Fin a le me nt , il est désorm a is dé mo n-
x + 2x2 t +
4
t2 = (2t + p) x 2 + qx + tré qu ' il n 'ex iste pas de fo rmul e par
t2 + r. radi caux pe rmettant de résoudre sys-
té matiquement les équ ati o ns de degré
Le premier membre est le carré de 2 + c inq o u plu s. Il ne reste a lo rs plu s
t. Le second peut le devenir s i 4 (i2 + qu 'à reche rc he r des so luti o ns a pp a-
r) (2t + p) = q2. Cela nous ramène à la rentes o u d 'essayer que lques change-
réso luti on d ' une équ ati o n de degré me nts d ' inconnues !
trois en t. Pour t0 solution, on est alors D.D.
amené à résoudre une équatio n du type

(x 2 + 10)2 = (ax + b)2 Bibliographie


ce qui nous co ndui t à de ux éq uatio ns • Des mathématiciens de A à Z, B. Hauchecorne
de degré de ux (vo ir l'encad ré « une et D. Suratteau. Ed. Ellipses
équation du quatrième degré»).
• Le Théorème de perroquet, D. Guedj, Ed. Seuil
la période romantique
• L'histoire de l'algèbre et des équations algé-
Po ur réso udre les équ at io ns a lgé- briques jusqu'au xrr siècle, E. Cousquer
briques de degré de ux , tro is o u

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ~


HISTOIRES par Daniel Téman

les probabilités •

une paternité multiple
Les probabilités sont considérées aujourd'hui comme une
branche sérieuse des mathématiques. Pourtant, elles sont
nées des jeux de hasard.

Préhistoire des probabiltés

L
es probabilités sont aujourd ' hui
l' une des branches les plus
importantes et les plus pointues Les rec herches arc héo log iques ont
des mathématiques . Branche sérieuse mo ntré que ces jeux o nt été pratiqués
d ' une di scipline souvent considérée dans de nombreuses sociétés, depuis les
comme particulièrement austère, surtout débuts de la c ivili satio n. Pourtant , les
par ceux qui ne la pratiquent pas. mathé matic iens grecs ne semblent pas
Pourtant, tout commence d ' une drôle de s'y être intéressés, pas plu s que leurs
façon : c'est en cherchant à résoudre des collègues chino is, indi ens et ara bes.
problèmes posés par les jeux de hasard C'est seuleme nt à la Renaissance que
que les mathématic iens donnent nais- les mathé mati c iens itali ens ont com-
sance aux probabilités. mencé à s'en préoccuper.
Le pro blè me resté le plu s fa me ux est
ce lui de la répartiti o n équitable des
Blaise Pas ca l est né à e nje ux d ' une parti e in ac hevée, à un
Clermont-Ferrand en 1623 mo ment où l' un des j oue urs a un pris
et mort à Paris en 1662. un ava ntage, no n déc isif év ide mment.
De même que Descartes et Luca Pac io li l'évoque dans un li vre
beaucoup d 'autres savants publié e n 1494, intitul é Summa de
de son époque, il n'est pas Arithmetica, Geo-metrica, Proportio et
connu seulement pour ses Proportionalita, et qui re ncontrera un
travaux mathématiques, mais grand succès.
aussi pour son œuvre philo- L'aute ur y pre nd l'exempl e de deux
sophique et ses recherches équipes mi sant chac une 11 ducats ,
en physique. dans une partie en 60 po ints. La partie
est interrompue alors qu ' une équipe a

;::&:E TQ.ngente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

marqué 50 po ints et l'autre 30 po ints :


pour être équitabl e, quelle somme do it « Mais est-il probable que la probabilité assure?
récupérer chaque équipe ? Différence entre entre repos et sûreté
La so luti o n de Lu ca Pac io li est de de conscience. Rien ne donne
ré parti r les e nj e ux propo rti o nn e l le- l'assurance que la vérité;
me nt aux po ints acqui s par c haque rien ne donne le repos
équipe. Si cette so luti o n a le mé rite que la recherche
de la simpli c ité, e ll e ne s'appui e s ur de la vérité. »
aucun ra iso nn e me nt. E ll e es t Blaise Pascal
d'a ill eurs critiquée, 60 ans plu s tard ,
par un autre math é mati c ie n ita li e n ,
Nicco lo Tartag li a. Il fa isa it re marquer
que s i un e équipe a, pa r exe mpl e,
marqué 10 po int s et l'a utre O au
mo me nt de l' inte rrupti o n , la ré parti-
ti o n propo rti o nn e ll e a ux po ints
acqui s attribu e l' intégra lité des 22
ducats à la pre mi è re équipe; po ur-
tant , la seco nde a encore des chances
de ga in non négli geabl es.
Po ur réso udre le probl è me, Pac io li
re pre nd une idée proposée qu e lques
années plu s tô t par un troi s iè me
mathé mati c ie n ita li e n , G e rol a mo
Card ano. Ell e con s iste à co ns idé re r
qu e la ré partiti o n do it se fa ire e n
fo ncti o n des po ints que c haqu e
équipe a e nco re beso in de ma rque r
pour gag ner la partie.
Cette so luti o n rés iste à la c ritiqu e
précéde nte, ma is n 'est pas dava ntage
étayée par un que lco nqu e rai so nne -
me nt. Au c un de ces mathé mati c ie ns
n 'a e nco re tro uvé co mm e nt attaqu e r
le probl ème.

les idées de Pascal

Finalement, c'. est Pascal qui va y parve-


nir. La question qui lui est posée est pré-
cisément la sui vante : de ux joueurs ont
entamé une partie en trois manches. Il s Pascal est particulièrement satisfait de
ont mi sé chac un 32 pi sto les . La partie sa solution parce qu'elle assure la
est interrompue alors que l' un des
joueurs a gagné deux manches, et l'autre
réconciliation, en apparence impossible,
une seule. Co mment fa ut-il ré partir d'un raisonnement rigoureux
entre les deux les 64 pi sto les mi ses en et du hasard.
Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente [IE
HISTOIRES Les probabilités

ra isonne me nt ri go ure ux et du hasard .


Chris tiaan Huyge n s est Il a d ' aill e urs l' inte nti on d ' écrire un
né à La Haye en 1629 et trai té sur le sujet, mais il renonce après
mort dans la même ville en avo ir décidé de consacrer le reste de sa
1695. Il était ami de vie à sa fo i.
Descartes avec lequel il cor-
respondait. Contribution de Huygens
Outre ses travaux en mathé-
matiques, il est connu pour Le premier traité consacré aux probabi-
des travaux en optique et en lités sera l 'oeuvre d ' un autre mathéma-
astronomie. tic ien et ph ys ic ien , cé lèbre pour bien
d 'autres travaux, Chri sti aan Huygens. Il
le publie en 1667 , sous le titre Tractatus
jeu , en admettant que les deux jo ueurs de Ratiociniis in Aleae Ludo. Il est
ont les mêmes chances de remporter une significa tif que ce titre contienne les
manche donnée ? mots « aleae ludo », qui signi fie nt
« jeux de dés » . M ais Huygens préc ise
Dans la li gne de l' intuitio n de bien qu ' au-de là de l' étude de ces jeux,
Cardano, Pascal a l' idée de prolonger, il s'ag it bie n pour lui de fo nder une
fi ctivement, la partie. Il simule un tour nouvelle d isc ipline .
supplé mentaire, qui peut donner deux
résultats . So it le jo ue ur e n retard Le conte nu du li vre de Hu yge ns est
gagne, il rétablit alors l'égalité à deux assez limité. Il introduit néanmo in s ce
manches partout , les deux joueurs par- qui dev ie nd ra la noti o n d 'espérance
tent ch ac un avec ses 32 pi sto les . So it mathé matique . Il donne une so lu tion
le joueur en ava nce gagne e ncore une au pro blè me du partage des mi ses,
manche et donc la parti e : il e mporte ana log ue à cell e de Pascal. E nfi n, i I
les 64 pisto les. En définiti ve, le joueur propose à la sagac ité de ses lecteurs
en avance a donc de toute faço n droit à ci nq probl èmes relatifs à des lancers de
32 pi stoles. Qu ant aux 32 pistoles res- dés, à des tirages dans des urnes, à des
tant , il fa ut les partager en de ux , tirages de cartes , pro bl è mes très ana-
pui sque les de ux j o ue urs aura ie nt e u logues à ceux que l' on soumet encore
les mê mes chances de gagner le coup auj ourd ' hui à ceux qui co mme nce nt
s uppl é menta ire. En définiti ve, le l' étude des probabilités.
j oueur en ava nce a droit à 48 pi sto les,
et l'autre à 16 pi sto les. Le résultat est Bernoulli
cette foi s tiré d ' un ra isonne ment , et la loi des grands nombres
inco ntestable, et qui d 'aill e urs n'a
jamais été contesté depui s . Un autre tra ité , plu s co mplet , sur les
Ce raisonneme nt peut ensuite fac ile- pro babilités, est !'oeuvre d ' un mathé-
ment se généra li ser à des parties auss i matic ien sui sse, Jakob Bernoulli. li est
long ues que dés iré, interro mpues à publié en 17 13, huit ans après la mort
n' importe quel stade. Il suffi t de le répé- de l' aute ur, par son neveu Danie l
ter autant de fo is que nécessaire . Pascal Bernoulli .
est particulièrement sati sfait de sa solu-
ti on parce qu 'e lle ass ure la réconc ili a- Cet ouvrage aborde un as pect no u-
tio n, en apparence imposs ibl e, d ' un vea u , le li e n entre probabilités et fré-

[IEJ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

q uences en cas de tirages répétés. Ce mê me probabilité. Il aura une grande


lien était déj à connu . Pour pre ndre un postérité, pui sque c'est le pre mi er
exempl e simple, celui de tirages répé- d ' une série qui contient les différentes
tés avec un dé cubique , la probabilité fo rmes de la loi des grands nombres .
de tirage de chaque face est d ' un Avec ce résultat , toutes les bases de la
sixième. Les habitués des jeux de dés théorie mathématique des probabilités
avaient observé depui s longtemps que, sont posées.
dans les lo ng ues séri es de tirage, les
fréque nces de so rti e de c haque face Berno ulli , dans son traité, énonce
étaient vo isines d ' un sixième (pour des d 'autres é léments intéressants. Il avait
dés non truqués, bien entendu). pri s consc ie nce de l'importance des
ca lc ul s de dé no mbre me nt po ur
Jakob Bernoulli a longtemps réfl échi à résoudre les problèmes de probabilité.
ce phéno mène. Il fa ll ai t parveni r Reprenant des résultats obtenus par les
d 'abord à le traduire sous la fo rme Chino is et les Indi ens, pui s par
d ' un théorème, en exprim ant l' idée Le ibni z, il met la théorie des permuta-
qu ' en augme ntant le no mbre des ti ons et des combina ison s sou s une
ti rages, l'écart entre fréquence et pro- fo rme qui n 'a pas changé depui s. Il
babilité tendait vers zéro . Le problème do nne auss i la première ex press io n de
es t que, que l qu e so it le no mbre de la lo i bino miale .
ti rages, il reste poss ible d 'obte nir par
exempl e une série co mposée unique- Trois fondateurs
me nt de un , o u sans auc un un . M a is,
év ide mme nt , ces séries so nt pe u pro- Il manqua it qu and mê me un é lé me nt ,
bables. D'où la soluti on : l'écart entre en apparence essentiel : une définition
fréquence et pro babilité te nd a it vers
zéro avec une probabilité aussi voisine
de un que l'on veut.
En termes plus rigoureux, on considère
un ti rage aléato ire do nt l' un des rés ul -
tats poss ibl es a une pro babilité p ; on
répète l'ex périence n fo is , et l'on
obti ent m fo is le résultat considéré ;
alors
pour tout E et pour tout h, il ex iste N tel
que,
si n > N alors :

prob [I : - p 1< µ] > 1- E.

Jakob Bernoulli est parvenu à démon- Pierre-Simon Laplace est né à


tre r ce théorè me, la va lidité de sa Beaumont en Auge en 1749 et mort
dé mo nstrati o n n'ayant d'aill e urs à Paris en 1827.
jamais été mi se e n do ute. Ce rés ultat Il sut traverser l'époque troublée
est d 'autant plu s généra l qu ' il n'est dans laquelle il a vécu sans perdre
absolu ment pas nécessa ire que les d if- la tête.
fé rentes éventualités envisagées a it la

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ;::rE
HISTOIRE DES IDÉES Les probabilités

plus tard , en 1795 : « La probabilité est


une fraction , dont le numérateur est le
nombre des cas favorables, et dont le
dénominateur est le nombre des cas
éga lement possibles » . Il précisait
qu'il fall ait comprendre « cas égale-
ment possibles » par « cas tel s que
nous soyons également indéci s sur leur
existence ».

Marie-Jean-Antoine-Nicolas de Caritat, Marquis de À qui doit-on, en définitive, attribuer


Condorcet est né à Ribemont en 1743 et mort à Bourg la paternité des probabilités ? Laplace
la Reine en 1794 dans des circonstances douteuses. l'attribue à Pascal , pour sa résolution
Condorcet est connu pour son paradoxe portant sur les du problème du partage. Sans doute
règles de choix collectifs. Il montre en fait qu 'un sys- est-ce un peu excessif, Pascal n'ayant
tème électoral parfaitement démocratique est impos- pas véritablement créé une théorie .
sible. Pour en donner un exemple simplifié, dans un Huygens se l'attribue à lui-même , avec
restaurant, il est tout à fait possible qu'en moyenne, les sans doute un peu d ' immodestie .
clients préfèrent les pommes aux abricots, les abricots Bernoulli est sans doute un bon candi-
aux cerises et les cerises aux pommes. Il n'y a pas tran- dat , bien que , mort trop tôt, il n'ait pas
sitivité des préférences. émis de revendication, à l'inverse de
Huygens . En fait, on peut sans doute
partager la paternité entre ces troi s
de la probabilité d'un événement. mathématiciens , sans oublier complè-
C'est le mathématicien français tement Laplace.
Laplace qui la donnera près d'un siècle D.T.

[m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


EN BREF

Défi à la cour
Dans la préface de son Livre
des carrés (Liber quadrato-
rum) , Léonard de Pise narre
sa rencontre avec l'empereur
Frédéric Il de Sicile en 1225.
Jean de Palerme, mathéma-
ticien attaché à la cour de
l'empereur, profita de l'occa-
sion pour lancer un défi, (pra-
tique courante en ces temps-
là) au « sérieux et savant
Fibonacci Maître Leonardo Bigollo » sous la forme de
et le nombre d'or trois problèmes dont voici les énoncés :

Le nombre d'or est noté <I> en hommage 1. Trouver un nombre rationnel tel que si on
à Phidias qu s'en inspira pour ses tra- ajoute ou retranche 5 à son carré on obtienne
veaux au Parthénon . Il s'agit de la raci- aussi un carré.
ne positive de l'équation : x 2 = x + 1.
Cette équation a un lien avec la règle de 2. Résoudre l'équation cubique :
construction de la suite de Fibonacci x 3 + 2x 2 + 10x = 20.
définie par :
u0 = u1 = 1 et Un + 2 = Un + 1 + 3. Trois hommes ont mis en commun une
un pour n ; :; ,; O. certaine somme d'argent ; leurs parts res-
pectives étant de 1/2, 1/3 et 1/6. Chaque
Nombre d'or homme retire chacun à son tour une part de
Calculer le nombre d'or. sorte qu 'à la fin il ne reste plus rien de la
Montrer que la suite de ses puissances somme initiale . Le premier homme remet au
vérifient la relation vn + 2 = vn + 1 + vn. pot commun la moitié de ce qu 'il a emprunté ,
Montrer qu'il en est de même pour l'opposé le deuxième un tiers et le troisième un sixiè-
de son inverse. me . Lorsque finalement les trois hommes se
partagent équitablement le nouveau pot
Suite de Fibonacci commun , il se trouve que chacun est en pos-
Déterminer les deux réels a et b tels session de son bien initial.
Quel était le montant du premier pot com-
que : ( 1)
u0 = a + b et u1 = a<I> + b - <I> . mun?
Fibonacci releva le défi. Il proposa la solu-
En utilisant un raisonnement par récur- tion 41/12 pour le premier problème ,
rence , en déduire que 1,3688081075 pour le deuxième (comment ?).

un = a <I> n + b (- : r· Le dernier problème amène, après quelques


calculs l'équation 7S = 47x où S est la somme
initiale et x le montant de la somme perçue par
chacun après le partage équitable . La plus
u
En déduire la limite du rapport ~ . simple des solutions choisie par Fibonacci est
un S = 47, x = 7 qui fournit les montants 33, 13 et
1 pour le premier partage.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ifI]
HISTOIRES par BenoÎt Rittaud

Fermat ou
l'auénement de l'arithmétique
Le xvn e siècle voit l'avénement de l'arithmétique avec
notamment Pierre de Fermat, qui restera célèbre non
seulement grâce aux problèmes qu'il a résolu mais aussi à
cause de celui, démontré récemment, qui porte son nom.

P
our une part, le xvrf siècle est
l'époque où les mathématiques
« s'amateurisent ». En effet ,
parmi les plus grands noms de cette
période se trouvent ceux de personnes
dont la spécialité ou les préoccupations
principales étaient ailleurs. Pascal,
entre autre fondateur des probabilités ,
est un philosophe et un janséniste très
fervent ; Descartes, inventeur de la
Pierre de Fermat, est né en notation algébrique moderne , est
1601 à Beaumont-de-Lomagne (à davantage connu comme philosophe ,
30 kilomètres de Carcassonne) et et le fut également comme physicien
mort à Castres en 1665, il fut (ses théories physiques, aujourd'hui
conseiller au parlement de tombées en désuétude , ont joui d'un
Toulouse. Jamais il n'enseigna les grand prestige pendant un siècle) ;
mathématiques, jamais il n'appar- Leibniz (encore un philosophe) et
tint à une quelconque université. Newton (physicien et astronome) fon-
Il fut pourtant, au travers de cor- dèrent à peu près en même temps le
respondances avec Pascal ou calcul infinitésimal.
Huygens, l'un des plus féconds
esprits mathématiques de son Pierre de f ermat
temps. L'apport essentiel d e
Fermat tient en ce qu'il a séparé Mais le vrai amateur éclairé de ce xv11e
l'arithmétique de la géométrie. siècle mathématique est incontestable-
ment Pierre de Fermat. L' apport essen-

[fE Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

pour lui l'occas ion de montre r qu ' il


Petit théorème y ava it auss i du tra vail à fa ire e n
de ho rs d e la géo mé tri e a lo rs toute-
de Fermat pui ssante : « S ' il s [le s arithmé ti -
c ie ns] ré uss issent à trouv e r une
Moins médiatique que le grand , le pre uve o u un e solution , il s convi e n-
« petit théorème de Fermat » dront que des question s de ce ty pe ne
énonce que si p est un nombre sont pas infé ri eures aux plu s célèbres
premier et que a est un entier non ques ti o ns de la géom é tri e pour la
multiple de p , alors le reste de la beauté, la diffi culté ou la méthode de
di vision de a P - 1 par p est to u- dé mo nstration ». Ronald Rivest
jours égaJ à 1. E n 1978 , Ri vest , est professeur au
Shamir et Adleman en ont tiré une L'arithmétique devie nt do nc, au dix- Massachussets
méthode de cryptographie extrê- septi è me s iècle, une di sc ipline indé- Institute of
mement perfo rmante, l' une des pe ndante, dont le do ma ine de Technology
plus efficaces à l' heure actuelle et reche rche est , se lon Fe rm at toujours, (Cambridge,
très souvent utilisée. l'étude des nombres e nti ers . Etats Unis,
E lle est connue sous le nom de Contra ire ment à la tradition , ces pays ou le mot
méthode RSA . no mbres ne sont plu s envisagés à par- « enseignement
tir de leur " traduction géométrique" : technologique »
on les regarde pour eux-mêmes, et non n'est pas péjoratif).
tiel de Fermat tient en ce qu ' il a séparé pas comme des longueurs de segments Il est l'un des
l'arithmétique de la géo métrie . Il s'en (o ù l'addition correspondait à une inventeurs
ex plique notamment en 1657 , dans un concaténation de segments, la multipli- de la méthode
tex te où il lance un défi connu depui s cati on à un calcul d 'aire, etc.). de cryptographie à
sous le nom d 'équation de Pe ll (du nom clef publique
d ' un mathé mati c ien britannique du L'arithméti sation des mathé matiques connue sous
di x-septiè me s iècle qui , en l'occur- pouvait commencer. le nom de méthode
re nce, n'a jamais rien eu à voir avec ce RSA.
problème). Il s'ag it de déterminer une Grand théorème de f ermat Dans ce type
règle générale po ur savo ir pour que ls de méthodes,
nombres entiers n il ex iste une infinité Le 23 juin 1993, le mathé matic ien la clef de codage
d 'entiers p pour lesque ls l'ex press io n Andrew Wiles, de Princeton , annonçait ne donne pas
np2 + 1 est un carré (c'est là la question au cours d ' un co lloque à Ca mbridge de façon aisée
ori g ine ll e de Ferm at , bie n que par la qu ' il était parvenu à dé mo ntrer une celle de décodage
suite Eul er a it considé ré np 2 - 1) . conjecture plus de trois foi s centenaire, ce qui permet
C'est le di x- huitième siècle qui verra la connue sous le nom de « grand théo - de la rendre
résoluti on complète du problème posé rème de Fermat» ; un nom jusque- là publique tout
par Fermat. abusif pour ce qui n'était qu ' une affir- en conservant
mation donnée par Fermat , sans la un code sûr.
Dans son tex te sur l'équati o n de Pe ll , moindre ébauche de preuve .
et ava nt d 'ex poser la ques ti o n ,
Fermat se pl a int de ses prédécesseurs La cé lébrité uni verse ll e du théorè me
e t de ses co nte mpo ra in s, qui se de Ferm at , supérie ure à ce ll e de la
posa ie nt tro p ra re me nt d es pro- presque totalité des autres grandes
bl è mes de nature pure me nt ari thmé- conjectures sécul a ires (conjectures de
ti q ue. Le défi qu ' il la nce es t a in s i Goldbach , de Riemann , etc.) s'explique

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente if!J
1
HISTOIRES Fermat

Approche géométrique

On ne pe ut rés ume r e n qu e lques li g nes la dé monstrati o n de Wiles.


Notons cependant que l' idée de celle-c i est géométrique.
No us rapporton s le plan à un re père o rth ono rm al Oxy. dans ce plan,
nous considéron s le carré D des points dont les deux coordonnées sont
comprises entre O et I et A l'ensemble des po ints de D dont les coor-
données sont rati onne lles.
Un entier n étant donné , considéron s la courbe C,, d' équation
x" + y" = 1, où x et y sont compris entre O et 1.
La courbe C 2 rencontre A une multitude de fo is. En revanche , si n ;;. 3,
les courbes C,, se fa ufil ent entre les po ints de A.
0
H.L.

pour beaucoup par la mani ère dont pose d ' une dé mon strati o n " mer-
Fermat lui-mê me l'a fo rmul ée . Au ve ill e use" de cette affirm ati o n, mais
dé part , la question elle- même ne que la marge sur laque lle il couche ses
se mbl e pas très « médi atique » : il mots est trop petite po ur qu ' il pui sse
s'agit de savoir si oui ou non l'équation s' expliquer !
Fermat n'essaya pas de fa ire connaître
x"+y"= z " cette pre uve: c ' est seul ement en 1670
que son fil s l' ex humera . Jusqu ' à la fi n
possède des soluti o ns e ntiè res en x, y du v in gti è me sièc le, les plu s grand s
et z, où n est un e nti er pos iti f fi xé mathémati c iens se casseront les dents
(s upérieur à 2). sur le pro bl è me , ne le réso lva nt que
En partic ulier, lorsque n = 2, o n a da ns certa in s cas parti culi e rs. Le
affa ire à l'équati on x 2 + y 2 = z 2 , qui mythe de la « pre uve perdue » a a in si
est celle liant les côtés d ' un triang le rec- porté au sommet de la glo ire mathéma-
tang le (théorème de Pythago re). Cette tique un rés ultat qui , en so i, n ' a que
derni ère équation possède une infinité pe u d ' intérêt.
de soluti o ns e n nombres e nti e rs , Par la variété des méthodes imag inées
comme 3 2 + 4 2 = 5 2 (la plus connue), et des o util s mathé matiques in ve ntés
ou bien 5 2 + 12 2 = 13 2 . po ur la réso udre, la conjecture de
On sa it de pui s l' Antiquité que ls sont Fermat a beaucoup contribué aux pro-
les tripl ets d 'enti ers (x, y, z) qui véri- grès des mathé matiques, et d ' autres
fi ent la relation x 2 + y 2 = z 2 . En parti - questi o ns iss ues de ces trava ux atten-
culier, il s sont une infinité . dent toujours d 'être résolues.
Après l' ann once du 23 juin 1993 , les
Andrew Wiles En revanche, on n ' avait j ama is trouvé mathé mati c iens o nt d 'abord dû
est né à Cambridge d 'exemple de triplet d 'entiers vérifi ant déchanter: la démo nstra ti on de Wil es
(Angleten-e) en 1953. x 11 + y 11 = z II pour n > 2. Fe rmat s'est révé lée inac hevée. li a fa llu
affirm a ain si qu ' il n' en exi stait pas. En e nco re de ux ans pour co lm ate r la
1637 , annotant la traduction d ' un livre brèche. Aujourd ' hui , e nfin , la pre uve
d 'arithmétique écrit par Dioph ante est fa ite .
d ' Alex andri e , Fermat écrit qu ' il di s- 8.R .

.:fIJ Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques
EN BREF

Solutions P.145 Problèmes historiques


Calculs à la Viète À la manière de Fermat
Après Viète, la résolution des équations se
dégagent complètement des méthodes géo-
métriques . Il invente les principales
méthodes de résolution des équations enco-
re en usage de nos jours.

~limination
Résoudre le système d'équations (*) :
xy + x 2 + y 2 = 124
X + y = 12
après avoir évalué l'une des inconnues en
fonction de l'autre (dns un tel cas, on dit Il a fallu plusieurs siècles pour venir à bout de
qu'on l'a éliminée). l'équation de Fermatxn + yn = zn. Pourtant
certaines équations de la même famille ne
sont pas difficiles à résoudre.
Ainsi:
Montrer que l'équation a 3 + b 3 = 9c + 4
n'a pas de solution pour a, b etc entiers.

À la manière de Goldbach
De même, tout résultat dans le style de
Goldbach ne reste pas une conjecture.
Montrer que tout nombre premier impair
est, de manière unjque, la différence de
deux carrés.

À la manière de Mersenne
Changement de variables Montrer que si n = pq alors le nombre 2 pq - 1
Résoudre le système d'équations (**) : est divisible par 2 P - 1. En déduire que le
xy = 20 nombre de Mersenne Mn = 2 11 - 1 n'est
x 2 + y 2 = 104 jamais premier sin n'est pas premier.
après avoir éliminé y, on fera le changement M 19, Mi3, M43, M61 et M 127 sont-ils premiers?
de variable X = x 2 .

Transformation d'équations
Résoudre le système d'équations (***) :
x 2 + y 2 = 20

xy =2
(x - y) 2
après l'avoir ramené à un système de la
même forme que (**).

Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente [m


SAVOIRS par BenoÎt Richard

les nombres

premiers
L'étude des nombres premiers est-elle gratuite? Sans doute
pour la plupart des amoureux de la théorie des nombres.
Pourtant, certains résultats les concernant sont classés
« confidentiel défense ». Pourquoi ?

P
armi tou s les e ntie rs nature ls, sation des cartes banca ires ou des tra n-
les nombres pre mi ers se défi - sacti ons sur Internet utili sent énormé-
ni ssent par une caractéri stique ment les nombres premiers.
é lémentaire. Ce sont ceux qui n'admet-
te nt que de ux di v iseurs : 1 et e ux Une infinité de nombres premiers
mê me. Ains i 2, 3, 5 , 7 so nt des
nombres pre mie rs mais pas 4 (qui a Il ex iste une infinité de no mbres pre-
La méthode pour di v iseurs 1, 2 et 4) ni 6 (qui a mi e rs et e n de ho rs de 2 et 3, il s so nt
de Lucas- po ur di v iseurs ( 1, 2, 3 et 6)). Avec les to us de la fo rme 6a ± 1
no mbres premiers on peut reconstituer (a = 1, 2, ... ).
Lehmer est tout nombre entie r par multipli cati o n Ce rés ultat da te de l'a nti q uité.
utilisée pour et cela de manière unique, par exemple E uc lide mo ntre d'a bo rd qu e to ut
vérifier 2000 = 24 X 5 3 ou 851 = 37 X 23. entier nature l n autre que O et I ad met
au mo in s un di viseur pre mi e r. Pour
la fiabilité
Ces petits objets mathé matiques o nt cela, il considère le plu s petit d iviseur
des super- fasc iné les mathématic ie ns et les plu s stri cte me nt supé rie ur à I de n soi t d.
ordinateurs grand s d 'entre e ux ont découvert cer- To ut di v iseur stricte me nt s upéri eur à
et pour ta ines de le urs propriétés ou ont é mi s I de d est di viseur de n donc est supé-
des questions non encore réso lues à ce rieur à d. Par conséquent , il est éga l à
essayer de jour. Plus encore, leur étude fa it appa- d. Ce no mbre d es t do nc pre mi er.
trouver raître des lie ns étroits avec d 'autres Ain si, to ut e ntie r nature l possède un
d'autres bra nc hes des mathé matiques et a des di viseur premier.
nombres de conséquences e ncore fo nd ame nta les
Mersenne de nos jours par exemple en cryptogra- Pour montrer l'ex istence d ' une infi nité
phie, pui sque les techniques modernes de no mbres pre mi e rs, il suppose au
premiers. de codage de l' info rmatio n, de sécuri - contraire qu ' il y en a un nombre fi ni et

im Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

considère leur produit P et N = P + 1.


Ce dernier nombre N possède un di vi-
seur pre mi er qui est donc l' un des
termes du produit P. Ce di viseur divise
do nc P, N et 1 = N - P ce qui est
abs urde. Par consé_q uent , l' hypothèse
l'est aussi. Il ex iste une infinité de
nombres premiers.

Un bo n moyen d 'accé lérer la


recherche de la liste des no mbres pre-
miers sur une ca lcul atrice est de noter
qu' il s sont to us de la fo rme 6a ± 1 à
l'exception de 2 et 3. Pour être e ncore Carl Gauss est né à Brunswick en
plus efficace, on peut remarquer que si 1777 et mort à Gottingen en 1855.
un nombre n'est pas pre mie r, il aura Génie précoce, il excella dans tous
fo rcément un di viseur d pre mie r avec les domaines qu'il a abordé :
1 < d < Vn ce qui permet de limiter astronomie avec le calcul de la tra-
l'étude des di v iseurs éventue ls d ' un jectoire de l'astéroïde Céres,
nombre donné. algèbre avec le théorème fonda-
mental, géométrie avec en particu-
La preuve par E uc lide que to us les lier l'étude systématique des
no mbres premiers sont de la fo rme courbes et des surfaces au voisi-
6a ± 1 repose sur la notion de di vision nage d'un point et théorie des
eucl idienne. nombres.

Il effectue la di vision d ' un entier n par n


6, il n'y a alors que 6 cas poss ibles : - - quand n est très grand .
ln(n)
n = 6q, n = 6q + 1, n = 6q + 2,
n = 6q + 3, n = 6q + 4 ou Po ur ce la, il calcul a po ur des valeurs
n = 6q + 5. den croi ssantes, les valeurs de n(n) et
du quotie nt de n et de ln n . En voic i
Il montre a lors que dans les cas des exe mples ou le deux iè me nombre
n = 6q, n = 6q + 2, n = 6q + 3 et a été arro ndi à l'entier le pl us proche :
n = 6q + 4, le no mbre n est div isible
par 2 ou 3. Si n est pre mier, il est donc Pour 10 3 , on trou ve 168 et 145 ,
de l' une des autres fo rmes. Le cas pour 10 6 , 78 498 et 72 382,
n = 6q + 5 s'écrit égale ment pour 10 9 , 50 847 534 et 48 254 942,
n = 6(q + 1) - 1 si bie n que s i n est pour 10 12 , 37 607 9 12 01 8
premier, il est de la fo rme n = 6a ± 1 et 36 19 1 206825 .
(ou a est égal à q ou à q + 1).
La prox imité de ces de ux nombres
la répartition par Gauss pe ut ne pas sembler év ide nte. Cette
idée change si l'on considère leur rap-
En 1795, Gauss conjectura que le nombre port qui est de 1,16 pour 10 3 , de 1,08
de nombres premiers inférieurs à n, noté pour 10 6 , de 1,05 pour 10 9 et de 1,04
p(n), est approx imati vement égal à pour 10 12 • Ce rapport se rapproche de

Hors série n° 1O. Mille ans d' histoire des mathématiques Tangente D
SAVOIRS Les nombres premiers
'

Pierre de f ermat

Un article entier de ce numéro est


consacré à Pierrre de Fermat qui le
mérite bien. Outre les deux théorèmes
portant son nom , Fermat a trouvé , et
parfois démontré , plusieurs propriétés
concernant les nombres premiers. Entre
autres , il a énoncé que tout nombre pre-
mier de la forme 4n + 1 est la somme
de deux carrés. Ce résultat a été
démontré par Euler en 1754 seulement.

Fermat a aussi étudié les entiers de la


forme 2 2 " + l appelés nombres de
Fermat et notés Fil . Il remarqua que ces
entiers sont premiers pour n = 0 , 1, 2 ,
Marin Mer senne est né à Oize en 3 et 4 et affirma qu ' ils étaient toujours
1588 et mort à Paris en 1648. premiers . Mais Euler prouva que :
Abbé, philosophe et physicien, il
se passionna pour toutes les F5 = 4 294 967 297 = 641 X 6 700 417
sciences de son époque et corres- puis en 1880, Landry, montra que :
pondit avec les plus grandes philo- F6 = 274 177 X 67 280 421310721.
sophes et chercheurs comme Depuis , on a montré que Fil n' est pas
Huygens, Pascal, Fermat et premier pour 7 ~ n ~ 16 et n = 18 ,
Descartes. 19,21,23,36,38,39 , 55 , 63,73.

Les nombres de mersenne


1. C'est troublant mais est-ce encore
vrai pour des entiers encore plus Mersenne étudia les nombres entiers
grands? de la forme Mil = 21l - 1 qui portent
son nom. Il crut par exemple que M 6 1
Plusieurs mathématiciens vont alors n' était pas premier, ce qui est faux (sa
s' attaquer à cette conjecture. Riemann primalité a été démontrée par le mathé-
( 1826-1866) un des rares élèves de maticien Lucas en 1886). La difficulté
Gauss, et lui aussi génial par l' ampleur de l'étude de ces nombres sur ordina-
de ses idées et de ses découvertes, va teur vient de ce qu ' il sont très grand s
essayer de la démontrer sans y parve- (M 6 1 est de l'ordre de 2 ,3 X 10 18) . On
nir totalement (mais en créant pour ne connaît aujourd'hui encore que
cela une célèbre fonction dite fonction moins de 40 nombres de Mersenne
dzéta de Riemann dont l'étude des pro- premiers. Parmi les derniers trouvés :
priétés est encore d'actualité) et ce M 1 398 269 par un françai s Joël
sont deux autres mathématiciens Armangeaud en 1996 et M 2 976 22 1 aux
Hadamard (1865-1963) et De la Vallée USA en 1997 .
Poussin (1866-1962) qui en 1896 et de
façon indépendante vont réussir à La question est ardue, cependant on
prouver cette conjecture. peut montrer facilement que si un

[m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

nombre de Mersenne Mn est premier jumeaux était dû à un ingénieur fran-


alors n est premier. çais passionné de nombres premiers ,
Henri Lifchitz. Il s'agit de
Test de Lucas 361700055 X 239020 ± 1.

Lucas découvrit une méthode pour Cryptographie


vérifier si un nombre de Mersenne est
premier. Cette méthode , nommée test Du fait des calculs énormes qu ' ils
de Lucas , améliorée en 1930 , par un impliquent , les nombres premiers ser-
mathématicien américain Lehmer, est vent parfois à tester la fiabilité des
facilement programmable sur ordina- ordinateurs. Pour des raisons simi-
teur. Elle est encore utilisée pour véri- laires, ils deviennent de plus en plus
fier la fiabilité des Super-ordinateurs et indispensables dans toutes les transac-
pour essayer de trouver d 'autres tions électroniques modernes , que ce
nombres de Mersenne premiers . soit pour les cartes de crédit, l'achat
Lucas considère la suite (rn) d 'entiers via l'internet ou la cryptographie.
naturels définie par la condition initiale
r 1 = 3 et la relation rn + 1 = ri/ - 3. Le L' idée principale de l'utilisation des
nombre de Mersenne MP avec p de la nombres premiers en cryptographie est
forme p = 4k + 3 est premier si et seu- simple. Autant, il est facile de trouver
lement si MPdivise rP _ 1•

la conjecture de Goldbach

En 1742 , Goldbach affirme, sans le


démontrer, que tout entier pair est la
somme de deux nombres premiers .
Ainsi, 12 = 7+5, 14 = 7 + 7 ,
70 = 37 + 23.
À l'heure actuelle, ce résultat n 'a été ni
prouvé ni réfuté .

Dans le même ordre d'idée , après les


sommes de deux nombres premiers de
Goldbach , intéressons-nous à l'écart
entre deux nombres premiers consécu-
tifs. Existe t ' il des écarts aussi grands
que l'on veut?
Edouard Lucas est né à Amiens
Si un écart est fixé d 'avance , par en 1842 et mort à Paris en 1891.
exemple 2, combien y a-t-il de Professeur de Mathématiques
nombres premiers consécutifs qui dif- Spéciales au lycée Charlemagne à
fèrent de deux ((3, 5), (11, 13) , etc.)? Paris, il se passionna pour la réso-
On appelle nombres premiers jumeaux lution de problèmes mathéma-
de te ls couples de nombres premiers tiques récréatifs (tour de Hanoi,
s'écartant de deux. En 1999 , le plu s nombre de Fibonacci, etc.).
grand couple de nombres premiers

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente [m


SAVOIRS Les nombres premiers

En 1994, Thomas Nicely, professeur de mathéma-


tiques à Lynchburg (Etats Unis) , lança sur son
nouveau PC avec un microprocesseur pentium
une série de calculs concernant les nombres pre-
miers jumeaux. Comme il effectuait ses calculs
par tranches à cause du coût des mémoires infor-
matiques, il avait mis en place des contrôles
rigoureux et nombreux. Hélas , il découvrit une
anomalie au cours de son travail. Il reprit son pro-
gramme, chercha ses erreurs puis s'aperçut, à sa
grande surprise que l'erreur venait du micropro-
cesseur pentium d'Intel qui évaluait faussement l'inverse des nombres premiers
jumeaux 824 633 702 841 et 824 633 702 443. Intel dut reconnaître (mais pas facile-
ment !) son erreur et la corrigea dans ses productions suivantes.

deux nombres premiers assez grands p que n divise ed - l (ce qui se fait aussi
et q (de l'ordre d'une centaine de facilement à l'aide de la division eucli-
chiffres chacun) et de les multiplier dienne) . Arnaud rend public net e (on
rapidement pour former un très grand appelle ces entiers la clef publique) et
entier N = pq, autant il est très diffi- garde secret p, q et d (clef secrète) .
cile et long de partir de Net de retrou- Bénédicte veut communiquer une infor-
ver p et q. C 'est sur ce principe que mation secrète à Arnaud. Elle com-
fonctionne le système dit RSA (nom mence par transformer son message en
formé à partir des initiales de ses un nombre entier A inférieur à n (ou en
inventeurs (Ronald Rivest , Adi Shamir plusieurs nombres si nécessaire en cou-
et Leonard Adleman chercheurs au pant son message en plusieurs bouts) .
MIT en 1978). Puis Bénédicte calcule le reste B de la
division euclidienne de N par n et
Pour communiquer en toute sécurité envoie B à Arnaud sans précautions
avec Bénédicte, supplémentaires. On démontre que A
Arnaud choisit deux est égal alors au reste de la division
Après des études brillantes en grands nombres pre- euclidienne de Bd par n. Et cela seul
médecine et mathématiques, miers p et q (qu'il Arnaud sait le faire car il est le seul à
Goldb ach (1690-1764) voyage garde secret) et un connaître d (on ne peut connaître d que
en Europe puis s'installe en troisième entier e qui si on connaît pet q).
Russie ou il devient précepteur n'a aucun diviseur
du tsar Pierre 11. C'est aussi le commun avec Au fur et à mesure que les ordinateurs
correspondant (p - l)(q - 1) deviennent de plus en plus rapides et
favo ri d'Euler. (par exemple pour e que les méthodes de factorisation s'affi-
C'est dans la un nombre premier nent , on devient capable de décomposer
lettre ci-des- ne divisant ni p - 1 des nombres n de l'ordre de 160 chiffres
sous qu'il lui ni q - 1. Arnaud cal- mais pas encore par exemple un pro-
fait part de sa cule alors n = pq, ce duit de deux nombres premiers de 150
conjecture. qui est facile, et déter- chiffres chacun ... jusqu'à quand?
mine un entier d tel B.R.

iE'I!J Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
EN BREF

Solutions p.144
Problèmes historiques
Une modélisation
Pour modéliser la table de mortalité construi-
te sur les registres de Londres , Johann-
Heinrich Lambert (1728-1777) proposa la
formule suivante : pour O ~ n ~ 96,
2
S n = 10 000 ( 1 - n )
95
- 6176 [(0 ,92952) n - (0 ,66277) n].

Tabuler S n, puis Mn et En. Pour quelles


valeur de n, En est-elle la plus grande ?
Emmanuel Duvillard (1755-1832) proposa
en 1806 de généraliser la formule de
Lambert en :

( an) - c(d
2
Sn = a 1 - n - e n).

Chercher les valeurs de a, b , c , d et e qui


conviennent pour la table de la page 1OO .
Ersnt Kummer
Rentes romaines
Si on en croît Daniel George (An Eclectic
Lacroix cite une ABC, Barrie and Rockliff, 1964, p. 126-7),
table donnée par Ernst Kummer, le mathématicien allemand
Domitius Ulpianus, créateur des nombres idéaux, n'était pas
jurisconsulte un calculateur idéal. En cours, il demandait
romain mort à souvent à ses étudiants de lui prêter main
Rome en 220, dans forte. Une fois, amené à calculer 7 x 9, il
un recueil juridique commença: « 7 x 9 est égal à euh, oui. .. ,
en vue de régler le 7 X 9 ... »
montant d'une - 61, suggéra un étudiant.
rente à vie . Cette Kummer écrivit 61 au tableau .
table donne pour - Monsieur, fit un autre étudiant, il ne
un âge n compris peut s'agir que de 63.
entre 39 et 50 ans Agacé, Kummer ajouta : « Voyons,
une espérance de jeunes gens, ça ne peut être les deux,
vie de 59 - n. En décidez-vous. C'est l'un ou c'est l'autre. »
déduire les valeurs Plus sérieusement, Kummer démontra le
de Mn (nombre d'in- grand théorème de Fermat pour tous les
dividus morts à exposants qui sont des nombres pre-
l'âge n, Cette table miers réguliers.
est-elle réaliste ?

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente œI)
SAVOIRS par Henri Lemberg

Le fabuleux
nombre rc
De la Bible aux dernières découvertes du calcul de la n-ième
décimale sans calcul des autres, en passant par les
mathématiques grecques ou encore le calcul infinitésimal, le
nombre 1t est présent dans bien des résultats majeurs des
Mathématiques.

L
a première définition de n est que bien plus tard, vers 1737, par Euler.
de nature géométrique : Pour les architectes du roi Salomon, le
Archimède (287-212 av. J.-C.) nombre nvalait 3.
observa que dans tout cercle, la pro-
portion de la circonférence C au dia- Les Babyloniens utilisaient 3 î qui vaut
mètre et la proportion de la superficie 3,125.
S au carré du rayon sont égales à une
même constante. Ces remarques se Une première approximation peut être
résument par les formules bien trouvée dans le livre de l'égy ptien
connues de tous : Ahmes (1900 av. J .-C.) où « un cercle
C = 2n r et S = n r 2 de diamètre 9 possède la même surface
En revanche , la lettre n, qui provient
très certainement du mot grec periferia,
qui signifie circonférence (pensez au
( 9 r
qu'un carré de coté 8 », ce qui donne
16
soit environ 3,16.

périphérique de Paris), ne fût introduite Dans le traité indien de la Règle des


cordes, (500 av. J .-C.), on trouve la valeur
There 's a beauty to n de 3,088. Et on dit même que Platon don-
that keeps us looking at it. nait comme approximation V2 + V3
The digits of n are extremely random. ce qui fait environ 3 , 14626 !
They really have no pattern, and in
l'approche géométrique
mathematics that's really the same
as saying they have every pattern. La première approximation plus pré-
Peter Bornwein, 1996 cise de notre nombre fut donc l'œuvre

[EE Tangente Hors série n° 10. Mille ans d' histoire des mathématiques
DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

d ' Archimède: en comparant la circon- L'approche analytique


férence du cercle avec le périmètre de
de ux polygones réguliers à n côtés cir- La première formule non géométrique
conscrits et in scrits, il obtint pour fût trouvée par Viète en 1579 , à l'aide
n=963~ < n < 3..!... d ' un produit infini :
' 17 7

Au cours du Ille siècle ap. J .-C. , l 'astro-


nome chinois Liu Hui calcula un enca-
drement à l'aide de deux polygones à
192 côtés, et trouva comme valeur
;=H~±+±H ±+±~±+±H. . John Wallis est
approximative 3,14159. Un siècle plus tard, Wallis proposa sa né à Ashford en
célèbre formule : 1616 et mort à
Les astronomes indiens ou arabes ne Oxford en 1703.
n
furent pas en reste : ainsi Al Kasi cal- Wallis fut un
2
cula la circonférence d ' un cercle de précurseur
rayon I à l' aide d ' un polygone à du calcul
3 X 2 28 côtés. lim infinitésimal.
n - + OO 2n + 1
Il s'agit sans doute
En Europe , Léonard de Pi se, dit du mathématicien
Fibonnacci , calcula au x,e siècle n à et en 1671 , Grégory donna la série anglais le plus
l 'a ide d ' un polygone régulier à 96 classique: important avant
côtés et au xve s iècle, Ludolph Van Newton .
n
Ceulen donna les 35 premières déci-
4
males correctes de notre nombre , en
utili sa nt un poly go ne régulier à 2 60
l l 1 1 1
côtés. ! - - + - - - + - - - + ...
3 5 7 9 Il
Pourtant, toutes ces formules restent
inadaptées au calcul des décimales de n à
cause de la lenteur de leur convergence.
Enfin , donnons la formule restée la
plus utilisée pendant des siècles pour
calculer les décimales den, due à l'an-
glais John Machin :
1
n = 4 arctan(~) - arctan ( --).
4 5 239

mais qui est :rc exactement ?

Le mathématicien est friand de défini-


tions exactes et précises. Or, jusqu'à
Si le cer cle ci-dessu s a pou r r ay on présent , nous n'avons vu qu'une défi-
1, son aire est égale à net celles des nition géométrique fondée sur les
carrés inscrits et cfrconscrits 2 et notions intuitives de longueurs et
4. Approximativement, cela donne d 'a ires puis diverses approximations
la valeur bibliqu e de 3 . analytiques de ce nombre.

Hors série n° 10. Mille ans d 'histoire des mathématiques Tangente [EE
SAVOIRS Le fabuleux nombre n

Auss i, définit-o n habituellement ~2


Tout un poème
comme le plu s petit zéro pos iti f de la
Pour ceux qui souhaitent connaître les 31 premières fonction cosinus (Baltzer, 1875).
décimales, il leur suffira de réciter le quatrain suivant : Noton s e nfin que n inte rvient de
manière primordi ale dans la définiti on
Que j'aime àjaire apprendre un nombre utile aux sages de la fo ncti on ex ponenti ell e et dans
! 'étude des nombres co mplexes
I mmortel Archimède, artiste ingénieur (é" = - 1), que n est un nombre irra-
ti onnel et transcendant (c'est-à-dire
Qui de ton jugement peut priser la valeur qu ' il n'est so luti on d 'aucune équ ation
po lynomi ale à coefficients enti ers,
Pour moi ton problème eut de pal'eils avantages Lindemann , 1882).

la période moderne
Si l' on souhaite exprimer sous form e
analytique une définition géométrique Le dernier ca lcul approché de n "à la
de n , on doit utiliser des intégrales . main" fû t effectué par Schanks en 1873
Par exe mple, une équ ation du cercle qui en détermina 707 déc imales (il fû t
unité étant donnée par x2 + y2 = 1, une montré plus tard que seules les 527 pre-
équation du demi-cercle supérieur sera mières étaient exactes) ... L'arrivée des
ordinateurs dans les années 1950 per-
y = ~ où X E [- 1, J ] . mit de changer d ' uni vers. Jusqu 'en
1975 , on continu a à utili ser les fo r-
Sa longueur est obtenue par la formul e : mules de Machin ou Grégory, malgré la
1 1 lenteur de leur convergence : Yon
~ l+ y'2(x) dx=f ~ dx 2 =n. Ne um ann ca lcul a 2037 déc imales sur
f- 1 - 1 1- x le pre mi er ordin ateur construit ,
Mais cette définition n'est pas pédagogi- l 'ENIAC . En 1974, de ux fra nça is
quement pratique car, lors d ' un cours Guill oud et Boyer, calculèrent un mil-
d 'analyse, on traite généralement l'étude li on de déc imales en utili sant une
des fonctions avant le calcul intégral. vari ante de la fo rmule de Machin .
Mais, e n 1976, un pre mi er algorithme
de type nouvea u et ex trê me ment
Pourquoi le nombre Jt s'appelle-t-il ainsi? rapide fût trouvé par Brent et Salamin .
En 20 ans, les progrès furent spectacu-
L'utilisation de la lettre grecque n pour le rapport de la cir- laires : e n 1983, le japonais Kanada
conférence au diamètre a été popularisée par Léonard obtie nt 1,6 10 7 déc imales ; e n 1986,
Euler dans un ouvrage sur les séries publié en latin en 1737. Baileyen obtient 2,9 10 7 ;en 1992, les
Elle est due au départ à un mathématicien anglais, frères Chudnovs ki ca lcul ent 2 10 9
William Jones, qui l'a utilisée dans un livre paru en 1706. déc imales, et en 1995 Kanada et
Cependant, en 1647, le mathématicien anglais William Takamashi 4 ,2 109 déc imales.
Oughtred avait déjà utilisé n pour désigner le périmètre
d'un cercle (et non son rapport au diamètre) . La lettre n Une nouuelle ère
est à la fois l'initiale de perijereia et de perimetros qui en
grec désignent la circonférence d'un disque. En 1995 , Bailey, Borwe in et Pl ouffe
annoncère nt une nouvell e fo rmul e

[m Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

révolutionnaire de calcul de TC qui n pour quoi faire ?


permit de calculer directement la n-
iè me décimale (en base 16) sans cal- Mais, à quoi peut bien servir Je calcul
c uler les précédentes. Plus étonnant des décimales de TC? Pourquoi en
encore, cette formule fût trouvée connaître toujours plus? On peut trou-
directement par! 'ordinateur et véri- ver quelques éléments de réponse : les
fiée ensuite par les trois mathémati - programmes d 'approximation de TC sont
ciens, ce qui amène d 'a illeurs à se d 'exce llents tests de puissance et de
poser la question de la validité de fiabilité des ordinateurs. Ils fournissent
futures formules trouvées par ordina- également des exemples d'application
teur et qui seront de plu s en plus dif- pour la théorie de la complexité ; les
ficilement accessibles à la derniers algorithmes trouvés qui utili-
démonstration humaine (voir l'article sent de puissants outils mathématiques
sur le calcul formel). En 1999 , le (théorie des fonctions elliptiques) per-
jeune mathématicien français Fabrice mettent de faire avancer la recherche ...
Bellard a proposé une formule du Mais plus qu'aucune raison rationnelle,
même type, mais permettant le calcul la réponse se trouve presque sûrement
direct de la n-ième décimale de TC en dans la magie de ce nombre.
base LO . H. L.

Quelques formules formidables


En 1910, Srinivasa Ramanujan découvrit la formule suivante:
TC= 9801 ( + 00
(4n) !(1103 + 26390n) ) - 1

2 V2 11
~0 (n !)4 396 4n .

Il n'en donna aucune démonstration (il était coutumier du fait !). Il fallut attendre 1985 pour que
Jonathan et Peter Bomwein en donnent une preuve complète dans le cadre de la théorie des fonc-
tions modulaires .
À chaque itération, cette formidable formule permet de gagner 8 décimales exactes !
Ainsi, avec les quatre premiers termes de cette série, on obtient :
509299577881529611662930757403081523769055
TC=
461740313229488003214951761227271897088
= 3 ,l 4592653589793238462643383279502884198,
soit 38 chiffres exacts après la virgule.
Les 12 premiers termes donnent les cent premières décimales de TC :
3,141592653589793238462643383279502884197169399375105820974944592307816406286208998628034825342117068.

En 1994, les frères Gregory et David Chudnovsky surpassèrent RananUjan en proposant la for-
mule
+Loo (- l)\6n !)(13 591 409 + 545 140 l34n ) - 1
TC=
( 12 n = o (3n !)(n !)3(640 320) 3n + 312

qui fournit 14 nouvelles décimales exactes à chaque itération.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Ta.ngente [m


SAVOIRS Le fabuleux nombre n

Mille milliards de décimales


Près de six cent heures de calcul sur un ordinateur Hitachi SR 8 000 MP doté d'un téra-octet de
capacité de stockage ont permis à l'équipe japonaise du professeur Kanada de calculer
1 241 100 000 000 décimales de :n:. Les formules employées sont du type de celle de John Machin
(voir le paragraphe sur l'approche analytique) :
1 1 1 1
:n: = 48 Arctan + 128 Arctan 5'7 - 20 Arctan + 48 Arctan
49 239 110 443
1 1 1 1
:n: = 176 Arctan 5'7 + 28 Arctan - 48 Arctan + 96 Arctan
239 682 12 943

On peut se demander pourquoi Kanada a utilisé deux formules alors qu'une seule suffit. La
réponse est simple : il voulait calculer les décimales de :n: de deux manières indépendantes afin de
vérifier ses calculs. Ce retour à ces formules relativement simples après l'utilisation antérieure
d'algorithmes plus complexes dus à Brent-Salamin, aux Borwein ou à Ramanujan peut sur-
prendre. Il semble que malgré les améliorations algorithmiques, la complexité des formules
dépasse les capacités des ordinateurs. En effet, l'utilisation de racines carrées, de multiplications
et de divisions nécessite d'utiliser la transformée de Fourier rapide à grande échelle ce qui
demande énormément de mémoire. Kanada est donc revenu à des méthodes nécessitant certes
plus d'opérations arithmétiques mais sans utilisation de la transformée de Fourier. Contrairement
à ce que pourrait faire penser la pratique des dernières décennies, la mémoire n'est pas un para-
mètre négligeable. De telles difficultés apparaissent même au niveau des plus gros ordinateurs de
la planète et leurs communications réseau et mémoire saturent plus vite que la théorie ne le pré-
voyait. Kanada estime que son implémentation est environ deux fois plus rapide que la précé-
dente qui utilisait l'algorithme de Brent-Salamin et celui des Borwein.
Voici les cinq cent dernières décimales trouvées par Kanada c'est-à-dire celles situées entre la
1 241099999 501e et la 1 241 100 000 oooe :

371 678 716 965 676 921 252 797 286 901 850
355 753 765 301 934 993 533 850 167 161 646 999 059 844 544 217 623
131 551 548 343 656 278 068 005 570 748 706 663 510 865 932 765 794
614 967 987 525 534 768 906 827 770 376 716 327 753 867 760 177 647
190 092 793 825 976 527 339 324 694 890 475 928 727 024 854 618 972
965 354 754 708 245 040 168 402 350 653 293 625 420 539 245 029 593
263 809 170 954 831 027 979 879 659 594 708 455 199 922 443 555 200
250 545 858 830 997 016 164 960 740 241 752 966 909 075 622 217 705
178 560 045 007 074 551 981 744 551 596 631382012 448 250 460 542311 034
186 559 119 891822627 045 282 696 896 699 285 670 648 734 103 110 45.

A quoi cela peut-il bien servir? A part à tester la puissance des ordinateurs et des algorithmes, on
peut également invoquer l'étude de la distribution des décimales de p qui ressemble à une suite
aléatoire.
Hervé Lehning

~ Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d 'histoire des mathématiques


EN BREF

Équations algébriques
' la naissance du millénaire, les Arabes La réponse est « oui ». Oui pour le troisième

A savaient déjà résoudre, quand c'était


possible, les équations du second degré
de la forme ax2 + bx + c = O. Au Xllle siècle,
degré, oui pour le quatrième. Embarrassés par la
contrainte qu ' ils avaient de ne travailler qu 'avec
des nombres rationnels, les mathématiciens de
Fibonacci, imprégné de leur culture, allait l'antiquité n'ont que peu fait progresser ce pro-
« moderniser » leur approche. Le but du jeu était blème.
de trouver tous les réels x - les racines - qui véri- Il a fallu attendre l'école italienne du xvf siècle
fient cette équation, où a, b et c sont des « coeffi- pour en obtenir une résolution complète. Les pre-
cients» réels (ai= 0). Et même si on ne parlait pas miers travaux sont dûs à Scipione del Ferro, un
à l'époque de discriminant, la technique était à professeur de Bologne, qui résolut l' équation du
peu près maîtrisée. troisième degré dans un cas particulier. Mais, au
lieu de publier ses travaux, il se contenta d'en
l'imbroglio italien parler à son gendre qui se confia à un ami, Del
Fiore, qui profita de son secret pour lancer des
Les mathématiciens de la Renaissance se sont donc défis à tous les mathématiciens qu'il connaissait.
naturellement intéressés à la résolution des équa- L'un d'entre eux, Tartaglia, eut raison du vaniteux
tions algébriques de degré supérieur. Leur rivalité à Del Fiore. C'est qu'il avait avancé beaucoup plus
ce sujet allait donner lieu à des psychodrames loin dans la résolution de cette équation. Un autre
dignes des meilleures parodies, qui sont relatés par mathématicien (et . .. astrologue!), Gerolamo
Denis Guedj dans le numéro exceptionnel de Cardan, réussit à capter la confiance de Tartaglia
Tangente (n° 74) consacré aux jeux mathématiques. pour s'emparer de son savoir-faire et le faire
L'équation du troisième degré la plus générale est savoir (en allant même un peu plus loin). Et ce
qu'on connaît
y y y
aujourd'hui pour

/ 1 / /(<) v--;.I
la résolution de
l'équation du
troisième degré,
ce sont les for-
- - - - + - - - -. - - - - - + -~
X X mules ... de
Cardan ! Quant
y = f(x) aux formules
donnant la réso-
lution de l'équa-
de la forme : ax' + bx2 + ex + d = O. tion du quatrième degré, c'est un élève de
En étudiant les variations et le graphe de la fonc- Cardan, Ferrari, qui les découvrit.
tion f, définie par : f (x) = ax' + bx2 + ex + d ,
on constate que selon la valeur des coefficients, Éuariste a le dernier mot
l'équation admet une ou trois racines réelles
(parmi lesquelles, éventuellement, deux racines Mai s au-delà du degré 4, les choses semblaient
égales, voire trois, dans le cas où le graphe de f est plus corsées. Et pour cause ! Ce n'est que trois
tangent à ! 'axe des x). La question qui les obsède : siècles plus tard qu ' un génie de vingt ans, Évaris-
Peut-on exprimer, à l'aide de « radicaux » te Galois, prouva qu 'à partir du cinquième degré,
(racines carrées, cubiques, etc.) et d'opérations il n'ex istait pas de résolution systématique« par
élémentaires les solutions de cette équation ? radicaux».

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente œE


HISTOIRES par Elisabeth Busser

D'impossibles
problèmes
La quadrature du cercle est, de nos jours, symbole de
problème impossible à résoudre. L'antiquité nous a légué
plusieurs de ces problèmes dont l'impossibilité n 'a été
comprise qu'au XVIIIe siècle et démontrée au XIXe.

E
n mathématiques , tout se - Quatre, Socrate.
démontre , et on doit pouvoir - Ne pourrait-on avoir un autre
un jour résoudre tous les pro- carré, de surface double de celui-ci ?
blèmes , pourrait-on s'imaginer. C 'est insistait Socrate . Essaie de me donner
vrai qu 'il naît chaque jour dans le la longueur de chaque côté de ce nou-
monde quelques centaines de théo- vel espace.
rèmes, mais il existe malgré cela des - Le double, évidemment, répondit
conjectures qu 'on met des siècles à l'adolescent.
transformer en théorèmes , des pro- - C'est donc sur cette nouvelle ligne
blèmes non résolus et aussi ... des pro- que sera construite la surface de 8 pieds ,
Ferdi nand von blèmes impossibles à résoudre ! dit Socrate, mais ce nouvel espace n'est-
Linde m ann est Certaines questions ont en effet fait tré- il pas 4 fois plus grand, et une chose 4
né à Hannovre en bucher même les plus acharnés et ceci fois plus grande en est-elle le double ?
1852 et mort à à toutes les époques , jusqu ' à ce qu ' un
Munich en 1939. jour, un plus tenace (ou plus malin, ou
Il prouva la mieux armé) qu 'eux fasse la preuve
transcendance du qu'on ne peut y apporter de réponse.
nombre n et donc
l'impossibilité de la diagonale infernale
la quadrature du
cercle à la règle et Tout a commencé avec V2.
au compas. Les 4 carrés
- Si l'on donnait au côté de ce carré 2 - Non , par Zeus , s'écria l'esclave.
pieds de long, quelle serait sa surface ? - Pour l 'espace de 8 pieds , il faut
demanda Socrate au jeune esclave. donc une ligne plus longue que la pre-

[m Tangente Hors série n° 1 O. Mille ans d ' histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

mi ère, et plus courte que la seconde, Cet encadrement fait penser que ce La construction
affi rma Socrate. Si tu aimes mieux ne nombre n'est pas rationnel. Pour la d'Apollonius
pas faire de calculs, montre-la nous. démonstration de l'irrationnalité den,
- Par Zeus, Socrate,je n'en sais rien ! on dut cependant attendre le xvme
siècle (Lambert). Ceci accentue la dif-
Alors, Socrate, l'air de rien , trace cette férence de nature entre net V2. Non
figure : seulement le carré de n est irrationnel
(Legendre 1752-1833), alors que celui
de V2 ne l'est pas , mais n n'est racine
/ d'aucun polynôme à coefficients SoitABCD un
entiers. On dit qu ' il est transcendant. rectangle de centre
E dont la longueur
Les nombres net V2, bien que d ' es- est double de la
sences très différentes, ont cependant largeur. Soit E un
un lien : leur base géométrique. Que cercle de même
La figure de Socrate dire alors des imaginaires, comme i, centre. Il coupe
inventé pour donner une solution com- (AB) en G et (BC)
- Voici quatre lignes égales qui enfer- plètement virtuelle à l' équation en F, de manière
ment un nouveau carré. Combien y a- .x2+ 1=0? que G, D, F soient
t-il de moitiés dans le carré du alignés, DG et DF
milieu? Ces nombres, sans avoir aucune signifi- sont les nombres x
- Quatre, Socrate. cation géométrique concrète, sont et y cherchés.
- Combien de pieds a alors ce carré- cependant porteurs d'énormes espoirs
ci ? demanda Socrate en montrant le pour résoudre en particulier des pro- Malheureusement,
carré central. blèmes géométriques. il n'existe pas de
- 8. moyen de
Des jalons historiques construire le cercle
Et le tour est joué : le fameux carré de en question à la
côté 8 est construit sur la diagonale du Nombres et géométrie semblent donc règle et au compas.
carré de côté 4 . V2 était né , et avec lui intimement liés, mais il a fallu des siècles
tous les nombres irrationnels, qui de mathématiques pour reconnaître et
effrayèrent tant les Grecs parce qu ' ils apprivoiser ces liens . Les exemples histo-
étaient incommen surables avec les riques de ce long cheminement sont
entiers . nombreux . À l'origine de chacun de ces
parcours, très souvent un problème pra-
Petit séjour en enfer tique, parfois devenu légende.

D 'autres nombres infernau x sont nés Celui de la duplication du cube en est


par la suite : n, défini par Archimède l' un des premiers exemples. Le pro-
(287-2 12 avant Jésus Christ) aussi bien blème ressemble un peu à celui de la
comme le rapport de la surface d ' un duplication du carré évoqué plus haut :
di sque au carré de son rayon que celui On raconte , écrit Eratosthène au roi
de son périmètre à son diamètre , et Ptolémée III , qu ' un auteur tragique a
dont il donnera un bon encadrement : mi s en scène Minos demandant de
10 l faire doubler le volume d ' un tombeau
3+-<n<3+-. cubique. Les géomètres grecs traduisi-
71 7
rent très vite ce problème en termes de

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Ta.ngente ~


HISTOIRES D'impossibles problèmes

La quadratrice nombres : doubler un cube d'arête a, ver une expression algébrique finie de
d'Hippias c'est insérer entre a et 2a deux V2, en termes de racines carrées, de
A nombres x et y tels que : même qu'une expression algébrique
finie de sin (x/3) à partir de sin x et de
X y 2a
racines carrées. Tout espoir de construc-
a X y
tion à la règle et au compas s'effondrait
À part extraire des racines cubiques donc.
approchées, les Grecs n'iront pas plus
o B loin, et ne donneront à ce problème que Quadrature du cercle
La droite (OM) des solutions obtenues par tâtonnements.
pivote autour de Problème plus ancien encore, expres-
0 , de (OB) vers Autre problème historique : celui de la sion devenue mythique de la question
(OA) d'un trisection de l'angle : il ne fut pas sans réponse, la quadrature du cercle a
mouvement résolu avec plus de bonheur dans fait, lui aussi, couler beaucoup d 'encre.
uniforme. De l' Antiquité . À première vue, il paraît Il s'agit ici de s'attaquer, ni à V2, ni à
même, la parallèle simple : couper en trois un angle, à la 1/3, mais à n, en construisant un carré
(NM) à (OB), règle et au compas. de même aire qu ' un cercle donné . Le
partant de B, se plus vieux document relatif à ce pro-
déplace d'un blème est le papyru s Rhind, recopié
1
mouvement de par un scribe vers 1800 avant Jésus
translation
3 a l'air pourtant bien plus simple que Christ.
uniforme jusque V2, et on sait déjà couper en trois un Les Égyptiens - et ce n'est déjà pas si
sur (OA), où elle angle droit , se dirent les Grecs. On mal - assimilaient le cercle à un carré
arrive en même devrait y arriver ! dont le côté est les 8/9 du diamètre.
temps que (OM). Simplifions le problème en le rame- Quand on pense que , si a est le côté du
Leur intersection nant à la trisection de l'angle aigu. carré, d le diamètre du cercle, ils doi-
M décrit la La question eut ainsi beaucoup de vent vérifier :
quadratrice. réponses, nécessitant souvent des tra- d2
cés point par point de courbes aux a2=:,r-
4
Cette courbe fut noms fleuris : la quadratrice d'Hippias
inventée par ou la spirale d'Archimède, mais de donc a!d = 0,886 à 0,001 près et que
Hippias pour construction rigoureuse, point. 8/9 = 0 ,889 à 0,001 près , on peut être
résoudre à la fois admiratif.
le problème de la Impossibilités
quadrature du Les Grecs , eux, en plus de la méthode
cercle et celui de la Les deux problèmes historiques de la d 'Archimède donnant des encadrements
trisection de duplication du cube et de la trisection de n de plus en plus fins, ont cherché,
l'angle avant de ! 'angle ont passionné les savants avec Hippocrate de Chio, la quadrature
Newton . jusqu 'en 1837 où Pierre Laurent exacte. Sans arriver jusqu'à résoudre
Wantzel, mathématicien français de 23 géométriquement le problème, le savant
ans, répétiteur à !'Éco le grec calcula l'aire exacte des lunules qui
Polytechnique, clôt le débat en démon- portent son nom.
trant leur impossibilité . Il suivit pour
ce faire la voie ouverte par Descartes : Par la suite, le problème de la quadra-
celle de la traduction algébrique d'un ture du cercle est resté pendant des
problème de géométrie, et énonça clai- siècles celui des approximations den
rement qu'il était impossible de trou- (voir l'article intitulé Le fabuleux

im Tangente Hors série n° 10. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

nombre n dans ce numéro). Les trer qu'il n'ex istait pas d'ensemble Lunule
Arabes, les Occidentaux jusqu 'au XVIIe dont le cardinal est strictement corn- d'Hippocrate
sièc le , avec les calculs de Ludolph en pri s entre celui de N, noté w, et celui
1586 puis ceux de Huygens en 1651 , de IR, 2w (hypothèse dite du continu). A

n ' ont fait que reprendre et affiner les Eh bien , c'est en 1963 que Paul Cohen
travaux des géomètres grecs. À partir démontra que cette proposition était
du XVIIe siècle , les recherches se firent indécidable. Cela signifie en clair que,
analytiques, avec Viète et Walli s. si la théorie des ensembles est non
0 B
contradictoire, on peut lui ajouter, sans
Cependant, des doutes étaient nés dans nuire à sa cohérence, aussi bien l ' hy- L'aire de la partie
quelques esprits : et si la quadrature du pothèse du continu que son contraire ! grisée appelée
cercle était un probl ème impossible ? lunule à cause de
C'est James Gregory qui , le premier, Cent ans après, le 24 mai 2000, un sa forme est égale
décela en 1667 la faille, tentant, mai s mécène américain , Landon Clay, fonda- à celle du triangle
en vain, de démontrer que nétait trans- teur du Clay Institute, renouvelle l'ex- AOB.
cendant. La brèche étant ouverte, c'est penence au travers d ' une série
Lindemann qui, en 1882, s'y engouf- d'énigmes mathématiques , les sept pro- Les courbes
fra, établissant enfin la transcendance blèmes du millénaire , offrant pour la délimitant la
de n, ce qui achève le chapitre de la résolution de chacun d 'eux un million lunule sont des
quadrature du cercle, qu'on peut désor- de dollars . arcs de cercle de
mais ranger au nombre des problèmes Y a-t-il parmi eux des problèmes indé- centre O et de
impossibles . cidables ? des problèmes impossibles ? diamètre AB.
Nul ne le sait aujourd'hui, mais la
Voici résolus par la négative les trois recherche mathématique a encore de
grands problèmes de la géométrie beaux jours devant elle.
antique, mais que de perspectives toutes E. B.
leurs tentatives de résolution n'ont-elles
pas ouvertes ? Développement de la
trigonométrie, nombres irrationnels ,
nombres transcendants , lien s étroits
entre nombres et géométrie, utilisation
de résolution analytique de problèmes
de géométrie, algorithmes de calcul de
V2 et de n, autant de branches des
mathématiques que la recherche de ces
problèmes a contribué à développer.

ftujourd'hui encore

Et maintenant ? Les problèmes ouverts


sont encore innombrables, tels les 23
que posa Hilbert au Il e Congrès
International des mathématiques, le 8
août 1900 à Pari s. Quelques-uns ont
été réso lu s depui s, et le premier
d'entre eux d ' une drôle de façon. Il
s'ag issai t en l'occurrence de démon-

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente iB]
HISTOIRES par Hervé Lehning

le cercle
enfin carré
La quadrature du cercle n'est plus impossible à condition de
suivre des règles bien particulières. En fait, si on veut bien se
contenter d'une solution approchée, rien n'est plus simple !

C
omment carrer le cercle (ou
presque) ? D'après le théo- Quadrature égyptienne
rème de Thalés , il suffit de Porter les 8/9e du diamètre
chercher des approximations ration- et construire le carré de côté
nelles de ~ . Un logiciel de calcul cette longueur.
symbolique (voir page 94) nous donne
les approximations rationnelles 2, 7/4,
16/9, 23/13, 39/22, etc. Avec 16/9,
nous retrouvons une construction utili-
sée par les égyptiens qui, n'ayant pas
d'ordinateurs, l'avaient sans doute
trouvée autrement.
Un cercle de rayon R étant donné, on
construit un carré de côté les 16/9e de R.
En termes modernes, cela revient à
remplacer .nR.2 par [(16/9)R]2 c'est-à-
dire npar (16/9)2 = 3,16 à 10- 2 près .
Il s'agit d'une solution approchée mais
l'erreur est relativement faible .

Utilisation du théorème de Thalès

Pour construire les 8/9e du diamètre


donné, tracez une demi droite d ' ori-
gine )' une de ses extrémités et portez
9 fois une même longueur à l'aide
d'un compas.

ŒE Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


DOSSIER: LES GRANDS PROBLÈMES

Tracez alors la droi te me nant l'autre Hu delà du rationnel


ex trém ité du diamètre à la de rnière
trace de compas puis la parallèle à cette D 'après le théorème de Pythagore, si p
droite passant par la huitième. et q sont constructibles alors
Y p 2 + q 2 l'est de même.
La de rni ère droite tracée porte sur le Ain si , nous pouvons construire sans
diamètre un segment de longueur égale auc une diffic ulté théorique les seg-
à ses 8/9• . Il ne vous reste plu s qu 'à ments dont la longeur est de la fo rme :
constru ire un carré ayant pour côté ce aVb+cVd
segment pour fi nir votre qu adrature
q
approchée du cercle.
Nous cherchons donc les 5-uplets
Nous sommes de mê me capables de (a, b, c, d , q) tels que la quantité
construi re à la règ le e t au co mpas les ci-dessus approxime ~ le mieux
23113• ou les 39/22e d ' un di amètre et poss ible.
ainsi d 'a méliorer la quadrature égy p- Nous trouvons à l'aide d ' un logiciel de
tienne. Avec cette seconde approx ima- calcul symbolique
ti on, nous obte nons une très bonne
3 +5 V5 \/17 +7 V6
précision pui sque (39/22) 2 = 3, 142 à
10- 3 près.
8 12
et bien d 'autres.
li fa ut cepe nd ant reconnaître que la Le premier donne une précision de 10- 4
co nstruction est un pe u laborie use. et le second de 10- 5 mais ce dernier
Pour l' améli orer, il fa ut sans doute donne une construction moins esthétique.
réfléchir un petit peu plus. H.L.

En continuant la méthode ci-dessus, on montre que si la quadrature du


cercle à la règle et au compas était possible alors le nombre :rc serait racine
d'une équation à coefficients entiers. De tels nombres sont dits
algébriques. Voilà maintenant plus d'un siècle que Lindemann a montré
que :rc n'était pas algébrique (on dit transcendant), la quadrature est donc
impossible.

Le résultat général montré par Lindemann est le suivant :

si a 0 , a i> ... , a n sont des nombres algébriques distincts et a 0 , ai> ... , an


des nombres algébriques non tous nuls alors la quantité :

F. von Lindemann

On en déduit la transcendance du nombre e puis celle de :rc en utilisant la formule d'Euler :


ei"'= - 1
Le problème de la quadrature du cercle est ainsi sorti du domaine scientifique pour rentrer dans
celui du jeu. Qui s'en plaindra ? Ni les fervents des seules mathématiques utiles, ni ceux des
mathématiques ludiques sans doute. Encore moins le sage qui pense qu'il y a un temps pour tout.

Hors série n° 1O. Mille ans d 'histoire des mathématiques Tangente ŒE


SOLUTIONS par Hervé Lehning ..
,__,..,,

Enoncés page 66 Enoncés page 73


!.Co nsidérer la somme des quatre pre miers Le paradoxe du mensongea'iltlPl)•I
nombres ( 10) . Elle est égale à deux fois S d ' où le Si les soldats ne pendent pas l' hom a lors il a
résultat. Il n'existe que deux décompositions de 5 me nti donc il do it être pendu . S ' il s le pende nt
e n somme de de ux nombres e ntre 1 et 4 d ' où alors il a dit la vérité et ne devait pas être pendu .
l' impossibilité d ' un carré magique d ' ordre deu x.
Nous irons tous au paradis
2.Considérer la somme des neuf premiers nombres Une question judicieuse est :
(45) . Elle est égal e à troi s foi s S d ' où le résultat. Que me répondra l'autre gardien si je lui demande
Montrer ensuite que 5 est le seul nombre qui entre où est la porte du Paradi s ?
dans quatre décompsitions de 15 en somme de trois Il vou s fa ud ra a lo rs pre ndre l'autre porte que
nombres. En déduire qu ' il est au centre. Remarquer celle qui vo us est indiquée car il y aura toujours
ensuite que l n' intervient que dans deux décompo- un et un seul mensonge dans l' hi sto ire.
sitions de 15. En déduire que l est au centre d ' un
côté. Complèter ensuite le carré . Conclure . Enoncés page 77
3.Montrer d ' abord que S = 34. Trouver la seule Aire de la cycloïde
façon de décomposer 13 e n somme de deux L' aire A(t + ô t) - A(t) est approx imati vement
nombres non utilisé s (6 et 7) . Placer alors les ce lle d ' un rectang le de hauteur y(t) et de base
nombres de proche en proche dans le carré cen- x(t + ô t) - x(t) = ô x . Dans l'express ion de cette
tral. Résultat : 11 , 10, 7 , 6 dans l' ordre. Examiner dernière quantité apparaît la di ffé rence :
alors la dernière ligne. Résultat : sin(t + ô t) - sin(t)
16 2 3 13 La transformer en utilisant les formules de trigonomé-
5 11 10 8 trie puis l'approximer en confondant sin u avec u pour
9 7 6 12 u "petit" . En déduire l'approximation demandée.
4 14 15 l
Pour B , fa ire de même en utilisant les fo rmules de
4. tri gonométrie. En déduire le résultat pour le rap-
port de la dii fé rence de C entre t + ô t et t à ô t.
En utili sant la noti on de déri vée, en déduire que
17 24 1 C est constante (s ino n admettre le résultat) . En
déduire le résultat.

4 Enoncés page 121


10 121 21 3 Nombre d'or
1118 25 2 9 Ecrire x 2 - X sous fo rme cano nique. En déduire
que l'équati o n pro posée équi va ut à

~ Tangente Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques


SOLUTIONS
(x - 1/2)2 =r-514. En déduire que le nombre d ' or A la manière de Golbach
vaut ( 1 + V5) / 2 . Multiplier la rel ation donnant Poser p =2k + 1 et calculer (k + 1)2 - k2 . Pour la
so it </>2 = <P + 1 par </f' pour en déduire que réciproque, supposer que p = y2 - x2 . Développer ce
</f' vérifie la relation demandée . Procéder de dernier terme en (y- X) (y+ x). Utiliser le fait que p
même pour -1 / </). est premier pour en déduire que y- X= 1. Conclure.

Suite de Fibonacci A la manière de Mersenne


En remarquant que -I l </) est l'a utre racine de Penser à la somme géométrique de raison 2P plus
l'équation proposée_, ~ntrer que ce nombre est précisément à : l + 2P + ... + (2P)q- 1
éga l à (1 - V 5) / 2. En déduire que le Elle est égale au rapport des deux nombres don-
système propsé équivaut à : nés. Si n n'est pas premier, le décomposer en
a+b=L n = pq pour conclure.
a-b=O Uti li ser un logiciel de calcu l sy mbolique (voir
Résoudre ce système. Résultat : a= b = 1/2. page 60). M 19 , M6 1 et M 127 sont premiers, les
Montrer que la suite V n définie par autres sont composés. Plus précisément :
vn = un - [ a</f' + b/( -11 </J)n] vérifie éga lement la M23 = 47 . 178481
re lation : vn+ 2 = vn+J + vn . Montrer alors que le M43 = 431 . 2099863 . 9719
fa it que ses deux premiers termes soient nuls allié
à cette relation suffit pour en déduire que vn est Enoncés page 131
nul et donc le résultat de mandé.
Montrer que le rapport considéré est égal à <P mul- Rentes romaines
tiplié par le rapport de 1 + (-ll</>2)n+J et de Pour 39 :s n :s 49, on a :
1 + (- 1l</>2)n qui te nde nt to us les de ux vers 1. En - 1/2 = En+J + 1/2 = 58 ,5 - n
D'où le résultat. d'où Sn =Sn+J et Mn= O. Cette table n'est pas réaliste.

Enoncés page 125 Une modélisation


L'utili sation d'un tabl eur montre que En croît de
Elimination E 1=30 ,68 à E6=40,5 l et décroît ensuite jusqu'à
Le système équivaut à y= 12 - x et (X - 6) 2 = 16. n = 93 , où la population est pratiquement éteinte.
d 'où les deux solutions (2, 10) et ( 10 ,2).
Pour la table de Duvil ard , il est naturel de choi sir
Changement de variables a= 106 et b= 100 pui s d'en déduire les valeurs de
Le sy tème équivaut à y= 20 / x et c (dn - en); si l'on retient celles: À,µ, v pour trois
(x2 - 52) 2 = 48 2 d 'où les quatre solutio ns (2, 10), valeurs den, de la forme m, 2m et 3m , c, d et e
( 10 ,2), (-2,- 10) et (- 10 ,- 2). sont solutions du système de troi s équations :
c (dm - em) = À,
Transformations d'équations c cd2m - e2m) = µ ,
Le système équi va ut à xy = 8 et x2 + y2 = 20 C (d3m - e 3m) = V,
donc à y= 8 / x et (x 2 - 10)2 = 62 d ' où les quatre
solutions (2,4), (4,2), (- 2,-4) et (-4,- 2). d'où l'on déduit :
dm + em = µ/ À et
A la manière de Fermat d2m + dm em + e2m = v/À.,
Le reste d ' un cube dans la division par 9 est 0, 1 puis:
ou 8. Pour le démontrer, développer (a+3)3 et en dm em = (µ/À.)2 - (v/À.);
déduire que (a+3)3 et a 3 ont le même reste dans connaissant la somme et le produit de dm et em,on
la division par 9 . Calculer les restes poss ibles de les calcule et on en déduit c, d et e ; encore faut-i l
la somme de deux cubes, conclure . choisir m pour que d et e soient compris entre O et 1.

Hors série n° 1O. Mille ans d'histoire des mathématiques Tangente ~


BIBLIOGRAPHIE

Histoire des idées: l'époque classique

Leçons de calcul irifinitésimal,


André Deledicq, Marc Diener, Paris, 1989
A nalyse de i,ifiniment petits pour l'intelligence des lignes
courbes, Marquis de l'Hospital, réimpression, Paris, 1988
N ombre, mesure et continu, Jean Dhombres, Paris, 1978
Ecrits et m é moires mathématiques d 'Evariste Galois,
Robert Bourgne, J-P Azra, Paris, 1962

les nouuelles tendooœs


Le théorème de Godel,
E.Nagel, J. Newman, K. Godel, J .-Y. Girard, Paris, 1989
Chaos,fractals au quotidien,
Hervé Lehning, in Tangente, numéro 75, Paris, 2000
Representation ofevents innerve nets andfinite automata,
Stephen C. Kleene, in Automata Studies C.E. Shannon et J.
McCarthy, Princeton, 1956

Éuolution des techniques

Histoire des mathématiques,


Bouveresse J ., Itard J., Salle E., Paris, 1977
Histoire des mathématiques,
Boll M., Paris, 1979
É léments d 'histoire des mathématiques,
Bourbaki N., Paris, 1980
Histoire des mathématiques,
Collette J.-P., Paris, 1979
Nombre, mesure et continu,
Dhombres J., Paris, 1978
Abrégé d 'histoire des mathématiques,
Dieudonné J., Paris, 1978

les grands problèmes

Numéro Spécial n,
supplément au Petit Archimède, Paris, 1980
Le fascinant nombre n,
Jean-Paul Delahaye, Paris, 1997
Théorie des corps, la règle et le compas,
Jean-Claude Carrega, Paris, 1981
Traité élémentaire de calcul des probabilités,
Sylvestre Lacroix, Paris, 1822, réimpression IREM Paris VII

~ Tangente Hors série n° 10. Mille ans d ' histoire des


TANGENTE - TANGENTE SUP
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Publié par Les Éditions POLE Huteurs de ce hors-série Secrétaire de rédaction
SHS au capital de 40 000 euros Elisabeth BUSSER Gaël OCTHUIH
Siège social : Francis CHSIRO
80, bd Saint-michel Gilles COHEn maquette et iconographie
75006 Paris Hhmed DJEBBHR Laurence GHUTHIER
Commission paritaire : Jean-Paul GUICHHRD Francis CHSIRO
1006 Il 80883 Paul-Louis HEnnEQUm unno [illustrations)
Dépüt légal li parution Herué LEHnmG Hutres photos : droits réserués
Henri LEmBERG
Directeur de Publication Jean-Christophe noUELLI
et de la Rédaction Benoît RICHHRD Hbonnements
Gilles COHEn Benoît RITTHUD Tél. : 01 39 98 83 50
Daniel TEmHm Fax : 01 39 98 83 52
Rédacteur norbert UERDIER
en chef du numéro Chérif ZHnHnlRI
Herué LEHnmG
Achevé d' imprimer pour le compte des Éditions POLE
sur les presses de l' imprimerie Louisjean , 05000 Gap
Dépôt légal 51 - Janvier 2005
d'histoire
· matiaues
1001-2000: mille ans marqués
par un progrès continu
des mathématiques.
Progrès des techniques :
les mathématiciens forgent
un système de numération
pratique, inventent les
logarithmes et le calcul
symbolique, conçoivent
des machines capables
de les rempacer dans les tâches
les plus ingrates.
Progrès des idées: Newton
manie les infiniments petits,
on découvre la théorie
de Galois, le chaos succède
à l'ordre du « grand horloger»
et la logique d'Aristote fait place
à celles de Boole et de Godel.
Certes, l'accès au progrès
mathématique ne s'est pas fait
sans sueur. Le chemin de la
modernité fut jonché de grands
problèmes, qu'ils se nomment
quadrature du cercle ou
conjecture de Fermat, tenant en
haleine des générations de
mathématiciens .


Diffusion: 8313402
Prix: 18 €
POLE

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