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Les math

de l'impo

La quadratur e
Bibliothèque
Tcing L'Aven~re nuithémAtiqwe
e

Tangente Hors-série n' 49

Les maths
de l'impossible
la quadrature du cercle I

ËDiTiONS
POLE

© Éditions POLE - Paris - Novembre 2013


Toute représentation, traduction, adaptation ou reproduction, même partielle, par tout procédé, sur
quelque support que ce soit, en tout pays, faites sans autorisation préalable, est illicite et exposerait
le contrevenant à des poursuites judiciaires (loi du 11 mars 1957).
ISBN : 9782848841564 ISSN : 2263-4908 Commission paritaire : 1016K80883
Prochainentent
dans la Bibliothèque Tangente

EDITIONS .
POLE
les mathématiques
de l'impossible
Sommaire
Impossibles ces figures ?
Littlewood, le mathématicien qui tutoyait l'impossible

l •X•t-}1 i4,1 C'est impossible, on l'a montré !


De nombreux problèmes datant de !'Antiquité ont été
prouvés insolubles, alors même qu'ils étaient bien
posés. Certains sont devenus de grands classiques.

La quadrature du cercle
La trisection de l'angle
Impossible est-il géométrique ?
Rapports d'engrenages impossibles:
comment ne pas se casser les dents
Des imaginaires parfois complexes
Quand des systèmes élémentaires sont impossible
Systèmes linéaires impossibles et inverses généralisés
Raymond Queneau et les équations de degré 5
Un découpage paradoxal et néanmoins rigoureux
Théorèmes d'impossibilité relatifs à des élections
Algorithmes numériques impossibles

i •I•l-}1i4;I Uariations autour de la notion de preuue


Les sciences progressent souvent en posant des ques-
tions qui reflètent l'intuition de leur auteur. En mathé-
matiques, ces questions reçoivent le nom de conjectures.
Parfois des démonstrations sont fournies, mais si diffi-
ciles à reproduire qu'un doute subsiste sur leur validité.
L'outil informatique peut alors être d'un grand secours.

La notion d'axiome à travers les siècles


Le statut particulier des conjectures
Les grandes conjectures
L'impossible de Godel : la fin d'un rêve
Des preuves inacceptables ?
Les grands théorèmes
Le monumental théorème de Feit-Thompson
reçoit une preuve formelle
Quand les calculs deviennent impraticables

(suite du sommaire au verso)

Hors série n° 49. Les maths de l'i


l •X•f}1 ia;I Ils eKistent, mais où sont-ils?
En mathématiques, il est possible de démontrer que
des objets existent sans jamais les exhiber. On parle
alors de preuves non constructives. Cela pose sous un
angle nouveau la question de l'existence en mathéma-
tique : suffit-il de définir un concept pour lui donner
vie, ou doit-on explicitement le construire ?

L'échelle de l'existence mathématique


Impossibles, les évènements de probabilité nulle ?
Les infinitésimaux nilpotents pour l'analyse
Les fonctions réciproques
Les fonctions implicites

l•X•f}1i4,I Jouer auec l'impossible


Il est facile, si l'on n'y prend garde, de tomber dans le
piège d'un raisonnement subtilement erroné.
Plusieurs paradoxes reposent sur de telles manipula-
tions. Des esprits curieux vont alors explorer les consé-
quences des règles de la logique, par exemple pour
résoudre un problème d'apparence impossible dont il
semble que toutes les données soient manquantes.

Le problème impossible
Un problème impossible et néanmoins soluble !
Magiciens de père en fils
Paradoxes et démonstrations paradoxales
Les bijections inattendues
On va faire un petit tour... en base 4
Ces extraordinaires courbes de remplissage
Les jetons bicolores
L'égalité de tous les réels ou le théorème de l'impôt cible
Impossible, même à un Dieu omnipotent ?
Les chaussettes de Ramsey
Les trois dés

En bref

Notes de lecture
Problèmes
Solutions

EII Tcingente Hors série n° 49. Les maths de l'im


par Élisabeth Busser EN BREF

Impossibles, Impossible par ignorance


ces figures ? (1 J Les figures en perspective,jusqu'au xvesiècle,
étaient souvent « impossibles » parce que
fausses, mais bien involontairement, par igno-

Ceci n'est pas un cube rance des règles du dessin perspectif. La Renais-
sance a remédié à cette lacune avec en particulier
Tout comme dans les cubes assemblés de Brunelleschi et Alberti, les artistes théoriciens
Reutersvii.rd, le dessin du cube en fil de fer de la perspective, devenue une science avec la
ci-dessous, tracé en 1832 par le cristallo- géométrie projective de Desargues au XVIIe
graphe suisse Louis Albert Necker, est siècle. On a vu par la suite quelques fausses pers-
ambigu. Sans être « impossible », il peut pectives volontaires (William Hogarth, en
faire l'objet d ' une double perception. 1754), mais c ' est au xxesiècle qu'on a cassé
les codes et que sont apparues les perspectives
intentionnellement fausses.

Premières figures
paradoKales
~ ,, ~~ r, ~ .~""~' ~ ·~~ ,, , L'artiste suédois Oscar
Reutersv ard (1915-
2002) est véritablement
le créateur de s pre-
Le cube ambigu de Necker. mières « figures impos-
sibles ». Il dessine en
1934 un assemblage
de cubes à la disposi-
tion p aradoxale . Six
cubes centraux dispo-
sés autour d' une étoile,
le premier en avant-
Un timbre suédois en plan du deuxième, lui-
l'honneur de Reutersvard. mê me e n avant-plan
du troisième .. . le cin-
quième en avant-plan du sixième .. . lui-mê me
devant le premier ! En les reliant, il obtient le
fameux « triangle impossible ». Il fabriquera toute
sa vie d ' innombrables autres images paradoxales ,
Cube impossible. reflets d'objets impossibles.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingent:e


EN BREF par Élisabeth Busser

Impossibles, les paradoxes


ces figures ? (21 d'Escher
Le triangle et l'escalier de Penrose (voir
en page ci-contre) ont été abondamment
utilisés dans l' œuvre du graveur néer-
landais Maurits Cornelis Escher (1898-
1972). On les retrouve dans sa lithographie
Chute d'eau, avec sa cascade en mouve-
ment perpétuel, ou dans Montée et Des-
cente, avec cet escalier dont l'angle de vue
donne une fausse dimension de boucle
que des moines (quelle pénitence!) mon-
tent et descendent sans fin. La file de
ceux qui montent ne redescend jamais,
et vice versa : nous imaginons en 3D un
dessin en 2D dans lequel notre esprit
« oublie » qu'il ne peut être d' un seul
tenant sans fausser les règles de la pers-
pective. C' est la même illusion qui a été
utilisée dans le film d'animation Halluci
de Goo-Shun Wang, mis en ligne en 2007.
Kafkaïen!

Montée et Descente.
Maurits Cornelis Escher, 1960.

Rendre ~ossible
l'impossible
Les « figures impossibles » sont certes
impossibles à réaliser concrètement
sans être ou brisées ou tordues. Cepen-
dant, certains se sont obstinés et, pre-
nant la photo sous l'angle convenable ~
é
pour entretenir l' illusion, ils l'ont §.
:::;
fait ! Regardez par exemple ces « repro- --~~--- <
ductions » en Lego® d 'Andrew Lip- Chute d'eau de M.C.
son (www.andrewlipson.com) : on Escher en Lego®
s'y croirait ! par Andrew Lipson.

Montée et Descente en Lego®


par Andrew Lipson.

T4n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par É. Busser et G. Sarcone EN BREF

Impossibles,
ces figures ? (31

L'escalier de Penrose. Le triangle de Penrose.

l'illusion Penrose
Trois figures En 1958, soit vingt-quatre ans après Reutersvard,
le mathématicien britannique Roger Penrose réin-

impossibles vente de manière indépendante le triangle (ou tri-


poutre) impossible et le publie dans le British
Journal of Psychology. Il tient en effet un peu de
Ci-dessous sont illustrés trois objets impossibles la tromperie : notre cerveau interprète en trois
classiques : dimensions cette figure, qui est en fait un dessin
• en a, le trident à deux dents , plan . Lionel Penrose, le père de Roger, inventa
• en b, l'escalier de la perpétuelle montée (ou de dans le même temps une autre figure impossible :
la perpétuelle descente, c'est selon !), un escalier.
• et en c, le« tripoutre » .

Ces objets sont de purs paradoxes visuels qui, bien


que pouvant être représentés sur papier, ne peu- Sir Roger Penrose.
vent pas être construits dans notre monde réel. Il
est hélas impossible de fabriquer la maquette d'un
objet impossible dans l'espace tridimensionnel.
Mais nous pouvons toutefois , au moyen d'une
petite astuce , en photographier un : le tripoutre ...

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingente


par Philippe Boulanger

L'un des mathématiciens les plus conservateurs du vénérable


College de Cambridge, John Edensor Littlewood (1885-1977),
avait un esprit facétieux. Il a, entre autres singularités,
collectionné les impossibles.
conservatisme dans ses activités scien-
tifiques, mais il créa la théorie des sys-
tèmes dynamiques et , par certains de
ses théorèmes , fut un précurseur de
Grothendieck et de l'école française
de géométrie algébrique. Il reçut très
jeune tous les honneurs (Senior Wran-
gler, c'est-à-dire premier prix, aux
célèbre concours des tripos , voir Tan-
gente 137) et devint très tôt professeur
de mathématiques à Cambridge, son
Alma mater. Mais sa collaboration avec
Hardy est une originalité hi storique
John Edensor Littlewood et sa « nièce-fille » (certains disent que « Hardy-Little-
Ann Streatfeild. wood » était le plus grand mathémati-
cien britannique) . Il vivait à Cambridge
e mathématicien britannique la vie d'un célibataire endurci, mais

L Littlewood était un paradoxe


ambulant. Il fut d'un grand
voyageait avec une jeune femme qu'il
présentait comme sa nièce Ann et qui
était en fait sa fille. Il adorait les para-
doxes et les impossibles apparents .
Littlewood, à la vie conventionnelle Ainsi, à 84 ans, il publia un long article
d'un universitaire de Cambridge, de mathématiques (110 pages) com-
portant un théorème difficile dont il
manifestait une originalité incongrue par disait qu'il lui aurait été impossible de
divers paradoxes et impossibilités. le lire s'il ne l'avait pas écrit.

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


Le nombre de Skewes

Le plus important impossible de Little-


wood concerne le décompte des nombres
premiers. Désignons par rr.(x) le nombre
de nombres inférieurs ou égaux à x et li(x)
la fonction logarithme intégral (li(x) est
l'intégrale de O à x de l'inverse du loga-
rithme). Alors que l'on croyait que rr.(x)
était toujours inférieur à li(x) , Little-
wood a démontré en 1914 qu'il existe une
infinité de valeurs de x pour lesquels
JT.(x)- li(x) change de signe. Hélas, hélas,
hélas, on n'a toujours pas déterminé la
valeur de x pour laquelle ce changement
de signe apparaît pour la première fois
(cette valeur est le nombre de Skewes,
du nom du mathématicien élève de Litt-
lewood qui estima une borne inférieure
de x pour lequel rr.(x)- li(x) devient posi-
tif). Les mathématiciens ont obtenu des Hardy (à gauche) et Littlewood (à droite).
majorants de cette borne et l'on sait
aujourd'hui que le nombre de Skewes est
inférieur à 1,39 x 10 316 , nombre néan-
Les règles de la coopération
moins énorme comparé à ceux généra- entre Hardv et Littlewood
lement utilisés dans les démonstrations
mathématiques. Le calcul de JT.(x) jusqu'à La conjonction de comportements égoïstes peut engen-
ce nombre est impossible, même pour les drer des collaborations fructueuses. La bonne entente
ordinateurs les plus puissants. Le record entre Hardy et Littlewood reposait sur les quatre
actuel dans le calcul de la fonction n est axiomes suivants :
=
obtenu pour x 1024 , nombre pour lequel 1) Quand l'un écrivait à l'autre, il ne devait en aucun
on obtient la valeur cas se préoccuper de l'exactitude de ce qu'il écrivait.
18435599767349200867866.Nous 2) Le destinataire d'une lettre n'était en aucun cas
sommes loin du compte. obligé de la lire, encore moins d'y répondre.
3) Il n'était pas grave qu'il travaille sur la même ques-
Les facéties de Littlewood tion que son collègue, mais il devait en principe
l'éviter.
Littlewood inventa le jeu suivant : des 4) Toutes leurs publications scientifiques étaient tou-
boules, numérotées par la suite des jours signées de leurs deux noms, quelles que fus-
nombres entiers positifs 1, 2, 3 ... , sont sent leurs contributions respectives, même si l'un
placées dans une boîte selon la règle d'entre eux n'avait rien fait sur le sujet.
explicitée dans ce qui suit. Une minute
avant minuit, les boules numérotées de Aucune collaboration ne fut aussi productive sur la
1 à 10 sont placées dans la boîte et la base d'axiomes aussi négatifs, aucune règle ne fut
boule numéro 1 est retirée de la boîte. Une aussi peu contraignante. En fait, leur règle détaillait
demi-minute avant minuit, les boules de l'absence de règle!
11 à 20 sont mises dans la boîte et la

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


HISTOIRES Littlewood, le mathématicien ...

Le mathématicien Lindemann était célèbre


pour avoir démontré la transcendance
du nombre :rt. Mais il existait, pour le
malheur de Littlewood , un autre Lin-
demann (Lord Cherwell) : « Il [Linde-
mann] me donnait des complexes et je
ne pouvais jamais me souvenir de son
nom. Aussi essayais-je de me rappeler
qu'il portait le même nom que l'homme
qui avait prouvé la transcendance de
:rr.. . et alors, il m'était impossible de me
souvenir de celui-là non plus ! »
Littlewood s'amuse d'un professeur de
mathématiques pointilleux qui écrivait
l 'expression
ax4 + bx 3 + cx2 + dx + e, où e, précisait
Littlewood a collaboré avec Srinivasa Ramanujan (1887-1920) ce professeur, « ne désigne pas géné-
à l'occasion du séjour du mathématicien indien à Cambridge. ralement la base des logarithmes népé-
riens, mais cela n'est pas impossible ».
boule 2 en est retirée. À un tiers de minute Et enfin Littlewood raconte une théra-
avant minuit, les boules 21 à 30 entrent peutique :« J 'étais assis dans un train
et la boule 3 sort, et ainsi de suite. Com- avec deux hommes, dont l'un portait
bien y a-t-il de boules dans la boîte à un sac. Je lui demandais ce qu'il conte-
minuit? Aucune, ironise Littlewood, car nait. "Une mangouste , me répondit-il,
par exemple la boule 143 est enlevée à car mon ami est effrayé par des serpents
la 143e opération ! qu 'il voit partout." "Mais ces serpents
sont imaginaires" lui dis-je. "Exact,
Autre facétie:« J'ai écrit, raconte Litt- mais c'est aussi une mangouste imagi-
lewood en anglais, un article pour les naire!"»
Comptes rendus de l 'Académie des
sciences que le professeur M. Riesz L'extraordinaire mathématicien Little-
traduisit en français. À la fin de l' ar- wood a beaucoup fait pour rénover les
ticle on pouvait lire trois notes de bas mathématiques britanniques , mais son
de page: originalité se manifestait également par
• "Je remercie beaucoup le professeur un certain humour « cambridgien ».
M. Riesz d 'avoir traduit cet article en
français." P.B.
• "Je remercie beaucoup le professeur
M. Riesz d 'avoir traduit la note pré- Référence
cédente en français." • littlewood's Miscellany . Édité par Béla
• "Je remercie beaucoup le professeur Bollobas , Cambridge University Press , 1986.
M. Riesz d'avoir traduit la note pré-
cédente en français."
J'ai décidé de m'arrêter là , car bien
que mon français soit très insuffisant,je
pouvais recopier une phrase. »

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


HISTOIRES par Hervé Lehning

La quadrature
du cercle
« Quadrature du cercle » a pris le sens de « problème
impossible ». Pourtant, elle est réalisable ! De manière
approchée, elle correspond au calcul du nombre rt. De façon
exacte, à l'invention de divers instruments ou techniques.
Alors qu'est-ce qui est impossible dans la quadrature ?
our calculer l'aire d'un domaine, De façon générale, pour les Anciens

P les mathématiciens de l' Antiquité


cherchaient à construire un carré
de même aire que le domaine donné .
Grecs, résoudre un problème revenait sou-
vent à construire sa solution à la règle
et au compas. De façon précise, la pro-
Cette opération est simple si on part cédure est la suivante. On se donne une
d' un rectangle , par exemple. Dans ce figure composée d'un certain nombre de
cas , la construction se fait à la règle et points (au moin s deux) . Ensuite , on
au compas (voir le Cercle, Bibliothèque demande de construire, à la règle (non
Tangente 36, 2009). graduée) et au compas, la solution d' un
problème associée à cette figure . Par
exemple, on peut construire la diagonale
d'un carré en n'en connaissant qu ' un
côté, [AB], en utilisant trois fois le com-
pas et deux fois la règle. Cette construc-

Quadrature du rectangle à la règle et au


compas : le carré jaune a même aire que
le rectangle vert. Pour construire le
carré à partir du rectangle, on trace
A D
d'abord le cercle de centre B passant
par C. Il coupe le prolongement de [AB]
en D, puis le milieu O de [ADJ et le
cercle de centre O passant par D.
Il coupe le prolongement
de [BCJ en E. On construit alors
un carré de côté [BE].

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

tion permet de réaliser la duplication


du carré, c' est-à-dire de construire un
De la construction à la règle
carré d'aire double d'un carré donné. et au compas
Partons de deux points distincts O et 1. Réaliser une
construction géométrique à la règle et au compas à
/ 1
'' partir de ces deux points revient à définir une suite de
/
IE ' \
= =
points (An)n;,; 0 avec A0 0, A1 1, et, pour tout n > 1,
/
\
/ An déterminé par intersection de droites ou de cercles
'' \
' 1
\ 1
construits à partir des points précédents. Munissons
\ 1 le plan d'un repère orthonormé dont O est l'origine et

A
1 1------< >
1

------lc
B
Ile point de coordonnées (1, 0). Les droites et les cercles
du plan possèdent des équations cartésiennes du type
=
ax + by =cet (x - a)2 + (y- b)2 c2 , où les paramètres
a, b et c sont déterminés par opérations algébriques sur
les coordonnées des points définissant ces droites et
ces cercles. Les coordonnées d'un point An de la suite
s'obtiennent donc par résolution de systèmes de la
Duplication du carré : le carré jaune a forme:
une aire double de celle du carré vert.
ax + by = c {ax + by = c
Pour construire le jaune à partir du
{ a'x + b'y = c' ' (x - a')2 + (y - b')2 = c' 2 '
vert, on trace le cercle de centre B
passant par A, il recoupe (AB) en C.
(x-a)2 +(y-b)2 =c
On trace alors les cercles de centres A ou .
{ (x - a')2 + (y - b')2 = c' 2
et C passant par C et A. Ils se coupent
en un point D. On trace la droite (BD).
Elle coupe le premier cercle en En résolvant ces systèmes, on observe que les coor-
un point E. [AE] est un côté du carré données du point An sont solutions d'équations algé-
d'aire double, qui se trouve ainsi briques de degré 1 ou 2, équations dont les coefficients
complètement déterminé. sont obtenus à partir des coordonnées des points A0 ,
A1••• An-l" Cela permet de justifier le résultat de Want-
Sur le papier, une telle construction zel : les coordonnées des points constructibles sont
donne une valeur approchée médiocre. obtenues par succession d'additions, de soustractions,
La précision totale est impossible, sauf de multiplications, de divisions et de passages à la
en idéal. Pour les mathématiciens grecs racines carrés à partir de nombres entiers. Inverse-
comme pour leurs successeurs, derrière ment, il est possible de construire un point dont les
ces objets (règle et compas) se cachent coordonnées soient de la forme ci-dessus.
des concepts. Ceux-ci sont définissables Réaliser la quadrature du cercle revient à construire
de manière abstraite à partir de la notion à la règle et au compas une suite finie de points
de distance , plus court chemin d ' une (An) n;,; 0 dont deux éléments Ak et Am vérifient. Si cette
part et points équidistants de l'autre. quadrature était possible, les coordonnées des points
Dans le monde des idées dont parle Pla- étant des nombres constructibles, rt serait lui aussi un
ton (au IVe siècle avant notre ère), la nombre constructible. En prouvant en 1882 que rt est
construction à la règle et au compas est transcendant, Lindemann établit par la même occasion
exacte. Cette justification est souvent que rt n'est pas constructible: la quadrature du cercle
avancée pour exp liquer l'utilisation est impossible. D. D.
exclusive de ces instruments. Son défaut

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


La quadrature du cercle

L'impossibilité de la quadrature tient Corps des nombres constructibles


dans les moyens autorisés ...
La construction à la règle et au compas
est de s'appliquer également à d'autres, se transpose parmi les nombres . On se
comme l'équerre, que les mathémati- donne un segment [AB] et on considère
ciens grecs refusaient pour leurs construc- tous les segments [CD] constructibles
tions. De fait, la raison profonde de à la règle et au compas à partir de [AB] .
l'utilisation exclusive de la règle et du Les rapports CD/ AB sont des nombres,
compas est d'ordre mystique, pas mathé- appelés « nombres constructibles » .
matique. Le cercle et la droite sont consi- Ainsi, on déduit de la construction de
dérés comme les seules formes parfaites. la diagonale d ' un carré que .J2 est un
Chez les pythagoriciens, le cercle est nombre constructible . L' ensemble des
associé au« un», donc à la divinité, la nombres constructibles est un corps ,
droite à la rectitude morale, aux hommes inclus dans celui des nombres réels .
droits. Les mathématiciens grecs s'en- Pour le prouver, il suffit de montrer que
gluèrent très vite dans la pensée que somme, différence, produit et quotient
toute grandeur doit être construite à la de deux nombres constructibles le sont
règle et au compas, idée abandonnée de de même. Les deux premiers cas se
nos jours même si d'aucuns veulent résolvent facilement avec un coup de
l'adapter à l'ère informatique . L'idée règle et deux de compas . Pour les deux
est aussi pertinente que de remplacer autres , il est nécessaire d ' utiliser le théo-
les automobiles par des diligences tirées rème de Thalès. De plus , ce théorème
par des robots. permet de montrer que les nombres
Cette question d'un autre temps permet rationnels sont tous constructibles.
simplement de motiver celle de l'exis-
tence de nombres non constructibles à
la règle et au compas, n en particulier,
u
qui est le rapport de l'aire d ' un cercle
au carré construit sur l'un de ses rayons. u-v u+v
Autrement dit, la quadrature du cercle UV
à la règle et au compas en un nombre
fini d'étapes est impossible .

La quadrature
·du cercle consiste à 0 1 u
construire, à la
règle et au compas Constructions à la règle et au compas :
et en un nombre si u et v sont constructibles, alors u + v
fini d'étapes, et u - v le sont grâce à une utilisation
un carré de même du compas. Le produit u v l'est d'après
surface. le théorème de Thalès. L'inverse de u se
construit en faisant coïncider u v avec 1
dans la figure du bas.
Si on change les règles, la quadrature
du cercle est possible , soit de façon Par ailleurs , en utilisant les équations
approchée, soit en utilisant d'autres de droites et de cercles, on démontre
moyens que la règle et le compas . que les nombres constructibles sont

Te1:n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

Une quadrature du cercle. On fait tourner le cercle


vert d'un demi-tour, ce qui introduit le nombre :n:, puis
un carré de même aire que le cercle initial.

Carl von Lindemann


a montré
l'impossibilité de la
:rtR quadrature
du cercle en prouvant
la transcendance du
nombre:n:.

tous algébriques, c'est-à-dire solutions


d'équations à coefficients entiers. Pierre-
Un peu d'histoire
Laurent Wantzel (18 14-1848) précisa Pour les mathématiciens de la Grèce antique, il n'exis-
ce corps des nombres constructibles tait pas d'autres nombres que ceux que nous nommons
et prouva ainsi l'impossibilité de cer- de nos jours les entiers naturels (et encore ... 1 n'était pas
taines constructions, comme la dupli- considéré comme nombre, mais comme principe de tout
cation du cube, qui consiste à construire nombre). Les premiers mathématiciens, comme Pytha-
un cube de volume double d' un cube gore, pensaient que « tout est nombre », c'est-à-dire
donné. Dans ce cas, il suffit de mon- que deux grandeurs (longueurs, aires ... ) avaient tou-
trer que la racine cubique de 2 ne peut jours une commune mesure, en d'autres termes étaient
être construite, du fait des équati ons commensurables.
qu'elle vérifie.

Les premiers nombres non algébriques, A u B c


c'est-à-dire transcendants, ont été décou- Commensurabilité : AB et AC sont commensurables
verts en 1844 par Jo seph Liouvill e s'il existe un point U tel que AB et AC
(1809-1 882), mais il a fallu attendre soient multiples de AU.
Charles Hermite (1822-1901 ) en 1873
pour que la transcendance de la constante Malheureusement pour sa doctrine, Pythagore prouva
d'Euler e soit démontrée. En 1882, Fer- lui-même qu'il existe des grandeurs incommensurables,
dinand von Lindemann (18 52-1 939) le côté et la diagonale d'un carré par exemple. Les lon-
montra que :rc est transcendant , donc gueurs commensurables correspondent à ce que nous
non constructible. Sa preuve, très tech- nommons nombres rationnels, les autres aux nombres
nique, dépasse largement les ambitions irrationnels. La diagonale du carré est cependant
de cet article. Elle prouve l' impossibi- constructible à la règle et au compas, c'est pourquoi les
lité de la quadrature du cercle, ce qui n'a mathématiciens grecs remplacèrent leur idéal de com-
pas tari l' imagination des quadrateurs, mensurabilité en celui de construction à la règle et au
qui continuent aujourd ' hui encore à compas. Ils nous ont ainsi légué le problème de la qua-
envoyer à Tangente leurs « solutions » drature du cercle, dont on n'a suspecté l'impossibilité
à un problème que l'on sait insoluble que vers le XVIe siècle.
depuis longtemps.
H . L.

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS par David Delaunay

• •
a r1sec 100
de l'angle
À l'aide d'une règle et d'un compas, il est assez facile de
séparer un angle en deux parts égales en construisant une
bissectrice. Est-il de même possible de le séparer en trois ?
C'est le problème de la trisection de l'angle, qui date de
l'antiquité grecque.
e nombreux mathématiciens

D se sont investis dans le pro-


blème de la trisection de l'angle,
proposant d'abord des solutions par-
tielles, jusqu 'à parvenir à établir que
la trisection de l'angle est en fait impos-
sible en toute généralité.

La trisectrice de mactaurin

Parmi les solutions proposées pour amor-


cer une trisection à la règle et au com-
pas, plusieurs sont basée s sur
l'introduction de courbes planes dont
les points seraient constructibles à la
règle et au compas. C'est le cas de la tri-
sectrice de Maclaurin , introduite au
XVIIIe siècle. Pour la définir, considé-
rons deux points distincts O et Q du
plan et introduisons la médiatrice ôdu
segment [OQ]. Pour un point P variant
sur ô , on considère Je point M déter-
miné par la deuxième l'intersection de
(ATou,/E. la droite (PQ) et du cercle de centre O
passant par P.

Tg.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

Q 0
s

Ce point M parcourt la courbe trisec- En observant que les triangles OPQ et


trice qui nous intéresse. Si l'angle à cou- POM sont isocèles, on établit aisément
per en trois est SOM , sa trisection apparaît que l'angle SOM est égal au triple de
comme étant SQM. SQM.
En fait, cette courbe est inspirée d'une
idée déjà introduite par Archimède. La trisection de l'angle à la règle et au com-
Considérons un cercle de rayon R dont pas est cependant impossible. Certes, il
le centre est le sommet de l ' angle à est certains angles qu'il est facile de cou-
découper. Définissons l'axe des abs- per en trois ; c'est par exemple le cas de
cisses par un côté de cet angle ; le cercle l'angle plat, de mesure :rt. En effet, puisque
introduit coupe alors l'autre côté en un cos(n/3) = 1/2, il n'est pas difficile de
point M. À l'aide de notre règle gra- construire un angle de mesure ni 3 (etc' est
duée, traçons la droite issue de M cou- même très pratique pour découper un
pant l'axe des abscisses en un point Q gâteau en six parts sensiblement égales . . .) .
et le cercle en un point P de sorte que Ensuite, pour observer que la trisection
QP = R. Par cette dernière condition , de l'angle est impossible en toute géné-
nous exploitons une graduation de la ralité, observons qu'un angle de mesure
règle ; ce n'est donc pas une construc- n/3 ne peut, lui, être séparé en trois.
tion à la règle et au compas au sens strict. Pour cela, considérons le nombre

En considérant
=
le triangle OPQ, 2a p.
En considérant
Q 0 le triangle POM, 2p =a+ 8.

/f
··....
·· .....
.....-------·/

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Te1ngente


SAVOIRS La trisection de l'angle

(plus précisément, c'est une équation


le triangle de Morlev algébrique de degré 3).
Les bissectrices intérieures d'un triangle concourent Au XIXe siècle, Wantzel a caractérisé
en un point : c'est le centre du cercle inscrit dans ce les points constructibles à la règle et au
triangle. Les trisectrices intérieures d'un triangle se compas en un nombre fini d'étapes à
coupent elles aussi de façon remarquable : leurs points partir d ' une unité donnée. Ces points
d'intersection déterminent un triangle ... équilatéral ! sont ceux dont les coordonnées sont
C'est le triangle de Morley, découvert par Frank Mor- racines d ' équations algébriques de
ley à la toute fin du XIXe siècle. degré une puissance de 2, mais qui ne
sont racines d 'aucune de degré stric-
A
tement inférieur. Par exemple, le point
de coordonnées (1 + Js) /2 et 2 114 est
constructible, car ses coordonnées sont
respectivement racines des équations
x 2 - x - 1 = 0 et x 4 - 2 = 0 .

.• .·. .•... /:. < pµ_R


·. .::.;_. \Q r
Si l'on pouvait construire un angle de
mesure n/9 à la règle et au compas, il
en serait de même du point de coor-
......:~:-···-- ...
..-··· ··...f.'./ données (cos (n/9), sin (n/9)). Or, son
:'/
abscisse x est solution d ' une équation
de degré 3, et on peut justifier qu 'elle
n'est solution d'aucune équation de
degré strictement inférieur : la construc-
tion à la règle et au compas d'un angle
de mesure ni 9 est donc tout bonne-
x = cos(n/9) . En exploitant l'identité ment impossible. Il en est alors de même
cos (3a) = 4cos 3 a - 3cos a , on établit de la trisection de l'angle en général.
que x est solution de l'équation
8x3 - 6x - 1 =0. C'est une équation algé- D.D.
brique construite à partir d'une expres-
sion polynomiale à coefficients entiers

TC1.ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Jean-Alain Roddier EN BREF

la quadratrice de Dinostrate Dinostrate


t A et la quadrature du cercle
Représentation de la quadratrice La quadrature du cercle consiste à construire un
de Dinostrate. carré d'aire nà partir d'un cercle de rayon 1, ce
qui revient à construire un segment de longueur
J;. On peut résoudre ce problème de manière
exacte (voir en page 21) à l'aide de la quadra-
trice de Dinostrate.

Notons M(t) le point de l'arc paramétré


ci-contre correspondant à la valeur t
du paramètre. Pour la valeur t =0, le
point M(t) n'est pas défini mais
admet une position limite lorsque
0
t tend vers O. Un calcul de limite
À l' origine, la quadratrice de Dinostrate est une élémentaire montre que l'arc
courbe servant à la trisection approchée des angles. peut être prolongé par conti-
Elle aurait été définie par le grec Hippias d'Élis au nuité en lui adjoignant le
V0 siècle avant notre ère, avant d'être reprise un point S de coordonnées
peu plus tard par le mathématicien grec Dinostrate (2/ Tl, 0).
pour effectuer la quadrature approchée du cercle.
En 1725, dans son Nouveau
NOU" EA U CO UR S

MATiiEMATIQu&
.....
,. ,., .,.
Cours de mathématique à H
0
___::.~a:..:::.:-..
. . ._. __ilo-·
Dl J:AaTILLU,ll tr m, OlNlt.
OO L' O• . . PL l~II I.

.--
l'usage de l'artillerie et du
génie, le mathématicien Ber- Considérons le point H (2, 0), puis le point L
.... . • L ~ IUI.
nard Forest de Bélidor ( 1698-
u • 110 1u 1• &
•o,u11oic111 1 d'intersection de l'axe des ordonnées avec la paral-
U DUC D U MA I NS.
"'" L::.:,~1-;_-.;:;• - 176 l) expose une méthode lèle à la droite (AS) passant par H (voir la figure
de construction point par point ci-dessus). La pour coordonnées (0, n). On
....... u .
- Ct.-:-J:::.:~-::.~:· ....
cc.........
....,_
_..,..._... _
.. ..... ,,,,_ ... de la quadratrice de Dinos-
trate, puis il explique com-
peut alors construire le segment [BF], qui a
pour longueur J; . Pour cela, on considère le
ment se servir de cette courbe point M(-1, 0), puis
construite « mécaniquement » pour réaliser la le cercle de diamètre
trisection de l'angle (voir l'article sur ce sujet). [ML]. Dans le tri-
Une représentation paramétrique du support de angle MFL rectangle
la quadratrice de Dinostrate est en F, nous avons
BF2 = BM BL =n.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta:ngente


EN BREF par Jean-Alain Roddier

le texte de Bélidor
Bernard Forest de Bélidor a décrit la construction
point par point de la quadratrice de Dinostrate dans
le texte suivant.
« Pour décrire cette courbe, il faut diviser le rayon
AB en un grand nombre de parties égales ; de
manière que le quart de cercle AT puisse être divisé
en un même nombre de parties égales ; ainsi nous
supposerons que l'on a divisé le quart de cercle en
seize parties égales ; aussi bien que le rayon AB.
Cela posé, après avoir tiré les rayons BC, BD, BE,
BF, etc. l'on tirera par les points G, H, / , K, etc. des
parallèles au demi-diamètre BT, qui allant ren- Autrement dit : longueur (AD) AH
contrer les rayons qui divisent le quart de cercle don- longueur (DF) HK
neront les points L, M, N , 0, etc. avec lesquels on De là à la trisection de l'angle, il n'y a qu'un pas:
tracera la courbe AS, que l'on pourra faire beau- « Supposant que l'on ait tracé sur un morceau de
coup plus juste, en divisant le quart de cercle & et corne ou de carton bien uni, la courbe AD de la façon
le rayon BA en un plus grand nombre de parties égales, qu 'on vient de l'enseigner, on propose de diviser
que l'on n'a fait ici, afin d 'avoir les points L, M, ['Angle OPQ en trois parties égales. Pour résoudre
N, 0 , beaucoup plus près les uns des autres, & que ce Problème, supposant que la courbe accompagnée
le point Rformé par la rencontre du dernier rayon de son quart de cercle AC,jefais l'angle ABE égal
BP, & la parallèle QR, approche le plus près qu 'il à l'angle donné, & au point F, où le rayon BE coupe
est possible du demi-diamètre BT, pour rendre insen- la courbe AD, j'abaisse la perpendiculaire FG sur
sible l'erreur que l'on pourroit faire en continuant le diamètre AB, qui me donne la partie AG, que je
mécaniquement la courbe AR jusqu'à la rencontre divise en autant de parties égales que l'angle donné
du demi-diamètre .» soit divisé . »

Pour ce qui relève de la trisection de l'angle obtus


RST , Bélidor propose de diviser cet angle en deux
« Il faut remarquer que, par la génération de cette angles égaux puis d'opérer la trisection de l'angle
courbe, si l'on mène des parallèles HM & KO, qui aigu ainsi obtenu.
ailleurs rencontrer la courbe aux points M & 0, que
si l'on tire par ces points des rayons BD & BF,
qu'il y aura même raison de l'arc AD à l'arc DF,
que de la ligne AH à la ligne HK. »

Ta.n9ent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


J.-A. Roddier et G. Sarcone EN BREF

Équation paramétrique Impossibles,


de la quadratrice de Dinostrate
Les coordonnées du point P (voir les notations en page
ces figures 1 (41
ci-contre) sont (cos(m/2), sin(m/2)) . La droite (BP) a
donc pour équation réduite y =x tan (:n:t / 2). Le point R a pour ordonnée t (la même que celle du point Q)

et il appartient à la droite (BP) ;on en déduit les coordonnées de R, qui sont :


Un système d'équations paramétriques lx= t ,
l f ,tj'.
(
t
tan( t)
de la quadratrice de Dinostrate est donc tan (f t) avec t E iQ) n ]0, 1].
y =t
On peut ainsi obtenir une équation du support de la quadratrice de Dinostrate: x = y/tan(.ny/2) .
Pour construire cette courbe, il suffit de tracer la courbe d'équation y= x/tan (m/2) puis de prendre sa
symétrique par rapport à droite d'équation y= x. On se restreint ensuite à [O, 1].

1
1 1
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1
.

Réaliser le tripoutre
Pour réaliser un tripoutre, on peut commencer
par reproduire, découper et assembler le modèle
en suivant les simples indications de la figure ci-
contre . Si tout se passe bien, vous obtiendrez une
sorte de maquette avec quatre barres (en papier)
à angle droit. Maintenant, il s'agit de se posi-
tionner avec un appareil photo face à la maquette
et de choisir un point de vue, en jouant sur la dis-
tance qui sépare l'objectif de la maquette, afin
de fusionner visuellement la barre supérieure
proche du photographe avec la barre du fond (voir
les différents essais ci-contre) . Il est parfois néces-
saire de rogner l'angle de la barre supérieure (mar-
qué avec un point rouge) pour le faire coïncider
parfaitement avec la barre à l'arrière-plan. Avec
un peu de patience, et beaucoup d'essais, vous
obtiendrez d'excellents résultats ! réel ont une orientation fort différente . Il s'en-
L' illustration ci-dessus montre comment notre suit qu'il est possible de fabriquer de nombreuses
cerveau perçoit un seul et unique triangle ABC alors variantes de la maquette pour atteindre le même
que les droites qui le représentent dans l'espace résultat visuel.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible TClngente


SAVOIRS par Élisabeth Busser


mposs1 e
est-il géométrique ?
« Impossible » disaient les géomètres grecs à propos d'une
construction qui ne pouvait se faire à la règle et au compas en
un nombre fini d'étapes. Pourquoi une telle rigueur? Ne peut-
on pas imaginer transgresser les codes et les conventions
pour amadouer l'impossible ?
l est, et cela se démontre, des figures parallèles, et d'un compas à ouverture

I impossibles à construire à la règle et


au compas. Les exemples historiques
ne manquent pas, mais pourquoi peut-
illimitée. L'une des premières « propo-
sitions » d ' Euclide dans les Éléments
est eff~çtivement « Sur une droite don-
on par exemple construire avec ces ins- née et finie, construire un triangle équi-
truments le polygone régulier de dix-sept latéral » et la solution, suivie de sa
côtés et pas celui de sept ? et dans quelle démonstration, se trace bien avec règle
mesure certaines figures, impossibles à et compas.
construire avec les deux outils « cano- « Règle et compas », c ' est en même
niques », sont-elles malgré tout réali- temps « droite et cercle », figures « par-
sables avec d'autres instruments ou faites » selon le néoplatonicien Proclus
d'autres courbes que la droite et le cercle? (412-485), la « supériorité» du cercle
tenant à sa « similitude, son identité »
Portrait d'Euclide par La règle et le compas : pourquoi ? et le fait qu'il « corresponde à un meilleur
Juste de Gand arrangement ». Ces deux figures ne
(xv• siècle). Pour les Grecs, seules les constructions sont-elles pas les seules lignes planes
réalisées avec la règle et le compas (en pouvant glisser sur elles-mêmes sans
un nombre fini d'étapes) étaient accep- qu'elles en soient déformées? Et puis ,
tables. Il s'agissait bien sûr d'une règle la règle et le compas sont des outils
non graduée, à bords pas forcément simples et efficaces , faciles à fabriquer
(un simple bout de ficelle peut parfois
On a un jour démontré que ces tenir lieu de compas), dont le champ
d ' utilisation est vaste . Platon , qui lui-
problèmes qui empêchaient de dormir les même ne prise guère l' imperfection inhé-
géomètres grecs étaient insolubles. rente à tout instrument de construction,

Ta:ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

admet toutefois la règle et le compas,


les seuls à respecter la symétrie de cer-
i la règle seule
taines configurations. N'oublions pas Et si on essayait de faire des tracés juste à la règle,
non plus que chez les géomètres grecs sans compas ? Les possibilités ne sont guère
les figures étaient là pour convaincre, nombreuses : avec deux points, on peut seule-
alors autant qu'elles soient réalisées ment tracer une droite, avec trois points, guère
avec des instruments abondamment mieux, avec quatre points on peut faire un quadrilatère
répandus et connus de tous. complet et vérifier certains alignements, mais le véritable
progrès consiste à adjoindre à notre règle un cercle (ou
Du possible al'impossible même un arc de cercle) avec son centre, déjà tracés dans
le plan. Alors là, on est dans les conditions du théorème
Avec la règle et le compas, autrement de Poncelet-Steiner. Conjecturé par le mathématicien fran-
dit avec des droites et des cercles, les çais Jean-Victor Poncelet en 1822, démontré par le géo-
géomètres grecs ont rendu possibles mètre suisse Jakob Steiner en 1833, il permet d'affirmer que
la plupart des constructions qui s 'of- toute construction géométrique réalisable à la règle et au
fraient à eux . Au-delà des construc- compas l'est aussi à la règle seule, à condition de disposer
tions classiques (médiatrice, bissectrice, d'un cercle, centre et rayon donnés.
parallèles, perpendiculaires) se posait Un exemple? Tentons de tracer une droite passant par un
déjà dans le Livre II des Éléments d'Eu- point donné Pet perpendiculaire à un diamètre donné [AB]
clide par exemple le problème de la de ce cercle.
quadrature du rectangle : savoir
construire un carré de même aire qu'un
rectangle donné.
Pour« quarrer » le rectangle ABCD, on
commence par aligner A, B et C en A 1,
B 1, C 1• On construit ensuite le demi-cercle
de diamètre [A 1CiJ. C'est la hauteur
[B I E] du triangle rectangle A 1EC I qui
va donner la solution puisque
B 1E2 = A 1B 1 x B 1C 1, soit l'aire du rec-
tangle ABCD. Le carré construit sur
[B 1EJ a donc même aire que le rectangle
initial (voir figure en page suivante).
Malgré tous ces succès, il est cependant
des problèmes de construction (à la règle
et au compas, bien sûr) qui ont résisté
aux méthodes des géomètres grecs. Pour-
quoi, si on sait quarrer un rectangle, ne Tracé à la règle seule de la perpendiculaire
pourrait-on pas quarrer un cercle? Pour- à (AB) menée par P.
quoi, si on sait construire une bissec-
trice, ne saurait-on pas construire une On trace d'abord (PA) et sa perpendiculaire (BC) puisque
trisectrice ? Pourquoi, si on sait doubler [AB] est un diamètre. De même, (PB) est perpendiculaire
l'aire d'un carré, ne serait-on pas capable à (AD). Si (BC) coupe (AD) en E, dans le triangle APE, (BC)
de doubler le volume d'un cube? Pour- et (BD) sont deux hauteurs, B l'orthocentre; la troisième
quoi, si on sait construire un pentagone, hauteur est donc (AB). Et voilà construite la perpendicu-
ne construirait-on pas un heptagone ? laire (PE) à (AB).
Nous sortons, avec ces questions, du

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tc;1,n9ente


SAVOIRS Impossible est-il géométrique ?

Quadrature du rectangle.

domaine du possible et les Grecs aussi avant la théorie de Galois (1830), dévoila
bien que leurs successeurs se sont heur- la clef du mystère de leur construction :
tés à ces nouveaux problèmes : quadra- on ne pouvait, a-t-il démontré, construire
ture du cercle, trisection de l'angle, de polygone régulier à p côtés que si
duplication du cube, construction de l'entier pétait de la forme 2a ou 2a x p 1
certains polygones réguliers ... autant x p 2 x ... x Pn, les P; étant les nombres
de problèmes impossibles à résoudre premiers de Fermat, c'est-à-dire des
avec une règle et un compas. nombres premiers de la forme (2 2' + 1).
Et voilà le mot « impossible » lâché : on Par-delà le triangle équilatéral ou le
a un jour démontré que ces problèmes pentagone, on saura donc construire
qui empêchaient de dormir les géomètres l'heptadécagone, polygone régulier à
grecs étaient insolubles (voir les articles dix-sept côtés, construction d'ailleurs réa-
qui précèdent) ! C'est d'ailleurs un lisée par Gauss lui-même, mais ni l ' hep-
mathématicien français qui apporta en tagone ni le polygone régulier à onze
1837, par le biais de l'algèbre, la preuve côtés.
définitive de leur insolubilité : Pierre-Lau-
rent Wantzel. Il parlait, lui, de« nombres Hppriuoiser l'impossible
constructibles », c'est-à-dire dont on
pouvait, une unité étant donnée sur un Malgré ces constats d'impossibilité, les
axe, construire l'abscisse à la règle et géomètres ont, au fil des âges, redou-
au compas. Inspiré par les résultats du blé d'ingéniosité pour inventer, qui une
mathématicien norvégien Niels Henrik courbe, qui un instrument de tracé méca-
Abel (1802-1829), Wantzel prouva, dans nique pour réussir néanmoins ces construc-
son mémoire Recherche sur les moyens tions que le simple usage de la règle et
de reconnaître si un problème de géo- du compas leur refusait.
métrie peut se résoudre avec la règle et Ménechme (IVe siècle avant notre ère),
le compas, le théorème qui va porter par exemple, disciple de Platon, pré-
son nom : « Tout nombre constructible cepteur avec Aristote d'Alexandre le
x est racine d'un polynôme à coeffi- Grand, sut ramener le problème de
cients entiers et le degré du polynôme construire un cube d'arête y et de volume
minimal admettant x pour racine est une double d'un cube donné d'arête x à la
puissance de 2. » Après cela, exit la tri- recherche de deux moyennes propor-
section de l'angle. Exit également la tionnelles, x et y, telles que
duplication du cube. Exit enfin, quelques 1 X y . d' une part y =.r2
- = - = - , smt
années plus tard, la quadrature du cercle. X y 2
2
Restaient les polygones réguliers. Là, c'est et d'autre part y=- .
X
le mathématicien allemand Carl Frie-
drich Gauss qui, en 1801, donc bien La solution tient donc à l'intersection

Ta:ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

d' une parabole et d' une hyperbole.


Archimède, lui , use d' un autre subter-
Au compas seul
fu ge que la construction de courbes. On est plus à l'aise pour opérer des construc-
Pour résoudre le délicat problème de la tions au compas seul ; on dispose en effet du théo-
trisection de l'angle , il « biaise » en por- rème de Mohr-Mascheroni. Démontré en 1672
tant sur une règle des graduations: c'est par le Danois Georg Mohr dans son Euclides
la construction par neusis (inclinaison). Danicus, puis un peu oublié, il est prouvé de manière indé-
L'angle à trisecter est ABC . On s'ar- pendante par Lorenzo Mascheroni dans sa Géométrie du
range pour que EF = AB et ainsi, grâce compas en 1797 ; ce résultat rend inutile l'usage de la règle
aux triangles isocèles BEF et BFC , en géométrie euclidienne puisqu'il affirme que « tout point
l'angle ABC est le triple de BEF : voilà constructible à la règle et au compas l'est aussi avec le
astucieusement concrétisée la trisection seul compas » . Pour établir son théorème, Mohr est en par-
de l'angle, à défaut d'être résolue à la ticulier amené à construire au compas seul l'intersection d'un
règle et au compas ! cercle et d'une droite ne passant pas par son centre.

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1
1

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I I
Trisection de l'angle au compas 1 'o-
et à la règle marquée. 1 6
1

C'est cette même technique de neusis


que l'on peut aussi utiliser pour construire
avec un compas et une règle marquée un
heptagone régulier.
Le champ restreint de la règle et du com-
pas , dont Charles Perrault chantait les
amours dans un poème, s'est élargi. Construction au compas seul de l'intersection d'un cercle (C)
« Et l'on vit naître alors de leurs et d'une droite non diamétrale (AB).
doctes postures
Triangles et carrés , et mille autres Il va le résoudre ainsi : Si on veut construire l'intersection
fig ures» de la droite (AB), donnée par les deux points A et B, avec
le cercle (C) de centre O et de tracé connu, l'idée est de
disait le conteur. En s'appuyant sur construire le symétrique de (C) par rapport à (AB). Il suf-
quelques accessoires de plus, on a, par fit pour cela de construire le symétrique O' de son centre
des constructions frisant l' exactitude, et C' le symétrique de l'un de ses points C. Les intersections
apprivoisé l'impossible . D et E du cercle (C) et de son symétrique sont bien celles
de la droite (AB) et du cercle (C).
É.B.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


ACTIONS par Jean-Jacques Dupas

Rapports d'engrenages
impossibles :
comment ne pas se casser les dents
Les engrenages sont une source inépuisable de problèmes
mathématiques. La reconstitution de la machine d'Anticythère
à l'aide de simples briques danoises conduit entre autres à des
problèmes arithmétiques insoupçonnés.
es briques danoises sont extra- fi l'impossible nul n'est tenu
L ordinaires : elles permettent, à
partir d'éléments standard, la
construction de modèles qui se décli-
Seuls les rapports multiple de 2, 3 et
5 sont possibles à l'aide des éléments
nent à l'infini. En particulier, les Lego® fournis avec nos briques danoises.
Technic (The Lego Group) permettent Comment réaliser alors les rapports de
la construction de presque toutes les la machine d' Anticythère, qui sont 2,
machines mécaniques concevables. À 3,4,5, 10, 15, 19,47, 127,223,235
tel point qu'un Américain, Andrew et 254 ? C'est impossible a priori, et
Carol, a construit chez lui les plus pro- pourtant ...
digieuses machines de l'histoire, à
savoir la machine d' Anticythère et la
machine de Babbage.
La reconstruction de la machine d 'An-
ticythère est particulièrement intri-
gante. En effet, la machine originelle
contient une trentaine de roues den-
tées, avec nombre de dents assez variées.
Or, avec les roues dentées Lego®, nous
n'avons accès qu'à un nombre limité
de roues (pour les engrenages droits,
huit, vingt-quatre ou quarante dents).
Une question se pose alors: comment
faire un rapport de réduction quel-
conque avec les roues Lego®, et est- Roues à huit et seize dents,
ce toujours possible ? pour un rapport 2.

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


Arbre d ' e r t ~ ~Arbre de sortie
~

m_ = Z1Z 3 = z_
m_. Z 2Z 4 z_

à la vitesse w 5 et le porte-satellite tour- Un train d'engrenages


nant à la vitesse wps· On désigne par classique (vue fonctionnelle
satellite tout pignon d'engrenage dont en coupe : les dentures
Roues à huit et vingt-quatre dents, l'axe tourne avec la roue qui l' entraîne. ne sont pas représentées).
pour un rapport 3. Le rapport de réduction d'un train épi-
cycloïdal est donné par la formule de
Willis , du nom du révérant britannique
et par ailleurs célèbre ingénieur Robert
Willis (1800-1875) :
(w 5 -WP5 )/(we -Wp 5) = (-1)\Zm/ZM) ,
n désignant le nombre de contacts exté-
â rieurs sur les dentures.
'5

Roues à huit et quarante dents,


pour un rapport 5.

La solution se trouve dans le train épi-


cycloïdal . Ce mécanisme est d'ailleurs
présent dans la machine d 'Anticythère.
Voyons de quoi il s'agit.
Dans un train d ' engrenages classique,
un arbre d ' entrée tourne à la vitesse we Un train épicycloïdal.
Porte Satellite
et un arbre de sortie tourne à la vitesse
w5 • Entre les deux , le rapport est le pro- L' introduction du train épicycloïdal per-
duit du nombre de dents des roues met ainsi d'injecter un « signe moins » ,
menantes par le nombre de dents des là où il n'y avait que des multiplications
roues menées . On peut donc écrire ou des divisions. L'astuce est de dispo-
wJ we = Zm/ZM (où zm est le produit ser d ' un train d'engrenages entre l'en-
des nombres de dents des roues menées, trée et le porte-satellite .
alors que ~ est le produit des nombres Bien. Mais peut-on construire un train
de dents des roues menantes). épicycloïdal avec des briques danoises ?
Dans un train épicycloïdal, on a tou- Certainement, et l'imagination des afi-
jours un arbre d'entrée tournant à la cionados de la brique est sans limite. Et
vitesse we, un arbre de sortie tournant si on regarde bien, Lego® fournit en

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tc:in9ente


ACTIONS Rapports d'engrenages impossibles

standard un train épicycloïdal particu- L'application originelle du différentiel


lier : le différentiel. est celui des roues d'automobile. Voici
Pour gagner de la place, les roues den- un scénario de la vie de tous les jours
tées sont des roues coniques . Le diffé- où il est important de disposer d'un dif-
rentiel Lego® est tel que férentiel:
(w 5 -WP5 )/ (we -WP 5) = -1. C'est-à-dire • Si le porte-satellite tourne à wps et que
que w5 - wps = wps - we, W 5 = we = w, alors W 5 = wps· Dans ce
soit ws + we = 2wps· cas, le différentiel ne sert à rien : c'est
ce qui se passe quand vous roulez en
ligne droite (les deux roues tournent à
<.cf,_ __ la même vitesse) .
• Vous amorcez un virage. Les deux
Arbre de sortie roues peuvent tourner à une vitesse
légèrement différente, du moment que
leurs demi-somme soit égale à la vitesse
du porte-satellite.
•Sile porte-satellite est fixe (cas de la
voiture à l'arrêt), et si on fait tourner
une roue, alors l' autre tourne dans
Aibre d'entr6e
l'autre sens.

Maintenant, comment réaliser par exemple


un rapport 365 avec uniquement des
Porte Satelite engrenages de rapport 3 ? Et donc, com-
ment faire en Lego® ? Comme 365 n'est
pas une puissance de 3, normalement, c'est
Du train épicycloïdal au différentiel. impossible ! Mais introduisons le dif-
férentiel si on souhaite, par exemple ,
que le porte-satellite tourne 365 fois
plus vite que l'axe d'entrée. Cela nous
donne, sir est le rapport entre la vitesse
de sortie et la vitesse d'entrée,
r + 1 = 2 x 365 , d'où r = 729 = 36 .
Il faut donc insérer six engrenages de
rapport 3 entre l'entrée du différentiel et
sa sortie (et donc sur le porte-satellite) .
On récupère ainsi un rapport de réduc-
tion de 365 (voir le graphe ci-contre) .

Le chariot chinois

Un des plus vieux mécanismes à engre-


nages connu est le chariot chinois poin-
PcneSâdte tant vers le Sud. C'est un mécanisme à
deux roues. Les rotations différentielles
des deux roues sont transmises à une
Un rapport de réduction de 365. aiguille qui désigne le Sud.

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

Pour peu que l'aiguille désigne le Sud Cela dit, trouver les
au départ, c 'est donc une boussole méca- valeurs « qui vont
nique. La légende veut que le chariot bien » revient à
chinois ait été inventé 2 500 ans avant résoudre des équa-
notre ère. Cependant, la première trace tions diophan-
officielle de cette merveille technolo- tiennes , ce qui est
gique date de 200. souvent très diffi-
On peut modéliser le chariot chinois cile (on n'est jamais
comme constitué de deux différentiels assuré de l'existence
(de gauche à droite sur la figure). L' arbre d ' une solution , par
d'entrée du premier est la roue gauche ; exemple) .
l'arbre de sortie du premier est l' arbre Dans notre exemple de base, essayons Le chariot chinois.
d'entrée du second ; l'arbre de sortie du de traiter le rapport 19. Le nombre 19 étant
second est celui de la roue droite. Une premier, il est impossible de l'obtenir
roue engrène entre les deux porte-satel- grâce à des puissances de 3 ou 5. En
lite, elle mesure la différence de rota- partant de la vitesse w, nous allons intro-
tion entre les deux roues . duire un train d'engrenages vers l'en-
Si on part de la roue gauche, on obtient trée du différentiel et vers le porte-satellite
(avec des notations transparentes) : du différentiel, puis essayer de récupé-
W axe_central - W ps 1 =W ps 1 - W roue_gauche · rer w 8 = 19w. L'équation du différentiel
Le mouvement est propagé : W 8 + we = 2wps devient :

û)roue_droite - û)ps2 =û)ps2 - û!axe_central· W8 = 19w = 2 X 5n, X 3n2w- 5n3 X 3n4W.


On trouve : On trouve la solution suivante :
û!roue_droite = 2 û!ps2 - 2 (.()ps i + Wroue_gauche' -19=2x3-5 2 .
c ' est-à-dire : Le signe moins signifie que la roue
Wroue_droite - û!roue_gauche =2 (wps2-Wps l). tourne dans l'autre sens.
Par chance, dans notre cas, les rapports
La roue dentée entre les deux porte- 19, 47, 127 et 223 conduisent à des solu-
satellite mesure directement la diffé- tions qui n'induisent que des rapports
rence de rotation des deux roues ! Sur 3 et 5.
la dernière équation , on constate que Sortie Entrée Porte-satellite
tant que la roue gauche et la roue droite -19 3
tournent à la même vitesse, la différence 47 52
de rotation des deux porte-satellite est -127 -1
nulle, et donc l'aiguille ne tourne pas. -223 1

Pcintcur Ra,eDroite

Modélisation du chariot chinois.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngent:e


ACTIONS Rapports d'engrenages impossibles

Quand les roues montrent les dents


À la Renaissance, la transmission se fait généralement par un sys-
tème à lanterne, qui permet un façonnage et une maintenance aisés
mais qui est bruyant et offre un rendement peu élevé. Au XIX" siècle
sera inventé le profil en développante de cercle (voir Tangente
151, page 40), qui offrira des rendements supérieurs à 90 %.
Prom en développante de cercle.

Mais loin de problématiques de qualité de


transmission, on peut aussi chercher les condi- Système à lanterne.
../ tions géométriques de forme pour que deux
----~- roues puissent créer un engrenage fonction- Donc tous les rapports cités au début de
nel. Deux roues sont en rotation sans glissement. La roue primaire l'article sont bien réalisables :
(de rayon r) entraîne la roue secondaire (de rayon r'), qui a une 2, 3,4 (2 X 2) , 5, 10 ( 2x 5) , 15 (3 X 5),
vitesse angulaire relative ws par rapport à la roue primaire.L'en- 19, 47 , 127, 223 , 235 (5 X 47) et 254
traxe e vaut r + r ', et r ' = r / ws. (2 X 127).
Considérons maintenant une roue
primaire avec un profil presque quel- Si un rapport n'est pas réalisable , il y a
conque (la roue secondaire ne pourra toujours possibilité d'introduire un
tourner à une vitesse relative w, frac- deuxième différentiel, un troisième ...
tion d'entiers, que si le profil de la Quelques engrenages Lego® permet-
roue primaire a une certaine pério- tent donc bel et bien d'obtenir une très
dicité). La ligne de contact de la roue primaire est un ensemble grande diversité de rapports de réduc-
de points P de coordonnées polaires r et a . Mettons que cette roue tion. Ils sont certes plus ou moins faciles
a tourné d'un angle O. Dans le cas où le point Pest en contact à obtenir, mais ils sont souvent pos-
avec le point S, d'angle {3, du profil de la roue secondaire , la sibles. Ainsi, avec un petit nombre de
configuration géométrique est la suivante. briques de base, on obtient une grande
Le théorème d' al-Kashi permet d'écrire complexité , et de nombreuses belles
r ' 2 = r2 + e 2 - 2ercos(a + 0). questions d' arithmétique !
~
' ,·
L'expression de la hauteur issue de
~
1
Pfoumit J.-J .D.
rsin(a + 0) = r'sin(f3- wO).
On en tire que Références
2 2
rsin (a+ 0) = r + e - 2er cos(a + (J) X sin (f3 - wO). • La prodigieuse machine d 'Anticythère.
Les points de contact sont donc à chercher parmi les zéros de la Tangente 133, pages 24 à 26, 2010.
fonction • Mathématiques discrètes et combinatoire.
2 2
0 - rsin(a + 0)- ~r + e - 2ercos(a + (J) X sin(f3-w0) Bibliothèque Tangente 39, 2010.
et donneront our valeur du rayon secondaire • Mathématiques des engrenages. Nicolas
r' = r 2 + e 2 - 2ercos(a + (J). Terracol, Tangente Éducation (supplément à
Pour un angle f3 donné, la condition de contact sans blocage sera Tangente 82), 2001.
remplie en choisissant le minimum des valeurs obtenues pour • Cercle Pierre de Jumièges, Problème 51.
de tels r ', et ce pour tous les points P de la roue primaire. • Théorie géométrique des engrenages.
Surprise : on peut obtenir pour la roue secondaire un profil dif- Théodore Olivier, Bachelier, 1842.
férent de celui de la roue primaire, et après découpe laser, ça
fonctionne ! Thierry Dassé.

Ta.ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Édouard Thomas NOTES DE LECTURE

laissez-uous surprendre Quand la uie prend une autre dimension


par les maths ! Un ouvrage précurseur du roman de science-fiction
vient enfin d'être réédité : Flatland. Rédigé par le
Chaque mois dans Pour La théologien britannique Edwin Abbott Abbott et paru
Science, Jean-Paul Dela- en 1884, il met en scène un Carré du plan (Flatland)
haye continue de nous sur- dont la conception plate de l'univers va être remise
prendre avec sa chronique en cause par l'arrivée d'une Sphère de Spaceland
« Logique et calcul ». Régu- (l'espace) . L'analogie est au cœur de la démarche de
lièrement, ses articles les l'auteur : le Carré va rencontrer Lineland (la ligne,
plus marquants sont réor- qui ne comporte qu'une seule dimension) et ses habi-
ga nisés e n c h a pitres et tants , ainsi que Pointland (le point) et son occupant-
publiés dans un ouvrage univers. La Sphère va ainsi faire comprendre au Carré
de la Bibliothèque scien- comment engendrer une dimension supplémentaire.
tifique de Belin . C 'est le Le Carré va alors lui suggérer qu'il n'y a pas de rai-
cas de ce livre, qui constitue par ailleurs une intéressante son de s'arrêter à trois dimensions, et que Spaceland
introduction grand public à Tout - les rêves mathéma- n'est peut-être qu ' un monde inclus dans un autre qui
tiques d'une théorie ultime (pour public plus averti), comprend en fait un nombre de dimensions plus
consacré à une quête des fo nde ments des mathéma- important encore. Ce qui fâchera la Sphère, qui refuse
tiques et de la logique (voir Tangente 145). une telle remise en cause de son propre univers ...
Les thèmes classiques chers à l' auteur sont présents : Les coutumes en vigueur à Flatland, cruelles et impla-
l' infi ni , les ensembles, les limites de la logique, l' in- cablement logiques, sont à coup sûr une acerbe cri-
complétude, les paradoxes ... Pour chacun d 'eux, Jean- tique de la société victorienne de l'époque d' Abott :
Paul Delahaye nous informe, en une dizaine de pages, le système est organisé en castes (en fonction du
d 'un développement récent, avec le talent qu ' on lui nombre de côtés des polygones qui peuplent Flat-
connaît. On trouvera également un portrait réussi du land et de leur régularité), et tout en bas de l'échelle
mathématicien prodige Terence Tao (l ' article , paru en sociale se trouvent les soldats (Triangles avec un
avril 2010 , aurait quand même gagné à être actualisé ... ). angle très saillant) et les femmes (simples Segments,
Deux articles passionnants, sur des sujets rarement abor- elles sont quasiment dénuées de toute forme d'intel-
dés, méritent particulièrement le détour. L' un est consa- ligence , car non éduquées, car simples Segments ... ) .
cré au « théorème des mineurs » (dans toute suite infinie Enfin , l'empathie n'est pas de mise, car seul prévaut
de graphes, l'un est le mineur de l'autre), dont la démons- l'ordre social établi. Avec des conséquences souvent
tration a nécessité une vingtaine articles s'étendant sur absurdes ou terribles, notamment pour les malheureux
plus de vingt ans (voir Mathématiques discrètes et Com- Triangles en bas de l'échelle sociale ou les Polygones
binatoire, Bibliothèque Tangente 39). Un autre est consa- qui tenteraient de faire évoluer le système.
cré à la topologie et à la géométrie des sculptures de La maquette de cette nouvelle édition est habile, avec
ballons gonflables : on trouve en effet des mathéma- une couverture qui peut « prendre de la hauteur » (les
tiques « très sérieuses » derrière ces assemblages que les lettres du titre, prédécoupées, peuvent être relevées)
enfants s' arrachent sur les fêtes foraines ! Un sujet idéal et une mise en page du texte qui laisse apparaître des
pour un atelier en collège , et un article qui à lui seul figures géométriques.
mérite que l'on recommande chaudement l'ouvrage.
Flatland - Fantaisie
La logique, un aiguillon en plusieurs dimensions,
pour la pensée, par Edwin Abbott Abbott,
par Jean-Paul Delahaye, Zones sensibles, 160 pages,
Belin , 200 pages , 201 2, 27 euros . 2012, 19,50 euros.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingente


HISTOIRES par Alain Zalmanski

Des imaginaires
parfois complexes
Comment bien calculer avec des outils... impossibles ? Au
commencement était le nombre, et le nombre était naturel, et le
nombre était entier. Puis vint le nombre réel, jusqu'à ce que l'on
s'aperçoive qu'un réel n 'estjamais qu'un complexe qui s'ignore !

' maticien René Descartes qualifiait encore

L
ensemble N des entiers natu-
rels permettait d'associer des de « fau sses » ou « moindres que rien »
nombres à des quantités néces- les solutions négatives d' une équation .
saires à la vie : hommes, distances, mon- À la fin du xvne siècle, Lazare Carnot
naies ... Mais vint la nécessité de partager, écrivait : « Avancer qu 'une quantité
d'où sans doute l'apparition de l'en- négative isolée est moindre que zéro ,
semble des nombres rationnels, qui sont c'est couvrir la science des mathématiques,
représentés par des fractions avec un qui doit être celle de l'évidence, d 'un
numérateur et un dénominateur entiers. nuage impénétrable et s'engager dans
La première utilisation nous vient appa- un labyrinthe de paradoxes tous plus
remment des Égyptiens. L'ensemble "1L bizarres les uns que les autres.» Qu 'au-
des entiers relatifs, qui sont munis d' un raient-ils donc pensé des nombres ima-
signe positif ou négatif, fut ensuite intro- ginaires ou des nombres complexes ?
duit essentiellement pour avoir la possibilité
de résoudre toutes les équations de la Pas si compleKes que ça ...
forme a+ x = b, où x est l'inconnue et
a et b sont des paramètres . Pourtant, les nombres complexes sont nés
Bien que découverts en Chine deux vers 1545 de l'imagination du mathé-
siècles avant notre ère, les nombres néga- maticien italien Jérôme Cardan à l'oc-
tifs furent longtemps acceptés avec réti- casion de la résolution de l'équation
cences par les mathématiciens . Ils ne x (x - 10) + 40 =0. Il trouve deux racines,
commencent à travailler avec qu'au xve 5 + -J-15 et 5 - -J-15, qu'il appelle
siècle, et ils les appellent numeri absurdi « sophistiquées », en faisant remarquer
(les nombres absurdes), en leur refusant que le produit de ces deux nombres
le statut de solution d' une équation. Au donne 40 bien que l'équation soit théo-
xvue siècle, le philosophe et mathé- riquement impossible à résoudre . Cet

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

outil va vite se révéler très utile dans la tés imaginaires par une construction
résolution des équations du troisième géométrique. Il s' agit d' un nombre réel
degré du type x 3 +px+ q = 0 , en les positif, noté lzl, qui mesure sa« taille »
ramenant à la somme des racines cubiques et généralise la valeur absolue d'un
des deux solutions de l'équation du nombre réel. Le module de z est donné
second degré. par lzl = .Ja 2 + b2 • Tout nombre peut être
Mais le véritable créateur de la théorie représenté dans le plan en traitant a + bi
des nombres imaginaires est Rafaele comme un vecteur de coordonnée réelle
Bombelli qui, en 1572, met en place les a sur l' axe horizontal et de coordonnée
règles de calcul sur ces quantités que l'on imaginaire bi sur l'axe vertical. Ainsi, le
appelle alors « impossibles » avant de nombre complexe A correspondant à
leur donner le nom d' « imaginaires » . 3 + 2i aura un module de 13 et pourra
Il invente deux opérateurs qui, à côté des également être caractérisé par l' angle a
signes+ et -, permettent d'ajouter ou que fait le vecteur OA avec l' axe des
de soustraire des racines de nombres réels . Cet angle est appelé argument et
négatifs. sa tangente a pour valeur b /a.
Il faut cependant attendre les xvmeet lm
XIXe siècles avant que les grands noms
des mathématiques - Euler, Wessel,
Argand et Gauss - ne mettent au point rcosO
z =x + iy
les nombres complexes. Cette extension y
des nombres réels permet enfin à Gauss ,
en 1799 , de démontrer de façon rigou-
reuse une des hypothèses fondamen-
tales de l'algèbre selon laquelle toute r sinO
équation polynomiale de degré n possède
n solutions.
Avec le symbole i, le corps des nombres
complexes se note IC et satisfait aux pro-
priétés d ' un corps commutatif. Il est X

constitué des nombres de la forme Le diagramme d' Argand visualise les


a+ bi. Si b = 0, les nombres appartien- deux représentations graphiques,
nent aux corps des réels. Si a = 0 , ce cartésienne ou polaire, des nombres
sont des imaginaires purs. On peut ajou- complexes, à l'aide du cercle trigono-
ter, multiplier les nombres complexes métrique.
comme les nombres réels , partie par par-
y
tie, et sans oublier que la définition de
i implique i2 = -1 . x+ iy
Ainsi, on aura par exemple
(5 + 15i)(5 - 15i) = 25 - 15 2i2 + 0
= 25 + 225
=250 ,
et de manière générale
(a+ bi)(c +di)= [(ac -bd) + (ad+ bc)i]. X
En 1806, Jean-Robert Argand introduit
et définit le module d'un nombre com-
plexe z afin de représenter les quanti-

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingeni:e


'
HISTOIRES Des imaginaires parfois complexes

C (0; 1) sont les sommets d'un triangle équila-


téral d'arguments O, 2rt/ 3 et 4rt/ 3. Pour
n = 4, les quatre racines, 1, i, -1 et -i ,
ont pour arguments respectifs Ort/2, rt,
3rt/2 et 2rt.
lm

o cosO

Cette représentation justifie le terme


d'opérateur que l'on peut donner à i.
Pour x = 1 et y =0, on a le vecteur unité
sur l'axe des x. Pour x = 0 et y = 1, on Partant d'une formule qui lui est attri-
obtient le vecteur unité sur l'axe y des buée , ei..t = cosx + i sinx pour tout réel
imaginaires. On a donc fait subir une x, Leonhard Euler (qui a introduit le
rotation de 90° à notre unité. Une nou- symbole i en 1777) pose x =rt et obtient
velle rotation de 90°, toujours dans le sens sans doute la plus remarquable et la plus
trigonométrique , amènera au vecteur fameuse identité des mathématiques :
unité de coordonnées (-1, 0). On passe ein + 1 =O.
donc bien du nombre 1 à -1 par une Les nombres complexes se révéleront
rotation de 180° correspondant à l' ap- très vite indispensables aux études pra-
plication de l'opérateur i répété deux tiques ou théoriques les plus diverses. Leur
fois, soit i2 . De même, on trouvera interprétation géométrique permet de
i3 =-i sur le cercle à 270°, et un retour démontrer plu s simplement de nom-
à 1 (=i4) par une dernière rotation de 90°. breuses identités trigonométriques et
une multitude de théorèmes de géomé-
Dessine-moi i mouton... trie plane. On leur doit le développe-
ment du calcul sur les intégrales elliptiques
On pourra également s'intéresser sur ce et des mathématiciens comme Cauchy,
même cercle aux racines de l'unité. Abel, Galois ou Riemann les utilisèrent
Comme une équation du énième degré intensivement.
possède n racines, il est légitime de cher- Les physiciens ne sont pas en reste et la
cher les racines énième de l'unité. Il mécanique quantique, l'électronique ,
s'agit des nombres complexes dont la l'optique, l'électricité, le magnétisme,
puissance énième vaut 1. Pour un entier l'acoustique, le calcul des flux, les théo-
n donné, toutes les racines énièmes de ries du signal en font un grand usage, tant
l'unité sont situées sur Je cercle unité et pour expliquer les phénomènes que pour
sont les sommets d' un polygone régu- simplifier les calculs.
lier à n côtés ayant un sommet de coor- Simplissimes alors ces complexes ! Fina-
données (1, 0). lement un réel n'est jamais qu ' un com-
Pour n = 3, les racines sont communé- plexe qui s'ignore.
ment appelées, hors l'unité , j et j2. Elles A.Z.

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par D. Delaunay et M. de Ruelle EN BREF

la construction
de l'heptagone
Est-il possible de construire à la règle et au com-
pas un heptagone régulier ? Si tel était le cas
alors le nombre x = cos 2rt/ 7 serait constructible.
Le centre d'un heptagone étant aussi l'isobary-
centre de ses sommets, on peut établir l'égalité
suivante par calcul barycentrique sur les abs-
cisses des sommets d'un pentagone de centre O
et dont I est sommet :

1 + cos 2rt/7 + cos 4rt/7 + cos 6rt/7


+ cos 8rt/7 + cos lOrt/7 ++cos 12rt/7 = 0
Impossible
Or, on a cos 12rt/7 = cos 2rt/7 = x,
cos lOrt/7 = cos4rt/7 = 2x2 - 1
de déchiffrer 1
et cos 8rc/7 = cos 6rt/7 = 4x 3 - 3x, Il semble que les transmissions cryp-
donc x est solution de l'équation tées qui circulent sur Internet ne soient
8x3 + 4x 2 - 4x - 1 =0. pas autant sécurisées qu'elles le pré-
tendent. C'est en tout cas ce que Edward
Cette équation ne possède pas de racines ration- Snowden nous apprend en affirmant
nelles. Ainsi, x est un nombre algébrique de degré que la National Security Agency amé-
3 et n'est pas constructible. ricaine (NSA) est tout à fait capable
de décrypter les échanges numériques
la règle qui l ' intéressent. Les mathématiciens
de la NSA auraient-ils découvert un
des triangles impossibles algorithme efficace permettant la fac-
torisation des grands entiers ? Ce ne
Un professeur de mathématiques facétieux demande semble en fait pas être le cas . La NSA
à ses élèves de définir trois angles quelconques, a plutôt exploité la puissance com-
puis de tracer un triangle à partir de ces trois angles. merciale des États-Unis pour imposer
Sans malice, les élèves ont longtemps tourné les au monde entier des algorithmes qui
angles dans tous les sens, mais n'y sont jamais arri- possèderaient des « portes dérobées »
vés . La raison en est simple: la somme des angles aidant au déchiffrement.
d'un triangle doit obligatoirement faire 180° .
Lors du cours suivant, le professeur récidive : il Les experts soupçonnaient déjà que le
demande à ses élèves de tracer trois segments de droite, Data Encryption Standard (le fameux
puis de construire un triangle dont les côtés seraient standard DES) comportait une infor-
précisément ces trois segments. Là encore, les élèves mation cachée. Cette fois-ci , ce sont
échouent. Mais quelle est la contrainte que doivent les protocoles de génération de nombres
vérifier les longueurs des trois segments afin qu ' ils pseudo-aléatoires qui sont suspects.
puissent exactement former un triangle ? Enfin, les clés de cryptographies des prin-
Notons a, b etc les longueurs des trois segments, cipaux acteurs de l'Internet seraient
avec a~ b ~ c > O. La construction n'est possible connues de la NSA.
que si a - b ~ c ou bien a ~ b + c.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


'
SAVOIRS par Hervé Lehning

Quand des systèmes élémentaires


sont impossibles
Les systèmes d'équations algébriques possèdent parfois une
solution unique, parfois plusieurs ( voire une infinité) et
parfois aucune. Dans ce dernier cas, le système est dit
incompatible car il est impossible de vérifier simultanément
toutes les équations qui le composent.

C
ertains systèmes sont incompa- Il est possible de le démontrer sans avoir
tibles de manière presque évi- recours à la géométrie . Si la première
dente. Considérons par exemple équation est vérifiée , alors x +y= 2 / 3 ,
le système de deux équations à deux ce qui implique que 2x + 2y =4/3 , qui
3x + 3y = 2 est différent de 3. Le système est donc
mconnues .
{ 2x+ 2y = 3 incompatible .
Il peut être interprété comme la recherche
de l'intersection de deux droites, celles Systèmes d'ordre trois
d'équations 3x + 3y = 2 et 2x + 2y = 3 .
Ces deux droites sont parallèles, car Le cas des systèmes d'ordre 2 est rela-
orthogonales au même vecteur de coor- tivement simple à reconnaître : les pre-
données ( 1, 1) . Elles ne se rencontrent miers membres des deux équations sont
donc pas. Le système est impossible. proportionnels mais correspondent à des
droites parallèles non confondues. Pre-
nons un exemple de trois équations à
2x + 4 y + 2z = 6
trois inconnues : 2x + 3y + 4z = 5.

! 4x +?y+ 6z = 9

Sa visualisation n'est pas simple ... et


ne peut venir qu'a posteriori. En revanche,
il est facile de remarquer que, si les deux
premières équations sont vérifiées, en
en faisant la somme, on obtient
Deux droites parallèles ne 4x + ?y + 6z = 11, ce qui contredit la
se rencontrent jamais. troisième.

Tc:r.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

A posteriori, il est plus facile de remar-


quer que les deux premières équations
représentent deux plans qui se coupent
selon une droite ... parallèle au plan
représenté par la dernière équation .

/
/
/
/

La distance de la droite au centre


du cercle est égale à OM = J2 ,
qui est supérieur au rayon
du cercle (égal à 1).
Le cercle et la droite ne se coupent
donc pas.

Une autre façon d'appréhender le pro-


blème est de dire que si la première
équation est vérifiée alors y= 2 - x.
Si la seconde l'est aussi, alors
.x2 + (2 -x)2 = 1, d'où 2.x2- 4x + 3 = O.
Trois plans parallèles à une même Cette équation du second degré a un dis-
droite n'ont aucun point commun. criminant strictement négatif, donc n'a
aucune solution réelle . Cette seconde
Impossible ... sous condition méthode montre que, dans ce cas, l'im-
possibilité n'est vraie que si on impose
Il est aussi possible de s'intéresser aux aux solutions d 'être réelles. Le système
systèmes d'ordre deux, mais de degré a deux solutions imaginaires :
supérieur, avec par exemple le système
X+ y = 2 X= 1 ± .fi_ i et y= 1 + .fi_ i.
• Il correspond à l ' inter-
2 2
{ x 2 + y2 = l
section d'une droite et d'un cercle. Pour H.L.
examiner s'il possède une solution, il
suffit donc de calculer la distance de la
droite au centre O du cercle, afin de la
comparer à son rayon.

Cette distance est réalisée par la pro-


jection M de O sur la droite. Sans cal-
cul, on remarque que ce point a pour
coordonnées ( 1, 1). La distance est donc
égale à .fi. > 1. La droite ne coupe pas
le cercle. Le système est impossible.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingente


SAVOIRS par Jacques Bair

Sgstèmes linéaires impossibles


et inuerses généralisés
Lorsqu'un système linéaire n 'est pas résoluble, il n 'est
évidemment pas possible de lui trouver de solution ; pour
cela, il est parfois qualifié d'« impossible ». Dans la pratique,
on rencontre effectivement des systèmes impossibles. Que
faire concrètement dans pareille situation ?
out ut1hsateur de mathématiques une bonne précision). Mais dans ce

T a un jour dû résoudre un système


d'équations linéaire. Un système
linéaire quelconque (S), à m équations
numéro, évidemment, on s'intéresse au
cas où « ça se passe mal » : les équations
de (S) sont incompatibles. On dit alors
et n inconnues, se présente sous la forme que le système est impossible, tout
suivante: simplement parce qu'il n'est pas possible
a, .1x 1 + a 1•2x 2 + ... + a, .,. xn de trouver une solution vectorielle de

l
= b1
(S) :
cette équation (c'est-à-dire un vecteur X
tel que AX et B coïncident). Dans ce
am ,1X 1 + am ,2 X2 + ... + am.,.Xn = b"' cas, à défaut de pouvoir trouver un
Si l'on regarde les n inconnues vecteur X pour lequel la différence
x 1, x2 , •. . , xn comme les composantes A X - B s'annule exactement, on peut
d' un vecteur colonne X, les m termes se rabattre sur la recherche d'un éventuel
indépendants b 1, b2 , • •• , bm comme celles vecteur X tel que A X - B soit « le plus
d'un vecteur colonne B, et les coefficients petit possible». Mathématiquement, il
a;J comme les éléments d'une matrice s'agit de trouver X tel que la grandeur
A comprenant m lignes et n colonnes, alors positive (ou norme) IIAX - BII soit
le système (S) prend la forme matricielle minimale, ou, ce qui revient au même,
suivante : de rechercher le minimum du carré
AX = B. de cette norme, qui peut s'écrire
matriciellement sous la forme
la fin d'un système IIAX-B ll 2 = 1(AX-B) X (AX-B)
Illustrons le problème par un exemple
Dans le cas « favorable », celui où élémentaire, celui fourni par le système
m = net A est inversible, de nombreuses linéaire suivant à trois équations (m =3)
méthodes existent pour trouver X en et deux inconnues (n = 2) notées ici
pratique (c'est-à-dire rapidement et avec simplement x et y au lieu de x 1 et x2 :

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

X+ y= 1 Minimisation d'une fonction


!
y=l
x=2
à deux variables
On peut écrire ce système matriciellement, Pour trouver le minimum d'une fonction! suffisamment
sous la forme A X =B, en faisant appel régulière à deux variables x et y, il convient d'abord (dans

l
(1 1\ les situations les plus courantes) de résoudre le système

~ ~J
obtenu en annulant les deux dérivées partielles af/ ax et
à la matrice A = af/ ay. On obtient de la sorte un point stationnaire pour
f Un tel point assure le minimum de la fonctionflorsque
celle-ci est convexe. C'est le cas pour l'exemple traité dans
et aux vecteurs X = ( :)
le corps du texte.

Il est clair que ce système est impossible,


Ce vecteur colonne X n' est rien d'autre
car le vecteur X= ( ~) que le produit de l' inverse généralisé
A+ de A par B (voir en encadré). On
est le seul qui puisse vérifier les deux peut notamment vérifier que :
dernières équations, mais il ne satisfait
pas à la première .
Cherchons à rendre la plus petite possible
la norme du vecteur colonne AX - B , Cet exemple simple est en réalité un cas

l
(x+y-1\ particulier d' un résultat plus général :
si le système linéaire A X = B est
qui est égal à y- 1 J. impossible, alors il possède une meilleure
x -2
approximation de solution (au sens des
Cela équivaut à minimiser la fonction!, moindres carrés) , à savoir le vecteur
en les deux variables x et y, dont les X =A+ B. En particulier, pour tout vecteur
valeurs donnent le carré de la norme , X à n composantes, on a:
soit la fonction définie par : IIA(A+B)- BII s IIAX-BII .

f(x,y)=(x+y- I)2+(y-1) 2 +(x-2)2 . Cet énoncé est souvent utile dans la


pratique. C ' est notamment le cas en
Ce problème classique d'optimlsation économie (et particulièrement en
admet pour solution le vecteur X dont économétrie) lorsqu ' une grandeur
les composantes vérifient les relations économique Y est reliée à d'autres
suivantes (voir en encadré) : grandeurs X l' X 2 , ... , XP grâce à une
2(x + y - 1) + 2(x - 2) = 0 égalité de la forme
{ 2(x + y - 1) + 2(y - l) = 0 Y=À.0 +). 1X 1 +À 2X 2 + ... +ÀPXP.

Les spécialistes appellent parfois Y la


soit encore: (~ ~) (:) = G) . variable endogène parce qu 'elle est
censée être expliquée par le modèle affin
On trouve ainsi : adopté, tandis que les variables
X 1, Xi, ... ,XP sont qualifiées d' exogènes
x= .!.3 (-12 -1)
2 2
(3) = .!.3 (4)1 . car elles ne sont pas fixées par le modèle .
Un problème concret consiste à estimer

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Systèmes linéaires impossibles

Inverse généralisé
Une matrice carrée A de déterminant non nul possède un et un seul inverse, noté A -i,
qui se caractérise par les propriétés suivantes (ou I désigne la matrice identité comportant autant de
lignes et de colonnes que A) :

d'où évidemment
AA-1 A = AetA- 1 AA- 1 = A- 1 •
Pour voir comment généraliser ce concept au cas de matrices quelconques, analysons un exemple

sllllple , relui de la matriee A renoonb"ée dans l'artide, A -l; :


(1 11

Introduisons la matrice gramienne de A, à savoir la matrice G = t AA = (:

Cette matrice est carrée, symétrique et inversible.

.
Son mverse G-1 d ,
est onnee par :
G-1
=
1 ( 2
-l
3 -1
-1 \
2

2
On construit ensuite la matrice C suivante : C = G "1 t A = .!.. (l l -l \J
3 1 2 -1 .

C est visiblement un inverse à gauche de A, puisque CA= G- 11AA = (1AAr 1 (1AA) = 1.


Il en résulte évidemment que ACA = A et CAC= C.
Toutefois, l'unicité de l'inverse à gauche n'est nullement garantie ! De fait, le système linéaire XA = 1
d'inconnue X possède une infinité de solutions, qui peuvent être mises sous la forme générale

X = l(1-a a-1 a\
-P 1+p P
) pour deux réels a et Ppouvant être pris arbitrairement.

Au contraire du produit XA = 1, la matrice AX =


n'est généralement pas symétrique.
-P
1 _ a
l
(1-a-P a+P a+p\
1+/J
a-1 J !
Elle l'est si, et seulement si, a= 2/ 3 etp = 1/3, c'est-à-dire si, et seulement si, X= C.
En résumé, il existe une matrice Cet une seule telle que ACA = A, CAC= C,
AC et CA sont symétriques.

Un tel exemple a conduit les mathématiciens Moore et Penrose à introduire la définition suivante. Pour
une matrice A quelconque, comprenant m lignes et n colonnes, on appelle inverse généralisé (ou
encore pseudo-inverse) de A une matrice, notée ici A+, qui possède n lignes et m colonnes et vérifie
les quatre propriétés suivantes : AA+A= A, A+ AA+ =A+, AA+ est symétrique et A+ A est symétrique.
L'inverse d'une matrice carrée de déterminant non nul vérifie ces quatre conditions, de sorte que le
concept de pseudo-inverse généralise bien celui d'inverse d'une matrice régulière. Par ailleurs, toute
matrice (non nulle) possède un inverse généralisé et un seul.
Dans le cas particulier d'une matrice A possédant m lignes et n colonnes, avec m > n, et de rang égal
à n (comme c'est le cas pour les exemples traités dans cet article), on a A+ = (1AAr11A.

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


« au mieux » (en un sens à préciser) les
paramètres À.0 , À I' ... , ÀP à partir de n
observations (multiples) pour les p + 1
variables Y, Xi, X 2 , . .. , XP.
Le modèle retenu n 'est év idemment
qu'une approximation de la réalité : pour
chacune des n observations, il existe un
écart , appelé résidu, entre la valeur
observée de la variable endogène et la
valeur calculée à l'aide de la fonction affine
dépendant des variables exogènes. Plus
précisément, notons Y;, x?, x? , ... , x?> Le mathématicien américain Le mathématicien britan-
la /me observation des variables Y, X 1, Eliakim Hastings Moore nique Roger Penrose
·
X2 , ... , XP respectivement, et e; 1·ème
e t (1812--1900). (né le 8 août 1931).
résidu, égal à
1 2
e; =Y;-(À 0 + À. 1x/ >+ À2x/ >+ .. . + \xt>) présente qu'une seule variable exogène,
pour tout entier i compris entre 1 et n. notée X (ici sans indice). Par exemple,
Ces n égalités peuvent s'éc rire , pour fixer les idées, il s'agit de relier le
matriciellement, sous la forme condensée prix Y à la production X d'une céréale
sui vante : Y= MA + E, où l'on désigne au moyen d'un modèle de type affin
par Y le vecteur colonne des observations (c'est-à-dire, donc, du premier degré) .
de la variable endogène, A le vecteur À cet effet, on dispose de n mesures
colonne des paramètres, E le vecteur conjointes (xi, y 1), (x2 , y 2), .. . , (xn, Yn).
colonne des résidus et M la matrice En d ' autres termes, on connaît, pour
(complétée) des observations des variables tout i = 1, 2, ... , n, la quantité produite
exogènes. Dit autrement: X; et le prix Y;- Il s'agit d'estimer les
paramètres À.0 et À I intervenant dans le

Y·[:],A·[H E-[]
modèle (à savoir, Y= À. 0 + À. 1 X) en
« respectant le mieux possible » les
et
données observées.
Idéalement, évidemment, on devrait
(1 X (I) x<2J xiP )\ avoir Y;= À.0 + À. 1X; pour tout i = 1, 2, ... ,
1 2
X {I) x<Zl n. Mais une telle éventualité ne se produit
2 2

M-l: X( I )
n
x<Zl
Il
'\")
x<Pl
n
quasiment jamais. En effet, les n égalités
envisagées ci-dessus forment un système
linéaire (S) den équations, en les deux
inconnues À.0 et À 1, qui est généralement
La méthode classique, dite des moindres impossible.
<:f!:.rr~, c~nsite à~stimer des valeurs Une interprétation géométrique de cette
Àu, .\ , À.z , ... , \ des para mètres de situation est facile à donner. Chaque
manière à rendre minimale la somme couple (x;,Y) peut être vu, dans le plan,
des carrés des résidus, qui est égale à : comme étant le point P; d 'abscisse X; et
d'ordonnée Y;· Le système (S) en question
I" e;
i- 1
= 'EE = '(Y - MA)(Y - MA). est résoluble si et seulement si les n
points P; sont alignés . .. ce qui est
Pour mieux comprendre ce problème, rarement le cas en pratique ! La méthode
considérons le cas particulier où n'est préconisée revient alors à chercher la

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Systèmes linéaires impossibles

droite du plan qui « ajuste au mieux » dl ' "des X; , smt


e a sene ·-x = lLi
f X;, tandis -
les points P; fournis par les observations. n i• I
Le critère retenu est celui de la que x 2 est celle des carrés des X; ,
- 1"
minimisation de la somme des carrés ou 2 = -x }:x;.
des résidus, c 'est-à-dire des écarts e; n i• I
entre le point P; et le point d'abscisse Le déterminant de G est égal à
I G 1 = n (x - x ) = n s; où s; désigne
2 2 2 2
X ; qui est situé sur la droite cherchée
(donc à l' ordonnée Y;= À.0 + À. 1 x;). la variance de la série des X; ( ou encore
Le résultat obtenu est bien connu : il le carré de l'écart type correspondant).
s'agit de la droite des moindres carrés. Généralement, cette variance n'est pas
y nulle, auquel cas la matrice gramienne
G est inversible. En conséquence, on
peut alors écrire (vu ce qui précède et
l'encadré) :

l~)
A ( ~ \

1
A = = ff (' A)Y
2
n (x - x\ ( 1 1
= ns; l-x
2
J ) X, X2

X
En recourant encore à des notation s
Son équation est fournie par le théorème usuelles en statistique , à savoir
énoncé précédemment. En effet , la 1 n - 1 n
y=-}: et xy =-}: x;Y; ,
meilleure approximation (au sens des n ;.1 n ;.1
moindres carrés) de la solution de (S) est on dispose alors de cette relation sous
fournie par : forme matricielle :
\i \ 1 ( x2 -x\ ( Y\
l~J
A ( ~\
A (

A= = A +Y, A=lx;J=s;\-x i)~xy)

avec A =
( ~ =~J\
: : et Y =
l( ;~
:
J\ .
l 1 x" Yn
Or, la matrice gramienne G de A est On retrouve ainsi les paramètres de la
donnée par: classique droite_jes moindres carrés, à
G= 1AA savoir la pente Â.1 de-5:ette droite et son
1
x,,
1) li:. ::J\. ordonnée à l'origine \i .En faisant appel
à la covariance, notée s x,y• de la série
double formée des couples (x;,Y;) , définie
1 xn
par Sx.y =.!_!(X; - x )(yi - y)
n i- 1
on obtient effectivement les formule s
(classiques) :
~ s ~ ~

)., = ~ et Ào = y - Â.1:X.
s;
où x désigne la moyenne arithmétique J.B.

Ta.ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Norbert Verdier EN BREF

Résoudre Et après ? Galois !


les équations polynomiales
les équations de degré 1 ou 2
Pour résoudre une équation du premier degré, de la
forme ax + b = 0 (avec a non nul), passons b « de
l'autre côté » et divisons par a . Vient la seule solution :
x = -b/ a. Qu'en est-il de ax2 + bx + c = 0 (avec a non
nul) , l'équation de degré 2? On calcule le discriminant
(Li= b2 - 4ac) : s'il est strictement positif, on a deux
.
racmes avec 1es f ameuses "1ormules -b ±..M ; s ' 1"l est
2a
nul, les deux racines sont égales et valent-b / 2a et s'il
est négatif, il n'y a pas de racines réelles. Sinon, si
nous envisageons des solutions complexes, il y a deux Parmi les nombres réels, il y a les rationnels
. l . , -b ±i..M et les irrationnels. Ainsi, :Jt, le nombre qui
racmes comp exes conJuguees: .
2a multiplié par le diamètre d'un cercle donne
Ces équations du premier et du second degré (avec des la longueur de ce cercle, n'est pas rationnel.
coefficients entiers) permettent de fabriquer les nombres Parmi les irrationnels, on distingue les nombres
naturels (0, 1, 2, 3 ... ), relatifs (les précédents et leurs algébriques (solutions d'une équation du
négatifs : -1, -2, -3 ... ), rationnels (quotients de deux type a0 + a 1x + a.;2 + ... + a,i' =0,
relatifs, comme 3 / 4 ou -6/7) et tous les nombres algé- où les a; sont des entiers et an est non nul) et
briques de degré 2 (c'est-à-dire solution d'une équa- les nombres transcendants (qui ne sont solu-
tion de degré 2, comme Ji, qui solutionne x2 = 2). tions d'aucune de ces équations), comme :Jt.
La théorie de Galois permet alors de faire

l'arriuée des racines énièmes une distinction entre les nombres algébriques.
Il y a ceux qui sont exprimables par radi-
Les équations de degré 3 se résolvent avec des for- caux, c'est-à-dire s'écrivant avec une for-
mules (dites de Cardan) certes plus compliquées que mule contenant un nombre fini d'additions,
celles disponibles pour le degré 2, mais avec, au cœur, de soustractions, de multiplications, de divi-
la même idée : les solutions s'expriment à l'aide des sions et de radicaux. Et il y a les autres, ceux
coefficients de l'équation et d'un nombre fini d'opé- ne s'exprimant pas qu'avec des signes+,-,
rations usuelles (additions, soustractions, multiplications, x, /, et des radicaux. Évariste Galois et ses
divisions et extractions de racines, cubiques ici). Pour successeurs étudient les équations en délais-
le degré 4, c'est analogue! On peut résoudre (c'est-à- sant les solutions au profit des «symétries »
dire ici exprimer par radicaux) les solutions . Entraî- les unissant ou non (c'est l'apport premier de
nés dans une implacable mécanique, nous pourrions la théorie des groupes) et en montrant qu'en
croire que la résolution d'une équation de degré 2 général, à partir du degré 5, elles ne sont plus
repose sur une extraction de racine carrée, que celle d'une résolubles par radicaux.
équation de degré 3 résulte d'une extraction de racine
cubique, puis ensuite entrent en valse les extractions Référence
de racines quatrièmes, cinquièmes, sixièmes, et tutti Galois, le mathématicien maudit.
quanti. Norbert Verdier, Belin, 2011.
Ce n'est pas le cas.

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tangente


par Raymond Queneau

Raymond Queneau et
les équations de degré 5
Pour les équations algébriques polynomiales de degré 1, 2, 3
ou 4, il existe des formules de résolution. Qu'en est-il pour
une équation de degré 5 ? Laissons Raymond Queneau nous
expliquer ce qu'il en est.

« À partir du - Comment?
- En faisant des calculs.
cinquième degré - Mais lesquels ?
rien ne va plus. » - Eh bien, des additions, des soustrac-
tions, des multiplications, des divi-
e narrateur du

L roman Odile, de
Raymond
Queneau (Gallimard,
sions.
-Et encore.
- Il y en a plus de quatre ?
- Je crois.
1937), est un jeune étu- - Ah oui, c'est vrai, il y a encore extra-
diant solitaire exclu de ire une racine, comme faisait le savant
l'université pour avoir Cosinus.
triché à un examen. - Ce qui est l'opération inverse de
Rejeté par sa famille, il l'élévation à une puissance.
passe le plus clair de son [ ... ]
temps à travailler seul - Combien d 'opérations ferez-vous
les mathématiques, sans pour calculer votre inconnue ?
espoir d'être reconnu. - Comment, combien ?
Raymond Queneau Noyant sa morosité dans un bistrot, il - Eh bien oui, combien ?
photographié par discute avec Saxel, le garçon de café. - Est-ce que je sais, moi !
Emmanuel Rudzitsky,
- Un nombre fini ou un nombre infini
dit Man Ray. « Vous savez ce que c'est que résoudre d'opérations ?
une équation ? - Un nombre infini : vous en avez de
- Il me semble. bonnes, est-ce qu'on aurait le temps ?
- Dites-le voir. - Voilà le bon gros sens qui parle. Mais
- Hem. C'est trouver la valeur de l'in- je vous avertis qu'en analyse, par
connue. exemple, on envisage constamment des

!9 T«ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!
expressions impliquant un nombre infi- degré une racine sixième, et ainsi de
ni d 'opérations. suite. C 'est logique, non ?
- Vous m 'humiliez. Logiquement simple, non ?
- Mais puisqu 'il s'agit d 'opérations - Non. Â partir du cinquième degré
algébriques, nous ne sortirons pas du rien ne va plus.
domaine del 'algèbre et nous envisage- - Il n '.Y a pas de raison !
rons la résolution des équations qu'au - Il est impossible de résoudre algébri-
moyen d 'un nombre fini d'opérations quement les équations d 'un degré
algébriques et notamment de radicaux. supérieur au quatrième, excepté dans
[ ... ] des cas très particuliers. L 'équation
- On continue alors, sur quoi porteront générale, on ne peut pas.
ces opérations ? - C'est qu 'on ne sait pas s '.Y prendre.
- Pas difficile de répondre ! Sur ce - On le démontre.
qu'on connait. - Mais c 'est scandaleux. »
- Sur les quantités connues. R.Q.
- C'est ce que je disais.
- Très bien. Maintenant que nous Extrait reproduit avec l'aimable autori-
avons une idée nette de ce que c'est sation des Éditions Gallimard.
que résoudre une équation, envisa-
geons la résolution de l'équation du
premier degré.
- C'est enfantin, s'écria Saxel, il y a
iuste une division à faire. Je connais
parfaitement le truc, je l 'ai appris d 'un
professeur poivrot dont la barbe sen-
tait la prise pouah ! c'était dégoûtant.
Vous savez j'étais toujours premier en
math au lycée.
- Alors vous êtes allé jusqu 'au second
degré?
- Si j '.Y suis allé ! Moins bé plus ou
moins racine carrée de bé deux moins
quatre acé sur deux a, toc : et voilà !
Giou glou glou glou, elle est bonne
leur bière.
- Et qu'est ce qui vous paraît remar-
quable dans cette formule ?
- Mon intelligence devient extrême : la
racine carrée. La racine carrée, voilà
ce qui est remarquable. Et je vois
maintenant où vous voulez en venir:
c'est lumineux c'est simple c'est beau.
Pour l'équation du troisième degré il
faudra extraire une racine cubique,
pour le quatrième degré une racine
quatrième, pour le cinquième degré
une racine cinquième, pour le sixième

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tangente ~


SAVOIRS par Jean-Pierre Friedelmeyer

les équations de degré



c1n ou us
La quête de la résolution par radicaux des équations polyno-
miales de degré 5 ne commence ni ne finit avec Abel ou Galois.
Dès la Renaissance, en Italie d'abord, en France ensuite, de
nombreux savants ont cherché à percer les secrets des racines
des polynômes.
epuis le milieu du xv1e siècle, supérieurs. De Moivre, suivi par Euler,

D on sait résoudre les équations


polynomiales de tous les
degrés jusqu'au quatrième, mais
réussit ainsi à résoudre certaines équa-
tions du cinquième degré en calquant
la démarche sur celle du troisième.
durant plus de deux siècles et demi, les
Cardan arrivait à résoudre )'équation
mathématiciens buteront désespéré-
ment sur la résolution de l'équation du
.x3 + 3px + q = 0 en posant deux incon-
nues auxiliaires u et v telles que u + v = x .
cinquième degré. Dans un livre publié
L'équation s'écrit ainsi, après transfor-
en 1545 (Ars Magna), Cardan et son
Girolamo mation :
élève Ferrari avaient fait connaître des
u + v + q + 3(u + v)(uv + p) = O.
Cardano 3 3
méthodes et des formules déjà prati-
(1501-1576). Cette égalité est satisfaite en prenant
quées plus ou moins secrètement par 3 3
u + v = -q et uv = -p, ou encore
plusieurs mathématiciens italiens,
u + v =-q et u 3 v3 =-p3. Cela ramène
3 3
comme Tartaglia ou Scipion del Ferro .
le problème à trouver deux nombres
Il était dans la logique de l' activité
dont on connaît la somme et le produit,
mathématique de chercher une métho-
donc à une équation du second degré ,
de , analogue ou différente, pour les
et en fin de compte aux fameuses for-
équations de degré supérieur.
mules de Cardan :
Résolution à la Cardan X=
3-q+Jq2+4p2 3 -q-Jq2+4p2
+
2 2
Tout au long des XVIIe et XVIIIe Par exemple, l'équation .x3 - 6x- 16 = 0
Ludovico siècles, les recherches se succèdent, a pour unique solution réelle celle défi-
Ferrari améliorant les méthodes existantes et nie par x=~8+.,J56 +~8-.J56 .
(1522-1565). cherchant à les généraliser aux degrés L' imitation de cette démarche convient

Ta.n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

également à certaines équations du cin- ne forme présumée de l'écriture des


quième degré, celles du type solutions calquée sur les exemples de
x5 + 5px3 + 5p 2x + q =0, où pet q sont degré trois ou quatre, mais qui visible-
des coefficients pour le moment indé- ment ne correspondaient qu'à des
terminés. Ici également, en posant équations tout à fait particulières .
x = u + v, l'équation se transforme en
Ainsi, depuis Cardan, plus de deux
u5 + v5 + q + 5(u + v)(uv + p)[(u + v) 2 -
siècles s'étaient écoulés sans réel pro-
uv + p] =0, laquelle est vérifiée en pre-
grès significatif dans la résolution
nant u5 + v5 = -q et uv = -p , ou encore
générale des équations polynômes. Il Niccolo
u5 + v5 =-q et u5v5 =-p 5 • Donc u5 et v5
fallait en finir ! Dans un ample mémoi- Fontana
sont racines de l'équation du second
re intitulé Mémoire sur la résolution Tartaglia
degré t2 + qt - p5 = 0, c'est-à-dire que
des équations algébriques publié en (1499-1557).
x = s -q +~ ~2 +4ps +~ -q - ~~2 +4ps deux temps (en 1770 et 1771), le
mathématicien Joseph-Louis Lagrange
Par exemple, l'équation s'attaque au problème sous un autre
angle : au lieu de chercher directement
x5 - 5x3 + 5x - 20 = 0 admet la racine une méthode de résolution des équa-
tions de degré 5, il fait l'inventaire
X=~10+3J1Ï +~10-3J1Ï,
minutieux de toutes les méthodes exis-
d'ailleurs unique racine réelle. tantes pour les degrés inférieurs et
Allant plus loin, dans un mémoire cherche à comprendre quelles sont les
publié en 1764 dans les Nouveaux propriétés mathématiques et les idées à
Commentaires de Saint-Pétersbourg , l'œuvre qui conditionnent la possibili-
Leonhard Euler propose une classe té de cette résolution. Il dégage de cette
plus élargie d'équations du cinquième investigation une idée forte : ces
degré à coefficients rationnels réso- méthodes réussissent en ce qu'elles
lubles par radicaux. Il donne entre construisent des équations intermé-
autres l'exemple x5-2 625x =61500, diaires (que l'on sait déjà résoudre),
qui admet la solution dont les solutions donnent des infor-
mations de plus en plus précises sur les
x =415(5 +4../w) +4225( 35 +11../w) + racines cherchées, jusqu ' à aboutir à
leur écriture effective sous forme de
4225(35-11../w) +475(5-4../w). radicaux.

De tels exemples ne pouvaient que Les permutations des racines HIE R ONYMI CAR
DAN! , PRAlSTA N TI UIMI MATHS
conforter les mathématiciens du 0

A'.il'.'inaÏ S MAGN"JE,
xvmesiècle dans la certitude que des lU
l VB Rl0VLl8
. . -. Q,,llr _ _ _ •ALOBBRAIC I..
.....___.,..
OPv • l"I.R'l'BC T VM
............ a.-.
méthodes et des formules de résolution L'équation x 3 + 3px + q = 0 a déjà été
des équations du cinquième degré résolue par la formule de Cardan . Mais
devaient exister, et de même, pourquoi adoptons le nouveau cadre de
pas, pour les degrés supérieurs. Lagrange, qui prend en compte toutes
Seulement voilà , personne n'avait les racines (réelles ou imaginaires, dis-
encore trouvé rien de tel pour une tinctes ou confondues). Faisons l'in-
équation à coefficients quelconques . ventaire des propriétés des racines de
Les exemples proposés par Euler cette équation . Le théorème fondamen- Ars Magna ,
étaient construits à partir d' une certai- tal de l'algèbre affirme qu 'elles sont au 1545.

Hors-série n° 49. Les maths de l"impossible TC1.n9ente


SAVOIRS

nombre de trois. Désignons-les par a, b une fonction des racines a, b et c est


et c. Alors .x3 + 3px + q se factorise en invariante par toutes les six permuta-
(x - a)(x - b)(x - c), et on obtient après tions, alors sa valeur peut se calculer à
développement, x 3 + 3px + q = x3 - l'aide des coefficients de l'équation
(a + b + c)x2 + (ab + be + ca)x - abc ayant pour racines a, b etc par l'inter-
et donc , en identifiant : médiaire des trois relations vues ci-
a + b + c=O,ab+bc+ ca =3p,abc =-q. dessus. C'est le cas pour y 1 + y 2 et y 1y 2 ,
qui font intervenir les six permutations.
Ces relations sont symétriques : elles sont
Un calcul un peu fastidieux fournit
Joseph Louis vraies quel que soit l'ordre dans lequel on
alors : y 1 + y 2 =-27q et y 1y 2 =-729p3,
Lagrange nomme ou place les trois racines (ce qui
ce qui permet donc de calculer y 1 et y2
(1736--1813). peut être réalisé de six manières diffé-
comme solutions de l'équation du
rentes) . Autrement dit, les relations entre
second degré i2 + 27q-729p3 = O. Il ne
a, b etc ne permettent pas de distinguer
reste plus qu'à résoudre le système des
entre ces six permutations. Lagrange
trois équations aux trois inconnues a, b
explique que si l'on sait résoudre l'équa-
et c du premier degré, a + b + c = 0,
tion du troisième degré, c'est parce qu'il
existe des fonctions de a, b etc qui permet-
tent de distinguer les trois permutations
a+ jb+ /c = efy; et a+ /b+ je= efy;
circulaires de a, b et c, à savoir (a b c), pour trouver les trois racines a, b et c
(b c a) et (c a b), que nous appellerons de l'équation initiale sous la forme de
« permutations du premier groupe », des radicaux.
trois autres permutations, (a c b), (c b a)
Lagrange en conclut que pour pouvoir
et (b a c), que nous désignerons par
résoudre une équation de degré n quel-
« permutations du second groupe » .
conque, en particulier les degrés 5 et
L' une de ces fonctions est
plus , tout le problème est ramené à trou-
f (a,b,c) = (a+ jb + /c )3, ver de telles fonctions des racines pre-
nant « peu de valeurs» lorsque l'on per-
où j = -l + i-,'3
2 mute de toutes les manières ces racines.
Et il démontre un premier théorème
est une racine cubique de l'unité (un
essentiel : si p désigne le nombre de
nombre complexe tel que
valeurs distinctes que prend une fonc-
j3 = 1, 1 + j + J2 = 0 et tion rationnelle de n quantités, alors p
-1-i/'3 ..,.
·2 divise n!. C'est la première formulation
} = = J).
2 du théorème dit de Lagrange et connu
Paolo Ruffini Avec ces relations, on obtient aujourd'hui sous la forme« si H est un
(1765-1822). sous-groupe d'un groupe fini G , alors
(a+ jb + /c )3 -( aj + b/ + c )3 -( a/ + b +je)'.
l'ordre de H divise l'ordre de G ».
c'est-à-dire que j{a, b, c) = j{b, c, a) =
L' idée de groupe n'est en effet pas
j{c, a, b). La fonction! garde la même
loin ! Le mémoire de Lagrange, bien
valeur pour toutes les permutations du
qu'il n 'aboutisse pas , débloque la
premier groupe. Par contre, les permu-
situation en mettant en évidence le lieu
tations du second groupe donnent une
où l'on peut progresser. Après lui , on
autre valeur :.f{a, c, b) =j{b, a, c) =j{c,
peut schématiquement suivre deux
b, a). Soient y 1 la première valeur et y 2
directions de recherche :
la seconde. Un théorème affirme que si

T«ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

chercher à mieux connaître les Ainsi, peu à peu , les outils se mettent
lois qui règlent la possibilité de en place qui permettront à Abel et à
résoudre les équations en s'attaquant à Évariste Galois de franchir les étapes
des classes particulières. C'est ce que décisives. Abel publie en 1826, dans le
fait Carl Friedrich Gauss, qui montre Journal de Crelle tout nouvellement
que l'équation .x"- 1 + .x"- 2 +... + x + 1 = 0 créé, une Démonstration de l'impossi-
(avec n un nombre premier) est tou- bilité de la résolution algébrique des
jours résoluble par radicaux. Il donne équations générales qui passent le
une méthode précise de résolution qui , quatrième degré. Tout en apportant
Augustin Louis
dans certains cas, fournit aussi la une réponse définitive à un problème
Cauchy
construction de certains polygones fort ancien, il pose deux nouveaux
(1789-1857).
réguliers . Cette méthode est basée sur défis : trouver toutes les équations d'un
le fait que toutes les racines peuvent degré déterminé quelconque qui soient
s'écrire comme puissance de l' une résolubles algébriquement ; juger si
d'entre elles. Ce résultat sera générali- une équation donnée est résoluble
sé par Niels Henrik Abel pour des algébriquement ou non.
équations dont les racines s'expriment
Malheureusement, il mourra prématu-
toutes rationnellement en fonction de
rément en 1829 à l'âge de 27 ans. Son
l'une d'entre elles. Chez Gauss , l'idée
œuvre sera relayée par un autre jeune
de groupe cyclique est à l'œuvre; chez
homme au destin aussi tragique,
Abel , c'est celle de groupe abélien (ou
Évariste Galois. Dans un mémoire inti-
commutatif) ;
tulé Sur les conditions de résolubilité
• continuer à travailler sur l'équa- des équations par radicaux, publié
tion générale du cinquième degré : officiellement seulement en 1846 par
trouver des fonctions de cinq variables Joseph Liouville, Galois pose les bases
prenant peu de valeurs distinctes par d'une théorie générale qu'il applique Évariste Galois
leur 120 permutations possibles . Un aux équations dont le degré est un (1811-1832).
premier résultat est donné par l'italien nombre premier mais qui fonde aussi
Paolo Ruffini qui, par l'examen systé- les deux concepts clés de ce qui est
matique de ces permutations, arrive à devenu la théorie de Galois (celui de
la conclusion que le nombre p de groupe et celui d'extension de corps).
valeurs que peut prendre une fonction
J.-P. F.
rationnelle de cinq variables ne peut
être égal ni à 8, ni à 4, ni à 3. Augustin
Louis Cauchy va s'appuyer sur ce
résultat pour créer sa théorie des sub-
stitutions, première ébauche d' une
étude des groupes de permutations . Il
généralisera le résultat de Ruffini en
démontrant que le nombre de valeurs
différentes d' une fonction non symé-
trique den quantités ne peut s'abaisser
au-dessous du plus grand nombre pre-
mier p contenu dans n sans devenir
égal à 2.
Niels Henrik Abel (1802--1829).

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta:ngent:e


SAVOIRS par David Delaunay

Un découpage
paradoMal et néanmoins rigoureuM
Des « découpages » théoriques conduisent à des résultats
d'autant plus paradoxaux qu'on ne peut pas les visualiser.
Ainsi, on peut démontrer mathématiquement qu'il est
possible de découper une boule en un nombre fini de
morceaux et de les réorganiser, sans déformation, pour
reconstituer deux boules identiques à la première !

découper la droite réelle pour en sépa-


rer les nombres rationnels des nombres
irrationnels. Bien que la démonstration
détaillée de ce résultat soit difficile, il est
néanmoins possible de présenter quelques-
unes des idées qui régissent la démons-
tration du paradoxe de Banach-Tarski.

Dédoublement de l'infini

Pour présenter comment il est possible


de « dédoubler l'infini », le mathéma-
ticien David Hilbert a eu l'idée d ' in-
e résultat connu sous l 'appella- troduire un hôtel comportant une infinité

L tion de paradoxe de Banach-


Tar ski est saisissant : il est
mathématiquement et logiquement pos-
de chambres , chacune numérotée de 1
jusqu'à ... l'infini. Supposons cet hôtel
complet. Malgré ce manque de place
sible de découper une boule en un nombre apparent , il est encore possible à l ' hô-
fini de morceaux et de les réorganiser, telier d 'accueillir un nouveau client: il
sans déformation aucune, pour recons- lui suffit de demander à chaque client
tituer deux boules parfaitement iden- occupant la chambre n de passer dans
tiques à la première ! Ce paradoxe a été celle de numéro n + 1, puis de propo-
découvert au début du :xxe siècle. Le ser la chambre 1 au nouveau client.
découpage correspondant, qui est incom-
patible avec la notion intuitive de volume, li~ l-· ·I
est cependant impossible à réaliser en pra-
tique: c'est comme si l'on demandait de L' hôtelier peut même accueillir une infi-

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ !

nité de nouveaux clients. En effet, il lui


suffit de demander à chaque client occu- la quadrature du cercle
pant la chambre numéro n de passer
dans celle numérotée 2n et d'exploiter de Tarski
les chambres libérées (en nombre infini) En 1925, Tarski pose le problème suivant: est-il possible
pour accueillir les nouveaux clients. de découper un disque en un nombre fini de morceaux et
de les réorganiser, sans déformation, pour reconstituer un
carré d'aire égale au disque de départ? Le mathématicien
hongrois Mikl6s Laczkovich a démontré en 1989 que cela
était possible. Son découpage comporte 1050 morceaux et
Dans cet esprit, il est possible de dédou- s'obtient lui aussi en exploitant l'axiome du choix !
bler les ensembles infinis, au prix d' une
certaine déformation. Complémentaire de S dans D
Considérons maintenant dans le plan un
disque D de rayon non nul et un seg-
ment [AB] de ce disque. Supposons la
longueur .e = AB du segment stricte-
ment infé rieure au rayon du disque et
observons qu ' il est possible de décou-
per le disque en deux morceaux et de
réorganiser ceux-ci, sans déformation ,
afin de laisser une place suffisante pour
accueillir le segment. Autrement dit :
observons qu 'il est possible par décou-
page d' intégrer le segment à l' intérieur
du disque !
Considérons pour cela un segment de S après rotation
longueur .e incl us dans un rayon du
disque . Faisons subir à ce segment une
rotation d'angle a à l' intérieur du disque
et répétons l'opération avec le segment
image obtenu , et de mê me avec ses
successeurs.
A f B
0...----0

Réunion des deux

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tc:ingent:e


SAVOIRS Un découpage paradoxal ...

chacun non vide, il est possible de déter-


miner une fonction qui associe à chaque
ensemble un élément de celui-ci : on dit
qu ' il s'agit d'une fonction de choix. Cet
énoncé n'est pas a priori choquant, mais
il cache une difficulté : obtenir une fonc-
tion de choix revient à effectuer une
infinité de choix simultanément ! Comme
cet axiome du choix permet de démon-
trer le paradoxe de Banach-Tarski, cer-
tains mathématiciens ont été tentés de le

..•
réfuter. Cependant, celui-ci est aussi
utile à la démonstration de résultats
mathématiques importants et , surtout,
il a été démontré dans la seconde moi-
tié du xxesiècle qu'il est indépendant
des autres axiomes définissant la théo-
rie des ensembles . Plus précisément, si
l'axiomatique de la théorie des ensembles
n'est pas contradictoire, alors elle ne le
En choisissant l'angle a de sorte qu 'au- sera pas plus si l'on accepte ou si l'on
cun de ses multiples ne soit multiple de réfute cet axiome du choix.
2n (cela revient à choisir a tel que Finalement, en acceptant de manipuler
a!n fl. 0), les segments obtenus par rota- l'infmi, le mathématicien s'éloigne consi-
tion ne se chevauchent jamais. Consi- dérablement de la réalité du monde qui
dérons alors l'ensemble S constitué de l'entoure. Mais comment refuser de mani-
ces segments et découpons le disque D puler l'infini sans perdre la richesse que
en la portion S et son complémentaire dans ce concept a apportée à l'édifice mathé-
D. En faisant subir au morceau S la rota- matique?
tion d'angle a, on libère, sans déforma- D.D.
tion, une place suffisante dans le disque Référence
pour accueillir le segment initial. • Le paradoxe de Banach- Tarski. Marc Guinot ,
Et si le segment est de longueur supé- Aléas , 2002.
rieure au rayon du disque ? Cela ne
change pas grand-chose : il suffit de
découper ce segment en plusieurs
segments plus petits et de reprendre
le protocole précédent avec chacun
d'entre eux !
Les idées qui précèdent ne suffisent pas
pour établir le paradoxe de Banach-
Tarski : il faut également faire usage
d'un résultat parfois contesté, l'axiome
du choix. Celui-ci stipule qu'il est tou-
Non sans humour, cet ouvrage détaille chaque
jours possible d'effectuer, en une fois, point de la démonstration du paradoxe,
une infinité de choix. Plus précisément, la rendant ainsi accessible à un étudiant en
si l'on dispose d'une infinité d'ensembles , deuxième année de licence mathématique.

Ta:ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par É. Busser et É. Thomas

Güdel et son époque liste, Anna Roth, et on apprécie


la vraisemblance du récit.
personnages que Yannick
Grannec, très documentée,
On ne s' attend pas , sous le titre Ancienne danseuse de cabaret fait vivre dans son récit, pour
la Déesse des petites victoires, à à Vienne , Adèle, la fameuse notre plus grand plaisir. É. B
lire un livre sur la vie du célèbre « déesse des petites victoires » ,
mathématicien Kurt Gode! ( 1906- qui a navigué « toute une vie en
1978). « Tricotage de faits objec- terre étrangère », celle des mathé- Yannick Gr:anncc

tifs et de probabilités subjectives » matiques, a consacré son existence La Déesse.,


comme le dit son auteure Yan- à protéger Kurt de lui-même et des petites viél:oires
Roman
nick Grannec dont c'est le premier a sans doute permis l'éclosion
roman , ce récit fait défiler sous de son talent mathématique et
nos yeux toute une époque. On se de son œuvre . Ces faits ressor-
prend à se passionner pour ce tent très bien de ce roman, écrit
récit qui couvre à la fois la Seconde d'une plume alerte et truffé d'al-
Guerre mondiale, la fuite des cer- lusions pleines d'humour aux
veaux vers les États-Unis et la mathématiques - à commencer
vie de toute l'intelligentsia de par le surprenant graphisme du
l'époque à l'Institute for Advan- flamant rose de la couverture - La déesse
ced Study de Princeton. Le tout et à leurs acteurs. Ils sont assez des petites victoires,
est raconté avec alacrité par Adèle vraisemblables et connectés à la par Yannick Grannec,
Godel, la veuve du mathémati- réalité pour qu'on y croie et se éditions Anne Carrière,
cien, à une jeune documenta- prenne de sympathie pour les 470 pages, 2012, 22 euros.

Tout est sujet la logique (d'Épiménide le Crétois très complet: les bons mots d'Os-

à paradoxes affirmant « Tous les Crétois sont


des menteurs » à Zénon en passant
car Wilde, vedette incontestée de
l'ouvrage, les défis historiques au
Les paradoxes sont partout, y com- par Lewis Carroll ou le barbier bon sens, et des centaines de cita-
pris quand ils sont absents(!), et de Russell), de la philosophie tions croustillantes, savamment
ils enrichissent les dialogues et la ( voyage dans le temps, justice et organisées, qui sont autant de
réflexion. C'est la leçon que déli- morale, mensonge et vérité, portes d'entrée vers un univers de
vrent magistralement Philippe connaissance de soi, la mort, les questionnements et de défis au
Boulanger, bien connu des lec- croyances), de la sociologie (com- bon sens . Il manque juste peut-
teurs de Tangente, et le psychiatre portement collectif vs comporte- être,en fin d'ouvrage, un index des
Alain Cohen. Dans une somme ment individuel), de la rhétorique auteurs cités. É. T.
d'un genre inédit, ces deux auteurs (utilisation de figures de style
ont regroupé en thèmes fédéra- telles l'oxymore ou la mise en LE TRÉSOR
teurs tout ce que la littérature, la abyme), des arts (du cinéma à j}jj%1llll91}}
politique, la publicité, la philoso- Magritte, mais la bande dessinée
phie, la logique et la culture ont est inexplicablement peu repré-
pu proposer en matière de para- sentée), des lois physiques (déter-
doxes. Et mieux encore : ils ont minisme vs aléatoire en physique
réussi au sein de chaque partie à quantique, calculs sur la vitesse
JEUN
trouver un fil conducteur et à insé- de la lumière) ou des mathéma-
rer des éléments de réflexion prou- tiques (objets impossibles, cf. Le trésor des paradoxes,
vant que chaque exemple a été exemples dans ce numéro). Mais par Philippe Boulanger et
minutieusement décortiqué. on trouvera bien plus encore dans Alain Cohen, Belin,
On trouve donc les classiques de cet ouvrage dense, bien écrit et 544 pages, 2007, 29 euros.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


ACTIONS par Jacques Bair

Théorèmes d'impossibilité
relatifs à des élections
Deux théorèmes mathématiques, démontrés respectivement
par Arrow et par Gibbard et Satterthwaite, affirment qu'il
n'est pas possible d'organiser des élections d'une manière
irréprochable lorsque plus de deux candidats sont en présence.
de classer, éventuellement avec ex aequo,
L'économiste tous les candidats d ' une manière ration-
américain Kenneth nelle. En termes mathématiques, le ième
Joseph Arrow votant (pour i = 1, 2, ... , n) établit un
(né en 1921). préordre complet R; sur l'ensemble des
candidats : la personne repérée par
l' indice i peut toujours dire , quels que
soient les candidats x et y, si elle pré-
fère x ày (ce qui se note x R; y) ou bien
si elle préfère y à x (auquel cas on écrit
y R; x). Les préférences sont prises au
sens large : l'indifférence entre les deux
candidats x et y est admise. Par ailleurs,
Le philosophe elles sont supposées réflexives (on a
américain toujours x R; x) et transitives (x R; y et
Allan Gibbard y R; z impliquent x R; z) .
(né en 1942). Il est rare que les classements des n
votants coïncident ! Se pose alors la
question de savoir comment exprimer
un choix collectif en tenant compte des
préférences individuelles. Lorsque le
nombre p de candidats vaut 2 , la règle
classique et simple de majorité peut être
ssayons de décortiquer des sys- employée : chaque électeur est amené à

E tèmes de vote dans lesquels n


électeurs sont amenés à choisir,
parmi p candidats, un élu (et un seul).
choisir un des deux candidats et celui
qui a récolté le plus de votes en sa faveur
peut évidemment être déclaré vainqueur
On admet que chaque votant est capable des élections. Mais lorsque le nombre de

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

Un exemple illustrant
l'effet de Condorcet
Supposons que vingt et une personnes soient amenées à
voter pour trois candidats A, B et C. Huit personnes classent
A en première position, sept portent leur premier choix sur
B et les six autres choisissent C. Il serait malheureux d'en
conclure que A, qui a pourtant le plus de voix préféren-
tielles, doit être déclaré« vainqueur », puisque treize per-
sonnes, soit plus de la moitié des électeurs, ont choisi un autre
candidat. Tenons compte non seulement des premiers choix
des votants, mais de leur classement des trois candidats.
Marie Jean Antoine Nicolas de Caritat, Parmi les huit votants ayant placé A en tête, deux rangent
marquis de Condorcet (1743-1794). B en deuxième position. Des sept personnes ayant préféré
B, quatre mettent A en deuxième position. Enfin, deux des
candidats dépasse 2, la situation est net- six électeurs ayant classé C en première place situent A en
tement moins claire et peut même géné- deuxième place de leur classement. Ainsi, on dispose de ces
rer une situation paradoxale, appelée données Oes préférences allant de gauche à droite) :
quelquefois l'effet de Condorcet (voir A-B-C : 2 voix,
un exemple en encadré). A-C-B: 6 voix,
B-A-C : 4 voix,
Paradoxes du uote ! B-C-A: 3 voix,
C-A-B : 2 voix,
Il convient donc de rechercher des règles C-B-A: 4 voix.
pour éviter pareil paradoxe . C'est ce Si l'on envisage des « duels », c'est-à-dire des comparai-
qu ' a réalisé Kenneth Arrow dans son sons des scores obtenus deux à deux, alors Al' emporte sur
ouvrage Social Choice and Individual C puisque douze votants (soit plus de la moitié) préfèrent
Values, paru pour la première fois en A à C. De même, C bat B par douze voix contre neuf. On
1951 chez l'éditeur américain John devrait s'attendre, par transitivité, que A devance B dans le
Wtley and Sons. Ce travail valut d'ailleurs classement général, alors que c'est le contraire qui se passe
à son auteur de recevoir, en 1972, le puisque B est classé onze fois avant A !
prix Nobel de science économique. Le Cet exemple simple montre que des choix individuels cohé-
mathématicien-économiste américain rents peuvent donner naissance à un classement général
s'est efforcé de dégager des conditions « bizarre » quand la règle de majorité est employée pour
(encore appelées règles), fort « natu- chaque couple de candidats. En langage mathématique, ceci
relles », selon lesquelles un choix col- équivaut à dire que le choix collectif ainsi obtenu n'est pas
nécessairement transitif, même si chaque choix individuel
l'est. Ce paradoxe, découvert par le marquis de Condorcet
en 1785, est connu sous le nom d'effet de Condorcet.
L'économiste
américain
Mark Allen lectif peut être jugé« raisonnable». Il
Satterthwaite. en a d'abord mis cinq en évidence, puis,
en 1963, a ramené ce nombre à quatre.
Voici une présentation simple et intui-
tive des quatre règles retenues.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta:ngent:e


ACTIONS Théorèmes d'impossibilité...

Un exemple • Règle d'indépendance par rapport aux


candidats non concernés. Pour deux
de scrutin manipulable candidats quelconques A et B, leur
position dans le classement collectif
Considérons un vote pour cent électeurs qui doivent choi- ne doit dépendre que de leurs posi-
sir l'un des trois candidats A, B ou C. Tous les votants ont tions relatives dans les classements
classé les trois postulants selon leurs préférences et les individuels pour chacun des votants
résultats suivants ont été enregistrés à l'occasion d'un (en d'autres termes, l'introduction ou
sondage: la suppression de candidats supplé-
A-B-C: 25 voix, mentaires ne peut influencer le clas-
A-C-B : 20 voix, sement collectif de A par rapport à B) .
B-A-C : 25 voix, • Règle de non-dictature. Parmi les élec-
B-C-A : 15 voix, teurs n'existe aucun « dictateur » ( un
C-A-B: 5 voix, individu est déclaré dictateur lorsqu 'il
C-B-A: 10 voix. impose son classement individuel
Selon la classique règle de majorité, le candidat A doit comme classement collectif).
être l'heureux élu, puisqu'il a récolté le plus de premières
places, à savoir quarante-cinq suffrages (45 = 25 + 20 ), pour Kenneth Arrow a démontré le résultat
quarante (40 = 25 + 15) en faveur de B et quinze suivant (théorème d'impossibilité d' Ar-
(15 = 5 + 10) pour C. row) , facile à énoncer:
S'il y a au moins trois candidats, alors
Fixons notre attention sur les dix électeurs pour lesquels les quatre règles ci-dessus sont contra-
le classement est, dans cet ordre, C-B-A. Ils souhaitent dictoires.
que C soit élu, mais placent A en dernière position. Comme Cet énoncé est lourd de conséquences
leur candidat préféré, à savoir C, n'est pas choisi majori- d'un point de vue théorique : il ruine
tairement, et pour éviter que A, qui est pour eux le plus les espoirs d'obtenir un mode de scru-
mauvais choix, ne soit retenu, ils ont intérêt à modifier leur tin qui soit non discutable. En effet, si
vote initial et à placer B en tête. De la sorte, si les autres les trois premières règles , qui semblent
électeurs ne changent pas d'avis, alors B récoltera cin- naturelles, sont vérifiées, alors celle de
quante (50 = 40 + 10) voix, dépassera donc A et sera élu. non-dictature est violée. Comme l'a
Ainsi, au moment des élections, en ne votant pas selon écrit Paul Samuelson , un autre lauréat
leurs préférences réelles, ces dix électeurs améliorent en du prix Nobel en science économique
quelque sorte, selon leur point de vue, le choix final, puis- (en 1970) : « Il s'avère que la démo-
qu'ils préféraient initialement B à A. cratie parfaite, à laquelle tant de grands
Un tel vote est qualifié de manipulable. esprits de l'histoire ont rêvé, n'est qu'une
chimère logiquement auto-contradic-
toire. Aujourd'hui, les chercheurs du
• Principe de rationalité collective. Il monde entier, en mathématiques, en
existe un classement (c'est-à-dire un pré- politique et en économie, essaient de
ordre complet) collectif, quels que sauver ce qui peut l'être du "désastre "
soient les votes individuels ; de plus, provoqué par la découverte d'Arrow. »
aucun classement global n'est impos- Parmi les multiples recherches qui ont
sible a priori. été menées à la suite des travaux d ' Ar-
• Règle d'unanimité. Lorsqu'un candi- row, épinglons celles de Gibbard et de
dat A est préféré à un autre candidat B Satterthwaite.
par tous les votants, alors le choix col- Puisque le théorème d 'Arrow affirme
lectif doit préférer A à B. l'impossibilité de trouver un classement

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

collectif (c'est-à-dire, rappelons-Je, un


préordre complet) de tous les candidats
d'une manière« démocratique» (en ce
sens que les quatre conditions énoncées
sont respectées), Gibbard et Satterth-
waite ont plus spécialement étudié la
question du choix collectif d'un seul
candidat à partir des préférences indi-
viduelles. Ils ont notamment essayé de
savoir si ces dernières doivent toujours
être« sincères». Ils ont mis en évidence
l'existence du concept de vote manipu-
lable (voir un exemple en encadré) et
ont ajouté une cinquième règle aux quatre
formulées par Arrow ; elle peut intuiti- sions. Toutefois, ces réflexions théo- Paul Anthony
vement être énoncée comme suit : riques ont donné naissance, ces der- Samuelson
• Règle de non-manipulabilité. Les élec- nières décennies, à un développement (1915-2009).
teurs ont toujours intérêt à exprimer intense de la théorie moderne d'aide à
leurs vraies préférences : il ne leur est la décision. De nombreux scientifiques
pas possible d'obtenir un résultat qui contemporains travaillent sur des
leur paraît meilleur en exprimant une méthodes mathématiques susceptibles
opinion non sincère. d'aider ceux qui doivent effectuer des
choix collectifs à partir de préférences
Moyennant cette cinquième règle, Gib- individuelles ou, ce qui est une problé-
bard et Satterthwaite obtiennent un nou- matique similaire, réaliser un choix opti-
veau théorème d'impossibilité concernant mal (ou au moins un compromis) tout
la désignation du gagnant d'une élec- en respectant plusieurs critères (qui ne
tion. L'énoncé du théorème d'impossi- donnent pas forcément tous une même
bilité de Gibbard-Satterthwaite est tout réponse). De telles recherches trouvent
aussi concis que celui d' Arrow : des applications concrètes non seule-
S'il y a au moins trois candidats, alors ment en sciences politiques, mais aussi
le principe de rationalité collective, la en gestion, en économie, dans les sciences
règle de non-dictature et la règle de humaines et sociales, en médecine ...
non-manipulabilité sont contradictoires. J.B.
Comme une dictature ne peut être admise
dans un régime démocratique, il résulte Références
de cet énoncé qu ' il est possible de ren- • Les dés et les urnes, les calculs de
contrer des électeurs qui n'ont pas inté- la démocratie. Jean-Louis Boursin,
rêt à voter selon leurs préférences Le Seuil, 1994.
véritables lorsque plus de deux candi- • Des préférences individuelles aux choix
dats sont présents ! collectifs. Jean-Louis Boursin,
Ces deux théorèmes d'impossibilité, Economica, 1995.
qui possèdent par ailleurs de jolies • L'aide multicritère à la décision.
démonstrations mathématiques (mais Philippe Vincke, Ellipses, 1989.
dont le développement dépasse le cadre • Élections : jeux et enjeux.
de cet article), peuvent sembler à pre- POLE-La Recherche, 2012.
mière vue choquants quant à leurs conclu-

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS par Jean-Paul Delahaye


or1 mes
numériques impossibles
Identifier précisément les possibilités et les impossibilités des
algorithmes est un des buts de la recherche en analyse
numérique. Par exemple, il est impossible d'accélérer toutes les
suites numériques convergentes à l'aide d'un seul algorithme.
Jean·Paul Delahaye de programmer rique, où il permet de comprendre en
est chercheur au Laboratoire
d'informatique fondamentale une machine pour effectuer profondeur pourquoi certaines tâches
de Lille (UMR CNRS 8022)
et professeur à l'université certaines tâches bien définies , ne sont pas envisageables.
de Lille-!.
comme indiquer quelles équations dio-
phantiennes ont des solutions ou n'en Deux résultat d'impossibilité
ont pas (indécidabilité du dixième pro- algorithmique
blème de Hilbert), est liée au fait qu'il
y a moins d'algorithmes que de fonc- Considérons par exemple le problème
tions , et donc que certaines fonctions suivant :
ne sont associées à aucun algorithme .
En effet, il n'existe qu'une infinité dénom- (a) On voudrait, pour chaque suite conver-
brable d'algorithmes (ce sont des suites gente de nombres réels (xn\ (on note
finies de symboles pris dans un ensemble x sa limite et on suppose que, pour
fini) , alors que même en se limitant aux tout entier n, xn ;t; x), construire pro-
fonctions de N dans Nil y a une infinité gressivement une suite (tn),, qui
non dénombrable de fonctions . L' im- converge vers la même limitex, mais
possibilité du calcul de certaines fonc- « plus rapidement », c 'est-à-dire de
tions est le résultat simple d'un « manque façon que t,. - x tende vers Oquand
de programmes ». X11 -X
Il existe cependant un second type de n tend vers l' infini .
résultat d' impossibilité algorithmique (b) On voudrait également que tn ne
dont l'origine est d'une autre nature : dépende que des points X; pour i ~ n,
le « manque d'information disponible autrement dit on souhaiterait que t0
à chaque instant du calcul ». Ce type ne dépende que de x 0 , que t 1 ne
d'impossibilité algorithmique informa- dépende que de x0 et de x 1, que t2 ne
tionnelle est important en analyse numé- dépende que de x0 , x 1 et x 2 , etc.

Ta:ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!

Quand une telle méthode existe, on parle


de procédé d'accélération de la conver-
gence . De tels procédés sont d ' usage
courant en analyse numérique. On sait
par exemple que les formules suivantes :
to =Xo ,
tl =X1 2

et t = (xn - xn-l) si n > 1


n X 2 - 2X,. _ I + X n-2
accélèrent la convergence de toutes les
suites à convergence linaire, c'est-à-dire
vérifiant que le rapport des erreurs
x,,+i - x tend vers une constante L stric-
x,. -X
tement inférieure à 1. Cette transfor-
mation de suites se nomme le procédé
delta 2 d'Aitken. Le mathématicien néo-
zélandais Alexander Aitken en fit usage Alexander Craig Aitken (1895-1967).
en 1926, mais le mathématicien japo-
nais Seki Kowa l'utilisait déjà pour des donne xn et celle qui donne xn+ 1 ou n' im-
calculs approchés de Jt au xvne siècle. porte quel autre X; (avec i :t: n).
Avec cette notion tolérante et ouverte de
Seki Kowa, aussi connu transformation de suites (ne reposant
sous le nom de donc pas sur la théorie de la calculabi-
Seki Takakazu lité de Turing) , peut-on définir une trans-
(1642-1708). formation qui accélère toute suite
convergente de nombres réels, c ' est-à-
dire qui fasse mieux que le procédé
Il s' agit d' un résultat remarquable , qui delta 2 d' Aitken, qui n'accélère la conver-
bien sûr a été étendu à d'autres catégo- gence que d ' une catégorie limitée de
ries de suites numériques. Les formules suites convergentes ?
de calcul de tn à partir de x0 , x 1• • . xn que La réponse est non, c'est impossible: un
l' on envisage dans ce type de procédés procédé unique d'accélération ne peut
doivent être précises, mais on est prêt à fonctionner pour toutes les suites conver-
accepter l' idée qu ' on y manipule les gentes à la fois. L' ensemble des suites
nombres réels sans erreurs , et que dès convergentes est trop gros , pour que
qu ' une fonction est bien définie, elle puisse exister une seule transformation
peut être utilisée pour indiquer com- de suites. Le résultat n'est pas totale-
ment tn est tiré de x0 ,x 1, ••• ,xn. En clair, ment étonnant, mais il méritait d'être
on se place dans un monde un peu idéa- énoncé et démontré de manière précise,
1isé où manipuler avec une infinie pré- ce qui fut fait en 1981 par l'équipe de
cision des nombres réels ne pose pas de chercheurs de l'université de Lille tra-
problème et où toute manipulation asso- vaillant autour de Claude Brezinski,
ciée à une fonction sera considérée grand spécialiste de l'accélération de la
comme pouvant constituer une étape de convergence. Plus généralement, il est
calcul. On n' impose pas non plus qu ' il intéressant de savoir quelles familles de
y ait une relation entre la fonction qui suites (aussi grosses que possible) sont

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Algorithmes numériques ...

« accélérables », et quelles familles de de deux côtés à la fois : les chercheurs


suites (aussi petites que possible) sont tentent d'y prouver des résultats positifs
impossibles à accélérer. Identifier pré- (c'est-à-dire tentent de trouver des familles
cisément les possibilités et les impos- aussi vastes que possible pour lesquelles
sibilités des algorithmes est un des buts une transformation de suite accélérante
de la recherche en analyse numérique. existe) et des résultats négatifs (c'est-à-
Voici un tel résultat (du côté négatif) dire tentent de trouver des familles aussi
donné ici à titre d'exemple. Il a été petites que possible dont on prouve
démontré en 1982 par Bernard Ger- qu 'elles ne sont pas accélérables).
main-Bonne et l'auteur de l'article. Il est
plus surprenant que le précédent, car il txtraire des sous-suites
montre qu'une famille de suites assez
petite et ne contenant que des suites Un autre problème simple donne lieu
convergeant lentement est pourtant à des démonstrations de résultats néga-
impossible à accélérer. tifs information!]els utiles en analyse
numérique pour comprendre finement
Théorème: La famille des suites (x")" ce qui est faisable. La question posée
à convergence logarithmique, c'est-à- est : une suite numérique bornée étant
dire vérifiant que xn+i - x tend vers 1, donnée, peut-on en extraire des sous-
Xn -X suites convergentes vers ses points d'ac-
n'est pas accélérable. Autrement dit, il cumulation ?
n'existe pas de transformation de suites Cette fois les transformations de suite que
accélérant la convergence de toute suite l'on envisage (et que l'on nomme pro-
à convergence logarithmique. cédés d 'extraction) ne font que décider
de retenir ou non le point x" à partir de
La démonstration de ce type de résultats l'information x0 ,x1, . • • ,x11 , ce qui construit
procède par l'absurde et consiste à tendre petit à petit une sous-suite de (x"),,, ou
un piège à un hypothétique algorithme plusieurs simultanément.
qui ferait le travail. On lui soumet des Les résultats connus sur ce problème
suites particulières ; on exploite l'idée sont étonnants, car on découvre que très
qu'il les accélère; cela donne des infor- peu de choses parmi celles que l'on
mations sur ce qu ' il fait, d'où on tire aimerait faire sont possibles ! Voici un
alors la définition d'une suite qu'il ne peut exemple de théorème d'impossibilité
pas accélérer. informationnelle dans ce domaine de
L'impossibilité ne provient pas d'un l'extraction.
manque de transformations de suite (cette Si une suite (x,)" bornée de points de
fois, il y en a une infinité non dénom- IRk possède deux points d'accumulation
brable, du fait de la définition tolérante (on dit aussi deux valeurs d 'adhérence)
qu'on leur a donnée), mais de ce que x et x', il est clair qu 'il est possible de
les suites qu'on veut accélérer sont trop la séparer en deux, (xa(1t)\ et (xb(1t))",
variées et qu'en connaître le début - telles que les ensembles
même très loin - est toujours insuffi- {a(i), i dans N} et {b(i), i dans N} ont
sant pour avoir une information précise pour réunion Net sont disjoints (autre-
sur leur comportement futur, et donc ment dit, ils réalisent une partition de
leur limite. N) et telles que (xa(1t))11 converge vers x,
Le domaine de recherche de l'accéléra- (xb(n)\ converge vers x'. Cette sépara-
tion de la convergence travaille maintenant tion, possible dans l'abstrait (par exemple

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


ON L'A MONTRÉ!
1

à l'aide de disques disjoints autour de x Si on a accès uniquement aux valeurs de


et de x'), peut-elle être réalisée algo- la fonction, il est bien clair que la connais-
rithmiquement? La réponse est non. sance d' un nombre fini de valeurs de
f(x) ne permet pas de trouver cet opti-
Théorème : Soit S2 la famille (assez mum xMax· Si c'est possible , cela ne le
réduite) des suites de points de [Rk bor- sera qu'en construisant une suite infi-
nées et possédant deux points d'accu- nie de points x0 , Xi, ... , dont la limite
mulation exactement. Il n'existe aucun sera ce point recherché.
procédé d' extraction qui , pour toute Une multitude de résultats positifs exis-
suite (xn)n de S2 , produise deux sous- tent qui indiquent que , sous certaines
suites convergentes chacune vers l'un hypothèses portant surf (et souvent sa
des points d 'accumulation de la suite dérivée), on réussira à construire la suite
(xn) 11 • En fait, il est même impossible de (x11 \ recherchée, qui produira avec une
trouver un procédé d 'extraction qui, précision croissante la valeur de l 'opti-
pour toute suite (x11 \ de S2 , extraie une mum. Quelles hypothèses sont vraiment
sous-suite convergente. nécessaires pour que des procédés de
calculs existent donnant cette suite (x 11 )n
L'idée de ces démonstrations est proche recherchée? Pour le savoir, on démontre
de celles faites en accélération de la des résultats négatifs (résultats d' im-
convergence : on suppose que l'on dis- possibilité) . En voici un.
pose d'une transformation de suites réa-
lisant le travail, on en tire des informations Théorème : Soit E un sous-ensemble
sur ce qu'elle fait, informations qui per- fermé et borné de IR, d' intérieur non
mettent alors de construire une suite vide. Il n'existe pas de procédé de cal-
pour laquelle la transformation ne fonc- cul qui , pour toute fonction continue
tionne pas . définie sur E, construise une suite (x11) 11
Dans ce domaine , des résultats positifs telle que:
existent (heureusement !) , mais tous se • à l'étape n, le procédé ne dépend que
basent sur des hypothèses assez fortes d ' un nombre fini de données de la
concernant les suites. forme (v,f(v));
• la suite (xn\ converge vers xMax ·
pr bl me d'oplt , d ion
En revanche, il est facile de voir que , si
Toujours en suivant la même idée que on ne considère que des fonctions conti-
« certaines choses sont impossibles à nues ayant un maximum unique , alors
obtenir d' algorithmes de calcul car la un tel procédé existe et par exemple est
façon dont ils disposent de l'informa- défini de la manière suivante :
tion sur le problème y fait obstacle », une • On considère une suite (y 11 )n de points
série de résultats portent sur les pro- de E telle que l'ensemble des points yn
blèmes d'optimisation. soit dense dans E (c'est-à-dire que tout
Une fonction continue de C (une partie point de E est limite d'une suite de
fermée et bornée de !Rk) à valeurs dans points pris parmi les y) ;
est donnée, dont on cherche à connaître • À l'étape n du procédé d'optimisation,
le maximum et un point qui l'atteint, c'est- on calculefiy;) pour i variant de 1 à n,
à-dire un xMax tel que puis on détermine la valeur la plus
f(xMax) = max{f(y) ; y dans C}. grande des fiy), et c'est le Y; corres-
La continuité de f assure que xMax existe. pondant que l'on propose pour xn .

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tc:in9ent:e


SAVOIRS Algorithmes numériques ...

Une machine de Turing réalisée par Mike Davey.

L'unicité du maximum et l'hypothèse • La logique, un aiguillon pour la pensée . Jean-


de densité des Y; dans E associées à la Paul Delahaye , Belin-Pour La Science, 2012 .
continuité de f obligent la suite (xn\ à • Optimisation impossible. Jean-Paul Delahaye,
converger vers xMax· Revue française d'automatique,
d'informatique et de recherche
L'impossibilité algorithmique ne pro- opérationnelle, Recherche opérationnelle ,
vient pas seulement du fait que les Modélisation mathématique et analyse
étapes d'un calcul doivent être pro- numérique , tome 19 (2) , 1985 (disponible en
grammables sur une machine et qu'il ligne).
y a en définitive peu de fonctions que • The Set of Logarithmically Convergent
l' on peut programmer. Elle provient Sequences cannot be Accelerated. Jean-Paul
aussi parfois de phénomènes informa- Delahaye et Bernard Germain-Bonne , Society
tionnels , en l'occurrence de l'hypo- for Jndustrial and Applied Mathematics
thèse qu ' un algorithme (quel que soit Journal of Numerical Analysis 19 (4) , 1982
le sens que l'on donne à ce mot) ne (disponible en li gne) .
dispose que d'un nombre fini d'infor- • Algorithmes pour suites non convergentes.
mations à chaque étape de son calcul. Jean-Paul Delahaye, Numerishe Mathematik
À côté des impossibilités algorith- 34, 1980 (disponfüle en ligne).
miques « à la Turing », on rencontre ainsi • Résultats négatifs en accélération de la
également des impossibilités algorith- convergence. Jean-Paul Delahaye et Bernard
miques informationnelles. Germain-Bonne, Numerishe Mathematik (35),
1980 (disponible en ligne).
J.-P.D. • Sequence transformations. Jean-Paul
Delahaye, Springer series in computational
mathematics, 1988.
Références
• Convergence acceleration during the 201h
century. Claude Brezinski , Journal of
Computational and Applied Mathematics 122 ,
2000 (disponible en ligne).

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


HISTOIRES par Bertrand Hauchecorne

la notion d' aMiome


à trauers les siècles
Axiome, postulat, le raisonnement mathématique nécessite
un point de départ. Doit-il se chercher dans notre perception
de l'espace ou dans une construction logique purement
formelle ? La réponse à cette question découle d'une
conception des mathématiques et de son rapport au réel.

Les logiciens de Les axiomes chez Euclide


l' Antiquité, que ce soit
Aristote ou les Stoïciens, Pourtant, trois siècles avant notre ère,
avaient déjà compris que un mathématicien grec avait entrevu le
le raisonnement devait problème. Dans le premier livre des
émaner de prémisses et Éléments, Euclide donne trente-cinq
parvenir à une conclu- définition s précisant des concepts
sion . Ceci est tout parti- utiles à son propos comme la droite , le
culièrement vrai dans le point ou l'angle. Il les classe en trois
cadre mathématique : des catégories . Il énonce ensuite cinq
hypothèses conduisent, demandes (a't1:1']µm:a en grec) ; c'est
grâce à un cheminement ce qu 'on appellera les postulats . Ce
logique, à la conclusion à sont des affirmations premières concer-
démontrer. Cependant, nant des constructions géométriques,
d'où partir ? Sur quel censées être admises sans démonstra-
socle doit s'appuyer le tion de par leur évidence . L' une
raisonnement mathéma- affirme , par exemple : « Par deux
tique ? Jusqu 'au xvme points, il passe une droite. »
siècle il paraissait naturel
à chacun de considérer la Viennent ensuite les notions communes
Euclide. perception du monde qui nous entoure (xotvat ëvvom) ; ce sont elles que le
comme son point de départ. La notion philosophe néoplatonicien mathémati-
même de droite, de plan n'était pas cien Proclos, commentateur d'Euclide,
vraiment à définir. nommera axiome au y e siècle. Ils con-
cernent les grandeurs quelconques ,
comme « le tout est plus grand que la

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

diamètre. Les
partie » ou « deux choses égales à une
axiomes de base
même troisième sont égales entre
étant vérifiés, les
elles ». Pour Euclide, les demandes
théorèmes en
comme les notions communes sont des
découlant le sont
évidences qui découlent du bon sens
aussi dans cette
commun. Leur démonstration est soit
structure.
inutile , soit impossible : elles doivent
être admises comme telles. Pour rompre le
lien avec l'utilisa-
Quand on parle d'axiome, on pense
tion implicite de
aussitôt à la cinquième demande
notre perception
d'Euclide. Pour les puristes il s'agit
du monde
d' un postulat (ceci n'est bien sûr
physique, David
qu'une question de vocabulaire) . Voici David Hilbert
Hilbert proposera en 1899 un système
son énoncé tel que proposé par (1862-1943).
d'axiomes, plusieurs fois amendé,
Euclide : « Si une droite tombant sur
définissant la géométrie euclidienne. Il
deux droites fait les angles intérieurs
du même côté plus petits que deux
droits, ces droites, prolongées à l'infi-
ni, se rencontreront du côté où les
Axiome et postulat
angles sont plus petits que deux Dans son sens premier, le mot grec à~(roµ.a (axiôrna) signifi-
droits. » Proclos puis John Playfair au ait prix, valeur puis par extension ce qui paraît juste, conven-
xvme siècle en ont trouvé un équiva- able. Aristote l'utilise pour parler d'un principe évident en
lent plus simple : « Par un point pris soi-même servant de base à la démonstration. Plutarque se
hors d'une droite, il ne passe qu'une place, quant à lui, dans le cadre de la logique pour désigner
seule parallèle à cette droite. » les prémisses d'un raisonnement. Suivant l'usage établi par
Proclos au ye siècle, l'habitude fut prise de donner le nom
Contrairement aux autres demandes,
d'axiome aux notions communes du 1er livre des Éléments.
cet énoncé ressemble à un théorème.
Aussi, dès l' Antiquité et jusqu'à la fin Le mot postulat vient du latin postulatum, qui signifie
du xvme siècle, la question se pose de demande, prétention. Il apparaît en français au XVIIIe siè-
savoir s'il peut être démontré. On sait cle sous la plume de mathématiciens travaillant sur
depuis que cela s'avère impossible ; au Euclide; c'est le nom qu'ils attribuèrent aux« demandes»
contraire, sa négation amène à la con- formulées par le mathématicien grec. Il nommait, de
struction de géométries non euclidi- manière plus générale, une proposition, non nécessairement
ennes. Nikolaï Lobatchevski et Janos évidente, que l'on supposait sans pouvoir la démontrer.
Bolyai, chacun de son côté, constru-
isirent des géométries le niant . Des De nos jours, le mot postulat n'est plus vraiment utilisé en
modèles de ces nouvelles géométries mathématiques. Le mot axiome, quant à lui, désigne une
seront proposés par la suite, dans assertion considérée comme vraie dans la théorie étudiée. Il
lesquelles les notions de droites , d'an- n'y a pas lieu de s'interroger sur une quelconque vérité
gles ... ne correspondent plus à celles absolue. On s'intéresse seulement aux conséquences qui en
auxquelles nous sommes habitués. découlent. Cependant, une théorie n'aura d'intérêt que si
Ainsi, dans le demi-plan de Poincaré, elle explique un phénomène qui nous concerne : on ne
une « droite » est un demi-cercle choisit pas comme axiome n'importe quelle assertion !
admettant l'axe des abscisses comme

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tcingent:e


HISTOIRES

lui en faudra une ouvrage particulièrement abscons


vingtaine mon- Ausdehnunglehre (enseignement sur
trant par là que, les étendues) paru en 1844. Son texte
malgré sa perspi- comprend en germe tous les fonde-
cacité, Euclide ments de l'algèbre linéaire. Plus de
avait admis quarante ans plus tard, Giuseppe Peano
implicitement de se penche à nouveau sur ces écrits,
nombreuses reformulés en 1862, et en comprend
choses. l'importance. Il publie en 1888
Calcolo geometrico, ouvrage dans
l' axiomatisation lequel il explique cette théorie claire-
des structures ment, donne une définition axioma-
C\J
algébriques tique des espaces vectoriels , introduit
0C\J les applications linéaires et prouve, en
ui Le XIXe siècle donnant l'exemple des polynômes, que
c
~-
::::,
voit l'apparition
des structures
cette théorie ne se réduit pas à la
<1l
CD
dimension finie. L'avenir montrera que
--; algébriques . La cette structure nouvelle est mieux
@
construction des adaptée à l'étude de la géométrie que
nombres complexes par Gauss est l'axiomatique de Hilbert.
Giuseppe Peano
suivie de l'étude des opérations sur les
(1858-1932).
matrices dans les années 1840 par Dans le courant du XIXe siècle, un
Cayley et Sylvester. L'émergence de la mouvement de séparation des mathé-
théorie des groupes s'opère vers 1830 matiques et de la physique se fait jour.
avec Galois ; sous l'impulsion de L'introduction des géométries non
Camille Jordan, Leopold Kronecker, euclidienne en sera le révélateur : les
Ludwig Sylow, Felix Klein et bien mathématiques sont un édifice con-
d'autres , elle envahit de nombreux ceptuel et non la réalité sensible. Ses
domaines des mathématiques. Cette fondements doivent se faire non pas
nouvelle approche, basée sur l'étude sur la réalité physique mais sur une
des structures sous-jacentes des objets base logique. L'axiomatique sera la
mathématiques étudiées, se fait durant réponse à ce problème .
longtemps sans définition officielle
acceptée par tous. En 1882, simultané- La fin du XIXe siècle voit l'émergence
ment et dans la même revue, Heinrich de la théorie des ensembles . Versé dans
Weber et Walter von Dyck proposent l'étude des séries de Fourier, Georg
une définition de la structure de groupe Cantor s'interroge sur des conditions
fini sous forme d'axiomes. Onze ans nécessaires et suffisantes de leur con-
plus tard, le premier achève cette vergence vers la fonction étudiée. Cela
démarche en se dispensant de l'hy- l'amène à considérer des parties de
pothèse de finitude et fournit une défi- l'ensemble des nombres réels peu util-
nition équivalente à celle utilisée de isées jusqu'alors. Après avoir proposé
nos jours. une construction de ces nombres en
1872, il développe la théorie des
Hermann Grassmann introduit la ensembles, à laquelle Giuseppe Peano
notion d'espace vectoriel dans son contribuera. Ce mathématicien italien
estime que l'arithmétique ne peut pas

Ta:ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

congrès de Paris en 1900


s'appuyer sur notre notion intuitive de
cherche à axiomatiser le
nombre entier mais que ceux-ci
raisonnement logique. On
doivent être construits sur une base
distingue alors ce qui est
axiomatique. Il expose cette concep-
vrai de ce qui est démon-
tion de l'arithmétique dans
trable. En particulier, tout
Arithmetices Principia Nova
énoncé vrai peut-il être
Methodo exposita, entièrement écrit en
démontré formellement,
latin . Il postule l' existence d ' un
par des schémas de déduc-
ensemble (il s'agit de définir les entiers
tion logique ? Gode!
strictement positifs) contenant un élé-
donne une réponse posi-
ment noté 1 et muni de l'opération suc-
tive en 1929. En revanche,
cesseur (par exemple, 2 est le suc-
il met fin deux ans plus
cesseur de 1). Le dernier axiome
tard au rêve exprimé en
définit le raisonnement par récurrence.
1900 par Hilbert dans son
On peut alors construire , par des opéra-
second problème en
tions ensemblistes, les autres ensem-
démontrant les surprenants théorèmes Ernst Zermelo
bles de nombres (entiers relatifs ,
rationnels, réels ou complexes).
d 'incomplétude (voir par ailleurs dans (1871-1953).
ce dossier).
En 1897, Cesare Burali-Forti énonce le
Sans nier
premier paradoxe de la théorie des
l ' importance
ensembles, suivi en 1901 par Bertrand
de fonder les
Russell lorsqu'il introduit « l'ensemble
mathéma-
des ensembles n'appartenant pas à
tiques sur des
eux-mêmes » . D'autres suivront,
b a s e s
amenant à repenser cette théorie . Après
logique s,
quelques tâtonnements, la piste la plus
solides et
féconde sera élaborée par le mathé-
cohérentes, il
maticien allemand Ernst Zermelo , qui
n'en reste pas
se rend compte qu'on ne peut considér-
m o i n s
er comme ensemble n' importe quelle
qu ' elles ne
collection d 'éléments. Il résout ce
resteront
problème en bâtissant une théorie des
fécondes que
ensembles de manière axiomatique .
si elle résol-
Dans son système, élaboré en 1908, il
vent des prob-
part d'ensembles déjà connus puis il
lèmes que
introduit des axiomes qui permettent
nous nous
d'en construire de nouveaux par des
posons ; elles
opérations comme la réunion, l' inter-
doivent en
section, l'ensemble des parties ... Tout
conséquence
ensemble doit être obtenu par ces
développer des théories inspirées par la
règles . Abraham Fraenkel améliore Abraham
réalité venue du monde physique ,
cette approche au cours des années Adolf Fraenkel
montrant leur caractère universel.
1921 et 1922. (1891-1965).

Parallèlement, la théorie de la démon-


Bll.
stration impulsée par David Hilbert au

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente 1111111


SAVOIRS par Daniel Justens

le statut particulier
des conjectures
Qu'est-ce qui fait la différence entre les mathématiques et
d'autres sciences comme la physique, la biologie ou la
chimie ? Répondre à cette question demande d'approfondir
et de comprendre la structure même des mathématiques.

n quoi les raisonnements stade, et fait Je fondement même des

E mathématiques diffèrent-ils des


raisonnements sous-tendant les
autres disciplines scientifiques ? Le
mathématiques, c'est la notion de preu-
ve. Pour découvrir les premiers raison-
nements visant à établir définitivement
mathématicien hongrois Gyôrgy Polya certaines propriétés, il faut attendre les
propose une explication. premiers mathématiciens grecs.

Les plus anciens objets mathématiques Impossible de démontrer sans axiomes


découverts à ce jour, les fameux bâtons
d'Ishango (20 000 ans avant notre ère),
n'ont pas encore révélé leurs secrets. On En quoi consiste une démonstration ?
connaît un peu mieux la mathématique Les mathématiques actuelles sont
babylonienne qui nous a livré des mil- construites sur base d'axiomatiques .
liers de tablettes à contenu scientifique. Ce point de vue est assez récent et le
La mathématique égyptienne nous est caractère arbitraire des axiomes, qui
parvenue partiellement au travers de restreint de fait Je champ de validité
deux papyrus intéressants, le Rhind et le des résultats obtenus, n'a été accepté
papyrus de Moscou . Tablettes mésopo- que récemment dans l'histoire des
tamiennes et papyrus égyptiens révèlent mathématiques : la querelle des géo-
certes l'exposé de propriétés intéres- métries non euclidiennes, qui eurent
santes et parfois complexes de divers quelque mal à s'imposer comme alter-
objets mathématiques, mais elles ont native également plausible à la géomé-
surtout un point commun : ces propriétés trie d'Euclide, en est un exemple.
sont énoncées comme autant de vérités Aujourd'hui, un axiome désigne une
sans que soient ébauché le moindre rai- vérité première acceptée sans justifica-
sonnement étayant la validité des propo- tion mais exclusivement à l'intérieur
sitions avancées. Ce qui manque à ce d 'une théorie mathématique (voir Je pré-

- TC1.n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

cédent article) . L'ensemble des axiomes


d'une théorie constitue une axiomatique.
On espère cette dernière non contradictoi-
Piilla: une péda111ie 1ri1ina1e
re; c'est sa seule contrainte. Une axioma-
Les travaux du mathématicien hongrois Gyôrgy Polya ne
tique définit entièrement une théorie
se situent pas exclusivement dans un cadre scientifique et
mathématique. Chaque axiome doit être
technique. Une partie importante de ses réflexions furent
considéré comme un point de départ dans
d'ordre didactique et épistémologique. Du côté purement
un système de raisonnements logiques, et
mathématique, on lui doit des résultats sur les séries, la
seulement de ce point de vue.
théorie des nombres, la combinatoire et le calcul des pro-
Toutes les théories axiomatiques ne sont
babilités. Polya est également l'auteur d'ouvrages déve-
pas également riches. Les plus perti-
loppant une pédagogie de la découverte des mathéma-
nentes sont celles qui , partant d'un
tiques par la résolution de problèmes. Ainsi, il fait
nombre limité d'axiomes simples à
paraître How to solve it (Princeton University Press,
énoncer et clairs, permettent le dévelop-
1945), une approche heuristique particulièrement origina-
pement d'une théorie étendue contenant
le des mathématiques, présentant ce que l'on appelle
un grand nombre de propriétés (démon-
aujourd'hui l'enseignement des compétences. Plus tard, il
trées ou non). Sans axiomes, il est impos-
s'attachera également à faire la différence entre la notion
sible de « démontrer » quoi que ce soit.
de raisonnement démonstratif, qui se pratique en mathé-
Le mathématicien Polya (voir en enca-
matiques, et ce qu'il nomme le raisonnement plausible,
dré) nomme « raisonnement démonstra-
utilisé dans tous les autres domaines scientifiques.
tif » tout type de raisonnement assurant
de manière définitive la validité de
connaissances mathématiques dans une
axiomatique donnée et suivant les prin-
cipes d' une logique booléenne (une pro-
position est soit vraie, soit fausse) .

Ce type de considérations n'exclut nulle-


ment le recours à des éléments moins
objectifs contenus dans ce que l'on
nomme, sans bien le définir, « l'intui-
tion ». Car les mathématiques sont tou-
jours en construction. Il n'y a pas que des
mathématiques achevées, présentées
sous une forme définitive, purement
démonstratives et ne comportant que des À droite, Gyorgy Polya (1887-1985), accompagné du
preuves : il existe aussi les mathéma- mathématicien Alexander Ostrowski.
tiques en gestation. C'est dans ce cadre
que se situent les conjectures, propriétés
qui semblent vraies aux yeux de certains l'axiome de la parallèle unique clôture la
mathématiciens mais qui n'ont pas été longue liste d'axiomes énoncés par
démontrées . Le statut des conjectures Hilbert en 1899 dans ses Grundlagen der
peut évoluer de différentes manières. Geometrie. Hilbert se signalera d' ailleurs
Certaines conjectures deviennent par la publication en 1900 d'une liste de
axiomes, comme le célèbre cinquième vingt-trois conjectures intéressantes qui
postulat d'Euclide. Ce qui est devenu connurent des sorts divers .

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcangente 1111


SAVOIRS
gie, en histoire, en écononùe ou en
finance. Dans l'un de ces contextes, plus
question de choisir ses axiomes . Les
« vérités » qu'il faut accepter pour com-
prendre les phénomènes sont dictées par
les observations mesurant les aspects
que l'on entend privilégier de la réalité à
décrire. Et les théories que l'on désire
mettre en place ont pour but d'expliquer
notre monde, d'agir sur lui, de le gérer,
de le comprendre. Ce cadre est infini-
ment plus ambitieux. Et, forcément, les
théories proposées seront provisoires et
CATollrvE sembleront contestables. De là provien-
nent l'existence et la permanence de lois
en physique, l'évolution en biologie,
Des axiomes aux conjectures l' authenticité des textes en histoire , la
et démonstrations pertinence des observations et la réma-
nence des comportements des acteurs
Les conjectures peuvent passer au rang écononùques en gestion, ou encore l'ef-
de théorème lorsqu'une démonstration ficience des marchés en finance , par
en est produite. L'exemple le plus exemple. Ces hypothèses prennent la
célèbre est le grand théorème de place des axiomes des théories mathé-
Fermat. Elles peuvent aussi disparaître matiques, mais le poids qu 'on leur
lors de la production d' un contre- accorde est fondamentalement diffé-
exemple qui contredit leur énoncé (c'est rent : elles contiennent un élément de
le cas de la conjecture d'Euler). Ou vérité à même de conduire à découvrir
encore faire partie de ces propositions une part de la réalité du monde. Le
vraies dans un cadre axiomatique donné cadre est celui du raisonnement hypo-
mais qui ne pourront être démontrées. thético-déductif, que Polya nomme
C'est le fameux théorème d'incomplé- « raisonnement plausible », et les hypo-
tude de Gode!. Il en est ainsi pour la mal thèses constituent la partie indémon-
nommée « hypothèse du continu », qui trable de la théorie.
figure en tête de la liste des vingt-trois
problèmes de Hilbert (tout sous- Une façon de choisir rationnellement
ensemble infini de ~ peut être nùs en les hypothèses est le procédé d'abduc-
bijection avec N ou~). Cette conjectu- tion , qui consiste à introduire une règle
re est « indécidable » à partir des à titre d' hypothèse afin de considérer
axiomes généralement admis pour la tout résultat observé dans un cadre
construction de la théorie des ensembles. donné comme un cas particulier tom-
Enfin, et c'est le cas de nombre d'entre bant sous cette règle . Des hypothèses
elles encore aujourd' hui, elles peuvent différentes sont ainsi testées successive-
aussi continuer d'exister en tant que ment. Sont retenues celles qui permet-
conjectures, en attente de statut définitif. tent la construction d' un modèle hypo-
Plaçons-nous à présent hors cadre thético-déductif reprenant au mieux
mathématique : en physique, en biolo- l'ensemble des observations.

1111 Ta.ngen'te Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

Raisonnement démonstratif contre met de faire clairement la distinction


raisonnement plausible entre axiome, hypothèse et conjecture.
L'axiome est énoncé dans un cadre
Le raisonnement démonstratif est sûr : extérieur au monde réel et sert de base
il est incontestable et à l'abri de toute à la construction de modèles abstraits .
controverse (tous les esprits éclairés Les hypothèses que l'on formule dans
finissent par se rendre aux évidences le cadre des raisonnements plausibles
des démonstrations ne comportant sont énoncées afin de nous aider à com-
aucune erreur logique). Il est également prendre et gérer notre univers . La
définitif. Mais un problème totalement conjecture est un énoncé dans le cadre
résolu mathématiquement est un pro- mathématique dont le statut est provi-
blème mort, comme pour certains jeux soire. On constate malheureusement
et casse-tête : une fois la solution ou la que l'usage courant ne suit pas ces défi-
stratégie optimale découverte, le casse- nitions univoques : on parlait du grand
tête perd tout intérêt. Ainsi, les raison- théorème de Fermat avant qu'il ne soit
nements démonstratifs sont rigides et, démontré, on parle parfois de l'hypo-
exploités exclusivement par des mathé- thèse de Goldbach alors qu'il s'agit
maticiens, ils sont en substance inca- encore et toujours d'une conjecture .
pables de conduire à des connaissances Quand changera-t-elle de statut ? Bien
nouvelles sur le monde. malin qui pourra le prévoir !
Le raisonnement plausible est plus DJ.
hasardeux et aussi contestable, les
hypothèses admises (visant à com-
prendre le monde) pouvant être contro-
versées , remplacées par d'autres plus
De la coniecture au théorème
efficaces . Ces raisonnements sont aussi « Quand je serai grande, dit une conjecture, Maman dit que
provisoires : une théorie scientifique je serai un théorème.» Eh oui, c'est cela, une conjecture :
décrivant mieux ou plus simplement un un « bébé-théorème» , c'est-à-dire un énoncé mathématique
fragment de réalité en remplace une plausible, qui a déjà fait ses premiers pas en passant le cap
autre devenue obsolète. Elle apporte d'une myriade de vérifications, mais qui risque encore de
des connaissances nouvelles sur notre trébucher sur un contre-exemple, qui l'empêcherait à tout
univers et nous permet de le com- jamais d'accéder au statut de résultat démontré, c'est-à-dire
prendre lorsqu 'on peut en proposer un de théorème. Parmi les nombreux problèmes ayant fait l'ob-
modèle dont les conclusions ne s'éloi- jet de conjectures, certains ont donné lieu à une démonstra-
gnent pas trop des réalités observées. tion en bonne et due forme. Ils ont alors changé de nom : ils
sont devenus théorèmes. Parmi les derniers en date (et les
Ainsi, dans le raisonnement démonstra- plus populaires) dans cette catégorie, on trouve la conjectu-
tif, l'essentiel est de distinguer une re de Fermat, énoncée en 1641 , devenue en 1994 théorème
preuve d'une présomption (une conjec- de Fermat-Wiles, la conjecture de Poincaré, énoncée en
ture) , une démonstration valable d'une 1904 et résolue en 2003 par Perelman, puis validée en 2006.
tentative qui a échoué. Dans le raison- D'autres se sont avérés impossibles, et on l'a prouvé ;
nement plausible, il s'agit plutôt de dis- d'autres enfin restent encore à l'état de conjecture, en atten-
tinguer une présomption d' une autre , te de véritable preuve. Les pages qui suivent proposent
de faire la différence entre une pré- quelques exemples de ces conjectures, choisies pour leur
somption plus raisonnable et une autre énoncé compréhensible par tous.
qui l'est moins. Cette façon de voir per- É.B.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible 'I'a.ngent:e -


EN BREF par Élisabeth Busser

De la conjecture Conjectures
authéor~me Leonhard Euler
(1707-1783).
« Quand je serai grande, dit une conjecture, la conjecture
Maman dit que je serai un théorème. » Eh oui,
c' est cela, une conjecture : un « bébé-théo- d'Euler
rème », c'est-à-dire un énoncé mathématique
plausible, qui a déjà fait ses premiers pas en Proposée en 1772 par le
passant le cap d'une myriade de vérifications, math é maticie n suisse
mais qui risque encore de trébucher sur un Leo nhard Euler, cette
contre-exemple, qui l'empêcherait à tout jamais conjecture de théorie des
d'accéder au statut de résultat démontré , c'est- nombres prétendait que :
à-dire de théorème. Parmi les nombreux pro- « pour tout entier supérieur ou égal à 2, la
blèmes ayant fait l'objet de conjectures, certains somme de (n -1) puissances énièmes ne pou-
ont donné lieu à une démonstration en bonne vait pas être une puissance énième.»
et due forme. Ils ont alors changé de nom: ils C' était en quelque sorte une généralisation de la
sont devenus théorèmes. conjecture de Fermat. Et Euler d'annoncer: « Il est
certain qu'il est impossible de trouver trois puis-
sances quatrièmes dont La somme soit une puis-
sance quatrième. » L'histoire lui donna tort puisqu'en
1988 le mathématicien israélo-américain Noam
David Elkies mit en évidence le magnifique contre-
exemple suivant :
2 682 4404 + 153656394 + 18 7967(5()4 = 206156734 .
Il trouva même une méthode pour construire dans
le cas de l'exposant 4 d'autres contre-exemples .
Roger Frye trouva, lui, le plus petit contre-exemple
dans cette catégorie :
95 8004 + 2175194 + 4145604 = 422 4814 .
Avant eux, L.J. Lander et T.R. Parl(in avaient déjà
exhibé, en 1966 , le contre-exemple qui tue:
275 + 84 5 + 1105 + 133 5 = 1445 , mais ... il reste une
petite chance, puisque aucun contre-exemple n'existe
(encore) au-delà de l'exposant 5.
Parmi les derniers en date (et les plus populaires)
dans cette catégorie , on trouve la conjecture Imagine un
de Fermat, énoncée en 1641, devenue en 1994 continent dont
théorème de Fermat-Wiles, la conjecture de l'humanité entière
Poincaré, énoncée en 1904 et résolue en 2003
par Perelman, puis validée en 2006. D'autres serait assurée de
se sont avérés impossibles, et on l'a prouvé ; l'existence et auquel on ne
d'autres enfin restent encore à l'état de conjec- trouverait aucun moyen d'accès ;
ture , en attente de véritable preuve. Voici
quelques exemples de ces conjectures, choi-
voilà ce qu'est une conjecture
sies pour leur énoncé compréhensible par tous. mathématique !
Denis Guedj
Tc:ingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible
par Élisabeth Busser EN BREF

la conjecture de Polya La conjecture de Goldbach


11 s'agit là encore d'une conjecture en théorie Problème mythique de théorie des nombres, cette conjecture
des nombres, énoncée par le mathématicien hon- s'énonce aujourd' hui tout entier pair au moins égal à 4 est
grois Georges Polya en 1919 : somme de deux nombres entiers premiers. Elle sonnait
plus de la moitié des entiers naturels inférieurs comme un défi quand, en 1742, le mathématicien prussien
à un entier donné ont un nombre impair de fac- Christian Goldbach l'a proposée lors d'un échange épistolaire
teurs premiers (comptés avec multiplicité). au Suisse Leonhard Euler, qui, disait-il, « la tenait pour un
Cela semble vrai pour les premiers entiers : pour théorème tout à fait certain, bien qu '{il] ne soit pas en mesure
15, par exemple, huit entiers ont un nombre de le démontrer ». Eh bien, plus de deux cent soixante-dix
impair de facteurs premiers contre six qui en ans après , on ne sait toujours pas le faire, mais personne ne
ont un nombre pair. C'est même vrai .. . jusqu'à l'a réfutée non plus . Tous les espoirs sont donc permis, d'au-
906150256 ( = 24 x 11 x 5148 581), dont les tant plus qu'il existe des avancées. Voici les plus récentes.
entiers en-dessous de lui sont autant à avoir un En 1966, le mathématicien chinois Chen Jingrun prouve que
nombre impair de facteurs premiers qu'un nombre « tout entier assez grand est somme d 'un nombre premier et
pair. Mais, patatras, tout s'effondre pour d'un nombre ayant au plus deux facteurs premiers » (voir Tan-
906 150 257. En effet, son prédécesseur ayant six gente 142, pages 14 à 16). En 1995, le Français Olivier
facteurs premiers, notre nombre a en-dessous de Ramaré démontre que « tout entier pair est somme de six
lui plus de nombres ayant un nombre pair de nombres premiers au plus ».
facteurs premiers qu'un nombre impair! Colin Il existe également, pour les entiers impairs, une conjec-
Brian Haselgrove avait déjà, en 1958, réfuté la ture, dite « faible », de Goldbach : tout entier impair au
conjecture de Polya . Sherman Lehman en a moins égal à 9 est somme de trois nombres premiers . Si on
fourni en 1960 le premier contre-exemple - prouve la première, il suffit d'ajouter 3 à chaque nombre
906 180 358 - mais c'est Minoru Tanaka qui en impair à partir de 6 pour obtenir la seconde, mais pour la ver-
1980 en a trouvé le plus petit contre-exemple, sion « faible», des preuves s'en approchent de plus en plus.
le fameux 906150257 . La dernière en date est celle du mathématicien australien
Terence Tao, médaille Fields 2006, actuellement professeur
la conjecture de Syracuse à l'UCLA, qui a démontré en 2012 que « tout entier impair
peut se décomposer en somme de cinq nombres premiers »
Qu 'elle se nomme conjecture de Syracuse (du (voir Tangente 147, page 5). Sa méthode, dit-il, ne permet-
nom d' une université américaine), problème tra cependant sans doute pas de toucher au but pour la décom-
de Collatz (du nom du mathématicien allemand position des entiers pairs.
qui l'a énoncée en 1937 , ou problème 3x + 1,
elle fait encore aujourd'hui buter les mathé-
maticiens . C'est pourtant simple: Vous allez faire le voyage suivant: 23-70-35-106-53-160-
vous prenez un entier n, s'il est pair vous le 80-40-20-10-5-16-8-4-2-l, en quinze étapes. Votre temps
divisez par 2, s' il est impair, vous calculez 3n de vol est de 15, votre altitude maximale est de 106, votre
+ 1, et vous recommencez . .. Au bout du compte, temps de vol en altitude de 7 (c'est le nombre de points consé-
il semblerait que vous tombiez toujours sur 1 : cutifs strictement supérieurs à la valeur du point de départ).
c'est cela, la conjecture de Syracuse. Pour prouver la conjecture, il suffit de démontrer que la durée
En janvier 2009, le chercheur portugais Oli- de tout vol en altitude est finie. Mais le problème serait-il indé-
veira e Silva a dit avoir vérifié la conjecture cjdable? Serait-il impossible de le déduire, lui ou sa négation,
pour tout nombre n < 20 x 258 . des axiomes habituels de la théorie des nombres ? Les résul-
Les mathématiciens ont inventé , pour tenter tats obtenus par le mathématicien britannique John Conway en
d'apprivoiser le problème , un vocabulaire aéro- 1972, sur une famille de problèmes ressemblant à cette conjec-
nautique assez imagé pour bien décrire le phé- ture , pourraient y conduire. Nous voilà donc avec ce problème
nomène. Prenez par exemple le « vol » n° 23 . aux frontières du possible et de l'impossible.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingent:e


HISTOIRES par Philippe Boulanger

l'impossible de Gtidel ••
la fin d'un rêue
En 1931, il a été établi qu'il est impossible de bâtir les
mathématiques sur des bases axiomatiques« complètes». Ce
fut un coup de tonnerre dans un ciel serein et positiviste. A
l'origine de ce résultat spectaculaire se trouve un homme: le
logicien autrichien Kurt Godel.
lors que le mathématicien alle- 1. Il existe toujours une droite qui passe

A mand David Hilbert s'évertuait


à bâtir un système d ' axiomes
sur lequel se fonderaient toutes les mathé-
par deux points du plan.
2. Tout segment peut être étendu suivant
sa direction en une droite (infinie) .
matiques, de façon qu'en combinant ces 3. À partir d'un segment, il existe un
axiomes on pourrait produire tous les cercle dont le centre est un des points
théorèmes, Kurt Godel (1906-1978) du segment et dont le rayon est la lon-
démontra qu'une telle entreprise était gueur du segment.
vouée à un échec certain. Ce résultat, 4. Tous les angles droits sont égaux entre
c'est le théorème d'incomplétude, qui eux.
énonce que, quel que soit le système 5. Étant donné un point et une droite ne
d'axiomes, il n ' existe dans la théorie passant pas par ce point, il existe une
fondée sur ce système d'axiomes des seule droite passant par ce point et
énoncés qui ne sont pas démontrables et parallèle à la première.
dont la négation n ' est pas non plus Le dernier postulat est le célèbre pos-
démontrable ! tulat des parallèles que des générations
de mathématiciens (et de nombreux
Des Éléments d'Euclide collégiens aussi ambitieux que naïfs)
aux nuages noirs essayèrent de démontrer sans succès
sur la base des quatre premiers . La
Tout commence avec Euclide, qui éta- démonstration semblait impossible, à juste
blit les bases des mathématiques, sous titre : le mathématicien allemand Carl
la forme d'un système d ' axiomes non Friedrich Gauss, ainsi que Bolyai et
démontrables dont la combinaison four- Lobatchevski , démontrèrent qu ' il est
nit les théorèmes. Euclide fonde la géo- possible de construire des géométries
métrie sur cinq axiomes, quelquefois « non euclidiennes » tout à fait cohé-
dénommés postulats : rentes, où, par un point extérieur à une

Ta.ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

Page de couverture des Éléments d'Euclide (édition de 1482).


Les Éléments sont le livre le plus édité après la Bible,
avec plus de mille éditions. Il servit de référence
dans les écoles pour l'apprentissage des mathématiques
jusqu'au début du xx• siècle.

Crétois Épiménide. S'il dit la vérité en


disant cette phrase, alors il ment, mais
s'il ment alors il dit la vérité .. . Terrible
maelstrom où l'esprit se perd. L'axio-
matique des règles de la grammaire ame-
nait des impossibilités. Et il y en avait
d'autres, tel le paradoxe où sur le recto
d'une carte est écrit « La phrase du verso
est vraie » et au verso « La phrase du
recto est fausse ». L'imbroglio semble
irréductible.

Le logicien allemand Gottlob Frege


( 1848-1925) voulut établir les lois de
droite, on peut mener une infinité de la logique sur des bases inébranlables
parallèles à une droite (géométrie hyper- et écrivit un gigantesque ouvrage, les
bolique) ou aucune parallèle (géomé- Fondements de l'arithmétique, où il s'at-
trie elliptique). tache à prouver que l'arithmétique repose
Poincaré, dans cette veine, explique que entièrement sur la logique. En 1902,
la géométrie euclidienne « est et restera après avoir envoyé son manuscrit à l'im-
la plus commode » parce que celle-ci primeur, il reçut une lettre du Britan-
est la plus simple d'un point de vue nique Bertrand Russell où celui-ci exposait
mathématique et « parce qu'elle s'accorde un paradoxe portant sur les ensembles
assez bien avec les propriétés des solides qui ne se contiennent par eux-mêmes, para-
naturels » . Ces considérations montrent doxe dont une version frappante est celle
le génie d'Euclide, qui savait que le cin- du barbier : le barbier ne rase que les
quième postulat était indémontrable sur gens qui ne se rasent pas eux-mêmes ;
la base des cinq premiers . Comment qui rase le barbier ?
s'en était-il persuadé? Mystère.
Le problème des postulats mathéma-
tiques nécessaires semblait résolu, tout
semblait démontrable, et Hilbert pen-
sait que l' on devait triompher en trou- Une solution au paradoxe
vant le « bon » système d'axiomes. du barbier de Russell,
Il existait bien quelques impossibilités qui rase tous les barbiers
logiques, mais elles étaient classées dans qui ne se rasent pas eux-mêmes ?
les paradoxes et semblaient du domaine
des jeux del' esprit plutôt que des mathé-
matiques sérieuses. Ainsi le paradoxe
du menteur, connu des Grecs, s' inté-
ressait à la phrase « Je mens » du

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngent:e


HISTOIRES L'impossible de Godel ...

Gode[ ruina les espoirs de Hilbert de Vienne. Ils ont décidé de partir en
guerre contre l'esprit spéculatif et méta-
en démontrant que l'on peut formuler physique qui règne, selon eux, sur la
des propositions indémontrables. pensée.
Les signataires de ce manifeste,que l'on
Frege est abattu par cet exemple qui définira comme le Cercle de Vienne,
remet en cause toute son œuvre ; il exprime sont des philosophes - comme Moritz
son désespoir en termes touchants : « Pour Schlick (1882-1936), l'animateur du
un écrivain scientifique, il est peu d'in- groupe, ou encore Rudolf Carnap - mais
fortunes pires que de voir l 'une des fon- aussi des logiciens - Kurt Gode! , Otto
dations de son travail s'effondrer alors Neurath, Hans Reichenbach- ainsi que
que celui-ci s'achève. C'est dans cette des physiciens .
situation inconfortable que m'a mis une Pour le Cercle de Vienne, seule la
lettre de M. Bertrand Russell, alors que science, fondée sur la démonstration
le présent volume allait paraître . » Frege rigoureuse et le recours aux faits d 'ob-
ne se remettra jamais de ce coup et Rus- servation, peut faire progresser la connais-
sell construira sa propre théorie des sance (voir Mathématiques et
ensembles (la théorie des types) qui lui Philosophie, Bibliothèque Tangente 38,
permettra de s'affranchir du paradoxe. Mais 2010). Les connaissances scientifiques
la question du système complet d'axiome sont de deux ordres : il y a les propo-
restait posée. sitions logiques et mathématiques qui
sont cohérentes en soi et ne sont pas
liées à l'expérience, puis il y a les pro-
positions empiriques, fondées sur les
faits, qui doivent donc être soumises
aux critères de vérification pour être
établies comme vraies. Tout autre dis-
cours sur le monde est dénoncé comme
vide de sens, ou réduit à des faux pro-
blèmes.
Inspirés par ces réflexions et l' arithmé-
tisation de la logique proposée par les
continuateurs de Leibniz et Boole, Gode!
associe à chaque formule, et donc à
chaque démonstration, un nombre de
Godet. À l'aide de cette formalisation,
Les cafés viennois étaient une institution : il trouve qu'il existe, avec au départ un
étudiants et professeurs se retrouvaient dans une atmosphère certain nombre d'axiomes, des propo-
moins compassée que l'Université. sitions arithmétiques qui sont à la fois
vraies et non démontrables. On les appelle
le Cercle de Uienne des indécidables du système formel.
Selon le philosophe Jaakko Hintikka,
La Conception scientifique du monde Gode! a montré que toutes les proposi-
est le titre d'un manifeste qui paraît à tions vraies de l' arithmétique ne peu-
Vienne en 1929. Ce texte émane d'un petit vent être démontrées dans un seul et
groupe de jeunes turcs viennois issus unique système formel donné .
des cénacles que constituent les cafés Cela semble ruiner tout espoir de « corn-

Tc:ingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

pléter » le système formel pour y inclure


la proposition indécidable trouvée, car
on trouverait encore, avec ce nouveau sys-
tème d'axiomes et en appliquant à nou-
veau le raisonnement de Godel, de
nouvelles propositions souffrant de la
même tare. La non-contradiction n'est
plus un critère nécessaire de validité des
théories axiomatiques : la non-complé-
tude implique l'indémontrabilité de la non-
contradiction en arithmétique (et donc
en mathématiques). Le rêve de Hilbert
était mort et l'affirmation de Godel pre-
nait toute sa signification : « Soit les
mathématiques sont trop grandes pour scientifique date de 1958. Il se laissera Einstein et Godel
l'esprit humain, soit l'esprit humain est mourir de faim en 1978, de crainte à Princeton.
plus qu'une machine. » qu'on n'empoisonne sa nourriture !
Le théorème de Gode! passe inaperçu
pendant quelques semaines dans la com- Une autre anecdote circule à son sujet.
munauté mathématique, mais un audi- Tout immigrant devait jurer fidélité à
teur, le mathématicien John von Neumann, la Constitution américaine. Godel, en
en saisit immédiatement la portée : il bon logicien, ne signait pas à la légère
est convaincu, et le fait savoir, que le et lut la Constitution. Il y décela une
théorème de Gode! est « la plus grande contradiction logique et courut dire à
découverte logique depuis longtemps ». son voisin et ami Einstein qu'il lui
Le théorème aura effectivement d'im- était impossible de signer une décla-
menses répercussions en logique et en ration incluant une contradiction. Ein-
informatique théorique ; Turing démon- stein eut toutes les peines du monde à
trera, au grand dam des informaticiens, le persuader d'oublier, le temps d'un
qu'il est impossible de trouver un algo- serment, son souci de logicien !
rithme qui détermine si un programme
s'arrête ou non. Il n 'existe pas de pro- P.B.
grammes détectant toutes les boucles
dans un programme. Cela ne signifie
évidemment pas que l ' on ne peut en
détecter en opérant avec soin, mais il
n' est pas de programmation universelle
qui détectent toutes les erreurs .
Godel démontrera d'autre résultats de
logique au cours de sa vie, notam- Références
ment sur la compatibilité de l 'axiome • Les démons de Godet. Pierre Cassou-Nogues,
du choix avec l'arithmétique , mais il Les Belles Lettres, 2004.
ne continuera pas sur sa brillante lan- • Godet, logique à la folie. Gianbruno
cée. Émigré aux États Unis, il sera Guerrerio , collection Les génies de la Science,
nommé professeur à Princeton. Il tom- Pour La Science, 2004.
bera dans les années 1950 dans une pro- • La déesse des petites victoires. Yannick
fonde dépression et son dernier article Grannec , éditions Anne Carrière, 2012 .

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Ta:ngente


SAVOIRS par Hervé Lehning

es reuues
inacceptables 1
L'acceptation de nouvelles preuves par la communauté
mathématique est question de consensus. Certaines font
polémique, d'autres sont acceptées un temps ... pour devenir
inacceptables ensuite. Et pour d'autres encore c'est le
contraire ... Où se situent les frontières ?
prémonitoires. Examinons ceux de Leon-
ca1m1 d'une so•e géométrique hard Euler, le génie du XVIIIe siècle ,
Les termes du produit de 1 + x + x2 + ... + x" par 1 - x dont les procédés de validation des résul-
s'éliminant de proche en proche, il est égal à 1 - x"+ 1, tats n'étaient visiblement pas les nôtres
ce qui donne (en remplaçant x par son opposé puis en
divisant par 1 + x six~ -1) : Les calculs surréalistes d'Euler
2 3 1-(-x)"
1-x+ x -x + ... +(-x)" = - ~~
l+x Ailleurs dans ce numéro, vous verrez
Si lxl < 1, le terme x"+t tend vers zéro donc comment Euler « prouve » que
2 3
1-x+x -x + ... = - - .
1 1-1+1-l+l-l+ ... = .!..
l+x 2
La limite en 1 est alors facile à calculer, Avec les théories de l'époque , cette
elle vaut bien 1/2. preuve était inacceptable car Euler y
admet que cette somme a un sens , la
nomme S, avant d'utiliser ce nombre
e11aines preuves sont délirantes, dans des calculs, comme s'il s' agissait

C comme celles qui, de nos jours


encore, prétendent démontrer le
cinquième postulat d'Euclide ou la qua-
d'une somme ordinaire, c'est-à-dire d'un
nombre fini de termes :
S=l-l+l-1+1-1+ ...
drature du cercle. Mais consacrons-nous = 1 - [l - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + .. .]
ici à des preuves qui peuvent réellement = 1-S.
prétendre à ce titre. L'exigence de rigueur Le « nombre » S est donc solution de
a évolué au long des siècles, même si les l'équation S = 1 - S, ce qui fournit sa
calculs « faux » ou plutôt « incorrects » valeur : S =1/2. Avec la définition clas-
des grands mathématiciens sont souvent sique de la convergence, cette preuve

Tcingen'te Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

n'a aucun sens car les sommes partielles


oscillent entre 1 et O, donc ne s' appro-
chent jamais de 1 /2.Autrement dit, cette Ernesto Cesàro
série est divergente ! (1859-1906).
Euler n'hésite pas à aller plus loin et en
déduit des résultats du type :
!im(l - x + x 2 -
3
x + .. .)
, -1
1
=1 -1+1-l+ ... =-.
2
Ce résultat est correct, comme le montre
le calcul d'une somme géométrique ...
ce qui est troublant. En fait, Euler a rai-
Convergence au sens de Cesàro
son . Si on doit attribuer une valeur à la On considère une somme u0 + u1 + ... + un + ...
somme de cette série divergente au sens dont on note Sn la somme partielle de rang n:
classique, alors 1 /2 est la seule pos- Sn ="o + "1 + ·· · + "n·
sible. Pour le justifier, encore faut-il Si la moyenne arithmétique des n premières sommes
inventer une théorie dans laquelle cette partielles so + si + ··· + s. tend (au sens classique) vers un
somme est convergente. Ce sera l'œuvre n+l
d'Ernesto Cesàro, qui proposera une nombre S, alors ce nombre S est appelé la somme de
sorte de convergence en moyenne. Le "o + u 1 + ... + un + ... au sens de Cesàro.
côté inacceptable de la preuve d'Euler Avec cette définition, on trouve bien
appelle donc simplement la générali-
sation d'une définition. Autrement dit,
1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + ... = !.2 au sens de Cesàro.
cette « erreur » est productive, comme On montre qu'il s'agit d'une généralisation de la somme.
souvent chez Euler. Autrement dit, si une somme est égale à S au sens ordi-
Les calculs d'Euler n'ont pas fait scan- naire, elle l'est également au sens de Cesàro.
dale en son temps car ils avaient la force
de l'autorité. En revanche, ils ont abouti
à un effort de rigueur au XIXe siècle, algébriques, donc que leur ensemble est
où on est revenu aux principes de l' An- dénombrable. En revanche, il montra
tiquité en ce qui concerne la validation que l'hypothèse d'une numérotation des
des résultats , c'est-à-dire à la notion de nombres réels aboutissait à une contra-
preuve fondée sur des axiomes admis diction. Il en déduisit que l'ensemble
et les règles de la logique. des nombres réels est non dénombrable.
À la fin du XIXe siècle, Georg Cantor Le corps des nombres réels est donc de
fit scandale dans le monde mathéma- cardinal strictement plus grand que le
tique avec une démonstration de l'exis- dénombrable. Depuis Cantor, on dit qu'il
tence de nombres transcendants car, pour a la puissance du continu. L'ensemble
cela, il a joué sur les différences d 'infi- des nombres algébriques étant dénom-
nis . Son idée de départ était de dire que brable, Cantor en déduisit qu 'il ne pou-
les nombres réels se subdivisent en deux vait se confondre avec celui des nombres
classes : les nombres algébriques et les réels ... d'où l'existence de nombres
nombres transcendants. Il démontra alors transcendants. Cette démonstration fit
en numérotant les équations à coeffi- scandale dans le monde mathématique
cients entiers qu ' il était possible égale- car elle établissait l'existence de nombres
ment de numéroter les nombres sans en exhiber un seul ! La démarche

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Ta.n9ent:e


SAVOIRS Des preuves inacceptables ?

fait, les deux « démontreurs » ont réduit


la diagonale de Cantor la question à l'analyse de 1478 cas, pour
chacun desquels ils ont fourni un algo-
rithme de vérification. À l'époque, cer-
Réel 1 0, [I] 3 5 9 tains mathématiciens ont rejeté cette
preuve, en faisant valoir qu ' Appel et
Rée12 0, 3 [3J 9 8 Haken n'avaient pas prouvé que l'unité
centrale de leur ordinateur fonctionnait
Réel 3 0, 8 3 [I] 7 bien ! Depuis, la démonstration a été
réduite , et le résultat obtenu par d'autres
équipes utilisant des programmes écrits
Nouveau 0, 1 2 7 9 ... de façon indépendante. Finalement, c'est
la question essentielle : une preuve doit
Écrivons les nombres entre o et 1 dans l'ordre de leur numé- être reproductible par son lecteur. Ce
rotation supposée (dont l'existence correspond à l'hypo- type de « scandale » s'est retrouvé en plu-
thèse de dénombrabilité), l'un en dessous de l'autre, puis sieurs occasions, dès qu'une intervention
conservons-en la diagonale, ici 252 ... Nous obtenons une massive de l'ordinateur est nécessaire ;
suite de chiffres que nous modifions de sorte à obtenir un le dernier en date concerne l'empile-
nouveau nombre. ment optimal de sphères, qui était une
Où est-il rangé? Nulle part dans la liste! conjecture de Johannes Kepler (XVIIe
siècle) et qui fut démontrée finalement
par Thomas Hales en 1998.
de Cantor est malgré tout correcte, même Le même phénomène d'acceptation se
si elle manque de rigueur (en effet, de pose pour les preuves tellement longues
façon aujourd'hui qualifiée de naïve, il qu ' un seul mathématicien peut diffici-
appelle « ensemble » toute collection lement l'embrasser. Pas toujours facile
d'objets pouvant être considérés comme de trouver l'erreur s'il y en a une ! Ce
ensembles, pour leur appliquer ensuite fut le cas pour un théorème de théorie
toutes sortes d'opérations; cette démarche des groupes dû à Feit et Thompson (XXe
a généré des paradoxes et depuis on siècle), puis du théorème de Fermat-
appelle cette période la crise des fon- Wiles. Les deux preuves se révélèrent cor-
dements). La preuve « inacceptable » rectes ... avec une petite correction à
de Cantor a généré une crise ... et donc apporter pour la seconde . D ' autres
un renouveau des mathématiques. « preuves » proposées à la communauté
En 1976, Kenneth Appel et Wolfgang mathématique se révélèrent incorrectes ...
Haken firent scandale avec une démons- mais il est toujours plus facile de décou-
tration du théorème des quatre couleurs vrir une faille dans une preuve que d'avoir
selon lequel, si tous les pays sont« d'un l'assurance qu'il n'en existe pas!
seul tenant » (ce qui est faux en Europe, Sans être inacceptables, ces très longues
à cause de la Prusse orientale autrefois preuves laissent un goût d'inachevé, et
et de la Russie aujourd'hui), quatre cou- la recherche de preuves plus courtes et
leurs suffisent pour colorier une carte plus convaincantes reste un problème
de géographie sans que deux pays ayant ouvert. Les mathématiciens cherchent
une frontière commune aient la même donc toujours une preuve du théorème
couleur. Cette démonstration a troublé de Fermat pouvant tenir dans une marge ...
la communauté mathématique, car elle
exige l'utilisation d ' un ordinateur. En H.L.

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Élisabeth Busser EN BREF

Le théorème le théorème
des quatre couleurs de Poincaré-Perel an
---
r- =;1 Quatre couleurs,
pas moins, pour colorier
cette carte !
Formulée pour la première fois en 1902 par Henri
Poincaré, la conjecture qui portait son nom ne
s'énonce pas simplement.

l -t:- J «Il est possible, en utili- « Toute variété compacte simplement connexe de

- sant quatre couleurs seu-


le me nt, de colorier
n'importe quelle carte faite de régions connexes
dimension 3, sans bord, est homéomorphe à une
hypersphère de dimension 3. »

de sorte que deux régions adjacentes n'aient


;amais la même couleur. »

Conjecturée en 1852 par le mathématicien sud-


africain Francis Guthrie , objet de plusieurs «
démonstrations » fausses au cours de l'histoire ,
cette propriété est finalement démontrée en 1976,
en utilisant une vérification par ordinateur de tous
les cas litigieux.

le théoreme
de fermat-Wiles Pour les profanes cela signifie que la sphère est le
seul espace de dimension 3 sans trous, ou encore
« Il n'existe pas de nombres entiers x, y, z tels qu ' il est impossible de déformer de manière conti-
que x" + yn =~dès que l'entier n est strictement nue une sphère pour en faire un tore. Le résultat,
supérieur à 2. » mis à prix en 2000 par le Clay Mathematics Insti-
Cet exposé, anodin d ' apparence, cité sans démons- tute, n'a trouvé de démonstration qu'en 2003 (vali-
tration par Fermat au XVIIe siècle, malgré d'in- dée en 2006 par la communauté mathématique),
cessantes recherches de mathématiciens de renom par le mathématicien russe Grigori Perelman qui reçut
pendant plus de trois cent cinquante ans , n' a donné pour cela de nombreux honneurs et distinctions,
lieu à une démonstration achevée qu'en 1995. C'est qu'il refusa d'ailleurs . La démonstration est si
le mathématicien britannique Andrew Wiles qui a récente que Je monde mathématique parlera quelque
donc le droit d ' accoler maintenant son nom à cette temps encore de« conjecture de Poincaré » au lieu
célèbre conjecture devenue théorème. de « théorème de Poincaré-Perelman ».

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tcingente


par Édouard Thomas

Le monumental théorème de Feit~Thompson reçoit

une preuue formelle


Après six années de travaux, Georges Gonthier et son équipe
ont réussi à produire une preuve formelle du théorème de Feit-
Thompson en théorie des groupes. La preuve originale de ce
résultat, longue et complexe, a été controversée en son temps.
Tangente a interviewé le « chef d'orchestre » de ce projet.
impair sont abéliens, ou encore tous les
groupes d'ordre impair sont résolubles
[voir en encadre1.
C'est un collègue qui m' a suggéré de
regarder la preuve de ce résultat, car elle
a été très controversée en son temps .
C'était la première fois, en 1963, qu'on
publiait, en théorie des groupes, une
preuve de plus de deux cents pages !
Au moment où j ' ai commencé à tra-
vailler sur ce problème, plus aucun doute
ne subsistait sur sa validité car une preuve
révisée avait été produite (en deux
volumes, à la fin des années 1990, soi1
plus de trente ans après la preuve ori-
ginale !). Avant cette révision, il restai1
Georges Gonthier, du Microsoft Research-Inria des doutes sur l ' exactitude de tous les
Joint Center (Saclay), au tableau devant la définition formelle calculs : la preuve est très compliquée
d 'un groupe ambiant. et passe par beaucoup d'arguments où
tout marche sur un fil.
ourriez-vous resituer le théo- Mon idée est que l'on peut utiliser des

P rème de Feit-Thompson dans


son contexte et nous expliquer
comment vous en êtes venu à vous
outils informatiques, des outils de génie
logiciel, pour organiser la manière don1
on présente les théories mathématiques
intéresser à ce résultat ? de manière à ce qu'elles s'articulent les
Georges Gonthier : Le théorème de unes avec les autres. Les mathématiques
Feit-Thompson est un résultat d'algèbre « intéressantes » proviennent de la jux-
qui s'énonce de manière élémentaire : taposition de théories apparemment indé-
tous les groupes finis simples d'ordre pendantes, qui semblent parler de choses

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

totalement différentes. Des théories plus


élémentaires et disparates s 'assemblent
Un peu de théorie des groupes...
pour reconstruire toute la preuve. Un groupe est un ensemble G d'éléments muni d'une opéra-
tion notée • vérifiant les propriétés suivantes :
Le résultat s'énonce simplement, mais o le produit x• y est dans G pour tous éléments x et y dans G ;
la démonstration est très longue et ox•(y•z) = (x•y)•zpourtousx,yetzdansG;
technique! Comment vous l'êtes-vous oil existe un élément e dans G tel que, pour tout a dans G,
appropriée ? a•e=e•a=a;
En commençant par le début! Qu ' est- o pour tout élément a de G, il existe un élément, noté x-1, tel
ce qu'un groupe ? L ' important n ' est que x·x-1 = x-1 ·x = e.
pas d' en trouver une définition , mais de
trouver la définition qui va être réelle- Si en outre les éléments de G vérifient x • y = y• x quels que
ment utilisée lorsque l' on fait vraiment soient x et y, alors (G, •) est dit abélien ou commutatif
de la théorie des groupes. J'ai compris Le théorème de Feit-Thompson concerne les groupes finis,
tout de suite que « théorie des groupes » c'est-à-dire les groupes possédant un nombre fini d'éléments
est une mauvaise appellation : en fait , (on appelle ordre de G le nombre de ses éléments), et plus
c ' est une « théorie des sous-groupes » précisément les groupes finis simples. Un groupe simple est
que l'on pratique , car la plupart du en quelque sorte un groupe qui ne peut être « réduit » à un
temps on considère les sous-groupes sous-groupe plus maniable, ce qui permet parfois de voir les
d'un groupe ambiant. Si dans mon inter- groupes simples comme les « briques élémentaires » de la théo-
face je ne capturais pas ce concept, rie des groupes. Techniquement, G est simple si ses seuls
alors en permanence j ' allais me battre sous-groupes distingués sont (G, •) lui-même et ({e}, • ).
avec mes choix de définition. Il a donc Le théorème de Feit-Thompson s'énonce alors ainsi:
fallu faire des choix de formalisation à tout groupe fini simple et non commutatif est d'ordre pair.
l' intérieur du système formel que nous
avons utilisé, Coq . Ce ne sont pas for- C'est un résultat fondamental de la théorie des groupes, qui
cément les choix les plus simples et les permet d'obtenir une classification complète des groupes
plus naturels , mais ce sont ceux qui finis simples.
permettent d ' utiliser la théorie. Par
exemple un groupe est défini comme un
sous-groupe d ' un groupe ambiant. table pour pouvoir démontrer un résul-
Les concepts qui interviennent dans l 'é- tat de recherche. C'est ce passage à l'é-
noncé du théorème se situent à un niveau chelle qui manquait dans les travaux de
élémentaire de la théorie : ordre d ' un formalisation précédents .
groupe, groupe simple , groupe distingué, Nous avons consacré quatre années à
groupe résoluble . Pour énoncer le théo- comprendre comment traiter les diffé-
rème de Feit-Thompson en Coq, en par- rents pans de l'algèbre dont on avait
tant de la logique élémentaire et en besoin (algèbre élémentaire , manipu-
définissant tout depuis l'égalité et l'a- lations algébriques, polynômes, matrices,
rithmétique , on n ' a besoin que de qua- algèbre linéaire, théorie des corps finis ,
rante-cinq lignes de définitions ! Mais théorie de Galois, théorie algébrique
pour le démontrer. .. C ' est ça l'intérêt des nombres). Et de même au sein de la
principal de l'exercice : pour arriver à théorie des groupes : théorèmes de
reconstruire toute la preuve , il fallait Sylow, théorie des p-sous-groupes,
formaliser en Coq et avec des moyens groupes nilpotents , théorie des repré-
raisonnables un cursus d ' algèbre com- sentations, séries centrales, morphismes,
plet , de manière suffisamment exploi- théorie des caractères . ..

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


INTERVIEW Le théorème de Feit-Thompson

La lecture de la preuve publiée, sa com- dans le second ouvrage, qui fait que la
préhension et sa traduction en langage propriété erronée ne sert pas , en fin de
formel sont rapides . Ce qui est long , ce compte, dans la preuve ! La réparation
sont les retours en arrière et l'établissement a consisté à corriger la coquille (ce qui
de bases solides et adaptées à la démons- modifie la propriété concernée), puis à
tration. Au final, la traduction sous la ignorer cette propriété car elle ne sert
forme d'une preuve formelle du pre- pas. Au final , c' est sans conséquence
mier des deux volumes a été rapide, sur le résultat. Je signale que dans la
moins d'un an (en 2010). Pour le preuve d'origine, il y avait des erreurs
deuxième tome, cela a pris presque deux beaucoup plus sérieuses : en 1991 , Feit
ans (2011 et 2012) ; il nous manquait une et Thompson ont dû revenir à la charge
formalisation de la théorie algébrique des et étendre leur démonstration (ils démon-
nombres et de la théorie des caractères . traient un cas particulier d ' une pro-
priété, puis l'utilisaient dans un cadre
Quels sont les obstacles que vous avez plus général).
dû surmonter ?
Souvent, en mathématiques, on néglige On entend souvent dire que la lon-
les détails, on « balaie sous le tapis » gueur des preuves formelles est au
pour se focaliser sur les grandes lignes, moins dix fois supérieure à la lon-
les idées générales, les bons concepts. gueur des preuves publiées. Est-ce
On en a un exemple dans la preuve révi- le cas?
sée du théorème des quatre couleurs , Si une preuve formelle fait dix fois la
dans laquelle on trouve, au sujet d'un point taille de la démonstration mathématique
technique, un commentaire du type publiée , c'est qu'il y a un problème
« C'est du folklore, tout le monde sait com- avec la manière dont la théorie sous-
ment ça marche, ce n'est pas très dur mais jacente a été développée, c'est qu'on
c'est assez fastidieux ». Et ce« folk- refait dans la preuve une étape qui aurait
lore», ce point technique, n'est expli- dû être réalisée avant, c'est que quelque
cité nulle part dans la littérature. La chose n'a pas été compris. Par expé-
description mathématique du problème rience, si le travail a bien été fait , la
est incomplète, et il nous a fallu propo- preuve formelle fait à peu près la même
ser une description plus précise. taille que la preuve papier. Effective-
Sinon, au quotidien, on rencontre par- ment, dans un problème de recherche,
fois des petites erreurs. Par exemple, on est sur des facteurs de l'ordre de 2
dans la version révisée du théorème , à 4 , mais guère plus ... Au-delà, il y a
une erreur se glisse entre les deux matière à optimiser. Et par ailleurs, pour
volumes. Une coquille dans une des certains résultats purement algorith-
propriété technique a transformé un H miques, une preuve formelle peut être
en M, malgré tout le soin et l' attention plus courte que la preuve publiée ! Dans
portés par les auteurs de ces deux le cas de Feit-Thompson, par exemple,
ouvrages. Même après trois relectures, une fois qu'on a les bonnes définitions,
je n'avais rien vu. C'est le système Coq tous les théorèmes de la théorie géné-
qui est tombé dessus ! Le souci, c'est que rale des groupes se démontrent en
la coquille se trouvait dans un résultat quelques lignes en Coq, rarement plus
qui devait vraiment être utilisé dans la de cinq lignes en fait.
démonstration. Mais ce qui nous a sau-
vés, c'est qu'il y a une deuxième faute Propos recueillis par É. T.

T«ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Hervé Lehning EN BREF

l'absolutisme de la droite
Un petit exercice paradoxal montre que __........__ nos yeux ne suffisent pas
pour raisonner. Considérons __........__ un triangle ABC
__........__ tel que
'
la longueur
AB vaut 10 cm, l'angle BAC 54° et l'angle ABC 37°. A l'extérieur
__........__
de ce triangle, construisons le point D tel que l'angle BCD vaille
90° et la longueur CD 5 cm. Que peut-on dire des points A,
CetD?
À l'aide d'une règle et d'un rapporteur, nous obtenons la
figure ci-contre. Il semble que les points A, C et D sont
alignés. Mais le mathématicien ne se contente pas de

-
ce cype d'impression, il s'en méfie. Il calcule l'angle
ACB. Comme la somme des angles d'un triangle
__........__
vaut 18o~CB vaut 180° - 54° - 37° = 89°.
A B
L'angleACD n'est donc pas plat, c'est-à-dire
que les points A, C et D ne sont pas alignés. Sur le dessin, les points A, C et D
semblent alignés.

Pi est égal à deux l!I


Partons d'un demi-cercle de rayon 1 cm. Son diamètre mesure 2 cm et sa circonférence 7t cm.
Remplaçons le demi-cercle par deux demi-cercles de rayon moitié. La circonférence de la nou-
velle courbe mesure encore 7t cm.

Première phase :
le demi-cercle est dédoublé.

Continuons ainsi. La courbe composée de demi-cercles mesure toujours 7t cm.

Seconde phase :
nous obtenons une suite de courbes.

7t = 2. Où est l'erreur?
À la limite, la courbe supérieure se confond avec le diamètre ... donc:
Dans la conclusion : une suite de courbes peut converger vers une courbe fixe sans que leurs
longueurs se confondent.

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Tc:in9ente


SAVOIRS par Hervé Lehning

Quand les calculs


deuiennent impraticables
Certains calculs, théoriquement simples, sont pratiquement
impossibles. Vous lancez votre ordinateur... et il boucle. Vous
n'aurez jamais le résultat promis. On a inventé une théorie
pour traiter ce cas de figure ...

dmettons que vous vouliez indéfiniment. La sécurité des échanges

A factoriser un nombre entier,


par exemple 1 537. Comment
opérer? L' idée la plus simple est d'es-
sur Internet est fondée sur cette impos-
sibilité pratique de la factorisation des
très grands nombres (voir le hors-série
sayer de le diviser par tous les nombres 26 de la Bibliothèque Tangente sur la
premiers dont le carré est inférieur à cryptographie ou l'Univers des codes
1 537, c'est-à-dire à 39. Il en reste secrets paru chez Ixelles) . Il existe une
peu: 2, 3, 5, 7, 11, 13, 17, 19, 23, 29, différence entre les calculs théorique-
31 et 37. Au maximum, cela fait douze ment faisables et ceux que l'on peut
divisions à effectuer. En fait, la dixiè- effectivement réaliser.
me suffit et nous trouvons la factorisa-
tion 1 537 = 29 x 53. Du point de vue Calcul d' une puissance
théorique, l'affaire semble réglée.
Pourquoi creuser davantage ? La Pour illustrer autrement le propos, ima-
réponse est dans la question : factori- ginons le calcul de 2 1 024 . A priori, il
sez 204 772 252 535 820 659. Sa raci- s'agit d'effectuer 1 024 multiplications
ne carrée vaut environ 452 millions, ce successivement selon l'algorithme sui-
qui fait de l'ordre de vingt millions de vant (écrit dans un pseudocode proche
nombres premiers à essayer ! Ce calcul du langage Python) :
est bien entendu irréalisable à la main.
Il l'est par ordinateur, même avec une P=l
méthode aussi rustique que la précé- N=O
dente, vu les performances des ordina- Tant que N < 1 024 :
teurs actuels. On trouve deux facteurs : P=2xP
7 719 373 187 et 26 527 057. N=N+ l
Cependant, le temps de calcul augmen- Écrire P
te de façon exponentielle et il devient
vite pratiquement infaisable. En termes Le temps de calcul est ici environ
d'informaticien, le programme boucle 1 024 fois le temps pris par une simple

IEm Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


LA NOTION DE PREUVE

multiplication. Il peut être diminué Paris- Brest, Brest- Lyon.


notablement en s'y prenant autrement. À chaque parcours, on associe une dis-
Pour cela, la remarque essentielle est tance, on compare les nombres obtenus
que l'on peut atteindre les exposants et on choisit le plus petit. Un parcours
puissances de deux rapidement, en correspond au choix d'un ordre entre
effectuant une suite de carrés, comme trois villes, soit le plus petit nombre
le montre le tableau ci-dessous : parmi six. La question est vite réglée.
Imaginons le même problème avec
n 0 1 2 4 8 quatre villes, il s'agit d'intercaler une
2 2
2" 1 2 4=2 16 =4 256 = 162 ville entre les trois précédentes, ce qui
16 l 32 1
fait quatre possibilités pour chacune
65 536 = 2562 l 4 294 967 296 = 65 536
2
1 des précédentes, soit vingt-quatre pos-
sibilités. Pour cinq villes, on obtient
Le nouveau programme est : 5 x 24 = 120 possibilités, et ainsi de
suite. Si on pose le problème pour dix
P=2 villes, le nombre de possibilités est
N=O égal au produit des entiers de 2 à 10,
Tant que N < 10 : que l'on note 10! (« factorielle dix») et
P=PxP qui vaut 3 628 800. Si le voyageur sou-
N = N+ 1 haite visiter vingt villes, il est confron-
Écrire P té à un calcul impraticable, puisque le
nombre obtenu possède dix-huit
Autrement dit, en dix opérations, on chiffres. Autrement dit, s' il faut une
obtient le même résultat qu'en plus de nanoseconde pour un seul de ces cal-
mille ! De façon générale, on passe de culs, le calcul complet prend plus d'un
n à log2 n opérations. On conçoit faci- milliard de secondes, soit plus de tren-
lement qu'un calcul praticable par la te ans . .. Le temps de vieillir devant
seconde méthode ne le soit pas par la son ordinateur en attendant le résultat !
première. On peut imaginer un pro- Le problème de voyage que nous
gramme qui ne sort jamais de la boucle venons d'évoquer est connu sous le
« tant que ». Il suffit pour cela que la nom de problème du voyageur de com-
condition ne soit jamais réalisée. Cela merce. On constate qu'il n'est pas
peut provenir d'une erreur de program- résoluble par la méthode « simple » qui
mation ou d'une erreur de conception vient d'être exposée ... car, de façon
de l'algorithme. Il est facile de produi- étonnante, la complexité de cette
re des exemples théoriquement correct méthode est élevée.
mais inatteignables du fait du temps de
calcul nécessaire. La notion de compleKité

Imaginons qu ' un voyageur souhaite Ainsi, la différence entre calculs prati-


réaliser un trajet entre quatre villes, cables et impraticables tient dans leurs
disons Paris, Strasbourg, Brest et Lyon, temps d'exécution, qu'il est facile de
en partant de Lyon et en y revenant, tout mesurer a posteriori, un chronomètre à
en minimisant le nombre de kilomètres la main. Si on veut en avoir une idée a
parcourus. Une idée simple est de faire priori, on le modélise par la notion de
la liste des parcours possibles tels : complexité, en comptant le nombre
Lyon- Strasbourg, Strasbourg- Paris, d'opérations nécessaires pour arriver

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente l]il


SAVOIRS

au résultat cherché. Elle se mesure en total reste polynomial. En première


fonction de la taille des données, qui se approximation, on peut se représenter
résume à un nombre n. On considère notre machine non déterministe
comme praticables les calculs dont la comme l'assemblage impossible décrit
complexité est d'ordre polynomial, ci-dessus. Bien entendu, l' intérêt de
c'est-à-dire majorée par une constante ces machines imaginaires est que l'on
multipliée par une puissance de n, les sait montrer qu 'un grand nombre de
autres sont considérés comme imprati- problèmes difficiles sont NP alors
cables, du moins pour des valeurs éle- qu'on ne sait pas s' ils sont P. Laques-
vées de n. Un problème pour lequel on tion importante est de savoir si P = NP.
peut trouver un algorithme en temps On a de bonnes raisons d'en douter car
polynomial est dit P. Dans le cas de la cela signifierait que l' on peut résoudre
factorisation, en prenant pour taille n le le problème du voyageur de commerce
nombre de chiffres, ce n'est pas le cas en temps polynomial. Cependant le
des algorithmes classiques, même les problème reste ouvert, et fait partie des
plus sophistiqués, encore moins dans le sept problèmes que la fondation Clay a
cas du problème du voyageur de com- doté d'un prix d'un million de dollars
merce. En revanche, trier n cartes est un pour celui qui le résoudra.
problème P puisqu'il suffit de les passer
en revue pour trouver la plus petite, ce
qui implique n opérations, et recom-
mencer, d'où 1 + 2 + ... + n opérations,
ce qui est de l'ordre du carré den.

Le type de machine utilisé jusqu'ici est


dit déterministe . Il s'agit du modèle
des machines effectivement utilisées
de nos jours, comme les ordinateurs.
Après chaque action en vient une autre,
bien déterminée. Un problème est dit Stephen Cook (né en 1939), le père
NP s'il existe une machine non déter- des problèmes NP-complets.
ministe le résolvant en temps polyno-
mial. Qu'est-ce qu'une machine non Stephen Cook a généralisé la question
déterministe? N'en cherchez pas dans en introduisant la notion de NP-com-
votre supermarché, il s'agit d'un outil plétude. Les problèmes NP-complets
théorique. Décrire une telle machine sont ceux qui ne peuvent être résolus en
est abstrait. Il est cependant possible de temps polynomial que si P = NP. Le
comprendre pourquoi le problème du problème du voyageur de commerce
voyageur de commerce est NP sans est un problème NP-complet mais il en
rentrer dans ces détails. Imaginez seu- existe un grand nombre d' autres.
lement disposer d'une infinité d'ordi- Trouver un algorithme polynomial pour
nateurs identiques. À chacun, on fait un problème NP-complet revient donc
calculer la distance d'une route pos- à résoudre le problème « P = NP ? ».
sible. Chaque résultat est obtenu en H.L.
temps polynomial. Si un super-ordina-
teur peut alors trouver le plus petit de
ces nombres instantanément, le temps

r.r:'11 Tc:ingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


11.:.1.:.11
SAVOIRS par Jean-Paul Delahaye

l'échelle de
l' e1eistence mathématique
L'existence est une notion bien plus délicate en mathématiques
qu'en sciences physiques. Les résultats d'impossibilité prouvés
au xx_e siècle semblent imposer une échelle d'au moins quatre
barreaux dans les degrés d'existence mathématique.
Jean-Paul Delahaye est ' E= { {1,2 ,3}, {a,b}, {x,y, z}, {A,B}},

L
existence mathématique est
chercheur au Laboratoire une notion très délicate et on peut extraire au moins un ensemble
d'informatique . discutée depuis bien long- C « en choisissant » un élément dans
fondamentale de Lille temps. La première distinction que l'on chaque ensemble de E.
(UMR CNRS 8022) rencontre entre différents degrés d'exis- Ici C ={2, b, x, A} conviendrait.
et professeur à l'Université tence a créé d'énormes problèmes aux L'axiome du choix permet en effet d'éta-
de Lille-1 mathématiciens du début du :xxe siècle. blir que l'ensemble des nombres réels IR
Elle est due aux objets dont on prouve peut être muni d' un bon ordre. Un bon
l'existence dans l'abstrait (par exemple ordre sur IR est une relation d'ordre telle
dans le système de preuve de la théo- que toute partie de IR possède un plus petit
rie des ensembles), mais qu'on ne sait élément (l'ordre usuel sur IR n'en est
pas définir à titre individuel, c'est-à- pas un, car IR n'a pas de plus petit élé-
dire dont la preuve d'existence ne per- ment). Il est déconcertant que l'axiome
met pas de déduire une caractérisation du choix conduise à prouver qu 'il existe
précise. un bon ordre pour IR, car personne n'a
jamais pu définir un tel bon ordre de
L'embarras du choix manière explicite . Pire, les logiciens
Solomon Feferman et Azriel Levy ont
Les plus beaux exemples de cette situa- réussi à montrer que jamais on ne réus-
tion se manifestent à propos de l'axiome sirait à trouver une formule de la théo-
du choix. Cet axiome affinne que de tout rie usuelle des ensembles qui caractérise
ensemble E d'ensembles non vides, par un bon ordre précis de IR. On est donc
exemple dans la situation où on prouve que quelque
chose existe, mais où on sait par avance
qu'on ne le saisira jamais !
En mathématiques, tous les « il existe » L'axiome du choix a de multiples consé-
ne se valent pas. quences de ce type. En voici une autre.

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

IR est un 0-espace vectoriel, et donc


d'après le théorème (obtenu en utili-
sant l'axiome du choix) qui indique que
tout espace vectoriel possède une base,
IR possède une base en tant que 0-espace
vectoriel. Précisément, cela signifie
qu'il existe au moins un ensemble de
nombres réels B tel que tout nombre
réel s'écrit de manière unique comme
combinaison linaire finie à coefficients
dans Q d'éléments de B. Personne pour
l'instant n'a su définir précisément une
telle base B (appelée base de Hamel),
et on sait - comme pour les bons ordres
sur IR- que c'est impossible : elles exis-
tent, mais jamais personne ne pourra
en définir une !

Si un objet n'est pas caractérisable, on


ne peut pas le calculer (car l'algorithme
qui le calculerait servirai~ à le caractéri-
ser). Le problème de la caractérisation n'est
donc pas le même que celui de la cal-
culabilité. Il se trouve qu'il existe des
objets parfaitement caractérisables qui
ne sont pas calculables. Nous allons prou-
ver l'énoncé suivant : il existe deux
nombres irrationnels a et b tels que ab est a et b, vous savez que a et b existent Youri
rationnel. mais vous ne les avez pas vraiment ! Matiiassevitch en
Considérons c =Ji. On sait depuis l'An- (Cependant, d'autres théorèmes de théo- 1969.
tiquité que Ji est irrationnel. Si cc est rie des nombres permettent de savoir
rationnel, alors c'est réglé , car on prend que cc est transcendant, donc irrationnel,
a= b = c. Sinon , c'est-à-dire si cc est et que c'est le second cas qui se produit.)
irrationnel , alors on prend a = cc et Contrairement à ce qui se passait avec
b =c, et c'est réglé aussi car l'axiome du choix, ici vous pouvez
ab= (cC)C = (Ji)2 = 2. extraire de la preuve non constructive
Dans cette démonstration , on prouve une définition caractéristique de a et b .
bien l'existence de deux irrationnels a et Il suffit de poser a = c et b = c si cc est
b tels que ab est rationnel , mais une fois rationnel, a = cc et b = c sinon. Cela
la preuve terminée on est incapable de définit un couple unique (a, b) bien pré-
dire « voilà le a et voilà le b » , car selon cis ayant la propriété « a et b sont irra-
ce qui se passe pour l'irrationalité de cc tionnels et ab est rationnel ». Sans
il faut prendre un certain couple (a, b) ou données autres que celles de la preuve
un autre. On dit qu'on a prouvé non indiquée au-dessus, on ne peut ni exhi-
constructivement l'existence de a et de ber ni calculer a et b, ce qui n'empêche
b. Sans l'intervention d'une autre idée, pas cependant que, mathématiquement,
vous ne pouvez absolument pas exhiber a et b sont parfaitement bien définis.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS L'échelle de l'existence ...

La caractérisation n'est pas effective, cette logique, à tout ce qui existe cor-
mais elle est possible. Dans le cas du bon respond un programme que l'on peut
ordre de~, il n'est pas possible d'écrire tirer automatiquement de la preuve d 'exis-
une formule logique le définissant et tence. C'est un moyen d'obtenir des pro-
on sait même qu'une telle formule grammes dont on est certain qu'ils sont
n'existe pas. sans erreur.
De manière à éclaircir encore la dis- Ainsi, en mathématiques , (i) on prouve
tinction entre « l'existence sans carac- parfois l'existence d'objets que l'on ne
térisation » et « ) 'existence avec peut même pas caractériser, (ii) on
caractérisation » (qui n'implique ni l'ef- prouve parfois l'existence d'objets que
fectivité ni la calculabilité), considérons l'on peut caractériser mais pas calcu-
l'exemple de la fonction de Youri Matiias- ler. Bien sûr, le mode d'existence mathé-
sevitch. Cette fonction associe à toute matique le plus satisfaisant est celui des
équation diophantienne (équation poly- objets dont on peut prouver l'existence,
nomiale à coefficients entiers dont on que l'on peut caractériser et que l'on
cherche à connaître les solutions entières) peut calculer. C'est le cas du nombre n
le nombre de ses solutions. Par exemple, et de la grande majorité des objets que
elle associe à l'équation x2 + y2 = 8 le les mathématiciens considèrent. Contrai-
nombre 4 car l'équation possède quatre rement à la fonction de Matiiassevitch,
solutions, qui sont (2, 2), (2, -2), le nombre n et les constantes usuelles
(-2, 2) et (-2,-2). La fonction de Matiias- des mathématiques, qu'elles soient
sevitch est parfaitement définie, parfai- rationnelles ou irrationnelles , sont cal-
tement caractérisable, mais Matiiassevitch culables à partir de leur définition . Mais
lui-même a prouvé (en résolvant le là encore il faut attirer l'attention sur
dixième problème de Hilbert) qu ' elle une petite finesse : « être calculable »
n'était pas calculable: aucun algorithme ne signifie pas forcément « être cal-
ne peut déterminer pour chaque équation culé ». Voici un exemple. On sait que
polynomiale à coefficients entiers qu'on pour tous les jeux du type jeu d'échecs
lui confie le nombre de ses solutions ou jeu de dames, il existe une meilleure
entières. La fonction existe, elle est façon de jouer pour celui qui commence
unique, mais, comme dans le cas du et une meilleure façon de jouer pour
couple (a, b), vous ne pouvez pas en celui qui joue en second. C'est un résul-
disposer concrètement. tat classique de la théorie des jeux à
information complète à deux joueurs
Uers des programmes plus sors (voir Théorie des jeux, Bibliothèque
Tangente 46, 2013) . Parfois, la meilleure
Les logiciens ont été très troublés par façon de jouer conduit le premier joueur
cette possibilité de définir des objets à toujours gagner, parfois c'est le second
qu'on ne peut pas calculer, et les intui- joueur qui gagne avec certitude, par-
tionnistes en particulier ont tenté d' y fois les deux joueurs , s'ils jouent bien,
remédier en modifiant la logique qui est font ex aequo à chaque partie. La démons-
à l' œuvre dans le petit raisonnement sur tration de l'existence de ces stratégies
a et b. La logique qu'ils ont obtenue optimales permet en théorie de les
s'appelle la logique intuitionniste. Elle construire : on prouve leur existence en
est maintenant bien étudiée et sert de considérant le graphe complet repré-
base pour la conception de certains logi- sentant toutes les parties possibles (c'est
ciels de programmation. En effet, avec un graphe fini) et en partant des fins de

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

Il existe une stratégie optimale de jeu pour les échecs.


Elle est calculable, mais impossible à calculer en pratique. Deep Blue, qui a battu Kasparov en 1997,
utilise une bonne méthode de jeu mais pas la stratégie optimale.

partie. On marque tous les nœuds du grammation effective de cette idée. Les
graphe selon le joueur qui gagne ou le plus longs calculs que l'on peut envisa-
fait qu ' un nul est possible . Le marquage ger aujourd'hui doivent comporter au
de proche en proche atteint tous les grand maximum 10 23 opérations élé-
nœuds de l'arbre de jeux, ce qui per- mentaires du processeur. Parmi les objets
met à celui qui connaît le marquage de dont on dispose d'une preuve construc-
jouer de manière optimale. On a une tive d'existence et qui sont calculables
preuve constructive de l'existence des au sens du mathématicien, nous devons
stratégies optimales (pour le premier donc distinguer ceux qui nous sont phy-
joueur et le second) et un algorithme siquement accessibles de ceux qui ne le
qui permet de jouer ces stratégies. sont pas . Un autre exemple de ce type
Pourquoi alors ne pas exploiter cette concerne les nombres premiers d'un mil-
preuve et la méthode qui en résulte pour liard de chiffres. On sait qu ' il en existe,
programmer un jeu automatique d'échecs on connaît des algorithmes qui peuvent
impossible à améliorer (ce qui n'est pas les calculer, mais aucun n'est utilisable
le cas de ceux d'aujourd'hui)? Simple- aujourd' hui en pratique. En conséquence,
ment parce que le graphe qu 'il faudrait personne n'a pu jusqu'à présent écrire ou
explorer comporte environ 10 120 arcs, faire écrire à son ordinateur le dévelop-
ce qui rend inconcevable pour très long- pement décimal d'un nombre premier
temps (peut-être définitivement) la pro- d'un milliard de chiffres, et cela bien

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS L'échelle de l'existence ...

qu'un prix de 250000 dollars récom- intuitionniste ne discute pas l'existence,


pensera le premier à réussir l'exploit. mais qui restent pourtant concrètement
En résumé, l'existence d'un objet Obj hors de portée.
en mathématiques comporte quatre degrés
au moins, qu'il ne faut pas confondre. • On prouve que Obj existe, on propose
une méthode de construction de Obj,
• On prouve que Obj existe dans l'abs- on arrive à mener à bien la construc-
trait mais on ne sait ni le caractériser, tion effective de Obj, ou à utiliser cette
ni le calculer. L'axiome du choix pro- construction pour exhiber Obj. C'est
duit ce genre d'objets gênants comme bien sûr le meilleur cas, celui de I' exis-
les bons ordres sur IR. Si on peut, on évi- tence mathématique pleine.
tera donc d'utiliser Obj pour obtenir
des preuves d'existence « plus fortes ». J.-P.D.
Contrairement à ce que pensent nombre
de mathématiciens, l'axiome du choix Références
n'est pas le seul responsable de ce type • Foundations of Constructive Mathematics:
de situations, qui trouvent leurs racines Metamathematical Studies. Michael Beeson,
plus profondément dans la théorie des Springer-Verlag, 1985 .
ensembles et l'utilisation de la logique • Information, complexité et hasard. Jean-Paul
classique. Delahaye, Hermès, 1994 (1999 pour la
deuxième édition).
• On prouve que Obj existe et on en • Complexités : aux limites des mathématiques
donne une caractérisation, mais cette et de l'informatique . Jean-Paul Delahaye,
caractérisation n'en permet pas le cal- Belin-Pour la science, 2006.
cul. La fonction de Matiiassevitch est • Le dixième problème de Hilbert et son indéci-
un bel exemple d'un objet parfaitement dabilité. Youri Matiiassevitch, Masson, 1995.
défini, caractérisable, mais non calcu- • Axiom ofChoice. Horst Herrlich, Springer,
lable. En logique et en informatique 2006.
théorique, on rencontre fréquemment
de tels objets, et le nombre Oméga de
Chaitin en est un (voir les Grands
Ambassadeurs francophones des mathé-
matiques, Tangente hors-série 48, pages
46 à 48). Quand les mathématiciens
ont le choix entre une preuve d'existence
constructive et une preuve d'existence
non constructive, ils doivent préférer bien
sûr la première, même si elle est plus
longue et plus difficile.

• On prouve que Obj existe, on en pro-


pose une construction effective, mais
on n'arrive pas à la mettre en œuvre
car nos ordinateurs (ou l'univers !) ne
sont pas assez puissants. Les stratégies
optimales du jeu d'échecs font partie
de ces objets dont même la logique

Tg.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Hervé Lehning EN BREF

Les roues d'Aristote


Dans les Mécaniques, un texte attribué à Galilée a répondu à ce paradoxe dans l'esprit
Aristote redécouvert à la Renaissance, se trou- du calcul infinitésimal naissant : il approxime
ve un paradoxe intéressant : deux cercles le cercle par un polygone régulier et, pour com-
concentriques de rayons différents, dont l'un mencer, par un hexagone. Il fait tourner l'en-
entraîne l'autre, parcourent, en roulant , le semble des deux hexagones afin de passer d'un
même chemin rectiligne. L' un et l'autre achè- côté du grand au suivant. La surprise vient de la
vent un tour complet au même instant. suite des petits côtés, quand ils se succèdent à
l'horizontale, car on y trouve des trous .

Concrètement, on peut considérer les roues


d'Aristote comme une roue d'automobile
et son pneu. Quand l'ensemble des deux hexagones tournent,
les côtés du grand se succèdent l'un derrière
Le paradoxe consiste à en conclure l'égalité l'autre, mais pas ceux du petit. Entre deux
des circonférences, ce qui est manifestement consécutifs, il y a un trou.
faux. Du point de vue mécanique, la question
est simple: si la grande roue roule sans glisser, Quand le nombre de côtés des polygones aug-
la petite glisserait... si elle était en contact mente, ils se rapprochent des deux cercles et
avec le sol. Cette constatation appelle un autre les trous diminuent de taille . On obtient bien
paradoxe en forme d ' exercice de mécanique. deux segments de même longueur mais le
second, celui qui correspond au petit cercle, est
rempli de trous. Nous sommes en présence
d'un phénomène fractal, comme le triangle de
Sierpinski, mais en dimension un , ce qui le
rend invisible.

Une bobine de fil est posée sur une table (à


gauche, vue de côté ; à droite, vue de face). On
tire sur le fil. Comment la bobine va-t-elle se
déplacer ? Le résultat peut sembler paradoxal Le triangle de Sierpinski est
car l'axe de rotation correspond au point de à la limite du processus ci-dessus.
contact avec la table et non au centre du cercle. Chaque étape consiste à enlever des triangles.
Dans le cas de la figure de gauche, la bobine va
partir vers la droite. Si on redresse le fil sortant
de la bobine, c'est l'inverse. La position limite
est celle où le fil sort dans le prolongement du
point de contact entre la bobine et la table.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente EE!


par Daniel Justens


mposs1 es,
les éuènements de probabilité nulle ?
Les évènements de probabilité nulle sont-ils vraiment
« impossibles » au sens courant du terme ? Eh bien non ! Des
évènements de probabilité nulle, nous en vivons tous les jours
sans nous en rendre compte. Les mathématiques vont nous
aider à lever cette apparente contradiction.
ors qu ' il se retrouve face à type de problème) avec une certaine

L l'impossibilité de donner une


réponse quantifiée et exacte à
toute une gamme de problèmes, notre
probabilité p, que l'on pourrait traduire
dans le langage courant par fiabilité.
Celle-ci est généralement proche de 1, tout
esprit se refuse à accepter cet inconnu total. en demeurant dans tous les cas strictement
Pas question de se refuser le pouvoir de inférieure à 1. Une réponse sûre est
donner au moins un début de réponse à remplacée par une réponse appartenant
un problème qui apparemment n'en probablement à une certaine fourchette.
possède pas dans le champ mathématique. C'est mieux que rien.
C'est la raison qui fut sans doute à la
base de la construction progressive du Bienuenue dans la tribu
calcul des probabilités . Ce dernier a
remplacé l'inconnu ou l'impossible par Le calcul des probabilités a mis en place
un connu mâtiné de probable qu'il a fallu un système de formatage des possibles
axiomatiser. Au lieu de répondre x = a pour lesquels on dispose d'une certaine
(ou x appartient à un certain ensemble A information (c'est la notion de
de cardinal fini ou non, bien déterminé) a-algèbre, ou tribu). Il leur associe des
à une question, un système a été mis en probabilités selon certaines règles
place, autorisant à répondre x E [b; , b,] (axiomatique de Kolmogorov) , quantifiant
(bornes ouvertes ou fermées selon le ainsi théoriquement les fréquences de
réalisation de certaines réponses ou
ensembles de réponses (les évènements)
Un évènement stochastiquement
à nos questions.
impossible est-il vraiment impossible ? On associe alors parfois une probabilité
Si c'était le cas, vous ne seriez pas là ! égale à Oà certaines réponses ou ensembles

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


de réponses . Ces (ensembles de) réponses
sont alors qualifiés de stochastiquement
Andreï Kolmogorov :
l'invemeur de l'axiomatique du calcul des probabilités
impossibles, dont la traduction est
rigoureusement équivalente à « de Les contributions du mathématicien soviétique Andreï
probabilité nulle». Ces évènements sont- Kolmogorov ont été gigantesques : il a rationalisé le calcul
ils vraiment « impossibles » au sens des probabilités et obtenu des résultats fondamentaux dans
courant du terme ? En fait non ! Des maints domaines . Dès 1922, à l'âge de 19 ans, il publie
évènements de probabilité nulle, nous en d'importants résultats en théorie des ensembles, et de même
vivons tous les jours sans nous en rendre l'année suivante concernant l'analyse de Fourier.
compte. C'est en 1929, dans le cadre de ses recherches en théorie du
Cette contradiction apparente trouve potentiel, qu'il propose sa fameuse théorie axiomatique
sa source dans la différence qu'il faut des probabilités (qui allait débarras.ser le calcul des probabilités
faire entre variable discrète et variable de certaines de ses autoréférences, tout en répondant
continue. Définissons une variable également partiellement au sixième problème de Hilbert),
comme la simple mesure numérique mais ce n'est qu'en 1933 que paraîtra son manuel sur les
d ' un phénomène (ce qui est restrictif, Fondements de la théorie des probabilités.
mais pas trop) . Il touchera d'autres domaines encore (topologie, étude des
systèmes dynamiques, étude de la turbulence) et résoudra,
entre autres, le treizième problème de Hilbert qui posait la
question suivante : existe-t-il des fonctions continues de
trois variables non superposables par des fonctions continues
de deux variables ? (Une fonction h de trois variables est
définie par superposition des trois fonctions f, g et k de
deux variables si on a h(x, y, z) =f(g(x, y), k(y, z)) pour
tous x, y et z.)
La réponse à cet angoissant problème sera donnée en 1954
par Kolmogorov et son élève Vladimir Igorevitch Arnold
(1937-2010). Elle tient en un seul mot : non !
Prenons par exemple le nombre Kolmogorov fut également le lauréat de nombreuses
d ' accidents de voiture dont vous serez distinctions internationales, notamment en France puisqu'il
la victime (ou le responsable) cette année. devint, en 1955, docteur honoris causa de la Sorbonne.
Cette variable ne peut prendre qu'un
nombre fini et en général très petit (fort
heureusement) de valeurs. C'est une
variable dite « discrète ». Pour probabiliser
une variable discrète de ce type, il suffit
d ' associer à chaque mesure possible une
certaine probabilité en respectant quelques
règles évidentes qui sont précisées dans
l'axiomatique de Kolmogorov.

De gauche à droite :
Lev Semenovitch Pontryagin
(1908-1988), Pavel Sergueïevitch
Alexandrov (1896-1982) et Andreï
Nikolaïevitch Kolmogorov (1903-1987) .

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tangent:e


Les évènements de probabilité nulle ...

En gros, sans commettre trop de manque quasi nulle à la limite du mesurable.


de rigueur, ces probabilités doivent être On remplace alors la notion de probabilité
positives ou nulles et la somme de toutes par celle de densité de probabilité
ces probabilités doit valoir exactement (probabilité par unité de mesure), ce qui
1 (pour couvrir tous les possibles). On entraîne l'obligation de calculer les
peut également associer des probabilités probabilités associées à chaque fourchette
à des ensembles de mesures en sommant par intégration de la densité sur cette
les probabilités associées à chacune des fourchette. On n'associe plus de
mesures de l'ensemble. probabilités à des valeurs mais bien à des
intervalles : c'est la a-algèbre dite de Borel
La chose est beaucoup plus difficile dans (ou tribu borélienne) , comprenant les
le domaine du continu. Mesurons à intervalles, les réunions et intersections
présent, par exemple, la durée du trajet d'intervalles que l'on nomme « boréliens ».
allant de votre domicile à votre bureau. Au sens strict, chaque valeur individuelle
Cette durée varie évidemment chaque se voit alors attribuer une probabilité
jour en fonction d'un grand nombre de nulle (intégrale sur un domaine réduit à
variables « explicatives » sur lesquelles un point).
vous n'avez que peu d 'action [NDLR:
surtout sur la ligne B du RER ! } . Zéro sur toute la ligne
Néanmoins, pour gérer votre quotidien,
vous devez répondre à la question : Dans la réalité, le niveau de précision de
quelle est la durée de ce trajet ? Supposons nos mesures ne nous permet pas ce genre
que cette variable puisse prendre toutes de considération. En deçà d'un certains
les valeurs possibles comprises entre 15 niveau de précision, toutes les mesures
minutes et 1 heure, en fonction de la sont équivalentes et indifférenciées .
circulation ou des retards des transports Il existe donc une différence importante
en commun. C'est une hypothèse entre le zéro des mathématiciens et celui
raisonnable. Il faut transformer nos des statisticiens et des probabilistes. Le
mesures en secondes pour éviter les premier est rigoureusement égal à zéro ,
pièges liés à la non décimalité du système avec éventuellement une infinité de
horaire. La variable « durée » peut alors décimales toutes aussi nulles, le second
prendre toutes les valeurs entre 900 et désigne une valeur qui ne peut pas être
3 600, certaines valeurs étant généralement distinguée du zéro des mathématiciens
plus probables que d'autres. étant donnés notre information et notre
système de mesures. C'est totalement
Cette mesure peut être effectuée avec différent.
tous les niveaux de précision exigé, au
dixième, au centième, au millième de Et chaque jour, une de ces valeurs de
seconde près. Ou plus précisément encore. probabilité nulle ou en tout cas non
Le nombre de valeurs possibles devient différenciée de 0 , est observée, puisque
alors, à la limite, théoriquement infini. vous arrivez à votre bureau bien à l'heure
Et il n'est plus possible de procéder (on l'espère !) en un certain temps t
comme dans le cas discret. En fait, la appartenant à [900, 3600] : voilà un
probabilité associée à chaque valeur évènement « stochastiquement
« durée » devient forcément de plus en impossible » dont la réalité ne peut être
plus petite, à mesure que la précision mise en doute.
de la mesure augmente,jusqu'à devenir

T4n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS?

À titre d'autre exemple de calcul, très nombreuses et la probabilité que ces


envisageons à présent la probabilité que machines soient précisément « nous »
vous soyez « vous ». C'est-à-dire que « le » semble nulle en première approximation.
spermatowïde de votre papa qui a fécondé On peut imaginer un monde alternatif
« l' » ovule de votre maman au bon peuplé d'êtres auto-organisés pensants ou
moment soit exactement le bon pour non-pensants différents de notre réalité
vous, c'est-à-dire celui qui a déterminé observée (tous les auteurs de science-
votre patrimoine génétique. On estime fiction l'ont fait) . Ce point
aujourd'hui à environ trente mille Je de vue peut être contesté.
nombre de gènes du génome humain. Des phénomènes de
Chaque spermatozoïde comme chaque convergence sont observés,
ovule est une cellule haploïde, ne portant qui montrent que la pression
donc qu ' une moitié de l'information du du milieu sélectionne
papa ou de la maman. À partir du génome systématiquement certaines
d'un individu, on peut donc former 230000 formes et réduit
spermatozoïdes, en choisissant au hasard significativement le nombre
chaque fois un gène sur deux . La de solutions viables.
probabilité que « le bon » soit formé est
de 1 divisé par 2 30000 . De même pour Et le problème redevient
maman . La probabilité que vous soyez mathématique : y a-t-il ou non unicité
« vous » est donc nulle (en tout cas non de la solution au problème de l'existence
mesurable raisonnablement). Néanmoins et de l'essence de formes organisées de
vous existez ... matière dans un milieu donné ? Nos
mathématiques actuelles ne sont pas
Mais la contradiction n'est qu'apparente. encore suffisantes pour répondre à cette
La probabilité que vous soyez« vous » question. Mais l'utilisation des
est nulle . Mais la probabilité qu ' un mathématiques en biologie sera peut-
individu, très proche génétiquement de être l'un des éléments moteurs de leur
vous, existe, est égale à 1, ou presque développement dans un futur proche.
(à moins que vos parents ne soient Citons pour conclure Joël Ephraim Cohen,
stériles, ce qui impliquerait que vous de la prestigieuse Rockfeller University:
n'existez pas ... ). « Dans le siècle qui commence, la biologie
Le raisonnement est le même en ce qui va stimuler la création de domaines
concerne la probabilité de l'apparition mathématiques entièrement nouveaux. En
bien réelle et constatable d'une machine ce sens, la biologie est la prochaine
aussi complexe que l'être humain en physique des mathématiques, mais en
général. Notre existence à tous semble mieux. La biologie va stimuler la création
impossible, selon certains fondamentalistes, de mathématiques fondamentalement
sans recours à l'hypothèse d' un « dessein nouvelles parce que la nature vivante
intelligent ». C'est mal comprendre le est qualitativement plus hétérogène que
calcul des probabilités. Et ne rien connai"tre la nature inanimée. »
à la biologie. Étant données les conditions D.J.
initiales et actuelles sur terre, la probabilité
que « des » machines complexes se soient Référence
constituées et continuent d'exister est • Mathematics Is Biology's Next Microscope, Only Better; Biology Is
très significativement différente de zéro. Mathematics' Next Physics, Only Better. Joel Ephraim Cohen, PLOS
Mais les solutions peuvent être multiples, Biology 2 (12), 2004. Disponible en ligne.

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tc:1.n9ente


EN BREF par Hervé Lehning

Le paradoxe de Simpson
En 1973, l'université de Berkeley fut poursuivie Ce tableau ne montre aucune discrimination
pour discrimination envers les filles. L' affaire sem- envers les femmes . Au contraire, le taux d' admis-
blait claire. Parmi les candidates, seules 35 % étaient sion des filles dans le principal département (A)
retenues alors que 44 % des candidatures masculines est nettement supérieur à celui des garçons.
l'étaient. L'étude a été précisée sur les six départe- L'explication vient quand on regarde le nombre de
ments les plus importants, notés ici de A à F. candidatures dans ces départements. Les femmes
semblent avoir tendance à postuler en masse à des
Département Garçons Admis Filles Admises départements très sélectifs. Dans ceux-ci, leur taux
d ' admission est à peine plus faible que celui des
A 825 62 % 108 82 %
hommes . Dans les autres , elles sont plus largement
B 560 63 % 25 68 % sélectionnées que les hommes. Quand on fait la
c 325 37 % 593 34 % moyenne globale, ce sont les départements sélec-
tifs qui ont plus de poids , puisqu'elles y postulent
D 41 7 33 % 375 35 % en masse. Ce paradoxe a été étudié par Edward
E 191 28 % 393 24 % Simpson (né en 1922). Il n'est pas rare, on le
retrouve même souvent.
F 272 6% 341 7%

Détails des admissions.

Fumer est bon pour la santé


Pour étudier l'influence du tabac sur la mortalité, des médecins ont suivi 1 314 femmes pendant vingt ans.
Résultat : après 20 ans, le taux de mortalité chez les fumeuses était de 24 % et celui des non-fumeuses de
31 %. Au premier abord, on serait tenté de conclure que fumer est bon pour la santé ! En fait, le paysage
change quand on analyse les résultats par classes d'âge. Dans chacune, en vingt ans, le taux de mortalité
des fumeuses est supérieur à celui des non-fumeuses.

Classe d 'âge 18-24 24-34 35-44 45 -54 55-64 65-74 75 et+


Fumeuses 3% 2% 12 % 20 % 43 % 80 % 100 %

Non fumeuses 1% 2% 6% 16 % 32 % 78 % 100 %

Taux de mortalité après 20 ans par classes d'âges.

Ce paradoxe vient de la distribution des âges des femmes testées. Parmi les non-fumeuses, il y a plus de
femmes âgées que dans les fumeuses. Le test a été fait sur 582 fumeuses et 732 non-fumeuses, soit 1 314
en tout, et la répartition présente des irrégularités entre les deux groupes :

Classe d 'âge 18-24 24-34 35-44 45-54 55-64 65-74 75 et+


Fumeuses 10 % 21 % 19 % 22 % 20 % 6% 2%

Non fumeuses 9% 21 % 17 % 11 % 17 % 16 % 9%

Répartition par classes d'âges.

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Karine Brosky EN BREF

Les 23 problèmes de Hilbert


Les « problèmes de Hilbert », au nombre
de vingt-trois , désignent une liste de ques-
tions ouvertes présentée par David Hil-
bert lors d'une conférence au deuxième
Congrès international des mathématiciens
qui se tint à Paris en 1900. Ces problèmes,
considérés par Hilbert comme « les problèmes futurs des ma-
thématiques » et jugés d' une importance fondamentale pour
le cours de leur développement, ont-ils aujourd'hui trouvé
réponse?
Si beaucoup ont été résolus (même partiellement),ouvrant la
voie à des travaux d'une grande fécondité, d'autres, en re-
vanche, tiennent encore tête, plus d' un siècle après, aux ma-
thématiciens les plus chevronnés : c'est le cas du huitième
problème, connu aussi sous le nom d' « hypothèse de Rie-
mann » (conjecture de 1859 selon laquelle tous les zéros non
triviaux de la fonction zêta de Riemann ont pour partie réelle
1/2). Ce problème figure aussi sur la liste des sept problèmes
du prix du millénaire (voir ci-contre). Autre casse-tête : le
seizième problème, qui concerne les courbes algébriques, et
ouvre la question du nombre maximal et de la position mu-
tuelle des cycles limites de Poincaré (orbites périodiques
isolées) pour une équation différentielle polynomiale plane
de degré donné. Ce problème a été choisi par Steve Smale
en 2000 lorsqu ' il a établi la liste de ses dix-huit problèmes
« pour Je xxi< siècle » (voir ci-après).

Les 111re111••• •• •••••


Les listes fleurissent autant que les problèmes ! Vladimir Arnold, qui fut président de l'Union
mathématique internationale, avait proposé à plusieurs mathématiciens de composer une liste de
problèmes pour le xxf siècle, qui aurait repris l'esprit de celle proposée par Hilbert un siècle plus
tôt. Steve Smale, médaillé Fields en 1966, lui répondit en 1998 par un ensemble de dix-huit pro-
blèmes (dont deux figuraient dans la liste de Hilbert). Parmi ceux non encore résolus aujourd'hui,
on trouve, outre l'hypothèse de Riemann, un énoncé technique (la conjecture jacobienne) qui
concerne, en géométrie algébrique, les polynômes à plusieurs variables. Proposée en 1939 par
Ott-Heinrich KelJer et Shreeram Shankar Abhyankar, cette conjecture est célèbre pour avoir reçu
un grand nombre de« preuves», qui se sont toutes révélées malheureusement erronées.
Références :
• Mathematical problems for the next century. Steve Smale, in Mathematics : frontiers and pers-
pectives, American Mathematical Society, 2000, pp. 271-294.
• Steve Smale, un mathématicien engagé. Mathieu Nowak, La Recherche 427, février 2009, p. 52.

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Tcingente


SAVOIRS par J. Bair et V. Henry

les infinitésimaux nilpotents


pour l'analyse
Les créateurs de l'analyse exploitaient des quantités
qui, élevées au carré, deviennent négligeables. Leurs
raisonnements étaient suspicieux : il est impossible que le
carré d'un nombre non nul soit égal à o. Depuis, il est devenu
possible d'exploiter l'idée intuitive et efficace des Anciens tout
en restant cohérent et rigoureux.

n mathématiques , il est assez Comme illustrations de ce concept, on

E courant de rencontrer un objet nil-


potent, c'est-à-dire un objet o
tel qu'il existe un entier n pour lequel
peut trouver de multiples nombres nil-
potents dans l'arithmétique modulo.
Ainsi, par exemple, 6 est nilpotent modulo
on s'annule (pour une opération de mul- 9 car son carré est un multiple de 9. En
tiplication définie sur les objets étu- effet, 6 2 = 36 = 4 x 9. Par ailleurs, le
diés). Ce mot« nilpotent», introduit par calcul matriciel traite parfois de matrices
le mathématicien américain Benjamin
Peirce (1809-1880) à la fin du XIXe nilpotentes , comme la matrice ( ~ ~) ,
siècle, provient de deux mots latins :
d'une part, nihil qui se traduit par dont toute puissance d'exposant au moins
« rien », et d'autre part, potens qui égal à 2 coïncide avec la matrice carrée
signifie« puissant». Pour l'anecdote, nulle 2 x 2, ou encore de la matrice
il est à noter que le mathématicien fran- (0 1 1\
çais E. Cartan nommait« pseudo-nuls »
J
des nombres nilpotents, tandis que l'al-
lemand Frobenius parlait dans ce cas de
« racines de zéro ».
lO O 1 dont toutes les puissances
0 0 0
d'exposant supérieur à 3 s' annulent.
On rencontre également des objets mathé-
matiques nilpotents dans la théorie des
Le mathématicien anneaux , notamment ceux des poly-
américain Benjamin nômes ou des coquaternions, dans l'étude
Peirce a enseigné à des endomorphismes, dans les groupes
Harvard durant près de Lie , et même en physique (avec la
de cinquante ans. « charge BRST »).

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

Des prémisses historiques


Quelques résultats élémentaires
Au XVIIe siècle, les savants qui décou- de géométrie différentielle svnthétique
vraient l'analyse mathématique ont intro-
duit des « infiniment petits » (voir le Considérons une fonction arbitraire f définie (pour fixer
hors-série 50 de Tangente, consacré à l' in- les idées) sur R. Pour un x réel et un infinitésimal nilpo-
tégrale). Notamment, ils faisaient appel tent e arbitraires, posons g (e) = f(x + e) - f(x).
à des « nombres», des« quantités» , des En appliquant à la fonction g l'axiome de Lawvere et Kock,
« objets», dont ils négligeaient d'une on trouve un et un seul réel K tel que g(e) = g(o) + Ke,
certaine manière le carré, ainsi qu'en ou encoref(x + e) - f(x) = Ke.
témoigne l'exemple classique suivant. Conformément à l'intuition et à l'usage, ce nombre réel K
est appelé le nombre dérivé (on dit encore simplement la
Sir Isaac Newton dérivée de f en x), ce qui se note K =f' (x).
(1643-1727). On peut dès lors écrire :
J(x + e) =f(x) + f' (x)ê.
Il apparaît ainsi que, dans cette théorie, toute fonction!, défi-
Pour Newton, une nie sur R, est partout « dérivable » ( et également partout
équation telle que « continue » en un sens commun) ... ce qui simplifie forte-
x 2 + y2 = 1 décrit la ment les choses !
trajectoire d'un point se déplaçant sur Par exemple, considérons la fonction! définie par
un cercle de centre l'origine et de rayon f(x) =x3. On a:
unitaire. Les coordonnées x et y de ce f(x + e) - f(x) = (x + e) 3 - x3 = 3 ex2
point dépendent donc du temps, les puisque e est nilpotent, d'où l'on tire quef'{x) = 3 x2.
fonctions correspondantes étant appe- Comme autre exemple simple mettant en évidence l'efficacité
lées des « fluentes » . Newton écrivait de cette théorie, considérons le produit h de deux fonctions
que « les moments des quantités fluentes f et g. D'une part, on peut écrire, en vertu de l'axiome de
[c'est-à-dire les parties infiniment petites Lawvere-Kock :
dont elles s'accroissent pendant chaque h(x + e) = h(x) + h ' (x)e.
période de temps infiniment petite] sont D'autre part, on a clairement, puisque e2 = o :
proportionnels à leurs vitesses d' écou- f(x + e) x g (x + e) = [f(x) + f'(x)ê] x [g (x) + g '(x) + e]
lement. » Ceci lui permettait de remplacer, =f(x) g(x) + [f '(x) g(x) + f(x) g '(x)]ê.
dans l'équation x 2 + y2 = 1, la variable En comparant ces deux présentations de la même expression
x par une expression du type x + i e et h(x + e) et en tenant compte de l'unicité du nombre K fourni
y par y + y e, où e désigne un « infini- par l'axiome de Lawvere-Kock appliqué à la fonction h, on
ment petit ». Il obtenait de la sorte l'éga- retrouve bien la formule classique :
lité suivante :
(x +xe)2 +(y + ye)2 = 1. h'(x) =f'(x)g(x) + f(x)g'(x).
En comparant cette formule avec l' équa-
tion initiale, il trouvait :
2(xi + yy)e + (i 2 + y2)e 2 =O. Cette dernière égalité livre, comme nous
Puis, en négligeant le dernier terme du le savons de nos jours, la pente de la
premier membre contenant le facteur tangente au cercle. Notons toutefois que
e2 , et en simplifiant par 2 et par e, il ce raisonnement de Newton n'est pas
pouvait écrire : inattaquable au niveau de la rigueur,
xx+yy=O puisque tantôt on annule e2 , tantôt on
soit encore divise pare, ce qui semble à première
yli=-xly. vue contradictoire.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Les infinitésimaux nilpotents

Au XXe siècle, des mathématiciens ont R possède la structure d'un anneau).


réussi, de diverses manières, à conser- On peut ainsi noter /}. l'ensemble des
ver l'intuition sous-jacente à l'idée intui- infiniment petits en ce sens :
tive faisant intervenir le concept /}. = {x ER tels que x2 =O}.
d'infiniment petit, mais en rendant les De plus, les deux mêmes auteurs impo-
raisonnements cohérents et rigoureux. Une sent que toute fonction, définie sur /}., y
manière récente de procéder, due aux est affine, ce qui revient intuitivement
mathématiciens Lawvere et Kock, est à recourir au développement de MacLau-
dénommée, en anglais, Smooth Jnfini- rin def en un infinitésimale, pour autant
tesimal Analysis (ou géométrie diffé- que l'on y annule tous les termes conte-
rentielle synthétique en bon français). nant une puissance de t:: dont l'exposant
Elle est construite en faisant appel à des vaut au moins 2. Géométriquement, cela
« infinitésimaux nilpotents». consiste encore à suivre l'intuition du
marquis del 'Hospital qui, en 1696, écri-
vait: « Une ligne courbe peut être consi-
dérée comme l'assemblage d'une irifinité
de lignes droites chacune infiniment
petite ou ce qui est la même chose comme
un polygone d'un nombre infini de côtés,
chacun infiniment petit. » En d'autres
termes, la représentation graphique d'une
fonction ne diffère pas de la tangente
correspondante, tant que l'on travaille sur
un intervalle de nombres « infiniment
proches » de celui considéré, comme le
suggère la figure ci-dessous :

y = j(x)

Le mathématicien américain Francis


William Lawvere (né en 1937).

Par définition, un infinitésimal nilpo-


tent (ou infiniment petit nilpotent) est
un« nombre» dont le carré est nul. Bien
entendu, 0 est un infinitésimal nilpo-
/'>,. a
tent, et c'est même le seul nombre réel
qui le soit. Mais Lawvere et Kock ont De manière plus précise, Lawvere et
eu l'idée de remplacer l'ensemble R des Kock postulent que :
nombres réels par R contenant, en plus
de tous les nombres réels habituels, des Axiome de Lawvere-Kock :
nombres non nuls dont le carré est égal pour toute fonction f, définie sur !}. et à
à O. Les opérations classiques de l'algèbre valeurs dans R , il existe un et un seul K
possèdent les propriétés classiques au dans R tel que f(e) =f(O) + Kt::, quel
sein de cet ensemble (plus précisément, que soit e dans /}._

Tcingenf:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

soit non nul, ce qui est un cas particu-


lier du principe du tiers-exclu (d'appli-
cation en logique classique) selon lequel
une proposition est soit vraie, soit fausse,
et pas les deux à la fois.
Or, cette règle de logique booléenne
n'est pas la seule possible . Déjà dans
la vie courante, une proposition peut
avoir une autre valeur de vérité que le
vrai ou le faux exclusivement. Même
Le mathématicien danois Anders Kock. en mathématiques , il existe des pro-
positions qui sont indécidables, comme
En remplaçant ainsi l'ensemble IR des l'ont montré des logiciens du xx:e siècle
réels par l'anneau IR contenant l'en- tels que Kurt Gode! (voir par ailleurs
semble ~des infinitésimaux njJpotents dans ce numéro).
et satisfaisant à l'axiome ci-dessus, on
peut construire la géométrie différen- Pour développer la géométrie diffé-
tielle synthétique . Cette théorie semble rentielle synthétique, il convient de
bien adaptée pour résoudre des pro- recourir non pas à la logique classique,
blèmes d'approximation locale, qui mais à une autre théorie, qualifiée d' in-
sont centraux en analyse mathématique tuitionniste (encore appelée logique
(voir en encadré). des topos), où le principe du tiers-exclu
ne s'applique pas et où on s'impose de
Des applications en philosophie toujours faire appel à des raisonne-
ments constructifs, rejetant par exemple
À première vue, l'existence d' infini- toute preuve par l'absurde .
ment petits nilpotents n'est peut-être Les liens entre mathématiques, logiques
pas plus surprenante que celle de cer- et philosophie sont ainsi nombreux et
tains nombres (tels que le complexe i, toujours d' une grande actualité !
dont le carré est négatif) , voire même
des nombres « habituels » .. . Elle amène J.B.&V.H.
toutefois le paradoxe suivant.
Considérons la fonction F qui vaut O Références
en O et 1 partout ailleurs. Ainsi , pour • A Primer of Infinitesimal Analysis. John Bell,
un infinitésimal nilpotent non nul e, Cambridge University Press, 1998 , (deuxième
F (e) = 1. Mais il est aisé de vérifier que édition : 2008).
2e est également un infiniment petit nj]- • Des jets aux infiniment petits : quand
potent et non nul. On en déduit, puisque l'intuition se mue en rigueur. Francis
F(O) = 0 et grâce à l'axiome de Law- Borceux , 2007 (disponible en ligne) .
vere-Kock, les égalités suivantes : • An introduction to Smooth Infinitesimal
Analysis. Michael O'Connor, 2008
1 =F(2e) =F(e + e) (disponible en ligne).
=K(e + e) =Ke + Ke = 1 + 1 =2,
ce qui est évidemment absurde !

Une telle contradiction surgit parce que


l'on suppose qu ' un nombre est soit nul ,

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible TA.ngeni:e


SAVOIRS par Hervé Lehning

Les fonctions réciproques


Sauoir qu'elles eMistent
à défaut de pouuoir les calculer
Si, à une variable x, on peut en associer une autre, y, peut-on
toujours opérer l'inverse ? La réponse est négative, bien
entendu, mais avec quelques restrictions elle devient positive.
Il reste rare, voire impossible, que l'on puisse exprimer la
fonction réciproque qui à y associe x.

C
onsidérons la fonction! définie Il est rare qu'ainsi on puisse effective-
parf(x) = (2x + 1)/(x-3) six;t 3. ment calculer une fonction réciproque ,
L'inverser revient à résoudre mais on dispose d'un théorème per-
l'équation y= f(x), soit mettant , dans certains cas, d'affirmer
y = (2x + 1)/(x-3) en x. Cette opération, qu'elle existe.
souvent impossible, est facile dans ce
cas car il s'agit d'une équation du pre- Homéomorphisme et difféomorphisme
mier degré: (y- 2)x- (3y + 1) = 0, qui
a bien une solution unique si y ;t 2, à Les homéomorphismes ne font pas par-
savoir x = (3y + 1) / (y - 2). Cette solu- tie des médecines douces , comme l'ho-
tion définit une fonction méopathie , mais sont une notion
g: g(y) = (3y + 1)/(y- 2) si y ;t 2. mathématique , dont le nom s'explique
Elle vérifie : mieux en dimension deux qu'en dimen-
y = f(x) si et seulement six= g (y). sion un car « être homéomorphes » signi-
Fonctions Autrement dit, g est la fonction réci- fie « avoir la même forme ».
réciproques l'une r
proque de f, ce que l'on note g = 1• Une fonction définie sur un intervalle I
de l'autre. à valeurs dans un intervalle J est un
homéomorphisme de I sur J si elle est bijec-
tive de I sur J, continue sur I et que sa
réciproque est continue sur J. Le théo-
rème suivant permet souvent de montrer
qu'une fonction est un homéomorphisme,
y=f(x) -- -- --- y - - - -- - quand c'est le cas :
Une fonction f continue et strictement
1

1
1
'
1
monotone sur un intervalle I est un
X X= g (y) homéomorphisme de I surf(1).

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

La monotonie étant liée à la dérivation,


la question se précise quand on intro-
Les zéros de tan x= x
duit la notion de difféomorphisme. Elle Une étude partielle de la suite (xn)~ 1 des zéros de tan x = x
exige cependant d'expliciter la notion peut être menée ainsi . Comme n;rs.xn < n;r+ ;r/2, on peut
de classe d'une fonction pour être intro- poser xn = nJr + ;r/2 - un où O < uns ;r/2.
duite : une fonction est de classe c0 si On en déduit que :
elle est continue, elle est de classe C I si f (u.) _ tan u. tan(wr + .ir / 2 - x.)
1 +u. tanu. 1 +(wr +.ir /2-x.)+ tan(wr+.ir /2-x.)
elle est dérivable et que sa dérivée est
de classe c0 , et ainsi de suite. Une fonc- 1 / tan(x.)
tion est donc de classe en si toutes ses 1 + (wr + .ir / 2 - x.) / tan(x.)
dérivées existent et sont continues jus- et doncf(un) = 1/(n;r+ ;r/2) par définition dexn.
qu 'à l'ordre n.
Un difféomorphisme de classe en d'un
Il vient : u. = r 1
l (
nn+:,r/2
).
intervalle I sur un intervalle J est une Ainsi l'étude de la fonction réciproque def permet d'étu-
fonction bijective de I sur J , de classe en dier la suite (xn)~ 1 •
sur 1, dont la réciproque est de classe En particulier, on montre que1 1(x) = x + o(.x2) où o(x2 )
C" sur J . Les difféomorphismes sont désigne une fonction négligeable devant x 2 quand x tend
relativement faciles à étudier grâce au vers O. On en déduit l'approximation de xn suivante :
théorème suivant:
x. - wr + ~ - _.!_ + -
1
Une fonction! de classe C" sur un 2 .irn 2.irn 2
_!_) .
- +o( 2
n
intervalle I est un difféomorphisme de
classe en de I surf (1) si et seulement
si f' ne s'annule pas sur 1. La fonction sinus est
bijective de
Ce résultat peut sembler naturel puisque, [- :rt / 2, :rt/ 2]
si une dérivée continue ne s'annule pas sur [-1, 1].
sur un intervalle, elle y est de signe
constant, positive ou négative, la fonc-
tion est donc strictement monotone. Ces
deux théorèmes permettent d'étudier un
bon nombre de fonctions sous cet aspect. D'après le premier théorème, la fonction
Par exemple, l'exponentielle est un dif- sinus est un homéomorphisme de
féomorphisme de classe C de ~ sur
00
[-rr:/ 2, rr:/2] sur [-1, 1). La fonction réci-
)0, + oo[ puisque sa dérivée ne s'annule proque est appelée lafonction arc sinus
pas. Sa fonction réciproque est impos- et notée Arcsin. Elle est continue sur
sible à expliciter sans introduire une [- 1, 1). D'après le second théorème,
00
nouvelle fonction, on la nomme fonction elle est de classe C sur ]- 1, 1[. Pour
logarithme népérien. Elle est de classe calculer la dérivée, on dérive l'égalité
C"' sur )0, + oo [ d'après le théorème . Arcsin(sin x) = x, ce qui donne
Pour calculer sa dérivée, il suffit d'écrire Arcs in ' (sin x)( cos x) = 1, donc
l'égalité ln(e') =xet de la dériver comme . 1 .
Arcsm 'x = ,.------, pmsque
une fonction composée : ln' (e') e'" = 1 d'où vl - x
2

ln '(e'") = e-x et donc ln '(x) = 1 / x.


La même méthode peut être appliquée
cosx = .Ji- sin 2
x car cosx > 0
aux fonctions trigonométriques, en se six E ]- rr:/2 , rr:/2[. On peut recom-
restreignant à des intervalles où elles mencer pour les autres fonctions trigo-
sont bijectives . nométriques , ainsi que pour d'autres

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngent:e


SAVOIRS Les fonctions réciproques

fonctions. Par exemple, la fonction f


tanx
définie par f(x) = , de dérivée
1 + xtanx

f '(x) = - -tanx
- - - > O, est de c1asse
(1 + x tanx)2
e sur]- rr,/ 2, ni 2[ et strictement crois-
00

sante. Son image est]- rr,/2, rr,/2[. On


en déduit quef est un difféomorphisme Carl Jacobi (1804-1851), à qui l'on doit
de]- rr,/2, rr,/2[ sur]- 2/ rr,, 2/ rr,[ . Bien le jacobien, est célèbre par sa position
entendu, il est hors de question d'ex- philosophique : « Le but unique
pliciter la fonction réciproque. Savoir de la science est l'honneur
qu'elle existe et est de classe e per- 00
de l'esprit humain.»
met cependant des calculs, par exemple
de préciser la suite (xn\;,: 1 des zéros de d'ouvert (voir en encadré). Une fonc-
tan x = x (voir en encadré). tion définie sur un ouvert U à valeurs dans
un ouvert V est un homéomorphisme
Et en dimension deux ? de U sur V si elle est bijective de U sur
V, continue sur U et que sa réciproque
En dimension deux, la continuité comme est continue sur V. De même , une fonc-
la classe d'une fonction se définissent de tion définie sur un ouvert U à valeurs dans
même. La notion de dérivée doit cepen- un ouvert V est un difféomorphisme de
dant être remplacée par celle de diffé- classe en de U sur V si elle est bijec-
rentielle. A priori, la différentielle d'une tive de U sur V, de classe en sur U et que
fonction Fest l'approximation linéaire sa réciproque est de classe en sur V.
de la différence Aucun théorème ici n'assure l'injectivité,
F(x + dx, y+ dy)- F(x , y), c'est-à-dire mais le résultat suivant permet de démon-
aF + -dy.
dF = -dx aF s·1 1a 1onct10n
,.. . Fa trer qu'une fonction est un difféomor-
ax ay phisme dans un certain nombre de cas :
pour espace de départ et d'arrivée !R2, F Si Fest de classe en et injective sur U,
a deux coordonnées, que nous notons! alors V= F (U) est un ouvert et Fest un
et g, et la matrice de dF, dite matrice difféomorphisme de classe en de U sur

il: f'J .
jacobienne de F, est alors V si, et seulement si, la différentielle de
Fest inversible en tout point (c'est-à-dire
que son jacobien ne s'annule pas) .
De plus, dans ce cas, la différentielle de
la fonction réciproque F 1 est égale à
ax ay l'inverse de la différentielle de F.
Elle est inversible si son déterminant, L'exemple le plus classique est celui
que l'on nomme le jacobien de F, est des coordonnées polaires. Un repère
non nul, soit orthonormé (0, x, y) étant donné, à un
point M du plan on associe ses coor-
af x ag _ af x ag ?'! o. données cartésiennes x et y en projetant
ax ay ay ax M sur les axes. La longueur r =OM et
l'angle() entre (Ox) et (OM) sont des coor-
Les autres définitions sont de même données polaires . La relation entre les
nature même si la notion d'intervalle deux systèmes est donnée par les for-
est remplacée par celle, plus générale, mules x = r cos() et y = r sin ().

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

Que ce soit en dimension un ou en dimen-


sion deux , la notion de difféomorphisme
y -------- M justifie les techniques de changement
r de variables en calcul différentiel ou
intégral. P ar exemple, l'équation
x 2 y' (x) + y(x) + y2(x) = 0 sur ]O, + oo[
8 équivaut à -x2 z' (x) + z(x) + 1 = 0 sur
0 X ]O, + oo[ également, si on pose y= 1 / z.
Les solutions de l'une se déduisent des
Coordonnées cartésiennes (x,y) solutions de l'autre car la fonction! défi-
et coordonnées polaires (r, ()) d'un point nie par f(x) = 1 / x est un difféomor-
M du plan. phisme de ]O , + oo[ sur lui-même . La
seconde équation étant facile à résoudre,
Ces formules définissent une fonction on en déduit les solutions de la première
F de IR 2 dans lui-même, de matrice car z =f o y. On trouve:
jacobienne 1 '
y(x) = -llx ou C est une constante

:l !!J
( ax ax\ -I+Ce
-rsin e) . arbitraire. La méthode fonctionne exac-
= (:~:: rcose tement de la même façon en dimension
ar ae deux pour les équations aux dérivées
Son jacobien est donc égal à r. Pour . af af
part:Ielles comme - - - = 0, en posant
appliquer le théorème précédent, on se ax av
restreint à l' ouvert u(x,y) =x+ yetv(x,y) =x-ycar la fonc-
U = ]O , + oo[ x ]- :n:, :n:[. L'image de U tion définie ainsi est un difféomorphisme
par Fest le plan privé de l'axe des x de IR 2 . On trouve :f(x, y) = cp(x + y) où
1
négatifs. Le jacobien de Fest r, qui ne <p est une fonction de classe C arbitraire.
s'annule pas sur U, donc F est bien un
difféomorphisme. H . L.

ouverts en dimension
un ou supérieure
Une partie U de IR 2 est dite ouverte si,
pour tout point M de U, il existe un nombre
E > 0 tel que Je disque de centre M et de
rayon E est inclus dans U . Ainsi, IR 2 Jui-
même est un ouvert, mais un disque n'est
ouvert que si on en exclut la frontière.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

les fonctions implicites


Une courbe plane peut être le graphe d'une fonction réelle ou
admettre des équations paramétriques. Elle peut aussi être
définie par une équation cartésienne. Le lien entre ces
diverses notions, a priori distinctes, tient en un théorème
celui des fonctions implicites.
ne fo nction explicite est une Cette façon de représenter les courbes

U fonction pouvant s'écrire sous


la forme y= f(x) où/peut repré-
senter une formule, un algorithme de
correspond à un paramétrage particu-
lier où le paramètre est l'abscisse . Bien
entendu , on peut également utiliser un
calcul ou tout autre moyen d'associer autre paramètre. Par exemple, dans le
explicitement y à x, pour x variant dans cas du cercle, l'angle au centre.
un certain domaine. Par exemple,
y= :x? + 1 ou y = ,,/1 - x 2 sont des fonc-
tions explicites. Chacune de ces deux
identités peut également être vue comme y = sin t
l'équation d'une courbe.

X= COS t
La fonction
=
explicite y x2 + 1
correspond à une
courbe plane, y=x 2+1 ------
plus précisément
à une parabole. Paramétrage du cercle de rayon 1
utilisant l'angle au centre.

Équation cartésienne
X
Une courbe paramétrée, le cercle en par-
La fonction ticulier, possède en général une équa-
'plicite tion cartésienne, obtenue en éliminant le
y= 1- x 2 paramètre entre les deux équations. Ainsi,
correspond à une y=~ le cercle de centre O et de rayon 1 a
courbe plane, pour équation :x? + y2 = 1. Pour donner
plus précisément à un autre exemple, considérons la courbe
un demi-cercle. X C d'équations paramétriques :

Ta:ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


MAIS OÙ SONT-ILS ?

lx-::
2
~:
y =--
2t
Un calcul simple montre que x2 -y2 = 1
pour toute valeur de t différente de O.
aalité entre deux courbes
Considérons un point M, de coordonnées x et y, de l'hyperbole H.
Supposons M dans le premier quadrant, c'est-à-dire que x .!: 0 et
=
y .!: 0. Comme x2 1 + y2 .!: 1, x .!: 1. Pour savoir si M appartient

à C, la question essentielle est: existe-t-il t tel que x =


t2 + 1
2t?
La courbe définie par cette équation car-
tésienne est une hyperbole H et notre Pour y répondre, il suffit d'étudier la fonction de t ainsi définie.
calcul montre que tout point de C appar- Un calcul de dérivée montre qu'elle est strictement croissante sur
tient à H, c'est-à-dire que C est inclus [l, + oo[ et à valeur dans [l, + oo[. Dans notre cas, il existe donc
2
dans H. L'inclusion inverse est moins t +1
facile à démontrer ; elle permet d' assu-
t è!:: 1 (unique) tel que x = 2t. L'égalité y2 = x2 - 1 permet

l)
2
rer que C est bien l'hyperbole H (voir 2

l'encadré pour une démonstration). Mais alors de montrer que y2 .. ( t -


2t 2 1
parfois, dans ce type de cas, l'inclusion t -
Comme y è!:: 0 et t è!:: l, on en déduit que y = - - .
peut être stricte.L'exemple le plus simple 2t
est sans doute celui de la courbe d'équa- M est donc un point de C.
tion : y = ~ , incluse dans mais Les autres cas se ramènent à celui-ci via la symétrie par rapport à
1
non égale au cercle d'équation x2 + = 1. (Ox) (en modifiant t en l / t) et via la symétrie par rapport à O (en
modifiant t en - t). Ainsi, tout point de H est un point de C, d'où
l'égalité C = H.

· L'hyperbole d'équation cartésienne x2-y2 = 1.

à la courbe, c'est-à-dire à sa tangente


(voir l'encadré consacré à la dérivée
Dans le cas général, dans quel cas une d'une fonction composée).
courbe définie par une équation carté- Si af/ ax et af/ ay sont continues sur un
sienne est-elle le graphe d'une fonc- domaine U, on dit que f est de classe C 1
tion ou admet-elle des équations sur U. Dans le cas particulier où
paramétriques ? f(x,y) =x2 + y2- l ,fest donc de classe
Le théorème des fonctions implicites C 1 sur lll2 ,
règle la question. Il exige cependant af (x,y) = 2x et af (x,y) = 2y.
d'utiliser une notion de mathématiques ax ay
supérieures, celle de dérivée partielle . De façon plus générale, considérons une
Elle est en fait assez simple : si une fonc- fonction! de classe C 1 de lll2 dans Ill et
tion dépend des deux variables x et y, sa (x0 , y 0 ) un point tel que f(x 0 , y 0 ) =O.
dérivée par rapport à x (si elle existe)
est la dérivée obtenue en supposant y La condition posée
constant. On note cette dérivée aJ/ ax, et correspond à : la tan-
de même aJ/ ay . Le vecteur de coor- f (x , y) = O gente au point (x0 ,yo)
données aJ/ ax et aJ/ ay est appelé le n'est pas verticale.
gradient de f et noté grad f . Ce vecteur La courbe
définit la direction dans laquelle f s 'ac- Yo d'équation/(x,y) = 0
croît le plus , elle est perpendiculaire à est en bleu.
celle oùf est constant donc est normale

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible T4n9ente


SAVOIRS Les fonctions implicites

Dérivée d'une fonction composée existe . Examinons le cas particulier où


f(x, y) = x 2 + y2 - 1. Le théorème est
Considérons une fonction! de classe C 1 sur un domaine applicable aux points (x0 , y0 ) du cercle
x(t) tels que y 0 ct:. O. Les intervalles
U et M(t)
l
y(t)
le paramétrage d'une courbe incluse dans

Utelle que les deux fonctions x(t) et y(t) soient dérivables.


1 = ]-1, 1[ et J 1 = ]0 , J
donc. Dans ce cas, y= 1- x 2 •
conviennent

La fonction <I> (t) = f[x(t), y(t)] est dérivable et sa dérivée Les intervalles I et J 2 =]-1, O[ convien-
est égale à : <I> '(t) = àf [x(t), y(t) ] x '(t) + àf [ x(t), y(t) ] y '(t) . nent éJalement et, dans ce cas,
àx ày y = - 1- x 2 • D'un point de vue pure-
La démonstration passe par l'utilisation du théorème des ment géométrique, ce théorème se géné-
accroissements finis. Elle est relativement technique mais ralise ainsi :·Soient C la courbe d'équation
on peut en donner l'idée simplement. La définition de la f (x , y)= 0 et (xü.! y0 ) un point de C où
dérivée partielle implique que, si & est petit, en première gradf(x0 ,y0 ) >" O. Il existe un ouvert U
contenant (x0 , y0 ) tel que l' intersection
approximation,f(x + &, y) - f(x, y) vaut Llx af (x,y).
ax de Cet de U soit une courbe paramétrée.
De même,f(x, y+ y) - f(x, y) vaut Llx af (x,y) . Pour le démontrer, il suffit de considé-
ax rer les deux cas
En décomposantf(x + &, y+ Lly) - f(x, y) af (xo,Yo)"' 0 et af (xo, Yo)"' O.
enf(x + &, y + Lly) - f(x, y+ Lly)+ f(x, y+ Lly) - f(x, y) , ay ax
on en déduit que, six et y sont petits, Dans le premier cas, un paramètre pos-
f(x + &, y + Lly) - f(x, y) vaut Llx àf (x ,y) + Ay àf (x, y). sible est x, dans le second, y.
àx ày
En utilisant, le résultat analogue sur les fonctions x et y, les tracés
x(t + &) - x(t) vaut x'(t) & et y(t + &) - y(t), y'(t)&.
On en déduit que, en première approximation, Dans des cas plus sophistiqués, on mêlera
étude graphique utilisant un logiciel et
<l>(t + &)- <l>(t) vaut [ af (x,y)x'(t) + af (x,y)y'(t) ] M,
ax ax étude théorique pour éclaircir certains
d'où le résultat . Dans le cadre du théorème des fonctions points. Considérons par exemple la
implicites exposé dans le texte, ce résultat permet de mon- courbe d'équation x 4 + 3.x' + y4 + xy =0.
trer que gradf[ x, <p(x)] est bien normale à la courbe L'utilisation d'un logiciel graphique per-
d'équationf(x,y) = O. En dérivantl'expressionf[x, q:,(x)] =0 , met de visualiser son allure. Le seul
point autour duquel cette courbe ne peut
on obtient af
ax [ x, ,P(x) ] + af
ay [ x , ,P(x)] ,P ,(x) = 0, ce qui
être paramétrée est le point où f et son
montre le résultat . gradient s'annulent, c'est-à-dire (0, 0).
Ce point est un point double. L'une des
tangentes en ce point est horizontale ,
Si af ( x 0 , y0 ) .. 0, il existe un intervalle l'autre verticale comme le montre l'étude
ax
de y/x et de x/y quand x et y tendent
ouvert I contenant x 0 et un intervalle vers O. H. L.
ouvert J contenant y0 tels que, pour tout
x E 1, l'équation (en la variable y)
f(x, y)= 0 possède une seule solution,
y= q:,(x), dans J. De plus, cette fonction
q:, est de classe C I sur 1.
Ce résultat ne signifie pas qu'il soit
facile , ni même possible, d'expliciter la Courbe d'équation
fonction q:,, il dit simplement qu'elle x 4 + 3 x3 + y4 + xy = 1

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.n9ent:e 113
par M. Criton et L. Van Offel

le problème
impossible
Pierre et Serge sont deux mathématiciens géniaux qui habitent
le même immeuble, et que leur concierge tente constamment
de coller. Elle leur soumet un beau matin un problème d'appa-
rence impossible.

Pierre et Serge descendent en


mème temps les escaliers, et
tombent nez à nez avec la
concierge.
"J'ai chois i de.u x nombres
entre 2 et 100'', leur dit-elle.
Après avoir montré un papier
à Pierre, elle lui dit : "Vo ic i
leur produit":
Puis, faisant de même avec
Serge : "Et voici leur somme".

Scénario : Michel Criton


Dessins : Laurent Van Offel
Colorisation : Natacha Laugier
Référence: Jouer Jeux Mathématiques 11 ,
1993.
Solution en pages suivantes.

T'lngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


~ ;~ ;~ ;~ ···.
3x4 ; }l(S ; 3x6 ; )tif ...
4x5 ; 4x6 ; ~ ; 4x8 .. .
5x6 : r,,tf ; 5x8 ; 5x9 .. .

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Tcingent:e


SAVOIRS par Alain Zalmanski

Un problème impossible
et néanmoins soluble !
Le mathématicien néerlandais Hans Freudenthal (1905-
1990 ), rédacteur de la rubrique Problème de la revue Nieuw
Archief voor Wiskunde, fit paraître en 1969 une énigme
d'apparence insoluble. Et pourtant, en y réfléchissant un
peu sérieusement ...
e « problème impossible » intro- Mais la première phrase permet d'éliminer

L duit par Hans Freudenthal (voir


Tangente 145, page 37) s'énonce
ainsi. On choisit deux entiers X et Y,
notamment les entiers qui ne peuvent
être écrits que sous la forme d' un pro-
duit unique XY (comme 15 =3 x 5, qui
avec 1 <X< Y et X + Y :5 100 . On permet de retrouver 3 et 5 sans ambiguïté
indique à Pierre le produit P de X par Y. à partir de la seule connaissance de 15).
On indique à Serge la somme S de X et Les trois phrases suivantes permettent
de Y. Le dialogue est alors le suivant : successivement d'éliminer tous les entiers
Pierre : « Je ne sais pas quels sont les qui restent, sauf un couple de solutions !
nombres X et Y. » De très nombreuses formulations et géné-
Serge : « Je savais que vous ne connais- ralisations de ce problème ont été pro-
siez pas X et Y. » posées , en particulier en fonction de la
Pierre: « Eh bien alors, maintenant, je valeur maximum des nombres et sur-
connais X et Y. » tout de la connaissance ou non de cette
Serge : « Eh bien, moi aussi je les connais valeur maximum . Il est prouvé que 2
maintenant. » est la valeur minimum que l'on peut
La question est : que valent X et Y ? fixer et que cette valeur doit être connue
des deux protagonistes pour que le pro-
L'ignorance pour résoudre le problème blème soit soluble (une analyse exhaus-
tive du problème a été effectuée par
Les deux premières phrases, qui affirment Jean-Paul Delahaye dans Pour La Science,
l' ignorance des deux personnages , leur en juin 2007).
permettent de résoudre le problème. En Il est recommandé d'être très prudent
effet, de nombreux entiers vérifient les dans là construction d'énigmes de ce
conditions données dans le préambule. type , car les inégalités fixées au départ

TC1.n9ente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


(1 < X < Y et X + Y :5 100) sont utili-
sées dans le cours du raisonnement et le Martin Gardner vulgarisa le problème
changement d'une seule peut tout bou- en l'adaptant et en le simplifiant
leverser.
Expliquons la solution du problème de
Freudenthal dans le cas où la valeur
maximum est connue et égale à 100.
Lorsque Pierre affirme « Je ne sais pas
quels sont les nombres X et Y», cela
signifie que le produit P peut se décom-
poser d ' au moins deux manières diffé-
rentes en produit de deux nombres
compris entre 2 et 100. Par exemple,
=
on pourrait avoir P 45, car ce produit
se décompose en 3 x 15 ou 9 x 5, mais
on ne peut pas avoir P =91 car alors la
décomposition, 7 x 13, serait unique.
On peut donc éliminer, parmi les valeurs
comprises entre 4 et 10000, les pro-
duits de deux nombres premiers exac-
tement (comme 134 ou 169), les cubes
d'un nombre premier (comme 27 ou
125), les doubles de carrés d'un nombre
premier plus grand que 10 (comme 242),
les multiples d'un nombre premier plus
grand que 50 (comme 318), etc .
Ensuite, Serge affirme :« Je savais que
vous ne connaissiez pas X et Y. » Cela Martin Gardner (1914 -2010).
signifie que la somme S ne peut pas s'é-
crire comme somme de deux nombres Par conséquent, on peut éliminer toutes
dont le produit aurait été éliminé dans les sommes de deux nombres premiers,
l'étape précédente. Par exemple, la ce qui élimine déjà toutes les sommes
somme 11 convient car aucun des pro- paires. Pour ce qui est des sommes
duits possibles des éléments de la décom- impaires, on élimine celles qui sont
position n'est unique : égales à un nombre premier augmenté
de 2, comme 5 (= 3 + 2), 7 (= 5 + 2),
lJ = 2 + 9, et 2 X 9 = 18 = 3 X 6, 9 (= 7 + 2), 13 (= 11 + 2),etc.
ou 11 = 3 + 8 Il reste alors à éliminer les sommes qui
et 3 X 8 = 24 = 2 X 12 =4 X 6, sont égales à un nombre composé impair
ou encore 11 =4 + 7 plus 2, comme 11, 17, 23, 27, 29, 35, 37 ,
et 4 X 7 =28 = 2 X 14, 41, 47, 51, 53, 57, 59, etc., ainsi que
ou même 11 =5 + 6 toutes les sommes à partir de 57, car :
et 5 X 6 =30 =2 X 15 =3 X 10. • si 57 :5 S :5 153, on peut écrire
En revanche , la somme 13 ne convient S =53 + n avec 4 :5 n :5 100,
pas, car 13 =2 + 11 et 2 x 11 =22 (pas • si 155 :5 S :5 197, on peut écrire
d'autre décomposition possible car S = 97 + n avec 58 :5 n :5 100,
3 X 10 = 30 =6 X 5 = 3 X 10 = 2 X 15). • si S = 199, on peut écrire S = 100 + 99.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tcingent:e


SAVOIRS Un problème impossible...

Dans chacun de ces trois cas, le produit 11 (obtenu avec 18 , 24, 28) ,
Pcorrespondant (53n, 97n, 100 x 99) a 17 (obtenu avec 52) ,
une décomposition unique. On peut enfin 23 (obtenu avec 76 , 112, 130),
supprimer la somme S = 51 = 17 + 34, 27 (obtenu avec 50, 92 , 110, 140, 152,
car le produit P = 17 x 34 n'a pas d'autre 162, 170, 176, 182),
décomposition. 29 (obtenu avec 54, 100, 138, 154, 168 ,
Voici donc la liste exhaustive des sommes 190, 198, 204, 208),
possibles à cette étape du crible, avec pour 35 (obtenu avec 96, 124, 174, 216, 234,
chaque somme la liste des produits pos- 250, 276, 294, 304, 306),
sibles pour leur décomposition : 37 (obtenu avec 160, 186, 232, 252, 270,
336, 340),
11 (obtenu avec 18, 24, 28, 30), 41 (obtenu avec 114, 148, 238, 288, 310,
17 (obtenu avec 30, 42, 52, 60, 66, 70, 348,364,378, 390,400,408,414,418),
72), 47 (obtenu avec 172, 246, 280, 370, 442,
23 (obtenu avec42,60, 76, 90, 102, 112, 480, 496, 510, 522, 532, 540, 550, 552),
120, 126, 130, 132), 53 (obtenu avec 240, 282, 360, 430, 492,
27 (obtenu avec 50, 72, 92, 110, 126, 520, 570,592,612,630,646,660,672,
140, 152, 162, 170,176, 180, 182), 682, 690, 696, 700, 702) .
29 (obtenu avec 54, 78, 100, 120, 138, Serge : « Eh bien, moi aussi je les connais
154, 168, 180, 190, 198, 204, 208, 210), maintenant. »
35 (obtenu avec 66, 96, 124, 150, 174,
196,216,234,250,264, 276,286, 294, Pour que Serge puisse conclure , il faut
300, 304, 306), qu'il ne reste plus qu ' un seul produit
37 (obtenu avec 70, 102, 132, 160, 186, correspondant à la somme qu'elle connaît.
210, 232,252,270,286,300,312,322, Ceci n'est le cas que si la somme est
330, 336, 340, 342), 17, auquel cas le produit est 52. Les
41 (obtenu avec 78, 114, 148, 180, 210, nombres de départ sont donc 4 et 13.
238,264,288,310,330,348,364,378,
390,400,408,414,418,420), À noter que Martin Gardner vulgarisa le
47 (obtenu avec 90, 132, 172, 210, 246, problème en l'adaptant et en le simpli-
280,312,342,370,396,420,442,462, fiant, comme à son habitude, dans sa
480,496, 510,522,532,540, 546,550, rubrique du Scientific American en
552), décembre 1979, avec des compléments
53 (obtenu avec 102, 150, 196, 240, 282, en mai 1980. Il parut dans Pour La
322,360, 396,430,462,492,520,546, Science en mai 1980.
570,592,612,630,646,660,672,682, A.Z.
690 , 696, 700, 702) .

Pierre : « Eh bien alors, maintenant,je


connais X et Y. »
Pour que Pierre puisse faire cette affir-
mation, il faut que le produit P se trouve
une fois et une seule dans la liste que nous
venons d'écrire. Cela élimine donc les
produits P = 30 (S = 11 ou 17), P = 42,
(S = 17 ou 23), etc . Il reste alors :
par Dominique Souder EN BREF

Magiciens de père en fils


@
m,

.,e:B-
a.
--i
;;,
0
Le magicien et son fils se connaissent tellement .,
3
qu'ils peuvent se communiquer la valeur d'un "'
nombre choisi par un spectateur, rien qu'avec la
présentation de quelques cartes à jouer d ' apparen-
ce ordinaire (voir en page 127) . . . Mais avant de
commencer, un « tour de chauffe » est nécessaire.
Le spectateur choisit un nombre de 1 à 100, dont
il donne la valeur au magicien, en l'absence du
fils. Le magicien sort deux cartes d'un jeu de cin-
quante-deux (et parfois même une seule), qu'il
présente faces visibles sur la table. Le fils du
magicien revient autour de la table et donne le
nombre choisi par le spectateur.

E8pUcation

Les cinquante-deux cartes sont associées à autant de


nombres, selon un code comme celui qui suit. Les
cœurs (1, 2 ... V, D, R) sont associés respectivement Le musée de la carte à jouer (Issy-lès-
aux nombres 1, 2 ... 11, 12, 13. Les carreaux (1, 2 ... Moulineaux) a consacré une grande
V, D, R) sont associés aux nombres 14, 15 ... 24, 25, exposition à Lewis Carroll en 2012.
26. Les piques (1, 2 ... V, D, R) sont associés aux
nombres 27,28 ... 37,38,39. Les trèfles (1,2 ... V,D, Par exemple, dans le cas où le nombre choisi est
R) sont associés aux nombres 40, 41... 50, 51, 52. compris entre 40 et 52, le magicien case le
Si le nombre choisi par le spectateur est compris nombre 39 grâce au roi de pique qu'il pose sur la
entre 53 et 100, le magicien case le nombre 52 grâce table. Il calcule la différence entre le nombre et
au roi de trèfle qu'il pose sur la table. Il calcule la 39, et place la deuxième carte dont la valeur cor-
différence entre le nombre et 52, et place la respond à cette différence. Le travail du jeune
deuxième carte dont la valeur correspond à cette magicien consiste là encore à ajouter les valeurs
différence. Par exemple, pour le nombre 67, le magi- des deux cartes présentées.
cien place le roi de trèfle (52), calcule 67 - 52 = 15 @

et place le 2 de carreau (de valeur 15). Le travail du g"


jeune magicien consiste à ajouter les valeurs des .,c:
a.
deux cartes présentées : 52 + 15 = 67. Pour un ~
0
3
nombre inférieur à 52, le magicien peut présenter g:
une seule carte pour faire deviner à son fils le
nombre choisi. Cela peut paraître plus spectaculaire,
mais donne malheureusement une bonne indication
aux spectateurs les plus malins sur le truc du tour. Il
peut être prudent et dans l'intérêt du magicien de
s'en tenir à une présentation de deux cartes ...

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngent:e ilEJ


SAVOIRS par Hervé Lehning

Des calculs paradoxaux


Certains calculs sont étranges : soit le résultat est manifestement
faux mais on ne voit aucune erreur de raisonnement, soit le
résultat est juste mais le raisonnement a priori absurde. On
parle alors de paradoxes. Les lever amène toujours une meilleure
compréhension du domaine en question.
omme le sous-entend Gaston la peau d' un comptable. Suivons l'ar-

C
« Il ne saurait y avoir
de vérités premières. Il n'y a Bachelard, la science ne pro- gent qui sort et rentre dans la caisse et
que des erreurs premières.» gresse pas avec des certitudes , les poches des trois amis , ainsi que celle
Gaston Bachelard, Études mais avec des erreurs, petites ou du serveur. D'abord 10 € sort de chaque
grandes .. . que les scientifiques sur- poche des clients , et 30 € rentrent dans
montent. On trouve des exemples ins- la caisse. Le geste de la patronne en fait
tructifs à tous les niveaux, de celui de sortir 5, donc il reste 25 € dans la caisse.
la vie de tous les jours jusqu ' à celui de Des 5 € sortis , l € va dans les poches
la recherche scientifique. de chaque client et 2 dans celle du ser-
veur. Finalement, chaque client a déboursé
le mystère de l'euro perdu 9 € , ce qui fait 27 € en tout. De ces
27 € , 25 sont allés dans la caisse et 2
Trois amis viennent de consommer à la dans la poche du serveur. Le compte
terrasse d'un café. Ils demandent l'ad- est bon et le paradoxe n'est qu'appa-
dition. Le serveur l' apporte. Cela fait rent. L'énoncé propose simplement un
30 € en tout. Chacun donne un billet de mode de raisonnement erroné dont il
10 € et s'apprête à partir quand la patronne est difficile de sortir.
décide de faire un geste commercial, et Considérons la somme
de réduire l'addition de 5 € . Le serveur 1 1 1
S = - + - + .. . + + etc.
prend cinq pièces de 1 € dans la caisse 2 6 n(n -1)
et, ne pouvant les partager en trois, glisse c'est-à-dire la somme des termes
discrètement deux des pièces dans sa 1/ n(n-1) quand n varie de 2 à l'infini,ce
1
poche et rend une pièce de 1 € à cha-
cun des clients.
que l'on note souvent S = I---.
+<X>

n(n - 1)
n-2
Finalement, chacun a payé 10 - 1 = 9 € , Pour la calculer, on remarque que
soit 27 € en tout. En ajoutant les deux 1 1 1
---=----
pièces du serveur, cela fait n(n - 1) n -1 n
3 x 9 + 2 = 29 € . Où est passé le tren- La somme se décompose alors en deux :
tième euro?
Il n'est pas si facile de trouver la faille
S= Î-1- _Î _!_. Les deux sommes
n-2 n - 1 n-2 n
dans ce raisonnement ! Pour la décou- sont celles des inverses des nombres
vrir, il faut en sortir, et se mettre dans entiers, la première de 1 à l'infini et la

T«ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


JOUER AVEC L'IMPOSSIBLE

Cinq paradoxes offerts


Les jours de travail syldaves. En Syldavie, on travaille huit heures par jour, soit le tiers du temps.
En un an, on effectue donc le tiers de 365 jours (ou 366 les années bissextiles), soit environ 122 jours
de travail. Comme on ne travaille ni le samedi, ni le dimanche, cela réduit le nombre de jours tra-
vaillés de deux jours chaque semaine, soit 2 x 52 = 104 jours. Il reste 122 - 104 = 18 jours ... or la
durée légale des vacances est de 4 semaines, soit 28 jours. Où sont passés les 10 autres jours?
Le partage du troupeau. Un homme avait trois fils et un troupeau de chameaux. À sa mort, il avait
décidé que son troupeau devait être partagé en la moitié pour l'aîné, le tiers pour le cadet et le neu-
vième pour le dernier. Quand il mourut, il avait dix-sept chameaux. Comme les calculs ne tombaient
pas justes, le notaire décida d'emprunter un chameau à un voisin, ce qui faisait dix-huit chameaux
en tout. Il donna donc 18/2 =9 chameaux à l'aîné, 18/3 =6 chameaux au cadet et 18/9 =2 cha-
meaux au dernier. Il avait ainsi distribué 9 + 6 + 2 = 17 chameaux, il en restait donc un, qu'il rendit
au voisin. De plus, chacun avait plus de chameaux qu'espéré. Le premier, 1 /2 chameau en plus, le
second, 1 /3 et le dernier 1 / 9. D'où viennent ces excédents?
Tenir sa moyenne. L'autoroute Paris-Marseille étant découpé en huit tronçons consécutifs de 100
kilomètres chacun, on a relevé les vitesses moyennes en km/h de deux voitures (A et B) effectuant
ce trajet :
A 50 100 120 130 80 100 120 60
B 60 70 130 130 120 120 130 40
La moyenne des vitesses de A est 50 + lOO + 120 + l30 + 80 + 100 + 120 + 60 .. 95
8 '
celle des vitesses de B 60 + 70 + 130 + 130 + 120 + 120 + 130 + 40 .. 100.
8
Ba été plus rapide que A. Pourtant A affirme être arrivé avant B, alors même qu'ils sont partis au
même moment. Comment l'expliquer ? Mensonge ou paradoxe ?
=
Un calcul su"éaliste. On part de l'égalité 16 - 36 25 - 45. En ajoutant 81 I 4 aux deux membres,
on obtient 16 - 36 + 81/4 = 25 - 45 + 81/4, ce que l'on peut écrire 42 - 2 x 4 X 9/2 + (9/2)2.
En utilisant l'identité remarquable donnant (a - b)2, on en déduit:
(4- 9/2) 2 =(5 - 9/2)2, d'où: 4-9/2 =5 - 9/2 et 4 =5.
- (-1)"
La. série harmonique alternée. On peut décomposer la somme S - ~ - - en celle des termes
•• 1 n
d'ordre pair et celle des termes d'ordre impair : S - - ~ - - + _!_.
1
~ 2n+l •• 1 2n
Î
+oo 1 +oo 1 +oo 1 +oo 1 +oo 1
De même : ~ - - ~ - + ~ - - . En faisant la différence : ~ - - ~ - - d'où S =O.
f:f n •• 1 2n ~ 2n + 1 •• 1 2n ~ 2n + 1
Qu'en pensez-vous ?
Solutions en dernière page de l'article.

seconde de 2 à l' infini, soit: résultat très vraisemblable . Pourtant, la


+"' 1 +o, 1
décomposition précédente n'a aucun
S= }: - - }:-.
n• I n n•2 n sens puisque la somme des inverses des
Tous les termes s'éliminent et il reste : entiers est infinie, comme l'a montré
S = 1. Le calcul numérique des mille Nicole Oresme voici bien longtemps (la
premiers termes , facile à l'aide d'un démonstration figure en encadré) . Alors
ordinateur, donne 0,999, ce qui rend le pourquoi le résultat est-il juste ? On le

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente


SAVOIRS Des calculs paradoxaux

La démonstration de Nicole Oresme S = 1 + 2 + 4 + 8 + etc .par exemple.


En multipli a nt par 2 , il o bti e nt
Nicole Oresme 2S = 2 + 4 + 8 + 16 + etc ., ce qui donne
(vers 1325-1382). 2S = S - 1, d 'où S = - 1, ce qui est
absurde même si, dans certains cas, on
Oresme fut le premier à peut en déduire des résultats exacts .. . ce
prouver la divergence de qui est paradoxal. Il faudra attendre le
la somme des inverses XX" siècle et l'étude des séries divergentes
des entiers. Sa méthode, pour comprendre complètement le phé-
toujours utilisée de nos nomène . .. et l'appliquer à d'autres cas .
jours, consiste à remar- Autrement dit, la résolution du para-
quer que la somme de ses doxe a fait avancer la science, ce qui est
termes entre les indices 2n + 1 et 2n+i est supérieure le cas normal en telle occurrence. On
à son plus petit terme (1 / 2n+1) multiplié par le nombre ne progresse qu'en surmontant ses erreurs,
de termes (2n), soit à 1 / 2. Ces sommes étant en pas en s' y enferrant.
nombre infini dans la somme, celle-ci est divergente. Euler reprend ce type de méthode pour
calculer la somme des carrés des inverses
d . l 1 1 1
es entiers : + l2 + )2 + + etc .
comprend en reprenant le raisonnement 42
en limitant la somme de 2 à N : Là encore il s' agit d 'un passage par l'in-
1
SN =
N
L n(n -1)
n- l
se décompose en
fi ni. Il part d ' une remarque anodine: si
x 1 et x 2 sont les deux zéros du trinôme
N l N 1 a + bx + cx2, alors le trinôme se fac to-
SN = I--I-·
-1
n- 1 n n• I n rise en a + bx + cx2 =c(x - x 1)(x - x 2).
La simplification donne SN = 1 - 1 / N , En développant ce produit, on obtient
qui a pour limite 1 quand N tend vers l'in- X l + X 2 = - b / C.
fini , et justifie donc le résultat. Si a -:;:. 0 , aucun des zéros n'est nul et
Cette démonstration plus correcte pose leurs inverses sont racines de l 'équa-
une question : à quoi bon justifier un tion a+ b lx + clx2 =0 , donc zéros du
résultat que l' on savait vrai même si sa trinôme c + bx + ax2 . On en déduit que
démon stration e st paradoxale ? La 1/x 1 + l lx2 =-b la .
réponse tient dans la sécurité générale Les calculs se mènent de faço n iden-
des calculs : dans quels cas peut-on y tique si x 1, x 2 , . • . , xn sont les zéros du
avoir confiance et dans quel cas faut-il polynôme a + bx + cx2 + etc. =0 (où a -:t:0)
s' en méfier ? Il est facile d ' imaginer de et on trouve : .
nombreux paradoxes (comme celui de l/ x 1 + 1/x2 + ... + llxn = -bla .
la somme de la série harmonique alter- Euler remarque alors que
née proposé en encadré). sin x = x - x3 / 3! + .x5!5! + etc.a pour
uniques zéros les nombres réels n:n: où
Euler et l'infini n E 71... En divisant par x et en posant
t = x 2 , il en déduit que la somme
L' article consacré aux preuves inac- 1 - t/3 ! + t2/5! + etc. a pour zéros les
ceptables (voir en page 76) montre sur nombres (n:n:) 2 où n E N. En générali-
l'exemple de 1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 + etc. sant la formul e concernant les poly-
comment Euler traitait les calculs de nômes aux sommes infinies de monômes,
sommes infinies . Il pousse sa méthode il en déduit :
bien plu s loin , pou r le ca lcul d e li :n:2 + 1 / (2:n:)2 + 1/ (3:n:)2 + etc. = 1/ 3 !

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


et donc que 1 + 1/ 22 + 1 /3 2 + etc. = Jt-/ 6.
Sans justification supplémentaire, ce
Réponses des paradoxes
calcul est inacceptable. Pourtant, un cal- Les jours de travail syldaves. Les vacances comme les
cul numérique montre qu ' il est très pro- week-ends doivent être décomptés avant la division par trois.
bablement juste. D'autres méthodes ont Le partage du troupeau. Le partage du père laissait une
montré depuis que le résultat était juste ... part d' un dix-huitième de chameau non attribuée car
ce qui laissait le paradoxe entier : com-
-1 + -1 + -1 = 9 + 6 + 2 = -17 . Il s , agit
. done d' une s1mp
. le
ment une méthode erronée peut-elle don- 2 3 9 18 18
ner un résultat exact ? Bien sûr, on peut erreur de calcul.
invoquer le hasard mais l'argument est Tenir sa moyenne. La moyenne arithmétique des vitesses
peu convaincant, d'autant qu ' il permet n'est pas la vitesse moyenne. Dans ce cas, c'est la moyenne
également de trouver que la somme des harmonique qui est pertinente. Pourquoi ? Pour le démon-
inverses des puissances quatrièmes est trer, on s'intéresse au temps de parcours de chaque partie.
égale à n4 / 90, des puissances sixièmes Pour A, cela donne successivement: 100/50, 100/100,
àJf/945. 100/120, etc. Le temps total de parcours est donc:
Au XXe siècle , l' analyse complexe a 100 100 100 100 100 100 100 100
-+-+-+-+-+-+-+-.
montré que le raisonnement d 'Euler 50 100 120 130 80 100 120 60
pouvait être justifié (voir Tangente Sup La vitesse est égale au rapport
62 pour les détails). De ce fait, il devient 800
généralisable à d'autres situations. Par 100 100 100 100 100 100 100 100 soit à
- +- +- +- +- +- +- +-
exemple, les zéros strictement positifs 50 100 120 130 80 100 120 60
de l'équation tan x =x forment une suite 8
croissante (xn)n.? 1 : 1 1 1 1 1 1 1 l'
- +- +- +- +- +- +- +-
50 100 120 130 80 100 120 60
qui est bien une moyenne harmonique . Pour A, on trouve
85,54 km/h et, pour B, 83,6 km/h . Le véhicule A est donc
plus rapide que B, le contraire de ce que l'on obtient en
utilisant la moyenne arithmétique.
Un calcul surréaliste. L'erreur n'est pas si facile à trou-
ver. En fait , elle est dans l'avant dernier passage: a 2 = b2
n'implique pas a= b mais a=± b.
La série harmonique alternée. Le résultat exact est
S =- ln 2. Mais où est l'erreur dans le raisonnement pro-
posé ? Tout simplement dans la considération de la somme
Î .!..n car elle est infinie. La façon la plus simple de démon-
n- 1
trer le résultat correct est de remarquer l'égalité
Zéros de l'équation tan x = x . 1
n
1 1 N (-1)"
- fo x"- dx.On en déduit: } : - - = -f
n- 1 n 0
n- 1
2
1[ N
(-x)"- dx .
1]

En transformant tan x =x en La somme géométrique entre crochets vaut


sinx - xcosx = 0 , on obtient la somme l-(-xt ,d'où f(-1)" =-fl~-(-ltflXNdx ,
x 3 / 3 - x5 / 30 + x 7 / 840 + etc. l+x ~ n Jo1+x Jo1+x
En appliquant le raisonnement d'Euler, On conclut en majorant _l_ par 1.
on en déduit que la somme des inverses l+x
des carrés des zéros est égale à 1 / 10,
des puissances quatrièmes 1 / 350, et des
puissances sixièmes 1 /7875 . H.L.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS par Hervé Lehning

les bijections inattendues


Une bijection entre deux ensembles semble une correspon-
dance d'une intimité telle que l'on imagine ces ensembles
partager une foule de propriétés. Cette intuition est fausse ,
mais comment une courbe peut-elle être mise en bijection avec
une surface ? L'aventure commence avec les entiers naturels.
ien des bijections choquantes également en bijection . Pour cela , on

B sont filles de celle qui identifie


la droite des nombres entiers
naturels N* au plan N* 2 . Pour mettre
associe à chaque point à coordonnées
entières strictement positives (p, q) le
rapport p / q. Dans le parcours précé-
N (ou N*) en bijection avec un ensemble dent, il suffit alors de « sauter » les rap-
(par exemple N2) , il suffit de définir un ports déjà rencontrés pour obtenir une
parcours de cet ensemble afin de numé- numérotation des nombres rationnels
roter ses éléments . strictement positifs : 1, 2, 1 / 2, 1/ 3, 3,
4, 3/2,2/3, 1/4, ek.

4 9
Positifs et négatifs, fini et infini
4 8
3 De la même manière, les ensembles infi-
7 nis N et "11. peuvent être mis en bijec-
2 tion . Pour cela, il suffit de définir un
parcours du second ensemble.
1
1 2 3 4
Établir une bijection entre flil* et N*2
revient à numéroter les points de N* 2 •

Cette bijection entre N* et N* 2 peut


sembler paradoxa le car ces deux 4 5
ensembles sont de dimensions diffé- -2 3
rentes mais, en y réfléchissant, elle est
assez naturelle via notre démonstration
qui repose sur les ensembles finis. Elle
s'adapte pour montrer que N et Q+
(ensemble des rationnels positifs) sont Numérotation des entiers relatifs.

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


Pour ce faire, il existe plusieurs pos-
sibilités, en particulier le parcours en
la notion de biiection
spirale proposé sur la figure ci-des- Compter cinq moutons revient à les numéroter men-
sus. La même idée permet de montrer talement de 1 à 5, c'est-à-dire à leur attribuer un
que N et Q sont en bijection. En numéro. De façon très pédante, vu la simplicité de la
revanche, Q et Ill ne le sont pas, bien situation, on peut dire que la correspondance maté-
que Q soit dense dans R ce qui implique rialisée par les flèches de la figure ci-dessous est biuni-
que, si on dessine un grand nombre voque, ou que c'est une bijection entre l'ensemble
de points de Q, le rés ultat est indis- des cinq moutons et l'ensemble constitué des nombres
cernable de R Ce rés ultat peut égale- de 1 à 5.
ment sembler paradoxal. Mise en correspon-
Il est assez naturel que deux segments dance biunivoque
distincts soient en bijection . Pour le 1 des nombres
démontrer, il suffit de montrer qu ' un 2 de 1 à 5 et
segment [a, b], avec a< b, est en bijec- 3 ~ -----,1----....- li;) d'un ensemble de
tion avec [O, 1] . La transformation la 4 - - - .... dessins de moutons.
plus simple entre les deux est la simi li- 5
tude x~ (b-a) x + a, qui est bien bijec-
tive. Cette même transformation montre
que deux intervalles ouverts, de la forme Cette notion de bijection est simple tant qu'on se
]a, b[, sont toujours en bijection. En uti- limite à des ensembles finis. Georg Cantor la généralisa
lisant la fo nction tangente, on en déduit aux ensembles infinis, ce qui fut à l'origine d'une crise
que ]- rr,/2, n/2[, puis tout intervalle profonde des mathématiques. On comprendra pour-
ouvert, est en bijection avec Ill lui-même. quoi en réalisant qu'ainsi il existe autant de nombres
De même, on définit une bijection / de pairs que de nombres entiers puisque ces deux
[-1 , l] sur Ill en posant ensembles peuvent être mis en correspondance biuni-
l + 1 / X si XE [ -1, 0[ voque de la façon suivante : 1 +--+ 2, 2 +--+ 4, 3 +--+ 6, etc.

l
f(x) = 0 six= 0,
-1+1/xsixE[O, 1].
où à gauche de la flèche figure un nombre et à droite,
son double. Ainsi le tout est égal à la partie ce qui, a
priori, contredit le neuvième axiome d'Euclide :
« Le tout est plus grand que la partie. »
De tels paradoxes expliquent que les mathématiciens
grecs évitaient la notion d'infini. Deux ensembles
finis en bijection ont le même nombre d'éléments,
deux ensembles infinis en bijection sont dits de même
puissance (ou équipotents). Pour l'essentiel, il est
possible de n'en considérer que deux: la puissance
du dénombrable, qui est celle de N, et celle du continu,
qui est celle de R
Bijection de [-1, 1] sur IR.

À partir de là, tout intervalle ouvert Segment et carré


(Ill compris) est en bijection avec tout
segment. On peut aller plus loin en De façon plus troublante, on peut établir
montrant que les intervalles semi - une bijection entre le segment [O, l] et
ouverts sont également en bijection le carré [O, 1] x [O, 1]. La première
avec les segments . méthode pour la construire est de nature

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Les bijections inattendues

algébrique, et de ce fait déroutante, notre étonnant, plus impossible encore, semble


vision du segment comme du carré étant de remplir le carré de façon continue. Pour-
géométrique. À chaque nombre de [0, 1), tant Giuseppe Peano (voir article en
on associe son développement décimal, pages suivantes) a proposé une fonction
ce qui signifie qu'à 1 / 4 on associe O,25 continue qui construit le carré comme une
et à 1/3, 0,333 ... On scinde alors les courbe ! Pour cela, il trace d'abord la dia-
décimales en celles de rang impair, 0,2 gonale d'un carré puis le partage en neuf
dans le prentier cas et 0,333 ... dans le carrés égaux avant de considérer une
second, et celles de rang pair, 0,5 et ligne brisée formée par des diagonales
0,333 ... On obtient les coordonnées de chacun de ces carrés.
d'un point du carré : à 1/ 4 on associe Peano applique ensuite ce mécanisme
donc (0,2; 0,5) et à 1/3, (0,333 ... ; à chacune des diagonales des neufs car-
0 ,3 33 ... ) . Bien entendu, il existe des cas rés. En commençant par celui du bas à
plus compliqués comme .fi./ 2 ou :rel 4 gauche, il obtient :
qui donnent 0,7071067810 ... et
(0,77071... 0,01680 . .. ), et
0,7853981635 ... et (0,75913 ... ;
0,83865 ... ). Cette fonction de [O, 1]
dans [O, 1] x [O, 1] est bien bijective
puisqu'à tout nombre de [O, 1] on asso-
cie un seul élément de [O, 1] x [O, 1] et,
réciproquement, à tout élément de
[0, 1] x [O, 1], comme (1/3; 1/6), on
associe un nombre de [O, 1] en entre-
mêlant ses décimales. Ici, 1 /3 donne Construction de la courbe de Peano,
0,333 ... et 1 /6, 0,16666 ... donc on étape 2.
obtient0,313636 ... (ce qui donne 69/220,
mais ce dernier calcul n'a aucune impor- Ceci n'est que le début de la deuxième
tance ici). étape . À chaque étape, il est facile de
paramétrer continûment la ligne brisée
ainsi formée, le paramètre variant sur
le segment [O, 1]. En itérant le proces-
sus, Peano obtient une suite lfn\ de fonc-
tions continues sur [O, l] à valeurs dans
le carré [O, 1] x [O, l] et, à la lintite, une
fonction! continue sur [O, 1] à valeurs
dans le carré [O, 1] x [O, 1].Ildémontre
de plus que l'image de [O, 1] parfest égale
à [O, 1] x [O, 1]. Cependant, cette fonc-
Construction de la courbe de Peano, tion surprenante de [O, 1] sur [O, 1] x [O, 1]
étape 1. L'ordre des segments n'est pas bijective.
est indiqué. H.L.

Cette construction peut sembler très arti-


ficielle. En particulier, la fonction pré-
cédente, qui applique le segment sur le
carré, est fortement discontinue. Plus

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Dominique Souder EN BREF

On va faire un petit tour... .,,.


@

a.
0
c
enbase4 a
;:;!
0
3
Il:
Dans le tour de la page 119, le spectateur se doute
qu'il y a un truc puisque les deux cartes ont été choi-
sies par le magicien. Pour le tour suivant, ce sera le
spectateur qui choisira les cartes ! Pour compliquer
encore, le nombre choisi sera cette fois entre 1 et 200
(et même 255), mais le spectateur devra alors choisir
quatre cartes parmi un tas que le magicien proposera
(le magicien se contentera de les placer sur la table). magicien a besoin d'un O ou d'un 1 il demande au
Le fils s'éloigne, le spectateur indique au magicien le spectateur de choisir une carte noire, et le magicien
nombre qu 'il a choisi. Ce dernier demande au spec- fait attention à la présenter dirigée avec la dissymétrie
tateur de lui donner une carte (rouge ou noire selon vers le bas (0) ou le haut (1) . Si le magicien a besoin
les cas) , puis une deuxième, une troisième, et une d'un 2 ou d'un 3, il demande au spectateur de choisir
quatrième, la couleur étant toujours imposée par le une carte rouge, et le magicien fait attention à la
magicien . Celui-ci aligne les quatre cartes choisies présenter la dissymétrie vers le bas (2) ou vers le haut
par le spectateur sur la table, le fils revient et trouve (3). Les quatre cartes sont présentées dans l'ordre
la valeur du nombre choisi. correspondant aux coefficients 64, 16, 4, 1 de gauche
à droite par le magicien, et son fils doit être capable
Explication de lire l'écriture cachée ainsi en base 4, puis de faire
la conversion de tête en base 10.
Le tour réussit grâce à deux astuces très différentes, Attention à bien extraire des cartes rouges et noires
ce qui rend très difficile de deviner l'explication. adéquates en quantité suffisante pour constituer un
D'abord il faut connaître la numération en base 4 . Par joli tas de cartes panaché !
exemple, le nombre qui s'écrit 2131 en base quatre
vaut 2x64 + lxl6 + 3x4 + 1 (soit 128 + 16 + 12 + 1 .,,.
@

=157) en base 10. Inversement, il faut savoir conver- a.


.,c
0

tir les nombres en base 10 vers la base 4. Par a.


exemple, le nombre 118 (en base 10) est égal à 64 + ~
3
48 + 4 + 2, donc à lx64 + 3x16 + lx4 + 2; il s'écrit Il:
donc 1312 en base 4.
Pour que le magicien communique les quatre chiffres
de l'écriture en base 4 à son fils , il va falloir quatre
cartes , une par chiffre. Il faut utiliser des cartes dissy-
métriques dans leur apparence côté visible, c'est-à-
dire permettant de distinguer un haut et un bas. Par
exemple, dans un 9 de pique, le symbole central peut
être présenté pointe en haut ou pointe en bas. On peut
convenir que la pointe en bas correspond au chiffre O
et la pointe en haut correspond au chiffre 1. De même
pour une carte rouge (par exemple, un 9 de cœur
ayant un symbole central pointe en bas correspondra
au chiffre 2, et la pointe en haut au chiffre 3). Si le

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta:ngente iœ


SAVOIRS par Philippe Boulanger

Ces e1etraordinaires
courbes de remplissage
Il est possible de couvrir le plan tout entier avec des courbes
infiniment minces qui ne se recoupent pas, comme l'ont montré
les mathématiciens de la fin du XIXe siècle, entre autres
résultats spectaculaires. Adorateurs de l'intuition s'abstenir...
out a véritablement commencé

T par une lettre de Cantor à


Dedekind en 1877. Georg Can-
tor (1845-1918) indique qu'il a prouvé
un résultat qui lui semble impossible,
incroyable.
Amenons sa découverte sur un exem-
ple . On part du nombre réel qui s'écrit,
en base décimale, 0 ,a I a 2a 3a 4 a 5a 6a 7 .. .
Ce nombre est compris entre O et 1.
On associe à ce nombre deux nombres
réels : le premier, x, en prenant les
décimales impaires dans le même ordre
(soit x = O,a 1a 3a 5a 7 ••• ), et le second, Georg Cantor.
y, en prenant les décimales paires (soit
y= O,a 2a 4 a 6a 8 .• • ). Six et y sont les En fait , l' application est surjective ,
coordonnées d'un point compris dans comme l'avait tout de suite remarqué
un carré d'une unité de côté, nous (et sa correspondance avec Cantor en
avons fait correspondre à chaque point fait foi) Richard Dedekind (1831-1916).
du segment [O , 1] un point dans le En effet, 0 ,899999999 ... n'est pas dif-
carré. Réciproquement , chaque point férent de 0 ,9. Toutefois , cela n' a pas
du carré correspond à un point au moins beaucoup d'importance et l'on peut, en
du segment. se donnant un peu de mal , faire que l'ap-
plication soit bijective (de sorte qu 'à un
« Je le vois, mais je ne le crois pas. » point du segment correspond un point du
Georg Cantor carré et un seul , et inversement).

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


JOUER AVEC L'IMPOSSIBLE

Le résultat est si contre-intuitif que nit aucune illustration. On conçoit aujour-


Cantor affirme: « Je le vois, mais je ne d'hui la courbe de Peano comme une
le crois pas. » fractale résultant de l'itération répétée
On peut en fait généraliser ce résultat d'une procédure indiquée sur la figure
et montrer que le segment S = [O, 1] et suivante. Le mathématicien français
tout ensemble Sn= S X S X S X • •• ont Benoît Mandelbrot (1924-2010) nous
la même cardinalité. a familiarisés avec les fractales.

Le résultat est d'autant plus surprenant


que Cantor voulait démontrer le con-
traire ! D'ailleurs, Leopold Kronecker
( 1823-1891), mathématicien réputé, fut
en désaccord avec ce qui fondait les
travaux de Cantor en théorie des ensem-
bles, car il refusait d'envisager un ensem-
ble infini comme une entité sur laquelle
on pouvait raisonner (ce que faisait Can-
tor dans toutes ses démonstrations).

la courbe de Peano
Les quatre premières étapes,
Pi, P 2 , P 3 et P 4 , de la construction
de la courbe de Peano.
À la limite, pour un nombre infini
d'étapes, la courbe, de longueur infinie,
recouvre tout le carré !

La courbe de Peano est de longueur


infinie. Cela n'est pas étonnant : la
longueur de Pn (la énième étape de con-
struction de la courbe) est (3 2n - 1) / 3n,
qui tend vers l' infini avec n. Par ailleurs,
si elle était de longueur finie, elle ne
pourrait pas passer partout !
Giuseppe Peano. La courbe de Peano est par ailleurs con-
tinue en tout point, mais elle n'est dériv-
La question qui se pose alors est de trou- able en aucun point : « Manque toujours
ver « la » courbe qui traduit géométrique- de dérivée » écrivait Peano. D'autres
ment cette application et qui remplit tout mathématiciens, notamment David
l'espace du carré. Dans un article de Hilbert (1862-1943), ont trouvé des
1880, trois ans après le théorème de courbes dans le même esprit. Les courbes
Cantor (le vent du possible avait souf- continues qui pavent tout le carré en
flé très tôt), Peano expose la nature d'une utilisant les points d ' un segment ne
telle courbe dans un article en français sont pas bijectives, comme la montré
intitulé Sur une courbe qui remplit toute le mathématicien allemand Eugen Netto
un e aire plan e . Malheureusement, (1848-1919) en 1879: de telles courbes
Giuseppe Peano (1858-1932) ne four- possèdent une infinité de points multi-

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


SAVOIRS Les courbes de remplissage

.:. l l j .!. 8
les pauages de l'espace
Les pavages de différents espaces
comme la droite, le plan ou l'espace avec
une infinité de courbes simples de
formes variées est un autre sujet d'é-
, ..·il lli llll lllllll lllll li li li lllll 1111111111 1111111111111111 .. ·, tude. Dans ce cas, paver signifie que
= ----= tous les points de l'espace à paver sont
= ==== - ...
recouverts une fois et une seule. Il est
clair que l'on peut paver la droite avec
6 5
des segments semi-ouverts : il suffit
1. Pavages d'une droite avec des segments égaux semi- de les mettre bout à bout !
ouverts, et pavages du plan avec le même type de segments. Sur la figure 1 ci-contre, chaque extrémité
fermée est indiquée par un gros point
et les points de suspension sont en
rouge . Il est cependant impossible de
paver la droite avec des segments fer-
més, même de longueurs différentes ,
car entre deux nombres réels (l'ex-
trémité droite d'un segment et l 'ex-
trémité gauche du segment suivant) il
sera possible d'insérer un nombre infini
non dénombrables de points réels .
John Conway et Hallard Croft ont ensuite
montré qu'il était possible de paver le
plan avec des segments fermés égaux,
comme indiqué sur la figure ci-contre. Le
2. Pavage d'un plan par des segments fermés égaux. pilier central 1 est flanqué de deux piliers
horizontaux 2 et 3 ouverts du côté fini
(le dernier segment n'est pas ajouté , de
façon à se réunir à un côté du pilier ver-
tical sans laisser de point non recouvert) .
Les piliers obliques ouverts du côté fini,
4, 5, 6 et 7, sont ajoutés et d'autres piliers
obliques (8 et 9 et leurs symétriques)
ouverts par les interstices libérés, et ainsi
de suite.
3. Pavage d'un plan par des segments ouverts inégaux. Il est aussi possible de paver le plan
avec des segments ouverts inégaux ,
ples (dit autrement : toute application comme représenté sur la figure 3. Les
bijective d'un segment dans le carré segments de la pile centrale noire for-
est nécessairement discontinue). Toute- ment un rectangle sans côtés ni som-
fois, la courbe du mathématicien améri- mets car les segments du haut et du bas
cain William Fogg Osgood (1864-1943) de la pile sont absents. Le segment le
est continue et ne passe jamais deux plus à droite de la pile de gauche est
fois par le même point. Elle ne recou- présent et celui le plus à gauche est
vre cependant que la moitié du carré. absent. Les segments noirs et rouges

TClngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


vision géométrique de la réalité non
intuitive du monde. Cette vision a amené
des applications, comme par exemple
les antennes réceptrices en forme de
courbe de Peano partielle, certaines
procédures d'exploration de fichiers
en informatique ou des résolutions par-
tielles du problème du voyageur de
Courbe de Osgood, commerce (relier par des segments les
continue et bijective, mais ne pavant points d'un plan pour constituer le
que la moitié d'un carré. chemin le plus court passant par tous
ces points; ce problème est d'une impor-
forment un rectangle sans côtés ni som- tance considérable) . Hélas, on peut
mets. Et on continue l'opération à l'in- craindre que la réduction de la géométrie
fini dans le même esprit. dans les programmes asséchera cette
Il est certes impossible de recouvrer le source d'inspiration. Tonner contre,
plan par des segments ouverts égaux. écrirait Flaubert ...
En revanche, John Conway et Hallard P.B.
Croft ont expliqué comment recouvrir
une sphère avec des arcs de grands cer-
cles semi-fermés égaux. Une infinité de
zigzags de plus en plus « penchés »
quand ils s'approchent de l'équateur
recouvre la quasi totalité de la surface
del 'hémisphère Nord de la sphère, sauf
l'équateur et les pôles (il n'y a pas de «
dernier arc»). Pour recouvrir le point cor-
respondant au pôle Nord, on inverse le
sens de chaque arc d'une seul chaîne
d'arcs en zigzag, de sorte que l'extrémité
fermée du premier arc recouvre le pôle.
On pratique de même pour l'hémisphère
Sud et le pôle Sud. Il faut ensuite recou- Pavage de la sphère par des arcs
vrir l'équateur d ' une ceinture formés semi-ouverts égaux.
d'arcs . Cette dernière procédure ajoute
une contrainte : il faut que la longueur
des arcs divise la longueur du périmètre, Références
comme 1/5, 1/6, etc. • Sur les courbes de remplissage. Hamza Khelif, Image des maths, 20 li
Les mathématiciens ont prouvé qu'il (http://images.math.cnrs.fr/Sur-les-courbes-de-remplissage.html).
est impossible de recouvrir la sphère • labyrinthes de longueur infinie. Jean-Paul Delahaye , Pour la Science
avec des arcs ouverts égaux, mais la 318, 2004.
question du pavage avec des arcs fermés • Les pavages fins. Jean-Paul Delahaye, Pour la Science 361, 2007.
égaux est une question ouverte depuis • Point sets on the sphère in knotted doughnuts and other mathematical
bientôt cinquante ans ! entertainments. Martin Gardner, chapitre 12, W.H. Freeman, 1986.
Les résultats de l'analyse ont conduit • Covering a sphere with congruent great circle arcs .
à des résultats géométriques paradox- John Conway et Hallard Croft, Proceedings of the Cambridge
aux (mais corrects) renforçant notre Philosophical Society 60, 1964.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tc:a:ngente


EN BREF par Philippe Boulanger

Quelques impossibilités célèbres


Les impossibilités sont légères ou graves,
mais certaines qui furent des amusements ont inspiré d'importants résultats.

la pendaison impossible
Comment prévoir l'imprévisible? Un condamné
à mort doit être pendu un jour d'une semaine fixée,
sauf s'il devine le jour où la pendaison doit
avoir lieu. « Vous ne pourrez pas me pendre ,
annonce-t-il à ses bourreaux. Le dernier jour
de la semaine, le samedi.je saurai que c'est le
jour où vous allez me pendre, donc je pourrais
vous l'annoncer le matin même. Vous ne pou-
vez donc me pendre le samedi. Comme vous ne
pouvez pas me pendre le samedi, le vendredi
matin je saurai que c'est le dernier jour où vous
pouvez me pendre et je vous l'annoncerai. Donc
vous ne pouvez me pendre le vendredi . . . et ainsi
de suite pour tous les jours de la semaine. »
Hélas, le prisonnier fut bien surpris de voir
entrer le bourreau dans sa cellule ... le mercredi,
par exemple !
Étudié notamment par Quine, ce paradoxe pré-
visionnel (d'origine scandinave ou nord-amé-
ricaine) remonte aux années 1940, avec la
variante d' un « examen surprise annoncé pour
un jour inopiné de la semaine suivante » .

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par P. Boulanger et H. Lehning EN BREF

Répondre par oui le paradoxe


ou par non
À un magistrat prétendant que « toute ques-
de Lewis Carroll
tion doit avoir obligatoirement soit une réponse Les découpages peuvent mener à d'étranges para-
positive, soit négative », l'avocat André Tou- doxes, comme le montre cet exemple dû à Lewis
louse décoche ce contre-exemple : « Me per- Carroll.
mettrez-vous, avec tout le respect que je dois 5 3
à Votre Honneur, de vous poser cette question

:~ si:i:h:I
qui ne souffrira, je pense, de réponse ni par
oui ni par non : quand vous êtes ivre, battez-
vous votre f emme ? »
5 8
En découpant un carré de côté 8 cm,
on obtient un rectangle de côtés 5 et 13 cm.
Autrement dit : 8 x 8 =5 x 13, soit 64 =65.

Si l'unité est le centimètre, le carré de gauche a


une aire égale à 64 cm 2 . Il a été découpé comme
indiqué sur la figure pour former le rectangle de
droite , d'aire 65 cm 2 • On en déduit que 64 = 65.
Bien entendu, c'est faux. Les pièces découpées dans
le carré de gauche ne recouvrent pas complètement

les dés pipés le rectangle de droite : si les quatre pièces sur la


figure de droite recouvrent le rectangle, la lon-
gueur notée 3 est légèrement plus longue . Pour le
Un joueur sort vingt fois de suite le double six démontrer, notons-la x et considérons la moitié du
avec deux dés. Vous le soupçonnez de tricher, rectangle .
mais comment le savoir ? La probabilité de
sortir cette série est petite, mais pas nulle , et
il faut bien que « le hasard arrive ». Cette
impossibilité est très agaçante. Elle pose aussi 5 ~
Je problème de la valeur juridique des coïnci- 5 8
dences. Si impossible est scientifique, son trai-
tement ne l'est pas toujours ... Moitié du rectangle de Lewis Carroll.
Nous notons x la hauteur du petit triangle.
Référence:
Le trésor des paradoxes , Le petit triangle se transforme en le grand par une
Philippe Boulanger et Alai n Cohen, Belin , 2007 . homothétie de rapport 13 / 8. Le nombre x se trans-
forme donc en 5 de la même manière. Un calcul
facile montre que x est égal à 40 / 13 et non à 3. La
différence est de 1/40, c'est-à-dire de 2,5%, trop
faible pour se voir à l' œil.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


EN BREF par Hervé Lehning

Quand 2 = 1 0=1
Partons de l'identité remarquable La somme 1 - 1 + 1 - 1 + 1 - 1 +etc.est pleine de surprises.
(a - b)(a + b) = a2 - b2 • Si nous groupons les termes deux par deux à partir du pre-
En divisant chaque membre de cette mier : (1 - 1) + (1- 1) + (1 - 1) + ... =O.
équation par a - b, Si nous le faisons à partir du second :
a 2 -b 2
nous obtenons a + b = - - - 1 - (1 - 1) - (1 - 1) - (1 - 1) - ... = 1.
a- b
Nous en déduisons que O est égal à 1.
Pour a = b = 1, a 2
=a et b2 =b, Par ailleurs, si nous admettons que
a 2 -b2 S = 1 - 1 + 1 - 1 + ... a un sens et qu'on peut lui appliquer
donc - - = 1
a-b les raisonnements classiques que nous faisons usuellement sur
d'où, en reportant dans l'équation pré- les nombres,
cédente, 2 = 1. S = 1 - 1 + 1 - 1 + ... = 1 - [1 - 1 + 1 - 1 + ...] = 1 - S.
Ce paradoxe cache forcément une erreur. Le nombre S, si c'en est un, est donc solution de l'équation
Ici, elle correspond à une division par zéro, S = 1 - S, ce qui fournit sa valeur: S = 1 /2. Avec cette défi-
puisque le dénominateur de la fraction nition, la somme S n'a aucun sens. La levée classique à ce
considérée vaut O. paradoxe est d' introduire la notion de convergence à partir
de celle d'approximation .

Tous les points du Voyons l'exemple de la somme T =


1 1 l
-+ - + - + ...
2 4 8

plan sont alignés Pour lui donner un sens, on considère la somme finie de ses
n premiers termes . Un calcul montre qu'elle vaut J - __!___.
2"

Considérons l'hypothèse Hn: n points Quand n augmente le second terme diminue pour devenir
quelconques du plan sont toujours ali- négligeable. Ainsi, cette somme converge vers 1. On peut
gnés. Il est clair que H 1 et H2 sont vraies. voir cette somme comme le résultat du partage d' une quiche
Supposons donc Hn vraie et donnons- selon la règle suivante : le premier prend la moitié, le suivant
nous n + 1 points quelconques du plan, prend la moitié du reste, et ainsi de suite.
Mi, M 2 , ••• Mn et Mn+l · D'après l'hy-
pothèse Hn, les n premiers points Mi, Partage d'une quiche
M 2 ..• Mn sont alignés. Ils définissent en parts réduites
donc une droite D. Pour la même rai- de moitié
son, les n derniers M 2 , M 3 , ••. Mn+ 1 à chaque étape.
sont également alignés, et définissent
une droite l:l.. Si les convives so nt en
Ainsi, les points médians M 2 , ... Mn nombre infini, la quiche sera
appartiennent aussi bien à D qu'à l:l.. entièrement distribuée , ce
Les deux droites D et l:l. sont donc qui donne l'égalité
confondues. Les points M 1, M 2 , ••• Mn l 1 1
-+-+-+ .. . =!.
et Mn+! appartiennent à D, donc sont ali- 2 4 8
gnés ... ce qui prouve Hn+l · Cette méthode est celle qu'utilisait Archimède dans l' Anti-
Ainsi, les points du plan sont tous ali- quité , en évitant l'introduction de l' infini : il montrait que
gnés. Où est l'erreur ? Pour la voir, plus on prenait de termes, plus on s'approchait de 1.
essayez donc d'appliquer le raisonne-
ment pour n = 2 ...

Ta.ngente Hors-série n"49. Les maths de l'impossible


par Dominique Souder EN BREF

les jetons bicolores le total à obtenir est 453 .


La valeur rouge vaut 9 de moins que la valeur
jaune : changer un jaune pour un rouge revient à
Un mag1c1en propose à un spectateur un enlever une dizaine (jaune) et ajouter une unité
ensemble de huit jetons bicolores : jaunes d'un (rouge) ; le bilan est 1 - 10 = -9. Le travail du
côté et rouges de l'autre. De chaque côté de magicien consiste à compter le nombre de pions
chaque jeton sont écrits des nombres ; il y en a rouges pour avoir le chiffre des unités et de
seize différents. Voici les valeurs (recto et verso) jaunes pour avoir celui des dizaines (et c'est le
de chacun des huit jetons : complément à 8 du précédent), et à penser au 4
comme chiffre des centaines .

Référence

Le spectateur est invité à lancer ces huit jetons et 60 tours magiques de


à totaliser les huit valeurs visibles obtenues, mais mathématiques et de
le magicien s'amuse à donner instantanément le logique. Dominique Sou-
total, avant que le spectateur (même avec une der, Ellipses, 2012.
calculatrice) ne donne le sien. On rejoue et les
totaux peuvent être différents . La vitesse avec
laquelle le magicien fait le total semble une
prouesse impossible à réaliser même par des
habitués du calcul mental rapide.

Explication

En fait , les valeurs écrites


sur les pions ont été choi-
sies pour obtenir des
totaux allant de 9 en 9, à
partir de 408 et jusqu' à
480. On a voulu que le
chiffre des dizaines du
total corresponde au
nombre de jetons visibles
côtés jaunes, et que le
chiffre des unités corres-
ponde au nombre de jetons
visibles côtés rouges.
Quant au chiffre des cen-
taines du total , c'est tou-
jours 4. Ainsi, pour quatre
jetons jaunes et quatre
rouges, le total à obtenir
est 444, tandis que pour
cinq jaunes et trois rouges

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente ~


par Daniel Justens

l'égalité de tous les réels


ou le théorème de l'impôt cible
Est-il possible de démontrer que tous les nombres sont
égaux ? Évidemment non, encore que... La logique de
l'absurde, si elle est bien conduite, peut mener à de bien
étranges paradoxes. En VOICI un exemple à la fois
humoristique, scientifiquement documenté et inédit.
ne idée préconçue et très

U répandue, aussi bien dans la


sphère des mathématiciens que
dans le grand public, est que les nombres
réels avec lesquels jonglent tous les
informaticiens et les ingénieurs pourraient
dans certains cas être différents pris deux
à deux . Le but de cet article est de tordre
le cou à cette aberration et de démontrer
rigoureusement la thèse suivante : pour
tous a et b appartenant à IR , on peut
démontrer l'égalité a= b.

Les applications de ce résultat sont


nombreuses mais se révèlent surtout
particulièrement importantes en matières
fiscales ou sociales, surtout en ces temps
de crise. En effet, fort de ce théorème ,
il est désormais possible à tout contrôleur
de taxer quiconque à n'importe quel
niveau d'imposition, sans que le
contribuable puisse en quoi que ce soit
protester contre le montant demandé ,
tous les réels étant égaux. Et ce même
contribuable peut aussi s' acquitter de la

TC1.n9ent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


somme de son choix en vertu de la même
propriété. Plus de contestation donc !
De même , nos hommes et femmes
politiques peuvent à présent, sur base
du théorème qui suit, chargé de toute la
puissance de la rigueur mathématique,
proposer n ' importe quel budget sans
crainte d' un quelconque dépassement
ou de problèmes de financement .
Des applications multiples sont encore ~
envisageables en matière de bilans ~
]
d 'entreprise, de résultats d 'examens ou "-----' j
encore de politique prévisionnelle dans Les décimales de :,,: présentées au Palais de la découverte @

tous les domaines . Les conséquences sont-elles toutes égales ?


semblent en fait sans limites et s'observent
dans tous les domaines : le théorème Des applications multiples sont
supprime de fait toutes les inégalités envisageables en matière de bilans
sociales , les avoirs de tous les humains
étant forcément identiques , que ceux-
d'entreprise, de résultats d'examens
ci soient milliardaires ou endettés. Jamais ou encore de politique prévisionnelle.
nul ne contribua autant au progrès social
que le découvreur de ce résultat mathématiciens professionnels. Nous
extraordinaire. renvoyons donc le lecteur exigeant à
une seconde preuve, tout aussi rigoureuse
Certes de nombreux lemmes partiels mais plus technique, basée notamment
avaient circulé jusqu ' ici , (dé)montrant sur la formule de Green, qui ravira
avec plus ou moins de conviction des sûrement les spécialistes. Ces résultats
égalités triviales comme 1 = 2 ou O = 1, furent publiés intégralement par les
avec ou sans réciproque. Mais il manquait éditions du Céfal, dans l'ouvrage
un résultat général, définitif. C 'est ce Mathématiques amusantes, sous le numéro
que nous présentons ici avec toute la 2 des cahiers de l'IREM de Bruxelles,
rigueur qui sied. pages 83 à 102 (disponible en ligne sur
artandscienceprojects.be à l'onglet Livres).
Du mathémusicien à Sillyjoke Ils sont de la plume même de
Spotzermann, et constituent l'une des
Il existe à ce jour deux démonstrations avancées majeures des mathématiques
équivalentes de la propriété. La première de la fin du xxe siècle. Ils nous ont
est accessible à tous . Les prérequis en généreusement été confiés par le
sont connus par la très grande majorité mathémusicien belge Laurent Beeckmans,
des citoyens, les mathématiques utilisées que nous remercions ici.
étant celles du lycée même si un petit La preuve élémentaire nécessite deux
détour par la trigonométrie s'avère lemmes . Le premier, purement
nécessaire. Et on défend ainsi le principe géométrique, se révèle d ' une évidence
se lon lequel chacun a même droit à telle qu ' il peut sembler surprenant que
l'accès à la connaissance et à l'information. sa thèse n'ait été pleinement démontrée
Mais il est à craindre que la simplicité que récemment. Il s'agit du théorème
même de la démonstration n'irrite les de Sillyjoke (1981): tout point intérieur

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible TAngente


L'égalité de tous les réels ...

à un cercle est situé sur sa circonférence. r2 = IORl 2 - IPRl 2


= (IOUl - IURl 2) - (IPUl 2 - IURl 2)
2

Considérons donc un cercle C de centre = IOUl 2 - IPUl 2 = r2- IPUl 2 .


O et de rayon r (cela commence bien) . Les conséquences du premier et dernier
Soit P un point intérieur à C. Raisonnons membre de cette suite d'égalités imposent
à partir du graphique ci-dessous et prenons IPUl 2 = 0, ce qui implique que P et U
en considération le point Q , extérieur à coïncident. Le point P est donc bien situé
C , situé dans le prolongement de (OP) sur la circonférence (ce qui était visible
et tel que IOPI x IOQI = r2. La notation sur le graphique).
lai représente la norme ou longueur du Venons-en au lemme 2. Ce résultat est
vecteur a. Comme IOPI < r, on sait que plus connu sous l'appellation de théorème
IOQI > r et donc que Q est bien à l'extérieur de Granbromista. Ce mathématicien
du cercle. espagnol (1955-2024) n' a hélas! laissé
que de trop rares traces dans la littérature.
Le résultat proposé (en 1949) n'a rien de
bien surprenant mais s'avérera
particulièrement utile dans la suite. Il
consiste à démontrer que + 1 = -1 .
Voyons cette démonstration sans faille.
0
Considérons l' équation trigonométrique
suivante:
p a cotan 8 + tan 38 = o.
Cette dernière n 'a rien d'extraordinaire ,
elle est vérifiée pour un angle aussi
anodin que 45° (ou ni 4 radian) . En effet,
on obtient bien
cotan 45° + tan 135° = 1 - 1 = O.
Usons à présent des formules de sommes
Construisons à présent R, milieu de d 'angles, bien connues des lycéens, pour
[PQ], et traçons la perpendiculaire à obtenir:
(OQ) en R. Celle-ci coupe le cercle C en cotan 8 + tan (8 + W) =
deux points U et V. tan8+tanW
Le raisonnement qui suit est purement cotan 8 + - - - - - -
1 - (tan 8)(tan W)
vectoriel et tient compte de la position
de R, milieu de [PQ]. On vérifie que : Cette relation est équivalente à
IOPI = IORI - IPRI puis que (cotan8)(1-(tan8)(tanW))
IOQI = IORI + IRQI = IORI + IPRI. + tan8 + tan28 =
Par construction, on a : cotan 8 - tan 28 + tan 8 + tan 28 = 0 .
IOPI x IOQI = r 2 Cela conduit, en effectuant
= (IORI - IPRl)(IORI + IPRI) cotan8 + tan8 = 0,
= IORl 2 - IPRl 2 . ou encore en multipliant par tan 8, à :
Le théorème de Pythagore peut alors 1 +tan 2 8=0,
nous venir en aide . En effet , il nous ou encore tan 2 8 = - 1. Comme nous
permet d ' affirmer que IORl 2 = IOUl 2 - savons que l'équation est satisfaite pour
IURl 2 et que IPRl 2 = IPUl 2 - IUR1 2 . q = 45°, nous savons également que
On en tire donc, à partir de la relation tan 2 8 = + 1, d'où la thèse (deux quantités
vue plus haut : égales à une même troisième sont égales).

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


le théorème de Spotzermann
Ces lemmes essentiels nous permettent
d'accéder au résultat définitif : le théorème
de Spotzermann (1991) dont l'énoncé
élémentaire est à la portée de tous : pour
tous réels a et b, on a a= b.
Voici le raisonnement. Supposons dans
un premier temps a et b positifs et
a < b, ce qui ne restreint nullement la
généralité. Soit A un point du plan
euclidien muni de l'origine O, situé à
distance a de l'origine, et B un point du La Convention nationale fit placer entre février 1796
même plan situé à distance b de la même et décembre 1797 seize mètres étalons en marbre à Paris.
origine. Soit C le cercle de rayon b et de Sans doute afin de bien se convaincre que tous les nombres
centre O. B est situé sur C. Comme a est sont égaux ...
supposé inférieur à b, A est intérieur à
C. Le théorème de Sillyjoke nous permet effet, dans l'optique standard, les
d'affirmer alors que A, intérieur à C, infiniment petits ne sont pas introduits
doit être situé sur C, ce qui implique ex nihilo mais bien remplacés par la
que A et B, situés sur C, sont à égale notion de limite de suites tendant plus
distance de O . Donc IOAI = IOBI ou ou moins uniformément vers O. Ces
encore a= b. suites constituées de nombres réels
Si a et b sont tous deux négatifs, on standards, tous égaux vu le domaine
vérifie sans peine que l'égalité couvert par le théorème initial, convergent
- a =- b qui vient d'être établie implique donc toujours et leur limite est égale au
a = b. Lorsque a et b sont de signes nombre en question , ce qui établit le
opposés , le théorème de Granbromista résultat de façon définitive.
fait le reste. Remarquons en passant la simplification
Voilà donc le résultat établi pour tous notoire qu'apporte ce théorème dans la
réels. Mais on peut aller plus loin et théorie des séries et des suites. Nous
l 'étendre aux hyper-réels , afin de savons à présent que toute suite de
combler également les analystes non nombres est constituée de nombres
standards. En effet, considérons la identiques et qu'en conséquence elle
somme suivante : +"' converge toujours . Il en est de même
s = 1 + 2 + 4 + s +.. . = 2k. I
k-0
des séries , vu l'extension du théorème
de Spotzermann aux hyper-réels qui
On vérifie que S = + oo . Mais on observe vient d'être établie. Que de simplifications
également que : en vue! Mais ce n'est qu'un début et nous
S = 1 + 2(1 + 2 + 4 + 8 + ... ) ne doutons pas que de nouvelles
= 1 + 2S, applications verront le jour, s'appuyant
dont on tire sans peine que S = - 1, ce sur la thèse qui vient d'être démontrée
qui étend le théorème de Spotzermann et qu 'elles contribueront grandement à
aux infiniment grands, puisque, l'un des la gloire des mathématiques tout en
réels étant égal à l'infini, tous le sont. Reste facilitant significativement l'existence
à traiter le cas des infiniment petits. Ce de chaque citoyen.
dernier cas ne pose aucun problème. En D.J.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente


SAVOIRS par Philippe Boulanger

Impossible, même à
un Dieu omnipotent 1
On peut se demander si Dieu peutfaire des choses qu'il ne peut
pas faire. Les limites de Dieu résident-elles dans les
contradictions amenées par l'omnipotence ou l'omniscience?
Dans quelle mesure les limites scientifiques sont-elles des
limites absolues ?
Un botaniste, un mathématicien et un aplanir. Pourquoi Dieu ne le pourrait-il
théologien étaient réunis et le botaniste pas?
prétendait avoir trouvé un radiolaire
dont le squelette sphérique siliceux la montagne impossible aconquérir
était pavé d'hexagones . « Impossible,
s'exclama le mathématicien, un théo- Le problème de l'omnipotence divine a
rème de mathéma- été posé par Averroès (1126-1198) et
tique interdit le Thomas d ' Aquin (vers 1224-1274).
recouvrement d 'une Une version du problème posé est :
sphère par des hexa- « Dieu pourrait-il créer une montagne
gones. » « À Dieu, si haute qu 'il ne pourrait monter jus-
qui a créé les lois qu'à son sommet ? » Si Dieu ne peut
mathématiques, rien créer une telle montagne, il n'est pas
n'est impossible ! » omnipotent, et s'il ne peut gravir une
répondit le théolo- telle montagne , il n'est pas omnipotent
gien. non plus.
L'écrivain René Daumal rédige en
Les limites de la 1928 le Mont Analogue. Il évoque une
science sont-elles des montagne sacrée dont la base est
limites pour Dieu ? accessible , mais dont le sommet, tou-
Lui serait-il impos- jours couvert de brumes opaques, est
sible de voyager plus invisible et inatteignable. Les fron-
vite que la lumière, de tières de l'invisible sont visibles et
voyager dans le passé et de le modifier, abordables. La montagne de René
Les radiolaires
de dépasser les incertitudes quantiques, Daumal est un symbole de la recherche
(dessins de
de créer l'Univers à partir de rien ? Les scientifique : ce n'est pas parce que la
Ernst
scientifiques n'aiment pas qu'on leur connaissance totale est impossible que
Haeckel).
oppose des impossibles et ils trouvent nous ne poursuivons pas notre quête de
des moyens de les contourner ou de les compréhension.

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


Par omnipotence on sous-entend aussi Et selon le même
omniscience. Une difficulté, soulevée Oscar Wilde il se
par le logicien Patrick Grim, est analy- pourrait que si
sée par Jean-Paul Delahaye dans la nous parvenions à
Logique de la perfection (Pour La tout savoir de
Science 410, décembre 2011). Pour notre monde nous
démontrer l'impossibilité de l'omni- n'en serions que
science, Patrick Grim emploie un pro- tristes et désœu-
cédé « à la Cantor », analogue à celui vrés : « Il y a deux
utilisé pour démontrer qu'il n'existe tragédies dans la
pas d'ensemble de tous les ensembles. vie : l'une est de
Grim considère l'ensemble Ede toutes ne pas parvenir à
les vérités. Si cet ensemble n'existe ses fins, l'autre
pas , alors l'omniscience est impos- d'y parvenir. »
sible. Considérons les parties de E (à Par « fins » ,
savoir les sous-ensembles de certaines Wilde pensait à
vérités de E) . Ces parties constituent ses rêves et à ses
un ensemble V dont la cardinalité est désirs. Il est vrai
supérieure à celle de E, et ce que l'en- que la réalisation
Saint Pierre tentant de marcher sur
semble E soit fini ou infini. Pour toute des désirs les éli-
mine, ce qui n'est les eaux par François Boucher (1766).
assertion v qui est une vérité, on peut
Versailles, Cathédrale Saint-Louis.
se poser la question : v est-il dans une pas dans notre
partie de E? La réponse est oui ou non, désir car il est
et il y a ainsi autant de vérités que de bon de désirer.
parties de v. L'ensemble de toutes les
réponses (oui, v est dans E, non, v n'est Théologie et logique
pas dans E) est un ensemble plus grand
que E, et comme on peut se reposer la Revenons à la montagne et aux
question sur ce nouvel ensemble (qui réponses des théologiens. Thomas
donne un ensemble de vérités « encore d'Aquin affirme que le problème est
plus grand »), il ne peut exister d'en- mal posé est que Dieu peut tout faire
semble de toutes les vérités. qui n'amène pas de contradiction. Dieu
La difficulté de la connaissance parfai- ne peut gravir une montagne invincible
te est aussi apparue dans l'étude du dans la mesure où cela est une contra-
cerveau : « Comprendre son cerveau diction. Argumentant ainsi, Thomas
serait synonyme de se soulever du sol d' Aquin botte en touche et sa réponse
en tirant sur ses lacets de chaussure. » ne nous satisfait guère car c'est Dieu
L'écrivain Emerson Pugh a écrit que dans son omnipotence qui a créé les
« si le cerveau humain était suffisam- contradictions .
ment simple pour que nous puissions Dans la même veine, Saint Augustin
en comprendre le fonctionnement, (354-430) définit l'omnipotence
alors nous serions si peu intelligent comme la possibilité de faire tout ce
avec un tel cerveau que nous ne pour- que nous voulons, et non tout ce que
rions le comprendre » . Cela évoque la nous pouvons imaginer qu'un être
boutade d'Oscar Wilde, qui voulait pourrait vouloir. Cette limitation
appartenir à un club qui exclurait les semble trop facile, pour être omnipo-
gens de son acabit ! tent il suffirait de ne vouloir que ce que

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Tc:ingent:e


SAVOIR Jouer avec l'impossible
---------------------

vie » . Ainsi Lazare est ressuscité


d'entre les morts (impossible biologi-
quement), le Christ marche sur les
eaux (impossible physiquement),
transforme l'eau en vin (impossible
chimiquement). Les miracles advien-
nent quand un impossible est associé à
un fait patent. N'oublions pas que pour
accéder à la sainteté il faut se voir attri-
buer des miracles. Toutefois, en reve-
nant à la métaphore du Mont Analogue,
Ce ciboire (VI" siècle) du musée du
certains anciens miracles médicaux
Vatican est décoré en ciselure avec
n'en sont plus aujourd'hui : nous
quelques scènes des miracles du
savons par exemple guérir les lépreux .
Christ, comme la guérison de l'aveugle
Similairement, il se posait une question
de naissance, la guérison du paraly-
sur l'arbitraire divin à laquelle il sem-
tique et la résurrection de Lazare.
blait impossible de répondre : pourquoi
l'on peut avoir. Dieu n'avait-il pas placé le centre de
Le philosophe britannique contempo- l'Univers (la Terre) un peu plus à
rain Tzachi Zamir prend un autre biais gauche ou un peu plus à droite ? Dieu
et affirme que si Dieu est tout puissant faisait-il certaines choses sans raison ?
alors il est dans son pouvoir de ne plus Einstein a répondu qu 'il n'existait pas
exercer sa toute puissance. Ainsi il n'y de repère absolu dans l' Univers et que
a plus de contradiction car Dieu est la question n'avait pas de sens.
libre de bâtir une
montagne et choi- Les impossibles divins sont plus
sir de ne pouvoir la qu'une amusette et savoir ce qui est
gravir... Notre possible ou impossible a mobilisé au
omnipotence rési- :xxe siècle les meilleurs esprits. Cette
derait alors dans rencontre des logiciens et des théolo-
notre volonté de ne giens est un savoureux épisode de
pas vouloir. l' histoire de la pensée qui se poursuit
de nos jours et qui se poursuivra long-
Il est curieux que , temps.
pour illustrer l' in- P.B.
démontrable , l'É-
glise catholique
parsème son ensei-
gnement de
miracles (il y en
aurait trente-six
répertoriés pour le
Le mathématicien allemand Georg Christ seul), des
Ferdinand Ludwig Philipp Cantor faits contraires à ce
(1845-1918) a démontré qu'il n'existe que nous savons
pas d'ensemble de tous les ensembles. des « choses de la

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


SAVOIRS par François Lavallou

les chaussettes
amsey
Le désordre complet est impossible Pourvu que l'on
considère un ensemble suffisamment grand, on peut y
trouver n'importe quel objet mathématique. La théorie de
Ramsey cherche alors à déterminer l'ensemble minimum
qui possède une propriété donnée.

Pendant ses vacances d'été en Hongrie impossible de ne pas trouver d'entiers


en 1959, Pal Erdôs, le grand résolveur consécutifs, donc premiers entre eux.
de problèmes, invita à déjeuner Lajos Ce constat de bon sens est un cas parti-
Posa, un jeune garçon de 11 ans qui culier de la version finie du théorème
connaissait déjà toutes les mathéma- de Ramsey.
tiques du lycée. Comme il faisait avec
tous les epsilons (ainsi qu'il nommait la théorie de Ramsey
les enfants) prometteurs, il lui posa un
problème test : « Démontrer que, pour Le bon sens, dont il faut se méfier,
n+ 1 entiers inférieurs ou égaux à 2n, il amène à penser qu'il est impossible de
existe au moins une paire d 'entiers pre- mettre « beaucoup » dans « peu ». La
miers entre eux. » Le temps de finir sa théorie de Ramsey formalise cette
cuillérée de soupe, Lajos répondit : constatation : « Quel est le nombre
« Deux sont consécutifs. » Avec la nécessaire d' éléments d'un ensemble
conclusion tacite que si deux entiers pour qu'une propriété particulière se
sont consécutifs, ils sont nécessairement vérifie? » Le plus petit de ces nombres
premiers entre eux. S'il en était autre- est le nombre de Ramsey, pour cet
ment, leur diviseur commun diviserait ensemble et cette propriété.
leur différence, c'est-à-dire l'unité !
Cette idée est souvent illustrée par des
Le nombre maximum d'entiers non graphes complets, dont chaque som-
consécutifs est bien évidemment n, en met est relié à chaque autre sommet
prenant les entiers pairs (ou impairs). par une arête. Le triangle est ainsi un
Le (n + l)ème ne pourra alors qu ' être graphe complet d'ordre trois. Un
impair (ou pair) et, effectivement, il est graphe bicolore est un graphe complet

Tcingente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


dont les arêtes sont colorées par deux moins six personnes, trois personnes,
couleurs. Une version simple du théo- au moins, se connaissent mutuellement
rème de Ramsey fini est alors : « Pour ou sont étrangères les unes aux autres.
tout entier r > 0, il existe un entier n
non nul tel que tout graphe bicolore
d 'ordre supérieur ou égal à n contient
un sous-graphe monochrome d 'ordre
r. » Le plus petit de ces entiers n est le
nombre de Ramsey pour les graphes
bicolores, relatif à r, et est noté N(2, r).

Ici, N(2, 3) > 5.


On sait que N(2, 4) = 18, mais on ne
connaît pas de formule pour la valeur
B de N(2, r) en fonction de r.

c Mais pourquoi se restreindre à seule-


ment deux couleurs, et ne pas considé-
On a N(2, 3) ::s 6.
rer des graphes c-couleur ? De même,
Par exemple, à partir de combien de une arête relie deux sommets. Pourquoi
sommets peut-on être assuré de l'exis- ne pas envisager des « paquets » de n
tence d'au moins un triangle bleu ou sommets parmi s sommets possibles ?
un triangle rouge dans un graphe com- On parlera alors de n-graphe c-couleur
plet dont les arêtes sont coloriées en de tailles.
rouge ou en bleu? Dans un graphe
complet d'ordre six, chaque sommet Le théorème de Ramsey, dans sa géné-
est relié à cinq autres. Les cinq arêtes ralité, devient alors : « Pour des entiers
issues du sommet A étant colorées en n, c, r donnés, il existe un entier s tel
bleu ou en rouge, trois au moins sont que tout n-graphe c-couleur de taille s
de la même couleur (rouge sur la figu- contienne un n-sous-graphe monochro-
re ci-contre). Les trois sommets corres- me (ou ]-couleur) de tailler. » Le plus
pondants, B, C et D, définissent un tri- petit de ces entiers s est noté N(n, c, r).
angle. Si un des côtés de ce triangle est
rouge, il définit avec le point A un tri- Malgré son apparente simplicité, le
angle monochrome rouge, sinon, les théorème de Ramsey est un théorème
trois arêtes sont bleues et le triangle fondamental de combinatoire. Ce n'est
BCD est monochrome bleu. Puisque donc pas un hasard si ce théorème a été
pour cinq sommets il est possible de établi indépendamment par plusieurs
construire une configuration sans tri- mathématiciens pour les besoins de
angle monochrome (voir la figure sui- leurs recherches. Sa formulation est
vante), on en déduit que le nombre suffisamment générale pour trouver
minimal de sommets cherché est six, des applications dans des domaines
c'est-à-dire que N(2, 3) = 6. Ce résul- mathématiques a priori totalement dif-
tat peut être formulé de la façon sui- férents. Ramsey lui-même l'a énoncé
vante : dans une réunion contenant au pour résoudre un problème de logique.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente


SAVOIRS
En 1933, Eszter Klein annonce au
Happy Ending Problem
groupe de jeunes mathématiciens hon-
grois, dont elle fait partie (avec Erdôs,
Le théorème de Ramsey possède deux Turan et Szekeres), le résultat suivant :
versions, une où le nombre d'éléments « Parmi cinq points du plan, dont
est fini et l' autre, qui implique la pre- aucun triplet n'est aligné, on peut tou-
mière, avec des graphes de taille infi- jours en trouver quatre qui sont les
nie. L'histoire de ce théorème bicépha- sommets d'un quadrilatère convexe. »
le est liée en partie aux mathématiciens La démonstration est simple. On rai-
hongrois. Impressionné par les capaci- sonne sur l'enveloppe convexe des
tés de Lajos Posa, Erdôs s'occupa de cinq points : c'est soit un triangle, soit
lui concevoir de nombreux problèmes. un quadrilatère, soit un pentagone. Si
Aguerri par cet entrainement, il c' est un quadrilatère, le problème est
démontrera, à 13 ans, en une soirée, la réglé et si c'est un pentagone, il suffit
version infinie du théorème de d'éliminer un sommet quelconque
Ramsey : « Un graphe possédant un pour que les quatre autres constituent
nombre infini de sommets possède soit un quadrilatère convexe. Si l' envelop-
une infinité d'ensembles de pe convexe est un triangle ABC, deux
sommets dont toute paire est sommets, D et E, lui sont internes,
reliée par une arête, soit une comme sur la figure ci-dessous. Alors,
infinité d'ensembles de som- puisque trois points ne peuvent être ali-
mets dont aucune paire ne gnés, un sommet du triangle, A, est
peut être reliée par une d 'un côté de la droite DE et les deux
arête. » George Szekeres autres, B et C, de l'autre côté. Le qua-
( 1911 - 2005) avait lui aussi drilatère cherché est alors BCED.
redémontré indépendam-
ment ces théorèmes pour
résoudre un problème sans
rapport avec des coloriages,
avant de découvrir la pri-
mauté de Ramsey. En fait, il
va établir avec Erdôs un
Frank Plumpton Ramsey théorème qui popularisera
(1903-1930). les résultats de Ramsey.
Frank Ramsey Le théorème d'Eszter Klein.

A la demande d' Eszter, Szekeres géné-


Premier de l'examen final de mathématiques (wrangler) du ralise ce résultat : « Pour un nombre
Trinity College de Cambridge, Ramsey étonnait ses pairs par suffisamment grand de points du plan,
son intelligence et sa culture. Il apprit ainsi l'allemand en une on peut toujours en trouver k qui sont
semaine pour pouvoir étudier un ouvrage de psychologie. Il les sommets d 'un k-gone convexe. »
s'intéressait à la philosophie et rédigea un grand nombre de Pour établir sa preuve, il démontre en
traités en économie, logique et mathématiques pour un temps passant le théorème de Ramsey fini.
de vie si court, victime de problèmes hépatiques. Il est mort à Erdôs, présent à ces réunions, s'attaque
26 ans, peu après avoir publié l'article dans lequel il énonce, à ce problème, en fournit d' autres
sous la forme actuelle, son théorème. Il connaissait déjà les démonstrations et généralisations et
versions finies et infinies mais n'avait pas pensé à relier ces établit avec Szekeres deux théorèmes
deux énoncés. qui portent leur nom (voir en encadré).

Ta.ngente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


les chaussettes de Dirichlet les théorèmes d'Erdës-Szekeres
Soit k > 3 un entier. Il existe un entier n tel que, pour toute
Le théorème de Ramsey dans sa ver-
donnée den points dans le plan, trois d'entre eux n'étant
sion finie s'applique aussi aux ! -
jamais alignés, on peut sélectionner k points parmi ces n
graphes, qui ne sont rien d'autres
qui sont les sommets d'un polygone convexe. Il est assez
qu'un ensemble de sommets. Dans ce
surprenant de constater que la démonstration de ce théo-
cas, le théorème de Ramsey corres-
rème repose entièrement, et directement, sur le théorème
pond au principe des tiroirs, énoncé par
de Ramsey fini et sur le résultat d'Eszter Klein. Dans le
Dirichlet en 1834. Si une commode de
même article de 1935 où figure ce théorème est présenté
n tiroirs contient m chaussettes, avec
le théorème suivant, qui précise les bornes d'un résultat
m > n(p - 1), alors un de ces tiroirs
déduit du théorème de Ramsey : soient deux entiers m
contiendra au moins p chaussettes. On
et n. Toute suite d'au moins (m - l)(n - 1) + 1 nombres
en déduit que N(l, n,p) = n(p- 1) + 1.
réels contient soit une sous-suite croissante de longueur m
Ce principe est souvent présenté dans
( ou n), soit une sous-.suite décroissante de longueur n
le cas le plus simple où p = 2 et
(ou m). Finalement, George Szekeres épousera Eszter
N(l, n, 2) = n + 1, soit: pour n + 1 chaus-
Klein en 1937, et dès lors, Erdôs qualifiait ce problème de
settes dans n tiroirs, un tiroir, au moins,
« happy ending » problème. George et Eszter décédèrent
contient au moins deux chaussettes !
le même jour, à une heure d'intervalle, le 28 août 2005 à
Adélaïde, en Australie.
Ce qui semble n'être qu'une tautologie
permet de résoudre de façon élémen-
taire des problèmes variés, pour peu Références
que l' on repère où sont les tiroirs et les Les nombres.
chaussettes. Le théorème de Ramsey Bibliothèque Tangente 33, 2008.
peut être vu comme une généralisation
de ce principe. Il admet lui-même de Mathématiques discrètes
nombreuses généralisations, comme le et combinatoire.
théorème de Van der Waerden qui sti- Bibliothèque Tangente 39, 2010.
pule que, pour tous entiers c et n don-
nés, il existe un nombre entier V tel que Tangente 126
si les éléments d'une progression arith- (dossier « La Hongrie »), 2009.
métique de V nombres sont colorés
avec c couleurs différentes, alors elle
doit contenir une progression arithmé- Sune de chaussenes
tique monochrome de longueur n.
Soit une suite de cent nombres entiers. Prouvez qu'il
Puisque la théorie de Ramsey nous existe une suite de termes consécutifs telle que la somme
affirme que toute structure ou proprié- de ces termes soit divisible par 99. Considérons les sous-
té apparaît dans un ensemble, pour peu suites constituées des k premiers termes de la suite origi-
qu'il soit « suffisamment grand », par nale, et les sommes S.t de leurs éléments. Si une des
contraposée, on établit la sentence de sommes S.t est divisible par 99, le problème est résolu.
Theodore Motzkin : « Le désordre Sinon, ces cent sommes (les chaussettes}, divisées par 99,
complet est impossible ! » ont un reste compris entre 1 et 98 (les tiroirs). Deux
d'entre elles, au moins, ont le même reste, et leur diffé-
F.L. rence, qui est une suite de termes consécutifs de la suite
initiale, est divisible par 99.

Hors-série n° 49. Les maths de l'impossible Tangente


PASSERELLES par Dominique Souder

Avec les tours de mathémagie, ce qui doit émerveiller le plus,


es
c'est la logique mathématique qui permet la réussite :
« La science est plus magique que la magie, c'est une magie
à preuves» (Jean-Marie Adiaffi). Voici un tour basé sur des
dés numériques.
es génies ont souvent ce point nombres étant égaux, la différence fait

L commun qu'ils ne sont pas


adaptés au monde formaté dans
lequel nous vivons.
0 , alors le magicien demande de
recommencer un lancer pour obtenir
deux lancers différents et une différen-
7544 Leurs multiples sources ce non nulle. Le spectateur donne le
d'intérêt et la rapidité chiffre des unités du résultat, et dit éga-
avec laquelle ils s'appro- lement ce nombre possède trois, quatre
8543 6545 5546 3548
prient les concepts les ou cinq chiffres. Le magicien fournit
rendent souvent asso- alors les autres chiffres.
4547 ciables, ou tout au moins
incapables de se conten- -Hnnoncer les résultats du lancer
ter des chemins balisés
nécessaires au commun
Pour obtenir la somme des trois
des mortels.
nombres affichés par les trois cubes , on
7471
Un spectateur est invité à commence par calculer rapidement la
jeter les trois cubes somme S des chiffres des unités des
6472 1477 2476 3475 numériques dont voici trois nombres affichés. Cette somme
les patrons. Il note secrè- doit être considérée comme un nombre
tement les trois résultats, à deux chiffres avec éventuellement O
5473
les additionne , et obtient comme chiffre des dizaines, et ce sera
un nombre de quatre ou la partie droite de l'écriture du total. Le
cinq chiffres. Il jette à nombre de milliers est le complément à
nouveau ces trois cubes, 30 de cette somme . Le chiffre des cen-
note les trois nouveaux taines du résultat est toujours 3. Il suf-
6294
résultats et les addition- fit de juxtaposer de gauche à droite le
ne. Le magicien, toujours nombre de milliers, le chiffre 3 au
7293 2298 8292 3297 à distance, demande de milieu, et enfin et la somme S (à deux
prélever du plus grand chiffres) pour obtenir le total cherché.
total des deux lancers la S'il voyait le résultat du premier lan-
4296
valeur du plus petit. Si le cer, le magicien pourrait annoncer en
spectateur dit que , les temps réel le total du lancer. En effet,

Tangente Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


JOUER AVEC L'IMPOSSIBLE

pour chaque dé, le chiffre d des tion est toujours un nombre positif
dizaines est le même sur les six faces multiple de 999 !
(et de même pour le chiffre c des cen- Or, le plus grand résultat de lancer pos-
taines). Mieux encore : sur chaque dé sible est 8 543 + 7 471 + 8 292 = 24 306.
figurent six chiffres des milliers diffé- Le plus petit résultat possible est
rents, et ces six chiffres sont identiques 3 748 + 1 477 + 2 298 = 7 323.
à ceux des unités. De plus, milliers (m) La différence la plus grande possible
et unités (u) sont associés par paires est 24 306 - 7 323 = 16 983. Les diffé-
ayant la même somme : sur le premier rences minimum sont O et 999. On peut
dé, le total m + u est toujours 11 ; sur le obtenir O quand les deux lancers sont
deuxième, ce total vaut 8 ; sur le troi- identiques. On peut obtenir 999 avec
sième, il est égal à 10. deux lancers dont les deux premiers
En conséquence, quand on additionne dés coïncident et dont les troisièmes
les trois nombres du lancer, la somme dés diffèrent entre eux de 999, comme
des trois chiffres des milliers et des par exemple 3 297 et 2 298.
trois chiffres des unités est égale à Les résultats multiples de 999 que l'on
11 + 8 + 10 = 29. peut obtenir sont donc : 0, 999, 1 998,
Ensuite, la somme des trois chiffres 2 997, 3 996, 4 995, 5 994, 6 993,
des dizaines est égale à 4 + 7 + 9 = 20, 7 992, 8 991, 9 990, 10 989, 11 988,
et la somme des trois chiffres des cen- 12 987, 13 986, 14 985, 15 984,
taines est égale à 5 + 4 + 2 =11. 16 983.
Lorsque l'on effectue la somme des
trois nombres affichés sur les trois dés, Lorsque le résultat a quatre chiffres, les
on obtient vingt dizaines et onze cen- chiffres extrêmes ont pour somme 9, et
taines. Les S unités ont été calculées au centre de l'écriture du résultat il y a
mentalement. Il y a donc 29 - S mil- deux 9. Si le spectateur annonce pour
liers. Finalement, la somme totale est: chiffre des unités 3, le magicien calcu-
1000 (29 - S) + llxlOO + 20xl0 + S le 9 - 3 = 6 et annonce pour résultat
= (30-S) x 1000 + 3 x 100 + S. Il suf- 6 993.
fit donc, pour obtenir le total à cinq Lorsque le résultat a cinq chiffres, le
chiffres des trois nombres affichés par chiffre du milieu est toujours 9, le
les trois dés, de juxtaposer : pour les chiffre des dizaines est toujours 8, la
deux chiffres à droite, la somme S des partie formée des deux chiffres de droi-
unités écrite avec deux chiffres ; pour te et la partie formée des deux chiffres
le chiffre du milieu, le chiffre 3 ; pour de gauche ont toujours pour somme 99.
les deux chiffres de gauche, le complé- Si le spectateur annonce pour chiffre
ment de S à 30. des unités 3, le magicien pense à une
fin en 83, calcule 99 - 83 = 16 et
Mais le magicien ne voit pas les dés et annonce pour résultat 16 983.
ne connaît pas les deux totaux. Chacun Dans le cas d'un nombre a trois
des deux résultats peut s'écrire chiffres, le seul résultat possible est
(30 - a)xlOOO + 300 + a et 999, le magicien peut même se dispen-
(30 - b)xlOOO + 300 + b. En admettant ser de demander le chiffre des unités.
que a soit supérieur à b, la soustraction
donne 1000 x (a - b) + (b - a), soit
999 x (a - b). Le résultat de la soustrac-

Hors-série n• 49. Les maths de l'impossible Ta.ngente


par Michel Criton

'
Hnos lecteurs,
rien d'impossible
HS4903 -les pièces t/

HS4901- Pliages t/ Combien de sommes entre 10 et 40


est-il impossible d'obtenir en utili-
Est-il possible de réaliser ces deux sant quatre ou moins de ces pièces ?
objets par découpage et pliage (sans
collage) à partir d' une feuille de pa-
pier?

HS4904- Sommes au sommet ,/t/

La figure représente un dé usuel :


HS4902 -les Umbres t/ • les faces sont numérotées de 1 à 6,
• la somme des nombres sur deux faces
Combien de sommes entre 1,60 Indic opposées est toujours 7.
et 4,00 Indics (inclus) est-il impos- À chaque sommet, on calcule la somme
sible d'obtenir avec ces timbres (on des nombres sur les trois faces qui s'y
examinera seulement les sommes de coupent. En particulier, on peut obte-
dix centimes en dix centimes de Lu- nir 1 + 2 + 3 = 6 et
dic)? 4+5+6= 15.Entre
6 et 15, quelles sont
les sommes qu'il est
impossible d'obte-
nir?

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


HS4907-la couleur impossible e.1v
Niveau de difficulté
) très facile Choisissez une case sur cette
V facile grille, puis déplacez-vous de
vv pas facile deux cases vers la droite (si
vvv difficile vous ne pouvez pas, arrê-
vvvv très difficile tez-vous au bord de la grille
lorsque vous y arrivez).
Ensuite, bougez d'une case
HS4905 -lnvin-clble vv vers le bas, d ' une case vers
la gauche, et de deux cases
Sur cette cible, le mille vaut 13 points, vers le haut. Sur quelle cou-
la zone intermédiaire 9 points, et la leur ne pouvez-vous pas
zone externe 6 points. Quel est le plus vous trouver ?
grand total impossible à atteindre ?
HS4908· Un parcours
de cavalier e,1 e,1 e,1
6
Le mathématicien Euler s'est intéres-
sé au parcours d ' un cavalier d'échecs
sur toutes sortes d'échiquiers. Il disait
des échiquiers 3 x n : « Mais on voit
aisément que les routes rentrantes [fer-
mées] ne peuvent ici avoir lieu. Si la
largeur contient trois cases et la lon-
HS4906 -Indice-cible vve.1 gueur 5 ou 6, il est impossible de les
parcourir, mais donnant à la longueur
Sur cette nouvelle cible, le mille 7 ou plusieurs cases, on pourra réussir,
vaut 30 points, la zone intermédiaire pourtant sans rentrer. » Maurice Krait-
21 points et la zone externe 14 points. chik (1882-1957) a pourtant réussi
Quel est cette fois le plus grand total à construire une route fermée sur un
impossible à atteindre ? échiquier 3 x 10, ce qui contredit ce
Indice : raisonnez ici sur le reste de la que pensait Euler. Sauriez-vous re-
division par 7. trouver un tel parcours ?

14

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Tc:1.ngente


HS4909-HIP, hlP, hlP tl'Vtl' adjacente pour se poser dans la case
suivante, à condition que cette case soit
Le jeu de hip est un jeu à deux joueurs vide (voir le schéma).
qui se joue sur un damier de six cases 1. Est-il possible d'arriver à un seul
sur six. L'un des joueurs a dix-huit pion sur le damier à l'issue d'une
pions blancs et son adversaire dix-huit partie?
pions bleus (ou de toute autre couleur). 2. Même question si on ajoute une
Les joueurs jouent à tour de rôle en rangée de pions autour des trente-
plaçant un pion de leur couleur sur une six pions de façon à avoir soixante-
case libre du jeu, de façon à éviter de quatre pions disposés en carré.
former un carré monochrome (l'orien-
tation des carrés à éviter étant absolu-
ment quelconque : voir la figure) . Le
premier joueur à ne pouvoir poser un
de ses pions sans former un carré de sa
couleur a perdu.
••
•• ••
•• ••
••
Martin Gardner publia ce jeu dans sa •••••• ••
•• ••
••
rubrique de jeux mathématiques du
Scienti.fic American, en précisant qu'il
•• ••
•• •• ••
pensait impossible de faire une par-
tie nulle. Un étudiant en mathéma-
tiques, C.M. Mac Laury, lui prouva le
contraire en trouvant une configuration
de fin de partie nulle, c'est-à-dire une
disposition des trente-six pions des
deux couleurs ne contenant aucun car-
ré. Deux autres lecteurs de Gardner
démontrèrent ensuite que cette confi-
guration était unique, aux rotations et
aux symétries près, et à la couleur de
quatre cases près. Saurez-vous retrou- HS4911- Dans le cinq v
ver cette configuration ?

HS4910 • Damier solitaire vvv

Sur un damier carré de quatorze cases


de côté, vous disposez de trente-six Les flèches plantées dans les cibles
pions placés en carré dans les cases ci-dessus totalisent, de gauche à droite,
centrales du damier, comme l'indique 16 points, 17 points, 18 points et
la figure. 19 points. Avec un plus grand nombre
Vous jouez au jeu suivant, dont la règle de flèches, on peut réaliser n' importe
est analogue à celle du jeu de soli- quel score plus grand que 19. Pourtant,
taire. L'unique coup autorisé consiste à il est impossible de réaliser 1 point.
prendre un pion du jeu et à sauter Quels sont les cinq autres scores que
horizontalement ou verticalement l'on ne peut pas obtenir?
par-dessus un pion situé dans une case

Ta.ngent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


HS4912- La cible v taux sont impossibles à atteindre (par
exemple 5).
Quel est le plus grand total impos-
sible à obtenir ?

0 •
.

Sur la cible on distingue trois régions :


HS4916 - Quelles chances pour un
carré tl'tl'

Sur sa nouvelle calculatrice, Paul dis-


pose d' une fonction qui lui permet de
le centre, où l'on marque 7 points ; la tirer aléatoirement des chiffres de Oà 9.
zone intermédiaire, où l'on marque Il tire deux chiffres au hasard, puis
5 points ; le bord, où l'on marque O se demande quelle est la probabilité
point. pour que ces deux chiffres fournissent
Quels sont les scores que l'on ne peut un nombre et son carré. Sur les cent
pas atteindre ? couples possibles, six conviennent :
(0 ; 0), (1 ; 1), (2 ; 4), (4 ; 2), (3 ; 9) et
HS4913- De 1à 100 tl'tl' (9 ; 3). La probabilité est donc égale à
0,06.
On écrit les nombres de 1 à 100, et à Qu'en serait-il s'il tirait cent chiffres
chacun d'eux on ajoute la somme de au hasard?
ses chiffres.
Quels sont les résultats inférieurs à HS4911-Poneteumes v'v'v
100 que l'on n'obtiendra jamais?
On place deux mille treize euros dans
HS4914- le meilleur des mondes tl'tl' des portefeuilles et ces portefeuilles
sont eux-mêmes placés dans des
Dans le Meilleur des mondes, la nais- poches. On sait que le nombre d'euros
sance du premier et unique enfant de dans chaque poche est strictement infé-
chaque couple est programmée pour rieur au nombre total de portefeuilles.
l'année dont le numéro est égal à celui Existe-t-il forcément un portefeuille Solution~
de l' année du mariage augmenté de la qui contienne strictement moins l'II p.t~l' 15-l
somme de ses chiffres. d'euros qu'il n'y a de poches ?
Quelle a été la première année après
l'année 2000 du Meilleur des mondes SOURCES DES PROBLÈMES
qui n'a vu aucune naissance? • Revue Jouer Jeux Mathématiques (HS4901)
• Concours Logic'Fl ip (HS4902, HS4903)
HS4915-Radio-crochet tl'tl' • Championnat des jeux mathématiques et logiques
(HS4904, HS4911)
Dans ce jeu radiophonique, on choi- • Revue Logimath (HS4905 , HS4906, HS4912, HS4913 ,
sit la valeur de sa question (4, 11 ou HS4914, HS4915)
17 points), et on répond. Si la réponse • Mickaël Launay et Dominique Souder (HS4907)
est exacte, on continue et on addi- • La mathématique des jeux, Maurice Kraitchik (HS4908)
tionne ses points. Rémi a calculé que • New Mathematical Diversions, Martin Gardner (HS4009)
l' on pourrait totaliser presque tous les • Revue La Recherche (HS4910, HS4916)
scores entiers. Néanmoins, certains to- • Tournoi des villes (HS49 l 7)

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Ta.ngeni:e


par Michel Criton

NS4901- Ce n'est pas possible. En effet, pour HS4909 - Cette solution est unique aux rota-
chacun des deux objets, si l'on plie la feuille en tions et symétrie près et à la couleur des quatre
deux selon la ligne médiane, il y a trois épais- cases marquées par un point d' interrogation,
seurs de papier dans certaines zones. qui peut être inversée.

NS4902 - Cinq sommes ne sont pas réali- ?


sables: 1,7; 1,9; 2,4; 2,8 et 3,7.
oe oe oe
154903- Quatre sommes ne sont pas réali- •• oooo 7
sables : 13 ; 35 ; 37 et 39.
o ee o
7 ee o ee o
ee
154904- Il est impossible d'obtenir 8 et 13.

HS4905 - Le plus grand total impossible à at- 0000 • •


teindre est 29. e o e o? e o
HS4906- On peut obtenir tous les multiples de
7 à partir de 14, tous les multiples de 7 aug-
mentés de 1 à partir de 134 =4 x 30 + 14, tous HS4910-
les multiples de 7 augmentés de 2 à partir de 1. Colorions l'ensemble du damier à l'aide de
44, tous les multiples de 7 augmentés de 3 à trois 4901 couleurs, comme sur la figure ci-
partir de 164, tous les multiples de 7 augmen- contre.
tés de 4 à partir de 74, tous les multiples de 7
augmentés de 5 à partir de 194 et tous les mul-
tiples de 7 augmentés de 6 à partir de 104. Le
plus grand total impossible à atteindre est donc
5 X 30 + 7 = 187.

HS4901- 3. Suite à la série de déplacements,


• •
• •• •
vous vous trouvez forcément sur une des quatre
cases qui sont au croisement des deux lignes du
haut et des deux colonnes centrales. La couleur
impossible est donc le vert. • •
• •• •
HS4908-

7 4 1 12 25 10 27 16 19 22
2 13 6 9 30 15 24 21 28 17
5 8 3 14 11 26 29 18 23 20

Tcingent:e Hors-série n°49. Les maths de l'impossible


par Michel Criton

Chaque couleur est occupée par autant de pions,


et ceci est vrai dans tous les cas où le côté du
carré occupé par les pions est un multiple de 3.
On a une configuration qui peut être codée sous
la forme d'un triplet: (12; 12 ; 12). Lorsqu'on
effectue un mouvement quelconque, la parité
du nombre de cases occupées pour chacune des
trois couleurs change. En partant de (12 ; 12 ;
12), il est donc impossible d'arriver à une
configuration du type (0 ; 0 ; 1) où la parité
des trois couleurs est différente, et cela sera
Je cas à chaque fois que le côté du carré occupé
par les pions est un multiple de 3.

2.

••• •• ••
•• ••

.......·
•••••••••
~~~ :- ·
,
.
.·--····
.... ".
••i•••••..
Une technique d'élimination des pions dans
une bande de trois cases de large est représen-
tée ci-dessus. Elle permet de ramener le carré
8 x 8 à un carré 2 x 2. Il est ensuite possible
d'éliminer trois des quatre pions de ce dernier
carré. Cette technique est généralisable à tout
carré de pions dont le côté est un nombre non
divisible par 3.

Hors-série n°49. Les maths de l'impossible Tangente


HS4911- On ne peut pas obtenir un score égal 154915- On obtient tous les multiples de 4.
à 2 ou 3 (le score non nul minimum est égal On obtient tous les nombres de la forme 4k + 3
à 4). On peut obtenir 4, 5, mais pas 6 ni 7. Il (3 , 7, 11, 15 ... )àpartirde 11.
est possible d'obtenir 8 = 4 + 4, 9 = 4 + 5, On obtient tous les nombres de la forme 4k + 2
10 =5 + 5. Il est impossible d'obtenir 11 , mais (2, 6, 10, 14, 18, 22 .. . ) à partir de 22.
on peut obtenir 12 = 4 + 4 + 4, 13 = 4 + 4 + 5, On obtient tous les nombres de la forme 4k + 1
14 =4 + 5 + 5, 15 =5 + 5 + 5. (1 , 5, 9, 13, 17 ... ) à partir de 17.
En dehors de 1, les cinq scores impossibles à Les nombres que l'on ne peut atteindre sont
réaliser sont 2, 3, 6, 7 et 11. donc 3, 7, 2, 6, 10, 14, 18, 1, 5, 9, 13. Le plus
grand total impossible à atteindre est donc 18.
154912- On obtient :
• tous les nombres se terminant par O ou 5, 154916 - Pour cent chiffres, la probabilité est
• tous les nombres se terminant par 1 ou 6 sauf nulle. En effet, le carré d' un nombre à n chiffres
1, 6 et 16, s'écrit soit avec 2n - 1 chiffres, soit avec 2n
• tous les nombres se terminant par 2 ou 7 sauf chiffres, ce qui donne un total de 3n - 1 chiffres
2, ou 3n chiffres. Le nombre 100 étant de la forme
• tous les nombres se terminant par 3 ou 8 sauf 3n + 1, il est impossible d'écrire un nombre
3, 8, 13, 18 et 23, et son carré avec 100 chiffres.
• tous les nombres se terminant par 4 ou 9 sauf
4 et 9. 154911- Soit m le nombre de portefeuilles et n
le nombre de poches. Par hypothèse, il y a stric-
154913- Si le chiffre des dizaines est 0, on ob- tement moins d'euros dans chaque poche que
tient les nombres pairs de O à 18. de portefeuilles au total ; en faisant la somme
Si le chiffre des dizaines est 1, on obtient les sur toutes les poches, on trouve que 2013 < mn.
nombres impairs de 11 à 29. Si jamais tous les portefeuilles contenaient au
On n'obtiendra donc jamais les nombres 1, 3, moins autant d'euros qu ' il y a de poches, on
5, 7, 9 et 20. aurait, en calculant la somme sur tous les por-
En poursuivant ce raisonnement, on montre tefeuilles, 2013 = mn. Cela contredit l'inégalité
qu 'on n'obtient pas non plus les nombres 31, précédente, donc il existe au moins un porte-
42, 53, 64, 75, 86 et 97. feuille contenant strictement moins d'euros
qu'il n'y a de poches.
154914 - Les nombres allant de 2000 à 2009
donnent les nombres pairs de 2004 à 2020. Les
nombres allant de 1990 à 1999 donnent les
nombres impairs de 2009 à 2027. Les nombres
allant de 1980 à 1989 donnent les nombres
pairs de 1998 à 2016. Les nombres allant de
1970 à 1979 donnent les nombres impairs de
1987 à 2005. Les nombres inférieurs à 1970
donnent des nombres inférieurs à 1996. Le pre-
mier nombre supérieur à 2005 ne se trouvant
pas dans la liste a donc été 2007.

Ta.ngen"te Hors-série n°49. Les maths de l' impossible


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Ta:ngent:e Hors-série n° 49
Les mathématiques de l'impossible

Ta.ngente
Publié par les Éditions POLE
SHS au capital de 42 000 euros
Siège social
80 bd Saint-michel - 75006 Paris
Commission paritaire : 1016 K 80883
Dépôt légal aparution
Directeur de Publication et de la Rédaction
Gilles COHEn
Rédacteur en chef adjoint
Herué lEHnmG
Secrétaire de rédaction
Édouard THOmHS
Ont collabtré a ce numéro
Jacques BHIR, Philippe BOULHUGER, Karine BRODSKY,
Élisabeth BUSSER, miche( CRITOn, Thierry DHSSÉ,
Jean-Paul DELHHHYE, Dauid DELHUUHY, Jean-Jacques DUPHS,
Jean-Pierre FRIEDELmEYER, Bertrand HHUCHECORnE,
Ualérie HEnRY, Daniel JUSTEUS, François LHUHLLOU,
Herué lEHUlnG, Jean-Hlain RODDIER, Gianni SHRCOUE,
Dominique SOUDER, Laurent UHn OFFEL,
norbert UERDIER, Hlain ZHLmHnSKI
maquette
Guillaume GHIDOT, natacha LHUGIER,
Claude LUCCHlm, mcolas mURHTOUIC
Photos : droits réserués
Dessins : Julie Lambert [catoune.com)
Hbonnements
abo(ii)poleditions.com
01 47 07 5115 - fax : 01 47 07 88 13

.
t ~ •
Achevé d'imprimer pour le compte des Éditions POLE
sur les presses de l'imprimerie SPEI à Pulnoy (54 France)
Dépôt légal - Novembre 2013
l'impossible
du cercle!
« Mais c'est impossible!»
De tous temps, des esprits inspirés,
créatifs, originaux, ont bousculé les
idées reçues et pensé des objets
«quine devraient pas exister».
Ces inventeurs, qui ont parfois
raison contre la pensée dominante,
sont à la base des grandes
découvertes. Les mathématiques
ne font pas exception: leur histoire
est semée de paradoxes, de preuves
d'impossibilité, d'hypothèses
et de conjectures.
Tout commence avec les problèmes
déliaques: quadrature du cercle,
trisection de l'angle, duplication du
cube, construction de polygones
réguliers à la règle et au compas ...
La question de l'impossibilité se
posera ensuite pour les nombres
imaginaires, pour la résolubilité
par radicaux des équations
polynomiales, en théorie des
ensembles, pour la notion d'infini.
Des conjectures célèbres ont été
résolues ... ou infirmées.
D'autres sont encore à prouver,
des défis qui peuvent rapporter
jusqu'à un million de dollars.
En mathématiques, quand c'est
impossible, on trouve souvent
des pépites !

l:DITIONS.
Prix: 19,80 € POLE

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