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AGRONOMIE, ENVIRONNEMENT & SOCIÉTÉS
Revue éditée par l’Association française d’agronomie (Afa), enregistrée sous le numéro ISSN 1775-4240
Siège : CAMPUS AGRO PARIS SACLAY-UMR Agronomie-INRAE-AGROPARISTECH 22 place de l'Agronomie
CS80022 91120 Palaiseau Cedex
Contact : revue_aes@agronomie.asso.fr
Site Internet : agronomie.asso.fr
Objectif
AE&S est une revue en ligne à comité de lecture et en accès libre destinée à alimenter les débats sur des thèmes clefs
pour l’agriculture et l’agronomie. AE&S publie différents types d’articles (scientifiques sur des états des connaissances,
des lieux, des études de cas, etc.) mais aussi des contributions plus en prise avec un contexte immédiat (débats,
entretiens, témoignages, points de vue, controverses) ainsi que des actualités sur la discipline agronomique.
Directeur de la publication
Antoine MESSÉAN, vice-président de l’Afa, Ingénieur de recherches, Inrae
Rédacteur en chef
Philippe PRÉVOST, Chargé des coopérations numériques à Agreenium
Comité de rédaction
- Marion CASAGRANDE, chargée de mission Inrae
- Yves FRANCOIS, agriculteur
- Clément GESTIN, chargé de projets au Centre d’Ecodéveloppement de Villarceaux
- Laurence GUICHARD, paysanne-boulangère
- Laure HOSSARD, ingénieure de recherche Inrae
- Marie-Hélène JEUFFROY, directrice de recherche Inrae et agricultrice
- Marianne LE BAIL, professeure d’agronomie AgroParisTech
- Antoine MESSEAN, ingénieur de recherches, Inrae
- Adeline MICHEL, ingénieure du service agronomie du Centre d’économie rurale de la Manche
- Jean-Robert MORONVAL, inspecteur d’agronomie de l’enseignement technique agricole
- Christophe NAUDIN, enseignant chercheur en agronomie à l’ESA Angers
- Bertrand OMON, conseiller à la chambre d’agriculture de Normandie
- Thierry PAPILLON, enseignant au lycée agricole de Laval
- Elise PELZER, chargée de mission Innovation à la chambre d’agriculture des Hauts de France
- Philippe POINTEREAU, directeur du pôle agro-environnement à Solagro
- Philippe PRÉVOST, chargé des coopérations numériques à Agreenium
- Bruno RAPIDEL, directeur UMR AbSys, Cirad
- Aude RIPOCHE, chercheuse et modélisatrice systèmes de cultures plurispécifiques Cirad
- Jean-Marie SERONIE, consultant
- Jean-Guy VALETTE, ex-directeur du syndicat des négoces agricoles
- Jacques WERY, chef du projet stratégique de l’Institut Agro
Assistants éditoriaux
Jérôme BUSNEL & Marine DESCAMPS
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Conditions d’abonnement
Les numéros d’AE&S sont principalement diffusés en ligne. La diffusion papier n’est réalisée qu’en direction des
adhérents de l’Afa ayant acquitté un supplément (voir conditions sur agronomie.asso.fr/adhesion)
Périodicité
Semestrielle, numéros paraissant en juin et décembre
Archivage
Tous les numéros sont accessibles à l’adresse agronomie.asso.fr/aes
Soutien à la revue
- En adhérant à l’Afa via le site Internet de l’association (http://www.agronomie.asso.fr/espace-adherent/devenir-
adherent/). Les adhérents peuvent être invités pour la relecture d’articles.
- En informant votre entourage au sujet de la revue AE&S, en disséminant son URL auprès de vos collègues et
étudiants.
- En contactant la bibliothèque de votre institution pour vous assurer que la revue AE&S y est connue.
- Si vous avez produit un texte intéressant traitant de l’agronomie, en le soumettant à la revue. En pensant aussi
à la revue AE&S pour la publication d’un numéro spécial suite à une conférence agronomique dans laquelle vous
êtes impliqué.
À propos de l’Afa
L’Afa a été créée pour faire en sorte que se constitue en France une véritable communauté scientifique et technique
autour de cette discipline, par-delà la diversité des métiers et appartenances professionnelles des agronomes ou
personnes s’intéressant à l’agronomie. Pour l’Afa, le terme agronomie désigne une discipline scientifique et
technologique dont le champ est bien délimité, comme l’illustre cette définition courante : « Etude scientifique des
relations entre les plantes cultivées, le milieu [envisagé sous ses aspects physiques, chimiques et biologiques] et les
techniques agricoles ». Ainsi considérée, l’agronomie est l’une des disciplines concourant à l’étude des questions en
rapport avec l’agriculture (dont l’ensemble correspond à l’agronomie au sens large). Plus qu’une société savante, l’Afa
veut être avant tout un carrefour interprofessionnel, lieu d’échanges et de débats. Elle se donne deux finalités principales
: (i) développer le recours aux concepts, méthodes et techniques de l’agronomie pour appréhender et résoudre les
problèmes d’alimentation, d’environnement et de développement durable, aux différentes échelles où ils se posent, de
la parcelle à la planète ; (ii) contribuer à ce que l’agronomie évolue en prenant en compte les nouveaux enjeux sociétaux,
en intégrant les acquis scientifiques et technologiques, et en s’adaptant à l’évolution des métiers d’agronomes.
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Sommaire
AVANT-PROPOS
P7 Avant-propos
Philippe PRÉVOST, Rédacteur en chef, et Antoine MESSÉAN, Directeur de publication
P9 Éditorial
Philippe PRÉVOST, Antoine MESSÉAN, Mathieu CAPITAINE, Marianne LE BAIL, Jean-Marie SERONIE, Bertrand
OMON, Thierry PAPILLON
P25 La dimension sociale de l’orientation des pratiques des agriculteurs ; Autorités, déférences et conflits
épistémiques ?
Claude COMPAGNONE
P73 Les effets de la transition énergétique sur les métiers et les compétences des agronomes, à partir de
l’exemple de la méthanisation
Lys AFFRE, Thomas COUDON, Alice CHAUVEL et Hugo REMY
P99 Une écologie de l’alimentation (Nicolas Bricas, Damien Conaré et Marie Walser, Ed. Quae) – Note de
lecture
Guy TREBUIL
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P103 Enjeux et impacts de la transition alimentaire pour les métiers d’agronomes
Philippe POINTEREAU
P113 Les effets de la transition alimentaire sur les métiers et les compétences des agronomes : une lecture
à partir des enjeux des processus de reterritorialisation alimentaire
Samya LOUDYE et Mathieu CAPITAINE
P123 Conception des systèmes techniques agroécologiques : quels métiers, entre diagnostic,
évaluation/conception et accompagnement ?
Sylvaine SIMON, Pierre CLERC, Dominique JONVILLE, Olivier RECHAUCHERE, Antoine MESSÉAN
P137 Participer à des collectifs multi-acteurs : rôle et place des agronomes en contexte de transitions
agricoles
Marianne LE BAIL, Richard BONNIN
P145 La formation initiale des ingénieurs agronomes : nouveaux enjeux, nouvelles pratiques
Isabelle MICHEL, Mathieu CAPITAINE et Gilles TRYSTRAM
P149 Comment les formations des agronomes peuvent-elles répondre à l’évolution des besoins en
compétences des agriculteurs et agronomes d’aujourd’hui et de demain ?
Emmanuel BON, Thierry PAPILLON
P161 La formation continue des enseignants et formateurs au service des nouveaux enjeux de
l’enseignement agricole en matière de transitions
Fanny CHRETIEN, Anne PUJOS, Christian CANDALH
P171 Des compétences individuelles à la compétence collective des agronomes pour accompagner la
transformation de l’agriculture
Philippe PREVOST, Antoine MESSEAN, Mathieu CAPITAINE, Jérôme BUSNEL, Adeline MICHEL
P185 Une autre approche des diplômes et des compétences : l’exemple de l’ordre des agronomes du Québec
- Canada
Philippe PREVOST et Pascal THEURIAULT
NOTES DE LECTURE
P195 Dynamique agricole : quelles compétences ? – Note de lecture
Philippe PREVOST (d’après Yves LE MORVAN et Bernard VALLUIS – Agridées)
P201 La fabrique de l’agronomie Ed. Quae
Olivier RÉCHAUCHÈRE et Marianne LE BAIL
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Avant - propos
Philippe Prévost*, Antoine Messéan**et Adeline Michel***
* Alliance Agreenium, rédacteur en chef
** Inrae, vice-président de l’Afa
***CerFrance Normandie Maine, présidente de l’Afa
Lors de la 10ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres1, en 2019, intitulé « Quel
théâtre d’agriculture et mesnage des champs aujourd’hui ? »2, nous avions conclu le numéro de
notre revue dédié aux travaux de cette édition par un texte de synthèse portant le titre « Vers une
agronomie des transitions34 ». Car les différentes thématiques traitées dans ces Entretiens
(« Agricultures et agriculteurs : quelle conception de la ferme pour demain ? » ; « L’innovation en
agronomie : perspectives historiques et horizons d’avenir » ; « Ressources naturelles et agriculture :
comment évoluent leurs relations ? » ; « La diversité de l’activité agricole dans l’espace : qu’en font
les agronomes ? ») amenaient toutes au même constat : « l’agriculture se retrouve au cœur de tous
les enjeux du 21ème siècle ». Depuis lors, la pandémie planétaire a mis en évidence la fragilisation
extrême de nos écosystèmes et de nos sociétés et les conséquences du changement climatique
sont désormais perceptibles sur tous les continents. Comme il n’y a pas de planète de substitution,
il est maintenant admis que seules des transitions rapides dans nos façons d’agir pourront réduire
les risques pour la vie humaine.
L’agriculture, par son rôle de préservation de ressources naturelles (sols, air, eau, biodiversité,…),
de pilotage de systèmes vivants (cultures, élevages, paysages), de production de biens et services
répondant à de nombreux besoins humains, dont certains primaires (alimentation, énergie,…), est
en effet concernée par les différents défis à relever : atténuation et adaptation face aux
changements globaux, résilience des écosystèmes et des sociétés face aux risques (sanitaires,
alimentaires, technologiques, …), couverture des besoins d’une démographie mondiale en forte
hausse,… Ainsi, de l’organisation des systèmes productifs à la destination des produits agricoles,
l’ensemble des systèmes agroalimentaires est concerné par ces défis et ce, à toutes les échelles. A
l’échelle mondiale, les 17 objectifs du développement durable des Nations Unies (ODD5) concernent
de près ou de loin l’activité agricole. Et à l’échelle locale, nous ne pouvons que constater les
changements en cours, liés à l’évolution des demandes sociétales : écologisation des pratiques
agricoles, consentement d’achat d’une nourriture de qualité (ie santé, sécurité, à impact réduit
pour l’environnement) et de proximité, réduction de l’empreinte carbone, utilisation raisonnée des
technologies émergentes… Le contexte sociétal est donc propice aux changements, et pas
seulement en agriculture. A titre d’exemple, l’Agence française de développement (AFD) a
construit récemment sa stratégie pour couvrir six transitions6 : (i) énergétique, (ii) numérique et
technologique, (iii) économique et financière, (iv) politique et citoyenne, (v) démographique et
sociale, (vi) territoriale et écologique.
Cette question des transitions à opérer dans l’activité humaine représente donc aujourd’hui une
priorité pour l’agriculture. Et l’agronomie, à la fois science d’interface entre sciences de la nature et
sciences humaines, et ingénierie technique reliant les savoirs et la pratique agricole, est ainsi
1 Lors de la 10ème édition des Entretiens du Pradel, l’Afa a convenu de nommer désormais cet évènement les Entretiens agronomiques Olivier de Serres.
2 Le thème de cette édition s’inscrivait dans l’année de commémoration de la mort d’Olivier de Serres (1539-1619) et les travaux ont été valorisés dans le
volume 10 numéro 2 de notre revue (https://agronomie.asso.fr/aes-10-2).
3
Messéan et al., 2020. https://agronomie.asso.fr/aes-10-2-22
4 La transition est à la fois un processus et un produit. Dans la théorie des systèmes, la transition est le processus de transformation au cours duquel un
système passe d’un régime d’équilibre dynamique à un autre. Dans le contexte écologique et social, la transition est aussi le produit d’une trajectoire
passant d’une situation insoutenable des sociétés à une situation de sociétés caractérisées par la soutenabilité et l’équité (d’après Renouard et al., 2020,
Le manuel de la grande transition, LLL, p.22).
5 https://www.un.org/sustainabledevelopment/fr/objectifs-de-developpement-durable/
6 https://www.afd.fr/sites/afd/files/2018-09-04-32-32/strategie-afd-2018-2022-synthese.pdf
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fortement questionnée par les multiples transitions qui concernent l’activité agricole.
Nous avons ainsi choisi d’organiser la 11ème édition des Entretiens Olivier de Serres sur la thématique
« Etre agronome en contexte de transitions », avec l’objectif d’appréhender de manière
systémique les impacts des transitions sur les métiers, les activités et les compétences des
agronomes.
Les travaux de ces Entretiens se sont déroulés en trois étapes :
- Une série de cinq webinaires7 a permis de poser les enjeux et les impacts de différents types
de transitions socio-techniques pour l’activité agricole et les conséquences pour les
agronomes. Quatre types de transition ont été analysés : la transition agroécologique pour
assurer la préservation des ressources naturelles, favoriser la résilience des
agroécosystèmes, et contribuer à la santé globale ; la transition énergétique, pour réduire
l’empreinte carbone et contribuer au mix énergétique à base d’énergies renouvelables ; la
transition alimentaire, pour diversifier les systèmes de production agricole favorables à une
plus grande végétalisation de l’alimentation et rapprocher la production de la
consommation alimentaire ; la transition numérique, devant être mieux appréhendée
quant à ses impacts et raisonnée dans ses usages.
- Une série d’ateliers d’une journée dans différentes régions a permis ensuite d’analyser, à
partir d’une situation agricole emblématique d’un type de transition socio-technique
(écologique, numérique, énergétique, ou alimentaire), les changements dans les activités
et les compétences des agronomes.
- Et enfin, lors d’un séminaire de synthèse, le questionnement et l’analyse se sont prolongés
sur la transformation des fonctions des agronomes pour répondre aux besoins de
diversification des modèles de production et d’entreprises agricoles, et sur les besoins en
formation pour anticiper les transitions socio-techniques.
Car, même si, du fait de l’histoire de l’agronomie en France, les agronomes peuvent revendiquer
une palette de compétences qui leur permet de s’adapter aux évolutions en cours8, il apparaît
aujourd’hui indispensable de s’interroger sur le futur des métiers d’agronomes dans la société,
l’évolution de leurs fonctions, et donc par conséquent les besoins de compétences à maîtriser pour
une action future efficace.
Ce numéro rend ainsi compte de tout le travail réalisé lors des différentes étapes de ces Entretiens.
La richesse et la diversité des situations d’agriculteurs ou d’agronomes qui ont servi d’exemples
aux analyses, mais également la diversité des participants lors des différentes étapes (plus de 300
personnes ont contribué aux échanges et aux débats) et leur engagement dans les productions
écrites nous permettent de proposer aujourd’hui un panorama de ce que devront être les
agronomes en contexte de transitions.
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Être agronome en contexte de transitions
Philippe Prévost1, Antoine Messéan2, Mathieu Capitaine3, Marianne Le Bail4,
Bertrand Omon5, Jean-Marie Seronie6, Thierry Papillon7
1
Alliance Agreenium, 2Inrae, 3VetAgro Sup, 4AgroParisTech, 5Chambre d’agriculture de l’Eure,
6
Consultant indépendant, 7Lycée agricole de Laval
Ce numéro d’Agronomie, environnement & sociétés rend compte des travaux de la 11ème édition des
Entretiens agronomiques Olivier de Serres.
Cet évènement, qui s’est déroulé en trois étapes successives, entre octobre 2021 et juillet 2022, a
permis d’analyser de manière progressive et systémique les changements dans les activités, les
métiers, et les compétences des agronomes en cette période de forte injonction aux transitions.
L’objectif était double : analyser les trajectoires actuelles et tracer les chemins d’évolution à venir.
Si les agronomes ont toujours su s’adapter aux demandes des professions agricoles et de la société
civile, la période actuelle interroge fortement le raisonnement agronomique. Celui-ci, déjà
complexe du fait de la conciliation nécessaire entre l’objectif de production agricole et l’objectif de
préservation des ressources naturelles, doit désormais se construire en tenant compte des
incertitudes du climat et des marchés, et dans des conditions où les savoirs ne sont pas toujours
disponibles, et où les techniques et leur assemblage cohérent doivent désormais s’adapter au cas
par cas à la diversité des situations agricoles.
Les travaux menés lors de ces Entretiens, la plus grande part sous forme d’ateliers participatifs
s’appuyant sur des témoignages de praticiens des différents métiers d’agronomes, ont ainsi permis
d’analyser les impacts des transitions sur les activités, d’identifier les changements en cours dans
les métiers des agronomes, et d’envisager les trajectoires d’évolutions auxquelles la communauté
des agronomes doit se préparer pour accompagner au mieux l’agriculture dans sa fonction
sociétale dans les décennies à venir.
La première partie aborde de manière générale la notion de transition, en renvoyant d’une part
aux mouvements globaux dans la société pour faire face aux risques créés par ce qu’il est désormais
commun d’appeler l’ère de l’Anthropocène, et d’autre part aux changements dans les pratiques ou
dans les technologies qui résultent de ruptures ou d’adaptation.
Michel Colombier et Antoine Messéan introduisent ce numéro en donnant une vision globale de
cette période de transitions, depuis l’injonction aux transitions, à la nécessité de penser les chemins
de transitions puis de s’engager dans des changements de postures et de pratiques. Les transitions
requièrent une véritable rupture dans notre appréhension du monde réel et sa gouvernance en
dépassant la simple hiérarchisation d’objectifs nouveaux pour prioriser la recherche de solutions
nouvelles, disruptives, non encore explorées. Pour l’agronome, l’enjeu est donc de dépasser
l’ancrage indispensable dans le réel, avec des démarches incrémentales d’évolution des pratiques
agricoles, pour s’engager auprès des agriculteurs dans des transformations radicales des manières
de produire et construire des espaces de solution effectifs qui articulent le global et le local.
Puis Claude Compagnone nous rappelle combien la dimension sociale est importante à considérer
dans le changement de pratiques dans un contexte de transition. Car il peut y avoir conflit d’autorité
épistémique, entre les savoirs de la recherche et les discours portés par les groupes professionnels,
ceux-ci pouvant évoluer au cours du temps selon la réputation qu’ils développent, que ce soit via la
performance technique et l’acceptabilité sociale, ou via les médias.
Morgan Meyer, de son côté, nous propose une réflexion sur la dimension politique des innovations.
Dans une période où des innovations de rupture apparaissent indispensables, il invite à nous
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interroger sur les choix technologiques (high tech vs low tech) à partir de l’expérience
d’innovations par les usages qu’expérimentent certains collectifs agricoles.
La deuxième partie analyse de manière distincte les enjeux et les impacts de quatre types de
transitions sociotechniques : la transition écologique pour assurer la préservation des ressources
naturelles, favoriser la résilience des agroécosystèmes, et contribuer à la santé globale ; la
transition énergétique, pour réduire l’empreinte carbone et contribuer au mix énergétique à base
d’énergies renouvelables ; la transition numérique, devant être mieux appréhendée quant à ses
impacts et raisonnée dans ses usages ; la transition alimentaire, pour imaginer des systèmes de
production agricole favorables à une plus grande végétalisation de l’alimentation et rapprocher la
production de la consommation alimentaire. Pour chacune de ces transitions sociotechniques, un
premier texte fait le point sur leurs enjeux et leurs impacts, et un second texte rend compte d’un
travail de groupe dans des ateliers d’une journée, dans lesquels ont été analysés les changements
en cours et à venir dans les activités et les compétences des agronomes.
La transition écologique est celle pour laquelle les agronomes sont déjà à l’œuvre pour la majorité
d’entre eux, mais elle n’en est malgré tout qu’aux prémices d’une généralisation attendue.
Guillaume Martin explique pourquoi l’agriculture et la transition écologique représentent un
« mariage de raison ». La productivité par unité de surface ne pouvant plus être le seul objectif,
d’autres services (écosystémiques) sont à considérer. Les agronomes se trouvent ainsi face à une
forte diversification de leurs objets de travail (de la parcelle au territoire, du produit agricole aux
services environnementaux voire culturels) et de leurs relations avec les acteurs, et pas seulement
agricoles. Et ils doivent par ailleurs penser les transitions dans le long terme et faire reconnaître la
diversité des agroécosystèmes et des pratiques dans les politiques publiques. Laurette Paravano et
al. rendent compte d’un atelier réalisé dans une exploitation agricole de l’Yonne, où une trentaine
d’agronomes de différents métiers ont pu échanger sur les activités et les compétences d’un
agronome qui accompagne la transition agroécologique de groupes d’agriculteurs. Un des
principaux constats de l’atelier est que la transition doit d’abord passer par l’évolution des
représentations des acteurs, car une parcelle « sale » ou une couleur de blé en fin d’hiver « belle »
sont très liées à des normes professionnelles qui ne correspondent pas toujours à la triple
performance écologique, économique et sociale recherchée. L’agronome devient « traducteur et
outilleur », avec l’agriculteur, mais également avec tous les autres acteurs du territoire.
La transition énergétique prend une importance considérable avec l’accélération des politiques de
décarbonation de l’activité humaine. Jérôme Mousset, après avoir rappelé le rôle que peut et doit
jouer l’agriculture, tant dans la réduction des usages des énergies fossiles que dans sa contribution
à la production d’énergies renouvelables (méthanisation, biomasse-énergie, agrivoltaïsme), invite
les agronomes à accompagner les agriculteurs dans de nouveaux systèmes agricoles à énergie
positive, en mettant un accent particulier sur le rôle de l’agriculture dans l’autonomie énergétique
des territoires. Lys Affre et al., quant à eux, analysent l’évolution des activités et des compétences
des agronomes dans le cas où la production énergétique s’intègre dans un système de production
agricole, en l’occurrence ici l’exemple d’une ferme avec activité de méthanisation en Ariège. La
mise en place d’un atelier de production d’énergie au sein d’une exploitation agricole fait fortement
évoluer les activités de l’agriculteur et de l’agronome conseil. Pour l’exemple de la méthanisation,
l’installation et la gestion d’un méthaniseur relèvent plutôt de compétences de responsable
d’usine. Et la gestion des intrants et du digestat mobilise des compétences extrêmement variées,
de la logistique dans l’approvisionnement du digesteur, à la microbiologie pour la qualité du
digestat et son épandage. L’agronome doit ici développer de nouvelles compétences ou s’associer
des compétences spécifiques s’il veut accompagner des agriculteurs ou des collectifs agricoles
dans des projets de production d’énergie.
La transition numérique, traversant toutes les activités humaines, concerne à la fois la gestion des
cultures et la gestion de l’entreprise, par l’accès à l’information, la captation de données
d’observation du milieu et des peuplements cultivés, l’aide à la décision, les usages d’outils
automatisés, et l’accès facilité aux marchés. Gérard Memmi et Delphine Bouttet nous informent sur
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l’ambition des technologies numériques dans la transformation de l’activité agricole, tout en
analysant les limites actuelles et les risques de certains usages. Pietro Barbieri et al. analysent
l’évolution des activités et des compétences des agriculteurs et de leurs salariés, et des agronomes
du conseil et de la formation, à partir d’un atelier participatif qui a pris pour appui l’expérience d’un
agriculteur des Landes. S’il en ressort que la capacité à utiliser les outils et applications numériques
est reconnu de tous comme un facteur clé de performance dans les activités des agriculteurs et des
agronomes du conseil et de la formation, il existe encore un manque d’appétence et de culture
numérique chez beaucoup des professionnels de l’agriculture, voire une peur de l’éloignement du
terrain qui est à la base des métiers d’agronomes.
Enfin, la transition alimentaire, qui ne concerne plus seulement les géographes (et la transition
alimentaire des pays en développement qui se caractérise notamment par une augmentation des
produits animaux dans l’alimentation), est devenue en quelques années, particulièrement en
France, une question agricole et agronomique. Guy Trébuil, en présentant l’ouvrage « L’écologie de
l’alimentation » de Bricas et al., montre comment l’alimentation est devenue un enjeu écologique,
économique, social et culturel, l’ouvrage proposant de « promouvoir l’émergence de la « nutrition
bio-sociale » agro-écosystémique durable ». Philippe Pointereau insiste particulièrement sur le lien
entre alimentation, santé, changement climatique et érosion de la biodiversité, pour argumenter
sur la nécessité d’une généralisation de l’agroécologie et d’une forte réduction des productions
animales et de la part des protéines animales dans l’alimentation. Mathieu Capitaine et al.
mobilisent deux entrées différentes pour analyser l’évolution des métiers des agronomes dans le
cadre de la transition alimentaire. La première, à partir de l’exemple d’une association de
producteurs de légumes, questionne la place de l’agronomie à l’échelle d’un territoire autour de la
définition d’une demande alimentaire. La seconde concerne les dispositifs permettant de favoriser
l’entrée en agriculture dans une logique d’approvisionnement local. Elle s’appuie sur l’exemple
d’une ferme coopérative multi-acteurs récemment créée. De cet atelier transparait clairement que
la transition alimentaire ne peut relever seulement de l’initiative des producteurs. La dimension
agroécologique de l’acte de production, si elle est importante n’est pas suffisante. Parler de
transition nécessite forcément de dépasser l’échelle des fermes pour réfléchir à d’autres niveaux
d’organisation. L’agronome doit être en mesure d’accompagner ces changements de conception
et d’organisation de systèmes à des échelles plus vastes.
La troisième partie de ce numéro s’intéresse à la façon dont évoluent les métiers, les activités, les
compétences et la formation des agronomes, non plus dans le contexte particulier d’un type de
transition sociotechnique, mais dans le contexte plus général d’évolution des demandes de la
société et du monde professionnel agricole.
Parmi les métiers et les activités des agronomes, certaines fonctions ont ainsi fait l’objet d’une
analyse particulière.
Dans la fonction de conception de systèmes techniques agroécologiques, Sylvaine Simon et al.
montrent comment la diversification et l’adaptation « sur mesure » des systèmes de production,
ainsi que les incertitudes accrues, engagent les agriculteurs et les agronomes de la recherche-
développement dans la conception de systèmes innovants qui mobilisent à la fois beaucoup de
connaissances, mais aussi une part d’inventivité et des « pas de côté » pour s’associer des
compétences d’acteurs divers et des expériences extérieures. Les compétences mobilisées ne
peuvent être le fait d’une seule personne. Cette fonction de conception est de plus en plus le
résultat d’un travail collectif et d’apprentissages en continu, avec l’agriculteur au centre de la
démarche.
Dans la fonction d’accompagnement des agriculteurs aux transitions, Jean-Marie Seronie et al.
mettent en évidence la diversité des activités et des compétences des agronomes du conseil, avec
des spécificités selon le type de transition sociotechnique et selon le type d’accompagnement,
individuel ou collectif. Mais quelles que soient les situations, les auteurs insistent sur la
transformation du métier de conseiller, où la posture d’accompagnement est à substituer
définitivement à celle de prescripteur, et où la collaboration avec une diversité d’acteurs demande
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au conseiller des capacités d’animation, de médiation et de co-construction.
Dans la fonction de participation à des collectifs multi-acteurs, Richard Bonin et Marianne Le Bail
analysent la place et le rôle de l’agronome, ainsi que les compétences à mobiliser, lorsqu’il participe
à un projet où sont présents d’autres acteurs que ceux de la sphère agricole (plan alimentaire
territorial, gestion agricole des espaces protégés…). Si l’agronome est seulement participant, son
rôle sera d’autant plus efficient qu’il saura identifier les postures et expertises des différents
acteurs qui lui sont complémentaires, contribuer à la formulation du diagnostic et être force de
proposition pour l’objectif global. Étant formé aux analyses systémiques et pluridisciplinaires, il
pourra apporter au collectif une compétence dans la problématisation du questionnement des
acteurs. Et s’il anime le collectif, la mobilisation d’outils de médiation et la capacité de synthèse des
travaux de groupe seront des compétences clés.
Les derniers textes portent sur l’évolution des systèmes de formation pour mieux prendre en
compte le contexte des transitions.
Ainsi, dans la formation initiale des ingénieurs agronomes, Isabelle Michel et al. abordent la
question au travers d’une approche spécifique des compétences visées pour les jeunes diplômés,
des formes pédagogiques à mobiliser ainsi que des contenus. Ils soulignent que les transformations
de la formation des ingénieurs peuvent se réaliser à l’échelle unitaire du dispositif pédagogique (le
cours, le module, l’unité d’enseignement…) ou de façon coordonnée à l’échelle du cursus de
formation dans sa globalité. L’enjeu de la formation d’ingénieur est de former des jeunes en
capacité de s’investir face aux questions actuelles mais également apte à prendre en charge demain
des questions qui sont inconnues aujourd’hui.
Dans la formation initiale des agriculteurs, Emmanuel Bon et Thierry Papillon expliquent la façon
dont la politique nationale de transition écologique et l’évolution des métiers sont prises en compte
dans la conception et la rénovation des référentiels de formation des diplômes préparant à
l’installation en agriculture. Et la façon de prendre en compte les transitions de manière plus globale
se situe plutôt dans le développement de capacités à apprendre tout au long de la vie
professionnelle.
Et enfin, dans la formation continue des enseignants et formateurs en agronomie de
l’enseignement secondaire, Fanny Chrétien et al. montrent comment tout le système de formation
continue des enseignants et formateurs de la formation professionnelle est fortement engagé, à
tous les niveaux, par le plan national « Enseigner à produire autrement », qui a débuté en 2016 et
qui a été renouvelé en 2020, et qui consiste à conférer à l’ensemble de la communauté éducative
les capacités à former les nouvelles générations d’apprenants à la transition agroécologique. Mais
en dehors de cette prescription nationale, la formation continue des enseignants d’agronomie est
du ressort des choix personnels des enseignants et formateurs, et par exemple la question des
transitions globales en lien avec le changement climatique, si elle peut être abordée dans les
différentes missions de l’enseignement agricole, ne fait pas l’objet de démarche de requalification
des enseignants comme cela est le cas sur la transition écologique.
Ces trois parties du numéro offrent une restitution de l’ensemble des travaux menés pendant cette
édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres. Les différents textes permettent de porter
différents regards sur le même sujet, mais aussi de donner à chacun des métiers d’agronomes des
informations et des analyses issues d’expériences proches de leurs préoccupations. Pour clore ces
travaux, Philippe Prévost et al. proposent une synthèse et une mise en perspective, et suggèrent
un certain nombre de pistes d’action, à destination de la communauté des agronomes mais aussi
des employeurs et des institutions de formation.
Enfin, deux derniers textes permettront aux lecteurs d’avoir connaissance d’autres expériences de
travaux portant sur les compétences des agronomes. Philippe Prévost, en s’appuyant sur une
communication orale de Pascal Theuriault (vice-président de l’Ordre des agronomes du Québec),
après avoir décrit la façon dont l’Ordre des agronomes du Québec prend en compte la formation
et les compétences des candidats lors de leur demande d’inscription et pour leur maintien dans
12
l’ordre, analyse l’intérêt qu’aurait la mise en place d’une profession réglementée pour les
agronomes du conseil, sans dire que ce serait la voie à suivre compte tenu de l’histoire très
différente du conseil agricole au Québec et en France. Un autre texte de Philippe Prévost présente,
sous forme de note de lecture, la note bleue « Dynamique agricole : quelles compétences ? » du
think tank AgrIdées, qui analyse les besoins de compétences dans les entreprises agricoles et fait
des propositions pour l’avenir des ressources humaines de l’agriculture.
Et pour terminer ce numéro, nous avons ajouté une note de lecture de la fabrique de l’agronomie,
notre dernier ouvrage collectif, paru en 2022, qui raconte la façon dont les agronomes de tous
métiers ont construit la discipline qui nous réunit. Rédigée par Marianne Le Bail et Olivier
Réchauchère, deux des relecteurs exigeants de l’ouvrage avant publication, cette note devrait vous
donner envie d’aller plus loin dans la lecture de cet ouvrage de référence.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Résumé
Depuis les années 1970, la mise à l’agenda des questions environnementales et tout
particulièrement de questions transnationales et globales par les communautés scientifiques, la
société civile et le monde politique ont contribué à l’émergence de questions structurantes de
remises en cause profondes de nos modèles de développement. L’injonction de transitions qui en
résulte, ne vise pas à placer des sociétés qui seraient immobiles sur une trajectoire de changement,
mais à donner une direction, un (ou des) objectifs normatifs à ces changements, objectifs construits
par la rencontre des connaissances scientifiques et de choix politiques. Ces transitions soulèvent
des défis nouveaux qui requièrent une véritable rupture dans notre appréhension du monde réel
et sa gouvernance en dépassant la simple hiérarchisation d’objectifs nouveaux pour prioriser la
recherche de solutions nouvelles, disruptives, non encore explorées. Il faut enfin proposer un
cadre d’action cohérent et incitatif pour que les acteurs puissent les engager et les piloter avec
confiance. L’agriculture et l’alimentation se retrouvent évidemment au coeur de ces enjeux, en
particulier par sa contribution potentielle à l’atténuation du changement climatique et à la
protection des ressources naturelles et de la biodiversité.
Dans ce contexte, les agronomes ont un rôle important à jouer pour à la fois répondre à l’urgence
du moment tout en contribuant à comprendre, anticiper, accompagner et/ou orienter les
transitions. Cela suppose une évolution de leur posture, un changement dans leurs activités ainsi
qu’une adaptation de leurs compétences. Il s’agit notamment de (i) poursuivre la compréhension
du fonctionnement d’agro-écosystèmes, désormais plus diversifiés et dans des contextes instables,
(ii) de développer des méthodes et outils afin d’accompagner les acteurs à piloter leurs transitions
en fonction d’objectifs et contraintes sans cesse renouvelés, et (iii) de s’engager sans états d’âme
dans la réflexion prospective pour construire des espaces de solution effectifs qui articulent le
global et le local et rendent cohérents les objectifs à court et long terme et ainsi éclairer le débat
public.
Abstract
Since the 1970s, environmental issues have been addressed by the scientific community, the civil
society and the political world at large. Our current economic models are being challenged and new
priorities and objectives have been defined at a global level. The resulting request for transitions
does not mean that societies were immobile but instead intend to give a new direction as well as
one or several normative objectives to these changes. These transitions raise new challenges that
require a real break in our vision of the world and its governance by going beyond the simple
prioritization of several objectives by exploring new and disruptive solutions. We need a coherent
framework for action that is both coherent and motivating, so that actors can commit to it and
manage it with confidence. Agriculture and food are obviously at the heart of such issues, in
particular through their potential contribution to climate change mitigation and the protection of
natural resources and biodiversity.
In this context, agronomists have an important role to play in responding to the urgency of the
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
moment while helping to understand, anticipate, support and/or guide the necessary transitions.
This implies an evolution of their posture, a change in their activities and an adaptation of their
skills. As far as agronomists are concerned, they have to adapt their posture, approaches and
methods to address the new challenges. Among others, they would have (i) to continue to
understand the functioning of agro-ecosystems, which are now more diversified and embedded
within unstable contexts, (ii) to develop designing and assessment methods and tools in order to
help stakeholders steer their transitions according to constantly renewed objectives and
constraints instead of developping prescriptive systems, and (iii) to engage in forward-looking
thinking to better to create room for effective solutions articulating global and local challenges
and making short- and long-term objectives coherent, so as to support the public debate and
decision.
Mots clés : transition, développement durable, agronomie, prospective.
Introduction
Parmi les transitions qui s’annoncent dans nos sociétés (climatique, agroécologique, énergétique,
numérique, alimentaire, démographique…), qu’elles soient choisies ou subies, l’agriculture et
l’alimentation se retrouvent au cœur des enjeux du 21ème siècle : contribuer à l’atténuation du
changement climatique, protéger durablement les ressources naturelles, restaurer la biodiversité,
produire mieux sans dégrader les sols et un climat déréglé, nourrir en quantité et qualité une
population plus nombreuse avec une vision tant locale que globale, gérer les innovations
technologiques et organisationnelles avec responsabilité… La prise de conscience de ces enjeux
n’est pas nouvelle mais elle s’est accélérée avec la pandémie récente, le dérèglement climatique
que tout un chacun ressent désormais dans sa vie quotidienne, le renchérissement durable de
l’énergie et la déstabilisation des marchés alimentaires mondiaux. L’urgence à agir s’impose à tous
et les modes de production agricole, nos régimes alimentaires ainsi que nos modes de vie doivent
changer de manière beaucoup plus profonde que ce tout un chacun imaginait ou est prêt à accepter
(Dubuisson-Quellier, 2022). Comment répondre à l’urgence d’une crise climatique, énergétique,
écologique et sociale tout en maîtrisant durablement les transitions dans un contexte où les
différents niveaux de gouvernance qui devraient agir de manière coordonnée sont en pleine
recomposition, notamment du fait de la guerre en Ukraine ? Comment articuler la transformation
en profondeur de nos modèles et des régimes sociotechniques qui les supportent avec des
trajectoires de changement individuel nécessairement incrémentales pour être socialement
acceptable ?
Sur tous ces sujets, les agronomes ont un rôle à jouer pour à la fois répondre à l’urgence du moment
tout en contribuant à comprendre, anticiper, accompagner et/ou orienter les transitions
nécessaires. Pour cela, au préalable, il est nécessaire (i) de prendre conscience de ce qui est
réellement en jeu derrière l’injonction des transitions à l’échelle globale, de ce qu’elle recouvre au-
delà des discours, notamment en termes de déclinaison à l’échelle locale et au sein de territoires
en transition, des objectifs de développement durable institués à l’échelle mondiale, tout en tenant
compte des inégalités socio-économiques et d’intérêts souvent divergents ? (ii) de penser ces
transitions qui soulèvent des défis nouveaux et requièrent une véritable rupture dans notre
appréhension du monde réel et de sa gouvernance et (iii) de proposer un cadre d’action global,
cohérent et incitatif pour que les acteurs puissent les engager et les piloter. Ces enjeux impliquent
une évolution de la posture des agronomes, un changement dans leurs activités ainsi qu’une
adaptation de leurs compétences, que cette contribution se propose d’éclairer.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.
10 Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
À cette conception par objectif des transitions (climat, biodiversité, inégalités, droits humains, etc)
se superpose aussi, dans les discours et les agendas, une approche plus sectorielle par les grands
systèmes concernés : transition agricole, énergétique, chimique… Ces transitions peuvent
également trouver leur source dans le progrès technique (numérique, énergie, sciences du vivant)
quand l’innovation bouleverse radicalement les organisations en place et que les possibles
conséquences d’une transition non maitrisée sur des questions sociales, éthiques ou économiques
justifient la constitution d’un agenda politique. On aborde déjà ici le « comment » des transitions et
non seulement le « pourquoi », en ciblant les activités, les institutions et les pratiques qu’il s’agit de
questionner en profondeur pour répondre aux enjeux révélés par les scientifiques.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
transition (Torre-Schaub Lormeteau, 2021). Dans le schéma précédent de Kyoto, on proposait par
exemple un objectif à 2020 de réduction de 20% des émissions de GES en Europe : difficile pour un
industriel, un agriculteur ou une collectivité territoriale de « penser » sa propre transition dans ce
cadre, dans l’attente de législations encadrant les contributions attendues de chaque secteur. Avec
l’objectif de « neutralité carbone », chacun peut se projeter dans une réflexion sur ce que cela
signifie pour lui et son environnement : l’État bien entendu, mais dans le même temps les
entreprises, les villes, les organisations citoyennes peuvent penser leur transition, construire leurs
propositions, et prendre des décisions motivées par un jugement sur la crédibilité politique,
l’inéluctabilité des changements annoncés. Ce cadre ne se substitue pas à la nécessaire
construction d’un arsenal réglementaire mais il permet à certains acteurs d’anticiper sur celle-ci, de
construire de nouveaux groupes d’intérêt économique et d’expression politique qui, à leur tour,
peuvent faciliter le travail législatif de l’État. Il permet également aux acteurs de terrain de révéler
tout ce qui, dans les organisations de marché, les règlementations, les méthodes d’ingénierie, etc,
doit évoluer pour prendre effectivement en compte de nouveaux objectifs, et d’engager sans
attendre la réflexion sur ces questions. Et s’il est vrai que certains détournent le concept au profit
de formes de « green washing », d’autres (on le voit aujourd’hui dans le domaine de la finance, de
la labellisation) travaillent dans le même temps à construire des normes plus robustes permettant
de valoriser les actions qu’ils engagent.
Car, in fine, la capacité de nombreux acteurs à s’engager dans la voie des transitions tient beaucoup
au jugement qu’ils peuvent faire des risques encourus : à quoi bon réduire nos émissions s’il ne se
passe rien dans le reste du monde ? Pourquoi changer mon mode de production si je ne vois pas
évoluer ma rémunération, que mes produits ne bénéficient pas d’un meilleur accès sur les
marchés ? Les cadres politiques, de l’international au local, doivent apporter trois garanties
fondamentales aux acteurs de la transition : celle que, autour d’eux (dans leur secteur, dans
d’autres secteurs, localement et globalement), la transition s’engage également et que leur action
fait sens ; celle que les acteurs souhaitant s’engager dans les transitions, mais potentiellement
fragiles, pourront bénéficier d’un accompagnement ; et celle que progressivement l’évolution des
règles du jeu (faites jusqu’ici pour optimiser le fonctionnement des anciennes organisations, en
fonction des anciens objectifs, et donc par nature conservatrices) pourra contribuer à réduire le
risque pour ceux qui innovent et s’engagent dans la transition, condition essentielle pour une mise
en œuvre à l’échelle et l’émergence d’une « nouvelle normalité ».
En ce qui concerne l’agriculture, le pacte vert et la stratégie « De la fourche à la fourchette,
récemment adoptés par la Commission Européenne (https://food.ec.europa.eu/system/files/2020-
05/f2f_action-plan_2020_strategy-info_en.pdf), constituent une première déclinaison d’objectifs
plus globaux mais dont la mise en œuvre suppose une révision profonde et une coordination accrue
de l’ensemble des politiques sectorielles, et en particulier de la Politique Agricole Commune, qui
restent très marquées par la phase d’industrialisation de l’agriculture qui prévaut encore
aujourd’hui.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
(Dumont, 1972). Même si certains de ses diagnostics ne se sont pas vérifiés et que certaines
solutions étaient marquées par les idéologies de l’époque, le discours sur l’approche globale, les
interdépendances avec les autres secteurs économiques, la nécessaire gouvernance mondiale et la
dimension politique de la transition sont d’une actualité frappante. Dans les années 80, Jean-Marc
Meynard et Philippe Girardin appelaient à un nouveau paradigme et à prendre en compte les
impacts environnementaux dans « Produire autrement » (Meynard et Girardin, 1991).
D’abord essentiellement centrée sur la parcelle agricole et la finalité de production agricole,
l’agronomie a progressivement pris en charge la dimension technique de nouveaux objets, comme
l’exploitation agricole ou l’organisation des filières, intégré les enjeux environnementaux et élargi
les échelles spatiales au territoire. Elle a su intégrer les apports d’autres disciplines, comme
l’écologie, et se positionner comme science d’intégration en même temps qu’elle renforçait son
propre corpus théorique. De prescripteurs de solutions techniques aux agriculteurs qu’ils étaient,
les agronomes ont de plus en plus un rôle d’accompagnement dans la conception de nouvelles
solutions et de facilitateurs dans les négociations entre acteurs des territoires et d’appui à
l’élaboration des politiques publiques. Ils s’appuient pour cela sur le développement de démarches
d’évaluation multicritère et multi-échelles et promeuvent les démarches de conception innovante
où les scénarios ou points d’arrivée ne sont pas écrits d’avance mais résultent du processus de co-
innovation. De plus, comme souligné ci-dessus, la transformation radicale des systèmes agri-
alimentaires va au-delà de la mise au point des systèmes alternatifs. Pour toutes ces raisons,
l’agronomie vit en régime d’instabilité chronique et est amenée à toujours diversifier ses objets
(système agri-alimentaire, changement climatique, santé globale, régime sociotechnique) et ses
approches (médiation, conception, évaluation).
Compte tenu de l’urgence, cette adaptation de la posture des agronomes doit s’accélérer. Les
critères pris en compte dans les démarches de conception-évaluation sont encore très marqués par
le paradigme qui a longtemps prévalu et ne sont pas nécessairement compatibles avec la rupture
radicale qui s’impose. Par ailleurs, les impacts indirects à d’autres échelles de temps et d’espace
(effet-rebond) de changement de pratiques sont le plus souvent supérieurs aux effets directs
observables. Si des progrès ont été faits dans ce sens (Messéan et al., 2012), les démarches et outils
d’évaluation multicritère et multi-échelles permettant d’articuler le « Que se passe-t-il au niveau
global lorsque je mets en œuvre une action locale ? » avec le « Que faut-il faire localement pour
s’inscrire sur une trajectoire permettant d’atteindre les cibles globales ? » restent largement à
développer. Le cadre d’action décrit précédemment devrait y aider.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Au total, pour assumer leur responsabilité dans la transition globale en cours, les agronomes
auront à relever quatre défis :
• Faire vivre le dialogue entre agronomes et avec les autres acteurs, c’est-à-dire rassembler
et faire dialoguer les différents métiers où les agronomes s’investissent et croiser les
regards disciplinaires pour faire face à l’urgence, notamment avec une collaboration étroite
avec l’économie. Ils doivent aussi clarifier leur posture collective. S’ils partagent des valeurs
communes, cela ne signifie pas qu’il y ait accord sur les orientations de développement
agricole à favoriser. La diversité des métiers, des parcours et des convictions fait des
agronomes plutôt des militants de la diversité des situations à instruire au mieux et des
solutions à mettre en œuvre plutôt que des militants d’un type d’agriculture. Dans tous les
cas, ils doivent tous résolument s’engager dans la transition globale.
• Comprendre le fonctionnement des agro-écosystèmes dans leur diversité et leur
instabilité accrues. La transition agroécologique renforce la complexité et la variabilité des
réponses du système agro-pédo-climatique aux actions techniques. L’exigence de tirer des
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Cette approche à la fois réflexive et prospective doit se décliner selon les situations dans lesquelles
se trouvent les agronomes mais la diversification des objets à considérer, la nécessité d’articuler
des échelles de temps et d’espace élargies et l’incertitude accrue des déterminants externes (climat
ou marchés) appellent à une évolution des postures et activités des agronomes qui sont abordés
de manière plus spécifique aux différentes transitions considérées dans la suite de ce numéro.
Références
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Boiffin J., Doré T., Kockmann F., Papy F., Prévost P., 2022. La fabrique de l’Agronomie. Editions QUAE, 497p.
Colombier M. et Torre Schaub M.,2022. Gouvernance climatique. In Dictionnaire juridique du changement climatique, Mare et Martin (Collection de l'Institut
des Sciences Juridiques et Philosophiques de la Sorbonne), Paris 2022
Dubuisson-Quellier, S., 2022. How does affluent consumption come to consumers? A research agenda for exploring the foundations and lock-ins of affluent
consumption. Consumption and Society, vol 1, n° 1, 31–50 (https://doi.org/10.1332/UHIW3894)
Dumont, R., 1973. L’utopie ou la mort. Collection L’histoire immédiate. Editions du Seuil, 192p.
Geels FW, Schot J, 2007. Typology of sociotechnical transition pathways. Research Policy 36 (2007) 399–417
Lamine C., Meynard J.-M., Bui S., Messéan A., 2010. Réductions d’intrants :
des changements techniques, et après ? Effets de verrouillage et voies d’évolution à l’échelle du système agri-alimentaire. Innovations Agronomiques, 8,
pp.121-134. hal-02667368
Pelzer E., Bazot M., Makowski D., Corre-Hellou G., Naudin C., et al., 2012. Pea-wheat intercrops in low-input conditions combine high economic performances
and low environmental impacts. European Journal of Agronomy, 2012, 40, pp.39-53. ⟨10.1016/j.eja.2012.01.010⟩.
Lormeteau, B. (dir.), 2021. Les Dynamiques du contentieux climatique - Usages et mobilisations du droit. Éditions Mare & Martin, Collection de l'ISJPS, vol. 60.
Messéan A., Pelzer E., Bockstaller C., Lamine C., Angevin F., 2010. Outils d’évaluation et d’aide à la conception de stratégies innovantes de protection des
grandes cultures. Innovations Agronomiques, 8, 69-81.
Meynard J.-M. et Girardin P., 1991. Produire autrement. Courrier de l’environnement INRA (15), pp.1-19. ⟨hal-01207904⟩
Waisman, H., Bataille, C., Winkler, H. et al., 2019. A pathway design framework for national low greenhouse gas emission development strategies. Nat. Clim.
Chang. 9, 261–268 (2019). https://doi.org/10.1038/s41558-019-0442-8
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Résumé
Le but de cet article est de montrer comment une rationalité sociale est à l’œuvre dans la manière
dont les agriculteurs orientent leurs pratiques, et comment cette rationalité sociale leur permet de
s’appuyer sur des autorités épistémique ou sociale. Il précise la manière dont la notion « d’autorité »
peut être entendue, et comment les concepts de déférence et de réputation viennent l’étayer. La
nécessité pour un agriculteur, pour pouvoir agir, de s’insérer dans un ou des collectifs
professionnels de référence est soulignée. Il est ainsi parlé « d’épistémologie du témoignage » ou
« d’épistémologie de la réputation » des autorités, ces témoignages et ces réputations permettant
de filtrer les informations et connaissances pour accéder à celles techniquement ET socialement
pertinentes. Il est montré comment la structure des collectifs de référence est elle-même
dynamique, conduisant au cours du temps à un repositionnement des personnes et à des
changements à la fois des cadres épistémiques et des autorités qui les portent et les défendent.
Introduisant la notion de conflits épistémiques, il est observé comment à un niveau macrosocial ces
conflits sont générés par des transformations propres à la société post-moderne, à la place de la
recherche et à l’usage de médias socionumériques.
Mots clefs : Rationalité sociale, autorités épistémiques, réseaux sociaux, déférences, conseil
agricole, recherche, médias socionumériques
Abstract
The purpose of this paper is to show how social rationality can guide the way farmers change
practices, and how this social rationality allows them to rely on epistemic or social authorities. It
clarifies how the notion of "authority" can be understood, and how the concepts of deference and
reputation support it. The need for a farmer, in order to be able to act, to be part of one or more
professional reference groups is specified. We thus speak of the "epistemology of testimony" or
the "epistemology of the reputation" of authorities, as these testimonies and reputations make it
possible to filter information and knowledge in order to access those that are technically AND
socially relevant. It is shown how the structure of reference collectives is itself dynamic, leading
over time to a repositioning of people and to changes in both the epistemic frameworks and the
authorities that carry and defend them. Introducing the notion of epistemic conflicts, it is observed
how at a macrosocial level these conflicts are generated by transformations specific to the post-
modern society, to the place of research and to the use of socionumeric media.
Keywords: Social rationality, epistemic authorities, social networks, deferences, agricultural advice,
research, socionumeric media
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Introduction
Le but de cet article11 est de montrer comment la rationalité sociale12 mise en œuvre par les
agriculteurs joue dans la manière dont ils orientent leurs pratiques, et de faire apparaître comment
cette rationalité sociale les conduit à se référer, dans l’orientation de ces pratiques, à des personnes
ou organisations qui possèdent une autorité épistémique13.
En effet, pour développer des pratiques agricoles qui conviennent, les agriculteurs sont amenés à
apprécier précisément la situation à laquelle ils sont confrontés, cette situation étant
inextricablement de nature matérielle et sociale. Les agronomes et agroéconomistes, dans leur
approche des pratiques des agriculteurs, vont s’intéresser aux raisonnements techniques ou
économiques déployés pour évaluer les situations par les agriculteurs afin de mettre en œuvre des
pratiques techniquement ou économiquement pertinentes. Ils soulignent ainsi comment les
agriculteurs développent un jugement de la pertinence technico-économique de leurs actions. Mais
ces actions ne se déroulent pas dans un espace déconnecté du monde social, lui-même fait de liens
et de règles, mais se trouvent enchâssées dans ce monde social, lieu de ressources et de contraintes
(Granovetter, 1985 ; Grossetti, 2015). Dans ce sens, ces agriculteurs s’appuient dans leurs pratiques
à la fois sur une rationalité sociale et une rationalité technico-économique ou, dit autrement,
mettent à la fois en œuvre une intelligence du social et une intelligence du technique et de
l’économique. Cet enchâssement de leurs pratiques dans le social va conduire les agriculteurs à se
référer à d’autres acteurs pour savoir ce qu’ils doivent faire, à la fois, pour mener leur pratique à
bien, accéder aux connaissances pertinentes pour pouvoir le faire, s’inscrire socialement dans des
collectifs qui vont contribuer à définir le sens de leur action et à structurer leur identité
professionnelle.
Quels processus sociaux sont alors à l’œuvre dans l’établissement du jugement de pertinence
sociale des pratiques des agriculteurs ? Comment dans ce processus en viennent-ils à se référer à
certaines personnes ou organisations agricoles qui ont le statut d’autorité plutôt qu’à d’autres dans
l’orientation de leurs pratiques ? Quel rôle jouent ces personnes ou organisations dans l’outillage
épistémique des agriculteurs ? Comment résolvent-elles les conflits épistémiques qui peuvent
émerger ?
Pour répondre à ces questions nous conduirons une réflexion théorique et conceptuelle illustrée
par des résultats de travaux empiriques que nous avons pu, en particulier, menés et qui fondent
notre réflexion. Après avoir différencié deux types d’autorité (épistémique et sociale), nous
décrirons le processus de déférence qui, à partir de la réputation d’une personne, conduit à se fier
à son autorité pour orienter ses pratiques. Nous verrons ensuite, dans une perspective plus
dynamique, comment des conflits épistémiques et normatifs peuvent exister et être résolus, et
comment les structures sociales, lieux de ces conflits, se transforment au cours du temps. Nous
terminerons enfin sur des transformations plus macrosociales, sociétales et techniques, pour
comprendre les nouvelles formes de conflictualité entre autorités épistémiques.
11
Cet article fait suite à deux présentations orales, l’une aux Entretiens agronomiques Olivier de Serres en 2022, l’autre à un
Colloque de Cerisy en 2019 (Compagnone, 2022), sur ce thème des autorités épistémiques en agriculture.
12 La rationalité sociale est une rationalité qui s’appuie sur une connaissance des règles qui régissent les relations et rapports
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
hostilité ni résistance, et qu’on est disposé à y déférer ». Par exemple, on dira qu’une science fait
autorité lorsqu’on a affaire à une parole concordante des scientifiques qui se trouve être acceptée
dans la société sans contestation notable (Israel-Jost, 2015). Il en va ainsi aujourd’hui de la
climatologie largement mise sur le devant de la scène par les rapports du GIEC et les alertes
répétées de ses experts dans les médias.
L’autorité est donc un pouvoir légitimé qui non seulement échappe à la contestation mais est aussi
l’objet d’une reconnaissance, d’une considération respectueuse. Par extension, on qualifie
« d’autorités » les personnes ou les organisations qui possèdent ce pouvoir « d’autorité ». Dans ce
sens, comme dans le langage courant, on peut, à la fois, avoir une autorité, c’est-à-dire avoir le
pouvoir d’orienter l’action des autres du fait de l’usage d’arguments d’autorité, et être une autorité,
c’est-à-dire être reconnu par les autres comme ayant ce pouvoir.
La littérature fait apparaître deux principaux types d’autorité bien que leur différenciation
analytique ne dise pas précisément la manière dont ils s’agencent concrètement. Par exemple, J.
Coenen-Huther (2005) va distinguer deux figures de la modernité politique - confrontées selon lui
aujourd’hui à une érosion de la légitimité du pouvoir - : l’homme politique comme expert, qui se
prévaut de l’autorité du savoir, et l’homme politique comme leader, qui se prévaut du pouvoir de
la décision. É. Broudoux (2017) parle, quant à elle, dans le champ scientifique, d’« autorité
épistémique » et d’« autorité scientifique », la première concernant l’expertise des savoirs alors que
la seconde est liée aux personnes et relève donc d’un « pouvoir social ». Ou encore, E. Lazega (2011),
dans son analyse - sur laquelle nous nous appuyons ici - sur la façon dont des acteurs élaborent des
jugements de pertinence sociale de leurs actions, va différencier des arguments d’autorité
hiérarchique et des arguments d’autorité d’expert.
On retrouve donc bien, chez les uns et les autres, une autorité qui tient au pilotage du savoir et une
autre qui tient au pilotage du social. Dans le premier cas, les arguments d’autorité portent sur les
connaissances utiles que peut apporter une personne à une autre sur ce que sont les choses ; dans
le deuxième cas, ils portent sur ce qu’il faut faire au regard des règles ou des normes qui animent
le collectif dans lequel une personne inscrit ses pratiques. Dans le cadre d’une organisation formelle
hiérarchisée, la possession de cette autorité sociale est ainsi liée à l’occupation d’une place
prédéfinie dans l’organigramme qui spécifie des rapports de subordination de supérieur
hiérarchique à subordonné. Mais si autorité épistémique et autorité sociale peuvent se cumuler en
une seule et même personne dans des structures sociales très hiérarchisées, elles peuvent aussi
être relativement distribuées dans des structures sociales plus égalitaires, comme nous avons pu le
constater dans des réseaux de viticulteurs, céréaliers ou éleveurs (Compagnone, 2019).
Toutefois, la dimension épistémique et la dimension sociale de l’autorité ne sont jamais
déconnectées l’une de l’autre. D’une part parce qu’une personne qui incarne l’autorité sociale est
toujours dotée, elle-aussi, d’une certaine autorité épistémique, au moins dans sa maîtrise du cadre
épistémique global qui étaye les pratiques du collectif qu’elle représente. D’autre part, parce que
la ou les autorités épistémiques d’un collectif développent leur expertise de manière cohérente
avec la norme pratique qui permet aux uns et aux autres de se reconnaitre comme membres du
même collectif.
Cette position singulière de certains acteurs a été identifiée très tôt dans les études de diffusion
des innovations, en particulier en agriculture, que ce soit chez E. Rogers (1983[1962]), principal
théoricien de la théorie sociologique de la diffusion des innovations, ou chez H. Mendras (1967), qui
a développé ces mêmes analyses en France sur la diffusion du maïs hybride. L’un et l’autre
identifient nettement deux catégories de premiers adoptants des innovations : il y a tout d’abord
les « innovateurs » qui, à l’affût des innovations, vont les repérer et les tester rapidement, et les
« premiers utilisateurs » qui ne les adoptent que dans un deuxième temps, après le travail de la
première catégorie d’acteurs. Si les premiers ont des caractéristiques socio-économiques proches
de la moyenne, les seconds ont un statut social plus élevé. L’analyse des réseaux sociaux (Degenne
et Forsé, 2004) a fait ensuite apparaître comment cette diffusion des innovations dans un espace
social donné tenait à la forme de la structure sociale créée par tous les liens qui lient ensemble les
individus dans cet espace et aux positions que pouvaient occuper les porteurs d’innovations dans
27
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
cette structure. Si les « innovateurs » sont identifiés comme ayant des positions périphériques au
sein de telles structures, les « premiers utilisateurs » occupent des positions centrales et ont un
statut d’autorité sociale.
14 Est dit sémantique ce qui se rattache au sens ou la signification des choses. La sémantique porte en linguistique sur l’étude du
sens des mots.
15 L’épistémologie doit être entendue ici au sens anglo-saxon de théorie de la connaissance générale.
28
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
compétences propres différentes. Cette confiance n’est alors guère différente de celle qui anime
des chercheurs de domaines différents dans le travail de la science contemporaine (Worms, 2015).
La déférence sociale peut aussi être dénuée de toute déférence épistémique. Ainsi, comme nous
avons pu l’observer dans des réseaux de viticulteurs, un déférant peut accepter de mettre en œuvre
la confusion sexuelle des papillons des vers de la grappe sur son exploitation alors qu’il sait que
cette technique n’est pas efficace chez lui (Compagnone, 2014). Il consent à le faire par déférence
sociale envers celui ou ceux qui détiennent l’autorité sociale dans son collectif et pour rester inséré
dans ce collectif. Cette déférence assure, par là-même, le maintien de l’ordre établi. Comme le dit
L. Kaufman (2006, p 112) « l’individu s’incline devant les êtres étranges que reconnaît sa
communauté en se reconnaissant comme la partie d’une totalité qui le dépasse ». Il endosse « le
point de vue impersonnel et anonyme de [son] groupe d’appartenance ».
29
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
d’autres groupes professionnels, certains agriculteurs ont, dans ces groupes de référence, un
statut social supérieur aux autres, sont mieux écoutés et apparaissent comme des représentants
du collectif de référence. Ce sont ces agriculteurs que l’on va qualifier de manière traditionnelle de
leaders d’opinion. D’une certaine façon, l’adhésion à leur personne se confond avec l’adhésion aux
objectifs, règles ou normes qu’ils défendent au nom du collectif. Cette adhésion se matérialise par
la centralité qu’occupent ces représentants dans la structure des relations du groupe.
Toutefois, les agriculteurs, comme d’autres professions, gravitent souvent, comme nous le
montrent les enquêtes effectuées sur leurs dynamiques de changements, dans différents collectifs
professionnels, groupes ou réseaux (Compagnone, 2014 ; Compagnone et Hellec, 2015), les
agriculteurs pouvant selon les thèmes ou les objets se situer par rapport à plusieurs groupes. En
cela, ils développent une multi-appartenance faite avec certains de liens faibles et avec d’autres de
liens forts (Degenne et Forsé, 2004). Cette multi-appartenance les expose à des façons de faire et
de penser différentes d’un espace social à un autre. Si cette exposition est à l’origine de
l’introduction d’innovations d’un espace social à un autre, elle oblige aussi les agriculteurs à arbitrer
pour déterminer quel est leur collectif de référence, c’est-à-dire leur collectif principal, au sein
duquel ils pourront bénéficier, en particulier de la part des autorités représentantes de ces
collectifs, d’appuis pour l’orientation de leur pratique.
Un tel mécanisme permet de comprendre que la mise en œuvre ou non d’une pratique par un
agriculteur ne découle pas purement d’un processus cognitif, conduit individuellement ou
collectivement, sur la compréhension et la portée de la pratique, mais aussi d’un processus social
d’arbitrage de l’agriculteur entre des collectifs et des normes ou règles que ces collectifs défendent
respectivement. Ainsi un groupe Dephy d’Ecophyto, au sein duquel de nouvelles pratiques
économes en usage de produits phytosanitaires sont élaborées ou partagées, peut, en bout de
course, quand un agriculteur membre de ce groupe hiérarchise ses collectifs de référence, être
déclassé par rapport à d’autres collectifs où la norme pratique ne correspond pas à celle qui se
stabilise dans le collectif Ecophyto. Ce type de situation peut conduire à ce que les
psychosociologues qualifient de dissonance cognitive, c’est-à-dire à l’observation d’un écart entre
ce que les personnes pensent et ce qu’elles font. L’attention aux structures sociales dans lesquelles
ces personnes se trouvent insérées amènera plutôt à interpréter cette situation comme le résultat
d’une tension entre des normes différentes du fait d’une multi-appartenance de la personne
(Compagnone, 2014).
Dans des enquêtes que nous avons pu ainsi conduire auprès de réseaux de viticulteurs ou de
céréaliers (Compagnone, 2019), il apparait clairement que certains acteurs ne mettent pas en
œuvre des techniques qu’ils jugent pourtant techniquement intéressantes pour ne pas enfreindre
la norme pratique de leur groupe professionnel de référence et ne pas prendre le risque de voir les
liens entretenus avec les autres acteurs de ce groupe se distendre ou se rompre. Inversement,
d’autres agriculteurs peuvent mettre en œuvre des pratiques qu’ils considèrent comme
techniquement ou économiquement moins appropriées pour eux pour les mêmes raisons. D’une
certaine manière, ils répondent à une pression sociale à la norme pour éviter des sanctions sociales.
Parler de « pression sociale » signifie qu’ils sont l’objet d’un contrôle de la part des autorités de leur
collectif, contrôle qui permet à ces dernières d’apprécier l’alignement des pratiques de l’agriculteur
avec les normes qui ont cours dans le collectif.
Certaines études de réseaux nous ont permis d’observer que si des agriculteurs pouvaient
développer une multi-appartenance d’autres pouvaient être socialement faiblement intégrés, voire
isolés, en ce qui concerne les échanges qu’ils peuvent entretenir avec d’autres sur leurs pratiques.
Ce faible degré d’intégration sociale et la sollicitation d’une plus grande diversité de conseillers
agricoles que pour les autres agriculteurs apparaissent souvent positivement corrélés. Des types
de déférence variés peuvent alors être relevés avec ces conseillers : déférence sémantique dans le
cas où, par manque de compréhension des choses, l’agriculteur exécute simplement ce que lui dit
de faire le conseiller ; déférence épistémique dans le cas où il manque simplement à l’agriculteur
l’information pertinente pour apprécier la situation ; déférence sociale dans le cas où il s’avère que
le collectif de référence de l’agriculteur se trouve être constitué des techniciens d’une structure
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Si des autorités épistémiques émergent dans les collectifs professionnels agricoles, une question
se pose, d’une part sur l’étendue sociale de ces collectifs et, d’autre part, sur la place de l’autorité
épistémique institutionnellement constituée qu’est la recherche. La première question amène à se
demander si le processus d’émergence d’autorités épistémiques dans des collectifs professionnels
agricoles ne vaut que pour des réseaux d’interdépendances locaux, c’est-à-dire géographiquement
positionnés et numériquement calibrés pour permettre l’interconnaissance. La deuxième question
conduit à s’interroger sur la spécificité de la recherche en matière d’exposition du processus de
production de la connaissance scientifique aux contingences et jeux sociaux. Le traitement de ces
deux questions devrait nous permettre d’entrevoir comment l’émergence de l’usage des outils
numériques et des médias socionumériques et les transformations sociétales peuvent conduire à
donner à la question des conflits épistémiques une envergure bien plus large que celle esquissée
jusqu’à présent.
31
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Cette situation singulière rend bien compte de la façon dont l’autorité scientifique se trouve
concurrencée par d’autres formes d’autorité dont la légitimité épistémique est assurée par un
dispositif réputationnel. Elle montre comment le pluralisme des idées fait rentrer en concurrence,
si ce n’est en conflit, des cadres épistémiques dont la légitimité n’est pas assise de la même façon.
Conclusion
Le but de cet article était de mettre en avant la rationalité sociale des agriculteurs à l’œuvre pour
orienter leurs pratiques. Notre position n’est donc pas ici cognitiviste dans le sens où nous ne
mettons pas à jour les processus de raisonnement individuels ou collectifs. Le parti pris est plutôt
de rendre compte spécifiquement de la dimension sociale de l’orientation des pratiques et de
montrer que cette prise en compte du social par les agriculteurs est profondément rationnelle. Si
la question de la déférence de la décision à une autre personne peut être perçue comme une forme
d’abandon de son autonomie décisionnelle, elle prend une toute autre coloration lorsqu’elle est
replacée dans son cadre social. Or cette dimension sociale, si elle est perçue par les agronomes,
reste traditionnellement méconnue ou largement sous-estimée. Cette méconnaissance ou sous-
estimation, qui amène à des formes d’incompréhension des échecs de l’intervention technique ou
du rôle de la recherche, peut bloquer la capacité d’action propre à cette intervention. Face à la
nécessité d’une transition écologique, il paraît impératif de mieux articuler rationalité technique et
rationalité sociale dans la compréhension des pratiques des agriculteurs.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Résumé
Comment aller au-delà de la vision économique et productiviste de l’innovation, qui voit
l’innovation comme étant uniquement incarnée dans des produits high-tech ? Afin de répondre à
cette question, cet article se focalise sur l’innovation par les usages et le low tech en agriculture. Il
propose un tour d’horizon du sujet dans la littérature académique, présentera quelques exemples
de low tech dans l’agriculture, tout en se concentrant sur un cas d’étude : la coopérative d’auto-
construction l’Atelier Paysan. L’article montre que les low tech ne se réduisent pas à leur matérialité
et à leur technicité. Il faut, au contraire, les considérer comme des objets culturels et sociaux, qui
existent à travers des pratiques, des sensibilités, des valeurs, des choix éthiques. Pouvoir réparer
soi-même, s’entraider, s’organiser en tant que coopérative, diffuser des plans sous licence libre,
lutter contre le complexe agro-industriel, critiquer la robotisation et le numérique : les pratiques
autour du low tech sont indéniablement des pratiques politiques.
Mots-clés : Innovation – agriculture – low tech – atelier paysan
Abstract
How can we move beyond an economic and productivist vision of innovation, a vision that sees
innovation embodied solely in high-tech products? In order to answer this question, this article
focuses on user innovation and low tech in agriculture. It provides an overview of the topic in the
academic literature, presents some examples of low tech in agriculture, while focusing on a case
study: the cooperative L’Atelier Paysan. The article shows that low tech cannot be reduced to its
materiality and technicality. On the contrary, it must be considered as an ensemble of cultural and
social objects, which exist through practices, sensibilities, values and ethical choices. Being able to
repair, helping each other, organizing oneself via cooperatives, distributing construction plans
under free licenses, fighting against the agro-industrial complex, criticizing robotization and digital
technology: the practices concerned with low tech are undeniably political practices.
Keywords : Innovation – agriculture – low tech – farmer’s factory
Introduction
Fermes connectées, drones, applications pour smartphones, robots, big data : quand on parle
d’innovation dans le monde agricole, on pense généralement à toute une panoplie de dispositifs
techniques. Le numérique et la robotique sont censés résoudre, du moins en partie, les défis actuels
de l’agriculture, mais aussi, plus largement, les problèmes énergétiques et écologiques. Il y a
cependant des voix qui critiquent cette façon de penser l’innovation. Tout d’abord, l’innovation
n’est pas uniquement une pratique technique. Elle se réalise aussi à d’autres niveaux : par de
nouvelles professions, de nouvelles compétences, de nouvelles expertises, ou de nouvelles
pratiques. Rappelons, au passage, que le Manuel d’Oslo de l’OCDE (1992) parle d’innovation de
produit, de procédé, de commercialisation, et d’organisation. En un mot, l’innovation n’est jamais
que « technique ».
Ensuite, une innovation ne se présente jamais seule. Toute innovation est liée à une infrastructure
de maintenance, à des programmes informatiques, à des contrats avec des fournisseurs, à des
37
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
16
Recherches réalisées dans Scopus et dans Web of Science avec « low tech » dans le titre.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Sur le plan théorique, la notion de low tech est souvent discutée en mobilisant des concepts tels
que les technologies « intermédiaires » ou « appropriées » (Schumacher, 1973) et les outils
« conviviaux » (Illich, 1973).17 D’autres concepts ont été récemment proposés pour enrichir ce
vocabulaire. Certains auteurs, inspirés par le mouvement slow food, parlent de « slow tech » pour
réfléchir à ce que seraient des TIC « propres », « bonnes » et « équitables » (Patrignani et
Whitehouse, 2018 ; voir aussi Abrassart et al., 2020), tandis que d’autres ont proposé le terme de
« wild tech » pour insister sur le fait que les technologies peuvent être difficiles à classer selon la
distinction high tech versus low tech (Grimaud et al., 2017). Si diverses définitions, catégorisations
et théorisations des low tech ont donc été proposées, des analyses sociologiques de leur
fabrication, leur diffusion ou encore leur caractère collectif sont beaucoup plus rares.
Quelques exemples
Le low tech touche de nombreux domaines – agriculture, mobilité, habitat, énergie, alimentation,
matériaux, déchets. Pour avoir une idée du nombre d’initiatives dans le domaine de l’agriculture,
l’Annuaire des initiatives low tech du Low-tech Lab est une ressource utile. Cet annuaire recense 209
initiatives low tech dans l’agriculture à travers le monde, dont 84 en France. Parmi ces 84 initiatives,
on trouve des bureaux d’études, des fermes, des ecocentres, des associations, des tiers lieux et des
petites entreprises. La plupart de ces 84 acteurs œuvrent dans plusieurs des domaines cités plus
haut, tandis qu’il n’y a finalement que peu d’initiatives spécialisées uniquement dans l’agriculture,
comme l’Atelier Paysan et Farming Soul (tous les deux travaillent sur les outils agricoles). Il faut
rajouter au moins deux acteurs à cette liste : Étincelles Paysannes, une association qui organise des
formations, des chantiers et fait de la communication sur l’auto-construction, ainsi que la ferme
Tournesol en Isère. La ferme Tournesol est une ferme entièrement auto-construite et elle est auto-
suffisante en alimentation, en courant et en chauffage ; on y trouve entre autres un concentrateur
solaire, des bioréacteurs, des serres et de nombreuses machines auto-construites (voir Grojnowski,
2021).18
Mentionnons aussi un exemple qui nous éloigne quelque peu de l’agriculture au sens strict : la
boulangerie au four solaire (voir Guimbretière et al., 2022 ; Guimbretière et al., 2021). Les fours à
cuisson solaire présentent plusieurs bénéfices : ils sont plus mobiles, plus durables et moins
énergivores que les fours à cuisson électrique. En même temps, ils doivent prendre en compte
certaines contraintes, comme la dépendance aux conditions météorologiques/géologiques, les
pratiques alimentaires des consommateurs et les enjeux économiques. L’utilisation d’un four
solaire n’est donc pas seulement un choix technique : « Une modification de l’outil de production
implique une modification des produits et de l’organisation du temps de travail » (Guimbretière et
al., 2022). Pour le dire autrement, le four solaire est un objet socio-technique (Akrich, 1989). C’est
un objet technique, dans le sens qu’il nécessite un processus de construction, un emplacement et
un ensoleillement spécifique et qu’il permet certaines températures de cuisson. En même temps,
c’est un objet qui recompose le monde social autour du pain : permettant moins de fournées qu’un
four classique, il est adapté à la fabrication de pains à conservation longue, mais peu à celle de
viennoiseries ou de pains blancs ; il incarne une vision plus artisanale, humaine, et écologique de la
boulangerie ; et il est tributaire d’un certain type de consommateur, avec ses goûts, choix et
engagements.
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PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Innover autrement
Des ateliers d’auto-construction sont organisés à partir de 2011 au sein de l’association ADABio
autoconstruction, donnant lieu à la création de la coopérative L’Atelier Paysan en 2014. La
coopérative est implanté à Renage, près de Grenoble, et dans deux antennes en Occitanie et en
Bretagne, et dispose également de sept « camions-ateliers » lui permettant de proposer des
formations dans tout le pays. Une grande diversité de techniques est traitée, que ce soit des serres
mobiles, des brosses à blé, ou encore des dérouleuses de plastique - avec des utilisations pour le
maraichage, la viticulture, la meunerie et la boulangerie.
L’Atelier Paysan mène différentes actions pour documenter et diffuser les technologies paysannes :
des formations ; la réalisation et la diffusion de plans de construction sous licence libre ; et le
partage de connaissances via des livres, tutoriels, un site web et un forum (Chance et Meyer, 2017).
En même temps, l’Atelier Paysan organise des Tournées de Recensement d’Innovations Paysannes
pour dénicher et recenser les innovations faites par les paysans eux-mêmes afin que « les bricoles
isolées puissent servir, être améliorées et inspirer d’autres paysans » (L’atelier paysan, 2016/2017,
Proposition de Guide méthodologique pour les TRIP Tournées de Recensement d’Innovations
Paysannes, p. 10). Depuis sa création, les membres de l’Atelier Paysan ont recensé autour de 1000
technologies, formé environ 1700 personnes, et réalisé environ 80 tutoriels. La coopérative forme
actuellement près de 600 stagiaires par an et emploie entre 25 et 30 salariés.
L’Atelier Paysan utilise plusieurs terminologies pour parler d’innovation, comme « innovation
paysanne », « innovation collective », ou encore « innovation par les usages ». La coopérative met
le doigt ici sur un élément important pour les agronomes et les chercheurs en sciences humaines
et sociales : il faut qualifier et préciser ce que l’on entend par innovation. Si les termes comme
« paysanne » permettent de qualifier et de défendre une certaine vision de l’innovation, ils
permettent, en même temps, d’aller au-delà d’une approche trop techniciste et économique de
l’innovation.
L’Atelier Paysan défend une position qu’on peut qualifier de humble et modeste par rapport à
l’innovation. La coopérative ne se présente pas elle-même comme innovante, mais souligne que
« Les paysannes et paysans innovent déjà ! ». Sur le site web de l’Atelier Paysan on peut lire :
« Les innovations sont partout. Dans les fermes, les paysans et paysannes bricolent,
adaptent, créent, modifient, améliorent : outils, machines, bâtiments, aménagements… Et
bien plus encore ! ».
L’objectif de l’Atelier Paysan n’est donc pas d’innover en tant que tel, mais plutôt de constituer « un
pot commun des expériences » (L’atelier paysan, 2016/2017, Proposition de Guide méthodologique
pour les TRIP Tournées de Recensement d’Innovations Paysannes, p. 8). L’Atelier Paysan vise à faire
changer de statut et d’échelle l’innovation paysanne : des « bricoles isolées », non documentées et
peu visibles, sont transformés en récits documentés et illustrés, mis en commun, et rendus
accessibles à un public plus large. Soulignons que l’Atelier Paysan ne parle que rarement de « bien
commun », mais plutôt de « pot commun », pot qu’il faut constituer et enrichir. C’est à travers toute
une série d’opérations – interviewer, photographier, illustrer, filmer, écrire, indexer, publier – que
les innovations paysannes deviennent des biens communs. Soulignons aussi l’importance du
« pot » : l’infrastructure internet de l’Atelier Paysan, hébergeant un forum, des textes, des photos,
des vidéos, ainsi que ses nombreuses publications. L’Atelier Paysan prône une « autonomie
équipée » (Meyer, 2020) : une autonomie qui se réalise à travers des équipements et, en même
temps, une autonomie qui se réalise en équipe, c’est-à-dire qui se transmet, diffuse, concrétise et
cultive au sein de dynamiques collectives. Lors d’un séminaire, l’Atelier Paysan a expliqué qu’il vise
à constituer une « plateforme de ressources pour favoriser des dynamiques collectives » et que les
machines « libérées » par la coopérative doivent être « validées collectivement », c’est-à-dire par les
usagers (notes, Maison des éleveurs, Paris, 17 mars 2016).
Toutefois, alors que la coopérative affiche un discours politique axé sur l’autonomie, Cardinael
40
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
(2017) a montré que les stagiaires qui suivent ses formations ont généralement des préoccupations
plus économiques et pragmatiques. La maintenance est un élément important : « la maintenance
des machines, plus que leur construction, […] constitue l’intérêt premier : savoir bricoler, c’est
avant tout s’économiser les frais facturés par les réparateurs, et pouvoir réagir rapidement sans
dépendre d’un prestataire extérieur du dispositif » (Goulet et al., 2022 : 403).
Figure 1 : à gauche : extrait du plan du Four à Pain 100 (version 6.4), avec un tableau des visseries
nécessaires et un schéma du four. A droite : construction du four lors d’une formation à la ferme de
Trévero en avril 2019 (© Atelier Paysan).
Un deuxième exemple est le Four à Pain 100 (voir figure 1). Si une formation pour construire le four
dure aussi 5 jours et ne nécessite pas de prérequis, sa construction est nettement plus technique
et chère (autour de 4000 euros) que celle du semoir viticole à engrais vert. Les plans comportent
41
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
des vues générales, des détails sur les fournitures, ainsi que les différentes pièces, portes,
armatures, etc. L’historique du four mérite d’être détaillée :
« À l’origine de ce projet, Jean-Philippe, un producteur du Trièves (maraîchage et brebis
allaitantes) souhaitait diversifier son activité en y ajoutant un atelier pain. Il s’est donc
inspiré de ces fours en acier qu’on trouve dans le commerce, et a reproduit, chez lui, avec
le matériel qu’il avait à disposition, une version simplifiée et peu coûteuse. Un an plus tard,
un groupe de producteurs installés sur la ZAD de Bure contacte l’Atelier Paysan et soumet
l’idée de reproduire et améliorer ce four lors d’une formation prototypage. Se met alors en
branle toute la dynamique R&D collaborative entre le groupe de producteurs de Bure, le
maraîcher du Trièves et l’Atelier Paysan qui aboutira, fin 2016, à la réalisation de plans et à
la programmation d’une première formation à l’autoconstruction d’un four à pain en acier.
Des pistes d’amélioration ont été identifiées sur cette première version, par les utilisateurs,
en particulier le besoin d’améliorer le contrôle de la température de cuisson (l’absence
d’inertie du four rend la chose difficile).
Ainsi, la contribution des utilisateurs, en particulier Jean-Philippe et Mickaël (maraîcher à
Notre-Dame-Des-Landes) a permis la modélisation et la mise en plan d’une deuxième
version. Ce four V2 a été construit lors de 2 formations encadrées par l’Atelier Paysan en
2017. […] De nouvelles recherches ont été faites pour simplifier la fabrication du four tout
en le renforçant aux endroits stratégiques.
[…] Eric Labbé, boulanger qui a suivi la première formation à [Bure], fabrique quelques
fours, pour lui et des [copains] boulanger·ères du réseau. Au fil des constructions de fours
qui s’enchainent (il y a du monde d’intéressé !), ainsi que son utilisation de ses fours en tant
que boulanger mobile, il y apporte de nombreuses améliorations. Ainsi, fin 2018, l’Atelier
Paysan collabore avec Eric et Farming Soul afin de synthétiser les différentes améliorations
dans une nouvelle version des plans : la V5. […]
Grâce à tout ce travail collectif et la participation de boulangers et de boulangères, cette
version est tout à fait satisfaisante et fonctionnelle. Toutefois, les fours restent longs et
techniques à fabriquer, surtout pour le format de formation de l’Atelier Paysan sur une
semaine. Un nouveau travail est donc effectué du côté de l’Atelier Paysan en 2020, pour
tenter de simplifier au maximum cette fabrication tout en conservant les fonctionnalités et
les qualités du four […]. C’est cette dernière version, la V6, qui est actuellement
proposée […]. » (L’Atelier Paysan, 2022).
Cette description est intéressante à plusieurs niveaux. Premièrement, les paysans à l’origine de la
machine et de ses améliorations sont clairement identifiés et nommés. Deuxièmement, on
s’aperçoit des nombreux allers-retours et liens entre les paysans et l’Atelier Paysan. Le Four à Pain
100 n’est pas une innovation qui provient d’un unique endroit, mais une machine qui a été pensée,
améliorée, prototypée et documentée dans différents endroits et à l’aide de différents acteurs. Par
conséquent, on voit que l’innovation est collective, participative, et collaborative et que le four à
pain est régulièrement mis à épreuve par les premiers concernés, les usagers.
C’est la première page du plan de construction (qui est par ailleurs commune à quasiment tous les
plans de l’Atelier Paysan) qui est la plus explicite sur la nature collective et sociale de l’innovation :
« La présente version est le résultat des évolutions par l’usage, d’expérimentations
paysannes quotidiennes, des ajustements pratiques issus des retours des participants aux
nombreuses formations et journées de terrain collectives. L’autoconstruction de votre outil
à l’aide de ce tutoriel n’est que le début de votre aventure. Si cette machine est pertinente
en l’état pour de nombreux contextes, vous allez devoir l’adapter, la régler, la modifier pour
l’ajuster à votre projet agronomique, vos itinéraires techniques, vos conditions pédo-
climatiques. Vous allez donc faire vivre cette machine. […] Merci de nous faire parvenir vos
retours, vos découvertes, vos réussites. Vos expériences individuelles, vos tâtonnements
de terrain viendront enrichir le pot commun paysan, sous même licence libre que les
42
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
La liste des constats et critiques de l’Atelier Paysan est longue : augmentation des surfaces
moyennes des fermes, diminution de la population active agricole, surendettement des
agriculteurs, déclin de la biodiversité, vision d’une agriculture trop productiviste, dépendance
envers les acteurs privées, forte production de déchets, dévaluation et disparation des savoir-faire,
dégâts environnementaux et sanitaires, dégradation des sols, augmentation de l’utilisation des
pesticides, machinisme croissant et démesuré, mauvaise alimentation.
L’Atelier Paysan n’est pas le seul acteur qui, tout en défendant une philosophie low tech, critique
ouvertement les high tech. Prenons deux autres exemples. Premièrement, en réponse au
hackathon organisé par le Ministère de l’Agriculture et son programme autour de la robotique, du
numérique et de la génétique, la Confédération Paysanne de la Drôme a organisé un contre-
concours critique et ludique, baptisé « cacathon » (Confédération Paysanne de la Drôme, 2021).
D’un côté, une remise de prix du hackathon qui se tenait à la chambre d’agriculture de Bourg-lès-
Valence. Au même moment : un concours invitant des paysans à venir avec leur fumier et compost
pour gagner des prix comme une « bouse d’or », de la « reconnaissance » et de la « satisfaction ».
Le contre-concours était l’occasion de formuler des critiques – via des prises de parole et des
pancartes – dénonçant la « lubie technologiste » et le « productivisme ». Le mot high tech a
même été réapproprié pour l’occasion : « Venez donc avec votre meilleur fumier, compost, jus de
lombric qui nourrissent nos semences paysannes et autres innovations paysannes libres de droit de
propriété industrielle pour défendre l'agriculture paysanne et son système high-tech depuis 6000
19La fabrication de ces plans soulève aussi la question de l’utilisation de technologies et d’outils numériques, comme Internet et
les logiciels informatiques pour pouvoir dessiner des plans en 3D. En d’autres termes, se pose la question d’outils qu’on peut
qualifier de « high-tech ». Si l’Atelier Paysan est conscient de ces questions et enjeux, il ne porte pas un discours officiel sur le sujet.
43
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
Conclusion
Pour les agriculteurs tout comme pour les agronomes, la question de la relation avec l’innovation
se pose donc. Comment aller au-delà d’une vision économique et productiviste de l’innovation, une
vision qui voit l’innovation uniquement incarnée dans des produits ? Quels sont les effets et
conséquences d’une innovation pour les acteurs, les hiérarchies, les organisations, les filières du
monde agricole ? Comment, donc, penser l’innovation ? En un mot, en la concevant de manière
intégrée : pas comme technique, mais comme à la fois technique, sociale et culturelle ; pas comme
une fin en soi, mais comme un moyen ; pas comme une nécessité, mais comme une question ; pas
comme un objet en soi, mais comme faisant partie d’un ensemble de liens entre pratiques agricoles,
valeurs sociales, choix économiques, politiques publiques et dynamiques institutionnelles. Au delà
des exemples technologiques traités dans cet article, cette vision plus intégrée de l’innovation est
aussi pertinente pour d’autres pratiques basées sur des échanges et modes de gouvernance plus
horizontaux. On pense notamment au partage de semences via le Réseau Semences Paysannes,
aux Centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural (CIVAM), au Groupe
d’Expérimentation et de Recherche - Développement et Actions Localisées (GERDAL) et aux
multiples autres projets de recherche liant le monde académique et le monde rural.
Les low tech offrent un point de mire fertile pour réfléchir à l’innovation. Les low tech – que ce soit
une toilette sèche ou une machine agricole – ne se réduisent pas à leur matérialité et à leur
technicité. On peut difficilement mesurer leur « succès » ou les chiffrer en termes de part de
marché. Il faut, au contraire, considérer les low tech comme des objets culturels et sociaux, qui
existent à travers des pratiques, des sensibilités, des valeurs, des choix éthiques. Pouvoir réparer
44
PREMIÈRE PARTIE : TRANSITION GLOBALE ET IMPACTS POUR L’AGRONOMIE ET LES AGRONOMES
soi-même, s’entraider, s’organiser en coopérative, diffuser des plans de construction sous licence
libre, lutter contre le complexe agro-industriel, critiquer la robotisation et le numérique : cet article
a montré que les pratiques autour du low tech sont indéniablement des pratiques politiques. Parmi
les nombreuses questions qu’un tel constat ouvre, citons-on en deux : comment traduire ces
pratiques en problème de politique publique ? Et comment les traduire à un public d’élèves et
d’étudiants ?
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Résumé
La transition écologique est un changement vers un nouveau modèle de société qui apporte une
solution aux défis environnementaux. Elle engage à transformer la plupart des secteurs d’activité
l’agronome. Cette transformation porte tant sur le périmètre du système considéré que sur ses
fonctions attendues et sur les capacités des agriculteurs à concevoir et mettre en œuvre des
changements. Tout d’abord, il convient d’aller au-delà du champ cultivé d’espèces en pur considéré
sur la durée d’une rotation pour intégrer des peuplements diversifiés et des échelles plus larges
(par ex. le paysage). Ensuite, il convient de ne plus considérer qu’une productivité par unité de
surface mais aussi d’autres services pour l’agriculture. Enfin, il convient de délaisser la logique
diffusionniste visant à déployer des technologies à grande échelle pour développer les innovations
nécessaires à sa mise en œuvre avec les agriculteurs et les acteurs du secteur, et de créer par des
politiques publiques adaptées les conditions nécessaires pour cette mise en mouvement.
Mots-clés : transition ; agriculture ; agroécologie ; agronomie ; systémique
Abstract
The ecological transition is a change towards a new model of society that provides a solution to
environmental challenges. It involves transforming most sectors of activity, including agriculture.
Logically, the same applies to agronomy and the profession of agronomist. This transformation
concerns both the perimeter of the system under consideration and its expected functions, as well
as the capacity of farmers to design and implement changes. First of all, it is necessary to go beyond
the cultivated field of pure species considered over the duration of a rotation to integrate
diversified stands and larger scales (e.g. the landscape). Secondly, it is necessary to consider not
only productivity per unit area but also other services for agriculture. Finally, it is necessary to move
away from a diffusionist logic aiming at deploying technologies on a large scale to develop the
innovations necessary for its implementation with farmers and actors in the sector, and to create
the necessary conditions for this movement through adapted public policies.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Figure 1 : Paysage permis par la transition écologique - Ministère de la Transition écologique et solidaire
Figure 2 : Les neufs limites planétaires établies par le Stockholm Resilie nce Center (gauche) -
Stockholm Resilience Center ; et le rôle de l’agriculture (en pointillés) dans le dépassement de
ces limites (droite) – Campbell et al., 2017. L’étude de droite datant de 2017 (contre 2022 pour
celle de gauche), certaines limites n’av aient pas encore été évaluées.
48
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Dans ces conditions, une part croissante de la société réclame un modèle de société plus durable
qui implique une transition écologique. Cette demande s’applique sans surprise à l’agriculture qui
est tout particulièrement sommée de réduire ses impacts environnementaux. En outre, dans les
pays développés, un nombre croissant de problèmes techniques invitent à repenser notre modèle
agricole et notamment la stagnation des rendements (Schauberger et al., 2018) ou la résistance
croissante des adventices ou des bioagresseurs aux pesticides (Gould et al., 2018).
Pour penser et mettre en œuvre la transition écologique, les solutions fondées sur la nature
connaissent un intérêt croissant. Elles visent à comprendre les processus écosystémiques et à
tenter de les reproduire dans des systèmes anthropisés tels que les systèmes agricoles. Les sources
d’inspiration pour penser les solutions fondées sur la nature sont des écosystèmes tels que la forêt
ou la prairie naturelle. Ils sont généralement très riches en biodiversité, laquelle peut être
considérée sous un angle fonctionnel, c’est-à-dire selon les fonctions rendues par les composantes
de la biodiversité à l’écosystème (Moonen et Barberi, 2008).
S’inspirer de la nature en agriculture invite entre autres choses à maximiser la biodiversité
fonctionnelle et donc utile dans les systèmes agricoles, à la fois dans l’espace et dans le temps, pour
viser une diversité de fonctions et une plus grande stabilité (Moonen et Barberi, ibid). Cela invite
aussi à considérer les surfaces non cultivées à proximité directe (haies, bandes enherbées, etc.) des
surfaces cultivées, ainsi que l’agencement spatial et temporel de ces infrastructures susceptibles
d’héberger de multiples organismes (oiseaux, abeilles, etc.) ayant une influence sur les systèmes
agricoles (Le Cœur et al., 2002).
S’inspirer de la nature en agriculture implique aussi de ne pas négliger les dynamiques évolutives
des écosystèmes (Thrall et al., 2011), lesquels sont de plus en plus exposés à des évènements
extrêmes notamment climatiques. Cette perspective évolutive va à l’encontre de la représentation
d’une exploitation systématique, stable et normalisée du vivant encore largement partagée dans
le secteur agricole. Or, toutes les composantes de l’écosystème co-évoluent, non-humaines et
humaines, conduisant à des transformations de la biodiversité présente et des interactions au sein
de l’écosystème.
Enfin, s’inspirer de la nature en agriculture nécessite de regarder les écosystèmes comme des
réseaux trophiques (Liere et al., 2015) au sein desquels circulent l’énergie et les éléments minéraux.
Ces réseaux intègrent des boucles de rétroactions complexes et des équilibres dynamiques, et ils
sont largement influencés par les facteurs biotiques et abiotiques. Dans le secteur agricole, ces
réseaux peuvent être considérés à des échelles très fines (infra-parcellaires) comme à des échelles
très vastes dans un contexte de système alimentaire mondial globalisé au sein duquel les denrées
s’échangent d’un continent à l’autre, avec pour conséquence une altération du cycle de l’azote et
une dépendance croissante de certaines régions du monde vis-à-vis d’autres (Lassaletta et al.,
2009).
49
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
progressive des agronomes à des échelles supérieures au champ cultivé. Resituer les systèmes
agricoles dans des systèmes plus larges invite aussi à intégrer les interactions avec les autres types
d’activités (élevage, foresterie, transformation alimentaire, etc.), lesquelles sont de plus en plus
considérées par les agronomes (Brun et al., 2021).
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Une agronomie tournée vers l’innovation avec les agriculteurs et les acteurs des chaînes
de valeur
L’agronomie a longtemps été guidée par une logique diffusionniste visant à déployer des
technologies à grande échelle. La transition écologique invite à développer les innovations
nécessaires à sa mise en œuvre, et à intégrer l’agriculteur et les acteurs de la chaîne de valeur dans
la réflexion.
En matière de transition écologique, chaque agriculteur est guidé par des valeurs et des
motivations. Elles déterminent ses choix stratégiques (par ex. réduction des phytos, conversion à
l’AB), son vécu des situations rencontrées. Pour comprendre les systèmes agricoles et leur
engagement dans une transition, l’agronome ne peut plus faire l’impasse d’une intégration de ces
valeurs et motivations. En outre, les pratiques des agriculteurs sont fortement influencées par
d’autres acteurs à l’amont et à l’aval, les consommateurs et leurs choix alimentaires en particulier.
En conséquence, l’innovation agronomique ne peut plus être pensée indépendamment des
arbitrages faits par ces différents acteurs : tous n’ont pas les mêmes valeurs, les mêmes besoins,
les mêmes motivations, ce qui peut constituer un verrou à la transition (Plumecocq et al., 2018).
La transition écologique appelle des changements systémiques. Cela signifie que l’innovation ne
peut pas reposer seulement sur des changements dans les exploitations agricoles. Au contraire,
elle doit reposer sur l’articulation d’acteurs divers dans une logique d’innovation couplée (Brun et
al., 2021). Ainsi, la diversification des systèmes de culture nécessite des efforts conjoints des
semenciers pour développer une offre sur des cultures actuellement mineures, des organismes
stockeurs pour collecter le produit de ces cultures, des conseillers agricoles pour développer un
service d’accompagnement à leur mise en œuvre, etc. De même, certains processus agronomiques
ne relèvent pas de l’agriculteur seul mais d’un effort collectif au niveau du paysage ou du territoire.
Enfin, le nécessaire renouvellement générationnel en agriculture repose sur un traitement différent
de la question foncière par les décideurs publics et les organisation professionnelles agricoles. Ces
éléments soulignent la nécessité de considérer l’agriculteur comme intégré à un réseau d’acteurs
favorisant ou contraignant sa capacité à innover.
Les innovations développées pour la transition agroécologique doivent avoir une pertinence locale
tenant compte des spécificités de sols, de climats, etc. A cette fin, il convient aussi de mieux
valoriser l’expertise des agriculteurs qui expérimentent, observent et déduisent quotidiennement
(Catalogna et al., 2018) selon des logiques de traque aux innovations (Salembier et al., 2021). Cette
base de connaissances est une ressource à mieux valoriser, sur laquelle capitaliser. Mais cela
implique de pouvoir distinguer le caractère générique de la déclinaison locale de ces connaissances,
et c’est une tâche ardue pour l’agronome. De même, l’innovation implique aussi pour l’agriculteur
de faire avec les incertitudes inhérentes à l’innovation et avec celles liées à la complexité des
situations (rétroactions, effets inattendus, aléas). Il est essentiel de mieux comprendre comment
ces capacités se développent et les leviers (cognitifs, techniques, etc.) sur lesquelles elles
s’appuient.
L’agronomie a toujours eu pour mission de produire une utilité (au sens de Gasparin, 1854), c’est-à-
dire de transformer l’agriculture en sus de produire des connaissances sur les systèmes de culture.
Dans le cadre de la transition écologique, cette utilité nécessite une ouverture vers des cadres
théoriques des sciences humaines et sociales pour intégrer les valeurs et des motivations des
agriculteurs et des autres acteurs, considérer l’évaluation d’un point de vue moins normatif, en
acceptant que la performance doit être relativisée au regard des attentes de chaque acteur. C’est
encore une posture très rare chez les agronomes bien que des premiers travaux sur le sujet
commencent à émerger (Perrin et al., 2020). L’utilité de l’agronomie appelle aussi à progresser en
matière d’animation de dispositifs participatifs visant l’innovation en agriculture. Les dispositifs
participatifs existent de longue date en agriculture mais ceux dédiés à l’innovation couplée sont
plus récents et accroissent la complexité du processus et le coût des transactions.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Conclusions
La mise en œuvre de la transition écologique est confrontée à de multiples défis. L’un de ces défis
est sans doute de sacrifier une vision de court terme pour investir sur le long terme. La gestion des
aléas immédiats (conflit Russo-Ukrainien, évènements climatiques extrêmes, etc.) continue de
l’emporter sur une planification de long terme par la conception de politiques publiques adaptées
et efficaces qui soient à la hauteur des enjeux environnementaux, économiques et sociaux. Un
autre de ces défis est que la transition écologique est à penser conjointement avec d’autres
transitions, énergétiques et alimentaires notamment. Le métier d’agronome est en prise directe
avec ces changements dans un secteur clé de cette transition, l’agriculture. Il donne l’occasion de
penser cette transition et ses chemins, de communiquer et convaincre sur leur bien-fondé, de
participer à leur mise en œuvre voire d’en évaluer les impacts multiples. Il s’agit là d’une nouvelle
évolution dans la façon de concevoir et de pratiquer l’agronomie en conservant la diversité de ses
métiers.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Introduction
Nous rapportons ici les enseignements et questions soulevés lors de l’atelier « être agronome dans
un contexte de transition agroécologique », organisé dans le cadre des Entretiens agronomiques
Olivier de Serres20. Cet atelier, qui s’est tenu le 31 mars 2022 à Brienon-sur-Armançon dans l’Yonne,
a réuni une trentaine d’acteurs concernés par l’agronomie issus d’horizons variés : agriculteurs,
conseillers agricoles, animateurs d’aires d’alimentation de captage (AAC), enseignants, chercheurs,
apprenants, agents des services de l’Etat, ainsi que des responsables de collectivités locales.
Cette journée a été structurée autour de trois temps : un exercice au champ, un temps de
présentation et d’échange autour de la transition en cours sur le territoire où se tenait l’atelier, un
temps de travail en atelier centré sur les métiers des participants.
La démarche CHANGER (Omon et al., 2019 ; Guillot et al., 2021)21, comme les travaux des RMT
Systèmes de culture innovants (Cerf et al., 2009 ; Guillot, 2015 ; Cerf et al., 2012 ; Petit et Reau, 2013)
et Champs & Territoires ateliers, ont été fortement mobilisés pour concevoir et analyser cette
journée. Ils nous ont en particulier servi pour : (i) provoquer une situation (l’exercice au champ) qui
suscite la mise en action des compétences des agronomes ; (ii) penser et présenter les
compétences pour accompagner la transition agricole d’un territoire en repérant les situations de
travail qui changent ainsi que leurs articulations ; (ii) et enfin pour discuter des situations de travail
des agronomes participants pour révéler leurs compétences, savoirs et savoir-faire.
Une situation d’observation d’un champ cultivé pour questionner le rôle des agronomes
20 https://agronomie.asso.fr/entretiens2021-2022
22On utilise le terme « agronome » de manière générique, sachant qu’ils occupent différents métiers (agriculteurs, conseillers
agricoles, animateurs d’aires d’alimentation de captage, enseignants, chercheurs, apprenants, acteurs institutionnels), chacun avec
des objectifs, des résultats attendus au champ, des savoirs et savoir-faire spécifiques.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
al., 2021). Outre qu’il permet de faire apparaître et discuter les compétences des agronomes en
actes, cet exercice a été aussi l’occasion pour les conseillers agricoles présents de vivre l’expérience
du tour de plaine décalé, comme outillage possible dans leurs activités d’accompagnement des
agriculteurs. Les participants ont été rassemblés en petits groupes mixant des agronomes de
différents horizons. Aucune indication n’a été donnée au départ à propos du champ visité, ni des
pratiques agricoles réalisées. Nous avons invité chaque groupe à explorer le champ afin de
répondre aux questions suivantes :
- Qu’est-ce que vous voyez ?
- Qu’est-ce que vous retenez ?
- Quelles hypothèses émettez-vous ?
Après un temps d’observation et d’échange en petits groupes dans le champ, les participants ont
été réunis, ils ont mis en commun ce qu’ils avaient noté comme réponses.
Pour la compréhension de la suite de cet article, il est nécessaire de donner ici quelques précisions
sur le champ visité. Il s’agit d’un champ de blé situé sur une aire d’alimentation de captage à enjeu
nitrate, dans lequel l’agriculteur, accompagné par l’équipe d’animation, a mis en place un témoin
non fertilisé en azote minéral depuis le semis, alors que le reste de la parcelle a reçu 130 unités
d’azote minéral en mars.
Elles l’avaient conduit à décider de ne pas apporter d’azote minéral en février (autrement dit, ne
pas réaliser l’apport fait habituellement au tallage). Le 7 mars, compte tenu de l’INN du blé mesuré
par l’agriculteur et du stade du blé, il était recommandé d’apporter 40 unités, ce qu’a fait
l’agriculteur. Le temps était alors sec. Le 22 mars, une pluie suffisante pour valoriser un apport
d’azote a été annoncée. Un deuxième apport de 90 unités a été réalisé, alors que la mesure à cette
date-là indiquait un indice de nutrition azoté suffisant pour ne pas pénaliser le rendement.
56
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Le débat s’instaure sur cette question : peut-on tolérer d’avoir un blé de la couleur du témoin sans
azote de ce champ, au 31 mars ? Ou dans des termes agronomiques, quel état de nutrition azotée
rechercher à cette date ? Si l’on se place dans un contexte de raréfaction des ressources en azote
et d’économie d’énergie, la couleur qui devrait dominer dans la plaine ne devrait-elle pas être celle
du témoin ? Les agriculteurs présents sont, quant à eux, rassurés par la couleur « vert-bleu » du
champ en dehors du témoin. Pour eux, c’est bien cette couleur qui est recherchée à ce stade, c’est
leur référence visuelle d’un « beau » champ de blé au 31 mars. Même si l’INN indiquait que le blé
pouvait encore attendre avant d’être fertilisé, l’agriculteur a préféré apporter 90 unités le 22 mars,
considérant qu’à cette date, attendre encore était trop risqué. En effet, si un temps sec s’installait
dans les semaines suivantes, un apport ne pourrait être valorisé alors que le blé en aurait besoin.
Ce débat renvoie à la manière de mobiliser la méthode Appi-N (Ravier, 2017 ; Ravier et al., 2018 ;
Jeuffroy et al., 2019 ; Jeuffroy et al.,2021)23qui se base sur des mesures du N-tester afin d’estimer
l’INN, et les fondamentaux de l’agronomie sur lesquels elle s’appuie. Cette méthode propose de
mesurer régulièrement et de déclencher des apports en fonction de l’INN et du stade du blé. La
méthode a été construite en analysant des courbes de réponse du blé à l’azote et tient compte du
fait que le blé peut tolérer une carence azotée en début de cycle sans que cette carence impacte le
rendement de façon significative. La méthode Appi-N donne la recommandation suivante : si on
s’approche du stade épi 1 cm (fin mars dans le secteur où s’est tenu l’atelier), que la culture « n’est
pas en carence » (donc ne justifie pas d’un apport), qu’une pluie est annoncée (ou que le sol est
humide) mais qu’un risque de sécheresse existe ensuite, on recommande d’apporter de l’azote à
hauteur de 50 à 60 unités.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
produisent.
Dans cette logique de résultats, accompagner les agriculteurs dans la transition, c’est savoir
encourager et reconnaitre les agriculteurs qui obtiennent de bons résultats : ceux qui réussissent
grâce aux pratiques phares mises en avant dans le projet, mais aussi ceux qui y parviennent par
d’autres moyens. C’est aussi être attentifs à ceux qui ont des résultats insatisfaisants, sans
culpabiliser ceux qui n’appliquent pas les pratiques phares et en stimulant ceux qui, malgré
l’adoption de ces pratiques phares, n’obtiennent pas les résultats escomptés.
Soutenir le dialogue de territoire : l’agronome traducteur et outilleur (Reau et al., 2017, Reau et al.,
à paraitre)
Le projet de ce territoire n’implique pas que des agronomes, et pourtant l’agronomie est au cœur
de ce qui est à discuter ensemble. Lors de l’atelier du 31 mars, le président et le directeur de la régie
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
des eaux concernés par l’expérience présentée en ont témoigné. Par exemple, le projet prévoit que
les agriculteurs réussissent les couverts d’interculture, ce point faisant l’objet d’un contrat entre
chaque agriculteur et la régie des eaux. Les équipes de la régie réalisent une tournée pour évaluer
la mise en œuvre du contrat. Mais comment noter la réussite des couverts, lorsqu’on n’a pas de
repère en la matière ? Ils ont témoigné de cette difficulté. L’autre exemple cité par les responsables
locaux concernait le comité technique qui rassemble les principaux acteurs de l’aire d’alimentation
de captage et se réunit chaque année. Comprendre les résultats qui y sont présentés pour en
débattre avec les agriculteurs ne va pas de soi. A l’issue d’une réunion, un précédent responsable
avait d’ailleurs demandé : « je ne comprends pas, vous parlez parfois d’azote, parfois de nitrate,
mais quel est le lien entre les deux ? ».
Les acteurs locaux ont ici besoin que l’agronome-animateur joue un rôle de traducteur ou de
« passeur de monde ». Cela suppose une attention particulière pour repérer les concepts et mots
employés qui ne sont pas connus de tous et les rendre compréhensibles, s’ils sont importants pour
le pilotage du projet. En plus d’expliquer les différents concepts, il revient aussi à l’agronome de
pointer les interdépendances et le caractère systémique du projet et des processus qui le sous-
tendent.
Au-delà de traduire, l’agronome-animateur a un rôle important pour outiller le dialogue territorial.
Il s’agit de fournir des informations et des représentations, autant d’objectivations de la situation
et des processus en jeu qui vont permettre à chacun de jouer véritablement son rôle, au lieu de
déléguer à des experts (agronomes, hydrogéologues…) le débat et la prise de décision. A ce titre,
plusieurs objets ont fait leur preuve pour favoriser le dialogue direct entre les acteurs du monde de
l’eau et les agriculteurs.
Le champ cultivé (Photo 4 du champ avec un couvert d’interculture en septembre) est un bon
moyen pour partager une culture commune autour de l’enjeu du projet, qui ne soit pas que
théorique mais aussi expérientielle. Il a été à plusieurs reprises le lieu de réunions du comité
technique (qui rassemble les principaux acteurs du projet). Il revient alors à l’agronome-
accompagnateur de repérer les champs qui sont pédagogiques, c’est-à-dire qui contribuent à la
compréhension de tous, de préparer les observations ou résultats qui pourront être partagés en
séance à titre de démonstration, de questionner l’agriculteur sur son champ et ses résultats
attendus lors de la réunion.
Photo 4 : Visite d’un champ du territoire lors d’une réunion du comité technique
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
L’autre objet clé pour soutenir le dialogue territorial est le tableau de bord (Figure 2) du projet du
territoire (Paravano et al., 2016 ; Reau et al., 2017, Ferrané et al., 2020 ; Chizallet, 2020 ; Prost, 2021).
Il articule un petit nombre d’indicateurs, dont la plupart sont observés (et observables par tous
dans chaque champ) ou mesurés, selon une logique de cause à effets entre les pratiques
privilégiées dans le projet agricole pour l’eau, les états des champs attendus et la qualité de l’eau
émise sous les champs. A chaque indicateur sont attribués 2 seuils, l’un correspondant au résultat
à atteindre et l’autre à un résultat insatisfaisant mais acceptable. Les bulles correspondant à chaque
indicateur portent la couleur du résultat obtenu pour la campagne culturale concernée. Ce support
est à la fois simple (6 indicateurs seulement), robuste (au sens où il repose sur des bases
agronomiques solides) et très visuel (de par les couleurs des indicateurs). Il s’adresse aux
agriculteurs en termes de kilos d’azote perdus et aux acteurs du monde de l’eau en concentration
en nitrate, en rendant transparente la correspondance entre les deux même si elle est entachée
d’incertitudes, et contribue à la « traduction » évoquée plus haut. Il permet ainsi à l’ensemble des
acteurs du territoire de se rendre compte facilement des résultats obtenus, de contribuer au
diagnostic et d’en débattre directement, pour finalement participer véritablement aux décisions
d’orientation du projet de territoire.
Accompagner la transition agroécologique touche à toutes les dimensions des situations de travail
de l’agronome
L’exemple cité pointe de nombreuses spécificités du métier de l’agronome-animateur qui
accompagne la transition agroécologique sur un territoire :
• Le type même de situations à construire, à animer et à articuler, cela pour mener à bien les
différentes étapes du processus de conception dans lequel les agriculteurs sont embarqués
mais aussi pour soutenir le dialogue territorial ;
• Sa posture, réflexive plus que prescriptive ;
• Les mandats qu’il prend en compte, en lien avec les services agroécologiques visés et les
attendus des acteurs du territoire ;
• Les publics auxquels il s’adresse : l’ensemble des agriculteurs volontaires ou non, mais aussi
acteurs non agronomes issus de collectivités locales ou de la société civile ;
• L’espace large (et parfois contraint) et le temps long dans lesquels elles s’inscrivent ;
• Les savoirs et les questions agronomiques à discuter, qui portent sur les résultats mesurés
ou observés, attendus et obtenus au champ autant que sur les pratiques mises en œuvre.
61
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Conclusion
A travers les différentes séquences proposées lors de cette journée, de nombreux aspects des
rôles, compétences, savoirs et savoir-faire des agronomes dans des contextes de transition
agroécologique ont été expérimentés et évoqués. Cette journée invite à réfléchir sur les façons de
prolonger et approfondir tous ces points. Poursuivre l’expérimentation et l’analyse de situations
concrètes pourrait être un moyen de faire émerger et capitaliser sur des situations types et des
savoirs clés mobilisés dans l’accompagnement de la transition agroécologique. Dans la mesure où
nous avons constaté que ce contexte amène des spécificités dans toutes les dimensions touchant
aux métiers de l’agronome, cela questionne la manière de construire et transmettre des
compétences aux multiples facettes. Cela semble déterminant dans la mesure où la transition
agroécologique implique des changements dans la façon de travailler et de voir les métiers
d’agronomes pour les agriculteurs, les animateurs, les conseillers. Aussi, il est incontournable que
les agronomes dans leurs différents métiers repensent leurs pratiques et leurs manières de faire.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Remerciements
− à l’ensemble des participants de l’atelier « être agronome dans un contexte de transition
agroécologique » du 31 mars 2022 à Brienon-sur-Armançon (Yonne, Bourgogne –Franche-
Comté)
− à Benoît LEPRUN, agriculteur à Mercy (Yonne), pour nous avoir prêté son champ, pour son
précieux temps et son dynamisme, ainsi qu’à ses collaborateurs de la Sep de bord et du GIEE
éponyme
− à Edith FOUCHER, François AVEZ, Arnaud DELESTRE (Chambre d’agriculture de l’Yonne) pour
leur soutien
− à Marianne CERF (INRAE), Bertrand OMON (Chambre régionale d’agriculture de Normandie),
Marie-Noëlle GUILLOT, Paul OLRY (Institut Agro Dijon) pour les réflexions & productions
réalisées dans le RMT Champs & Territoires ateliers (2020-2022) et le RMT Systèmes de culture
innovants (2008-2019)
− à François KOCKMANN, dont les apports en agronomie systémique rayonnent toujours et
encore en Bourgogne …
− au programme WATERAGRI https://wateragri.eu/#
− à la REGATE de Brienon-sur-Armançon (Régie d'Equipement et de Gestion de l'Assainissement
et de Travaux des Eaux)
− au Conseil départemental de l’Yonne, à l’Agence de l’eau Seine-Normandie
− au Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation pour son soutien financier au RMT Champs &
Territoires ateliers, via le compte d’affectation spéciale développement agricole et rural
(CASDAR).
Bibliographie
Cerf M., Guillot M-N., Olry P., 2009. Construire l’expérience en ressource pour l’action : une formation-action
de conseillers agricoles face au changement de paradigme en agriculture. SFER, Colloque « conseiller en
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Cerf M., Omon B., Barbier C., David O., Delbos C., Gagneur C.A., Guillot M.N., Lusson J.M., Minas A., Mischler
P., Olry P., Petit M.S., 2012. Les métiers d’agent de développement agricole en débat : Comment accompagner
des agriculteurs qui changent leur façon de cultiver ?, Colloque « Vers des systèmes de culture innovants et
performants : De la théorie à la pratique pour concevoir, piloter, évaluer, conseiller et former », Innovations
Agronomiques 20, 101-121.
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le métier de conseiller ou animateur en agronomie, RMT Systèmes de culture innovants, 64 pages.
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travail réels des conseillers, Livrable action 2, Rapport final du CASDAR 5365 CHANGER, 31 pages.
Chizallet M., Prost L., & Barcellini F., 2020. Supporting the design activity of farmers in transition to
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Coquil X., Pailleux J.-Y., Lusson J.-M., 2022. TRANSAE – Accompagner le développement de l’activité de travail
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Ferrané C., Reau R., Prost L., 2020. Qualité de l’eau en aire d’alimentation de captage : gestion dynamique
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Guillot-Robert M-N., 2015. Apprendre, tenir et reprendre le métier : entre expériences vécues et conception
continuée de formation : conseiller les agriculteurs en grandes cultures. Thèse de doctorat en Sciences de
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63
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
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Evaluation des émissions de nitrate par les champs pour la conception de projets de territoire et
l’accompagnement de la transition en aires d’alimentation de captage. Innovations Agronomiques 57, pp 1-
11.
64
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Jérôme Mousset*
* ADEME
Résumé
La transition énergétique du pays aura des impacts forts sur l’évolution des systèmes de production
agricole, et concerne l’ensemble des filières de production actuellement présentes. Il s’agira de
réduire, ou dans certains cas de supprimer la dépendance des exploitations agricoles aux énergies
fossiles, et par ailleurs de contribuer à la réussite du déploiement des énergies renouvelables en
France. Si cette transition énergétique est incontournable pour le monde agricole, les enjeux pour
l’agronomie sont multiples. Les objectifs sont de développer ou réinventer des systèmes de
production moins dépendant aux ressources fossiles (carburants, intrants…), d’intégrer une
production d’énergie renouvelable dans les exploitations agricoles et les territoires ruraux en
trouvant les bons équilibres avec les fonctions agricoles, et d’évaluer au mieux les services rendus
et impacts des installations d’énergies renouvelables dans les écosystèmes. Il est ainsi probable que
la transition énergétique nécessaire du pays contribue à transformer en profondeur les systèmes
agricoles comme ça a déjà été le cas avec l’arrivée massive de l’énergie en agriculture dans la
deuxième moitié du XX siècle. Face à ces changements inévitables, les métiers d’agronomes sont
au cœur de ces réflexions, et ont un rôle essentiel pour contribuer à guider ces évolutions dans des
approches globales et systémiques.
Mots-clés : Energie, Énergies renouvelables, Agriculture, changement climatique
Abstract
The energy transition will have strong impacts on the French agriculture. It concerns all the
production sectors. It implies reducing, and in some cases eliminating, the dependence of farms on
fossil fuels, and contributing to the successful deployment of renewable energies in France. While
this energy transition is unavoidable for the agricultural sector, the challenges for agronomy are
multiple. The objectives are (i) to develop or reinvent production systems that are less dependent
on fossil resources (fuel, synthetic fertilizers, etc.), (ii) to integrate renewable energy production
into farms and rural areas by finding the right balance with agricultural functions, and (iii) to
evaluate the services provided and the impacts of renewable energy facilities to ecosystems. It is
thus likely that the country's necessary energy transition will contribute to the in-depth
transformation of agricultural systems, as it was already the case with the massive arrival of fossil
energy in the second half of the 20th century. Agronomists have an essential role to play in
integrating these inevitable developments in global and systemic approaches.
Keywords : Energy, Renewable energy, Agriculture, Climate change
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Introduction
L'urgence climatique et la nécessité de reprendre en main notre souveraineté énergétique
appellent à réduire notre consommation d’énergie et à développer les énergies renouvelables
(EnR) à un rythme jamais égalé (2022, Programmations pluriannuelles de l’énergie). Le cap est clair,
il faut accélérer la réduction de nos consommations d’énergie et le développement des énergies
renouvelables qui deviendront la principale source d’énergie. Ainsi, dans tous les
scénarios « Transition(s) 2050 » étudiés par l’ADEME, la part des EnR dans l’approvisionnement
énergétique en 2050 est comprise entre 70 % et 88 %. A cet horizon, le fossile disparait pratiquement
du mix énergétique en 2050. C’est en effet une des conditions nécessaires à l’atteinte de la
neutralité carbone.
L’agriculture se trouve souvent au centre de multiples débats de la transition énergétique et
écologique du pays. Les enjeux pour ce secteur sont majeurs, multiples, complexes et dépassent
très largement les questions d’énergie (biodiversité, stockage carbone, réduction des gaz à effet
de serre, pesticides, alimentation…). Les orientations des systèmes agricoles ne peuvent
s’appréhender que dans le cadre d’approches globale et systémique permettant de prendre en
compte l’ensemble des dimensions environnementales, économiques et sociologiques de ce
secteur. C’est bien sous ces principes que l’orientation des systèmes alimentaires et agricoles a été
abordée dans les scénarios « Transition(s) 2050 » étudiés par l’ADEME (ADEME, 2022. Transition
2050).
Parmi ces enjeux, l’impact de la transition énergétique sur les systèmes agricoles est néanmoins
une question spécifique à part entière. La crise énergétique actuelle met en exergue la fragilité des
modèles économiques construits sur des importations d’énergie à bas coût, et souligne la nécessité
d’accélérer la transition énergétique. Pour le monde agricole, les transformations attendues pour
les prochaines années sont probablement des bouleversements de même ampleur que ceux
observés dans les dernières décennies du XXe siècle avec l’utilisation massive de l’énergie. Aussi, si
l’utilisation de l’énergie en agriculture a conditionné et orienté en profondeur les modèles agricoles
des précédentes décennies (mécanisation, intrants, systèmes hors sols, transport…), il va sans dire
que cette transition énergétique va réorienter à nouveau en profondeur les systèmes agricoles.
Difficile de prévoir quel sera exactement le modèle énergétique des exploitations agricoles en
2050, mais il ne pourra être que faiblement dépendant aux ressources fossiles, pour certains
totalement autonome, et pour la plupart contributeur au mix énergétique du pays.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Pour atteindre ces taux, une forte réduction de la consommation énergétique est incontournable,
avec un objectif de réduction de 50 % d’ici 2050 par rapport à la référence 2012. Le développement
des EnR et la réduction de la consommation permettront de réduire notre recours aux énergies
fossiles, dont l’objectif fixé dans la loi est de -40 % d’ici 2030, par rapport à 2012.
La transition énergétique et l’objectif de neutralité carbone en 2050 transforment et vont continuer
à transformer en profondeur l’ensemble de notre société. L’accélération des EnR permet en partie
de relocaliser sur notre territoire la production d’énergie et représente donc aussi un atout de taille
pour l’économie et la création d’emplois locaux, notamment dans les zones rurales. Ainsi, le poids
des EnR dans l’économie française s’est accru : elles sont ainsi à l’origine, en 2019, de 10,3 Md€
d’investissement et de 107 000 emplois en équivalent temps plein directs, soit une hausse de 21 %
par rapport à 201724. Dans le cadre de France 2030, la France prévoit par ailleurs d’investir près d’un
milliard d’euros pour soutenir l’innovation et le développement sur le territoire français
d’entreprises de fabrication d’équipements d’énergies renouvelables, dont 500 M€ pour
l’innovation et 400 M€ pour l’industrialisation.
Cette vision de long terme doit permettre aux entreprises, et notamment à l’agriculture de
s’investir en confiance dans la transition. Néanmoins, au-delà des aspects techniques et
économiques, cette transition profonde du modèle énergétique de la société pose aussi la question
clé de son acceptabilité sociale par l’ensemble de la population et des acteurs économiques et
notamment du monde agricole. L’appropriation des objectifs de la transition par les citoyens et les
acteurs économiques constitue donc aussi l’un des enjeux stratégiques des prochaines années, et
une des conditions de réussite de ces transformations nécessaires.
24
https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/4764-marches-et-emplois-concourant-a-la-transition-energetique-
dans-les-secteurs-des-energies-renouvelables-et-de-recuperation-des-transports-terrestres-et-du-batiment-residentiel.html
67
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
En 2015 cette activité représentait un chiffre d’affaires d’1,4 milliard d’euros soit l’équivalent de 2%
du chiffre d’affaires de l’agriculture française. Ce chiffre d’affaires était essentiellement porté par
la biomasse, pour 1 milliard d’euros, suivi du photovoltaïque, pour 109 millions d’euros, de la
méthanisation et de la biomasse chaleur, pour respectivement 88 et 85 millions d’euros et, dans
une moindre mesure, 34 M€ pour la mise à disposition d’espaces permettant l’installation
d’éoliennes. Ces premiers résultats soulignent que la transition énergétique est déjà une réalité
pour le monde agricole, et qu’elle constitue aussi une opportunité économique avec des filières en
développement.
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AGRONOMES
Les analyses prospectives mettent en évidence un potentiel important de développement des EnR
en agriculture. La production d’énergies renouvelables pourrait être multipliée par 2 à l’horizon
2030 (et 3 à l’horizon 2050) grâce au développement de la méthanisation, du photovoltaïque et de
l’éolien notamment. Ces perspectives de fort développement se renforcent avec la crise
énergétique, la volonté politique d’accélérer le développement des EnR et le dynamisme
d’innovation sur ce secteur. Par ailleurs, les sondages montrent un réel intérêt des agriculteurs pour
les EnR. Un récent sondage réalisé par l’ADEME montrait par exemple que 74% des agriculteurs
estiment pouvoir réduire les émissions de gaz à effet de serre générées par leur exploitation, et
qu’un agriculteur sur deux envisage des projets EnR sur leur exploitation.
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AGRONOMES
très dépendante des énergies fossiles, alors que l’objectif de neutralité carbone en 2050 nous
oblige à limiter drastiquement l’utilisation de telles ressources.
De multiples solutions aussi bien technologiques qu’organisationnelles existent et permettraient
de réduire significativement la consommation énergétique du secteur agricole. Le potentiel de
réduction a été évalué entre 26 à 45 % à l’horizon 2050 selon le niveau de déploiement des solutions.
Concernant les consommations de carburant agricole, les économies d’énergie sont principalement
possibles par la mise en œuvre de pratiques du sol simplifiées (labour moindre, travail des sols
moins en profondeur), de nouvelles associations de cultures et de la modification des modes
d’élevage des herbivores. Pour les productions animales, deux orientations se dessinent et se
développeront conjointement, l’une basée sur des systèmes d’élevage principalement « en
bâtiment » utilisant les technologies économes en énergie (ventilateurs économes, récupérateur
ou échangeur de chaleur) et l’autre basée sur des systèmes d’élevage avec plus de phases en
extérieur pour les animaux (limitant les consommations des bâtiments). Enfin, l’autonomie
énergétique des exploitations pose aussi la question de la réduction de consommation d’engrais
de synthèse, et donc la réintroduction des légumineuses dans les assolements, le pilotage fin de la
fertilisation azotée et la valorisation des déchets organiques.
Ces évolutions indispensables amènent des modifications profondes sur le fonctionnement du
système de production dans son ensemble. On retrouve d’ailleurs dans la plupart des orientations
les principes de l’agroécologie.
Conclusions
La transition énergétique et écologique du pays est en cours, et va s’accentuer dans les prochaines
années. Toutes les analyses confirment le rôle essentiel et stratégique de l’agriculture pour la
réussite de cette transition. La neutralité carbone ne peut pas être atteinte sans une contribution
forte de ce secteur !
Parmi les multiples enjeux, la question spécifique de la transition énergétique amène des
changements en profondeur des systèmes agricoles tant pour sortir de leur dépendance aux
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Bibliographie
Ministère de la Transition Ecologique et de la Cohésion des Territoires, 2022. Programmations
pluriannuelles de l’énergie (PPE). https://www.ecologie.gouv.fr/programmations-pluriannuelles-
lenergie-ppe
ADEME, 2022. Transition 2050. https://transitions2050.ademe.fr/
ADEME, 2022. Marchés et emplois concourant à la transition énergétique dans les secteurs des
énergies renouvelables et de récupération, des transports terrestres et du bâtiment résidentiel.
https://librairie.ademe.fr/changement-climatique-et-energie/5841-marches-et-emplois-concourant-
a-la-transition-energetique-dans-les-secteurs-des-energies-renouvelables-et-de-recuperation-des-
transports-terrestres-et-du-batiment-residentiel.html
ADEME, 2022. Photovoltaïque et terrains agricoles : un enjeu au cœur des objectifs énergétiques.
https://presse.ademe.fr/2022/04/photovoltaique-et-terrains-agricoles-un-enjeu-au-coeur-des-
objectifs-energetiques.html
ADEME, 2019. Agriculture et efficacité énergétique. https://librairie.ademe.fr/changement-
climatique-et-energie/912-agriculture-et-efficacite-energetique.html
ADEME, 2018. Agriculture et énergies renouvelables. https://librairie.ademe.fr/energies-
renouvelables-reseaux-et-stockage/1545-agriculture-et-energies-renouvelables.html
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Introduction
La méthanisation est une technologie essentielle à la transition énergétique et climatique selon
Solagro, qui travaille dans ce domaine depuis 1981. Portée comme un levier de l’agroécologie, la
méthanisation est en plein essor en France : environ 1000 sites ont été recensés au 1er janvier 2021
et une centaine de projets sont en cours d’installation. Solagro se positionne de cette manière :
« [Le modèle de méthaniseur] que nous préconisons n’est ni le modèle intensif des élevages bovins
sans pâture, ni celui des monocultures de maïs où le méthaniseur se substitue aux animaux d’élevage ».
Bien que porteuse d’espoir, tant dans le monde agricole que celui de l’énergie, la méthanisation
suscite également de nombreuses interrogations. De ce fait, la communication autour de la
méthanisation a une place importante, tout comme le développement des compétences par
rapport à cette dernière. Des formations commencent à émerger en France, comme le certificat de
spécialisation “Responsable d’une unité de méthanisation agricole” du lycée agricole de Périgueux.
Cependant, les places peinent à être pourvues, bien que l’acquisition de ces compétences soit un
véritable avantage lors du montage d’un projet de méthanisation.
Dans l’atelier organisé par Solagro, l’ENSAT et l’Association française d’agronomie (Afa), nous nous
sommes intéressés aux compétences liées à un projet de méthanisation et plus largement : quels
sont les effets de la transition énergétique en cours sur les métiers et compétences des
agronomes ?
Nous verrons dans une première partie la dynamique propre à la méthanisation dans la transition
énergétique en agriculture. Dans un second temps, nous verrons les compétences liées au montage
d’un projet de méthanisation en s’intéressant au cas concret de Ariège Biométhane : de
l'émergence du projet à l’activité du méthaniseur. La troisième partie abordera la place des
agronomes dans un projet de méthanisation. Enfin, dans une dernière partie, nous nous
demanderons comment, au-delà de la méthanisation, les agronomes peuvent soutenir la transition
énergétique, et avec quelles fonctions et compétences ?
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opposition des riverains tout comme peuvent l’être d’autres installations d’énergies renouvelables.
Ces oppositions sont dues aux craintes liées aux accidents, aux nuisances olfactives, et d’autres
éléments encore liés pour la plupart à un manque d’information du grand public sur le sujet.
Il existe également des critiques liées à l’agronomie, notamment autour de la matière organique
apportée par le digestat. En effet, le manque de recul sur l’impact des apports de digestats sur le
taux de matière organique et la santé des sols pose question : la part de matière organique
apportée par le digestat serait-elle équivalente à la matière organique apportée directement par
des résidus de couverts végétaux ? L’utilisation de cultures intermédiaires à vocation énergétique
(CIVE) ne contribuerait-elle pas à appauvrir les sols où ces CIVE seraient implantées ? Les conditions
d’épandage du digestat sont également sources de questionnements : comment faire pour limiter
au maximum le lessivage du digestat épandu ? Faut-il épandre du digestat sur sol nu ou sur des
cultures ? En effet, la méthanisation produisant un digestat riche en azote, phosphore et potassium
(les concentrations dépendent de la proportion des intrants injectés dans le méthaniseur) et en
matière organique, celui-ci doit être manipulé avec précaution pour limiter les fuites d’azote et la
pollution des milieux.
Enfin, la méthanisation, au travers de son fonctionnement, met en place une dynamique entre
plusieurs acteurs. Nous verrons par la suite que l’installation d’une unité peut créer des emplois
locaux et valoriser des effluents pour la production de gaz ou de chaleur et d’électricité pour les
redistribuer au niveau local.
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réseau de distribution.
Par la suite, il a fallu trouver le site d’implantation. Deux sites ont été retenus, l’un nécessitant 6,3
km d'installation de conduite de distribution, l'autre seulement 2,8 km. La deuxième option fut
favorisée mais les relations avec les habitants et municipalités alentour se sont très vite tendues.
En effet, le projet a connu une très forte opposition jusqu'à aller en justice. C’est donc le premier
site qui a été retenu, qui est le site actuel de Ariège Biométhane. Le projet a été davantage accepté
par les habitants et la municipalité, et a donc pu avancer avec pour maître d'œuvre Arkolia et pour
assistant maître d’ouvrage Solagro.
Les travaux ont alors débuté en janvier 2020, les premières matières premières étaient mises dans
le digesteur en mars 2021, et les premiers Nm3 de biométhane étaient injectés dans le réseau en
avril 2021. Une fois le projet réalisé, Ariège Biométhane a été cité comme exemple d'intégration par
une association environnementale locale, ce qui vient contraster avec la forte opposition
rencontrée sur le premier site d’implantation.
25
Nm3 = unité de mesure de quantité de gaz qui correspond au contenu d'un volume d'un mètre cube, pour un gaz se trouvant
dans les conditions normales de température et de pression
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Avec cette charge de travail énorme, les exploitants disent eux-mêmes qu’une personne de plus
sur l'exploitation leur permettrait de travailler plus confortablement, d’autant plus que la charge
mentale est également importante. A l’inverse, le fait d’être seulement deux décideurs et de ne pas
inclure les autres agriculteurs dans la gouvernance a été mis en avant par les exploitants, puisque
cela leur permettait de prendre les décisions rapidement lors de l’avancement du projet.
Figure 1 : Visite du méthaniseur avec Maxime Durand lors d’un atelier de réflexion en décembre 2021
(crédits :Ariège Biométhane ©Solagro)
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distribué par mail une fiche récapitulative de l’exploitation agricole et de l’unité de méthanisation
pour faciliter les discussions.
L’atelier s’est poursuivi sur le site du lycée agricole de Pamiers, en présence de 16 personnes aux
profils variés et invités par Solagro et l’Afa. Nous avons choisi de diviser en deux groupes de 5
personnes et un groupe de 6 personnes. Après une courte introduction, un premier travail de
groupe a été mené autour du scénario Négawatt. Ensuite s’est déroulé un world café autour des
compétences de l’agronome afin d’accompagner un projet de méthanisation. Ces compétences
étaient divisées en 3 sujets différents : la gestion des intrants et des extrants, le développement du
projet ainsi que sa maintenance, puis la gestion administrative, économique, accompagnées de la
communication. Enfin, la journée se terminait par un dernier atelier sur les compétences de
l’agronome nécessaires pour participer à la transition énergétique. Nous allons décrire par la suite
les compétences qui sont ressortis de ce world café.
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● Enfin, le scénario prévoit une réduction drastique des émissions de GES. Une réduction
compatible avec l’objectif de limiter l’élévation moyenne de la température de la terre à +1,5°C
en 2100.
Suite aux discussions de l’atelier, plusieurs questions se sont posées quant au réalisme des efforts
de sobriété qui sont mis en avant dans le scénario. Est-il possible de réduire de plus de moitié la
consommation énergétique française ? Cela impliquerait une baisse du Produit Intérieur Brut
français, les politiques y sont-elles prêtes ? Sommes-nous capables de revoir entièrement notre
manière de vivre et engager un changement sociétal ?
Il est à supposer que cette réduction se fera majoritairement par des contraintes : le levier semble
plus important pour les industriels et les collectivités, qui accepteraient davantage de nouvelles
réglementations, plutôt que des particuliers qui refuseraient de toucher à leur confort personnel.
Néanmoins, la prise de conscience progressive du réchauffement climatique par la population va
favoriser certains aspects du scénario. Par exemple, la nouvelle génération étant très sensibilisée
aux problématiques environnementales, la sobriété sera d’autant plus facilement acceptée.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
L’éducation et la communication auront aussi un rôle important à jouer dans cette transition
énergétique.
Il a également été relevé que cette dimension de sobriété viendrait naturellement avec le
développement de l’économie circulaire. En effet, il faut que chaque consommateur d’énergie se
rende compte de son empreinte énergétique, se réapproprie et se rapproche des sources d’énergie
qu’il utilise. Cela permettrait de boucler les cycles des matières sur un territoire local : par exemple,
la méthanisation de l’unité Ariège Biométhane contribue à la mise en place d’une économie
circulaire puisque les déchets agricoles et alimentaires locaux sont utilisés pour la production de
biométhane, qui est ensuite utilisé dans les bâtiments publics, tels que le lycée de Pamiers. Il est
cependant nécessaire d’être vigilant à qui récupère la valeur ajoutée de ces nouvelles installations.
Pour l’exemple de la méthanisation, il faut que la valeur ajoutée revienne aux porteurs de projet, et
non aux politiques.
Concernant le mix énergétique présenté par le scénario négaWatt, il a été relevé qu’il sera sûrement
difficile d’atteindre l’objectif de quasiment 100% renouvelable. Cependant, l’essor des surfaces
photovoltaïques semble possible, par la disponibilité de nombreuses toitures ou ombrières
industrielles. Des panneaux peuvent également être mis en place chez des particuliers, et le
développement de l’agrivoltaïsme est également en marche.
Le scénario prévoit un fort développement de la méthanisation d’ici 2050. Cet essor peut être
favorisé par le tri des biodéchets des particuliers qui sera rendu obligatoire en 2025. Concernant les
organismes produisant une quantité importante de biodéchets, l’obligation de les faire valoriser
est en vigueur depuis 2012 (en passant par le compostage ou la méthanisation par exemple).
Bien que ce scénario négaWatt soit réalisable, il ne sera pas forcément la voie choisie par les
politiques françaises. Cependant nous pouvons dire que, peu importe le chemin choisi, les
ingénieurs agronomes et autres seront sollicités dans les changements qui s’opéreront. Les
compétences citées dans le tableau 1 seront utiles à chacun, et, chacun dans leur domaine, les
ingénieurs sauront faire preuve de polyvalence pour contribuer au mieux à cette transition vers une
énergie plus saine et plus durable.
Conclusion
Ce projet a été l’occasion d’étudier en profondeur et de prendre en main des thèmes d’actualité
comme le mix énergétique, la transition énergétique ou encore des pratiques méconnues et
controversées comme la méthanisation. Pour être en mesure de comprendre ces thématiques et
mettre en évidence les compétences nécessaires aux agronomes pour participer à la transition
énergétique, nous avons dû mobiliser une large palette de compétences allant de la synthèse de
documents scientifiques, à de l’animation et de l'agronomie.
En ce qui concerne la transition énergétique, lors de nos recherches et entretiens nous avons pu
identifier plusieurs compétences incombant aux agronomes. Tout d’abord, il est apparu qu’il était
compliqué pour l’agriculture de réduire sa consommation d’énergie, cependant elle pouvait être
partie prenante de la transition énergétique en produisant de l’énergie.
La production d’énergie n’est pas nouvelle sur les exploitations agricoles, depuis une quinzaine
d’années les panneaux photovoltaïques ont fait leur apparition sur les toits des bâtiments
d’élevage ou de stockage. De la même façon, le nombre d’unités de méthanisation a été multiplié
par 10 depuis 10 ans selon GRDF, une centaine en 2009 contre plus de 1084 en 2021 (GRDF, date non
connue).
Dans le but de poursuivre ces développements, les agronomes doivent être en mesure de connaître
les filières énergies et les opportunités qu’elles offrent aux agriculteurs. Ainsi l’agronome doit avoir
la capacité de développer un projet à l’échelle de l’exploitation avec une vraie synergie entre la
production d’énergie et la production agricole (animale ou végétale) associée. De plus, le porteur
de projet sera dans l’attente de connaissances globales aussi bien économique, technique,
agronomique que réglementaire ou administrative. L’agronome doit donc être en mesure
d’orienter l’agriculteur vers les spécialistes concernés.
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Même si lors des ateliers, il est apparu comme compliqué de réduire la part d’utilisation de l’énergie
par l’agriculture, certains points d’amélioration ont été identifiés avec les compétences de
l’agronome correspondantes. Ces points d’amélioration reposent sur des connaissances
agroécologiques afin de réduire l’utilisation d’engrais azotés de synthèse ou encore en réduisant le
travail du sol afin de consommer moins de carburants. Pour développer les deux pratiques citées
précédemment il est nécessaire pour l’agronome de créer des groupes de travail et de les animer,
les connaissances de communication et logistique sont donc indispensables.
Collectivement malgré des créneaux limités pour préparer la journée, nous avons été très satisfaits
de préparer et d’animer la journée d’échanges qui était l’aboutissement de nos efforts. Nous avons
aussi pu nous forger un avis sur la méthanisation, un sujet encore clivant dans le monde agricole.
Les différents professionnels que nous avons rencontrés nous ont tous apporté volontiers des
connaissances et retours d’expérience qui nous ont permis de construire la journée d’animation, la
présentation et ce rapport de la meilleure des manières. Nous les en remercions.
Remerciements
Nous tenons à remercier Maxime et Sébastien Durand pour le temps qu’ils nous ont consacré ainsi
que pour leur énergie. Cette visite a permis à tous les participants de l’atelier de voir un cas concret,
sur lequel nous nous sommes appuyés lors de nos ateliers de l’après-midi.
Bibliographie
Association négaWatt, Scénario négaWatt 2022 (2021), disponible sur :
https://negawatt.org/Scenario-negaWatt-2022 (consulté le 06/01/2022)
Association négaWatt, Scénario négaWatt 2022 : Graphiques dynamiques (2021), disponible sur:
https://negawatt.org/scenario-2022/ (consulté le 06/01/2022)
Solagro, Domaine d’intervention : Méthanisation, disponible sur : https://solagro.org/nos-domaines-
d-intervention/methanisation (consulté le 06/01/2022)
Daniel Salmon, La méthanisation dans le mix énergétique : enjeux et impacts :
http://www.senat.fr/commission/missions/la_methanisation_dans_le_mix_energetique_enjeux_e
t_impacts.html (consulté le 10/11/2021)
GRDF, (date non connue) Projet méthanisation : la dynamique du marché : https://projet-
methanisation.grdf.fr/la-methanisation/la-dynamique-du-marche (consulté le 06/01/2022)
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
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Résumé
Les technologies numériques, qui transforment l’organisation et les pratiques de tous les secteurs
d’activité, diffusent également en agriculture, mais à un rythme moins soutenu que dans la finance,
la santé ou l’industrie. Le déploiement de ces technologies chez les agriculteurs est encore
tributaire de leur preuve d’intérêt et de leur coût. Le métier d’agronome quant à lui a déjà
considérablement évolué grâce au numérique, tant au niveau de la recherche, que de
l’accompagnement des producteurs. Le numérique contribue et contribuera au même titre que
d’autres leviers à relever les nombreux défis agricoles actuels et futurs.
Mots-clés : transition numérique – agriculture – agronomie – technologies émergentes – usages
numériques
Introduction
La transition numérique, qui traverse l’ensemble des secteurs d’activité, constitue un des facteurs
importants d’évolution de l’activité agricole dans les années à venir, et ce d’autant plus que de gros
investissements en recherche et recherche-développement vont contribuer à des innovations
technologiques. Depuis 2015, une dynamique s’est traduite par la structuration de plusieurs projets
nationaux : l’institut Convergences Agriculture Numérique Digitag26 porté par INRAE, le Réseau
Mixte Technologique de l’agriculture numérique NAEXUS27 porté par l’ACTA, et le réseau de
startups La ferme digitale28 qui regroupe des entreprises innovantes de l’AgTech en France. La
transition numérique est par ailleurs considérée par le gouvernement français comme une des
solutions pour accélérer la transition écologique29.
➢ 26
https://www.hdigitag.fr/
➢ 27
https://numerique.acta.asso.fr/
➢ 28
https://www.lafermedigitale.fr/
➢ 29
https://agriculture.gouv.fr/france-2030-agroecologie-et-numerique-letat-investit-65-millions-deuros-dans-un-nouveau-programme
➢ 30
L’Alliance H@rvest regroupe Télécom Paris, AgroParistech, UniLaSalle, Terres Inovia, Agreen Tech Valley et SystemX
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- La préparation des générations futures par une offre pédagogique renouvelée pour les
métiers de l’agriculture connectée.
Si on parle beaucoup de transition numérique aujourd’hui, c’est parce que la technologie évolue
très vite, tant du côté du matériel (miniaturisation, longevité et capacité des batteries, diminution
des prix), que des outils logiciels et architecture (virtualisation et orchestration, Edge, intelligence
artificielle) ou des radiocommunications (accès et débit, ondes et antennes). Et le développement
des usages engendre également un besoin de sécurisation avec des solutions de cybersécurité
robustes (pour la détection, la protection et la restauration, mais aussi l’évaluation des risques et
de la vulnérabilité). C’est ainsi tout le système de digitalisation qui progresse, à la fois dans une
dynamique de coopération (biens communs numériques) et dans une dynamique de compétition
(difficulté de convergence des standards de communication et des protocoles informatiques dont
l’absence de normalisation gêne l’interopérabilité entre applications gérant des data).
La 5G et l’intelligence artificielle
Aujourd’hui, la 5G se veut être le couteau suisse de la communication. Même si l’objectif initial de
cette technologie de remplacer tous les protocoles existants s’éloigne, la 5G va cependant
permettre le dialogue entre les différents protocoles qui vont continuer à co-exister et favoriser le
développement de l’intelligence artificielle. Cette approche va permettre des usages différenciés
des différents protocoles, la 5G étant utilisée là où les débits de données seront les plus élevés. La
5G va permettre de développer des activités nouvelles qui ont des contraintes fortes de temps ou
de fiabilité. Elle va permettre le passage à l’échelle, d’une part sur le nombre de messages à
échanger, d’autre part sur la taille des messages.
L’intérêt majeur est le développement des applications fonctionnant en réseau, pour répondre à
des besoins d’usagers. L’architecture qui se met en place s’organise en trois niveaux : le niveau
cloud, le niveau connexion et le niveau capteur.
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Mais l’avenir de la 5G pour les usages en agriculture reste dépendant de la couverture haut débit
de l’ensemble du territoire, les zones blanches étant encore très nombreuses dans les zones rurales
françaises. Le développement des objets connectés en agriculture s’appuie actuellement sur les
réseaux bas débit, de faible coût et peu énergivores.
La blockchain
Cette technologie va permettre de décentraliser les décisions, car elle apporte à la fois visibilité,
confiance et consensus dans un monde sans confiance au sein d’un réseau d’individus qui ne
veulent pas d’un pouvoir centralisé. Il s’agit en fait d’un livre de comptes distribué et partagé où
toute donnée n’est plus modifiable ou supprimable. La blockchain permet ainsi de connecter les
usagers et les valeurs de manière sécurisée.
La promesse de la blockchain est de faire passer l’internet de l’âge de l’information à l’âge des
valeurs et d’envisager de nouvelles applications disruptives sur le web.
Le cœur de la blockchain est un registre répliqué qui n’autorise que l’ajout irréversible de données
(pas de suppression, pas de modifications). Les données contenues dans ce registre se doivent
donc d’être cohérentes et sont validées avant d’entrer dans la base de données, où elles sont
protégées et datées.
De nombreuses applications sont en développement et en agriculture, les applications les plus
importantes sont la gestion des données sur les récoltes stockées pour permettre de minimiser les
pertes après récolte et la traçabilité de la qualité des produits « de la fourche à la fourchette » (en
particulier pour garder la preuve de l’origine du produit). En revanche, la blockchain a encore peu
d’intérêt pour des données de production, au regard du coût monétaire et environnemental de
cette technologie.
La cybersécurité
La contrepartie des nouvelles technologies numériques favorisant de nouveaux usages est
l’exposition accrue aux cyberattaques. La cybersécurité représente ainsi un des enjeux majeurs de
la transition numérique, car la massification de la circulation des données offre aux cybercriminels
de nouvelles opportunités.
Aussi, la culture de la cybersécurité doit se développer dans toutes les organisations pour s’assurer
que les protections sont mises en place face aux vulnérabilités et aux menaces.
En agriculture, ce sujet reste peu pris en compte, les données numériques dans les entreprises
agricoles n’étant pas encore massives, mais le développement de l’automatisation dans les ateliers
de production (chauffage dans les bâtiments d’élevage ou en serres, robots et bientôt véhicules
autonomes) peut être source de chantage au sabotage. De même, la diffusion des données de
récolte (volumes et qualités) en temps réel via la connexion des moissonneuses batteuses peut
faire l’objet d’un piratage pour divulgation ou falsification, ce qui peut créer des accidents dans le
prix des matières premières. L’agriculteur ne pourra pas assurer seul sa protection et devra
s’associer des services spécialisés.
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- La production et la valorisation de data, sans qu’on soit encore pour autant dans le big data
en agriculture.
FIGURE 3 : LES EXEMPLES D’OUTILS ET D’APPLICATIONS TESTÉS PAR LES DIGIFERMES DEPUIS 2016
Certaines des technologies testées ne sont malheureusement pas développées à grande échelle
car la balance coût/bénéfice n’est pas assez intéressant. Avec un coût financier minimal et une
consommation en énergie faible, les réseaux bas débit (Sigfox, Lora) tirent ainsi leur épingle du
jeu (réseau de communication utilisé par les stations météo connectées).
Dans un contexte de changement toujours plus rapide, les outils numériques permettent d’être
plus réactifs face aux aléas climatiques, aux évolutions de prix et de réglementation.
En R&D, les outils numériques sont utilisés pour perfectionner l’acquisition de référence via la
mobilisation de capteurs. Le phénotypage à haut débit dans le cadre de la sélection variétale en
est un bon exemple. Des capteurs peuvent aussi servir à mesurer de la biodiversité in situ pour
limiter le bouleversement de la faune lors de mesures, et ainsi fiabiliser les données obtenues.
Dans les fermes, le numérique permet d’améliorer le pilotage tactique des cultures (à l’échelle de
la campagne). A terme, il permettra aussi d’améliorer le pilotage stratégique des exploitations
(projection sur plusieurs années). L’objectif commun étant d’améliorer la multiperformance des
entreprises agricoles, comme la viabilité économique, environnementale ou encore sociale.
Les outils d’aide à la décision (OAD) sont aujourd’hui couramment mobilisés pour accompagner les
agriculteurs dans leur choix. L’agronome a aussi à disposition des simulateurs ou calculateurs pour
obtenir simplement et rapidement des données sur des phénomènes complexes comme le
stockage de carbone.
Le numérique n’est en aucun cas un substitut à l’agronome. C’est un outil supplémentaire dans son
sac à dos pour compléter et appuyer son expertise. Dans le cas des OAD, le mot « aide » illustre
parfaitement ces propos. Ces outils permettent à l’agronome d’avoir des yeux sur des phénomènes
invisibles comme l’évolution de certains bioagresseurs (mildiou de la pomme de terre, septoriose
du blé...). Il pourra s’aider des sorties de modèles pour réaliser ses propres conseils. L’interprétation
relèvera toujours de sa responsabilité.
Le numérique contribue et contribuera au même titre que d’autres leviers à relever les nombreux
défis agricoles actuels et futurs.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Les risques et freins à la transition numérique qui doivent être considérés dans le métier
d’agronome
Dans certaines zones agricoles, le manque de couverture du réseau reste un frein au
développement du numérique. Actuellement, il reste encore des zones dites blanches sans
couverture, limitant le déploiement de certains outils.
Plus généralement, le frein à l’utilisation du numérique est l’absence d’interopérabilité. On observe
sur le marché une multiplicité de technologies qui ne communiquent pas entre elles. Ce problème,
déjà observé dans l’agroéquipement, s’explique par des enjeux commerciaux qui complexifient le
processus d’interopérabilité. La saisie et la resaisie des données sont des étapes très chronophages,
qui pourraient être surmontées par l’interopérabilité des services.
Un autre frein important au développement du numérique dans l’agriculture est le coût parfois
important des innovations. Si un coût élevé est acceptable lors de la création de prototypes, une
démocratisation de leurs usages passera par une baisse de prix associée ou non à des aides
publiques. La connaissance de la plus-value de la technologie est une information indispensable à
son positionnement sur le marché.
La R&D est plus à même d’utiliser des technologies chères car plus perfectionnées.
Enfin, une dernière résistance à la transition numérique est la propriété des données. Lorsqu’une
entreprise vend un outil numérique à un agriculteur, à qui appartient les données produites ? Au
fournisseur de l’outil ? Au producteur de données ? Pour que les agriculteurs ne soient pas
prisonniers du système numérique qu’ils utilisent, il faut encadrer cette production et utilisation de
données. Pour cela, le CASDAR MULTIPASS31 a travaillé sur une chaîne de consentement afin de
mettre à disposition des producteurs et des valorisateurs de données agricoles, un écosystème de
gestion des consentements des agriculteurs. Dans le cadre d’utilisation de données numériques, il
faut que l’agronome s’assure du consentement de l’agriculteur qui est le premier maillon dans la
fourniture de données.
Concernant les dangers, une exploitation étant une entreprise comme une autre, elle est exposée
aux cyberattaques. C’est pourquoi l’agronome doit être conscient de ce risque numérique et
sensibiliser les agriculteurs. Il peut être lui-même victime de ses attaques. Et comme tout utilisateur
de solutions numériques, il doit utiliser un dispositif de cybersécurité adéquat pour ses propres
outils.
Un autre risque à l’emploi du numérique se trouve dans l’utilisation intensive des outils qui peut se
traduire par une forme d’addiction. L’impact social de cette transition numérique n’est pas à
négliger. Dans certains cas, elle a permis de sortir de l’isolement des producteurs en partageant et
en communiquant plus facilement entre eux, mais dans d’autres cas, le flux quotidien et
conséquent d’informations peut submerger l’utilisateur. L’agronome doit ainsi rester grandement
vigilant pour que les mails reçus quotidiennement et en nombre ne prennent en aucun cas le dessus
sur les activités de terrain. Il est important que le terrain reste la priorité d’un agronome via des
visites, des tours de plaines, etc. L’expertise agronomique ne s’apprend pas en restant derrière un
bureau !
En conclusion, il faut que l’agronome garde en tête que le numérique doit répondre à un besoin,
à des objectifs précis. Dans un environnement avec des contraintes de plus en plus fortes, il faut
inventer, déployer des outils utiles et utilisables pour qu’au final, ces outils soient utilisés.
31
➢ https://numerique.acta.asso.fr/multipass/
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AGRONOMES
Introduction
Dans le cadre de la 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, portant sur "Être
agronome dans un contexte de transitions”, plusieurs ateliers ont été organisés en France. Quatre
grandes transitions ont été abordées, notamment : (i) la transition alimentaire, (ii) la transition
écologique, (iii) la transition énergétique, et (iv) la transition numérique. Notre travail porte sur
cette dernière à travers l’organisation d’un atelier, à Bordeaux Sciences agro le 01 mars 2022 visant
à l’échange entre différents acteurs, principalement issus du territoire girondin. Le témoignage
d’un agriculteur du réseau MaïsAdour fortement impliqué dans l’utilisation des outils numériques
dans la gestion de sa ferme a été la clé d’entrée des discussions. Trois axes principaux ont été
abordés : la transition numérique chez les agriculteurs, chez les organismes de conseil et chez les
formateurs agricoles. Ces trois sujets ont été abordés et analysés en suivant la grille proposée en
Figure 1. Les résultats de ces discussions seront ici reportés par la suite.
Figure 1 : Grille d’analyse des trois axes de discussions : la transition numérique chez les agriculteurs, chez
les organismes de conseil et chez les formateurs en agronomie
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agronomiques, ces outils apportent des données qui servent d’appui aux décisions agronomiques
(adaptation au changement climatique, modulation intra parcellaire, diagnostic d’hétérogénéité,
…). Ces données peuvent supporter des prises de décision, par exemple le déplacement des
cultures dans de nouvelles zones de production qui prendraient compte de l’évolution des
changements climatiques. Selon le témoignage de l’agriculteur présent à l’atelier, les outils
numériques sont aussi essentiels pour déterminer l’orientation stratégique agronomique. Plus en
détail, l’homogénéisation des parcelles est ressentie comme essentielle pour diminuer le coût de la
main d’œuvre et stabiliser les performances agronomiques à l’aide des outils numérique du type Be
Api (logiciel d’agriculture de précision qui permet un diagnostic d’hétérogénéité intra-parcellaires
afin d’adapter sa modulation). Le numérique fournit aussi des outils qui facilitent la gestion
d’entreprise, avec un gain de temps de travail (commerce en ligne, location et suivi du matériel,
transactions, traçabilité, comptabilité, contrats avec la coopérative, entre autres).
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AGRONOMES
des modèles numériques, on constate que les agriculteurs, par précaution, ne suivent pas
complètement ces résultats. Cette stratégie est plus une réaction de précaution que de défiance
vis-à-vis du modèle.
Pour ce qui concerne la formation, l’offre de formation est clairement insuffisante. À cela se rajoute
une problématique liée à la saisonnalité et temporalité en agriculture : les périodes les plus propices
à la formation car permettant des formations concrètes en présence des cultures, sont aussi les
plus chargées pour les apprenants. De plus, la formation est en général vécue comme une
contrainte et non comme une opportunité par les salariés agricoles. Le principal problème reste
donc de motiver les salariés à participer à des actions de formation. Des actions de sensibilisation
des salariés agricoles à la formation continue sont nécessaires. De plus, les salariés attendent des
formations très concrètes et très opérationnelles qui ne sont pas toujours proposées par les
fournisseurs. Concernant les agriculteurs, la contrainte principale est nettement un manque de
temps pour participer aux formations et se former aux fonctionnalités complètes. Même si
l’utilisation du numérique n’entraine pas une dégradation des compétences agronomiques des
agriculteurs, les salariés maîtrisant le numérique, au contraire, sont souvent trop focalisés sur les
résultats générés automatiquement et leur accordent une confiance excessive et en oubliant
parfois les réalités agronomiques.
D’autres limites identifiées, mais plus ponctuelles, concernent le manque d’interopérabilité entre
les différents outils numériques, ainsi qu’une trop forte charge de saisie des données, parfois
redondantes (données parfois saisies plusieurs fois pour différents outils).
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renforcés via des contacts amont des activités d’enseignement, ou via le partage des connaissances
des publics différents (par exemple, les spécialisations AgroGER et AgroTIC à Bordeaux Sciences
Agro, qui rassemblent à la fois les enseignants et les étudiants des différents domaines). Afin de
dépasser les craintes des agronomes, il faut les convaincre que le numérique n’est qu’une boîte à
outils à leur service (et pas le contraire). L’utilisation de plus en plus courante de ces outils avec la
pandémie pourrait être une clé d’entrée pour certains enseignants évoluant vers une utilisation du
numérique pour l’agronomie. Enfin, il faut que les écoles d’agronomie se questionnent sur la
nécessité de rendre les compétences liées au numérique une obligation au panel de compétences
des futurs agronomes. Cela ne peut se faire qu’en définissant de manière communautaire un
référentiel de compétences transversales versus de compétences propres au métier de
l’agronome. On pourrait donc définir un itinéraire d’apprentissage, en identifiant les stades où
l’utilisation du numérique pourrait apporter des bénéfices pour la formation des futurs agronomes.
Remerciements
Nous tenons à remercier Arnaud Tachon, agriculteur dans les Landes, passionné d’agronomie et de
technologie, qui, par son expérience, a nourri la réflexion du groupe de l’atelier sur l’évolution des
activités et des compétences des différents métiers d’agronomes.
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« As-tu mangé du riz ou pas encore ? » (« Kin khao lêou reu yang ») est la salutation matinale thaïe
pouvant illustrer le propos central de cet ouvrage qui considère l’alimentation comme un vecteur
de relations et d’engagement dans la société. Les trois auteurs principaux, chercheur socio-
économiste et ingénieurs agronomes, y partagent leur vision de l’alimentation à l’occasion du
dixième anniversaire de la Chaire Unesco Alimentations du Monde à l’Institut Agro Montpellier.
Dans ce point d’étape au riche contenu, ils nous incitent à repenser nos alimentations dans toutes
leurs dimensions (biologique et nutritive, sanitaire, sociale, environnementale, économique,
culturelle et hédonique), mais aussi nos liens aux autres et donc nos sociétés.
L’argument central des auteurs est qu’une écologie de l’alimentation qui « s’ancre dans le double
registre d’une science des relations et d’un engagement politique » permet de revisiter de manière
originale « les mots d’ordre » de l’alimentation durable, tout en nourrissant les démarches
citoyennes engagées pour la transformation des systèmes alimentaires. L’étude de l’alimentation
est « nécessairement écologique », rappelle Claude Fischler dans la préface, et l’ouvrage arrive à
point nommé pour éclairer le lecteur sur un sujet situé au cœur de plusieurs grands enjeux et
bouleversements contemporains et qui, étant éminemment intersectoriel et transdisciplinaire,
permet de relier les connaissances (notamment agronomiques) entre disciplines. Face à l’urgence
d’agir, le lecteur agronome pourra notamment réfléchir à son rôle, ses pratiques et ses interactions
afin de promouvoir l’émergence de la « nutrition bio-sociale » agro-écosystémique durable
proposée ici.
L’ouvrage est structuré en cinq parties composées d’une succession de courts essais d’experts
(avec plusieurs dizaines d’auteurs et de nombreux renvois de l’un à l’autre), illustrés par des
exemples du monde entier et quelques figures ajoutant peu de contenu au texte. Ce livre
intéressera nombre d’étudiants ainsi qu’un large public curieux des questions d’alimentation
durable. Certains chapitres sont de courtes synthèses des connaissances acquises puisées dans la
littérature, notamment les publications antérieures de la Chaire alimentations du monde. Ce format
ne permet pas d’approfondir l’argumentation interdisciplinaire, mais le lecteur trouvera une riche
bibliographie à la fin de chacun des thèmes abordés. Un travail d’édition plus rigoureux, améliorant
la concision du style et éliminant les répétitions, aurait certainement rendu la lecture de l’ouvrage
encore plus agréable.
La première partie traite de l’alimentation vue comme relations, à soi (préservation de la santé,
expériences sensorielles, construction d’identités, « optimisation de soi » entre normes, injonctions
et préférences individuelles), puis aux autres (pour s’inscrire dans un collectif, comme moyen de
médiation et de différenciation entre groupes) dans le second chapitre, et enfin à la biosphère
(humains partie prenante de la nature, liens à l’espace et au vivant, artificialisation des paysages et
des agroécosystèmes façonnés par les types de besoins alimentaires) au chapitre 3.
La seconde partie propose un recul historique sur les grands enjeux du système alimentaire
contemporain pour souligner les limites des systèmes alimentaires industrialisés en matière de
durabilité, d’effets sur l’environnement, la santé, les cultures et les inégalités sociales dans un
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contexte d’individualisation croissante (au chapitre 7). Pour les auteurs, bien que très productif, ce
système en crise accentue une « rupture de liens » dans le réseau complexe d’interactions et
interdépendances alimentaires. L’agro-industrialisation de la production agricole décrite au
chapitre 4 aurait notamment pu fournir plus de données clés sur les effets négatifs des produits
transformés sur la santé (obésité, maladies liées aux pesticides, etc. Voir à ce sujet le témoignage
de P. Pointereau dans ce numéro). À partir de la thèse d’un livre récent sur la biomasse chez le
même éditeur, ce chapitre décrit au cours des deux derniers siècles le passage d’un régime
métabolique solaire à un régime minier. La production agricole devenant surtout une production
alimentaire de plus en plus marchande au siècle dernier suite à l’approfondissement de la division
du travail, la spécialisation, la standardisation des matières premières agricoles, l’explosion de la
consommation d’énergie fossile et des échanges permise par la diminution des coûts de transport.
Avec pour conséquence des mises en concurrence très inégales entre producteurs d’aliments.
Le chapitre suivant aborde l’évolution de l’offre alimentaire distribuée (évolutions technologiques,
et économiques, essor du numérique, mondialisation et concentrations dans le secteur
agroalimentaire), tandis que le chapitre 6 qui analyse l’évolution des habitudes de consommation,
nuance l’uniformisation des styles alimentaires mais souligne notre « distanciation » croissante à
l’alimentaire.
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l’accès des producteurs défavorisés au progrès technologique. Mais celui-ci ne peut plus se limiter
à une intensification classique basée sur la variété cultivée et son paquet d’intrants associé face aux
problèmes environnementaux aigus actuels (émissions de gaz à effet de serre, dégradation des
terres, usages de l’eau et pollutions diverses). À l’heure de la crise énergétique, la concurrence
entre les usages alimentaires et non alimentaires (biocarburants, fertilisants, nouveaux matériaux,
etc.) des terres et de la biomasse produite n’est qu’effleurée (p.172). La place a sans doute fait
défaut pour discuter les usages actuels des productions végétales (notamment en alimentation
animale et agrocarburants) et leur possible changement afin de privilégier la consommation
alimentaire humaine pour augmenter les disponibilités en calories, jusqu’à 70% selon certains
auteurs.
Le chapitre 12 aborde la fortification des aliments pour lutter contre les carences en
micronutriments au moyen de la diversification des régimes alimentaires locaux. Sur cet aspect, au-
delà des solutions techniques de biofortification impulsées par des acteurs industriels et
commerciaux, les agronomes peuvent jouer un rôle important dans la réallocation des terres entre
différents systèmes de culture et de production. Les relations entre sols et nutrition, ainsi que
l’élaboration de la qualité des aliments au champ ne sont qu’effleurées (p.178).
Le chapitre suivant traite de la consommation de protéines végétales, du changement de statut de
l’animal et de la diminution souhaitable de la consommation alimentaire (ration calorique et part
des produits animaux) dans les pays industrialisés. Le chapitre 14 souligne que le gaspillage
alimentaire provient surtout d’une surproduction qui a dévalorisé le statut de l’aliment. Lutter
contre la précarité par l’aide alimentaire, mais aussi d’autres formes de solidarités et de démocratie
alimentaire adaptées aux contextes locaux, est l’objet du chapitre suivant. Le chapitre 16 analyse la
promotion du fait maison, pour ses atouts culturels et en lien avec la santé, mais avec une faible
valorisation des tâches fastidieuses en cuisine, il doit dorénavant affronter de nouvelles formes de
marchandisation des préparations culinaires dites « maison ». Le chapitre 17 est une invitation à
« prendre ses distances avec le local », pourtant restaurateur de liens de confiance, quand il
reproduit localement les dysfonctionnements constatés à d’autres échelles. Les auteurs nous
incitent ici à construire des hybridations entre approvisionnements locaux et plus lointains porteurs
d’ancrages territoriaux ici et là-bas. Enfin le pouvoir des « consom’acteurs » est abordé au chapitre
18 comme un des moteurs des transformations désirées, mais dont la puissance est bridée par les
contraintes matérielles, socio-économiques et politiques limitant les changements de
comportement chez certains groupes sociaux.
La cinquième partie traite des initiatives citoyennes qui inventent de nouvelles façons d’organiser
l’alimentation et reposent sur un système de valeurs renouvelé (chapitre 19). Les modèles
alternatifs d’entreprises, alliant économie sociale et solidaire coopérative et responsabilité, qui
expérimentent le « monde d’après » de l’alimentation sont décrits au chapitre 20. Tandis que les
auteurs relèvent ici le défi de leur nécessaire changement d’échelle, le lecteur agronome aurait
souhaité lire une présentation plus détaillée du type de nouveau partenariat avec les acteurs de la
production agricole que ces projets alternatifs territorialisés impliquent. Les rôles de la (trans-
)formation et d’une « recherche reliante » et finalisée (où l’on retrouve le motto « comprendre pour
agir » cher aux agronomes) faisant la part belle aux sciences de la complexité et à la durabilité, sont
rapidement abordés dans le chapitre 21. Un ultime chapitre examine la prise en compte de
l’alimentation en politiques locales ou nationales. Des exemples canadien et brésilien illustrent ici
les défis de l’intersectorialité et de la participation dans la construction de nouveaux rapports de
force ainsi que le changement des structures de gouvernance, avec en point de mire l’émergence
souhaitée d’une véritable « sécurité sociale de l’alimentation ».
À Erik Orsenna qui disait qu’en traitant d’un produit agricole il est possible de faire le tour du monde,
les auteurs de ce livre ajoutent en conclusion que « l’alimentation est une rencontre avec le monde
… tout le monde ». À la suite de cet intéressant jalon, au contenu largement « européo-centré », il
serait souhaitable que la Chaire alimentations du monde produise d’autres ouvrages de synthèse,
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AGRONOMES
Introduction
L’agronomie doit aujourd’hui élargir son paradigme au système alimentaire et non plus au seul
système agricole. En effet le changement des pratiques alimentaires tant sur les régimes que sur
modalités d’achat et de consommation offre des leviers importants pour induire et accompagner
le changement des pratiques agricoles et des productions. Il s’agit d’une profonde évolution du
métier d’agronome. L’agriculture de demain doit être en mesure de mieux répondre à la demande
alimentaire locale tout en intégrant les enjeux sociaux et environnementaux du territoire. Les
enjeux environnementaux sont nombreux et concernent la restauration de la qualité des eaux
largement contaminées par les pesticides et les nitrates mais aussi la rareté de la ressource en eau,
la restauration de la biodiversité ou la contribution à la production d’énergie ou de matériaux en
partenariat avec les collectivités locales, l’adaptation au changement climatique. Il s’agit de prendre
en compte les limites planétaires qui nous conduisent vers une réduction drastique de nos
émissions de gaz à effet de serre et une sortie des énergies fossiles d’ici moins de 30 ans.
Notre alimentation peut changer le monde et va continuer de modifier nos systèmes agricoles et
ses pratiques associées. Elle est bien un enjeu majeur car elle se trouve au carrefour des défis
environnementaux et de santé publique que nous devons relever. Elle concerne tout le monde et
la modifier est à la portée de tous. Le consommateur doit prendre davantage conscience de son
pouvoir et de l’acte politique que constitue le fait de manger trois fois par jour.
Les feuilles de route existent, il faut les appliquer. Ainsi, le quatrième plan national nutrition et santé
(Ministère de la santé, 2019) donne clairement la direction : manger plus végétal et des produits
non contaminés par les pesticides, réduire la part des produits ultratransformés. Il fixe des repères
qui concordent avec ceux de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) de l’ONU concernant la
surconsommation de protéines animales. Manger moins de viande mais de qualité, manger moins
de poisson et plutôt les espèces herbivores, privilégier les produits biologiques qui garantissent le
non usage de biocides, manger des produits de saison, cuisiner des produits bruts, privilégier le
local quand cela est possible, la voie est tracée.
Pour cela, le consommateur doit s’intéresser à ce qu’il mange, aux modes de production et à la
provenance de ses aliments, et l’agronome doit faciliter cette nouvelle ambition. L’agriculture et
les campagnes de demain auront le visage de ce que nous mangerons.
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de viande est la montée des résistances bactériennes aux antibiotiques telle que la souche de
staphylocoque doré résistante à l’antibiotique méticilline (SARM) découverte aux Pays-Bas en 2004
et ce malgré une tendance à la baisse de leur usage observée en France.
En France, on constate depuis plus de 30 ans une croissance continue des maladies chroniques que
l’on peut en grande partie expliquer par notre alimentation et nos pratiques agricoles. Plusieurs
études (Rebouillat, 2021 ; Sandoval-Insoti, 2022 ; Baudry, 2018 ; Lairon, 2020) montrent par exemple
que l’utilisation de pesticides ou la surconsommation de protéines sont directement responsables
de l’augmentation de certains cancers. En 2017, on a compté 530 000 nouveaux cas de maladies
cardiovasculaires diverses, 340 000 nouveaux cas de tumeurs malignes et 260 000 nouveaux cas
de diabète, soit un total de 1,1 million de nouveaux malades.
L’obésité et le surpoids sont un facteur de risque pour le diabète de type 2, les maladies cardio-
vasculaires et certains cancers. C’est pourquoi l’obésité est un bon marqueur des maladies
chroniques. Le pourcentage de français en excès de poids et obèses est passé de 32 à 47 % entre
1988 et 2012, et à 52% en 2017. C'est auprès des Français les plus jeunes que l'obésité a le plus
progressé ces dernières années, passant de 5,4 % en 2012 à 9,2 % en 2020 chez les 18-24 ans.
Figure 1 : Evolution des taux d’incidence du diabète (à gauche) et du taux d’incidence des cancers (à
droite) par classe d’âge en 2003, 2009 et 2017 – source base de données ALD - Assurance Maladie
Concernant les agriculteurs, la Mutualité sociale agricole n’a reconnu à ce jour que cinq maladies
professionnelles liées à l’utilisation de pesticides : la maladie de Parkinson en avril 2012, le
lymphome non hodgkinien en juin 2015, le myélome multiple et la leucémie lymphoïde chronique
en 2019 et le cancer de la prostate en décembre 2021. Ces reconnaissances toutes récentes sont le
résultat de l’expertise de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale publiée en 2013
(Inserm, 2013) et mise à jour en 2021 (Inserm, 2021) montrant notamment un excès de risque de
développer un cancer de la prostate, un myélome ou une leucémie chez les agriculteurs.
L’exposition professionnelle aux pesticides n’affecterait pas uniquement l’utilisateur mais pourrait
avoir un effet sur sa descendance. Il existe notamment une présomption forte d’un lien entre
l’exposition parentale et l’apparition de leucémies, de tumeurs cérébrales, de malformations
congénitales et de mort fœtale dans sa descendance. Les effets à long terme restent encore mal
connus.
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
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Pour le climat
L’empreinte carbone de l’alimentation humaine est l’un des facteurs clefs du dérèglement
climatique. Le système alimentaire mondial est en effet directement responsable d’un rejet massif
de gaz à effet de serre (GES : CO2, méthane et protoxyde d’azote) dans l’atmosphère et met en
danger l’habitabilité même de notre planète pour l’espèce humaine (Springmann et al, 2018).
En 2019 et en France, l’agriculture était responsable de 19 % des émissions territoriales de GES.
L’empreinte alimentaire d’un français représentait en 2012 24 % de l’empreinte carbone des
ménages en France au regard de l’empreinte carbone totale (CITEPA, 2022).
La production agricole représente les 2/3 de l’empreinte carbone totale de l’alimentation, soit 109
MteqCO2. Le méthane (CH4) pèse pour 44 % et le protoxyde d’azote (N2O) 34 % des émissions du
stade agricole et sont donc 2 leviers clefs sur lesquels il est nécessaire d’agir pour diminuer nos
émissions de GES (Barbier, 2019). Ils renvoient directement à la part carnée et lactée de notre
alimentation et mettent en lumière la non durabilité de nos pratiques agricoles.
D’après l’étude BioNutriNet piloté par l’Inrae (Baudry, 2019), l’empreinte carbone de notre assiette
actuelle sortie de ferme est égale à notre « quota » total d’équivalent CO2 de 2050, soit 1,86 t eqCO2
versus 1,9 t eqCO2. Ce qui ne n’est bien sûr pas tenable, car nous devons aussi cuisiner, nous
déplacer, nous chauffer ou nous vêtir.
Pour la biodiversité
Les auteurs du rapport de l’IPBES ont classé les cinq facteurs directs de changement qui affectent
la nature et qui ont les plus forts impacts à l’échelle mondiale et les changements d’usage des terres
et de la mer arrivent en première position.
En France comme en Europe, l'agriculture intensive est la première cause de déclin de la faune
sauvage. L'absence de prise en compte de l'environnement dans les pratiques agricoles a des
répercussions sur les ressources naturelles (pollution de l'eau, asséchement des rivières,
dégradation des sols, banalisation des paysages) et donc des conséquences sur la biodiversité :
diminution du nombre d’espèces notamment des spécialistes et modification de leurs
caractéristiques fonctionnelles (MNHN, 2020).
L’augmentation significative de la consommation de poisson dans le monde a entraîné une
surpêche qui menace la ressource en poisson dans nos mers et nos océans. 1/3 de la consommation
mondiale de poisson n’est pas soutenable d’après la FAO. Le poisson représente 8% des apports
protéiques des français avec une consommation de 33,5 kilos de poisson par habitant (la moyenne
mondiale est de 20,5 kg). Le pic de production des pêches françaises a été atteint en 1968 avec 730
000 tonnes pêchées (hors algues) contre 461 000 tonnes en 2020 (Solagro, 2022). En France, les 2/3
de la consommation de poissons sont importés. La surpêche pourrait entrainer à terme une
pression accrue sur la production de protéines animales terrestres. Le développement de
l’aquaculture marine (saumon) ou terrestre (crevette) contribue à amplifier les menaces sur la
ressource en poisson (utilisation de farine et d’huile de poisson) et sur l’usage terres (alimentation
à base de soja et céréales et destruction des mangroves).
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A laquelle s’ajoute de l’afforestation naturelle par abandon de parcelles les plus difficiles à travailler comme le montre l’extension
des surfaces forestières.
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sourcés ». Si ceux-ci ne sont pas des produits à base de bois ou des co-produits de l’agriculture
comme c’est le cas de la paille de chanvre par exemple ou encore l’amidon de maïs, mais des
productions dédiées, alors les surfaces destinées à la production alimentaire seront encore
réduites.
33 La France a importé, en moyenne sur la période 2010-2016, 4,3 Mt/an de soja représentant l’équivalent de 1,35 Mha. Source
FAO.
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produits végétaux34 consommés directement par les français représentent au final moins de 10%
des surfaces nécessaires pour produire notre alimentation soit environ 500 m2 par personne.
Demain la France pourra-t-elle satisfaire à la fois ses besoins alimentaires et non alimentaires ?
Rien n’est moins sûr. On peut dire aujourd’hui que la France dispose d’une marge de manœuvre de
9% de sa SAU correspondant au solde net export-import en équivalent surface. Elle est aussi en
capacité d’être autosuffisante en produits du bois. Cependant ce solde ne prend pas en compte le
déficit important en produits de la pêche que l’on pourrait tenter de convertir en équivalent
surface, ce qui aurait pour effet de réduire d’autant celui-ci. Ce solde est, de plus, entamé chaque
année par l’artificialisation des terres agricoles et l’augmentation de la population. Si rien ne change
il pourrait disparaître d’ici 2035. En outre, dans l’objectif d’une économie décarbonée, la pression
34 Blé panifiable, blé dur, fruits, légumes, légumineuses, oléagineux, vigne, betterave
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et la demande concernant les ressources en biomasse agricole et forestière ne vont que croître
d’autant plus si nous ne changeons pas notre modèle alimentaire et notre modèle de
consommation en général. Ainsi la France pourrait devenir importatrice nette de denrées issues de
l’agriculture avant 2050. La sobriété devra donc demain gouverner toutes nos actions et
notamment le travail de l’agronome.
35 La consommation de sel est trop importante (seulement 22% des adultes et 40% des enfants en consommaient moins de 6gr par
jour en 2015), celle de sucre est trop importante (plus d’un tiers des enfants consommaient au-delà de la recommandation d’un demi-
verre de boissons sucrées par jour) tandis que la consommation de fruits et légumes (42 % des adultes et 23 % des enfants en
consommaient au moins 5 par jour) et de fibres (seuls 13 % des adultes et 2 % des enfants en consommaient au moins 25gr)
109
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
36 Le Grenelle de l’environnement prévoyait un objectif de 20% des surfaces en bio en 2020, objectif qui n’a pas été atteint. L’objectif a
été ramené à 15% en 2022, objectif qui ne sera pas non plus atteint et à 25% en 2030 au niveau de l’Union européenne.
110
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
organiques et minérales devra être optimisés. Ils devront travailler à plusieurs échelles
simultanément tout en tenant compte à la fois des spécificités alimentaires et des spécificités des
systèmes de production locaux. Ils devront contribuer à faire connaître auprès des consommateurs
où et comment ont été produits les denrées agricoles notamment en maitrisant et en expliquant
les différents cahiers des charges existants.
Les agronomes devront élargir leur champ d’action en accompagnant les agriculteurs dans leur
trajectoire de transition afin qu’elle réponde à la demande alimentaire locale, au défi d’une sortie
des énergies fossiles, à l’adaptation au changement climatique, à la restauration de la biodiversité
sur leur ferme ou à la production d’énergie et de matériaux. Ils devront accompagner toutes les
nouvelles formes d’agricultures comme l’agriculture urbaine et ses micro-fermes (paysan-
boulanger, brasseur, maraîchers diversifiés en circuits courts, etc.) et la production d’énergie sur
les fermes (méthanisation, agri-voltaïsme, plaquette de bois issus des haies, etc.).
Il s’agit de redéployer une agriculture multifonctionnelle plus tournée vers les enjeux locaux et la
demande alimentaire locale que vers les marchés internationaux. A côté des savoirs techniques,
l’accent devra être mis aussi sur les capacités de médiation pour faire travailler ensemble tous les
acteurs.
Conclusion
L’alimentation de demain constitue le cap vers lequel il faut tendre de façon désirée et non subie
du fait des crises (climatiques, économiques, géopolitiques, etc.), moteurs de pénuries,
d'embargos, de rationnements. Car bien évidemment il ne s’agit pas d’appliquer le même régime
pour tous et d’oublier les spécificités agricoles et alimentaires locales.
L’État français et ses gouvernements successifs, mais aussi l’Europe et les Nations Unies (FAO,
OMS) se sont engagés à répondre aux grands enjeux de santé, d’environnement, d’alimentation et
d’énergie. Cependant la trajectoire de réduction des émissions de GES est aujourd’hui bien
insuffisante pour atteindre les objectifs du facteur 4 (réduire de 75% les émissions nationales de
1990 d’ici 2050) et le « zéro émission nette ». Nous sommes encore loin d’une sortie des pesticides
chimiques37 avec une croissance de 12% entre 2009 et 2016. L’objectif de stopper la perte de
biodiversité, prévu en 2010, reporté en 2020, n’est toujours pas atteint au vu du recul des espèces
sauvages dans l’espace agricole lié à une intensification des pratiques agricoles toujours à l’œuvre.
La diminution de notre empreinte environnementale va globalement de pair avec une amélioration
de notre santé comme par exemple la moindre consommation de protéines animales au profit de
plus de protéines végétales. Ainsi, nos choix alimentaires conditionnent à la fois la santé de nos
écosystèmes et celle des humains, en accord avec le concept global « One Health » (une seule
santé) avancé par l’ONU. Les différents scénarios, tel qu’Afterres 2050 qui cherche à intégrer tous
ces objectifs, montrent qu’ils sont atteignables à condition de développer une vision
intersectorielle pour relier alimentation, santé, agriculture, énergie, biodiversité et bouleversement
climatique. Pour autant un scénario ne règle pas la transition, ses moyens et sa vitesse. Le
changement de comportement du consommateur et l’accompagnement de l’agronome seront
bien sûr des leviers déterminants. Mais ces actions volontaires du consommateur/citoyen devront
être accompagnées par des politiques publiques intégrées et engagées, et un repositionnement
des acteurs de la filière alimentaire. Pour réussir, la mobilisation de tous les acteurs est nécessaire.
Tous ont leur rôle à jouer pour faire de l’évolution du système alimentaire et agricole un vrai levier
de la nécessaire transition vers une économie décarbonée et aussi de résilience face aux crises
climatiques, économiques, énergétiques.
La France a cette chance d’être un pays où l’alimentation compte. Les français aiment acheter leur
nourriture, cuisiner, manger en passant du temps à table. Et quand ils ne mangent pas, ils en
37 L’évolution est quantifiée à partir du NODU (nombre de doses utilisées) en millions d’ha de doses utilisées.
111
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
parlent ! Nous sommes un pays de gastronomie. D’ailleurs les américains ne comprennent pas
pourquoi en mangeant autant qu’eux, les français sont moins obèses (comparés à eux). C’est tout
simplement que toutes les calories ne se valent pas et que le plaisir de manger compte beaucoup
aussi, tout comme la façon dont sont produits nos aliments ou le temps partagé ensemble à table.
La nourriture relie les habitants de notre bonne vieille planète qui reste la seule habitable.
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112
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Suite au webinaire sur les enjeux et impacts de la transition alimentaire pour l’agriculture38 avec
Nicolas Bricas (Cirad, UMR MoISA) et Philippe Pointereau (Solagro), la question des effets de la
transition alimentaire sur les métiers et les compétences des agronomes a été travaillée au cours
d’un atelier des Entretiens Olivier de Serres le 30 avril 2022 à Clermont-Ferrand. Cet atelier était
organisé à et par VetAgro Sup avec le concours de l’Association française d’agronomie et de l’UMR
Territoires (AgroParisTech, Inrae, VetAgro Sup, Université Clermont Auvergne). Une quinzaine de
personnes y a participé : des chargés de mission de Projets alimentaires territoriaux, des porteurs
d’expérience invités à témoigner, des chercheurs et doctorants de disciplines différentes
(agronomie, géographie, sociologie et économie).
Au cours de cet atelier et après un cadrage général de ce dont on parle quand on parle de transition
alimentaire, deux situations ont été discutées. Chacune étant une illustration d’une façon dont on
peut saisir la place de l’agronomie dans les transitions alimentaires. Deux façons, deux situations,
deux illustrations qui ne sont pas exhaustives mais qui permettent d’intégrer la nécessaire
articulation des niveaux d’organisation des activités et qui s’appuient sur des points d’entrée
différents.
La première situation qui peut paraître paradoxale lorsque l’on s’intéresse à la place de
l’agronomie, repose sur le fait que la transition alimentaire n’est pas qu’un construit agricole. Ce
peut être et ça devrait être l’expression d’une demande du territoire, demande informelle ou
demande qui peut être construite au travers d’une politique publique. Les possibilités alimentaires
dans un territoire peuvent être constituées de la somme des produits mis sur le marché à l’initiative
individuelle des producteurs. Mais, construire une transition alimentaire dans un territoire sur la
base de l’offre risque de se traduire par une inadéquation avec les besoins du territoire (saisonnalité
des besoins, nature et qualité des produits). L’entrée choisie ici est celle de la place de l’agronomie
à l’échelle d’un territoire et autour de la construction d’une politique publique visant à définir une
demande alimentaire du territoire et à impulser une production en adéquation avec les besoins de
ce même territoire. L’illustration choisie est une association auvergnate de planification de
production légumière en vue de répondre au marché du demi-gros, Auvabio – Les producteurs bio
d’Auvergne (Aulnat, 63).
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
d’approvisionnement local ? L’entrée choisie ici est celle de la création d’activité avec une
inscription dès la conception du projet dans un objectif de débouchés de proximité. Nous aurions
pu mobiliser comme illustration des expériences d’espaces-test agricoles, des initiatives en lien
avec les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Nous avons choisi une
ferme multi-acteurs récemment mise en place aux portes de Clermont-Ferrand, la Ferme de Sarliève
(Cournon, 63).
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
issues de certains systèmes de production agricole (productions animales), réduire les rations
alimentaires tout en les diversifiant, préserver la santé des écosystèmes et agir sur les attitudes et
comportements alimentaires qui dépendent des dimensions sociales et culturelles.
A cette fin, un ensemble de politiques nutritionnelles ont été développées ces dernières décennies
pour répondre aux enjeux de santé des populations, de progression des maladies non-
transmissibles et des facteurs des inégalités sociales qui les activent. Ces politiques de santé
publique préventive ont été déployées en France depuis les années 2000 (Programme National
Nutrition-Santé). Elles sont restées longtemps assez sectorisées, ne tenant compte que de la
nutrition (alimentation et activités sportives) comme déterminant de la santé (Loudiyi, 2020). La
convergence avec la politique de l’environnement est visible sur les cinq dernières années,
notamment à travers les nouveaux repères nutritionnels (2017) où le lien santé-environnement se
traduit par des préconisations en termes de consommation renforcée de légumineuses et de
produits céréaliers moins raffinés, la réduction de la consommation de protéines carnées hors
volailles et de charcuteries (Loudiyi, 2020).
Par exemple, appliqué au territoire du Programme alimentaire territorial du Grand Clermont (Pôle
d’équilibre territorial et rural) et du Parc naturel régional du Livradois-Forez, le diagnostic prospectif
réalisé par Solagro (scénarios Afterres2050), envisage une nécessaire transition du contenu des
assiettes pour tendre vers un modèle plus soutenable. Cela repose entre autres sur l’introduction
dans le régime alimentaire de légumineuses et de fruits à coque, la réduction des portions de viande
ou encore la consommation des produits bruts dont l’exposition aux pesticides est réduite. Cela
impliquerait par exemple au niveau agricole, une diminution des cultures fourragères, l’ajout de
plus de 10 000 hectares de protéagineux, la réduction du troupeau bovin qui passe de 55 000 à 32
000 vaches, une augmentation de 4 000 hectares de production de fruits et légumes pour parvenir
à l’objectif des 50% d’autonomie alimentaire fixé pour le territoire à l’horizon 2050 (PNR Livradois-
Forez, 2018).
La transformation des régimes alimentaires a des implications directes sur celle des systèmes
alimentaires. Les premiers ne sont qu’une partie de la transition de l’ensemble des composantes
des seconds.
115
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
alimentaire. Ces politiques publiques font le pari que la proximité des acteurs est un ingrédient
incontournable pour résoudre la nouvelle équation alimentaire (Moragues-Faus and Morgan, 2015
; Morgan, 2009).
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
signifie ou pourrait signifier pour l’activité des agronomes. Deux questions leurs ont été posées.
Ensuite l’expérience d’Auvabio a été présentée comme illustration (encadré 1) avec une discussion
en regard du travail fait au préalable.
A la question, pour répondre à la demande alimentaire d’un territoire, quelles seraient les
connaissances nécessaires, la réponse proposée a été : être en mesure d’évaluer les effets des
changements de pratiques. Trois déclinaisons ont été proposées :
- avoir des connaissances sur les effets agronomiques et économiques pour l’exploitation afin
d’estimer le rapport bénéfices-risques ;
- produire des métriques en lien avec les processus agroécologiques qui permettent de poser des
ordres de grandeur des effets, d’aider à la décision ;
- produire des scénarios à éviter ou à mettre en avant comme outils d’argumentation et ou de
démonstration.
La question, pour répondre à la demande alimentaire d’un territoire, quels seraient les savoir-faire
que l’on attendrait des agronomes, a suscité plus de propositions :
- faire reconnaitre le besoin d’une expertise agronomique y compris pour des sujets dont l’entrée
est d’abord écologique – améliorer la capacité de dialogue avec d’autres disciplines et notamment
l’écologie ; faciliter l’identification des questions que peuvent traiter les agronomes ; visibiliser les
types d’agronomie, faire en sorte que l’agronomie ne soit plus perçue comme une boîte noire mais
que les non agronomes identifient l’existence de spécialisations possibles, de la plante au
territoire ;
- savoir porter un regard sur un système face à la difficulté d’isoler, en situation, une pratique seule
pour en mesurer les effets, cela devient d’autant plus prégnant quand on doit réfléchir à des
changements des systèmes-ferme, comme de la mixité de productions ou penser des équilibres au
sein des systèmes et questionner le rapport spécialisation/diversification ;
- collecter, dans les systèmes complexes, une information scientifique et en faire soit un support
d’aide à la décision, soit un élément de vulgarisation ;
- pouvoir raisonner, « designer » des assolements à l’échelle territoriale et pouvoir ensuite mobiliser
ce design pour de la planification ; design pouvant intégrer des cultures moins habituelles (ex.
légumes de plein champ dans des successions céréalières) et s’appuyant sur la prise en compte de
117
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
Il a été demandé aux participants de prendre connaissance de la carte et d’y positionner les endroits
pour lesquels un agronome pourrait intervenir puis de détailler les compétences qu’il aurait à
développer pour ce faire (photo 1). Face à la complexité de la carte tous les participants n’ont pas
travaillé sur les mêmes axes.
118
DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
De cet atelier transparait clairement que la transition alimentaire ne peut relever seulement de
l’initiative des producteurs. La dimension agroécologique de l’acte de production, si elle est
importante n’est pas suffisante. Parler de transition nécessite forcement de dépasser l’échelle des
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
fermes pour réfléchir à d’autres niveaux d’organisation : le pouvoir d’achat, la mobilité sont par
exemple des dimensions qui ne peuvent être mises de côté. Cela pose la question de la capacité
des territoires à se doter de dispositifs d’action collective (dont des politiques publiques) intégrant
l’ensemble des dimensions en lien avec l’alimentation. Dans la même logique, si les changements
individuels de comportement, si les engagements citoyens sont importants, ils ne peuvent suffire
et être un préalable.
Pour l’agronome, autour des systèmes alimentaires, il convient de distinguer les enjeux
territorialisés et a-territorialisés (ex. le recours aux légumineuses dans les habitudes alimentaires
est une question qui est aujourd’hui a-territorialisée - elle pourrait trouver une piste de réponse par
un travail avec les acteurs de la transformation pour augmenter la part des légumineuses dans les
recettes sans forcément s’inscrire dans les gammes commerciales des produits exclusivement
végétaux - ; en revanche elle gagnerait à être abordée de façon territorialisée pour lever les verrous
socio-techniques dans les filières concernées).
Par ailleurs, on retrouve ici la dialectique classique de l’agronomie entre l’expression d’un besoin
d’une part d’un agronome expert qui détient et apporte des connaissances scientifiques
spécifiques, objectivées et pointues, et d’autre part d’un agronome avec une vision globale et
systémique, facilitateur de la compréhension et fédérant différentes approches et disciplines.
Enfin, la dimension citoyenne dans les processus de transition se pose bien évidemment à
l’agronome dans le cadre de son activité. Ainsi son engagement, ce qu’il porte, ses valeurs vont
teinter son action et sa capacité à enrichir son bagage de compétences. L’agronome comme tout
acteur n’est pas neutre. Il doit donc développer dans son activité un regard réflexif lui permettant
de s’interroger autour de l’éthique de son action et d’être transparent sur les tenants et
aboutissants de son action (probité).
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DEUXIÈME PARTIE : TRANSITIONS SOCIOTECHNIQUES ET ÉVOLUTION DES ACTIVITÉS ET DES COMPÉTENCES DES
AGRONOMES
122
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Introduction
Dans un contexte de transitions en agriculture, la (re)conception des systèmes techniques est
essentielle pour répondre aux multiples enjeux actuels, en particulier : atténuer et s’adapter au
changement climatique, enrayer l’érosion de la biodiversité, produire et assurer la sécurité
alimentaire tout en réduisant fortement les intrants tels que les engrais et les produits
phytopharmaceutiques mais également l’eau et les énergies fossiles pour limiter les impacts
environnementaux. Les objectifs de chaque agriculteur ou groupe d’agriculteurs dans un territoire
donné peuvent également être divers : vivre de sa production et maintenir cette capacité de
production mais également contribuer au maintien de la biodiversité cultivée et sauvage, créer du
lien social, contribuer à une alimentation locale et à une transition agroécologique du territoire...
Le métier d’agronome est ainsi questionné par cette évolution des systèmes de culture et de
production, de manière très variable selon les situations et les niveaux d’organisation considérés
(exploitation agricole, filière, territoire) (Boiffin et al., 2022). Comment l’activité de conception de
systèmes techniques adaptés localement et répondant aux enjeux globaux actuels peut-elle
s’envisager dans un contexte de transitions agricoles ? Quelles connaissances et compétences sont
mobilisées et comment le sont-elles ? Quelles interactions sont nécessaires et comment se mettent-
elles en place ? Nous faisons l’hypothèse que de nouvelles situations professionnelles se
rencontrent actuellement ou sont en train d’émerger, qui questionnent l’agronome et son métier
pour concevoir les systèmes agroécologiques de demain.
Cet article présente les réflexions autour de ces questions débattues lors d’un atelier organisé dans
le cadre des Entretiens agronomiques Olivier de Serres 2021-2022 au Pradel (Ardèche) les 30 juin et
1er juillet 2022. Plus largement, il questionne le type de connaissances et d’expériences sur lesquels
s’appuyer et la façon de les intégrer dans des démarches de conception innovante vers des
systèmes plus résilients. Il questionne également l’organisation de la recherche et du
développement (R&D) en proposant de reconsidérer une approche parfois normative du conseil
au profit d’une démarche de co-construction et de co-développement dans laquelle l’agronome est
l’un des interlocuteurs de l’agriculteur. Nous avons ici essayé de définir le rôle et les compétences
attendues de ces agronomes.
123
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Le témoignage de Pierre Clerc qui a mis au point pas à pas la sélection et la conduite de ses variétés
anciennes, ou encore la présence de moutons et l’organisation du pâturage sur la ferme, ainsi que
la discussion qu’il a suscitée ont permis d’identifier les compétences attendues pour des
agronomes en situation d’accompagnement d’agriculteurs sur des fermes qui se diversifient et
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3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
innovent. Leur ordre de présentation n’est pas un rang d’importance : l’ensemble de ces
compétences est indispensable pour accompagner l’action dans des systèmes agricoles en
transition agroécologique.
Une vision globale de l’exploitation agricole dans son environnement, pour considérer
une diversité d’objectifs, de composantes et d’échelles
Ce sont la diversité des objectifs de l’agriculteur (ou du groupe d’agriculteurs), des espèces, des
variétés et des plantes associées à implanter et conduire, ainsi que celle des ateliers sur la ferme et
des circuits de commercialisation qui sont à considérer. Cette diversité permet d’être plus résilient
(‘on ne met pas tous ses œufs dans le même panier’) mais également d’organiser des synergies via
des associations d’ateliers ou de productions : par exemple, l’introduction d’animaux dans le verger
vise plusieurs objectifs tels que l’amélioration globale de la fertilité du sol et la gestion de certains
bio-agresseurs au-delà de l’installation d’un autre atelier de production sur la ferme.
Penser global inclut de considérer l’exploitation agricole et son environnement (physique, socio-
technique, économique) au-delà de la parcelle en culture, ainsi que les interactions aux différentes
échelles et entre échelles. Une vision globale, systémique, est donc nécessaire pour considérer ces
échelles et les interactions qu’elles embarquent, et pour évaluer l’effet du changement de certaines
pratiques ou de certaines composantes du système de production sur le système d’entreprise dans
sa globalité. Dit autrement, cela consiste à accepter et à travailler avec la complexité.
125
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
ainsi que la capacité à douter et à se remettre en question ! L’ouverture vers de nouvelles pratiques
nécessite également une résistance à l’échec et beaucoup d’humilité : les retours ne seront peut-
être pas à la hauteur des espérances ou de l’investissement. A contrario, comme illustré par
l’exemple de l’introduction de moutons en verger, le ‘bénéfice’ n’a pas été là où il était attendu
(gestion du carpocapse) mais il est trouvé dans plusieurs autres registres : gestion du campagnol,
diversité floristique et faunistique, présence animale...
126
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Figure 1 : curriculum vitae fictif d’agronome ayant un profil adéquat pour postuler à un poste
d’accompagnement à la conception de systèmes techniques dans un cadre de transition agroécologique.
127
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
et autres parties prenantes, par exemple dans le cadre d’ateliers (Jeuffroy et al., 2022) : lors de
sessions d’ateliers, un collectif d’agriculteurs, de personnes ressource et de parties prenantes peut
travailler des propositions pour l’un des systèmes de culture ou l’une des fermes du groupe,
propositions que l’agriculteur concerné reprendra (ou pas) et/ou adaptera sur sa ferme. Des
collectifs multi-acteurs peuvent également être amenés à discuter à l’échelle de leur territoire en
regard d’enjeux particuliers (l’eau, la biodiversité, le partage de l’espace entre usagers...).
L’agronome impliqué sera alors amené à faire dialoguer des personnes ayant différentes visions
vers un compromis ou une proposition satisfaisante pour tou.te.s. Des compétences biotechniques
mais également ‘sociales et communicationnelles’ sont ainsi indispensables (Cardona et al., 2018).
Cette démarche itérative embarque un nombre important et une diversité d’interlocuteurs, ce qui
amène Cardona et al. (2021) à identifier le rôle clé de l’intermédiation pour engager des transitions
fortes telles que la réduction de l’utilisation des pesticides.
Il est clair qu’il est difficile de réunir toutes les compétences et qualités évoquées ci-dessus chez
une même personne ! Au-delà des connaissances et méthodes –parfois originales ou inhabituelles-
à acquérir lors des formations initiale et continue, et des expériences professionnelles permettant
de comprendre les interactions en jeu à différents niveaux, un changement de posture de
l’agronome est crucial (Messéan et al., 2020) : la production de connaissances est de fait
hétérogène, distribuée, multi-acteurs et le rôle de l’agronome n’est plus du tout celui de
prescripteur ni de ‘sachant’ mais d’interlocuteur et d’accompagnateur (parmi d’autres) des
agriculteurs dans la démarche. Ceci demande en particulier de :
-Etre au fait du métier d’agriculteur dans ses différentes dimensions (chef d’entreprise,
technicien, agronome, commercial, gestionnaire de personnel et de budget…) pour
contribuer à évaluer la pertinence des options envisagées et la prise de risques ou les
contraintes qu’elles génèrent. Ce métier évolue lui aussi, avec en particulier une augmentation
d’agriculteurs associés sur la même ferme pour se répartir le travail et/ou gérer plusieurs
ateliers.
-Etre capable d’amener une posture réflexive du point de vue des agriculteurs : quelles envies ?
quels objectifs et quelles priorités ? quelles ressources sont mobilisables ? quelles innovations
peuvent y répondre et/ou quelles connaissances sont nécessaires pour construire ces
innovations ? comment les mettre en oeuvre ? qu’est-ce qui peut limiter ou renforcer chacune
de d’entre elles ? quels sont les risques à court et long termes ? quelles possibilités de revenir
en arrière ou d’infléchir les choix ? ... dans une ‘maïeutique agroécologique’.
-Identifier et savoir mobiliser des connaissances de nature diverse, issues de différents types
d’expérimentations, en particulier d’expérimentations système (plus proches des conditions
de production), mais également issues de l’expérience d’agriculteurs, de conseillers, de
naturalistes... pour co-construire des propositions ou évaluer des possibles. Ceci suppose bien
sûr d’interagir avec, voire d’impliquer, les personnes porteuses de ces savoirs.
-S’appuyer sur des méthodes, des guides, des outils pour accompagner la réflexion, en
structurant et outillant la démarche, que ce soit pour structurer et tracer la démarche, évaluer
la pertinence des choix, acquérir des données pour aider à la décision ou encore partager plus
largement l’approche en capitalisant à partir des expériences rencontrées (Messéan et al.,
2020) ; de nouveaux outils d’accompagnement existent ou se développeront, dont les outils
numériques : la digitalisation de l’agriculture est un des accélérateurs des évolutions et
contribue à un partage plus large des connaissances et des compétences.
-Permettre des apprentissages, une mise en réseau et une montée en compétences des
participants à la démarche de conception, afin de contribuer à leur autonomisation, par
exemple en travaillant en co-développement (Richard et al., 2020).
128
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Une telle posture demande du recul et de l’expérience. Dans le cas d’un agronome exerçant son
activité en solo, des personnes avec une expérience professionnelle limitée n’auraient
généralement pas le profil adéquat. Mais d’autres formes de travail peuvent s’envisager :
compagnonnage avec une personne expérimentée, formation continue sur divers modules
thématiques et méthodologiques, travail au sein de réseaux ou de communautés d’agronomes et
d’accompagnants de la transition agroécologique pour mutualiser compétences et expérience.
Ainsi, si un agronome expert d’un domaine donné peut contribuer ponctuellement à la conception,
l’accompagnement dans la durée est une composante essentielle de la conception pas à pas ou de
novo de systèmes agroécologiques innovants. Il est fortement probable que les agronomes
nouvellement formés exerceront plusieurs métiers lors de leur carrière professionnelle, mais la
construction de la transition agroécologique d’une ferme et sa mise en œuvre requièrent des temps
longs, des allers-retours dans la démarche et des adaptations chemin faisant : ce travail
d’accompagnement sera donc efficace dans la durée, avec des interactions plus ou moins
importantes selon les périodes mais un investissement conséquent au départ pour de
l’interconnaissance et la compréhension des attentes. Comme mentionné ci-dessus, la
capitalisation sur la démarche et l’autonomisation des agriculteurs sont indispensables pour
garantir la pérennité du travail, ce qui se construit également dans la durée. Ceci milite à la fois pour
des postes ouverts dans la durée (plusieurs années) et la possibilité à moyen terme de changer de
territoire ou de groupe à accompagner pour se renouveler sans changer de profil dans son métier.
Conclusion
Le métier d’agronome, et plus particulièrement d’agronome impliqué dans la conception de novo
ou pas à pas de systèmes agroécologiques demande ainsi des compétences transversales pour agir
avec une vision systémique, s’adapter en permanence face à l’accroissement des incertitudes
(dérèglement climatique, marchés, etc.), faire des propositions au cas par cas, en fonction du
contexte, ainsi que pour accompagner des collectifs et susciter de l’intelligence collective. Dans ce
cadre de conception innovante en situation, incluant évaluation multicritère et multi-échelle, des
compétences transversales et des approches transdisciplinaires sont indispensables, demandant
d’élargir encore plus la formation biotechnique d’agronome vers les sciences humaines et sociales,
le design, la géographie, la didactique... et/ou de reconsidérer les conditions d’exercice du métier,
non plus en accompagnant unique (par exemple, conseiller d’une structure) mais comme membre
d’un collectif d’accompagnants pouvant partager expérience, connaissances et compétences.
Remerciements
Merci à Rémi Jay-Rayon (LEGTA-Aubenas), Morgan Meyer (Mines ParisTech) et Isabelle Michel
(L’institut Agro Montpellier) pour leurs contributions aux échanges lors de l’atelier du Pradel.
Bibliographie
Boiffin, J., Doré, T., Kockmann, F., Papy, F., Prévost, P., 2022. La fabrique de l’agronomie, de 1945 à
nos jours. QUAE, Versailles.
Cardona, A., Lefèvre, A., Simon, S., 2018. Les stations expérimentales comme lieux de
production des savoirs agronomiques semi-confinés : Enquête dans deux stations
INRA engagées dans l’agro-écologie, S.A.C. Revue d'anthropologie des connaissances 12(2), 139-
170. https://doi.org/10.3917/rac.039.0139
Cardona, A., Cerf, M., Barbier, M., 2021. Mettre en œuvre l’action publique pour réduire l’usage des
pesticides : reconnaître les activités d’intermédiation, Cahiers Agricultures 30-33, 9 p.
https://doi.org/10.1051/cagri/2021020
Catalogna, M., Dubois, M., Navarrete, M., 2018. Diversity of experimentation by farmers engaged
129
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
130
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Cette contribution est issue de deux matériaux : d’une part un échange en groupe réalisé à
l’occasion du séminaire de synthèse des Entretiens Olivier de Serres 2022 portant sur la fonction
« Accompagner les agriculteurs », et d’autre part sur les expériences et réflexions des auteurs.
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3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
La nouvelle activité du conseiller agronome se décline donc aujourd’hui sur plusieurs registres ou
fonctions :
• Partager avec l’agriculteur accompagné les enjeux auxquels fait face l’exploitation, qui
concernent des biens privés et leur rentabilité, mais aussi de plus en plus souvent des
biens communs.
• Échanger à propos des processus biologiques. Un objectif de ce partage est de réaliser
des diagnostics agronomiques portant autant sur les effets du système productif vis-à-
vis d’enjeux plus globaux, que sur la production elle-même. Un second objectif est de
concevoir des systèmes économes en intrants pour contribuer à l’atténuation du
changement climatique. Un troisième est, dans le cadre de la démarche clinique en
agronomie, de mettre en perspective ce qui se passe en saison, du point de vue de la
production végétale ou animale.
• Proposer et partager des façons d’évaluer la maitrise du système et ses effets en termes
de durabilité. Cette évaluation est l’un des maillons nécessaires pour l’ajustement de la
conception « Pas à Pas » de leur systèmes de culture, de production plus largement.
(Meynard et al., 2012 ; Omon et Cerf, 2019)
Pourtant la situation aujourd’hui est loin d’être celle d’un basculement généralisé des forces vives
du « conseil » dans cette voie de l’accompagnement que beaucoup d’organismes, pourtant,
revendiquent.
La voie plus verticale de diffusion est encore dominante. Cette voie descendante est parfois
corrélée au poids de la norme publique et adminstrative dans certaines formes de ce qu’on l’on
nomme couramment « conseil d’optimisation » (déclaration PAC, Plan de fumure, Cahiers phytos
…). Elle peut se retrouver en contradiction avec une nécessaire approche systémique, une co-
construction. Elle est aussi souhaitée par des agriculteurs en capacité de décider, mais faisant le
choix de déléguer afin de mieux pouvoir s’impliquer sur d’autres domaines et compétences. Ainsi
même dans le cadre de la transition, la diffusion de systèmes « clés en main » est largement
envisagée. (cf Cerf et Omon, 2019, d’après Legall)
Mais cette voie « diffusionniste » ne permettra pas d’aller aussi vite et aussi loin dans la transition.
En effet le portage de la responsabilité pour celui qui conseille et diffuse le changement est lourd
et limite la vitesse et l’intensité de la transition (B. Omon pour APCA, 2018).
consensuelle des indicateurs de performances, des outils d’évaluation des pratiques et de leurs
impacts.
Le conseiller agronome doit maîtriser les processus de gestion de groupe :
• S’assurer de la pérennité de participation des acteurs,
• Tracer les efforts, les réalisations, les expérimentations conduites ensemble,
• Faire circuler l’animation, assurer la fluidité des échanges, identifier et dénouer les
nœuds de cristallisation des débats,
• Animer des constructions de scénarios collectifs,
• Croiser les regards aux différentes échelles de la parcelle au territoire,
133
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
par la réflexion agronomique alertera sur les effets négatifs concernant tel ou tel enjeu.
Dans le cas des territoires à enjeux, l’agronome animateur doit faire preuve de compétences
spécifiques. Il est incité à penser et superviser la collaboration en gardant la maîtrise et le pilotage
de l’accompagnement agronomique, mais en distribuant des tâches au service de la transition, en
intégrant les résultats au niveau de l’ensemble du territoire.
L’animateur du territoire a lui-même à développer une compétence dans les domaines de
connaissances en lien avec les enjeux du territoire (qualité des eaux, biodiversité…).
Il doit aussi assumer un rôle de médiation avec des multiples acteurs (collectivités, associations,
services techniques de négoces et coopératives, …) qui ont des niveaux différents de maîtrise des
enjeux et processus. Dans ce contexte, la recherche de compromis est une compétence précieuse.
Enfin certaines fonctions exercées par des agronomes accompagnateurs demanderont de savoir
maîtriser certaines tâches spécifiques. On peut citer par exemple :
- Conduire des diagnostics territoriaux,
- Conduire des évaluations multi critères,
- Estimer les impacts sociétaux d’un projet,
- Piloter l’approvisionnement d’une agglomération dans le cadre d’un Projet
Alimentaire Territorial,
- Faire des synthèses de textes réglementaires.
Et plus particulièrement pour des conseillers globaux d’exploitations agricoles, voire pour des
animateurs de CUMA :
- Calculer des indicateurs et ratio simples à l’échelle de l’exploitation,
- Accompagner le raisonnement des investissements nécessaires,
- Dimensionner des agroéquipements,
- Animer des analyses pour identifier les pointes de travail.
134
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
135
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Conclusion
Enfin, et peut être surtout, le conseiller agronome doit être capable de prendre du recul sur sa
pratique, de faire réflexivité sur sa propre activité en situation et sa propre évolution.
L’accompagnement des transitions dans le développement agricole conforte l’analyse des trois
métiers de l’agronome, développée par M. Sebillotte (2004), centrés respectivement sur la
parcelle, l’agriculteur qui pilote ses parcelles, et le territoire, avec une exigence de travail en équipe.
Par ailleurs, l’accompagnement des transitions renforce le rôle de l’agronome territorial dans sa
dimension de médiateur entre les agriculteurs, compris dans leur diversité, mais aussi entre les
agriculteurs et les autres acteurs territoriaux. L’accompagnement de la transition agroécologique
requiert aussi d’hybrider les savoirs techniques et pratiques, de co-construire avec les agriculteurs
sur le front des innovations dans un contexte fortement contraint par les réglementations et
fortement marqué par les incertitudes .
Bibliographie
Boiffin J.,Caneill J.,Messean A.,Trebuil G. 2022. Evolution des approches , méthodes et outils de
l’agronome , Chapitre 2 , pp 69-125 in Boiffin J., Doré T., Kockmann F., Papy F., Prévost P., coord.,
2022. La Fabrique de l’agronomie. De 1945 à nos jours, Éditions Quæ, Versailles, 498 p
Meynard J.-M., 2012. La reconception est en marche ! Conclusion au Colloque « Vers des systèmes
de culture innovants et performants : De la théorie à la pratique pour concevoir, piloter, évaluer,
conseiller et former », Innovations Agronomiques 20, 143-153.
Omon B., Cerf M., Auricoste C., Olry P., Petit M-S., Duhamel S., 2019. CHANGER – Echanger entre
conseillers sur les situations de travail pour accompagner les agriculteurs dans leurs transitions vers
l’agroécologie, Innovations agronomiques 71, 367-383, dx.doi.org/10.15454/rzkxfz.
Sebillotte, M., 2005. Agronomes et Territoires : les trois métiers des agronomes. Agronomes et
territoires, deuxième édition des Entretiens du Pradel, (Ed. Prévost P.), Paris, L’Harmatan, Actes du
colloque des 12 et 13 septembre 2002, pp 479-497
136
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Le témoignage de Richard Bonin est synthétisé dans les encadrés 1 et 2, qui rapportent deux
exemples d’animation de collectifs multiacteurs séparés par quelques années d’expérience et une
formation complémentaire de sa formation initiale (mastère spécialisé en politiques publiques à
Agroparistech). Les tours de table entre les participants de l’atelier ont permis d’identifier une
diversité de situations et de collectifs multi-acteurs au sein desquels des compétences spécifiques
sont nécessaires aux agronomes (tableau 1).
Que le collectif concerne une caractéristique du territoire dont l’évolution inquiète certains acteurs
(l’eau à Vittel, le loup en Ardèche, …), plusieurs enjeux dont la combinaison impacte la durabilité
des systèmes agraires locaux (Val de Saône, recouplage élevage-production végétale en région
Centre…), ou que le collectif s’élargisse via les questions alimentaires à une très large part des
habitants d’un territoire (PAT, …), il est généralement constitué de personnes « mandatées » par
diverses institutions (territoriales, politiques, techniques, …) et de personnes « concernées »
(citoyens, associatifs, agriculteurs … ) dont les intérêts ne sont pas toujours et a priori convergents
(loin s’en faut dans certains témoignages).
La capacité à identifier les acteurs « pertinents » et leurs postures vis-à-vis des questions posées
(colonne « problématique » du tableau 1) est pour l’animateur une première compétence que les
intervenants présents ont résumée autour de l’idée d’un diagnostic des acteurs.
Si les compétences agronomiques de Richard Bonin sont clairement sollicitées dans l’analyse des
systèmes d’élevage concernés par la future venue du loup auprès des interlocuteurs du monde de
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3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
l’élevage en Ardèche, elles ne sont pas limitées à l’aspect technique de l’analyse et elles ne
procèdent pas seulement d’un diagnostic expert appuyé sur l’expérience passée … car le loup n’est
pas encore là … les problèmes sont à venir ! Il doit donc être capable d’élargir le public de ses
entretiens aux associations naturalistes, aux chasseurs, aux élus du territoire, … et de tirer de
l’analyse du système territorial, que tous ces acteurs composent, l’identification des points de
tension qu’il va falloir résoudre pour rendre compatible l’élevage et le loup (cf encadré 1).
Cette capacité à étendre le système à analyser au-delà des limites de celui de son domaine
d’expertise propre peut s’appuyer sur des acquisitions en formation comme l’exercice du
diagnostic sociotechnique (par exemple, à l’occasion de terrains pédagogiques dans la DA PISTv à
Agroparistech, qui permet de formuler les différentes postures des acteurs, jouées ensuite dans
des jeux de rôle). Les intervenants du tour de table sont divisés sur l’intérêt de formuler cette
diversité par des typologies, compétence souvent bien intégrée par les jeunes agronomes, mais
comportant le risque de positionner de manière trop rigide les acteurs dans des postures figées.
On sent à cette occasion que dans la fonction d’animation du collectif, la compétence agronomique
propre de l’animateur s’équilibre avec la nécessité de faire s’exprimer tous les points de vue.
Dans la plupart des expériences cités par les participants, au-delà de l’identification des parties
prenantes et de leurs posture, l’animation des groupes vise souvent une formulation partagée du
diagnostic. La DA SITER à l’ISARA, par exemple, forme à l’écoute, y compris à « l’écoute » de ce qui
ne se dit pas ; à l’identification des acteurs et à la formulation de leur posture professionnelle ou/et
personnelle sur le sujet. Ces postures ne sont pas toujours représentées dans l’expression des
acteurs les plus diserts au sein des collectifs !
Plusieurs intervenants s’entendent pour dire qu’il faut que l’animateur-trice ait un minimum de
reconnaissance par les différents partenaires sur des actions antérieures « qu’il-elle s’en soit sorti-
e d’expériences précédentes », autrement dit qu’il-elle ait déjà constitué des expériences, des
réseaux (ne serait-ce qu’en stage) où aller pêcher éventuellement une assistance à cette
médiation. Celle-ci peut être exigée par des sujets où élargir la participation à un large panel
d’acteurs concernés est synonyme de conflits, de tensions, de désaccords. Dans plusieurs exemples
présentés, une équipe de recherche de l’INRAe a pu avoir cette position d’intermédiaire de
médiation, mais au fil du temps c’est sans doute une posture que Richard Bonin a acquise (encadré
2).
A ce stade voire même avant, une compétence clé de l’agronome en situation d’animation du
collectif est de contribuer à la problématisation fine des questions que posent les acteurs du
collectif. Cette capacité de traduire les questions en objectifs de travail en appelle tout autant à
des compétences acquises dans les formations « par » la recherche, qu’à la mobilisation de
modalités de choix équitables au sein du collectif pour identifier les questions … qu’il décide
éventuellement de ne pas traiter. Marc Benoît indique ainsi que dans le programme Vittel (cf
tableau 1), trois questions ont été explicitement laissées de côté (la plantation d’arbres, la forme
de l’azote, la qualité des produits). Il insiste au passage sur la nécessité d’apprendre à départager
les avis et à laisser des traces explicites des décisions prises au sein du collectif.
Les différentes expériences évoquées partagent souvent la nécessité d’élaborer des outils de
médiation permettant de partager une lecture commune de la situation (frise chronologique du
système alimentaire encadré 2), de tester différentes combinaisons de solutions « sans risques sur
le papier » (cartographie des assolements tableau 1 ligne 3), de « jouer sérieusement » des
situations nouvelles pour tenir compte de l’évolution des comportements individuels au contact du
collectif. Dans ces ateliers s’expriment les tensions mais se négocient aussi les compromis. Sur ces
jeux sérieux, L. Journaux nous renvoie au n°7 de Planète agro (Uniagro) qui montre le
développement de ces méthodes dans les milieux professionnels, dans la formation et dans la R&D
138
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Ce faisant les processus dégagés ci-dessus ne se résolvent que très rarement en quelques séances
et quelques semaines. Ce sont des processus longs, des trajectoires dans lesquelles la résolution
des tensions, l’identification des besoins en connaissances, la construction de systèmes innovants
et même les objectifs visés par le collectif se dessinent au fur et à mesure. De fait, dégager de ces
dispositifs de nouvelles questions agronomiques, de nouvelles propositions à expérimenter, de
nouvelles questions à la recherche et au développement, est un exercice qui peut devenir familier
à l’agronome animant les collectifs.
Enfin, plusieurs intervenants ont insisté sur la nécessité pour cet agronome d’acquérir une bonne
connaissance des différents niveaux hiérarchique et financiers mobilisables dans les territoires
(les instruments disponibles sont rarement entièrement adaptés et assez dispersés : PAT, MAE, …).
On le comprend à la lecture des lignes précédentes, les compétences mobilisées dans les
témoignages précédents ne sont pas qu’agronomiques. C’est sans doute la première condition
pour être un agronome en contexte de transition que de savoir s’associer à des compétences dans
des domaines de sciences économique, humaine sociale et politique. Les formations agronomiques
qu’elles concernent des élèves de terminale, de BTS ou de diplôme d’ingénieur, intègrent
généralement cette nécessité d’analyse systémique pluridisciplinaire. Elle se nourrit
particulièrement d’études de cas sur le terrain, de travaux collectifs d’analyse et de simulation, de
stages en situation (le témoignage de Thomas COUDON élève de l’ENSAT sur ses missions de
formation et d’animation, et l’analyse par Angélique SWEZIK des effets néfastes sur ces
compétences de synthèse, de la réduction des visites de terrain ces deux dernières années en
portent témoignage).
L’autre condition pour « l’agronome en contexte de transitions » c’est d’être capable de mobiliser
les outils de l’agronome pour se projeter dans une organisation future « désirable » des systèmes
de culture et d’exploitation : la modélisation des systèmes, la traque aux innovations chez les
agriculteurs mais aussi dans les réseaux collectifs innovants auxquels ils appartiennent, la
conception de systèmes innovants et la mise en place de dispositifs de test et de référencement de
pratiques agronomiques innovantes dans les territoires sont autant de compétences
agronomiques concrètes à développer chez les jeunes agronomes placés en situation d’animer des
collectifs
C’est en pensant à ces compétences et aux retours des témoignages de l’atelier que nous avons
proposé le CV simulé suivant d’un-e candidat –e à une telle fonction (Figure 1).
➢ 39
https://www.commod.org/qui-sommes-nous/posture
➢ 40
https://www.inrae.fr/actualites/gamae-nouvelle-plateforme-jeux-serieux-portee-lumr-territoires
139
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
En conclusion il y a bien une spécificité des compétences auxquelles former les agronomes, dictée
par l’exigence de transition agroécologique. Elle remet en particulier au gout du jour la nécessité
d’articuler l’animation de collectifs d’acteurs hétérogènes impliqués dans ces transitions à de fortes
capacités d’imaginer, de discuter et d’expérimenter ensemble de nouveaux systèmes pour aider
les acteurs à faire les pas de côté nécessaires pour sortir d’une dépendance au chemin qui nous
mène droit dans le mur !
Encadré 1 : L’anticipation du retour du loup dans les Monts d’Ardèche (Richard Bonin)
Dès le milieu des années 2000, le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche (PNRMA) fait le constat d’une
expansion continue des territoires occupés par des populations de loups. Les élus du Parc souhaitent alors
aborder en amont, l’anticipation de l’arrivée du loup, de façon à préparer le territoire à gérer au mieux les
conséquences d’une telle installation pour l’élevage.
3 niveaux de compétences ont été prioritairement requis :
- Des connaissances techniques, agronomiques, zootechniques et de gestion des espaces naturels,
- Des compétences dans l’animation, la gestion et la compréhension de groupes de positions aux intérêts
parfois antagonistes,
- Des compétences dans l’analyse multiscalaire des enjeux.
Ce travail conduit à partir de 2007 a permis dans un premier temps de connaitre précisément les pratiques
et conduites d’élevages (ovins et caprins en priorité), de les définir sous forme de typologie et de descriptifs
détaillés, des chaines de pâturage, des conduites d’élevage… Plusieurs analyses se sont dégagées des
enquêtes conduites, et ont permis d’investir notamment quatre niveaux d’impacts de l’arrivée du loup, à
plusieurs échelles :
- Le niveau de la confrontation au pâturage du prédateur et de la proie. C’est-à-dire la vulnérabilité des
animaux au pâturage au risque d’attaque par le loup, et des moyens de limiter ce risque ;
- Le niveau de la prise de décision nécessaire à la protection du troupeau, à l’échelle de l’atelier ovin,
caprin ou bovin concerné. C’est ainsi la sensibilité de l’atelier d’élevage aux modifications imposées par
la protection des troupeaux qui est prise en compte ;
- Le niveau de la capacité d’adaptation de l’exploitation à la somme de décisions rendues nécessaires par
la protection des troupeaux. Il vise notamment à analyser les arbitrages au sein d’une exploitation
comprenant différents ateliers de production. Par exemple, les conséquences sur la conduite de
l’atelier châtaigne ou tourisme à la ferme s’étudient à ce niveau ;
- Le niveau du collectif d’exploitations qui structurent un territoire. C’est l’échelle de l’impact territorial
lié à la mutation des exploitations.
Au-delà des enseignements techniques de l’étude, cette démarche a permis de réunir des acteurs agricoles,
institutionnels, environnementaux. La place de l’expert laissait alors place aux multiples incertitudes que
pouvait revêtir le sujet. Ainsi, l’écoute active, la compréhension des enjeux respectifs devenait tout aussi
important que l’analyse technique.
La rigueur méthodologique, l’analyse technique fine ont permis d’objectiver des difficultés et dépasser des
appréhensions afin d’établir des lectures communes et une appropriation partagée d’enjeux de
développement. C’est à partir de ces constations que le Parc naturel régional des Monts d’Ardèche a
élaboré, avec la Chambre d’Agriculture de l’Ardèche et les partenaires environnementaux, le premier Plan
Pastoral territorial (PPT) en dehors de l’arc alpin afin d’accompagner les éleveurs et faciliter l’aménagement
et l’équipement des espaces. Mis en place depuis 2013, le PPT des Monts d’Ardèche a permis, en 2022, de
soutenir plus de 260 éleveurs organisés en 7 collectifs pastoraux. Le Plan pastoral territorial, ayant mobilisé
depuis 2013 environ 2 millions d’euros de subventions régionales départementales et européennes, a facilité
une importante animation des collectifs pastoraux qui a conduit à des actions structurantes pour le
territoire :
- 140 éleveurs accompagnés dans l’amélioration de leur pratique d’élevage en faveur de la biodiversité et
de l’autonomie fourragère (formation, conseils techniques),
- 190 ha de landes réouvertes dans le cadre de 52 chantiers d’ouverture mécanique,
- 450 km de clôtures rénovées, créées,
- 35 km de pistes créés pour desservir de nouveaux pâturages
- 60 Aménagements de points d’eau pour l’abreuvement des troupeau- Des équipements qui facilitent le
travail des éleveurs au pâturage (parcs de tri, de contention, barrières…)
- Le financement d’équipements pour faciliter le multiusages (passages canadiens, portillons sur les
chemins de randonnées dans les parcs…) etc…Jeux d’acteur posture technique
140
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Encadré 2 : Les plans alimentaires territoriaux comme vecteurs de transitions ? (Richard Bonin)
Le dérèglement climatique impacte déjà les systèmes agricoles en Ardèche : vulnérabilité accrue aux aléas
climatiques (grêle, gel tardif, sécheresses…), impacts sur les aires et les calendriers de culture (ex. remontée
en altitude de la châtaigneraie, vendanges plus précoces), et sur les volumes produits (ressource fourragère
notamment).
L’adaptation nécessite de conjuguer des réponses techniques, sociales, et politiques.
C’est dans ce contexte, que le Parc naturel régional a fait le choix d’embrasser les questions alimentaires –
plus inclusives que les sujets strictement agricoles – pour accompagner le territoire vers plus de résiliences
agricole, sociale et économique et vers la consolidation d’un système alimentaire au service des habitants.
L’ambition du Parc naturel des Monts d’Ardèche est de renforcer la résilience alimentaire du territoire, par
l’adaptation au changement climatique, la relocalisation de la consommation, et l’accessibilité sociale à une
alimentation de qualité.
La construction de cette résilience, mise à l’épreuve par la crise sanitaire du Covid 19, ne peut se faire que de
façon concertée, par des acteurs sensibilisés, outillés, partageant ces objectifs communs. Une première
étape conduite entre janvier 2020 et décembre 2021 a permis d’accompagner l’appropriation des questions
de résilience alimentaire à l’échelle de 6 EPCI. Ces derniers ont été accompagnés et sont aujourd’hui lauréats
de Projets Alimentaires Territoriaux (PAT). Dans le même calendrier (2019-2021), un projet de recherche-
action (soutien Fondation de France) « L’assiette et le territoire » porté par Claire Lamine (Sociologue INRAE)
réunissant une trentaine d’acteurs divers concernés par le thème de l’alimentation, piloté par INRAE avec
l’appui des CIVAM, du réseau éducatif Pétale 07, et du PNR, a permis d’offrir un espace de concertation,
d’analyse des pratiques, d’expérimentation
D’un point de vue méthodologique, contrairement au projet précèdent (encadré 1), les objectifs n’ont pas
été fixés dès le départ et la démarche s’appuyait sur deux fondements :
- Construire une vision partagée de ce qui a été conduit. Un processus « open- ended » (sans en
déterminer à l’avance les objectifs) a permis à des personnes mandatées (Institutionnels, techniciens ou élus)
et des « concernés » (citoyens, cuisiniers, associatifs…) réunis en collectif de construire une trajectoire
partagée du système alimentaire local depuis l’après-guerre. Ainsi, une frise chronologique co-construite et
partagée a permis à chacun de s’approprier la trajectoire du système alimentaire pour mieux définir les
actions à conduire par la suite.
- pour mieux se projeter en 2050…Un travail de prospective a ensuite été mené afin d’accompagner
les territoires (EPCI et acteurs locaux diversifiés (agriculteurs, cuisiniers, GMS, acteurs du social…) de définir
le système alimentaire adapté aux contraintes (climatiques, foncier, d’échanges) susceptibles d’être
rencontrés en 2050. Là aussi, une trajectoire a été définie et a permis de bâtir les principaux axes à mettre en
œuvre dès 2022 dans le cadre des Plans Alimentaires Territoriaux locaux.
Dans ce projet, les compétences requises relèvent de l’adaptation. Le sujet de l’alimentation est à la base du
métier d’agronome mais la dynamique territoriale le rend protéiforme. Les sujets sociaux, éducatifs,
s’invitent et il est alors nécessaire de s’adjoindre d’autres compétences comme celles des sociologues.
Faire de l’alimentation un sujet de société autant qu’un sujet technique constitue certainement une nouvelle
compétence pour l’agronome. Il serait en effet difficile de se couper au XXIe siècle des problématiques
sociétales pour aborder le sujet.
Néanmoins l’agronomie, composante réflexive du sujet aux côtés d’autres disciplines, se doit d’apporter ses
compétences dans des démarches scientifiques d’expérimentations pour faire évoluer les modèles
agronomiques, les adapter aux contraintes climatiques et les ancrer dans les spécificités du territoire étudié.
141
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
142
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Figure 1 : Curriculum Vitae pour une fonction de Participation à des collectifs multiacteurs
143
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Références bibliographiques
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Benoît, M., & Kockmann, F. 2008. L’organisation des systèmes de culture dans les bassins d’alimentation de
captages : innovations, retours d’expériences et leçons à tirer. Ingénieries, 54, 19-32.
Benoît, M., Deffontaines, J. P., Gras, F., Bienaimé, É., & Riela-Cosserat, R. 1997. Agriculture et qualité de l'eau
Une approche interdisciplinaire de la pollution par les nitrates d'un bassin d'alimentation. Cahiers agricultures,
6(2), 97-105.
Boiffin, J., Benoît, M., Le Bail, M., Papy, F., & Stengel, P., 2014. Agronomie, espace, territoire : travailler "pour
et sur" le développement territorial, un enjeu pour l'agronomie. Cahiers Agricultures, 23(2), 72-83.
D’AQUINO, P., 2007. Empowerment et participation : comment mieux cadrer les effets possibles des
démarches participatives ? Proposition d’un cadre d’analyse à partir d’une synthèse bibliographique.
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00157747v1
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pouvoir central : un processus participatif sur la réforme foncière au Sénégal. Natures Sciences Sociétés, 25,
360-369. https://doi.org/10.1051/nss/2018001
Garde, L., Bataille, JF., Bonin, R., Martin K., 2008. Caractérisation des systèmes d’élevage dans les Monts
d’Ardèche et de leur vulnérabilité au retour potentiel du loup. https://www.parc-monts-ardeche.fr/les-actions-
du-parc/agriculture/les-principaux-projets/
Kockmann, F., & Soulard, C. T., 2008. Construction concertée d'un projet agro-environnemental en Val-de-
Saône : comment élaborer un système agraire pour un développement durable ?. In Journées Jean-Pierre
Deffontaines (p. 11).
Lamine, C., Dodet, F., Bird, A., Simon, M., & Mathieu, C., 2021. L'Assiette et le Territoire. Rapport final (INRAE,
PNRMA, CIVAM07, Pétale 07).
Morin, E.,2005. Introduction à la pensée complexe. Éditions du Seuil, Paris.
144
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Introduction
Beaucoup associent étroitement l’agronome avec l’ingénieur agronome. Ce dernier n’est pas le seul
à pouvoir se revendiquer agronome. Pour autant les formations ingénieurs sont importantes pour
leur contribution massive au renouvellement du vivier des agronomes en France. Ces formations
ne peuvent être pensées, organisées et conduites sans prendre en compte d’une part le contexte
dans lequel s’insère l’activité agricole et d’autre part les nouvelles activités, nouveaux métiers et
donc nouvelles compétences qui en découlent.
Les métiers d’ingénieurs se diversifient et c’est particulièrement le cas en production végétale avec
le retour de la diversité des utilisations possibles des matières premières agricoles. Les formations
d’ingénieurs sont par ailleurs accréditées dans un cadre piloté par la Commission du Titre de
l’Ingénieur (CTI), qui met en avant dans son référentiel les approches compétences. Chaque
formation est libre de son organisation en blocs de compétences, c’est la cohérence d’ensemble
qui est recherchée.
Après avoir discuté des effets des transitions sur les métiers des agronomes et analysé l’évolution
de leurs activités, ce papier est un retour des discussions en atelier, relatives à la formation des
ingénieurs agronomes. Centré autour de deux questions, l’atelier visait à interroger (i) les
évolutions actuelles et futures des cursus de formation d’ingénieur en agronomie de la production
végétale pour prendre en compte les nouvelles activités dans les métiers d’agronomes et (ii) les
impacts que cela a et pourrait encore avoir dans les contenus des enseignements en agronomie,
leurs formes pédagogiques et leurs organisations.
Pour répondre à ces questions, il a été proposé à la dizaine de participants, après un tour de table,
de compléter trois posters. Les participants étaient pour une grande part des enseignants
chercheurs agronomes et non agronomes, une enseignante du supérieur en lycée agricole (BTS),
un représentant des diplômés ingénieur (UniAgros) et deux chercheurs. Le tour de table en
introduction a permis aux participants de se présenter ainsi que d’indiquer leur intérêt pour la
thématique. Les trois posters à compléter étaient intitulés :
- quelles compétences ou capacités à acquérir pour des jeunes diplômés ?
- quelles formes pédagogiques pour y parvenir ?
- quels contenus développer dans les formations ?
Nous revenons dans ce texte sur les éléments proposés et discutés pour chacun des posters. A cela,
nous ajoutons en écho des extraits d’une contribution écrite de Gilles Trystram faite en amont de
l’atelier.
145
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Les participants à l’atelier se sont focalisés sur les compétences que devraient avoir les jeunes
agronomes pour aborder et intégrer de façon pertinente la question des transitions dans leurs
activités. Ils ne sont de fait pas revenus sur la nécessité que l’agronome ait une expertise minimale
dans sa discipline et donc d’être en mesure de conduire un raisonnement agronomique en
mobilisant les connaissances des sciences du sol et du climat, des productions végétales et de la
prise de décision agricole. Ce faisant l’agronome doit aussi dans sa démarche être en mesure de
penser et réaliser une articulation avec les sciences animales, les sciences environnementales et
humaines. Même si ça n’a pas été cité au cours de l’atelier on pourrait rajouter également les
sciences des aliments et les sciences économiques et de gestion. L’interdisciplinarité est posée
comme une nécessité. Elle va permettre à l’agronome (i) de situer et construire son activité en
intégrant les dimensions relatives au milieu biophysique, au fonctionnement des écosystèmes, aux
processus de production agricole et de transformation agroalimentaire, et aux acteurs ; (ii) d’avoir
les clés pour développer en parallèle de son expertise disciplinaire une capacité à agir et à
accompagner en situation des acteurs ou collectifs d’acteurs.
Intégrer dans son activité d’autres dimensions et les connaissances d’autres disciplines doit
permettre à l’agronome d’avoir une vision globale des systèmes dont il identifie les limites, les
porosités et les interactions, de les qualifier et d’en définir les effets. Ce faisant l’agronome se voit
doté d’une capacité d’approche et d’analyse systémiques.
Cependant, pour Gilles Trystam : « Mon sentiment a toujours été que dans les écoles d’agronomie […]
on fait très bien le disciplinaire, très bien la première couche systémique qui face à un objet d’étude
mobilise des disciplines et des approches. Je suis moins sûr, question de temps sans doute, que nous
fassions bien le systémique inter objets (un espace agricole, un système de transformation, de
consommation, etc.). Il me semble que ce niveau est difficile à enseigner. Des systèmes alimentaires
sont souvent, par exemple, des systèmes agricoles côtoyant des systèmes transformation-
consommation ». Il illustre ici le fait que si les agronomes sont effectivement équipés en matière
d’analyse systémique, une réflexion doit être conduite autour des objets et situations pour laquelle
on la mobilise en formation et pour laquelle on estime que les diplômés devront être en mesure de
la mobiliser en situation professionnelle. Développer une approche systémique « inter objets » ou
intégrant des degrés croissants de complexité, nécessite de compléter les apports de l’analyse
systémique avec une bonne connaissance des niveaux d’organisation et de leurs emboîtements et
une maîtrise de l’articulation des échelles.
Le contexte de transition impose également de renforcer la capacité à intégrer les dimensions
temporelles et leurs associations (articulation du temps court au temps long) ainsi que de faire
porter l’analyse aussi bien sur l’état des lieux (l’observable à un moment donné) que sur les
dynamiques. Ainsi l’activité d’analyse au service d’un diagnostic va reposer, in situ, sur la capacité
de l’ingénieur à appréhender la diversité des exploitations agricoles, à comprendre la situation
avant de problématiser, à analyser les freins et leviers d’une transition, à proposer des
changements en pertinence, à appréhender le temps des transitions.
Avoir les clés pour développer une capacité à agir et à accompagner en situation des acteurs ou
collectifs d’acteurs demande des compétences en termes d’écoute, de communication,
d’argumentation et d’animation de collectifs en mobilisant une diversité d’outils dont les jeux
sérieux, la simulation, les études de cas ou les approches par résolution de problème. Les situations
de transition à gérer ont pour caractéristique de s’appuyer sur des processus biologiques
étroitement interdépendants et spécifiques qui rendent difficile la connaissance des effets des
mécanismes en regard des objectifs recherchés. Ces manques de connaissances scientifiques et de
maîtrise des phénomènes renforcent l’incertitude inhérente à l’activité agricole. Pour agir en
situation complexe et incertaine, le jeune diplômé gagnera à pouvoir articuler les savoirs
scientifiques et les savoirs des praticiens, se positionner dans différents référentiels, repérer et
146
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Les formes pédagogiques mobilisées dans un dispositif de formation doivent bien évidemment se
raisonner à l’échelle du formateur mais doivent aussi être pensées à l’échelle de l’équipe
pédagogique. De façon analogue elles se réfléchissent au sein d’une séquence pédagogique et à
l’échelle de la maquette d’une formation. L’enjeu est d’offrir et mobiliser une palette de formes
pédagogiques complémentaires et adaptées aux objectifs d’apprentissage de la séquence et de la
formation.
Les propositions de l’atelier mettent en avant les pédagogies actives (« mains dans le cambouis »)
et parmi elles, l’approche par projet. « Je pense que l’approche projet est essentielle. Un étudiant y
apprend beaucoup, y confronte beaucoup de ses savoirs. Probablement aussi, il y développe mieux son
projet personnel » (G. Trystram). Si la gestion de projet est au cœur des attendus d’une formation
d’ingénieur et est à ce titre abordée, l’apprentissage par projet comme forme pédagogique devrait
être plus développé.
Elles insistent également sur l’ancrage au terrain. Gilles Trystram évoque : « Pour tous, quel que soit
l’objectif de formation, le niveau, la force du terrain est essentielle. Je crois qu’il s’y passe deux choses :
on mobilise des connaissances, on applique, on confronte. C’est formateur. Au passage on mesure sans
doute la place de ce que l’on appelle le systémique (au moins en pratique, sans conceptualiser) ; on fait
aussi de la transmission. Pour moi c’est un complément de la formation. L’accompagnement, parfois
personnalisé, par les enseignants, par les partenaires non enseignants permet de transmettre des tas
de choses. Le terrain favorise ça. Il s’y ajoute la dimension projet ». En guise d’exemple ont été cités
les « stages » individuels et collectifs organisés et construits par des enseignants, les observations
sur le terrain, les enquêtes auprès d’agriculteurs.
Ces activités doivent être accompagnées : (i) de controverses et de débats, (ii) de séances de prise
de recul, capitalisation, réflexivité pour consolider l’apprentissage des connaissances et le
développement des compétences, (iii) de travail épistémologique pour apprendre à se situer dans
des référentiels, dans l’histoire des sciences et en relatif à d’autres secteurs d’activité.
Les écoles d’ingénieurs, françaises notamment, mettent en œuvre des approches de réalisation
donnant une large part aux stages, mais elles ont aussi introduit l’alternance dans les cursus. Les
compétences acquises doivent viser le même ensemble, que la formation soit classique ou par
alternance, mais la validation des compétences est partagée entre les enseignants de l’école et les
maitres d’apprentissage.
Ainsi les formes pédagogiques à favoriser doivent permettre de reconnecter : la formation et le
terrain ; les modules disciplinaires entre eux ; et les différents types de savoirs.
147
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
qui ne disent qu’une partie des faits. C’est à mon sens comme pour la biblio devenu un enjeu. (iii) Et
dans le digital il y a de la place à faire à tous les outils numériques des sciences de la donnée. […] Je
vois bien l’importance des outils, la place des décisions multi critères, mais je ne sais pas bien jusqu’où
doit aller une formation qui se situe à l’interface entre usages de ces outils et développement ou
contribution à leur développement » (G. Trystram).
- Favoriser la mobilité internationale des étudiants afin de diversifier leurs référentiels. Les
techniques sobres de certains pays du Sud peuvent entre autres être sources d’inspiration pour les
autres.
Lorsqu’est abordée la question des contenus, bien évidement il est rappelé l’importance de traiter
en termes de connaissances, le socle de l’agronomie : le fonctionnement des agroécosystèmes ; la
diversité des systèmes de culture ; les systèmes fourragers ; le fonctionnement des sols, le climat,
le lien aux ressources.
La formation doit également contenir des apports méthodologiques pour la réalisation de
diagnostics, pour représenter de façon simple des objets complexes, pour la maîtrise de techniques
d’animation et de médiation, d’accompagnement des acteurs et de co-conception avec eux de
nouveaux systèmes.
Les agronomes doivent être en mesure de situer leur activité dans leur discipline. Des contenus en
épistémologie, histoire des sciences et histoire du développement agricole doivent être proposés.
Enfin la formation ne doit pas être centrée exclusivement sur des thématiques agronomiques et
doit aborder d’autres disciplines et d’autres secteurs d’activité.
Conclusion
Avec la participation de Alice Chauvel (INP Toulouse – Ensat), Anne Gerin (LEGTA d’Aubenas),
Laurent Journaux (UniAgros), Morgan Meyer (Mines ParisTech), Nathalie Girard (Inrae), Pascale
Guillermin (L’Institut Agro Rennes-Angers), Stéphane Bellon (Inrae), Stéphane De Tourdonnet
(L’Institut Agro Montpellier).
148
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Résumé
Les actifs agricoles sont de mieux en mieux formés, surtout les chefs d’exploitation et les candidats
à l’installation hors cadre familial. Les métiers de l'agriculture s'ouvrent de plus en plus à un public
dit « non issu du milieu agricole » notamment parce que la main d’œuvre familiale est en diminution.
Le renouvèlement des générations devient donc un enjeu majeur. La possibilité de se former par la
voie de l’apprentissage favorise le maintien, voire la hausse des effectifs dans l’enseignement
agricole technique. Toutefois la formation professionnelle recule quelque peu, au profit des voies
de formations générales. La part des élèves non issus du milieu agricole favorise cette évolution. La
hausse du salariat rend nécessaire l’acquisition de nouvelles compétences managériales de la part
des chefs d’exploitation. Dans le même temps, ils doivent être capable de s’adapter aux
problématiques actuelles : changement climatique, nécessité de préserver la biodiversité,
digitalisation des outils de production. Pour répondre à cela une réforme des référentiels des BTS
agricoles (BTSA) est en cours. Elle privilégie une approche capacitaire, soit le pouvoir d’agir, dans
un contexte évoluant sans cesse.
Introduction
Construire et accompagner les transitions vers des systèmes agricoles et alimentaires bas-carbone,
circulaires et durables est le nouveau défi auquel est confronté le monde agricole pour assurer la
souveraineté alimentaire, former et accompagner les entreprises agricoles.
Le métier d’agronome conduit à exercer une grande diversité d’emplois, en exploitation et dans les
structures publiques et privées qui les accompagnent. Les emplois visés par les BTSA de la filière
productions agricoles conduisent principalement à exercer les fonctions de responsable
d’entreprise agricole (exploitant ou co-exploitant), de cadre (gérant ou responsable d’atelier
d’élevage ou de culture) ou de technicien (ingénieur, conseiller généraliste ou spécialisé,
expérimentateur, chef de projet, animateur, etc.).
La formation initiale des agriculteurs et des techniciens qui les accompagne relève, pour partie au
moins, de l’enseignement technique et supérieur agricole, tous deux sous la tutelle de la Direction
Générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) qui exerce les compétences du ministère
relatives à la formation initiale et continue, à la recherche, à la politique d'innovation et au
développement. Au demeurant, l’enseignement agricole ne forme pas que des agriculteurs. Il
prépare à plus de 200 métiers du vivant.
Un atelier lors des Entretiens agronomiques Olivier de Serres portait sur la formation initiale des
agriculteurs à l’heure des transitions, où la question suivante étaient posée : Comment les
formations des agriculteurs prennent en compte le besoin en nouvelles compétences exigées par
les différentes transitions agricoles en cours ?
Ce texte résume l’exposé de notre atelier portant sur les causes qui obligent l’enseignement
149
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
technique à évoluer et sur les modalités, les processus d’évolution des diplômes. Ce collectif a
identifié des idées forces et a émis des recommandations pour l’enseignement agricole technique,
afin qu’il puisse répondre au mieux au besoin en nouvelles compétences. Nous exposerons ces
conclusions.
41 https://agriculture.gouv.fr/les-chiffres-definitifs-et-detailles-du-recensement-agricole-2020
42 Orientations professionnelles, formations, qualifications, compétences. PLOAA. Les fiches repères. Consultable en ligne
43
Prendre la clef des champs : Quelles visées politiques à l’installation paysanne ? Gaspard D’Allens, Lucile Leclair (2015) Dans
Mouvements (n° 84, 2015/4) pp. 15-23. Consultable en ligne
150
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Encadré n°1 :
Florian Huet est devenu agriculteur à 25 ans à Vimartin sur Orthe. Il nous parle de son parcours
dans l’enseignement agricole qui a rendu possible son installation en individuel, hors cadre
familial, après un temps sur une ferme laitière mayennaise produisant 400 000 litres de lait.
J’ai suivi trois cursus de formation agricole ; en premier lieu un bac-pro CGEA ; à Agricampus de
Laval. Après le collège, je voulais suivre une formation technique et pratique pour découvrir le
monde agricole. J’aurais pu choisir un bac technologique STAV mais les stages en exploitation
agricole m’attiraient.
Ensuite le BTSA ACSE, également à Laval, c’est là que tout commence : la stratégie d’entreprise en
lien avec la gestion. Nous avons fait beaucoup de visites pour découvrir des systèmes différents,
des nouvelles filières. « Chaque visite complète ton livre personnel ».
Après cela, au CFA de Besançon, je me suis inscrit au CS lait (certificat de spécialisation). C’est la
« formation de finition ou la formation tremplin », car très pratique avec une forte insertion, et
connexion dans le monde professionnel. Il m’a semblé, grâce à cette formation, que toutes les
cases étaient cochées, j’étais prêt…
J’encourage vivement les étudiants de BTSA à compléter leur cursus avec cette formation.
L’enseignement agricole m’a ouvert l’esprit sur toutes les facettes de ce monde complexe, en
pleine mutation vis-à-vis des multiples enjeux : Cours du lait, prix des intrants, environnement,
climat. Grace à ma formation je sais que je dois rester en veille pour mieux m’adapter. En
agronomie, mes protocoles évoluent sans cesse, avec un usage des produits phytosanitaires de
plus en plus contraint. Si cela continue, de ce point de vue, « nous serons tous en bio bientôt ». Je
dois donc évoluer. C’est pourquoi je m’intéresse aux TCS pour l’implantation de mes cultures. Je
m’efforce de progresser sur la question de la couverture de mes sols : itinéraire technique
d’implantation, choix des espèces...L’agronomie évolue plus vite que l’élevage, à mon sens. C’est
une discipline difficile à enseigner et à appréhender pour les étudiants à cause de ses dimensions
multiples et de ces domaines d’action diversifiés. S’installer est une décision importante car elle
nous engage pour de nombreuses années. On ne se sent jamais assez prêt pour le faire car ce métier
demande beaucoup de compétences. Il faut être gestionnaire, savoir compter, zootechnicien,
agronome, adaptable. Les stages, les réseaux que l’on constitue tout au long de notre formation
sont des points d’appui indéniables. Je me suis senti prêt quand j’ai pu remplacer mon maître de
stage en toute autonomie. Enfin le soutien familial reste le point essentiel.
Démographie agricole
Dans presque toutes les spécialisations (OTEX), le nombre d’exploitations recule, excepté les
exploitations horticoles et maraîchères. Si les exploitations de moins de 50 ha sont toujours
majoritaires, l’agrandissement des exploitations s’accompagne du développement des formes
sociétaires (EARL, GAEC, etc.), notamment pour les unités économiques de grandes tailles.
151
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
152
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
La transformation digitale des entreprises agricoles et des structures qui les accompagnent
De plus en plus mécanisées et connectées, les entreprises agricoles utilisent des agroéquipements,
des technologies numériques et des services connectés (agriculture 4.0) de plus en plus
sophistiqués et coûteux dont il est nécessaire de connaître le fonctionnement. L’usage d’outils
connectés et d’applications mobiles rend plus facile le travail des techniciens pour collecter et
traiter des données d’exploitation et des variables d’environnement afin de fournir un appui à la
prise de décision en temps réel. Le numérique est à la fois une transformation technique, un enjeu
stratégique et un bouleversement humain, qui engendre de nouvelles formes d’organisation du
travail, de nouveaux risques (psychosociaux et « classique ») à appréhender et de nouvelles
opportunités à explorer. Pour les décideurs, l’enjeu est à la fois de maîtriser l’utilisation des outils
numériques eux-mêmes et des données issues de leurs activités en préservant leur autonomie
technique et décisionnelle. Dans tous les cas, l’agriculture de précision a des conséquences sur
l’ensemble du système sociotechnique. Toutefois, l’apport des technologies numériques à la
transition écologique « forte » ou « faible » est encore sujette à question et à controverse.
Le changement climatique est déjà perceptible et perçu dans l’ensemble des territoires
Le dérèglement climatique se traduit par une augmentation de la fréquence et de l’intensité des
aléas climatiques extrêmes (gels tardifs, épisodes pluvieux intenses, vents violents, périodes de
fortes chaleurs, sécheresses agronomiques) et impacte les systèmes agricoles. En production
végétale, on observe déjà une modification des calendriers culturaux, des itinéraires techniques et
des pertes de rendements, de la disponibilité en eaux et des possibilités d’irrigation, de la fertilité
et de la biodiversité des sols. On observe également, en production animale, des difficultés
croissantes pour que les systèmes fourragers assurent l’alimentation des troupeaux toute l’année
et une décapitalisation du cheptel. À court terme, la conduite des systèmes de culture et/ ou
d’élevage(s) nécessite des ajustements plus fréquents en cours de saison pour faire face aux aléas.
À plus long terme, la modification des facteurs pédoclimatiques (ensoleillement, pluviométrie, …)
va modifier l’épidémiologie des territoires avec notamment, des effets sur les bioagresseurs des
plantes cultivées. Les responsables d’entreprises agricoles devront donc anticiper et mettre en
place des stratégies de gestion évolutives. Si les solutions et les leviers sont bien identifiées et
éprouvées, elles impactent fortement les producteurs dans leurs pratiques et raisonnements
44
Les exploitations certifiées Haute Valeur Environnementale (HVE) et Plante Bleue représentent 8% des exploitations agricoles
françaises, soit environ 6% de la surface agricole utile (SAU) française.
153
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
conventionnels.
45
ESR = Efficience - Substitution - Re-conception. Le concept ESR est né d’un chercheur nommé Hill. Ce concept a été largement repris
en protection des cultures pour développer la nécessité de faire évoluer les systèmes de cultures.
154
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
46 Quelle prise en compte du « changement » dans les référentiels de diplôme de l'enseignement technique agricole ? François-Xavier
Jacquin, Gilles Tatin dans Pour 2013/3 (N° 219), pages 103 à 113. Consultable en ligne
47 https://chlorofil.fr/fileadmin/user_upload/02-diplomes/referentiels/secondaire/btsa/info-communes/btsa-guide-ecriture.pdf
48
https://www.letudiant.fr/etudes/qu-est-ce-qu-un-titre-rncp.html
49
Commissions professionnelles consultatives (CPC) et Conseil National de l’Enseignement Agricole (CNEA)
50 Le référentiel de diplôme est composé de 3 parties : un référentiel d’activités, un référentiel de certification et un référentiel de
formation (sauf dans le cas des diplômes en unités capitalisables). Le référentiel de compétences correspond à la liste des capacités
attestées par l’obtention du diplôme.
51
Les enquêtes réalisées auprès des employeurs et titulaires de l’emploi sont qualitativement représentatives de la diversité des
pratiques et des systèmes.
155
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
dans le travail. Peu nombreuses, les SPS sont regroupées par champs de compétences.
Chaque champ de compétences est organisé autour d’une même finalité de travail qui constitue un
indicateur du niveau de maîtrise des activités. A chaque champ de compétence correspond un
ensemble de ressources (savoirs, savoir-faire et savoir-être …) qui sont mobilisées et combinées
par les professionnels pour prendre en charge une situation singulière et atteindre un résultat visé,
une finalité.
Le référentiel professionnel constitue le document sur la base duquel une profession reconnaît et
valide la description du (ou des) métier(s) au(x)quel(s) prépare le diplôme. A ce titre, il peut figurer
comme référence dans les conventions collectives de branche.
Il a également une fonction d’information et d’acculturation sur les finalités professionnelles du
diplôme. Pour les utilisateurs, les équipes pédagogiques, les professionnels (maitres de stage et
d’apprentissage notamment), le référentiel d’activités permet d’appréhender la réalité des emplois
par les futurs diplômés, d’organiser la contextualisation de sa mise en œuvre et de construire des
situations de formation et d’évaluation adaptées.
Outil technique pour l’ingénierie pédagogique, il sert de base de travail pour élaborer les
référentiels de certification et de formation.
« Une tête bien faite vaut mieux qu'une tête bien pleine54. »
Centrées sur des capacités et non pas seulement sur des contenus de formation (approche
disciplinaire), l’approche capacitaire constitue un véritable changement de paradigme qui a
profondément remis en cause les pratiques pédagogiques d’évaluation et de formation pour les
équipes pédagogiques autant que pour les apprenants.
Comme dans tous les référentiels rénovés du ministère en charge de l’agriculture, le référentiel de
compétences est exprimé en capacités55 identifiées à partir de l’analyse pédagogique du référentiel
d’activités. Une capacité exprime le potentiel d’un individu en termes de combinatoire de
connaissances, savoir-faire et comportements.
52 Christèle Roux, Françoise Heraut, Eliane Depalle, Emeline Roquelle, Estelle Veuillerot (2021) Un entretien pour évaluer des capacités à
partir de situations professionnelles vécues : un nouveau défi pour l’enseignement agricole français. Dans Education et socialisation -
Les cahiers du CERFEE (n° 62, 2021). Consultable en ligne
53
Cap'Eval : Une formation pour maîtriser les fondamentaux de l’évaluation certificative. Consultable en ligne
54
La phrase célèbre de Montaigne est une reformulation d'une citation de Plutarque : « Car l'esprit n'est pas comme un vase qui a besoin
d'être rempli ; c'est plutôt une substance qu'il s'agit seulement d'échauffer; il faut inspirer à cet esprit une ardeur d'investigation qui le
pousse vigoureusement à la recherche de la vérité ».
55 Les capacités attestées par un diplôme du ministère chargé de l’agriculture sont de deux ordres, des capacités « générales » et des
capacités « professionnelles » : les « capacités générales » sont mobilisées principalement dans des situations de la vie sociale ou
citoyenne, les « capacités professionnelles » sont relatives à des situations professionnelles.
156
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
On peut la définir comme le pouvoir d’agir efficacement d’une personne dans une famille de
situations, fondé sur la mobilisation et la combinaison de ressources multiples : savoirs, savoir-faire,
techniques et gestes, comportements professionnels. Par famille de situations on entend des
situations proches qui répondent aux mêmes buts, nécessitent les mêmes ressources et font appel
à des raisonnements similaires.
Être capable, c’est avoir le potentiel d’action nécessaire pour faire face aux situations
professionnelles significatives de l’activité professionnelle ciblée. La délivrance d’un titre ou d’un
diplôme du ministère en charge de l’agriculture correspond à l’assurance que la personne à qui on
le délivre est en mesure de prendre en charge les familles de situations que recouvre chacune des
capacités. L’approche capacitaire repose sur l’idée qu’un apprenant ayant acquis les capacités d’un
titre ou d’un diplôme deviendra compétent en situation avec l’expérience.
Combien d’étudiants sont-ils capables de dire de quoi ils sont capables à l’issue de leur formation ?
L’approche capacitaire à des conséquences sur l’évaluation, la formation et la pédagogie. Pour
l’étudiant : l’alignement pédagogique conduit à formaliser des objectifs clairs exprimés en
capacités qui (re)donnent du sens aux apprentissages et favorisent sa compréhension. Pour
l’enseignant, cet alignement peut être une source d’une profonde déstabilisation et d’une
restructuration majeure de ses pratiques pédagogiques. Pour les apprenants comme pour les
équipes pédagogiques, l’alignement pédagogique des objectifs d’apprentissage avec les activités
pédagogiques en formation, les stratégies et les modalités d’évaluation constitue une exigence.
157
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Les BTSA de la filière productions agricoles sont organisés, pour l’essentiel, autour des mêmes
champs de compétences et finalités du travail :
Tableau 1 : champs de compétences et finalités au travail des diplômes de BTSA du secteur Productions
agricoles (Source : Adapté des BTSA rénovés et en cours de rénovation)
Plusieurs SPS communes aux BTSA de la filière productions agricoles sont révélatrices de l’évolution
de la formation des techniciens supérieurs :
• Réalisation d’un diagnostic agronomique et systémique
• Adaptation de la conduite des productions à un aléa
• Conception d’un système de culture et/ ou d’élevage(s)
• Co-conception d’un conseil stratégique
• Combinaison des productions animales et végétales à l’échelle de l’entreprise et/ ou du territoire
• Conduite d’un entretien conseil
• Animation d’un collectif
•…
Résumé du métier
Le métier, les emplois et les activités des « agronomes » contribuent à améliorer le pilotage, la
gestion et la conduite, et l’accompagnement des systèmes agricoles en identifiant les freins et
leviers culturels et sociotechniques au changement.
Le raisonnement agronomique, l’expertise technico-économique et environnementale et, la
conduite de projet, constituent le cœur du métier d’agronome en s’appuyant sur les besoins des
professionnels, des filières, des territoires et les attentes sociétales.
Dans un contexte de transitions, ses compétences en matière de diagnostic et d’analyse,
d’animation et d’accompagnement individualisé ou collectif contribuent au développement d’une
agriculture productive, créatrice de valeur ajoutée et d’emplois, à la fois plus résiliente et plus
durable.
Métier à fortes exigences technique, scientifique et relationnelle, « l’agronome » travaille toujours
en relation avec le vivant, des agriculteurs, des salariés, des techniciens et des partenaires. Il est
force de proposition et doit savoir être à l’écoute, parler de son métier et de ses pratiques.
158
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
159
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
destinée à rendre visible et accessible au(x) public(s) les pratiques innovantes et les transitions
mises en œuvre par les établissements constituent une nouvelle preuve de la capacité d’adaptation
et d’initiative de l’enseignement technique agricole.
Parmi les initiatives régionales emblématiques de cet engagement, on peut citer les « Coopérations
Enseignement collectifs en Agroécologie » (CEGA) en Normandie. Initié par la chambre
d’agriculture du département de la Manche dès 2017 dans le cadre du Projet Pilote Régional (PPR)
du PRDAR, le dispositif mobilise aujourd’hui 12 établissements de l’enseignement agricole public,
privé et de l’enseignement supérieur, plus de 200 apprenants, 300 agriculteurs et une trentaine de
partenaires avec un cofinancement de l’Agence de l’Eau Seine-Normandie (AEN). Les collectifs
agroécologiques (GIEE, réseaux DEPHY et groupes 30 000) ont vocation à partager leurs
expériences et constituent des supports de formation et d’apprentissages des transitions « en
situation » pour les étudiants de BTSA ACSE, de Bac pro et de BP REA.
Recommandations
• Renforcer l’attractivité des métiers, des formations et des établissements pour relever les défis
de la démographie agricole et scolaire
• Promouvoir les métiers du vivant et les formations agricoles auprès des prescripteurs
(Education nationale, Agence régionale de l'Orientation et des Métiers) ;
• Mieux faire connaître les référentiels d’activités et de diplômes auprès de la profession, des
maitres de stage et d’apprentissage, des apprenants ;
• Préparer les apprenants à la poursuite d’étude (continuum pédagogique) ;
• Renforcer la maitrise des fondamentaux de l’évaluation et de la formation par capacités au sein
de la communauté éducative ;
• Respecter l’alignement pédagogique des objectifs d’apprentissage avec les activités
pédagogiques en formation, les stratégies et les modalités d’évaluation ;
• Développer les coopérations entre l’enseignement technique agricole et les collectifs
agroécologiques.
Conclusion
La formation initiale des actifs agricoles et des techniciens qui les accompagne constitue un
véritable enjeu pour « apprendre à apprendre », tout au long de la vie, et relever le défi des
transitions agricoles. L’enseignement technique agricole a su développer des méthodes
d’investigation de la relation emploi-formation, des outils d’ingénierie de formation et des
démarches d’ingénierie pédagogique éprouvées qui constitue un atout.
Demain plus qu’aujourd’hui, être agriculteur, c’est tout à la fois être employeur, agronome,
gestionnaire et entrepreneur du vivant. L’agroécologie dans ses aspects scientifiques, techniques
et sociaux constitue une assise solide pour guider la réflexion professionnelle des futurs diplômés.
Bibliographie
APCA, 2019. Le projet stratégique 2019-2025 des chambres d’agriculture. https://chambres-
agriculture.fr/fileadmin/user_upload/National/FAL_commun/publications/National/19iR_projet-
strategique-complet_28nov2019.pdf
DGER, 2022. Portrait de l’enseignement agricole.
https://chlorofil.fr/fileadmin/user_upload/stats/portrait-panorama/portrait-2022.pdf
160
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Résumé
La formation des enseignants et formateurs de l’enseignement agricole technique varie selon s’il
s’agit d’agents contractuels ou titulaires, du concours interne ou externe, et si l’on s’intéresse à la
formation initiale ou continue. La formation continue vise principalement à accompagner les
établissements et les équipes pédagogiques dans les différentes transitions qui les concernent,
avec au premier chef, la mise en place locale du programme « enseigner à produire autrement ».
Or, cette mise en place doit répondre à une très grande diversité de besoins, en vue de favoriser
notamment : l’appropriation des référentiels rénovés, le renouvellement et la diversification des
modalités d’enseignement pour engager les apprenants dans des démarches d’enquêtes, de
diagnostic, et de gestion de la diversité des agriculteurs, ou encore le montage de projet engageant
plusieurs disciplines d’enseignement et des partenaires extérieurs dans le but de problématiser des
enjeux territoriaux. En toile de fond, les enseignants et formateurs sont aussi appelés à contribuer
à l’inclusion et l’ancrochage scolaire pour des publics présentant des difficultés scolaires parfois
importantes.
Mots-clés : formation – enseignants – agronomie – enseignement technique agricole-transitions
Introduction
Enseigner l’agronomie dans l’enseignement agricole technique dans un contexte de transitions ne
relève pas d’un nouveau défi. En effet, la discipline a connu des évolutions / adaptations au fil des
dernières décennies en lien avec les mutations de l’agriculture, et les évolutions scientifiques et
sociales. Cependant, les enjeux actuels liés au changement climatique, à la préservation des
ressources naturelles et à la sécurité alimentaire, imposent de former à des trajectoires de
transitions agro-écologiques. Se pose donc la question de la formation continue des enseignants
et formateurs dans ce contexte. Après avoir donné des éléments de connaissance sur
l’enseignement agricole et plus particulièrement sur l’enseignement de l’agronomie, et ses
dernières évolutions, sont présentés dans ce texte les différents dispositifs de formation continue
proposés aux enseignants / formateurs. Ensuite, quelques idées forces issues d’un atelier intitulé
“formation continue des enseignants et formateurs” conduit lors des Entretiens du Pradel de 2022
sont exposées.
161
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Figure 1 : Les chiffres clés de l’enseignement agricole (Dossier de presse rentrée scolaire 2022 de
l’enseignement agricole, Ministère de l’Agriculture, de la Souveraineté Alimentaire).
162
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Figure 2 : répartition par discipline des enseignants de matières techniques des lycées agricoles publics
(source : plaquette de présentation de l’enseignement agricole 2022 p.15)
Les enseignants et formateurs en agronomie exercent dans l’enseignement agricole sous divers
statuts et dans différentes structures. Certains sont agents titulaires de l’enseignement agricole
public ou privé, sous tutelle du ministère de l’Agriculture et de la Souveraineté Alimentaire, d’autres
sont agents contractuels soit d’Etat, soit payés sur budget d’établissement dans les Centres de
Formation par Apprentissage (CFA) et Centres de Formation Professionnelle pour Adultes (CFPPA).
A noter qu’il y a également des formateurs qui enseignent l'agronomie dans les Maisons Familiales
Rurales (MFR), structures régies sous statut associatif, au sein desquelles les formateurs ont le
statut de salariés agricoles.
163
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
s’impose, reposant sur une meilleure intégration des situations professionnelles, ce qui va entraîner
une évolution dans la composition des référentiels de diplôme, avec un référentiel professionnel
permettant une plus grande adéquation entre les savoirs enseignés et leur contextualisation. À
partir de 1990, la prise en compte des enjeux environnementaux se généralise dans toutes les
filières de formation, avec notamment la création du BAC technologique STAE (aujourd’hui STAV),
l’intégration du module “Agroécosystème et Environnement” en BTSA Productions Végétales. En
parallèle, les compétences en agronomie des enseignants et formateurs doivent évoluer avec une
intégration de la complexité, ouverte sur les sciences humaines et sociales, et une
multiréférentialité des savoirs (Cancian et al., 2019).
Depuis la fin des années 2000, pour mieux prendre en compte les enjeux climatiques,
environnementaux et de souveraineté, l’agriculture française se tourne vers l’agroécologie. C’est
un changement profond de modèle agricole qui nécessite de nouvelles compétences pour les
entreprises du secteur et crée de nouveaux métiers. Les besoins en recrutement sont importants.
Un tiers des agriculteurs a plus de 60 ans ou atteindra cet âge dans les cinq années à venir, et pourra
alors prétendre partir à la retraite, tandis que le nombre d’actifs agricoles, salariés permanents ou
saisonniers est en augmentation constante. Il est passé en 20 ans de 282 000 à 328 000.
L’enseignement agricole, et a fortiori celui de l’agronomie, fait également écho à cet appel à la
transition agroécologique. Ainsi, dans l’enseignement agricole technique, depuis 2013, une
évolution des référentiels s’est imposée pour intégrer de nouveaux modes de raisonnement afin
de comprendre les enjeux d’une agriculture durable, pensée “ de la fourche à la fourchette”. Des
réformes assez emblématiques ont été opérées comme celle du BTSA ACSE et du Bac pro CGEA
(Doré et al., 2022). Les rénovations se poursuivent actuellement, avec notamment l’intégration de
capacités assez emblématiques dans plusieurs référentiels comme “Raisonner des choix
techniques d’interventions en lien avec des enjeux agroécologiques" en Bac pro, ou encore
“Accompagner le changement technique” en BTSA. Les clés du changement sont partagées,
intégrant les controverses sur des thématiques à enjeux, ce qui questionne la posture dans
l’accompagnement au changement et de fait celle de l’enseignant avec une acceptabilité de
l’incertitude : le formateur en agronomie n’est plus « omniscient » et n’a pas seulement accès à des
savoirs stabilisés, validés.
Figure 3 : L'agroécologie dans l’enseignement agricole, les chiffres clés 2021 (source MASA- Dossier de
presse Rentrée scolaire 2022, p. 11)
L’enseignement agricole anticipe les nouveaux besoins liés aux transitions et à l'agroécologie, au
travers du plan Enseigner à Produire autrement (EPA 2014-2018) puis du plan EPA2 lancé en 2020 «
Enseigner à Produire Autrement pour les transitions et l’agroécologie ». C’est un projet à l’image de
l’identité originale de l’enseignement agricole, à la fois appareil de formation et d’éducation et outil
d’application sur le terrain des politiques publiques portées par le Ministère chargé de l’agriculture,
comme l’agroécologie. Ce plan est décliné en 4 grands axes, présentés ci-dessous.
164
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Enfin, pour rendre plus lisible l’engagement des établissements agricoles dans l'enseignement des
transitions, deux leviers sont mobilisés dans le cadre du Plan EPA2 : l’écriture d’un Plan local
Enseigner à Produire Autrement (PLEPA) par chaque établissement et la mobilisation des
exploitations agricoles et des ateliers technologiques sur la reconception des systèmes.
A la rentrée 2022, la plupart des établissements agricoles publics ont élaboré leur plan local
Enseigner à Produire Autrement afin de valoriser les actions déjà conduites au sein des lycées et se
doter d’une feuille de route pour les années futures.
165
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
La formation continue par une pédagogie de projet, en lien avec l’exploitation agricole de
l’établissement
Les enseignants en agronomie peuvent également profiter d’autres espaces de formation continue
en s’intégrant à des projets portés par différents dispositifs dans les établissements agricoles.
Un des premiers supports de référence est l’exploitation agricole de l’établissement. En effet, au
sein des établissements publics locaux d’enseignement et de formation professionnelle agricoles
(EPLEFPA), les exploitations agricoles ont une place toute particulière. Le code rural définit les
contours de leurs fonctions en précisant leur rôle primordial en matière de formation, d’animation
et de développement des territoires, développement, expérimentation et innovation agricole.
Ainsi, pour les domaines qui relèvent plus particulièrement du développement de
l’expérimentation, de l’innovation agricole et agro-alimentaire, cela se traduit par :
● la mise en œuvre d’actions de démonstration et d’expérimentation, en particulier en
matière d’agro-écologie ;
● la contribution aux liaisons entre la recherche, le développement et la formation (projets
CASDAR, participation à des RMT …) ;
● la collaboration avec des groupes d’agriculteurs et d’autres acteurs du territoire
notamment dans le cadre de GIEE.
Encadré 2 : Les exploitations agricoles des lycées engagées dans l’agroécologie (données fin 2021,
Source : Portrait de l’enseignement agricole”, Édition 2022, MAA)
- 28% de la SAU totale de l'enseignement agricole est certifiée en Agriculture
Biologique,
- 35% des exploitations sont certifiées Haute Valeur Environnementale (HVE)
- 80 % des exploitations n’utilisent plus de glyphosate,
- 35% des exploitations sont membres d’un réseau DEPHY FERME,
- 68% est engagé dans une démarche reconnue de suppression ou forte diminution
des intrants chimiques ou de synthèse, à travers les dispositifs ECOPHYTO déployés
par le Ministère.
Tous ces dispositifs bénéficient de l’appui de différents acteurs comme les trois établissements
d’appui, cités précédemment, un collectif d’animateurs nationaux organisé en un réseau
thématique pour accompagner les transitions (Reso’them62), les chargés de mission ADT/ADEI,
réseau de correspondants rattachés au DRAAF, pour favoriser les échanges de pratiques entre
166
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Les possibilités de formation continue pour les enseignants / formateurs en agronomie sont riches
et diversifiées. Si certaines s’intègrent dans le processus de rénovation de diplôme, et peuvent donc
être assimilées à une demande institutionnelle, elles doivent être opérationnelles rapidement, pour
la formation des apprenants. D’autres reposent davantage sur la volonté des enseignants de
s’impliquer dans des projets d’expérimentation, de développement et d’innovation. Se pose alors
la question de l’homogénéité des niveaux de formation selon le degré d’implication, d'engagement
consenti par les enseignants / formateurs. Ainsi, favoriser une dynamique collective
pluridisciplinaire au sein des établissements est un levier nécessaire pour former les futurs
agronomes et agriculteurs aux transitions. Le Plan EPA2 est un dispositif portant cette ambition.
Dans ce contexte très riche et diversifié de projets, de dispositifs, les enseignants / formateurs en
agronomie peuvent saisir différentes opportunités pour s’impliquer, en acceptant par exemple la
mission allouée au dispositif “Tiers temps”, ou celle de référent, pour s’intégrer, animer des projets
qui constituent des supports riches et innovants pour enseigner les transitions. Ces engagements
constituent des occasions de développement de compétences et donc de formation continue.
Au-delà de ces évolutions, quels seraient les enjeux et besoins d’adaptation des
formateurs pour former les futurs acteurs de l’agriculture dans un contexte de
transitions ?
Le cadre des programmes EPA ainsi que le contexte de rénovation des référentiels, tous les cinq
ans, constituent un environnement prescriptif favorable à l’émergence de nouvelles pratiques
d’enseignement et d’évaluation63. Mais le passage de la prescription à la mise en œuvre dans les
établissements, et auprès des élèves est loin d’être immédiat, et se révèle très contrasté selon les
établissements concernés. Cette hétérogénéité correspond à une diversité de configurations socio-
territoriales dans lesquelles pèsent à la fois la trajectoire historique des établissements, de leurs
entités (notamment l’exploitation agricole) et des relations entre elles, et les ancrages territoriaux
colorant les habitudes partenariales au niveau local.
Selon les configurations, les besoins portent sur des dimensions différentes, tantôt sur la question
des contenus et des projets didactiques, tantôt sur le cadre pédagogique et l’implication d’élèves
63 I.d. les épreuves du bac pro CGEA rénové, dont l’E5 autour de l’analyse des enjeux agronomiques pour la préservation d’une Ressource
Commune, pour aborder le changement de pratiques et les transitions.
167
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
parfois en grande difficulté scolaire. Or, certains établissements émargent régulièrement à des
dispositifs d’accompagnement (par le dispositif national d’appui, le DNA, notamment) alors que
d’autres ne s’y engagent pas ou rarement.
Sont par ailleurs à explorer, les opportunités de projets, d’expérimentations, tributaires des
dynamiques territoriales, des équipes et des directions d’établissement et des collaborations
potentielles avec les exploitations des lycées. Des espaces sont possibles en lien avec les projets
dans le cadre de dispositifs (CASDAR, RMT, etc…) avec des partenaires professionnels (territoire
ou national). Il est à noter aussi que l’effet COVID a révélé une offre de webinaires (Arvalis,
Terresinovia, Agreenium, Acta, etc…) donnant la possibilité de viser un public large, mais dont les
leviers d’appropriation pour mener les adaptations de pratiques au niveau local, échappent
complètement aux dispositifs distanciels.
L’enseignement agricole est désormais tenu d'enseigner l’agroécologie appliquée et son
inscription dans un ensemble de transitions (comme par ex : professionnelle pour les agriculteurs,
alimentaire pour les consommateurs, énergétique pour les filières…). Ces changements amènent
les enseignants et formateurs à questionner leurs contenus et formats d’enseignement en
s’appuyant sur un corpus mixte de savoirs. La multiréférentialité des savoirs (Cancian et al., 2019)
exige pour les enseignants et formateurs d’assurer une veille technique et scientifique continue.
Le premier ensemble de contenus est celui qui est déjà là, stable, référencé dans des manuels et
ouvrages d’agronomes, et en continuité avec ce qui s’enseigne en agronomie depuis longtemps.
Un deuxième ensemble de savoirs, moins “robustes” (Martinand, 2007), est cette fois à construire
chemin faisant, en associant les avancées scientifiques sur le domaine à des références plus locales
et singulières produites par les praticiens expérimentant au sein de leurs exploitations ou de leur
territoire. Ces savoirs de références instables constitutifs du renouvellement des métiers de la
production agricole (Chrétien et Veillard, 2021) supposent que l’enseignant construise leurs mises
en scène de manière différente dans les situations d’enseignement-apprentissage dans lesquelles
l'"enquête" et la problématisation prennent une place centrale (Peltier, 2021), ce qui amène à
convoquer un travail d’interdisciplinarité au service des objets problématiques complexes. Les
controverses deviennent un objet et un moyen d’enseignement incontournables, la Didactique des
Questions Socialement Vives, contribuant à en échafauder les principes et les conditions de
réalisation (Simonneaux et Simonneaux, 2009 ; Lipp et Cancian, 2022). Pour ces différentes raisons,
l’enseignant ou le formateur est incité à travailler plus souvent en équipe pédagogique que
d’ordinaire.
Mais la prescription, au sens du cadre global du programme EPA, n’identifie pas dans le détail le
périmètre de ces savoirs et modalités de mise en enquête, ce qui crée une forme d’inconfort pour
les enseignants. A cette difficulté s’ajoute le fait qu’ils ont souvent à construire une légitimité
“agricole” auprès d’un public “à convaincre” et à engager dans une nouvelle démarche
d’apprentissage alors même qu’une partie des apprenants arrivent dans les classes avec un déficit
de mobilisation concernant les activités scolaires et qu’ils présentent des difficultés à adopter une
posture d’acceptation de l’incertitude des effets d’un changement de paradigme.
Aussi, la traduction locale du cadre prescriptif global est-il un travail qui se joue à plusieurs échelles
de l’enseignement, et peut être favorisé par l’implication de chargés d’ingénierie de formation issus
du DNA ou des services locaux.
168
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
La première idée ressortie est qu’une part importante des enseignants et formateurs ne
connaissent pas l’éventail des dispositifs de formation continue existants. Si l’accompagnement
aux rénovations est plébiscité par les équipes, certains droits à la formation comme le stage en
entreprise sont sous-utilisés par les enseignants. Même si la disponibilité et la mobilisation des
enseignants sont des facteurs importants pour expliquer la démarche d’inscription dans ces
dispositifs, encore beaucoup ne le font pas parce qu’ils ne connaissent tout simplement pas leur
existence. Un effort est à fournir pour améliorer la diffusion et la communication auprès des
équipes et des personnes, et s’assurer que l’information se présente régulièrement jusqu’à la cible
finale. Parmi les dispositifs importants, il semblerait qu’il y ait encore une sous-participation aux
PNF. Une régionalisation accrue des propositions et des engagements (en PRF) pourrait pallier
cette difficulté.
L’autre “idée-force” ressortie est l’importance de former (ou de continuer à former) les
enseignants et formateurs pour qu’ils équipent les apprenants au diagnostic et à
l’accompagnement au changement (y compris sur des temporalités longues, repérer des
processus, des mouvements et pas seulement des états), en articulant l’échelle exploitation et
territoire qui ont leurs propres dynamiques. Pour ce faire, la distinction parfois trop rapide des
systèmes de production en “modèle conventionnel” ou “alternatif” semble délétère d’une part à
la compréhension du continuum entre ces systèmes et des trajectoires de transitions, et d’autre
part à l’engagement d’une partie des apprenants confrontés à des conflits identitaires propres à
leurs inscriptions dans des modèles expérienciés dans leurs entourages. Finalement, il paraît
opportun pour les apprenants, de partir de trajectoires plutôt que de changements techniques,
notamment pour faciliter le changement d’échelle et l’augmentation des projections à réaliser avec
eux. Du côté de l’enseignant, ces exigences l'amènent à devoir construire un répertoire de
systèmes de production suffisant au niveau local, pour donner à voir ce continuum auprès des
apprenants et de stabiliser les partenariats qui en découlent.
Une autre “idée-force” apparue centrale pour l’atelier concernait le rapport des apprenants à la
diversité des collectifs d’agriculteurs et de professionnels auxquels ils auront ou pourraient se
confronter dans leurs différentes fonctions (notamment de conseillers agricoles ou techniciens de
production). Il semble en effet essentiel que les enseignants et formateurs soient en mesure de les
former à entraîner leur capacité à interagir avec une diversité d’agriculteurs aux caractéristiques
professionnelles, socio-économiques, cognitives ou psychologiques différentes. Par ailleurs, les
apprenants ont besoin d’apprendre à constituer, mobiliser des collectifs en repérant les moments
propices pour le faire. L’enseignant ou le formateur peut jouer un rôle important pour les aider à
savoir comment les futurs conseillers ou prestataires des agriculteurs peuvent gérer les solutions
qui adviennent ou qui sont à construire dans le temps. Cet aspect suppose qu’ils s’ouvrent à la
diversité de ces collectifs et qu’ils évaluent la place qu’ils ont à jouer dans leurs évolutions.
Du point de vue des pratiques pédagogiques, l’enseignant ou le formateur, on l’a vu, est largement
invité à travailler en interdisciplinarité. Si les rénovations de certains diplômes sont déjà en train
d’intégrer les disciplines générales dans les unités d’enseignement professionnel (comme par
exemple les disciplines de mathématiques et des Technologies de l’informatique et du multimédia
passées du tronc commun au domaine professionnel dans le BTSA), ces changements rendent
nécessaires de nouveaux accompagnements spécifiques à ces enseignants.
Enfin, l’atelier a mis en exergue l’hypothèse que les différentes transitions imposent de former les
enseignants et formateurs à une diversité de modalités pédagogiques, en accompagnant les
enseignants ou équipes sur leurs objets spécifiques d’enseignement. Une demande spécifique
porterait sur les différents moyens de mettre en activité d’apprentissage les élèves pour aborder
des problématiques de transitions (ex. classe inversée, jeux sérieux, démarche d'enquête, Q-Sort,
pédagogie par projet, création d’évènements, etc.), sans oublier l’importance des temps
d'institutionnalisation des savoirs. Aussi, aborder les transitions en observant la diversité des
trajectoires et des voies de changement soulève le besoin dans l’enseignement de concevoir les
manières de “prendre traces” de la diversité des points de vue d’acteurs (ex. photos, plateforme,
échanges).
169
3EME PARTIE : DIVERSIFICATION DES MÉTIERS D’AGRONOMES ET CONSÉQUENCES SUR LES FORMATIONS
Références bibliographiques
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multiréférentialité des savoirs dans les disciplines technologiques et la question de la référence
pour le savoir à enseigner : l’exemple de l’agronomie. Recherches en Didactique des Sciences et des
Technologies, 20, 175‑196.
Chrétien, F., & Veillard, L., 2021. Contribution de la didactique professionnelle au projet Enseigner à
Produire Autrement. Dossier des Sciences de l’Education, 46, 55-66.
Doré, T., Gailleton, J-J., & Prévost, P., 2022. Construction et déploiement de l’agronomie dans et par
la formation. In J. Boiffin, Doré, T., Kockmann, F., Papy, F., & Prévost, Ph. (Dir.), La fabrique de
l’agronomie (pp. 319-362). Versailles : Ed. Quae.
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170
CONCLUSIONS : LE CHALLENGE D’ÊTRE AGRONOME EN TRANSITION
Résumé
La 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres a traité de l’évolution des métiers,
des activités et des compétences des agronomes dans le contexte actuel de transitions multiples
de l’agriculture.
Au-delà de transitions sociotechniques (écologique, énergétique, numérique, alimentaire), les défis
d’abandon des énergies fossiles et d’accroissement de la biodiversité exigent une transformation
radicale des pratiques agricoles. Les agronomes ont une place et un rôle essentiel à jouer, à
condition qu’ils poursuivent l’élargissement de leur champ d’activités, tout en gardant leur
expertise sociotechnique. Cela suppose un renforcement des compétences individuelles, mais
également l’affirmation d’une compétence collective que les institutions et les employeurs doivent
encourager.
Abstract
The 11th edition of the Entretiens agronomiques Olivier de Serres dealt with the evolution of
agronomists' professions, activities and skills in the current context of multiple transitions in
agriculture.
In addition to socio-technical transitions (ecological, energy, digital, food), the challenges of
abandoning fossil fuels and increasing biodiversity require a radical transformation of agricultural
practices. Agronomists have a place and an essential role to play, provided that they continue to
broaden their field of activity, while maintaining their socio-technical expertise. This implies a
strengthening of individual skills, but also the affirmation of a collective competence that
institutions and employers must encourage.
Introduction
L’agriculture doit changer. Car les deux périls actuels de l’humanité, que sont le changement
climatique et la perte de la biodiversité, sont incontestables. Or, l’agriculture, à l’instar de toutes
les activités humaines, a une responsabilité dans ces périls par sa dépendance aux énergies fossiles
et son mode actuel de production intensive incompatible avec la préservation et le renouvellement
des ressources naturelles. Et pourtant, l’agriculture est une des rares activités humaines qui a la
capacité d’avoir un solde énergétique positif, par le fait qu’elle valorise la fonction
photosynthétique naturelle des plantes. Elle est aussi l’activité humaine qui gère la plus grande
partie de l’espace géographique et peut donc avoir une contribution essentielle dans la
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Peut-on encore simplement parler de transition agricole, qui laisse penser que nous avons encore
du temps devant nous, alors qu’il nous faut réduire drastiquement le rejet de gaz à effet de serre
dans l’atmosphère, voire capter ceux déjà émis et permettre le retour de la biodiversité naturelle
et cultivée dans tous les espaces ? C’est en fait une transformation radicale de l’agriculture que nous
devons mettre en œuvre dans les années à venir.
Conjuguer les défis de toutes les transitions aux différentes échelles des systèmes agricoles
Pour éviter le même leurre que l’injonction à l’agriculture durable dans les années 1990, il est
indispensable de bien nommer ce qui est attendu : la diminution drastique du recours aux énergies
fossiles et l’accroissement de pratiques restaurant la biodiversité dans les espaces cultivés. Cela
suppose de transformer les systèmes sociotechniques actuels et de sortir de la seule logique
industrielle qui a prévalu depuis le 19ème siècle, centralisée et top-down, pour aller vers de nouveaux
systèmes sociotechniques beaucoup plus décentralisés, favorisant des innovations de rupture, qui
peuvent être autant technologiques qu’organisationnelles, et adaptés aux spécificités des
territoires (Colombier et Messéan*64, 2022).
Cette transformation des systèmes sociotechniques doit intégrer toutes les transitions en cours. A
l’issue des travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, où nous avons choisi d’analyser
finement ce qui changeait dans les activités et les compétences des agronomes dans le contexte
d’un type de transition (écologique, numérique, énergétique, alimentaire), il ressort que c’est
l’appréhension globale de tout ce qui change, dans l’entreprise ou dans le territoire, et la
transformation radicale des modèles de production, que les agronomes doivent désormais
considérer. Mais selon les caractéristiques des écosystèmes, les changements nécessaires, les
potentialités du territoire, les opportunités locales, les structurations et les organisations sociales,
les agronomes pourront accompagner la transformation de l’agriculture selon des voies très
diverses, tout en gardant toujours l’objectif de transformation radicale des systèmes agricoles
devenus biodiversifiés et à énergie positive.
64Les références avec * correspondent aux textes issus des travaux de la 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres,
publiés dans le Volume 12 numéro 2 de la revue Agrononomie, environnement et sociétés, accessibles à la page web :
https://agronomie.asso.fr/aes-12-2
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CONCLUSIONS : LE CHALLENGE D’ÊTRE AGRONOME EN TRANSITION
Il ressort bien de l’analyse des enjeux et impacts des différentes transitions en agriculture que seule
une démarche systémique, participative et territorialisée de diagnostic et de scénarisation de
trajectoires de transition aux différentes échelles des agroécosystèmes (de la parcelle de culture
aux échelles territoriales emboitées), peut permettre une véritable transformation de l’agriculture,
parce qu’adaptée aux motivations, besoins et possibilités des différentes parties prenantes.
Les agronomes, qui ont construit leur utilité sociale par la co-production de connaissances et la
diffusion d’innovations en interaction avec les professionnels agricoles et en réponse aux attentes
de la société, sont aujourd’hui fortement sollicités pour cette nouvelle transformation de
l’agriculture à venir (Messéan et al., 2020 ; Boiffin et al., 2022). Reconnus dans leurs compétences
d’ingénierie, permettant de relier connaissance et action, ils ont les atouts pour contribuer à la
transformation de l’agriculture, mais l’élargissement de leurs objets est devenu tel que la
diversification des besoins des acteurs, qu’ils soient agriculteurs ou parties prenantes de l’activité
agricole dans les territoires, engendre des questionnements sur ce que seront les métiers
d’agronomes demain.
Les différents travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres ont ainsi mis en évidence les
caractéristiques majeures des métiers d’agronomes dans les années à venir.
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CONCLUSIONS : LE CHALLENGE D’ÊTRE AGRONOME EN TRANSITION
sujets pour lesquels des questions d’éthique sont posées (protection des biens communs, justice
sociale et environnementale, protection des données personnelles…) (Memmi et Bouttet*, 2022 ;
Meyer*, 2022 ; Capitaine et Loudiyi*, 2022).
Cette réflexion engendrera une évolution de la posture de l’agronome dans la recherche, pour que
la problématisation, les questions, la méthodologie et les résultats de ces recherches produisent
des connaissances opératoires et actionnables en priorité dans les situations observées, tout en
prenant en compte les questions éthiques que posent certaines technologies ou certains choix
politiques.
S’engager sur le long terme en anticipant les futurs possibles pour aider à la décision
Enfin, le métier d’agronome devient directement relié au besoin de redonner une capacité de
résilience aux systèmes agricoles suite aux aléas de différentes natures (climatique, écologique,
sanitaire, économique, social), ce qui suppose à la fois la capacité à anticiper les futurs possibles et
à identifier les scénarios d’évolution des activités agricoles, du local au global (Colombier et
Messéan*, 2022 ; Pointereau*, 2022 ; Mousset*, 2022). Ainsi, au-delà de leur compétence technique,
les agronomes de demain devront s’organiser, avec d’autres (à l’instar du GIEC ou de l’IPBES), pour
produire les connaissances permettant d’aider les acteurs agricoles à prendre des décisions. Les
agronomes devront également être en mesure d’imaginer et construire des possibles dans un
contexte incertain et caractérisé par des manques de connaissances (Messéan et al., 2020,
Colombier et Messéan*, 2022).
Des profils diversifiés d’agronomes pour favoriser des systèmes agricoles résilients
D’ores et déjà, nous avons pu identifier, dans les différentes situations analysées au cours des
Entretiens agronomiques Olivier de Serres, des évolutions notables dans les différents métiers
d’agronomes, avec des activités qui se diversifient, soit parce qu’il y a de nouveaux objets de travail
(ex : les projets alimentaires territoriaux, la production d’énergies renouvelables), soit parce qu’il y
175
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Figure 1 : quelques exemples d’activités d’agronomes nouvelles ou réactualisées des différents métiers
dans plusieurs contextes et à des échelles diverses
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Les travaux des Entretiens agronomiques Olivier de Serres ont cependant relevé des besoins
essentiels de nouvelles compétences individuelles des agronomes pour relever les défis de la
transformation de l’agriculture :
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- La place des sciences humaines et sociales, que ce soit dans la compréhension des
dimensions sociale et personnelle dans le changement de pratiques (Compagnone*, 2022 ;
Martin*, 2022), que dans le positionnement épistémologique d’une science de l’action
(Meynard, 2016 ; Cornu et Meynard, 2020) ;
- Les démarches de prospective, qui permettent d’ouvrir le « champ des possibles »
(Colombier et Messéan, 2022), de documenter des scénarios de transformation de
systèmes agricoles et d’en évaluer les impacts à différentes échelles de temps et d’espace ;
- Les démarches d’accompagnement stratégique, pour concevoir une trajectoire de
changement de pratiques adaptée à chaque situation agricole et documenter pas-à-pas les
impacts de ces changements.
Des compétences spécifiques pour l’expertise attendue des agronomes sur de nouveaux objets
En analysant les activités et les compétences dans des contextes très diversifiés de transition, nous
avons pu mettre en évidence la difficulté de maîtrise des différentes connaissances et compétences
par les agronomes en vue de répondre à toutes les attentes. Pour autant, l’expertise des systèmes
techniques agricoles étant ce qui est attendu des agronomes, il est indispensable que certains
agronomes développent les compétences spécifiques à propos de certains objets.
Cela concerne surtout les compétences techniques liées aux transitions sociotechniques autres que
la transition écologique.
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d’accompagner les agriculteurs dans des usages autonomes et favorables à la double résilience de
leurs agroécosystèmes et de leurs entreprises- (Memmi et Bouttet*, 2022 ; Barbieri et al*., 2022).
Pour toutes ces compétences spécifiques, les agronomes ont à répondre aux attentes, soit en se
spécialisant à l’échelle individuelle, devenant alors l’agronome spécialiste du sujet au sein d’une
équipe d’agronomes d’une organisation professionnelle ou d’une entreprise, soit en s’associant la
compétence d’un spécialiste du sujet pour travailler en binôme sur les problématiques particulières.
Mais dans tous les cas, l’agronome devra être présent sur les différents nouveaux objets, car ses
compétences méthodologiques dans l’approche d’une situation, et ses capacités à évaluer les
potentiels de production et les externalités positives et négatives de nouvelles productions ou
services de l’activité agricole, lui donnent un statut d’expert incontournable pour les décideurs.
Mais ces compétences spécifiques ne devront pas faire oublier à l’agronome l’importance du
regard transversal, d’une part sur les impacts des changements sectoriels dans la transformation
globale de l’agriculture aux différentes échelles de temps et d’espace, d’autre part sur les
connaissances produites en interdisciplinarité avec les autres sciences pour l’agriculture.
Le rôle et la place des agronomes dans la société : une compétence collective à affirmer
par les agronomes et à faire reconnaître par les entreprises et dans les politiques
publiques
Dans nos travaux, tout au long des neuf mois de consultations et d’ateliers participatifs, il ressort
deux idée-force majeures que les agronomes ont à transformer en action collective : (i) l’agriculture
étant un secteur clé dans la recherche de la neutralité carbone, les agronomes ont un rôle évident
de production de connaissances et d’accompagnement pour la transformation de l’agriculture, et
(ii) l’urgence à agir exige que la transformation de l’agriculture n’attende plus, et les agronomes
doivent s’engager collectivement pour lever ou faire lever tous les verrous de résistance aux
changements de pratiques agricoles.
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A l’issue des travaux de cette 11ème édition des Entretiens agronomiques Olivier de Serres, nous
pouvons considérer que la communauté des agronomes a de nombreux éléments pour construire
une feuille de route dans les années à venir et assurer les principales fonctions qui sont aujourd’hui
importantes pour contribuer à l’indispensable transformation de l’agriculture.
Avec la somme de connaissances acquises, les pistes de travail pour élargir et compléter l’efficience
des agronomes, la mesure prise des transitions en cours, la conscience de l’urgence à les mettre en
pratique, et l’expérience de pratiques vertueuses chez un certain nombre d’agriculteurs, des
moyens existent pour engager rapidement cette transformation. Il reste à trouver comment
s’affirmer en tant qu’experts auprès des décideurs en acquérant une visibilité aussi légitime que les
climatologues ou les écologues dans leur domaine. Car rien ne sera possible sans l’appui des
institutions et des employeurs des agronomes, qui doivent prendre également leurs
responsabilités :
- Les pouvoirs publics : la mise en place des soutiens nécessaires et adaptés aux objectifs, et
l’organisation de la planification de la transformation de l’agriculture ;
- Les institutions de recherche et de formation : le renforcement des coopérations pour produire et
partager des connaissances nouvelles et des innovations, selon des méthodes et une posture
nouvelles, afin de rendre possible la diversité des trajectoires de changements de pratiques
agricoles ;
- Le système de développement agricole, qu’il soit public ou privé : l’accompagnement des
transitions agricoles en adaptant les objectifs, les moyens et les modalités à chacun des territoires
et des situations d’entreprises ;
- Les organismes professionnels agricoles : l’engagement clair et de long terme de transformation
de leurs pratiques agricoles avec l’exigence de réponse aux défis urgents : la sortie des énergies
fossiles et l’arrêt de l’érosion de la biodiversité.
Lors de ces travaux, nous avons aussi fait un pas de côté en allant voir ce qui se passait ailleurs, et
nous avons pu avoir le témoignage de l’Ordre des agronomes du Québec. Les agronomes français
ont perçu les avantages identifiés d’une profession réglementée, que ce soit l’exigence d’une
compétence professionnelle tout au long de la carrière, l’indépendance professionnelle, le rôle de
l’agronome dans les politiques publiques, et celui de médiation dans les sujets à controverse, qui
constituent de véritables leviers pour affirmer le rôle et la place des agronomes dans la société,
particulièrement en contextes de transitions agricoles (Prévost*, 2022b). A l’analyse, ce n’est pas
un nouvel Ordre professionnel que souhaitent les agronomes, mais la reconnaissance des
compétences de leur communauté et leur liberté d’agir pour le bien commun dans la réponse aux
grands défis actuels de l’agriculture.
Une nouvelle dynamique collective reste donc encore à construire pour les années à venir, tant
dans la communauté des agronomes que dans les institutions publiques et professionnelles, pour
faire converger les politiques publiques, les objectifs des organismes professionnels, le continuum
recherche-formation-développement, les pratiques des agriculteurs et la reconnaissance des
citoyens-consommateurs.
Les agronomes doivent y prendre toute leur part, en faisant de leur handicap d’absence de
corporatisme, du fait de la diversité de leurs métiers, un atout de légitimité, du fait de leur expertise
sur les systèmes agricoles, de leur ancrage dans la diversité des territoires et de leur proximité, tant
avec la recherche qu’avec la pratique agricole.
182
CONCLUSIONS : LE CHALLENGE D’ÊTRE AGRONOME EN TRANSITION
Bibliographie
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184
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Philippe Prévost*
* Alliance Agreenium
Au Québec, les agronomes ont depuis longtemps été organisés en tant que profession, d’abord à
partir de la fin des années 1940 sous forme de corporation, puis dans le cadre de la mise en place
de l’office des professions du Québec à partir de 1973, où les Ordres professionnels sont créés avec
un mandat de protection du public. L’Ordre des agronomes du Québec a ainsi été créé le 1er février
1974. Parmi les 40 Ordres professionnels du Québec, l’Ordre des agronomes est de taille
intermédiaire, avec actuellement 3300 membres (dont environ 700 dans le domaine de la
production végétale).
Dans la mission de protection du public, il faut comprendre :
- Bien informer le public afin qu’il puisse déterminer ses besoins,
- Adopter des normes d’exercice axées sur la protection du public,
- Maintenir à jour ses compétences,
- Conserver son indépendance professionnelle.
L’office des professions a accordé à l’Ordre des agronomes un titre et des actes réservés, du fait
que leurs services, qui portent sur les activités agricoles et agro-alimentaires, devaient considérer
les risques et les impacts, inhérentes à ces activités, tant pour les praticiens que pour les
consommateurs.
L’Ordre des agronomes du Québec utilise le mot « agronome » dans un sens très différent de la
façon dont on l’utilise en France, celui-ci correspondant là-bas à une profession normée par une loi,
qui a défini que « l’exercice de la profession d’agronome comprend tout acte posé moyennant
rémunération, qui a pour objet de communiquer, de vulgariser ou d’expérimenter les principes, les lois
et les procédés, soit de la culture des plantes agricoles, soit de l’élevage des animaux de ferme, soit de
l’aménagement et de l’exploitation générale des sols arables, soit de la gestion de l’entreprise
agricole ». « Le législateur a conféré un tel droit d’exercice exclusif aux agronomes en raison de la
complexité de la pratique agronomique, de la latitude dont ils disposent ainsi que des préjudices
sérieux qui peuvent résulter d’une erreur » (A-12 – Loi sur les agronomes66).
Ainsi, l’agronome au Québec correspond à une agronomie au sens large (à l’instar de l’ingénieur
agronome en France) et peut exercer dans les domaines de la production végétale ou animale, mais
aussi toutes les activités de gestion d’entreprise agricole ou de transformation agro-alimentaire.
Six grands champs d’activités sont ainsi considérés dans le référentiel de compétences des
agronomes du Québec67 (Figure 1).
66
https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/tdm/lc/A-12
67 https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2016/03/Referentiel_final.pdf
185
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Figure 1 : les champs d’activités des agronomes au Québec (Référentiel de compétences des agronomes
du Québec)68
Figure 2 : Les trois catégories de compétences du référentiel de compétences des agronomes du Québec
68
Toutes les figures sont extraites du référentiel de compétences des agronomes du Québec, accessible en ligne sur le lien
https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2016/03/Referentiel_final.pdf
186
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
La compétence professionnelle
La compétence professionnelle est vue comme « la capacité de concevoir et d’agir avec efficience,
de manière opportune et éthique dans le but de répondre à des situations professionnelles complexes
en mobilisant ses propres ressources et celles de son environnement. La compétence professionnelle
se situe aux croisements de trois pôles : l’agronome, le mandat qu’on lui confie et le contexte immédiat
et présumé » (Référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec).
Ces compétences professionnelles sont identifiées en lien avec des fonctions (Figure 3) et se
caractérisent par des activités décrites (Figure 4).
Figure 3 : Les fonctions identifiées dans les compétences professionnelles des agronomes
Figure 4 : Les principales activités pour l’exemple de la fonction « Exercer un rôle-conseil en agronomie »
La compétence contextuelle
La compétence contextuelle est définie en fonction d’un champ d’activité circonscrit. Elle « prend
en considération le contexte, les pratiques, les principes et les savoirs qui régissent l’exercice
professionnel dans un secteur d’intervention délimité » (Référentiel de compétences initiales des
agronomes du Québec).
Ces compétences contextuelles distinguent ainsi les profils des agronomes selon les six champs
d’activités des agronomes.
Pour les agronomes de la production végétale, les compétences contextuelles sont différentes
selon le secteur de production : grandes cultures, horticulture, espaces verts (Figure 5). Et elles sont
explicitées par les actions correspondantes à ces compétences (Figure 6).
187
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Figure 5 : Les fonctions identifiées dans les compétences contextuelles des agronomes en production
végétale
Figure 6 : Les activités de la fonction de rôle-conseil de l’agronome en production végétale dans le secteur
des Grandes Cultures
La compétence fonctionnelle
La compétence fonctionnelle « renvoie aux différents champs de savoirs — connaissances,
habiletés, attitudes, comportements — requis et pertinents à l’exercice de la profession
d’agronome » (Référentiel de compétences initiales des agronomes du Québec).
Ces différentes compétences sont illustrées par des actions clés que doit être capable de réussir
l’agronome en activité.
188
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Figure 6 : Les fonctions identifiées dans les compétences fonctionnelles de tous les agronomes
189
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
Le référentiel des compétences des agronomes, l’outil de reconnaissance pour le permis d’exercer
la profession d’agronome au Québec
Ce référentiel sert de base pour l’évaluation des compétences des personnes qui veulent exercer
la profession d’agronome au Québec, ceux-ci devant réussir un examen d’admission pour
l’obtention du titre d’agronome du Québec (comme c’est le cas en France pour les professions
médicales et certaines autres professions comme celles de vétérinaire ou d’œnologue).
Un agronome de profession au Québec ne peut donc se satisfaire de la qualification d’agronome
donnée par un diplôme (comme c’est le cas d’ingénieur agronome en France) mais doit justifier
d’un certain nombre de compétences pour pouvoir exercer l’activité d’agronome et se faire
rémunérer pour ses services.
Enfin, l’Ordre des agronomes effectue une inspection professionnelle de chaque nouvel agronome
inscrit à l’Ordre dans les deux premières années d’exercice.
Cette approche de la compétence présente l’intérêt de garantir l’opérationnalité de l’agronome
dans l’exercice de son métier et de certifier les compétences du fait de l’évaluation par les pairs. Et
elle permet également à des diplômés de différents niveaux, pays, âges, de candidater à la
profession d’agronome. Enfin, ce référentiel sert utilement les universités qui le prennent comme
base dans la construction de leurs référentiels de formation et de certification.
69 https://oaq.qc.ca/wp-content/uploads/2021/08/guide-reglement-formation-oaq-web-1.pdf
190
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
- la préparation d’un plan de formation continue sur le formulaire reconnu par l’Ordre pour un
maximum de 1 heure par période de référence » (Règlement sur la formation continue des
agronomes70).
L’ensemble de ces activités doit être justifié avec des documents certifiant la réalité de l’activité de
formation, que l’agronome doit fournir à l’Ordre des agronomes au sein d’une plateforme de suivi
des dossiers individuels.
70 https://www.legisquebec.gouv.qc.ca/fr/document/rc/A-12,%20r.%207.3%20/
191
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
L’indépendance professionnelle
Le fait d’appartenir à un Ordre professionnel rend l’agronome indépendant dans ses actes, y
compris de son employeur. Ainsi, en cas d’illégalité des demandes de l’employeur auprès des
agronomes employés, l’Ordre des agronomes ne va pas directement intervenir auprès de
l’employeur, mais va mettre en avant son mandat de protection du public pour que l’agronome ne
soit pas obligé d’obéir à l’employeur. Dans les entreprises françaises où le conseil agronomique et
la vente d’intrants agricoles pouvaient créer une injonction paradoxale dans le raisonnement des
agronomes, jusqu’à la séparation récente des activités de conseil et de vente, l’indépendance
professionnelle des agronomes représente dans ce type de situation une liberté d’action
importante à considérer.
La reconnaissance de la profession d’agronome auprès des pouvoirs publics et dans les politiques
publiques
A l’instar de ce qui existe en France dans les professions de santé, avec des professions
réglementées (médecins, vétérinaires), un Ordre professionnel constitue un lieu de consultation et
de construction d’avis et de recommandations permettant d’affirmer le point de vue de la
profession. L’Ordre des agronomes du Québec publie ainsi régulièrement des documents de
référence sur différents sujets71, comme le font en France l’Ordre des médecins et l’Ordre des
vétérinaires, qui ont un certain poids auprès des pouvoirs publics.
Par ailleurs, le fait d’avoir une profession reconnue par la loi offre aux agronomes des possibilités
d’interventions dans des secteurs non directement agricoles, par exemple dans la gestion des
ressources naturelles ou dans l’urbanisme. Ainsi, dans le cadre de projets d’urbanisation, l’Ordre
71 https://oaq.qc.ca/membres/profession/documents-de-reference/
192
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
des agronomes et l’Ordre des urbanistes sont mobilisés pour travailler ensemble sur les nouveaux
projets, prenant ainsi en compte les enjeux et les impacts du projet urbanistique sur l’activité
agricole.
Conclusion
La communication orale du Vice-Président de l’Ordre des agronomes du Québec lors des Entretiens
agronomiques Olivier de Serres et leur approche du développement professionnel des agronomes
selon une démarche de compétences a permis d’identifier un certain nombre d’avantages dans le
fait d’avoir une profession réglementée pour les agronomes.
Mais il est bien difficile d’imaginer cette organisation des agronomes en France. D’une part,
l’agronomie en France concerne prioritairement la production végétale, dans sa relation à
l’environnement et à la gestion de l’entreprise, alors que le Québec considère l’agronome dans tous
les domaines d’activités de l’agriculture et de l’agro-alimentaire. D’autre part, l’Ordre des
agronomes ne concerne que les métiers du conseil, alors que la communauté des agronomes en
France se reconnaît plutôt dans sa diversité des métiers de la recherche, du développement, de la
formation, des entreprises amont et aval de la production, et de la pratique agricole.
Pour autant, les avantages identifiés d’une profession réglementée, que ce soit l’exigence d’une
compétence professionnelle tout au long de la carrière, l’indépendance professionnelle, le rôle de
193
D’AUTRES REGARDS SUR L’ÉVOLUTION DES MÉTIERS
l’agronome dans les politiques publiques, et celui de médiation dans les sujets à controverse,
constituent de véritables leviers pour affirmer le rôle et la place des agronomes dans le contexte
actuel des transitions. C’est la raison d’être de l’Association française d’agronomie et de ses
activités de capitalisation des savoirs, d’échanges de pratiques entre métiers, et de travaux
prospectifs permettant d’anticiper l’évolution des pratiques agronomiques et agricoles. C’est donc
certainement à cette association professionnelle de poursuivre son travail afin de remplir des
missions d’intérêt général pour les agronomes et pour le public, comme le fait un Ordre
professionnel dans un autre contexte.
194
NOTE DE LECTURE
Philippe Prévost*
* Alliance Agreenium
AgriDées, qui se définit comme le think tank de l’entreprise agricole72, a publié récemment un
document dans leur collection « Notes bleues » intitulé « Dynamique agricole : quelles
compétences ?73 ». L’analyse et les propositions des auteurs, qui portent principalement sur la
population des actifs agricoles (chefs d’entreprise et salariés agricoles), prend en compte la
dimension agronomique des compétences et à ce titre, cette note de lecture intéressera les
lecteurs du dossier « Etre agronome en contexte de transitions » de notre revue.
Les travaux de cette note partent d’un triple constat :
(i) l’agriculture vit une période de défis majeurs avec, d’un côté, le besoin de poursuivre voire
d’amplifier l’activité de production et, de l’autre côté, le rôle à assumer dans le renouvellement des
ressources naturelles (eau, sol, biodiversité) dans un contexte de changement climatique et de
perte de biodiversité ;
(ii) les transitions à engager vont créer des évolutions dans les systèmes agricoles vers une
multiplicité et plus de complexité des questions à résoudre, ce qui exige de considérer le capital
humain comme un facteur de production essentiel des entreprises agricoles de demain ;
(iii) la population agricole (chefs d’entreprises et salariés agricoles) n’a cessé de décroître durant
ces dernières décennies et le renouvellement générationnel constitue un fort enjeu pour les années
à venir.
Ce constat met en évidence que la dynamique agricole, pour se poursuivre, doit s’appuyer sur une
véritable stratégie de ressources humaines, et la note d’AgriDées analyse la situation globale des
compétences, dans leur diversité et leur qualité, de la « ferme France », avant d’identifier des
propositions.
La note est organisée en quatre parties principales. Les trois premières parties analysent la situation
en partant du contexte (« Agriculture et société, le grand décloisonnement »), pour ensuite préciser
les grandes évolutions des métiers agricoles (« Spécificité des métiers agricoles, entre transition et
rupture »), avant d’envisager les besoins en ressources humaines (« Capital humain, des
compétences à cultiver »). La quatrième partie est l’objet de propositions d’actions pour que la
dynamique agricole soit portée par les compétences.
72
https://www.agridees.com/qui-sommes-nous/
73 Note téléchargeable au format pdf sur le lien https://www.agridees.com/notes/dynamique-agricole-quelles-competences/
195
NOTE DE LECTURE
74
Les exemples de la loi « Climat et résilience » en France et du Pacte vert « Green Deal » en Europe sont des exemples pris en
référence de politiques publiques impactant directement l’agriculture.
196
NOTE DE LECTURE
des collectifs, droits contractuels,…) deviennent indispensables aux chefs d’entreprises agricoles.
Ils insistent par ailleurs sur deux domaines de connaissances nouveaux à intégrer dans tous les
cursus de formation : les connaissances sur les transitions pour mieux organiser les trajectoires
d’évolution des techniques et des pratiques agricoles, et les connaissances des technologies
numériques, utiles dans toutes les activités agricoles (aide à la décision, pratiques assistées,
communication,…). Dans le champ des compétences, les auteurs insistent sur le besoin de
renforcer le développement de compétences transversales, comme les capacités à travailler en
équipe, à gérer des projets, à traiter des sujets complexes, ou à développer des approches trans-
sectorielles.
75Pour ne citer que deux exemples : le rapport Les métiers en 2030 (https://dares.travail-emploi.gouv.fr/dossier/les-metiers-en-
2030) et l’appel à manifestation d’intérêt Compétences et métiers d’avenir (https://www.gouvernement.fr/france-2030-appel-a-
manifestations-d-interet-competences-et-metiers-d-avenir-informations-et-fiches )
197
NOTE DE LECTURE
198
NOTE DE LECTURE
aisément que les agriculteurs sont de plus en plus parties prenantes dans la production des
connaissances. Et enfin, et peut-être surtout, la dimension culturelle de l’agriculture, gestionnaire
des ressources naturelles et du vivant, et productrice de biens nourriciers, invite les agriculteurs à
de nouvelles pratiques et donc de nouvelles compétences qui mobilisent les collectifs, que ce soit
dans les pratiques agroécologiques, la prise en compte du bien-être animal, les ateliers de
transformation, la vente directe, le lien à tous les autres acteurs locaux du développement
territorial …
Et cette compétence collective reste à décloisonner, non pas avec le reste de la société, mais par
une volonté partagée dans le monde agricole. Prenons deux exemples illustratifs :
- La réduction des intrants et le développement de pratiques agroécologiques a fait l’objet
de nombreux travaux de recherche et recherche-développement depuis 20 ans, et
l’exemple du réseau des fermes DEPHY, mis en avant par les auteurs, montre que malgré le
développement de compétences individuelles d’agriculteurs du réseau DEPHY qui se sont
engagés dans la transition écologique et la triple performance écologique, économique et
sociale qu’ils ont réussi à démontrer, la compétence collective ne s’est pas aussi largement
construite dans les territoires que ce qui était attendu par les pouvoirs publics et les
citoyens !
- La diversité des modèles d’agriculture qui, chacun sait, fera la résilience de la « ferme
France » à l’avenir, mais aussi son attractivité, fait l’objet d’un verrouillage à toutes les
étapes de la diversification : dans l’allocation des terres à des projets d’installation dits
« non conventionnels », favorisant un agrandissement allant à l’encontre de
l’accroissement de la population agricole ; dans les technologies innovantes, qui sont avant
tout adaptées à l’agro-industrie alors que de nombreux entrants dans l’agriculture sont à la
recherche de technologies low-tech performantes ; dans les débouchés des productions,
les filières ayant organisé les marchés sur la seule logique des marchés mondiaux ; dans les
dynamiques territoriales où les logiques individuelles priment le plus souvent face à des
logiques collectives. La compétence collective visant à faciliter la diversité des agriculteurs
et des agricultures reste encore trop embryonnaire pour rendre attractive les métiers de
l’agriculture. Et la condition de son développement est avant tout l’affirmation, qui va bien
au-delà des discours, d’un projet unifié du monde agricole pour une agriculture écologique,
résiliente et performante, à l’échelle des territoires locaux et à l’échelle nationale.
Ainsi, au-delà des propositions bienvenues de cette note bleue d’AgriDées, ne faudrait-il pas une
nouvelle note qui travaillerait sur la compétence collective du monde agricole, en menant une
analyse aussi rigoureuse que dans cette note, afin de rendre effectives les conditions favorables
aux transitions attendues par les citoyens et les pouvoirs publics ?
199
NOTE DE LECTURE
200
NOTE DE LECTURE
Note de lecture
Quelques réflexions autour du livre
« La fabrique de l’agronomie »
(Boiffin, J., Doré, T., Kockmann, F., Papy, F., Prévost P., Quae Editions, 2022)
Une note de lecture écrite par des agronomes, au sujet d’un livre sur l’agronomie76, parue dans la
revue de l’association française d’agronomie, association dont les auteurs du livre sont parmi les
principaux initiateurs : la voie de l’analyse critique est étroite, et le défi de donner de la visibilité à
la culture agronomique vers un public élargi, qui est l’un des objectifs de cette revue77, semblait
hors d’atteinte… La lecture de l’ouvrage a fait tomber ces réserves : il donne des clés pour
comprendre la construction de l’agronomie, il n’élude pas les critiques dont l’agronomie a pu faire
l’objet et par cette posture même, il se rend accessible à un public que les discussions internes à la
discipline n’intéressent pas.
Les agronomes ont une longue tradition de réflexion historique et épistémologique sur leur
discipline. Peut-être est-ce dû au fait que l’agronomie est une science en -nomie, ce que Benjamin
Buisson, dans un numéro précédent de cette revue78, interprète notamment comme la
manifestation, dans le vocabulaire employé, d’être, pour l’agronomie, à la fois dans la production
de connaissances ayant un caractère générique, et dans l’action sur le monde, celui de l’agriculture.
En utilisant le vocabulaire des économistes (l’économie, autre science en -nomie), on pourrait dire
que l’agronomie est à la fois positive et normative. Donc pas seulement dans l’élaboration de
concepts (une -logie), pas seulement dans la production d’une collection de savoir-faire (une -
technie), mais une -nomie, qui se constitue dans l’action et la rétroaction entre l’agronome et
l’objet qu’il s’est donné et sur lequel il intervient, en vue de le transformer, d’y concevoir des
innovations, en somme au carrefour de la science et de l’ingénierie. En conséquence, et du fait
même de cette visée transformatrice, le champ scientifique de l’agronomie est fortement en prise
avec la société et ses institutions.
Pour rendre compte de cette complexité épistémologie et sociale à caractère systémique, il aurait
été possible, pour les auteurs, de choisir un certain nombre d’enjeux environnementaux ou
alimentaires dans lesquels l’agriculture a une place prépondérante et de décrire comment
l’agronomie s’est façonnée suivant ses deux penchants, en s’engageant dans la compréhension des
phénomènes en jeu et en intervenant dans la résolution des problèmes qui se posent. Mais cette
option aurait sans doute été trop dispersive pour rendre compte de la cohérence de l’approche
agronomique, et des régularités que son inscription dans les institutions de la société donne à voir.
L’autre option, celle retenue par les auteurs du livre, a été d’isoler les différentes composantes du
champ scientifique et social de l’agronomie tel que décrite précédemment, et de montrer comment
76 Pourquoi le mot fabrique ? Les auteurs ne discutent à aucun moment dans le livre du choix de ce terme. Est-ce par référence à
un ouvrage ou article précédent ? Fabrique est intéressant par sa polysémie : c’est à la fois le fait d’élaborer, de fabriquer et le lieu
où se fait cette fabrication. Ils auraient aussi pu dire la manufacture qui est à la fois action de façonner, originairement à la main
et l’établissement où l’on fabrique.
77 la revue AE&S entend contribuer à la réflexion sur la place et le rôle de l'agronomie et des divers métiers d'agronomes dans le
développement des sociétés contemporaines, tout en augmentant la visibilité de leurs points de vue.
78
Benjamin Buisson, vous avez dit agronomie ? AES vol 3 n°1, 2013
https://agronomie.asso.fr/fileadmin/user_upload/revue_aes/aes_vol3_n1_juin2013/pdf/aes_vol3_n1_18_buisson.pdf
201
NOTE DE LECTURE
elles se sont progressivement élaborées. Pour tailler dans cette matrice complexe, les auteurs ont
ainsi choisi la transversalité vue depuis la discipline agronomique plutôt que la transversalité vue
depuis les enjeux sociétaux, ce qui est parfaitement légitime, d’autant qu’ils ont veillé autant que
possible à éviter les redites entre ces récits diachroniques, tout en reconstituant les liens que ces
récits autonomes ont nécessairement rompus.
Ils ont par ailleurs choisi de restreindre le champ du livre à l’agronomie au sens de l’étude de
l’agroécosystème (agronomie sensu-stricto par opposition à l’agronomie de l’ensemble des
activités agricoles, celle qui recouvre le champ de la formation dans les écoles d’ingénieurs
agronomes), de s’en tenir à la trajectoire de l’agronomie en France et depuis le milieu du XXème
siècle, ce qui n’est pas anodin : les auteurs soulignent tout ce qu’une approche comparée entre
pays d’une part et une lecture du temps long d’autre part aurait apporté à l’ouvrage, mais ils
revendiquent d’une certaine manière la pertinence d’une approche centrée sur l’école française
d’agronomie dans l’après-guerre, pour son originalité et parce que c’est une période de renaissance
et de cristallisation de l’agronomie accompagnant la grande transformation de l’agriculture
française. L’introduction générale de l’ouvrage, remarquable par sa concision (6 pages), rend
compte de ces options de façon très limpide.
Le livre raconte ainsi comment l’agronomie s’est fabriquée. Les auteurs ont organisé le récit en
deux parties, l’une centrée sur la discipline scientifique (en cinq chapitres) l’autre sur l’inscription
de l’agronomie dans les institutions de la société (en quatre chapitres).
La première partie étudie successivement l’élaboration des concepts de l’agronomie et notamment
ceux d’élaboration du rendement, d’itinéraire technique et de système de culture (ch1), de ses
outils pour appréhender la réalité, notamment l’observation, l’expérimentation, l’enquête, la
modélisation et le défi de l’exploitation des « big data » (ch2), puis l’évolution progressive des
niveaux d’échelle que l’agronomie aborde, que ce soit l’échelle spatiale ou celle du degré de
couplage avec des fonctions autres que productives, avec principalement la question des impacts
environnementaux (ch3). L’approche de la discipline agronomique se poursuit par l’étude des
trajectoires d’interaction de l’agronomie avec d’autres disciplines, celles des sciences naturelles et
des sciences sociales (ch4) et enfin retrace la place de l’innovation tout au long de l’historique de
l’agronomie, en identifiant l’apparition successive de différents régimes de conception (ch5).
La deuxième partie passe en revue les institutions de la société dans lesquelles l’agronomie
intervient : la recherche regardée en particulier à travers un parallèle très fructueux entre les
institutions de métropole et d’outre-mer mettant en regard trois types de récits (organisation
institutionnelle, thématiques abordées et démarches mises en œuvre) (ch6), la formation
agronomique (supérieur, technique, formation continue) comme creuset de la construction de
l’agronomie à travers un enseignement vers l’action, attaché au terrain et tendu vers la prise en
charge de problèmes à résoudre à différents niveaux d’échelle (parcelle, exploitation, territoire)
(ch7), le système de développement agricole, dont les transformations sont d’abord décrites, et
qui est analysé comme le lieu du dialogue entre la profession agricole, la formation et la recherche
(ch8) et la contribution de l’agronomie aux différentes étapes du cycle des politiques publiques
(ch9) qui analyse après une brève synthèse historique de celles-ci, les succès et les difficultés des
agronomes dans la concrétisation de leur expertise au service de l’action publique à propos de
quelques grandes questions (l’azote et l’environnement ; les sols et leurs aménagements ; la
protection des plantes)
Ces différents angles d’attaque donnent au lecteur néophyte une lecture de la double dimension
de l’agronomie, science pour comprendre / science pour agir. A l’agronome averti, ils permettent
de prendre du recul par rapport à la façon dont il pratique sa discipline et de redonner une
cohérence à l’ensemble de l’édifice, dont les agronomes, dans la diversité de leur métiers et des
institutions dans lesquels ils interviennent, ne visitent souvent qu’une partie.
L’ensemble, bien qu’imposant, est de lecture aisée car s’il manque peut-être quelques illustrations
très visuelles, il propose dans tous les chapitres des niveaux de lectures variés (différents angles de
vue, encadrés illustratifs, repères bibliographiques) qui permettent des regards croisés et donnent
202
NOTE DE LECTURE
du relief au récit.
Le lien si intime que l’agronomie française entretient avec une réalité agricole très située,
l’agriculture française depuis 1945, qui a accompagné sa refondation et sa cristallisation, amène une
question cruciale, que les auteurs formulent explicitement : « En quoi l’agronomie s’est-elle
construite en dépendance vis-à-vis des objectifs assignés à l’agriculture au fil de l’évolution de la société
française ? » (p.19)
L’importance de ce questionnement mérite un détour par une réflexion d’ordre épistémologique.
L’agronomie est-elle impartiale ? autonome ? neutre ? Leo Coutellec philosophe des sciences
distingue79 l’impartialité des sciences, qualité qui « se caractérise par l’absence d’influence des
valeurs non épistémiques dans la motivation interne de la science ». Il réserve le concept
d’autonomie80 « à la question de l’autonomie vis-à-vis des orientations de la recherche, l’élaboration
des stratégies de recherche et le choix des méthodologies ». La neutralité, pour sa part, requiert
l’impartialité des méthodes mais va au-delà puisque qu’elle suppose aussi « le caractère ouvert des
applications possibles des connaissances ».
Pour revenir à la question que les auteurs se posent, on peut dire, en suivant ces trois définitions
proposées par Coutellec, que l’agronomie s’est construite en généralisant des méthodes, outils et
concepts qui répondent à l’exigence d’impartialité, mais qu’elle n’a pas été neutre, car ayant
accompagné très majoritairement le développement d’un modèle agricole intensif. Ainsi, une plus
grande autonomie dans le choix de ses objets de recherche l’aurait sans doute amenée à anticiper
beaucoup plus tôt les effets négatifs de ce modèle. Mais, choix cornélien, un tel regard, fixé sur le
moyen terme, l’aurait peut-être rendue presbyte au diagnostic des problèmes à résoudre dans
l’évolution tendancielle de l’agriculture !
Ce qui est intéressant, rassurant et stimulant est que cette analyse n’est pas seulement la nôtre,
mais celle des auteurs de l’ouvrage eux-mêmes81. Ainsi le livre donne à voir, même si ce n’est pas
son intention, comment le choix d’étudier, dans la réalité agricole, des cas d’étude majoritairement
liés au processus de modernisation de l’agriculture a orienté l’agronomie. La science construit
certes ses objets, mais dans le cas présent, les objets ont réciproquement orienté la production de
la science. Le livre montre que l’agronomie a été façonnée par les objets qu’elle étudie, autant que
par l’intention de ses pratiquants. Et fort à propos, les auteurs n’hésitent pas à faire une certaine
autocritique de cette trajectoire, autocritique qui est à la fois salutaire et éclairante.
Par exemple, décrivant l’enseignement agronomique avant 1970, qui n’allait pas au-delà de la
phytotechnie, les auteurs expliquent que « l’intensification de la production agricole étant la finalité
de la formation technique, les contenus d’enseignement sont alors orientés vers les savoirs favorisant
l’amélioration des rendements des productions végétales et animales » (p.330).
Concernant la prise en compte des impacts environnementaux de l’agriculture, les auteurs
reconnaissent que « les questions environnementales ne sont pas centrales dans le projet de
l’agronomie avant 1990, et qu’avant 1980 elles sont souvent collatérales. (…) L’environnement n’est
petit à petit apparu plus visiblement dans les préoccupations de la discipline en France que dans les
années 1980. La contribution initiatrice généralement retenue est connue sous le vocable « rapport
Hénin », dont le titre est Activités agricoles et qualité des eaux (Hénin, 1980a) (p.41).
Autre exemple, concernant la prise en compte du sol milieu vivant, les auteurs reconnaissent qu’il
79 Léo Coutellec, La science au pluriel, essai d'épistémologie pour des sciences impliquées, 2015
https://www.quae.com/produit/1330/9782759224005/la-science-au-pluriel
80
Suivant Lacey 1999, il explique que « l’autonomie impliquerait un détachement du choix méthodologique et des orientations
stratégiques des préoccupations ou intérêts sociaux. »
81 Ils reconnaissent pourtant très justement qu’ils sont mal placés pour faire cette lecture : « Cet ouvrage est écrit par des
agronomes. Ils analysent la construction de la discipline qui a été au centre de leurs diverses activités professionnelles, et n’ont de ce
fait pas le regard distancié qu’auraient des spécialistes de l’histoire des sciences ou de l’épistémologie. Au contraire, ayant fait eux-
mêmes partie des acteurs qui ont construit l’agronomie, ils ont un regard qu’on pourrait qualifier d’engagé » (p.14)
203
NOTE DE LECTURE
ne commence à être étudié pour soi que dans les années 2000 (p.441). Jusque-là, « on admettait
bien sûr dans le sol une certaine vie, puisque la matière organique y jouait un rôle important – mais
c’est à peu près là que s’arrêtait la prise en compte de la composante biologique dans
l’agroécosystème, hors bien sûr l’espèce omniprésente qu’est l’espèce cultivée, et à l’exception des
communautés d’adventices » (p.43).
Les auteurs n’ont pas souhaité s’avancer sur le terrain de l’explication de ces orientations ni
d’élucider leurs causalités socio-économiques, politiques, épistémologiques. Il était pourtant
possible de dire que l’on baignait alors dans le contexte de la modernisation, et que cela peut
hypothétiquement expliquer les orientations de l’agronomie : s’agissant du compartiment
biologique de l’agroécosystème, à quoi bon s’intéresser à tout ce que les intrants permettaient de
suppléer ou de contrôler ?
Un détour par les travaux dans le domaine de la qualité développés dans les années 90 eut été aussi
utile pour montrer que déjà, à travers l’analyse agronomique des filières, ces premières
propositions renouaient l’agronomie avec la « fabrique alimentaire », et nuançaient des approches
strictement confinées au rendement. Elles ont permis aux agronomes dans la recherche, le
développement et l’enseignement de prendre en compte les mutations récentes des systèmes
alimentaires.
Finalement, et pour revenir au constat d’un certain déficit d’autonomie de l’agronomie, on ne peut
donc que souscrire à cet extrait de la conclusion du livre : « Ainsi, il ne peut être nié que, dans la phase
initiale de la fabrique, l’agronomie a été « productiviste ». Elle est, par la suite, restée longtemps «
productionniste », autrement dit axée sur les critères de production quantitative, dans une position
d’observation passive d’évolutions sur lesquelles elle n’avait guère prise. Encore aujourd’hui et en
dépit des multiples réformes de la politique agricole commune, les mécanismes de rémunération des
agriculteurs privilégient l’abaissement des coûts de production et l’accroissement de productivité,
alors que les autres aspects de la multifonctionnalité ne sont rémunérés que de façon détournée,
précaire et finalement peu incitative. Plutôt qu’une adhésion idéologique des agronomes à
l’intensification, c’est un déficit de problématisation sur les enjeux autres que la production qu’il y
aurait lieu de pointer (p. 470).
La capacité que les auteurs ont eu de pointer ces faiblesses dans l’histoire de l’agronomie est une
qualité de l’ouvrage : il donne au lecteur le sentiment qu’il ne s’agit pas d’une histoire lisse et policée
et donne ainsi de la crédibilité à l’ensemble de leur travail.
Les auteurs ouvrent en conclusion sur ce que l’analyse de la trajectoire de l’agronomie depuis 1945
offre comme perspectives pour son futur. Ils se demandent par exemple si « l’écologisation de
l’agriculture », dont la nécessité est proclamée de toutes parts, implique une refondation de
l’agronomie ? » (p.471) et apportent une ébauche de réponse : « l’écologisation de l’agronomie
apparaît principalement comme une nouvelle avancée, avec son lot de remises en cause de paradigmes
dépassés et d’assimilation de notions inédites, notamment en provenance de l’écologie, plutôt que
comme une remise en cause radicale des acquis » (p.472).
Derrière le vocable d’écologisation de l’agriculture ou de l’agronomie, se cache évidemment la
question de l’émergence de l’agroécologie. La question semble être réglée dès le début du livre :
« … en même temps qu’émergeait cette nouvelle demande de retour de l’agronomie, cette dernière a
pu parfois être considérée comme dépassée, devant être remplacée par l’agroécologie. Cette vision
méconnaît le caractère protéiforme de l’agroécologie (Wezel et al., 2009 ; Doré et Bellon, 2019), qui est
loin de n’être qu’une discipline scientifique dans laquelle se dissoudraient les autres » (p.31).
L’argument semble un peu court : le fait que l’agroécologie soit à la fois une discipline scientifique,
un ensemble de pratiques agricoles et un mouvement socio-politique, prenant ainsi toutes les
dimensions d’une science impliquée telle que définie plus haut, tandis que l’agronomie se limite à
être une discipline scientifique assortie d’une pratique clinique n’empêche en effet pas de les
mettre en regard, au moins dans leur dimension de discipline scientifique. Les auteurs le
204
NOTE DE LECTURE
L’avenir dira ce qu’il adviendra des rapports entre l’agronomie et l’agroécologie. Celle-ci, de par son
caractère de science impliquée n’est-elle pas bien en phase avec les attentes de la société, dans un
monde où l’on croit de moins en moins à la neutralité des sciences et où l’on valorise au contraire
leur nécessaire pluralité voire implication ? Un nouveau détour par des considérations
terminologiques peut apporter un éclairage intéressant : dans l’histoire, le terme « agronome »
semble avoir précédé le terme « agronomie »82. A l’inverse l’agroécologie a fait irruption dans le
débat sociétal et scientifique en étant portée par une pluralité d’acteurs, et, parmi les scientifiques,
des écologues, des sociologues, des économistes mais surtout et essentiellement des agronomes,
mais pas d’agroécologues. La « fabrique de l’agronomie » nous montre la capacité des agronomes
à faire bouger leurs concepts, leurs méthodes, leurs interventions en intégrant l’évolution des
besoins de la société et les propositions des autres disciplines.
Cela veut-il dire finalement que les agronomes ont tout aujourd’hui pour penser l’agroécologie sans
qu’il soit besoin de créer une catégorie « agroécologues » ? C’est ce que la suite de l’histoire de
l’agronomie qui nous est dite ici devrait prouver.
Pour conclure, ce livre plutôt que de prétendre fixer dans le marbre un récit épique et unique de la
construction de l’agronomie, offre un formidable foisonnement d’idées sur les processus de
fabrique d’une discipline, exercice très salutaire à l’âge des incertitudes.
205
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