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URL : http://journals.openedition.org/economierurale/4338
DOI : 10.4000/economierurale.4338
ISSN : 2105-2581
Éditeur
Société Française d'Économie Rurale (SFER)
Édition imprimée
Date de publication : 15 mai 2014
Pagination : 83-99
ISSN : 0013-0559
Référence électronique
Mohamed Ghali, Karine Daniel, François Colson et Stéphane Sorin, « L’agriculture écologiquement
intensive. Une approche économique », Économie rurale [En ligne], 341 | mai-juin 2014, mis en ligne le
15 mai 2016, consulté le 30 avril 2019. URL : http://journals.openedition.org/economierurale/4338 ;
DOI : 10.4000/economierurale.4338
L’agriculture française doit relever un double déi, environnemental et productif. Suite au Grenelle
de l’environnement, le terme d’Agriculture Ecologiquement Intensive (AEI) est apparu comme
un concept susceptible de répondre à ce double déi. Cet article analyse le concept d’AEI, son
émergence et ses spéciicités, en privilégiant une approche économique. Il discute la pertinence
des notions d’intensiication écologique et de productivité des ressources naturelles à l’échelle de
l’exploitation. Il présente l’analyse de l’eficience productive des exploitations comme un cadre
méthodologique pour l’évaluation de la démarche AEI.
MOTS-CLÉS : agriculture écologiquement intensive, intensiication écologique, ressources natu-
relles, eficience productive, eficience environnementale.
Ecologically intensive agriculture: An economic approach
French agriculture is now facing a dual challenge of environmental sustainability and productivity.
Further to the Grenelle Environment Conference (Environment roundtables organized in 2007 by
the French government), Ecologically Intensive Agriculture (EIA) has emerged as a new concept to
reach this dual challenge. This paper uses an economic approach to analyse the emerging concept of
EIA and its speciicities. It discusses the relevance of ecological intensiication and natural resources
productivity concepts at the farm level. It shows the measurement of productive eficiency of farms
as a methodological framework for assessing the EIA approach. (Q16, Q29, Q32, Q40, Q57)
KEYWORDS: ecologically intensive agriculture, ecological intensiication, natural resources,
productive eficiency, environmental eficiency.
L’intérêt pour ce concept est donc réel, un système de production caractérisé par
cependant, ni ses bases scientiiques ni ses un ensemble de techniques et de techno-
performances techniques et économiques logies ayant pour objectif d’intensiier les
ne sont bien connues. Ainsi, nous ana- fonctions d’un écosystème de production,
lysons le concept d’AEI, son fondement permettant de maximiser la production
théorique, les notions qu’il mobilise et dis- agricole et les aménités environnemen-
cutons l’intérêt économique éventuel qu’il tales, de réduire les externalités négatives
peut engendrer. et d’améliorer la gestion des ressources
naturelles.
2. Un concept mobilisant agronomie, L’AEI repose sur l’idée que les méca-
écologie et économie nismes biologiques naturels, au cœur des
Selon Griffon (2007), le principe de base processus productifs, peuvent être mieux
de l’AEI est l’intensiication écologique valorisés (igure 1). Elle suppose une ges-
qui est l’obtention d’un rendement plus tion des techniques agricoles et des amé-
élevé par unité de biosphère pour un en- nagements du paysage plus complexe
semble d’objectifs de viabilité recherché. qu’en agriculture conventionnelle, même
Ainsi, l’AEI peut être appréhendée comme si elle reste dans une logique de maintien
Produits agricoles
Intrants de (Services de
synthèse production)
Activité
agricole :
Fonctionnalités Itinéraires Aménités
écologiques techniques environnementales
conventionnels
Ressources Externalités
naturelles négatives
Produits
Intrants de agricoles
synthèse (Services de
production)
Fonctionnalités
écologiques
Activité Aménités
agricole : environnementales
itinéraires
AEI
de services écologiques ayant un impact di- rivière propre). Ainsi, l’évaluation séparée
rect sur le bien-être humain. Ils distinguent de chaque catégorie de service mène à un
deux types de processus : (i) les processus double comptage de la valeur de puriica-
de base des écosystèmes, Core’ ecosystem tion de l’eau (Balmford et al., 2008). Cette
process (ex. cycle des nutriments (azote, limite est soulignée par Fisher et al. (2009),
phosphore, carbone), cycle de l’eau, inte- Balmford et al. (2008). Lavorel et Sarthou
raction inter- et intra-organismes, la pro- (2008) proposent trois catégories plus opé-
duction de biomasse, etc.) et (ii) les proces- rationnelles pour l’analyse économique (1)
sus bénéiques de l’écosystème, Beneicial les services intrants contribuant à la fourni-
ecosystem processes, qui sont des proces- ture de ressources et au maintien des sup-
sus spéciiques soutenant directement les ports physico-chimiques de la production
bénéices tirés par l’Homme (ex. produc- et assurant la régulation des interactions
tion de biomasse primaire « biomasse des biotiques ; (2) les services de production
plantes » et secondaire « biomasse ani- contribuant au revenu agricole en considé-
male », épuration des eaux, régulation du rant son niveau et sa stabilité temporelle,
climat, régulation de l’érosion, la formation (3) les services des produits hors revenu
des sols, etc.). Les services de l’écosystème agricole direct, incluant le contrôle de la
beneits correspondent plutôt aux produits qualité des eaux, la séquestration du car-
marchands ou non marchands ayant un im- bone ou la valeur des paysages notamment.
pact direct sur le bien-être humain (alimen- En agriculture, les écosystèmes de pro-
tation, eau douce, matière primaire telle que duction sont gérés de manière à maximiser
le bois et les ibres, l’énergie « biocarbu- les services de production (Zhang et al.,
rant, charbon », la santé et le bien-être psy-
2007) qui dépendent de nombreuses fonc-
chologique). Cette classiication est établie
tionnalités écologiques appartenant aux
dans un objectif d’évaluation économique
services de soutien et de régulation, tels
des écosystèmes et de la biodiversité.
que la fertilité des sols et la pollinisation
La classiication proposée par le (Millenium Ecosystem Assessment, 2005).
Millenium Ecosystem Assessment (2005) Cependant, l’agriculture est également in-
repose sur la nature des liens entre le fonc- luencée par des fonctionnalités écosysté-
tionnement de l’écosystème et le bien-être miques néfastes « ecosystem dis-services »
humain et distingue quatre grandes caté- (Zhang et al., 2007) telles que celles assu-
gories de services (de production, de régu- rées par les ravageurs des cultures, les ad-
lation, culturels et de support). Elle est un ventices ou d’autres types de plantes.
outil éducatif et politique utile (Balmford et
Ces éléments précisent les frontières et
al., 2008), mais a été critiquée par Wallace
les interactions existantes entre les fonc-
(2007), Boyd et Banzhaf (2007), Fisher et
tionnalités écologiques et les services
al. (2009) qui soulignent qu’elle n’est pas
écosystémiques, notamment en agricul-
adaptée à une évaluation économique, no-
ture, ce qui peut complexiier l’analyse
tamment à cause du lou des déinitions des
microéconomique. En effet, certaines
services de régulation et services support
caractéristiques des fonctionnalités écolo-
et du problème de double comptage qui
giques telles que sa complexité et sa dyna-
se pose entre les valeurs d’usages écono-
miques directes et indirectes de ces services. mique spatio-temporelle (hétérogène dans
Par exemple, le service de régulation (puri- l’espace et évolutif dans le temps)2 sont
ication de l’eau) fournit une valeur ajoutée
au service support (production primaire via 2. Voir Fisher et al. (2009) pour plus d’informations
la puriication de l’eau d’irrigation) ou au sur les caractéristiques des fonctionnalités éco-
service culturel (bénéice touristique d’une logiques.
incompatibles avec les caractéristiques sol, l’eau, les minéraux et l’énergie fossile
économiques d’un facteur de production (carburant, engrais) et a un impact sur leur
tel que le travail ou le capital (mesurable renouvellement (eau, biodiversité…).
en unité physique, homogène, divisible, Les économistes néoclassiques ont re-
substituable et adaptable). Bien que ces considéré ces ressources en les intégrant
processus interviennent dans la fonction comme des actifs naturels impliquant des
de production, les intégrer comme un fac- choix d’allocation d’usage pour assurer
teur reste dificile puisque nous ignorons leur disponibilité future (Faucheux et Noël,
leur contribution quantitative à la produc- 1995). L’état des ressources naturelles et
tion. Par exemple, la pollinisation est une leur contribution à la production ne sont
fonction écologique nécessaire au service pas considérés comme un facteur de déve-
de production, mais le pollen nécessaire à loppement. Cependant, leur protection, à
la production d’un quintal de blé ainsi que
travers l’introduction d’une réglementa-
sa valeur monétaire est impossible à quan-
tion environnementale, a été intégrée, soit
tiier. Au-delà, certains processus écolo-
comme une opportunité permettant aux
giques tels que la structuration des sols ou
producteurs d’améliorer leur productivité
le contrôle des bio-agresseurs (habitat pour
globale en leur offrant une forte incitation
les auxiliaires) se déroulent sur un pas de
à modiier leurs pratiques ou à adopter de
temps supérieur à celui d’un cycle de pro-
nouvelles technologies (Porter et Van der
duction, ce qui complexiie leur intégration
Linde, 1995), soit comme une contrainte
dans la fonction de production.
où les réglementations environnementales
Néanmoins, la recherche des technolo- peuvent engendrer des coûts supplémen-
gies et de pratiques agricoles permettant la taires (Palmer et al., 1995). À la considé-
valorisation des mécanismes écologiques ration de la productivité s’ajoute l’analyse
et la substitution de ceux-ci, même partiel- des effets secondaires de la production sur
lement, à certains autres inputs chimiques l’environnement et sur l’activité écono-
et phytosanitaires, est un objectif de l’AEI mique.
qu’il convient d’appréhender.
Ces effets non intentionnels sont for-
Les ressources naturelles (RN) malisés par l’économie de l’environne-
Déinies par Kerry Smith et al. (1979) ment comme externalité et par l’écono-
comme l’ensemble de « tous les éléments mie écologique comme production jointe/
originaux qui composent les dotations na- conjointe. La différence entre ces deux
turelles de la terre », les RN se distinguent notions complémentaires réside dans la
par leurs capacités propres de régénéra- nature de la relation entre les agents éco-
tion et n’ont de sens que par rapport à une nomiques (Baumgärtner et al., 2006). En
technologie donnée et à des conditions effet, l’externalité déinie par Buchanan
économiques favorables (Rotillon, 2005). et Stubblebine (1962) implique une inter-
On distingue (1) les ressources naturelles dépendance des fonctions d’utilité. Selon
épuisables présentées sous la forme de Baumol et Aotes (1988), l’externalité est
stocks physiques inis (ex. énergie fossile, présente dès que l’activité d’un agent (A)
les minéraux) et (2) les ressources renou- inclut des variables réelles (non moné-
velables ayant une capacité de reproduc- taires) dont les valeurs ont été choisies par
tion propre, indépendante de l’intervention d’autres sans attention particulière à leurs
humaine (ex. l’eau, la fertilité des sols, la effets sur le bien-être de A. Une externalité
biodiversité, etc.). L’activité agricole est négative considère le dommage environne-
particulièrement concernée par l’utilisa- mental comme une perte de bien-être ou
tion des ressources naturelles comme le d’utilité causée par un agent économique
sur un autre en dehors d’un échange vo- suppose que les ressources échangées
lontaire entre eux, ce qui représente une soient déinies, protégées, exclusives et li-
description basée sur l’effet. La production brement transférables. Ainsi, l’instauration
jointe considère plutôt la cause de l’effet, de droits de propriété échangeables entre
où souvent on observe que l’origine du pollueurs et pollués (théorème de Coase),
dommage environnemental est une pro- ou bien les écotaxes qui renvoient à l’ana-
duction non intentionnelle commune aux lyse pigouvienne, sufiraient à résoudre
deux agents (Baumgärtner et al., 2006). le problème de l’internalisation des coûts
La production jointe relève d’un processus sociaux. Or les ressources naturelles et
productif qui mobilise plusieurs inputs et l’environnement considérés comme biens
génère plusieurs outputs qui peuvent être publics et libres ne sont pas soumis aux
des biens désirables, mais souvent, ils droits de propriété et la solution décrite par
causent des dommages à l’environnement. Coase, par exemple, n’est applicable que
Ainsi, l’utilisation de certaines ressources dans un nombre limité de cas de pollution
naturelles génère de la pollution (ex. uti- (Vallée, 2007). D’autre part, l’approche
lisation du pétrole, émission de CO2, fer- hétérodoxe propose une valorisation phy-
tilisation minérale, lixiviation d’azote) sique de l’externalité et l’intègre dans une
(Baumgärtner et al., 2006, 2001). Ainsi, logique d’optimisation économique sous
le rendement ne dépend pas seulement des contraintes environnementales exprimées
intrants et des techniques mobilisés pour en grandeur physique (Barde, 1991). Cette
la production, mais aussi, à long terme approche renvoie à l’économie écologique
d’autres outputs tels que l’érosion ou le ni- développée surtout dans les pays anglo-
trate lessivé. La pollution des eaux causée saxons et scandinaves, où certains auteurs
par les résidus d’azote est généralement appellent à un rapprochement multidis-
analysée comme une externalité négative ciplinaire entre les sciences du vivant et
affectant le bien-être des consommateurs, les sciences sociales (Boulding, 1966 ;
sans faire le lien avec l’utilisation des Georgescu-Roegen, 1966 ; Daly, 1968).
ressources naturelles mobilisées pour la L’évaluation physique considère donc la
production (terre, minéraux, énergies). Il capacité et le rythme de reproduction des
existe alors une dualité entre l’explication ressources renouvelables et leur risque
basée sur l’effet et l’explication à partir de d’épuisement. Elle est utilisée pour esti-
la cause (Baumgärtner et al., 2006). mer un seuil au-dessus duquel aucun dom-
Dans cette logique, on trouve deux ap- mage ne se produit et permet de ixer des
proches d’évaluation des externalités envi- objectifs environnementaux ou des limites
ronnementales et des ressources naturelles supérieures à ne pas dépasser pour assurer
(Louhichi et al., 2007). D’une part, l’ap- une durabilité des écosystèmes (Barde,
proche classique basée sur la valorisation 1991 ; Louhichi et al., 2007).
monétaire des dommages environnemen- Ainsi, la démarche AEI peut reposer sur
taux qui internalise les effets externes dans le concept de production jointe pour consi-
la sphère marchande. Elle renvoie à l’éco- dérer ces ressources en termes de rareté et
nomie de l’environnement qui s’attache d’impacts environnementaux qu’engendre
essentiellement au problème des rejets leur utilisation massive. Par exemple, la
engendrés par les activités économiques terre ne peut être considérée uniquement
et considère que les problèmes environ- comme un support de la production, mais
nementaux, assimilés à des gaspillages de son niveau de fertilité doit être conservé
ressources naturelles, proviennent d’une ain de maintenir la productivité. Elle peut
insufisante déinition des responsabilités être altérée à long terme par l’érosion ou
des acteurs économiques. Cette approche des dégradations agro-chimiques, d’où
X2/Y S
A Q
Q’
R S’
A’
O
X1/Y
Source : d’après Farrell, 1957
L’efficience technique (ET) correspond à une frontière de produc
92 • ÉCONOMIE RURALE 341/MAI-JUIN 2014
RECHERCHES
Mohamed GHALI, Karine DANIEL, François COLSON, Stéphane SORIN
Figure 3. Changements
Cha ge e tde
de pratiques
p ati ues etet
p productivité
oductivité des des ressources
essou naturelles
ces atu elles
A D’ A
Y= G(x)
Y= G(x)
G C’ G
B B
C Cha ge e t de C
D D
p ati ues
X2 X= RN X1 X2 X= RN
par Farrell (1957) : l’eficience technique nécessaires pour produire la même quantité
(igure 2) et l’eficience allocative. en modiiant les combinaisons de facteurs.
L’eficience technique (ET) correspond Dans la igure 2, si la droite AA’ représente
à une frontière de production indiquant le la pente correspondant au ratio des prix
niveau maximum de production à réaliser des facteurs, le point Q’ et non Q corres-
avec une combinaison donnée d’intrants pond alors au point de production alloca-
(SS’). Chaque combinaison d’inputs située tivement le plus eficient. L’entreprise se
à la frontière est techniquement eficiente3. trouvant au point Q peut réduire ses coûts
Tout point au-dessus et à droite de celle-ci de production d’une proportion égale au
est techniquement ineficient. L’entreprise segment RQ sans réduire son niveau d’efi-
P est alors considérée comme technique- cience technique. En appliquant le même
ment ineficiente puisqu’elle peut réduire raisonnement de l’eficience technique, la
les quantités de ces deux intrants de la pro- réduction potentielle des coûts des intrants
portion représentée par le segment PQ. Le est le rapport (EA= OR/OQ) qui représente
segment OP représente le ratio constant de l’eficience allocative de l’entreprise avec :
l’utilisation des deux facteurs. Ainsi, la ré- QR OQ – OR OR
duction potentielle pour l’entreprise P est = =1–
OQ OQ OQ
déterminée de la manière suivante :
Ain de représenter l’intérêt de la dé-
PQ OP – OQ OQ marche AEI, on considère une fonction
= =1–
OP OP OP de production qui tient compte d’un seul
Le ratio OQ/OP est déini comme étant facteur de production et un seul produit4.
le niveau d’eficience technique de l’entre- On suppose que cette frontière est relative
prise P. L’eficience allocative (EA) permet à l’utilisation d’une ressource naturelle à
d’évaluer la façon dont l’exploitant choisit l’instant T et correspondant aux technolo-
la combinaison des facteurs en fonction gies de l’agriculture conventionnelle. Soit
des prix de marché et permet d’étudier le
pourcentage des coûts variables réellement 4. Pour simpliier, la fonction de production
présentée dans la igure 3 compte un seul facteur et
un seul produit, alors que la fonction de production
3. Le terme eficacité technique est aussi utilisé de l’exploitation agricole est multi-produits/multi-
pour désigner l’eficience technique. facteurs.
G la courbe qui déinit cette relation efi- Dans le même registre, la modélisation
ciente entre le produit Y (rendement) et la des maladies du blé assistée par ordinateur
ressource naturelle X (igure 3). Les exploi- permet aux agriculteurs d’adapter ine-
tations A et B, sur cette courbe, sont tech- ment leurs fongicides, aboutissant à une
niquement eficientes alors que C et D sont économie d’énergie (moins de carburant)
techniquement ineficientes, C utilisant la et une diminution totale de 20 % de pro-
quantité X2 de ressource correspond à un duits utilisés (Terrena, 2010).
processus de production ineficace puisque Le changement de pratiques agricoles ne
le niveau d’eficience pour le même niveau se fait pas sans prise de risques et la non-
de la ressource permet d’être en A. maîtrise des nouvelles pratiques peut s’avé-
Les exploitations ineficientes (C et D) rer dommageable pour les exploitations.
peuvent augmenter leur productivité glo- Par exemple, les pratiques de travail de sol
bale par une meilleure allocation des fac- simpliiées sont techniquement plus com-
teurs de production ou par un changement pliquées et plus risquées que la pratique du
de pratiques. Dans ce cas, les exploitations labour et peuvent engendrer des pertes de
sous la frontière de production peuvent rendement. Pour cette raison, la démarche
augmenter leur production pour la même AEI ne propose pas un changement bru-
quantité de facteur naturel (C vers A), ou tal, mais progressif nécessitant un temps
garder la même production avec moins d’apprentissage pour les agriculteurs et un
de ressources (C vers C’). Par exemple, si temps d’adaptation pour les ressources na-
l’on considère la ressource naturelle cor- turelles et les fonctionnalités écologiques
respondant à l’énergie fossile (carburant), pour rétablir une activité biologique nor-
le passage d’une technique de travail du male. Par ailleurs, l’intérêt de développer
sol avec labour à un travail de sol simpli- de l’AEI dans un cadre collectif (coopéra-
ié (TCS) peut réduire la quantité de gasoil tive) offre la possibilité de mutualiser ces
utilisée de 100 L/ha en labour à 75 L/ha en risques pris au niveau des exploitations.
TCS et à 50 L/ha en semis direct. Un autre
exemple concerne la valorisation des fer- Pour les exploitations à la frontière de
tilisants organiques permettant de réduire production (A et B), l’augmentation de la
l’utilisation des engrais minéraux en gar- productivité des facteurs ne peut avoir lieu
dant les mêmes niveaux de production. qu’avec un progrès technique repoussant le
D’ A
C’ B
G1
C
D
X=RN
X1 X2
Source : les auteurs.Source : les auteurs.
stade de rendements décroissants des fac- technologie. En effet, une technologie dis-
teurs. Ceci se traduit par un changement de ponible est déinie comme un ensemble
courbe de production correspondant à un de techniques disponibles et le progrès
état différent de la technologie (igure 4). technique est un changement dans cet
Il ne s’agit pas uniquement de recher- ensemble. L’apparition d’une nouvelle
cher un progrès technique permettant technique implique un changement dans
d’augmenter la productivité de la terre, la technologie disponible. En ce sens, la
mais de faire évoluer les processus et sys- technologie disponible change continuel-
tèmes de production ain de réduire les lement ce qui rend son utilité comme base
effets nocifs sur l’environnement (Beise et de référence assez limitée. De plus, la
Rennings, 2005). Ainsi, la démarche AEI mise en œuvre, par exemple, d’une nou-
devrait, dans ce cadre d’analyse, permettre velle technologie peut inluencer le calcul
aux exploitations d’obtenir avec la même de l’eficience de l’exploitation et la pro-
quantité de ressource naturelle une quan- ductivité des facteurs ; cela ne dépend pas
tité supérieure d’output, ce qui minimisera uniquement de la technologie et de sa mise
l’impact environnemental du processus en place, mais aussi des contraintes tech-
de production. La courbe G2 correspond niques et des conditions du marché (élas-
à une nouvelle frontière de production et ticité de l’offre et de la demande des pro-
les exploitations (A, B, C et D) peuvent duits, prix des facteurs) (Mundlak, 2001).
améliorer dans le temps leur productivité Ce cadre d’analyse offre une opportuni-
globale. té pour l’évaluation économique de l’efi-
Les exploitations à la frontière de pro- cience des ressources naturelles et la véri-
ication de la faisabilité de l’intensiication
duction présentent une combinaison de
écologique à l’échelle de l’exploitation.
facteurs eficiente, mais, celle-ci n’est pas
Même si certaines conditions nécessaires
forcément celle qui minimise les coûts
à cette évaluation demeurent inconnues
de l’exploitation d’où l’intérêt d’étudier
telles que l’absence de prix et de quanti-
l’eficience allocative en intégrant une
ication physique des ressources naturelles
fonction de coût variable qui indique s’il
comme la fertilité des sols ou l’azote natu-
est possible de se déplacer sur la même
rel, le suivi de l’eficience globale et envi-
courbe, d’un point techniquement eficient
ronnementale des exploitations peut relé-
vers un autre point pour lequel les coûts
ter l’eficacité de la démarche AEI à travers
sont minimisés.
l’analyse de l’évolution des revenus et de la
Considérer que l’AEI implique un ac- productivité d’autres ressources naturelles
croissement de la production agricole est à quantiiables. Ceci semble être étroitement
prendre avec réserve pour deux raisons : la lié au concept d’éco-eficacité ou l’éco-ef-
première repose sur le fait que le progrès icience qui a émergé dans les années 1990
technologique (y compris une technolo- comme un concept opérationnel pour per-
gie environnementale) est généralement mettre une approche pratique de la dura-
caractérisé par un processus intégrant trois bilité (Schaltegger, 1996 in Picazo-Tadeo
étapes : invention, innovation et diffusion et al., 2011). Il a été déini par l’OCDE
(Jaffe et al., 2002 ; Del Rio, 2009). Or (1998) comme l’eficience avec laquelle
il n’existe pas aujourd’hui d’inventions les ressources écologiques sont utilisées
clairement identiiées comme écologique- pour répondre aux besoins de l’Homme.
ment intensives qui démontrent une amé- Ainsi, l’AEI peut être considérée comme
lioration de la production. Une deuxième une des voies possibles vers la durabilité et
raison relève de la dificulté de distinguer ses impacts au niveau microéconomique et
une technologie disponible d’une nouvelle macroéconomique peuvent être évalués à
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