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,6 5 janvier 212 0
CTU
A ALITÉS ÉDUTIAC S
VE
2 « Il faut arrêter de tout changer 5 « On écrit pour communiquer » 8 La chronique de Nipédu
tous les quatre matins » 6 L’école ailleurs 9 Billet du mois
4 Les Cahiers en maillot de bain 7 L’actualité de la recherche
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C ORDONNÉ PAR RACHEL HARENT TE CÉLINE ALW O
K WIAK
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C -intervention : à deux dans la classe
2 1 Dynamique de classe 35 Gestes professionnels
atiquesprlovØ entiuf-acL aonditselcrv femblnsaiv r T
s,itfedpomlxact entio rv-c eignatsmudlr:
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23 Diérenciation et inclusion 9 4 oF rmer au coenseignement
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PERSPECTIS
VE
n Et chez toi, ça va? 60 Lorsque les enfants nous parlent 66
Le débat en classe modes
58 Une journée particulière dans un 61 Merci Neymar ! d’emploi
collège ordinaire n Faits et idées n Depuis le temps…
59 Je leur souhaite tous les bonheurs 62 Quelle pédagogie pour enseigner 68 Le vent nous portera
du monde les questions mémorielles ? n Le livre du mois
59 Grandir avec l’ULIS (8) : 64 Sexisme et féminisme : repenser 70 Apprendre en jouant (Margarida
apprendre à renoncer l’égalité filles-garçons par le biais Romero, Éric Sanchez)
60 Poésie de confinement de la littérature jeunesse
15%
« 15 % des étudiants « Dichotomiser l’enseignement
Ils ont pensé la laïcité présentent des signes comme constructiviste ou direct
https://www.franceculture.fr/emissions/ d’épisodes dépressifs
ils-ont-pense-la-laicite majeurs du fait de revient à se demander s’il vaut
la crise sanitaire », alerte le CESE (Conseil mieux manger des glucides ou
France Culture propose en podcast le portrait de économique, social et environnemental) dans
« six figures clés dans l’histoire de la pensée et une déclaration intitulée « Jeunes, le devoir des protéines, alors que ce dont
dans l’exportation du concept de laïcité à la d’avenir ». Le Conseil y fait des propositions on a besoin, c’est d’un régime
française ». Il s’agit de Voltaire, Victor Hugo, pour répondre à cette situation, sur le plan de
Georges Clemenceau, Aristide Briand, Jean Jaurès la précarité économique, de la santé mentale équilibré... »
et Mustafa Kemal Atatürk. et de la confiance en l’avenir. Keith Taber
https://tinyurl.com/y7qskmwh cité par Edouard Gentaz dans l’éditorial de la revue
ANAE n° 167, septembre 2020
Le problème réside plutôt dans l’en- important, c’est d’avoir moins d’élèves Qu’ils soient des encyclopédies ou des
chainement des modifications de pro- et plus de temps pour mieux traiter les élèves performants, qui prennent plaisir
grammes et des recommandations quant notions. Moins d’élèves parce que la à faire des maths, qui ont acquis dura-
aux méthodes, avec un sentiment de massification de l’enseignement a abouti blement les notions ? Est-ce que la forme
valse incessante. On en est à un point à ce qu’on ait un public très varié dans scolaire telle qu’on la pratique
où les enseignants ne savent plus quels les classes. Ce qu’on demande aux ensei- aujourd’hui en France permet de faire
sont les éléments primordiaux. Ces gnants de faire avec des élèves aux pro- des maths et d’y réussir ?
changements de pied fréquents, les fils si différents, c’est mission impossible Pour sa part, l’Apmep a lancé avec
obligations administratives, font que s’ils sont trente en classe. Et il faudrait l’ensemble des IREM (instituts de
les enseignants n’ont plus de temps avoir moins de notions au programme recherche sur l’enseignement des
pour réfléchir à leur enseignement. Il mais les travailler en profondeur. mathématiques) et la CFEM (Commis-
faut arrêter de tout changer tous les Il faut une véritable démocratisation. sion française pour l’enseignement des
quatre matins pour satisfaire un calen- Mais aujourd’hui, la spécialité « mathé- mathématiques) un travail sur l’ensei-
drier politique. On n’est plus sur le matiques » en lycée est choisie statisti- g nement des mat hémat iques au
temps de l’éducation et des apprentis- quement par des garçons, de familles XXIe siècle. n
sages, c’est pesant pour le système aisées, scolarisés en centre-ville. Propos recueillis pas Cécile Blanchard
éducatif. Il manque une véritable Qu’est-ce qu’on veut pour les élèves ?
réflexion de fond sur ce qu’on attend
de l’école pour aboutir à quelque chose
de durable. L’ÉCOLE DE Besse
Concernant les programmes en eux-
mêmes, il y a des choses intéressantes
à faire. Depuis les maths modernes, on
n’a pratiquement pas changé les pro-
grammes : est-ce qu’ils ont une cohé-
rence, du sens pour les élèves ? Quels
sont vraiment les fondamentaux en
maths ? Cette réflexion n’est pas menée.
Quant aux programmes du lycée, ils ont
été faits en un an, alors qu’il faut du
temps, des échanges avec différents
partenaires, avec les enseignants de
terrain et les chercheurs.
L
de l’aide financière fournie par les pays es membres de la rédaction des appelé les établissements anciennement
de l’OCDE et de l’Union européenne ont Cahiers pédagogiques sont des béné- abonnés. Les retours ont été divers,
été alloués au soutien des enfants et des voles (à part l’auteure de ces lignes). intéressants (sur le contenu de la revue,
familles élevant des enfants pendant la Ce sont aussi des amateurs (éclairés) pour son prix). Un tiers environ s’est dit prêt
première vague de la pandémie. Ainsi, de beaucoup de ce qu’il y a à faire pour faire à se réabonner, n’avait pas vu passer
février à fin juillet 2020, les pays à revenu vivre une revue. Pour l’associatif, ça va, les courriers de relance… Forts de cette
élevé ont dépensé un montant on se débrouille. C’est donc équipés de expérience, nous voulons en janvier
historique de 14 900 milliards de dollars notre bonne volonté et de nos convictions, augmenter l’amplitude des mouvements
pour les réponses à la Covid-19, dont mais aussi de quelques compétences et élargir le groupe pour mener d’autres
environ 80 % ont été consacrés à des quand même, que nous nous sommes actions de vente et de promotion.
plans de relance destinés aux entreprises lancés à la baille depuis cet été pour Les mouvements sont encore un peu
ou par leur intermédiaire, note le rapport. remettre la trésorerie à flot afin que la désordonnés, mais on avance.
https://tinyurl.com/y9thke2t revue perdure. Il est possible que cela
ressemble parfois à la nage dite « du petit
Appel à projets chien », mais nous ne désespérons pas de
Il est possible que cela
LA FONDATION DE FRANCE propose crawler ou de brasser le papillon un jour. ressemble parfois à la
une aide (financière et humaine) à des Amis lecteurs des Cahiers, savez-vous nage dite « du petit
projets pour « lutter contre les que cette revue est publiée (depuis chien ».
déterminismes sociaux et culturels » et soixante-quinze ans) par une associa-
favoriser des pratiques pédagogiques où tion dont 79 % du chiffre d’affaires Viendront alors les mouvements des
« l’élève joue un rôle actif dans les proviennent des ventes ? La subvention bras, pour le plaisir, la fluidité, la sensa-
apprentissages qui font sens ». du ministère de l’Éducation nationale tion d’être dans notre élément. On y réflé-
Modalités de candidature sur le site de (en baisse cette année) ne représente chit déjà : la revue et le site vont évoluer,
la Fondation de France : que 10 % de notre budget. Cela dit dans leur contenu et dans leur forme.
https://miniurl.be/r-3ia6 notre indépendance, mais aussi notre Dans cette perspective, on pourrait
fragilité face à la chute des ventes au même se jeter dans le grand bain et
Numérique printemps (de 46 % entre mars et juin). rechercher des financements extérieurs
LE RÉCENT LIVRE BLANC DE L’INRIA Depuis la rentrée, nous apprenons pour ces projets, à travers des demandes
(Institut national public de recherche en donc la brasse en eaux tumultueuses. de subventions à la presse, un finance-
sciences du numérique), Éducation et Nous avons commencé par assurer ment participatif (on appellerait ça un
numérique. Défis et enjeux, plaide pour notre flottaison, en lançant une cam- « crawlfunding »). Au passage, nous
une formation renforcée des enseignants pagne de soutien et d’abonnement fin avons décidé d’accueillir de la publicité
dans le domaine et pour un soutien accru aout, avec des témoignages sur les payante dans les pages de la revue, avec
à la filière française des EdTechs. On Cahiers pédagogiques, « par ceux qui les des annonceurs qui ne soient pas en
trouve aussi, au cœur du rapport, l’idée lisent et ceux qui les font », sur notre désaccord avec ce que nous défendons.
stimulante que comprendre « comment site et une tribune signée par plus de Une fois que l’on maitrise tout ça, on
ça marche », apprendre à programmer et soixante personnalités. Nous avons aussi peut envisager de sortir de l’eau, pour
pas seulement à utiliser le numérique, choisi de mettre en haut de chacun des respirer et explorer de nouveaux che-
aura plusieurs types d’effets positifs sur articles en accès libre sur notre site un mins, comme l’organisation de Ren-
les élèves : éviter le décrochage, court texte rappelant que nous vivons contres régionales, dans l’esprit de nos
développer l’esprit critique, etc. des abonnements et des ventes et inci- Rencontres d’été mais sur une durée et
https://tinyurl.com/yxgxqau6 tant à nous soutenir par ce moyen. Vous avec un groupe réduits, ou de webi-
avez répondu présents, en vous abon- naires, seuls ou en partenariat (nous
Jeu, école, éducation nant, en adhérant à l’association, en en avons déjà fait une vingtaine), et la
nouvelle achetant des numéros des Cahiers, des mise en valeur de notre potentiel de
UNE BIEN INTÉRESSANTE ÉMISSION du Petits Cahiers, des hors-séries, des livres. formation. Et puis, cela nous tient à
Cours de l’Histoire sur France Culture, sur la Touchés, et pas coulés. cœur depuis longtemps, ouvrir davan-
place du jeu dans ou à côté de l’école. Des Ensuite, il faut apprendre le mouve- tage nos pages à nos partenaires de
éléments de réflexion à mettre en rapport ment des jambes pour se propulser, soit l’éducation populaire.
avec le livre du mois de ce numéro, mais le travail sur la promotion et la vente La vie n’est pas un long fleuve tran-
aussi avec l’actualité, à savoir le sinistre de nos publications. Là, on sort de notre quille pour les associations ni la presse,
rapport du Conseil supérieur des zone de confort qu’est l’écriture. Pour mais pour l’instant, nous n’avons pas
programmes sur l’école maternelle. commencer, nous avons constitué une coulé ! Merci d’être avec nous ! n
https://miniurl.be/r-3i1x petite flottille de militants, qui ont CÉCILE BLANCHARD
©DR
pas un détail, car le geste d’écriture, la positifs qui permettent l’échange, le
maitrise de la main qui tient la plume dialogue, voire la confrontation. Ce que
(alors) ou le stylo (maintenant) sont courants de pédagogie coopérative. m’apprennent surtout les jeunes lec-
des éléments importants et trop souvent C’est aussi à cette époque que j’ai déve- teurs, c’est que je peux oser, aller plus
négligés après le CP. loppé ma propre écriture, après avoir loin, ne pas avoir peur d’aborder des
Cet aspect mis à part, j’ai eu des aidé beaucoup d’enfants à écrire grâce thématiques sensibles ni d’utiliser des
enseignants lecteurs de mes textes, au dispositif de la dictée à l’adulte. Une modes narratifs inédits.
c’est-à-dire qui ne se sont pas contentés lecture alors a modifié radicalement
de corriger mes erreurs d’orthographe mon approche, La grammaire de l’ima- Vous venez d’écrire un livre sur les « secrets
et mes maladresses de style, mais se gination de Gianni Rodari, un livre qui de fabrication » des fameuses « histoires
sont intéressés au contenu de mes m’accompagne encore aujourd’hui. pressées[1] ». Quel était votre but et comment
textes. Et, à distance, je suis convaincu peut-on utiliser cet ouvrage en classe ?
que c’est cela qui nourrit l’apprentis- Il s’agit avant tout d’inciter à ce que
Lire ne devrait pas être
sage : on écrit non pour maitriser des j’appelle « lire à la première personne ».
techniques mais pour communiquer,
associé à une seule La tradition scolaire, malgré les incita-
pour entrer en dialogue avec l’autre. Si discipline, le français, tions de certains textes officiels, privi-
l’autre, qui n’est souvent que l’ensei- mais être une activité légie encore une lecture dépersonnalisée
gnant, ne répond pas, alors pourquoi multiforme. où le lecteur n’est pas encouragé à
apprendre, pourquoi écrire ? s’impliquer avec ses émotions, son expé-
Quant à dire si l’école a fait des pro- rience, ses opinions. Il suffit pour cela
Vous avez enseigné, pouvez-vous nous parler grès dans la pédagogie de la lecture et d’analyser les questions après lecture
de cette expérience et en particulier pour ce de l’écriture, je ne me risquerai pas à des manuels qui appellent très rarement
qui concerne la lecture et l’écriture ? Quels un jugement, tant les pratiques que une réponse à la première personne.
progrès l’école a-t-elle à faire en la matière ? j’observe sont diverses. J’ai l’impression Dans ce livre, qui est aussi une antho-
La lecture et l’écriture ont toujours qu’on écrit davantage mais qu’on lit logie d’histoires pressées, je propose aux
été mes priorités. Quand je parle de moins, d’abord parce que la réforme lecteurs une quinzaine d’entrées diverses
lecture, je parle d’une pratique cultu- des horaires scolaires a comprimé le dans les textes, en faisant appel à leur
relle, non seulement de la confrontation temps, et parce qu’on oublie trop sou- créativité. Je m’adresse également aux
avec un texte (littéraire ou non), mais vent que pour vraiment maitriser la enseignants, car ils peuvent appliquer à
d’un ensemble de gestes : choisir ses lecture, il faut lire en quantité, donc il n’importe quels autres textes narratifs les
lectures, formuler des attentes, fréquen- faut une pratique régulière, quotidienne, activités présentées. Le texte ne peut exis-
ter des lieux de lecture, échanger avec mais non imposée, qui permette à cha- ter sans l’apport du lecteur. Je dirai même
d’autres lecteurs, etc. Lire ne devrait cun de grandir comme lecteur. que le texte n’a pas de valeur par lui-
pas être associé à une seule discipline, même. Ce qui compte, c’est la lecture qui
le français, mais être une activité mul- Vous êtes un auteur très étudié dans les en est faite, à un moment donné, par un
tiforme, et pour cela l’école doit créer classes et vous rencontrez des élèves. Pouvez- lecteur singulier. Un autre aspect que je
un environnement favorable. Pour la vous nous parler des dialogues avec eux ? cherche à développer dans ce livre est la
pédagogie de l’écriture, il m’a fallu du Comme je l’ai indiqué, l’écriture pour coopération entre lecteurs. On ne lit
temps pour me dégager de modèles moi est née dans le dialogue avec des jamais seul, en réalité, on s’inscrit par la
traditionnels, même si j’ai introduit très enfants, notamment ceux qui avaient des lecture dans une communauté de lecteurs,
tôt l’écriture en groupe. difficultés en lecture et écriture. L’activité et cette expérience peut être déterminante
Mon passage par l’École normale, où du lecteur a toujours été au centre de pour les parcours de lecteurs. n
j’ai enseigné cinq ans, m’a beaucoup mon travail, de ma réflexion sur l’écri- Propos recueillis par Jean-Michel Zakhartchouk
aidé à évoluer, notamment en décou- ture. Je me pose toujours la question :
vrant le mouvement Freinet et les autres comment le lecteur peut-il entrer dans le 1 Histoires pressées, à toi de jouer, Milan, 2020
P
télécharger l’enquête : artout dans le monde, le droit à environnement plus inclusif pour tous
https://tinyurl.com/ybfq7evg l’éducation inclusive pour les étu- les étudiants. Une élève, Grace, 10 ans,
diants en situation de handicap a a déclaré : « Je pensais que personne ne
Familles été renforcé, notamment avec la Conven- voterait jamais pour moi. »
LE N° 42 D’INJEP ANALYSES ET tion des droits des personnes handica- Plusieurs entretiens avec les élèves
SYNTHÈSES, « La place des familles pées, en 2006. Pourtant, le Brésil, qui a et d’autres parties prenantes ont mis en
dans les dispositifs de réussite éducative. signé et ratifié ces deux documents, ne évidence la nature transformatrice du
De la coopération avec les parents, à met pas vraiment ces politiques en pra- projet. D’une part, les étudiants ont
l’éloignement du milieu d’origine », porte tique. Même la loi brésilienne sur l’inclu- vécu un changement majeur dans leur
sur quatre dispositifs de réussite sion (Lei Brasileira de Inclusão), la plus identité. Grace est devenue de plus en
éducative jouant sur le levier du milieu récente et la plus importante, encourage plus consciente des questions concer-
familial. Il s’agit de « quatre manières la participation mais manque de clarté nant les étudiants handicapés. Elle se
d’associer les familles pour promouvoir la quant aux moyens de la mettre en œuvre promenait dans la classe et demandait :
réussite éducative », qui correspondent à dans le milieu scolaire. « Comment pouvons-nous améliorer
« des stratégies contrastées, consistant L’absence de participation d’étudiants cela ? » Fred, le deuxième représentant,
tantôt en une implication accrue, tantôt en situation de handicap dans les également âgé de 10 ans, un garçon
en la mise à distance, tantôt encore en une conseils d’étudiants en est une illustra- extrêmement timide, est devenu capable
posture intermédiaire visant à pallier les tion. Ainsi, on ne sait toujours pas com- d’exprimer ses besoins. « C’est mon
potentiels manques du milieu familial ». Il ment ils pourraient participer à leur droit » était l’une de ses répliques les
ressort de cette étude que « l’impact de communauté scolaire, un droit qui plus remarquables.
ces dispositifs est positif sur la motivation devrait pourtant être garanti dans le Les élèves ont également développé
et le comportement des élèves », mais cadre des politiques brésiliennes. Tou- des compétences en matière de com-
que les effets sur les performances tefois, il existe des exemples d’initiatives munication et de leadeurship et se sont
scolaires et les trajectoires d’orientation inspirantes au Brésil. davantage concentrés sur les droits des
sont différenciés selon les dispositifs. étudiants. Dans l’ensemble, l’attitude
https://tinyurl.com/ybsbmnqv ÉLECTION AU CONSEIL des enseignants est devenue plus posi-
Une école publique d’un quartier tive, malgré une certaine résistance de
Effectifs pauvre de São Paulo a mené un projet la part des administrateurs de l’école.
SELON UNE NOTE DE LA DEPP novateur qui illustre comment on peut Et les représentants des élèves ont
(Direction de l’évaluation, de la promouvoir la participation sociale même pu participer à des réunions offi-
prospective et de la performance), la d’étudiants en situation de handicap, cielles de l’école.
rentrée 2020 a connu une baisse du comme des étudiants présentant une Le succès de cette initiative repose
nombre d’élèves en maternelle, malgré déficience intellectuelle, à travers leur sur une relation positive réciproque
l’instruction obligatoire dès 3 ans. On élection au conseil des étudiants. entre les enseignants et les représen-
compte ainsi 18 600 enfants de 3 ans de Ce projet est né de discussions entre tants des élèves. Ces résultats peuvent
moins à l’école. L’épidémie de Covid-19 enseignants sur la manière dont leurs inspirer les écoles afin d’améliorer la
inciterait les parents à scolariser plus tard élèves qui vivaient un handicap intel- participation de leurs élèves en situation
leur enfant. Une baisse des effectifs lectuel pourraient être davantage impli- de handicap. De tels projets ne néces-
s’observe aussi en CE1 et CM1, du fait de qués à l’école. Un enseignant a suggéré sitent pas beaucoup de ressources mais
l’évolution démographique. Pendant ce qu’une des voies vers une participation peuvent être le catalyseur de change-
temps, le privé hors contrat continue sa sociale et une autonomie accrues pour- ments sociétaux. n
progression avec une hausse de 1,4 % et rait être que ces étudiants deviennent FLAVIO MURAHARA
plus de 50 000 élèves. On notera la baisse des représentants du conseil des étu- Doctorant au département de psychopédagogie
des effectifs en zone rurale avec un diants. L’idée a été approuvée et après et de counselling de l’université McGill
nombre d’élèves par classe moins élevé leur élection, ils ont commencé leurs TARA FLANAGAN
qu’en zone urbaine. activités en tant que représentants. Ils Professeure agrégée, université McGill
https://tinyurl.com/y3w7yacn ont d’entrée de jeu souhaité créer un
P
souvent tues, perçues comme des
arler du « travail lycéen » UN SUR CINQ enjeux individuels d’élèves qui se
revient, en général, à aborder Les chiffres sont stables : environ un retrouvent en porte-à-faux par rapport
le travail scolaire des élèves, en lycéen sur cinq travaille pendant la à l’institution.
classe ou en dehors. Le travail période scolaire, en soirée ou le weekend.
rémunéré des lycéens est rare- En prenant en compte les vacances, 30 % DES EXPÉRIENCES VARIÉES
ment envisagé, sauf lorsqu’il est inclus (en 2015) à 40 % (en 1994), des élèves La psychologue Valérie Cohen-Scali
dans des parcours d’apprentissages ou exercent une activité rémunérée. Le tra- montre que les expériences de travail
dans les stages et périodes d’alternance vail est plus répandu pour les élèves plus des jeunes en formation peuvent varier,
des plans de formation. Cependant, de âgés, c’est-à-dire à partir de 18 ans, et tant en qualité qu’en quantité, avec des
nombreux élèves de lycée exercent des pour les niveaux d’étude plus élevés, en effets différenciés sur la construction
activités rémunérées, dans la restauration, du soi professionnel. Analysant l’emploi
la livraison, le commerce, les cours de Les lycéens des milieux étudiant dans une perspective sociolo-
soutien, la garde d’enfants etc., des acti- gique, Vanessa Pinto distingue un pôle
vités ou petits boulots qui se déroulent
modestes qui travaillent « provisoire » d’emploi passager, un pôle
bien souvent à l’abri du regard de l’ins-
exercent plus souvent « anticipation » en lien avec l’avenir
titution scolaire. une activité intense et professionnel souhaité, et un pôle
Dans les recherches en sociologie de chronophage. d’« éternisation », où les jeunes
la jeunesse, l’entrée sur le marché du occupent des emplois peu qualifiés en
travail constitue une transition mar- particulier en classe de terminale. Les parallèle d’échecs ou de décrochage des
quante et l’une des étapes clés de l’en- lycéens des filières générales exercent études. Les frontières peuvent être
trée dans la vie d’adulte, avec la déco- moins fréquemment une activité rému- floues et, selon l’origine sociale, la pro-
habitation, la fin des études et nérée que ceux des filières profession- babilité de se retrouver dans l’une ou
l’éventuelle installation en couple. nelles et technologiques. Si la catégorie l’autre situation n’est pas la même.
Cécile van de Velde montre que, selon sociale d’appartenance n’a pas d’in- D’autres aspects mériteraient d’être
les pays, ces étapes se déroulent soit de fluence sur le fait de travailler, les lycéens éclairés : quid du travail lycéen dans
manière successive comme en France, des milieux modestes qui travaillent d’autres bassins scolaires et d’emploi,
soit de manière parallèle. Comment, exercent plus souvent une activité notamment ruraux ? Quels effets du
dès lors, combiner le métier de lycéen, intense et chronophage, potentiellement « capitalisme de plateforme » (par
considéré comme un investissement à moins compatible avec les exigences exemple de livraison) sur le travail des
temps plein, et emploi à temps partiel ? scolaires. jeunes ? Enfin, quelles implications du
Travailler en sus de ses études permet-il Les raisons pour lesquelles les lycéens confinement, où l’on sait que 40 % des
d’assurer une insertion professionnelle travaillent (ou cherchent à travailler, étudiants travailleurs du supérieur ont
plus douce ou entraine-t-il un risque car toutes les recherches d’emploi dû arrêter leur activité salariée[4] ? n
accru de décrochage ? n’aboutissent pas) sont variées, de
Contrairement aux emplois étu- l’obtention d’une certaine indépendance
diants [1], peu de données existent financière, avec l’autonomie symbolique
concernant ceux des lycéens, mais deux et matérielle qu’elle confère, à la
enquêtes sur des élèves de la région décharge du budget familial, pour cer- POUR ALLER PLUS LOIN
parisienne, réalisées respectivement tains le seul moyen de pouvoir pour-
Valérie Cohen-Scali, Travailler et étudier.
suivre des études plus longues et d’obte- Formation et pratiques professionnelles, PUF,
nir un diplôme considéré comme une 2010.
Vanessa Pinto, À l’école du salariat. Les
1 Dans le supérieur, 15 à 20 % des étudiants travaillent étudiants et leurs petits boulots, PUF, 2014.
de manière continue et régulière, et 46 % ont une 2 Robert Ballion, Les lycéens et leurs petits boulots, Cécile Van de Velde, Devenir adulte. Sociologie
activité rémunérée à un moment ou autre de l’année, Hachette Éducation, 1994. comparée de la jeunesse en Europe, PUF, 2008.
pour une moitié liée aux études (stages, etc.). Ce taux 3 Bureau de sociologie appliquée, région Ile-de-
d’emploi varie fortement en fonction des filières. Voir France, Étude sur le travail rémunéré des lycéens. Syn-
Observatoire national de la vie étudiante, Enquête na- thèse des résultats, 2015. Voir les témoignages vidéos
tionale conditions de vie des étudiants 2016. L’activité recueillis pendant l’enquête : 4 Voir OVE Infos n° 42, « La vie étudiante au temps de
rémunérée des étudiants, 2017. https://youtu.be/4BMvG9DT384 la pandémie de Covid-19 », septembre 2020.
1 Bruno Devauchelle, « Le numérique dans tous 3 Nipédu 123, « École [alter]numérique »,
Les appels à contribution complets sont
à
ses états », Café pédagogique, vendredi 6 no- https://tinyurl.com/y26zbvt3.
lire sur notre site
: vembre 2020 : https://tinyurl.com/y8tk7enj
c
. w ahiers-pedagogiques.com 4 Interview de Valérie Sipahimalani, Café
2 Jean-Marc Merriaux, webinaire « La formation pédagogique, 4 novembre 2020 :
Pour tout contact : des enseignants au numérique : constats et en- https://tinyurl.com/ya6ffuqz
prenom.nom@cahiers-pedagogiques.fr. jeux », 15 octobre 2020 sur Campus Matin.
La laborieuse naissance
de l’école hybride
Bien que récente, la crise de la Covid-19 a déjà non plus été collectivement tirées. Il serait
fait traverser à notre système éducatif cinq temps de le faire.
périodes différentes : confinement, déconfine- • Quand l’école était à la maison, une alliance
ment, vacances apprenantes, rentrée scolaire entre enseignants et parents d’élèves s’est tissée
« normale » et nouveau sur les questions pédagogiques. Exceptionnel
confinement. Alors que en France, cela gagne-
plusieurs pays rait à se poursuivre,
connaissent une troi- Le système même en cas, peu pro-
sième vague de la pan- ne s’est pas bable à court terme, de
démie, est apparue en effondré » « normalitude » !
France une réplique • De plus, pendant le
sévère dont on ne dis- confinement, le déconfinement et durant l’été,
cerne pas encore la fin. ce sont les parents qui ont assuré les choix et
Le premier confine- sont devenus des parents experts. Quelles
ment a provoqué l’arri- conséquences pour les relations entre parents
vée massive, soudaine, et enseignants ?
non préparée de l’en- • Avec les deux déconfinements successifs en
seignement à distance et de l’usage pédagogique mai et juin, il y a eu rupture de l’unité territo-
d’outils numériques. Malgré les considérables riale et temporelle qui s’accentue avec les clus-
problèmes techniques du début, les questions ters, notamment chaque fois que pour quelques
d’équipement des familles et une implication élèves, une classe, un établissement, il faut
variable des enseignants mais globalement satis- proposer des activités hors l’école.
faisante, le système qui était en quasi-indépen- • L’individualisation des apprentissages des
dance (les inspecteurs secondaires ayant disparu élèves, véritable changement de culture pro-
du paysage) ne s’est pas effondré. fessionnelle, a été une nécessité qu’il faut faire
Sont venues ensuite les deux catastrophiques perdurer.
étapes de déconfinement, également non prépa- • L’accompagnement des élèves par les ensei-
rées, rompant l’autonomie, générant tensions et gnants et l’accompagnement des professeurs
fatigue. Puis sont arrivés, pour seulement un par leurs pairs et l’encadrement (chefs d’éta-
million d’élèves, les vacances apprenantes, suivies blissement et inspecteurs de l’Éducation natio-
de la rentrée « normale » de septembre, et, depuis nale) qui, timidement, a fait son apparition, a
novembre, un confinement partiel. Le point com- été apprécié et mérite de se poursuivre.
mun à toutes ces périodes est leur impréparation, • Les différentes périodes écoulées depuis
d’abord au plus haut niveau puis sur le terrain, mars dernier ont bousculé les rôles des acteurs
puisque ce défaut de préparation fut décentralisé et ouvrent de nouvelles réflexions sur les
sur les établissements scolaires et les circonscrip- métiers d’enseignant, de conseiller principal
tions. De premières leçons peuvent déjà en être d’éducation, de chef d’établissement et
tirées, d’autres viendront. d’inspecteur.
• L’usage massif mais très empirique du N’en déplaise aux « statuquologues », il n’y
numérique pendant le premier confinement a aura plus d’enseignement totalement en présen-
été une énorme expérimentation sauvage dont tiel, parce que beaucoup d’enseignants ont décou-
les retours d’expérience commencent à peine, vert ce que le numérique et la véritable continuité
mais sont à faire en urgence. pédagogique apportent. L’avenir est donc ouvert
• Par la suite, le déconfinement a permis à l’école hybride et aux innovateurs engagés. n
d’essayer diverses formes d’école hybride tota- Alain Bouvier est ancien recteur, professeur associé
lement improvisées et dont les leçons n’ont pas à l’université de Sherbrooke (Canada)
Co-intervenir,
coenseigner, conanimer
« C’est tout un art, la dispute conjugale, un art très ancien et très respectable. »
Jean Anouilh, Les Poissons rouges, Gallimard, 1972.
RACHEL HARENT
et se former, d’autres y entrent progressivement, à
tâtons, à la recherche d’un meilleur accompagne-
Professeure des écoles dans le Finistère, laboratoire Cread
ment de tous les élèves. D’autres encore disent leur
(Centre de recherche sur l’éducation, les apprentissages et la
didactique), université Rennes 2, EA 3875
difficulté : celle d’avoir à conjuguer des référentiels
de compétences complexes, celle d’enseigner sous
CÉLINE WALKOWIAK le regard du collègue, d’avoir des pratiques péda-
Professeure de français en collège gogiques ou des représentations du métier trop dis-
tinctes pour se rencontrer.
L’injonction institutionnelle à co-intervenir De même, coenseigner dans le second degré néces-
est au cœur de l’actualité pédagogique : le partenariat site des personnels de direction qu’ils contextualisent
reste fortement incité[1], le rôle éducatif des agents et adaptent les emplois du temps. La chose est com-
territoriaux spécialisés des écoles maternelles plexe. La formation des binômes, l’alignement des
(Atsem) est renforcé[2], la présence des accompa- espaces-temps sont difficiles. Et pour les enseignants
gnants d’élève en situation de handicap (AESH) est volontaires, le défi est parfois simplement de
croissante, et le coenseignement entre convaincre la hiérarchie de la
en force en lycée professionnel, dans Le coenseignement nécessité d’une telle modalité
les Rased (réseaux d’aides spéciali- est au cœur des d’enseignement.
sées aux élèves en difficulté), en ULIS préoccupations Se pose également la question
(unité locale d’inclusion scolaire) et actuelles. de la formation. La formation par
en Segpa (sections d’enseignement le coenseignement, pour (mieux)
général et professionnel adapté). coenseigner sont deux approches que nous abordons.
Nous avons souhaité présenter dans ce dossier Le coenseignement peut s’employer pour former les
autant les co-interventions traditionnelles (celles novices, maintenir l’étrangéité du formateur, ou
qui se pratiquent entre enseignant et Atsem, AESH encore se développer professionnellement tout au
ou intervenant extérieur) que le coenseignement long de sa carrière. Mais quid de la formation au
entre deux professeurs. Force a été de constater que coenseignement et à la co-intervention ? Si l’en-
90 % des textes reçus présentaient des situations semble des articles de ce dossier peut étayer un
de coenseignement. Il apparait dès lors que le coen- temps de formation, l’un d’eux interroge particuliè-
seignement est au cœur des préoccupations actuelles. rement la formation du binôme : être formé ensemble
Il l’est non seulement parce qu’il bouscule la norme pour travailler ensemble. Nous avons souhaité don-
professionnelle d’un enseignant seul en classe face ner voix à la formation en concluant ce dossier par
à ses élèves, mais aussi parce qu’il nécessite du des articles qui lui sont spécifiquement dédiés.
travail collaboratif, du temps, du pragmatisme et Au fil de ce dossier, vous découvrirez que chaque
des ajustements. auteur use à son gré des termes de « coanimation,
Si certains enseignants s’essayent au coenseigne- co-intervention, coenseignement ». Si la recherche
ment avec bonheur parce qu’ils aiment le défi ou en sciences de l’éducation a désormais clarifié la
qu’ils souhaitent dynamiser à nouveau leur pratique définition de ces termes, nous avons souhaité garder
leurs mots, parce qu’ils nous disent là où ils en sont
1 Dossier de veille de l’IFÉ n° 134, avril 2020. de leur réflexion pédagogique. n
2 Décret n° 2018-152 du 1er mars 2018.
COORDONNÉ PAR RACHEL HARENT ET CÉLINE WALKOWIAK
SOMMAIRE
n Dynamique de classe
12 Va-t-en, grand monstre vert ! QUENTIN MAGOGEAT,
ANNICK MESSONNIER
13 Une construction progressive SANDRA MIRANDA,
LAURA SCHMITT
14 Entrer dans la danse BÉATRICE GOULET
15 Pour la réussite de tous SANDRINE COMBELAIR
17 Casser les murs GAËLLE PEDROSO
18 Juste une porte à franchir MARJORIE DECRIEM
19 Pratiquer avec les EANA CÉLINE PIOT
20 À l’école de la confiance réciproque
DOMINIQUE SEGHETCHIAN
21 Petites histoires de co-intervention
JEAN-MICHEL ZAKHARTCHOUK
Illustration de couverturefi:Armel oucr T
Illustrations intérieuresfi:
a ebic r F E re
n Différenciation et inclusion
23 Passer du « je » à « nous » CAROLE MERRIADEC, n Former au coenseignement
LAURENCE MOUTTE 49 Le formateur : une étrangéité à cultiver
26 Comment Pierre est devenu élève LUDOVIC BLIN BERNARD DESCLAUX
27 Franchir les frontières invisibles 50 Jeux de miroirs SARAH VALIN
JÉRÉMY BRIDIERS-UBERTI 51 Les angles tordus RACHEL HARENT
28 À la recherche d’une clarification LE GROUPE DE 53 Ajustements réciproques ÉRIC SAILLOT
TRAVAIL DU COMITÉ SCIENTIFIQUE DE LA FNAME
55 Coenseigner, entre théorie et pratique
30 Qui prend la main ? SANDRINE VALIDZIC MARIE TOULLEC-THÉRY
32 Sept configurations à deux en classe
RACHEL HARENT, MARIE TOULLEC-THÉRY
33 Une expérience de coenseignement : le PDMQDC ! À LIRE SUR NOTRE SITE :
CARINE BOUBILA
Pour des élèves comme au boulot ROMAIN CORDIER,
ISABELLE PERRIN
n Gestes professionnels
Une pratique gagnante ! HÉLÈNE GASC
35 Croiser les regards CLOTHILDE JOUZEAU KRAEUTLER,
Co-intervenir à l’école : une nouvelle professionnalité
CHRISTINE CATALAYUD, LAURIE BATLLE
éducative ANNICK VENTOSO-Y-FONT
37 1, 2, 3 référentiels ! ALINE CHUDY
Accompagner le changement de paradigme
38 D’une situation imposée ADÈLE MAZOU FLORENCE TROUILLET, PHILIPPE MERLEAU
39 Moi non plus je ne voulais pas coanimer Bibliographie et sitographie
ANAÏS MICHEL
40
Direction et enseignants : un accompagnement
DELPHINE DECHANCE
41 Et toi, comment fais-tu ? NICOLE PRIOU Nous proposons un e w binaire autour du présent dossier
le mercredi 3 é f vrier, de 16 h à 17fihfi3.0 ontervidI esl
43 Pour que la mayonnaise prenne SYLVIE GRAU
estricdnao du , sierdo Rachel entHar et ØlineC
45 Un peu de pragmatisme LAURENT LESCOUARCH wiak,ol W et deux esn ontribuc : Clothide eau,Joz
46 Déprivatiser les pratiques YOUSSEF ERRAMI esurofp des oles,Øc et Delphin ,eDchan personl
de ectiondr en .Øec ly
47 Tutorat en coenseignement chez les
Inscripto etuiagr mais eoirtblga sur enotr en
sit : . w
universitaires GILBERT NGUEMA ENDAMNE
om.cahiers-pdgqu
DOSSIER CO-INTERVENTION : À DEUX DANS LA CLASSE
1. Dynamique de classe
E
regroupement en classe unique à la
n entrant dans une des travail de lecture allant de Va-t’en, rentrée 2019, il a fallu identifier en
classes par la cour Grand Monstre Vert à la mythologie quoi le coenseignement serait une
dominant les montagnes grecque. L’enrichissement a bien plus-value pour les élèves et les
ardéchoises, on est saisi été fait et maintenant il s’agit pour enseignantes. Très vite, elles se sont
par l’histoire du lieu, le les élèves, un élève de cycle 2 ou 3 rendu compte que beaucoup de
parquet, les fenêtres, les bureaux avec un élève de moyenne ou domaines et d’activités pouvaient
serrés, le tableau noir ; tout témoigne grande section, d’écrire un texte être mutualisés et enrichis par le
d’une vie scolaire ayant traversé les décrivant leur monstre imaginé. partage. La situation à deux dans
décennies, peut-être même un siècle. L’enseignante qui, dans un premier une classe a imposé la mutualisation
On traverse une première classe pour temps, était en retrait, devient professionnelle des stratégies d’en-
entrer dans une salle assez dénudée seignement. Les activités, les projets,
où sont regroupés les vingt-six élèves les séquences pensées à deux pour
de 3 à 10 ans. Ils sont assis par terre
D’abord la description l’ensemble des élèves se sont avérés
sur le tapis destiné au regroupement. physique puis les activités plus riches, plus finement pensés.
Une enseignante est devant le du monstre. Tout en étant une responsabilité
tableau d’affichage et rappelle le partagée, il est apparu très intéres-
travail sur les monstres effectué les meneuse de l’activité. Elle explicite sant et agréable de concevoir la
jours précédents pendant que l’autre les stratégies d’écriture déjà étu- totalité du parcours de l’élève plutôt
est en retrait, observe les comporte- diées : utiliser la liste de vocabulaire qu’une partie. Pour organiser ces
ments des élèves et, ponctuellement, construite la veille, chercher des nouveaux apprentissages, les ensei-
reformule ou complète l’intervention réponses dans les outils de la classe gnantes ont choisi dans un premier
de sa collègue. Depuis septembre, et des élèves, planifier son écrit, temps des projets communs. Elles
elles sont deux enseignantes dans etc. D’abord la description physique réfléchissent à partir d’une idée, puis
cette classe unique. puis les activités du monstre. Les chacune cherche ce qui pourrait être
Aujourd’hui, elles ont décidé de binômes se répartissent dans les fait et propose des apprentissages
s’approprier le dispositif de coen- deux salles de classe. Les deux pro- au regard des attendus dans chacun
seignement mis en place sur la fesseurs d’école circulent dans les des cycles. Elles organisent bien
commune à travers une activité de groupes en apportant leur aide, en souvent des ateliers qu’elles gèrent
product ion d’écr it autou r des répondant aux questions posées et en fonction de leur niveau de mai-
monstres. Il touche tous les élèves, en relançant l’activité lorsque celle- trise. Le choix d’une activité pour
de la petite section au CM2. Chaque ci s’essouffle chez certains. Elles tous reposant sur du coenseigne-
niveau a déjà acquis des connais- encouragent mais aussi observent ment reste une expérimentation, qui
sances dans ce domaine par un les comportements ; la méthodologie s’avère aujourd’hui encourageante
et que les enseignantes veulent interactions sur différents plans : au contact d’un pair pour les plus
étendre à d’autres activités. cognitif, social mais également affec- novices, et de ne pas ronronner et
tif. Il implique de visibiliser son transmettre tout en continuant d’ap-
OSER SAUTER LE PAS travail, de le soumettre au regard de prendre pour les plus expérimentés.
Travailler avec un pair (selon des l’autre. Mais si ce type de travail Parce qu’il nécessite des interactions
configurations différentes allant de suscite parfois des inquiétudes au entre collègues, il implique une prise
la co-intervention jusqu’au coensei- commencement, il offre ensuite des de risque, celui de devoir renoncer
gnement) requiert une forme d’au- occasions de questionner ce que l’on à une certaine routine pour recréer
dace. Faire le choix d’un engagement fait, d’interroger la pédagogie, pour de nouvelles habitudes de travail à
dans des modalités de travail partagé trouver ensemble des leviers afin de plusieurs. À deux dans la classe, on
n’est pas sans comporter une part mieux répondre aux difficultés d’ap- ose davantage et parfois on innove
de risque. Coenseigner nécessite et prentissage. Le coenseignement, sans forcément s’en apercevoir. n
entraine une intensification des c’est aussi l’occasion d’apprendre
Une construction
progressive
Comment la co-intervention s’est progressivement l’utopie sous forme de jeu, en pre-
construite entre deux enseignantes, l’une professeure de nant appui sur la technique de la
français et l’autre professeure d’histoire. simulation globale, cadre pédago-
gique qui permet à un groupe d’ap-
prenants de créer un univers de
Sandra Miranda, professeure de français au lycée référence et de le faire vivre. Pour
Delacroix de Drancy mener à bien ce projet, l’idée d’assis-
ter chacune au cours de l’autre s’est
Laura Schmitt, professeure d’histoire au lycée Delacroix imposée, même si cela nous amenait
de Drancy à faire des heures supplémentaires
L
non rétribuées. Nous avons donc
’enseignement d’exploration atelier théâtral autour de la mytho- demandé un aménagement d’emploi
« littérature et société » pro- logie grecque, le français prenant en du temps afin que la co-intervention
posé aux élèves de 2 de charge la pratique, l’histoire la partie soit possible. Le projet sur l’utopie
jusqu’en 2018-2019 amenait faisait appel à la créativité des
un professeur de français à travailler élèves. Il fallait constamment se
en collaboration avec un professeur Il y avait un désir sincère mettre d’accord sur les directions à
d’histoire. Nous avons donc tenté de travailler ensemble. prendre, sur l’opportunité d’aborder
l’aventure pendant six ans. un savoir à tel moment en lien avec
On ne peut pas dire qu’il y ait eu théorique. Malgré la présence d’un ce qui surgissait en classe. Les com-
collaboration la première année, et projet commun, ce n’était pas très pétences d’écriture, si elles étaient
encore moins de co-intervention. satisfaisant pour la professeure évaluées avec des critères de langue,
Nous nous contentions d’aborder d’histoire dont le rôle était de trans- devaient faire ressortir des points
des thèmes communs comme celui mettre des savoirs qui n’étaient pas traités en histoire, alors que les tech-
des médias. Il y avait, en revanche, absolument vitaux, dans la mesure niques argumentatives convoquées
un désir sincère de travailler où l’atelier théâtral pouvait fonc- à l’oral ne relevaient pas spécifique-
ensemble, avec la conviction que tionner de façon indépendante. Il ment d’une matière. Pour clore le
l’interdisciplinarité est formatrice lui était difficile, dans ces conditions, projet, la sortie organisée au Fami-
d’un point de vue intellectuel, et de trouver sa place. listère de Guise (02), s’inspirant du
pour les élèves, et pour nous-mêmes. Les choses ont commencé à chan- phalanstère de Charles Fourier, se
Les deux années suivantes furent ger quand nous avons élaboré des justifiait pleinement dans les deux
consacrées à la mise en place d’un compétences communes autour de matières. Ce n’était pas une n n n
1. Dynamique de classe
nnn sortie en français ou en his- Les élèves ont eu le sentiment Pour nous, enseignantes, le projet
toire, mais une sortie « littérature et d’avoir assimilé des connaissances ambitieux du roman historique
société ». de façon agréable, et d’améliorer nous a poussées à comprendre plus
La co-intervention prit ensuite une leurs compétences d’écriture et de finement le processus de création :
autre ampleur dans un projet d’écri- réflexion. Pour prendre l’exemple du comment relancer l’écriture ? Com-
ture d’un roman historique se situant roman historique, qui à nos yeux ment faire pour que les connais-
à l’époque de Périclès. Les compé- était une réussite et que nous aime- sances historiques nourrissent
tences de l’une et l’autre se rejoi- rions reconduire, il leur a permis l’écriture sans pour autant brider
gnaient et étaient indissociables. La d’aborder les relations de l’être l’imagination ? Doit-on corriger
professeure de français s’appropria humain avec autrui dans un contexte l’orthographe et la syntaxe dès le
le cours de sa collègue et lut deux historique différent du leur, celui de premier jet, remanier leurs textes ?
romans historiques, afin de pouvoir la Grèce antique. Comme le rappelle Faut-il aboutir à un produit fini ? Il
relayer des connaissances amenées sans cesse Edgar Morin, l’école doit nous est apparu que le plus impor-
par la professeure d’histoire. La pro- contribuer à l’étude de la condition tant était le processus lui-même, au
fesseure de français prit naturelle- humaine, apprendre à vivre. C’est ce point qu’on a eu l’impression que
ment en charge l’écriture, ce qui que nous avons en somme tenté de les élèves écrivaient tout en s’appro-
n’empêcha pas la professeure d’his- faire : en reliant nos savoirs, nous priant des connaissances. Ce qui
toire de mettre la main à la pâte. avons donné à voir aux élèves « les est certain, c’est que le croisement
Cerise sur le gâteau, quand nous individus dans leur singularité et leur des regards généré par la co-inter-
encadrions les binômes qui écri- subjectivité, leur inscription sociale vention permet d’affronter les obs-
vaient sur un ordinateur, il fallait et historique, leurs passions, amours, tacles de façon plus distanciée et
qu’on négocie ensemble l’avancée haines, ambitions, jalousies »[1]. détendue, rendant de surcroit
de l’histoire ; il nous est arrivé d’être l’aventure passionnante. n
légèrement en désaccord face aux
1 Edgar Morin (dir), « Relier les connaissances : le
élèves, signe que la co-intervention défi du XXIe siècle », du 16 au 24 mars 1998, Jour-
était effective ! nées thématiques, Seuil, 1999.
P
choses : c’est à présent avec une
remière rencontre avec sans débordements est ardu. Et classe entière de français que nos
Elsa : je suis nouvellement pourtant… Nous découvrons l’une rendez-vous annuels se font. Les
nommée et j’ai la charge et l’autre que nous sommes en questions d’Elsa sur mes objectifs
d’une classe en enseigne- phase, que nous co-intervenons réel- m’obligent à être claire sur ce que
ment d’exploration « arts du spec- lement : de la construction du projet je veux, me contraint à avoir une
tacle ». La collègue qui s’occupait à la maitrise de la classe, nous cohérence dans mes thèmes, mes
de cet enseignement auparavant me sommes deux et ensemble. choix, et les élèves y gagnent. Quoi
donne les coordonnées d’une com- qu’il en soit, quel que soit le point
pagnie de danse avec laquelle elle de départ, la suite se déroule, de
organisait chaque année un stage
Nous découvrons l’une mieux en mieux, dans une conni-
d’initiation au mouvement dansé. et l’autre que nous sommes vence intellectuelle qui grandit
L’intervenante qui venait décide elle en phase. chaque année. C’est un vrai dia-
aussi de passer le flambeau et pro- logue qui s’est installé, sur le
pose à Elsa de la remplacer. Nous « OUI » ET « OUI MAIS » modèle de l’improvisation théâ-
voilà parties pour huit heures de Pour la première année, j’arrive trale : on dit oui à la proposition de
co-intervention, chacune avec une avec une demande : réinvestir dans l’autre pour construire avec, parfois
classe et dans un lycée que nous le corps un spectacle que nous « oui mais », jamais « non » ! C’est
découvrons. La classe n’est pas avons vu avec la classe. Avec ce une co-intervention qui commence
simple et la mettre en mouvement point de départ, Elsa a proposé les par une coconstruction.
Au début, nous étions côte à côte évolution de notre travail commun réinvestir ce qu’ils ont appris dans
dans la classe, chacune avec nos est que petit à petit, je suis interve- la construction de leurs écrits. C’est
compétences. Puis progressivement, nue sur notre projet commun seule, la même démarche qui conduit à
au fil de ces six années, nous avons entre deux moments de présence écrire un commentaire ou une dis-
ouvert des porosités dans les d’Elsa, pour faire avancer le projet. sertation : passer de la recherche et
domaines de chacune. Elsa fait des La co-intervention m’a permis d’ap- l’expérimentation à l’organisation
interprétations littéraires, je me per- prendre d’elle et de mettre en pra- puis la réalisation.
mets des retours sur les propositions Et si les élèves y trouvent leur
chorégraphiques des élèves, nous compte, que dire d’Elsa et moi ?
cadrons ensemble, bref, nous avan-
Là encore, jamais de « non », Nous n’avons pas besoin, ni l’une
çons de concert. Je pense qu’une toujours « oui ». ni l’autre, de ces moments pour
telle co-intervention ne peut avoir avancer professionnellement, mais
lieu qu’avec une grande confiance tique des choses que je ne savais pas le plaisir que nous trouvons à
en l’autre : nous savons toutes les que je savais faire ! Et au fil du construire et mener ces petites
deux que nous allons dans le même temps, nous avons gagné en effica- séquences à deux fait que nous
sens. Là encore, jamais de « non », cité : depuis deux ans, avec huit continuons, autant pour nous que
toujours « oui », puis je rebondis sur heures de co-intervention, nous pour les élèves. À un collègue qui
ce qu’a dit ma partenaire pour abon- avons réussi à proposer une restitu- lui demandait pourquoi elle inter-
der éventuellement. J’imagine éga- tion d’une dizaine de minutes du venait dans ma classe, elle a répon-
lement que cette complicité a pu travail du groupe. du « parce que j’aime travailler avec
naitre grâce à nos doutes et nos Finalement, ce travail, peu acadé- Béatrice ». Elle m’a ôté les mots de
questionnements, que nous n’avons mique, permet aux élèves de toucher la bouche.n
pas hésité à laisser voir aux élèves, du doigt la construction d’une pièce
qui ont pu constater que nous chorégraphique. Si l’on étend cette
construisions ensemble et ajustions compétence au domaine littéraire
en temps réel les séances. Une autre du cours de français, ils peuvent
J
possible.
e suis professeure des écoles ajoutait une contrainte aux emplois
en Segpa (sections d’ensei- du temps. L’étape de préparation des DES PISTES POUR
gnement général et profes- séances nous a sécurisés et m’a per- ENSEIGNER À DEUX
sionnel adapté). Je suis mis de combattre mon sentiment Co-intervenir, qu’est-ce que cela
polyvalente mais je me suis sentie d’illégitimité. Nous avons dû équi- change au quotidien ? Je suis pré-
dépassée, illégitime et incapable librer les textes, les programmes, les sente à tous les cours, dans toutes
quand on m’a demandé d’enseigner contraintes matérielles. Nous avons les matières. C’est intense mais
la physique-chimie. De son côté, le rapidement défini nos rôles : j’étais enrichissant. Mes collègues ont des
professeur de physiques se question- là pour aider les élèves, les sécuriser, postures, des fonctionnements et
nait sur le public de Segpa pour reformuler, évaluer et coanimer. des attentes très diverses. Mais ils
lequel aucune formation ne lui avait Mon collègue habitué à travailler en sont aussi capables de dire qu’ils
été dispensée. Nos besoins se ren- équipe a été attentif à me laisser une ne savent comment faire avec les
contraient, l’idée d’une co-interven- place pour intervenir, pour coanimer plus fragiles. Progressivement j’ai
tion est née ! les travaux pratiques, pour valider pu exposer mes idées, mes pra-
Avec le soutien de notre hié- des réponses, etc. tiques, mes rituels pédagogiques.
rarchie, il nous a fallu convaincre L’expérience a été reconduite et La présence d’un deuxième ensei-
notre direction car notre demande une routine pédagogique s’est ins- gnant fut un souffle nouveau n n n
1. Dynamique de classe
seurs qui découvrent des élèves de une meilleure prise en compte des réussite de tous, qui se sentent bien,
Segpa soucieux de bien faire, problématiques du climat scolaire. qui ont appris à vivre ensemble et
capables de réussite et d’implication Celui aussi des élèves et de leur à coopérer. n
malgré les obstacles. Celui de l’en- famille, conscients de bénéficier d’un
semble de l’équipe éducative, avec dispositif innovant au service de la
C
avec l’enseignante), mode groupes
’est en mai 2019 que ment s’affranchir du regard des et mode frontal. Il ne se passe pas
germe l’idée d’une classe collègues ? une journée sans que des tables se
et d’un enseignement Si ce projet a vu le jour, ce n’est déplacent. Dans un tel système,
flexibles pour répondre pas sans certaines conditions. D’un l’ambiance sonore est parfois diffi-
aux différents besoins des élèves de commun accord, nous avons créé cile. Le seuil de tolérance au bruit
l’école des Filles de Marie à Saint- un espace de dialogue bienveillant se réajuste alors, tout en gardant un
Gilles (Bruxelles). Rapidement, il est dont l’objectif est de prévenir, expo- environnement de travail correct.
décidé de réunir les deux classes de ser, remédier et féliciter des situa- Pour que le projet puisse voir le
5e année primaire (CM2) pour n’en tions. Nos personnalités sont com- jour, les plages horaires ont été amé-
faire qu’une. Une troisième collègue, plémentaires et interdépendantes, nagées. Avec le soutien de la direc-
titulaire en 6e année, se joint au pro- ce qui était un avantage. Il en va de tion, nous avons pu imaginer notre
jet. Fin juin 2019, un mur est abattu même sur la vision que nous avons horaire idéal. Les cours spéciaux ont
pour créer un espace qui accueillera été synchronisés pour permettre,
une soixantaine d’enfants âgés de Nos personnalités sont dans un premier temps, aux titu-
10 à 12 ans. L’été permet d’aménager laires d’une même année d’avoir
ce nouveau et vaste local. Différents
complémentaires deux heures de « fourches com-
espaces sont créés et commence une et interdépendantes, munes » pour concerter, une obliga-
réelle réflexion sur la pratique péda- ce qui était un avantage. tion légale en Belgique. Dans un
gogique à adopter pour favoriser des second temps, nous avons organisé
apprentissages. Le cadre devient de l’enseignement et ses méthodes. la présence de quatre titulaires pour
accueillant, sécurisant et motivant L’engagement et le travail collabo- deux classes pendant deux périodes
tant pour les élèves que les ensei- ratif en équipe sont, à nos yeux, pour organiser des ateliers spéci-
gnantes. Aujourd’hui, après six mois essentiels pour favoriser la pratique fiques de remédiation, d’approfon-
d’essais, d’erreurs et de réussites, le du coenseignement. dissements, de découvertes, d’entrai-
plateau est un véritable lieu L’espace classe n’a cessé d’évoluer nements, etc. en groupes de besoins
d’échanges et de partages. Et ce depuis la rentrée pour répondre à restreints. Le reste du temps, le
n’est pas fini. Les prochaines années nos besoins pédagogiques et ceux plateau accueille deux classes ou
réservent de belles aventures, des apprenants. Chaque modifica- trois classes. C’est notamment pen-
puisque des plateaux en coenseigne- tion est, au préalable, discutée et dant ces moments que nous organi-
ment vont se mettre en place dans votée pour prendre en considération sons des ateliers tournants ou que
les autres cycles. l’opinion de toutes. Nous avons mis nous mettons nos élèves en projet
un point d’honneur à aménager dif- dans des tâches diverses favorisant
POUR COMMENCER férents espaces clés comme une la coopération.
Nos premiers questionnements se bibliothèque, un pôle informatique, Lorsque nous travaillons trois
portaient sur l’organisation spatiale ; un coin cuisine, un endroit dédié à notions différentes dans un même
rapidement vinrent aussi les inter- l’éveil, une zone de défoulement et espace, une difficulté rencontrée a
rogations sur les pratiques pédago- une autre de réconfort. Nous avons été de moduler nos voix pour ne pas
giques à adopter. Comment organi- aussi organisé un lieu de regroupe- empiéter sur celles des collègues.
ser le lieu et accueillir soixante-dix ment polyvalent : conseil de coopé- Après plusieurs séances pour trouver
élèves ? Comment enseigner ? Pour ration, régulation des exercices en nos marques, la prise de parole est
Gaëlle, la plus novice d’entre nous, cours, explications des consignes, assez intuitive selon les conditions.
une autre question se posait : com- etc. De cette manière, toutes les Néanmoins, il faut savoir n n n
1. Dynamique de classe
nnn accepter les dérapages et certaines casquettes et les élèves ne Un aspect non négligeable du coen-
lâcher la bride. Du côté des élèves, sont pas dupes. À ce moment, c’est seignement est le temps et le don de
ce fonctionnement sollicite beau- notre devoir de mutualiser les déci- soi investis. Ceux-ci deviennent une
coup la faculté d’inhiber les stimulus sions pour éviter tout malentendu. contrainte quand ils interfèrent dans
externes à l’atelier. Ils s’adaptent Concerter est inévitable dans le la sphère privée. Il est important que
positivement et pour les aider, nous coenseignement. En dehors du temps les attentes et des limites soient éta-
portons une attention particulière scolaire, nous nous concertons plus blies selon les besoins de chaque
aux thèmes choisis. ou moins trois heures par semaine afin participant du projet. Il est arrivé que
nous soyons sous pression pour
LE FONCTIONNEMENT Concerter est inévitable dans le diverses raisons, mais il n’y a nul
PÉDAGOGIQUE doute sur le soutien émotionnel,
Enseigner à deux ou trois impose
coenseignement. affectif et inconditionnel qu’apporte
quelques contraintes. Avant tout, il le travail en équipe : les aléas du
faut être capable de lâcher prise, faire de planifier le semainier et de répartir métier et de la vie deviennent
confiance et accepter de se mettre à les tâches. Nous favorisons les réu- surmontables.
nu face à ses collègues. Une fois ces nions après les cours ou bien nous Le coenseignement implique
composantes surmontées, enseigner utilisons les réseaux sociaux pour d’abandonner sa posture d’ensei-
dans ces conditions devient un plaisir échanger davantage. La matière est gnant traditionnel. Ce projet ne peut
épanouissant. répartie selon les compétences et forces porter ses fruits sans faire preuve de
Dans un système de coenseigne- de chacune. Gaëlle, jeune enseignante, connivence entre tous les partici-
ment, les statuts ne sont pas définis. profite du soutien et des conseils de pants. Coenseigner, c’est se défaire
Nous sommes égales et chacune est ses collègues expérimentées pour de ce que nous connaissions, accep-
à la fois figure d’autorité, de média- mieux appréhender les apprentissages. ter de se livrer pour mieux se réin-
teur, de soutien et de transmetteur Chacune est responsable des activités venter, s’évaluer et se réajuster,
de savoirs. Les rôles sont partagés qui lui sont attribuées. Comme « trois toujours au plus près du besoin des
et échangés selon les besoins de la têtes valent mieux qu’une », la création élèves. Et puis, plus on est de fous,
classe. Toutefois, des personnalités de ressources est nettement plus per- plus on rit ! n
sont prépondérantes pour porter tinente et ludique.
L
à sélectionner et trier les informa-
a France a la chance avantage non négligeable : il vous tions, à évaluer et opérer un retour
extraordinaire d’avoir des offre un lieu différent de la salle de critique sur la valeur des informations
gens spécialisés formés à la classe, le centre de documentation trouvées. Ensemble, nous travaille-
co-intervention et au travail et d’information (CDI), et une pré- rons également avec eux la commu-
en équipe : les professeurs documen- nication et la production de docu-
talistes. À l’École internationale de ments, depuis la présentation visuelle
Toronto, l’équipe des professeurs
Nos élèves doivent pouvoir jusqu’aux produits médiatiques en
documentalistes travaille à la mise
apprendre à se repérer dans intégrant le contexte pédagogique et
en place d’un curriculum d’éduca- l’espace physique d’un CDI. les équipements disponibles.
tion aux médias et à l’information,
réfléchit aux possibilités d’interven- sence complémentaire accompagnée DES EXPERTS AU SERVICE
tion et de partenariat avec les de compétences pédagogiques spé- DES ÉLÈVES
équipes pédagogiques et à la plus- cifiques quant à la démarche de Nous organiserons des rallyes lec-
value pour les élèves. projet, la méthodologie, l’accès aux ture, et des sélections thématiques
Le professeur documentaliste a un médias et à l’information ainsi que à proposer aux élèves dans le cadre
1. Dynamique de classe
À l’école de la confiance
réciproque
Coenseigner peut être plus exigeant que de travailler en d’au moins deux types : au moins
équipe. C’est aussi une manière d’apprendre de son une photo prise en sortie et au moins
collègue, de ses élèves. un document issu d’une recherche,
etc.). Les compétences de français
et de maths et d’autres disciplines
Dominique Seghetchian, professeure de français à la étaient donc travaillées sous la hou-
retraite lette des professeurs de français, de
L
maths, et avec l’assistance de la pro-
orsque je suis arrivée dans présentée à la classe ! Je n’ai pas fesseure documentaliste.
ce collège de REP+ (réseau davantage pris le temps, après les Je me souviens d’Alexandre, occu-
d’éducation prioritaire), je séances, de revenir avec elle sur le p é à t ra c e r d es m a rg es q u i
croyais avoir une solide déroulement de la séance. C’est que m’interpelle :
expérience de travail d’équipe. Lors coenseigner, c’est plus exigeant que « — Ça ne marche pas ce truc,
de ma formation de professeure en travailler en équipe. madame !
lycée professionnel, nous étions un Un autre dispositif m’a permis de — Quel truc ?
groupe permanent d’une douzaine progresser. Le collège avait regroupé — Ben ça.
de stagiaires ; chaque cours donné les élèves précédemment suivis par — Tu as repéré deux points à un
par l’un d’entre nous était coconstruit, le Rased (réseau d’aides spécialisés centimètre du bord ? »
puis mené devant tout le groupe en aux élèves en difficulté) en élémen- J’avais bien écouté la consigne de
fond de classe, ensuite analysé col- taire dans deux classes de 6e, de mon collègue rappelant que « par
lectivement sous la houlette du pro- façon à pouvoir à la fois constituer deux points, il passe une droite et
fesseur d’ENNA (École normale des classes hétérogènes et répondre une seule ». Alexandre me montre
nationale d’apprentissage) et du pro- les deux points.
fesseur d’application. Devenue pro- « Ben, et alors ? »
fesseure de français dans un collège
Pourtant, tout n’a pas été Là, c’est moi qui parle et l’oral
au public globalement favorisé, je me
aussi simple que je d’un professeur de français qui se
retrouvais avec deux collègues, les l’imaginais. concentre sur un problème n’est pas
mercredis après-midis, pour préparer toujours exemplaire. Alexandre pose
nos séquences et échanger sur nos aux besoins des élèves les plus en sa règle sur un point, orientée vers
séances, inventer dispositifs et outils, difficulté. Chacune de ces classes le centre de la feuille.
chacun gardant une certaine liberté avait deux heures alignées le mardi « Vous voyez, madame, elle n’y va
pour les mettre en œuvre en fonction après-midi avec les professeurs de pas ! »
de sa personnalité et de ses gouts. mathématiques et de français. Nous Je venais de découvrir la pensée
Alors, quand le principal de mon étions libres de nos dispositifs, de magique et un axe de travail auquel
nouveau collège m’a accueillie en me nos constitutions de groupes. Le je n’avais jamais songé : la langue
présentant les dispositifs que l’éta- choix des collègues a été d’imaginer des disciplines scolaires qui utilise le
blissement mettait en œuvre, j’ai des projets permettant aux élèves de pronom impersonnel pour généraliser
abordé l’année avec confiance. travailler simultanément les compé- alors que la langue courante l’utilise
tences de français et de mathéma- pour désigner ce qui échappe à notre
PAS TOUJOURS SIMPLE tiques. Nous avons par exemple pouvoir (« il pleut ; elle n’y va pas »).
Pourtant, tout n’a pas été aussi organisé une sortie qui nous permet- Impuissance d’autant plus intégrée
simple que je l’imaginais. Parmi les tait de découvrir l’église où Jeanne par Alexandre qui avait le sentiment
dispositifs, l’un consistait à ce que, d’Arc aurait trouvé son épée, une que le monde était plein de « ils » qui
pendant une des heures de français vallée avec un environnement par- s’acharnaient à rendre impossible sa
en 6e, un deuxième enseignant soit ticulier (des bananiers en Touraine !), vie et celle de ses semblables : « Izon
présent pour renforcer l’accompa- un habitat troglodyte et bien d’autres dit que… Izon décidé que… »
gnement des élèves. Aujourd’hui, choses encore. Chaque équipe de
bien que ma collègue ne se soit trois élèves était équipée d’un appa- UNE COLLABORATION
jamais plainte, j’imagine qu’elle a reil photo et devait revenir avec ENRICHISSANTE
dû beaucoup souffrir car, habituée douze clichés qui seraient ensuite Cette collaboration avec mon col-
à être seule maitresse à bord, je n’ai mutualisés. Au retour, pour lègue de maths-physique a été telle-
pas su lui permettre de prendre sa construire une exposition, chaque ment enrichissante que nous avons
place. Je n’ai jamais pris le temps équipe s’est vu attribuer un thème proposé de prendre une classe de 4e
de construire le travail proposé avec et devait réaliser un panneau répon- constituée d’élèves en difficulté mais
elle, je n’ai jamais présenté aux dant à des critères stricts (deux sous- pas ingérables, donc pas en échec de
élèves son rôle, je ne l’ai même pas parties distinctes, des illustrations mon point de vue, et demandé que
le professeur de mathématiques soit que « le participe passé conjugué avec cation sans perdre la face et en se
libre sur une heure de français, et "être" s’accorde toujours (= présent sentant moins bêtes de ne pas com-
celui de français libre sur une heure de vérité générale) avec le sujet » si prendre. Et ce passage par le coen-
de mathématiques, de façon à intro- l’on doit écrire « elles se sont lavé (é) seignement avec une autre discipline
duire dans l’emploi du temps de la les mains ? ». J’ai été invitée à moda- m’a permis d’apprendre à coensei-
classe deux heures de coanimation liser mon énoncé (s’accorde généra- gner aussi avec mes collègues de
dans lesquelles le second enseignant lement) et à expliquer pourquoi ce français, en m’aidant à faire un pas
ne soit pas un spécialiste. n’était pas une fantaisie orthogra- de côté par rapport à mes routines
Cela nous a parfois permis de professionnelles.
mener des projets, par exemple sur Pas très syndical tout ça, je dois
les catégorisations, le sens des mots.
Pas très syndical tout ça, dire : beaucoup de travail non rétri-
Prenez le mot « parallèle », cherchez- je dois dire. bué pour construire, se coordonner,
le dans le dictionnaire, dans toutes et même des heures données à la
les disciplines : il est tantôt adjectif phique destinée à noyer quelques DHG (dotation globale horaire).
et tantôt nom, il est tantôt nom fémi- élèves au passage dans un obscur Mais nous nous sentions heureux
nin, tantôt nom masculin. Pourquoi ? marécage d’exceptions. des relations entre nous (c’est impor-
Cela nous a permis de réfléchir à Cela a aussi permis de beaux tant aussi) comme avec nos élèves
l’accompagnement des élèves d’une moments où des élèves se retrou- et nous avions le sentiment de pro-
discipline à l’autre, d’un mode de vaient experts pour expliquer gresser ensemble. Surtout, nous
raisonnement ou de construction du quelque chose à un professeur béo- nous sentions reconnus dans notre
discours à l’autre : en maths, il suffit tien (par exemple moi en mathéma- professionnalisme, nous savions
qu’une proposition soit fausse une tiques), et l’expliquer par la même bénéficier de la confiance de notre
fois pour être fausse toujours ; alors occasion à des camarades auditeurs principal. n
pourquoi continue-t-on à enseigner qui pouvaient bénéficier de l’expli-
Petites histoires
de co-intervention
Co-intervenir, c’est accepter d’être vu, de voir, que les élèves appréciaient justement
d’intervenir sur des sujets qu’on ne connait pas cette humilité (on n’est pas expert
forcément… Mais aussi d’assumer les différences avec pour tout), qui ne diminuait en rien
l’autre co-intervenant. Quelques exemples dans des la confiance qu’on pouvait avoir
classes de collège. dans le professeur, dans son
domaine. Passionnant !
S
Il y a les petits embarras quand le
éance d’itinéraire de que je sois sensible à des erreurs en collègue énonce des choses qu’on
découverte autour de tant que correcteur, alors que lui était sait erronées, des approximations
« l’eau dans tous ses un lecteur intéressé par leur histoire. historiques. Ayant pour ma part une
états » en 5e. Les élèves En revanche, dès qu’il s’agissait de certaine culture historique, je les
travaillent par groupes, l’un d’eux sciences physiques, c’était lui l’ex- relevai intérieurement. C’est arrivé
rédige un petit récit étiologique sur pert et c’était cela travailler ensemble plusieurs fois. J’ai pu, quand cela me
le thème en question, des élèves pas paraissait opportun, trouver une for-
très à l’aise avec l’écrit, qui ont com- mule pour nuancer, complexifier sans
posé un texte manquant de cohé-
Je crois que les élèves avoir l’air de contredire le collègue
rence sur pas mal d’aspects. Je leur appréciaient justement lors de travaux interdisciplinaires.
fais plusieurs remarques et proposi- cette humilité. Autre embarras : le laïus d’ouver-
tions. Aïcha me dit alors : « Pourtant, ture souvent interminable de ma
monsieur D. est passé et il nous a dit avec la classe, chacun apportant sa collègue documentaliste, avec qui
que c’était bien. » Je leur explique compétence et ses connaissances j’aimais travailler, mais qui pouvait
alors que moi, je suis un peu le spé- (j’ai essayé de dire tout cela dans un avoir ce défaut de préliminaires
cialiste du français et il est normal langage compréhensible !). Je crois explicatifs bien trop longs et n n n
1. Dynamique de classe
2. Différenciation et inclusion
2. Différenciation et inclusion
nnn découverte du monde et de nos rituels, trucs et astuces, et nous et d’avoir un retour sur les gestes
la construction des premiers outils nous sommes mises d’accord sur les plus appropriés. Nous étions
pour structurer sa pensée, et l’autre l’essentiel. Nous avons, en pratique, heureuses de basculer dans une
aux activités autour du langage au s s i pr é p a r é le s pr e m iè r e s nouvelle pratique commune où tout
(oral et écrit). Nous avons quelques semaines pour être déchargées de se vit à deux, de faire évoluer notre
courts temps de grand regroupe- la préparation matérielle en sep- métier d’enseignante et avec cette
ment à trois moments de la journée, tembre et pouvoir nous consacrer agréable impression de ne plus être
afin de fédérer la cohorte. Les à la mise en route de la classe avec seules !
groupes de travail mélangent tous les élèves et avoir du temps pour Ce fut le moment où des barrières
les élèves et évoluent en fonction une analyse de nos journées et ajus- liées à notre formation et notre car-
des besoins (groupes hétérogènes tements éventuels. rière sont tombées. Et depuis cinq
ou homogènes, groupes de besoins). Nous avons organisé notre réunion ans, nous avons instauré un petit
Les élèves se répartissent dans les de classe le troisième jour après la rituel entre nous : on se remercie
trois espaces lors des activités. Nous rentrée, afin de rassurer au plus vite pour la journée accomplie (même
prenons en charge indifféremment les parents inquiets. Pour préparer si elle a pu être difficile), pour le
tous les élèves selon des groupes plaisir que nous avons eu à ensei-
définis. Nous leur proposons aussi gner ensemble.
bien l’une que l’autre tous les
Ce double regard nous
domaines d’apprentissage. Les permet de mieux les Comment les Atsem sont intégrés à ce
Atsem sont complètement intégrées accompagner. projet ?
au projet. Le rôle de l’Atsem en maternelle
cette réunion, nous avons essayé est essentiel. Sans elles, il est impos-
Quel intérêt a cette organisation ? d’anticiper toutes les questions qu’ils sible de travailler en ateliers. Il faut
Après cinq ans, nous percevons pourraient poser. Nous n’avons leur adhésion au projet de coensei-
de profonds changements dans notre jamais eu autant de familles pré- gnement, parce que c’est un réel
façon d’enseigner et de penser notre sentes à une réunion de rentrée (cin- cotravail au quotidien. Et les élèves
pédagogie. Tout d’abord, nous quante sur cinquante-six). Un vrai doivent également sentir la cohésion
sommes dans un échange au quoti- grand oral pour nous ! Nous étions de l’équipe. Cela nécessite de la
dien sur les questions d’apprentis- tellement enthousiastes de présenter confiance, du respect, de la bienveil-
sage. Nous nous soutenons, nous notre projet que les parents sont lance, des échanges, des fous rires
apprenons l’une de l’autre. Nos repartis rassurés. Nous avions plus aussi !
nouveaux codes professionnels sont : d’envie que de peur et surtout l’en- Dans notre cas, pour un certain
communiquer sur la pédagogie, les vie de faire vivre notre projet. nombre d’activités, nous demandons
élèves, coopérer, partager, créer. Au aux deux Atsem de travailler dans le
niveau professionnel, cela a redyna- Quelles impressions le jour J ? même espace. Nous avons pu consta-
misé notre envie, notre engagement À postériori, nous étions motivées, ter qu’elles sont plus à l’aise que
dans le métier. fières, un peu stressées, tout ça à la quand elles sont tout le temps sous
Pour les élèves, ce double regard fois. Chacune pouvait regarder le regard de l’enseignant. Elles sont
nous permet de mieux les accompa- l’autre faire, en toute bienveillance. véritablement impliquées dans ce
gner, d’être au plus près de leurs C’était à la fois regarder l’autre agir projet, nous leur demandons leur avis.
besoins, de mieux moduler et penser et se voir comme dans un miroir, La reconnaissance de leur profession-
les formes de travail, d’insuffler plus avec l’idée de construire ensemble nalité impacte positivement la qualité
de repères mais aussi d’autonomie,
de davantage personnaliser les
apprentissages.
Concrètement, comment s’est passée la Point de vue Une affaire de pronom (1)
première rentrée en 2015 ?
Bien évidemment, nous avons « Ma salle, mon bureau, ma classe, mon coenseignement n’étaient rien d’autre
préparé la rentrée ensemble. Nous fauteuil, ma progression, mes cours, mes que cela, un changement d’attribution :
avons commencé à réfléchir au pro- élèves, mon Atsem, etc. », comme une ma notre, mes notre, mon notre… Tiens !
jet en février 2015, pour le démarrer ritournelle, un texte de Boris Vian chan- « mon autre ». Merveille de l’assonance
en septembre. Nous avons présenté té par lui-même, sans frigidaire, sans et du jeu de mots : « mon autre, mon
le projet à l’IEN (inspecteur de raton laveur. « Je suis, tu es, il est… », il notre, mon autre, mon notre… ». Chan-
l’Éducation nationale) en mai, puis hait qui ? Pas moi j’espère ! Attention où gement de paradigme, changement de
au conseil d’école en juin. Nous tu mets les pieds, tu es chez moi, tu es posture pédagogique, changement de
étions dans l’école depuis quelques dans ma salle, mon bureau, ma classe, regard, mais d’abord changement de
années ; les familles nous connais- mon…, allez, ça suffit ! Si on y pense bien, grammaire qui parle car, comme disaient
saient. Bien qu’inquiètes que leurs tout est réifié, rendu objet, dans « ma les anciens qui pouvaient avoir une cer-
enfants travaillent dans une « si salle, mon bureau, ma classe… », et même taine sagesse : « Gramm loquitur ».
grande classe » avec autant d’élèves, mon Atsem, et moi aussi d’ailleurs puisque La co-intervention : parler avec un notre
elles nous ont fait confiance. je suis leur maitre, leur maitresse, leur soi-même.
Pendant les vacances d’été, nous professeur principal, leur professeur de… JEAN-CHARLES LÉON
avons aménagé les espaces, échan- Et si, finalement, la co-intervention, le Professeur de musique
des relations qu’elles développent Seules dans nos classes il y a cinq pense pas comme soi. C’est aussi
avec les élèves, avec les parents et ans, nous nous sentions moins celui dont on dit « j’aimerais que
avec nous les enseignantes. armées pour les accompagner. mes enfants l’aient comme ensei-
Aujourd’hui, le cadre, à la fois struc- gnant ! », « ce qu’il fait dans sa
Et les familles dans ce projet ? turant mais aussi plus ouvert, per- classe, ça m’intéresse ! », celui avec
Nous avons dès le départ cherché met à chaque enfant d’être accom- qui on se sent en confiance et en
à œuvrer pour la coéducation. Nos pagné par l’interlocuteur de son phase sur des projets pédagogiques
classes sont donc plus ouvertes aux choix, sous le regard collégial de et humains.
familles où elles peuvent voir ce que l’équipe enseignants-Atsem.
nous faisons. Concrètement, nous Par les dispositifs pédagogiques Et les conflits, ça existe ?
organisons divers projets : matinées mis en place, nous tentons de les Des moments difficiles ? Nous n’en
portes ouvertes autour d’un projet rendre acteurs de leurs apprentis- avons pas eu. Bien sûr que notre
de classe, dispositif d’APC (activités sages et autonomes. Ils peuvent dispositif a évolué durant ces cinq
pédagogiques complémentaires) en notamment manipuler, faire et années. Nous avons osé de plus en
famille, journées des talents des refaire jusqu’à épuisement de la plus de choses au fur et à mesure.
parents, mise en place d’un blog de tâche. Ils peuvent organiser la suc- Nous avons, comme tout enseignant
classe pour partager le quotidien de confronté à sa classe, eu à résoudre
leurs enfants, etc. des problèmes, penser certaines pro-
Les parents apprécient aussi
Seules dans nos classe il y a blématiques. Mais comme nous
d’avoir un double regard sur leur cinq ans, nous nous sentions étions deux pour faire cela, nous
enfant. On observe depuis cinq ans moins armées pour les avons pu échanger, mieux cerner les
une implication croissante de leur accompagner. tenants et les aboutissants. Nous
part qui rejaillit même sur les avons un double regard sur les pro-
cadeaux de fin d’année qui sont cession des tâches de la journée, blèmes et une double réflexion pour
désormais des « cadeaux pour la jouer, se reposer au moment où ils les solutions.
classe » (tablette, enceinte connec- en ont besoin. Ils peuvent fonction-
tée, kamishibaï, etc.) et non pour ner seuls, en binôme, en groupe Qu’est-ce que cela a changé pour vous ?
les maitresses. homogène, hétérogène. Nous travail- Tout ! En tout cas, cela change
lons également la coopération, la beaucoup. Nous avons l’impression
Et les principaux intéressés, les élèves ? nôtre mais aussi celle des élèves. d’exercer un nouveau métier, de
Ils adhèrent très vite au projet. n’être plus seules, d’avoir retrouvé
Dès la première journée, ils ont rapi- Comment choisir son binôme ? une confiance professionnelle. Nous
dement et intuitivement trouvé leur En ce qui nous concerne, tout s’est allons plus loin dans les projets,
place dans ce dispositif. Désormais, fait naturellement. Nous travaillions nous approfondissons davantage les
ils le connaissent. Nous essayons déjà ensemble dans l’école et avions choses. C’est une véritable émulation
d’organiser au mieux l’espace et le toutes deux envie de changer. Trou- intellectuelle et pédagogique, qui
temps dans le respect de chacun ver son binôme, ce n’est pas trouver dépasse les échanges sporadiques
(son ressenti, son rythme, sa sécu- son double mais plutôt trouver celui entre deux portes. Nous sommes
rité physique et affective), tout en ou celle qui vous est complémen- passés du « je » au « nous », et ça
ne perdant pas l’objectif qu’il s’ins- taire. Cela est à priori moins facile, rend fort. n
crive dans une logique collective mais tellement plus enrichissant de
d’apprentissage. travailler avec quelqu’un qui ne
2. Différenciation et inclusion
L
ors des premières séances son apprentissage, tout en mainte- Dans notre contexte de travail, il
d’EPS, Pierre a créé le chaos nant le groupe en place. nous semble qu’il nous serait diffi-
autour de lui, poussant à bout cile, voire impossible d’enseigner
ses pairs et nous mettant dans une RENDRE LE l’EPS sans ancrer notre dispositif
forme d’incompréhension. Âgé de COENSEIGNEMENT d’apprentissage dans une forme de
12 ans, il est scolarisé dans l’établis- POSSIBLE coenseignement évoquée ici. Il nous
sement depuis deux ans après avoir Ma collègue et moi accueillons faut préciser que nous ne pouvons
été en ULIS (unité localisée pour des groupes de quinze enfants, et le faire que parce que nous regrou-
l’inclusion scolaire). Il ne pratique pratiquons une pédagogie non direc- pons nos deux groupes classes en
aucune activité sportive, ludique ou tive où la question des apprentis- un seul, nous arrangeant ainsi avec
culturelle en dehors de ses temps sages associée à celle du bienêtre, le dispositif institutionnel. Et, depuis
scolaires. Notre objectif est d’arriver quatorze ans, ma collègue et moi
à l’intégrer au groupe sans qu’il nous l’éprouvons sans jamais
l’empêche de fonctionner.
Progressivement, Pierre aucune lassitude. n
est devenu un élève à part
ACCOMPAGNER PIERRE entière au sein de son groupe
Comme nous sommes en coen- classe.
seignement, notre stratégie a été
dans un premier temps de libérer du care, est omniprésente. Ces
l’un de nous pour accompagner enfants, nos élèves, mettent souvent
Pierre et lui donner suffisamment à mal les équipes pluridisciplinaires,
confiance pour accepter d’être avec enfants « troublés et troublants ».
les autres. Lors des premières Notre travail au quotidien consiste
séances, alors que l’enseignant en la mise en place d’actions édu-
accompagnant était très présent catives et pédagogiques pour qu’ils
pour accueillir les comportements apprennent à être et à faire avec les
ou attitudes troublants de Pierre, autres, avec leurs pairs et avec les
l’autre était là pour le groupe, adultes.
menait la séance pédagogique, ani- Toutefois, l’organisation du coen-
mait les divers ateliers en gymnas- seignement n’est pas si simple,
tique. Ensuite, au fil des séances, même en IME. Le principal frein est
l’enseignant accompagnant a dimi- l’institution qui peut refuser de lais-
nué sa présence active auprès de ser deux enseignants exercer
Pierre, a pris ses distances et n’in- ensemble au nom d’une vision un
tervenait plus que lorsque celui-ci peu archaïque du métier. Du côté
troublait démesurément l’activité, des deux enseignants, le coensei-
l’accompagnant hors du groupe gnement nécessite à minima copla-
pour éviter qu’il n’agisse négative- nification, co-instruction et coéva-
ment sur celui-ci. luation du groupe classe. Pour le dire
Progressivement, Pierre est deve- autrement, il faut donc que les deux
nu un élève à part entière au sein enseignants aient une vision parta-
de son groupe classe, tant aux yeux gée nécessitant bien évidemment de
de ses pairs que de notre point de la part des deux pédagogues d’ac-
vue d’enseignants. Le coenseigne- cepter le regard de l’autre, et d’avoir
ment est pour nous essentiel ici : il indéniablement une certaine matu-
donne la possibilité de se rendre rité professionnelle. Un point de
disponible pour accompagner l’en- vigilance également doit se faire sur
fant dans la gestion de ses troubles, la place qu’occupe chacun : est-ce
de faciliter sa participation et donc toujours le même qui accompagne,
C
performants et qui pourraient être
e projet est né des élèves, collège pour obtenir un groupe inclus en classe de français.
de leurs mots durs qui classe de trente-neuf élèves. Nous À notre grand plaisir, nous avons
témoignent de l’existence avons convenu de la nécessité de rapidement constaté que ce dispo-
de deux mondes qui ne nous montrer exemplaires dans sitif favorisait l’émergence de dis-
se rencontrent que peu ou qui s’op- notre collaboration : si nous voulions cussions et débats constructifs entre
posent au sein d’un même collège. changer les représentations de nos élèves, une véritable « société édu-
Ces mots révèlent surtout des souf- élèves et briser leurs stéréotypes, il cative » dans laquelle la frontière
frances ordinaires, la différence, la fallait d’abord que nous entrepre- entre Segpa et collège disparaissait
stigmatisation : « Ils se moquent sans nions la même démarche. et où régnait une solidarité. Chacun
arrêt de nous », « dans la cour on Cette approche, ce dispositif était investi d’un rôle, c’est-à-dire
entend “espèce de Segpa” », « mais devaient induire un partage entier « des compétences variées et complé-
monsieur, nous, on n’est pas comme des responsabilités. Nous avons visé mentaires permettant à chaque
les autres, on est en Segpa ! » une parfaite égalité de la répartition enfant d’avoir une place dans le
Ce sentiment d’infériorité touche des tâches (en ce qui concerne la processus de fabrication et d’occuper
également la vision qu’ont les élèves planification des séances, l’ensei- “sa” place unique et irremplaçable
de leurs professeurs : « Nous n’avons au sein du collectif »[2].
pas de vrais professeurs, comme les Par ailleurs, les distinctions entre
autres. » Ces mots m’ont poussé à
Cette approche, ce dispositif classes étaient momentanément
envisager le coenseignement comme devaient induire un partage abrogées au profit de plusieurs
dispositif au service de l’inclusion, entier des responsabilités. groupes élèves experts de leur thé-
en revalorisant leur estime de soi et matique. Tout cela a permis d’élever
l’acquisition de compétences gnement, les évaluations ou encore le degré d’ambition de chacun sans
civiques et sociales pour tous. « De la régulation de la classe), afin que nous n’intervenions plus que de
l’identique, on n’apprend rien : on d’offrir aux élèves en difficulté de raison. Cette manière de s’approprier
se conforte dans ses certitudes, on nos deux classes un soutien péda- les apprentissages a eu un impact
s’admire comme Narcisse dans le gogique plus intensif et plus indivi- certain sur les habitudes de travail
miroir de l’autre […]. Tout élève a dualisé. Les élèves pourraient voir de mes élèves, un cahier mieux
besoin d’être considéré dans sa dif- travailler ensemble deux professeurs entretenu, une volonté de revenir
férence et regroupé avec d’autres. »[1] aux parcours différents et se rendre sur des notions abordées mais pas
compte qu’un professeur de Segpa approfondies, par exemple. Ils se
DONNER L’EXEMPLE et un professeur de l’enseignement sont sentis plus encadrés et donc
C’est à travers nos échanges sur ordinaire pouvaient s’occuper d’eux plus en sécurité, alors que les tâches
nos difficultés rencontrées et nos et répondre à leurs besoins, mettant à accomplir étaient toujours plus
différentes approches pédagogiques chacun sur un pied d’égalité et cas- complexes. Ils se sont donc emparés
ave c m a c o l l è g u e d e l e t t res sant les représentations existantes. de l’environnement créé par notre
modernes, Sophie Charfi, que l’idée démarche de coenseignement et ont
s’est concrétisée. Nous avons fait le UNE HÉTÉROGÉNÉITÉ naturellement brisé les frontières
pari d’essayer de coenseigner, le CONSTRUCTIVE invisibles qui les séparaient
temps d’une séquence de français Parmi les dispositifs imaginés, nous jusqu’alors : travailler en collabora-
portant sur la littérature médiévale. avons retenu l’organisation de diffé- tion avec des pairs connaissant par-
Nous avons donc décidé, deux rents ateliers non tournants pour que fois les mêmes difficultés qu’eux leur
heures et demie par semaine, de chaque élève puisse aller au bout de a permis de reprendre confiance en
mélanger nos classes de 5e Segpa ses recherches, de son investissement eux et de trouver leur place.
(sections d’enseignement général et personnel. Les élèves étaient ensuite C’est à travers les mots des élèves
professionnel adapté) et de 5e de regroupés selon leurs profils. Certains que l’on observe le mieux les n n n
groupes étaient constitués de petits
1 Philippe Meirieu, Faire l’école, faire la classe, ESF, lecteurs de Segpa et d’élèves perfor- 2 Yves Jeanne, « Fernand Oury et la pédagogie
2004. mants de la classe ordinaire, ou institutionnelle », Reliance n° 28, 2008.
2. Différenciation et inclusion
nnn changements de point de vue pération : « J’ai aimé quand on tra- leurs éloquents : « J’ai bien aimé car
des 5es ordinaires sur les élèves de vaillait en groupe avec les Segpa, car il y avait une bonne ambiance, j’ai
Segpa. À partir d’un questionnaire le travail avançait plus vite. » Cette appris à découvrir des personnes que
anonyme réalisé en classe en début remarque est confirmée par nos je ne connaissais pas. »
et en fin d’expérience, nous avons observations respectives : nous avons Les bénéfices de cette expérience
constaté qu’alors que dix-neuf élèves comparé l’avancement et la qualité ont été riches et nombreux pour
sur vingt-deux semblaient au départ du travail fourni avec nos autres tous : une ouverture entre élèves, un
réticents à l’idée de travailler avec classes de 5e n’ayant pas bénéficié meilleur climat scolaire, des appren-
une classe de Segpa, seulement six du dispositif, et relevé que les classes tissages de meilleure qualité à la
élèves portaient toujours un regard mélangées ont obtenu de meilleurs hauteur des compétences de chacun
négatif sur le travail coopératif en résultats ; elles ont travaillé à un mais aussi, du côté des professeurs,
fin de séquence. Leurs témoignages rythme plus soutenu. un changement durable de culture
montrent un véritable changement Par ailleurs, nous avons observé pédagogique et de gestion de classe,
de regard : « J’ai aimé faire le sketch un meilleur climat de classe et une et une différenciation des apprentis-
avec les autres, car on avait plein de plus grande implication dans les sages beaucoup plus efficace. Cette
choses différentes [à dire] » ; « ce que apprentissages : aucun conflit, car les démarche de coenseignement nous
j’ai aimé : être avec une autre classe élèves de Segpa cherchaient à faire a indéniablement permis de grandir
pour faire le travail et inventer des leurs preuves devant les autres et se tous ensemble, dans nos métiers
histoires » ; « j’ai aimé ce travail avec sont laissés porter par la dynamique d’élèves comme d’enseignants. n
eux [la Segpa]. » Les élèves de 5e de coopération. Ces mots, sous la
ordinaire ont bénéficié de cette coo- plume de l’un d’entre eux, sont d’ail-
À la recherche d’une
clarification
celle-ci se pratique dans et hors de
Comprendre les différents types de co-intervention la classe, qu’elle n’est pas synonyme
entre enseignants spécialisés et enseignants des classes de coprésence, qu’elle est associée
pour mieux coconstruire les projets autour des élèves à des gestes dont la temporalité se
en difficulté et construire une école plus inclusive, situe en amont comme en aval de
c’est le projet d’une recherche en cours à la Fédération l’intervention avec les élèves. Elle
nationale des associations de maitres E (Fname). ne se limite pas à un rapport avec
le seul enseignant de la classe, mais
intègre l’ensemble des adultes
Le groupe de travail du comité scientifique de la Fname acteurs du suivi, professionnels et
(Fédération nationale des associations de maitres E), parents. Un lexique spécifique pour
coordination Geneviève Orion signifier l’importance du faire
U
ensemble lui est associé : coréfléchir,
ne étude comparative des taines dimensions spécifiques de coconcevoir, coélaborer, coobserver,
aides spécialisées à l’aide à dominante pédagogique, et etc. Selon les secteurs géogra-
l’échelle européenne le risque que la co-intervention ne phiques, la co-intervention dans la
(2015-2018), réalisée par soit contrainte à la coprésence, être classe peut être une injonction impé-
le groupe de travail de la Fname, a à deux dans le même espace. rative, une incitation ouverte, ou
fait émerger la co-intervention encore être librement investie par
comme une pratique allant de pair En France, une attente les maitres E. La taille et la disper-
avec l’école inclusive dans la plupart sion géographique des secteurs
des pays étudiés. En France, une
institutionnelle en faveur de d’intervention du Rased (Réseau
attente institutionnelle en faveur de
la co-intervention s’affirme. d’aides spécialisées aux élèves en
la co-intervention s’affirme. De notre difficulté), l’exigence en temps
côté, en tant qu’enseignants spécia- En 2018, nous avons initié une d’échange avec les personnes impli-
lisés, nous nous interrogeons sur étude portant sur les pratiques de quées et l’inquiétude quant à la
trois risques en lien avec nos spéci- co-intervention des maitres E. Un confusion de rôle entre maitre E et
ficités : la possible confusion des premier sondage auprès de nos enseignant ordinaire sont des limites
rôles, l’abandon éventuel de cer- adhérents a permis de relever que perçues à la co-intervention en
classe. À contrario, le projet unique destructeur pour tout le monde. enfants, et en conséquence, de
pour l’élève, qui rassemble actions Pour autant, on ne peut exclure les besoins des enseignants ».
et acteurs dans une visée commune, regroupements à un moment du Bien au-delà des modalités d’inter-
avec des objectifs, des temporalités, parcours de certains élèves, puisque vention de l’aide spécialisée, cela
un partage de l’espace, des supports ceux-ci leur permettent de sortir de questionne les conditions de l’agir
explicites, en est l’atout majeur. Un la classe pour rejouer la situation ensemble entre le maitre E et les
autre atout concerne l’accompagne- d’apprentissage dans un environne- autres professionnels : comment tra-
ment des enseignants des classes ment de confiance. vailler ensemble, partager et coor-
par le maitre E en tant que personne donner les espaces matériels et
ressource qui leur permet de déve- PARTAGER L’EXPERTISE symboliques, les temporalités, les
lopper leur compétence quant à Serge Thomazet et Corinne Mérini points de vue, le sens de l’action,
l’aide aux élèves en difficulté. mettent en avant que les enseignants les regards sur les compétences et
sont le plus souvent désemparés face postures des élèves, pour fonder une
UNE RESPONSABILITÉ aux élèves en difficulté et que la construction collective, tout en per-
PARTAGÉE mettant à chacun d’exprimer son
La co-intervention met en ques- domaine d’expertise ? Il ne s’agit
La co-intervention met en
tion la forme scolaire dominante, un nullement de « perdre son identité
maitre-une classe, ainsi que des
question la forme scolaire professionnelle ou ses compétences,
habitudes de prise en charge de dominante, un maitre-une mais d’aménager des situations par-
l’élève en difficulté. Le regroupement classe. tagées qui permettent de croiser les
d’adaptation (externalisation expertises, avec des partenaires qui
d’élèves par l’enseignant spécialisé) situation relèverait d’un dilemme nous aident à trouver des réponses
pose la question du transfert et de pour le maitre E, « aider quelques là où notre métier est pris en défaut.
l’aide différée. Pour autant, la pré- enfants ou contribuer à rendre l’école C’est permettre l’émergence de
sence de personnes expertes dans accessible en accompagnant les pro- réponses complexes parce que plu-
les classes qui puissent analyser la fessionnels et le système dans sa sieurs professionnels ont, chacun,
difficulté des élèves dans la com- transformation », pour une meilleure un élément de la réponse »[1].
plexité de l’apprentissage est essen- inclusion de tous. Une clé de l’évo- Nous est apparue alors la nécessité
tielle. Cette expertise du maitre E lui lution professionnelle se situerait en de spécifier la co-intervention n n n
permet d’« observer, connaitre, régu- faveur d’une aide aux professionnels
ler en souplesse et partager les et au système dans la mesure où 1 Marco Allenbach, Basma Frangieh, Corinne
regards sur les enfants ». Comme l’aide de nature compensatoire, Mérini, Serge Thomazet, « Du partenariat aux
l’indique Laurent Lescouarch, se certes, aide l’enfant mais ne trans- métiers de l’intermétiers : quand le projet inclusif
situe ici un enjeu essentiel, celui du forme pas l’école. Cette approche met en lumière un travail transversal et collectif »,
Symposium du REF, Travailler à une école inclu-
travail coordonné pour une respon- demanderait de « raisonner non plus sive : vers des environnements capacitants pour
sabilité partagée, car face à la diffi- en termes de déficit ou de trouble tous les acteurs concernés, Toulouse, 9 et 19 juillet
culté scolaire, travailler seul est mais en termes de besoins des 2019.
EN SAVOIR PLUS
Les huit types de co-intervention avec l’enseignant spécialisé
Type 1 : L’enseignant ordinaire confronter des points de vue, aider Type 4 : L’enseignant spécialisé tagent le groupe classe dans le
prend en charge le groupe classe à prendre une décision, tisser un prend en charge le groupe classe cadre d’un projet construit. Ce type
pour un temps d’apprentissage, climat de confiance, réaménager pour un temps d’apprentissage et est plus couramment pratiqué que
tandis que l’enseignant spécialisé outils et supports, proposer des permet à l’enseignant ordinaire le précédent.
observe l’activité des élèves à pistes de différenciation. d’étayer l’activité d’un petit groupe
besoin éducatif particulier (BEP). d’élèves à BEP. Cette pratique est Type 7 : L’enseignant spécialisé
Il s’agit d’observer l’élève en acti- Type 2 : L’enseignant spécialisé la moins courante de toutes. p re n d e n c h a rge u n g ro u p e
vité, dans sa classe, avec les outils prend en charge le groupe classe d’élèves à BEP en dehors de la
et le discours du maitre dont il se pour un temps d’apprentissage et Type 5 : L’enseignant spécialisé classe dans le cadre d’un projet
saisit ou non, les interactions avec permet à l’enseignant ordinaire ainsi que l’enseignant ordinaire se coconstruit avec l’enseignant.
l’adulte ou les pairs, identifier ce d’observer l’activité de ses élèves. partagent les élèves à BEP pen- Cette pratique est la plus couram-
qui fait obstacle. Cette observation dant que le reste de la classe est ment pratiquée.
se situe souvent en amont du pro- Type 3 : L’enseignant ordinaire en autonomie. Là encore, cette
jet d’aide spécialisée, elle en est prend en charge le groupe classe pratique est peu courante. Type 8 : L’enseignant spécialisé
alors la première étape. Elle peut pour un temps d’apprentissage et collabore avec ses collègues
aussi s’effectuer en cours de projet, permet à l’enseignant spécialisé Type 6 : L’enseignant spécialisé, (temps institutionnels, informels,
pour analyser des obstacles, par- d’étayer l’activité d’un petit groupe l’enseignant ordinaire et éventuel- formalisés). Cette collaboration
tager un regard, évaluer des pro- d’élèves à BEP. lement un autre adulte (ensei- est majoritairement pratiquée par
grès, pointer des stratégies, gnant, co-intervenant) se par- les maitres E.
2. Différenciation et inclusion
nnn des enseignants spécialisés, les enseignants spécialisés en colla- seraient en jeu dans une co-interven-
identifiée au sein d’un projet boration avec les enseignants des tion favorable à une évolution de la
coconstruit et menée à plusieurs. Un classes (voir encart). À partir de cette prise en compte de la difficulté sco-
second temps de recherche a donc typologie détaillée, nous projetons laire par les collectifs de profession-
été initié pour recenser les pratiques sur l’année 2020-2021 une démarche nels au sein de l’école primaire. n
des maitres E de la Fname. Huit d’entretiens avec les maitres E, pour
configurations de co-intervention ont caractériser les gestes professionnels
émergé, variablement investies par et les territoires communs qui
D
provisation ont forcément lieu, ce
urant trois ans, ma classe munauté d’outils et d’objectifs péda- qui peut faire obstacle à la coopéra-
a été une section d’édu- gogiques entre elle et moi marque le tion, mode de travail qui suggère une
cation et d’enseignement chevauchement de nos zones de préparation commune cadrée, afin
spécialisé en institut compétences qui a justifié une co- que le travail commun auprès des
d’éducation sensoriel (SEES-IES). intervention dans le domaine de élèves soit cohérent.
Elle dépendait d’un institut senso- l’espace[2]. Les séances ont eu lieu À quels moments des surdétermi-
riel, mais était située dans une école dans ma classe. Ayant diagnostiqué nations orientent les interventions ?
ordinaire de l’Éducation nationale. une focalisation des élèves sur les Il s’agit tout d’abord de moments où
De nombreux professionnels inter- détails, nous avons conçu des exer- l’une de nous s’efface pour laisser
venaient, il me fallut apprendre à cices pour les amener à schématiser l’autre faire, sentant que la situation
travailler au sein d’une équipe plu- par le dessin puis à réaliser une repré- relève de son domaine et qu’elle la
ridisciplinaire. Convaincue de l’op- sentation de type plan à l’aide d’ai- maitrise. L’éducatrice mène une pré-
portunité du travail coopératif, j’ai mants de formes simples. sentation du matériel de manière très
étudié dans le cadre d’un master guidée et explicite, car ce temps est
recherche en didactique comment nécessaire pour des élèves déficients
Des moments de tension
le fait de co-intervenir pouvait per- visuels. Dans ce type de moment, la
mettre à deux professionnelles de
apparaissaient pendant rencontre directe avec la profession-
cultures différentes de mieux se lesquels il pouvait y avoir nalité de l’autre est possible et une
comprendre. J’ai donc observé mon discordance. diffusion de compétences est
duo avec une éducatrice spécialisée envisageable.
auprès d’un petit groupe sur une Des phases d’alternance naturelle, Mais des surdéterminations s’expri-
séquence portant sur le plan[1]. fluide, dans le fait d’assumer, de diri- ment également dans des moments
L’éducatrice y intervient comme ger le groupe, ont lieu entre l’éduca- de tension, où au risque même de
instructrice en locomotion, métier trice et moi. J’ai observé également rompre un certain équilibre du duo,
spécifique de l’accompagnement des des moments où chacune dirige spé- un intervenant s’impose ou ne cède
personnes déficientes visuelles qui cifiquement un ou deux élèves. Des pas. La rencontre semble alors impos-
consiste à rendre autonomes et sécu- moments de tension apparaissaient sible en direct. Dans notre cas, un
ritaires leurs déplacements. Elle uti- pendant lesquels il pouvait y avoir échange à postériori a permis de
lise notamment des outils comme les discordance entre les intervenantes. comprendre l’origine de la tension.
maquettes et les plans. Cette com- Par exemple, la forme aimantée pré-
parée par l’éducatrice pour représen-
2 Nathalie Lewi-Dumont, « Des besoins particu- ter le chien a posé problème autant
1 Sandrine Amaré, Philippe Martin-Noureux, « La liers des élèves aux besoins de formation des pro-
coopération à l’épreuve de deux cultures : l’école fessionnels : l’exemple de la déficience visuelle »,
aux élèves qu’à moi-même. Un entre-
et le secteur médicosocial », La nouvelle revue de dans La nouvelle revue de l’adaptation et de la sco- tien a permis de mettre en évidence
l’adaptation et de la scolarisation, 57 (1), 2012. larisation, éditions de l’Inshea, 2-3 (70-71), 2015. que nous n’avions pas les mêmes
2. Différenciation et inclusion
C
objets d’apprentissage mais aussi
oanimation : action d’ani- La co-intervention peut aussi se les responsabilités de coplanifica-
mer un groupe, un débat comprendre comme l’intervention tion, de co-instructions et de
réalisé par deux ou plu- conjointe de deux enseignants selon coévaluation des élèves.
sieurs personnes ; trois configurations de travail carac- Dans le coenseignement, les ensei-
ensemble des moyens et méthodes térisées par le comité de suivi du gnants sont considérés comme éga-
mis en œuvre par deux ou plusieurs lement responsables de et devant la
personnes pour faire participer acti- classe. Cette collaboration peut fonc-
En co-intervention, les objets
vement les membres d’une collecti- tionner à temps partiel, une fois par
vité à la vie du groupe.
d’apprentissage peuvent être semaine par exemple, ou à temps
Co-intervention : Deux acceptions dissociés, les lieux également. complet. Le coenseignement est
ont actuellement cours en contexte notamment mis en œuvre pour une
de classe. La co-intervention peut dispositif Plus de maitres que de école plus inclusive. Il est étroitement
concerner l’intervention conjointe classe[1] : l’enseignement en ateliers, associé à une conception d’une ortho-
devant un groupe d’élèves d’un l’enseignement avec groupes diffé- pédagogie plutôt qualitative, c’est-à-
enseignant et d’un adulte qui n’est renciés, l’enseignement en parallèle, dire visant à améliorer la qualité de
pas enseignant. Ce second interve- où les deux enseignants (ordinaires l’enseignement offert à tous les élèves,
nant peut être un AESH (accompa- ou spécialisés) ne sont pas néces- associant parfois un enseignant géné-
gnant des élèves en situation de sairement dans le même espace de raliste et un enseignant spécialisé. Le
handicap), un Atsem (agent territo- travail (voir schéma). En co-inter- comité de suivi du dispositif Plus de
rial spécialisé des écoles mater- vention, les objets d’apprentissage
nelles), un médiateur culturel, un peuvent être dissociés, les lieux éga- 2 Marilyn Friend, Lynn Cook, Interactions : Colla-
éducateur sportif, un éducateur boration skills for school professionals, Columbus,
spécialisé, un professionnel, etc. 1 https://tinyurl.com/yd6y3q6y 2010.
maitres que de classes a déterminé Il est à noter que dans une séance par les professeurs in situ en classe.
trois configurations de travail relevant de classe, il est tout à fait possible Philippe Tremblay a, de son côté,
du coenseignement : l’enseignement d’alterner différentes configurations relevé trente-et-une configurations
en tandem, l’un enseigne l’autre aide, selon les besoins et objectifs déter- d’actions conjointes d’enseignants
les deux aident (voir schéma)[3] . minés [4]. en coenseignement : l’un et l’autre
Coprésence : Dans cette configu- Ces configurations de travail pouvant être soit en enseignement
ration, l’un enseigne et l’autre relèvent de l’organisation spatio- collectif, en enseignement semi-
observe. C’est un temps précieux temporelle et ne précisent toutefois collectif, en enseignement indivi-
d’observation des élèves au travail pas les actions et activités réalisées dualisé, en observation, en concer-
pour documenter les obstacles tation, en correction ou préparation,
potentiels qu’ils rencontrent et les en gestion de la discipline, en tâche
4 Si en France nous retenons sept configurations,
stratégies inopérantes. au Canada huit sont présentées aux enseignants
administrative. n
(France Dubé, France Dufour, Marie Jocya Paviel,
3 https://tinyurl.com/y8h7t2m3 2019, https://tinyurl.com/y7z9unyw).
Une expérience
de coenseignement :
le PDMQDC !
Le dispositif PDMQDC (Plus de maitres que de classes), enseigne, l’autre aide. Ce n’était pas
en déshérence alors qu’il n’a pas été évalué, vécu de contraignant et l’on poursuivait la
l’intérieur par une professeure des écoles. discussion en salle des maitres
devant un café ou en récréation, plus
tard sur un créneau dédié. J’ai éga-
Carine Boubila, professeure des écoles à Montauban lement beaucoup communiqué par
J
courriel. J’envoyais mon cahier-jour-
’ai postulé en 2017 sur un rimenté la co-intervention m’a nal de la semaine afin de savoir s’il
poste du dispositif Plus de facilité les choses. Partant de ce qui convenait aux collègues. À tout
maitres que de classes et se faisait, je rebondissais sur l’exis- moment je pouvais le modifier.
j’ai expérimenté la co-inter- tant et proposais ma co-intervention.
vention dans une école de centre- Nous avons établi des créneaux de MUTUALISATION
ville en réseau d’éducation priori- jeux mathématiques, de résolution En tant que PDMQDC, j’ai béné-
taire (REP) pendant une année de problèmes, de lecture compré- ficié d’une formation qui n’a duré
scolaire. Les premiers jours furent hension, de phonologie, de gra- que trois jours, puis de regroupe-
déstabilisants. Venant d’une petite phisme, etc. ments des enseignantes surnumé-
école rurale de trois classes, j’ai raires de circonscription à raison
accusé le changement : neuf classes, C’était entre deux portes que d’un mercredi par mois. Nous étions
nouveaux collègues et pas de classe nous discutions des élèves ou sept sur ce dispositif, la plupart nou-
attitrée. Les premières semaines velles sur ce type du poste. Ces
étaient consacrées aux évaluations
de la séance suivante. regroupements ont été l’occasion
nationales. J’intervenais essentiel- d’échanger sur nos difficultés et nos
lement sur les classes de CP et CE1. En dehors des conseils des maitres réussites. Nous avons mutualisé nos
Je préparais un emploi du temps ou de cycle, c’était entre deux portes outils et nous nous sommes organi-
« Post-it » modulable que j’affichais que nous discutions des élèves ou sées pour observer les pratiques de
en salle des maitres, progressivement de la séance suivante, sur ce qu’on chacune. Il s’agissait de voir concrè-
adapté aux projets des classes. Je avait remarqué sur tel élève, ses dif- tement comment la co-intervention
profitais des conseils de classe pour ficultés ou ses progrès, et des ou le coenseignement s’organisait
m’insérer dans le travail des collè- séances suivantes. Il s’agissait de chez les autres, comment se déroulait
gues. Le fait qu’elles aient déjà béné- déterminer la forme de la co-inter- la séance de production d’écrits en
ficié du dispositif PDMQDC et expé- vention : en tandem ou l’un CE1, les ateliers de phonologie n n n
2. Différenciation et inclusion
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34 I Les Cahiers pédagogiques I N° 566 I JANVIER 2021
CO-INTERVENTION : À DEUX DANS LA CLASSE
DOSSIER
3. Gestes professionnels
P
ensemble l’aménagement de la
endant longtemps, les ateliers, les modalités d’apprentis- classe. Dans un premier temps, je
Atsem furent des gar- sages, etc. sont autant d’axes à inter- fais des suggestions et demande son
diennes bienveillantes roger et à partager entre adultes aval à l’Atsem. Je l’invite à faire des
qui prodiguaient les co-intervenants. propositions. En général, il lui faut
soins aux enfants et Je travaille beaucoup avec les plusieurs jours ou semaines, le
assuraient les tâches ménagères familles et je les invite dans le quo- temps nécessaire pour s’imprégner
d’entretien de la salle de classe. Cela tidien de ma classe. Ce type de du fonctionnement de la classe et
a participé à développer un senti- fonctionnement, qui joue la carte surtout le temps d’oser : les Atsem
ment d’appropriation des locaux. Un de la transparence pour apprendre sont rarement invitées à donner leur
« ma classe », « mes enfants » qui se à mieux se connaitre et partager les avis et sont souvent désarçonnées
conjuguait avec « ma classe », « mes codes de l’école, ne peut se prati- lorsque je leur explique mes attentes
élèves » de l’enseignant. Les rôles et l’autonomie que je leur laisse. Il
étaient distribués. L’enseignant ne s’agit pas de nettoyer systémati-
enseignait, l’Atsem pansait les petits
Lorsque j’arrive dans une quement les surfaces après le pas-
bobos et gérait l’intendance. Petit à nouvelle école, je me présente sage des élèves, ni de gérer un atelier
petit, leur rôle s’est transformé ; elles avec mon « projet ». semi-dirigé auxquels tous devront
ont vu leurs missions évoluer. De participer. Elles les accompagneront,
l’atelier semi-dirigé qu’elles super- quer sans l’adhésion de l’Atsem. La comme moi, vers plus d’autonomie.
visaient, elles se trouvent présence des familles peut être per- Elles devront les observer, les ques-
aujourd’hui à animer un groupe çue comme intrusive et susciter des tionner, les aider à transformer des
d’enfants dans des activités d’ap- craintes si elle n’est pas discutée. découvertes. Je nous octroie des
prentissage. Cette évolution[1] impose Aussi, lorsque j’arrive dans une temps d’observation et d’échanges
de travailler autrement et nécessite nouvelle école, je me présente avec communs. Ce que remarque l’Atsem
des échanges préalables entre ce que j’appelle mon « projet » : pour est important. Elle a un autre point
adultes, même si la responsabilité être bienveillante, l’école se doit de vue, qui enrichit le mien. Elle est
pédagogique incombe toujours à d’accueillir les enfants mais aussi force de proposition et libre de
l’enseignant. L’aménagement de leurs parents. Cet accueil n’est pas prendre des initiatives.
l’espace classe, la mise en place des une présentation de ce qui se fait, Les temps d’observation sont un
mais des moments conviviaux préalable qu’il faut apprendre à
1 Décret n° 218-152 du 1er mars 2018. d’apprentissage. Ma posture et celle mettre en place. Observer n n n
3. Gestes professionnels
nnn n’est pas habituel et s’octroyer Il est alors important de l’avoir décul- et commente la participation des
de réels temps d’observation reste pabilisée par rapport aux tâches élèves aux activités. L’accès à cet outil,
complexe. C’est pourtant nécessaire ménagères qu’elle aurait pu effectuer ordinairement réservé à l’enseignant,
pour rendre compte de l’évolution pendant ce temps. Sa présence est est une reconnaissance de ses compé-
des interactions au sein du groupe, un relai et une aide : elle étaye et tences. Il ne s’agit pas de se décharger,
pour évaluer l’évolution de chaque soutient les petits parleurs qui étaient ni de déléguer, mais de partager.
élève et lui apporter une réponse avec elle. « Toi aussi R. tu es venu, De même, ayant chacun nos mis-
adaptée à ses besoins. Ces temps, tu te souviens quand… » Parce que sions, notre statut, les échanges avec
s’ils sont institutionnalisés au sein l’enseignant ne peut tout observer les familles ne sont pas les mêmes.
de la classe, libèrent du sentiment ni accompagner, la présence active Nos regards croisés nous enri-
de mauvaise conscience. « Au début, de l’Atsem est indispensable. chissent mutuellement et enri-
j’avais l’impression de ne rien faire. Laurie, Atsem, a longtemps tra- chissent nos partages d’informa-
C’est vrai, on les regarde et on en vaillé en classe ULIS (unités locali- tions, permettent de mieux connaitre
parle. Moi, avant, je gardais la classe sées pour l’inclusion scolaire). Elle les familles et d’être plus efficient
quand la directrice était appelée dans sait accompagner les moments dans la réponse apportée à chaque
son bureau et sinon, je gérais un d’angoisse de certains, elle a l’habi- élève. J’invite, d’ailleurs, sur la base
groupe. Je préparais les ateliers, et tude de soutenir la parole des élèves. du volontariat, l’Atsem à participer
quand ils étaient finis, je nettoyais Elle n’hésite pas à quitter l’espace aux réunions collectives avec les
les tables et le matériel. Il y a toujours clos de la classe pour la cour, le jar- familles. C’est l’occasion de les pré-
quelque chose à faire dans une classe din ou le couloir, permettant ainsi senter, mais aussi de leur donner la
avec les enfants », me dit Christine, aux élèves de profiter de plusieurs parole, pour parler de leur mission
Atsem depuis plus de trente ans. dans la classe.
L’enseignant et l’Atsem consti-
L’enseignant et l’Atsem
REVENIR SUR CE QUE L'ON tuent un binôme qui doit être en
A VU
constituent un binôme phase. Les temps d’échanges, mal-
Nos observations sont très peu qui doit être en phase. heureusement non prévus par nos
verbalisées en présence des élèves, institutions, restent peu généralisés
mais il me semble important d’orien- espaces qu’elle transforme en lieux dans les écoles. Ils génèrent parfois
ter le regard et surtout de donner du d’activités. Ils vont avec elle faire du des réticences tant chez les Atsem
sens à ce qui se joue. « Tu as vu, vélo, des équilibres, des roulades, que chez les enseignants qui ne se
B. le regardait jouer depuis un jardiner ou jouer au jeu du cafetier, sont pas encore emparés des nou-
moment avant de prendre une voi- etc. Elle peut proposer d’aller cueillir velles missions d’accompagnements
ture et d’aller vers le garage. On des fruits pour préparer une colla- pédagogiques qui leur sont attri-
dirait qu’il veut aller vers les autres. » tion, ramasser des plantes pour agré- buées. Il m’est arrivé d’avoir à jus-
Plus tard, lorsque nous serons menter une peinture, etc., parce tifier auprès des autres Atsem ou
seules, nous reviendrons sur cette qu’elle se sait autorisée et encoura- enseignants le fait que je lui propo-
observation. gée dans cette démarche. sais d’autres missions que celle de
« B. cherche à entrer en communi- L’aptitude de l’Atsem à accompa- « faire le ménage ». Mais franche-
cation avec les autres, mais ne leur gner les élèves dans leurs apprentis- ment, tout le monde y gagne ! n
parle pas. On pourrait essayer de sages vers plus d’autonomie me
l’inclure dans le groupe qui travaille conduit naturellement à lui donner
à réaliser le labyrinthe puisque dans accès aux fiches sur lesquelles je note
ce groupe, il y a les élèves qui
jouaient aux voitures ce matin.
— Je pourrais peut-être rester avec
le groupe. Point de vue Une affaire de pronom (2)
— C. regarde les autres depuis le
centre de la classe. Il reste debout Au début, dans la première version de voir, mais aussi comme des relations
mais ne fait rien. ce texte l’auteure nous avait envoyée, d’alliance. Quand « ma femme » dit « mon
— Tu as remarqué qu’il tourne lorsqu’elle évoquait sa relation à l’Atsem mari » il y a de l’appropriation, genre
toujours le dos à la porte ? de sa classe, elle écrivait « mon Atsem ». « çui là vous y touchez pas, les filles »
— On pourrait peut-être l’amener Cela faisait écho à cette « appropriation » mais il y a aussi et d’abord quelque chose
vers les autres ? Il faudrait faire atten- décrite au début du texte (« ma classe », qui dit la relation fusionnelle du couple.
tion au groupe qu’il regarde le plus « mes élèves », « mes enfants ») mais La version que nous publions a levé
fixement et lui proposer de l’accom- sans que cela soit dit, sans mettre en l’ambiguïté en disant « l’Atsem », mais
pagner. Dans un premier temps, on évidence la réciproque. finalement, y a -t-on gagné ? La dimen-
peut rester jouer avec lui pour le Pour les élèves c’est « ma maitresse » sion très affective de la relation est un
rassurer. » est-ce « mon Atsem » ou bien la dénom- peu perdue et une relation plus froide
Les temps de regroupement sont ment-t-ils autrement ? Et quand l’ensei- s’exprime, comme si cette froideur était
des moments intéressants pour expli- gnante dit « mon Atsem » est-ce que plus professionnelle ? Ce n’est pas du
citer et prendre conscience des l’Atsem dit « mon enseignante » ? Les tout ce qui ressort de ce texte, le pro-
apprentissages réalisés par les élèves. dénominations réciproques disent la fessionnalisme passe aussi par le lien !
La participation de l’Atsem à ces complexité des relations que l’on peut YANNICK MÉVEL
temps est riche. Elle aussi a observé, interpréter comme des relations de pou- Formateur à l’Inspé Lille-Hauts de France
1, 2, 3 référentiels !
Au lycée professionnel, les enseignants doivent teur orthographique ; je veux pou-
désormais co-intervenir et croiser les référentiels. voir apporter les connaissances et
compétences relatives à mon
programme.
Aline Chudy, professeure de lettres-histoire au LP Henri- Une autre contrainte se pose à
Senez de Hénin-Beaumont, formatrice académique nous. Mon collègue de gestion admi-
nistration intervient aussi en co-
D
ésormais, nous devons obli- sujet afin d’apprendre à se connaitre, intervention avec le collègue de
gatoirement travailler avec sachant qu’il a été abordé dans une mathématiques. Nous avons choisi
un collègue et croiser nos autre perspective en classe de 3e. de croiser nos trois référentiels pour
référentiels. Dans le cadre de cette C’est donc un moyen de faciliter la montrer aux élèves la complémen-
co-intervention, nous devons, bien liaison collège-lycée. Mais comment tarité de nos disciplines. J’ai mesuré
sûr, apporter les connaissances de aborder ce sujet en co-intervention à quel point je ne connaissais pas
notre discipline, mais surtout croiser avec mon collègue de gestion les attendus des autres disciplines
les compétences de notre référentiel administration ? et surtout les difficultés que pouvait
avec celui de notre collègue profes- rencontrer un élève de passer d’un
seur d’enseignement professionnel. CROISER LES RÉFÉRENTIELS enseignement à l’autre. Nous utili-
Par exemple, dans une classe de 2de Le plus complexe est de prendre sons parfois le même lexique, sans
gestion administration, un des objets connaissance du référentiel du col- attendre les mêmes productions.
d’étude à aborder en français est lègue d’enseignement professionnel Analyser un texte en français n’est
« Devenir soi : écritures autobiogra- pas une analyse d’un graphique ou
phiques », dont les finalités et les d’un texte d’économie. J’ai mesuré
enjeux sont « se connaitre, explorer Chacun ressent le besoin combien les attendus de chaque
sa personnalité, prendre confiance de défendre en quelque sorte discipline pouvaient être plus ou
en soi, exprimer ses émotions et ses sa matière. moins éloignés des miens. La rigueur
idées ; se construire dans les interac- de la rédaction est aussi importante
tions et dans un groupe, rencontrer et de trouver ensemble comment en mathématiques qu’en gestion ou
et respecter autrui, distinguer ce que nous pouvons construire des activi- en français. Les compétences « Lire
chacun veut présenter de soi et ce tés pertinentes sans nous perdre. un texte et extraire les informations
qu’il choisit de garder pour la sphère Chacun ressent le besoin de défendre essentielles », « S’exprimer de
privée ». Il me semble pertinent avec en quelque sorte sa matière. En fran- manière claire, audible » sont des
des élèves de 2de de débuter par ce çais, je ne veux pas être un correc- compétences à acquérir quelle que
soit la situation dans laquelle l’ap-
prenant se trouve, situation person-
nelle, scolaire ou professionnelle.
Cela dit, une compétence étant
définie comme la capacité à mobi-
liser savoir, savoir-faire et savoir
être, quelle que soit la situation, cela
nous a amenés à croiser nos
consignes afin d’aider les élèves à
transférer, à transposer et à acquérir
des automatismes et maitriser les
compétences. Ce travail conjoint
nous a conduits à l’harmonisation
de nos pratiques d’évaluation dans
nos disciplines respectives. Nous
avons tous adopté l’évaluation par
contrat de confiance, renforçant
l’image d’une équipe soudée avec
des pratiques similaires permettant
une véritable implication et progres-
sion des élèves. n
3. Gestes professionnels
P
d’avoir dans ses pratiques profes-
rofesseure d’espagnol mais autant qu’elle ne s’investisse sionnelles, et combien les échanges
venant juste de prendre pas trop étant donné qu’elle allait peuvent aider à progresser mutuel-
mes fonctions dans un bientôt partir sur une affectation. lement. Ma collègue s’est tout de
nouvel établissement, Cette idée nous rassurait toutes les suite montrée motivée et avant de
j’étais heureuse d’obtenir à nouveau deux. Puis les jours ont passé, et pas partir en vacances, nous avons pré-
un poste fixe en collège. J’avais un d’affectation pour elle. Petit à petit, paré une séquence pour chaque
seul projet en tête : prendre mes j’ai commencé à lui demander de niveau.
marques, ma place, appliquer mes l’aide. Le collège étant équipé de
méthodes de travail et mon autorité mallettes de tablettes, je me suis CHANGEMENT D’OPINION
auprès des élèves. C’est alors qu’à initiée à leur utilisation pour l’ex- Nous avons donc commencé à
la prérentrée m’a été présentée pression et la compréhension orales, coanimer au retour des vacances
Anaïs, une collègue remplaçante d’automne. À chaque fois, lorsque
rattachée au collège, sans affecta- l’une de nous deux conduisait l’acti-
tion, avec laquelle je devais travail-
Dans un premier temps, vité, l’autre circulait dans la classe,
ler. Autant dire que cette situation j’ai rassuré ma collègue. aidait un élève qui était perdu, ou
m’est tout de suite apparue comme passait voir leur travail lorsqu’ils
une entrave à mes projets person- et la constitution de demi-groupes étaient en autonomie. Il est arrivé
nels. Comment partager mes classes ponctuels permettait d’optimiser ces que sur une heure, l’une prenne en
avec une inconnue tout en imposant activités. Les jours ont continué de charge plus d’activités que l’autre,
mes principes méthodologiques à passer, les vacances d’automne ou que cela soit plus équitablement
des élèves que je découvrais ? approchaient et j’ai pris le temps de réparti.
la réflexion. Cette situation a pris fin courant
IL FAUT S’Y METTRE Et si nous tentions de coanimer janvier suite à l’affectation d’Anaïs,
Dans un premier temps, j’ai ras- les cours ? J’avais en face de moi et si j’avais eu l’impression qu’on
suré ma collègue, elle était la bien- une collègue sympathique, dyna- m’imposait quelque chose dont je
venue pour assister à mes cours, mique, désireuse de s’investir. J’ai ne voulais pas, j’avais désormais
complètement changé d’opinion. La
coanimation m’a manqué et j’aime-
rais avoir l’occasion de recommencer
cette expérience. Bien sûr les débuts
ont été hésitants, et sans doute
aurions-nous pu faire autrement au
cours de certaines séances. Nous
aurions pu, par exemple, créer des
groupes de besoins. Mais cette expé-
rience a été fructueuse pour les
élèves qui n’hésitaient pas à sollici-
ter notre aide lorsque nous étions
deux, étaient contents que nous
divisions la classe au moment de
l’utilisation des tablettes, et plu-
sieurs ont demandé où était ma
collègue une fois qu’elle n’a plus été
avec nous en classe.
Pour moi, cela a été positif pour
deux raisons. Cela permet de
3. Gestes professionnels
Direction et enseignants :
un accompagnement
Les lycées professionnels ont été les premiers à sieurs reprises pour confronter nos
systématiser la co-intervention qui implique réflexions. À chaque fois, les mêmes
des remises en question à plusieurs niveaux : éléments ressurgissaient : comment
enseignants, pédagogie, organisation administrative. constituer les binômes Comment les
L’accompagnement administratif devient prépondérant. amener à se concerter pour
construire leur progression ? Com-
ment les accompagner dans cette
Delphine Dechance, proviseure adjointe au lycée Jules- nouvelle modalité d’enseignement ?
Uhry, Creil (Oise) Comment intégrer cette contrainte
P
dans la conception des emplois du
roviseure adjointe en lycée gnement personnalisé avec une col- temps sans léser ni les élèves ni les
général, technologique et lègue de lettres-anglais. La différence professeurs impliqués ?
professionnel, j’accom- est que nous avions décidé de tra- Lors de la deuxième concertation
pagne les équipes d’ensei- vailler ensemble et que nous n’avions avec les équipes, nous pouvons dès
gnants dans la mise en place tech- pas la contrainte d’avancer dans le lors travailler encore plus sur le fond
nique et pédagogique de la programme. » C’est autour de cette et les équipes construisent des
co-intervention dans le cadre de la question que nous avons travaillé. ébauches de progressions annuelles
transformation de la voie profession- pour la co-intervention. Des binômes
nelle (TVP) depuis janvier 2019. DES PROGRAMMES ET DES se constituent. Des projets très inté-
Cette question de la co-intervention BINÔMES ressants naissent : calligrammes
a commencé à émerger très tôt dans Notre première concertation avec autour du métier, mise au point de
l’année scolaire, car dès l’annonce les équipes enseignantes s’inscrit teintures végétales, travail autour de
de la dotation globale horaire (DGH) dans une confrontation des pro- la question de la sécurité au travail,
en janvier, je m’interroge sur la nou- grammes de chaque discipline. En des droits de l’enfant au travers des
velle répartition des horaires par poèmes de Victor Hugo, etc. Les
discipline. Cette étape a permis aux idées développées permettent aux
enseignants d’exprimer leurs ques-
Il peut y avoir un abime entre équipes de valoriser leur créativité,
tionnements sur la co-intervention à les projets que les équipes leur culture.
laquelle ils ne se sentaient pas encore développent. La question des emplois du temps
préparés. Dès cet instant a émergé la des enseignants, point non négli-
nécessité de mise en place d’une s’appuyant sur les référentiels et geable, va émerger à partir de la fin
« heure blanche » dans les emplois programmes, les professeurs défi- mai. Pour cette première année, cela
du temps, afin de faciliter la concer- nissent précisément les points sur ne concerne que deux heures en bac
tation des enseignants, autour de la lesquels ils pourraient travailler. Cela professionnel et trois en CAP.
co-intervention notamment. rend effectif une réalité essentielle Lorsque le dispositif sera généralisé
Cependant, une fois défini l’ho- de la co-intervention : la nécessité à l’ensemble des niveaux, ce sera
raire attribué à la co-intervention, il pour les équipes pédagogiques de une contrainte non négligeable. Le
restait le plus important à construire. travailler collectivement et pas seu- jeu des mutations et des arrêts mala-
Plusieurs enseignants expriment une lement de faire cours en binôme. La die nous a contraints à certains ajus-
inquiétude face à cette modalité question des modalités pratiques de tements à la rentrée scolaire sui-
d’enseignement. Pour autant, cela la co-intervention s’est aussi posée. vante. Certaines équipes mettent en
correspondait déjà à des pratiques Si certains avaient une représenta- place tout de suite le dispositif,
ré c u r re n t es ex i s t a n t es d a ns tion très claire des différentes pos- d’autres ont besoin de trois semaines
l’établissement. tures pédagogiques envisageables de concertation.
Mais il peut y avoir un abime lorsque deux enseignants font cours
entre les projets que les équipes ensemble, pour d’autres, il a fallu UN PREMIER BILAN
développent autour de thématiques que j’explique, appuyée par les ins- Et aujourd’hui, où en est-on ?
qu’ils choisissent, grâce à des affi- pecteurs concernés, les différentes Alors que nous préparons déjà la
nités personnelles concernant des possibilités qui pouvaient exister troisième rentrée et que la co-inter-
sujets qu’ils maitrisent et la co-inter- dans la classe pour chacun des vention arrive en classe de 1re, un
vention institutionnalisée par les enseignants présents. Toutes les premier bilan est possible. Les ensei-
nouveaux programmes. Ainsi que questions ont été abordées, toutes gnants expriment tout d’abord à
l’indique une professeure de mon les angoisses écoutées et, je l’espère, quel point cette co-intervention est
établissement : « Le fait de travailler résorbées. « une vraie aventure », aussi quali-
à deux n’était pas une première pour Quant aux personnels de direc- fiée d’« année révolutionnaire » par
moi. J’avais déjà fait de l’accompa- tion, nous nous retrouvons à plu- un autre enseignant qui se retrouve
à expérimenter à la fois la co-inter- différentes dans le comportement, ambigu. Ils ne saisissent pas néces-
vention et le « chef-d’œuvre ». Per- rapport à l’environnement sonore et sairement les rapports entre ce cours
plexes et stressés comme ils le spatial appréhendé de façon diverse et les connaissances qu’ils engrangent
confessent, ils relèvent des points par les enseignants de matières géné- dans chaque discipline. On a pu
positifs à cette façon d’enseigner. rales et professionnelles, etc. noter un absentéisme plus important
Une professeure de biotechnologie sur ce cours non noté, car les élèves
rapporte : « Les élèves n’aiment pas n’y voyaient pas d’intérêt.
les mathématiques, mais le fait
Les enseignants expriment À l’aune d’une nouvelle réparti-
qu’un enseignant qui n’est pas spé- tout d’abord à quel point tion, je dois bien reconnaitre que la
cialisé arrive à faire des mathéma- cette co-intervention est co-intervention peut devenir une
tiques les surprend un peu. » Un « une vraie aventure ». variable d’ajustement dans les ser-
enseignant de lettres-histoire com- vices. En effet, on peut facilement
plète : « Il y a du positif, car on Même si, ici, les enseignants se compléter un service avec une heure
échange sur nos pratiques, nous nous sont particulièrement bien approprié de co-intervention. Cependant, cela
adaptons sans cesse, et c’est très ins- cette modalité pédagogique, des dif- ne reste pas souhaitable, car cette
tructif pour remettre en cause notre ficultés ressortent, et l’impression modalité d’enseignement suppose
manière de fonctionner. » La dimen- qu’entre la co-intervention et le chef- un réel travail partagé. Mon rôle sera
sion de la gestion de classe les inter- d’œuvre, il n’y a plus le temps pour de continuer à valoriser cette pra-
pelle fortement et s’ils se retrouvent faire cours et permettre aux élèves tique en y donnant du sens, en per-
parfois à finir les phrases de l’autre, d’entrer dans les apprentissages pra- mettant au mieux la concertation,
il ne faut pas non plus négliger la tiques professionnels. Par ailleurs, le en tâchant que cela impacte le moins
mise en danger que cela peut consti- rapport des élèves à cet enseignement possible les emplois du temps. n
tuer de partager un cours : exigences apparait également aussi comme
L
étapes du travail commun. En
es stagiaires en formation caces, parce que trop éloignés de la amont, il s’agit de s’accorder sur
initiale plébiscitent le plus zone de développement potentiel l’objectif, de convenir d’une straté-
souvent le terrain comme du stagiaire. Pourquoi ne pas choisir gie, de construire un dispositif d’ap-
lieu essentiel de leur for- de préparer des moments de prentissage, de créer des supports,
mation grâce à l’accompagnement co-intervention ? de rédiger des consignes, de conce-
du tuteur. Les observations réci- voir une évaluation. Cette collabo-
proques et les débriefings qui s’en- UNE PRISE DE RISQUE ration rapprochée permet au tuteur
suivent sont de fait des occasions PARTAGÉE de mettre à disposition du stagiaire
précieuses pour le stagiaire d’avoir En quoi la co-intervention serait- les ressources engrangées au cours
un retour sur sa pratique et de elle meilleure qu’un tutorat classique de plusieurs années de pratique, ses
découvrir celle d’un enseignant selon la démarche « j’observe, je ficelles du métier, et au stagiaire de
expérimenté. Toutefois, si le tutorat note, je dis ce que j’ai vu, je donne proposer celles travaillées en forma-
(comme c’est souvent le cas) se des conseils »[1] ? La co-intervention tion, de mettre à l’épreuve des pra-
limite à ces échanges issus d’obser- transforme la relation de conseil en tiques qu’il a envie d’expérimenter,
vations, on peut tomber dans l’écueil une véritable collaboration, elle per- de s’approprier ce qui lui semble
de la modélisation ou, pire, à une adapté à ce qu’il est capable de
administration de conseils ineffi- 1 Sébastien Chaliès, https://tinyurl.com/y7uvlzhs mettre en œuvre. La prise de n n n
3. Gestes professionnels
nnn risque est tempérée par le sen- regard. Le retour sur un temps de giaires actuels termineront leur car-
timent de sécurité qu’apporte la co-intervention peut favoriser ces rière dans trente ans ou plus : que
présence de l’autre. L’aide et l’appui échanges qui permettent d’outiller sera alors le métier d’enseignant ? ».
d’un enseignant chevronné peuvent le regard : « Comment as-tu compris (Sylvie, tutrice)
être une condition facilitante qui telle réaction d’élève ? » Tel le Les hésitations, les doutes, les
ouvre la voie vers l’autonomie. consigne a suscité une série de ques- questionnements d’un praticien
C’est la fonction d’étayage souli- tions : « Et si on cherchait une autre expérimenté ont souvent des effets
gnée par Jérôme Bruner. Les formulation ? Par quelles réactions formatifs plus consistants que la
binômes de tuteurs et stagiaires qui d’élèves avons-nous été étonnés, mise à disposition de pratiques
travaillent dans cette logique en etc. ? » Il y a fort à parier qu’après exemplaires non questionnées. S’il
disent tout l’intérêt : « Pour aider ma une ou plusieurs expériences de co- est plus facile pour les débutants de
stagiaire à se lancer dans le travail intervention, les temps d’observa- travailler et d’échanger avec un pair
de groupe qu’elle appréhendait de tion classiques ne seront ni vécus, parce que « ça permet la comparai-
mettre en place, on a coanimé et ça ni exploités de la même façon. Ce son sans produire d’inhibition, ce
s’est merveilleusement bien passé. tutorat collaboratif semble favorable qui est parfois le cas quand on
Les ficelles du métier, elle en a attra- au développement professionnel des observe le tuteur », nous dit Anne-
pé quelques-unes pendant l’heure de enseignants novices, dans la mesure Claire, la pratique avec le tuteur,
cours. D’autant que je lui ai deman- où ces derniers réussissent à trans- ajoute Virginie, est aussi plus « struc-
dé de présenter l’activité ; ce n’est former leur activité en classe à par- turante parce qu’on est en face de
pas moi qui l’ai fait. Je ne suis inter- quelqu’un qui maitrise des métho-
venue que lorsque les élèves ont été dologies, qui a rodé des supports, qui
en groupe et là, elle a observé pen- « Comment se répartissent nous donne à voir que c’est possible
dant quelques minutes. Puis j’ai vu les rôles ? Qui fait quoi ? » de mettre les élèves en activité et de
qu’elle prenait en charge les uns et tenir le programme du bac », même
les autres. Là, je crois qu’elle a beau- tir des règles de métier évoquées si le risque c’est qu’il soit perçu
coup appris. À la fin du cours, elle lors de la copréparation des leçons comme « tellement loin de ce que je
était très contente d’avoir passé le avec le tuteur et des règles de métier me sens capable de faire ».
cap de se lancer. Savoir que j’étais observées lors des situations de co-
là pour prendre les choses en main intervention entre enseignant novice UNE LOGIQUE
en cas de problème la rassurait, ce et tuteur[4]. GAGNANT-GAGNANT
que je n’ai pas du tout eu besoin de D’un côté, le débutant bénéficie
faire. » (Delphine, tutrice)[2]. NE PAS BOMBER LE TORSE de ces moments où il voit le tuteur
Pour que la co-intervention entre en activité réflexive, penser sa
OUTILLER LE REGARD enseignant chevronné et débutant classe avant et après l’action.
En aval du cours, l’entretien prend soit bénéfique, quelques précautions « Dans nos temps de concertation
un tout autre sens puisque chacun s’imposent toutefois. Il convient pour préparer des moments de co-
a été tantôt observateur, tantôt d’abord qu’une relation de confiance intervention, ce qui m’a surtout été
observé. Une bonne façon d’expé- soit établie. Il s’agit ensuite de don- utile c’est de voir comment un pro-
rimenter que novice et expert n’ap- ner un contrat clair : « Sur quoi va fesseur expérimenté réfléchit, se pose
préhendent pas de façon identique porter le travail ? Comment se répar- des questions professionnelles. Ce
une même situation. Les profession- tissent les rôles ? Qui fait quoi ? Et si n’est pas quelqu’un qui avait ses
nels chevronnés sont en général plus ça dérape en cours de route, quel est recettes toutes faites : il réfléchissait
rapides, focalisés sur les solutions notre scénario de rechange ? » Il ne en permanence sur les choix à faire,
disponibles à partir d’une grande s’agit pas que le stagiaire fasse les la façon d’aborder les choses, les
richesse de réponses expériencées, frais d’une mise en œuvre qui valo- décisions à prendre. » (Anne) « C’est
là où les novices sont démunis face riserait la maitrise du tuteur aux important de pouvoir mettre en com-
à la somme d’informations captées, dépens de ses approximations. mun nos hypothèses de travail face
faute de pouvoir les hiérarchiser et Il peut donc être intéressant que à certaines situations profession-
les interpréter. Vite envahis par leur tuteur et stagiaire s’engagent dans nelles : ’’Toi, dans un cas comme
c h a r g e m e n t a le s a t u r é e, i l s un dispositif nouveau pour l’un celui-là, tu fais comment ?’’ » (Valé-
deviennent peu disponibles à ce qui comme pour l’autre pour réduire la rie) Ainsi, pour le stagiaire, l’espace
se passe du côté des apprentissages disparité possible entre les deux ouvert par les variantes de l’activité
des élèves. Les tuteurs sont parfois modes d’intervention. Il ne s’agit pas envisagées au cours des échanges
décontenancés par le peu d’exploi- de bomber le torse devant le sta- le met dans une logique de choix :
tation que leurs stagiaires font d’une giaire, mais bien de lui permette « Qu’est-ce que je reprends à mon
observation de cours. C’est, nous « d’observer quelqu’un qui a de compte de ce que j’ai vu faire ? Com-
dit Philippe Perrenoud[3], que trop l’expérience pour expliquer le chemi- ment je bricole ma propre pratique
souvent on ne leur a pas préparé le nement. Le tuteur se positionne alors à partir d’emprunts divers dont j’ai
vraiment en collègue en recherche, pu observer la mise en œuvre et les
et c’est une vraie collaboration qui effets ? Qu’est-ce que je me vois faire
2 Tous les témoignages de tuteurs et stagiaires
s’établit. En clair, on transmet ce dans une situation semblable ? »
sont extraits de bilans de formations (ISP-fa-
culté d’éducation de l’Institut Catholique de Paris, métier en montrant bien qu’il n’est De l’autre, le tuteur profite aussi
2006-2008). jamais acquis, d’autant que nos sta- de l’échange. La verbalisation de
3 Cahier de l’ISP n° 40, « Quelle alternance pour son expérience fait accéder l’expert
quelle formation ? » 4 https://tinyurl.com/y7uvlzhs à un niveau renforcé de sa compé-
tence, ce que Jean-Marie Barbier De plus en plus, on ne peut pas se On gagnerait donc à développer
nomme « les compétences de rhéto- contenter d’être compétent au sens ce mode de tutorat collaboratif qui
rique de l’action, c’est-à-dire la capa- de compétence d’action, il faut en semble favorable au développement
cité à tenir un discours sur sa propre plus être capable de communiquer professionnel des enseignants, tant
activité ». Et il ajoute : « L’expertise, sur sa compétence : cela fait partie novices qu’experts. n
dans beaucoup de cas, c’est d’être globalement de la compétence.[5] »
capable de parler devant, de montrer
sa propre compétence, de tenir un
5 Conférence inaugurale de Jean-Marie Barbier
discours sur sa propre activité et de lors du colloque « Questions de pédagogie dans
la communiquer à autrui, notam- l’enseignement supérieur » à l’Ensieta le mer-
ment dans des situations de tutorat. credi 23 juin 2003.
P
modalités différentes.
arfois, la co-intervention cation de leurs compétences n’est La préparation doit permettre de
n’est tout simplement pas pas toujours très simple. Et si les définir le cadre dans lequel chacun
possible ni même souhai- choses ne sont pas claires, l’un va avoir un espace de liberté pour
table. Il en va des appren- risque de prendre le pas sur l’autre. agir, pour ne pas aller l’un contre
tissages et de la santé des ensei- Certaines personnes ont du mal à l’autre et pour ne pas rendre le dis-
gnants concernés. L’objectif d’une lâcher de leur autorité vis-à-vis du positif incohérent. Pour ma part, je
co-intervention est de favoriser les groupe, sur les contenus ou encore commence souvent par énoncer mes
apprentissages des élèves. S’ajoute dans les prises de décision. Pointer manques et ensuite ce sur quoi j’ai
un autre objectif : l’enseignement de suffisamment travaillé pour me sen-
la coopération. Les élèves voient les tir à l’aise. Cela permet à l’autre de
intervenants travailler ensemble,
Si les choses ne sont pas s’autoriser à son tour à dire ce qu’il
communiquer, réagir, interagir. De claires, l’un risque de prendre maitrise ou non. Si ce cadre n’a pas
manière consciente ou non, la mise le pas sur l’autre. été construit, si ma place n’est pas
en œuvre d’une co-intervention définie, méfiance.
construit une représentation du tra- les différences entre les deux inter-
vail entre adultes. venants pour bien identifier ce que UNE ÉCOUTE ACTIVE
Quelles sont alors les valeurs que chacun peut apporter en propre, L’attitude des coenseignants est
nous souhaitons partager ? Et quand cela suppose aussi que chacun souvent uniquement dirigée vers les
faut-il y renoncer ? puisse reconnaitre ses manques et élèves. Il est plus formateur de mon-
La place que chacun va occuper accepter de les montrer. Cela sup- trer comment on apprend de l’autre
est essentielle. Il faut définir clai- pose que ceux qui, par humilité ou intervenant en se mettant soi-même
rement ce que chacun apporte et manque d’estime, ne savent pas se en situation d’apprentissage. Cela
met au service de la co-interven- dire compétents, acceptent de dire demande de pouvoir se reconnaitre
tion. Pour les enseignants, peu où ils pensent être utiles. non-sachant devant les élèves. Une
habitués à s’autoévaluer, l’identifi- Toutes les configurations peuvent posture pas toujours facile à n n n
3. Gestes professionnels
nnn prendre. On donne alors aux élèves apprennent aussi à gérer la que j’avais élaboré ce support pour
élèves à voir et comprendre ce qu’est controverse, à s’ouvrir à d’autres une autre formation !
une écoute active. Dans la dyna- possibles. Se connaitre suffisamment est un
mique de classe, l’un peut poser des Il est impossible de coenseigner premier élément, même si cette coo-
questions plus ou moins provocantes avec un collègue qui refuse de se pération peut être faussée par des
que l’autre attrape au vol ; il prend questionner, de faire évoluer son intérêts divergents. Toutefois, quand
le rôle d’apprenant, se mettant dans discours, de reconnaitre une erreur, la co-intervention est imposée, que
une empathie cognitive qui fait de un collègue qui pense qu’il serait ce soit entre collègues de la même
lui un porte-parole du groupe. J’ai plus efficace seul. Il fera alors tout discipline, de domaines différents,
souvenir de cours maths-philo qui pour que vous vous sentiez inutile voire de personnels ou d’interve-
avaient complètement modifié le ou incapable. À éviter ! nants de tous horizons, c’est là que
regard des élèves sur ces deux dis- la préparation prend encore plus son
ciplines juste par la manière dont REFORMULER ET sens. De même, un temps et des
nous avions chacun argumenté à SYNTHÉTISER modalités de régulation et d’évalua-
propos d’une controverse. La co-intervention donne la pos- tion doivent être prévus pour per-
Ce jeu demande aux intervenants sibilité à chaque intervenant d’être mettre d’exprimer les ressentis suite
une certaine connivence. On parle observateur, une place qui permet à chaque séance et de réajuster
ici d’intelligence émotionnelle, c’est- de prendre le recul nécessaire pour contenus et dispositif. Si l’inconfort
à-dire savoir capter et interpréter les penser une reformulation, pour faire est trop important, il vaut mieux
signes non verbaux. Co-intervenir partager le groupe en ateliers et pré-
avec un ou une inconnue peut donc voir des activités complémentaires
être délicat. Si préparer ensemble
Il est impossible de plutôt que de donner le spectacle de
est essentiel, avoir pris le temps coenseigner avec un collègue deux intervenants qui entrent en
d’échanger sur soi, sur son parcours, qui refuse de se questionner. guerre. Parfois, certains enjeux nous
ses besoins, ses envies, son ressenti échappent (pression, pouvoir hié-
en toute sincérité l’est tout autant. une synthèse finale à retenir. Ici rarchique, clan, positions syndicales,
Si je n’arrive pas à comprendre le encore, la co-intervention doit per- problèmes personnels, représenta-
ressenti de mon collègue, j’évite de mettre des liens et des transferts tion du métier, etc.) et la situation
travailler avec lui devant des élèves. explicites que l’élève devra saisir. Le dérape.
profil de chaque enseignant peut Heureusement la plupart du
UN ESPRIT CRITIQUE favoriser une mise en texte différente temps, tous les ingrédients sont réu-
Du point de vue des savoirs, les et la complémentarité va se jouer nis pour une mayonnaise qui prend
intervenants doivent pouvoir ques- aussi dans la complémentarité des et qui donne une douce saveur au
tionner leurs connaissances respec- registres sémiotiques utilisés. La co- savoir, chacun y apportant une
tives, mettre en débat leurs points intervention entre deux disciplines petite touche qui fait que la recette
de vue, expliciter ce qui caractérise scientifiques peut amener chacun à n’est jamais tout à fait la même. Si,
le dire, agir, penser dans chaque utiliser des notations scientifiques. par contre, vous avez vécu une mau-
domaine. Pour le groupe classe, Il est souvent demandé de ne pas vaise expérience, peut-être aurez-
c’est une excellente manière de mettre les unités dans les calculs en vous trouvé ici quelques pistes pour
comprendre que les connaissances mathématiques, alors qu’il est oser vous lancer à nouveau. n
se construisent dans un contexte conseillé de les garder en sciences
et sont soumises à des interpréta- pour vérifier l’homogénéité des
tions. « Ce que tu valides ici en résultats. C’est une excellente occa-
sciences, moi je le considère comme sion de se demander pourquoi s’en
faux en mathématiques », « quand priver en mathématiques. La syn-
tu utilises cet outil mathématique thèse doit permettre à l’élève de
en arts plastiques, pourquoi ne pas comprendre dans quel cadre il tra-
le nommer avec le vocabulaire géo- vaille et ce qui régit ce cadre ainsi
métrique ? », « est-ce que ce geste que les conversions possibles d’un
professionnel correspond à ce que la cadre à l’autre.
recherche a étudié dans tel cadre La co-intervention est impossible
théorique ? » Toutes ces questions si chacun reste sur ses conventions,
peuvent aider l’élève à faire des habitudes, routines, et refuse à mini-
transferts, à ouvrir de nouveaux ma de justifier ce qui motive de les
possibles. Quoi de plus formateur conserver. Impossible aussi si le
pour le groupe que de voir l’ensei- partage des supports et des traces
gnant réfléchir et sentir qu’on est écrites ne se fait pas. Si la personne
digne de partager sa réflexion ? Le qui intervient avec moi rechigne à
cadre doit donc être suffisamment transmettre ses documents, c’est un
sécure pour que s’expriment des signal d’alerte. Je dois la mettre en
avis contradictoires, des remises en confiance. Si elle refuse toujours,
question. Cela passe par une cer- c’est mal engagé. Je me souviens
taine maitrise de la communication d’une formation où le formateur co-
non violente, de la gestion des émo- intervenant a commencé par un
tions pour que, de la situation, les diaporama avec son nom seul, alors
Un peu de pragmatisme
Quand le temps disponible fait défaut, une approche puissent se développer, encore faut-il
pragmatique ou une improvisation réglée est une que les modèles organisationnels de
solution qui permet l’adaptation immédiatement aux professionnalité soient pragmatiques.
besoins des élèves en difficulté avec une grande liberté Et c’est sur ce point que nous pou-
d’intervention. vons repérer des obstacles impor-
tants. Tout d’abord, les conditions
des pratiques collaboratives doivent
Laurent Lescouarch, professeur des universités en être réunies. Or, force est de consta-
sciences de l’éducation, université de Caen ter que si la rhétorique du travail
L
collaboratif dans les équipes ensei-
a co-intervention est un rapide, plus il a de chances de fonc- gnantes est un discours récurrent
sujet délicat à aborder avec tionner, et donc toute aide externa- depuis les années 90, l’effectivité
les enseignants, car elle est lisée et différée pose un vrai pro- reste limitée. En outre, quand l’obs-
portée par l’institution sco- blème pédagogique et didactique de tacle des pratiques collaboratives est
laire comme une modalité imposée fond. L’adage « mieux vaut prévenir dépassé, sur le plan pédagogique et
parée de toutes les vertus sans que que guérir » prévaut sur des dispo- didactique, l’obsession planificative
ses conditions de développement sitifs de soutien qui consistent à rationnaliste des pédagogies par
aient été analysées. Pour sortir d’une aider quelqu’un après l’avoir laissé objectifs du « progressisme adminis-
pensée binaire d’adhésion ou de sciemment être mis en difficulté. tratif »[3] conduit à proposer des
refus de ces pratiques, nous cher- La co-intervention est un moyen modèles de co-intervention relevant
chons à les penser pour qu’elles intéressant de favoriser l’anticipa- d’un modèle expérimental et peu
puissent constituer une véritable tion[2] de ce qui va venir pour éviter généralisables. En fondant les pra-
avancée professionnelle, à certaines de vivre l’échec et de favoriser des tiques sur l’idée d’une copréparation
conditions. pratiques préventives par des systématique des interventions, le
La co-intervention apparait inté- étayages in situ, un accompagne- projet devient intenable temporelle-
ressante sur le principe pour sortir ment et matériellement dans la quo-
du modèle limité d’un enseignant tidienneté de la classe pour les ensei-
unique responsable tout puissant
C’est au cœur de la classe gnants investis.
d’un groupe d’enfants, à la diffé- que l’on peut comprendre
rence de l’animation ou de l’éduca- la difficulté des élèves. RÉFLÉCHIR AU CADRE
tion spécialisée où plusieurs figures Si le modèle de la copréparation
d’identification et des possibilités de ment des élèves dans leur environ- n’est pas inintéressant dans un
diversification des activités et des nement d’apprentissage au plus près premier temps pour construire une
manières d’apprendre sont propo- de leurs besoins et de la quotidien- modalité d’intervention commune,
sées. Les enjeux contemporains neté de leur vécu. C’est au cœur de il s’avère rapidement pragmatique-
seraient de permettre le développe- la classe que l’on peut comprendre ment infaisable. Ce constat nous
ment d’un « écosystème apprenant » réellement la difficulté des élèves. amène à proposer de sortir de la
favorisant des pratiques collabora- pensée de la « copréparation » pour
tives de travail en « co- »[1]. IDENTITÉS réfléchir à un autre cadre d’inter-
PROFESSIONNELLES vention inspiré des pédagogies
AU CŒUR DE LA CLASSE Le partage du regard et de l’ana- alternatives et de l’éducation popu-
Le premier intérêt de ce type de lyse sur la situation des élèves est laire qui intègre ses pratiques dans
pratiques est de favoriser la diversi- une plus-value de la co-intervention la quotidienneté de l’action éduca-
fication des styles d’enseignement d’enseignants spécialisé et généra- tive dans un dispositif de co-inter-
et de permettre une plus grande liste. Toutefois, cette pratique vention contractualisée. L’exemple
variation des formats pédagogiques. implique une remise en question des maitres E en Rased (enseignant
En continuité, cette pratique doit importante des identités profession- spécialisé d’un réseau d’aides spé-
permettre de mieux faire réussir les nelles enseignantes. Comme pour cialisées aux élèves en difficulté)
élèves en classe sur les situations de nombreuses innovations, le dis- est ici intéressant à mobiliser.
quotidiennes et de proposer des cours prescriptif performatif les Lorsque j’exerçais cette fonction,
retours et étayages immédiats pour concernant prend assez peu en en complémentarité d’aides en
éviter les risques d’externalisation compte les obstacles liés aux habitus regroupement, j’allais hebdoma-
des aides. Nous avons aujourd’hui professionnels dans l’héritage de la dairement aider tous les élèves
un consensus scientifique sur le fait forme scolaire traditionnelle du suivis dans leur classe. Il était
que plus un étayage correctif est modèle français. matériellement et temporellement
De plus, pour que ces pratiques impossible d’avoir systématique-
ment préparé en amont avec n n n
1 Serge Thomazet, Corinne Merini, « Dimension
collaborative, un espace professionnel du maitre 2 Roland Goigoux,« Les sept familles d’aide »,
E. Les sciences de l’éducation », Pour l’Ère nou- entretien pour le Café pédagogique, 15 septembre 3 Jean Houssaye, La pédagogie traditionnelle :
velle, vol. 47 (2), 2014. 2009. une histoire de la pédagogie, 2014.
3. Gestes professionnels
sources constituent des dimensions Ce fonctionnement permet à cha- dicap et en difficulté scolaire et
à expliciter. Quand ce fonctionne- cun des acteurs d’évoluer librement répondre au défi de l’école inclusive.
ment est négocié en amont des co- et de s’ajuster aux besoins des élèves Le développement de ce modèle
interventions, avec également une dans un cadre commun (et ce, dans implique des enjeux de formation
discussion préalable sur les chemi- les différentes configurations propo- importants pour les enseignants
nements d’apprentissage privilégiés sées par Marilyn Friend et Lynne dans le registre des pratiques colla-
dans la classe, cela fonctionne Cook pour le coenseignement) à boratives (pour dépasser la vision
comme un contrat de confiance suf- partir d’une expertise professionnelle solitaire du métier et disposer de
fisant pour organiser le travail quo- fondée sur la capacité à construire modèles de travail collectifs opéra-
tidien. Cela implique également des des étayages en contexte. tionnels), mais également dans le
moments de régulation plus formels Ces nouvelles pratiques consti- registre de la compétence experte
pour le suivi régulier de la manière tuent à l’heure actuelle un chantier (donc peu accessible aux débutants)
de travailler ensemble, mais ces der- ouvert pour proposer un environne- à aider immédiatement et in situ les
niers peuvent être pensés dans des ment étayant et différenciant pour enfants à partir d’une improvisation
temporalités plus longues. tous les élèves en situation de han- réglée. n
Tutorat en coenseignement
chez les universitaires
Au Gabon, la formation pédagogique des futurs de respecter les ainés. La cohésion
enseignants chercheurs n’existe pas. Le coenseignement de la société, son équilibre, l’har-
mis en place se heurte à la tradition et à la règle sociale, monie et la réussite de l’enfant
à la condition africaine des droits. passent par cette prescription. La
situation de coenseignement est
donc impactée par cette règle
Gilbert Nguema Endamne, maitre de conférences en sociale. De même, le groupe ethno-
sociologie de l’éducation, école normale supérieure de linguistique semble influencer la
Libreville (Gabon) relation entre les deux partenaires.
A
L’appartenance au même groupe
u Gabon, les informa- Dans le cadre d’une étude explo- semble faciliter la relation.
tions recueillies font ratoire, nous avons interrogé la mise
état d’une méconnais- en place de cette pratique chez TROUVER SA PLACE
sance de la pédagogie douze binômes, auxquels nous Dans certains cas, si l’un, ancien,
universitaire, de la dégradation des avons demandé de décrire leur expé- enseigne et l’autre, novice, écoute
rapports humains entre l’enseignant rience de collaboration dans le coen- ou aide les étudiants à une tâche, le
chercheur et ses étudiants et de rôle de l’enseignant chercheur
dérives quant aux contenus d’ensei- novice n’est pas bien défini et se
gnement. Le département des La solidarité trouve son confond avec celui des étudiants.
sciences de l’éducation, chargé de fondement dans un rapport Son intervention peut perturber
former ces nouveaux enseignants, social asymétrique entre ainé l’attention des étudiants. Le novice
a donc pris l’initiative d’initier des et cadet. d é c o u v re s o u ve n t e n p l e i n e
collaborations et d’organiser un séquence la planification d’une
tutorat sous forme de coenseigne- seignement. Postulant que le coen- leçon à laquelle il n’a pas été associé.
ment entre enseignants novices et seignement n’allait pas de soi, nous Il assure des tâches qu’il juge insi-
tuteurs expérimentés. Cette forme avons cherché à collecter les diffi- gnifiantes : surveiller le contrôle sur
de coenseignement vise à préparer cultés vécues et le moyen mis en table comme un simple appariteur,
les enseignants chercheurs nouvel- œuvre pour les surmonter. Nous ramasser des copies, effacer le
lement recrutés à se familiariser précisons ici qu’au Gabon, la soli- tableau, etc. Ses interventions se
avec les publics étudiants et à les darité trouve son fondement dans limitent à la lecture des fragments
doter de compétences pour com- un rapport social asymétrique entre de textes. Les novices voient à tra-
penser l’absence d’une formation ainé et cadet. La conception afri- vers ces tâches un manque de consi-
pédagogique postdoctorale. caine des droits impose aux jeunes dération de la part de leurs n n n
3. Gestes professionnels
n n n ainés, d’où une certaine désil- Elles sont le fruit d’un rapport de gnement se révèle être un accompa-
lusion. D’autre part, les brimades force ancien où se mêlent rapport gnement dans l’entrée dans le métier
comme violence symbolique sont de pouvoir, prérogatives de l’ancien des enseignants chercheurs novices.
réelles et vécues comme un « mal sur le novice, concurrence au niveau Les débutants disent progresser
nécessaire », un « passage obligé ». scientifique. Cependant, le coensei- quand la collaboration est fondée sur
des échanges d’idées, des méthodes
et théories, quand elle se transforme
en une communauté d’apprentissage.
C’est dans ces conditions favorables
TÉMOIGNAGE qu’ils disent apprendre et développer
Extrait de verbatim de quatre enseignants leurs compétences quant à la plani-
fication de l’enseignement, la remé-
chercheurs novices diation pédagogique, l’évaluation des
Edwidge : « J’avais l’habitude de J’apportais aussi une contribution aux étudiants de repartir chez eux. connaissances, le savoir être, l’auto-
suivre religieusement le maitre à pour enrichir le cours grâce à une Je n’ai pas le plan de cours. nomisation des apprenants.
l’arrière-plan de la salle de classe. recherche personnelle. On discu- L’enseignant titulaire lui-même Cette forme de tutorat trouve éga-
À la fin du cours, nous nous retrou- tait sur tous les sujets. » connait ce qu’il faut faire. Et puis il lement ses limites dans le manque
vions pour faire le point. C’est lui ne m’a jamais donné l’autorisa- de temps évoqué par les anciens qui
qui ouvrait les débats. Ensuite, il Christian : « Une grande compli- tion d’intervenir quand il n’est pas ont d’autres tâches d’enseignement,
me donnait la parole pour faire cité a caractérisé notre collabora- présent. J’évite des frottements de recherche et des travaux admi-
mes observations et poser des tion. Lorsque l’enseignant titulaire avec l’ancien. » nistratifs à réaliser, mais aussi dans
questions. En classe, il m’autori- de la classe était absent, j’assu- la reproduction d’un rapport de pou-
sait à développer certains mais le cours puisque nous le pré- Rodrigue : « Je suis aussi docteur voir entre ainé et jeune, expert et
concepts avec des étudiants. parions ensemble, et les étudiants avec une mention. Pourquoi me novice. L’accompagnement pédago-
C’était une bonne expérience, car n’ont jamais pensé que l’absence réduire encore au statut d’étu- gique des enseignants chercheurs
elle m’a permis non seulement de du titulaire était un problème. » diant ? C’est impensable qu’on me débutants ne passerait-elle pas aussi
prendre une classe l’année sui- traite comme un étudiant. À la fin par la formation des anciens au
vante, mais j’ai compris la diffé- Alain : « Lorsque le titulaire de la du cours, les étudiants me coenseignement ? n
rence entre savoir et savoir-faire. classe n’est pas là, je demande prennent pour leur collègue. »
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48 I Les Cahiers pédagogiques I N° 566 I JANVIER 2021
CO-INTERVENTION : À DEUX DANS LA CLASSE
DOSSIER
4. Former au coenseignement
Le formateur : une
étrangéité à cultiver
Le formateur est un personnage étrange qui s’invite dans des et se manifestent de diverses
groupes parfois établis. Cette étrangéité, renforcée par la co- manières. La coanimation n’était
intervention, peut être favorable à la mise en réflexivité des trop souvent accordée que si le
stagiaires et à l’accueil de l’autrement que prévu. nombre de stagiaires était important
sous la forme de dédoublements des
groupes. Ensuite, la coanimation
Bernard Desclaux, retraité, ancien directeur de CIO, académie de était particulièrement discutée
Versailles lorsque les formateurs étaient issus
L
du même domaine, de la même dis-
es stages d’établissements au lieu de le tenir à distance. À cela cipline. Nous étions confrontés à une
scolaires ou centre d’in- s’ajoutent les tactiques individuelles conception restrictive de la formation
formation et d’orienta- de chaque membre du groupe, tou- comme une transmission de connais-
tion (CIO) visent la trans- jours hétérogène, et les luttes et sances qu’un seul formateur peut
formation des activités rapports de force quant au change- apporter, le formateur étant défini
professionnelles et nécessitent un ment qui entrent en dynamique au par son métier d’origine. Enfin, la
important travail sur les représenta- sein du groupe même. rémunération montrait bien l’incom-
tions professionnelles et sur les résis- L’étrangéité du formateur est à préhension de ce qu’est la coanima-
tances au changement. C’est dans protéger et la coanimation est un tion, les deux formateurs étant payés
ce type de formation que la coani- dispositif très utile et pertinent ; être pour moitié, parfois aux trois quarts
mation me semble particulièrement ou aux deux tiers. Pour finir, la coa-
essentielle. Or, l’Éducation nationale nimation était vue comme un confort
emploie massivement des formateurs
La coanimation n’était pour les formateurs : quand l’un
internes occasionnels, profession- accordée que si le nombre s’adressait au groupe, le second se
nellement proches des formés. Cela de stagiaires était important. reposait ! Drôle de conception du
repose sur l’idée que les formateurs travail collaboratif ! Ce que je viens
doivent connaitre le terrain et être à deux limite la connivence et les de décrire, c’était avant, à l’époque
acceptés par les stagiaires. sous-entendus, favorise l’explicita- où je travaillais encore, où je coani-
tion et dévoile les non-dits, et pré- mais des stages, des formations
L’ÉTRANGÉITÉ DU vient le risque d’absorption du for- continues en établissement. Mais
FORMATEUR mateur. La coanimation suppose des cela a-t-il vraiment changé ?
Bien que proche des stagiaires, le temps de travail hors du groupe, En formation, le formateur est tou-
formateur est un étranger à l’établis- avant, pendant et après : des temps jours confronté à de multiples tâches :
sement et au groupe, qui le lui fait de préparation, de régulation pen- conduire le groupe, réguler les
généralement savoir. Cette distance dant et de retrait en cours de stage, échanges, garder le cap et l’objectif
que réalise le groupe sera un appui de bilan. La coanimation renforce du stage, décoder, analyser, com-
pour le formateur ; elle évite la ainsi l’étrangéité des formateurs. prendre ce qui se passe et pas seule-
connivence et oblige à l’explicitation Malgré tout l’intérêt qu’elle ment ce qui se dit. La coanimation
du « comment ça marche ici ». Tou- apporte en formation continue, la facilite cette double attention. Les
tefois, sa proximité professionnelle coanimation n’est pas sollicitée par deux personnes travaillent en même
lui fait aussi prendre le risque d’être les instances. Du haut de mon expé- temps, mais n’ont pas la même acti-
phagocyté par le groupe, qui va cher- rience, les résistances institution- vité. Il y a une démultiplication des
cher à l’incorporer comme un pair nelles à la coanimation sont fortes hypothèses et enrichissement n n n
4. Former au coenseignement
dire et la nouvelle directrice était là était concerné. Pour assurer leur pré- dans l’instant, d’accompagnement
à titre provisoire. Dans le projet de sence, une autorisation exception- de « projet pour ailleurs » en une
formation, le CIO devant de nouveau nelle de fermeture avait été deman- analyse et une transformation (amé-
déménager, il était prévu l’analyse dée et accordée. Mais le premier jour lioration) de l’existant.
de la situation du moment et la pré- du stage, nous sommes mis devant Là encore, si la préparation de la
paration d’un cahier des charges le fait accompli que l’urgence du formation en amont facilite les
pour négocier la nouvelle restructu- déménagement n’était plus, celui-ci rebondissements, être à deux c’est
ration. L’objet du stage étant l’accueil étant reporté à deux ou trois ans. La mieux. n
du public, l’ensemble des personnels formation a donc dû être modifiée,
J
comprends rien ! » Fabienne se
4. Former au coenseignement
nnn angle droit. Au fur et à mesure (trait droit), droite (mathématique) coenseigner, tant en formation ini-
de l’évolution du cours, d’autres et angle droit, etc. Mais au-delà de tiale qu’en contexte de classe. Le
angles sont apparus, et l’angle droit l’acquisition de ces nouvelles coenseignement est également un
est devenu une figure constituée de connaissances professionnelles, c’est lieu de langage en tant qu’il consti-
deux demi-droites. L’arrondi est enfin toute une transformation, une tue le lien entre action et cognition.
entré en jeu, certainement à cause construction de l’expérience qui Ici, non seulement chacune des pro-
des photographies de branches s’opère et qui ouvre sur un nouveau fesseures a eu une activité réflexive
d’arbre qu’ils ont prises, ou encore à champ des possibles. D’où leur dis- en classe mais également lors du
l’observation de l’angle arrondi des cours, trois mois après, dans lequel débriefing en fin de cours, réflexion
tables de la classe. Évidemment, il qui se poursuit ensuite quand elles
aurait fallu quelques minutes en plus envisagent le cours suivant. De plus,
à ce cours si riche pour exploiter cet Le coenseignement est quand toutes deux entament une
angle tordu de Kévin. Force est de favorable à un apprentissage rétrodiction du cours, elles ne
constater que le vocabulaire n’est pas professionnel. s’adressent pas tant à la collègue
encore installé solidement, et que si qu’à elles-mêmes dans une dimen-
le contexte ou l’environnement elles disent envisager d’aborder sion intériorisée du langage vers le
change, alors il faut reconstruire les autrement la notion d’angle. Mais sujet locuteur. Ce temps de debrie-
connaissances. L’adjectif « droit », ce processus ne se produit-il pas fing offre donc un espace de langage
pour certains élèves, ne désigne pas chez l’enseignant seul dans sa et l’opportunité d’une réflexivité.
l’angle, mais qualifie la droite, voire classe ? Bien sûr que si. Alors en Enfin, il nous apparait ici que le
le tracé à la règle ! L’angle au bout quoi le coenseignement semble-t-il fait d’être confronté à autrui, à sa
arrondi ne pouvait être constitué que plus favorable à une telle démarche ? manière de faire toujours différente,
de droites courbes ! Tout d’abord, de nombreuses ne serait-ce que dans les détails,
études, notamment anglo-saxonnes, provoque potentiellement étonne-
CONSTRUIRE DE décrivent que le coenseignement est ment et démarche d’enquête [2],
L'EXPÉRIENCE un environnement favorable à un donne à penser. S’étonner de l’agir
Cette situation a permis aux deux apprentissage professionnel, et ce, d’autrui et enclencher une démarche
professeures de construire de la dans la mesure où les espaces-temps de compréhension, c’est potentiel-
connaissance professionnelle : la dédiés à la préparation et au bilan lement construire de la connais-
notion d’angle droit n’est pas stabi- de l’action facilitent les discussions sance, et donc se transformer,
lisée chez les élèves de 6e, la propo- sur les succès et les difficultés ren- construire de l’expérience, avancer
sition pédagogique d’aller photogra- contrés, permettent la confrontation sur le chemin du développement
phier des angles dans la nature peut des conceptions et manières de faire professionnel. n
générer une réponse inadéquate différentes, le partage de connais-
(angle tordu, angle arrondi), les sances et la coconstruction de com- 2 John Dewey, Logique, Théorie de l’enquête, PUF,
élèves confondent tracé à la règle pétences pour enseigner et pour 1967.
Ajustements réciproques
Deux enseignants qui partagent un même espace pour « ne pas faire » et s’effacer pour
coenseigner doivent modifier certains de leurs gestes observer et comprendre afin d’es-
professionnels. Cela demande des ajustements sayer de développer de nouvelles
réciproques, au sein du binôme, qui s’appuient sur des compétences. Elle voulait « com-
stratégies d’observation et d’écoute de plusieurs ordres. prendre comment sa collègue aidait
Une étude dans le cadre du dispositif Plus de maitres les élèves ». Une autre explique à sa
que de classes. collègue : « J’ai écouté ce que tu fai-
sais comme vocabulaire, et je me suis
dit "c’est bien, il faut que je fasse
Éric Saillot, maitre de conférences en sciences de pareil avec ceux que j’ai". » S’ajuster
l’éducation, université de Caen Normandie, laboratoire à son collègue permet de construire
Cirnef ((Centre interdisciplinaire de recherche normand progressivement des significations
en éducation et formation) partagées, tant pédagogiques que
N
didactiques, qui sont de véritables
ous avons étudié l’activité la plupart du temps de façon discrète perspectives de développement
de coenseignement dans en ciblant un élève ou un petit professionnel.
le cadre du dispositif groupe repéré. Beaucoup d’enseignants recon-
Plus de maitres que de Les binômes d’enseignants ont naissent avoir parfois eu « peur du
classes entre 2014 et 2016, étude souvent eu besoin de s’ajuster l’un ju gement, peur du regard de
comprenant des observations filmées à l’autre pour laisser une place suf- l’autre », ce qui freine les envies
suivies d’entretiens d’autoconfron- fisante au collègue, tant au niveau d’accueillir un collègue dans sa
tation. Nos analyses nous permettent du volume de la voix que des prises classe, quel que soit son statut. Les
d’émettre l’hypothèse que les témoignages soulignent l’impor-
binômes doivent procéder à des t a nce de réu ssi r à ga g ner la
ajustements réciproques pour pro- Lorsqu’un enseignant anime confiance de son collègue pour bien
duire un travail cohérent, avant la et pilote, l’autre se place travailler à deux. Le dialogue,
séance dans le cadre de la prépara- en observateur. l’écoute, et le respect voire l’estime
tion, pendant pour réguler les sont des ingrédients indispensables
actions, après lors d’un bilan réflexif. de parole, des interventions, des pour que les deux enseignants se
Il s’agit d’éviter la juxtaposition de déplacements ou des prises d’initia- « rassurent mutuellement ». Cette
deux interventions imperméables tives. Certains enseignants ont sou- forme de bienveillance entre collè-
l’une à l’autre. haité « ne pas se gêner » dans la gues est d’autant plus importante
classe ou, du moins, « se gêner le que les pratiques collaboratives font
VEILLER AU TEMPS moins possible ». Ces professeurs des appel à des compétences invisibles
Lorsqu’ils s’ajustent l’un à l’autre, écoles précisent qu’il faut apprendre attendues, mais rarement reconnues
dans le cadre de groupes ou d’ate- à « laisser la place à l’autre », à ne par l’institution.
liers en parallèle, les enseignants pas « prendre toute la place ». Ces ajustements pédagogiques et
d’un binôme se parlent essentielle- D’autres ajustements permettent didactiques s’appuient fondamen-
ment pour se tenir informés de d’échanger des informations rapide- talement sur l’observation et l’écoute
l’avancée du travail afin d’évoluer ment dans le repérage des élèves les de l’autre : « J’ai une oreille qui
au même rythme. Dans le feu de plus en difficulté, au cœur de la traine, je réajuste ce que je dis à mon
l’action, ils cherchent à savoir s’ils séance, que ce soit au niveau de groupe par rapport à ce que tu as dit
passent le même temps sur telle ou l’entrée dans la tâche, l’engagement au tien. » Une enseignante souligne :
telle activité ou sur telle ou telle cognitif, la persévérance ou la com- « Quand l’une explique sa consigne,
phase de la séance afin de mainte- préhension des consignes, des pro- ça me fait penser à des trucs aux-
nir « un temps didactique commun » cédures, etc. Si les enseignants quels je n’aurais pas forcément
pour tous les élèves. Sans forcément échangent facilement leurs impres- pensé. » L’écoute mutuelle permet
interroger le collègue, ils jettent un sions avant et après la séance, cer- d’utiliser « un langage commun »,
œil ou tendent l’oreille afin de voir tains n’hésitent pas à le faire en se explique une enseignante, qui
où en sont les élèves de l’autre rapprochant l’un de l’autre discrète- ajoute : « On est sûrs de parler le
atelier. ment pendant quelques secondes. même langage parce qu’on va s’écou-
Lorsqu’un enseignant anime et Ces échanges permettent d’affiner ter et essayer de le dire de la même
pilote, l’autre se place en observa- les connaissances relatives aux manière. »
teur voire en sentinelle qui veille au besoins d’apprentissage des élèves et La notion d’ajustement dans l’acti-
maintien de l’attention et de l’enga- d’envisager de nouveaux ajustements vité d’enseignement-apprentissage
gement des élèves. Cette posture pédagogiques et didactiques. a été initialement évoquée par
permet de mieux les observer et Nous avons observé chez l’un des Marguerite Altet dans ses analyses
d’intervenir si certains décrochent. binômes une enseignante qui cher- plurielles des pratiques enseignantes
Les interventions de la sentinelle chait à ajuster son « faire » au « faire dans les années 1990. Dans sa théo-
s’ajustent à celles du pilote et se font de l’autre », allant parfois jusqu’à rie de l’action conjointe, n n n
4. Former au coenseignement
nnn Gérard Sensevy appréhende postures variées, et des valeurs qui interviennent dans le même
l’activité d’enseignement comme un humanistes qui confèrent à leur acti- espace peuvent être appréhendés à
« processus constant d’ajustement vité d’enseignement tout à la fois partir de ce modèle d’analyse dupli-
mutuel ». Il fait référence à la théorie son crédit, son sens et sa portée. qué à l’activité du binôme, tout en
linguistique d’Antoine Culioli qui Nous avons notamment mis en restant articulé à celle des élèves.
souligne l’importance des ajuste- lumière les compétences d’observa- L’activité d’ajustement est ainsi
ments intersubjectifs, s’adapter aux tion et d’écoute dans la posture multiadressée : à la situation dans
réactions d’autrui, et internotionnels, d’ajustement que nous avons modé- son ensemble et à son imprévisibilité,
partager les mêmes significations, lisée autour d’un losange systémique c’est-à-dire aux élèves, leurs besoins,
pour bien se comprendre. « penser-dire-faire-observer/écou- leur activité, leurs comportements,
À l’aide d’une équipe de cher- ter[3] ». (voir fig. 1 ci-dessous) leurs questions, etc., à son collègue,
cheurs pluridisciplinaires, Dominique La posture d’ajustement est basée ses gestes, ses mots, ses réactions,
Bucheton a construit un modèle de sur un registre de gestes profession- etc., et à soi-même, ses représenta-
l’agir enseignant basé sur un tions, ses valeurs, ses émotions. (voir
ensemble de gestes professionnels fig. 2 ci-dessous)
ajustés. Elle définit l’ajustement
L’écoute mutuelle permet
comme « la manière dont l’agir lan- d’utiliser un langage Les ajustements réciproques s’ap-
gagier et corporel de l’enseignant se commun. puient sur des stratégies d’observa-
règle sur la situation spécifique de la tion et d’écoute pluriadressées : vers
classe et plus encore sur l’évolution nels qui visent à répondre à l’impré- le dire et le faire de l’autre ensei-
de cette situation pendant la leçon. visibilité de la situation et aux gnant, mais également bien sûr vers
Cet ajustement est d’autant plus com- besoins d’apprentissage des élèves, le dire et le faire des élèves (voire
plexe qu’il est un coajustement avec dans une combinaison de flexibilité vers son propre dire et faire, dans
l’agir de un à vingt-cinq voire qua- et de vigilance à la fois réflexives et une démarche réflexive). Nous consi-
rante élèves, eux-mêmes en train de pragmatiques, pédagogiques et didac- dérons que l’essence de l’activité de
s’ajuster tant à l’agir du maitre qu’à tiques. Savoir observer et écouter les coenseignement repose sur les ajus-
celui de leurs pairs, qu’à l’évolution élèves en activité permet à l’ensei- tements réciproques qui conduisent
du milieu didactique »[1]. Dans son gnant d’ajuster de façon réflexive, progressivement vers une forme de
dernier ouvrage [2] , Dominique personnalisée et située son faire ou connivence professionnelle. n
Bucheton insiste sur l’importance de son dire, ses questions notamment,
former les enseignants à combiner dans une direction ou une autre :
des gestes professionnels ajustés, des faire dire, faire expliciter, faire refaire,
faire comprendre. Les ajustements
réciproques entre deux professionnels
1 Dominique Bucheton, (dir.), L’agir enseignant :
des gestes professionnels ajustés, Octares, 2009.
2 Dominique Bucheton, Les gestes professionnels 3 Éric Saillot, S’ajuster au cœur de l’activité d’en-
dans la classe. Éthique et pratiques pour les temps seignement-apprentissage. Construire une posture
qui viennent, ESF Sciences humaines, 2020. d’ajustement, L’Harmattan, 2020.
D
ments généraux et professionnels.
ans le cadre de la refon- quées par des hésitations à l’école Un vadémécum[3] , intitulé Mettre
dation de l’école, a été primaire, les collèges avec Segpa en œuvre la co-intervention dans la
instauré un dispositif (sections d’enseignement général et voie professionnelle, préconise, dès
nommé Plus de maitres professionnel adapté), depuis l’introduction, d’« articuler les ensei-
que de classes[1] qui consiste à ren- 2015[2], et les lycées professionnels, gnements généraux et les enseigne-
forcer les équipes d’école classées ments professionnels pour favoriser
en réseaux d’éducation prioritaire la réussite des élèves ».
Cette « même école »
renforcées (REP+) d’un enseignant Ce vadémécum introduit conco-
supplémentaire. Il s’agit d’augmenter
nécessite une articulation des mitamment les deux désignations
le taux d’encadrement et d’engager temps de travail. de « co-intervention » et de « coen-
« la mise en place de nouvelles orga- seignement », brouillant leur
nisations pédagogiques, en priorité depuis 2019, sont incités à mettre définition.
au sein même de la classe ». Le coen- en place des dispositifs de travail à « Nous définirons donc la co-
seignement est donc encouragé. deux enseignants. En Segpa, il est intervention comme une modalité
Avec le changement de gouverne- demandé que les élèves soient le pédagogique de mise en œuvre des
ment en 2017, ce dispositif est pro- plus souvent scolarisés au sein des référentiels et des programmes dans
gressivement abandonné au profit classes de collège tout en étant sou- laquelle deux enseignants inter-
de classes à petits effectifs. Si les tenus par des temps spécifiques. viennent ensemble dans une même
décisions ministérielles sont mar- Cette « même école » pour tous salle (ou un même lieu) et n n n
EN COMPLÉMENT
Exemple emblématique
L’enseignante d’une classe de cours vous semble important. Je vous redis, personnage, un lieu, pourquoi pas. Un de ne pas rendre compte de la com-
moyen (PE1) et sa collègue (PE2), ce n’est pas un concours de dessin. objet aussi, on a vu quelques objets préhension du récit. Même si elles
après une préparation commune de Vous gardez votre ardoise pour vous éventuellement. Utilisez l’ardoise ont coplanifié la situation d’ensei-
la séance, proposent le visionnage faire une base. Le but de l’ardoise, pour faire un brouillon, c’est possible. gnement-apprentissage, l’accord ne
d’une vidéo de présentation d’une c’est de garder les choses en tête. Ou vous pouvez séparer l’espace de s’est pas explicitement fait sur les
pièce de théâtre, initiant ainsi Vous pouvez utiliser vos crayons de votre feuille. » Cette seconde enjeux didactiques de la situation.
l’étude de l’œuvre. L’enjeu de la couleur, vos feutres, vos crayons de consigne atteste que les attentes En situation, elles développent des
séance qu’elles ont déterminé bois, c’est comme vous voulez. » La chez PE1 et PE2 ne sont pas iden- conceptions singulières des appren-
concerne la compréhension de PE2 s’adresse d’abord à un élève et tiques. PE1 demande aux élèves de tissages et placent alors les élèves
l’œuvre. Après visionnage de la poursuit à l’attention de l’ensemble restituer un évènement issu de la dans un impossible à faire. Des ajus-
vidéo, PE1 donne la consigne : « Je de la classe : « Tu dessines un objet, narration par le dessin (avec les dif- tements en amont doivent donc
vais vous donner à tous une feuille de un personnage, vraiment ce qui te ficultés que cela suppose). PE2, s’opérer entre coenseignantes pour
dessin. Et maintenant vous allez des- semble important. Vous ne dessinez quant à elle, réduit son attente au agir conjointement, nécessitant
siner sur cette feuille ce que vous avez pas l’histoire. Par contre, vous pouvez dessin d’un objet, d’un personnage l’étude très fine de cette œuvre.
retenu de ce que vous avez vu, ce qui vous concentrer sur une image, un ou d’un lieu, ce qui présente le risque
4. Former au coenseignement
n n n au même moment. Dans dépendent des réalités du terrain, des modification de facto des habitudes
cette définition, la co-intervention ressources humaines disponibles et plutôt solitaires des enseignants.
suppose nécessairement un des choix didactiques et pédagogiques. Ceux-ci doivent être prêts à accepter
coenseignement. » Elles constituent un ensemble de fac- ce changement et avoir la volonté
Or, un rapport du Comité national teurs interdépendants : d’apprendre des autres.
de suivi du dispositif Plus de maitres • le soutien de la direction d’école Ces trois conditions, étroitement
que de classes [4] paru en sep- ou d’établissement pour l’attribution liées, nécessitent volontarisme et
tembre 2015 a clarifié ces notions, de locaux, l’agencement des horaires compatibilité. Coenseigner ne s’im-
retenant sept modalités (voir sché- et des emplois du temps, l’octroi de provise pas et demande, in fine, un
ma) fondées sur deux critères. temps de planification, la réponse haut niveau de collaboration [6]. Si,
Le coenseignement, c’est-à-dire aux besoins de formation des ensei- à certaines conditions, coenseigner
quand « deux professionnels ou plus gnants, aux encouragements, etc. apporte des bénéfices, il peut exis-
dispensent un enseignement de fond Coenseigner ne peut s’envisager à ter des limites voire des risques
à un groupe d’élève diversifié ou (voir encadré). Le coenseignement
mixte, dans un seul espace phy- doit également et nécessairement
sique »,[5], offre l’avantage de réduire
Coenseigner ne peut aborder la spécificité de ce qui est
le ratio enseignants-élèves, favori- s’envisager à la seule échelle à apprendre. n
sant ainsi un soutien à l’apprentis- de la classe.
sage et à la socialisation de l’en-
semble des élèves. Il facilite la seule échelle de la classe, mais
l’augmentation des interactions, un dans un travail en équipe d’école ou
enseignement plus individualisé et d’établissement ;
intensif, tout en étant moins stigma- • les temps de préparation, de pla-
tisant. À condition que le temps nification et d’organisation sont
didactique reste commun et qu’il cruciaux pour harmoniser et rendre
engage les enseignants dans des pra- plus cohérentes les programmations,
tiques de différenciation pédago- les progressions, principalement
gique, il permet de limiter les aides chez les néocoenseignants ou ceux
ou les amorces de réponses qui qui participent à un coenseignement
risquent de diminuer l’investisse- ponctuel. Il s’agit d’établir claire-
ment des élèves. ment les enjeux d’apprentissage et
Les conditions soutenant la mise en d’ajuster les situations d’enseigne-
œuvre d’un coenseignement de qualité ment-apprentissage, de définir les
rôles respectifs et les responsabilités,
mais aussi d’accepter une responsa-
4 https://tinyurl.com/yb5veow3 bilité partagée pour les décisions et
5 Lynn Cook, Marilyn Friend, « Co-Teaching : Gui- leurs conséquences ;
delines for Creating Effective Practices, in Focus on
Exceptional Children », 28 (3), 1995.
• la formation au coenseignement
https://tinyurl.com/yb5veow3.
est essentielle parce qu’il exige une
À NOTER
Difficultés inhérentes au coenseignement
À l’échelle des pratiques ensei- entre élèves peuvent alors être sentent des difficultés. En
gnantes, l’augmentation du taux minorées. Un enseignant a déjà somme, la question de l’espace et
d’encadrement ne rime pas sys- tendance à parler beaucoup, du temps qui circonscrit l’activité
tématiquement avec de meil- alors quand ils sont à deux, il peut conjointe de deux enseignants
leurs apprentissages. À deux, les exister une réelle inflation des importe d’être questionnée pour
enseignants peuvent surétayer discours. S’il n’y a pas de négocia- que les responsabilités soient
l’activité d’un élève et limiter de tion en amont des tâches entre partagées, tant au moment du
manière drastique ses espaces de les deux enseignants, l’un peut coenseignement que de la copla-
travail et de décision. Le temps de devenir l’auxiliaire de l’autre. nification et de la coévaluation.
travail coopératif en groupes Même à deux enseignants, les Coenseigner nécessite de travail-
hétérogènes peut être limité voire attentes en termes d’apprentis- ler suffisamment fréquemment
abandonné au profit d’aides indi- sage peuvent être minorées, la ensemble pour être connectés au
viduelles qu’un des enseignants qualité des activités négociée à la savoir et à son avancée. La dis-
prodigue. Si les deux enseignants baisse, surtout quand ils choi- continuité peut être délicate.
ne veillent pas à conserver une sissent de dissocier du groupe 6 Philippe Tremblay, Marie Toullec-Théry, Le
posture de retrait, les interactions classe certains élèves qui pré- coenseignement : théories, recherches et pratiques,
Champ social, 2020.
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des structures à l’écart de la société, n’est pas encore Mais le comportement de Marc-Jean était très éloigné
d’actualité en France, et ce sont l’école et la société de la norme scolaire, et ses interactions sociales ont
inclusives qui s’en voient un peu compromises. pu être source de malaise. S’il a pu être considéré
De mon côté, j’ai aussi renoncé, sentant le rapport comme « fou » par les autres élèves du dispositif ULIS
de force lors de l’équipe de suivi de scolarisation (ESS) qui en ont fait par intermittence leur bouc émissaire,
en défaveur d’une scolarité poursuivie même à temps ou comme un « golmon » (mongolien) par certains
partiel en milieu ordinaire. Je n’en suis pas fière, mais élèves du collège, il a su susciter beaucoup d’attention
la parole des enseignants coordonnateurs ULIS ne fait et de tendresse chez certains personnels de l’établisse-
pas le poids et notre professionnalité n’est pas vraiment ment, mais aussi parfois des craintes et des interroga-
reconnue. Pourtant, nous connaissons bien nos élèves tions. Qu’allait-il bien pouvoir faire après la 3e ? L’école
et leur capacité à entrer dans les apprentissages. Notre inclusive ne lui a offert que le seul choix d’y renoncer
travail consiste d’ailleurs à rendre ceux-ci accessibles. et de rejoindre un institut médicoprofessionnel. n
“ Poésie de confinement
”
C
onfinement : parents et enfants doivent découvrir, Regarder les reflets d’ambre
redécouvrir ou s’inventer de nouvelles relations. Que propose le soleil hasardeux !
C’est en observant mes enfants que ces quelques
lignes sont apparues. Faire l’école avec ses parents
Apprendre avec tout son cœur
Faire l’école à la maison Être toujours contents
C’est sûr, c’est déroutant ! En attendant des jours meilleurs.
Mais on apprend bien ses leçons
En jouant et en s’amusant. Faire l’école sans ses copains,
Et ressentir une certaine solitude…
Faire l’école dans son jardin, Jouer à la maitresse chaque matin
Sur son balcon ou sa terrasse, Pour en reproduire les habitudes.
Et découvrir de nouveaux terrains
Où chaque jour l’on passe et repasse. Faire l’école différemment,
À deux, à trois ou à plusieurs,
Faire l’école dans sa chambre, Être simplement des enfants,
Et se sentir alors le plus heureux. Qui ne comptent plus les heures.
les enfants et les familles, gratifiant au regard du défi maitresses portaient tout le temps des masques et que
qu’il nous a fallu relever ensemble dans ce contexte c’était bizarre, même si on a fini par s’y habituer. »
de pandémie. Et puis il y a ceux qui parlent de leur ressenti,
De retour (progressif) à l’école, le « Comment ça va combien il leur faut « être patients lorsqu’il faut
la classe ? » a permis à plusieurs élèves d’exprimer ce attendre son tour pour se laver les mains », ou encore
qu’ils avaient vu à la télé, et parfois mal compris, de leur surprise quant aux apprentissages : « Moi, ce que
dire leur angoisse : « Que nos proches risquaient de je retiens de la classe virtuelle, du retour à l’école, des
mourir et que l’on pouvait être dangereux pour ses gestes barrières, c’est qu’en fin de compte aujourd’hui,
grands-parents, que pour l’instant on ne pouvait pas je sais faire les soustractions à retenue et pourtant je
les voir, les embrasser » ; « qu’il y avait des maitresses ne pensais pas qu’on irait jusque-là ! » Et, pour sûr,
qui dessinaient des cercles dans la cour et qu’il ne fallait sans cette expérience de coopération et de mobilisa-
surtout pas en sortir » ; « que les élèves en classe ne tion parents-enseignants auprès des enfants, cette
pouvaient surtout pas se toucher, se rapprocher et même élève n’aurait sans doute pas vécu les choses de la
presque ne pas se parler » ; « que les maitres et les même manière, ni moi non plus d’ailleurs ! n
“ Merci Neymar !
”
R
emplaçante en CM1 pour quelques semaines, (pour l’instant, mais cela, je ne le lui dis pas !) et il
j’étais prévenue dès la rentrée : Rayan est doit travailler seul. Je suis claire avec lui : ce qui
un enfant compliqué. Agitateur, irrespec- m’intéresse, c’est sa passion. Les minutes suivantes
tueux envers certains adultes, sa réputation sont salvatrices. Les autres n’existent plus pour lui,
le précède. il sort du rôle d’élève agitateur qu’il montre au quo-
Je me sens un peu démunie ; il me faut trouver une tidien. Je peux me consa-
approche. Craignant d’être trop frontale avec lui, je crer aux autres sans être
cherche des idées pour que le climat s’apaise : com- interrompue et sans rap- Nonchalamment, il me
ment éveiller sa curiosité, comment changer sa posture pel aux règles. Je vois rejoint, s’attendant
d’élève turbulent qui ne cherche qu’à perturber et, soudain mon élève autre- certainement à un
surtout, comment établir une relation de confiance ? ment. Pour la première exercice
Au détour d’une conversation, une collègue et moi fois, et durant trente-cinq supplémentaire.
parlons projets d’écriture. Rayan est passionné de minutes, Rayan ne lève
football, je vais tenter de le nourrir par ce biais. pas la tête de sa feuille,
Jeudi après-midi, trois élèves présentent un exposé ne pose aucune question, ne cherche aucun camarade.
sur l’outillage préhistorique. Le moment peut devenir Il est seul et investi dans son écriture.
compliqué : la fatigue de mes élèves se fait sentir, Son travail terminé, c’est à petits pas qu’il vient
l’énervement aussi. Je sais que Rayan partira au quart me rendre sa feuille : une demi-page écrite d’une
de tour et que certains suivront volontiers ses traite. Il me parle de Neymar, de Thierry Henry, de
plaisanteries. son club de banlieue et de son rêve d’intégrer l’Institut
J’en suis à la énième remarque. Mais cette fois, national de football de Clairefontaine. Je le félicite
avant que le moment critique ne bascule, je l’invite pour son travail, il semble content de lui.
à venir me voir. Nonchalamment, il me rejoint, s’atten- Les jours suivants, il retravaillera son texte afin de
dant certainement à un exercice supplémentaire. l’améliorer, ouvrira le dictionnaire, révisera ses conju-
Quand je lui demande ce qui le passionne le plus, il gaisons. Et, à l’occasion, il viendra me parler de sa
s’étonne mais sa réponse fuse : « Le foot. » Je lui pro- passion !
pose alors de m’écrire ce qui l’intéresse tant dans ce Cette approche était probablement imparfaite, ban-
sport : le jeu, la coupe de cheveux des joueurs, la cale, mais pour la débutante que je suis, l’expérimen-
compétition, etc. Peu importe, je veux qu’il écrive. tation est encore quotidienne et la gestion de classe
D’abord surpris, son visage s’illumine. Il rit. Je ne est ce qui semble le plus difficile dans l’entrée dans
sais pas encore si cette proposition fonctionnera, mais le métier. Alors, merci Neymar ! n
Rayan semble intéressé.
Les règles sont claires : il peut prendre autant de
feuilles qu’il en a besoin, peu importe l’orthographe
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La rubrique « Faits et idées » présente des sujets remarqués à la rédaction les semaines
précédentes, témoignages, portraits, faits d’actualité, prises de position, etc. Cette fois-ci,
vous lirez un article sur l’utilisation d’œuvres littéraires pour aborder la Shoah en classe,
vous trouverez une sélection de livres jeunesse pour aborder sexisme et féminisme et vous
découvrirez notre tout nouveau hors-série numérique sur les débats en classe.
L
’école est touchée de plein fouet par les crises des problématiques qu’elles sous-tendent, le renfor-
et les violences sociétales à chaque fois cement des liens entre les différents niveaux d’ensei-
qu’elles surgissent dans notre pays, car elles gnement, l’apport de la recherche scientifique. Le
soulèvent immédiatement, et pas seulement projet, celui d’un collectif désireux de travailler de
dans les zones dites « difficiles », des ques- façon collaborative, et ses réalisations ne se laissent
tions d’enseignement et d’éducation (la mémoire, la pas freiner par les concurrences mémorielles. Il s’agit
laïcité, le respect de l’autre, le vivre ensemble) en de montrer que, au-delà des contextes historiques,
exacerbant leur caractère complexe et sensible. À l’œuvre offre un espace de réflexion et de partage
chaque fois, les enseignants s’interrogent, individuel- d’autant plus universel qu’elle est profondément
lement, collectivement : « Comment vais-je faire, lors singulière, et qu’elle est une médiation privilégiée
du retour en classe, pour parler de ça avec mes pour exprimer et trans-
élèves ? » Ces situations se répétant tragiquement ces L’œuvre offre un mettre les atteintes à la
dernières années, on perçoit l’urgence à trouver des espace de réflexion et dignité humaine, et par-
réponses de fond, qui dépassent le traitement ponc- fois même apaiser, en les
tuel, à chaud, d’ailleurs bien souvent entravé par la
de partage d’autant dépassant, les émotions
déferlante médiatique, des réponses qui s’inscrivent
plus universel qu’elle douloureuses qu’elles
dans la durée, celle du parcours des élèves, celle du est profondément suscitent.
travail en interdegrés, mais aussi dans le collectif, singulière. Les publications que
c’est-à-dire celui de l’interdisciplinarité. En un mot, le lecteur trouvera dans
des réponses pédagogiques dans leur acception la la rubrique « Pédagogie » du site Mémoires en jeu[1]
plus noble. sont conçues pour aider les professeurs à varier les
C’est le pari qui réunit un groupe comprenant des approches, les mises en œuvre, les supports et les
professeurs de différentes disciplines et de différents réalisations. Elles concourent également à la diffu-
degrés d’enseignement, de l’école élémentaire au sion et à la valorisation de grandes œuvres artis-
supérieur, des inspecteurs, des formateurs et d’autres tiques, parfois méconnues [2], voire tombées dans
acteurs de l’éducation. Depuis deux ans, ils réflé- l’oubli [3], qui s’attachent à explorer les mémoires
chissent ensemble à la conception et à la mise en traumatiques [4].
œuvre de l’enseignement des questions mémorielles,
celles qui ont trait aux grandes violences collectives
de l’Histoire, en développant une approche humaniste
par les œuvres littéraires et artistiques. Celles-ci, en 1 https://www.memoires-en-jeu.com/
effet, tout en permettant l’expression des souffrances 2 Voir sur notre site les articles « Éducation musicale et Seconde Guerre
mondiale » et « Lire L’espèce humaine de Robert Antelme au miroir du
engendrées par ces violences, offrent à la réflexion
concept de la “zone grise” ».
un espace où les interroger.
3 Voir les ressources consacrées à la littérature yiddish de l’Anéantisse-
ment, déjà en ligne, « Avrom Sutzkever, poète du ghetto de Vilno », ou, à
REFUSER LA CONCURRENCE MÉMORIELLE paraitre en janvier, « Le paysage garde-t-il la mémoire du passé ? Étude de
La démarche de l’association se veut avant tout la poésie de Reïzl Zychlinsky », en lien avec le dernier numéro (n° 11) de la
plurielle et ouverte : elle se fonde sur le dialogue revue Mémoires en jeu, et « Le statut des morts de la Shoah dans le roman
entre les multiples langages et supports d’expression de Leïb Rochman », À pas aveugles de par le monde.
(littéraires, cinématographiques, graphiques, plas- 4 Ces mémoires traumatiques peuvent être tout à fait contemporaines.
Voir l’article consacré à trois romans sur la traversée de la Méditerranée
tiques, musicaux, etc.), le croisement de différentes aujourd’hui, « Trajectoires contemporaines : traverser la Méditerranée dans
approches propres à enrichir l’étude des œuvres et le roman du XXIe siècle ».
Dans cette optique, elles offrent des comptes rendus mée de l’être humain, le second vise à éclairer les
en lien avec l’actualité littéraire, artistique et culturelle, ressorts qui aident chacun de nous à préserver sa part
des études, des séquences pédagogiques autour d’humanité. À l’issue de ce projet, les élèves, en
d’œuvres ou de corpus ainsi que des articles didac- s’appuyant sur tous les supports et outils qu’ils auront
tiques et culturels à portée plus générale. Ces pages découverts, sont invités à bâtir leur propre parcours
pédagogiques, dans leur association avec les autres de témoignages de manière à devenir, à leur tour, des
rubriques du site et les articles publiés dans la revue passeurs de mémoire.
du même nom, donnent la possibilité aux enseignants
de concilier actualisation des connaissances et trans- LECTURE COLLECTIVE EN 6e
positions didactiques conscientes des enjeux que ces Et, parce que l’éducation contre le racisme et l’anti-
questions sensibles ne manquent pas de mettre en sémitisme doit s’inscrire dans la durée tout au long
lumière. du parcours scolaire, un projet est proposé pour faire
lire et oraliser Un sac de billes de Joseph Joffo en
DES EXEMPLES EN COLLÈGE ET LYCÉE classe de 6e, dans la continuité de ce que les élèves
Quelques exemples, à présent, pour illustrer ces ont pu découvrir dans le cadre de l’enseignement de
principes, autour de travaux sur la Shoah. la Shoah en CM2. La séquence s’organise autour d’un
Dans le cadre du nouvel enseignement « Humanités, travail visant à la mutualisation des lectures, finale-
littérature et philosophie » en classe terminale, l’article ment restituées sous la forme d’une prise de parole
« Une histoire de proximité et de distance » offre une collective. L’enjeu est aussi de mettre en œuvre une
séquence consacrée à l’étude des Disparus de Daniel certaine solidarité : une entraide s’organise au sein
Mendelsohn. L’analyse de cette œuvre permet d’explo- de la classe, permettant
rer les trois déclinaisons de l’objet d’étude « Histoire Une entraide à chacun, quelle que soit
et violence » de la spécialité : à l’axe « Création, conti- s’organise au sein de la sa compétence initiale en
nuités et rupture » correspond la réflexion menée par lecture, d’accéder au
le narrateur sur les problèmes de proximité et de
classe, permettant à texte, et ce, à la fois dans
distance que pose son entreprise littéraire ; à l’axe
chacun, quelle que soit sa dimension narrative,
« Histoire et violence » correspondent les témoignages sa compétence initiale sa dimension historique,
et les informations historiques sur les atrocités com- en lecture, d’accéder son écriture.
mises en Ukraine contre les Juifs à la fin des années au texte. Les objectifs sont défi-
trente, ainsi que les conséquences qu’elles ont eues nis avec les élèves : que
sur les survivants ; l’axe « L’humain et ses limites » chacun puisse accéder à la totalité du récit, en com-
peut être étudié à travers les passages où il est ques- prendre les enjeux historiques, connaitre les passages
tion des moments de bascule entre humanité et bar- les plus révélateurs ainsi que ceux qui ont le plus
barie, mais également en s’intéressant à la légitimité suscité leur intérêt, prendre part à l’explication que
du projet de savoir, puisque le narrateur comprend l’on peut en donner. Pour les réaliser, on prépare
au cours de sa quête qu’il est impossible d’atteindre collectivement une restitution complète du livre sous
une connaissance définitive sur les faits passés. forme de jeux de rôle : les élèves, répartis par groupes,
La ressource propose deux modalités de lecture : se distribuent quatre missions, celles de conteur qui
lecture intégrale ou lecture d’extraits dans le cadre résume ce qui se passe dans les chapitres, d’historien
d’un parcours déterminé. Le récit de Daniel qui identifie et explique les évènements, d’acteur qui
Mendelsohn intégrant les photographies de son frère, lira à haute voix le passage que le groupe a envie de
une séance est consacrée à une réflexion sur l’usage faire partager, et de critique qui mettra en relief les
du médium photographique dans cette enquête. caractéristiques de l’extrait.
Dans le cadre d’un projet interdisciplinaire français-
histoire en classe de 3e, un parcours pédagogique, Ces trois exemples de situations d’enseignement,
« L’expérience de l’enfer au féminin », construit à comme les autres productions pédagogiques publiées
partir de deux corpus de témoignages, qui font alter- sur le site Mémoires en jeu, témoignent de la
ner écrits autobiographiques et captations de paroles conscience que les auteurs ont de ce que les blessures
de témoins, choisit de donner la parole aux femmes et les dénis passés continuent d’imprimer leur marque
qui ont vécu et relaté l’expérience de l’enfer des camps dans le présent. Il est, par conséquent, nécessaire que
de concentration et des centres d’assassinat. Un les élèves s’y confrontent dans un cadre bienveillant
double objectif préside à la réalisation de ce projet : et fécond propice à leur dépassement. n
questionner cette réalité historique de l’extrême vio- SÉVERINE BOURDIEU, LAURENCE CLAUDE-PHALIPPOU,
lence, donner à cette transmission orale ou écrite la CAROLINE COZE, ANNE FAURIE-HERBERT,
part qui lui revient dans la construction d’une culture MARIE-LAURE LEPETIT, ALAIN PUJAT, SANDRINE RAFFIN
mémorielle. La démarche proposée, qui conjugue Membres de l'association Mémoires à l’œuvre
de sa classe ont un style très différent du sien, tandis que les tion, pourtant, ça n’en est qu’une parmi d’autres. Page après
garçons lui ressemblent davantage. Malheureusement, quand page, cet album propose non pas une mais des dizaines de
on n’est qu’un enfant et qu’on ne rentre pas dans le moule, il réponses différentes qui s’appuient sur des chiffres concrets
est difficile de s’intégrer et d’être accepté. Leïli va notamment pour dénoncer les violences sexistes que subissent les femmes
être confrontée à Cédric, qui met un point d’honneur à se com- à travers le monde. Un ouvrage qui touche par la justesse de
porter en parfait garçon : un dur, un vrai ! Le récit est pertinent, ses textes à la fois brefs et aiguisés. (à lire dès la 4e)
permettant une réflexion sur le sexisme dès le plus jeune âge ;
j’ai en revanche eu plus de mal avec le style, en particulier l’usage
très fréquent du discours indirect libre qui s’explique par la
dimension théâtrale du texte. Un ouvrage qui a plus vocation Renversante
à être vu que lu par les enfants. (à partir du cycle 2) Florence Hinckel,
l’École des loisirs
Sous la peau d’un Quel meilleur moyen de dénoncer
le sexisme au quotidien qu’en ima-
homme ginant une fiction où les filles
Praline Gay-Para seraient dans le rôle des domi-
nants et les garçons celui des
et Aurélia Fronty,
dominés ? C’est en renversant les
Didier jeunesse stéréotypes sexistes que ce roman
Deux frères ont chacun sept de Florence Hinckel les déconstruit
enfants : l’un est père de sept gar- pour ensuite mieux les démonter. Forcément, j’ai beaucoup
çons, l’autre de sept filles. Cepen- aimé ! (à partir de 9 ans)
dant, si les garçons sont considérés comme des « lumières »,
les filles, elles, sont surnommées les « misères » ! Un jour,
l’ainée des filles, révoltée, lance un défi à l’ainé des fils de son
oncle : pendant un an et un jour, ils devront partir à l’aventure. La Femme du
Celui des deux qui s’enrichira le plus au cours de l’année aura potier
mérité le respect indépendamment de son sexe. Voici un joli Kuro Jiki, HongFei
récit adapté librement d’un conte africain, qui traite de la Le titre seul suffit ici à dénoncer
misogynie avec simplicité et intelligence. (à partir du cycle 2) une situation sexiste : « la femme
du potier ». Combien d’épouses ne
Nous sommes sont-elles que les « femmes de » ?
Combien à ne se définir que par
tous des rapport à leur mari, sa fonction, son
féministes statut ? Comment éviter de dispa-
raitre derrière l’homme et continuer à exister ? Dans cet album,
Chimamanda
la femme du potier va devenir une personne à part entière en
Ngozi Adichie, osant vivre sa passion. Un très bel ouvrage ! (dès le cycle 3)
Gallimard jeunesse
Dire qu’on est « féministe » est
souvent mal perçu : à priori, sté- Strong Girls Forever
réotypes, préjugés, souvent la personne féministe est perçue
comme agressive et virulente quand elle ne voudrait que
Holly Bourne,
défendre les droits des femmes. Cet ouvrage définit le fémi- Nathan
nisme avec nuance et intelligence, tout en démontant un par Elles n’ont que 17 ans et déjà, elles
un les arguments reléguant la cause féministe à un phénomène se voient comme des vieilles filles
de société anecdotique. Parce que « nous devons tous faire parce qu’elles n’ont pas de petit
mieux, hommes et femmes » pour construire un monde plus copain. Car oui, il y a une injonction
juste, je ne peux que vous encourager à lire cet album sociale à être en couple, or quand
incroyable ! (dès le cycle 3) on est très grande comme Amber,
intelligente comme Lottie, ou
encore hyperangoissée comme
Pourquoi les filles Evie, trouver l’amour est tout sauf simple ! Entre fantasme et
réalité, rêves d’égalité et véritables relations, la frontière
ont mal au semble parfois infranchissable. Heureusement, ces trois filles
ventre ? bien de leur époque vont rester soudées et vivre leurs poten-
tielles histoires d’amour tout en restant elles-mêmes.
Lucile de Peslouan
CLÉMENTINE PILLON
et Geneviève https://www.deslivresetclementine.fr
Darling, Hachette
« Pourquoi les filles ont mal au
ventre ? » Nous avons tous une réponse évidente à cette ques-
Le débat en classe :
modes d’emploi
COORDONNÉ PAR FLORENCE CASTINCAUD
Organiser des débats en classe, fort bien, mais comment ? Y a-t-il des écueils à
éviter ? Et un débat, pour quoi faire ? Peut-on vraiment apprendre en débattant ?
Un dossier pour envisager le débat dans tous ses états et dans toutes les disciplines,
car les formes et les entrées sont multiples. Un dossier qui rappelle qu’on a besoin
de l’autre pour apprendre, pour comprendre, pour inventer.
dans la discussion sans en être sub- parole seulement pour parler, mais pour tifiques qu’organise La main à la pâte[1],
mergé, cela ne se fait pas en un jour contribuer à faire avancer la question par exemple dès le cycle 2 à l’école.
(pour les adultes non plus !). Des col- débattue.
lègues proposent dans ce dossier des Quelle peut ou doit être la place du débat
façons de débattre qui incluent l’écrit, Est-ce qu’on peut débattre partout, tout le dans l’enseignement de l’oral, qui fait désor-
la mise en groupes, le dessin, la sus- temps et à tout âge ? mais l’objet d’une évaluation (appelée sans
pension et la reprise, la régulation par Derrière cette question, il y a souvent doute à évoluer) au baccalauréat ?
l’enseignant ou par les élèves, ou un la crainte de sombrer dans un relati- L’intérêt du débat est de mettre l’ac-
mixte des deux. Avec des visées diverses visme qui renverrait à « chacun pense cent sur l’aspect social de l’oral : parler
que l’enseignant doit avoir clairement ce qu’il veut », en mettant à égalité sans pour d’autres et avec d’autres, mais tout
en tête : débattre pour prendre une distinction des croyances, des opinions, autant apprendre à écouter et à prendre
décision collective ? Pour approfondir des savoirs qui font consensus, sans en compte la parole de l’autre. Cet
une question de société ? Pour un jeu autre visée que l’expression des indivi- apprentissage, désormais bien inscrit
de rôle ? Pour acquérir un savoir ? Com- dus. Pour éviter cette dérive, le débat, dans les programmes de l’école et du
ment cela se traduit-il dans les diverses comme tout dispositif pédagogique, doit collège, devrait amener au lycée des
disciplines ? avoir sa raison d’être, et parfois ce n’est élèves beaucoup mieux formés et
Le dossier fait aussi une place parti- pas ce choix qui est pertinent. Ainsi, capables d’assumer une parole indivi-
culière aux outils langagiers que les sur le site des Cahiers pédagogiques, à duelle en solo ou dans un échange col-
élèves ont à s’approprier pour que les la suite de l’attentat d’octobre 2020 lectif. On mesure bien cependant le
débats soient des temps où on apprend contre Samuel Paty, un des articles plai- temps nécessaire à la mise en œuvre
à penser. Ces mots qui servent à approu- dait pour une prise en compte des dif- de ces apprentissages forcément pluri-
ver, réfuter, ajouter, s’adosser à la pen- férents temps nécessaires (celui de disciplinaires, si l’on veut s’assurer
sée de l’autre, introduire un exemple l’émotion, celui des questions, celui de qu’ils ne profitent pas d’abord, encore
ne viennent pas spontanément : on a la réflexion), là où spontanément on une fois, à ceux à qui leur histoire per-
avantage à les mettre à la disposition aurait pu penser « débat ». Dans des sonnelle et sociale en a donné la clé. La
des élèves et en exercer l’usage, en fai- situations qui n’ont pas ce caractère variété des propositions pratiques conte-
sant attention, bien sûr, aux modalités tragique, on gagne aussi à peser la per- nues dans ce dossier et les éclairages
propres à l’oral qui n’utilise pas les tinence du mode « débat » en fonction de chercheurs très proches du terrain
mêmes connecteurs que l’écrit ni les des élèves, des relations dans la classe, pourront, nous l’espérons, y aider. n
mêmes tournures syntaxiques. Il ne de la prégnance affective du sujet. Mais Propos recueillis par Cécile Blanchard
s’agit pas d’apprendre à parler comme à condition d’être au clair sur ce que
des livres, mais d’identifier avec les l’on fait et dans quel but, oui, c’est pos-
élèves des conduites langagières qui sible très tôt : pensons aux débats scien-
manifestent qu’on ne prend pas la 1 Voir https://tinyurl.com/ybyzvkx7
HTTPS://LIBRAIRIE.CAHIERS-PEDAGOGIQUES.COM
N
bascule.Ce qui sera de plus en plus en
question, dans le domaine de on, internet n’a pas inventé des correspondants et diffusés à d’autres
l’éducation, ce ne sera plus l’application les réseaux pédagogiques. classes comme objets de rencontre et
des méthodes pédagogiques (au sens D’ailleurs, internet n’est de connaissance.
où l’on parle des méthodes Freinet), qu’un nœud de tuyaux vir- Chaque nouvel outil, avec ses tech-
mais d’un type de microagencement tuels, il ne fait que ce qu’on niques propres, est toujours abordé
analytique militant susceptible de lui dit de faire. En revanche, et depuis comme un moyen complémentaire d’en-
cristalliser autour d’une classe, d’une les années 20, Célestin Freinet avait com- trer en communication, d’apprendre des
école, d’un groupe d’enfants. Pouvoir pris l’intérêt de placer au cœur de la autres et de découvrir ce qui vient de
(subst.) : Père, phallus, patron, classe les outils les plus modernes de la l’autre. Très vite, ces réseaux ont concerné
professeur, président, peur, police, communication. Créer les conditions de des correspondants étrangers ; les envois
paranoïa, piège, parade, pitre, pirouette, postaux, en utilisant en France la fran-
etc., rien n’est interdit ni obligatoire, L’entrée du chise postale, voyageaient dans de
mais seulement possible. Ces paroles,
magnétophone dans grandes enveloppes au contenu tout à
et jusqu’au nom du groupe, résonnent fait multimédia : lettres, livres de vie,
comme un effroi et un espoir en ce
la classe n’a pas servi journaux de classe, affiches, photos,
début de siècle qui s’ouvre sur la
à enregistrer des bandes audios montées. L’arrivée de l’une
manifestation spectaculaire et récitations de leçons de ces enveloppes était un évènement
monstrueuse de l’incommunicabilité, toutes prêtes. tout aussi important dans la classe que
de l’incommensurabilité. Et, l’expédition de ses propres productions.
paradoxalement, les attentats du situations réelles de communication a Et puis la généralisation de ces pra-
11-Septembre sont aussi une été l’un des fils directeurs de sa tiques, notamment avec l’arrivée de
manifestation de l’interconnexion des démarche. Il était convaincu qu’il ne l’informatique, a franchement mis en
hommes et des problèmes à l’échelle fallait pas proposer aux enfants de faire avant l’outil au détriment de la com-
mondiale. Presque vingt ans après, semblant de développer des activités munication. On s’est mis à négliger de
nous vivons dans un monde où le d’imitation, sous peine de les voir se l’envoyer à des correspondants loin-
besoin de communiquer véritablement lasser. Saurons-nous, au XXIe siècle, tains, en privilégiant, au mieux, la dif-
apparait en creux du confinement prendre la balle au bond des extraordi- fusion locale de ces journaux et produits
sanitaire, tandis, qu’une bonne partie naires possibilités qui sont à notre por- multimédias. Les médias nous abreu-
d’entre nous passe l’essentiel de son tée, et faire vivre et évoluer cette idée vaient d’informations attractives,
temps de travail en réseau sur internet. de l’apprentissage par la communication qu’avait-on besoin des productions
Nous ne cessons de nous interroger sur qui a traversé la pédagogie du XXe siècle ? maladroites de correspondants ? L’im-
cet enseignement à distance qui s’est Bien sûr, elle parait d’un autre âge, portant était devenu de savoir utiliser
imposé, sur les opportunités qu’il offre la vieille imprimerie au plomb que l’on toutes les fonctionnalités des outils
et les dégradations qu’il produit. Tel ressort parfois des placards de nos qu’on avait à sa disposition et de faire
était aussi l’objet du dossier des écoles, et pourtant, c’est bien de là de beaux produits modernes.
Cahiers pédagogiques de ce mois de qu’est née une pédagogie des réseaux. De même, les débuts de la commu-
septembre, « L’odyssée des réseaux ». Parce que Freinet l’a tout de suite uti- nication électronique et le besoin (tel-
Odile Chenevez, qui avait collaboré lisée comme un outil de communication. lement urgent ?) de généraliser des
avec Alain Jaillet et Richard Faerber à la Au lieu de conformer l’outil aux pra- pratiques d’utilisation des outils ont été
coordination de ce dossier, y proposait tiques d’avant (il aurait pu s’en servir parfois désastreux quant aux résultats.
une réflexion sur le sens et les usages pour faire recopier des exercices ou des On a vu se multiplier des sites scolaires
d’internet en éducation en plaçant, textes d’auteurs), il a inventé la péda- affligeants, jetés comme des bouteilles
dans l’héritage de Célestin Freinet, la gogie qui va avec : le texte libre et le à la mer dans l’océan du web. Sans
relation à l’autre plutôt que la journal scolaire. De même, l’entrée du projet réel, leur existence se justifiant
fascination technologique au cœur des magnétophone dans la classe n’a pas par le seul savoir-faire manipulatoire,
choix pédagogiques permis par les servi à enregistrer des récitations de pour pouvoir dire « on a fait un site ».
outils cybernétiques. Pour faire de ces leçons toutes prêtes. Très vite, les élèves Mais ni la parole de l’élève, ni le souhait
outils des tapis volants. Et que le vent de Freinet sont devenus « chasseurs de de la découverte de l’autre, celui qui
nous porte ! sons » et produisaient des audio- vit ailleurs, dans une autre culture, n’en
YANNICK MÉVEL grammes destinés à être écoutés par constituait la finalité. On y cultivait plus
Pédagogie de l’égalité.
Freinet au second degré
C
Lycée Auguste-et-Louis- et ouvrage, écrit par des cher- vidéos et aux usages
Lumière, La Ciotat, Chronique cheurs responsables de labora- numériques.
sociale, 2020 toires d’innovation pédagogique, Je ne vais citer ici
L’expérience du lycée expérimental va confronter le lecteur à diverses pro- qu’un des points qui
de La Ciotat décrite de l’intérieur et blématiques : le jeu est-il une idée nou- m’ont intéressée dans
commentée par un chercheur, ou
velle ? Une ruse pédagogique ? Est-il cet ouvrage : la ques-
comment mettre en place la
« méthode naturelle » chère à surtout destiné aux enfants ? Permet-il tion des objectifs du
Freinet et promouvoir la d’améliorer les apprentissages ? Est-ce jeu pour apprendre. Il
coopération, ce qui implique une une activité solitaire qui privilégie la existe une multitude de types de jeux,
contestation de la « forme scolaire ». compétition ? Ne permet-il de dévelop- qui peuvent viser à faire acquérir des
Tenir parole, per que des compétences procédurales ? connaissances, des compétences, des
responsabilités des Peut-on évaluer par le jeu ? L’intelli- attitudes. Certains jeux constituent bien
métiers de la gence artificielle va-t-elle remplacer les des situations didactiques qui per-
transmission enseignants par des jeux ? Et enfin, mettent à l’usager de s’engager de façon
Mireille Cifali, PUF, 2020 apprend-on (mieux) en jouant ? autonome, de parvenir à résoudre la
Reprenant un certain nombre de ses Mais d’abord, qu’est-ce qu’un jeu ? tâche par le biais de rétroactions, en
écrits et conférences, Mireille Cifali La question n’est pas tranchée, et ren- s’appuyant sur ses erreurs positivement,
traite successivement des voie pour certains à l’artefact, pour et permettent en effet des apprentis-
conditions de la parole, du dialogue
et de la transmission. Elle nous d’autres à l’activité elle-même. L’embal- sages disciplinaires. Mais une qualité
incite à tenir compte de la lage d’un cadeau peut constituer un reconnue du jeu (dès Érasme) est de
singularité des situations et de la support de jeu, en devient-il jeu lui- favoriser l’engagement de l’enfant. Cela
subjectivité des personnes pour aller même ? Le jeu n’est-il pas dépendant suffit-il à valider l’usage du jeu ? Ou
vers une poétique du savoir agir.
de l’usage de celui qui s’en empare ? est-ce l’effet nommé « chocolat sur bro-
École inclusive, Dès l’introduction, les auteurs expli- colis », qui attirera de façon temporaire,
Conditions et citent un des fils rouges de l’ouvrage : mais ne transformera pas le brocoli en
applications il y a subjectivité dans la probléma- guimauve ?
Philippe Tremblay, L’Harmattan, tique elle-même, et il va falloir en tenir Une certaine culpabilité pèse alors
coll. Les Sciences de l’éducation compte. sur l’usage du jeu à l’école : au final,
aujourd’hui, 2020
Quel est le lien, ensuite, entre jeu et n’est-ce pas un stratagème pour com-
L’auteur examine les conditions
propices à la mise en œuvre de apprentissage ? Là aussi, les auteurs font penser une impossibilité des ensei-
l’école inclusive et ce qui lui fait un choix : ils ne retiendront pas l’expres- gnants à intéresser, ou une impossibi-
obstacle de façon très stimulante. sion serious game, et prennent ainsi lité des élèves à gouter aux savoirs de
Aucune prescription, mais des position dans un débat vif ces temps-ci. leur propre volonté ? Les auteurs vont
pistes à travers l’analyse de Reconnaitre les serious games induirait lever les implicites et répondre aux
pratiques probantes et des
questions à la fin de chaque une focalisation sur l’objet jeu. Or, un questions auxquelles il est possible de
chapitre pour guider la réflexion. jeu ne possède pas des vertus d’appren- répondre, tout en nuances. Et (spoiler !)
tissage en lui-même, la plupart du écrire un beau plaidoyer pour le métier
Pédagogies de l’exigence. temps. Ces vertus dépendent du d’enseignant.
Récits de pratiques contexte, de l’analyse à postériori avec Car en fin de compte, ce sont les
enseignantes en milieux les usagers, de la façon dont l’ensei- gestes professionnels de l’enseignant
populaires gnant a choisi de jouer son rôle de qui sont interrogés tout au long de cette
Jean-Pierre Terrail (dir.), La
Dispute, 2020 médiateur. Une partie du propos du lecture. La question n’est plus de savoir
Plusieurs contributions sous forme livre est ainsi livrée dans l’introduction, si on peut apprendre en jouant. La ques-
de récits et d’expériences de mais c’est toute sa lecture qui permettra tion est de savoir comment s’emparer
pratiques en priorisant la de vraiment le comprendre. du jeu pour enrichir les dispositifs
démocratisation des savoirs Les chapitres peuvent être lus de d’apprentissage, comme un outil sup-
scolaires. Les divers témoignages
insistent avec force sur façon indépendante. Il en résulte un plémentaire qui ne se substitue aucu-
l’importance des savoirs ou sur les naturel entrelacs des thématiques étu- nement à la réflexion et à la créativité
risques de la différenciation. Non diées, qui parfois donnent un sentiment des enseignants. n
sans au passage caricaturer les de répétition lors d’une lecture linéaire. CLAIRE LOMMÉ
positions de pédagogies plus
Mais la forme dynamique et régulière
constructivistes, bête noire de
certaines des contributeurs. de la structure de l’ouvrage le pallie.
Les très nombreux exemples présentés
sont variés à tous égards et donnent
envie de découvrir des jeux non encore
D’autres recensions sur notre site
connus. La part belle est faite aux jeux
QUESTIONSÀ
MARGARIDA ROMERO
Finalement, enseigner par le jeu, est-ce
ET ÉRIC SANCHEZ plus difficile ou délicat pour l’ensei-
gnant ?
Ce livre, sur quoi s’appuie-t-il ? Le rôle de l’enseignant est crucial
L’idée est née d’une conférence tout au long du processus, dans la
conjointe que nous avons donnée conception de l’activité d’appren-
en 2019 à Québec. La conférence tissage basé sur le jeu, son orches-
©DR
portait sur les idées fausses, les tration, la rétroaction et le débrie-
mythes sur l’apprentissage par le fing à la fin de l’activité de jeu. Il
jeu et en particulier avec les jeux manière de laisser une certaine est souvent coconcepteur des jeux
numériques. Nous avons souhaité autonomie aux élèves et de déve- qu’il utilise, il a en charge la
contribuer à déconstruire ces mythes lopper leur motivation intrinsèque, conception du scénario d’usage du
et poursuivre l’aventure en écrivant mais aussi de leur permettre de jeu. L’enseignant peut également
cet ouvrage. L’ouvrage vise à s’appuyer sur leurs erreurs pour endosser le rôle de maitre du jeu
déconstruire neuf mythes en nous progresser et disposer de rétroac- qui crée l’atmosphère ludique et la
appuyant sur les résultats de la tions rapidement, ce qui est un élé- maintient pendant le jeu, orchestre
recherche, en particulier nos propres ment favorisant les apprentissages. le jeu et s’assure du respect des
travaux, conduit en France, au On peut aussi évaluer avec des jeux. règles. En tant qu’expert de sa dis-
Québec, en Espagne ou en Suisse. Le jeu est bien plus qu’une simple cipline, c’est lui qui valide les
apprentissages, nomme les concepts
Le jeu est-il plus utilisé pédagogique- mobilisés pendant le jeu, etc. C’est
Le jeu est bien plus
ment ces dernières années ? là tout un travail d’ingénierie didac-
On observe de nombreuses initia-
qu’une simple ruse tique et d’orchestration pédagogique
tives institutionnelles ou émanant pédagogique. que l’enseignant doit assurer. Mais
de collectifs d’enseignants sur cette ceci est finalement assez proche des
question. On observe aussi un certain ruse pédagogique, mais il est impor- tâches qu’il doit habituellement
dynamisme de la recherche dans ce tant que les enseignants s’engagent prendre en charge. À Fribourg, en
domaine par le biais de communau- sur le choix et une intégration péda- Suisse, la formation des enseignants
tés de recherche comme la Games gogique des jeux appropriée. comprend un cours de didactique
and Learning Alliance (GALA). qui s’apparente à un cours de game
L’éducation n’échappe pas à une En quoi le jeu permet-il plus de différen- design, car les modèles et concepts
tendance de fond, qui se traduit par cier, de faire de l’erreur un matériau péda- sont finalement très proches.
un intérêt croissant pour le jeu. C’est gogique et didactique, et de créer des
vrai pour les jeux récréatifs, mais situations qui favorisent l’engagement ? Est-ce que l’épisode du confinement
aussi pour des secteurs pour lesquels Nous utilisons de préférence apporte des éléments nouveaux sur le
l’usage du jeu est moins convention- l’expression « situation ludicisée » rapport jeu-apprentissages ?
nel. Rappelons par exemple que le pour souligner le changement de Le domaine du jeu vidéo en par-
jeu Can’t Stenchon the Mélenchon sens que le jeu permet par rapport ticulier mais pas uniquement (pen-
(Fiscal Kombat) a été utilisé lors de à une situation ordinaire. Ainsi, avec sons par exemple au Scrabble ou
la dernière campagne présidentielle, le jeu Classcraft, la salle de classe aux échecs), qui s’est largement
et que la marque Balenciaga vient est un « champ de bataille » où il converti au jeu en ligne bien avant
d’organiser son dernier défilé sous faut respecter les règles pour « sur- le confinement, pourrait inspirer
forme de jeu vidéo pour cause de vivre ». Avec Geome, la visite au les pédagogues. S’appuyer sur la
crise sanitaire. musée permet aux élèves d’endosser collaboration au sein d’équipes,
le rôle d’un professionnel de l’envi- proposer des défis motivants ou
Vouloir favoriser l’engagement de ronnement et de s’interroger sur permettre le travail asynchrone,
l’enfant est-il suffisant pour avoir leur rapport à la nature. Le jeu per- c’est un peu devenir un concepteur
recours au jeu en classe ? met surtout de vivre une expérience de jeu ou game designer. L’épisode
C’est souvent l’argument avancé. signifiante au cours de laquelle de confinement nous a permis de
Le jeu serait alors une ruse pédago- l’élève accepte la responsabilité de nous rendre compte à quel point
gique destinée à tromper l’élève et résoudre un problème. Dans ce nous sommes des mammifères
l’amener à s’engager dans des acti- cadre, il peut être amené à réviser ayant besoin de socialisation et
vités d’apprentissage supposées peu sa manière de penser et d’agir et d’engagement sur des activités
motivantes. La recherche montre donc à apprendre. Mais c’est surtout conjointes. n
que le jeu présente bien d’autres en portant un regard réflexif sur Propos recueillis par Claire Lommé
Le Crap- est soutenu pour son fonctionnement par le ministère de l’Éducation nationale