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Antoine Emeury

N° 24011324

4H8MO7D
Sociétés modernes et contemporaines dans la mondialisation
2nd semestre

Analyse du JMO d’un bataillon de tirailleurs sénégalais lors de la première guerre


mondiale.

Préambule

Après lecture de plusieurs journaux de marches et opérations (JMO) de régiments et de


bataillons coloniaux, mon choix s’est porté sur l’analyse du JMO du 43 ème Bataillon de
Tirailleurs Sénégalais portant sur la période du 19 juin 1916 au 25 octobre 1917. En effet, ce
document présente un triple intérêt :
- Il porte sur une période intense avec la participation de ce bataillon à plusieurs
opérations de grande importance (théâtre de Verdun, prise du fort de Douaumont en
1916, « offensive Nivelle » en 1917 bataille du Chemins des Dames), opérations dans
lesquelles le bataillon s’est illustré par des faits d’armes remarquables qui feront
l’objet d’une décoration collective.
- Il renseigne tous les thèmes contenus dans un JMO (cantonnement et travaux,
mouvements, batailles, phase d’instruction, tableaux d’effectifs…) avec une écriture
lisible et une syntaxe agréable et explicite.
- Il comporte quelques mentions spécifiques sur les soldats indigènes ainsi que des
éléments sur le quotidien des fantassins qui sont très éclairant d’un point de vue
historique.

Présentation formelle du document

Le document est référencé sous la côte 26N carton 870 dossier 11 consultable sur le site
mémoire des hommes sous l’url :
https://www.memoiredeshommes.sga.defense.gouv.fr/fr/arkotheque/inventaires/
ead_ir_consult.php?&fam=3&ref=6&le_id=4748
Le journal est au format manuscrit d’une écriture parfaitement lisible faite de pleins et de
déliés. On constate une modification de l’écriture qui laisse présager un changement de
rédacteur à la date du 23octobre 1916 (premier jour de l’engagement des compagnies du
bataillon sur le front de Verdun, ce qui laisse supposer soit une mutation soit une disparition
de l’officier tenant le cahier). Le document comporte 52 pages couvrant la période du 19 juin
1916 (date d’un ordre de transfert du camp de Courneau 1 près de la Teste-de-buch en Gironde
vers la « région des armées » ) jusqu’au 25 octobre 1917 (le Bataillon est alors en réserve à
l’arrière sur le front de l’Aisne). Il est à noter que le journal retrace la vie du bataillon au jour
le jour et dans le respect des instructions contenues dans la fiche du 5 décembre 1874
présentée au format dactylographié en préambule du document. Ainsi le document, s’il
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Le camp du Courneau est un camp « d’hivernage » crée en Février 1916 pour accueillir spécifiquement les
bataillons d’Africains qui souffraient du froid sur le front est. Construit sur un marais insalubre, les conditions
de vie étaient particulièrement difficiles entraînant un taux de mortalité important. Les troupes provenant de
l’Afrique sub-saharienne étaient le plus souvent débarquées à Bordeaux et séjournaient dans ce camps.

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présente les activités de façon détaillée, exclut tous commentaires personnels, émotionnels. Il
constitue une restitution strictement factuelle des evenements même quand ceux-ci sont
porteurs d’une dimension tragique (soldats tués, soldats condamnés, soldats gazés…). Par
ailleurs ce document comporte des reproductions de cartes d’état majors qui permettent de
visualiser les mouvements de troupes (particulièrement au moment des confrontations en
premières lignes) ainsi que des photos et coupures de presse (à l’occasion de la décoration du
bataillon en 1916)

Analyse du contenu du document :

Le 43ème Bataillon de Tirailleurs Sénégalais est une unité de fantassins composée en juin 1916
de 4 compagnies, elles-mêmes divisées en sections dont certaines sont spécialisées (à
plusieurs reprises il est fait mention des sections de grenadiers et de bombardiers) et une
section hors cadre (S.H.R). Quatre officiers généraux dirigent le bataillon qui comptent en
juin 1916, 95 européens et 898 Indigènes. Le journal commence par l’ordre de rejoindre la
zone de combat à Verdun avec un transfert du bataillon du camp du Courneau vers Loix dans
la Somme puis le 17 août 1916 à Lemmes dans la Meuse au camp Drouot situé au bois
Nixeville. Le bataillon est alors rattaché à la IIème Armée engagée dans la bataille de Verdun.
C’est donc dans le contexte de la défense de Verdun que commence la rédaction de ce JMO,
plus exactement dans la phase de contre-offensive des armées françaises sur ce front
commencée en mai 1916 et qui s’achève à la fin de la même année.

Le JMO répertorie au jour le jour les activités du bataillon à compter de cette date en
distinguant les informations suivantes qui s’enchevêtrent tout au long du document :

- Le cantonnement et les déplacements


Les compagnies sont en déplacement permanent entre les phases de cantonnement.
Elles reçoivent de façon fréquente des ordres de déplacement entre l’arrière et les
premières lignes pour se mettre au service d’autre détachement soit pour exercer des
tâches spécifiques, soit pour se placer en renfort d’autres unités de combat. Les
déplacements se font la plupart du temps à pied avec des distances pouvant aller
jusqu’à 25 à 30 kms par jour et/ou en train navette. Les marches sont parfois très
difficiles pour les hommes avec 25 à 30 kg de bardas sur le dos. Les déplacements
peuvent aussi être effectués de nuit afin d’éviter les risques de repérage par l’ennemi
et les tirs d’artillerie.

- L’instruction
On note que le Bataillon quand il n’est pas au combat ou en réalisation de travaux
passe de grande période de temps en instruction. L’instruction concerne en particulier
les sections spécialisées dont il est fait mention, les grenadiers et les bombardiers
(sections de fantassins qui lancent des objets explosifs par mortier ou lance-grenades
au moment des assauts). L’instruction se fait dans des camps retranchés à l’arrière.

- Les travaux
Les compagnies sont souvent détachées auprès de régiment du génie pour constituer
de la main d’œuvre affectée à des taches de nettoyage et/ou de consolidation de
boyaux dans les tranchées. La réalisation des travaux présente une certaine dangerosité
dans la mesure où elle s’effectue sur la ligne de front et se traduit donc par des pertes,
blessés et tués, soit par l’effet des tirs d’artillerie ou tir de mitrailleuses ennemis
(exemple : le 14 octobre 1916 un seul bombardement fait 2 blessés et 9 tués alors que

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les hommes sont entrain de réaliser des travaux de terrassements dans un boyau. Cf.
page 5)

- Les combats en ligne :


Les 4 compagnies du 43ème Bataillon de tirailleurs sont mobilisées sur deux phases de
combat qui font l’objet de rapports quotidiens particulièrement détaillés dans le
journal :
1. La bataille de Verdun et particulièrement l’assaut du fort de Douaumont sur les
journées du 23 au 25 octobre 1916.
2. La participation à l’offensive Nivelle sur le front de l’Aisne et de la Marne, la
bataille du chemin des Dames, depuis le début de l’offensive le 16 avril 1917. Le
bataillon reste mobilisé sur ce front ou ses compagnies sont sollicités
régulièrement pour des opérations d’assaut sur les premières lignes de ce front.

- Le relevé des effectifs et le rapport quotidien sur les pertes


Les pertes (blessés, tués, disparus) sont répertoriées de façon quotidienne, notamment
pendant les phases de travaux et de cantonnement qui entraînent quelques pertes liées
aux bombardements. Mais c’est surtout après les grandes phases d’assaut qu’un
tableau est établi présentant un état détaillé des pertes de façon nominative (Nom,
prénom, grade, matricule) distinguant les tués, disparus et blessés. Parfois il est fait
mention de la nature et des causes des blessures (éclats d’obus, gaz, tirs de
mitrailleuses, chute…)

- La recomposition du Bataillon et les affectations


Le journal fait mention de façon régulière de la recomposition des cadres d’officiers et
des reconstitutions des compagnies après les pertes au combat. On notera en
particulier la reconstitution du bataillon avant le départ pour L’Aisne qui est effectué
au moment de la phase de réserve au camp du Courneau en mars 1917 ( page 23), et la
reconstitution liée à la dissolution du 92ème BTS dont les effectifs sont fusionnés au
43ème. (Page 37)

- Le relevé des décorations individuelles et collectives, citation à l’ordre de l’armée,


promotions et aussi sanctions. Le 43ème BTS a la particularité d’avoir commis des faits
d’arme remarquable tant sur le front de Verdun que sur celui du chemin des Dames.
Cela donne lieu à de nombreuses décorations et citations individuelles, dont une
décoration pour le bataillon (fac-similé de l’ordre de brigade page 20). Le journal fait état des
décorations nominatives et intègre un article de presse accompagné d’une photo d’une
section de tirailleurs.

Intérêt historique de la source

Plusieurs éléments éclairent sur la situation particulière des combattants Sénégalais.


On différencie tout au long du document combattants européens et indigènes sans pour autant
que soient mentionnés des particularismes ethniques ou physiques. En revanche, il est à
plusieurs reprises fait état des difficultés spécifiques des troupes indigènes face au froid et à la
boue ainsi que des maladies pulmonaires qui semblent les affecter plus que les soldats
européens. Des effets vestimentaires particuliers leurs sont livrés pour faire face à la dureté
des conditions climatiques particulièrement sur le théâtre de Verdun en octobre 1916.

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L’encadrement est essentiellement constitué d’officiers européens, les tirailleurs indigènes
atteignent au maximum le grade de sous-officier (sergent, caporal) il n’y a aucun officier
supérieur d’origine indigène.

Les décorations sont délivrées avec parcimonie aux combattants Sénégalais qui ne reçoivent
pas beaucoup de décoration individuelle. Ainsi après les glorieux combats du 24 et 25 octobre
1916, 4 officiers et sous-officiers européens reçoivent une décoration (légion d’honneur pour
les officiers, croix de guerre pour les sous-officiers. Un seul tirailleur indigène reçoit une
Croix de guerre (pages 19 à 20) En revanche le bataillon dans son ensemble reçoit la Croix de
Guerre (fourragère attachée au drapeau).

L’analyse approfondie du relevé des pertes tend à démontrer que les tués, blessés et disparus
affectent de façon homogène les troupes européennes et indigènes. Pour illustrer le propos,
nous avons compilés les listes nominatives répertoriant les pertes après les combats du 24
octobre 1916 (pages 14 à 18) à Verdun et du 17 avril 1917 ( pages 31 à 35) en nous appuyant sur les
noms de famille (les tableaux ne présentent pas les chiffres consolidés). S’il n’y a pas
d’éléments qui démontreraient un traitement spécifique entre européens et indigènes dans les
phases d’assaut, il n’en reste pas moins que le bataillon est engagé à deux reprises dans des
combats extrêmement meurtriers et que le tribut payé par les hommes est réparti également.
On notera néanmoins que les relevés de pertes distinguent nettement les deux catégories de
combattants ; les listes commencent toujours par les Européens puis et suivi par la liste des
indigènes ; On peut s’interroger sur le signe d’une importance plus grande accordée aux
pertes d’origine européennes qui comptent en outre des officiers ?

Verdun 24 et 25 Effectifs Tués Disparus à l’ennemi Blessés


octobre 1916 de départ
(Page 5)
Européens 95* 9 (9%) 2 (2%) 25 (25%)
Indigènes 898 8 (1%) 56 (6%) 147 (16%)

Marne 17 avril 1917 Effectifs Tués Disparus à l’ennemi Blessés


de départ
(page 23)
Européens 227* 10 (4%) 8 (1%) 42 (18%)
Indigènes 770 27 (3,5%) 44 (5%) 197 (25,5%)

*officiers, s /s officiers et hommes de troupes

D’une façon générale, le JMO constitue une source historique passionnante dans laquelle
apparaissent les preuves de la dureté des conditions de vie des soldats de la première guerre,
soumis aux bombardements ennemis mais aussi au tir de barrage de l’artillerie française,
quant ils sont placés dans la zone des armées, aux déplacements de longue distance par voie
de terre, aux alternances de phases de travaux, instructions et combats. Les pertes sont
fréquentes et l’exigence des officiers et de la vie militaire est sans limite. On pense au sous-
lieutenant Gatineau condamné à 5 ans de prison et à la destitution par le conseil de guerre de
la division en date du 2 aout 1917 pour abandon de poste face l’ennemi (page 42).

Source passionnante le JMO reste néanmoins un document administratif, factuel, froid et


dépouillé de toutes émotions et de commentaires plus personnalisés qui permettraient
d’appréhender avec plus de sensibilité la vie du bataillon. Dès lors, s’il constitue une source

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essentielle pour la chronologie de faits militaires, l’organisation des troupes et la gestion des
effectifs, il conviendrait de croiser ce type de document avec des lettres, des journaux intimes
et autres sources plus intimes pour faire une histoire « humaine » d’un bataillon durant cette
rude période de 1916 à 1917.

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