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BERESHIT

Je voudrais retourner, retourner à la Source, au tout commencement,


retrouver ces gisants, au fil du temps perdus, perdus et disparus, dans
les flux incessants, les reflux et les crêtes, dans cette obscurité où leur
âme depuis semble être demeurée, prisonnière des colères, des
secrets renoncements, des tempêtes de sang, de l'abrupte
arrachement à la Terre de lait, à la Source de Vie.

Oser le grand passage, du grain qui doit mourir, oser demeurer seule,
au froid et dans le noir, et vulnérable au vent, au souffle de l'hiver,
demeurer digne et droite, ne pas tenter de fuir, affronter les rafales,
ancrée, confiante et humble, jusqu'au bourdonnement des rayons du
printemps, qui rendra à mon coeur, sa sève et son élan, qui rendra à
mon âme sa connexion divine, pour percer la lumière. Laisser chemin
frayer vers la terre retrouvée et enfin libérer les eaux ressuscitées de
la fertilité.

De courage j'ai besoin, l'élan d'un pas de Foi, pour oser me pencher,
oser me retourner, remonter la rivière, braver les courants froids, et
soulever le voile, les ombres et la poussière, les boues et les chimères.
Qu'il s'agisse des êtres, qu'il s'agisse des lieux, qu'il s'agisse des sons,
odeurs, de la lumière, retourner sur la rive qu'un jour ils habitèrent.
Avant que vint l'exil.

L'exil et cet ailleurs, devenu peu à peu l'illusion d'un meilleur.


Nostalgie de l'ailleurs, qui toujours se refuse à l'épreuve du réel.
Quand l'ailleurs se fige dans le feu de l'oubli ou se trouve verrouillé
d'un invisible sceau d'irrésolus malheurs. Car si l'on n'a pas pu des
poids se délester, l'immense chagrin guérir et tous les pleurs verser,
pleurer et puis crier, pleurer crier encore, crier se révolter, vomir
même la poussière, digérer cet amer d'une hurlante impuissance face
à l'inévitable, si hélas nul n'a pu jusqu'à ce jour bercer l'innommable
destin puis laisser s'envoler tous les sucs amers, les cendres du passé,
l'hiver se figera sur une terre pétrifiée, tel un lac gelé.

Alors nul printemps ne pourra plus frayer de ses bourgeons la terre,


gelée des amertumes, gelée des peurs de perdre le peu d'ancrage qu'il
reste à l'intérieur de soi. Terre rendue arride, d'où l'eau s'est retirée,
mais préférée au vide, préférée à la perte des feuilles évanouies.

Ce présent d'autrefois je veux pouvoir enfin le dignement ranger pour


qu'il puisse exister comme un serein passé. Qu'il puisse être honoré
non plus toujours caché, qu'il puisse nous enseigner, pouvoir le
transmuter, pour cesser de saigner. Pouvoir enfin relire, et puis enfin
tourner, ces pages jaunies et sèches, désormais affadies, à l'encre
usée et pâle, ces pages d'autrefois qui toujours vivent en moi.

Hannah Elisheva

Version corrigée JUILLET 2023

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