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MASTER 2 DE PSYCHOLOGIE

SUJET D'EXAMEN
MISE EN SITUATION CLINIQUE
DNB4ED06

SESSION DE JUIN 2021

Marie-Liesse PERROTIN
Année 2020-2021

Après avoir lu attentivement la vignette clinique ci-dessous, répondez clairement aux questions
qui la suivent sans rédiger d’introduction ni de conclusion.
Cinq pages maximum, police Times 14.

Sujet :

Il s’agit de la retranscription d’une première séance et d’un extrait de la seconde avec Sian (19 ans),
étudiante en deuxième année de Licence de philosophie. Sian se présente très agitée et parle sans
discontinuer en alternant tout du long rires et larmes. Il est presque impossible de l’interrompre et
d’éclaircir les éléments confus pendant les 3/4 de la consultation.

Vignette clinique :
La psychologue : Racontez-moi ce qui vous amène.
Sian : « En gros, je me sens un peu … Je me sens complètement dépassée par tout, rien que de le dire ça
me donne envie de pleurer. (Elle fond en larmes). Je n’arrive plus du tout à maîtriser mes émotions, je
n’ai jamais su le faire. Je ne dors plus. Là, c’est la saturation. Je suis submergée par des pensées
intrusives. Là, ça me fait péter un plomb. J’ai déjà été suivie plus jeune, une première fois à 10 ans
quand ma grand-mère est morte. Je faisais beaucoup de crises d’angoisse et il y a trois ans parce que j’ai
appris que ma mère n’était pas ma mère biologique et que j’étais née par insémination artificielle avec
don d’ovocytes. J’ai perdu confiance en l’autre déjà que je n’avais pas confiance en moi. Le fait qu’ils
m’aient caché ça pendant si longtemps, en plus j’ai dû cacher que je le savais à ma mère pendant des

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mois parce qu’elle avait des problèmes comportementaux et comme elle ne pouvait pas avoir d’enfant
c’était une blessure narcissique. J’ai arrêté de voir la pédopsy parce que j’ai demandé à aller en internat
et c’était dans une autre ville. J’ai commencé à prendre des régulateurs d’humeur, cela me paraît étrange.
Je pense que j’ai fait un peu de rétention d’informations avec elle (la pédopsychiatre) parce que cela ne
me plaisait pas de livrer mes ressentis. J’avais un copain à l’école (dans cet internat) en qui j’ai perdu
toute confiance parce que je me suis dit : lui aussi va me mentir, mais comme je ne lui disais pas, je
n’étais pas sereine. Et un jour, j’ai pété un câble, je lui ai dit que j’allais me jeter par la fenêtre, j’ai été
très arrogante, je lui ai dit : quoi, tu n’as jamais vu une ado déprimée ? Il a appelé mon père qui est venu
me chercher. C’est pour cela que la pédopsy m’a donné des régulateurs d’humeur. J’avais l’impression
d’être morte, d’un truc tout plane. Après à l’internat, j’ai rencontré un autre garçon avec qui j’ai été
pendant un moment. Il a été un peu mon psy, il m’a aidée à gérer mes émotions, mais là je dois le faire
toute seule et je n’y arrive pas. Je ne sais pas si c’est à cause de mes études, le covid, le déni de la mort
de ma grand-mère. Quand je revenais le week-end chez mes parents, ma mère me hurlait dessus dès que
je téléphonais à quelqu’un. Donc je ne téléphonais plus, je contrôlais tout ce que je disais, je calculais les
cinq phrases possibles que je pouvais lui dire et je choisissais le truc qui entrainerait le moins de
problèmes. Si je lui disais que j’avais une amie, elle me disait que ça n’allait pas durer, qu’elle allait me
mentir. Je sais qu’elle m’aime, qu’elle avait peur pour moi et qu’elle a eu peur que je ne l’aime plus
quand j’ai su qu’elle n’était pas ma mère biologique, et qu’elle n’avait pas de mauvaises intentions, mais
c’est un amour toxique. J’en étais consciente. Quand je suis partie à l’internat, j’ai eu droit à du chantage
émotionnel. Donc j’arrive à voir pourquoi je suis comme je suis, mais je n’arrive pas à m’en défaire, je
suis impuissante face à ces trucs. »
La psychologue : « Vous avez vu la pédopsy pendant combien de temps ? »
Sian : « Trois mois. C’est très flou. J’ai remarqué un truc, c’est que j’ai peu de souvenirs, j’ai des black-
out. »
La psychologue : « Sur quelle période ? »
Sian : « Toute mon enfance. J’avais une meilleure amie d’enfance que je connais depuis la maternelle,
un jour on s’est vues et je regardais un truc chez elle et je lui ai dit : tu as fait ça à quel âge ? Et elle m’a
dit : « Mais Sian, on l’a fait ensemble! » Je me souviens de trucs, mais il y a plein de trucs que j’ai
oubliés. Je suis censée faire un mini-mémoire de fin d’année, mais je procrastine. J’ai passé le
confinement chez mes parents. Je me suis remise avec mon copain du lycée. Je voulais à nouveau voir
quelqu’un (un psy), mais pas la pédopsy. Alors j’ai été voir une sophrologue qui m’a beaucoup aidée par
rapport à mes tensions physiques. J’ai tendance à être hyper migraineuse, mon corps est hyper réactif. Je
somatise. La sophrologue m’a aidée à faire des liens sur d’autres choses. Elle m’a dit que j’étais devenue
freak control quand j’ai compris qu’on m’avait menti. Je faisais des planning pour tout et si un prof
rajoutait un truc imprévu, je faisais des crises. Je réfléchis beaucoup. Mon cerveau part dans tous les
sens. Mais à l’école, j’étais du genre à en faire le moins possible, je paraissais très désintéressée. »
La psychologue : « En réussissant quand même? »
Sian : « Oui, pas en étant excellente, mais en ayant 12. Mon père essayait de me motiver, mais j’avais
peur de travailler et de le décevoir alors je ne faisais rien. Une copine m’a dit que j’avais toujours été
hyperactive, peut-être pour ne pas avoir mon cerveau qui tourne. Je suis très anxieuse. Je me fais des
scénario dans ma tête et ça part en spirale. L’autre jour, mon copain est venu et je me suis mise à pleurer,
j’ai eu une attitude totalement irrationnelle comme une gamine qui fait un caprice, je me disais il ne faut
pas dire cela, ce n’est pas vrai et cela inquiète les gens et j’ai très peur de souffrir physiquement, mais
j’ai parlé de la mort comme si ça allait attirer l’attention. Et l’autre jour, il y avait une manif et je suis un
peu agoraphobe, tous les sons deviennent trop forts, et je me suis dit : tu n’as même pas manifesté, tu es
nulle. Je m’auto-flagelle parce que je suis très exigeante. »
La psychologue : « Vous vous rendez compte que au-delà des événements traumatiques dont vous
m’avez instruite, vous me décrivez un fonctionnement de HPI (Haut Potentiel Intellectuel) ? » La
psychologue reprend les éléments traumatiques, ses difficultés à gérer « ses émotions » et les éléments

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qui concernent le fonctionnement HPI. Elle lui explique, ce qu’elle peut attendre de différents types de
thérapie par rapport à sa demande d’un meilleur « contrôle émotionnel » rapide et ce à quoi elle-même
est formée.
Sian : « Sur le HPI, j’ai lu des trucs là-dessus, mais je n’ai pas du tout l’impression de correspondre à
cela. (Silence) La pédopsy voulait me faire passer un test de QI, mais ne m’a pas dit pourquoi. Parfois je
me dis que je suis intelligente, mais comme je n’arrive pas à faire mon mini-mémoire… Je me dis que je
suis un OVNI qui ne fait rien et qui procrastine. »
La psychologue : « Vous aviez des angoisses petite ? »
Sian : « Ma mère m’a dit que j’avais des angoisses d’abandon, je faisais des crises à 2 ans quand elle
venait me chercher à la crèche, il paraît que je lui faisais payer de m’y avoir laissée. Je ne dormais pas
là-bas, je ne faisais pas la sieste à la crèche, ils me laissaient jouer. J’aimais bien la crèche, mais j’avais
des angoisses d’abandon, ma mère n’a pas compris parce que je suis fille unique. Mais je pense qu’il y a
rarement eu un enfant aussi désiré que moi parce que je suis née de la cinquième tentative de FIV avec
don d’ovocytes ! »
La psychologue : « Quelle pression ! »
Sian : « Oh non, c’est surtout moi qui me la mets. Je réfléchis trop. Mon mini-mémoire, c’est la panique,
je fais de la procrastination. Il faut que je le rende à temps, parce que je ne donnerai pas d’excuse pour le
rendre plus tard, je ne peux pas mentir. Je ne peux pas. »
La psychologue : « Vous avez le sentiment d’être seule ? »
Sian : « Non, plutôt d’être incomprise, un OVNI. Je me sens moins seule parce que j’ai réussi à trouver
des gens un peu comme moi, sensibles. Cela ne fait que un an que je me livre parce que j’ai compris que
mon père était usée et mon copain aussi. Mais j’ai tendance à être soulée si on me dit des trucs bateaux.
Je ne suis pas indulgente envers moi-même et je crois que je ne le suis pas trop avec les gens non plus. »
La psychologue ? « Vous êtes vulnérable à l’ennui ? »
Sian : « C’est horrible ! Je ne supporte pas l’ennui, je deviens folle. Il faut toujours que je fasse des
choses, mais je me disperse. »
La psychologue : « HPI ou pas HPI, on ne sait pas car vous n’avez pas été testée, mais votre
fonctionnement y ressemble même si ce n’est pas la seule dimension en cause dans vos difficultés. Vous
êtes très intelligente, mais vous avez besoin d’avoir un récit sur lequel vous appuyer pour vous poser,
parce que vous avez compris plein de choses, vous vous connaissez bien, vous en avez assez que l’on
vous dise des choses bateaux et vous voulez juste que cela s’arrête. Mais votre histoire est pleine de
trous, de trous de mémoire… Et ce que vous me dites, c’est que vous ne vous possédez pas vous-même :
vous n’arrivez pas à vous contrôler, contrôler vos émotions, vos pensées celles que vous qualifiez
d’intrusives, vos comportements : parler de la mort à votre copain, votre corps qui n’en fait qu’à sa tête.
Vous êtes devenue control freak, mais c’est l’extérieur que vous essayez de contrôler. Cela dure depuis
longtemps et c’est pire actuellement. Vous ne savez pas si c’est à cause de votre mini-mémoire à rendre,
du covid ou du déni de la mort de votre grand-mère. Ce ne sont que des histoires de dépossession.
Rendre un mémoire, c’est très satisfaisant, mais cela représente une dessaisie, et encore faut-il avoir une
mémoire (sourire), le covid nous dépossède de notre liberté de mouvements, de nos points de repère, de
notre possibilité de nous projeter, de notre confiance etc. et le décès de votre grand-mère, bien sûr c’est
une perte. Donc vous ne vous possédez pas, vous vivez un contexte de dépossession et justement votre
histoire commence par une dépossession. »
Sian : « Comment cela ? »
La psychologue : « Eh bien, ce n’est qu’à 16 ans que vous avez appris ce qu’il en était des origines de
votre histoire ou de votre pré-histoire… Depuis vous n’avez pas eu le temps de la mettre en récit toute
cette histoire. »
Sian : « Mais comme vous m’avez dit qu’il y avait plusieurs types de thérapie, je peux le faire avec vous
ce récit ? »
La psychologue : « Vous allez réfléchir aux différentes propositions que je vous ai faites et la semaine

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prochaine on verra ensemble ce qui vous convient le mieux. »

Extrait de la seconde séance : Sian est beaucoup plus calme et ne pleure ni ne rit durant toute la séance.
Son discours n’est pas confus.

Sian : « Je pense que j’ai beaucoup cogité depuis qu’on s’est vues. La séance m’a étrangement apaisée.
J’ai eu des angoisses, mais j’ai été assez calme par rapport à d’habitude, je me suis occupée et pas trop
laissée aller dans mon désespoir. En fait, c’est hier que j’ai eu une crise d’angoisse, mais à part hier, ça
allait plutôt bien. »
La psychologue : « Vous avez cogité sur quoi ? »
Sian : « Sur ce que vous m’avez dit par rapport au HPI. Juste le fait de savoir que je pourrais avoir ce
fonctionnement, que cela existe, que si c’est un fonctionnement, d’autres l’ont, cela m’a fait du bien,
cela veut dire que je ne suis pas toute seule. Et j’ai repensé à plein de choses, j’ai rembobiné la cassette
au travers du prisme du HPI. J’ai refait l’histoire. De mettre un mot sur quelque chose, de ne plus me
sentir seule, ça m’a fait du bien. Et sur la dépossession, c’est complètement juste. J’en ai parlé à ma
mère qui m’a dit qu’elle pensait que j’avais peur de finir les choses et je pense qu’elle a raison. Oui se
dessaisir de quelque chose, c’est une énorme peur pour moi. Donc je suis complètement d’accord avec
ce que vous avez dit et je vois tout à fait les liens. Mais je l’avais plus vu sous l’angle de l’abandon.
Donc, j’ai réfléchi aux différentes thérapies et je voudrais essayer ce que vous m’avez dit pour gérer
mieux mes émotions plus vite et puis faire le récit avec vous. »

Question 1 : Faites un relevé sémiologique, puis proposez une hypothèse diagnostique. (6 points)
Question 2 : Discutez deux diagnostics différentiels. (3 points)
Question 2 : Comment comprenez-vous la problématique de Sian ? (5 points)
Question 3 : Quelle (s) indication(s) thérapeutique(s) préconiseriez-vous ? Argumentez. (3 points)
Question 4 : A votre avis, pourquoi la psychologue a-t-elle choisi de mettre en avant la piste du HPI ?
(3 points)
(20 points)

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