Vous êtes sur la page 1sur 5

MASTER 2 DE PSYCHOLOGIE

SUJET D'EXAMEN

MISE EN SITUATION CLINIQUE

DNB4ED06

SESSION D’AVRIL 2022

Marie-Liesse Perrotin
Année 2021-2022

Après avoir lu attentivement la vignette clinique ci-dessous, répondez clairement aux questions
qui la suivent sans rédiger d’introduction ni de conclusion.
Cinq pages maximum, police Times 14.

Sujet :

Il s’agit de la retranscription de la première séance avec Florida (36 ans), métisse, mariée, un enfant,
professeur de piano au conservatoire. Florida a sollicité une consultation par téléphone et au vu de son état
d’angoisse, la psychologue l’a reçue le jour même.

Vignette clinique :

1
La psychologue : « Alors qu’est-ce qu’il se passe ? »
Florida : Ça ne va pas, je ne sais pas vraiment pourquoi. Ça fait plusieurs mois que je n’arrive pas à
dormir, je me réveille trois/quatre fois par nuit et je pense que là, j’ai atteint mes limites. C’est ma
collègue qui m’a dit d’appeler le médecin parce que je pleure en cours au conservatoire. Il m’a dit de
voir quelqu’un, qu’il fallait que je me repose et que je fasse une fois par jour quelque chose qui me fait
plaisir. C’était mardi. »
La psychologue : « Et vous tenez le programme ? »
Florida : « Un peu. »
La psychologue : « Pour vous faire plaisir aussi ? »
Florida : « Hier, j’ai fait une balade, j’aime marcher. »
La psychologue : « Il vous a prescrit des médicaments ? »
Florida : « Un anxiolytique. Je ne l’ai pas encore pris. »
La psychologue : « Pourquoi ? »
Florida : « Je ne sais pas… »
La psychologue : « Vous avez déjà connu des moments comme ceux-là ? »
Florida : « A ce point-là, non. Il y a eu des moments où je n’étais pas bien, mais il y avait une vraie
raison. Il y a trois ans, par exemple, après le décès de ma cousine. »
La psychologue : « Et là, vous n’identifiez pas de raisons ? »
Florida : « Si, je pense que la situation actuelle me stresse énormément, je suis hyper inquiète pour
l’avenir, j’ai peur pour mon enfant, je me sens totalement impuissante et totalement ridicule à pleurer
tout le temps, ça m’énerve de pleurer, j’en ai marre. Parce que je n’ai pas de vraies raisons, j’ai un enfant
qui m’aime, un toit, mon homme qui m’aime, je n’ai aucune raison. »
La psychologue : « Vous en avez forcément. La dureté de la situation actuelle par exemple, vous ne
l’hallucinez pas. »
Florida : « Je sais. »
La psychologue : « Vous m’avez parlé de cours au conservatoire ? »
Florida : « J’adore mon boulot, mais depuis la rentrée je n’arrive pas à m’y mettre donc je me dis qu’il
faut que je m’arrête. Je me suis toujours dit que si je ne faisais pas pleinement mon boulot, il fallait que
j’arrête. On nous demande de faire des choses qui ne me conviennent pas, on tire vers le bas. Je ne sais
pas ce qu’il va se passer après c’est hyper angoissant. »
La psychologue : « Vous imaginez quoi ? »
Florida : « Rien, je n’arrive pas à me projeter. »
La psychologue : « Qu’est-ce qui fait obstacle ? »
Florida : « Je ne sais pas. C’est normal ? »
La psychologue : « Cela peut l’être. »
Florida : « J’ai lu un article comme quoi Macron voulait que les études soient payantes que les étudiants
soient boursiers. Donc nous, on n’aura rien et on ne pourra pas payer pour notre fille. »
La psychologue : « Quand est-ce que votre mal-être s’est déclenché ? »
Florida : « A la rentrée. J’ai eu du mal aussi cet été je n’ai rien fichu, d’habitude je lis pour le travail,
j’écoute de la musique. Là, je ne me suis pas sentie motivée du tout. Et cette série de protocoles
sanitaires c’est du grand n’importe quoi et c’est surtout d’être malmenée, c’est la goutte d’eau. »
La psychologue : « Vous vous entendez bien avec vos collègues ? »
Florida : « Oui, nous sommes même amies. »
La psychologue : « Cela vous renforçait jusque-là ? »
Florida : « Il y en a une qui va certainement partir, toutes mes amies veulent quitter le conservatoire.
Alors je me dis : où est-ce qu’on va ? Après le travail, je donne des cours de solfège particuliers, trois
fois par semaine et je vois mes limites, je parle de plus en plus vivement. »

La psychologue restitue six caractéristiques qu’elle suppose être présentes chez Florida (comme
l’exigence). La patiente les confirme toutes.

2
La psychologue : « Ce que vous traversez ressemble fort à de l’épuisement. »
Florida : « Mon médecin a dit que c’était un état anxieux, mais a ajouté qu’il n’était pas psychiatre. Par
ailleurs, j’ai des insomnies depuis le premier confinement. »
La psychologue : « Alors le début des problèmes se situe là ? »
Florida : « Je ne sais pas. Toute ma vie, à la moindre contrariété, je pleure et je ne dors pas. »
La psychologue : « Et cela dure habituellement ? »
Florida : « Cela dépend. Là, je peux me réveiller et rester éveillée pendant 5 heures. Je me gave de
chocolat et je me déteste parce que j’ai une maladie auto-immune et sais que ce n’est pas bon tout ce qui
est inflammatoire. »
La psychologue : « Vous n’êtes pas tendre avec vous. »
Florida : « Je ne l’ai jamais été, mais on n’a pas non plus été tendre avec moi. »
La psychologue : « C’est la première fois que vous consultez ? »
Florida : « Non, j’ai vu une psychologue il y a 15 ans parce que j’avais besoin de faire le tri et un
psychiatre il y a 14 ans après la naissance de mon enfant parce que je n’arrivais pas à me dire que j’allais
la laisser pour aller travailler. J’ai discuté un petit peu, je l’ai vu pendant un bon moment : 6 mois. »
La psychologue : « Et vous avez trouvé quelle solution pour votre enfant ? »
Florida : « Une nounou et après la crèche. Elle était très heureuse et elle l’est toujours. »
La psychologue : « Et il y a 15 ans, pour faire le tri ? »
Florida : « Oui parce que j’ai un papa qui est spécial, totalement con, violent et pervers. Très
dévalorisant. Ma mère est blanche, mon père est noir, né à la Réunion. Il est venu tout seul en métropole
à 21 ans. Je suis née ici. Mes parents sont partis prendre leur retraite à la Réunion, mais ils appelaient
toutes les semaines, c’était très toxique. Ma mère est morte quand ma fille était petite, j’ai repris le
boulot, ma vie quand elle est morte et je vais dire quelque chose d’horrible : j’irai mieux quand mon
père ne sera plus là. »
La psychologue : « Vous allez parfois à la Réunion ? »
Florida : « Cela fait 6 ans que je n’y suis pas allée. »
La psychologue : « Et comment s’est passé le confinement par rapport au travail ? »
Florida : « J’envoyais tous les jours un mail à mes élèves et les faisais jouer de leur instrument sur
Zoom pour ceux de dernière année, mais j’étais dans des conditions idéales, dans une grande maison
chez des amis. Mais c’était anxiogène, il fallait gérer ma fille, s’occuper de ses devoirs. J’ai compris que
j’étais épuisée. J’ai appelé des copines, je leur ai dit que j’allais craquer. Certaines m’ont aidée à corriger
les devoirs de solfège, mais effectivement, il fallait toujours que je repasse derrière. J’ai quand même
levé le pied, mais j’ai bossé. Je n’ai pas repris tout de suite en présentiel. Là, j’ai craqué effectivement.
J’ai fait une visio avec mon médecin. Ma fille a fait une grosse allergie et le remplaçant de
l’allergologue m’a dit que si elle attrapait le covid, elle en mourrait donc j’ai eu peur de tout, je me suis
dit que si j’allais travailler et que je lui ramenais le covid… Donc je suis restée à la campagne et je n’ai
repris en présentiel qu’en juin. »
La psychologue : « Vous avez connu une frayeur considérable ! Votre mari et votre fille sont restés
avec vous ? »
Florida : « Oui, je ne peux pas vivre sans, on est toujours proches. »
La psychologue : « Donc vous vous êtes épuisée et en réalité depuis un moment, bien avant cette
rentrée et vous avez connu une grosse frayeur…
Florida : « Ça allait mieux, à un moment j’ai lâché, je n’ai plus eu peur. On n’a jamais été malades, ma
fille n’est jamais malade. »
La psychologue : « L’amour doit y être pour quelque chose. (Sourire) Donc vous avez repris en juin et
avez pris vos vacances en juillet ? »
Florida : « Oui. Je me rends compte que c’est débile, mais je reste toujours une semaine au travail après
le début des vacances pour ranger, trier les partitions. Et je reviens au moins une semaine avant la
rentrée. »
La psychologue : « Et vous êtes partie ensuite ? »

3
Florida : « Oui, un mois et demi. On est retournés à la campagne chez mes amis et avant en Bretagne et
en Picardie.
La psychologue reprend la chronologie et la symptomatologie actuelle de Florida.
Florida : « D’habitude j’ai plutôt des réveils matinaux. »
La psychologue : « Vous vous prenez le monde en pleine figure ? »
Florida : « Oui, exactement. Là, j’ai des réveils nocturnes, j’ai une boule et je procrastine. Ça fait très
longtemps que je sais qu’il faut que je consulte. L’amie qui m’a donné vos coordonnées me parle de voir
quelqu’un depuis la mort de ma cousine. Je n’ai pas fait mon deuil du tout. Je n’ai pas fait ce deuil, il y a
ça et mes parents.
La psychologue : « Vous n’avez pas épuisé cette question lors de votre thérapie ? »
Florida : « Je n’ai pas épuisé les conséquences, je les vis tous les jours. Je crois que je ne m’aime pas.
Je me demande si je ne suis pas super exigeante avec moi juste pour alimenter le fait que je ne m’aime
pas, me dire que je ne suis pas à la hauteur. Je pense aussi qu’on ne m’aime pas ou qu’on fait semblant.
J’ai une copine qui m’a dit que ce ne doit pas être facile d’être dans ma tête. Je pense que je suis moche,
triste, pas intelligente, ça fait beaucoup. Et j’ai très peur de la malhonnêteté. Nos amis de la campagne
nous ont acceptés chez eux en nous disant d’emblée qu’on resterait au moins là deux mois. C’est une
preuve d’amitié énorme, mais il a fallu que je me fasse violence pour me dire que ce n’était pas par pitié,
que c’est parce qu’ils m’aiment. Ça, merci maman, merci papa ! Et ce truc de pleurer tout le temps. »
La psychologue : « Vous êtes très sensible. »
Florida : « Oui. Je pense que c’est à cause de la violence chez nous (dans son enfance). Je me dis que
j’aurais dû faire quelque chose, mais j’étais une môme, je ne pouvais rien faire. Il y a eu des moments de
violence très forts et je m’en veux, mais j’avais huit ans. Une fois, par exemple, mon père nous a fait
descendre pour tabasser ma soeur et je m’en veux d’être descendue. Il nous a fait descendre dans le
jardin comme si on allait jouer, mais c’était pour la frapper. Maintenant, quand un enfant pleure j’ai une
accélération cardiaque et il faut absolument que j’intervienne, je suis déjà intervenue. »
La psychologue : « Vous êtes hypervigilante ? »
Florida : « Oui. »
La psychologue : « Et vous connaissez des temps de répit ? »
Florida : « Comme ce n’est pas conscient, oui. »
La psychologue : « Cela plaide aussi pour le contraire. »
Florida : « Dans mon immeuble, j’ai discuté avec une voisine qui tapait son fils. Je lui ai expliqué
qu’elle ne devait pas faire cela. Si j’entends des cris dans la rue, il faut que j’aille voir ce qu’il se
passe. »
La psychologue propose une construction contenant une préconisation et demande à Florida si elle
veut poursuivre le travail avec elle.
Florida : « Oui, je me sens en confiance. » Au moment de partir, elle ajoute : « Je voulais vous dire, je
ne suis pas vaccinée, mais je fais très, très attention. Cela vous pose un problème ? Je comprendrais. »
La psychologue : « Non, ne vous inquiétez pas. »
Florida : « On parlait de confiance, c’est la première fois que je le dis. Je ne l’ai dit à personne. »
La psychologue : « Vous avez bien fait de me le dire car ce doit être aussi une source de tension. »
Florida : « Enorme, en ce moment avec ce que l’on nous renvoie si on ne se vaccine pas… »
Question 1 : Faites un relevé sémiologique. (4 points)
Question 2 : Proposez une hypothèse diagnostique argumentée. (4 points)
Question 3 : Comment comprenez-vous la problématique de fond de Florida ? (6 points)
Question 4 : A votre avis, quelles caractéristiques de son fonctionnement la psychologue a-t-elle
restituées à Florida et pourquoi a-t-elle choisi d’évoquer préférentiellement la notion d’épuisement ?
(4 points)
Question 5 : Feriez-vous une préconisation à Florida ? Si oui, laquelle ? (2 points)
(20 points)

4
5

Vous aimerez peut-être aussi