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La Visualité du langage
L’Harmattan, 1998
La Langue et le Miroir
Livre en arabe
Dâr Bidâyât, Damas, 2006
Le Regard d’Orphée
Conversations avec Adonis
Fayard, 2009
Violence et Islam
Entretiens
Seuil, 2015
TRADUCTIONS
Adonis
Histoire qui se déchire sur le corps d’une femme
Mercure de France, 2008
Adonis
Le Livre (Al-Kitâb). Hier Le lieu Aujourd’hui
Trois volumes
Seuil, 2007, 2013 et 2015
ISBN 978-2-02-131122-8
www.seuil.com
Du même auteur
Copyright
Les épouses
Les concubines
Maria la copte
D’autres femmes
Celles qu’il a épousées, mais dont le mariage n’a pas été consommé
Les filles
Cheminer…
Sources bibliographiques
Notes
Muhammad fit un songe : l’Ange Gabriel lui présente dans un drap en
soie un bébé emmailloté et lui dit : « Voici ton épouse. Retire-lui son
voile ! » Muhammad s’exécute. L’insolence d’une vision ! La frayeur d’une
image ! Par deux fois le même songe. Par deux fois, le même visage.
C’était à Médine. C’était après que Muhammad eut perdu son épouse
Khadîja, la meilleure des femmes. Celle qui l’a protégé lui offrant amour,
argent et abri. Khadîja morte, Muhammad perdit son soutien le plus solide.
Il était désormais seul.
On raconte qu’une femme nommée Khaoula vint le voir et lui dit : « Ô
Messager de Dieu ! Pourquoi ne te remaries-tu pas ? Tu ne peux continuer à
vivre seul ! »
LES ÉPOUSES
Khadîja
« Elle crut en moi lorsque les gens m’ont abandonné. Elle me donna son
argent lorsque les gens m’en ont privé. Et elle fut la seule à m’avoir donné
des enfants », dira Muhammad à Aïsha.
Deux fois mariée avant ses épousailles avec Muhammad, deux fois
veuve, elle fut d’abord la femme de ‘Atîq ibn ‘Â’idh al-Makhzûmî dont elle
eut Hind ibn ‘Âtîq avant d’épouser Abû Hâla ibn Zurâra at-Tamîmî dont
elle eut Hâla. Femme immensément riche, elle refusera après son second
veuvage les demandes des prétendants et s’adonnera au commerce,
montrant un immense talent et un grand savoir-faire dans la fructification de
l’argent.
Cette histoire, celle que je viens de raconter, est fort célèbre. Elle est
relatée dans tous les manuels, écrite et réécrite. Je n’ai aucun mérite. Je n’ai
fait que la lire dans ses différentes versions afin de relancer mon récit qui
débute ici :
Après la mort de Khadîja, Muhammad est seul. Une femme, Khaoula
bint Hakîm, entre en scène et dit : « Ô Messager de Dieu ! Pourquoi ne te
remaries-tu pas ? Tu ne peux continuer à vivre seul ! »
Dans une autre version :
« Ô Messager de Dieu ! J’ai l’impression que la perte de ta femme t’a
fait perdre l’esprit.
– Elle était la mère des enfants et la maîtresse de la maison.
– Et pourquoi ne prends-tu pas celle qui te donnera sa tendresse et sa
présence comme Khadîja ?
– Qui ? questionne-t-il.
– Je connais aththîb (la non-vierge) et al-‘adhrâ’ (la vierge).
– Qui est aththîb et qui est al-‘adhrâ’ ?
– Sawda et Aïsha.
– Va et demande pour moi les deux. »
Sawda bint Zumu‘a
La petite rouquine
La gardienne du Coran
« Fille ! J’ai appris que le prophète ne te garde comme épouse que parce
que tu es ma fille » (‘Umar).
Dans une autre version : « Fille ! N’imite pas celle qui s’enorgueillit de
sa beauté et de son statut de favorite. J’ai appris que le prophète ne t’aimait
pas. Et si je n’étais pas ton père, il t’aurait répudiée. »
C’est par ces paroles que les historiens débutent leur récit.
Ô Prophète !
Pourquoi interdis-tu ce que Dieu a rendu licite
lorsque tu recherches la satisfaction de tes épouses ?
– Dieu est celui qui pardonne
Il est miséricordieux –
Zaïnab bint (fille de) Khuzaïma ibn al-Hârith ibn ‘Abdallah ibn Amrû
ibn ‘Abd Manâf, surnommée « la mère des pauvres ».
On raconte :
La bataille d’Uhud vit la défaite des musulmans. Muhammad dira : « Ils
(les mécréants de Quraïsh) nous ont battus parce que certains de mes
archers m’ont désobéi. Croyant à notre victoire, ils ont couru au butin en
abandonnant un point stratégique. L’ennemi en a profité pour nous prendre
à revers. » ‘Umar eut ces paroles : « ’Abdallah ibn Ubaï profère des
médisances à ton sujet. Il dit que tu n’es qu’un assoiffé de pouvoir et de
royauté, que jamais un prophète n’a subi une telle défaite. Permets-moi, ô
Messager de Dieu ! de le mettre à mort, lui et ceux qui tiennent les mêmes
paroles. Ils sont si nombreux. »
On raconte :
Afin de consolider son lien avec les Banû Khuzaïma en ce début d’hiver
de l’an 3 (décembre 625), Muhammad demanda au chef la main de sa fille
Zaïnab, veuve depuis un an.
Est-elle morte de maladie ? Du dépit d’avoir perdu un mari ? Lequel ?
D’une sombre mélancolie, celle qui ravit à l’être son désir de vie ? De quels
tourments fut-elle la prisonnière ? Des vestiges de l’enfance ou de la
blessure de voir la grandeur de l’âme foulée par les niaiseries et les vilenies
inhérentes à la vie du harem ? Plus silencieuse que le silence, plus mutique
que le mutisme, nous n’entendons pas le son de sa voix, mais celle du
prophète lui disant lorsqu’elle voulut affranchir une esclave noire : « Ne
vaudrait-il pas mieux nourrir un frère ou une sœur ? » Il se peut que son
ailleurs fût plus immense que les préceptes de son époux.
Grandeur d’une âme vouée à la dignité humaine, fragilité d’une femme
dont l’apparition, furtive tel l’éclair, n’est mentionnée que pour inviter les
musulmans à interroger leurs vocables et rétablir la vérité sur cette période
dite de la jâhiliya.
Doublement mère, Mère des croyants et Mère des pauvres, cette femme
généreuse au cœur lourd fut la première épouse du prophète à s’éteindre à
Médine. Elle sera ensevelie dans le cimetière al-Baqî‘. Quelques années
plus tard, Muhammad épousera Maïmûna, sa sœur.
On raconte :
Les trois coépouses recevaient les condoléances de la ville et se
réjouissaient de la mort de la rivale. Toutefois, ce bonheur fut de courte
durée car Muhammad demanda aux coépouses de nettoyer la chambre de la
défunte pour recevoir Oum Salama, réputée pour sa beauté surnaturelle et
son appartenance aristocratique.
Hind fille d’Abû Umaya
Oum Salama
« Lorsque le prophète se maria avec elle je fus meurtrie par les rumeurs
qui circulaient sur sa beauté. Mais lorsque je l’ai vue, je fus foudroyée. Sa
beauté était surnaturelle et surpassait tout ce que j’avais imaginé » (Aïsha).
Elle s’appelle Hind fille d’Abû Umaya. Sa mère est ‘Âtika fille de
‘Âmir. Et son cousin est Khâlid ibn al-Walid surnommé « le glaive de
Dieu ». Elle fut l’épouse de ‘Abdallah fils de Hilâl fils de ‘Abdallah fils de
Makhzûm dit Abû Salama (le père de Salama).
Avec son mari, Hind quitta La Mecque pour l’Abyssinie, terre d’asile où
elle donna naissance à son premier fils Salama. Le couple retourna à
La Mecque après la conversion de Hamza, l’oncle de Muhammad et de
‘Umar ibn al-Khattâb, le père de Hafsa.
Sa voix est précieuse. Elle laissa un témoignage sur la générosité du roi
Najâshi. Grâce à elle, nous savons que ce dernier a su accorder le droit
d’asile à la première vague des réfugiés en Abyssinie. Il leur a permis de
pratiquer librement leur religion et les a défendus contre les émissaires de
Quraïsh. Nous apprenons également que, après la conversion de plusieurs
notables de La Mecque, les musulmans réfugiés décidèrent de quitter la
terre d’asile pour le sol natal avant de partir définitivement pour Médine.
Oum Salama nous livre un récit où se mêlent le trauma collectif et la
tragédie de chacun :
« Lorsque le prophète autorisa les musulmans à émigrer vers Médine,
mon mari Abû Salama m’a mise dans une litière. J’avais mon fils dans mes
bras. Mais des hommes nous arrêtèrent disant à mon mari : “Nous ne
pouvons te laisser partir avec cette femme qui fait partie de notre clan !” Ils
voulurent m’arracher à mon fils qui hurlait et s’accrochait à moi. Mais ils
tiraient si fortement qu’ils réussirent à nous séparer. Mon mari fuit vers
Médine. Je fus séquestrée par les gens de ma tribu, les Banû Mughîra. Et
mon fils fut pris par les Banû Asad qui disaient : “Nous ne pouvons lui
laisser ce garçon qui nous appartient.” Je restai seule. Pendant un an, je ne
cessai de pleurer la perte de mon fils et de mon mari. Longues étaient mes
heures d’attente, interminables en ce lieu qui assista à mon drame, me
remémorant les jours et les nuits du bonheur conjugal. Je me souviens
encore de mes pleurs et de mes gémissements en ce lieu désert. Quelle
angoisse ! L’angoisse de perdre l’enfant à tout jamais et de ne plus revoir
mon mari. De longs mois de séparation, d’espoir, de désespoir, de prière et
de tremblement jusqu’au jour où un cousin eut pitié de mon âme. Il
intercéda auprès des deux familles afin que je puisse rejoindre mon époux.
L’on me rendit mon fils et je fis le chemin seule. La route fut longue. À
Tan‘îm, je rencontrai ‘Uthmân ibn Talha qui m’accompagna jusqu’à
Médine. »
Dans la nouvelle Cité, elle donnera naissance à ‘Umar, Durra et Zaïnab.
Abû Salama guerroya lors des deux batailles : Badre et Uhud. Touché
par une flèche, il fut soigné. Mais deux mois plus tard, le prophète lui
demanda d’affronter les Banû Asad. Il combattit avec bravoure, mais sa
plaie se rouvrit. On raconte que femme et mari se promirent fidélité afin de
se retrouver époux dans l’autre monde pour l’éternité. On raconte aussi que
son époux lui dit qu’elle pourrait se remarier avec un meilleur que lui. On
raconte qu’Oum Salama s’occupait de son mari et recevait les visites
de Muhammad qui venait régulièrement demander des nouvelles d’Abû
Salama, compagnon, cousin et frère de lait.
Le mari succombera un jour en la présence du prophète. Pauvre Oum
Salama après la déchirure de la séparation, la voici séparée de son mari
cette fois-ci à tout jamais. Elle prononça ces paroles : « Celui qui subit une
catastrophe et dit : “Nous revenons à Dieu. Seigneur épargne-nous dans
cette catastrophe”, Dieu exauce son vœu. » Le prophète lui fit ses
condoléances disant : « Seigneur ! Accorde-lui la patience dans cette
épreuve. Et donne-lui un meilleur époux. »
Elle restera dans les Annales comme une femme de sagesse dotée d’une
forte personnalité. Elle osa dire un jour à ‘Umar : « Chose extraordinaire,
fils de Khattâb ! Tu te mêles de tout au point de te mêler de la relation du
prophète à ses épouses. »
Et le jour où le prophète manifesta son mécontentement car ses femmes
demandaient la nafaqa (la pension), Abû Bakr réprimanda sa fille et ‘Umar
en fit de même. Lorsque les deux hommes tentèrent de blâmer Oum
Salama, elle s’écria : « Pourquoi vous mêlez-vous de nos affaires ? Si le
prophète voulait nous blâmer, il l’aurait fait. Et à qui demander si ce n’est
au Messager de Dieu qui est notre époux ? » Et lorsque les femmes
réclamèrent l’égalité devant l’héritage et qu’on leur expliqua que cette
inégalité était due à la participation des hommes à la guerre, elle dit avec
d’autres femmes : « Qu’il nous soit accordé le droit de livrer bataille
comme les hommes ! » Mais l’Ange Gabriel adressa aux femmes ces
versets :
La femme fatale
Elle disait : « Vous avez été mariées par vos pères, et moi, c’est Dieu
Lui-même qui m’a donnée à son prophète. »
Elle fut désignée par le Coran comme une égarée. Comment pouvait-
elle se soustraire au décret divin ? Ne subirait-elle pas le châtiment éternel
pour son égarement ? Devrait-elle s’enorgueillir d’avoir fait l’objet d’un
verset coranique ou se lamenter d’épouser celui qu’elle n’aimait pas ni ne
respectait ? Cependant, dans la crainte du châtiment éternel, elle obéit à la
voix de Gabriel et devint la femme de Zaïd.
Mais l’histoire n’est pas finie. Elle se poursuit ainsi ou ne fait que
commencer :
Un jour, Muhammad entra dans la maison de son fils adoptif qui était
absent. Son regard tomba sur Zaïnab qui se lavait les cheveux et il fut
foudroyé. Un jour, Muhammad entra dans la maison de son fils adoptif, qui
était absent et Zaïnab, sachant que Muhammad était là, se pressa de
« s’habiller et de sortir ». Un jour, Muhammad entra chez son fils qui était
absent. Et Zaïnab « s’habilla précipitamment » lorsqu’elle apprit que le
prophète était devant la porte et alla à sa rencontre. Un
jour, Muhammad entra dans la maison de son fils adoptif Zaïd qui était
absent et Zaïnab se hâta à courir vers lui en tenue légère. Un
jour, Muhammad entra dans la maison de Zaïd qui était absent et vit Zaïnab
en habit d’intérieur…
Terrassé par cette beauté surnaturelle qu’il ne connaissait pas, le
prophète recula en disant : « Seul Dieu détient la puissance. »
On raconte :
Accablé par cette vision bouleversante d’une beauté incarnée, le
prophète ne cessait de répéter : « Gloire à celui qui détient les cœurs. »
On raconte :
Zaïd lui dit : « Est-ce que Zaïnab t’a plu ? » Le prophète lui ordonna de
ne plus la connaître charnellement.
Une autre version :
« Le prophète tomba éperdument amoureux de Zaïnab que Zaïd
haïssait. Ce dernier demanda à Muhammad l’autorisation de la répudier. »
Une autre version :
« Muhammad, après avoir donné Zaïnab sans l’avoir vue à Zaïd, en
tomba éperdument amoureux lorsqu’il la vit et dit sa phrase : “Seul Dieu
détient la puissance.” Zaïnab, qui entendit la phrase, la répéta à son mari qui
en saisit le sens et se détourna d’elle. »
Une autre version :
« Après avoir vu Zaïnab, Muhammad connut les affres de l’insomnie et
Aïsha devina qu’il s’agissait d’un amour ardent. »
Quand tu disais
à celui que Dieu avait comblé de bienfaits
et que tu avais comblé de bienfaits :
« Garde ton épouse et crains Dieu »,
tu cachais en toi-même, par crainte des hommes,
ce que Dieu allait rendre public ;
– mais Dieu est plus redoutable qu’eux 8 […]
[…] quand Zaïd eut cessé tout commerce avec son épouse,
nous te l’avons donnée pour femme
afin qu’il n’y ait pas de faute
à reprocher aux croyants
au sujet des épouses de leurs fils adoptifs,
quand ceux-ci ont cessé tout commerce avec elles.
– L’ordre de Dieu doit être exécuté –
Il n’y a pas de faute à reprocher au Prophète
au sujet de ce que Dieu lui a imposé […] 9
Ce qui fut traduit par « poitrines » est al-jaïb, à savoir la fente qui peut
être sexuelle ou anale ou l’espace entre les deux seins. On oubliera la
signification de ce vocable dans le débat sur le voile, on omettra de
mentionner que le Coran ne signale nullement les cheveux à couvrir, que le
mot (cheveux) ne fait l’objet d’aucun verset coranique. En outre, les
hagiographes et les historiens ne s’arrêteront ni sur le devenir de Zaïd ni sur
la parole défaite et la paternité redevenue celle du sang. La pensée, en
souffrance, s’élude au profit de l’anecdotique au sein du harem depuis
l’arrivée de Zaïnab.
Le prophète, disent les différents récits, partageait ses cadeaux entre ses
épouses. Aïsha, étant sa préférée, en avait un de plus. Un jour Zaïnab
demanda à Fâtima, la benjamine de Muhammad, d’intercéder auprès de son
père. Ce dernier donna cette réponse :
« Fille ! N’aimes-tu pas ce que j’aime ?
– Que si !
– Alors ! Aime-la ! » (C’est-à-dire Aïsha.)
Fâtima fit part à Zaïnab de la réponse de son père.
Les histoires se suivent sur le même modèle : jalousie, rivalité,
complicité, haine et vilenie. Aïsha, Hafsa et Sawda qui savaient à quel point
le prophète haïssait les mauvaises odeurs étaient convenues de dire au
prophète qu’il avait une mauvaise haleine chaque fois qu’il sortait de chez
Zaïnab. Lorsqu’il allait chez Aïsha, celle-ci lui demandait s’il avait mangé
des maghâfîr (un mets qui donne une mauvaise haleine). Hafsa lui posait la
même question ainsi que Sawda. Lorsque le prophète répondait que Zaïnab
lui avait donné du miel, Sawda expliquait que la mauvaise haleine était
provoquée par le miel d’une abeille qui butinait et prenait son nectar d’un
arbre donnant une odeur désagréable. Aussi le prophète s’interdit-il « le
miel de Zaïnab ».
Anecdotes où se mêlent l’oral, l’anal et le génital. Les hagiographes
consignaient sous forme anecdotique les hostilités les plus farouches, la
haine la plus coriace, les jalousies les plus dévastatrices au sein du harem.
Mais jamais le miel ne sera pris dans une dimension autre que littérale. Ils
écriront simplement : « Le prophète s’interdit le miel de Zaïnab. » Était-ce
pour cette raison qu’elle devint la awwâha (celle qui gémit) ?
Zaïnab, dont la beauté foudroyante eut pour effet de défaire la parole
d’un prophète, une fois dans le harem devint une femme parmi d’autres.
Elle dira de temps à autre : « Vous avez été mariées par vos pères, et moi,
c’est Dieu Lui-même qui m’a donnée à son prophète. »
On se souviendra pendant des siècles de sa rivalité avec Aïsha. Mais,
personne ne dira comment la rose flétrissait, comment cette singularité de
femme s’évanouit, comment la puissance fut broyée et l’échine pliée,
comment la femme fatale devint une awwâha dont les plaintes emplissaient
l’espace de Médine. De même qu’on oubliera que depuis ce jour où le
regard du prophète croisa la belle Zaïnab, ce jour où le prophète manifesta
publiquement son impatience et les convives leur ambivalence, les femmes
portent le voile et l’adoption est bannie en islam.
Celles qui portent le voile aujourd’hui ne savent pas que le désir du
prophète pour la femme de son fils adoptif fut si incommensurable qu’il eut
pour effet d’imposer le voile et d’annuler la filiation symbolique, que, pour
cette Hélène de l’Arabie, le prophète revint sur une parole mémoriale qui
sera engloutie dans les méandres du désir. La filiation symbolique n’a pas
résisté à la puissance de la pulsion.
Ce fait ne sera jamais soulevé. On dira en revanche que « la femme se
hâta de s’habiller pour s’exposer au regard du prophète ». Manière
d’inscrire la tentation du côté de la femme, manière de la décrire comme
une Lilith. Si l’on pousse le raisonnement : afin de se hisser au statut de
Mère des croyants, la femme doit renouer avec la figure de Lilith.
Les historiens consignent des faits sans les interroger. Mais comment
celle qui bouleversa l’ordre de la Cité devint-elle une mélancolique ? Qu’a-
t-elle perdu ? Quelle était cette faute irrémédiable, cette perte au-delà de
toutes les pertes pour qu’elle passât le restant de ses jours à implorer le
pardon ? À qui et pour quelle raison ? D’avoir épousé le père après avoir eu
le fils ? Se lamentait-elle de ne plus être le miel convoité ? A-t-elle enfin
compris le sens d’avoir été une femme donnée puis reprise pour être
redonnée au nom du ciel à la convoitise des hommes ? À moins qu’elle ne
pleurât le trop de haine dont elle fit l’objet non seulement au sein du harem,
mais aussi au sein de la Communauté dont les assises n’étaient pas encore
fermement établies. On dira seulement qu’elle devint une awwâha (celle qui
gémit). Manière de dévoiler, tout en refoulant, l’intranquillité qui l’habitait.
La femme à la beauté ensorcelante fit œuvre de pénitence. Elle
s’interdira l’argent donné par ‘Umar et l’offrira aux pauvres, comme elle
refusera d’aller en pèlerinage après la mort du prophète.
Voir la terre natale était-ce si douloureux ? Revoir le pays de l’enfance
était-ce si amer ? Si douce est la retraite. Si noble est le refus.
Zaïnab ! Pourquoi ce refus de revoir La Mecque ? La faute fut-elle si
terrible qu’elle devait rester sans absolution ? Ou était-ce la douleur de
n’avoir convoqué la parole céleste que pour tomber dans la fournaise du
harem ? Une parmi d’autres.
Sawda refusa également d’aller à La Mecque. N’était-elle la femme
cruellement blessée ? Elle qui céda sa nuit à la coépouse seulement pour
s’épargner le statut de la répudiée du prophète, elle qui était la veuve d’un
homme mort dans une bataille pour le prophète. Après sa mort, elle pouvait
assumer pleinement ce geste de refus : ne plus voir cette Ka‘ba construite
par Abraham et Ismaël dans le bannissement d’Agar. Mieux vaut rester à
Médine. Pourquoi remuer les fantômes du passé ? N’a-t-elle pas, épousant
le plus juste des hommes, cédé sur le plus évident de ses droits d’épouse et
de femme ?
Elle refusera de faire le pèlerinage et restera avec Zaïnab al-awwâha.
Zaïnab sera la première épouse à mourir après Muhammad. Morte en
l’an 20 pendant le califat de ‘Umar, elle fut enterrée à al-Baqî‘. ‘Umar fit la
prière et ses neveux la confièrent à sa dernière demeure.
Temps de guerres.
Temps de guerres et de sexe.
Le sang des morts et des blessés se mêlait aux larmes des jeunes filles et
des femmes devenues captives. Elles perdaient leurs pères, leurs cousins,
leurs frères, leurs oncles et leurs époux, qu’ils fussent morts ou encore en
vie. Elles perdaient leur liberté et leur dignité. Elles devenaient les captives
de guerre. On les vendait, on les prenait, on les donnait comme cadeaux.
C’est selon.
Guerres interminables, grosses de tous les hommes engloutis, de toutes
les femmes brisées !
« Lorsque le Messager de Dieu partagea les captives de Banû Al-
Mustaliq, Juwaïriya, fille d’al-Hârith, devenait la propriété de Thâbit ibn
Qays. Sa beauté était telle que quiconque l’apercevait tombait sous le
charme. Elle vint trouver le prophète au sujet de sa captivité. Dès que je l’ai
vue sur le seuil de ma porte, je l’ai haïe. Je savais parfaitement que le
prophète allait être le captif de cette beauté », raconte Aïsha.
Oum Habîba
Safiya fille de Huyay ibn Akhtab ibn Sa‘ya. Elle fut l’épouse de Kinâna
ibn Abî Haqîq, le chef d’une citadelle de Khaïbar, poète et chevalier.
En l’an sept, le prophète décida d’affronter les juifs de Khaïbar.
Voici ce qu’on raconte :
Le père de Safiya ne cessait de manigancer contre le prophète de
l’islam, exhortant la tribu de Banû Quraïda à batailler contre les
musulmans. L’Ange Gabriel dit au prophète : « Dieu te demande de
marcher sur Banû Quraïda. » Muhammad confia le commandement à ‘Alî
et ordonna aux musulmans de ne faire la prière qu’une fois arrivés dans le
territoire de Banû Quraïda. On raconte que Gabriel prit l’apparence de
Dihya al-Kalbî (un homme de Quraïsh) chevauchant une jument blanche.
Les juifs furent assiégés dans leur citadelle pendant vingt-cinq jours. Les
musulmans creusèrent des fossés (khanâdiq) autour de la citadelle. Le siège
eut l’effet désiré. Les musulmans furent victorieux. Khaïbar tomba, les
hommes furent décapités et les femmes, captives.
Tabarî compte entre six cents et huit cents morts (et on dit : entre sept
cents et neuf cents assassinés). La guerre laissa un paysage de désastre : des
cadavres éparpillés sur un sol ensanglanté. Une femme riait. Elle riait de
dépit, de désolation, de ces rires qui sont en fait des gémissements. Le
prophète en fut informé. La femme demanda à être exécutée. Elle le fut.
Le chef de la tribu avili, ses vêtements en lambeaux et les mains
attachées autour du cou, fut amené devant le prophète qui dit : « Je ne
ressens aucun remords à te prendre comme ennemi. Celui qui se détourne
de Dieu, Dieu se détourne de lui. » Le prisonnier fut décapité.
C’était le père de Safiya.
Dotée d’une grande beauté, Safiya marchait sur ses dix-sept printemps.
Elle venait d’épouser Kinâna, le trésorier de Khaïbar. Le prophète le
questionna sur le lieu où était caché le trésor. Kinâna en nia l’existence.
« Si l’on trouve le trésor, tu seras condamné »,
dit Muhammad menaçant Kinâna qui continuait à nier. Le trésor fut
découvert et le mari de Safiya, décapité par Muhammad ibn Salama.
On lit : « Dihya al-Kalbî choisit la fille du chef afin qu’elle soit sa
captive. Elle regardait les hommes de sa famille dans l’avilissement de la
captivité et de la défaite pendant qu’elle cheminait avec Bilâl 14 à travers les
cadavres des gens de sa famille. »
Dans une autre version :
« On conduisit les femmes captives, dont Safiya et sa cousine. Tandis
que Safiya gardait le silence devant le spectacle de désolation qui engloutit
sa famille, sa cousine hurlait, s’arrachait les cheveux et poussait des cris.
Ayant appris que Bilâl avait massacré devant les deux jeunes filles les
membres de leur famille, il lui dit : “Es-tu dépourvu de cœur pour que tu
tues les hommes devant elles ?” Bilâl répondit : “O prophète ! J’ignorais
que tu n’approuverais pas. Je voulais qu’elles voient les débris de leur
famille .” »
Le prophète affranchit Safiya et l’épousa. Sa dot fut son
affranchissement.
Une autre version :
« Bilâl conduisait les captives à travers des endroits qui regorgeaient
d’assassinés parmi les juifs. On amena les deux femmes devant le prophète.
Tandis que Safiya demeurait silencieuse, sa cousine, les cheveux éparpillés
couverts de poussière et les vêtements en lambeaux, hurlait. Le prophète
détourna son visage disant : “Éloignez de moi cette diablesse” (shaytâna 15).
Il s’approcha de Safiya, la regarda tendrement et dit à Bilâl : “ La pitié a
déserté ton cœur au point de passer avec ces deux femmes devant des
assassinés parmi les gens de leur famille ?” Il mit son burnous sur Safiya,
signe qu’il la voulait pour lui. On ne savait si elle allait être épouse ou
concubine. Mais lorsqu’elle porta le voile, on comprit qu’elle faisait
désormais partie des Mères des croyants. Son affranchissement fut sa dot. »
On raconte qu’un homme nommé Abû Ayûb Khâlid ibn Zaïd veillait sur
le repos du prophète en cette nuit de noces et gardait son épée brandie. Au
lever du jour, le prophète sortant de la tente vit l’homme qui expliqua sa
présence ainsi : « Je craignais pour ta vie. Cette femme a tué son père, son
mari et son clan. Elle était mécréante. » Le prophète dit : « Seigneur !
Protège Abû Ayûb comme il a voulu me protéger ! » Il se souvenait d’une
femme qui, après la chute de Khaïbar, lui avait offert de la viande
empoisonnée alors qu’il était avec son compagnon Bishr ibn al-Burrâ. Ce
dernier mangea le premier et mourut.
Safiya fut d’abord installée dans la maison de Hâritha ibn An-Nu‘mân.
On raconte que les femmes des Ansâr se rassemblèrent pour voir la
nouvelle arrivée et que les épouses du prophète, dont Aïsha et Hafsa,
allèrent, déguisées, voir la nouvelle élue. Muhammad aperçut Aïsha, en
proie à la jalousie. Amusé, il lui demanda : « Qu’as-tu vu ? » Aïsha
répondit : « J’ai vu une juive. » Muhammad dit : « Ne dis pas cela. Elle
s’est convertie. Et son islam est sans tache. »
Oum Salama qui accompagna le prophète dans cette expédition nous
laisse ce témoignage : « Je suppose, dit-elle à ses coépouses, que vous
l’avez vue. Elle est très belle et le prophète l’aime beaucoup. Lorsqu’il la
remarqua, il la recouvrit de son manteau. Il n’a pas pu résister à cette beauté
exceptionnelle et fou de désir il n’a pas attendu le délai de viduité. Il a
ordonné le mariage sur-le-champ. Safiya étincelait comme un astre avec ses
bijoux. Elle était plus resplendissante que la lune. Le banquet fut dressé
avec les choses prises à Khaïbar. Pendant quatre jours et quatre nuits les
deux amants ne se sont pas séparés. »
Safiya quitta la maison d’emprunt pour s’installer dans la demeure du
prophète auprès des autres coépouses. Elle gardait le silence lorsqu’elle
entendait Aïsha et Hafsa se vanter d’être arabes quraïshites alors qu’elle
était la juive étrangère. Informé de son chagrin, le prophète eut cette
phrase : « Il fallait répondre : “Comment pourriez-vous être meilleures que
moi alors que mon époux est Muhammad, mon père est Aaron et mon oncle
est Moïse ?” »
Après la mort du prophète, bien que son épouse, elle restera la juive,
l’étrangère. Un jour, une servante se présenta devant ‘Umar ibn al-Khattâb
et lui dit : « Ô prince des croyants ! Safiya aime le samedi et ses liens avec
les juifs n’ont jamais cessé (tasil al-yahûd). » ‘Umar demanda à Safiya si la
servante disait vrai. Elle eut cette réponse : « Je n’aime plus le samedi
depuis que le Seigneur m’a donné le vendredi. Quant aux juifs, il y a parmi
eux des gens de ma famille. »
« Pourquoi cette accusation ? » dit-elle à la servante.
Celle-ci répondit :
« C’est le méfait de Satan.
– Pars, dit Safiya, tu es libre. »
Ô toi, le Prophète !
Nous avons déclaré licites pour toi
les épouses auxquelles tu as donné leur douaire,
les captives que Dieu t’a destinées,
les filles de ton oncle paternel,
les filles de ton oncle maternel,
les filles de tes tantes maternelles
– celles qui avaient émigré avec toi –
ainsi que toute femme croyante
qui se serait donnée au prophète
pourvu que le prophète ait voulu l’épouser ;
Ceci est un privilège qui t’est accordé,
à l’exclusion des autres croyants 17.
Elle sera désignée par le Coran comme « la croyante qui s’est donnée au
prophète ». Le cycle qui fit de Muhammad époux pour la première fois sur
la demande d’une femme, Khadîja, se clôtura par la demande d’une femme,
Burra rebaptisée Maïmûna. Prénom qui signifie : celle qui apporte le
bonheur et la fortune.
Les trois jours du pèlerinage terminés, les Quraïshites demandèrent au
prophète de quitter La Mecque. Celui-ci dit : « Pourrai-je célébrer mon
mariage ici ? Je vous inviterai à partager notre repas. » Les Quraïshites
firent cette réponse : « Nul besoin de ton repas. Pars d’ici. »
Muhammad partit avec ses gens. La tente fut levée à Sarif à quelques
kilomètres de La Mecque. Le mariage eut lieu en Shawwâl de l’an sept.
On ne sait rien d’autre sur Maïmûna, sauf que le mariage fut de courte
durée, que le prophète tomba malade alors qu’il se trouvait chez elle.
C’était son jour, mais elle accepta qu’il s’installât chez sa coépouse, Aïsha.
On raconte également qu’elle demanda à être enterrée à Sarif, le lieu où elle
eut sa nuit de noces avec Muhammad. Elle sera ainsi la seule à ne pas
reposer dans le cimetière al-Baqî‘ à côté des autres coépouses.
Elle mourut en l’an 51 ou en 61 de l’hégire. On emmena « avec
douceur » son corps jusqu’à Sarif où elle fut inhumée. La prière fut célébrée
par son neveu ‘Abdallah ibn Al-‘Abbâs, le transmetteur des hadîths.
LES CONCUBINES
Raïhâna fille de Zaïd
Raïhâna fille de Zaïd ibn ‘Amrû ibn Khunâfa, surnommée Raïhâna as-
sabtiya (la juive, littéralement celle qui honore le samedi).
Elle fut captive en l’an 6 lors d’une bataille du prophète contre les
Quraïda.
Les récits la concernant comprennent beaucoup d’incertitudes. On dit
qu’elle avait le choix entre sa religion et l’islam et qu’elle choisit l’islam.
Le prophète lui donna une dot et l’épousa en l’an 6 de l’hégire après qu’elle
eut ses menstrues. Il lui imposa le voile qu’elle refusa. Le prophète la
répudia, mais attendri par ses pleurs il la reprit.
Une autre version :
Tombée en captivité en l’an 6 de l’hégire, le prophète la prit à cause de
sa grande beauté. Il lui proposa de se convertir, mais elle refusa. Il demanda
à Ibn Sa‘ya de lui enseigner l’islam. Ce dernier lui parla longuement de la
nouvelle religion et de la place de l’élue qu’elle aurait dans le foyer du
prophète.
On raconte :
« Le prophète était avec ses compagnons lorsqu’il entendit les pas d’Ibn
Sa‘y. Il dit : “C’est Ibn Sa‘y qui vient m’annoncer la conversion de
Raïhâna.” Le prophète demanda à Oum Al-Mundhir de la garder chez elle
jusqu’à ce qu’elle eût ses menstrues. Elle devint l’une des épouses et elle
porta le voile. »
On lui attribue ces paroles : « J’avais un époux qui me chérissait. Mais à
l’issue de la guerre, je devins une captive. Je fus présentée à Muhammad. Il
me choisit et me confia à la maison d’Oum Al-Mundhir jusqu’à l’apparition
de mes menstrues. J’y suis restée jusqu’à la mort des prisonniers et la
distribution des butins. Le prophète vint me voir. Timide, j’attendais. Il me
dit : “Si tu choisis Dieu et son prophète, le prophète te choisit pour lui.” Je
répondis : “Je choisis Dieu et son prophète.” Le prophète m’affranchit,
m’épousa après m’avoir donné une dot. Il m’imposa le voile. »
On raconte que le prophète aurait dit : « Si elle avait demandé
l’affranchissement des Banû Quraïda, je les aurais affranchis. »
Mais d’autres versions relatent qu’elle refusa d’épouser le prophète et
qu’elle choisit de rester une concubine :
« Le prophète la choisit pour sa grande beauté. Mais elle refusa de
quitter sa religion. Fou de désir, le prophète l’isola et demanda à Sa‘d ibn
Sa‘y d’intercéder en faveur de la bonne religion. Il dit : “Si tu te convertis,
tu seras au prophète de Dieu.” Il insista sur cette place privilégiée de la
compagne du prophète — une femme au-delà des autres femmes — et parla
longuement de l’honneur de goûter au plaisir de devenir une femme élue
par l’Élu de Dieu. Elle accepta alors de se convertir. Muhammad l’installa
chez Oum Al-Mundhir bint Qaïs en attendant qu’elle ait ses menstrues et
qu’elle se purifiât. Celle-ci informa le prophète que Raïhâna était prête. Le
prophète vint la voir et dit : “Je pourrai t’affranchir si tu le souhaites, tu
deviendras ainsi mon épouse. Et si tu veux, tu es milkî (tu es ma propriété,
ce que je possède). À toi de choisir.” Elle fit cette réponse : “Ô Messager de
Dieu ! Il m’est plus facile d’être parmi mâ malakat al-yamîn”.”Fakânat fî
mulk al-yamîn (Elle fut une possession du prophète). Yata’uhâ hattâ mâtat
‘indahu (Il la prit jusqu’à sa mort, littéralement : il était sur elle jusqu’à sa
mort). Elle faisait ainsi partie des femmes esclaves autorisées pour le
prophète qui la posséda jusqu’à ce qu’elle mourût chez lui. »
On raconte qu’elle fut affranchie et devint l’épouse de Muhammad, ou
bien qu’elle fut affranchie et qu’elle retourna auprès de sa famille, ou bien
encore qu’elle était restée concubine. Cette dernière version est la plus
probable car, si elle était devenue l’épouse légitime du prophète, elle aurait
porté le nom de Mère des croyants. Or, elle ne l’était pas. La captive resta
concubine.
Son histoire est truffée d’imprécisions. Mais une chose est certaine :
avant sa captivité, elle était la femme de Hakam.
Tellement occupés à énumérer les femmes du harem, à effacer les traces
de douleur chez ces femmes et à protéger l’anesthésie des hommes, les
historiens restent secs comme le climat de l’Arabie. Le style est aride et la
pensée opératoire.
Les premiers émigrants vers l’Abyssinie, qu’ont-ils éprouvé ? Comment
était le chemin de l’aller ? Faisait-il chaud ou froid ? Les exilés,
marchaient-ils le jour ou la nuit ? Quels paysages ont-ils rencontrés ?
Quelle trace a laissée la mer dans les sillons de leur mémoire ? Comment
était la terre d’asile ? Quelle langue parlait le peuple ? Vainement
cherchons-nous un arbre ou une fleur. Les récits sont blancs : aucune odeur,
aucune couleur. Ni voix chantante ni musique, prohibées par ‘Umar. Ni la
beauté d’une colline, ni les ondulations d’une montagne ni la fraîcheur d’un
soir d’été. Vainement cherchons-nous le murmure d’un ruisseau, la brise du
matin, la couleur du crépuscule, le ciel étoilé ou le chant d’un rossignol. On
ne se soucie nullement des coutumes des pays, des villes et des tribus, de
leur vie sociale, économique et culturelle. Les lieux diffèrent, les guerres se
poursuivent, mais le récit demeure le même. Et au fil des guerres, les
épousailles.
Toutefois, cette femme qui devient captive que ressent-elle ? Sa famille
disséminée, sa fortune pulvérisée, son orgueil broyé, avait-elle le cœur à
célébrer un mariage, à festoyer devant les cadavres et les lambeaux de sa
famille ? Et son époux qu’est-il devenu ? Est-il mort exterminé dans la
bataille ou est-il resté avili parmi les captifs ? On ne sait. Le récit dit
seulement ceci : on décapite les hommes et on prend les femmes. Le décor
transmis est celui des seules batailles et des têtes tranchées. Et les femmes
qui étaient des épouses avant de devenir des femmes du prophète ou des
concubines, nous ne les voyons pas pleurer. Nous ne les entendons pas
sangloter. Sécheresse du cœur ou de la plume ?
Guerres et épousailles. Sur le sol arrosé du sang des humains, on plante
des tentes pour les nouveaux mariages. Le mari est mort ! Vive le mari !
« Les femmes étaient heureuses d’être des élues ». Étaient-elles à ce point
dépourvues d’affects et de pensées ? Étaient-elles dotées de cette capacité
inouïe d’effacement de toutes les empreintes de leur vie passée ?
Raïhâna ne devint pas une Mère des croyants.
Il se peut qu’elle ait préféré le statut de la concubine à celui de l’épouse.
Manière fière de partager le sort d’un clan vaincu, manière mélancolique et
noble de dire la douleur de la défaite, de continuer à être l’épouse légitime
de celui à qui elle jura fidélité. Tout avilie et milk al-yamîn qu’elle était, elle
tenait à la seule chose qui lui restait : son orgueil et son refus de trahir les
siens. Plutôt prise qu’épouse consentante. Plutôt concubine qu’épousée.
Plutôt concubine que Mère des croyants. Elle ne se donne pas. On la prend.
Raïhâna. Celle dont le prénom exprime le parfum laissa un parfum de
noble refus, d’orgueil et de dignité.
On dit qu’elle mourut après le pèlerinage d’adieu en l’an 10 et fut
enterrée à al-Baqî‘. Elle ne transmettra pas de hadîths et elle restera
Raïhâna as-sabtiya.
Maria la copte
On raconte :
Après avoir pris connaissance du message, le gouverneur dicta à son
scribe :
« J’ai lu ta lettre et saisi le message quant aux principes auxquels tu
nous convies. Je savais qu’un prophète allait venir. Mais je pensais qu’il
serait originaire du Shâm. J’ai honoré ton messager et t’adresse deux
esclaves d’une grande valeur, une monture nommée Daldûl, du tissu, du
musc et du miel. Je te salue. »
Le gouverneur d’Égypte déclina l’invitation à se convertir mais offrit de
l’or, du tissu, une jument, un âne, du miel de la région de Binhâ, un
eunuque nommé Mâbûr et deux femmes : Maria et Sîrîne, deux sœurs qui
vivaient dans le palais du gouverneur.
Le cortège quittait la terre d’Égypte vers l’Arabie. Chaque pas disait ses
adieux au Nil, aux palmiers, au sol aimé, au lieu de l’enfance. Quel sera
leur destin sur cette terre qui accueillit jadis Agar ?
Le cortège arriva à Médine. La nouvelle se répandit à la vitesse de
l’éclair : deux femmes superbement belles arrivèrent de la terre d’Égypte,
cadeau pour le prophète. Celui-ci prit Maria qu’il installa dans la maison de
son compagnon fidèle Al-Hârith ibn An-Nu‘mân près de la Mosquée et
donna sa sœur Sîrine à son poète Hassân ibn Thâbit.
Les épouses furent dévorées par le feu de la jalousie car le prophète
allait souvent voir la belle Égyptienne et passait des heures du jour et de la
nuit chez elle. N’était-il pas réellement épris d’elle au point de transgresser
la loi du partage et d’équité ? Hafsa ne le trouva-t-il pas avec elle dans sa
chambre et sur son lit ?
Nous savons que Hafsa se fâcha, que le prophète lui promit de
s’interdire Maria, que Gabriel le réprimanda (« Ô prophète ! Pourquoi
interdis-tu ce que Dieu a rendu licite ? »), que Hafsa divulgua le secret du
prophète (« Lorsque le prophète confia un secret à l’une de ses épouses et
qu’elle le communiqua à sa compagne »), que Gabriel réprimanda Hafsa et
Aïsha (« Si vous vous soutenez mutuellement contre le prophète, sachez
que Dieu est son maître »), que Dieu menaça de donner au prophète de
meilleures épouses (« S’il vous répudie, son Seigneur lui donnera en
échange des épouses meilleures que vous »), que le prophète quitta ses
femmes, qu’il répudia Hafsa, que Gabriel eut pitié de ‘Umar, qu’il demanda
à Muhammad de reprendre Hafsa par compassion pour ‘Umar, que ce
dernier menaça de trancher la gorge à sa fille d’avoir désobéi au prophète,
que ce dernier pardonna, qu’il revint vers ses épouses au bout de vingt-neuf
jours, qu’Aïsha fut comblée de le revoir auprès d’elle.
Voyant l’hostilité des coépouses, Muhammad installa Maria à ‘Âliya à
cinq kilomètres de Médine. Et « kâna yastakthiru minhâ », il la fréquentait
intensément (au sens de la rencontre charnelle). Un jour, Maria lui annonça
la bonne nouvelle : elle portait son enfant. Immense fut la joie
de Muhammad, lui qui à soixante ans et depuis la mort d’Al-Qâsim et de
‘Abdallah qu’il avait eus avec Khadîja n’avait toujours pas de descendance
mâle. Il était surnommé al-abtar (le castré). Ce garçon à venir allait le
sauver de l’injure.
La nouvelle se répandit à la vitesse de l’éclair. Les hagiographes diront
des femmes de Muhammad « dânnat butûnnuhuna », qui signifie : leur
ventre fut parcimonieux, il a refusé la générosité du don, il était avare.
Atterrées, les coépouses, souvent en conflit, se rapprochèrent et racontaient
à qui voulait l’entendre que l’enfant n’était pas de Muhammad mais du
copte qui accompagna Maria de l’Égypte et qui demeurait à son service.
Médine était fiévreuse. Le prophète se sentait bafoué et tiraillé par le
doute. Était-ce un adultère ? Maria n’était pas une épouse, mais, mâ
malakat al-yamîn (elle était sa propriété). Toutefois, la question avait son
importance car portait sur la paternité de celui qui était le prophète de la
Communauté.
Le tonnerre grondait sur Médine. ‘Alî prit la parole : « Un copte, cousin
de Maria, alla souvent la voir. Le Messager de Dieu me dit : “Prends cette
épée. Si tu le trouves chez elle, tue-le.” Je répondis : “Ô Envoyé de Dieu, je
serai comme le fer rouge et me hâte à exécuter ton ordre. Le témoin ne voit-
il pas ce que l’absent ne peut voir ?” J’y allais avec mon épée. Je trouvai le
copte chez elle. Lorsqu’il me vit brandir mon épée, il s’enfuit en
s’accrochant à un palmier. Je revins chez le prophète et l’informai de la
fuite du copte. Le prophète dit : “Gloire à Dieu qui purifia les Gens de la
maison.” »
Une autre version : « Un copte nommé Mâbûr allait voir souvent Maria,
mère d’Ibrâhîm, Le prophète me dit : “Prends ton épée. Si tu le trouves chez
elle, tue-le.” Je répondis : “Je serai tranchant et vif. Celui qui voit n’est pas
comme celui qui ne voit pas.” Je brandis mon épée et courus. Je le trouvai
chez elle. Il me vit avec l’épée et comprit que je désirais le tuer. Il se sauva.
Il grimpa à un palmier et sauta dans un puits. Je le tuai avec mon épée et
allai en rendre compte au prophète. » Néanmoins, le doute ne fut pas
dissipé. Le prophète resta inquiet jusqu’à ce que Gabriel vînt l’appeler :
« Père d’Ibrâhîm ».
Une autre version : « Un copte nommé Mâbûr allait voir souvent Maria,
mère d’Ibrâhîm, Le prophète me dit : “Prends ton épée. Si tu le trouves chez
elle, tue-le.” Je répondis : “Je serai tranchant et vif. Le témoin n’est-il pas
plus au courant que l’absent ?” “Si, dit Muhammad. Celui qui voit n’est pas
comme celui qui ne voit pas.” J’allai chez Maria et trouvai l’homme chez
elle. Je brandis l’épée. Il s’enfuit, grimpa au palmier et sauta dans un puits.
Je le rattrapai. Dans le combat, je le vis amsah (n’a pas d’organe masculin,
dépourvu de virilité). J’en informai le prophète qui loua Dieu. »
L’histoire continue ainsi : « Le prophète alla chez Maria qui était prise
par les douleurs des contractions, soutenue par sa sœur Sîrîne. Elle espérait
qu’il resterait auprès d’elle jusqu’à l’accouchement. Mais il partit à ses
affaires demandant à son esclave Salmâ, femme d’Abû Râfi‘, qui aida
Fâtima à accoucher de ses deux enfants, d’aller auprès de Maria afin de
l’aider à accoucher. Salmâ et son mari allèrent à ‘Âliya. Abû Râfi‘ se pressa
d’apporter la bonne nouvelle à Muhammad : Maria a mis au monde un
garçon. » Le prophète fut tellement heureux qu’il lui offrit un esclave et
partit voir Maria. Il entra « avec un beau sourire et la félicita de la bonne
délivrance, prit l’enfant, l’embrassa, déposant dans ce baiser toute la
tendresse de son cœur ». Et il dira : « Son fils l’affranchit. »
Une autre version :
Il partit voir Maria, prise par les douleurs de l’accouchement. Elle aurait
aimé qu’il restât à ses côtés, mais il la laissa avec sa sœur Sîrîne et alla à
Médine. Il demanda à son esclave Salmâ de rester auprès de Maria. Après
un certain temps, Abû Râfi‘ vint lui annoncer la bonne nouvelle. Le
prophète fut heureux, un sourire aux lèvres, il partit chez Maria pour la
féliciter. La médisance emplissait les rues de Médine. Le prophète fut
ressaisi par le doute, mais, pour la seconde fois, Gabriel intervint pour
innocenter la femme aimée. Il dit : « Le salut sur toi, père d’Ibrâhîm ! »
Apaisé, le cœur plus serein, Muhammad affranchit Maria disant :
« A‘taqahâ waladuhâ, son fils l’affranchit. » Le baptême eut lieu sept jours
plus tard. Muhammad égorgea un bélier et se rasa le crâne.
Ibrâhîm avait à peine deux ans lorsqu’il tomba malade.
Anas ibn Mâlik raconte : « J’ai vu Ibrâhîm en train d’agoniser dans les
bras du Messager de Dieu. Les yeux de celui-ci étaient remplis de larmes et
il dit : “Les yeux te pleurent et le cœur est brisé. Nous ne pouvons dire que
ce qui contente le Seigneur. Je jure par Dieu que nous sommes tristes.” »
On raconte que le décès de l’enfant fut suivi d’une éclipse. Dotée d’une
âme, la nature épousait la douleur des humains. Immense fut le chagrin du
ciel au point de porter le deuil et de bannir la lumière.
Pour Maria, cette lumière fut son fils, la prunelle de ses yeux, l’enfant
qui la consolait dans l’exil et l’éloignement. À ‘Âliya, hormis sa sœur
et Muhammad, elle ne voyait personne. Boudée par les épouses du
prophète, elle vivait seule. Ibrâhîm était sa consolation. En lui se
condensaient l’amour pour le Nil et ses rivages, la verdure des jardins, le
jaune du désert, l’ocre de la terre, le clapotis de l’eau, le bruit des vagues, la
langue de l’enfance et la joie de la maternité. Ibrâhîm qui la fit mère
renouait avec le palimpseste de la mémoire. L’esclave de l’Égypte qui
donna une descendance à Muhammad tissait un lien indéfectible avec Agar.
Mais, celui qui était sa fierté, son orgueil et sa revanche sur les épouses,
n’est plus.
Pourtant, on dit qu’elle prit exemple sur le prophète récitant : « Nous
sommes à Dieu et nous retournons à Lui. » « Elle fit preuve de patience. »
Le prophète dit : « Si Ibrâhîm avait vécu, j’aurais affranchi ses oncles
(maternels) et j’aurais aboli le tribut pour les coptes. »
Ibrâhîm parti, les oncles restaient des étrangers à la Communauté et
devaient payer le tribut. Ibrâhîm n’est plus, le lien est irrévocablement
défait. Cependant, Maria seule et esseulée frappée au cœur de sa maternité
fit « preuve d’une grande patience ».
Un an après la perte d’Ibrâhîm, Muhammad mourut. La voici
doublement thaklâ (endeuillée). Au chagrin de perdre le fils s’ajoute celui
de perdre le père du fils. Elle vécut recluse, ne voyant que sa sœur, ne
sortant que pour se recueillir sur la tombe de son prophète et celle de son
fils. Seule jusqu’à sa mort. Elle rendit l’âme pendant le règne de ‘Umar, en
l’an 16.
Elle vécut cinq ans après le prophète, six ans après le décès de leur fils.
‘Umar pria sur elle et elle fut enterrée à al-Baqî‘ en la présence des
compagnons du prophète.
« Hasbuhâ annahâ dakhalat hayât ar-rasûl (Il lui suffit d’avoir été dans
la vie du prophète) et qu’elle ait conçu de lui un enfant. Que Dieu prenne
Maria bint Sham‘ûn dans sa miséricorde. Que la bénédiction soit sur elle »,
écrivent les historiens.
Elle se convertit à l’islam, mais elle ne cessera jamais d’être Maria la
copte. Elle porta le voile, mais restera la concubine. Elle fut la mère
d’Ibrâhîm, mais elle n’accédera pas au statut de Mère des croyants. Elle fut
et restera dans la mémoire collective l’esclave affranchie.
Oum Shabîb, Safiya fille de Shâma, Oum Hâni’ fille d’Abû Tâlib, une
femme dont on ignore le nom qui fut captive, qui avait le choix entre son
mari et le prophète et qui choisit son mari, une nommée Al-Jandiya (mais
les chroniqueurs ne sont pas tous d’accord), Dubâ’a fille de ‘Âmir ibn Qart
ibn Salama, et Nu‘âma, une captive des Banû ‘Anbar.
« Quelle est cette terre désertée par la mère, le père et les sœurs ?
Abandonnée, je me sens étrangère dans le pays où je suis née, où j’ai grandi
et me suis mariée. Les morts comme les vivants sont tous partis me laissant
seule. Seule et tourmentée entre l’amour filial et l’amour pour le mari ; un
mari qui continue à adorer les idoles désavouées par celui qui m’a donné la
vie. Mais, j’aime mon mari. Je suis sa femme et la mère de ses enfants.
J’étais heureuse d’être la fille de l’un et l’épouse de l’autre. Mais
aujourd’hui la guerre oppose l’un à l’autre. On dirait que les deux hommes
se mesurent et se haïssent. Qui va triompher de l’autre ? Qui va exterminer
l’autre ? J’ai choisi de rester dans la maison de mon mari, la mienne, sur
une terre qui me devient de plus en plus hostile. Je ressens l’inimitié de
ceux qui me reprochent d’être la fille de Muhammad. »
L’inévitable guerre eut lieu. La bataille de Badre opposa les musulmans
aux idolâtres de Quraïsh. Ceux-ci ont été vaincus et beaucoup d’hommes,
dont Abû l’Âs, tombèrent en captivité. Sa famille voulait le racheter en
payant une grande rançon. Mais Zaïnab, pour le délivrer, envoya à son père
ce qu’elle avait de plus cher : le collier offert par sa mère. Nous lisons :
« Les Mecquois voulurent racheter leurs enfants captifs et envoyèrent de
fortes rançons. Zaïnab joignit à l’argent le collier que sa mère lui avait
offert le jour de son mariage. Lorsque l’Envoyé de Dieu vit le collier, il
éprouva une grande pitié et dit : “Accepteriez-vous de libérer son mari et de
lui rendre son argent ?” Les musulmans acceptèrent et Abû l’‘Âs recouvra
sa liberté. »
On raconte que l’époux était ému, qu’il courait afin de retrouver sa
femme. Mais il se souvint de la promesse faite au prophète : il devait rendre
Zaïnab à son père. Il ne pouvait revenir sur sa parole sans entacher sa
réputation d’al-amîn (le fidèle). Lorsque Zaïnab courut vers lui pour se jeter
dans ses bras, il recula et dit qu’elle lui était désormais interdite. C’était le
prix de sa liberté.
Alors qu’ils étaient proches l’un de l’autre, s’étendait entre eux le
gouffre de la séparation. Le jeune homme dit : « Prépare-toi ! Tu dois
rejoindre ton père. »
« Je ne saisissais pas ce qu’il me disait. Ses mots étaient dépourvus de
sens. Ne l’avais-je pas racheté avec ce que j’avais de plus cher ? N’avais-je
pas refusé de le quitter ? Mais le voilà qui dit : “L’islam nous a séparés.”
Mon cœur fut brisé en cet instant. La fille du prophète ne peut demeurer
avec un ennemi du prophète. Mais il est mon époux, l’homme que j’aime.
Terrible choix ! Que dis-je ? Nul choix. Le tonnerre ne serait pas plus
foudroyant ni la foudre plus accablante. La fille du prophète, malgré son
amour pour son époux, doit rejoindre son père. Je ne retrouverai mon père
qu’au prix de perdre mon époux. Et les deux me sont chers. Le premier m’a
donné la vie, le second m’a ouvert sur la vie. Pourquoi devrais-je y
renoncer ? Et mes enfants ? Quel est ce ciel qui m’impose une telle
affliction ? Mon père a exigé et mon mari a donné sa parole. En fait, j’ai
délivré de la captivité le captif d’une promesse. Quelle est cette injustice qui
me fait plus la fille de mon père que la mère de mes enfants ? »
Elle suivit son beau-frère Kinâna ibn Rabî‘ qui la conduisit à travers les
rues de La Mecque. Ce spectacle provoqua la colère des Mecquois : n’était-
elle pas la fille de leur ennemi qui avait fait périr leurs frères, leurs maris et
leurs fils ? Comment osait-elle déambuler ainsi au vu et au su de tout le
monde ? On ne vit pas que son cœur saignait d’avoir subi en peu de temps
les frappes du destin.
« J’avais le cœur qui saignait. L’idée de revoir mon père et mes sœurs
m’emplissait de joie et de chagrin. Chaque pas qui me rapprochait d’eux
m’éloignait davantage de ce que je chérissais dans ma ville natale. J’étais
tiraillée entre deux devoirs, deux désirs et l’impossibilité de proférer une
parole qui serait mienne. Je retrouverai la tendresse paternelle au prix de
renoncer à ma maternité. Et cet enfant que je porte dans mon ventre naîtra
loin de son père. Que sera son destin, lui, le petit-fils du prophète et le fils
d’un idolâtre ? Reverrai-je un jour mon foyer ou l’ai-je perdu à tout
jamais ? »
Meurtrie, elle se laissa conduire à travers les rues de La Mecque. On
l’injuria. On la poursuivit. À Wâdî Tiwâ, un nommé Hubâr ibn al-Aswad
ibn ‘Abd al-Muttalib brandit sa lance contre elle alors qu’elle était dans sa
litière. Elle se mit à saigner. Kinâna, son beau-frère, la protégea. Mais il
décida de rebrousser chemin et de sortir de la ville à la tombée de la nuit.
Sur le chemin du retour, Zaïnab continuait à perdre son sang et fit une
fausse couche. Son mari se précipita pour alléger ses deux blessures. Après
quelques jours passés auprès d’Abû l’Âs, elle repartit pour Médine laissant
son âme à La Mecque. Outre la perte, l’angoisse sur les routes d’une
nouvelle attaque et d’une nouvelle humiliation. Celle qui était comblée
venait de tout perdre. Elle n’a même plus son bébé pour la consoler des
deux enfants laissés à La Mecque. La litière cheminait vers une ville
inconnue au destin incertain. Elle arriva enfin à l’endroit où l’attendaient les
deux messagers de son père. Le père accueillit une fille meurtrie. Il
condamna Hubâr et son ami Nâfi’ ibn ‘Abd Qaïs al-Fihrî à être brûlés. On
dit qu’il revint sur cette sentence disant : « Seul Dieu punit par le feu. Si
vous arrêtez ces deux hommes, tuez-les ! »
On ne raconte pas comment Zaïnab vécut ces six années de séparation
avec ses enfants et son époux, ni comment les enfants grandissaient loin de
leur mère. Cependant, on peut l’imaginer hurlant en silence et faner chaque
jour davantage, en proie à la culpabilité d’avoir laissé la chair de sa chair,
déchirée entre le fol espoir et le désespoir, coupable d’être la fille du
prophète et de haïr secrètement le ciel. Elle resta déchirée… jusqu’au jour
où son mari se convertit à l’islam. Il alla à Médine et dit l’attestation de foi.
On raconte que Zaïnab entendit sa voix et se hâta à le retrouver.
« Bienvenue, cousin, bienvenue, père de ‘Alî et de Oumâma. » Le prophète
autorisa le remariage de sa fille avec Abû l’‘Âs.
Longues étaient les années de séparation ! Terrible fut le chagrin de
l’éloignement ! Le temps se mesure au poids de la joie ou du chagrin. Les
deux époux se retrouvaient de nouveau sous le même toit, sous les
bannières de la même religion. Cependant, Zaïnab, terrassée par autant
d’épreuves, ferma les yeux un an après les retrouvailles avec son époux et
ses enfants. Elle ferma les yeux à tout jamais. Elle n’a vécu que pour serrer
contre elle ceux qui lui étaient chers. Affaiblie par la perte du sang répandu
sur le désert de l’Arabie, accablée par la perte d’un bébé mort avant d’avoir
goûté à la vie, tourmentée par les longues années d’attente, elle partit. Elle
quitta ce monde en l’an 8 de l’hégire laissant deux enfants qui n’ont vu que
furtivement leur mère.
Partie. Elle ne verra pas sa fille Oumâma, encore trop jeune, remplacer
sa tante Fâtima dans la couche de ‘Alî.
Ruqaya
« L’assiégée »
Nous lisons :
Un jour, alors que ses forces commencèrent à la quitter, Khadîja dit à
Oum Kalthûm :
« Je souhaite vivre jusqu’à la fin de ces malheurs. Je mourrai alors
heureuse. »
Oum Kalthûm s’écria :
« Que ta vie soit longue, mère ! »
Khadîja poursuivit :
« Fille ! Aucune femme de Quraïsh n’a été aussi comblée et aussi
heureuse que moi. Aucune femme dans le monde n’a goûté au bonheur que
j’ai eu. Il me suffit d’être l’épouse de l’aimé, la femme de l’élu. Il me suffit,
pour l’au-delà, que je sois la première musulmane, la première à avoir cru
en lui et que je sois Oum al-Mu’minîn (la Mère des croyants). »
Muhammad, qui arrivait pour annoncer la fin du siège, trouva Khadîja
couchée se préparant à rencontrer son Seigneur. « Elle était rassurée et
pouvait quitter ce monde. Le prophète était auprès d’elle. Il lui annonçait le
bonheur qui l’attendait au paradis. »
Elle ferma les yeux devant le regard de ses deux filles anéanties par la
douleur.
Pauvre Oum Kalthûm qui devait désormais materner la petite sœur qui
n’avait, somme toute, que six ans et le père, doublement frappé, car il
perdait sa femme et son oncle Abû Tâlib. Oum Kalthûm, dans cette
abnégation, dans ce sacrifice de soi, dans cet oubli d’elle-même ne proférait
aucun son. Ni mère, ni père présents, ni sœurs, ni mari, ni personne qui
puisse la prendre dans ses bras, la secourir, essuyer ses larmes, écouter sa
plainte de jeune femme esseulée, l’entendre raconter ses soucis et sa
douleur.
Le père vivait au rythme des hostilités. On raconte qu’un Quraïshite jeta
de la terre sur lui, qu’Oum Kalthûm lavait son père et sanglotait. Le
prophète dit : « Ne pleure pas, fillette. Le Seigneur protège ton père. »
Muhammad sentit qu’il ne pouvait rester à La Mecque. Les Ansâr lui
ouvraient leurs cœurs et les portes de leur ville. Il fit ses adieux à ses filles,
la petite Fâtima et Oum Kalthûm restées momentanément à La Mecque qui
se vidait de tout ce qu’elles chérissaient.
Nous lisons :
Le jour des funérailles, le prophète dit : « Celui qui n’a pas touché à une
femme hier, celui-là peut mettre Oum Kalthûm dans sa tombe. » ‘Uthmân
baissa la tête et recula. Abû Talha s’avança et mit le corps de la défunte
dans la terre.
Une autre version :
Le prophète dit : « Ne descends dans la tombe que celui qui n’a pas
touché à ses femmes cette nuit. Y a-t-il parmi vous un homme qui n’a pas
touché à ses femmes ? » ‘Uthmân ne répondit pas. Baissant la tête, il recula.
Abû Talha répondit : « Moi, ô Messager de Dieu ! » Le prophète dit : « Tu
peux descendre et la mettre dans sa tombe. » Toutefois, il rassura ‘Uthmân
en disant : « Si j’avais une troisième fille, je te l’aurais donnée. Et si j’avais
cent filles, je te les aurais données l’une après l’autre. »
N’est-ce pas la figure de Barbe-Bleue ?
Pauvre Oum Kalthûm ! Tu fus mise dans la tombe par les mains d’un
autre homme.
Le mémorial ouvre sur cette violence inouïe : la femme n’a même pas
été pleurée et son corps à peine froid, le mari se servait déjà dans la chair
d’une autre.
Si la mort est scellée par l’acte des funérailles, ce dernier dira à quel
point Oum Kalthûm fut bafouée et la mémoire outragée. L’acte des
funérailles ouvre sur cette blessure de la mort. « ’Uthmân recula. » Oum
Kalthûm n’a même pas eu le respect dû, au-delà de la morte, à la mort.
Violente façon d’en finir avec le motif du double.
Celle dont la maternité est inscrite dans la chair du nom ne donna pas
d’enfants. N’avait-elle pas en elle suffisamment de vie pour se prolonger à
travers ceux qui perpétuent la vie ? Morte Oum Kalthûm d’avoir été
l’assiégée de ce don de soi dans le sacrifice et le chagrin d’une vie.
Elle est partie laissant l’homme « aux deux lumières » qui « recula »
sans verser de larmes.
Il n’a pas pleuré.
Il a seulement reculé.
Pas une larme.
Fâtima
La fille déshéritée
On raconte :
Timide, ‘Alî n’osait pas faire la première fois sa demande en mariage.
La seconde fois, il dit : « Dhakartu Fâtima, je parle de Fâtima. » Le
prophète répondit : « Ahlan wa sahlan, sois le bienvenu. » La troisième
fois, il osa poursuivre : « Je désire demander la main de Fâtima. » Le
prophète le questionna : « Qu’as-tu à lui donner ? » Il répondit : « Je n’ai
rien. » Mais le prophète lui rappela une cuirasse qu’il gagna après la bataille
de Badre. On dit qu’il partit en courant chercher la cuirasse, la vendit et
retourna voir le prophète avec les quatre cent soixante-dix dirhams que
‘Uthmân lui donna comme prix. Ce fut la dot de Fâtima. Khadîja n’étant
plus de ce monde, c’est l’une des épouses du père, Oum Salama, qui
prépara la jeune mariée.
Elle avait dix-huit ans. Après la prière du soir, le prophète bénit le
mariage. Fâtima continuait à pleurer. Mais son père lui dit qu’il la laissait
chez le musulman à la foi inébranlable, à la science immense et à la haute
moralité.
Fâtima, en cette nuit de noces, a certainement pensé à sa mère perdue
trop tôt. Son père l’aurait-il donnée à ‘Alî si sa mère était encore de ce
monde ? Elle l’aurait sûrement protégée. N’était-elle pas la plus riche et la
plus noble de Quraïsh ? Pourquoi l’avait-elle abandonnée ?
Abandonnée ! La maison de ‘Alî étant loin de la demeure
paternelle, Muhammad demanda à son voisin Hâritha ibn An-Nu‘mân de lui
céder sa maison afin que Fâtima ne fût pas loin de lui. Elle restait proche de
son père. Mais on raconte que sa vie était faite de misère : un hiver, les deux
époux étaient couchés sur leur lit khashin (rugueux, dur) essayant de dormir
en vain à cause du froid qui était qâris. Qâris se dit d’un insecte qui pique,
du froid qui pénètre la chair, agresse la peau, la lacère et ne cesse de la
zébrer jusqu’au saignement. La porte s’ouvrit. Et le Messager de Dieu
rentra. Il les trouva recroquevillés sous une couverture trop courte et sans
épaisseur qui ne pouvait couvrir ni la tête ni les pieds. Le père fut si saisi
par la triste scène qu’il eut les larmes aux yeux.
Sa vie jalonnée de deuils et de misère, Fâtima était aux prises avec
l’angoisse de perdre son père lors d’une bataille ou de voir affluer d’autres
veuves, butin du père ou d’un mari réputé pour sa rudesse. On parle à son
sujet de ghalâza, ̣ sarâma, khushûna, dureté, sévérité et rudesse. On raconte
que le foyer était souvent secoué par les disputes et que le prophète disait
lorsqu’il arrivait à réconcilier les deux époux : « Comment ne pas être
heureux alors que je viens de rapprocher les êtres les plus chers à mon
cœur ? »
Cependant, un jour, Fâtima apprit que ‘Alî désirait se remarier. Il avait
en effet demandé la main de la fille de ‘Amrû ibn Hishâm ibn al-Mughîra
Al-Makhzûmî. Fâtima alla voir son père et dit ces paroles : « ’Alî veut
épouser la fille d’Abû Jahl. »
La polygamie était autorisée. C’est même le père-prophète qui la fixa
par le Texte. Et les musulmans avaient épouses et concubines. Le prophète,
âgé de cinquante-sept ans, était l’époux de Sawda, Aïsha, Hafsa, Oum
Salama, Zaïnab… La loi islamique était donc du côté de ‘Alî. Et Fâtima
savait parfaitement que son mari ne transgressait en rien la loi coranique.
Cependant, la fille interpella son père. Et le père souffrait de la souffrance
de sa benjamine, la plus chère de ses enfants, celle qui lui donna des petits-
fils, Hasan et Husein, les enfants de la chair. Il dit un jour : « Tous les
enfants appartiennent à leur père, excepté les enfants de Fâtima. Ils sont
mes enfants. » Comme il dira : « Ce sont mes fils et les fils de ma fille. Je
les aime. Seigneur ! Aime-les et aime ceux qui les aiment ! » N’a-t-il pas dit
à Fâtima le jour où il entendit Husein pleurer : « Ne sais-tu pas que ses
pleurs me chagrinent ? » Fâtima eut une fille après les deux garçons. Et le
prophète l’appela Zaïnab en souvenir de sa fille Zaïnab. Deux ans plus tard,
elle eut une quatrième fille que le prophète nomma Oum Kalthûm. Il était
heureux de ces naissances, lui qui perdit l’une après l’autre ses filles
enterrées à Médine, qui portait dans ses entrailles le corps de son père
‘Abdallah éteint, alors qu’il était encore dans le ventre de sa mère Amîna,
morte lorsqu’il avait six ans.
La phrase de Fâtima était courte. Incisive. Pourtant, elle exprimait la
colère, le refus, l’indignation et la détresse. Et le prophète qui accorda aux
hommes le plaisir de la polygamie bravera pour sa fille les règles qu’il a lui
même établies et dira haut et fort devant la Communauté : « Je n’interdis
pas ce que Dieu a rendu licite ni n’autorise ce qui est interdit. Mais Dieu
n’accepte pas que la fille du Messager de Dieu et la fille de l’ennemi de
Dieu soient sous le même toit. Si ‘Alî désire prendre une autre épouse, qu’il
divorce d’abord avec ma fille. »
Certes, Abû Jahl était un ennemi farouche et cruel et Muhammad rendit
sa mort licite. Il fut décapité et sa tête posée devant le prophète qui loua le
Seigneur. La fille de cet homme pourrait-elle être la coépouse de Fâtima ?
Ceux qui relatent l’histoire oublient qu’Oum Habîba épousa le prophète
alors qu’elle était la fille d’Abû Sufyân, réputé pour son incommensurable
haine pour Muhammad, que la fille d’Abû Jahl était née musulmane et que
le prophète avait des épouses dont les pères étaient hostiles à la nouvelle
religion. Muhammad ajouta : « Je crains que Fâtima ne souffre dans sa
foi », sa foi dans l’amour d’un père qui poursuivit : « Fâtima minnî. Fâtima
est une partie de moi. Ce qui la chagrine me chagrine. »
Une partie de lui, si profondément inscrite dans sa chair qu’il lui promit
sur son lit de mort qu’elle ne lui survivrait pas.
On raconte qu’en cette année 11 de l’hégire, Fâtima alla voir son père
en pleurant et qu’elle souriait en partant. Son père lui promit sur son lit de
mort qu’elle serait la première à le rejoindre. Les deux destins étaient ainsi
scellés. À la vie, à la mort. Père et fille liés par une promesse. Nulle vie
pour la fille après la mort du père. Nul départ pour le père s’il n’est suivi de
celui de sa fille.
Le prophète meurt. On se rassemble à Saqîfa. On oublie de l’enterrer
pendant qu’on discute de la succession. Le cadavre oublié commence à
exprimer sa présence par l’odeur qui s’en dégage. Comment laisser la terre
se repaître de l’être immensément cher ? N’est-il pas celui sur qui elle
portait tout l’amour qu’elle éprouvait pour sa mère ? Et par son amour, le
père tentait de panser la béance de la douleur provoquée par la perte de la
mère. Il ne le savait que trop, lui, qui vécut la perte de sa mère exactement à
l’âge où sa fille perdait la sienne. N’est-ce pas pour cette fille qu’il a bravé
les lois du ciel en criant devant la communauté : « Fâtima minnî » ? Ne lui
a-t-il pas promis d’être la Dame du paradis lorsqu’il serait le seigneur le
jour du Jugement dernier ?
À Saqîfa, ‘Umar écarta les Ansâr, les gens de Médine, faisant triompher
ainsi la loi de la tribu. Il imposa Abû Bakr, mecquois et beau-père du
prophète, comme calife. On raconte que ‘Alî, cousin et gendre
de Muhammad, désirait succéder à la tête de la Communauté et que Fâtima
refusa de prêter allégeance à Abû Bakr.
Pourquoi ce refus ? Par amour du pouvoir ?
Lisant entre les lignes, nous trouvons avant le vœu de mort une
promesse de vie : Fâtima refusa de faire allégeance à Abû Bakr non pas
parce que son époux avait été écarté du pouvoir, mais parce que le nouveau
calife lui refusa le fadak promis par le père alors qu’elle était encore une
petite fille.
Tabarî relate l’événement en quelques lignes des six volumes qui
constituent Les Chroniques :
Abû Sâlih Ad-Darârî raconte. Il dit : « ‘Abd Ar-Razzâq ibn Hammâm
nous dit d’après Ma‘mar, d’après Az-Zahrî, d’après ‘Urwa, d’après Aïsha
que Fâtima et Al-‘Abbâs allèrent chez Abû Bakr afin de demander
l’héritage qui leur échoyait après la mort du prophète sur lui le salut et la
paix. Ils demandaient leur part de la terre de fadak. Mais Abû Bakr leur dit :
“J’ai entendu l’Envoyé de Dieu dire : ‘On n’hérite pas de nous. Ce que nous
laissons est une aumône.’ Et je jure que je n’abandonnerai pas
l’enseignement de l’Envoyé de Dieu.” Fâtima le désavoua et ne lui adressa
plus la parole jusqu’à sa mort.” »
Abû Bakr poursuivit : « Je ne peux le faire bien que tu sois plus chère
que ma fille Aïsha. » Fut-elle vraiment l’objet de son amour ou la demande
en mariage signifiait-elle le désir de renforcer davantage le lien
avec Muhammad « auquel Abû Bakr aurait tout donné » ? Ce « tout » des
historiens est loin d’être simple. Quelle rivalité entre ces deux êtres (la
femme et l’homme, la fille et le compagnon) dans l’approche amoureuse ?
Réclamant le fadak, Fâtima signifiait qu’elle était la fille de son père et
non d’un prophète. Elle réclamait l’héritage du père pour retrouver sa place
de fille, elle qui était la mère de son père. On raconte que lorsque le
prophète dit que ses épouses seraient les Mères des croyants, elle s’écria :
« Et moi ? » Et Muhammad de répondre : « Si elles sont les Mères des
croyants, toi tu es ma mère. » Insolite généalogie qui l’institue comme la
mère de son père, lui qui s’est proclamé le père des enfants de la fille. Elle
demanda l’héritage afin de retrouver sa place de fille au sein de la
généalogie et pouvoir remettre en mouvement les sentiments figés par la
confusion des places et des générations. Son père lui promit qu’elle ne lui
survivrait pas. Elle acquiesça à ce désir du père. Néanmoins, avant de
mourir elle souhaitait se réapproprier sa place dans la filiation.
Mais l’héritage lui fut refusé. Elle s’enfermera chez elle et boudera alors
la Communauté qui condamnait la fille à demeurer sans héritage. ‘Umar,
plus explosif qu’un volcan, aussi froid que l’acier, ira la voir pour la
menacer. Inflexible, telle une Antigone, elle osera lui rappeler les lois de la
filiation. Devenu Maître de la Cité du vivant d’Abû Bakr, il ne supportait
pas l’affront d’une femme. L’ancien prétendant éconduit par le prophète
frappa la fille du prophète. Elle fut battue alors qu’elle était enceinte. Elle
perdit l’enfant qu’elle portait. L’orpheline devint thaklâ (mère endeuillée).
Outragée, elle, la fille de celui qui fut le guide pour la Communauté, malade
et frêle, elle resta néanmoins inébranlable quant à son désir. Et faute d’avoir
eu l’héritage prometteur de vie, elle s’abandonna à la promesse de suivre
son père. Elle se mura dans son silence. La mort ne pouvait être plus
mutique. Sa maison deviendra la Maison des afflictions, bayt al-ahzân,
aujourd’hui détruite par les wahhabites qui rasent tous les vestiges.
Dans cette maison qui était la sienne, « elle fondait chaque jour de
chagrin. Ses enfants la regardaient avec tristesse, l’éclat de ses jolis yeux
s’éteignait petit à petit. La mort marchant vers elle afin qu’elle rejoignît son
père et ses sœurs bien-aimées ». Elle meurt quelques semaines après son
père. Son dernier lieu sera inconnu. Enterrée en secret, sa tombe se trouvera
dans trois lieux différents, effritée ou composée comme une figure du rêve.
Fâtima ! Toi l’inflexible qui fus battue, toi qui perdis ton enfant parce
que battue. Toi qui osas affronter celui qui désirait te posséder et qui fut
éconduit, tu ne le verras pas prendre ta fille en mariage prématuré.
‘Umar qui n’a pas obtenu Fâtima aura sa fille, une fois la mère morte, et
Oumâma, la fille de Zaïnab, remplacera sa tante Fâtima dans le lit de ‘Alî,
l’homme à l’immense science et à la haute moralité dont la mort de Fâtima
le délivra de la monogamie.
ET GABRIEL LEVA LE VOILE
Aïsha
La petite rouquine
On raconte :
Dans l’immensité du désert, par une nuit étoilée, après s’être lovés sur
les zébrures du sable, après avoir assouvi la faim qui tiraillait leur jeune et
beau corps, deux amants cheminent lentement vers la caravane. La femme
est assise sur le dos du chameau et l’homme tient la bride.
On parlera peu de l’homme, mais beaucoup de la femme. Il s’appelle
Safwân. Et elle, Aïsha. Elle est l’épouse du prophète, l’une des épouses du
prophète. La plus chère, dit-on, et la plus jeune. Aïsha, l’amante de l’Aimé
de Dieu.
Médine est en effervescence. On devise à Médine. On médit à Médine :
l’épouse du prophète est adultère. « Qui pourrait la blâmer ? Safwân est
plus jeune et plus beau que Muhammad », osent dire certains. Mais aussi :
« Il faut la répudier car elle a entaché l’honneur du prophète et a compromis
la prophétie. »
Alitée, ignorant ces rumeurs, Aïsha remarque que son époux a changé.
Il est moins tendre, plus sévère, soucieux. N’est-elle plus sa bien-aimée ?
L’élue, celle que le ciel donna à son Envoyé ?
1.
Se pensant possédé, Muhammad allait se jeter de la falaise, mais il fut
arrêté par l’Ange et rejoint plus tard par Khadîja et son ami fidèle Abû
Bakr, venu lui annoncer la nouvelle de l’accouchement de sa jeune épouse
Oum Rûmân. Grâce à l’assistance de Khadîja, la jeune mère fut délivrée.
Oum Rûmân souffrait car le bébé ne voulait pas sortir. On alla chercher
Khadîja car ses mains avaient la vertu d’apaiser son époux lorsqu’il était
souffrant. La Dame de Quraïsh vint mettre ses mains sur le ventre d’Oum
Rûmân. Sans elle, la jeune mère serait peut-être morte.
Abû Bakr, déjà père de ‘Abdallah et d’Asmâ’, nés d’un premier
mariage, poursuit : « Oum Rûmân mit au monde une fille, une rouquine. »
On dit qu’il fut effrayé par sa rousseur et qu’il ne savait pas s’il allait la
garder vivante. Muhammad fit remarquer qu’à cette heure l’Ange Gabriel
s’était montré à lui. Elle s’appellera Aïsha, la Vivante, fille de ‘Abdallah ibn
‘Uthmân ibn ‘Âmir ibn Ka‘b ibn Sa‘d ibn Tîm ibn Murra ibn Ka‘b le
Quraïshite et d’Oum Rûmân bint ‘Âmir de la tribu de Kinâna.
Elle est née après la Révélation.
Cheveux flamboyants, peau blanche et taches de rousseur, Aïsha était
dotée d’une admirable beauté et d’une grande vivacité d’esprit. Remarquant
l’intelligence de sa fille, le père lui inculqua des rudiments du savoir :
histoire des peuples et des tribus de l’Arabie, leurs généalogies, les piliers et
les arcanes du monothéisme musulman. Toutefois, comme toute petite fille,
elle aimait jouer et s’amuser avec ses amies. Elle aimait rire de ce rire
enfantin qui emplissait l’horizon et donner des réponses savantes qui étaient
des paroles de petite fille.
Nous lisons :
« La voix de Muhammad, l’ami de son père, se fait entendre :
“Voilà de drôles de jouets.
– Ce sont des chevaux ! répond Aïsha qui venait juste d’avoir six ans.
– Les chevaux n’ont pas d’ailes, rétorque-t-il.
– Et les chevaux de Salomon ?
– Tu es bien savante, petite rouquine !” »
Elle aurait pu continuer à jouer comme joue toute petite fille, à se
balancer au rythme de la balançoire qu’elle chérissait ou avec les poupées
qu’elle appelait ses petits. Elle aurait pu continuer à grandir comme
grandissent les petites filles. Mais elle fut propulsée à l’âge de six ans vers
un destin singulier. Elle fera son entrée dans l’Histoire sur la parole d’une
femme jointe à la vision d’un ange présentant à Muhammad un bébé
emmailloté.
On raconte que Khaoula dit au prophète de Dieu :
« Ô Messager de Dieu ! Pourquoi ne te remaries-tu pas ?
– Qui ?
– J’ai aththîb (la non-vierge) et al-‘adhrâ’ (la vierge). Laquelle choisis-
tu ?
– Qui est aththîb et qui est al-‘adhrâ’ ?
– Sawda et Aïsha.
– Va et demande pour moi les deux. »
Dans une autre version :
« Si Sawda consent au mariage, dit le prophète, demande-lui de
chercher un témoin. Ensuite, va et demande pour moi Aïsha. »
Dans une autre version :
« Tu ne peux rester seul ô Messager de Dieu, dit Khaoula. Il y a aththîb
et al-‘adhrâ’. La première est Sawda qui est veuve car son mari est mort
lors de la première bataille contre les Quraïshites.
– C’est bien, dit le prophète. Maintenant, dis-moi qui est la vierge.
– Aïsha, la fille de ton meilleur ami Abû Bakr.
– Tu iras d’abord chez Sawda. Si elle accepte ta proposition, qu’elle
cherche un homme pour nous marier. Ensuite va voir Abû Bakr.
– C’est un grand honneur pour l’une et pour l’autre », dira Khaoula.
Sawda répond que son sort est entre les mains du Messager de Dieu.
Abû Bakr, en revanche, est perplexe. Sa fille est déjà promise au fils de l’un
de ses associés. En outre, elle est trop jeune pour un homme qui pourrait
être son grand-père. Il trouve à dire : « Comment donner ma fille à mon
frère ? » Et le prophète de répondre : « Nous ne sommes frères qu’en islam.
Ce mariage est licite. Et ta fille me convient (tasluhu lî). » Dans une autre
version : « Nous ne sommes frères qu’en islam et c’est Aïsha que je veux. »
Le prophète de Dieu prendra pour femme Sawda en attendant qu’Aïsha
grandisse. On lit : « Accaparé par les affaires politiques, il prit Sawda car il
lui fallait une femme dans son foyer et dans son lit. Et Sawda était une
experte et non une novice nécessitant du temps, de la patience et de
l’attention. Pendant qu’il se satisfaisait auprès de Sawda, il rêvait d’Aïsha. »
Aïsha apprit de sa mère la nouvelle de ses fiançailles avec le prophète,
mais elle continua à jouer avec ses poupées dans l’ignorance de ce qui était
en train de se tramer pour elle.
On interdit à la petite rouquine de sortir de la demeure paternelle car
elle est désormais la fiancée du prophète. Les fillettes continuent à lui
rendre visite pour jouer avec elle. Parfois, Muhammad se joint à elles.
Lorsqu’ils sont seuls, il lui raconte des histoires fabuleuses. La fillette est
charmée par la beauté de l’extraordinaire et sa magie. Elle l’écoute avec
ravissement comme sait écouter un enfant lorsqu’on déploie devant ses
yeux les horizons du fabuleux et qu’on l’invite à voyager dans les contrées
de l’imaginaire.
Fille de l’islam, pétrie de son enseignement, elle demande ce qu’elle
doit faire pour plaire au Tout-Puissant. « Chérir sa parole et la respecter »,
répond le futur époux.
2.
« Encore ! Plus fort », dit-elle à ses amies qui la poussent à la
balançoire. Ses cheveux flamboyants s’éparpillent dans l’air. Son souffle est
haletant et son rire, à la hauteur de sa joie.
De ce monde du jeu de la balançoire, elle se trouve propulsée dans un
univers qui fera d’elle l’épouse du prophète. Elle avait neuf ans, dans
d’autres versions huit ans. En fait, les mois du calendrier musulman sont
lunaires. Neuf ans dans le calendrier de l’hégire équivalent aux huit ans du
calendrier de l’ère chrétienne.
« Nous étions à Médine, dans la maison d’Al-Hârith, raconte Aïsha. Le
Messager de Dieu arriva. Des hommes et des femmes s’assemblèrent autour
de lui. Ma mère vint vers moi alors que j’étais sur la balançoire. Elle
m’essuya le visage avec un peu d’eau fraîche et me conduisit à l’intérieur
de la maison. J’étais essoufflée. Lorsque ma respiration se calma, elle
m’introduisit auprès du Messager de Dieu qui était assis sur un lit parmi des
gens d’Al-Ansâr. Elle me mit dans son giron, disant : “C’est ta famille
désormais. Que Dieu vous bénisse !” On n’immola pas d’animaux. J’étais
une fillette de neuf ans. »
Ni musique, ni festin. C’est ainsi qu’elle devint « l’épouse-enfant ».
Jamais les historiens ne se sont arrêtés sur la violence d’une telle
expression. L’épouse réconforte, accueille dans ses bras, prend et donne, se
donne en prenant, connaît le plaisir de la chair et les péripéties de la
sexualité. Alors que l’enfant parle une autre langue, celle de la tendresse.
Arrachée au monde des fables et des histoires que lui contait l’ami de
son père, la voici dans cette chambre, désormais la sienne, qui contraste
avec la richesse de la demeure paternelle : une natte pour couvrir le sol, un
coffre pour les vêtements, des coussins pour s’asseoir et, dans un coin, une
bassine et une jarre.
La petite fille promène son regard, baisse les yeux, confuse, ne sachant
pas ce qu’on attend d’elle. Épuisée par la balançoire et toutes les émotions
de la journée, elle se jette sur la couche. Le sommeil plie ses jolis cils. Le
mari regarde. On raconte que son cœur à lui chavire. Le bébé de l’Ange est
une fille « dont la splendeur prometteuse est indéniable ». Il l’embrasse.
Elle ouvre les yeux, ne comprenant pas, craintive, elle recule.
Nous lisons : « Miel de mon cœur. Je ne te ferai aucun mal. Viens te
blottir dans mes bras et laisse-moi te serrer contre moi. Je t’apprendrai les
milles douceurs des jeux du corps. Tu es ma femme, celle que Dieu m’a
choisie. Tu es aussi une bien jeune fille que je dois protéger. » Il caresse,
cajole, « avec un talent parfait, il multiplie à l’infini les jeux de séduction
qui font naître le désir et ouvre la porte du plaisir ».
Depuis les premières années de l’hégire jusqu’à aujourd’hui, on écrit
sur le plaisir du prophète et la virginité d’Aïsha.
Dans cette contrée de l’Arabie, la tradition accordait à la femme veuve
ou divorcée trois jours et trois nuits (ou quatre jours et quatre nuits). En
revanche, sept jours et sept nuits étaient alloués à la vierge.
Pendant ces jours et ces nuits, la servante de Sawda préparait à manger
et déposait le plat devant la porte de la couche de la nouvelle épouse. Plus
tard, lorsque le mari reprit ses occupations, Aïsha continua à jouer à la
poupée, seule ou avec ses amies. Lorsque le Messager de Dieu rentrait chez
lui, amusé, il rappelait auprès de sa femme les camarades de jeu qui
s’enfuyaient à sa vue. Mais le soir, il lui faisait découvrir le plaisir de la
chair. Et dans ses bras, il recevait la Révélation.
3.
La bataille de Badre fait de Muhammad un chef puissant et aux yeux de
la petite rouquine, un roi.
Sawda pleure ses morts tués par l’armée de son époux. Découvrant des
prisonniers de son clan, elle hurle : « Pourquoi n’êtes-vous pas morts
comme mon père et son frère ? » Hors de lui, Muhammad s’écrie :
« Sawda ! Tu oses exciter les infidèles contre Dieu et contre son
prophète ? » Furieux, il la répudie. Douloureusement, la mort dans l’âme,
Sawda dit : « Garde-moi et je fais don de ma nuit à Aïsha. Je sais qu’elle est
ta préférée. »
C’est à ce prix qu’elle pouvait rester épouse du prophète et être admise
le jour de la Résurrection au paradis. Muhammad accepta. On raconte
qu’Aïsha fut heureuse de l’avoir pour elle seule.
Toutefois, la guerre ne laisse pas seulement butins et trophées, mais des
veuves. Hafsa, la fille de ‘Umar, a perdu son mari dans le combat. Elle n’a
que dix-huit ans. Son père la propose à Abû Bakr, le père d’Aïsha, qui
décline l’offre. Il la propose à ‘Uthmân qui vient de perdre son épouse
Ruqaya. Mais il refuse également. Dépité, ‘Umar se plaint au prophète qui
répond : « Épousera Hafsa celui qui est meilleur que ‘Uthmân et épousera
‘Uthmân une meilleure que Hafsa. » Muhammad prend Hafsa et donne sa
fille Oum Kalthûm, la sœur de Ruqaya l’épouse défunte, à ‘Uthmân.
On dit que Muhammad avait besoin du puissant ‘Umar, grand stratège
et excellent guerrier.
Aïsha est frappée au cœur. Pourquoi son époux ne se contente-t-il pas
d’une seule femme comme il l’a fait du temps de Khadîja ? À vrai dire, le
souvenir de la première épouse n’a jamais cessé de hanter Aïsha qui était
toujours tiraillée par le fantôme de la défunte, comme elle ne pouvait
oublier la réplique de son époux lorsqu’elle a traité Khadîja de vieille. « Par
Dieu, dit-il, elle a cru en moi quand les gens se montraient impies. Elle a
tenu pour vrai ce que je disais au moment où les gens me traitaient de
menteur ! Elle m’a secouru avec ses biens quand tous m’en privaient. Elle a
été la femme qui m’a donné deux garçons. » Cette Hafsa qui arrive lui
donnera-t-elle un garçon ? Comment rester l’élue ? On raconte que Sawda
l’a rassurée, énumérant sa fraîcheur, sa beauté et la virginité qu’elle offrit à
son époux. Toutefois, la petite rouquine espère en secret avoir un enfant.
Elle est certes trop jeune. Mais un jour, elle le lui donnera.
Après les quatre jours et quatre nuits passés avec Hafsa, Aïsha gardera
le privilège de deux nuits.
4.
La guerre d’Uhud est terrible pour les musulmans, vaincus par les
Quraïshites. Le prophète échappe à la mort, mais il a une dent cassée et une
entaille dans la joue. Aïsha suit son époux qui lui montre l’œuvre de
la guerre et du trépas : des éventrés, des corps défigurés et le sang des
humains répandu sur le sable. Aïsha reste livide, sans mot devant toute cette
cruauté.
Les guerres et les traités s’enchaînent et les mariages
aussi. Muhammad épouse Zaïnab veuve de ‘Ubaïda. Nous sommes au début
de l’hiver de l’an 3 (décembre 625). Zaïnab meurt quelques mois après le
mariage. Réjouies, les coépouses reçoivent les condoléances de la ville.
Mais la chambre de la défunte sera rapidement occupée par Oum Salama,
l’aristocrate à la beauté éblouissante qui a rejeté à plusieurs reprises la
demande en mariage du prophète. Elle n’a cédé que difficilement laissant
cette phrase pour la postérité : « Que ma jalousie est grande ! Mais ma foi
est grande aussi. » Les coépouses espèrent que le prophète se lassera vite de
cette femme dont le corps qui a porté plusieurs enfants flétrira rapidement.
Aïsha est jalouse de cette femme comblée par les joies de la maternité.
Espace où se jouent les frivolités jusqu’à la niaiserie, le harem est aussi
le lieu des batailles les plus cruelles pour qui saura le mieux assouvir le
désir de l’homme. On ne cache plus les hostilités ni les alliances. L’être de
la femme, qu’elle soit aristocrate ou d’origine modeste, juive, chrétienne ou
musulmane sera réduit à ce désir de trôner sur le cœur de l’homme. La
polygamie alimente le sentiment de haine entre les femmes. Chaque femme
devient une ennemie à exterminer. La femme est assujettie au désir de
triompher aux yeux de l’homme. Seul désir, seule ambition à cultiver :
comment le garder ? Comment être la favorite ?
5.
Mais voici l’année 5 de l’hégire qui secoue et bouleverse la Cité. Le
prophète est foudroyé par la beauté de Zaïnab, la femme de son fils adoptif.
Il ne dort plus, répète inlassablement : « Seul Dieu est puissant ! » Le ciel
rend le mariage licite. L’Ange viendra annoncer la bonne nouvelle
à Muhammad qui s’empresse de la communiquer à Aïsha. Celle-ci écoute.
Foudroyée, elle dit : « Dieu se hâte à satisfaire tes désirs. » Son époux
répond : « Tu dois aimer ce qui me rend heureux. »
6.
Des guerres et des ennemis décapités puis jetés dans des fosses,
hommes mûrs ou adolescents et même une femme. On proclame : « Allah
akbar. Dieu est grand ! » Muhammad est désormais un homme fort.
Vainqueur de la guerre, il gagne une esclave juive, nommée Raïhâna. Il la
voulait. Mais elle rejeta le mariage. Aïsha est rassurée. Pétrie
d’enseignement religieux, elle sait que son époux doit se contenter de
quatre femmes. Et il en a déjà quatre.
7.
Le prophète n’allait jamais aux expéditions seul. Ses épouses avaient
l’habitude de tirer au sort pour savoir laquelle était désignée pour
l’accompagner. Dans le gynécée du prophète, on procède au tirage au sort.
Cette fois-ci, c’est Aïsha qui sera désignée. Elle ne cache pas son bonheur
de pouvoir enfin accompagner son époux.
Voulant goûter à la fraîcheur du crépuscule, sous le ciel étoilé, elle sort
du palanquin. De retour, elle constate la perte de son collier et part à sa
recherche. Lorsqu’elle revient, le camp est vide et la caravane, partie. Ceux
qui ont arrimé son palanquin sur le chameau ne s’étaient pas aperçus de sa
légèreté. Elle s’assied à l’endroit du palanquin. Affolée, dans l’immensité
du désert, elle attend. La nuit, nulle âme qui vive. Silence glaçant mêlé, par
moments, au hurlement du vent. Elle attend, recroquevillée. Elle se fait
toute petite, elle qui l’est déjà, petite boule dans l’étendue du désert. Un
jeune homme, Safwân, la retrouve et dit : « Le prophète m’a chargé de
récupérer les objets oubliés. J’ai aperçu un voile blanc et me suis rapproché.
J’ai reconnu les cheveux d’or cuivrés que chacun admirait lorsque
l’obligation de les couvrir n’était pas encore prescrite. »
Elle monte sur le chameau et Safwân la ramène vers Médine.
Dans d’autres versions, elle attend, petite, recroquevillée. Safwân,
chargé de ramasser les objets oubliés, s’est dirigé vers elle car il avait désiré
connaître cette forme aperçue de loin. Découvrant l’épouse du prophète, il
l’invita à monter sur le chameau et la conduisit sans parole vers la caravane.
Les langues se délient et les commérages vont bon train. La femme du
prophète aurait eu une aventure avec le jeune homme. ‘Alî, les découvrant
le premier, en informe le prophète et lui conseille de la répudier. La ville est
secouée. On raconte, on médit. ‘Abdallah ibn Ubaï dit : « Qui pourrait la
blâmer ? Safwân est plus beau et plus jeune que Muhammad. »
Aïsha raconte :
« Lorsque le Messager de Dieu désirait partir en guerre, il demandait à
ses épouses de tirer au sort pour qu’il désignât celle qui allait
l’accompagner. Le sort me désigna. J’accompagnai le prophète de Dieu.
Comme le verset du voile fut révélé, je restais dans ma litière à l’abri des
regards. Lorsque le prophète finit la bataille, il nous demanda de partir. Je
sortis de la litière pour me soulager. Lorsque j’eus fini, je touchai mon cou
et constatai la perte de mon collier. Je commençai à le chercher et
m’éloignai. Ceux qui transportaient la litière partirent sans se rendre compte
que je n’y étais pas. J’étais jeune et mince. Je retrouvai mon collier. Mais
les soldats étaient partis. Je demeurai en ce lieu espérant qu’on allait se
rendre compte de ma disparition. Pendant que je patientais, je fus vaincue
par le sommeil. Safwân ibn al-Mu‘attil vit une tache noire. Il me reconnut
car il m’avait vue avant que les épouses du prophète ne fussent voilées. Je
me réveillai et me couvris le visage. Je jure qu’il ne m’a pas adressé la
parole. Je montai sur la chamelle jusqu’à ce que nous arrivions au camp des
soldats. Les gens parlaient en ville du ifk (calomnie). Je demeurais dans
l’ignorance de ces calomnies, mais remarquai que le prophète n’était plus
aussi tendre avec moi lorsque je me plaignais. Lorsqu’il arrivait, il disait :
“Comment vous vous sentez ?” J’étais surprise mais ne pensais à rien de
mal. Lorsque je fus rétablie, je sortis avec Oum Mistah. Nous ne sortions
que la nuit. Elle trébucha et dit : “Malheur sur Mistah.” Je dis : “Comment
oses-tu injurier un homme qui a participé à la bataille de Badre ?” Elle
répondit : “N’as-tu pas appris ce qu’il avait dit à ton sujet ?” Elle m’informa
ce que les calomniateurs racontaient. La maladie me reprit et je demandai
au prophète l’autorisation d’aller me reposer chez mes parents. Une fois
chez mes parents, j’interrogeai ma mère sur ces bruits qui circulaient à
Médine. Ma mère dit : “Quand une femme est chérie par son mari, elle
attise beaucoup de jalousie.” Je pleurais à chaudes larmes. Le prophète
convoqua ‘Alî ibn Abû Tâlib et Usâma ibn Zaïd afin de les consulter au
sujet de ma répudiation. Ce dernier témoigna en ma faveur disant : “Nous
n’avons jamais remarqué un mal venant de ta famille.” En revanche ‘Alî
dit : “Pourquoi t’imposes-tu ce fardeau alors que les femmes sont
nombreuses ?” […] Je gémissais lorsque le Messager de Dieu arriva et dit :
“Aïsha ! Si tu es innocente, Dieu attestera de ton innocence. Si tu as péché,
demande pardon au Seigneur. Et Dieu te pardonnera.” Je dis à ma mère :
“Peux-tu répondre ?” Elle eut pour réponse : “Je ne sais pas quoi dire.” Je
dis alors : “Je sais que vous avez entendu certaines choses. Si je dis que je
suis innocente, vous ne me croirez pas. Et si j’avoue que j’ai péché — alors
que Dieu sait que je suis innocente — vous me croirez.” Je dis alors comme
le père de Joseph : “Douce patience ! Et c’est à Dieu qu’il faut demander
secours contre ce que vous débitez’.” Je m’allongeai sur mon lit sachant que
j’étais innocente et que Dieu m’innocentera […]. »
Vingt-neuf jours de torture, de doute et de calomnie. Lancinée par
l’angoisse la plus noire, accablée par autant de médisances, elle pleure jour
et nuit. Le prophète reçoit enfin la Révélation qui l’innocente. Il va la voir
en riant et dit : « Dieu t’innocente. » « Ma mère me demanda, raconte
Aïsha, de rejoindre mon mari. Mais je dis : “Je ne loue que Dieu qui m’a
innocentée.” »
La petite rouquine reprend sa place au sein du harem. Les accusateurs :
Hassân ibn Thâbit (le poète du prophète qui aura Sîrîne, la sœur de Maria),
Mistah et Hanna bint Jahsh (la sœur de Zaïnab) recevront cent coups de
verge sur la place publique.
Des versets vont se suivre pour interdire l’adultère, les faux
témoignages et les calomnies.
Dix versets qui resteront pour la postérité sur l’histoire du ifk (la
calomnie).
8.
Une captive qui se nomme Juwaïriya, fille d’un chef de tribu, dont la
rançon fut élevée vient solliciter l’aide du prophète. Celui-ci l’épousera. Sa
dot sera son affranchissement. Elle deviendra la sixième épouse. L’ex-
captive devient épouse légitime et sera installée dans la maison du prophète.
Un prophète, disent les ennemis de l’islam, qui bafoue les lois divines en
s’autorisant plus de quatre femmes et dont l’épouse eut une aventure avec
un bel homme.
9.
À l’aube de l’an 7, Aïsha va vers ses quinze ans. Dans le gynécée on
procède à l’habituel tirage au sort pour savoir laquelle des épouses va
accompagner le prophète. C’est Oum Salama qui sera, cette fois-ci,
désignée. Avant son départ, Muhammad demande la main d’Oum Habîba.
Mais avant l’arrivée de cette dernière, il épouse Safiya en attendant que
Raïhâna accepte sa demande en mariage. Oum Salama racontera lors de son
retour au harem que Muhammad n’a pu résister à la beauté exceptionnelle
de la femme. Fou de désir, continue Oum Salama, « le prophète n’a pas
attendu le délai de viduité. Il a ordonné tout de suite le mariage ».
Riche de ses expéditions, le prophète fait agrandir la maison. Il raconte
un rêve à Oum Salama : « La lune entrait en son giron et le croissant de
l’islam lui annonçait le roi du Hijâz. »
« Autre union descendue du ciel », ironisa Aïsha en jetant un regardant
à Zaïnab avant de poursuivre :
« Cela ne peut continuer. La virilité d’un homme a ses limites. »
10.
Invité à se convertir à l’islam, le gouverneur d’Égypte reste évasif, mais
envoie parmi les cadeaux deux sœurs esclaves : Maria et Sîrîne. Le
prophète donne Sîrîne à son poète Hassân et prend la belle Maria. Fort épris
de la belle Égyptienne, il lui rend visite de jour comme de nuit. La jalousie
atteint son paroxysme et Muhammad se trouve contraint à l’installer dans
une maison sur les hauteurs de Médine.
Un jour, Hafsa, regagnant son logis, découvre son époux avec Maria sur
son lit tendrement enlacés. Elle s’écrit : « En mon jour, dans ma chambre et
sur mon lit ? » Muhammad fait promettre à Hafsa de ne pas répandre le
bruit et s’engage à mettre fin à la relation. Hafsa en informe Aïsha, et le
prophète, averti par l’Ange, quitte toutes ses épouses et part s’installer chez
Maria provoquant un véritable cataclysme à Médine. Les pères ont eu peur
de se trouver avec des filles divorcées. « L’islam ne s’en relèvera pas, dit
Abû Bakr. Notre famille en portera la faute. » Et ‘Umar de renchérir : « Il
est temps de ramener ces femelles à la raison. »
Pendant un mois lunaire, les femmes vivent suspendues à la décision
qui tarde à venir. Quel ne fut pas le soulagement des pères de
voir Muhammad revenir à Médine. « L’islam est sauvé », s’écrie Abû Bakr.
Gabriel révéla ce verset : « Les femmes doivent être obéissantes, et taire les
secrets de leurs époux 21 ».
11.
Le prophète fait le pèlerinage, mais ramène une femme : Burra bint
Hârith, rebaptisée Maïmûna. Elle a vingt-sept ans. Gabriel autorisera le
mariage.
Il a soixante ans. Elles sont neuf. Et Aïsha va sur ses seize ans. Elle est
la plus jeune. On répète qu’il n’est plus dans son lit chaque soir, mais
qu’elle garde le privilège de deux nuits.
On parlera de son jeune âge, de sa peau blanche, de ses seins fermes
d’adolescente, de la chevelure flamboyante qui lui donnent le privilège de
la favorite auprès de l’homme qui lui a « enseigné l’art de l’amour ». Elle
était fière de cette allure toujours jeune, d’éternelle enfant. Toutefois, son
univers bascule lorsqu’elle apprend la grossesse de Maria. Lacérée dans sa
chair, Aïsha se sent brisée. De la maternité, elle n’a que le nom. Elle se
souvient du vêtement taché de sperme qu’elle lavait. Depuis le début du
mariage, afin de ne pas déformer ses formes enfantines,
« Muhammad prenait soin de se retirer de son corps ».
Je lui prête ces mots. Elle les a certainement pensés. Il se peut même
qu’ils soient les siens : « Tu me dis ta fierté d’avoir enfin un fils. Penses-tu
à ce que je peux éprouver ? Réalises-tu l’immensité de mon chagrin et
l’étendue de mon affliction ? Tu veillais sur mon corps longiligne. Tu
voulais qu’il restât corps de petite fille. Mais la fille désirait devenir mère.
Et je ne le suis que par le nom. Mère des croyants dont tu fais d’ailleurs
partie ! Combien te faudrait-il de mères toi l’orphelin aux quatre mères sans
compter l’épouse-mère et la fille qui devint ta mère ? Celle dont je fus à
l’âge de neuf ans la belle-mère, moi qui rêvais encore aux poupées. Je les
appelais mes enfants. Quand je te voyais chez nous, je continuais à jouer. Et
dans ma tête de petite fille, chaque poupée était un enfant. Cette maternité,
tu me l’as refusée. Tes autres épouses ont connu ce plaisir de la maternité :
le ventre qui s’arrondit, les seins qui gonflent, le lait qui gicle pour allaiter
l’enfant de la chair, l’enfant qu’elles ont conçu. Moi, je suis restée enfermée
dans mon imaginaire de petite fille. J’ai cru en toi. Je t’ai cru lorsque tu
m’appelais “ta préférée”. Ma foi ne me permettait pas de douter.
Aujourd’hui, je m’interroge : comment l’Envoyé de Dieu, disant le verset
qui stipule l’équité, faillit-il à cette règle ? Tu ne fus point équitable envers
Sawda lorsqu’elle m’offrit ses nuits. Et tu m’as refusé une existence plus
douce lorsque tu renvoyas les quelques biens que mon esclave m’avait
apportés de la demeure paternelle me rappelant mon statut d’épouse d’un
prophète qui honnit les biens matériels. Mais au fur et à mesure de tes
conquêtes, tu t’enrichissais et les mariages avec les nouvelles épouses
devenaient fastes. Ces femmes que tu aimes et qui ne cessaient d’affluer. Tu
dis : “On m’a fait aimer trois choses de votre monde : les femmes, le
parfum et la prière.” Épouse du prophète, Mère des croyants et Mémoire
des musulmans, je ne pouvais que boire tes paroles et les réciter. Pouvais-je
faire autrement ? Et comment ? J’étais si jeune et tu fus le premier homme à
me posséder. Comment aurais-je pu me défier de toi ?
« Je suis née dans la demeure du premier converti à l’islam, ton meilleur
ami et ton fidèle compagnon. J’étais pétrie d’enseignement. Avant de
posséder mon corps, tu avais déjà conquis mon esprit. Tu emplissais à
chacune de tes visites mon imaginaire d’enfant. Ensuite, tu pris ce corps
avant même que je n’aie compris le sens de ce qui m’arrivait. Tu ouvrais cet
immense monde pour moi alors que je n’avais que neuf ans. Comment dans
ces instants qui lient à jamais l’enfant à l’adulte pouvais-je douter de toi ?
Tu nourrissais mon esprit par tes histoires dont celle d’Agar. Aujourd’hui,
cette esclave répète le geste d’Agar. T’instituant père, elle me tue
doublement. Lacérée dans mon cœur, trahie dans mon amour, je souffre
jusqu’à l’agonie, jusqu’au blasphème, moi l’épouse de l’Envoyé de Dieu.
Ma sœur a des enfants. Ta fille est la reine indétrônable de son époux
monogame. Toi qui institues les lois divines, tu as défendu à ton gendre de
prendre une autre épouse “pour ne pas briser son cœur”, as-tu dit. Tu
proclamas haut et fort : “J’ai peur que Fâtima ne souffre dans sa foi.”
Puisque je suis ton aimée, pourquoi n’as-tu pas éprouvé cette crainte pour
moi ? Tu me disais ta préférée. Et tu disais que c’est Dieu Lui-même qui
m’a donnée à toi. Alors, alors, pourquoi toutes ces femmes ? Tu as goûté à
tout : musulmanes, converties, juives, chrétiennes, concubines, esclaves et
que sais-je ? Et chaque fois, le ciel lui-même intercède en ta faveur.
« Mon bien-aimé ! Tu es mon homme, mon prophète, mon père, mon
guide et mon initiateur. Tu ne m’as pas défendue lorsque toute la ville
médisait. Un précipice s’ouvrait devant moi. Pour garder ma foi, je n’ose y
penser. ‘Alî, ton gendre et cousin, voulait que tu me répudies. Il se peut que
ce fût le souhait de ta fille, Fâtima, dont je suis la belle-mère alors qu’elle
est mon aînée. Je l’envie ! Pour elle tu as bravé le ciel. Nos pères sont
dépourvus de cette verve paternelle. Ils sont plus les amis du prophète que
les pères de leurs filles. Je pensais être l’unique, mais ta maison au fil des
années s’emplissait de nouvelles femmes. Tu en augmentas le nombre
jusqu’à ce que le ciel soit revenu sur sa parole : “Tu n’ajouteras point au
nombre actuel de tes épouses ; tu ne pourras les changer contre d’autres
dont la beauté t’aurait frappé, mais la fréquentation de tes femmes esclaves
t’est toujours permise. Dieu observe tout 22.”
« Lui qui voit tout, a-t-Il vu comment tu m’as empêchée d’être mère ?
Comment tu as empêché mon corps de grandir, moi qui t’ai juré fidélité.
“Après toi, dis-je, nul autre homme”, alors que je n’étais qu’adolescente et
avais toute une vie devant moi. Je ne connaîtrai pas d’autres maternités
excepté celle du nom que je dois partager avec tes autres épouses qui ne
partagent pas leurs enfants avec moi. Seigneur ! Pardonne-moi de me
rebeller contre ton Messager ! Mon chagrin est trop profond, ma douleur est
si lourde. Moi qui suis un exemple pour les femmes, je hais l’enfant de ma
rivale, l’esclave égyptienne qui a donné au prophète un garçon. »
12.
Le prophète est malade. Il choisit pour dernier logis la chambre
d’Aïsha. Une séquence est souvent relatée : « Il perd connaissance. Aïsha
pose sa bouche sur la sienne pour le ranimer. » « Nous avons ainsi échangé
nos salives », dit-elle fièrement.
Le prophète meurt dans le giron de la bien-aimée, notent les
hagiographes, en cette année 11. Dernier élan de deux amants ? Le
ravissement amoureux a plutôt le goût de la mort et pour la petite rouquine,
confusion de langues : petite mort et mort confondues.
Les femmes n’avaient pas le droit de laver le corps du défunt ni
d’assister aux funérailles.
13.
Un conflit ravage Médine. Les hommes se querellent : qui gouvernera la
nouvelle Communauté : un notable de Quraïsh, la tribu de Muhammad, ou
l’un des Ansâr qui offrirent une terre d’accueil au prophète lui permettant
ainsi de répandre le message divin ? Le conflit durera trois jours et trois
nuits. La dépouille du prophète sera oubliée. L’on ne se souviendra de lui
que lorsque l’odeur envahira les lieux.
Le prestige du califat revient à Abû Bakr. Aïsha goûte au pouvoir en
tant que fille du premier calife de l’islam. Après la mort de son père, ‘Umar,
devenant calife, augmente sa rente. Elle devient, dit-on, une femme
fortunée.
Fortunée ! Le fut-elle réellement ? On oublie de mentionner que le
prophète fut enterré dans sa chambre, sous son lit, de même qu’Abû Bakr,
de même que ‘Umar. Dans la chambre qui reçut la Révélation reposent trois
cadavres. Religion, sexe et mort confondus. Le sexe a l’odeur de la mort.
« Le temps est passé. Lorsque j’étais enfant et que tu me racontais tes
fables, je te prenais pour un roi. Mais on m’apprit que le prophète de Dieu
était plus fort que tous les rois de la terre. Je te croyais alors immortel. Mais
voici que le trépas t’a arraché à moi et ton cadavre a infesté ma chambre.
Cette chambre qui abritait nos ébats. Elle était notre chambre et ton seul
logis avant que tu n’en ouvres à chaque conquête une nouvelle pour une
jeune arrivée. Je me souviens encore. C’était avant que tu ne deviennes
riche, c’était à l’époque où mon père nous nourrissait, j’y suis arrivée petite
et frêle. Tu m’as amenée dans cette chambre. Il y avait une natte, une
couverture, des coussins, une jarre et deux ou trois autres petites choses.
J’ignorais la raison de ma présence. Mais je me souviens de ma confusion.
Je ressentais. Qu’est-ce que je ressentais ? Je ne saurais le dire. Mais, c’était
étrange et j’en étais effrayée. Lorsque ma mère m’a arrachée à la balançoire
pour me rafraîchir le visage et me conduire vers toi, je me souviens qu’il y
avait des hommes assis. Aucun n’a remarqué mon jeune âge. Arrivée ici,
j’ai regardé cette chambre pauvre et presque nue. Je me suis endormie. Au
fur et à mesure de ton enrichissement, je souffrais de te voir célébrer avec
pompe chacun de tes mariages. Insupportable douleur qui me saisissait
chaque fois brisant mon souffle et déchirant mes entrailles. Moi, Aïsha, la
Vivante, je fus livrée entre huit et neuf ans à toi. On ne célébra pas le
mariage et celui-ci ressemblait à un enterrement. Il se peut qu’il en fût un.
La Vivante, une enterrée vivante dans des versets qui la condamnaient à
réciter ce qui faisait le bonheur de son homme et son malheur à elle. Je te
croyais à moi. Je t’ai partagé avec toutes. Je te croyais inatteignable, je t’ai
vu après la seconde bataille et mon regard devint perplexe, ne savait quoi
penser : tu avais une dent cassée et la joue entaillée. La cicatrice disait que
mon roi était un guerrier. Après ta mort, l’odeur de ton cadavre infestait
cette chambre qui reçut maintes fois les visites de l’Ange alors que nous
étions dans les délices de la chair.
« Ô mon prophète, mon homme, mon unique ! Est-ce possible ? Tu
m’as appris que l’Ange s’était sauvé devant la chevelure de Khadîja.
Comment a-t-il osé interrompre nos ébats ? On dit les anges pudiques.
Celui-ci voyait-il vraiment mon corps nu ? Il nous rendait souvent visite
dans cette chambre qui m’a vue grandir entre tes mains, qui a vu mon corps
se transformer. Cette chambre qui entendait mes sanglots lorsque tu allais
rejoindre les autres femmes. Comme le verset appelle à l’équité, je devenais
folle de douleur et de jalousie. Je t’imaginais les caresser de la même façon
et avec la même équité, prendre leur bouche, enfermer leurs seins dans tes
mains, les pénétrer et crier, toi qui disais avoir la force de quarante hommes
dans l’accouplement. L’homme peut-il vraiment être équitable envers
chacune des femmes ? Comment fait-il pour doser son amour ? Se donne-t-
il entièrement à chacune ? En quoi alors suis-je la favorite, la bien-aimée ?
L’étais-je vraiment ?
« Ma chambre ! Pauvre chambre qui reçoit ton cadavre décomposé et
pauvre de moi qui te reçois cadavre sous mon lit. Effrayante chambre où se
mêlent sexe, religion et mort. Chambre qui a reçu les visites de Gabriel, qui
a écouté les prières du prophète de Dieu et entendu ses gémissements
lorsqu’il prenait la petite fille, la sacrifiée au nom d’un songe. Ton fantôme
me fait peur, ainsi que celui de mon père et celui de votre ami, le père de ma
coépouse. Une chambre où logent trois trépassés. J’ai l’impression que le
regard de mon père se repaît du lieu où sa fille se livrait à son ami. Il dit le
jour de la mort de mon époux : “Que ne suis-je mort le jour où notre bien-
aimé nous a quittés.” Au nom de cette parole, mon lit fut retiré pour enterrer
mon père à côté de son ami. Je n’ai jamais su lequel de nous deux était cher
à son cœur. Et lorsque ‘Umar mourut, mon lit se trouva de nouveau retiré.
On l’enterra à côté de ses compagnons. La chambre nuptiale devint
cimetière. Je sens l’odeur de la terre retournée. Moi qui récitais en tant que
Mémoire des musulmans “lorsque l’on demandera à la fille enterrée vivante
pour quel crime elle a été tuée 23”, je ne réalisais pas que j’étais une enterrée
vivante. La Vivante n’est en fait qu’un simulacre de vie. Vivante pétrifiée
depuis que mes parents ont accepté de me livrer à cette chambre. Après
avoir goûté à la petite mort, me voici confrontée à la mort. La Vivante
accueille le trépas comme un compagnon qui se repaît de son malheur. Ces
corps qui gisent sous mon lit, des cadavres qui se décomposent au fil des
jours ! Quelle horreur ! Je reste seule avec des cadavres d’hommes
puissants qui ont hanté mon imaginaire d’enfant, liés à la vie à la mort, qui
se décomposent sous mon toit, sous mes yeux et sous mon nez. »
14.
Après la mort du prophète, Aïsha offre son aide pour assembler le
Coran, corriger et rectifier les erreurs. Elle deviendra la référence pour les
hadîths qu’elle transmettra à la postérité. Des hommes vérifient
l’authenticité des hadîths depuis la mémoire de l’adolescente qui écoutait,
enfant, son prophète. Elle s’opposera à Abû Huraïra qui lança : « Trois
choses invalident la prière : les ânes, les chiens et les femmes ». Aïsha
s’écrie : « Vous nous comparez aux animaux ? Le prophète priait alors que
j’étais à côté de lui sur le lit. » Elle récusera également cette parole qu’Abû
Huraïra attribue au prophète s’adressant à ‘Alî : « Tu es mon frère, mon
hériter et mon successeur et celui qui jugera au nom de ma religion. » Aïsha
proteste : « J’étais présente pendant sa maladie et son agonie, et ce jusqu’à
son dernier souffle. Alors quand aurait-il pu lui dire cette parole ? »
Elle n’oubliera jamais sa rancune contre l’homme qui désirait sa
répudiation. Elle l’affrontera plusieurs années plus tard lors de la bataille du
Chameau presque en amazone. Le troisième calife ‘Uthmân, l’homme aux
deux lumières, lui en fournit l’occasion.
Terrible sera la guerre, divisant les clans, brisant les familles. Le frère
d’Aïsha, ‘Abdallah, sera dans le camp adverse. Son beau-frère Zubaïr, le
mari d’Asmâ’ et leur fils prendront le parti d’Aïsha.
Usant de son titre de Mère des croyants, elle écrit :
« D’Aïsha, fille d’Abû Bakr, Mère des croyants, l’aimée du Messager
de Dieu, à son fils Zaïd ibn Sûhân. Lorsque tu recevras notre lettre, joins-toi
à nous afin de nous aider à remporter la victoire. Sinon, exige des gens
qu’ils ne soutiennent pas ‘Alî. » Zaïd lui fit parvenir cette réponse : « De
Zaïd ibn Sûhân à Aïsha fille d’Abû Bakr le Véridique, l’aimée du Messager
de Dieu. Je suis ton fils si tu abandonnes cette affaire et retournes à ta
maison. Sinon, je serai le premier à te combattre. » Déterminée, elle dira :
« Pendant vingt-six jours, j’ai prêché la parole vraie (al-haqq) pour ne pas
verser le sang. » Le sang sera répandu. Et la Mère des croyants fera l’objet
d’une tentative d’assassinat qui échouera.
Impitoyable sera la guerre, digne d’être racontée par un Homère ou un
Flaubert. Bras et mains qui s’envolent, têtes qui chutent, corps transpercés
par des flèches qui s’abattent sur les uns ou sur les autres. Le champ de
bataille devient fleuve de sang. Zubaïr dit : « Nous étions comme une
montagne noire. » On met la parure de la guerre à ‘Askar, le chameau
d’Aïsha. Talha le fidèle sera le premier des assassinés. La femme qui
regardait, petite, les atrocités de la guerre, participera au carnage au nom du
Coran, de son statut de Mère des croyants et de l’aimée du Messager de
Dieu.
Le Coran est brandi par les deux camps. ‘Alî demande : « Qui accepte
de défendre le Coran sacré ? Si sa main droite tombe, qu’il le prenne avec
sa main gauche. Si cette main est coupée, qu’il le prenne avec ses dents. »
Un jeune se désigna. Ses mains furent, l’une après l’autre, arrachées. Il prit
le livre sacré entre ses dents. Il fut tué. Dans le camp adverse quiconque
prenait la bride du chameau se faisait abattre. Pères ou fils, pères et fils. Des
jeunes et des plus âgés tombaient des deux camps. La fleur de la jeunesse
périssait. Les deux armées ne cessaient de s’affronter et les soldats se
tuaient dans des duels. Ceux qui protégeaient le chameau portant la litière
d’Aïsha s’écroulaient comme des mouches. Les flèches lancées
transperçaient sa litière. le fils de Zubaïr, ‘Abdallah, qui prenait la bride du
chameau faillit se faire assassiner. La guerre allait dévorer le fils après avoir
englouti le père. Asmâ’ devint veuve. On raconte : « Elle (Aïsha) s’enquit
de l’identité de celui qui conduisait le chameau. Il répondit : “C’est
‘Abdallah ibn Zubaïr.” Elle se lamenta : “Pauvre Asmâ’ qui sera thaklâ (wâ
thuklu Asmâ’).” » Mais ‘Abdallah le fils d’Asmâ’ fut épargné. Marwân,
prenant la suite, protégeait le chameau et coupait la main à quiconque osait
s’y approcher jusqu’à ce qu’on l’ait surpris par-derrière.
On raconte que les flèches fusaient d’un côté comme de l’autre, que la
litière, transpercée par les flèches, ressemblait à un hérisson. ‘Alî donna
l’ordre de tuer le chameau qui s’écroula. Ce fut la fin de la bataille. La
litière fut déposée sur le sol. ‘Abdallah, son frère, s’annonçait.
« Qui es-tu ? dit Aïsha.
– Ton frère.
– Ingrat (‘aqûq) ! » s’écria Aïsha.
On raconte que ‘Ammâr ibn Yâsir l’interrogea :
« Comment trouves-tu le combat, ô mère ?
– Qui es-tu ?
– ‘Ammâr ibn Yâsir.
– Je ne suis point ta mère.
– Si ! Même si tu le refuses. »
On raconte qu’A‘yun ibn Dubba al-Mujâshi‘î leva le voile pour voir,
dans un geste de désinvolture, la femme du prophète dont la vision était
interdite aux musulmans depuis le verset sur le voile.
« Recule. Sois maudit », s’écria-t-elle.
Il fit cette réponse :
« Je ne vois qu’une rouquine.
– Que Dieu répande ton secret, arrache ta main et dévoile ta
‘awra (parties intimes) », hurla-t-elle.
Il fut tué à Bassora. Ses mains furent coupées et lui, jeté nu dans une
vieille maison abandonnée. On raconte qu’elle fut prisonnière, que sans la
clémence de ‘Alî, la Mère des croyants serait devenue une captive de
guerre.
Muhammad ibn Zubaïr conduisit Aïsha à la tombée de la nuit telle une
reine déchue vers Bassora. C’était en l’an 36 de l’hégire. Il y avait autour
du chameau dix mille morts des deux camps. Dix mille hommes ont péri.
Elle a survécu à la mort des quatre califes. Elle est morte en l’an 57 ou
58 ou 59 de l’hégire et fut enterrée auprès des autres coépouses.
Elle restera la Référence pour deux mille deux cent dix hadîths.
Aïsha en sa qualité de Mémoire des musulmans s’opposait à Abû
Huraïra (littéralement « le père de la petite chatte »). On raconte qu’il
demeurait dans la maison du prophète afin de transcrire les gestes et les
paroles de ce dernier. Mais Aïsha contestait parfois ou souvent les paroles
d’Abû Huraïra. Ils rivalisaient dans l’art de la transmission. Aïsha
l’emportait car elle était l’épouse aimée de l’Aimé de Dieu. Et parmi les
deux mille deux cent dix hadîths, beaucoup portaient sur le sexe. Religion
et sexualité amoureusement enlacées. Aïsha en devint la Référence
incontestable. Des hommes défilaient pour vérifier si leurs pratiques
sexuelles étaient conformes à la religion et au modèle de leur prophète. Les
hadîths qui lui seront attribués fournissent des détails croustillants dans un
donné à voir du sexe, des lèvres, des seins… On écoutait la petite rouquine.
Ses paroles dites sacrées furent consignées. Jamais sexe n’a été aussi lié au
Texte. Jamais sexe n’a eu à ce point l’attention d’un Ange. Jamais sexe n’a
été aussi mêlé au regard de Dieu, depuis la parole d’une femme-petite fille.
Les pages consacrées aux réponses d’Aïsha concernant la sexualité
donnent le vertige. Les traduire occuperait plus d’une vie.
Nous lisons :
Un homme demanda à voir la Mère des croyants et dit : « Je souhaite
t’interroger. Mais j’ai honte. » Elle répondit : « N’aie pas honte ! Je suis ta
mère. » Il la questionna : « L’homme doit-il faire ses ablutions s’il prend sa
femme sans éjaculer ? » Elle répondit : « Lorsque les deux sexes se
touchent, il faut faire les ablutions. »
Suivent des flots de questions sur « tout ce que vous avez voulu savoir
sur le sexe sans jamais oser le demander ». Aïsha livrera l’intimité de la
scène primitive. On s’occupera de la sienne. L’imam Ahmad écrit : « Le
prophète de Dieu pendant le jeûne l’embrassait et suçait sa langue. »
Nous lisons également : « Le prophète de Dieu voulut m’embrasser. Je
répondis que je jeûnais. Il répondit : “Et je suis en jeûne également”. Et il
m’embrassa. » « On demande à Aïsha si l’accouplement est autorisé lorsque
la femme a ses menstrues. Elle répond : “Lorsque le prophète désirait
s’accoupler à une femme parmi nous et qu’elle avait ses règles, il lui
demandait de rabattre un linge sur le bas de son corps et il la prenait.” »
Dans une autre version : « On demanda à Aïsha : “Qu’est-ce qui est licite
pour l’homme lorsque sa femme est indisposée”, elle répondit : “Ce qui est
au-dessus du ventre.” » Et dans une autre version : « Le prophète me
prenait. On restait ensemble, sur le même lit alors que j’étais indisposée.
Mais il était le maître de ce qu’il possédait. » Dans un autre texte : « J’étais
avec le prophète et j’eus mes règles, je me faufilai hors du lit. Le prophète
me questionna et puis il dit : “Mets ton drap et reviens.” » Et dans un autre
texte : « Lorsque l’une parmi nous était indisposée, il lui demandait de
mettre un drap sur le bas du corps et il prenait sa poitrine et ses seins. » Et à
un homme qui lui demandait : « Qu’est-ce qui est licite à un homme dont la
femme est indisposée ? » Elle répondit : « Tout excepté l’accouplement. »
Et dans une autre version : « Qu’est-ce qui est permis à un homme lorsque
sa femme est indisposée, elle répondit : “Tout excepté son sexe.” » Et dans
une autre version : « Lorsque la verge de l’homme touche les lèvres de la
femme il faut faire les ablutions rituelles. »
Avec vénération, les imams citent Aïsha disant : « Lorsque les deux
sexes se rencontrent, les ablutions s’imposent. »
Suit l’invraisemblable.
Nous lisons : « D’après Aïsha : Sâlim, l’esclave d’Abû Hudhaïfa,
habitait dans la maison d’Abû Hudhaïfa. Un jour la fille de Suhaïl (l’épouse
d’Abû Hudhaïfa) vint voir le prophète disant : “Sâlim n’est plus un enfant.
Il est devenu un homme et il circule dans la maison et nous voit non
voilées. Je pense qu’Abû Hudhaïfa est mal à l’aise (de le voir avec des
femmes non voilées). Que faire ?” Le prophète lui dit : “Allaite-le. De cette
façon, tu lui deviens interdite.” Elle retourna voir le prophète disant : “Je
l’ai allaité !” Abû Hudhaïfa fut plus calme et la présence de Sâlim ne le
gênait plus. »
Dans une autre version : « D’après Aïsha : Sahla dit : “Sâlim l’esclave
d’Abû Hudhaïfa a grandi avec nous. Devenu homme, nous étions mal à
l’aise.” Le prophète dit : “Allaite-le. Tu lui es ainsi interdite.” »
Une autre version : « Sahla dit au prophète au sujet du garçon qui a
grandi : “Il a une barbe aujourd’hui.” Le prophète dit : “Allaite-le. Abû
Hudhaïfa ne sera plus dérangé (par la présence de l’homme).” »
« D’après Aïsha : “Sahla la fille de Suhaïl était l’épouse de Abû
Hudhaïfa (littéralement elle était sous Abû Hudhaïfa). Elle vint voir le
prophète de Dieu disant : ‘Sâlim, l’esclave d’Abû Hudhaïfa a grandi auprès
de nous. Il a été adopté par Abû Hudhaïfa comme Zaïd qui a été adopté par
le prophète. Il est grand maintenant et il circule à sa guise dans la maison.
Le prophète lui demanda de l’allaiter cinq fois. Ce qu’elle fit. Il devint ainsi
comme son fils.” »
Suivront d’autres versions où l’allaitement est fixé à dix fois.
On raconte :
Aïsha demandait à ses sœurs et à ses nièces d’allaiter les hommes
qu’elles voulaient voir. Mais Oum Salama et les autres coépouses refusèrent
ce procédé disant : « Il se peut qu’Aïsha ait bénéficié toute seule d’une
autorisation de la part du prophète de Dieu. » Aujourd’hui, avec la montée
vertigineuse de l’islamisation, les femmes allaitent les hommes pour
pouvoir enlever le voile en leur présence car elles deviennent, grâce à l’acte
de l’allaitement, leurs mères et sont donc interdites. Nous trouvons chez les
canonistes comme Shafi‘î, Ishâq et Ahmad in Hanbal des hadîths sur
l’allaitement des hommes dans le but de les voir circuler librement parmi
les femmes. Comme si le sein maternel n’était pas un sein érotique. Et
comme si le fait d’allaiter un homme était dépourvu de toute sexualité. Et
comme si l’islam qui interdisait aux femmes de montrer leur chevelure aux
hommes les autorisait non seulement à dénuder leur poitrine, mais à leur
donner leur sein.
Nous lisons également qu’Aïsha affirmait l’existence d’un verset qui
portait sur l’allaitement des hommes par les femmes, verset écrit et dont le
feuillet était sous son lit. Mais lorsque le prophète mourut, la Communauté
était tellement occupée par les problèmes de succession qu’on ne vit pas un
coq (ou une poule) entrer et manger le feuillet. Cette version est approuvée
par Ibn Hazm, refusée par le grand mu‘tazilite Az-Zamakhshari. Mais le
courant répandu l’accrédite.
Suivent d’autres versions sur ledit verset consigné sur un feuillet ou
sur/dans un fruit : un chat, un coq ou une brebis mangea ledit feuillet ou le
fruit. Éclateront des conflits autour de l’existence de ce verset. Aïsha
accusera ‘Uthmân d’avoir modifié ou supprimé certains versets, dont le
verset sur l’allaitement. ‘Urwa ibn Zubaïr raconte qu’Aïsha affirmait que la
sourate 33, Al-ahzâb (Les Factions) comportait cent versets dont un portait
sur l’allaitement et que, dans la version gardée par ‘Uthmân (le Coran
aujourd’hui), il ne restait que soixante-treize versets. La Mère des croyants
contestait le Coran de ‘Uthmân.
Contester le Livre saint ! Jamais une femme dans l’islam n’est allée
aussi loin dans l’opposition.
On parlera du Coran d’Aïsha. Mais les musulmans suivront le Coran de
‘Uthmân tout en continuant à désigner Aïsha comme la Mémoire des
musulmans. Mais la mémoire des musulmans garde à l’arrière-scène,
refoule la figure problématique et complexe de la petite fille mise trop tôt
sur le chemin de la sexualité. On cite encore et jusqu’à aujourd’hui
ses hadîths où se mêlent religion et sexe. Mais on n’en analysera jamais les
soubassements pulsionnels.
Aucune des épouses du prophète n’est allée aussi loin dans la
contestation ni dans la transgression. Aucune femme en islam n’a été à ce
point sacralisée, à ce point honnie. Elle demeure la Mémoire des
musulmans et « la Mère des croyants qui dévore ses enfants ». Phrase qui
met l’accent sur le trait oral cannibalique faisant de la Mère des croyants
une figure de la mère archaïque, anthropophage qui se nourrit de la chair de
ses fils, de leurs veines et de leurs muscles tel un prédateur affamé. En fait,
la mère infanticide répondait à une terrible loi du talion. Si Muhammad a
bravé le ciel pour sa fille afin qu’elle ne souffrît pas dans sa foi, elle,
l’épouse-petite fille, défia les préceptes de l’époux-prophète-père qui,
l’instituant Mémoire des musulmans, exigeait d’elle qu’elle apprît pour les
restituer des versets qui mettaient en souffrance sa subjectivité.
En effet, le corpus de l’islam se souvient de la Mère des croyants,
l’amante de l’Aimé de Dieu, la Mémoire des musulmans, mais omet ou
évite de s’interroger sur la qualité du lien entre l’adulte et la petite fille. Les
historiens parlent de la bataille du Chameau. Mais ne font jamais le lien
entre la cruauté de la petite fille arrachée trop tôt à son enfance et cet ultime
geste qui la fit meurtrière.
Aïsha !
Je vais te raconter une histoire qui diffère de celles de ton enfance. Je te
conterai non pas les légendes qui ont peuplé ton imaginaire d’enfant, mais
l’histoire de Sajâh, ta contemporaine dont tu as certainement entendu parler.
On te l’a dépeinte comme une mécréante fourvoyée. Pauvre est le texte
lorsqu’il parle de La Mecque et de Médine, solide lorsqu’il bâtit et fixe
l’image de la femme assujettie sur l’échiquier de l’Arabie. Sajâh dira que la
femme pouvait choisir une autre existence et une autre vie.
Sajâh, la femme libre
Elle s’appelle Sajâh fille d’al-Hârith ibn Suwaïd ou fille d’al-Hârith ibn
‘Uqbân ou Sajâhfille d’al-Mundhir, ou encore Sajâh fille de Suwaïd ibn
Khâlid… Elle avait un frère nommé ‘Atbân et sa famille appartenait à la
tribu de Banû Taghlib.
Tabarî écrit :
« Sajâh est bint (fille d’) al-Hârith ibn Suwaïd. Son surnom est Oum
Sâdir. Elle est la fille de Aws ibn Hariz ibn Usâma. Les gens de Tamîm
étaient divisés, Sajâh arriva avec ses troupes de la péninsule et régna sur les
tribus de Banû Taghlib. Elle avait quatre commandants sous ses ordres.
Après le décès du prophète de l’islam et pendant le califat d’Abû Bakr,
tanabba’at (elle prétendit à la prophétie), fa istajâba lahâ Al-Hudaïl (Al-
Hudaïl crut en elle et la suivit). Les quatre commandants demandèrent à
Sajâh : “Quel est ton ordre ?” Elle répondit : “Al-Yamâma.” Ils dirent : “Al-
Yamâma est invincible et l’importance de Maslama est considérable.” Elle
répéta : “Al-Yamâma.” Lorsque Maslama apprit cela, il fut submergé par la
peur et lui envoya une lettre la priant de ne pas l’avilir. Il était chrétien et
arriva avec quarante personnes de Banû Hanîfa, tous chrétiens. »
Aïsha !
Sajâh aurait pu attendre qu’un chef de tribu la demandât en mariage.
Mais elle alla voir Maslama, le faiseur de rimes. Elle aurait pu rester chez
Maslama comme épouse ou concubine. Comme elle aurait pu s’installer
dans son château, sur ses terres et guerroyer pour être la favorite, mais elle
préféra retourner auprès de son peuple. Toutefois, ils étaient mari et femme,
scellés par un pacte d’amour et de désir. Librement.
Sajâh signifie la droite, la sincère, la loyale, l’intègre. On ne connaît pas
sa religion. Nous savons seulement que Dieu à cette époque en péninsule
Arabique désignait le Dieu monothéiste. Mais, contrairement à Maslama,
elle ne prêchait pas le monothéisme. Les livres d’histoire conservent ces
paroles en prose rimée : « Écoutez ce qui me fut révélé. C’est une guérison
de ce qui vous tourmente. »
Sa religion : guérir le mal-être. Il se peut qu’on l’ait suivie parce qu’elle
promit le bien-être sur terre au lieu de proférer une promesse d’un bonheur
dans l’au-delà. Le céleste est sur terre. Telle une Gradiva ou une
Schéhérazade, elle prit la parole au nom du féminin guérisseur. À leur insu,
les chroniqueurs lient la poésie, la guérison de l’âme et le féminin.
Dans ses lettres, elle rappelait : « Je suis une femme de Yarbû‘. » À
cette époque où la femme était considérée par le Texte comme réceptacle ou
champ de labour, Sajâh ne cachait nullement son être de femme, l’avançait
fièrement sans le dévoiler. Au moment où les femmes devenaient propriété,
à l’époque où ses sœurs venaient grossir l’antre du harem, Sajâh arrachait la
masculinité et la féminité aux lois du biologique et de l’anatomie. Elle était
femme et guerrière. Elle put avoir comme alliés Wakî‘ ibn Mâlik, le chef
des Banû Yarbû‘, et Mâlik ibn Nuwaïra, chef de Banû Hanzala. ̣ On la décrit
comme une stratège dotée d’une grande conscience politique. Avec son sens
des affaires, elle obtint pour son peuple la moitié des productions d’Al-
Yamâma en blé.
On raconte qu’elle livra le combat avec Maslama contre les musulmans
et qu’elle s’enfuit après sa défaite. Sajâh perdit la bataille contre « le glaive
de Dieu », Khâlid ibn al-Walîd, celui qui ne cessait de se convertir et se
désavouer. Combattant Sajâh et Maslama, c’est contre une partie de lui-
même qu’il livrait bataille. On raconte qu’elle se réfugia chez ses oncles et
qu’elle y demeura jusqu’à sa mort, qu’elle se réfugia chez ses oncles après
la mort de son époux, qu’elle se maria avec un homme et qu’elle mourut à
Bassora après qu’elle se fut convertie à l’islam. Ces différentes versions (la
dernière est fort tardive) seraient une manière de remettre la femme rebelle
dans la cage de la protection masculine. Mais nous savons que, après sa
défaite, sa tribu fut cruellement combattue. D’après l’hagiographe Ibn
Kathîr, ‘Ubaïdallah ibn al-Baljâ tua une femme de la tribu de Sajâh, lui
coupa les mains et les pieds et la jeta ensuite dans un marché.
Par l’Instant !
Oui, l’homme est en perdition
29
à l’exception de ceux qui croient […]
Maslama dit ses versets : « yâ wabar yâ wabar… » (Ô poils, ô poils !).
Dans une autre version : « Ô crapaud ! Qîqî » (Coasse !). Crapaud. Animal
hideux, baveux, habitant les étangs et les marais. Non la hauteur céleste,
mais le langage insensé, déserté par la chose sensorielle et sa force
poétique. Le hideux serait ce langage proche de « Il était roparant, et les
vliqueux tarands » (Antonin Artaud). Langage des marais, de mot-chose
suivi des onomatopées (qîqî). Manière de discréditer Maslama car le
langage hideux, le langage déchet, le langage-chose ne peut être celui de la
Révélation ou de la prophétie. Attribuer ces pseudo-vers à Maslama — afin
de le disqualifier — montre le rôle que joue la lettre dans la structure
psychique de l’individu arabo-musulman. Quelle est cette subjectivité du
sujet arabe pour que la lettre soit aussi capitale et qu’elle occupe une place
de piédestal ? Quel lien tisse l’Arabe avec sa langue pour attribuer à la lettre
le pouvoir de venir du ciel ou des profondeurs de la terre ? Quelle est cette
souveraineté de la lettre qui devient le défi d’une religion ? Le face-à-face
entre les deux hommes exprime la puissance du lien du sujet arabo-
musulman à sa langue. En même temps, il peut nous faire oublier que cette
sacralité puise également dans le lien qu’entretient le musulman avec la
figure du prophète de l’islam.
Les historiens de l’islam ont défiguré le personnage de Maslama et
déformé son enseignement. Nous ne savons pas ce qu’il a prêché. Il figure
dans le corpus arabe et musulman comme Musaïlima al-kadhdhâb, le petit
Maslama le menteur. Cependant, Rusâfî 30 écrit que l’avenir de Maslama
aurait été différent s’il n’y avait pas eu la force d’Abû Bakr et l’épée de
Khâlid ibn al-Walîd. Toutefois, si Maslama fut combattu jusqu’à ses traces,
Sajâh continuera à fasciner les historiens. Malgré les différentes versions,
elle restera Sajâh la prophétesse, Sajâh la poétesse. On la dit lubrique. Le
fut-elle vraiment ? Certes, elle a fait un mariage d’amour et elle a prêché la
guérison de l’âme. Ceci ne relève d’aucune religion au sens classique et
orthodoxe du terme. Sajâh ne promit pas le paradis ou une vie meilleure
dans l’au-delà. Plutôt le bien-être sur terre. Elle avança bien sûr à sa
manière ce que le mystique dira plus tard : « Ma religion c’est l’amour. »
Pour Sajâh, c’est un amour terrestre qui ravit le corps et l’esprit. Est-ce pour
cette raison qu’on l’a dépeinte comme une lubrique ?
Il se peut que cette dénomination vienne du fait que Sajâh ait introduit
un parfum de femme sur une terre faite par et pour les hommes. Elle optera
pour l’égalité des hommes et des femmes devant la prophétie, la poésie et
même la guerre. Dans une Arabie de plus en plus virile déployant toute sa
force à juguler le sexe féminin, Sajâh revient comme un retour du refoulé
réintroduisant, dans des textes asséchés par la Révélation, le mariage
d’amour, la sensorialité, le minéral aussi bien que le végétal. Elle aura le
mérite de nous inviter à relire l’Histoire, à nous arrêter sur le refoulé et le
clivé, le blanc et les falsifications, à interroger notre corpus et à déterrer
aussi bien le féminin que la femme qui ne se laissait point enfermer dans un
gynécée.
Aïsha !
On dirait que les historiens étaient tellement occupés à nous enterrer
qu’ils ont tué par là même végétation, verdure, bleu du ciel, beauté du
désert, les étoiles, les courbes des collines aussi bien que celles des femmes.
Seuls régnaient le tintamarre des épées et le cauchemar de la guerre.
Comment étaient la finesse du sable, la couleur des demeures ? Quelle
architecture et quel art culinaire ? Et le vestimentaire et les bijoux des
femmes ? La peinture est abolie même du récit, même de la langue.
Anorexie de l’œil, faim de l’oreille et soif de la bouche. La sensorialité est
bannie au même titre que la pensée.
Sajâh rappelle Inana dont tu n’as jamais entendu parlé. Celle qui dit
dans L’Épopée de Gilgamesh : « Ma vulve, mon tertre rebondi, qui donc le
labourera ? » C’était à l’époque où le ciel ne se mêlait pas de la jouissance
des femmes.
Sajâh fut un corps ouvert sur le désir. Sajâh, la vie contre l’aridité du
récit. Elle nous rappelle qu’à l’aube de l’islam, à l’époque où le désir de
l’homme faisait même le ciel, une femme combattait au nom de la terre et
de la liberté.
Cheminer…
« Vous nourrissés vos filles afin qu’il ait dequoy saouler sa luxure. »
Étienne de La Boétie, Discours sur la servitude volontaire
Aïsha !
On louait ta mémoire infaillible, toi qui devais apprendre et consigner
pour la postérité ces versets :
Aïsha !
On raconte que Gabriel arrivait pendant que vous étiez, Muhammad et
toi, enlacés. « C’est Gabriel qui te dit son salut », te disait ton époux et tu
répétais fièrement : « L’Ange ne visitait Muhammad que dans ma couche. »
Est-ce possible ? Comment se fait-il que l’Ange qui fuit la chevelure de
Khadîja acceptât de voir ta nudité ? Et comment se fait-il que l’Ange de la
Révélation vît la violence faite à l’enfance ?
Aïsha ! Les manuels t’attribuent beaucoup de paroles sur la sexualité. Je
vois l’excitation qui arrive prématurément dans la vie d’une petite fille.
Aïsha !
Le réel du sexe appartient à la seule opacité du silence.
Aïsha !
Notre histoire aujourd’hui, le statut de la femme, l’adoption, le mariage,
le témoignage, l’héritage sont en lien direct avec l’écriture et la
transmission de cette Histoire qui fut consignée au moment de la Fondation.
Histoire où le seul rire est celui de la petite fille déjà épouse, Histoire où
l’homme recule sans larmes, Histoire des femmes prises dans les filets
d’une homosexualité masculine, Histoire qui ne s’empare des femmes que
pour leur tisser un linceul selon la logique de l’enterrement. La fabrique de
cette Histoire crée un système clos, une nouvelle stylisation où même le
chant est banni, où la filiation symbolique est annulée, où la parole est
délégitimée. Une Histoire qui n’exalte nullement la pensée, mais légitime la
violence par la sacralisation afin d’accorder le plus de jouissance aux
hommes et dompter l’inquiétante étrangeté du sexe féminin.
Dans les récits des hagiographes, la janna (le paradis) devient orgie
sexuelle sempiternelle, plongée dans l’incommensurable volupté avec une
femme sans visage ni qualité, pur instrument pour un Ouranos avide et
éternellement insatisfait.
Aïsha !
Je sais que tu n’aimais pas Fâtima. Mais réclamant un héritage, elle
tentait désespérément de tuer le père. Peu de femmes eurent ce courage
d’aller aussi loin dans leur revendication. Elle voulait que le prophète fût et
soit un mortel parmi les mortels. Fâtima dira à quel point le père doit être
mis à mort afin que puisse se vivre la vie. Elle voulait inscrire la mort dans
le cycle de la vie. L’absence de la mort pèse jusqu’à aujourd’hui sur
l’écriture de notre Histoire.
Aïsha,
Ta mémoire n’a servi qu’à te condamner. Tu apprenais, pour les
restituer, des paroles qui faisaient ta perte et la nôtre. Je comprends ton
geste. Le geste de révolte de la femme plonge ses racines dans la
catastrophe de ta vie. La cruauté de la femme puise dans la détresse de la
petite fille effractée.
Le Coran.
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Imâm Zarkashî B.-D., Al-ijâba liîrâdi mâ istadhrakathu Aïsha ‘alâ as-
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paroles des compagnons du prophète), Beyrouth, éd. Al-maktab al-
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Tabâtibâ’î, Al-mîzân fî tafsîr ây al-Qur’ân, Beyrouth, sans date d’édition.
Notes
1. Coran 93:1-3. Le premier chiffre désigne la sourate, le second désigne le verset. Traduction
Denise Masson, Paris, Gallimard, 1967.
2. Coran 4:128.
3. Compte tenu de son importance dans l’islam, je préfère conter son histoire singulière à la
fin de cet ouvrage.
4. Coran 66:1-5.
5. Coran 4:32.
6. La sunna rassemble l’ensemble des paroles et des actes du prophète.
7. Coran 33:36.
8. Coran 33:37.
9. Coran 33:37-38.
10. Coran 33:40.
11. Serviteur de Muhammad (pendant dix ans), il fut le transmetteur de mille deux cent
soixante-six hadîths.
12. Coran 33:32-33.
13. Coran 24:31.
14. Le mu’adhdhin, celui qui fait l’appel à la prière.
15. Le féminin de « démon ».
16. Coran 48:27.
17. Coran 33:50.
18. Coran 3:64.
19. Coran 111.
20. Coran 24:11 ; 24-14.
21. Coran 4:34, traduction Claude-Étienne Savary, Paris, Dufour, 1821.
22. Coran 33:52, trad. C.-É. Savary.
23. Coran 81:9.
24. Allusion à Coran 12:28.
25. Coran 66:10.
26. Khadîja et d’autres épouses de Muhammad ne devinrent Mères des croyantes que
rétroactivement.
27. Allusion à la parole de Marie. Coran 19:23.
28. Adonis, Al-Kitâb (Le Livre), Paris, Seuil, 2007, p. 29.
29. Coran 103:1-2.
30. Poète né à Bagdad en 1875 et mort en 1945.
31. « D’après tel, d’après tel… » Une chaîne orale très utilisée dans les textes.