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© Éditions Albin Michel, 2016

ISBN : 978-2-226-42118-0
Introduction

La traduction de la poésie de celui que l’on a surnommé « le plus grand

des maîtres » (al-Shaykh al-Akbar), « le vivificateur de la religion » (Mu ḥyī


l-dīn), Ibn ‘Arabī, est encore un chantier largement ouvert et l’entreprise est

d’autant plus téméraire et intimidante pour qui n’est ni un spécialiste de sa

doctrine métaphysique ni un aspirant sur une voie (tarīqa) soufie. Pourquoi

alors se jeter dans cet océan ? Notre premier contact avec la pensée (on

pourrait dire l’Esprit) d’Ibn ‘Arabī nous a été offert par l’un de ses plus

proches disciples par-delà le temps, et son premier éditeur, l’émir Abd el-

Kader (1808-1883), dont la dimension mystique est aujourd’hui souvent

oubliée, occultée par sa stature de guerrier intrépide et chef militaire

héroïque durant la conquête de l’Algérie par les Français. Ses écrits


1
spirituels, notamment le Kitāb al-mawāqif (Le Livre des haltes ), sont

imprégnés de la doctrine du maître dans une expression d’une remarquable

clarté et ils ont éveillé à la fois notre curiosité et notre perplexité. Paradoxes

frappants et raisonnements d’une implacable logique nous ont confrontés à

des thèses dont la hardiesse a valu à leur auteur, jusqu’à nos jours, la foudre

des défenseurs de l’orthodoxie de l’islam et sa condamnation pour impiété

et hérésie.

Une deuxième étape a été la découverte de la beauté lyrique et

flamboyante d’un petit recueil déjà connu en Occident par plusieurs

traductions et qui semble a priori atypique dans l’œuvre du grand théosophe


2
et métaphysicien : Turjumān al-ashwāq (L’Interprète des désirs ), constitué

d’une soixantaine de poèmes d’amour courtois adressés à une muse à la fois


spirituelle et temporelle. Cependant, son commentaire métaphysique, rédigé

par Ibn ‘Arabī lui-même pour contrer la critique méfiante des docteurs de la

Loi, nous entraîne dans des sphères si étranges et lointaines qu’il pourrait

s’agir d’une autre galaxie… Les deux univers sont-ils si opposés ? Il

apparaît que la poésie, loin d’être occasionnelle, est un moyen d’expression


*1
essentiel pour le Shaykh al-Akbar. Son Dīwān (dont sont extraits les

poèmes traduits ici) n’en est qu’un témoignage incomplet. Attirés par la

beauté formelle tout autant que par le défi intellectuel et spirituel, nous nous

sommes engagés dans un voyage à la fois incertain et exaltant, avec l’aide

cependant d’excellents guides. Souvent cryptée, allusive, parfois très

hermétique, la poésie mystique d’Ibn ‘Arabī exerce sa séduction aussi par

son mystère, une invitation à rechercher des clés qui elles-mêmes nous

ouvrent de nouveaux mondes inconnus et étranges. Le voyage est

effectivement infini, l’océan est sans rivage, le lecteur peut ne jamais en

revenir…

L’œuvre colossale d’Ibn ‘Arabī, dont l’exploration est le travail de toute

une vie, nous serait demeurée inaccessible sans les grands passeurs et

traducteurs que sont en particulier Henry Corbin, Michel Chodkiewicz,

Claude Addas, Abdallah Penot et Denis Gril, pour n’en citer que quelques-
3
uns . Sans leurs remarquables travaux, nous serions restés sinon à la surface

des mots, du moins limités au miroir de notre propre univers intérieur. Non

que cette lecture ne soit par elle-même un voyage d’une grande richesse, car

tout poème, de même que tout tableau, toute œuvre artistique s’offrent à la

méditation du lecteur, à la contemplation du spectateur de chaque époque

comme une création nouvelle, d’abord pour un dialogue avec lui-même.

Cependant, une fois notre propre projection opérée, nous pouvons (mais cela

reste un choix) prêter l’oreille, l’esprit ou le cœur à la voix du créateur, à son

espace intérieur, à son temps. Une « cartographie » nous a été en quelque


4
sorte offerte par le travail pionnier de Denis E. McAuley qui s’est

largement aventuré dans ces dunes infinies avec une approche littéraire et a
su définir quelques ensembles homogènes, thématiques et formels, tout en

proposant un certain nombre de traductions et analyses. Son ouvrage a été

pour nous un véritable encouragement, une invite à nous lancer à notre tour,

munis de nos guides et cartes. Le voyage n’en reste pas moins un défi

permanent, une aventure dans un univers aux richesses et mystères

insoupçonnés, que nous souhaitons partager avec le lecteur curieux, avide

de découvertes, qui ne craint pas d’être parfois désarçonné, de demeurer

dans sa perplexité, de se laisser entraîner dans des contrées enchantées.

Musulman ou non, arabisant ou non, la beauté peut toucher toutes les âmes

et les grands questionnements humains interpeller tous les esprits.

Pour pénétrer l’univers d’Ibn ‘Arabī et des mystiques en général, il nous

faut abandonner notre espace à trois dimensions et notre temps linéaire, ou

du moins accepter l’existence d’une dimension autre, d’un temps non plus

horizontal mais vertical, transhistorique, où le passé et l’avenir sont présents

simultanément. C’est dans ce monde intermédiaire, où « les esprits revêtent


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un corps subtil et où les corps se spiritualisent », qu’ont lieu les visions

théophaniques, les rencontres hors de notre espace-temps, les phénomènes

qui défient nos lois physiques et logiques. Une dimension qu’Ibn ‘Arabī

nomme ‘ālam al-mithāl, « monde imaginal », que le mystique persan


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Sohravardī (1155-1191) désigne comme « le Moyen-Orient des âmes » . Si

l’esprit occidental peut être heurté ou réticent, ce monde est pour les

mystiques tout aussi réel, objectif et consistant que l’univers sensible. Le

parcours terrestre du Shaykh al-Akbar s’est déroulé dans ces deux mondes

simultanément et nous dévoile le rang éminent et la mission spirituelle

exceptionnelle dont il fut investi.

Mu ḥammad 7
Ibn al-‘Arabī naît à Murcie en 1165 , dans cet Al-Andalus

mythique et idyllique chanté par les poètes (mais déjà secoué par des

guerres), dans une famille arabe de la haute société andalouse originaire du

e
Yémen et établie dans la péninsule Ibérique depuis le VIII siècle. Son père

est un haut dignitaire auprès des souverains successifs et Ibn ‘Arabī lui-
même est promis à une fonction de scribe. Il mène une adolescence

heureuse et insouciante à Séville, son avenir semble tout tracé dans les pas

de son père. Mais une vocation précoce se fait jour en lui, peut-être inspirée

par quelques cas de conversion soudaine et spectaculaire parmi ses oncles,

dont il témoignera à plusieurs reprises dans son œuvre. Elle se révèle à lui

par des visions et illuminations qui font de lui un être spirituellement réalisé

dès son entrée dans la voie mystique, conversion qu’il effectue sous la
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guidance de Jésus , son véritable « premier maître ». Suivant l’exhortation

de celui-ci, il renonce au luxe et choisit la voie de la pauvreté, qu’il ne

quittera plus.

Commence alors une vie itinérante d’infatigable pèlerin, d’abord en

Andalousie puis à travers le Maghreb au cours de plusieurs longs séjours. Il

recherche et fréquente tous les grands mystiques soufis de son temps (parmi

lesquels plusieurs femmes), recueillant leur enseignement, approfondissant

ses connaissances du Coran comme du Ḥadīth, désireux de parcourir toutes


les étapes de l’aspirant sur la voie spirituelle alors même qu’il avait déjà

atteint la plus haute réalisation. Car seul celui qui emprunte lui-même les

chemins périlleux peut à son tour guider les autres.

Les villes qui jalonnent son parcours (Fès, Marrakech, Bougie, Tunis…)

sont marquées par des rencontres déterminantes dans les deux dimensions

car elles sont simultanément le théâtre de visions « sublimes » qui petit à

petit lui révéleront son destin spirituel. Il pénètre aussi les différentes

« stations » spirituelles qui lui confèrent non seulement le rang de walī (mot

arabe signifiant « ami, proche » – ici, sous-entendu, de Dieu – et

imparfaitement traduit par « saint ») élu dans la proximité divine, mais lui

accordent aussi des facultés transcendant les lois de la physique, comme

celle de voir derrière son dos ou de se « translocaliser » entre deux lieux


9
géographiquement éloignés … Cependant, ces pouvoirs surnaturels

accordés parfois aux hommes de Dieu (les karāmāt, « charismes ») ne sont

que des signes superficiels, quoique spectaculaires, d’une métamorphose


intérieure profonde : la perception du Divin en tout être, en toute chose (car

pour Ibn ‘Arabī, même les choses inanimées sont vivantes) qui exclut, au

regard de Dieu, l’idée d’infériorité ou de supériorité. Au cours de ces

visions, il se voit consacré par tous les prophètes, depuis Adam jusqu’à

Mu ḥammad, comme l’héritier du trésor des Sagesses divines révélées, avec

pour mission de les préserver et d’en assurer la transmission dans le temps

et l’espace. Cette mission, il l’accomplira par sa guidance spirituelle et par

une colossale production d’écrits qu’il poursuivra jusqu’à sa mort. Il est lui-

même guidé par un autre maître invisible, celui que la tradition musulmane

nomme Al-Khi ḍr ou Al-Kha ḍir (le Verdoyant), détenteur d’une science

mystique infuse, énigmatique initiateur de Moïse au mystère du décret divin

et de la prédestination
10
. Avoir Al-Khi ḍr pour guide signifie pour le

mystique être initié directement par inspiration céleste sans passer

véritablement par un maître terrestre. La science ésotérique dont il devient

détenteur l’affranchit de la religion littérale et ouvre ses yeux sur la vérité

divine dans toutes les croyances, car « Il est l’Adoré dans tout ce qu’on

adore ».

Sa quête et sa mission le poussent à quitter définitivement l’Occident

musulman en 1201, suite à une vision qui lui ordonne de gagner l’Orient.

Après un premier pèlerinage à La Mecque, il sillonne inlassablement la

Syrie, la Palestine, l’Anatolie, l’Égypte, l’Irak, le Hedjaz (l’ouest de la

péninsule Arabique), tout en poursuivant la rédaction de ses écrits. C’est à

La Mecque, devant la Ka‘ba, « centre cosmique » de la spiritualité, qu’Ibn

‘Arabī vit une énigmatique rencontre avec Celui qu’il désigne comme

« le Jouvenceau évanescent, le Parlant-Silencieux, celui qui n’est ni vivant ni


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mort » et qui se présente à lui comme son guide céleste . De leur dialogue

muet naîtra ce qui sera l’œuvre maîtresse monumentale d’Ibn ‘Arabī : Al-

Futū ḥāt al-makkiyya (Les Révélations de La Mecque ou Livre des conquêtes


spirituelles de La Mecque), somme considérable de théosophie et

métaphysique dont on a dit qu’elle était la bible de l’ésotérisme en Islam.


Rédigée entre 1202 et 1231 puis remaniée et augmentée entre 1234 et 1238,

son édition originale comprend pas moins de trente-sept volumes. Après

avoir sillonné l’Orient pendant vingt ans, les pérégrinations d’Ibn ‘Arabī

s’achèvent en Syrie où il s’installe définitivement en 1223. Il y parachèvera

sa mission entouré du cercle de ses disciples. Il s’éteint à Damas en 1238 où

il repose toujours. Sa tombe, sur laquelle fut érigé un mausolée au

e
XVI siècle, voit aujourd’hui encore affluer les pèlerins.

À maintes reprises, Ibn ‘Arabī affirma avoir rédigé ses écrits, et

particulièrement les Futū ḥāt, sous l’inspiration divine : « En écrivant ces

ouvrages, je n’ai pas voulu faire œuvre d’écrivain, ni non plus suivre un but

précis, mais me délivrer d’une inspiration qui brûle mon cœur et écrase ma
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poitrine . » Cette affirmation inclut aussi son œuvre poétique. La présence

chez Ibn ‘Arabī d’une expression poétique parallèlement à ses écrits en

prose ne saurait être arbitraire. Plusieurs textes nous éclairent sur sa vision

de la poésie. L’un d’eux, par son étrangeté même, nous donne la mesure de

sa place très particulière : « La raison qui m’a amené à proférer de la poésie

est que j’ai vu en songe un ange qui m’apportait un morceau de lumière

blanche. On eût dit un morceau de la lumière du soleil. “Qu’est-ce que

cela ? demandai-je. – C’est la sourate Al-Shu‘arā’ (Les Poètes)”, me

répondit-on. Je l’avalai et je sentis un cheveu (sha‘ra) qui remontait de ma

poitrine à ma gorge, puis à ma bouche. C’était un animal avec une tête, une

langue, des yeux et des lèvres. Il s’étendit jusqu’à ce que sa tête atteigne les

deux horizons, celui d’Orient et celui d’Occident ; puis il se contracta et

revint dans ma poitrine. Je sus alors que ma parole atteindrait l’Orient et

l’Occident. Lorsque je revins à moi, je déclamai des vers qui ne procédaient

d’aucune réflexion ni d’aucune intellection. Depuis lors, cette inspiration n’a


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jamais cessé … » Pour le lecteur arabophone, la clé de ce texte apparaît

immédiatement dans la polysémie du mot qui, en arabe, peut signifier à la

fois « cheveux » (sha‘ar/sha‘r) et « poésie » (shi‘r). Avant l’Islam, on

croyait que les poètes recevaient leur inspiration d’un démon ou génie et
cette croyance a perduré. Par la suite, ce génie fut interprété comme le

double spirituel de l’âme, dont la fonction était de transmettre les idées du

monde subtil vers le monde de la matière. Significativement, Ibn ‘Arabī

reçoit l’inspiration poétique directement d’une source céleste, ce qui fait

d’elle, à ses yeux, un langage divin.

Tandis que la fonction de la prose est de délivrer un message clair et

tangible, la poésie s’exprime par allusions et symboles ; elle est directement

reliée à la faculté imaginative et peut ainsi rendre des vérités spirituelles

accessibles à l’esprit humain. Par ailleurs, la poésie est soumise à des règles

structurelles (rime, métrique…) tout comme les éléments de l’univers

obéissent à une organisation et un ordonnancement transcendants. Ibn

‘Arabī compare ainsi les différents pieds de la métrique aux composants de

l’univers, créé selon des principes d’harmonie et de symétrie auxquels la

poésie obéit également. « Dieu a doté l’univers d’une structure analogue à

celle qui ordonne le vers d’un poème » ; ainsi, « en tant que ses fondements

participent de la Sagesse divine, la poésie est un art sacré et proprement


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universel, l’écho terrestre d’une divine harmonie ».

Il est utile de préciser brièvement les règles formelles qui régissent la

poésie arabe classique. Le poème est monorime, sa longueur peut varier de

quelques vers à une centaine, voire davantage. Le vers est toujours divisé en

deux hémistiches bien distincts. Leur scansion répond à une alternance

régulière et strictement définie de syllabes longues et brèves selon un mètre

qui doit être respecté dans tout le poème. Il en existe seize, qui ont été
e
codifiés au VIII siècle mais que les poètes antéislamiques utilisaient déjà de

fait plus d’une centaine d’années avant l’arrivée de l’Islam.

Pour qui est familier de la poésie arabe, la virtuosité d’Ibn ‘Arabī est

frappante : les vers semblent couler tout naturellement et le lecteur

arabophone a le privilège d’en goûter la sonorité musicale et les rythmes,

ainsi qu’une saveur particulière liée à l’extraordinaire polysémie des mots

arabes qui véhiculent leurs origines dans la culture du désert et bien souvent
leur charge coranique. Ce qui fait de la langue arabe une langue de poésie

par excellence, voire une langue en soi poétique. La traduction est alors par

elle-même une amputation dans la mesure où elle est forcée d’opérer un

choix lorsque la langue arabe autorise la simultanéité des lectures et des

images. Quand la traduction implique l’interprétation, celle-ci engage

profondément le traducteur et oriente le lecteur. Mais nombreux sont les

vers qui conservent leur mystère dans l’une et l’autre langues : ils nous

parviennent ainsi à travers les siècles, à nous lecteurs bien souvent privés

des clés qui, dès l’époque d’Ibn ‘Arabī, n’étaient connues que des seuls

initiés. Les poèmes s’offrent à la libre méditation de chaque lecteur avec

peut-être leur étrangeté et, nous l’espérons, leur charge poétique. Les notes

qui suivent chacun de ces poèmes sont le fruit de nos propres explorations,

reflétant parfois notre perplexité, invitant souvent à prendre encore d’autres

chemins, entrouvrir d’autres portes… Lorsque l’on parvient au sommet

d’une dune, d’autres dunes ne s’offrent-elles pas à notre regard, à l’infini ?

L’image du voyage est intrinsèque à la poésie arabe qui puise son

lexique directement dans la vie des nomades du désert. Par exemple, le mot

signifiant « vers », bayt, est le même qui désigne la tente (aujourd’hui plus

généralement la demeure). Les groupes de syllabes composant les pieds de

la métrique sont décrits par deux mots qui signifient « corde » (sabab) et

« pieu » (watad), celui qui est fiché dans le sol pour fixer la toile de la tente

à l’aide des cordes. Le premier hémistiche du vers est appelé ṣadr, qui a

également le sens de « poitrail » ; le second, ‘ajuz, signifie « postérieur,

derrière ». Ainsi, le vers de poésie est, métaphoriquement, tout à la fois la

tente et la monture. Quant aux seize mètres de la prosodie, leurs rythmes

tantôt lents, tantôt rapides, saccadés ou nonchalants, n’ont-ils pas été

inspirés au poète par le pas de sa chamelle, qui est au diapason de son

cœur ?

Aussi embarquons-nous dans un de ces « vaisseaux de pierre » que

décrit Ibn ‘Arabī dans les Futū ḥāt : « J’ai vu dans ce monde une mer de
sable aussi fluide que l’eau ; j’ai vu des pierres, petites et grandes,

mutuellement attirées les unes vers les autres, tel le fer vers l’aimant. […]

Lorsqu’elles sont toutes unies, cela constitue la forme d’un navire. J’ai moi-

même vu ainsi [se former] une petite embarcation et deux nefs. Quand un

vaisseau est ainsi constitué, les habitants le mettent à l’eau, puis ils

embarquent pour voyager où bon leur semble. […] Jamais je n’ai rien vu

d’aussi merveilleux que ces vaisseaux de pierre voguant sur un océan de

sable ! Toutes les embarcations ont la même silhouette ; le vaisseau possède

deux flancs à l’arrière desquels se dressent deux énormes colonnes plus

hautes que la taille d’un homme. Le sol du navire à l’arrière est à hauteur de

la mer sur laquelle il s’ouvre sans qu’un seul grain de sable pénètre à

l’intérieur. » Étrange vision que Claude Addas nous interprète avec finesse

et qui constitue une magnifique invite au voyage dans la poésie d’Ibn

‘Arabī : « Les termes clés qui ordonnent ce récit [sont empruntés] à un

lexique spécifique de la linguistique arabe. Si ba ḥr est le terme couramment


employé pour signifier la mer, il est aussi celui qui, dans le lexique de la

poétique arabe, sert à désigner le mètre d’un poème. De même, ramal, qui,

dans l’usage courant, signifie “sable”, est la dénomination de l’un des seize

mètres que compte la prosodie arabe classique. L’emploi d’une terminologie

empruntée au lexique de la poétique arabe n’a évidemment rien de fortuit.

Située dans ce contexte, l’histoire des vaisseaux de pierre qui voguent sur

une mer de sable n’a plus rien d’un délire onirique : le vaisseau (safīna)


représente la qa īda, le poème arabe classique ; les pierres indissociables, ce

sont les kalimāt, les mots qui, assemblés les uns aux autres, forment des

vers dont la totalité constituent le poème ; les deux flancs du navire figurent

les deux hémistiches du vers et les deux colonnes renvoient aux deux

“piliers”, watad, de la métrique arabe. Ainsi, dans un langage à peine

crypté, Ibn ‘Arabī nous signifie que la poésie est le moyen privilégié de

“voyager” dans le monde imaginal dont elle véhicule les réalités spirituelles
15
qui, par nature, sont supra-formelles . »
Aucune logique dans la présentation des poèmes du Dīwān n’a pu être

déterminée à ce jour, que ce soit l’ordre alphabétique des rimes (comme cela
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est fréquemment le cas) ou la chronologie, très incertaine . Par ailleurs, il

est impossible de savoir si les poèmes rassemblés dans les manuscrits qui

nous sont parvenus l’ont été par Ibn ‘Arabī lui-même ou par ses disciples.

Nous n’avons pas voulu effectuer un classement par thèmes, qui nous

paraissait artificiel, mais conserver la part d’inspiration et de hasard qui

guide le voyageur explorant une contrée encore mal connue. Ibn ‘Arabī ne

nous invite-t-il pas à nous méfier de toute méthodologie et de tout

dogmatisme : « Celui qui proclame l’Unité, celui qui associe, le négateur des

attributs divins, celui qui professe l’immanence et celui qui professe la

transcendance, chacun d’eux fait preuve d’un excès doctrinal… Je sus que la
17
Vérité résidait dans la foi et non dans la raison . » Nous avons cependant

respecté deux ensembles homogènes présents également dans le Dīwān : les

« poèmes coraniques », chacun d’eux inspiré par l’une des cent quatorze

sourates du Coran et les « poèmes de l’alphabet », dédiés chacun à l’une des

vingt-neuf lettres de l’alphabet arabe (incluant le lām-alif). Nous avons aussi

regroupé des poèmes dans lesquels Ibn ‘Arabī se détourne du classicisme

pour adopter une forme poétique adaptée au chant, la « poésie strophique ».

En fin de parcours, nous proposons quelques balises thématiques afin de

permettre à chaque lecteur de composer son propre itinéraire.

*1. Il s’agit du Dīwān al-kabīr (Le Grand Recueil) qui compte plus de huit cents

poèmes, paru aux éditions Būlāq du Caire en 1855. Cependant l’ouvrage majeur

d’Ibn ‘Arabī, Al-Futū ḥāt al-Makkiyya (Les Révélations de La Mecque), comporte

à lui seul plus de mille sept cents poèmes dont très peu sont inclus dans le Dīwān.

Un autre recueil, le Dīwān al-ma‘ārif al-ilāhiyya (Recueil des connaissances

divines), présente des centaines de poèmes n’apparaissant ni dans Le Grand

Recueil, ni dans les Futūḥāt. Les nombreux manuscrits, copies plus ou moins

tardives, rendent extrêmement hasardeuses les tentatives de reconstitution de ce

qui avait été peut-être prévu par Ibn ‘Arabī comme un grand recueil de toute son
œuvre poétique, dont le Dīwān al-kabīr et le Dīwān al-ma‘ārif auraient formé

deux tomes. On ignore quel manuscrit a servi de base à l’édition Būlāq mais il

contient exactement les mêmes poèmes qu’un manuscrit conservé en Turquie,

copié très probablement vers 1540 à La Mecque (cf. l’article de Stephen

Hirtenstein, « Some Preliminary Notes on Al-Dīwān al-kabīr », Journal of the


Mu yiddin Ibn ‘Arabī Society, vol. 39, 2006). Les références des poèmes

originaux traduits dans le présent recueil sont celles de l’édition d’A mad ḥ Ḥasan
Basaj, Dār al-Kutub al-‘Ilmiyya, Beyrouth, 1996 (disponible sur Internet en PDF

ou numérisée) qui suit elle-même l’édition Būlāq du Caire de 1855.


POÈMES
1

Lorsque dans mes entrailles

I
1 Lorsque dans mes entrailles se manifesta le

II
mystère , mon existence s’évanouit, mon étoile

s’éteignit,

Mon cœur se transfigura par le mystère de mon

Seigneur et je fus ravi à mon corps, à mes sens.

Et je vins de Lui, à Lui, par Lui, dans le vaisseau

de mes efforts lumineux.

J’y déployai les voiles de ma pensée sur l’eau

profonde de ma science cachée.

5 Les vents de mon désir se levèrent sur lui et il

fendit les flots, telle une flèche.

Je traversai alors la mer de la proximité jusqu’à

apercevoir en toute clarté Celui que je ne saurais

nommer.

Alors je dis : « Ô Toi que mon cœur vit, à Ton

amour je prends part,

Tu es mon intimité, Tu es mon festin, mon

aspiration extrême dans la passion et ma


récompense. »

Lammā badā l-sirr (Dīwān, p. 7), mètre al-basī . ṭ

Le choix de ce poème en ouverture du présent recueil ne relève pas du

hasard, ce même poème ouvrant le Dīwān lui-même. Il est significatif qu’il

nous introduise d’emblée dans la thématique du voyage mystique. À travers

les motifs du vaisseau, de la mer, du voyage, également métaphores de la

poésie, il nous a paru reconnaître ici une allusion au rôle initiatique de celle-

ci comme voie d’accès à une dimension transcendante. Que ce poème

décrive plus particulièrement l’expérience de l’ascension spirituelle du

poète vers la présence divine, sa position au sein d’un autre ouvrage d’Ibn

‘Arabī, le Kitāb al-isrā’ (Le Livre du voyage nocturne), où ce « pèlerinage

céleste » est relaté en mode symbolique, nous le confirme. Maintes fois

commenté, il frappe par sa similitude avec un poème du grand mystique Al-

Ḥallāj ṣ
18
(la qa īda 7 de son Dīwān ) au point qu’un auteur alla jusqu’à

accuser Ibn ‘Arabī de plagiat. Il faut noter, cependant, chez Ibn ‘Arabī,

l’originalité de l’image maritime et surtout une différence de ton

significative : alors qu’Al- Ḥallāj décrit ses « errements », les limites de sa

vision, la perte de sa propre conscience jusqu’à l’oubli de son nom, chez Ibn

‘Arabī l’itinéraire est plus déterminé, le ton plus lucide et surtout il fait état

de sa claire vision de Celui qu’il ne veut nommer, allant jusqu’à s’adresser à

Ḥallāj,
19
Lui directement . En se référant ouvertement au poème d’Al- Ibn

‘Arabī s’inscrit assurément dans une tradition, celle qui unit les saints

mystiques de l’islam dans l’imitation du modèle prophétique, revivant en

esprit le voyage miraculeux que, selon le Coran et le Ḥadīth, Mu ḥammad a

vécu physiquement, transporté d’abord de la mosquée de La Mecque


jusqu’à la mosquée al-Aq ā de Jérusalem puis traversant les sept cieux

jusqu’à la présence divine (17, 1 ; 53, 1-18). Ainsi que le suggère McAuley,

Ibn ‘Arabī, tout en rendant hommage à son illustre prédécesseur, aura voulu
exprimer subtilement sa propre supériorité spirituelle. Mais ne pourrait-on

pas y voir un témoignage sincère d’une expérience intime qui est pour

chaque mystique une aventure, un itinéraire différent ? « De même que deux

walī-s (saints) ne connaîtront jamais un fat ḥ (illumination) identique, de la

même façon, le mi‘rāj (ascension) de l’un sera toujours différent de l’autre.

C’est pourquoi, si tous empruntent le chemin frayé par l’Envoyé, chacun

d’eux y découvre un paysage différent car cette quête périlleuse n’est au

fond que la totale et parfaite réalisation de la sentence prophétique : “Celui


20
qui se connaît soi-même connaît son Seigneur .” » Au sujet du voyage

nocturne, voir également le poème 24 du présent recueil, « Lorsque je

contemplai les formes », vers 12-16 et particulièrement la note VII.

I. Pour fu’ād, « entrailles », en arabe comme en français le sens propre

de « viscères » se double d’un sens figuré désignant la partie la plus intime,

essentielle, la partie profonde de l’être sensible, le siège des émotions.

II. La traduction de sirr par « mystère » est en deçà de la richesse

sémantique de ce mot qui, outre le sens de « secret, mystère, arcane », a

ceux de « pensée intime », « origine, source, principe », « fond, tréfonds,

cœur, partie la plus intime d’une chose ». Dans le vocabulaire soufi, il

exprime « une subtilité présente dans le cœur comme le souffle vital dans le

corps, une lumière spirituelle qui est l’“outil” de l’âme et le lieu de la

contemplation » (note de l’éditeur du Dīwān).


2

Ô lune des mystères

1 Ô lune des mystères, toi qui me revêts d’une

I
tunique de fine soie verte !

II
Tu devins amant bien-aimé , on te vit desséché.

N’eût été l’ardeur du feu, tu ne te serais pas

consumé.

Tu t’y assis longtemps, promptement, c’est

III
pourquoi on te nomma le maître du cénacle .

Tu en pris la tête grâce à des sciences qui se

manifestèrent à toi et n’eussent été elles, tu

n’aurais pas présidé.

5 Ainsi, tu voyages nuitamment à travers les

IV V
vingt-huit demeures , parmi les planètes , plein

de fougue,

Sur un pur-sang ailé forgé dans le bronze,

VI
entravé par la main de l’indigent.

Yā qamara l-asrār (Dīwān, p. 7), mètre al-sarī‘u.


I. Allusion à une description coranique des bienheureux au Paradis :

« Ils y seront parés de bracelets d’or et se vêtiront d’habits verts de fine

soie » (18, 31, trad. éd. du Roi Fahd). Le symbolisme de la lune est d’une

grande richesse. S’agit-il ici de l’inspiration divine dans le cœur du

mystique ?

II. Ma‘shūq « amant bien-aimé » : en arabe, certains participes passifs

peuvent prendre également un sens actif. La simultanéité des deux états est

ici chargée de sens et il nous a paru important de la conserver dans la

traduction. Elle contient l’idée fondamentale que l’homme qui se met en

quête de Dieu entend l’appel de Dieu, que l’aspiration de l’homme vers

Dieu est une réponse à l’amour divin. Un texte de l’émir Abd el-Kader

l’exprime admirablement : « Dieu a dit à l’un de Ses serviteurs : “Prétends-

tu M’aimer ? Si tel est le cas, sache que ton amour pour Moi est seulement

une conséquence de Mon amour pour toi. Tu aimes Celui qui est. Mais Je

t’ai aimé, Moi, alors que tu n’étais pas !” Il dit ensuite : “Prétends-tu que tu

cherches à t’approcher de Moi, et à te perdre en Moi ? Mais Je te cherche,


21
Moi, bien plus que tu ne me cherches !” »

III. Majlis a le sens de « société, réunion, compagnie », souvent de

poètes et philosophes, également de « salon, pièce de réception ». S’agissant

ici d’un cercle mystique, nous avons osé la traduction par « cénacle » en

référence au premier sens du mot : « salle où Jésus-Christ se réunit avec ses

disciples quand il institua l’Eucharistie ». Une telle connotation christique

n’est nullement en contradiction avec la spiritualité d’Ibn ‘Arabī, qui écrit :

« Mon cœur devient capable de toute image : il est prairie pour les gazelles,

couvent pour les moines, temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins,
22
tablettes de la Torah et livre du Coran . »

IV. Textuellement, le poème dit : « tu voyages nuitamment à travers un

huit et un vingt ». La référence aux vingt-huit mansions lunaires paraît la

plus évidente, d’autant que les états de la lune peuvent symboliser les

stations spirituelles successives que traverse le mystique au cours de son


parcours. Cependant, on pense également aux vingt-huit lettres de l’alphabet

arabe qui, dans la science ésotérique des lettres, sont l’expression des

éléments constitutifs de l’univers, grand livre de la Parole divine rendue

compréhensible à l’esprit humain à travers l’Écriture révélée. Il est évident

que les deux interprétations ne s’excluent pas.

V. Kunnas, pluriel de kānis, signifie littéralement « qui se retire dans son

gîte et s’y cache ». Le sens de « planète » est sous-entendu dans une très

belle image coranique : « J’en jure par celles qui vont se tapir véloces, dans

leur gîte » (81, 15-16, trad. de Jacques Berque dont la note précise :

« “Celles qui vont se tapir” sont les étoiles, telles que visibles dans le ciel

humain »).

VI. Ṣan‘a a le sens général d’« art, métier, travail de l’artisan » et le sens
23
plus spécifique d’« art d’élever des chevaux et de les soigner » . Notre

traduction par « main » autorise les deux lectures. Le « pur-sang ailé »

représente-t-il l’âme de l’aspirant dans sa quête mystique ? Le cavalier ou

l’artisan « indigent » est alors l’Homme avec l’inhérente contradiction de sa

nature.
3

Contemple le Trône

I
1 Contemple le Trône sur Son eau , vaisseau

II
naviguant avec Ses Noms divins ,

Et émerveille-toi devant une arche en rotation, à

ses entrailles Ses créatures furent confiées.

Elle vogue sur une mer sans rivage, dans les

opaques ténèbres du mystère.

Les vicissitudes de ses amants ardents forment

ses vagues et ses vents sont les souffles de ses

enfants.

5 Si tu la voyais emportant l’humanité de l’alīf

III
jusqu’au yā’

Dans un recommencement perpétuel, Sa


IV
création ne connaît pas de fin .
V
Il enroule l’aube sur Sa nuit et Son aube se

dissout dans Son crépuscule.

Et contemple Sa sagesse en mouvement au

centre de l’univers et dans tous ses recoins.

VI
Quiconque vient convoiter Son œuvre se jette

de tout son corps sur les richesses du monde,


10 Jusqu’à ce qu’il perçoive l’univers en lui-

même et l’Art divin dans son invention.


Un ur ilā l-‘arsh (Dīwān, p. 15), mètre al-basī . ṭ

I. L’image du Trône sur l’eau apparaît une unique fois dans le Coran :

« C’est Lui qui a créé les cieux et la terre en six jours ; Son Trône était alors

sur l’eau » (11, 7). Selon un ḥadīth, Dieu, avant de créer Sa création, « était
dans une nuée, sans air au-dessous de Lui, ni air au-dessus de Lui. Puis Il
24
créa Son Trône sur l’eau ». Il s’agit de l’eau primordiale, à partir de

laquelle Dieu a « fait toute chose vivante » (Coran 21, 30). L’émir Abd el-

Kader, disciple spirituel d’Ibn ‘Arabī, précise : « Ainsi, toute chose vivante

procède de l’eau. Or toute chose est vivante, car toute chose glorifie Dieu.

[…] Sache d’autre part que cette “eau” n’est pas l’eau perceptible par les

sens […] mais l’eau du fleuve de la vie de la Nature primordiale, qui se


25
situe au-dessus des éléments . » Jean Annestay commente ainsi : « C’est

une image de la Possibilité illimitée et le Fleuve de vie auquel elle

appartient est une figure de l’Océan des possibles, un Océan s’étendant à


26
l’indéfini et recouvrant toute chose existenciée . »

II. Les Noms divins sont les multiples aspects par lesquels Dieu se

manifeste dans le monde sensible, l’islam évoque traditionnellement les

« quatre-vingt-dix-neuf plus beaux Noms ». Voir également le poème 7, « Je

me figurai mon Bien-Aimé », note VIII.

III. ‫ا‬
Alīf ( ) et yā’ ( ‫)ي‬ sont la première et la dernière lettre de l’alphabet

arabe, l’alpha et l’oméga grecs, le commencement et la fin, que contredit le

« recommencement perpétuel » du vers suivant. Elles nous introduisent dans

la science ésotérique des lettres, une clé pour la compréhension de l’univers

qui a une importance essentielle dans l’œuvre d’Ibn ‘Arabī. Voir le poème

27, « Contemple le Vrai », note VII.


IV. Jean Annestay évoque ainsi la cosmologie islamique : « Selon cette

conception d’origine coranique (“Chaque jour, Il accomplit une œuvre

nouvelle”, 55, 29), l’univers tout entier meurt et renaît sans cesse. C’est

l’acte de perpétuel renouvellement de Sa création par le Créateur à chaque


27
instant (ou à chaque souffle) . »

V. Cette très belle image est coranique : « Il enroule la nuit sur le jour et

enroule le jour sur la nuit » (39, 5).

VI. Shān ou sha’n, « œuvre », fait allusion au verset du Coran cité en

note IV.
4

Ô croissant de lune

1 Ô croissant de lune dans le voile de la nuit,

lève-toi en plein jour, car certes tu es délectation

des yeux,

Tu es occultation et tu es astre éclatant au regard

par ta manifestation dans la lumière du retour.

Si donc la lune des révélations apparaît au-

dessus du jardin des visions,

Adresse-lui, avec l’humilité exaltée, une

invocation différente, sans reproche :

5 « Bienvenue, voyageur nocturne entre mes

côtes, ne quitte pas les ténèbres des vicissitudes,

I
Sois petit serviteur dans leur prison et sois roi

II
lorsque vous nous éclipserez à la fin du
III
cycle . »

Sagesse qui certes plonge la créature dans la

IV
perplexité, deux lampes allumées en plein jour .

Admirable est leur clarté apparaissant

simultanément alors que l’éclat du soleil éclipse

les lumières.

V
Toute lumière dans tout cœur est vacillante ,

VI
excepté dans le cœur héritier de l’Élu .
10 Alors, petit frère, remercie Dieu pour ce

qu’offrent les fruits des invocations.

Yā hilāla l-dayāj (Dīwān, p. 15), mètre al-khafīf.

I. ṣ
Qa r, qui signifie communément « palais, château », peut avoir plus

rarement le sens de « prison ». Notre interprétation nous est suggérée par la

vision mystique du corps humain, souvent ressenti comme une prison, un

carcan de l’âme. Les « ténèbres des vicissitudes » sont alors le voile du

monde sensible et illusoire, la condition humaine soumise aux changements

perpétuels et qui occulte la Réalité essentielle.

II. La racine verbale ma ḥā signifie à la fois « effacer » et « être effacé,

disparaître ». Le nom verbal ma ḥw peut donc avoir un sens actif ou passif ce
qui introduit une certaine ambiguïté dans la lecture de ce vers. Notre

traduction de ma ḥwinā lakum par « lorsque vous nous éclipserez » suggère

la fin de l’illusion du monde matériel et le dévoilement des réalités divines

qui avaient été occultées dans les « ténèbres des vicissitudes ». (note de fin :

Signalons un défaut de métrique dans le deuxième hémistiche de ce vers tel

qu’il est donné dans l’édition de Beyrouth.)

III. Sarār est textuellement la dernière nuit d’un mois lunaire.

IV. L’édition de Beyrouth introduit ce poème au sens métaphysique

hermétique en ces termes : « À propos de la sagesse contenue dans

l’apparition de la lune et du soleil simultanément en plein jour, il [Ibn

’Arabī] écrivit… » (il est fort possible que ces remarques en exergue à

certains poèmes soient de la main d’un disciple d’Ibn ‘Arabī). Sirājān,

« deux lampes », est le duel de sirāj, mot qui a quatre occurrences dans le

Coran, désignant à trois reprises métaphoriquement le soleil : « Que soit

béni Celui qui a placé au ciel des constellations et y a placé un luminaire et

aussi une lune éclairante ! » (25, 61) ; « N’avez-vous pas vu comment Allāh

a créé sept cieux superposés et y a fait de la lune une lumière et du soleil


une lampe ? » (71, 15-16) ; « [Nous avons] construit au-dessus de vous sept

[cieux] renforcés, et [y] avons placé une lampe très ardente » (78, 13, trad.

éd. du Roi Fahd). Dans la spiritualité soufie, le soleil est symbole de la

Réalité essentielle : « Le soleil métaphorique, c’est l’astre du jour, source

des lumières sensibles. […] Quant au soleil véritable, source à la fois des

lumières sensibles et spirituelles, il est désigné par le verset : “Allāh est la


28
lumière des cieux et de la terre” (24, 35) . » Dans la sourate « Les

Coalisés », c’est le prophète Mu ḥammad qui est comparé à une lampe : « Ô


Prophète ! Nous t’avons envoyé pour être témoin, annonciateur, avertisseur,

appelant à Allāh, par Sa permission ; et comme une lampe éclairante » (33,

45-46, trad. éd. du Roi Fahd). Ainsi la lune, reflétant la lumière du soleil,

peut être assimilée au Prophète transmetteur de la Parole divine

« éclairante ». Celle-ci a un aspect apparent ( āhir) et un aspect caché, ẓ



occulte (bā in), connu du Prophète et révélé aux mystiques, ses héritiers, par

un dévoilement.

V. La forme IV de la racine ḤYR n’existant pas, la vocalisation proposée


dans l’édition de Beyrout, mu ḥār, semble peu convaincante et serait un

étonnant néologisme de la part d’Ibn ‘Arabī. Nous proposons de lire ma ḥār,


selon le schème de lieu maf‘al et qui aurait le sens de « lieu où l’on demeure

perplexe, stupéfait » mais aussi « aveuglé, frappé d’éblouissement ». Il peut

s’agir aussi du nom verbal de la racine ḤWR, « être interdit, stupéfait »,

également « diminuer, se trouver en quantité insuffisante ». Notre

traduction cherche à intégrer ces nuances.

VI. Al-mukhtār, « l’Élu », est l’un des deux cent un noms attribués au

prophète Mu ḥammad.
5

Évoque pour l’heureuse étoile

1 Évoque pour l’heureuse étoile devant moi

I
deux croissants de lune se levant devant moi,

Lorsqu’ils m’apparaissent simultanément, Tu es

le mystère des nuits et des jours.

Et lorsqu’ils déclinent, je demeure solitaire, en

veille, ne goûtant la saveur du sommeil.

Voici la lumière de l’existence dans l’Être

véritable entraînant qui me précède et qui

viendra après moi,

5 Au jour de mon dénuement face à mon

Seigneur, au jour de ma résurrection. Et mes

aspirations me portent vers Lui, mon inspiration

me vient de Lui.

Oui, mon mystère et le mystère de mon Bien-

Aimé ne font qu’un, du début à la fin des temps.

Il est autre que moi lorsque Tu envoies un

messager et Il est ma demeure par l’harmonie

sacrée de mon habitacle corporel.

Mon serviteur est la lumière qui est en moi et

qui est en Celui que j’aime, devant moi.


Alors, mon frère, prête attention à ton état

spirituel et contemple mon être de tes yeux peu à

peu éblouis :

10 Il est autre, devant moi, lorsque Tu te sépares

de moi et lorsque Tu t’unis à moi, Tu es là,

II
devant moi .

Qul ilā l-kawkabi (Dīwān, p. 17), mètre al-khafīf.

I. La phrase en exergue au poème dans l’édition de Beyrouth : « À

propos des deux croissants de lune, je veux dire l’Imām et le Pôle, il

écrivit… » nous offre une clé d’interprétation. Dans la tradition mystique


soufie, qu b (pôle) désigne un « homme parfait par l’intermédiaire de qui

Dieu gouverne le monde ; présent à chaque génération, il est généralement


29
caché aux hommes ». Commentant un texte d’Ibn ‘Arabī à ce propos,

l’émir Abd el-Kader écrit : « Le shaykh veut signifier que les Pôles sont non

seulement [une catégorie] de saints mais les plus élevés d’entre eux et qu’ils

en constituent l’élite la plus pure. Ils ont reçu le nom de “Pôles” parce que

les étoiles des mondes supérieurs et inférieurs gravitent autour d’eux qui

sont les Pôles de leur époque et aussi parce que le Pôle est le “lieu” sur

lequel se pose le regard du Seigneur. […] La grâce divine ne parvient à ce

monde que par l’intermédiaire du Pôle : celui-ci reçoit donc son soutien de

Dieu et soutient à son tour le monde dans son ensemble, le haut comme le
30
bas, les corps comme les esprits . » Le mot imām signifie « guide, chef de

file » mais il désigne aussi un Livre révélé et particulièrement le Coran. Qui

serait donc l’Imām symbolisé par l’un des croissants de lune ? Peut-il s’agir

du Prophète, guide de la communauté des croyants et même de toute

l’humanité (« Nous t’avons mandé aux humains comme envoyé », Coran 4,

79), l’imitation du Prophète étant un idéal suprême pour le musulman ?

Cela est peu probable car à notre connaissance aucune tradition ne le


nomme ainsi. La parenté intime entre la pensée d’Ibn ‘Arabī et la spiritualité

shī‘ite a été mise en évidence par Henry Corbin et Mohammad Ali Amir-

Moezzi a récemment souligné l’importance de l’héritage shī‘ite dans le


31
soufisme . On serait ainsi en droit de reconnaître ici la figure de l’Imām

shī‘ite, guide herméneutique dépositaire des secrets ésotériques du Coran,

dont la principale incarnation historique fut l’Imām ‘Alī, quatrième calife,

cousin, fils adoptif et gendre du Prophète. Sa présence spirituelle se

prolonge à travers les Imāms successifs jusqu’à l’occultation du douzième

e
Imām au IX siècle, devenu ainsi l’Imām caché qui réapparaîtra à la fin des


temps pour dévoiler au monde le sens intérieur (bā in) de la Révélation, se

confondant alors avec le Mahdī. Au-delà de la figure historique, il s’agit de

l’Imām dans son acception ontologique, un être métaphysique appelé

également « Imām céleste » ou « Homme cosmique », théophanie divine


32
susceptible de se manifester au mystique . L’apparition de l’Imām dans le

poème se comprend ainsi comme un dévoilement.

II. L’utilisation simultanée du pronom huwa, troisième personne du

singulier, et du tutoiement de la deuxième personne (tout comme dans le

vers 7) heurte la logique si l’on admet que le « Il » et le « Tu » s’adressent à

un seul et même interlocuteur divin. Le traducteur est tenté de rétablir une

unité. Cependant, cette apparente contradiction fait sens car elle exprime,

selon nous, un mystère divin. En effet, le Coran ne dit-il pas : « Il (huwa) est

avec vous où que vous soyez » (57, 4) ou : « Nous sommes plus près de lui

[l’homme] que sa veine jugulaire » (50, 16) ? Mais huwa, le « pronom de la

personne absente » (comme l’appellent les grammairiens arabes), désigne

pour le mystique Celui que l’on ne saurait nommer sans Le limiter, la

Réalité insaisissable, inconnaissable et inatteignable. Selon l’émir Abd el-

Kader, dans le verset précité, « huwa représente l’occultation de l’Essence

divine, laquelle ne peut en aucun cas se manifester à une créature

quelconque ou dans quelque état que ce soit, en ce monde ou dans l’autre. Il

s’agit donc du Non-Manifesté absolu, […] qui transcende toute allusion et


33
que n’est capable de désigner aucune expression ». Dans la familiarité du

tutoiement, qui semble contredire la transcendance du Huwa, se lit

l’expérience que fait le mystique d’une intimité avec son Seigneur et de

l’union de son être avec l’Essence divine, exprimée par le vers 6.


6

En vérité, la révolte

1 En vérité, la révolte à force d’accablement est

comme une colère contre la sentence du Destin.

Ceux qui sont sereins devant Notre décret font

preuve de vaillance et de patience.

Ainsi, ils M’appartiennent et Je leur appartiens,

ils sont la finalité de l’humanité.

Ne cherche jamais refuge auprès d’un autre que

Moi et sois patient, tu rejoindras les endurants

au Paradis.

5 J’appartiens à chaque être qui s’abandonne à

Moi, qui a reconnu la Vérité et y puise sa voie,

Je suis présent dans toutes les afflictions, tous les

malheurs qui le frappent.

Dis à ceux qui se révoltent, devant Mon décret,

I
quelle fuite possible ?

Où qu’ils se trouvent, où qu’ils aillent, il n’y a

que Mon décret.

Alors, goûte ta soumission, tu trouveras la paix

et tu appartiendras au peuple des victorieux.


10 Car Dieu n’est point absent et Il est le
II
Sustentateur de celui qui réfléchit .

Inna l-ta ḥarruk (Dīwān, p. 51), mètre al-kāmil.

I. Ayna l-mafarr signifie littéralement « où est la fuite ? ». Il s’agit d’une

citation coranique : « Quand le soleil et la lune seront réunis, ce jour-là

l’homme s’écriera : “Où fuir ?” » (75, 9-10).

II. Oserait-on qualifier de « coranique », voire de « biblique » le style de

ce poème dans lequel le poète se fait en quelque sorte la voix de Dieu ? Tout

comme dans le Livre saint, le « Je » côtoie le « Nous » et le « Il » du

locuteur divin. Le ton quelque peu impérieux culmine dans l’arrêt

péremptoire des vers 7 et 8, exprimant dans une éloquente concision et non

sans cruauté toute la force du Destin sur la condition humaine. L’espoir n’est

cependant jamais absent et l’apaisement du finale pourrait contenir

l’engagement divin transmis par le ḥadīth : « Ma miséricorde dépasse Ma

colère. »
7

Je me figurai mon Bien-Aimé

1 Je me figurai mon Bien-Aimé à partir de mon

I
image et j’évaluai Sa proximité à une brasse et

un empan, tout au plus.

Ainsi Il vivifie mon cœur par l’union et la

rencontre et Il m’anéantit par l’éloignement et la

séparation.

Il se dénude et dévoile une taille de rameau, les

II
courbes d’une dune , son sourire est de perles,
III
son visage se révèle pleine lune .

Il fait couler pour nous des rivières de lait

IV
délicieux, de miel très pur, d’eau et de vin .

5 Il déploie mon être car je ne suis que quatre

éléments. À partir d’eux je fus créé en deux

V
étapes, sans pouvoir ,

Avec l’Ordre pour la structure de chaque état.

Que son sens caché me demeure inconnu et que

VI
je ne sache pas que je ne sais pas !
Je parvins à Lui en empruntant une voie humble

et aplanie, mais sur une monture difficile,

Avec des rythmes et des mélodies des mains de

VII
jouvencelles qui s’inclinèrent vers nous

d’amour et non d’ivresse.

Et lorsque nous méditâmes, nous découvrîmes

VIII
notre être à travers Ses plus beaux Noms .

Alors grâce à eux, je me mis à courir

10 Vers le monde des créatures afin de les leur

révéler tout comme le Miséricordieux les révéla


IX
dans le plus éloquent des Rappels .

Tawahhamtu man ahwāh (Dīwān, p. 83), mètre al- awīl. ṭ

I. Pour khārija ṣūratī, « extérieur à mon image » est la traduction qui

s’impose de prime abord. Cependant, on perçoit ici comme un écho au

célèbre ḥadīth : « Certes, Allāh a créé Adam selon Son image » (Inna Allāh
khalaqa Adama ‘alā ṣūratih) ou au verset de la Bible : « Dieu a créé

l’homme à Son image » (Genèse 1, 27). Adam représente l’Homme parfait

ou l’Homme universel, celui que Dieu a destiné à être Son lieutenant

(khalīfa) sur terre (Coran 2, 30) et Ibn ‘Arabī, à maintes reprises dans son

œuvre, développe l’idée du théomorphisme humain à travers le symbolisme

du miroir : « Tu es Son reflet inversé ! Tu es son cœur et Il est ton cœur ! »


34
(Fa-anta maqlūbuhu ! Fa-anta qalbuhu ! Wa-huwa qalbuka !) . Le poème

15, « La fraîcheur de l’œil », l’exprime différemment : « De Son Être je ne

vis rien qui soit plus parfait que mon image et mon être. » Notre lecture :

« je me figurai Dieu à partir de mon image » nous est par ailleurs suggérée

par la vision théophanique du vers 3. En effet, une tradition prophétique ne

prescrit-elle pas au croyant d’adorer Dieu « comme si tu Le voyais » ?


Ainsi, la beauté sensible devient, pour le spirituel, un lieu de contemplation

et d’adoration du Bien-Aimé divin, ce qui constitue la nature même de

l’amour mystique (cf. également le poème « Lorsqu’elle le revêtit », notes III

et IV).

II. Naqā, communément, signifie « humérus, os à moelle », seul le Lisān

al-‘arab donne le sens de « dune ». Il faut souligner la rareté de cette image

dans la poésie arabe.

III. Cette description qui puise dans le langage de la poésie courtoise

n’est pas sans rappeler le ḥadīth al-ru’yā (de la vision) où le Prophète

déclare : « J’ai vu mon Seigneur sous une forme de la plus grande beauté,

comme un Jouvenceau à l’abondante chevelure, siégeant sur le Trône de la

grâce ; Il était revêtu d’une robe d’or… » Voici ce qu’en dit Henry Corbin :

« La magnificence de la vision, l’insistance sur la beauté plastique nous

réfèrent au sentiment de la Beauté éprouvée dans une vaste région du

soufisme comme étant la théophanie par excellence. Notons-le bien : il ne

s’agit pas d’un pur sentiment esthétique […] mais de la contemplation de la

beauté humaine comme phénomène numineux, sacral, qui inspire effroi et

détresse, par l’élan qu’elle suscite vers quelque chose qui à la fois précède et
35
dépasse l’objet qui la manifeste . »

IV. Les quatre rivières du Paradis (Coran 47, 15) ainsi que leurs

pendants terrestres sont autant de bienfaits divins : une eau qui « revivifie la

terre après sa mort », un « lait pur, délicieux pour les buveurs », une

« boisson enivrante » retirée des « fruits des palmiers et des vignes », une

« liqueur aux couleurs variées » sortie du « ventre » des abeilles (Coran 16,

65-69).

V. Allusion au verset 14 de la sourate 23, « Les Croyants », dans lequel

l’embryon humain est décrit dans ses différents stades de développement

avant qu’il ne soit « transformé en une tout autre création ».

VI. On ne peut manquer de penser à la célèbre maxime attribuée à

Socrate, transmise par Platon : « Je sais que je ne sais rien. » À maintes


reprises dans son œuvre, Ibn ‘Arabī exprime l’insuffisance de l’intellect et

de la réflexion spéculative dans la recherche de la vérité, accessible

uniquement par le cœur, lieu de l’inspiration divine : « Je rejette la réflexion

car elle engendre chez celui qui l’utilise la confusion et l’absence de

véridicité. […] Par ailleurs, s’adonner à la réflexion [spéculative] est un

voile. […] Si certains d’entre eux [les philosophes] expérimentent les états

spirituels, tel Platon le Sage, cela est extrêmement rare ; ceux-là sont
36
semblables aux hommes du dévoilement et de la contemplation . »

VII. Kawā‘ib est le pluriel de kā‘ib, « jeune fille qui a les seins

développés et arrondis ». Ce mot appartient également aux descriptions

coraniques du Paradis, où il a une occurrence unique (78, 33). Nous

empruntons à Jacques Berque cette traduction de « jouvencelles » pour

évoquer les « belles aux seins arrondis, d’une égale jeunesse », promises

aux bienheureux.

VIII. La doctrine des Noms divins constitue un aspect original de la

spiritualité de l’Islam et elle tient une place essentielle dans la théosophie

d’Ibn ‘Arabī et des soufis. Elle trouve une base scripturaire dans le Coran où

il est dit : « À Dieu appartiennent les plus beaux Noms » (7, 180) et où,

selon la foi musulmane, Dieu se décrit Lui-même à travers un certain

nombre d’adjectifs et substantifs. La Tradition en compte quatre-vingt-dix-

neuf, qualifiés de « plus beaux Noms » ; le centième, ou « Nom suprême »,

occulté à la connaissance des hommes, ne serait divulgué qu’aux initiés par

un dévoilement. Cependant, dans la cosmogonie d’Ibn ‘Arabī, l’ensemble de

la création est décrit comme la théophanie des Noms divins, leur nombre ne

peut donc être qu’illimité. C’est à travers eux que l’Essence divine

insondable et inconnaissable se rend accessible à l’esprit humain tout en se

voilant car, suivant un ḥadīth, « son voile est la lumière ; s’Il l’enlevait, les

traits de Son visage consumeraient la création jusqu’à la limite extrême où

atteint Son regard ». Ils constituent une interface, un isthme entre la Réalité

absolue et l’existence manifestée. On peut dire que les créatures sont des
formes épiphaniques des Noms divins qui reçoivent leur existence (mais non

leur présence) à travers elles. Ibn ‘Arabī les désigne par le terme de

« Seigneurs » (arbāb, pluriel de rabb), chacun d’eux ne pouvant exister sans

son serviteur ou adorateur (‘abd). Ainsi chaque créature ne peut connaître

Dieu qu’à travers la forme particulière dans laquelle Il se révèle à elle et

dans laquelle son être est en mesure de l’appréhender, c’est-à-dire son

Seigneur. La connaissance de son Seigneur signifie donc la connaissance de


37
sa propre essence .

IX. Le Coran se qualifie lui-même de « Rappel » (dhikr) en plusieurs

versets : « C’est Nous, en revanche, qui avons fait descendre le Rappel » (9,

15) ; « Ce que Nous t’énonçons là fait partie des signes et du sage Rappel »

(3, 58 trad. Jacques Berque ; voir aussi entre autres 16, 43-44 ; 36, 11 ; 38,

1 ; 41, 41).
8

Grâce soit rendue à Dieu

1 Grâce soit rendue à Dieu, Seigneur des

I
univers , pour avoir créé, dans toute la diversité

de leur condition, les hommes,

Pour ce qui les réjouit, pour ce qui les accable,

l’un et l’autre acceptés de bon cœur.

À Lui la louange, à Lui la gloire infinie, avant

II
même notre père, qualifié d’oublieux .

III
Je L’adorai et j’implorai Son soutien , ainsi

IV
qu’Il l’avait ordonné par Sa Loi , pour me
V
délivrer de mes passions ,

5 Et pour qu’Il me dispose, dans mes actions, à

la droiture et pour qu’Il attendrisse mon cœur

endurci,

Jusqu’à ce que je sois grâce à Lui sur la voie de

VI
rectitude , par une noble conduite de générosité

et de bienveillance.

Dieu est une lumière qui transcende toute

ressemblance, une lumière qui m’apparaît dans


VII
la flamme d’une lampe .

Si une créature l’évoquait sans évoquer son

Créateur, alors, à raison, elle serait traitée

d’infidèle.

Car si je lui associais une image, on se

demanderait qui pourrait remédier au mal causé

par mes propos.

VIII
10 Je n’ignorai rien d’elle, sinon ses heures et

c’est pourquoi je repoussai loin d’elle mon

IX
tentateur insidieux .

Et si les chevaux de la raison se ruaient pour

l’atteindre, mes purs-sang l’emporteraient dans

la course au dévoilement.

Al- ḥamdu li-Llāh (Dīwān, p. 131) mètre al-basīṭ.

I. Al- ḥamdu li-Llāhi rabbi l-‘ālamīn citent textuellement le deuxième

verset de la Fāti ḥa, la première sourate du Coran, « L’Ouverture » du Livre,


« La Liminaire », que la Tradition désigne également par « Quintessence du

Coran » ou « Mère du Livre ». Ce poème ouvre également une série de

poèmes du Dīwān dédiés aux cent quatorze sourates du Coran. En exergue

de chacun d’eux, le nom de la sourate est précisé, par exemple ici : min rū ḥi
l-Fāti ḥa, ce qui signifie textuellement « venant de l’esprit de la Fātia ». La

particule min indique la provenance, faut-il alors comprendre « de la part de

l’esprit de la Fāti ḥa » ? Il semble étrange d’associer à une sourate un esprit


ou une âme. La tradition musulmane attribue des pouvoirs particuliers à

certaines sourates et Ibn ‘Arabī lui-même nous livre un témoignage

saisissant de la personnification de la sourate Yā’-Sīn qui lui est apparue


dans son coma pour le soustraire à des êtres maléfiques, tandis que son père
38
la récitait à son chevet . À la fin de cet ensemble dans l’édition de

Beyrouth, Ibn ‘Arabī déclare que ces vers lui ont été dictés « par

l’inspiration du moment sans ajout ni intervention de la raison, du jugement

et de la réflexion ».

II. « Notre père » désigne Adam qui, selon les termes du Coran, a été

« oublieux » du pacte qui le liait à son Créateur : « Toi, Adam, ainsi que ton

épouse, habitez le Jardin, mangez de ce que vous voudrez mais n’approchez

pas de cet arbre : vous seriez des iniques » (7, 19) ; « Auparavant, Nous

avons accordé à Adam un pacte, mais il l’oublia » (20, 115, trad. Jacques

Berque). Il est intéressant de noter qu’en islam, Dieu n’est jamais qualifié de

« Père » mais de « Créateur », de même les hommes ne sont pas les

« enfants de Dieu » mais Ses « créatures » ; ils sont en revanche les « fils

d’Adam ». Si la relation à Dieu le Père est absente dans la spiritualité

musulmane, le lien entre le Créateur et Sa créature est cependant empreint

de tendresse maternelle. Le féminin est en effet intrinsèquement présent

dans les Noms divins les plus évoqués par le fidèle, dans la formule bi-smi

Llāhi l-ra ḥmāni l-ra ḥīm, généralement traduite par « au nom de Dieu, le

Clément, le Miséricordieux ». Or, la racine R ḤM signifie à la fois

« compassion, miséricorde » et « utérus, matrice ». Ainsi est d’emblée

suggéré que le Divin est à la fois masculin et féminin. L’idée que la gloire de

Dieu précède la création même de l’univers est semblable à celle qui donne

au Prophète l’antériorité par rapport à Adam, selon le ḥadīth : « J’étais

prophète avant qu’Adam ne soit entre l’eau et l’argile. » Il ne s’agit pas bien

entendu de sa réalité humaine mais de sa réalité métaphysique, l’« Esprit

mu ḥammadien » ou « Lumière mu ḥammadienne » étant équivalent, dans

l’ésotérisme islamique, au Logos, au Verbe divin créateur, à l’Intellect

premier, à l’origine de l’ensemble de l’univers et de la prophétie. De même

le Christ affirma : « En vérité, en vérité je vous le dis : avant qu’Abraham


39
fut, je suis . » Le poète mystique Ibn al-Fāri (1181-1235), presque
contemporain d’Ibn ‘Arabī, exprime ce thème au début de son poème « Ode

au vin », qui décrit l’ivresse produite par le vin de l’amour mystique : « En

évoquant le Bien-Aimé, nous bûmes un vin dont l’ivresse perdure, qui nous
40
enivre avant même que ne soient créées les vignes . »

III. Ibn ‘Arabī suit ici, en des termes sensiblement différents, le verset 5

de la Fāti ḥa : « C’est Toi que nous adorons, Toi de qui le secours

implorons » (trad. Jacques Berque).

IV. Allusion à l’injonction divine par la bouche du Prophète dans le

ḥadīth : « Si tu implores un secours, implore le secours de Dieu. »


V. Pour ta ḥrīri anfāsī, la polysémie de la racine NFS ouvre de multiples
interprétations. Nous avons été guidés par le sens plus rare de « passion,

ḥarrara (dont
41
vice, défaut » . Notons également que l’un des sens du verbe

ḥrīr)
42
dérive le nom verbal ta est « consacrer à Dieu et à Son culte » ,

autorisant la traduction : « afin que je Lui consacre mes passions ».

VI. Ici encore, Ibn ‘Arabī reprend, en des termes différents, et développe

la prière contenue dans le verset 6 de la Fāti ḥa : « Guide-nous sur la voie de


rectitude » (trad. Jacques Berque).

VII. Allusion au célèbre verset de la sourate « La Lumière » : « Dieu est

la lumière des cieux et de la terre. Sa lumière est semblable à une niche où

se trouve une lampe » (24, 35).

VIII. « Je n’ai rien ignoré d’elle, sinon ses heures » évoque la Fāti ḥa,
récitée dix-sept fois par jour au cours des cinq prières quotidiennes de

l’islam qui rythment la journée à des heures déterminées par la position du

soleil. Ibn ‘Arabī les « ignore » peut-être dans la mesure où, pour un

mystique, la prière est un acte permanent.

IX. Le « tentateur insidieux » est ici la voix intérieure qui détourne de la

récitation de la Fāti ḥa, une prière qui accompagne chaque événement

important de la vie du musulman et qui est considérée comme un puissant

bouclier contre les forces du mal. Sans sa protection, le fidèle peut devenir la
cible de ses démons… Par ailleurs, l’allusion évidente à la sourate 114

« Les Hommes » (« Dis, je cherche refuge auprès du Seigneur des hommes

[…] contre le mal du tentateur perfide, qui chuchote dans la poitrine des

hommes ») établit entre la première et la dernière sourate du Coran un lien

chargé de sens. Le commentaire de Jacques Berque nous paraît

particulièrement éclairant : « Est-ce un hasard que dans cette sourate [114],

l’une des premières descendues à La Mecque, mais placée tout à la fin du

recueil, le terme “hommes” revienne cinq fois ? On l’admettra

difficilement ! Qui sait si “Seigneur des hommes” n’est pas placé ainsi, par

rapport au “Seigneur des Univers” de I, “L’Ouverture”, selon une symétrie

d’attributs significative ? Le Coran, si cela est vrai, commencerait par le

cosmologique pour finir par l’anthropologique ; appel direct à l’initiative des

hommes
43
. » Le premier vers du poème, ouvrant sur le verset 2 de la Fāti ḥa
et finissant par le mot al-nās, « les hommes », reproduit en lui-même le

cycle coranique dont la fin est simultanément le début.


9

Ô hommes, craignez Dieu

1 Ô hommes, craignez Dieu et appuyez-vous sur

Lui en toutes circonstances, alors certes vous

I
serez endurants .

L’Être véritable ne cesse de constituer votre

II
essence en cette demeure , jusqu’à ce que

l’existence arrive à son terme,

Lorsque vous serez emportés dans l’Autre

Monde et en vérité, il contient pour vous des

choses que peut voir celui dont le regard porte

Jusque-là. Les croyants qui en ont connaissance

les perçoivent avec des yeux sans vision.

5 Là est la perfection qu’Il a accordée à travers

la création, là sont les bienfaits, sans le moindre

dommage pour nous.

Les tourments sont réservés aux êtres insensés,

dans une demeure d’humiliation qui leur est

destinée comme prix de leur négation.

Leur bonheur serait venu vers eux sur le chemin

des épreuves, si seulement ils avaient été

patients.
Dieu voila leur regard sur un ordre pour lequel
III
ils furent créés , afin qu’advienne ce que le

IV
Destin apporte .

Dieu les conduisit à leur perte à travers des

œuvres réjouissantes, elles furent embellies pour

V VI
eux, en eux et ils n’en furent pas conscients .

10 S’ils avaient été endurants, ils n’auraient

connu que félicité, bienfaits et succès.

Yā ayyuhā l-nās (Dīwān, p. 132.), mètre al-basī . ṭ

I. Une semblable injonction à la crainte de Dieu ouvre la sourate 4 « Les

Femmes », inspiratrice de ce poème.

II. Selon le verset coranique : « Et Il est avec vous où que vous soyez »

(57, 4). Pour les mystiques, on ne peut attribuer véritablement l’être qu’à la

Réalité divine et toute chose en dehors d’elle est illusion. Le commentaire

ésotérique de ce verset par Abd el-Kader nous éclaire : « Si Allāh – qu’Il

soit exalté – n’était pas, par Son Essence même qui est l’être de tout ce qui

est, “avec” les créatures, on ne pourrait attribuer l’être à aucune de ces

dernières et elles ne pourraient être perçues, ni par les sens, ni par

l’imagination, ni par l’intellect. […] Mieux encore : Il est leur être même
44
[…]. Il est l’Être pur par lequel ce qui est est . »

III. Le texte de l’édition de Beyrouth donne khalafū, dont le sens premier

est « suivre », « rester en arrière » ou « succéder », « remplacer », qui

pourrait cependant prendre le sens de la forme III (intensive) khālafa, « être

en dissentiment avec quelqu’un, contrecarrer, contredire », ce qui

autoriserait la traduction : « Dieu les aveugla pour avoir transgressé un de

Ses ordres ». Cependant le contexte nous incite à lire khuliqū, « furent

créés », probable erreur sur un point diacritique.


IV. Ce vers sous-entend la préexistence du Destin par rapport à l’acte et

pose le problème de la prédestination. Le Coran n’affirme-t-il pas : « Aucun

malheur ne s’abat sur la terre ou sur vos propres personnes qui ne figure

déjà dans un Livre, avant même que Nous le fassions survenir » (57, 22,

trad. M. Chiadmi) ? Dans la métaphysique soufie, chaque créature est le lieu

de manifestation d’une entité immuable (‘ayn thābita), éternellement

présente dans la Connaissance divine. Ces entités (ou prototypes) sont elles-

mêmes expression des Noms divins, qui peuvent être des Noms de Beauté et

Miséricorde (le Bien) ou au contraire de Rigueur et Majesté (le Mal). « Dieu

veut pour Ses serviteurs ce que Sa science lui apprend à leur sujet de toute

éternité, [c’est-à-dire] ce qu’exigent leurs réalités essentielles et que

réclament leurs prédispositions – que cela soit bien ou mal, croyance ou


45
infidélité . » Ce qui n’exclut nullement la responsabilité de chaque

individu… La clé de ce paradoxe fait partie du « secret de la prédestination.

Cependant, le Législateur nous a interdit d’approfondir cette question, de


46
crainte de troubler les esprits faibles … »

V. Richesses et joies de ce monde sont des épreuves tout comme

malheurs et privations : « Sachez que vos richesses et vos enfants ne sont

qu’une épreuve pour vous » (Coran 8, 28 ; 64, 15) ; « On a enjolivé aux gens

l’amour des choses qu’ils désirent : femmes, enfants, trésors thésaurisés d’or

et d’argent, chevaux marqués, bétail et champs, tout cela est l’objet de

jouissance pour la vie présente » (3, 14, trad. éd. du Roi Fahd).

VI. L’édition de Beyrouth donne le verbe sha ḥara qui signifie

littéralement « ouvrir la bouche », mā sha ḥarū pouvant alors signifier « ils

ne dirent mot ». Mais cela semble peu logique dans le contexte et nous

sommes tentés là encore de proposer une autre lecture : mā sha‘arū, « ils ne

surent pas, ils n’en eurent pas conscience ».


10

Lorsque le soleil des âmes

1 Lorsque le soleil des âmes laisse poindre sa

clarté, les cœurs peu à peu grandissent par celle

qui le suit.

I
État après état , en elle ils le contemplent, se

manifestant dans le croissant quand il lui

succède.

II
Et certes, par mon mystère contenant Sa Vérité ,

je suis tel le soleil lorsqu’il donne son éclat.

Car dans l’existence je ne suis pas autre que Lui

par essence et Il n’est, dans Son Être à travers

III
nous, pas autre que le soleil .

5 Ainsi, voilà notre ciel tel qu’Il l’édifia et voici

notre terre telle qu’Il l’étala.

IV
Pour moi, mon Seigneur se mit à l’œuvre et

vos fruits atteignirent leur maturité.

Nous verserons sur vous une ondée généreuse

V
issue de vous , afin que vos âmes puisent en

elles-mêmes l’objet de leur désir !


VI
Et Il tisse les âmes d’une essence émanant de

Lui car je sais qu’elles forment sa trame.

Le jour nous tourmente par l’abandon et

l’adversité tandis que sa nuit nous apporte la

VII
douceur de la rosée matinale .

10 Ainsi les ténèbres couvrent l’essence par le

mystère de mon être et le jour la fait briller sans

la dévoiler.

Idhā shamsu l-nufūs (Dīwān, p. 163-164), mètre al-wāfir.

La sourate 91 « Le Soleil » a inspiré ce poème mystérieux qui puise ses

termes dans les six premiers versets : « Par le soleil en son premier éclat,

par la lune quand elle prend sa suite, par l’illumination du jour, par la nuit

quand elle l’occulte, par le ciel et ce qui l’a construit, par la terre et ce qui

l’aplanit… » (trad. Jacques Berque). L’évocation cosmique du Coran reçoit

ici une interprétation à travers le microcosme humain, l’Homme étant, dans

la mystique soufie et particulièrement chez Ibn ‘Arabī, le reflet du

macrocosme. La richesse symbolique ouvre d’infinies méditations. Tout

comme la lune transmet indirectement la lumière du soleil à l’obscurité de

la nuit, le cœur transmet la lumière de l’Esprit à l’obscurité de l’âme. Le

cœur est envisagé comme l’organe de la spiritualité, le lieu de pénétration

des inspirations divines et seul le cœur poli du mystique peut devenir ce

miroir dans lequel le Divin se reflétera. Quant à l’âme, elle est « le voile et

l’occident du soleil des réalités essentielles ». Le lever du soleil dans l’âme,

c’est pour cette dernière le dévoilement de sa véritable nature divine, selon

ḥadīth : « Celui qui connaît son âme connaît son Seigneur.


47
le »

I. Dans le vocabulaire soufi, ḥāl désigne l’état spirituel, caractérisé par

son instabilité, opposé à la station spirituelle (maqām), qui est stable. Les

états que traversent les mystiques et aspirants peuvent ainsi être comparés
aux différentes phases de la lune. La lune est aussi le symbole du disciple

qui reçoit la lumière de son maître spirituel.

II. Selon le ḥadīth : « Ni Mon ciel ni Ma terre ne peuvent Me contenir,

seul le cœur de Mon serviteur fidèle peut Me contenir. »

III. Par l’ambiguïté des pronoms, ce vers demeure hermétique et notre

lecture n’exclut pas une autre interprétation. Sa construction symétrique

autorise à y voir l’expression d’une correspondance intrinsèque, d’un

dialogue intime entre le Créateur et la créature, entre le Seigneur et Son


48
adorateur : « Dieu se décrit Lui-même à nous-mêmes par nous-mêmes . »

Voir également le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », note III.

L’interdépendance du couple Seigneur/serviteur est un aspect essentiel de la

théosophie d’Ibn ‘Arabī, pour qui l’univers entier est la manifestation de

Dieu voulant « être connu » c’est-à-dire voulant se connaître Lui-même,

selon le célèbre ḥadīth : « J’étais un Trésor caché, J’ai aimé à être

connu… » La créature ne peut exister sans son Créateur mais le Créateur ne

peut exister en tant que tel sans Sa créature. « C’est pourquoi, écrit Henry

Corbin, il est impossible que l’Être divin se sépare (et absurde que nous Le

séparions) des formes de l’univers, c’est-à-dire des êtres qui en l’adorant le


49
font Dieu . » L’émir Abd el-Kader confirme : « Le Shaykh al-Akbar [Ibn

‘Arabī] a dit à ce propos : “N’eût été Lui, n’eût été nous, ce qui est ne serait

pas.” Autrement dit : sans Dieu, la créature ne serait pas existenciée et sans
50
la créature, Dieu ne serait pas manifesté . » Le mot wujūd, qui apparaît

symétriquement dans les deux hémistiches, peut prendre le sens d’« être »

ou d’« existence ». Notre traduction par l’un et l’autre termes exprime une

différence ontologique : l’Être absolu n’appartient qu’à Dieu, par qui les

créatures reçoivent leur existence contingente. Nous suivons ici le texte de


51
l’édition Būlāq du Caire, sur lequel se base Denis E. McAuley . L’édition

de Beyrouth donne wa-mā humu siwāhā, « ils ne sont pas autres », au lieu

de wa-mā huwa siwāhā, « il n’est pas autre ». Cette variante s’explique par

la similitude graphique de huwa et hum ( ‫هو‬/‫)هم‬. Notre choix nous semble


s’imposer du fait du contexte mais il demeure subjectif, tout comme notre

interprétation.

IV. Selon le verset coranique : « Chaque jour, Il accomplit une œuvre

nouvelle » (55, 29, trad. éd. du Roi Fahd).

V. Nous lisons sanufriġu, « Nous répandrons, Nous verserons »,

contrairement à Denis E. McAuley qui conserve la forme I, sanafruġu,

« Nous achèverons, Nous accomplirons », suivant le verset coranique 55,

31 : Sanafruġu lakum, « Nous allons bientôt entreprendre votre jugement »

(trad. éd. du Roi Fahd) ou « Un jour de vous Nous aurons cure » (trad.

Jacques Berque). Il est significatif qu’Ibn ‘Arabī ait ainsi fait allusion à un

autre verset de la même sourate « Le Tout-Miséricordieux » qui énumère les

bienfaits du Créateur. En changeant la particule lakum, « de vous », en

ilaykum, « vers vous, sur vous », il inscrit également le vers dans la

miséricorde divine, tout entière contenue dans le mot jūd, « libéralité,

générosité, pluie abondante ». Cette « ondée généreuse » n’est-elle pas

l’irradiation de l’essence divine, dont l’âme humaine est consubstantielle et

dont elle se nourrit ?

VI. Une autre version présente yulmi ḥu, « Il fait briller », au lieu de

yul ḥimu, « Il tisse » (site Poetsgate). Cette alternative est d’autant plus

séduisante que la racine SDY peut prendre, outre le sens de « trame d’un
52
tissu », celui de « rosée de nuit » et « bienfait, faveur » . Ainsi la traduction

suivante pourrait-elle être proposée : « Il illumine les âmes d’une essence

émanant de Lui, car je sus qu’elle leur était telle une rosée nocturne. »

VII. La répétition du verbe ‘adhdhaba, généralement traduit par

« châtier, faire subir un supplice », contredisant dans le deuxième

hémistiche l’image de la rosée, semble à première lecture paradoxale.

Cependant, la racine ‘DHB fait partie des a ḍdād (sing. ḍidd, « antonyme »),
ces nombreux mots arabes qui peuvent prendre deux sens contraires. Ainsi,

elle signifie à la fois « châtiment, tourment, douleur » mais aussi « douceur,

fraîcheur (de l’eau), suavité » ; dans la seconde occurrence, ‘adhdhaba peut


dériver du verbe ‘adhuba, « être d’un goût agréable et doux (eau), avoir de
53
l’eau douce », signifiant alors, selon le schème de la forme II, « adoucir » .

Bien que ce sens ne soit pas authentifié par les dictionnaires, notamment le

Lisān al-‘arab, il nous paraît nécessaire de puiser dans cette polysémie pour

comprendre ce vers sans se heurter à une contradiction (la tentative

d’explication proposée par McAuley témoignant de sa perplexité). Il

s’agirait alors d’une création d’Ibn ‘Arabī en conformité absolue avec la

morphologie de la langue arabe.


11

L’étoile brûlante

1 L’étoile brûlante, de son zénith, apparaît

I
à celui qui vient tendre l’oreille vers la Parole .

Elle manifeste ses lumières au couchant et

II
transforme son Occident en Orient .

En tout être une part cachée, quand sa nuit

l’enveloppe, se met à briller.

En tout jardin un arbre desséché, quand sa

branche flétrit, se couvre de feuilles.

5 Et certes le cœur, quand il se guide sur ses

lumières, en Sa Révélation a foi sincère.

III
Dieu le préserve des envieux et du mal tout

comme ses semblables il avait préservé.

Lorsque ceux qui Le cherchent croient trouver,

par ignorance, la voie fermée devant eux,

Ils demeurent désemparés à Sa porte et aucun

d’entre eux ne L’atteint.

La porte d’un généreux se ferme-t-elle devant la

personne qu’il invite à entrer ?


10 Alors que dire de la porte de Celui qui n’a

cessé d’être envers nous bienveillant,

miséricordieux, compatissant ?

Hawā l-najm (Dīwān, p. 149-150), mètre al-mutaqārib.

I. La référence directe à l’ouverture de la sourate 53 « L’Étoile »,

inspiratrice de ce poème et généralement traduite : « Par l’étoile lorsqu’elle

décline… », l’allusion aux djinns écoutant aux portes du ciel, protégées par

des météores (Coran 72, 9) ou au démon cherchant à « voler quelque

secret » céleste, aussitôt poursuivi par une « flamme éblouissante » (15, 18,

trad. M. Chiadmi) sont autant d’arguments pour une lecture « négative » de

ce vers : « l’étoile brûlante, de son zénith, fondit sur celui qui venait dérober

la Parole ». Cependant, la suite du poème semble la démentir. Ibn ‘Arabī,

selon un mode d’exégèse original et tout en respectant rigoureusement la

lettre du Coran, parvient à des interprétations parfois contraires au sens

exotérique (sans pour autant nier celui-ci), en exploitant la riche polysémie

des mots arabes : « “Toute signification d’un verset quelconque de la Parole

de Dieu […] qui est jugée admissible par celui qui connaît la langue en

laquelle cette Parole s’est exprimée représente ce que Dieu a voulu dire à

celui qui l’interprète ainsi.” Corollairement, commente Michel

Chodkiewicz, aucune de ces significations ne doit être rejetée, si

surprenante, si scandaleuse même qu’elle puisse paraître car Dieu, en

énonçant ce verset, ne pouvait ignorer la diversité des acceptions possibles


54
de chaque mot ou de chaque composition de mots . » Or, le verbe hawā

signifie à la fois « tomber de haut, s’abattre sur » (se disant par exemple

d’un oiseau de proie) et, pour une étoile, « décliner, se coucher » mais aussi
55
« se lever, paraître » . L’étoile du poème est-elle ce météore punitif qui

s’abat sur un être malintentionné ? N’est-elle pas au contraire cette lumière

de la Révélation qui éblouit celui qui cherche à pénétrer la Parole ? Cela

reflète d’ailleurs les multiples interprétations du « serment par l’étoile » de


la sourate, certains y voyant une allusion au Coran descendu « en étoiles »

(nujūman), « comme si la Parole divine, telle une lumière solaire, devait se


56
réfracter dans de multiples lumières pour éclairer l’obscurité terrestre ».

II. Un texte d’Abd el-Kader peut éclairer ce vers mystérieux. Selon un

ḥadīth, parmi les signes annonciateurs de l’Heure se trouve le « lever du

soleil à son couchant ». Suivant la vision de son maître spirituel, le sens

eschatologique se double d’une interprétation spirituelle au sein du

microcosme humain : « [Le] lever [du soleil] à son couchant, c’est le

moment où il se dévoile et apparaît dans le lieu où il s’était caché et occulté,

c’est-à-dire dans l’âme, laquelle est le voile et l’occident du soleil de la


57
Réalité essentielle. […] Le couchant devient ainsi le levant . »

III. Référence à l’avant-dernière sourate du Coran « L’Aube naissante » et

en particulier le verset 5 : « Dis, je cherche protection auprès du Seigneur de

l’aube naissante, […] contre le mal de l’envieux quand il envie » (trad. éd.

du Roi Fahd).
12

Éminente est la gloire de Dieu

I
1 Éminente est la gloire de mon Seigneur loin

au-dessus de mon existence, aussi suis-je étonné

qu’Il m’appelle à me prosterner.

II
Ceci m’appartient et en vérité, si grandiose et

sublime soit-Il, Dieu est penché vers les

III
adorateurs .

J’ai déployé tant d’efforts pour rencontrer un

IV
être parfaitement droit mais il n’en existe pas

parmi les hommes.

Entre mon Seigneur et moi, si je réfléchis, le lien

est le même qu’entre le témoignage et le

V
témoin .

VI
5 Certains s’élèvent et la création est Vérité ,

alors quel rapport entre la précellence céleste et

la poussière ?

Voir en Lui l’absolu nous Le rend hors

VII
d’atteinte , Le rechercher davantage pour nous

VIII
L’abaisse .
Car Il est incontestablement parfait, aussi se

manifeste-t-Il et dans le proche et dans le

lointain.

Nous existons par Lui et Il m’affirme indigent,

nous Lui appartenons, alors où est la réalité de

XI
ma générosité ?

Il m’est transcendant si bien que je ne puis

L’appréhender. Aussi lorsqu’Il se laisse cerner

par mes chaînes,

10 Je Le saisis et ne vois rien d’autre que ma

X
propre essence. Je m’exclame : « C’est moi ! »,
XI
Il répond : « Mon Être le refuse . »

Ta‘ālā jaddu rabbī (Dīwān, p. 157), mètre al-wāfir.

I. Ces mots sont puisés presque textuellement dans le verset 3 de la

sourate 72 « Les Djinns », inspiratrice du poème.

II. On peut voir ici une allusion au ḥadīth : « J’ai partagé la prière en

deux parties égales entre Moi et Mon adorateur et à Mon adorateur

appartient sa requête. » S’ouvre alors un dialogue intime entre le Seigneur et

son fidèle autour de la Fāti ḥa, « L’Ouverture » du Coran. La récitation de

chaque verset reçoit l’écho d’un répons divin et dans la méditation d’Ibn

‘Arabī, cette oraison à deux voix exprime la solidarité, la réciprocité entre le

Créateur et Sa créature : « S’Il nous a donné la vie et l’existence par Son


58
être, je Lui donne aussi la vie, moi, en Le connaissant dans mon cœur . »

III. Le sens commun de a ḍāfa ilā étant « adjoindre, associer, annexer »,

la lecture la plus évidente semble : « en vérité, Dieu est si grandiose et

sublime qu’Il ne peut Lui être associé des adorateurs ». Mais comment ne

pas y percevoir une contradiction avec ce qui précède, l’« appel » de Dieu ?
Dans la doctrine d’Ibn ‘Arabī, la création est théophanie perpétuelle,

émanation du souffle divin dans Son désir à être connu (suivant le célèbre

ḥadīth : « J’étais un trésor caché et J’ai aimé à être connu. Alors J’ai créé

les créatures afin d’être connu par elles »), acte d’amour d’un Dieu

nostalgique d’être aimé : « La divinité recherche (désire, aspire à) un être

ḍāfa ilā, « faire pencher


59
dont elle soit le Dieu . » Suivant un autre sens de a
60
une chose du côté d’une autre de manière qu’elles se joignent », ne

pourrions-nous lire plutôt : « Dieu, si grandiose et sublime soit-Il, est

penché vers les adorateurs » ? Ce paradoxe apparent semble répondre au

questionnement du premier vers et la possibilité d’une double interprétation

est sûrement voulue par Ibn ‘Arabī, laissant le choix à la méditation de

chaque lecteur.

IV. Rashīd a le sens de « qui suit le sentier droit, droit dans sa conduite,

qui dirige les autres sur un sentier droit ». Significativement, Al-Rashīd est

l’un des quatre-vingt-dix-neuf Noms divins en islam : « Celui qui dirige vers

la voie du salut ».

V. Plusieurs lectures peuvent ici se superposer. Le mot shahāda signifie

« témoignage » mais il désigne aussi plus spécifiquement l’article de foi en

islam : « Je témoigne qu’il n’y a de Dieu que Dieu et que Mu ḥammad est

Son prophète. » La première partie de cette attestation se base sur le pacte

primordial qui a eu lieu, selon le Coran et la tradition prophétique, dans la

prééternité entre Dieu et les âmes humaines avant leur incarnation : « Et

quand ton Seigneur tira une descendance des fils d’Adam et les fit témoigner

sur eux-mêmes : “Ne suis-Je pas votre Seigneur ?” ils répondirent : “Mais si,

nous en témoignons…” » (7, 172, trad. éd. du Roi Fahd). Le mot shahīd, de

la même racine, désigne le témoin véridique, le martyre de la foi

musulmane, mais il est aussi un Nom divin, « le Témoin » ou

« l’Omniscient ».

VI. Al-khalqu ḥaqq, « la création est une vérité, une certitude », évoque

le ḥadīth : Al-mawtu ḥaqq wa-l-jannatu ḥaqq wa-l-nāru ḥaqq, « La mort est


une certitude, le Paradis est une certitude et le feu est une certitude ».

Cependant, Al- Ḥaqq (le Vrai) est un Nom divin et ḥaqq/khalq font partie

des couples de termes apparemment antinomiques qui, dans la théosophie

d’Ibn ‘Arabī, révèlent une identité d’essence entre le Divin et Sa

manifestation, en quelque sorte les deux faces d’une même Réalité qui

cependant ne sauraient être confondues ou superposées, l’une occultant

l’autre. Ainsi également du couple rabb/‘abd (seigneur/serviteur),

lāhūt/nāsūt (divinité/humanité). Notre traduction avec la majuscule tente

d’exprimer cette allusion.

VII. Pour qayyada, il semble exclu de retenir la traduction commune de

« lier avec des entraves, empêcher, entraver » en rapport avec Dieu. Le sens
61
de « défendre, interdire » nous est suggéré par le contexte.

VIII. Un mystère qu’ailleurs Ibn ‘Arabī exprime ainsi : « Si tu dis que

Dieu te transcende, la Loi sacrée te dit cependant qu’Il est à portée de main

et elle affirme aussi pourtant Sa transcendance. Sois conscient de ceci et


62
cela malgré l’infirmité de ton intellect ! »

IX. Signalons une erreur dans le texte de l’édition de Beyrouth que la

métrique nous impose de corriger : ainsi, il convient de lire wujūd jūdī, « la

réalité de ma générosité », et non wujūd wujūdī, « la réalité de ma réalité ».

X. Fa-qultu anā évoque inévitablement le célèbre Anā l- Ḥaqq, « Je suis

le Vrai » (i.e. « Je suis Dieu ») du mystique Al- Ḥallāj. Voir aussi le

poème 27, « Contemple le Vrai ».

XI. Ce « refus » divin est celui de Dieu envisagé en tant qu’Essence

absolue, inconnaissable et inatteignable : « L’Unicité suprême (a ḥadiyya, du


nom divin Al-A ḥad qui signifie l’Un) t’ignore et te refuse
63
. » Dans un

deuxième degré ontologique (sans qu’il y ait ici ni hiérarchie ni succession

temporelle) se révèle le Dieu qui « se penche vers Ses adorateurs », en qui

est présente de toute éternité la multiplicité des Noms divins aspirant à

l’existence dans la création. Ces notions de multiplicité dans l’Unicité et


d’immanence dans la transcendance constituent un aspect essentiel de la

doctrine métaphysique d’Ibn ‘Arabī, sous-jacente dans ce poème. Voir aussi

le poème 7, « Je me figurai mon Bien-Aimé », note VIII.


13

Je m’étonnai d’une femme

1 Je m’étonnai d’une femme dont le stratagème

envers le meilleur des hommes se heurta à son

Défenseur suprême.

Gabriel aussi lui porta secours, ensuite des anges

en renfort affluèrent vers lui,

Puis une troupe des plus pieux croyants. Nous

l’entendîmes nous-mêmes psalmodié dans le

I
Coran .

Cela n’est dû qu’à une existenciation par laquelle

la femme est déterminée en ce monde et en un

rang éminent.

5 Il ne fait de doute pour personne qu’elle fut

créée à partir de l’âme unique, comme le dit le

II
Coran, et de la côte recourbée .

Si donc tu cherches à la redresser, tu la brises et

cette cassure ne peut être qu’un divorce qui


III
accable .

Et si tu désires continuer à jouir de sa

compagnie, alors que sa courbure demeure et

IV
votre quiétude s’évanouit .
V
Car sa mère n’est autre que la Nature et elle est

comparable à Jésus lorsque, par celle-ci, il

VI
ressuscita les morts .
VII
Le Miséricordieux fortifia par l’Esprit l’âme

de Jésus et Il prit en charge la femme de façon

unique.

10 Si tu comprends ce à quoi je fais allusion,

alors je m’exprimai clairement pour vous sur

elle et sur son secret le plus intime.


Ta‘ajjabtu min unthā (Dīwān, p. 155), mètre al- awīl.

I. Les trois premiers vers font explicitement référence à la sourate 66

« L’Interdiction », inspiratrice du poème, dont les premiers versets relatent

un épisode qui a troublé la vie domestique du Prophète, une jalousie entre

épouses. Le poème reprend tout particulièrement les termes du verset 4 qui

est une injonction adressée aux épouses en faute : « Si toutes deux vous vous

repentez en Dieu, c’est que votre cœur incline au bien. Si vous faites front

contre lui, le Prophète, Dieu est son protecteur, et Gabriel, et ce qu’il y a de

juste parmi les croyants, et de plus, les anges prennent son parti » (66, 4,

trad. Jacques Berque). L’émir Abd el-Kader commente ce verset en ces

termes, exprimant par là l’« étonnement » d’Ibn ‘Arabī : « Considère [au

regard de ce verset] la place accordée à ces deux gentes dames, tu connaîtras

alors leur puissance et tu sauras quel rang prépondérant elles occupent ! Une

telle coalition – Dieu en Personne, Gabriel, de pieux croyants et l’ensemble

des anges – opposée à deux femmes pour soutenir l’Envoyé de Dieu – sur

lui la grâce et la paix ! –, voilà qui laisse les intelligences perplexes et

estompe tout ce qui est concevable… Combien de fois notre Maître [Ibn

‘Arabī] a-t-il évoqué ce verset avec admiration dans les Futū ḥāt, sans
64
toutefois en dévoiler le secret ? »
II. Min al-nafs, « à partir de l’âme », fait référence à la mention allusive

du Coran à la création de la femme : « Il vous a créés d’une âme unique

(min nafsin wā ḥida) qu’ensuite à partir d’elle-même, Il dota d’une épouse »


(39, 6, trad. Jacques Berque). Nafs wā ḥida peut aussi signifier « un seul

être », alors identifié à Adam par les exégètes et commentateurs musulmans

qui ont exploité parfois des sources bibliques pour éclaircir certains versets

coraniques, et puisé en particulier dans le récit de la création d’Ève à partir

de la côte d’Adam dans la Genèse. On désigne par isrā’īliyyāt ces récits et

traditions d’origine juive ou chrétienne qui ont été souvent contestés et


65
désapprouvés par le Prophète lui-même .

III. Pour ṭalāqun bihi tublā deux lectures sont possibles : « un divorce

qui t’accable [toi, homme] » ou « un divorce qui l’accable [elle, la

femme] ». Nous pensons que cette ambiguïté est intentionnelle et avons

choisi de la maintenir dans notre traduction.

IV. Les vers 5-7 reprennent presque mot pour mot une tradition

prophétique : « Traitez bien les femmes, car la femme a été créée à partir

d’une côte courbe, et c’est la partie la plus haute qui est la plus courbe, au

point que si vous essayez de la redresser, elle casse, tandis que si vous la
66
laissez intacte, elle reste courbe ; alors traitez bien les femmes . » Si ce

ḥadīth est authentique, il convient de l’interpréter en excluant toute attitude

misogyne, contredite par de nombreuses autres traditions attribuées au

Prophète et par ailleurs étrangère à la pensée d’Ibn ‘Arabī lui-même. Il

adopte au contraire une position peu commune à son époque, affirmant que

tous les degrés de la connaissance, de la spiritualité, de la sainteté, jusqu’à

la station suprême, celle du Pôle, sont également accessibles et à l’homme et


67
à la femme . Il a d’ailleurs eu plusieurs femmes parmi ses maîtres
68
spirituels . Le ton quelque peu ironique perceptible dans ces vers est

démenti par la suite, où le vers 4 est éclairé : la femme est placée « en un

rang éminent » aux côtés de Jésus, prophète et saint très vénéré en islam,
tout particulièrement par Ibn ‘Arabī qui a trouvé en lui son premier guide
69
spirituel .

V. Il s’agit ici de la Nature universelle, « la plus élevée et la plus grande

des mères », née, dans la cosmogonie d’Ibn ‘Arabī, du mariage de l’Intellect

premier et de l’Âme universelle, issus du Souffle miséricordieux du

Créateur. « En elle-même invisible, écrit Jean Annestay, elle porte toutes les

choses qui, sans elle, ne pourraient être existenciées… La Nature est alors le

domaine où s’impriment les traces du monde d’en haut. Elle est donc

réceptivité […] elle est “la matière à jamais invisible qui permet à tout ce

qui se situe en dessous du monde des esprits de se manifester, c’est-à-dire


70
tout ce qui se trouve dans les mondes imaginaux et corporaux” . » Or, dans

la vision d’Ibn ‘Arabī, toute créature reçoit la mesure et la limite de son être,

prédéterminées par le « décret de Dieu sur la chose selon ce qu’Il sait d’elle
71
et en elle ». L’image de la « côte courbe » peut devenir symbole d’une

nature féminine qui ne doit pas être connotée négativement, comme le

montre ce commentaire du ḥadīth précité : « Rappelons l’exemple de

l’enfant qui a remarqué que le forgeron est en train de déformer et de

courber les barres d’acier droites ; il interroge son père : Pourquoi le

forgeron ne leur garde pas leur droiture ? Réponse du père : Parce que ces

barres ne rempliront leur fonction qu’en ayant cette forme. Lorsque vous

contemplez les côtes de votre cage thoracique, vous vous rendez compte

qu’elles n’accompliront leur fonction consistant en la protection du cœur et

des poumons qu’avec leur forme courbe, elles penchent avec affection sur

les deux organes les plus importants dans votre corps, comme si elles

éprouvaient par cette inclination de la compassion, de la tendresse et de la


72
protection, et telle est la fonction de la femme dans la vie . » Denis
73
E. McAuley fait remarquer qu’Ibn ‘Arabī utilise une image similaire à

propos de tous les hommes, quand il déclare : « Tout dans la création est sur

une voie droite » mais ajoute : « La droiture d’un arc est sa courbure. »
VI. La comparaison de la femme avec Jésus peut être éclairée en

considérant la perspective ontologique du féminin et du masculin chez Ibn

‘Arabī. Pour lui, les principes masculin (agent actif) et féminin (pôle

réceptif) traversent la création à tous les degrés et sont présents dans chaque

créature. Le féminin est caractérisé par la totale disponibilité réceptive qui

devient créative sous l’action fécondante de l’agent actif, que ce soit au plan

cosmique, spirituel, intellectuel ou physique. Ainsi, la Vierge Marie et le

prophète Mu ḥammad ont accueilli dans une servitude passive absolue

l’Esprit saint afin de permettre, l’une la naissance de Jésus, l’autre la

transmission du Coran, Parole de Dieu. Ainsi Jésus, se désignant lui-même

comme un « serviteur de Dieu » (Coran 19, 30, trad. Jacques Berque),

reçoit-il la faculté de donner vie à l’oiseau d’argile et de guérir les morts

« avec la permission de Dieu » (3, 49). Ainsi la femme, dans son degré
74
ontologique, peut-elle transmettre la vie . L’émir Abd el-Kader nous livre

en ces termes, « de façon brève et allusive », le secret et l’explication de la

puissance des femmes : « La femme en tant que telle est la manifestation du

degré de la Réceptivité (puissance, passivité, réceptivité, plasticité), qui

n’est autre que le degré des possibles. Or, ce degré est d’un rang admirable

et excellent : car, n’était la féminité, c’est-à-dire n’était le degré du possible

et la réceptivité de l’Acte issu du degré de la fonction de Divinité, les Noms

divins seraient demeurés sans effet et, de ce fait, ignorés. Si création et


75
causalité supposent un Agent, elles nécessitent aussi un Réceptacle . »

VII. Allusion aux versets coraniques 2, 87 et 2, 253 : « Et Nous l’avons

renforcé [Jésus, fils de Marie] du Saint-Esprit » (trad. éd. du Roi Fahd).


14

Dieu illumine des cieux

1 Dieu illumine des cieux de leurs étoiles afin

que l’on se guide par les chemins dans les

I
ténèbres de la nuit .

Il enflamme l’atmosphère par la clarté du levant

et Il éclaire l’esprit par l’affirmation de Son

Unité et l’éthique.

Il illumine le cœur de lumières multiples car Il le

dilate dans l’amour.

Il allume la lune avec la lueur du couchant et elle

s’empresse dans sa course telle une monture au

pas rapide,

5 De même qu’Il embrase des horizons à

l’Orient et à l’Occident et les contemple avec

miséricorde au crépuscule.

Il illumine le corps par les souffles de vie puis

Ses lumières se diffusent comme les feux de

l’aurore.

Il illumine la terre avec les fleurs et elle sourit

d’un rouge pur et d’un blanc éclatant.

II
Et le mystère s’opacifie dans l’abîme partout où

il tombe sous les voiles qui révèlent encore un


III
voile .

Et l’esprit s’enténèbre dans ses réflexions

spéculatives et l’âme s’assombrit par la

convoitise et l’attachement.

10 Et l’intempérant plonge dans l’obscurité par

sa nature, étouffant sous la nourriture,

suffoquant dans la boisson,

Et demeure dans le noir l’enfant créé de

semences cachées sous une triple ténèbre et qui

IV
suivent un ordre harmonieux .

Ainsi, aucune lumière ne peut exister sans la

contrepartie de son contraire, de même que

V
l’aube est opposée au crépuscule .

En raison de cela, quiconque soutient la dualité

s’égare et sur ce point les camps se sont

VI
divisés .

À tous, par leurs raisonnements, sont parvenues

des choses insoutenables, émanant du Divin,

15 C’est pourquoi leurs croyances sur Lui

VII
divergent sur la fatalité et la liberté .

Celui qui professe sa doctrine se met lui-même

la chaîne autour du cou,

Dans son écoute d’autrui comme dans sa propre

pensée, et le clairvoyant ne cesse d’être dans la

perplexité, tout à la fois excité et bridé.

Ainsi tu vois tous ceux doués de subtilité un jour


VIII
sur la voie qui mène à l’état de brûlement .

Allāhu nawwara aflākan (Dīwān, p. 139),


mètre al-basī .
I. Les sept premiers vers du poème semblent développer le célèbre

« verset de la Lumière » dans la sourate éponyme, inspiratrice de ce poème :

« Dieu, lumière des cieux et de la terre. Sa lumière serait telle une niche où

se trouve une lampe, la lampe logée dans un cylindre de verre. Celui-ci tel

un astre au scintillement de perle dont l’éclat se nourrit d’un arbre béni,

olivier ni oriental, ni d’Occident, d’une huile qui quasiment éclaire, alors

que nul feu ne l’a effleurée. Lumière sur Lumière » (24, 35, trad. Youssef

Seddik). Les étoiles comme repères pour le voyageur nocturne, au sens

propre comme au figuré, ont d’autres références coraniques, en particulier le

verset 97 de la sourate 6 : « Il est Celui qui a mis en place les étoiles afin
76
que par elles vous vous guidiez dans les ténèbres de la terre et de la mer . »

II. Pour hawwā ( ‫)هّو ا‬, la licence poétique autorisant l’omission de la

hamza finale, il est donc possible de lire hawwā’ ( ‫)هّو اء‬, le « mystère que

‫)هّو اءة‬,
77
l’on ne saurait contempler » , qui rappelle aussi le mot hawwā’a (

« vallée très profonde, précipice », d’où notre traduction par « abîme ». Il

est intéressant de considérer également le terme al-huwa que certains

prononcent al-huwwa et qui, dans son acception mystique, prend le sens

d’« essence divine insondable », de « mystère » et parfois, chez Ibn ‘Arabī,


78
d’« aveuglement humain » .

III. Ṭibāq, pluriel de ṭabaqa, a deux occurrences dans le Coran, associé

aux « sept cieux » : « Celui qui a créé sept cieux superposés » (67, 3, trad.

éd. du Roi Fahd ; voir aussi 71, 15). D’où la définition de Kazimirski :

« voûtes de sphères célestes superposées les unes aux autres comme les

enveloppes de l’oignon
79
». Le mot ṭabaq peut prendre également le sens de
« couche superposée à une autre ». Or, ce vers hermétique ouvre la série de

vers (8-11) qui, dans le poème, opposent l’obscurité à la lumière et il nous

semble y percevoir un écho du verset 40 de la sourate 24, qui présente le

contraste entre ténèbres et lumière du verset 35 : « Ou comme des ténèbres

sur une mer profonde. Une vague le couvre par-dessus lui, et par-dessus la

vague une nuée, des ténèbres par couches amoncelées » (trad. Jacques
Berque). « Ténèbres sur ténèbres » répondent ainsi à « lumière sur

lumière ».

IV. Le développement progressif de l’embryon humain est décrit dans le

Coran à travers plusieurs versets (notamment 2,12-14 ; 75, 36-39 ; 77, 18-

19). « Triple ténèbre » est une allusion directe à Coran 39, 6. Nous

empruntons à Jacques Berque cette traduction de fī ẓulumātin thalāth qui a

été rendu aussi par « dans les ténèbres d’une triple membrane ». Il s’agirait

du ventre maternel, de l’utérus et du placenta.

V. Abd el-Kader explicite en ces termes la présence et l’équilibre

nécessaires des forces contraires : « Dans le Coran comme dans les

traditions prophétiques, [les] noms de Majesté [la rigueur divine] et de

Beauté [la miséricorde divine] sont constamment symbolisés par les

“Mains” de Dieu. Ils entrent en compétition, s’affrontent et se repoussent les

uns les autres, et cela jusque dans l’intimité d’une même personne […].

Ainsi, les supports de manifestation de la Beauté et de la Majesté sont-ils

inséparables dans leur succession et leur opposition, à l’instar des jours et

des nuits dont l’alternance fait succéder l’ombre à la lumière. [Sans cette

opposition en effet] la terre en serait corrompue : son organisation en eût été


80
désagrégée … »

VI. L’Unicité divine est ici rappelée : il ne saurait y avoir une force des

ténèbres s’opposant à Dieu, qui demeure l’Agent unique. Le Coran l’affirme

en maints versets : « Adorerez-vous ce que vous sculptez, dit-il, quand Dieu

vous a créés, vous et vos fabrications ? » (37, 95-96) ou encore : « Qui le

veuille emprunte un chemin vers son Seigneur bien que vous ne vouliez que

si Dieu veut » (76,30). Il affirme cependant aussi la liberté et la

responsabilité humaines : « Dieu n’impose à une âme que selon sa capacité.

En sa faveur ce qu’elle aura acquis, en sa charge ce qu’elle aura commis »

(2, 286) ; « Le Vrai ne procède que de notre Seigneur. Que croie celui qui

veut, et que dénie celui qui veut » (18, 29, trad. Jacques Berque). Le Coran

ne tranche pas et la question de l’attribution des actes a divisé les


théologiens. Dans la vision d’Ibn ‘Arabī, la réponse est claire mais elle n’est

dévoilée qu’aux seuls initiés. Ainsi l’exprime son disciple Abd el-Kader :

« L’acte n’appartient véritablement qu’à Dieu seul. L’univers n’est rien

d’autre que les actes d’Allāh. […] Celui qui parvient à la véritable

connaissance de l’Unicité divine […], celui qui sait cela d’une science

fondée sur l’expérience spirituelle et sur la vision directe et non sur

l’imagination et sur la conjecture, celui-là sait que les créatures ne sont rien

d’autre que les réceptacles des actes, des paroles et des intentions que Dieu

crée en elles et sur lesquels elles sont sans pouvoir, même si d’autre part
81
Dieu les interpelle, leur impose des obligations, leur donne des ordres . »

VII. Très sommairement, deux courants se sont opposés au sein de la

théologie islamique (kalām). La qadariyya (du mot qadar, « pouvoir »)

affirmait le libre-arbitre et la responsabilité de l’homme, seule base

e
acceptable à la justice divine ; l’école mu‘tazilite, apparue au XIII siècle, en

fut l’héritière, combinant la philosophie grecque à la foi musulmane. La

jabriyya (du mot jabr, « coercition, contrainte ») défendait au contraire la

toute-puissance de la volonté divine sur l’homme ; le courant ash‘arite se

développa en réaction aux thèses mu‘tazilites, réaffirmant la prédestination

mais introduisant la notion d’« acquisition » par l’homme de l’acte voulu

par Dieu. « En réalité, note Claude Addas, Ibn ‘Arabī ne rejette pas tant,

nous semble-t-il, les thèses des uns et des autres que le procédé intellectuel,

la méthode de raisonnement qui les ont conduits à soutenir telle ou telle

théorie : pour lui l’intellect (‘aql) ne peut conduire à une certitude décisive

et quiconque lui accorde une confiance excessive est par là même condamné

à ne découvrir que des vérités relatives qu’il commet l’erreur de croire


82
absolues . »

VIII. Pour ḥaraq, nous empruntons à Kazimirski sa définition : « chez les


mystiques, état de brûlement, état moyen entre l’éclair des manifestations de
83
Dieu et l’anéantissement dans l’essence divine ».
15

La fraîcheur de l’œil

I
1 La fraîcheur de l’œil n’est autre que moi-

II
même et l’amour est entre moi et Moi-même .

Je le jure, n’eût été mon existence, Mon Essence

III
n’apparaîtrait qu’à Moi-même !

De Son Être je ne vis rien qui soit plus parfait

IV
que mon image et mon être .

Par l’union je fondis toute différence et le

bienfait de la fusion se substitua à la


V
séparation .

5 Je ressens Dieu à travers mon existence, dans

l’accomplissement des prescriptions Il est mon

VI
soutien .

La connaissance de mon essence me conduit à

Lui en ce monde, avant que n’arrive mon

VII
Heure .

Que Dieu, Bien-Aimé, ne sépare pas Ses souffles

de moi-même !

Mā qurratu l-‘ayn (Dīwān, p. 142),

mètre al-basī ṭ partiel.


I. Qurratu l-‘ayn, très belle image pour exprimer « ce qui réjouit l’œil »,

la « consolation », est tiré du sens de la racine QRR, « être rafraîchi, ou

éprouver une fraîcheur (en parlant des yeux, lorsque, après avoir pleuré à

chaudes larmes par suite d’une peine, ils cessent de pleurer et que l’homme

est consolé en apercevant l’objet de ses désirs) et de là : concevoir de la joie


84
après le chagrin ». L’introduction à ce poème dans l’édition de Beyrouth

cite le ḥadīth : « Une fraîcheur de mon œil a été placée dans la prière » ainsi
que le verset 17 de la sourate 32 « La Prosternation », inspiratrice du

poème : « Nulle âme ne peut connaître ce qui s’occulte pour eux comme

fraîcheur pour les yeux, en récompense de ce qu’ils pratiquaient »

(trad. Jacques Berque).

II. Ce vers hermétique traduit l’expérience mystique de l’Unicité divine

(taw ḥīd) et le Locuteur divin semble ici mêler Sa voix à celle du poète, ce

que nous tentons d’exprimer par l’emploi de la majuscule, comme dans le

vers suivant. L’analyse d’Henry Corbin est éclairante : « Au point de départ,

remémorons-nous le ḥadīth inlassablement médité par tous nos mystiques

en islam, celui où la divinité révèle le secret de sa passion : “J’étais un trésor

caché et J’ai aimé à être connu. Alors J’ai créé les créatures afin d’être

connu par elles.” Avec plus de fidélité encore envers la pensée d’Ibn ‘Arabī,

traduisons : “afin de devenir en elles l’objet de Ma connaissance”. C’est

cette passion divine, ce désir de se révéler et de se connaître Soi-même dans

les êtres en étant connu par eux qui est le ressort de toute une dramaturgie
85
divine, d’une cosmogonie éternelle . »

III. Ainsi s’expriment l’interdépendance, la complémentarité de deux

faces d’une Réalité unique absolue : Seigneur/serviteur, Créateur/créature.

L’émir Abd el-Kader développe en ces termes ce point essentiel de la pensée

d’Ibn ‘Arabī : « Le lien qui unit le serviteur au Seigneur est semblable à

celui qui unit la matière à la forme […]. [Le serviteur] n’existe que par son

Seigneur, mais sans son existence, Dieu ne saurait être les forces du

serviteur. Sans l’Être réel, il n’y aurait pas de serviteur ; mais, “dépouillé”
de Sa créature, Dieu ne se serait jamais manifesté. […] Dieu est tout à la

fois l’adorateur et l’Adoré ; Il s’obéit à Lui-même, s’Il le désire, par

l’entremise de Ses créatures et se rend justice à Lui-même en toute équité,


86
ainsi que l’y autorise Son propre droit inaltérable . »

IV. Ibn ‘Arabī écrit dans les Fu ūs al- ṣ Ḥikam : « Il [Dieu] est donc ton

miroir où tu te contemples ; et tu es Son miroir où Il contemple Ses Noms et

la manifestation des pouvoirs propres à chacun d’eux. Et tout cela n’est rien
87
d’autre que Lui ! »

V. Bayn exprime à la fois l’idée de séparation, d’éloignement, de

différence mais aussi l’union, la liaison, l’amitié. Il fait partie des a ḍdād,
termes possédant deux significations contraires, une particularité de la

langue arabe dont la charge poétique révèle aussi une vérité métaphysique

puisque le Divin, qui échappe à toute conception humaine, est le lieu de

rencontre de tous les paradoxes. Le Coran ne dit-il pas : « Il est le Premier et

le Dernier, l’Apparent et le Caché » (57,3) ? « Faire l’expérience de

l’Unique, analyse Sami-Ali, c’est donc vivre continuellement une

expérience de paradoxe inhérente à toute tentative de dire l’indicible et qui

imprègne le langage soufi. […] Ibn ‘Arabī l’exprime sans ambages : “En

réalité, il n’y a ni union ni séparation, comme il n’y a ni éloignement ni

approchement… Il y a union sans unification, approchement sans proximité,


88
et éloignement sans aucune idée de loin et de près.” »

VI. Nous percevons ici l’écho au ḥadīth : « Mon serviteur ne se

rapproche pas de Moi par quelque chose de plus agréable que

l’accomplissement de ce que Je lui ai prescrit et Mon serviteur ne cesse de

se rapprocher de Moi par des œuvres surérogatoires au point que Je l’aime.

Et lorsque Je l’aime, Je suis son ouïe par laquelle il entend, son regard par

lequel il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied par lequel il

marche… »
VII. Commentant le ḥadīth : « Celui qui se connaît soi-même connaît son
Seigneur », Henry Corbin écrit : « L’authentique sagesse mystique, c’est

pour l’âme se connaître soi-même comme une théophanie, une forme propre

en laquelle s’épiphanisent les Attributs divins qui lui seraient

inconnaissables, si ce n’était en elle-même qu’elle les découvrît et les

perçût
89
. » Comment ne pas rapprocher ce ḥadīth de la célèbre formule

gravée au fronton du temple de Delphes : « Connais-toi toi-même et tu

connaîtras l’univers et les dieux » ? L’interprétation philosophique qu’en

donne Platon voit dans la raison humaine le miroir du Divin, auquel

l’introspection peut donner accès. Tout autre est la vision des mystiques,

pour qui la raison demeure un instrument limité, voire une entrave (selon

l’étymologie de la racine ‘QL, « lier, attacher », dont le mot ‘aql, « intellect,

raison », est dérivé) dont il faut s’affranchir pour accéder à la connaissance

de l’essence véritable, par la voie du cœur et l’expérience du dévoilement.


16

Il étend le pardon

1 Il étend le pardon aux pécheurs après un

I
châtiment et une renaissance universelle .

Or, Il répartit cela entre séjour en des jardins et

séjour en un feu brûlant.

Et les deux groupes sont dans Sa miséricorde,

savourant éternellement d’infinies voluptés.

Bienfait du froid pour qui brûle, délice de la

chaleur pour qui reçoit la fraîcheur,

5 Afin que tous soient dans Sa miséricorde. Ne

s’est-Il pas nommé Lui-même le Bon, le

II
Miséricordieux ?

‘Amma bi-l-ġafrāni (Dīwān, p. 145), mètre al-ramal.

I. Deux versets coraniques sont cités en introduction à ce poème : « Et

Ma Miséricorde embrasse toute chose » (7, 156) ; « Car Dieu pardonne tous

les péchés » (39, 53). Cette dernière sourate est inspiratrice du poème.

II. Cette vision de l’universalité de la miséricorde divine est l’un des

points très controversés de la doctrine d’Ibn ‘Arabī : si, suivant la lettre du

Coran, le séjour en enfer est éternel, le châtiment en revanche ne saurait

l’être. Voici par exemple ce qu’Adam lui déclare lorsqu’il le rencontre dans
le premier ciel, au cours de son ascension spirituelle : « Le bonheur dans la

vie future est perpétuel en dépit de la différence des séjours : car Dieu a

placé en chaque demeure [Paradis ou Enfer] ce par quoi les habitants de

cette demeure connaîtront la félicité. » Sans nier en aucune façon la réalité

du châtiment comme passage, Ibn ‘Arabī écrit : « L’état de l’enfer restera ce

qu’il est, mais la Miséricorde y produira [pour les damnés] une félicité sans

que soient modifiés la forme ou le statut de la demeure infernale : car la


90
Miséricorde est toute-puissante et son autorité imprescriptible à jamais . »

Voir également le poème 26, « Lorsque les choses se constituèrent »,

note IV.
17

En Saba

I
1 Certes, en Saba il est pour nous un signe que

connaissent précurseur et pondéré.

Lorsque les âmes sont foudroyées devant Sa

Révélation et ne trouvent aucun appui

Jusqu’à ce qu’Il délivre leurs cœurs de la frayeur,

on demande : « Que vous fut dit ? », ils

II
répondent : « L’Un . »

Recherche cette sagesse assidûment par

l’invocation et non la spéculation, jusqu’à ce que

tu trouves

5 Celui qui te dévoile ce qui te foudroya l’âme

avant le corps,

À l’instar de Moïse lorsque lui apparut en Son

III IV
Essence le Seigneur qui n’a pas engendré .

Ainsi son aspiration demeura infructueuse.

Recherche donc Sa sagesse et prends ton temps.

Et sur ce que tu rencontreras pendant ta quête,

ne te fie pas à ta raison en négligeant la voie.

V
Car en vérité la Loi n’est autre que la voie. En

elle place ta confiance, en dehors d’elle ne désire

rien.
10 Quiconque saisit la signification de ce que

j’ai formulé dans ces vers, celui-là est le

pondéré.

Selon moi, il possède assurément l’éminence, il

poursuit Sa sagesse, sans excès.

La sagesse fait tourner sa noria de sorte que son

eau irrigue tous les pays.

VI
Ainsi il en est fait mention en un point central

et le juste milieu est la précellence en matière de

croyance.

Avec lui, le Coran affirme notre grâce et il offre,

pour qui est en quête, le plus puissant des

appuis.

15 Si quelqu’un me dit qu’une faveur à nous

VII
accordée gonfle son orgueil , je lui réponds

cela, qui m’a été transmis.

Inna lanā fī saba’ (Dīwān, p. 143-144),

mètre al-sarī’.

I. Le premier hémistiche est une référence directe au verset 15 de la

sourate 34 « Saba’ », inspiratrice du poème. S’agit-il donc ici du destin

particulier de ce peuple qui, pour s’être montré ingrat malgré les signes de la

bonté divine, subit Son châtiment : « Oui, pour Saba résidait en ses

demeures un signe : deux jardins à droite et à gauche. “Mangez de

l’attribution de votre Seigneur, soyez-Lui reconnaissants.” […] Cependant

ils se dérobèrent, ainsi Nous déchaînâmes sur eux le flux de ‘Arim » (34,

15-19, trad. Jacques Berque). Historiquement, ce peuple vivait au Yémen et

avait construit un long barrage qui fit de la région un véritable jardin. Au

er
I siècle apr. J.-C., la digue se rompit et les eaux ravagèrent les richesses du

91
pays . Rappelons que le mot āya signifie à la fois « signe », « miracle » et
« verset coranique ». Il serait donc possible de traduire également par « dans

la sourate “Saba’ ” se trouve un verset ». Signalons enfin que la racine

verbale SB’, dans la forme IV, signifie « se faire docile, doux et soumis »
92
(Asba’a amra Llāh, « Il se soumit aux arrêts de Dieu sans murmurer »).

II. Ce vers est une allusion au verset 23 de la même sourate « Saba » :

« Quand ensuite la frayeur se sera éloignée de leurs cœurs, ils diront : “Qu’a

dit votre Seigneur ?” Ils répondront : “La Vérité” » (trad. éd. du Roi Fahd).

III. Il est fait ici référence à l’épisode où Moïse, malgré sa proximité avec

Dieu, Lui demande de contempler Sa face, requête qui lui est refusée : « Tu

ne Me verras pas », car l’homme ne peut survivre à une telle vision. Mais

Dieu y accède indirectement à travers la montagne, à qui Il apparaît et qui

est pulvérisée, tandis que Moïse tombe foudroyé (Coran 7, 143). La même

racine Ṣ‘Q, « être foudroyé », employée dans le verset coranique, apparaît

deux fois dans le poème, dans les vers 2 et 5. L’interprétation mystique de

cet épisode apporte un éclairage : la vision directe de Dieu conduit à

l’annihilation de l’homme en Dieu ; l’expérience ultime du mystique,

l’union à Dieu, ne peut comporter aucune dualité, elle est la reconduction de


93
tout à l’Unité . Ainsi peut-on comprendre que l’Un ait foudroyé les âmes.

IV. Lam yalid, « Il n’a pas engendré », cite le verset 3 de la sourate 112,

dont le premier vers proclame l’Unicité divine : « Dis : Il est Dieu, Il est

l’Un. »

V. Ibn ‘Arabī écrit dans les Futū ḥāt : « Dieu, en effet, n’a pas institué

d’autre voie d’accès à Sa connaissance – à laquelle l’intellect, sous le

rapport de sa fonction spéculative, ne peut parvenir de façon autonome –

que la Loi qu’Il a promulguée par la bouche de Ses Envoyés et de Ses


94
Prophètes . » L’étymologie de la racine SHR‘ dont dérive sharī‘a, « loi

divine », contient en elle-même l’idée de route, voie, d’où shāri‘,

« avenue ».

VI. Quel est ce « point central » ? La tradition prophétique témoigne de

l’importance particulière accordée à la sourate 2 « La Vache », la plus


longue du Coran avec deux cent quatre-vingt-six versets. Or le verset 143,

qui en est le centre numérique, exprime justement l’idée d’équilibre et de


pondération à travers ce même mot wasa , « milieu, centre, moyenne » :


Ja‘alnākum ummatan wasa an, « Nous avons fait de vous une communauté

du juste milieu » (trad. M. Chiadmi), « Nous avons fait de vous une

communauté de justes » (trad. éd. du Roi Fahd), « Nous avons fait de vous

une communauté médiane » (trad. Jacques Berque). L’allusion est subtile et

cette interprétation se confirme dans le vers 14 du poème. L’encouragement

à la modération et à l’équité, la condamnation de tout excès est un point très

important du message coranique, répété également dans les ḥadīth.


Soulignons qu’il s’agit là de la seule occurrence du mot wasa ṭ dans le

Coran.

VII. Nous avons interprété ṣāda à partir de l’un des sens de la

racine ṢYD, « lever la tête et la porter haut par orgueil ». Cependant ce

verbe signifie également « faire plier le cou à quelqu’un, le rendre incapable


95
de redresser la tête ». En considérant la polysémie de la racine SKN (qui

peut prendre le sens de « pauvreté, misère »), il serait également possible de

lire : « si quelqu’un me dit qu’une misère à nous infligée lui fait plier le

cou ». Cette ambiguïté serait-elle volontaire ? En effet, l’excès d’orgueil

comme l’excès d’humiliation vont à l’encontre de la sagesse du juste

milieu…
18

Je me repens de Lui

1 Je me repens de Lui et je reviens à Lui car je

I
suis entre Ses deux mains ,

II
De même que cherche refuge contre Lui et

auprès de Lui celui qui est dans Sa proximité.

Mu ḥammad est le plus noble des hommes, que


III
Dieu le bénisse !

Si grâce à lui j’atteignais mon Bien-Aimé, je

cueillerais avec vénération

IV
5 La rose de la pudeur sur ses joues et je

viendrais de lui à Lui.

V
Il possède seul la perfection de l’être , lui qui

VI
est issu de Ses paumes ,

Tel Adam, qui d’autre sinon lui est sorti de Ses

VII ?
deux jardins

Quelle pleine lune m’est apparue en Ses deux

VIII !
levants

Elle offre fraîcheur à mon œil émanant de Lui et

IX
de Ses deux lieux de manifestation .

Atūbu minhu ilayhi (Dīwān, p. 134),

mètre al-mujtath.
I. Tāba min, « se repentir d’un péché », tāba ilā, « revenir à Dieu » : un

même verbe arabe exprime les deux mouvements et cette formulation n’en

paraît que plus paradoxale. Elle semble faire écho au verset 18 de la sourate

9 Al-Tawba, « Le Repentir », inspiratrice du poème : « Ils comprirent enfin

qu’il n’y avait pas de refuge contre Dieu qu’en Dieu Lui-même. C’est alors

que Dieu revint vers eux pour les amener au repentir. » Ce vers reflète (tout

comme le suivant) le paradoxe intrinsèque à l’idée de l’Unicité divine

poussée dans sa logique extrême chez les mystiques et particulièrement Ibn

‘Arabī. Rappelons que dans la spiritualité des Noms divins, synthétisés dans

le nom Allāh, les noms dits « de Beauté » sont effusion de la miséricorde

divine tandis que les noms dits « de Majesté » sont effusion de Sa rigueur.

Ils sont symbolisés par les deux mains de Dieu dont la droite donne le Bien,

la gauche le Mal (voir également le poème 14, « Dieu illumine des cieux »,

note V). Dans la dernière sourate du Coran, « Les Hommes », il est

commandé : « Dis : “Je cherche refuge auprès du Seigneur des hommes […]

contre le mal du tentateur perfide, qui suggère insidieusement le mal aux

hommes” » (114, 1 et 4-5, trad. éd. du Roi Fahd). Le commentaire d’Abd el-

Kader reflète parfaitement la vision de son maître spirituel : « Si Dieu nous

ordonne de Lui demander protection contre [toute forme de] tentation, il ne

faut pas pour autant faire du “tentateur” une sorte de contrepartie de Dieu

qui serait en quelque sorte Son contraire : cela reviendrait à Lui donner un

associé au sein de Son royaume. Que non ! Dieu nous commande de Lui

demander protection contre Lui-même car en vérité il n’est que Lui qui

puisse causer du tort ou être utile. […] Le tentateur n’est autre chose que la

manifestation du Nom divin “Celui qui égare” (Al-Mu ḍill) ; et Dieu ne nous
a-t-Il pas [dans de nombreux versets] interdit de craindre un autre que
96
Lui ? »

II. « Ne les craignez point, mais craignez-Moi, si vous êtes croyants »

(Coran 3, 175). Citons à nouveau le commentaire éclairant d’Abd el-Kader :

« La crainte est de deux sortes. En premier lieu, il y a la crainte de Dieu.


[…] Elle n’est pas crainte de la tyrannie mais reconnaissance de la Majesté

divine. C’est celle-là qu’éprouvent les gnostiques […] qui sont parvenus à la

véritable réalisation de l’Unicité divine […] : celui qui Le connaît – qu’Il

soit exalté ! – sait aussi que Lui seul doit être craint puisque toutes les

choses, en ce monde et dans l’autre, ne sont rien de plus que Ses épiphanies

et Ses manifestations. Les gnostiques ne redoutent donc qu’Allāh, ils ne

craignent que Lui et ils ne se prémunissent contre Allāh que par Allāh et
97
non par quoi que ce soit d’autre . »

III. Il convient de souligner la fervente vénération dont fait l’objet le

Prophète de l’islam au sein de l’ensemble de la communauté musulmane,

traversant les siècles et les catégories sociales. Elle anime la piété populaire

tout comme elle nourrit la méditation des mystiques. Au-delà de la figure

historique, elle s’adresse à la lumière spirituelle de celui que le Coran

proclame être une « miséricorde pour les mondes » (21, 107). Un autre

verset affirme : « Et Nous ne t’avons [toi, Mu ḥammad] envoyé aux humains


qu’en leur totalité » (34, 28, trad. Jacques Berque). Suivant la lettre du

Coran, les mystiques et particulièrement Ibn ‘Arabī ont une vision

universelle de la mission prophétique et spirituelle de Mu ḥammad, qui

englobe toute l’humanité, pour tous les temps, toutes communautés

confondues. Ainsi Ibn ‘Arabī déclare : « Il a été envoyé vers tous les

hommes, selon ce que dit textuellement [le Livre]. Il [Dieu] n’a pas dit :

“Nous t’avons envoyé vers cette communauté en particulier”, ni : “Nous

t’avons envoyé vers les hommes de ton époque et tous ceux à venir…” Il l’a

informé qu’Il l’avait envoyé vers tous les hommes. Or, “tous les hommes”
98
cela va d’Adam jusqu’au dernier . »

IV. Les traditions témoignent de la « pudeur » et de l’humilité du

Prophète, qu’attestent par exemple ces paroles rapportées par ‘Umar : « Ne

me glorifiez pas comme les chrétiens ont glorifié Jésus, fils de Marie. En

vérité, je ne suis qu’un serviteur de Dieu. Appelez-moi donc le serviteur et

le messager d’Allāh. »
V. Comment cette « perfection » peut-elle être attribuée à celui dont le

Coran affirme avec insistance la bashariyya, la qualité de simple mortel :

« Dis : “Je ne suis qu’un homme comme vous…” » (18, 110 ; 41, 6) ? Ce

paradoxe peut concerner l’être humain en général qui, modelé d’une « argile

de boue croupie », est désigné par Dieu comme son « lieutenant sur la

terre », après qu’Il lui eût insufflé de Son esprit (2,30 ; 15, 28-29). Or, il

s’agit là de l’Homme en tant qu’« image de Dieu », réalisant en lui sa

virtualité de perfection. Cet « Homme parfait » (al-insān al-kamīl), comme

le désigne Ibn ‘Arabī, est incarné pour les mystiques de l’islam par la figure

du Prophète.

VI. Rā ḥa signifie communément « repos, quiétude, bien-être ». Le sens

plus rare de « paume de la main » est attesté par le Lisān al-‘arab, tiré de

l’un des sens de la racine RW Ḥ, « être généreux et empressé à donner

largement ».

VII. Pour mamman siwāhu, « qui d’autre sinon lui », nous lisons

mamman ( ‫)مّم ن‬ comme une contraction de man man ( ‫)من من‬, « qui,

qui d’autre ». Et en effet, seuls Adam et Mu ḥammad ont « connu » le

paradis (les autres créatures n’y entrant, si elles sont élues, qu’à la fin des

temps), Adam avant d’en être chassé pour descendre sur terre, Mu ḥammad
lors de son ascension céleste. Le récit coranique de cette expérience capitale

pour la spiritualité musulmane est très allusif, mais il a nourri une

abondante tradition dans laquelle est décrite sa traversée de chaque ciel


99
jusqu’au septième où il visite le paradis avant sa rencontre avec Dieu . Les

« deux jardins » font référence au verset 46 de la sourate 55 « Le Tout-

Miséricordieux » : « Et pour celui qui aura craint de comparaître devant son

Seigneur, il y aura deux jardins. » Cependant, la métrique autoriserait une

autre lecture : il est tentant de corriger le texte de l’édition de Beyrouth et de

lire mumnin ( ‫)ُمْم ٍن‬, participe passif de la forme IV de la racine verbale manā,
comme épithète d’Adam, et sawwāhu comme forme II de sawā, dont l’un
des sens est « créer, rendre accompli ». Ce vers pourrait alors être traduit

par « tel Adam qui n’a pas été engendré, Il le créa de Ses deux jardins »,

faisant référence non plus à la personne du Prophète mais à la Lumière

mu ḥammadienne, l’Esprit dont Muḥammad est la manifestation physique.


VIII. Pour Li-Llāhi badrun, « quelle pleine lune », une autre lecture est

possible : « à Dieu appartient une pleine lune ». Le lecteur musulman

reconnaîtra immédiatement dans cette « pleine lune » la figure du Prophète

suivant le chant très célèbre avec lequel, selon la Tradition, Mu ḥammad fut

accueilli à son arrivée à Médine, l’année de l’Hégire : « La pleine lune s’est

levée sur nous… » Dans la poésie arabe classique, la « pleine lune » désigne

le ou la bien-aimé(e) et plus généralement une beauté ( jeune fille, éphèbe).

Les « deux Levants » peuvent être une allusion au verset 17 de la

sourate 55 : « Il est le Maître souverain des deux Orients et Il l’est aussi des

deux Occidents » (trad. Mohammed Chiadmi), cependant le poème n’utilise

pas le terme coranique mashriq, « orient » (qui s’oppose à maġrib,

« occident », indiquant une direction dans l’espace), mais le mot ma la‘ qui ṭ
exprime le mouvement de lever des astres, tout comme dans l’ode d’accueil

au Prophète.

IX. « Ses deux lieux de manifestation » désigne peut-être le monde

physique et le monde spirituel, mais d’autres interprétations sont

possibles…
19

Je vis dans mon sommeil

une jeune fille (1)

1 Je vis dans mon sommeil une jeune fille sans

parure, une beauté qui n’a pas de sœur parmi les


I
humains .

Elle me fixait passionnément de ses prunelles

II
noires et ce regard de houri me fit mourir

d’extase.

Lorsque je le vis ainsi posé sur moi, ce fut

délectation qui m’anéantit d’amour pour elle.

Alors je dis à mon âme : « Ô âme, regarde cette


III
merveille ! C’est une apparition , que serait-elle

IV
dans la réalité sensible, ô mes yeux ?
V
5 Contemple sa grâce subtile et la splendeur de

VI
son apparence intimement , par la présence des

pensées,

Et vois en elle un être tout en perfections, dans

une forme humaine.

VII
En vérité, elle est Jardin du refuge pour celui

VIII
qu’elle accueille, le Jardin d’éternité où la
IX
vision n’est plus voilée .
Elle est Jardin d’Éden où se trouvent la Dune
X
blanche et les formes qu’elle rassemble. »

Voici les cimes que les spéculateurs convoitent

XI
tandis que les gens du dévoilement les

atteignent par la vision.

10 Alors, où est leur but suprême dans ce que je

vous ai rapporté ? Ces effluves sont pour eux un

musc suave.

Ra’aytu jāriya (Dīwān, p. 291), mètre al-basī . ṭ

I. Il est significatif que le second hémistiche de ce vers apparaisse

textuellement dans un poème du Turjumān al-ashwāq (poème 39), recueil

de chants d’amour dans lequel Ibn ‘Arabī exprime ses visions mystiques à
100
travers le langage de la poésie lyrique courtoise . La beauté féminine

comme théophanie en est le leitmotiv décliné en d’infinies variations et le

présent poème participe de la même inspiration. « Que la Beauté soit

théophanie par excellence, note Henry Corbin, la tradition inlassablement

citée le rappelle : Dieu est un être beau qui aime la beauté. […] C’est d’une

véritable puissance spirituelle qu’est investie l’image humaine dont la

beauté manifeste sous forme sensible cette Beauté qui est l’attribut divin par

excellence […]. C’est elle qui crée l’amour dans l’homme, éveille en lui la

nostalgie qui l’entraîne au-delà de sa propre apparence sensible […], le

conduit à la connaissance de soi, c’est-à-dire à la connaissance de son


101
Seigneur divin . »

II. La racine de ḥawar a notamment pour sens « être d’un noir et d’un

blanc bien prononcé de manière que l’un fasse mieux ressortir l’autre (se dit
102
des yeux dont la prunelle est ronde et d’un noir foncé) », dont dérive

l’expression coranique bi ḥūrin ‘īnin, évoquant les yeux des belles créatures

peuplant le Paradis, les houris (44, 54 ; 52, 20). Cette image apparaît déjà
dans la poésie antéislamique mais elle contient une évidente allusion

coranique qu’il convient de conserver dans la traduction car elle marque

d’emblée une ambiguïté et un glissement de sens entre le registre lyrique et

le registre mystique, annonçant les évocations paradisiaques des vers 7 et 8.

III. Khayāl signifie à la fois « fantôme, spectre, ce qui apparaît à

l’homme éveillé ou en songe » et « imagination ». Pour Ibn ‘Arabī, ce mot

désigne particulièrement la faculté imaginative qui ouvre au mystique le

« monde imaginal » (‘ālam al-khayāl), l’isthme entre monde céleste et

monde terrestre où les entités spirituelles prennent des formes sensibles afin

que l’esprit humain puisse les appréhender, comme on l’a vu en

introduction. La suite du poème nous dira que cette « apparition » est bien

la vision d’une réalité céleste.

IV. Ibn ‘Arabī a recours à une rhétorique similaire dans le poème 44 du

Turjumān al-ashwāq : « Passe-t-elle par la conscience, l’imagination la


103
blesse, qu’adviendrait-il si par la vision elle passait ? »

V. ṭ
Lu f signifie couramment « grâce, délicatesse » mais dans la pensée

mystique ce mot peut prendre le sens de « qualité subtile d’une entité


104
spirituelle, opposée à la densité de la matière ». Ce sens est plus


particulièrement attaché au terme la īfa (de la même racine L ṬF), utilisé à

plusieurs reprises par Ibn ‘Arabī dans ses commentaires du Turjumān al-
105
ashwāq .

VI. Bi-l-fā’i lā bi-ilā, littéralement « avec le fā’, non avec ilā », fā’ et ilā

étant des particules. Denis E. McAuley, sur la base d’un poème d’Ibn ‘Arabī

présentant une tournure similaire, émet l’hypothèse que cette expression

ḥadīth
106
énigmatique ferait allusion à un . En l’absence de référence précise,

nous avons choisi de l’interpréter avec le sens grammatical : la conjonction

fā’ peut marquer une succession d’actions ou d’événements, donc la

proximité (dans l’espace ou dans le temps), la particule ‘ilā implique une

distance car elle indique un déplacement, une direction.


VII. Jannatu l-ma’wā, « Jardin du refuge », image coranique du Paradis

(32, 19 ; 53, 15), apparaît dans le poème 26 du Turjumān al-ashwāq. Dans

son commentaire, Ibn ‘Arabī précise : « Ces sciences [divines] proviennent

du Jardin de la discrète hospitalité (jannat al-ma’wā), de la Présence où les

âmes des gnostiques font retraite pendant les temps propices à l’éducation
107
spirituelle . »

VIII. Allusion à Coran 25, 15 : « Le Jardin d’éternité promis à ceux qui

se prémunissent, comme leur rétribution et destination » (trad. Jacques

Berque).
108
IX. Nous suivons McAuley dans son hypothèse de lire junna, « tout ce

109
qui couvre, abrite ou cache » au lieu de janna, « jardin », introduisant

ainsi un jeu sur la polysémie de la racine.

X. Maurice Gloton donne de kathīb la définition suivante : « dune de

musc blanc, endroit du Paradis où s’opère la vision du Seigneur au moment

du Rassemblement des êtres humains destinés au Paradis, lors de la Grande

ḥadīth
110
Résurrection . » Ce « lieu » paradisiaque est décrit dans un et Ibn

‘Arabī l’évoque dans plusieurs poèmes ou commentaires du Turjumān.

XI. Kashf, explique Abdallah Penot, « désigne le dévoilement intuitif

opéré par l’ouverture des portes de la perception intérieure ; il permet à

l’être d’accéder à la connaissance des réalités célestes. Les voiles qui

doivent tomber sont ceux de la raison, qui ne peut accéder à ce type de


111
connaissance ».
20

Je vis dans mon sommeil

une jeune fille (2)

1 Je vis dans mon sommeil une jeune fille qui

n’avait, autant que mes yeux pouvaient en juger,

Pas de sœur qui l’égalât en beauté. Une belle de

I
type turc , dont la lumière enveloppa mon

regard.

En vision je la pénétrai et elle vint auprès de moi

afin qu’en l’étreignant j’assouvisse d’elle mon

désir.

Le plaisir envahit chacun de mes membres et je

II
ne trouvai nulle trace à mon réveil .

5 Alors je me dis : « Il y a là nécessairement

bien et apaisement, apportés par le sort qui suit

les voies du Destin. »

J’interprétai la vision d’un sexe féminin comme

III
annonce d’un réconfort qui ôterait de moi le

IV
voile de la misère et de la cécité .

De ma vie je n’eus vision plus parfaite qui m’ait

réjoui autant que celle-là.


Je la considérai comme une vision et non

comme un rêve, car au rêve est attaché le danger

V
de l’aléatoire .

VI
Certes, la Beauté soumet les âmes si bien que,

sous l’effet de l’illusion, elles demeurent à la

merci des fluctuations.

10 Je ne peux donc rien appréhender qui ne soit

Son image, en tout état et en tout lieu.

En m’élevant au-dessus des distinctions, je Le

saisis et rien ne saurait L’appréhender sinon

l’Homme.
VII
Il possède la perfection par l’infinie variété

des formes qu’il contient et il est infiniment

VIII
grand par l’infinie petitesse qu’il contient .

En vérité, la génération procède d’une colonne

IX
et d’une sphère et Son image transcende toutes

les formes.

112
Ra’aytu jāriya ṭ
, mètre al-basī .

I. Dans le monde arabe, les femmes turques sont réputées pour leur

beauté, d’où le prénom Turkiyya (Turkī au masculin) en vogue dans certains

pays.

II. Cette description sans détour d’un acte charnel peut surprendre.

Rappelons cependant que la littérature arabe érotique est particulièrement

e e
riche entre le VIII et le XII siècle (il suffit de penser aux Mille et Une Nuits,

dont les traductions ont souvent été très édulcorées) et que les plus grands

auteurs n’ont pas hésité à « appeler un chat un chat ». Par ailleurs, l’amour

charnel, pour Ibn ‘Arabī comme pour d’autres auteurs mystiques, est une

expérience du Divin : « Le terme de l’amour chez l’homme est de réaliser


113
l’union : l’union de deux esprits et l’union de deux corps . » Voici ce

qu’en dit George Frigore : « “L’union de deux corps” est pour Ibn ‘Arabī la

manière d’éprouver la présence divine et surtout l’importance et la

compréhension de ce qu’il appelle “le grand dévoilement” de Dieu : union

sexuelle. Selon Sachito Murata (The Tao of Islam) le désir sexuel incarne, en

fait, le désir de Dieu de créer et Sa joie d’apporter le monde en


114
existence . » Voir aussi le poème 22, « Lorsqu’elle le revêtit », note III.

III. Il y a ici un jeu sur la polysémie de la racine FRJ, que la traduction

ne saurait rendre. Il est intéressant de noter qu’un même mot, en arabe,

signifie à la fois « sexe » (tant de la femme que de l’homme) et « joie qui


115
succède à la tristesse, consolation » . Cette vision n’est pas sans évoquer

le célèbre tableau de Courbet L’Origine du monde qui, au-delà de son

réalisme, traduit une pensée métaphysique.

IV. La traduction de ḍarar, « misère, pauvreté, gène, indigence », par

« cécité » nous paraît justifiée par l’emploi de ḍarīr dans le sens


116
d’« aveugle » .

V. Ru’ya, « vision, vue », et ru’yā, « rêve, songe », tirés de la même

racine R’Y, « voir », expriment une nuance essentielle. Dans la spiritualité

de l’Islam, le rêve revêt une grande importance car il est reconnu comme

source de révélation, en tant que vecteur d’inspirations divines et voie

d’accès au monde imaginal. Les onirocrites ont cependant eu soin de

différencier le rêve aléatoire, pur produit du cerveau du dormeur, et la vision


117
en rêve, contact avec la dimension spirituelle et dévoilement . Le risque de


cette confusion est souligné par le mot kha ar qui signifie « péril, danger »

mais également « ce qui est chanceux, exposé aux variations du sort ». La

racine a en outre le sens de « passer par la tête, traverser l’esprit ». Cette

polysémie est actualisée par la lecture arabe et il nous a semblé intéressant

de la conserver.
VI. Qahr signifie « asservissement, contrainte ». Al-Qahhār,

« l’Irrésistible », « le Tout et Très Contraignant », est l’un des quatre-vingt-

dix-neuf « plus beaux Noms de Dieu » et l’emploi de ce terme suggère que

la Beauté, au-delà de ses formes apparentes, est un signe divin.

VII. Le contexte nous pousse à lire ḥāza (‫)حاز‬, « posséder, prendre, avoir
exclusivement pour soi », au lieu de ḥāna (‫)حان‬, « approcher, arriver », que

donne le texte arabe publié par McAuley. Il est fort probable que le

manuscrit consulté par ce dernier, lui-même une copie, contienne déjà ce

qui pourrait être un ta ṣḥīf, une erreur de lecture due au copiste, qui

s’expliquerait aisément par la ressemblance graphique entre les lettres ‫( ن‬N)


et ‫( ز‬Z).
VIII. Contrairement à McAuley, et bien que le nom Al-Kabīr,

« l’Infiniment Grand », fasse partie des Noms divins, nous pensons qu’Ibn

‘Arabī désigne ici l’Homme et non Dieu. Si toute la création est

manifestation/image de Dieu (vers 10), l’Homme est Son image la plus

parfaite (lui seul peut L’appréhender) et en cela il contient virtuellement la

perfection divine. Il s’agit bien sûr de l’Homme en tant que lieutenant ou

représentant de Dieu (khalīfa, « calife », Coran 2, 30), qu’Ibn ‘Arabī nomme

« l’Homme parfait » (al-insān al-kāmil), personnifié par le prophète

Mu ḥammad mais présent en puissance en tout être humain. Le ḥadīth nous

dit : « Dieu a créé Adam selon Sa forme. » Comme tel, l’homme est le

« confluent des deux mers », celui en qui se réunissent les réalités

supérieures et inférieures, l’intermédiaire (ou « isthme », barzakh) entre

Dieu et l’univers. En arabe, le mot insān signifie « être humain » mais

également « prunelle de l’œil » car, déclare Ibn ‘Arabī, « il est par rapport à

Dieu ce que la pupille est par rapport à l’œil : c’est par lui que Dieu regarde
118
le monde et lui fait miséricorde » (voir le poème 15, « La fraîcheur de

l’œil », note III). On ne peut manquer aussi d’évoquer le célèbre texte de


Pascal sur l’homme entre les deux infinis vertigineux, l’infiniment grand et

l’infiniment petit.

IX. Rukn signifie « colonne, pilastre », et falak « globe, tout corps

sphérique, ciel, corps céleste ». McAuley a vu dans cette image « les

éléments inférieurs et les sphères célestes » dont émanent les formes. Nous

l’interprétons plutôt comme symboles du masculin et du féminin (rappelons

que le verbe falaka signifie « être arrondi (seins), avoir le sein déjà
119
arrondi ») qui nous ramènent à la vision initiale du poème en lui donnant

une portée cosmologique. Pour Ibn ‘Arabī en effet, la création entière repose

sur la conjonction entre un pôle féminin et un pôle masculin qui traversent

tous les niveaux d’existence ; ainsi, explique Abdallah Penot, « le processus

de création apparaît comme une succession de polarisations en actif et

passif, toute dualité cosmique est définie sous l’angle de la dualité

père/mère envisagée de la façon la plus générale possible en affirmant que


120
“tout être actif est un père et tout être passif une mère” ».
21

Je revêtis en rêve une jeune fille

1 Je revêtis en rêve une jeune fille d’un

I
vêtement de pudeur , entre la porte de la Maison

II
de Dieu et la Pierre noire .

Elle la baisa et nous baisâmes l’endroit où ses

lèvres s’étaient posées et je ne me sentis plus

III
parmi les humains .

Elle appela au secours dans les méandres de la

tournée rituelle et des femmes dévoilèrent des

visages de parfaite beauté.

« Voici un noble imām au milieu de nous, voici

une victime de la passion, du baiser et du

regard ! »

5 La mère lui dit : « Embrasse-le une seconde

fois, peut-être le ranimeras-tu comme le Souffle

IV
anime les formes . »

Car le Souffle fait sortir les âmes des créatures et

par Lui elles sont ressuscitées lorsque les âmes

sont rappelées hors des tombes.

Alors elle donna un nouveau baiser et écarta le

voile de ma cécité. Puis elle s’éloigna et je la

suivis.
J’embrassai avec vénération la trace de son pied
V
dans la terre, Ses filets qu’Il me tend et que je

considère avec prudence,

De peur de Le circonscrire dans l’image d’une

femme à travers la théophanie. Alors je dis :

« Ma vue est imparfaite ! »

10 Innombrables sont les femmes semblables

aux étoiles apparaissant dans le ciel et toi, tu es

par rapport à elles le disque du soleil et de la

lune.

VI
Ô beauté, tendre rameau qui s’élève tel le

soleil, tu ravis les esprits par ce charme et ces

yeux de jais.

121
Albastu jāriya (Dīwān, p. 56), mètre al-basī ṭ .

I. Il s’agit de la khirqa, le manteau transmis par le maître à son disciple

lors de la cérémonie d’investiture soufie. Au cours de ce rite initiatique,

explique Éric Geoffroy, « le maître revêtait le disciple d’un manteau ou

d’une autre pièce de tissu, transférant sur lui sa propre réalisation spirituelle.

Au-delà du lien unissant l’un l’autre, l’initié était ainsi rattaché à un lignage
122
remontant au Prophète ». Ibn ‘Arabī le décrit en ces termes : « Ce

manteau est pour nous un symbole de compagnonnage, le signe que l’on

partage la même culture spirituelle… La coutume s’est répandue chez les

maîtres mystiques, lorsqu’ils discernent quelque déficience chez un de leurs

disciples, que le shaykh s’identifie mentalement avec l’état de perfection

qu’il se propose de transmettre. Lorsqu’il a opéré cette identification, il

prend le manteau qu’il porte au moment même où il réalise cet état spirituel,

il s’en dépouille et en revêt le disciple dont il veut rendre parfait le propre

état spirituel. Ainsi le shaykh communique au disciple l’état spirituel qu’il a


produit en lui-même, de sorte que la perfection s’en trouve réalisée dans
123
l’état du disciple . » Ibn ‘Arabī a reçu l’investiture de la khirqa des mains

de plusieurs maîtres spirituels – c’est notamment devant la Ka‘ba, en 1202,

qu’il fut investi de la baraka (influx spirituel) du grand maître soufi ‘Abd al-

Qādir al-Jīlānī, mort en 1166) – et l’a lui-même transmise à ses disciples,

parmi lesquels quatorze femmes, ainsi que l’atteste une série de poèmes au

début du Dīwān, dont celui-ci fait partie (ainsi que le suivant). « Dans la

plupart des cas, c’est pendant son sommeil qu’Ibn ‘Arabī s’est vu investir

ces femmes de la khirqa. Il précise : “Ici s’arrête ce qui s’est passé dans le

monde sensible ; ce que je mentionne maintenant a eu lieu pendant le


124
sommeil.” » Ces visions en rêve appartiennent à la dimension du monde

imaginal qui, rappelons-le, est pour les mystiques tout aussi réel que

l’univers visible.

II. La « Maison de Dieu », la Ka‘ba, est ce pôle sacré de la spiritualité

musulmane vers lequel, selon l’injonction coranique, tous les musulmans se

tournent symboliquement pendant la prière (2, 144) et convergent à

l’occasion du pèlerinage annuel à La Mecque, qui constitue l’un des cinq

piliers de l’islam (3, 96-97 ; 2, 196-203). Il s’agit d’un édifice cubique au

centre du sanctuaire de La Mecque autour duquel tournent rituellement les

pèlerins. D’après le Coran, la Ka‘ba a été érigée par le prophète Abraham et

son fils Ismaël (2, 127 ; 22, 26). Selon la légende, la Pierre noire enchâssée

à l’angle est de la façade de l’édifice aurait été emportée du paradis par

Adam. Il est d’usage de la toucher ou de la baiser lors de la


125
circumambulation . Doit-on s’étonner qu’un grand mystique s’adonne à un

tel rite ? Le calife ‘Umar, compagnon du Prophète, interpellant la Pierre

noire, lui déclara : « Je sais que tu n’es qu’une pierre qui ne peut faire ni mal

ni bien. Si je n’avais vu l’Envoyé de Dieu te baiser, je ne te baiserais pas ! »

Rappelons l’importance que revêt ce lieu dans la biographie spirituelle

d’Ibn ‘Arabī : c’est là en particulier, au cours des tournées rituelles, qu’il

rencontre Nizām (Harmonie), jeune fille dont la beauté et la spiritualité le


subjuguent et lui inspireront le recueil d’amour mystique L’Interprète des

désirs. C’est également au cours du même rituel de la circumambulation

(voir notre introduction) que lui apparaît le « jeune héros évanescent » (fatā)

qui lui insufflera en une vision toute la somme mystique que constituent Les

Illuminations de La Mecque et dans lequel Michel Chodkiewicz reconnaît

une théophanie du Verbe divin : « On peut donc conclure que le fatā en

l’être duquel Ibn Arabī puise les connaissances qu’il va consigner dans son

livre est une épiphanie du Locuteur divin. Que cette épiphanie revête la

forme d’un homme peut surprendre et même scandaliser ceux chez qui la

transcendance de Dieu (tanzīh) n’est qu’une notion produite par un effort

spéculatif et non une évidence contemplative. Mais Ibn Arabī confirme

catégoriquement en plusieurs passages de ses écrits ce caractère


126
anthropomorphique . »

III. La métrique impose de lire bashar, « être humain », au lieu de bishr,

« joie, gaieté », donné par l’édition de Beyrouth.

IV. Nafkh, « souffle », terme coranique, est peut-être une allusion au

miracle de Jésus qui, grâce au Souffle divin, donne vie à la figure d’argile :

« Pour vous, je forme de la glaise comme la figure d’un oiseau, puis je

souffle dedans et par la permission d’Allāh, cela devient un oiseau » (3, 49,

trad. éd. du Roi Fahd).

V. L’édition de Beyrouth donne ḥibāluhu, le verbe ḥabala signifiant

« tendre les filets, prendre au filet ». Mais il est tout aussi possible de lire

ḥubban lahu, « par amour pour lui », la traduction de ce vers serait alors :

« j’embrassai avec vénération la trace de son pied dans la terre, par amour

pour Lui mais prudent à Son égard ». Nous avons choisi de conserver

l’image poétique des « filets de l’amour ».

VI. Ġāda, « rameau jeune, tendre et flexible », désigne souvent, par

métaphore, une jeune femme à la taille souple. Le ton de ce poème n’est pas

e e
sans rappeler le poète ‘Umar Ibn Abī Rabī‘a (VII -VIII siècle), célèbre pour

ses poèmes d’amour teintés d’un libertinage raffiné. Il était connu pour ses
conquêtes galantes lors du pèlerinage de La Mecque. L’exaltation de la

beauté féminine comme lieu de manifestation du Divin est un thème qui

parcourt également le Turjumān al-ashwāq. Commentant et mettant en

rapport le poète persan Jalāloddīn Rūmī (1207-1273) et Ibn ‘Arabī, Reynold

A. Nicholson écrit : « Mettant de côté le voile de la Forme, le poète

contemple dans la Femme la beauté éternelle qui est l’inspiratrice et l’objet

de tout amour, et il la regarde, dans sa nature essentielle, comme étant par

excellence le médium par lequel cette Beauté incréée se révèle et exerce son

activité créatrice. De ce point de vue, elle est le focus des théophanies et,

donatrice de vie, peut être identifiée avec la puissance de leurs


127
irradiations . »
22

Lorsqu’elle le revêtit

I
1 Lorsqu’elle le revêtit , elle glorifia Dieu :

II
« Dieu, qu’Il soit exalté, me suffit ! »

Puis elle vint baiser ma sandale humblement et

ce fut là pour nous un baume.

J’enlaçai une taille se cambrant si souplement

qu’elle ferait rougir un rameau.

Et nous nous délectâmes d’une salive de musc si

exquise qu’elle ferait rougir le rayon de miel que

III
l’on savoure .

5 Nous n’avons pas commis un acte illicite dont

il faut se préserver mais plutôt un acte que Dieu

a déjà pardonné.

Méditez le secret auquel je fais allusion, vous le

IV
trouverez dans la promesse tenue .

Hiya lammā labisathā (Dīwān, p. 57),

mètre al-ramal.

I. Dans labisathā, « elle le revêtit », est sous-entendue la khirqa, le

manteau initiatique transmis par le maître à son disciple lors de la


cérémonie d’investiture soufie, comme on l’a vu dans le poème précédent

(cf. note I).

II. Ḥasbiya Llāh, « Dieu me suffit », est une citation coranique (9, 129 ;
39, 38).

III. Ces allusions sensuelles doivent-elles recevoir une interprétation

mystique, à l’instar des poèmes d’amour courtois de L’Interprète des

désirs ? Sûrement, mais cela n’exclut nullement la réalité d’une expérience

vécue physiquement. Qu’il s’agisse ou non d’un rêve importe peu. Il faut

souligner ici l’association de l’amour charnel à une initiation mystique :

« L’Amant divin est Esprit sans corps ; l’amant physique pur et simple est un

corps sans esprit ; l’amant spirituel (c’est-à-dire l’amant mystique) possède


esprit et corps. » Citant Ibn ‘Arab , Henry Corbin ajoute : « La dialectique

d’amour […] a opéré […] l’unification de l’amour spirituel et de l’amour

physique dans une expérience une et unique de l’amour mystique. De cette

réconciliation dépend la possibilité de “voir Dieu” (puisqu’il nous a été

expressément rappelé que l’on ne peut adorer ni aimer un Dieu que “l’on ne
128
voit pas”) . »

IV. S’agit-il de la « promesse » coranique du pardon divin universel (« et

Ma miséricorde embrasse toute chose », 7, 156) ? Peut-être plus

particulièrement de celle contenue dans l’amour qui unit l’homme et la

femme à la fois spirituellement et charnellement et qui, dans la mystique de

l’islam, est chemin vers la connaissance de Dieu. Le Prophète ne

commande-t-il pas : « Adore Dieu comme si tu le voyais » ? Or comment

contempler (et adorer) Dieu si ce n’est dans une forme sensible qui Le

manifeste ? Le Prophète dit également : « Parmi les biens de votre monde, il

m’a été donné d’en aimer trois : le parfum, les femmes et la prière, fraîcheur

de mes yeux. » Méditant ce ḥadīth, Ibn ‘Arabī écrit : « Dieu ne peut être

envisagé en dehors de la matière et Il est envisagé plus parfaitement en la

matière humaine que dans toute autre et plus parfaitement en la femme

qu’en l’homme », cette contemplation trouvant sa plus parfaite réalisation


129
dans l’extase de l’union charnelle . Dans un passage des Révélations de

La Mecque, Ibn ‘Arabī déclare que Dieu revendique la propriété de l’acte

sexuel : « Ceci M’appartient et non à toi en toutes circonstances. » Cette

curieuse affirmation trouve une explication dans un autre passage où Ibn

‘Arabī souligne le fait que l’acte charnel est le seul moment où l’individu

peut totalement « s’oublier » dans son conjoint, ce qui en fait un symbole de

l’extinction en Dieu, le fanā’. Dieu commande à Son serviteur de se purifier

après l’acte charnel (prescription avant toute prière en islam) afin de lui
130
rappeler que c’est en Lui qu’il doit s’anéantir et non dans un être de chair .

Mu ḥammad Jāhīn Badawī a montré l’importance des femmes dans le

parcours mystique d’Ibn ‘Arabī, que ce soit spirituellement et/ou

physiquement. En Andalousie, jeune aspirant sur la voie, son premier maître

spirituel terrestre fut une femme alors âgée de plus de quatre-vingt-dix ans,


Fā ima bint al-Muthannā, qui pourtant lui apparaissait si belle, si douce,

telle une jeune fille de quatorze ans qu’il n’osait à peine regarder sans rougir.

Selon Badawī, à la lumière d’autres poèmes d’investiture, il ne fait pas de

doute que la transmission spirituelle de la khirqa ait pu s’accompagner

d’une union nuptiale, vécue ici dans le monde imaginal des visions en
131
rêve . L’une et l’autre réalisent au plan du microcosme la fusion créatrice

d’un pôle masculin et d’un pôle féminin, présente à tous les niveaux de

l’univers manifesté, jusque dans le Nom divin Al-Ra ḥmān qui, rappelons-le,
contient à la fois l’idée de miséricorde (d’où la traduction commune « le

Miséricordieux ») et de matrice, d’utérus. En ce sens, l’amour peut lui-

même devenir une révélation.


23

Si Tu te manifestais à moi

1 Si Tu te manifestais à moi sous la forme d’une

femme, je serais fou d’amour pour elle et même

si Tu te présentais sous les traits les plus hideux,

La laideur que Tu donnerais à Ton apparence se

transformerait au fond de moi et dans mon

I
regard en la plus belle des formes .

Béni soit le Nom de Dieu ! Dans Sa

manifestation nous Le connaissons, et ne pas L’y

reconnaître nous léserait.


II
Il est le Contemplé en Essence et en Attributs ,
III
dans le monde du décret , des sphères et des

humains.

5 Par Lui je Le vois et je tends l’oreille lorsqu’Il

m’appelle car Il est l’essence même de ma vue

IV
et mon ouïe .

Le savant attaché aux formes ne connaît pas

notre doctrine et s’il la professait, il serait dans

l’égarement.

V
Tout être lié par un pacte est en danger par

rapport aux connaissances de notre raison.


Tu le vois nager dans un océan sans aucun
VI
rivage pour lui offrir un espoir s’il était dans la

crainte.

Alors accroche-toi fermement à ce que dit la Loi

sans te détourner de la réflexion ni de la

Tradition.

10 Emporte seul ce dont tu as été témoin et si tu

marches parmi les hommes, ne perds pas de vue

VII
Sa trace .

Idhā tajallayta lī unthā (Dīwān, p. 226),


mètre al-basī .

I. Un passage des Futū ḥāt confirme cette idée : « L’Envoyé de Dieu a

dit : “Dieu est beau et Il aime la beauté.” Or c’est Lui qui a fait le monde et

l’a existencié. L’univers tout entier est donc suprêmement beau. Il n’y a en

lui nulle laideur. Bien au contraire, Dieu y a réuni toute perfection et toute

beauté […]. Car Dieu est Celui qui s’épiphanise en toute face, Celui à qui

tout signe renvoie, Celui que tout œil regarde, Celui qu’on adore en tout

adoré […]. L’univers entier Lui adresse sa prière, se prosterne devant Lui et

célèbre Sa louange. C’est de Lui seul que les langues parlent et c’est Lui
132
seul que les cœurs désirent . »

II. Sur les mots dhāt « essence », et ṣifa, « attribut, qualité », Abdallah

Penot explique : « Pour le soufisme, Allāh est “Essence” au sens absolu et

source des qualités et des attributs. L’irradiation de Son Essence sans

intermédiaire consumerait toute chose conformément au ḥadīth selon lequel


“Son voile est la lumière. S’Il l’enlevait, les traits de Son Visage

consumeraient la création jusqu’à la limite extrême où atteint Son

Regard.” » Et il précise : « En elle-même, l’Essence est inaccessible et on ne


peut L’atteindre qu’à travers Ses Qualités, appelées aussi Attributs, ou plus
133
exactement dans Ses lieux de rayonnement . »

III. Le « décret » ou « commandement divin » s’exprime à travers Son

verbe créateur, auquel il est fait référence dans le Coran à huit reprises, par

exemple en 3, 47 : Idhā qa ḍā amran fa-innamā yaqūlu lahu kun fa-yakūn

(« Lorsqu’Il décrète qu’une chose doit être, Il lui suffit de dire : “Sois !” et
134
elle est », trad. Mohammed Chiadmi) .

IV. Allusion au célèbre ḥadīth : « Et lorsque Je l’aime [Mon serviteur],

Je suis son ouïe par laquelle il entend, son regard par lequel il voit… » Voir

le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », note VI.

V. Ṣāhibu ‘aqd pourrait désigner le Pacte primordial scellé entre Dieu et


les êtres humains dans la prééternité : « Rappelez-vous les bienfaits que

Dieu vous a accordés et le Pacte qu’Il a conclu avec vous » (Coran 5,7) ;

« Et lorsque ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d’Adam et

qu’Il les fit témoigner à l’encontre d’eux-mêmes : “Ne suis-Je pas votre

Seigneur ?” ils répondirent : “Si ! nous en témoignons ! ” » (7,172).


135
Cependant, le terme coranique pour « pacte » est mīthāq .

VI. Les mots sīf « rivage » et sayf « sabre » sont issus de la même racine

verbale SYF qui signifie « porter un coup de sabre ». La ligne du rivage est

ainsi métaphoriquement comparée à une lame protectrice. Ailleurs dans son

œuvre, Ibn ‘Arabī décrit le Coran comme un « océan sans rivage » pour

exprimer le caractère illimité et inépuisable du Message divin, mais en

employant un synonyme de sīf, le mot sā ḥil (ba ḥrun bilā sā ḥil). Une image

similaire se trouve dans un poème de jeunesse (Dīwān, éd. de Beyrouth,


136
p. 33 ). On perçoit ici en écho la voix d’une grande mystique catholique
e
du XIX siècle, sainte Thérèse de Lisieux, morte à vingt-quatre ans dans son

carmel : « Ô mon Jésus, l’âme qui se plonge dans l’océan sans rivage de
137
votre amour attire avec elle tous les trésors qu’elle possède … » Cette

sainte incarne pour les chrétiens modernes la piété personnelle, l’accès à


Dieu sans la médiation du prêtre, tout comme les soufis, en revendiquant un

dialogue direct avec Dieu, s’affranchissent de la religion littérale, au point

de subir parfois la condamnation de l’orthodoxie. Il est fort probable que


138
sainte Thérèse n’ait jamais eu de contact avec le soufisme .

VII. Athar (pl. āthār) signifie « empreinte, trace, signe, vestige ». Le

terme a une référence coranique, par exemple en 30, 50 : « Ainsi donc, suis

la trace de la miséricorde de Dieu comme Il fait vivre la terre après sa

mort » ou en 36, 12 : « C’est Nous qui ressuscitons les morts, inscrivons

leurs avances aussi bien que leurs traces » (trad. Jacques Berque). « Les

créatures, souligne Abdallah Penot, qu’il s’agisse aussi bien des choses, des

“êtres” ou des formes (autre sens de āthār) sont la manifestation, l’effet ou


139
la trace (athar) de l’irradiation des Noms divins dans le monde . » C’est

cette interprétation que nous avons choisie.


24

Lorsque je contemplai les formes

1 Lorsque je contemplai les formes au sein de

l’univers, Essence de Celui que je cherchais sans

formes,

Je sus que Celui que je désirais m’invitait à la

connaissance à travers moi-même et non à

I
travers Lui . Alors envole-toi sur mes traces !

Lui que nous rencontrâmes dans Ses lieux de

II III
manifestation , tu Le verras dans chaque signe

de Sa transcendance dans les sourates,

IV
Dans chaque signe de Son immanence et

chaque verset clair qui nous parvient à travers

toutes les Écritures.

5 Dieu le Vrai attend de nous que nous Le

considérions comme seul et unique Seigneur,

ainsi qu’Il nous apparaît dans le Coran et la

gnose.

Dieu le Vrai ne désire pas que nous Le

qualifiions, afin que nous Le reconnaissions à la

lumière du soleil et de la lune, Ses théophanies.

Que ma vie durant je ne spécule sur Lui, bien

que mon esprit ne cesse de penser à Lui au


risque de s’égarer !

Dans la sourate « La Famille d’Imrān » se trouve

le texte qui m’interpelle par tous ses

V
avertissements et incitations à la prudence ,

Et cela par une bienveillance de Lui envers nous,

c’est pourquoi il nous est psalmodié au tomber

du jour et à l’aube.

10 La nuit est à Dieu, non à moi, tout comme le

VI
jour, car Il est le Temps . Alors médite et

instruis-toi !

Ne scrute pas Son Essence si ton regard est

pénétrant, marche donc selon ta mesure !

En vérité, mes ascensions et mon voyage

nocturne vers Lui, par Lui, eurent lieu sur le


VII
Burāq que je créai de mes pensées ,

Aussi atteignis-je le point qu’Il avait voulu et

déterminé. Je le quittai et nous chevauchâmes le

VIII
tapis de la voie droite
IX
Au moment de l’anéantissement en Lui, car Il

X
était descendu en moi vers le ciel où Il

s’entretint avec moi intimement jusqu’au point

du jour.

15 Je Le saluai puis nous nous rendîmes là où Il

nous l’avait signifié quand nous étions en Sa

présence, sur ma droite, en suivant mes propres

XI
traces .

Lorsque je Le contemplai, je ne connus pas Sa

forme et nous sûmes qu’Il était Lui-même le

XII
péril extrême .
J’avais été distrait de Lui par Lui, car Il m’avait

prédestiné à la distraction à travers la variation

des formes.

XIII
Ne sait-Il pas que je suis dans la dualité alors

même qu’Il me prend en charge depuis mon plus

jeune âge ?

Je suis né pour Lui, aussi n’ai-je cessé de

témoigner de Lui et de méditer sur Lui jusqu’à

mon grand âge.

20 Pour cela Il nous révéla qu’Il était avec

XIV XV
nous quel que soit notre rang , dans le désert

ou dans la cité.

140
Lammā shahadtu (Dīwān, p. 77), mètre al-basī ṭ .

I. Écho des versets coraniques : « Ô âme pacifiée, retourne à ton

Seigneur, agréante et agréée » (89, 27) et « Entre en Mon Paradis » (89, 29),

auxquels Ibn ‘Arabī apporte un éclairage particulier : « Le Seigneur auquel

il est enjoint à l’âme de retourner, c’est le Seigneur sien, celui dont elle

porta le Nom et qu’elle invoqua, parce qu’elle se reconnut dans l’Image

qu’elle portait de Lui, comme Lui-même se connut en elle.[…] “Entre en

Mon Paradis”, ce Paradis qui n’est autre que Toi, c’est-à-dire la forme divine

cachée dans ton être, l’Image primordiale secrète dans laquelle Il se connaît

en toi et par toi, celle qu’il te faut contempler pour réaliser que “celui qui se
141
connaît soi-même connaît son Seigneur” . » Voir aussi les poèmes 15,

« La fraîcheur de l’œil », note VII, et 7, « Je me figurai mon Bien-Aimé »,

note I.

II. Athar, « trace », et manzil (pl. manāzil), traduit ici par « lieu de

manifestation », termes qui ont un sens particulier dans le vocabulaire

technique soufi, évoquent aussi un motif classique de la poésie arabe


antéislamique : le poète bédouin parcourant le désert pour retrouver sa bien-

aimée et qui découvre les traces du campement (autre sens de manzil,

littéralement « lieu où l’on descend ») abandonné. Cette allusion annonce le


142
voyage mystique décrit dans la suite du poème .

III. Rappelons que āya signifie à la fois « verset » et « signe », plus

particulièrement « signe céleste », traduction que nous privilégions car le

texte coranique invite le croyant à méditer non seulement la Parole révélée

mais aussi toutes les merveilles de la création comme des signes de la

présence divine. L’univers entier est ainsi perçu comme un grand livre.

IV. À propos de tanzīh, « transcendance », et tashbīh, « immanence »,

Abd el-Kader écrit : « S’ils [les croyants] sont incapables de voir Dieu dans

les formes où Il se manifeste et les déterminations particulières qu’Il

S’assigne, […] c’est en raison de leur attachement exclusif à la

transcendance divine telle que la conçoivent leurs intellects sans que cette

transcendance soit chez eux mitigée par l’immanence dont elle est

inséparable dans la Loi sacrée. Ils n’ont pas su qu’Allāh est infiniment

transcendant et exalté au-dessus de toute inhérence […] dans le moment

même où […] Il se manifeste dans les formes et est donc appréhendé par
143
tous les sens, perçu par tout organe de perception, interne ou externe . »

Michel Chodkiewicz souligne : « L’affirmation que transcendance et

immanence sont indissolublement liées dans la Connaissance suprême est


144
un des thèmes caractéristiques de la doctrine akbarienne . »

V. La sourate 3 « La Famille d’Imrān », comme l’ensemble du texte

coranique, contient de nombreuses exhortations à la foi en un Dieu unique

et menaces de châtiment pour les négateurs et falsificateurs de la Révélation.

À quelle Parole le poème fait-il plus particulièrement allusion ? La référence

au « verset clair » dans le vers 4 peut être une allusion au verset 7 de cette

sourate, qui contient effectivement une mise en garde : « C’est Lui qui t’a

révélé le Livre contenant des versets à la fois clairs et précis, qui en

constituent la base même, ainsi que d’autres versets susceptibles d’être


différemment interprétés. Et c’est à ces derniers versets que les sceptiques,

avides de discorde, prêtent des interprétations tendancieuses, alors que nul

autre que Dieu n’en connaît la signification exacte » (trad. M. Chiadmi). Le

vers précédant exprime d’ailleurs le danger d’égarement lié à la spéculation.


145
Selon McAuley , Ibn ‘Arabī fait ici référence aux versets 190-192 : « En

vérité, dans la création des cieux et de la terre, et dans l’alternance de la nuit

et du jour, il y a certes des signes pour les doués d’intelligence qui, debout,

assis, couchés sur leurs côtés, invoquent Allāh et méditent sur la création

des cieux et de la terre [disant] : “Notre Seigneur ! Tu n’as pas créé cela en

vain. Gloire à Toi ! Garde-nous du châtiment du feu. Seigneur ! Quiconque

Tu fais entrer dans le feu, Tu le couvres vraiment d’ignominie. Et pour les

injustes, il n’y a pas de secoureurs !” » (trad. éd. du Roi Fahd).

VI. Li’annahu al-dahr, « car Il est le Temps », fait écho au ḥadīth :

« Dieu a dit : “Le fils d’Adam Me contrarie ; il injurie le temps, alors que

c’est Moi le temps (Anā l-dahr), le commandement se trouve dans Ma

Main, et Je fais alterner la nuit et le jour.” » Le texte coranique fait mention

de cette erreur de perspective : « Ils [les mécréants] disent aussi : “Nous

n’avons à nous que cette vie d’ici-bas, pour vivre et mourir. Seul le temps

nous anéantit” » (45, 24, trad. Jacques Berque).

VII. L’expérience de l’ascension jusqu’à la présence divine et de

l’anéantissement en Lui est l’ultime étape de réalisation dans le parcours

mystique du pèlerin sur la voie. Elle s’appuie sur le voyage nocturne (isrā’)

et l’ascension céleste (mi‘rāj) du Prophète mentionnés allusivement dans le

Coran (17, 1 ; 23, 1-18) mais abondamment développés dans la Tradition et

la Sīra (Vie du Prophète). Le Burāq (mot arabe signifiant « éclair », dérivé

de la racine BRQ, « briller ») est la mystérieuse monture ailée qui transporta

le Prophète d’abord de La Mecque à Jérusalem puis de ciel en ciel jusqu’au

trône divin. Ce voyage, vécu physiquement par le Prophète, est pour les

mystiques une expérience spirituelle. « Mon voyage, dit Ibn ‘Arabī de sa


146
propre ascension, ne s’est pas effectué ailleurs qu’en moi-même . »
VIII. Nous lisons darar qui a entre autres le sens de « tracé droit d’une

route », mais en l’absence de vocalisation du texte, il est également possible

de lire durar (pluriel de durra, « perle »). L’image poétique du « tapis de

perles » évoquerait alors la Voie lactée…

IX. Nous lisons ici ‘inda l-tafānī bihi ( ‫)عند التفاني به‬, « au moment de

l’anéantissement en Lui ». L’édition de Beyrouth donne ‘inda iltifātī bihi

( ‫)عند التفاتي به‬ que McAuley traduit par « lorsque je me tournai vers Lui ».

Autre possibilité : ‘inda iltiqā’ī bihi ( ‫)عند التقائي به‬, « lorsque je Le

rencontrai ». Le choix de notre lecture nous est dicté par le contexte du

voyage mystique dont l’anéantissement ou l’extinction dans le Divin est

l’aboutissement suprême. Précisons que la forme VI de la racine FNĀ,

tafānā, introduit une nuance de progressivité et de réciprocité. La

progressivité est impliquée par l’idée de voyage et d’ascension spirituelle, la

réciprocité est exprimée dans le second hémistiche : « Il était descendu en

moi vers le ciel. »

X. Michel Chodkiewicz décrit ainsi le voyage initiatique : « Lorsque le

voyageur se dépouille de sa forme sensible, qu’il s’élève grâce aux

disciplines spirituelles […] et franchit les cieux et les sphères, […] Dieu

descend vers lui à sa rencontre dans chacune des mansions qu’il occupe
147
successivement et lui donne selon Son bon vouloir . »

XI. « Le mi‘rāj, l’“ascension” proprement dite, explique Claude Addas,

n’est qu’une partie du voyage ; à moins qu’il ne soit d’entre les wāqifūn,

ceux qui se sont arrêtés à tout jamais dans la contemplation de l’Un, le

pèlerin doit parcourir le chemin symétriquement inverse pour redescendre


148
vers les créatures . » Parmi les rāji‘ūn, « ceux qui reviennent », il y a celui

qui est renvoyé pour lui-même, pour se parfaire par une autre voie, et il y a

celui qui est renvoyé pour diriger et guider les créatures par sa parole. De

toute évidence, Ibn ‘Arabī appartient à cette dernière catégorie. Cependant,

cet hémistiche peut recevoir une tout autre interprétation et exprimer une

expérience mystique intime, dans une dimension hors du temps et de


l’espace, la quête humaine de Dieu étant l’appel de Dieu : « soudain, Le

voilà à ma droite, cherchant mes traces ». Cette lecture est également celle
149
de McAuley .

XII. Le « péril » réside tout d’abord dans le voyage spirituel lui-même,

semé d’embûches, d’épreuves, de pièges et de mirages car il s’agit avant

tout, pour le mystique, d’une exploration de son être propre : « Tout être

doué d’intellect, assure Ibn ‘Arabī, doit savoir que le voyage implique

nécessairement la peine, l’inconfort, les tourments et les épreuves,

l’affrontement des dangers et les frayeurs terrifiantes. Il exclut bonheur,


150
sécurité ou plaisir . » Le pronom huwa, « Lui », exprime Celui que l’on ne

peut nommer et, en ce sens, Celui dont l’Essence échappe à toute forme,

alors même qu’Il est présent dans chaque forme. Pour le pèlerin mystique, Il

est le « péril extrême » car chacun possède en soi une représentation du

Divin et peut être victime d’une illusion forgée par sa propre âme.

XIII. Le sens de mayyaza est « séparer, disjoindre l’un d’avec l’autre ».

Le contexte nous suggère d’y voir l’illusion, pour les créatures, de croire en

l’existence d’un univers créé, extérieur et séparé du Divin. Or, l’affirmation

de l’« unicité de l’Être » (wa ḥdat al-wujūd) est un thème essentiel de la

métaphysique akbarienne, ce qu’Abd el-Kader exprime ainsi : « Sache qu’il

n’y a pas, d’une part, une Essence divine et, d’autre part, des essences

propres aux créatures qui seraient indépendantes, subsistant par elles-mêmes

[…]. Il n’y a rien d’autre que l’Essence divine. C’est elle qui est l’essence

des créatures. […] Nous sommes Son essence en tant qu’Il se manifeste par

nous. Car Il ne se manifeste que par nous, bien que nous soyons pur
151
néant . »

XIV. Allusion à Coran 57, 4 : « Il est avec vous où que vous soyez. »

XV. ‘Alā makānatinā, « quel que soit notre rang », renvoie à l’expression

‘alā makānatikum qui a plusieurs occurrences dans le Coran (par exemple 6,

135 ; 11, 93 et 121 ; 39, 39) traduites par « selon votre méthode », « à votre

niveau », « sur votre mode »… Il est ainsi possible de lire : « Il est avec vous
selon votre rang » ou « selon vos capacités ». Cette lecture trouve un écho

dans un texte d’Abd el-Kader qui commente le verset cité dans la note

précédente : « Il est l’Être pur par lequel ce qui est est. L’“être avec” d’Allāh

consiste donc dans le fait qu’Il est avec nous par Son Essence, c’est-à-dire

par ce qu’on désigne comme le Soi divin […]. Il y a d’autre part pour Allāh

une manière spéciale d’“être avec” l’élite des simples croyants […]. Il s’agit

en tout cela de la manifestation en certaines créatures, à l’exclusion des

autres, de quelques-unes des perfections de l’Être. Il y a enfin pour Allāh

une manière particulière d’“être avec” l’élite de l’élite, c’est-à-dire avec les
152
envoyés, les prophètes et leurs héritiers spirituels … »
25

Mes amis, ne vous empressez pas

I
1 Mes amis , ne vous empressez pas et taisez

mes paroles, de crainte pour ma vie !

Car en vérité je m’unis à Celui qui se levait pour

II
moi quand je me tournais vers ma qibla .

Toute chose contient une image de Lui,

lorsqu’elle paraît, elle est ma direction.

Et là était mon aspiration. Ainsi, chaque part de

moi n’est autre que ma totalité.

5 Et si tu inverses mes propos, il convient de

dire que mon tout est dans chaque unité qui me

III
constitue .

Il me posséda et je Le possédai, à moi Sa

puissance, à Lui mon humilité.

Dans mon état passionné, je Le haïs et je haïs

mon amour, ô perplexité !

Il vint à moi une nuit inopinément et Sa venue

IV
confirma mon pélerinage .

Si Celui pour qui je brûlai d’amour avait

pratiqué ma religion ou mon culte,

10 Je ne me serais plaint du feu et de

V
l’éloignement, or Il n’appartient pas aux miens ,
Il s’oppose à moi et à mon harmonie avec Lui,

c’est pourquoi je reste immobilisé.

J’aime les forts, qui me mènerait à eux ? Mon

amour pour leur essence est ma foi.

Nul autre ne sustente les êtres que Celui qui me

fait atteindre, parmi eux, l’objet de mon désir,

Ma certitude, par eux, est grassement entretenue

et nourrie, elle me préserve d’un trébuchement.

Khalīlayya lā ta‘jalā (Dīwān, p. 399-400), mètre al-mutaqārib.

I. Khalīlayya signifie littéralement « mes deux amis » : ce duel dans le

texte original est une discrète référence à la tradition de la qa īda classique ṣ


telle qu’elle apparut dans la poésie antéislamique et dont le prologue formel,

la lamentation du poète devant le campement déserté de la bien-aimée,

contenait une adresse à deux compagnons imaginaires. Le mot khalīl

marque cependant une intimité qui ne se trouve pas dans le terme ṣāhib
traditionnellement employé, annonçant une révélation sur le ton de la

confidence.

II. Qibla signifie « but, direction, orientation » et plus spécifiquement la

direction de La Mecque, pôle spirituel de l’islam. L’orientation rituelle vers

la qibla pour la prière symbolise la disposition intérieure du croyant qui

tourne son cœur vers son Seigneur, dans la quête d’une rencontre intime

dont témoigne ce vers.

III. Écho au vers d’Al- Ḥallāj : « Ô tout de mon tout, ô mon ouïe et ma

153
vue, ô ma totalité, ma composition et mes parts ! »

IV. L’absence de vocalisation autorise deux lectures : ḥajja-ḥijja,


« pèlerinage », ou ḥujja, « argument, preuve, thèse ». Nous optons pour la

première qui répond au vers 2, « quand je me tournais vers ma qibla ».

Certains mystiques de l’islam, sans nier l’obligation du pèlerinage rituel


comme commandement de la Loi divine, ont souvent insisté sur la nécessité

du pèlerinage intérieur. Ainsi Al- Ḥallāj déclara dans l’un de ses poèmes :

« Il est des hommes qui processionnent mais non avec leur corps. Ils
154
processionnent autour de Dieu, qui les a dispensés d’aller au sanctuaire »

– ces propos firent partie des chefs d’accusation qui conduisirent à sa mise à

mort à Bagdad en 922. Le cœur du mystique est fréquemment comparé à la

Ka‘ba, ainsi Ibn ‘Arabī écrit lui-même dans l’un de ses plus célèbres

poèmes : « Mon cœur est Ka‘ba pour le pèlerin. » Cependant, la deuxième

lecture est tout aussi légitime : « sa venue confirma ma conception ».

V. Ainsi, Dieu ne saurait être circonscrit par aucune religion et aucune

ne peut se l’approprier. Suivant le ḥadīth : « Je suis conforme à l’opinion

que Mon serviteur se fait de moi », l’émir Abd el-Kader développe en ces

termes la pensée de son maître spirituel : « Dieu n’est pas contenu dans une

doctrine ou une croyance particulière mais il est, sous un certain rapport, ce

que dit quiconque parle de Lui et ce que croit tout croyant. Tout ce qui te

vient à l’esprit au sujet d’Allāh, […] sache qu’Il est cela et qu’Il est autre

que cela ! […] Aucune de Ses créatures ne L’adore sous tous Ses aspects ;

aucune ne Lui est infidèle sous tous Ses aspects. Nul ne Le connaît sous tous
155
Ses aspects ; nul ne L’ignore sous tous Ses aspects . »
26

Lorsque les choses se constituèrent

1 Lorsque les choses se constituèrent à partir de

I
l’Alif Il t’offrit Son image dans toute harmonie.

Les lettres des écrits et des mots forment un

cercle, parmi elles certaines sont en

concordance, d’autres en discordance.

Et si elles tournent à l’infini, en vérité elles

II
finissent par retourner à l’Alif .

N’étaient leur combinaison et le mystère de Sa

sagesse, tu ne connaîtrais ni ordre ni interdit,

III
alors arrête-toi et espère !

5 Dans Ses commandements, si tu es

clairvoyant, se trouve un secret étonnant mais

non dévoilé.

Dieu ne recommande point les turpitudes et fait,

à quiconque Lui désobéit, une promesse. Cours

IV
donc et ne t’arrête pas !

Ce que nous affirmons à leur propos n’apparaît

V
comme une grâce qu’à celui qui possède la

connaissance.

Ô miséricorde qui embrasse tout l’existant,

aucun être n’en est exclu, alors médite et arrête-


toi !

Ne voit Dieu dans chaque chose qui se présente

VI
à lui que celui qui sait tout accueillir ,

10 Ou celui qui donne généreusement la

richesse qu’Il lui a accordée, ou celui qui est

sous l’aile du Miséricordieux.

Alors Il lui bâtit une excuse pour Ses

commandements, par son rang en Sa

VII
proximité .

Lammā ta’allafati l-ashyā’ (Dīwān, p. 137),


156
mètre al-basī ṭ .

I. ‫ا‬
Alīf ( ), première lettre de l’alphabet arabe, « comparable dans sa

structure au chiffre 1, écrit Gabriele Manded Khân, symbolise l’ipséité de

Dieu et Son unicité. L’alīf prend ainsi une valeur d’archétype pour

l’alphabet entier dont elle est le commencement et c’est ainsi qu’elle est

également associée à Adam, qui est le commencement du genre


157
humain ». Il y a ici un jeu subtil autour de la polysémie de la racine ALF :

lettre de l’alphabet, elle prend aussi le sens de « joindre, combiner, mettre

en accord » et dans la forme V ta’allafa, « se constituer, se former ». La

racine est encore déclinée dans les vers 1 et 2 avec sa forme VIII mu’talif,

« en accord, en harmonie », et dans le vers 4 avec sa forme V ta’alluf,

« combinaison ». Ainsi, la racine ALF contient intrinsèquement le lien

intime entre Unicité divine, lettres et création de l’univers, riche

d’implications métaphysiques.

II. Le rapport entre lettres et rotation nous introduit dans le mystère de la

science ésotérique des lettres, clé de lecture du sens de l’univers (voir le

poème suivant, « Contemple le Vrai », note VII). « Chaque être en devenir

constitue comme une lettre dans le grand discours cosmique, explique


Pierre Lory. Le passage de la Lettre comme entité virtuelle à celle produite

dans les mondes manifestés a lieu sous l’action de la rotation des


158
sphères . » Et selon Denis Gril, « les lettres elles-mêmes, loin d’être des

entités premières et simples, sont produites par la rotation et l’interaction

d’un nombre précis de sphères célestes parmi toutes celles qui se meuvent

concentriquement au sein de la Sphère totale ou ultime. La rotation des

sphères, en même temps qu’elle engendre les lettres, accouple les qualités
159
physiques ».

III. Khāfa, « craindre, redouter », peut quelquefois prendre le sens

160
contraire d’« espérer » . Cette lecture s’inscrit dans le ton général du

poème.

IV. On peut voir ici une allusion au verset 268 de la sourate 2 « La

Vache » : « Satan vous promet la misère, vous enjoint l’opprobre. Dieu vous

promet pardon et grâce de par Lui » (trad. Jacques Berque). Il ne s’agirait

donc pas d’une « promesse » de châtiment mais de pardon. Le vers 8 (qui

fait référence à Coran 7, 156 : « Et Ma miséricorde embrasse toute chose »)

confirme cette lecture. Dans Les Révélations de La Mecque, Ibn ‘Arabī

commente indirectement ce verset à travers un dialogue qu’il relate entre

e
Iblīs/Satan et un célèbre soufi du IX siècle, Sahl b. ‘Abdallah al-Tustarī :

« La dernière chose qu’Iblīs déclara à Sahl, raconte Ibn ‘Arabī, fut celle-ci :

Dieu a dit : “Ma miséricorde embrasse toute chose”, ce qui est une

affirmation de portée générale. Or, il ne t’échappe pas que je suis une de ces

choses, sans le moindre doute. Le mot “tout” implique l’universalité […].

Sa miséricorde m’embrasse donc. » Et de conclure par la remarque

suivante : « Je sus alors qu’Iblīs possédait une science incontestable et que


161
sur ce problème, c’est lui qui avait été le maître de Sahl . » Ailleurs, Ibn

‘Arabī, toujours dans une rigoureuse fidélité au texte sacré, affirme que

l’éternité du séjour en enfer ne signifie pas l’éternité du châtiment. « Ibn

‘Arabī accepte sans réserve le sens explicite des versets qui annoncent un

séjour, provisoire ou éternel selon le cas, des pécheurs et des mécréants dans
la géhenne, commente Michel Chodkiewicz. Mais l’éternité du séjour

n’entraîne pas celle de la peine, qui ne saurait être éternelle sans que résulte

une inconcevable limitation de la “Miséricorde qui embrasse toute


162
chose” . » Voir également le poème 16, « Il étend le pardon », note II.

V. ‘Ajab, « chose étonnante, merveille », peut sous-entendre ‘ajab min

163
Allāh, « faveur inattendue et grâce de Dieu » .

VI. Le sens commun de la racine verbale ġarafa est « puiser (de l’eau,

etc.) avec la main ou avec quelque autre ustensile creux ». Ġuraf, pluriel de

ġurfa, « chambre, pièce », peut désigner aussi une grande mesure de grains.

Notre traduction nous est suggérée par le contexte, en effet nous

comprenons « puiser » dans le sens d’« embrasser, contenir », suivant

l’esprit du vers précédent.

VII. Ce vers mystérieux de par son caractère elliptique trouve peut-être

une explication dans l’interprétation très particulière qu’Ibn ‘Arabī donne de

la notion d’ahl al-bayt (gens de la maison), telle qu’elle apparaît dans le

verset 33 de la sourate 33 « Les Coalisés » : « Dieu ne veut qu’éloigner de

vous toute infamie, ô gens de la famille du Prophète, et vous purifier de

toute souillure » (trad. M. Chiadmi). Pour la plupart des commentateurs et

exégètes, elle concerne exclusivement la maisonnée du Prophète, sa famille,

sa descendance. Pour Ibn ‘Arabī, cette maisonnée ne se limite pas à la lignée

charnelle mais inclut sa descendance spirituelle, c’est-à-dire les saints, les

êtres réalisés spirituellement, les hommes de Dieu, et c’est précisément

ceux-là que désignent les vers 9 et 10 du poème. Or, le Coran (dans la

sourate précitée) ainsi que la Tradition confèrent aux gens de la maison un

statut de purifiés, d’impeccabilité. Dans la conception d’Ibn ‘Arabī, celui-ci

serait donc également accordé aux hommes de Dieu, aux « rapprochés »,

non parce qu’ils seraient exempts de tout péché (comme le Prophète) mais

parce que tout péché leur est par avance pardonné devant la justice divine,
164
tout en demeurant soumis aux peines légales de ce monde . Dans les

Futū ḥāt, Ibn ‘Arabī évoque les « voiles » du pardon divin (selon
l’étymologie de la racine ĠFR, « couvrir, cacher » et de là « pardonner ») :

le « voile qu’Il interpose entre le croyant rebelle et l’infidélité qui survient

sur lui au moment où il commet une désobéissance, de sorte qu’il croie

fermement que cet acte est une désobéissance », le voile « qui recouvre le

croyant dans ce bas monde et grâce auquel il ne passe pas outre aux limites

que Dieu a instituées concernant le péché qu’il est tenté d’accomplir » et

celui « qui le recouvrira dans sa vie future et le préservera d’être châtié pour
165
sa faute ». Ce dernier voile constitue l’« excuse » divine.
27

Contemple le Vrai

(Poème de l’alif )

1 Contemple le Vrai dans la signification de Ses

Noms et en tant qu’Essence de tout mon être,

Essence de chaque atome qui le constitue.

Pour celui qui apprend mes déviances et mes

I
dissidences apparentes , s’il veut me rendre

justice,

Les Noms de mon Seigneur sont innombrables,

rien ne peut les cerner, contrairement aux miens.

Si je parle, je parle à travers Lui ou s’Il parle, Il

II
parle à travers nous . Tout s’interpénètre,

comme le contemplé et le contemplateur.

5 L’Essence est une et le point de vue est

multiple. Réfléchis par Lui et à partir de toi-

même, en considérant mes signes et mes

allusions.

La lumière n’a pas de couleur qui la différencie,

III
comme l’eau elle prend les couleurs du verre .

L’eau n’a pas de forme qui la délimite si ce n’est

celle du vase et dans cette limite réside mon


IV
mal .

Il s’agit d’un mal enfoui et incurable. Où est la

guérison alors que mon mal se trouve dans mon

V
remède ?

J’aspire à guérir de ce qui est inhérent à moi-

même, hélas ! Comment soigner le mal par le

VI
mal ?

10 Je m’exprime par le lām et non point par le

bā’ car nous avons certes quelqu’un qui nous


VII
désavoue sur le discours par le bā’ .


Un ur ilā l- ḥaqq (Dīwān, p. 205) mètre al-basīṭ.

Le premier Nom divin révélé par le Coran dans le premier verset de « La

Liminaire », la Fāti ḥa, est le nom Allāh, dont la première lettre est l’alif (‫)ا‬.
Ce poème introduit aussi, avec la lettre alif, le cycle des poèmes dédiés aux

vingt-neuf lettres de l’alphabet arabe (incluant la ligature lām-alif ‫ال‬,


considérée comme une lettre). Chacun d’eux comprend dix vers (d’où le

nom de mu‘ashshara, « formé de dix », donné à ce cycle) et chaque vers

commence et finit par la même lettre de l’alphabet (rappelons que dans la

poésie arabe, la rime porte sur la dernière lettre de chaque vers, qui doit être

identique pour l’ensemble du poème). Cette forme poétique n’est pas une

création d’Ibn ‘Arabī, elle semble être apparue d’abord en Andalousie vers

e e e
le XI siècle et connut une certaine vogue au cours des XII et XIII siècles.

166
Cependant, elle prend chez Ibn ‘Arabī toute sa portée métaphysique . Le

choix du nombre 10 répond à une symbolique numérologique complexe.

Pour les pythagoriciens, il est la tétraktys (tetra, « quatre », aktis, « lumière

rayonnante »), figure sacrée car nombre triangulaire du chiffre 4, somme des

quatre premiers chiffres considérés comme source de la création

(1+2+3+4=10). Mentionnons également les dix commandements, les dix


plaies d’Égypte, la division du Coran en dix parties, le serment par les « dix

nuits » du verset 1 de la sourate 89 « L’Aube », les dix signes divins

énumérés dans la sourate 78 « La Nouvelle ». Le grand mystique Al-Ġazālī

(1058-1111) divisa également son œuvre maîtresse La Vivification des

sciences religieuses en dix chapitres comprenant chacun dix sections. Basé

sur les dix doigts de la main, le système décimal inventé dès le troisième

millénaire avant notre ère est par ailleurs commun à de nombreuses cultures.

On reconnaît dans plusieurs vers de ce poème l’inspiration du grand

mystique Man ūr al- ṣ Ḥallāj, dont le propos extatique : Anā l-Ḥaqq, « Je suis
le Vrai », c’est-à-dire : « Je suis Dieu », lui valut sa condamnation à mort et
167
son exécution en 922, après un procès de neuf ans .

I. A‘ra ḍa signifie « se détourner de quelque chose, s’en éloigner » et

an ḥā « détourner de la voie », « dévier ». Les mots « déviance » et

« dissidence » traduisent ce qui pourrait être une allusion aux violentes

attaques dont les écrits d’Ibn ‘Arabī ont fait l’objet dès son vivant de la part

des docteurs de la Loi – l’accusant notamment, tout comme Ḥallāj, de

professer l’incarnation ( ḥulūl) – et qui perdureront tout au long des siècles


168
jusqu’à nos jours . Cependant McAuley suggère une autre lecture à travers

le sens de la racine N ḤW, « se diriger, se rendre vers un lieu », introduisant


une contradiction entre les deux termes (« mes détours et mes avancées »)

qui nous a semblé également intéressante car elle reflète les oppositions qui

traversent le poème : les Noms divins à la fois intermédiaires et voiles entre


169
Dieu et nous, l’Un et le multiple …

II. On ne peut manquer de rapprocher cet hémistiche d’un vers de

Ḥallāj : « Son esprit est mon esprit et mon esprit Son esprit ; qu’Il veuille, et
170
je veux ; que je veuille, Il veut . »

III. Denis E. McAuley remarque à juste titre une allusion à un propos du

grand maître soufi Al-Junayd (mort en 911), dont Ḥallāj fut un temps le

disciple : Lawn al-mā’ lawn al-inā’, « La couleur de l’eau est celle de son
récipient ». Maintes fois citée, cette phrase a connu de multiples

interprétations. L’Essence divine est inqualifiable, elle se manifeste

différemment en chaque être, chaque chose créés. De même, il n’existe

qu’une seule Religion primordiale qui a pris des colorations multiples à

travers toutes les religions historiques. Ainsi, Dieu est présent en toute

forme et en tout objet de foi. Selon le commentaire d’Abd-el-Kader, « Dieu,

comme l’eau, n’a pas de couleur, Il ne peut donc apparaître que dans la

forme de celui qui Le connaît et qui est comme Son “récipient”. […] Si, du

point de vue de la Réalité essentielle, toutes les formes du monde sont les

récipients où se manifeste l’eau de Dieu, l’homme constitue le seul récipient

capable d’en recevoir la théophanie, autrement dit d’en avoir la science

ḥadīth : “Dieu a créé Adam selon sa forme”


171
selon le ».

IV. Autrement dit, par notre forme humaine, nous sommes existenciés

comme manifestation de Dieu, créés à Son image, mais cette forme en

même temps nous sépare, nous éloigne de Dieu, elle est un carcan que l’âme

aspire à transcender. Cette contradiction semble insoluble : Dieu, au travers

de Sa création, à la fois se fait connaître et se voile. Seule la mort nous

libère de la prison du corps. Ḥallāj aurait lui-même recherché le martyre par


désir de l’union avec le Bien-Aimé divin : « Tuez-moi, ô mes amis ! Car

c’est dans la mort que se trouve ma vie, et c’est dans la vie qu’est ma
172
mort ! »

V. Littéralement, il faudrait traduire par « où est le remède alors que

mon mal engendre tous les maux ? » car adwā’ est bien le pluriel de dā’,

« mal, maladie », le pluriel régulier de dawā’, « remède », étant adwiyya.

Cependant, nous suivons McAuley pour la présente lecture, dictée par le

contexte. Les limites et épreuves intrinsèquement liées à notre condition

humaine sont imposées par Celui-là même qui nous a donné la vie, entre les

mains de qui se trouve aussi notre délivrance, c’est-à-dire notre mort…

VI. Ce second hémistiche cite presque textuellement Ḥallāj dans le vers


10 de la qa īda 1 : « On me dit : “Guéris-t’en par Lui !” Mais je dis : “Se
guérit-on d’un mal par ce mal ?”
173
» Ḥallāj lui-même s’est peut-être inspiré
du grand poète bachique Abū Nuwās (mort en 815) qui, à celui qui lui

reprochait son ébriété et sa vie dissolue, répondait : « Cesse de me blâmer,

le blâme me provoque, et guéris-moi avec ce qui fait mon mal » ou dans

l’excellente traduction de Vincent Monteil : « et donne-moi à boire un


174
remède de chien ». Une telle source d’inspiration ne saurait étonner

puisque poésies bachique et mystique se rejoignent métaphoriquement.

VII. Selon McAuley, les lettres bā’ ( ‫ )ب‬et lām (‫ )ل‬seraient une allusion à
la distinction faite chez les soufis entre « gens du bā’», qui louent Dieu à

travers Dieu (bi-Llāh), conscients que leurs louanges leur sont permises par

Lui, et « gens du lām », conscients que les louanges appartiennent en propre

à Dieu (li-Llāh), c’est-à-dire que c’est Lui qui se loue Lui-même à travers
175
Ses adorateurs . Cette dernière catégorie de mystiques est considérée

comme la plus élevée. Dans un poème ouvrant un cycle dédié aux lettres de

l’alphabet, il est tentant de rechercher l’interprétation de ce vers dans la

« science des lettres » (‘ilm al- ḥurūf), un aspect particulièrement complexe

et hermétique de l’ésotérisme islamique et qui constitue l’une des clés de

l’œuvre d’Ibn ‘Arabī. Pour en comprendre le fondement, il faut rappeler le

caractère sacré que revêt la langue arabe elle-même dans la spiritualité de

l’islam, en tant que vecteur de la Révélation coranique, Parole divine. Si

pour les chrétiens Dieu s’est fait homme, pour les musulmans Dieu s’est fait

Livre. Le Coran tout entier mais aussi chacune de ses sourates, chacun de

ses versets, voire chacun des mots qui le constituent peuvent être perçus

comme une présence divine dans le monde. Par ailleurs, les spirituels

musulmans ont vu l’univers tout entier comme un grand livre existencié par

le Verbe divin, écrit par le Calame divin sur une Table gardée (Coran

85,22). Tout l’univers est signe et le Coran en est en quelque sorte la

quintessence, rendue accessible à l’intelligence humaine par l’intermédiaire

des lettres de l’alphabet. Chacune offre en elle-même, de part un réseau

complexe de correspondances et une symbolique numérologique (le nombre


est l’« esprit », la lettre le « corps ») et astrologique, une clé secrète pour la

compréhension à la fois du macrocosme et du microcosme humain. Cette

connaissance mystique ne saurait cependant se transmettre. Al-Būnī, auteur

d’un traité de magie des lettres, presque contemporain d’Ibn ‘Arabī, nous

prévient : « Ne croyez pas que vous percevrez le mystère des lettres en vous

servant de la raison discursive, vous y arriverez par la vision intuitive et la


176
grâce divine . » Nous ne pouvons donner que quelques indications très

générales sur la symbolique des lettres lām et bā’ évoquées dans le présent

poème. La lettre lām du nom d’Allāh « est appelée barzakh (lieu de

confluence), explique Najn-oud-Dine Bammate, la lettre de la liaison, la

médiatrice. Par cette lettre Dieu se manifeste dans le monde, développe la


177
création, prend possession des choses ». Pour Ibn ‘Arabī, elle symbolise

en particulier l’Homme universel, donc également intermédiaire entre Dieu

et le monde manifesté. La lettre bā’, qui est la lettre par laquelle s’ouvre le

Coran, symbolise l’Intellect premier, l’Esprit universel à l’origine de la

création. Il est la première émanation de l’Essence divine indivisible et

insondable, symbolisée par la lettre alif ‫ا‬


( ). Le dernier vers du poème

exprimerait ainsi les limites de l’esprit humain : celui-ci ne peut percevoir

Dieu qu’à travers lui-même, car il a été « créé selon Sa forme » ou « à Son

image » (selon que l’on évoque le ḥadīth prophétique : « Certes Allāh a créé
Adam selon Sa forme » ou le verset de la Genèse : « Dieu a créé l’homme à

Son image »), mais lui demeure inaccessible l’appréhension du Logos divin

créateur. Les fréquentes références à Ḥallāj ainsi que l’allusion à un propos

de Junayd peuvent apporter encore un autre éclairage. Ḥallāj représente une


« mystique de l’ivresse » et de l’anéantissement en Dieu qui n’est nullement

étrangère à Ibn ‘Arabī. Voici ce qu’il écrit sur son expérience mystique de

l’amour : « Par Dieu, j’éprouve de l’amour à un point tel que, me semble-t-

il, les cieux se disloqueraient, les étoiles s’affaisseraient, les montagnes

s’ébranleraient si je leur en confiais la charge : telle est mon expérience de

l’amour », puis il précise : « Dieu m’a donné une part surabondante de


l’amour, mais Il m’a également donné de le dominer. » Claude Addas

commente ainsi : « En d’autres termes, si puissante que soit la grâce de

l’amour qui le submerge, il n’en conserve pas moins la maîtrise des “états

spirituels” qu’elle est susceptible d’engendrer : ivre d’amour donc, et malgré


178
tout sobre . » Ibn ‘Arabī, comme d’autres mystiques, n’a en aucun cas

condamné le contenu des propos de Ḥallāj mais le fait qu’il ait dévoilé, sous
l’emprise de l’ivresse, de dangereux et inviolables secrets. Cette « mystique

de la sobriété » et du respect des convenances spirituelles est celle

qu’enseignait Al-Junayd. S’exprimer « par le lām » pourrait signifier

conserver, par le voile de la manifestation, la dualité entre la créature et son

Créateur, tandis que s’exprimer « par le bā’» serait dévoiler l’identité

ontologique entre l’adorateur et le Bien-Aimé divin, Dieu se contemplant et

s’aimant Lui-même à travers Sa créature. « Dieu aime la beauté, écrit Ibn

‘Arabī, or “Il est beau” ; Il s’aime donc Lui-même. Puis Il a aimé se voir en

un autre que Lui-même et a créé le monde à l’image de Sa beauté. Il a

regardé le monde et l’a aimé de l’amour de celui que le regard

Ḥaqq
179
enchaîne . » Et ce, à l’instar du célèbre Anā al- (Je suis le Vrai) de

Ḥallāj, ne peut que heurter les convenances tout comme l’orthodoxie.


28

Je me détournai d’elle

(Poème du tā’)

1 Je me détournai d’elle docilement puisqu’elle

s’était lassée. Ah comment savoir si, après nous,

elle se serait détournée !

Je regardai attentivement derrière moi pour voir

les vestiges de son campement, « n’aie crainte,

me dirent mes pensées, elle ne t’abandonna

pas ».

Elle nous était apparentée et elle quittait notre

être, ainsi mon existence anéantissait sa réalité et

elle s’envolait.

Lorsque je m’éloignais d’elle, elle était ma

I
direction . Dès lors que je le sus, je feignis de la

négliger.

5 Je m’étonnai de moi-même puis d’elle, en

raison de sa science et de mon ignorance,

lorsque je m’égarai et qu’elle s’égara.

Je me demandai si elle considérait la science

comme une perplexité alors que par l’ignorance


elle était puissante, puis par la science elle fut

humble.

Les mystères de sa réalité s’adressaient à elle à

partir de moi-même, où qu’elle se trouvât, je

n’étais pas autre qu’elle.

Elle se détourna sans s’éloigner et s’éloigna sans

partir car j’étais son effet et elle était ma cause.

Je me trompai sur elle lorsque je déclarai qu’elle

était la condition de mon existence, et cela par

distraction.

10 Tu t’élevas, ô mon essence, et il n’y eut là

rien d’autre que nous, cependant elle n’était pas

identique à moi, alors voilà la source de ma

II
perplexité !


Tawwalaytu ‘anhā (Dīwān, p. 206) mètre al- awīl.

L’atmosphère de ce poème est celle de la poésie amoureuse courtoise

(ġazal) apparue dans l’Arabie antéislamique et qui dérivait de la qa īda par ṣ


son prologue en forme de lamentation du poète autour des vestiges du

campement abandonné de la bien-aimée. Telle est aussi l’inspiration du

recueil d’amour L’Interprète des désirs dans lequel Ibn ‘Arabī, à travers le

langage de l’amour courtois, exprime la quête mystique du Bien-Aimé divin

et les réalités subtiles de la dimension métaphysique. Petit à petit, le jeu de

la poursuite ou du cache-cache amoureux se révèle être ici un dialogue entre

le poète et lui-même, son âme, son essence. Or dans la doctrine akbarienne

de l’Unicité divine (taw ḥīd), l’homme par son essence se rattache au Divin,
il n’y a en fait qu’une seule Réalité qui est l’Essence divine. Rappelons

l’expression particulièrement frappante que donne Abd el-Kader du taw ḥīd :


« Sache qu’il n’y a pas, d’une part, une Essence divine et, d’autre part, des
essences propres aux créatures qui seraient indépendantes, subsistant par

elles-mêmes […]. Il n’y a rien d’autre que l’Essence divine. C’est elle qui

est l’essence des créatures. […] Nous sommes Son essence en tant qu’Il se

manifeste par nous. Car Il ne se manifeste que par nous, bien que nous
180
soyons pur néant . » Ce dialogue intérieur reproduit ainsi, au plan du

microcosme humain, le jeu de miroir entre le Créateur et la créature : « Tu

es Son reflet inversé ! Tu es son cœur et Il est ton cœur ! » Voir le poème 7,

« Je me figurai mon Bien-Aimé », note I, ainsi que p. 88, note III.

I. Rappelons que qibla a pris le sens spécifique de « direction de la

prière », en l’occurrence La Mecque pour les musulmans. Cependant, ce

mot signifie plus généralement « but, direction, orientation ».

II. ‘Ayn, et dhāt, qui apparaissent plusieurs fois dans le poème (vers 3, 7

et 10), sont synonymes dans le sens d’« essence, substance » et « soi, la

personne elle-même, en propre ». Cependant, au plan métaphysique et dans

la vision akbarienne, ‘ayn (œil, source, origine) peut désigner l’entité, la

réalité apparente d’une chose, un de ses sens est « identique à », se

distinguant de dhāt qui est réellement l’essence, la substance même de la

chose. En référence au Divin, l’un et l’autre désignent l’Essence, le Soi


181
transcendant, la Source . Employés à deux reprises dans le même vers (3

et 10), ils ne peuvent donc se confondre mais prennent cependant à chaque

occurrence des significations différentes, plongeant le lecteur dans cette

« perplexité » que le poète exprime lui-même. Ainsi apparaît une dualité qui

s’avère illusion, sans pour autant être totalement niée, paradoxe inhérent à

toute tentative de définition de la Réalité divine.


29

Trois noms

(Poème du thā)

1 Trois noms. L’œil voit se former entre eux une

figure triangulaire.

Il fit halte en des jardins, poursuivant son voyage

I
et faisant ses adieux , suivant un ordre émanant

du mystère divin.

Je tournai vers lui les rênes de ma pensée mais

ne pus l’atteindre avant que je ne reçoive le

II
souffle de l’Esprit en plein cœur .

Je tins ferme jusqu’à ce que s’achève ce qu’il me

transmit personnellement et je me mis à parler

5 En louant Dieu qui l’avait investi de ce qui

advint en un temps oublié et il n’avait pas failli.

Protecteur de Noms divins qui se manifestent par


III
leur puissance, il est l’Imām éloquent .

Le poids de mon corps m’entrave pour atteindre

l’objet de ma quête en ce monde, jusqu’au

moment de ma résurrection.

IV V
Je Le loue joyeux et non combattant , c’est

VI
pourquoi je suis entendu lorsqu’Il parle .
Mes paroles résonnent intensément sur terre et
VII
dans les cieux et tout cela est création .

10 Huit sont les porteurs du Trône de Son

VIII
Essence : moi-même et mes attributs ou
IX
plutôt je/Je suis le Trône , alors cherchez…

Thalāthatu ‘asmā’ (Dīwān, p. 207), mètre al- awīl. ṭ

L’interprétation du premier vers, particulièrement hermétique, conduit à

de multiples spéculations. Une hypothèse peut être esquissée à la lumière

d’un article de Michel Vâlsan à propos d’une figure triangulaire dont les

données lui ont été communiquées par son maître René Guénon or, les

écrits de René Guénon sur la science des lettres sont imprégnés de la pensée

d’Ibn ‘Arabī, dont l’enseignement lui a peut-être été transmis par voie
182
initiatique car il ne l’avait vraisemblablement pas lu dans le texte . Il

s’agit d’un triangle équilatéral dont le sommet comprend la lettre alif ( ), ‫ا‬
‫د‬
l’angle droit la lettre dāl ( ), l’angle gauche la lettre mīm ( ). À partir du ‫م‬
sommet et en descendant de droite à gauche dans le sens arabe de lecture,

on peut donc lire Adam. À l’intérieur de ce triangle, un second triangle

inversé présente à son sommet également l’alif, à son angle gauche la lettre

ḥā (‫)ح‬, à son angle droit la lettre waw (‫)و‬. La lecture inversée nous donne le
nom Ḥawwā’ (Ève). Il nous est bien sûr impossible de résumer ici la

méditation de Michel Vâlsan et les conclusions métaphysiques et

ésotériques qu’il tire de ce symbole dans une suite d’articles intitulés « Le


183
triangle de l’androgyne et le monosyllabe ôm ». Denis Gril souligne

l’importance de cette étude qui s’inspire largement de l’enseignement d’Ibn

‘Arabī. « Trois noms » apparaissent. L’alif, symbole de l’unité et du principe

premier, représente naturellement Allāh, dont le nom a comme initiale l’alif,

tout comme le nom Adam qui se lit en descendant par le côté droit du

triangle, symbolisant peut-être la descente du souffle divin dans sa


manifestation en l’Homme ; dans le Coran, il est aussi considéré comme le

premier prophète de l’humanité. Enfin la lettre mīm désigne Mu ḥammad ;

dans la spiritualité de l’islam, il est le dernier Prophète du cycle,

manifestation humaine de la Lumière mu ḥammadienne ou l’Intellect

premier, à l’origine de tout l’univers. En lisant les lettres sur le côté droit du

triangle alif, ḥā, dāl, nous découvrons le mot ḥ


a ad, « un, unique »,

expression de l’Unicité divine absolue dans le premier verset de l’avant-

dernière sourate du Coran. Sur le côté inférieur, nous lisons dāl, alif, mīm :

dāma, « Il est permanent », ou dā’im, « Éternel », encore un attribut du

Divin. Enfin, sur le côté gauche, les lettres alif, waw, mīm font apparaître

mystérieusement le monosyllabe védique ôm (AUM), mantra sacré primordial

dans l’hindouisme et qui est un symbole du verbe universel. Est-ce une

coïncidence ? La lettre waw est aussi une lettre de jonction et de continuité

(wa l)ṣ exprimant alors l’unité essentielle entre le Divin (Allāh) et Sa

théophanie dans la lumière prophétique (Mu ḥammad). L’ensemble

représente à la fois l’Essence divine primordiale et Sa manifestation en

l’Homme universel, incluant à la fois le masculin et le féminin. La Bible

elle-même ne fait-elle pas allusion à l’androgynie originelle d’Adam, dans le

livre de la Genèse où il est dit : « Dieu créa l’homme à Son image, homme

et femme Il le créa » ? McAuley, sans avancer une interprétation, note la

récurrence du chiffre 3 dans l’œuvre d’Ibn ‘Arabī et le fait que la lettre thā

( ‫)ث‬, à laquelle est dédiée ce poème dans le cycle des mu‘ashsharāt, présente
184
trois points diacritiques formant un triangle .

I. L’expérience mystique annule le temps linéaire, ce qu’exprime cette

étrange simultanéité d’actions qui, dans « notre » dimension, se

succéderaient.

II. « L’Esprit » désigne très probablement l’Esprit Saint, l’ange Gabriel

(Jibrīl en arabe), l’ange de la Révélation coranique. Il semblerait que dans la

vision évoquée par ce poème, Ibn ‘Arabī ait vécu une expérience semblable
à celle de Mu ḥammad lorsque l’ange lui apparut pour la première fois dans

la grotte Ḥirā’, non loin de La Mecque, où il s’était isolé en retraite.

Mentionné allusivement dans le Coran (53, 1-11), cet événement est décrit

en détail dans le Ḥadīth et la Sīra comme une expérience humaine qui

plongea d’abord le Prophète dans l’effroi : « L’ange vint alors le trouver et

lui dit : “Lis. – Je ne suis point de ceux qui lisent”, répondit-il. “L’ange me

saisit aussitôt, raconta le Prophète ; il me pressa au point de me faire perdre


185
toute force et me répéta ce mot : “Lis !” » La racine RW‘ signifie « peur,

frayeur » et « cœur », en particulier « point noir du cœur, siège de la frayeur

que l’on éprouve quand une chose arrive inopinément et cause un


186
saisissement » .

III. Mu ḥaddith, « éloquent », signifie littéralement « qui parle ». Cette

lecture est celle qui est donnée par l’édition de Beyrouth sur laquelle nous

nous basons. Cependant, McAuley lit mu ḥaddath, « à qui l’on parle », un

terme utilisé dans la tradition du shī‘isme duodécimain imamite pour

qualifier les douze Imāms (guides) successeurs spirituels et politiques du

Prophète ; le douzième, le Mahdī (le bien-guidé), n’apparaissant qu’à la fin

des temps. Ces Imāms historiques sont la manifestation exotérique de


187
l’Imām cosmique ou Imām de lumière, première théophanie de Dieu . Qui

est ce mystérieux guide apparaissant dans la vision du poète ? S’agit-il du

Prophète, « éloquent » car transmetteur de la Parole divine, et auquel le vers

10 semble également faire allusion ? Ou de l’Imām céleste, la théophanie

par excellence, le plus noble lieu de révélation des Noms divins, porteur du

sens caché, ésotérique, de cette Parole ? Cette dernière hypothèse semble la

plus convaincante si l’on considère que dans le shī‘isme, le Coran est appelé

« guide silencieux » (imām ṣāmit) tandis que l’Imām est qualifié de « Coran

parlant » (qur’ān nā iq). Voir également le poème « Évoque pour l’heureuse

étoile », note I.
IV. Nous lisons thanā’ī ‘alayhi ( ‫)ثنائي عليه‬, « ma louange à Lui ». Le texte
arabe publié par McAuley donne thanānī ‘alayhi ( ‫)ثناني عليه‬, qu’il traduit par
« Il me tourna vers Lui ». La ressemblance graphique des deux formes

explique l’existence de ces deux versions, la première nous paraît cependant

la plus évidente.

V. Le terme mujāhid, « qui fait des efforts, qui lutte », est tiré de la

même racine que le mot jihād, souvent abusivement traduit par « guerre

sainte ». Or la racine JHD, qui contient le sens de « travail assidu, effort,

épuisement », peut être appréhendée, comme tant d’autres mots de la langue

arabe, à plusieurs niveaux : matériel, moral, spirituel. Le sens matériel de

« guerre militaire » n’en est qu’un aspect, qualifié de « jihād mineur » selon

le ḥadīth du Prophète qui a dit, au retour d’une de ses expéditions : « Nous


voici revenus du jihād mineur pour nous livrer au jihād majeur » ; à ceux

qui lui demandèrent ce qu’était le jihād majeur il répondit : « La lutte de


188
l’homme contre ses passions . » C’est ce dernier sens que nous avons

retenu car le mystique qui a atteint les plus hauts degrés de la réalisation

spirituelle a évidemment remporté ce combat.

VI. Le mystique qui réussit à s’annihiler en Dieu par l’extinction de son

âme charnelle est tout entier imprégné de Sa présence, sa parole devient Sa

Parole, ainsi que l’exprime également le vers 4 du poème 27, « Contemple

le Vrai » : « Si je parle, je parle à travers Lui ou s’Il parle, Il parle à travers

nous. Tout s’interpénètre, comme le contemplé et le contemplateur. » Cette

interpénétration du Créateur et de la créature est également le sens du

ḥadīth : « Et lorsque Je l’aime [Mon serviteur], Je suis son ouïe par laquelle
il entend, son œil par lequel il voit, sa main par laquelle il saisit et son pied

par lequel il marche… » Voir le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », note II.

VII. Thaqīl pourrait faire allusion au verset 5 de la sourate 73 : « Nous

allons te révéler des paroles lourdes (très importantes, qawlan thaqīlan »

(trad. éd. du Roi Fahd) ; « Nous lancerons sur toi une parole dense » (trad.

Jacques Berque). La parole humaine, à travers la louange à Dieu, est un


écho au poids de la Parole divine concentrée dans la Révélation mais qui

résonne dans l’univers entier par le Verbe créateur. Ainsi, le langage humain

« apparaît comme le témoignage d’une présence céleste, comme la

réfraction lointaine de ces noms enseignés à l’origine à Adam selon le

Coran (2, 31) », écrit Pierre Lory, et les « bonnes paroles » qui montent vers

Dieu (Coran 35, 10) « sont les louanges sincères prononcées par les

hommes pieux et plus profondément encore celles que les vrais saints

peuvent proférer : parce qu’ils ne se l’attribuent pas à eux-mêmes sachant

que la louange vient de Dieu comme elle va vers Lui. Cette ascension des

paroles humaines fait face, comme un acte de réponse, à la “descente” des

verbes célestes dans les individus. […] Par ces paroles des saints, le Verbe

divin ne vient pas s’arrêter à son niveau terrestre mais irrigue sans cesse le
189
monde ». Dans cette optique, le verbe humain, écho du Verbe divin,

prend toute sa dimension créatrice. Le lien intime entre verbe et création est

exprimé par la racine arabe ḤDTH qui prend à la fois le sens de « parler,

raconter, converser », « avoir lieu, se produire » et « apparaître, surgir,

naître », « créer, faire naître, faire surgir ». Le poème joue sur cette

polysémie.

VIII. Allusion au verset 17 de la sourate 69 : « Sur ses côtés se tiendront

les anges, tandis que huit, ce jour-là, porteront au-dessus d’eux le Trône de

ton Seigneur » (trad. éd. du Roi Fahd). Pour les soufis, le Trône est

l’expression de tout ce qui n’est pas Dieu, donc de la manifestation

universelle. Un ḥadīth rapporte que « la première chose que Dieu créa est le
Trône », il est donc assimilable à l’Intellect premier ou Esprit universel que

les soufis désignent aussi par la « Lumière mu ḥammadienne ». Ibn ‘Arabī

nomme les huit porteurs du Trône : « Mu ḥammad, Ri ḍwān, Mālik, Adam,

Abraham, Jibrīl (Gabriel), Isrāfīl (Séraphiel) et Mīkā’īl (Michaël). On voit,

commente Jean Annestay, que l’angélologie soufie d’Ibn ‘Arabī mêle anges,

archanges et envoyés (envisagés dans leur prolongement supra-humain) en


tant que tous sont porteurs de messages (malū’ka), terme duquel est dérivé
190
l’arabe malak (ange) . »

IX. Qui est le locuteur ? Les mots anā l-‘arsh, « je suis le Trône », ne

manquent pas d’évoquer le célèbre Anā l- Ḥaqq, « Je suis le Vrai » (i.e. « Je


suis Dieu ») du mystique Al- Ḥallāj. S’agit-il alors d’un propos extatique

dans lequel parole humaine et Parole divine semblent se confondre ? Le

poème par lequel Ibn ‘Arabī introduit le chapitre 13 des Révélations de

La Mecque, « De ceux qui portent le Trône divin », commence ainsi : « Par

Dieu, le Trône ainsi que ceux qui le portent sont supportés par le

Miséricordieux : c’est là un propos raisonnable ! N’était Dieu, de quelle

force, de quelle puissance disposerait la créature ? La raison l’atteste ainsi

ḥammad,
191
que la révélation . » Le locuteur pourrait être aussi Mu désigné

en premier par Ibn ‘Arabī comme l’un des porteurs du Trône. Le dernier

hémistiche exprimerait alors l’identité entre le Trône et l’Esprit

mu ḥammadien, l’Intellect universel, première manifestation de Dieu et à ce

titre à la fois autre que Lui et cependant émanation de Lui.


30

Considère ton existence

(Poème du dhāl)

1 Considère ton existence avec humilité et ne

sois point empli d’orgueil, afin de transformer

I II
tes deux créations en pépites d’or .

Reste à la queue et ne la dépasse pas, sois

modeste car certes le disciple consacre le maître.

Commet une infamie et un péché capital

quiconque cherche refuge auprès d’un autre que

III
Dieu .

Son dernier souffle s’épuise et son mal se

généralise alors même qu’Il l’abreuve d’averses

et de bruines.

5 Ses jours l’emportent insouciant car la Source

de l’éternité ne lui offre pas de havre.

Ceux qui contemplent leur essence partent et

glissent de Lui vers Lui à la recherche d’un port.

Ils errent en quête de la science du mystère à

travers le monde apparent, sans cesser d’être

intrinsèquement éminents.
Rappelle-leur qu’ils sont dans l’erreur afin qu’ils

voient en lui asile et protection.

IV V
Il est l’Imām et hors de lui tous sont guidés .

Alors lorsqu’ils Le reconnaissent en lui, ils

demandent : « Qu’est-ce donc ? »

10 Ils sont stupéfaits par Sa manifestation car il

n’est pas différent d’eux. Le créé ne peut être

comparé à l’Éternel.

Dhallil wujūdak (Dīwān, p. 209-210),

mètre al-kāmil.

I. La seconde de « tes deux créations » (nash’atayka) est celle de la

Résurrection et le Coran en fait état dans plusieurs versets avec l’emploi du

mot nash’a aux côtés de khalaqa (« créer »), par exemple en 29, 19-20 :

« Ne voient-ils pas comment Allāh commence la création puis la refait ?

Cela est facile pour Allāh. Dis : Parcourez la terre et voyez comment Il a

commencé la création. Puis comment Allāh crée la génération ultime (al-

nash’ata l-akhīra). Car Allāh est omnipotent » (trad. éd. du Roi Fahd ; cf.

également 53, 47 ; 56, 62).

II. Judhādh, pluriel de judhādha, a une occurrence coranique dans le

sens de « fragment, morceau cassé » : Fa-ja‘alahum judhādhan, « Et il

[Abraham] les mit en pièces [les idoles] » (21, 58, trad. Jacques Berque).

Cependant, ce mot signifie également « minerai d’or » et le contexte nous

invite à le comprendre dans ce sens. En effet, cette transformation en

« pépites d’or » ne peut manquer d’évoquer l’alchimie, allusion très parlante

dans ce poème du cycle des mu‘ashsharāt dédié à la lettre dhāl ( ). Est-ce ‫ذ‬
une coïncidence si le mot « or » en arabe, dhahab, commence par cette

lettre ? Le lien formel entre al-kīmiyā’, qui a donné le français « alchimie »,

et al-sīmiyā’, « science opérative des lettres », qui désigne aujourd’hui la

magie blanche, suggère une correspondance intime entre ces deux quêtes
ésotériques. L’un des précurseurs d’Ibn ‘Arabī dans la science des lettres a

été le grand chimiste et alchimiste Jābir ibn Ḥayyān (721-815), chez qui « la
science ou “balance” des lettres constitue le parachèvement du fondement
192
de son alchimie ». Derrière la quête alchimique de la transmutation des

métaux en or se cache celle de la transformation de l’âme. Dans la sīmiyā’,

au-delà de la magie opératoire des lettres (qu’Ibn ‘Arabī ne nie pas) et d’une

clé pour l’appréhension du sens cosmique et métaphysique de l’univers, il y

a la même aspiration. « Le but ultime de ce discours cosmique, explique

Pierre Lory, est la métamorphose de l’homme lui-même dans cette forme

pour laquelle, de toute éternité, il fut créé : celle de l’Homme parfait. […]

Dieu est devenu livre pour l’homme et l’homme doit devenir parole pour
193
Dieu . »

III. La logique nous a conduits à inverser les vers 2 et 3 par rapport à la

version présentée dans l’édition de Beyrouth.

IV. La même figure de l’Imām apparaît dans le poème 29, « Trois

noms » (voir note III).

V. Sūqa signifie « peuple, sujets, bas peuple ». Le sens premier du verbe

sāqa est : « pousser devant soi, mener, stimuler à la marche (bête de somme,

troupeau, etc.) », d’où notre traduction.


31

Couvrez-moi !

(Poème du zāy)

I
1 Couvrez-moi, couvrez-moi ! Ne dites pas que
II
je suis l’homme illustre dans un mois

III
permissif .
IV
Repoussant la liberté de celui qu’elle venait

V
d’enfermer dans un linceul de lois et

permissions,

VI
La parure de Dieu qu’Il a mise au jour invita

celle de mon âme à un combat singulier.

Une haute aspiration lui rappela durement le

devoir, l’inconcevable et le licite.

5 Ma Beauté écoute ce que je récite et je fuis de

VII
Lui vers Lui .
VIII
Le mal est paré, ainsi qu’Il nous le révéla . Il

n’a pas dit : « Il a paré le mal », par distinction.

Ses Beaux Noms parent Sa présence, ainsi

IX
quiconque Le respecte par la connaissance

triomphe.
Le parfum de la fleur des jardins est ambre, ainsi

quiconque la hume touche au but et l’emporte.

Une fleur voguant au milieu de sphères,

quiconque la voit s’en éprend éperdument puis


X
est abreuvé .

XI
10 Zaynab sait, croyez-moi, ce que j’ai dit

traverse tous les paysages de la vie, les plaines et

les escarpements.

194
Zammilūnī (Dīwān, p. 210-211), mètre al-ramal.

I. Zammilūnī signifie « couvrez-moi » ou « cachez-moi ». C’est en ces

mêmes termes que, selon la Sīra, Mu ḥammad exprima son effroi auprès de

son épouse Khadija après que lui fut apparu pour la première fois l’ange

Gabriel (l’ange de la Révélation coranique) dans la grotte de Ḥirā’ (voir le

poème 29, « Trois noms », note II). Un écho de cette tradition se trouve dans

la sourate 73 Al-Muzzammil, « L’Enveloppé » ou « L’Emmitouflé », dont les

deux premiers versets s’adressent directement à Mu ḥammad, l’exhortant à

la prière nocturne : « Toi, l’emmitouflé, lève-toi la nuit, rien qu’un peu »

(trad. Jacques Berque). On devine dans le poème l’expression d’un

sentiment de honte que confirmeraient les allusions à la sourate 9 « Le

Repentir » (voir note VIII).

II. Le mot shahr, répété trois fois dans les deux premiers vers, signifie

195
tout à la fois « mois », « lune » et « homme célèbre par sa science » ; par

ailleurs la lune est une métaphore courante pour un être beau et d’un grand

rayonnement. Cette polysémie offre la clé d’interprétation de ces vers.

III. Nāzin est le participe actif du verbe nazā dont la racine NZW inclut

les sens de « violence, paroxysme, véhémence, fougue », « rut, chaleur »

mais aussi « caprice, coup de tête, fantaisie, lubie », ce qui autorise

l’hypothèse de voir dans shahr nāz le nāsī’ le mois lunaire intercalaire, celui
dont les Arabes antéislamiques disposaient en quelque sorte à leur guise en

tant que mois sacré ou non (voir note VIII).

IV. Zabarat shahr, « elle repoussa la liberté » : il nous semble que ce

« mois permissif » est ici symbole de la liberté que l’être humain s’octroie à

lui-même, contournant les prescriptions divines.

V. Là encore la répétition du verbe zabarat dans un même vers en

accentue l’hermétisme et la riche polysémie de la racine ne facilite guère

son interprétation. Le sens d’« éloigner, repousser quelqu’un de quelque

chose », « renvoyer quelqu’un avec dureté en lui refusant ce qu’il demande »

éclaire la première occurrence. La seconde est plus problématique et nous

l’interprétons à la lumière du sens de « bâtir, élever un mur », « entourer (un


196
puits) d’une rangée de pierres » .

VI. « La parure de Dieu » fait allusion au verset 32 de la sourate 7 « Les

Redans », dont cet hémistiche reprend les termes : « Dis : “Qui donc a

interdit la parure de Dieu, qu’Il a mise au jour pour Ses adorateurs, ou les

choses bonnes d’entre Ses attributions ?” » (trad. Jacques Berque), « Qui a

déclaré illicites les parures et les mets succulents dont Dieu a gratifié Ses

serviteurs ? » (trad. M. Chiadmi). Nous voyons se dessiner ici le combat

intérieur auquel l’être humain est soumis ainsi que la contradiction

apparente à laquelle il se heurte : les beautés, plaisirs, merveilles que la

création offre à l’homme sont à la fois dons divins et possibles sources

d’égarement, éloignement du Divin.

VII. Voir le poème 18, « Je me repens de Lui », pour le sens de cette

formulation paradoxale.

VIII. Ainsi qu’il est dit dans le Coran. En effet, zuyyina l-sū’u, « le mal

est paré », est une référence directe au verset 37 de la sourate 9 « Le

Repentir » : Zuyyina lahum sū’u a‘mālihim, « Leurs méfaits leur sont

enjolivés ». Selon Jacques Berque, la forme passive abondamment employée

dans le texte coranique sous-entend souvent, tout en l’occultant, l’Agent


197
véritable de l’acte, le Très-Haut . Les deux tournures « le mal est paré » et
« Il a paré le mal » ne sont qu’apparemment opposées, elles expriment en

fait une même vérité : Dieu est le seul Agent. D’ailleurs, le Coran ne dit-il

pas : « Celui qu’Il veut, Dieu l’égare ; celui qu’Il veut, Dieu le met sur une

voie de rectitude » (6, 39). Cependant, la forme passive permet de voiler

cette réalité paradoxale, de l’envelopper en quelque sorte dans l’élégance de

la rhétorique, « par distinction ». Il est utile de citer in extenso le verset 37

et d’en préciser le contexte très particulier, susceptible d’éclairer le début du

poème : « Le report d’un mois sacré à un autre (nasī’) est un surcroît de

mécréance. Par là, les mécréants sont égarés : une année ils le font profane,

et une année ils le font sacré afin d’ajuster le nombre de mois qu’Allāh a

faits sacrés. Ainsi rendent-ils profane ce qu’Allāh a fait sacré. Leurs méfaits

leur sont enjolivés. Et Allāh ne guide pas les gens mécréants » (trad. éd. du

Roi Fahd). « Le calendrier lunaire comprenant trois cent cinquante-quatre

jours, soit onze de moins que le calendrier solaire, explique Mohammed

Chiadmi, les astronomes précédant la Révélation coranique ajoutaient le

nasī’ (mois intercalaire) tous les trois ans, rétablissant ainsi la

correspondance entre calcul solaire et calcul lunaire. Il était d’usage

d’insérer le nasī’ entre les mois sacrés (durant lesquels les Arabes n’avaient

pas le droit de se livrer bataille) et les pillards s’en servaient de prétexte

pour justifier leurs attaques contre les pèlerins. Dieu rappelle que l’année

compte douze mois (v. 36) et condamne donc l’insertion de ce mois


198
intercalaire . »

IX. Ḥafiẓa signifie « garder, préserver contre un mal ou danger » et

« respecter, prêter attention à ». Ḥafiẓahu Llāh, « que Dieu le garde », est

une formule courante et la traduction par « celui qu’Il protège » serait

parfaitement légitime. Notre lecture, suggérée par le contexte, se réfère au

ḥadīth : Iḥfaẓi Llāha yaḥfaẓka, « Respecte Dieu [Sa Loi], Il te gardera ».


X. Le sens commun de jāza, « passer, traverser, être licite », ouvre de

multiples interprétations. Le contexte nous suggère de choisir la


199
signification plus rare d’« être abreuvé d’eau, se désaltérer », que l’on

retrouve dans jā’iza, « don, bienfait, faveur ».

XI. Qui est Zaynab ? Il pourrait s’agir de la fille d’Ibn ‘Arabī dont il fait

mention nommément dans un chapitre des Révélations de La Mecque en

soulignant l’extrême précocité de sa clairvoyance. Cf. Claude Addas, Ibn

‘Arabī, op. cit., p. 310.


32

Je me détournerai

(Poème du sīn)

1 Je me détournerai des gens qui s’écartent de la

Vérité vis-à-vis de nous. En effet, ils sont les

I
solitaires , appelés « les muets ».

D’un naturel heureux, leur apparence est dure,

afin que leur compagnie inspire la méfiance.

Ils ne s’élèvent guère en gloire, encore moins

s’illustrent-ils car, par la Transcendance, ils sont

II
éminents dans la présence du Sacré .

Paix sur des êtres qui s’enorgueillissent de leur

Seigneur par-dessus toute créature, djinn ou

humain.

5 Ils voyagent de nuit et les ténèbres voilent leur

ascension, jusqu’à ce qu’ils soient hors


III
d’atteinte, grâce au Piédestal .

Une aspiration en moi glissa nuitamment sur la

plus noble embarcation, formée par la nature, un

esprit pur et les sens.

Mon cœur se lança vers Lui pour connaître Sa

parole, sur une imposante monture cédée à vil


IV
prix .

Un être pur ravit mon ardeur et la consola de la

barrière érigée par la séparation et par le corps.

Sa clarté dispersa les ténèbres du Trône et de la

V VI
cécité , de ce qu’on nomme lassitude et
VII
condition humaine .

10 Elle se consola alors de l’existence de cette

entrave à l’Absolu, de la prison et ses chaînes au

VIII
présent et au passé .

Sa’u ḥrifu (Dīwān, p. 211), mètre al-ṭawīl.

I. Afrād (sing. fard, « individu, seul, unique, incomparable ») signifie les

« solitaires » ou les « esseulés ». C’est ainsi qu’Ibn ‘Arabī désigne une

certaine catégorie de mystiques qui ont atteint un degré suprême d’élévation

spirituelle, se situant juste en dessous des prophètes. Cependant, leur degré

spirituel demeure ignoré. « Invisibles, incompris ou ignorés, explique

Abdallah Penot, ils sont exposés au blâme, d’où leur désignation aussi

comme malāmiyya, gens du blâme. Occultés par Dieu et cachant eux-

mêmes leur état pour préserver les secrets divins qui leur sont confiés, ils ne
200
se montrent que sous des dehors ordinaires . » Par leur volonté de

dissimuler leur éminence spirituelle au point d’encourir l’accusation

d’impiété, ils pourraient être rapprochés de ceux que dans l’Église orientale

e
on a appelés les « fols en Christ », apparus autour du IX siècle et qui

e e 201
connurent une apogée aux XVI et XVII siècles . Cependant, ceux-ci se

distinguaient au contraire par une attitude provocante, voire scandaleuse,

afin de choquer la société et dénoncer les hypocrisies. Ainsi, ils pouvaient se

promener nus ou couverts de saleté, porter des chaînes, tenir des propos
202
insultants, fréquenter les lieux de débauche … Tout autres sont la

discrétion et le désir d’anonymat des « gens du blâme ». Étonnamment,


203
McAuley semble ignorer cette acception particulière du mot afrād qu’il

élude dans sa traduction, ce qui le conduit à un contresens, sans doute

trompé par l’apparente contradiction dans la tournure négative de ce vers. À

la lumière de l’identité des afrād, on comprend que l’attitude du poète est

dictée par le souci de ne pas trahir leur secret et le respect des convenances

spirituelles.

II. Dans fī ḥaḍrati l-quds, « en présence du Sacré », al-quds est une

allusion au Nom divin Al-Quddūs, « Le Saint », « Le Pur ». Ici s’exprime le

paradoxe entre « Transcendance », c’est-à-dire distance, inaccessibilité de

Dieu et Sa « présence » toute particulière pour les « solitaires », ces saints

qui sont également appelés muqarrabūn, les « rapprochés » de Dieu. « Ils

observent la servitude absolue et leur attitude est de dépendance absolue

envers Allāh, écrit Michel Chodkiewicz. […] Ils se fondent dans la masse

des croyants : aucune ascèse apparente, aucune dévotion surérogatoire

visible, aucune intervention manifeste du surnaturel dans la trame de leurs

vies très ordinaires ne les signale aux regards. […] Le serviteur pur est

totalement dépourvu de libre-arbitre. […] “Alors, explique Ibn ‘Arabī, il

devient l’ouïe par laquelle Dieu entend, la vue par laquelle Il voit, la main
204
par laquelle Il saisit.” »

III. Al-kursī apparaît une seule fois dans le Coran dans le sens de « Trône

divin » (sourate 2 « La Vache », v. 250, le célèbre « verset du Trône »), au

lieu de ‘arsh, qui a vingt et une occurrences à propos de Dieu. Ces deux

termes sont-ils vraiment synonymes ? Dans le soufisme, le Trône est

considéré comme la représentation de tout ce qui n’est pas Dieu, c’est-à-dire

tous les degrés de la manifestation universelle, telle une sphère entourant et

englobant l’ensemble des mondes créés. Un ḥadīth prophétique rapporte

que « la première chose que Dieu créa est le Trône », assimilable à

l’Intellect premier ou la Lumière mu ḥammadienne (voir aussi le poème 29,

« Trois noms », note VIII) et dont le Calame est un autre symbole. Ibn ‘Arabī

le distingue du kursī, lui-même inclus dans le Trône, existencié à partir du


Trône tout comme Ève a été créée à partir d’Adam et symbolisant le pôle

féminin, l’Âme universelle ou la Table gardée sur laquelle le Calame


205
inscrira la Parole divine . Le terme kursī est généralement traduit par

« piédestal » ou « repose-pieds », car « c’est à travers “Ses pieds” que Dieu

produit des dualités successives, l’endroit où Il pose un de ses pieds est


206
l’Enfer et l’autre le jardin du Paradis ». Nous avons choisi de conserver

cette image exprimant la présence divine dans l’ascension spirituelle des

afrād.

IV. Dans bi-l-thamani l-ba ḥs, « à vil prix », on peut reconnaître une

allusion coranique : Joseph, jeté dans un puits par ses frères, fut découvert
207
par des caravaniers qui « le vendirent à vil prix » (Coran 12, 20) . Le récit

coranique souligne la beauté physique de Joseph. Le poème fait contraster

l’« imposante monture » avec son « vil prix ».

V. Le point de vue nous semble ici profondément humain : ces

« ténèbres » et cette « cécité » sont celles de l’homme face au mystère divin

de la création. Le Coran n’affirme-t-il pas : « Dieu est le protecteur des

croyants, ils sortent par Lui des ténèbres vers la lumière » (2, 257, trad.
208
Jacques Berque) ? Il est tentant de proposer également une lecture

métaphysique (celle choisie par McAuley) car on pourrait aisément voir

dans le terme ‘amā, « cécité, aveuglement », son homonyme ‘amā’, « nuage,

nuée », la licence poétique autorisant la suppression de la ham a finale. ẕ


Dans la métaphysique soufie, cette « nuée » est la Substance primordiale

existenciée par Dieu à partir du néant et dans laquelle « le cosmos tout

entier prend forme », à laquelle fait allusion le ḥadīth affirmant : « Avant de


créer le monde, Dieu vint à être dans une nuée, il n’y avait pas d’air, ni au-

dessus ni en dessous. » Selon Abdallah Penot, « c’est, si l’on préfère, la


209
Ténèbre avant l’irradiation théophanique ». Le Trône doit alors être vu

comme la première manifestation du Souffle divin créateur, cette sphère qui

est la limite ou l’isthme entre Dieu et la création. La traduction de


l’hémistiche pourrait être alors : « sa clarté dissout les ténèbres de la Sphère

suprême et de la Nuée primordiale ».

VI. Ayn est le nom d’action du verbe ān qui signifie « arriver dans un

temps, avoir lieu à temps » (d’où al-ān, « l’instant » ou « maintenant ») et


210
« être las, fatigué » qui donne ayn, « fatigue, lassitude » . Les traductions

par « temps » ou par « lassitude » peuvent ainsi être étayées l’une comme

l’autre. La première présente une vision cosmologique, le temps par sa

relativité étant en quelque sorte une illusion intrinsèque à l’espace du

monde manifesté qui s’oppose à l’Absolu de l’éternité et de l’infini. La

seconde, notre choix, souligne le sentiment profondément humain du poids

et de la peine de l’existence terrestre, ainsi que les difficultés de la voie

mystique.

VII. Jins, « genre, sexe, race, espèce », apparaît dans les vers 8 et 9.

Notre traduction respectivement par « corps » et « condition humaine »

nous est suggérée par le contexte : le corps est cette limite qui nous

maintient dans l’illusion d’une identité individuelle distincte de l’Essence

divine, la condition humaine nous enchaîne au temps linéaire et nous

impose le combat permanent que se livrent l’âme charnelle et l’esprit.

VIII. On retrouve ici, mais avec une vision positive, la méditation du

poème 27, « Contemple le Vrai », vers 6 et 7. Certes le corps est la

prison de l’âme (ainsi que l’exprimaient déjà les pythagoriciens) mais il est

aussi une « noble embarcation », une « monture imposante » sur laquelle

l’âme voyage pour accéder à la connaissance du Divin à travers Sa

manifestation, par laquelle Dieu se connaît et se contemple Lui-même.


33

Je grandis par le pouvoir

(Poème du kāf)

1 Je grandis par le pouvoir de la Royauté, car

I
elle fait partie de ma richesse . Je l’exploite sans

mensonge ni tromperie,

De même que Son contrôle absolu sur mon état

et sur Son décret, occulte ou apparent, en vérité

ne fait pour moi aucun doute !

Mon essence intime est celle du Vrai, car je

possède esprit et intelligence et certes, jamais je

ne quittai la Royauté.

II
Ma perfection réside dans ma pauvreté et mon

imperfection dans mes acquisitions, ainsi mon

état se trouve entre possessions et richesse :

III
5 Une Parole parfumée par la rosée tels les

jardins, semblable aux perles parsemées, enfilées

IV
en collier ,

Une Parole qui marque profondément tout être

qui la reçoit, si bien que ses mélodies tantôt le

font rire, tantôt le font pleurer.


Ses lettres sont comme les effluves que
V
répandent les fleurs des jardins . Ainsi,

psalmodiée, elle t’arrache des plaintes mais elle

ne cause aucun mal.

Un Livre de sagesse descendu d’un Sage. Par

Lui, je suis tantôt dans l’aisance, tantôt dans la

VI
gêne .
VII
Son flot et son harmonie m’habillent de

fragilité et mon corps fond par ce qui me touche

de Lui.

10 Je Lui écrivis, souffrant de ce qui

m’atteignait, de même que les hommes se

VIII
plaignaient du maître des tombes .

Kaburtu bi-mulk (Dīwān p. 215-216),


mètre al- awīl.

I. Il y a ici un jeu sur la polysémie de la racine MLK, « royaume, royauté,

possession, propriété, pouvoir, souveraineté, magnificence… », qui est

déclinée dans les premiers vers, créant une assonance que la traduction ne

saurait rendre et qui est en quelque sorte une illustration « sonore » de la

lettre kāf, à laquelle ce poème du cycle des mu‘ashsharāt est dédié. Dans le

Coran, le mot mulk est répété plus de quarante fois, la formule mulku l-

samāwāti wa-l-ar ḍi, traduite généralement par « le royaume des cieux et de


la terre » ou « la royauté des cieux et de la terre », en rapport avec Dieu, dix-

neuf fois. Al-Mulk est aussi le titre de la sourate 67.

II. Nous lisons ici kamālī, « ma perfection », selon le texte de l’édition

211
Būlāq du Caire que présente McAuley . L’édition de Beyrouth donne

kamā lī, littéralement « comme je possède, comme m’appartient ». La

traduction de cet hémistiche serait alors : « ce qui m’appartient en indigence


et en imperfection étant ma propre acquisition ». Cette lecture n’est pas

dépourvue d’intérêt en ce qu’elle souligne la part de responsabilité

individuelle dans la condition de chaque homme – suivant le verset 286 de

la sourate 2 « La Vache » : « Dieu n’impose à une âme que selon sa

capacité. En sa faveur ce qu’elle aura acquis, à sa charge ce qu’elle aura

commis » (trad. Jacques Berque) –, le second hémistiche mettant alors en

balance l’« acquis » humain et la « richesse » du don divin. Notre traduction

met l’accent sur l’idéal de pauvreté qui est commun à toutes les voies

mystiques et qui a guidé tout particulièrement Ibn ‘Arabī. Rappelons que dès

le début de son parcours spirituel, il se dépouilla de tous ses biens, suivant

en cela l’injonction de son véritable premier maître, qui n’était autre que

Jésus : « Il m’a ordonné de pratiquer le renoncement et le dépouillement.

[…] Je me suis séparé de mes biens comme un mort se sépare de sa famille


212
et de ses possessions . »

III. Tandis que les quatre premiers vers sont dominés par le thème de la

Royauté divine, un net glissement se fait à partir du vers 5 sur celui du

discours divin : « Parole » (kalām), « Livre » (kitāb), « lettres » ( ḥurūf)…


Le poème suggère qu’il s’agit là d’une seule et même réalité. Rappelons que

pour les mystiques de l’islam, l’univers manifesté (la création sur laquelle

Dieu exerce Sa Royauté) est signe, « tout entier “livre”. Si le Coran est

révélation, parole divine par excellence, c’est qu’il présente un message

accessible immédiatement au mental humain. Il est donc la clé de la

Connaissance et son rôle est aussi d’amener le croyant vers l’exégèse du

Livre de la création comme message total ». Pour Ibn ‘Arabī, ajoute Pierre

Lory, « l’acte de création chez Dieu n’est pas distinct chez Lui de son acte

de parole, une solidarité organique relie ces deux modes d’être. Dieu

instaure dans l’être une multitude indéfinie de créatures par une parole, et

ces créatures deviennent des “mots” de l’immense discours divin qu’est


213
l’univers ». Voir également le poème 27, « Contemple le Vrai », note VII.
IV. ẓ
Le verbe na ama signifie à la fois « disposer en ordre (par exemple

des perles sur un cordon) » et « composer des vers, un poème ». La

traduction ne peut rendre cette métaphore qui suggère la qualité

« poétique » du discours divin – le Coran nie cependant toute confusion

avec la poésie : « Ceci est la parole d’un noble Messager, ce n’est pas la

parole d’un poète » (69, 40-41). Ces images d’un lyrisme raffiné évoquent la

poésie arabo-andalouse qui a certainement nourri la jeunesse d’Ibn ‘Arabī,

né à Murcie dans une famille noble et pour qui Séville fut la ville d’attache

dans la première partie de sa vie, avant son départ définitif pour l’Orient.

On pense entre autres au poète Ibn Khafadja (1058-1137), célébré comme le

« poète de la nature et des jardins de l’Andalousie ».

V. Le motif du jardin lié à la parole est récurrent dans les poèmes de

l’alphabet. Présent allusivement dans le poème du thā (29, « Trois noms »,

vers 2), il est décliné dans celui du zāy (31, « Couvrez-moi ! », vers 8 et 9)

en association avec les Noms divins. Dans la poésie arabe et persane

classique, le jardin symbolise le lien de continuité entre la nature et Dieu,

une création de l’Homme reflétant les jardins du Paradis, création divine.

Comment ne pas évoquer le raffinement quasi « céleste » des jardins de

l’Alcazar de Cordoue ou de l’Alhambra de Grenade… Pour Ibn ‘Arabī,

jardin et parole (tout comme la poésie) sont l’expression d’une harmonie


214
cosmologique elle-même émanation du Verbe divin .

VI. McAuley associe ru ḥb, « ampleur, état de ce qui est vaste et

spacieux », et ḍank, « étroitesse, gêne », aux états spirituels que les

mystiques décrivent par qab ḍ ṭ


et bas , « le pouvoir de fermer la main et de

l’ouvrir […] et chez les mystiques, état où l’homme est parvenu quand il

n’éprouve plus les fluctuations de la peur et de l’espoir, mais où il


215
s’épanouit ou se replie selon l’état de la manifestation divine ».

VII. Pour nathr, la traduction par « prose » est par trop réductrice et ne

nous semble pas exprimer les fines nuances de ce vers (de même que ni ām ẓ
ne signifie pas « poésie » mais « ordre, organisation »). Notre traduction par

« flot » se base sur le sens premier du verbe nathara, « répandre, disperser,

parsemer ». Le flot de la Parole divine s’est répandu par la bouche du

Prophète sans ordre apparent mais répondant à une logique et une harmonie

intrinsèques.

VIII. Ṣāḥib al-nabk veut dire littéralement « habitant/maître des

collines », nabk signifiant « colline qui se termine en pic ». Notre traduction

par « maître des tombes » nous est suggérée à partir du sens de « tertre,
216
tumulus » donné par Daniel Reig . Il pourrait s’agir d’une allusion à la

période antéislamique, lorsque l’homme s’affligeait de la mort comme d’une

séparation définitive. Nous n’avons cependant pu trouver la source de Reig

ni dans le Lisān al-‘arab ni dans les dictionnaires de vocabulaire soufi.

McAuley, dans la même incertitude, propose de voir dans l’« homme de la

colline » une référence à Moïse qui reçut la Parole de Dieu au sommet de la


217
montagne mais rencontra l’incompréhension de son peuple . Il pourrait

aussi s’agir de la ville de Nabek située au nord de Damas, à mille trois cents

mètres d’altitude, et connue pour ses hivers particulièrement rigoureux. Le

« maître de Nabek » serait alors ce froid mordant qui règne sur la ville de

manière insupportable, faisant fuir ses habitants pour des régions plus
218
clémentes .
34

Excellents au regard de Dieu

(Poème du lām)

1 Excellents au regard de Dieu sont certains

hommes qui ne possèdent aucun pouvoir

temporel mais assurent les fluctuations du

I
Destin .
II
Devant eux, les visages des anges s’inclinent

humblement et ils n’ont nul besoin de rechercher

la Cause suprême,

III
Car ils sont Son œil et quiconque est concerné

par mon propos dispose des courants religieux.

Lorsque je médite sur ce dont nous fûmes

particulièrement gratifiés, eux comme moi, je

reconnais en eux la source de la même Vérité

dans l’éternité.

5 Je les vois tandis que l’Être les accompagne

dans leur itinéraire, sur le plus droit des

chemins.
IV
Lorsque, tout proches de Moi , ils M’appellent,

V
Je réponds présent . Je suis le Législateur de
VI
toutes les confessions dans ce monde .
Si J’avais l’intention d’abroger les lois qu’ils ont

élaborées, le pouvoir ne M’en manquerait pas,

cependant la décision est Mienne.

Tout ce que Je désire M’appartient, Je l’occulte


VII
ou le révèle à partir de la nuée primordiale

jusqu’aux principes élémentaires du monde

inférieur.

Par Ma rotation, Je crée les rotations des sphères

depuis la Lune jusqu’au Soleil, jusqu’à

VIII
Saturne .

10 Je joue avec le Temps, Mon Temps est inclus


IX
dans son mouvement . Si un autre que Moi

X
agissait, il se fatiguerait .

Li-Llāhi darru rijā (Dīwān, p. 216),


mètre al-basī .

I. Les hommes évoqués dans ce poème appartiennent à l’« assemblée

des saints » (dīwān al-awliyā’), mystiques ayant atteint le plus haut degré de

réalisation spirituelle et de proximité avec Dieu, dont Ibn ‘Arabī décrit avec

précision la hiérarchie dans les Futū ḥāt al-Makkiyya. Sans être des

prophètes, leur fonction cosmologique est néanmoins essentielle puisqu’ils

« comptent parmi les êtres réalisés qui, ne respirant plus eux-mêmes mais le

Seigneur en eux, transmettent aux mondes Son souffle et le maintiennent en

eux ». Cette assemblée spirituelle vivante est la manifestation terrestre

d’une Assemblée céleste dont elle tire l’autorité et la baraka et la transmet


au monde. À sa tête se trouve le « Pôle » (qu b), qui « soutient et conserve

l’univers par son souffle et préside l’assemblée secrète des saints régissant
219
les affaires du monde visible et invisible ». À maintes reprises, Ibn ‘Arabī
exprime dans ses écrits sa haute conscience de son propre rang éminent
220
dans cette assemblée, ce que sous-entend le vers 4 .
221
II. Nous suivons McAuley pour la traduction de amlāk par « anges »

en référence au verset : « Et lorsque Nous demandâmes aux anges de se

prosterner devant Adam, ils se prosternèrent à l’exception d’Iblīs » (2, 34,

trad. éd. du Roi Fahd). Amlāk est normalement le pluriel de malk,

« possesseur », mulk, milk « pouvoir, magnificence », et le deuxième pluriel

de malik, « roi ». Le pluriel de malak, « ange », est malā’ika, terme utilisé

dans le texte coranique. S’agit-il là d’une licence poétique d’Ibn ‘Arabī ?

Cette interprétation ne manque pas d’intérêt. Adam est identifié à l’Homme

parfait, que Dieu établit comme Son lieutenant ou « calife » (khalīfa) sur

terre (Coran 2, 30). Cet idéal, qui est pour les soufis le but ultime de la

création, serait donc réalisé par les saints mystiques. Cependant, une autre

lecture est tout à fait légitime : « devant eux, les visages des rois/des

puissants s’inclinent humblement ».

III. Le mot ‘ayn, d’une grande richesse polysémique, « œil, source,

essence… », apparaît à trois reprises dans ce poème, investi chaque fois

d’un sens différent. Notre traduction par « Son œil » suit le célèbre ḥadīth :
« Et lorsque Je l’aime [Mon serviteur], Je suis son ouïe par laquelle il

entend, son œil par lequel il voit, sa main par laquelle il saisit, et son pied

par lequel il marche ; s’il Me demande, assurément Je l’exaucerai. » Ibn

‘Arabī désigne le pôle, autorité suprême de la hiérarchie spirituelle en ce


222
monde, comme le « lieu du regard d’Allāh ».

IV. À partir du vers 6, le poète semble s’attribuer des pouvoirs qui

relèvent du Divin et McAuley exprime son étonnement devant une telle

audace. Selon nous, il s’opère ici un changement de locuteur, comme si le

poète mystique devenait lui-même la voix de Dieu, à l’instar d’Al- Ḥallāj


(pour ne citer que lui), lorsqu’il prononça son célèbre propos extatique : Anā

l- Ḥaqq « Je suis le Vrai, Je suis Dieu », qui lui aura valu sa condamnation à
mort. Notre traduction marque cette ambiguïté par l’emploi des majuscules.

(Voir également le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », note II).

V. Labbaytuhum veut dire littéralement « Je leur répondis : “Me

voilà” ». Labbā, forme II du verbe labiya, signifie en effet « répondre à celui


223
qui appelle en lui disant labbayka, “me voilà ” ». Plus particulièrement, il

s’agit de la formule que les musulmans prononcent en pénétrant dans

l’enceinte de La Mecque au moment du pèlerinage : Labbayka Allāhumma

Labbayka, « Mon Dieu, me voilà ! », répondant à Son appel. Ainsi se

traduit la relation de réciprocité entre Seigneur et adorateur, entre Créateur

et créature. Nous retrouvons les termes du ḥadīth précité : « S’il Me

demande, assurément Je l’exaucerai ; s’il cherche près de Moi asile,

assurément Je le lui donnerai. »

VI. Selon le verset coranique 5, 48 : « À chacun de vous, Nous avons

ouvert un accès, une avenue. Si Dieu avait voulu, il aurait fait de vous une

communauté unique : mais Il voulait vous éprouver en Ses dons… En Lui

pour vous tous est le retour. Il vous informera de ce qu’il en est de vos

divergences » (trad. Jacques Berque) ; autre traduction : « À chacun de vous,

nous avons assigné une législation et un plan à suivre. Si Allāh avait voulu,

certes Il aurait fait de vous tous une seule communauté » (trad. éd. du Roi

Fahd). Jacques Berque commente : « Le renvoi des jugements

intercommunautaires à l’arbitrage de Dieu seul contient une profession


224
remarquable de tolérance … » Ainsi, la divergence des courants religieux

fait partie du dessein divin et tout être de haute spiritualité peut en être le

vecteur (vers 3)… Comment ne pas évoquer ici les célèbres vers d’Ibn

‘Arabī, extraits d’un poème du Turjumān al-ashwāq : « Mon cœur devient

capable de toute image : il est prairie pour les gazelles, couvent pour les

moines, temple pour les idoles, Mecque pour les pèlerins, tablettes de la

Torah et Livre du Coran. Je suis la religion de l’amour, partout où se


225
dirigent ses montures, l’amour est ma religion et ma foi . »
VII. Pour ‘amā’, « nuage, nuée », voir le poème 32, « Je me

détournerai », note V, à propos du sens métaphysique de ce terme chez les

soufis.

VIII. Saisissante image qui n’est pas sans rappeler les derviches tourneurs

qui en sont l’expression humaine…

IX. La subordination du temps au mouvement, l’allusion à l’existence de

plusieurs temps introduisent une notion de relativité toute moderne.

X. Selon le verset coranique 50, 38 : « Nous avons créé les cieux et la

terre et leur entre-deux en six jours, sans que Nous effleurât la moindre

fatigue » (trad. Jacques Berque).


35

Celui qui L’invoque

(Poème du yā)

I
1 Celui qui L’invoque répond à l’appel du Vrai

et Sa réponse à l’invocateur est sa récompense.

« Souviens-toi, dit-il, du message de son

exhortation et de ce que Dieu donna en dépôt

aux générations passées. »

Il perçoit une présence telle que l’œil jamais

n’en vit de semblable. À travers elle, Il l’appelle

nuit et jour.

Il espère de Dieu une chose qu’il ne cessa de

professer et à laquelle aucun être ne fut encore

II
appelé .

III
5 Il salue : « Que Dieu te fasse vivre ! » et qui

Il veut est ressuscité par sa parole, c’est pourquoi


IV
tu le vois psalmodier dans les sanctuaires .

Sa main droite se tend en allégeance à un Roi, il

est le serviteur et cependant il est seigneur.

Dieu lui délègue les affaires de l’univers, aussi

V VI
est-il Son lieutenant et son investiture lui

donne la clé, si tu comprends.


Il le fit descendre sur terre comme serviteur élu
VII
prince, gouvernant expert et berger .

Par sa volonté, il brise les idoles des âmes à

travers la noble inspiration, de manière visible

ou occulte.

10 Celui qui l’investit l’appelle : « Tu es Mon

vicaire sur tout, au rang et de guide et de

guidé. »

Yulabbī nadā’a l- ḥaqq (Dīwān p. 218-219),


mètre al-ṭawīl.

I. Suivant le verset 186 de la sourate 2 « La Vache » : « Que si Mes

adorateurs t’interrogent sur Moi, Je suis tout proche à exaucer l’invocation

de qui M’invoque, quand on M’invoque. Puissent-ils donc Me répondre,

puissent-ils croire en Moi dans l’espoir d’aller selon la droiture » (trad.

Jacques Berque).

II. Serait-ce la résurrection promise à l’homme et pour laquelle les âmes

doivent attendre le jour du Jugement dernier ?

III. Bien que les diverses éditions donnent la forme passive yu ḥayyā, « il
est salué », le contexte nous suggère de lire la forme active yu ḥayyī, « il

ḥayyā
226
salue », ce qui est aussi le choix de McAuley . En effet, la forme II

signifie plus précisément « dire à quelqu’un : “Que Dieu te fasse vivre” »

(un salut traditionnel qui existait dès avant l’Islam) et cette formule est ici

investie d’une force opérative. Il n’est pas fortuit que dans un poème du

cycle des lettres de l’alphabet, l’accent soit mis sur le pouvoir des saints

mystiques, ceux qui par leur pure servitude deviennent réellement les

« califes » de Dieu, à travers la puissance du verbe, des mots, voire des

lettres, pouvoir qui leur est délégué par Dieu. Ainsi la formule « que Dieu te

fasse vivre » ressuscite-t-elle qui Il le permet, tout comme Jésus pouvait


ramener les morts à la vie (Coran 5, 110). La forme passive ouvre également

une interprétation intéressante : « il est salué » ou « il reçoit un salut »

(angélique ?). Il est alors investi (chargé au sens propre du terme) d’une

force qui lui confère un pouvoir de vie, physique ou spirituelle.

IV. Mi ḥrāb (pl. maḥārīb) désigne la niche concave pratiquée dans le mur
d’une mosquée et indiquant la qibla, la direction vers laquelle le musulman

doit se tourner pour effectuer la prière. Au cours des deux premières années

de l’Hégire (émigration du Prophète et de ses compagnons à Médine) cette

direction était Jérusalem, à l’instar des juifs. Le changement d’orientation

vers La Mecque se fit suite à la révélation des versets 142-144 de la

sourate 2 « La Vache ». Cependant, le mot mi ḥrāb et son pluriel

n’apparaissent pas avec cette acception dans le Coran. Ils sont traduits par
227
« temple », « sanctuaire », « saint des saints »…. Nous conservons ce

sens général qui est fidèle à l’idée d’universalité et d’unité du message divin,

un point essentiel de la doctrine akbarienne. Voir le poème précédent,

« Excellents au regard de Dieu », note VI.

V. Suivant le verset 30 de la sourate 2 : « Lors ton Seigneur dit aux

anges : “Je vais instituer un lieutenant sur la terre.” Ils dirent : “Quoi ! Tu

rendrais tel celui qui tant y fait dégâts et qui verse le sang, alors que nous

autres célébrons par la louange Ta transcendance et sainteté ?” Il dit : “Moi,

Je sais ce que vous ne savez pas” » (trad. Jacques Berque). Être

« lieutenant » (khalīfa) de Dieu sur terre est en quelque sorte la raison d’être

de l’homme, ce à quoi il est virtuellement destiné. Cette potentialité est celle

de « l’Homme parfait » (al-insān al-kāmil), une notion qui se trouve au

cœur de la doctrine d’Ibn ‘Arabī. « L’homme, indique-t-il, conjoint le ẓāhir



(ce qui est apparent) et le bā in (ce qui est caché) : sa forme extérieure est à

l’image du monde sensible et sa forme intérieure à l’image de Dieu. Il est à

la fois le lieu de manifestation des Noms divins et la synthèse de l’univers,


228
d’où sa désignation comme représentant de Dieu dans le cosmos . » Voir
également le poème 20, « Je vis dans mon sommeil une jeune fille (2) »,

note VIII.

VI. Taqlīd, « investiture », signifie également « imitation », traduction

choisie par McAuley sur la base d’un texte des Futū ḥāt dans lequel Ibn

‘Arabī décrit, en les opposant, l’attitude du philosophe qui suit la voie de sa

raison et celle du mystique qui accepte la guidance prophétique, ce dernier

étant désigné comme « imitateur » (muqallid, de la même racine QLD que


229
taqlīd ). Nous pensons cependant que l’accent est ici placé sur la haute

mission de l’homme sur terre et donc sur sa responsabilité et sa liberté.

VII. Ce vers exprime le paradoxe de la nature et de la condition humaine,

ainsi qu’il apparaît dans le message coranique : « Lors ton Seigneur dit aux

anges : “Je suis en train de créer un humain d’une argile de boue croupie,

quand Je l’aurai rendu complet, lui aurai insufflé de Mon esprit, tombez

devant lui prosternés” » (15, 28-29, trad. Jacques Berque). À la matière

humble – celle qui justifia le refus d’Iblīs/Satan de se prosterner : « Je ne

suis pas être à me prosterner devant un humain que Tu as créé de boue

croupie » (Coran 15, 33) – s’oppose l’esprit divin qui est insufflé en lui. À la

condition ontologique de serviteur – « Je n’ai créé les djinns et les hommes

que pour qu’ils m’adorent » (51, 56) – s’oppose l’être façonné à l’image de

Dieu et virtuellement appelé à devenir Son représentant sur terre, recevant

de Dieu une connaissance que même les anges n’avaient pas – « Et Il apprit

à Adam tous les noms [de toutes choses] puis Il les présenta aux anges et

dit : “Informez-Moi des noms de ceux-là si vous êtes véridiques !” […] Il

dit : “Ô Adam, informe-les de ces noms” » (2, 31-33). Pour réaliser cette

perfection qu’il possède virtuellement et assumer véritablement sa mission

de vicaire de Dieu, l’homme, selon Ibn ‘Arabī, doit aussi assumer

pleinement sa condition d’humble serviteur, c’est-à-dire renoncer à toute

illusion de l’existence de son individualité, de sa volonté propre, annihiler

son ego pour devenir ainsi le miroir poli dans lequel Dieu peut se

contempler. Ce statut de servitude absolue est l’aboutissement de la voie


mystique, celui qu’Ibn ‘Arabī revendique lui-même : « En effet, personne à

ma connaissance n’a mieux réalisé que moi la station de la servitude… Je

suis le serviteur pur et authentique, je n’ai pas la moindre aspiration à la


230
souveraineté . »
36

Ne t’en remets à aucun autre que

Dieu

(Poème du lâm-alif)

1 Ne t’en remets à aucun autre que Dieu et

emprunte un chemin qui te mène vers Lui.

N’interdis pas une chose que toi-même tu

désires, consacre-toi à elle à la pointe et au


I
déclin du jour .

Sans aucun doute, si tu appliques à la lettre ce

que je vous ai appris, tu es guidé par la plus

II
juste des paroles .

Ne te détourne pas de Lui car en vérité tu es Son

essence et pour cela, reçois en dépôt Sa Loi, le

III
Livre descendu .
IV
5 Surtout ne t’oppose pas aux gens du voile

car certes ils sont maîtres de la totalité et des

détails.

Ils trouvent refuge auprès du plus puissant et

ardent des protecteurs et par cela ils obtiennent

grâce et distinction.
Ils enroulent le turban autour de leur tête sans

cacher ni boucles d’oreilles ni couronne.

Leur langue ne cesse de répéter les mots d’un

fou d’amour qui se plaint d’une soif brûlante

alors même qu’il boit abondamment.

Que le Miséricordieux ne les bénisse pas, eux

V
qui ont gravement altéré Son message !

10 Il n’y a pas de texte plus clair que Son

VI
Livre , récité par les prophètes de la plus belle
VII
manière .

Lā tattakhidh (Dīwān, p. 218), mètre al-kāmil.

I. ṣ
Bukratan wa-a īlan est une expression coranique (33, 42) et nous

empruntons notre traduction à l’édition du Roi Fahd : « Et glorifiez-Le à la

pointe et au déclin du jour. »

II. Aqwamu qīlan est une référence coranique signalée justement par

231
McAuley : « La prière nocturne est une marche plus ferme et une parole

plus droite » (73, 6).

III. ḍ
Le verbe awda‘a fait partie des a dād, mots qui peuvent prendre

deux sens contraires. Il signifie à la fois « donner à quelqu’un quelque chose

en dépôt », « confier un secret » et « recevoir quelque chose en dépôt, se

charger d’un dépôt ». De plus, la métrique autorise l’indicatif comme

l’impératif. Ce vers peut donc recevoir d’autres interprétations, d’autant que

la vocalisation et le sukūn (absence de voyelle) sont très probablement des

ajouts de l’éditeur. Ainsi la traduction : « car Il confia cet ordre au Livre

révélé » serait aussi tout à fait légitime et notre choix demeure subjectif.

IV. Qui sont les « gens du voile » ? le lecteur demeure perplexe devant

l’ambiguïté du poème à ce sujet. Logiquement, l’expression ahl al- ḥijāb,


« gens du voile », s’oppose à ahl al-kashf, « gens du dévoilement », qui ont
reçu l’illumination. Elle désignerait donc les scolastiques, docteurs de la

Loi, « maîtres de la totalité et des détails » du texte coranique, auxquels il

est imprudent de s’opposer au vu de leur rang éminent (vers 6) mais attachés

aux richesses et aux apparences (vers 7 et 8). Le vers 9 semble alors une

condamnation claire et c’est la lecture choisie par McAuley. Cependant,

l’herméneutique très particulière d’Ibn ‘Arabī, notamment du texte

coranique, suggère une tout autre interprétation. Dans une fidélité absolue à

la lettre et en considérant l’étymologie et la polysémie des mots, il aboutit à

des interprétations paradoxales d’une grande profondeur, qui ne peuvent

qu’interpeller et nourrir cette perplexité qui est le propre des gnostiques.

Ainsi, les saints mystiques qu’Ibn ‘Arabī nomme les « gens du blâme » (voir

le poème 32, « Je me détournerai », note I) sont-ils désignés à diverses

reprises comme les kāfirūn, dans le Coran les « mécréants », en considérant

le sens premier de la racine KFR, « couvrir, recouvrir quelque chose, cacher,

sceller ». Il écrit : « Ce sont ceux qui cachent ce qui leur est apparu dans la

contemplation des secrets de l’union » ; ailleurs il affirme que Dieu « cache


232
Ses Saints sous les traits de Ses ennemis ». Dans cette optique, les « gens

du voile » peuvent être ces mystiques qui occultent leur haute réalisation

spirituelle vis-à-vis du commun des hommes, ceux qu’Ibn ‘Arabī nomme

également les « solitaires » (afrād) : « Lorsqu’ils sont laissés à eux-mêmes,

les saints qui ont atteint les sommets de la wilāya [prise en charge par Dieu]

ne choisissent jamais la “célébrité” car ils savent que Dieu ne les a pas créés

pour eux-mêmes, ni par voie de conséquence pour Ses créatures, mais bien

qu’Il les a créés pour Lui-même. […] Leur choix, confronté au choix divin,

est inexistant mais, si Dieu les contraignait à en faire un, ils feraient celui

d’être soustraits aux regards des créatures et de s’isoler en vue de se

rapprocher de Lui. Si leur état implique de voiler leur degré à leurs propres
233
yeux, comment ne le dissimuleraient-ils pas à autrui ? » De même,

lorsque Dieu mit fin à la mission du Prophète, Il le ramena à son statut de

sainteté, lui permettant de ne plus s’occuper des créatures mais de Lui seul :
« Par cet ordre, Il le retrancha définitivement du monde et, en demandant

[Son] pardon, le Prophète demandait en réalité d’être soustrait aux créatures

en se revêtant de Son voile protecteur afin de s’isoler à jamais avec Lui sans
234
être accompagné de qui que ce soit . » L’édition de Beyrouth donne en

note la définition suivante du voile : « On dit que le voile est ce par quoi

l’homme est protégé de la proximité de Dieu. Soit il est lumineux et il est la

lumière de l’esprit, soit il est obscur et il est ténèbres du corps. » Il est

sûrement fait référence au ḥadīth : « Dieu se cache derrière soixante-

dix voiles de lumière et d’obscurité. S’ils étaient écartés, les transcendantes

lumières de Son visage incendieraient tout ce sur quoi porterait Son

regard. »

V. Étant donné l’ambiguïté du prénom hum, « ils », dans innahum qad

baddalū tabdīlan, « ils ont gravement altéré », ce vers semble en

contradiction avec ce qui précède, en particulier le vers 6, car le « plus

puissant des protecteurs » n’est-il pas Dieu lui-même ? Notre traduction,

tout en maintenant cette ambiguïté, autorise de dissocier les « gens du

voile » de ceux « qui ont gravement altéré Son message ». Paradoxes et

formulations énigmatiques sont pour le poète des moyens d’écarter le

lecteur non initié et, en ce sens, n’est-il pas lui-même un « homme du

voile » ? Mais l’hermétisme et l’ambiguïté sont aussi une incitation à la

réflexion et la méditation à l’instar des textes sacrés. Un riche dialogue se

noue alors avec le poème. Une autre hypothèse serait de reconnaître dans

innahum un ta ṣḥīf, une erreur due à un copiste. La lecture juste serait in

humu, auquel cas on traduirait par « s’ils altéraient gravement ». La formule

baddala tabdīlan est coranique : « Or si Nous le voulions, Nous

remplacerions leurs pareils [les êtres humains] d’un total remplacement »

(76, 28, trad. Jacques Berque).

VI. Furqān est une autre désignation du Coran en tant que « Livre du

discernement, de la séparation » entre le bien et le mal, le licite et l’illicite,

suivant le sens de la racine FRQ, « fendre, séparer en deux, distinguer,


discerner, exposer clairement » (ainsi le titre de la sourate 25, Al-Furqān,

« Le Discernement » ou « Le Critère »). Cependant, dans le texte coranique

il désigne également la Torah (2, 53 ; 21, 48), plus généralement tous les
235
livres révélés, incluant ainsi l’Évangile (3, 4) . L’idée d’unité du message

divin se voit confirmée dans le dernier vers.

VII. L’expression rattala tartīlan, « psalmodier, réciter soigneusement,

distinctement », apparaît deux fois dans le Coran : « Et Nous l’avons récité

clairement » (25, 32, trad. éd. du Roi Fahd) ; « Et psalmodie le Coran

distinctement » (73, 4, trad. Jacques Berque). Dans le texte arabe, elle fait

pendant à baddala tabdīlan (voir note V).


POÈMES STROPHIQUES

(muwashsha ḥāt)
Ibn ‘Arabī maîtrisait avec virtuosité les strictes règles et contraintes

prosodiques de la poésie arabe classique, basée sur l’unité du vers dont le

mètre et la rime devaient être identiques pour l’ensemble du poème (qui

pouvait dépasser cent vers). Ces règles, qui existaient de fait dans la poésie

e
antéislamique, avaient été formalisées et fixées au VIII siècle par le grand

théoricien de la métrique Al-Khalīl al-Farāhīdī et constituaient le moule

auquel tout grand poète arabe se devait de se plier. Cependant Ibn ‘Arabī ne

dédaignait pas une forme poétique populaire et plus souple, la « poésie

strophique » (muwashsha ḥ, de la racine WSH Ḥ dont l’un des sens est

e
« orner, parer quelqu’un »), inventée au IX siècle dans cette Andalousie

musulmane dont il était lui-même originaire. Constituée de cinq à sept

strophes de cinq vers chacune, à rimes variées et croisées suivant une trame

sophistiquée, généralement précédées d’un prologue, elle se prêtait

facilement au chant, chant d’amour ou panégyrique. De part cette liberté et

cette légèreté de ton (laissant même pénétrer le dialecte hispano-arabe en fin

de poème), les muwashsha ḥāt ont été souvent considérés comme indignes

de figurer dans les anthologies. Ibn ‘Arabī a pourtant choisi d’exprimer une

haute pensée métaphysique, une intime expérience mystique à travers une

forme poétique populaire et mélodique, lui donnant ses lettres de noblesse.

Les connaissances supérieures se diffusaient ainsi dans des milieux

débordant le cadre restreint des initiés. À sa suite, le muwashsha ḥ a fait son


entrée dans la poésie soufie et a nourri la tradition du samā‘, audition de

musiques et chants mystiques accompagnée de danses pouvant élever l’âme

vers l’extase. L’introduction dans ces poèmes de la langue vernaculaire,

hispano-arabe ou romane, en fait également un trait d’union entre poésie


236
arabe, hispanique et troubadour, entre musulmans et chrétiens .
La traduction ne peut malheureusement transmettre toute la musicalité

et le rythme raffinés de ces poèmes où la virtuosité d’Ibn ‘Arabī trouve une

expression d’un lyrisme que l’on peut considérer comme exceptionnel dans

la littérature arabe de son époque. Ils nous enchantent tels de luxuriants

jardins andalous, ces riads (riyā ḍ, pluriel de raw ḍa, mot qui signifie à

l’origine « jardins ») dans lesquels le lecteur est invité à entrer, flâner, rêver,

goûter et méditer. En y déambulant, il y découvrira fleurs étonnantes,

parfums subtils, perles… Ce n’est sûrement pas un hasard que le Dīwān

compte vingt-huit de ces poèmes, comme les lettres de l’alphabet arabe.


37

Le Vrai me donna forme

1 Le Vrai me donna forme dans toute forme

I
Telle la basmala dans toute sourate.

II
Il m’établit comme Signe au jour de la

Résurrection,

Dans un Jardin et dans une Fournaise, pour tous

les fils d’Adam sans distinction.

5 Aussi suis-je avec vivants et morts en

émulation.

N’eût été Celui en qui je puisai

Tout ce qui m’apparut, de moi et de Lui,

Je n’aurais eu aucune substance dans l’Essence

véritable.

Je voyage de nuit mais mon voyage n’est pas

III
semblable au mouvement des scintillantes ,

IV
10 Entre déploiement et repli, tel l’orbe fixe .

Je suis l’imām qui englobe les processions,

Semblable à une pleine lune au milieu des

étoiles.

À travers moi, Il frappa les bataillons sur les

V
dunes ,
Jusqu’à ce que j’eusse pris ma revanche et je me

mis à défendre mes droits sacrés.

Ṭayy
VI
15 J’appartiens à la noble lignée des ,

celle des grands seigneurs.

Le Bien-Aimé visite celui qu’Il connaît

Et en vérité Il me connaît mieux que moi-même.

De tous les hommes de Dieu, mon parfum est le

VII
plus suave .

VIII
N’eussent été les délectations et les astres
IX
voguant ,

X
20 Je ne serais pas resté sans voix . À l’aube,

les étoiles sont reconduites.

Je suis éperdu d’amour pour Celui qui lança sur

moi

XI
Une parole dense , parvenue de moi à moi.

XII
Je cherche refuge contre Lui et auprès de Lui ,
XIII
ô mes compagnons ,

Pleine lune parée d’étoiles voyageant entre mes

côtes,

25 Rien ne L’approche malgré Sa proximité.

Al- ḥaqqu ṣawwaranī (Dīwān, p. 81).

I. La basmala est la formule bi-smi Llāhi l-ra ḥmāni l-ra ḥīm,


généralement traduite par « au nom de Dieu, le Clément, le

Miséricordieux », qui constitue le premier verset de la Fāti ḥa et qui figure

en exergue de toutes les autres sourates excepté la neuvième. Se basant sur

l’un des sens de la racine R ḤM, « matrice, utérus », Youssef Seddik, par sa
traduction, souligne la part du féminin dans la vision coranique du Divin :
237
« au nom de Dieu, le Tout-Maternant, le Clément ».

II. Il est possible de lire sūra dont la riche polysémie (outre « sourate »,

ce mot signifie également « rang, dignité », « illustration, gloire », « signe,


238
marque », « tout édifice vaste et beau », « rangée de pierres » ) laisse le

champ ouvert à l’interprétation. Mais il peut s’agir aussi de sūrahu, sūr,

« mur, enceinte, rempart », auquel cas ce vers serait traduit par « Il me

dressa comme Son rempart au jour de la Résurrection ».

III. Darārī, dérivé de la racine DRR qui a entre autres le sens de « lait »

et de « perle », offre une image poétique pour les étoiles (que l’on retrouve

dans la « Voie lactée »). Au vers 19, elles sont sawārī, « celles qui

voyagent », dérivé de sarā, « voyager de nuit », ou sāra, « marcher, voyager,

s’éloigner ».

IV. Plusieurs images se superposent dans ce vers d’une grande richesse

lyrique. Ainsi le ciel étoilé est comparé à une étoffe qui est déployée puis

enroulée (sens du verbe ṭawā employé également par rapport à l’espace,

« enrouler les pays » signifiant « les parcourir avec rapidité »). Madār,

« axe, orbite, cercle », renvoie à la rotation des astres. Cependant, les mots

« déploiement » et « repli » font aussi partie du registre militaire et shu’ūs

(schème fa‘ūl qui est un schème d’intensité), « chose dure et très solide »,

peut désigner métaphoriquement un guerrier « solide comme un roc ». Sans

la vocalisation, il est possible de lire mudār, dérivé de dārā, forme III du

verbe darā et signifiant « circonvenir, user de dissimulation envers

quelqu’un ». Ainsi, le deuxième hémistiche pourrait être traduit par « entre

déploiement et repli, tel le guerrier louvoyant ». Le lien poétique entre

étoiles et combattants est encore décliné dans la strophe suivante.

V. Il y a peut-être ici une allusion coranique : « Donc ce ne fut pas vous

qui les tuiez : Dieu les tuait ; non plus que toi [Mu ḥammad] qui lançais [des
traits] quand tu en lançais : mais Dieu lançait » (8, 17, trad. Jacques

Berque). Ce verset fait allusion à la bataille de Badr (624), la première


grande victoire des musulmans sur l’armée des Qurayshites, ennemis du

Prophète, malgré leur supériorité en nombre (neuf cent cinquante hommes

contre trois cent treize), victoire emportée, dit le Coran, avec l’aide de Dieu.

VI. La famille d’Ibn ‘Arabī est en effet issue du clan yéménite des Banū

Ṭayy Ṭayyi’),
e
(ou établi dans la péninsule Ibérique dès le VIII siècle. « Il

n’est pas rare, note Claude Addas, de rencontrer dans le vaste corpus

akbarien de ces vers où le Shaykh al-Akbar célèbre son origine purement

arabe et la générosité légendaire qui s’attache au nom des Banū Ṭayy, ses

ancêtres
239
», parmi lesquels le fameux poète Ḥātim al- Ṭā’ī, qui vécut dans
e
la deuxième moitié du VI siècle, renommé pour ses vertus chevaleresques.

VII. Une fois de plus, Ibn ‘Arabī joue avec virtuosité sur la richesse

sémantique d’une racine pour créer une rime avec un même mot, plaçant le

lecteur devant une forme d’énigme. Le verbe ‘arafa a communément le sens

de « connaître, apprendre », mais à l’origine il s’agissait plus précisément de

« connaître par les sens ». Ainsi, une signification ancienne et rare est

« sentir les parfums (se dit d’un homme parfumé) » et dans la forme II
240
(‘arrafa) « parfumer, faire prendre une bonne odeur » . La Tradition

rapporte que le Prophète, quelle que soit son activité, dégageait toujours une

odeur parfumée. Le parfum est ainsi associé à la sainteté.

VIII. Sarārī, est le pluriel de surriyya qui au sens strict signifie

« concubine, maîtresse », dérivé du mot surūr, « joie, allégresse ». La racine

SRR associe sémantiquement le secret, le mystère, l’intimité, le cœur, le

mariage, la joie… Par ailleurs, les félicités promises au Paradis font l’objet,

dans le Coran, de descriptions extrêmement riches et imagées, dans

lesquelles les femmes (« épouses pures », « houris aux grands yeux ») mais

aussi des « éphèbes immortels », comparés à des « perles cachées », ont une

place particulière. Il nous semble donc que le mot sarārī a ici une

signification plus large de « félicités, délectations, voluptés ».


IX. Sābi ḥāt, littéralement « celles qui nagent, celles qui courent à grande
vitesse », renvoie au verset coranique 79, 3 : wa-l-sābi ḥāti sab ḥan qui peut

recevoir diverses interprétations. La traduction « Par ceux qui voguent

librement » (éd. du Roi Fahd et M. Chiadmi) sous-entend les anges mais

Jacques Berque conserve à l’image son caractère suggestif général : anges,


241
étoiles, cavalerie ou encore vaisseaux, âmes …

X. « Je ne serais pas resté sans voix », peut-être sous l’effet de

l’émerveillement ou de la reconnaissance, qui dépasse toute expression.

C’est ainsi que nous interprétons un sens littéral hermétique : « il n’y aurait

pas eu bégayement, incapacité à parler ».

XI. Allusion au verset 73, 5 : « Nous lancerons sur toi une parole dense »

(trad. Jacques Berque), en rapport avec la prière nocturne à laquelle le

Prophète est exhorté.

XII. Voir le poème 18, « Je me repens de Lui ».

XIII. Le motif du poète quittant le campement abandonné de la bien-

aimée, réelle ou fictive, et traversant le désert accompagné de deux

compagnons (eux aussi parfois imaginaires) constitue le prologue


obligatoire de la qa īda, apparue dans l’Arabie antéislamique et canon de la

poésie classique arabe. Tout en s’exprimant ici dans une forme poétique

andalouse populaire, Ibn ‘Arabī rappelle discrètement ses origines

bédouines (voir note VI) et ses racines qui puisent dans la tradition du grand

poète antéislamique Imru l-Qays (mort vers 550), dont l’œuvre est

considérée comme l’apogée du classicisme et son modèle inégalé et

incontournable.
38

Les secrets des essences

1 Les secrets des essences se levèrent sur les

mondes pour les contemplateurs

Et l’amoureux jaloux, en proie à une crise,

poussa des gémissements.

Exténué par l’ardent désir, rendu hagard par

l’insomnie,

Il s’exclama : « L’éloignement devint proximité

et je ne sus ensuite qui l’avait changé ! »

5 L’adorateur erre dans sa folie et Dieu l’Un,

l’Unique, lui donne le choix

Entre dévoilement et occultation, entre secret et

proclamation, à travers les mondes.

Je suis le Rétributeur et toi, ô idolâtre, tu es

l’avare.

Toute la passion est douloureuse pour celui qui

souffre de l’humiliation du voile.

Ô toi qui possèdes un cœur, s’il était pur, dans le

feu

10 Le Seigneur se pencherait vers lui. Mais il

I
est menteur, alors repentez-vous
Et implore : « Ô Miséricordieux, ô Généreux, ô

Bienfaiteur, je suis si affligé,

La séparation m’abat, aucun aimé à mes côtés,

ni aucun secours ! »

Je m’anéantis en Dieu grâce à Dieu, loin de ce

que l’œil perçoit de Son univers,

Dans la halte de la Gloire. Alors je m’écriai :

« Où est la souffrance dans Son éloignement ? »

15 On me répondit : « Ô toi l’étourdi, je n’ai

éprouvé que de la souffrance en Son Essence !

II
N’as-tu pas entendu Ghaylān et Qays et tous les

poètes du passé ?

Ils déclarent que la passion est reine. Lorsqu’elle

III
atteint l’homme, elle l’anéantit avant l’heure .

N’ont-ils pas maintes fois répété : “Je suis celui

IV
qui aime éperdument Celui qui est moi” ? »

Je n’ai connu aucun état, je n’ai connu aucune

souffrance hormis l’anéantissement en Lui.

20 Je ne suis nullement celui qui délaisse le

bien-aimé après avoir cueilli le fruit

Et qui professe la consolation dans l’oubli,

mensonge aux yeux des gnostiques.

V
Leur consolation est ce qu’ils puisèrent dans la

présence du Miséricordieux, et elle n’est plus.

Je pénétrai dans le jardin de l’intimité et de la

proximité, en Son temple secret.

Le myrte vint m’accueillir, se pavanant

fièrement dans son vêtement de soie.


25 « C’est moi, ô homme, celui qui parfume

l’amoureux éperdu en Sa compagnie ! »

Paradis des paradis, je cueillis dans le jardin le

jasmin

Et la robe du myrte, grâce du Miséricordieux

pour les fous d’amour.

Sarā’iru l-a‘yān (Dīwān, p. 84-85).

I. Sous-entendu « toi et ton cœur ». L’impératif à la troisième personne

du pluriel est ici un emploi dialectal pour le duel. Il n’est pas étonnant de

rencontrer cette forme dans un muwashsha ḥ, poésie populaire perméable

aux langages vernaculaires.

II. Ghaylān est le surnom du poète omeyyade Dhū l-Rumma (695-735),

rendu célèbre par ses poèmes d’amour dédiés à sa bien-aimée Mayya. Quant

à Qays, selon les indications données en note dans l’édition de Beyrouth, il

peut s’agir du poète d’amour courtois Qays ibn Dhuray ḥ (625-680), dont les
e
amours avec Lubnā ont fait l’objet de divers récits au X siècle, ou du poète

bédouin Qays ibn al-Mulawwa ḥ de la tribu des Banū Amir (645-688),

protagoniste de la légendaire histoire d’amour « Qays et Leyla », surnommé

le « fou de Leyla » (majnūn Layla). Cet amour impossible qui finit par

dépasser la personne de l’être aimé pour devenir l’amour de l’amour, qui fit

sombrer le poète dans la folie, est devenu pour les soufis l’allégorie de

l’amour mystique pour le Bien-Aimé divin.

III. La rime impose de lire dīn, « religion, culte », mais aussi « force »,

ce qui autorise la traduction par « lorsqu’elle atteint l’homme, une force

l’anéantit ». Nous préférons y voir une altération dialectale de la diphtongue

(autre exemple d’introduction d’une forme vernaculaire) : il s’agirait alors

du mot dayn qui signifie « dette, créance » et « mort, trépas, pour ainsi dire
242
dette que tout homme doit payer » . Le sujet du verbe afnā, « anéantir »,
est alors la passion qui, en quelque sorte, réclame à l’homme sa dette avant

l’échéance.

IV. Écho au vers du poète Al- Ḥallāj : Anā man ahwā wa-man ahwā anā,
243
« Je suis Celui que j’aime et Celui que j’aime est moi » .

V. Nous lisons salwuhum, « leur consolation », mais l’absence de

vocalisation autorise également la lecture salūhum, du verbe sa’ala,

« interroger, questionner », et aboutirait à la traduction suivante :

« interrogez-les sur ce qui émanait de la présence du Miséricordieux et qui

n’est plus ».
39

Les cœurs se dressent

1 Les cœurs se dressent orgueilleusement au-

I
dessus des âmes , réjouissant ainsi un censeur et

II
un épieur .

III
En celle qui nous dit : « Glorifie le Nom de ton

Seigneur le Très-Haut »

Un rameau s’épanouit, élancé et puissant,

Tel un sabre orné.

5 Aussi les mystères envahirent-ils Son enceinte

IV
sacrée et les guerres ici-bas s’embrasèrent.

V
Sur le mont Sinaï mon cœur s’envola loin de

VI
moi

Et je ne cessai de l’interpeller.

« Ton abandon prolongé me consume !

– L’union est proche, répondit-il, ô bien-aimé

sincère. »
VII
10 Dans l’étoile , le Trône me revint de plein

droit.

« Conquiers-le de haute lutte ! » m’exhorta-t-on.


Aussi je m’y tins à la fois en serviteur et en

maître.

De Son ciel pleuvent des scintillantes et de Sa

terre des fleurs embaument.

Ḥijr
VIII
Dans la cité d’Al- , un voile se leva pour

un adorateur

15 Sur un secret de lumière, une connaissance

se révéla.

IX
Alors il posséda la science des sept , ni plus ni

moins.

À travers elle il apparut, en elle il disparaîtra. Il

est tour à tour la flèche et la cible.

X
Dans mon néant le Messager vint à moi ,

Aussi le chemin apparut-il sur son visage,

20 Et devint-il pour moi un guide.

En vérité, l’Être est un mystère étonnant, Il prie

XI
pour Lui-même et Il exauce .

Tāhat ‘alā al-nufūs (Dīwān, p. 87-88).

I. Nafs, au pluriel nufūs, désigne dans le soufisme l’« âme charnelle »,

« ce qui empêche l’être de prendre conscience de son rū ḥ (l’esprit ou le

souffle divin), explique Abdallah Penot. La nafs est ce qui doit être mis à

mort pour passer d’une conscience individuelle à la conscience


244
universelle ». Le cœur est en l’homme le lieu de la présence divine.

II. « Censeur » et « épieur » sont des figures familières dans la poésie

amoureuse andalouse, présentes en particulier dans le Ṭawq al- ḥamāma,


245
(Le Collier de la colombe ), célèbre traité d’amour courtois du poète

andalou Ibn Ḥazm (994-1064).


III. C’est-à-dire la sourate 87 « Le Très-Haut », qui s’ouvre sur ce verset.

IV. Yammama, forme II du verbe à la forme passive yumma qui signifie

« être envahi, occupé par la mer », peut légitimement être traduit par

« envahir ». Cependant il signifie également « diriger sa lance à dessein


246
contre quelqu’un pour l’en percer », ce qui s’inscrit dans le sens de la

métaphore du sabre et de l’évocation des guerres. Il est ainsi tentant, en

l’absence de vocalisation, de lire la forme passive yummima et de traduire

par « aussi les mystères, Son enceinte sacrée, furent percés ».

V. C’est par Ṭūr, « mont », que le Coran désigne généralement le mont

Sinaï, où Dieu apparut à Moïse sous la forme du buisson ardent, lieu de

haute dimension mystique dans la spiritualité de l’islam, le lieu symbolique


247
de l’épiphanie divine . Il s’agit aussi du nom de la sourate 52, tiré de son

premier verset : « Par le mont Sinaï ». Soulignons le jeu autour des racines

ṬWR (dont dérive ṭūr) et ṬYR (dont dérive ṭāra, « voler »).
VI. La Tradition rapporte qu’un polythéiste, entendant le Prophète réciter

la sourate 52, fut touché au point de déclarer : « Mon cœur a failli s’envoler.

Et ce fut la première fois que la foi toucha mon cœur. »

VII. Allusion à la sourate 53 « L’Étoile ».

VIII. Ḥijr, mot très polysémique, désigne une muraille et

particulièrement le mur d’enceinte entourant la Ka‘ba, plus généralement

tout ce qui est défendu, interdit, illicite. La traduction de ce vers par « dans

l’enceinte sacrée un voile se leva » serait parfaitement valable. Cependant,

le contexte nous pousse à y reconnaître une allusion à la sourate 15 « Al-

Ḥijr », titre tiré du verset 80 où sont évoqués les Thamūd, peuple fondateur
de la cité d’Al- Ḥijr, creusée dans le roc, et qui fut frappé du châtiment divin
pour avoir rejeté la prédication du prophète Ṣāliḥ. Le lecteur arabophone

goûte simultanément cette double lecture. Le mot ḥajr, « voile », est dérivé

de la même racine. La virtuosité d’Ibn ‘Arabī dans le jeu sémantique sur les

racines ne peut malheureusement être rendue par la traduction.


IX. Il n’est sûrement pas fortuit que la même sourate 15 mentionne à

deux reprises le chiffre 7 : au verset 44 les sept portes de la géhenne, au

verset 87 les « sept redoublements » ou les « sept répétées » que l’exégèse

interprète comme désignant la Fāti ḥa, « L’Ouverture » du Coran qui

comprend sept versets et que la Tradition nomme aussi la « Mère du

Livre », répétée plusieurs fois au cours de la prière. La symbolique du

chiffe 7 est très riche en islam comme dans le christianisme. Évoquons

encore les sept cieux (mentionnés dans le Coran à sept reprises) ou les sept

circumambulations autour de la Ka‘ba.

X. Lam yakun sont les mots qui ouvrent la sourate 98 « La Preuve » ou

« L’Évidence » et en constituent aussi l’un des noms donnés par la

Tradition. Suivant sa méthode herméneutique – tout élément du discours

divin (phrase, mot, lettre) est signifiant en lui-même, indépendamment de

son contexte –, Ibn ‘Arabī voit dans lam yakun, « il n’est pas », le néant

ontologique de l’homme avant que le kun divin (Kun fa-yakūn, « “Sois” et il

fut ») ne l’existencie, cependant l’existence ne lui appartient pas en


248
propre . C’est cette interprétation que nous suivons dans notre traduction.

XI. Ce vers exprime l’une des idées fondamentales dans la théosophie

d’Ibn ‘Arabī, à savoir que Dieu se contemple Lui-même à travers Ses

créatures : « Dieu est tout à la fois l’adorateur et l’Adoré ; Il s’obéit à Lui-

même, s’Il le désire, par l’entremise de Ses créatures et se rend justice à

Lui-même en toute équité, ainsi que l’y autorise Son propre droit
249
inaltérable » (voir le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », notes II et III).

Autre traduction possible : « Il appelle à Lui et Il répond » (voir le

poème 35, « Celui qui L’invoque »).


40

Prépare-toi en pensant

à des jardins d’Éden

1 Prépare-toi en pensant à des jardins d’Éden et

projette-toi à la place prééminente,

Ainsi tu réduiras et augmenteras les poids sur la

I
balance, tu institueras puis destitueras .

Ma porte est un noble secret, ma porte est une

étrange peine.

Sa demeure est une demeure opaque, les

mystères y sont voilés,

5 Son autorité y est bienveillante, Son jugement

y tombe avec justesse.

Un héros derrière un bouclier, chevauchant un

illustre étalon,

Ainsi tu vois l’astre brillant intensément au-


II
dessus de celle qui est sans défense .

III
L’Intelligence sublime manifeste l’Essence du

mystère de l’Être désiré.

Il est le Souverain suprême et elle est un pouvoir

impérissable.
10 Le corps grossier découvre des lettres

portant un sens subtil

Et cela me désigne. Or, je ne me transforme pas.

Puis il l’occulte et confie son sort à l’Imām le


IV
plus équitable .

Le soleil des mystères se lève dans le cœur des

gnostiques,

La terre de la Révélation s’élève, séduisant les

voyageurs,

V
15 Et le secret de l’Ouverture se dévoile aux

yeux des contemplateurs,

Alors qu’il se cachait dans le déploiement de

mon existence. Certes Sa lumière descend

VI
Pour une lampe qui ne peut irradier , dans une

VII
forme qui ne saurait être négligée .

La présence du Très-Haut est une parure et dans

le séjour des héritiers

S’écoule un ruisseau d’eau limpide, délice pour

les assoiffés.

20 Elle est l’aurore de clarté qui transforme le

doute en certitude,

Elle dissipe toutes ténèbres par la permanence

de l’ondée et de la rosée.

Ainsi sa clarté est le rayon transcendant, plus

resplendissant que la lumière du soleil.

VIII
Ô Bienveillant envers la créature, montre-Toi

IX
afin que je Te voie !
X
« Abandonne, répondit-Il, toute vallée qui

t’entrave,

25 Je ne suis pas autre que celui qui appelle,

alors tourne tes regards vers toi-même.

Pourquoi pas, puisque tu es de Moi, au rang du

mystère le plus parfait. »

Ainsi, avec et en Dieu tu portes la Parole

descendue par Son décret.

‘Udda ‘an jannāti ‘Adn (Dīwān, p. 85-87).

I. Très certainement, il est fait allusion ici aux saints mystiques qui, de

par leur servitude absolue envers Dieu, deviennent Son œil et Sa main dans

l’expression de Sa bienveillance comme dans celle de Sa rigueur (cf. les

poèmes 34, « Excellents au regard de Dieu », note I, et 35, « Celui qui

L’invoque », note III). Ils sont alors exempts de tout châtiment même si leurs

actes sont répréhensibles au regard de la Loi divine. Voici comment

l’exprime le grand mystique de mouvance akbarienne ‘Abd al-Karīm al-Jīlī

(1366-1428) : « Ainsi va la chose : avant même l’échéance de l’acte

coupable, mon cœur m’informe de ce qui va arriver. Alors, sous le regard de

celui-ci, j’accomplis cet acte inéluctable puisque consigné sur la Table

gardée ; cependant que mes yeux versent des larmes amères ! Mais si au

regard de la Loi je suis un transgresseur, je ne fais qu’obéir cependant aux


250
règles de la Réalité . »

II. Al-simāk al-a‘zal, « objet céleste sans armes » est le nom donné par

les astronomes arabes à Spica (Épi), la principale étoile de la constellation

de la Vierge, par opposition à son pendant Arcturus, principale étoile de la

constellation du Bouvier, dont le nom arabe est al-simāk al-rāmi ḥ, « le

simāk armé ». C’est donc cette étoile, géante rouge dont la luminosité est

cent quinze fois celle du Soleil, que désigne « l’astre brillant intensément »
au-dessus de Spica, « celle qui est sans défense ». Or, « au plan ésotérique,

explique Ian Ridpath, Arcturus est le gardien de la Volonté divine telle

qu’elle émane des sept étoiles de la Grande Ourse, agissant comme un pont

entre celles-ci et la Vierge, nourricière de la conscience christique au sein

des formes […] ; le sauveur qui délivre l’humanité de la soumission à la


251
forme ». Ainsi, Arcturus est aussi nommée « le Pasteur céleste ».

III. Ou « Intellect premier », la première irradiation de l’Essence divine

éternelle, cachée, insondable : « La “grande Intelligence” est la première

lumière qu’Allāh ait manifestée dans l’existence. On dit qu’elle est l’Esprit
252
suprême . »

IV. L’ambiguïté des pronoms accentue encore le caractère hermétique de

cette strophe. La condition humaine (à laquelle le poète n’échappe pas) est

insérée dans la cosmogonie, Dieu est le point de départ (« l’Être désiré »,

« le Souverain suprême ») et le retour (« l’Imām le plus équitable »). Les

« lettres portant un sens subtil » sont-elles les lettres de l’alphabet du

discours divin, à la fois dans l’univers et le Livre révélé, ou alors les

mystérieuses lettres isolées qui ouvrent vingt-neuf sourates du Coran et

auxquelles les mystiques accordent une signification ésotérique secrète ?

L’interprétation reste ouverte…

V. Al-mathānī, répété aux vers 14 et 15, est une allusion coranique :

« Nous t’avons apporté les sept redoublements (sab‘an min al-mathānī), le

Coran sublime » (15, 87, trad. Jacques Berque). Traditionnellement

interprété comme faisant référence à la sourate « L’Ouverture » (Fāti ḥa) qui


253
comprend sept versets, il peut également désigner le Coran lui-même .

Notre traduction propose les deux lectures. Voir également le poème

précédent, « Les cœurs se dressent », note IX.

VI. Contrairement à la lampe du célèbre « verset de la Lumière », qui

brûle dans une niche à l’intérieur d’un « cristal semblable à un astre de

grand éclat », et dont « l’huile semble éclairer sans même que le feu la

touche » (24, 35), la forme humaine est une enveloppe opaque…


VII. Suivant l’adage : Allāh yumhilu wa-lā yuhmil, « Dieu est indulgent

mais non négligent ». Cette forme humaine que Dieu n’aurait pas

« négligée » peut être aussi considérée du point de vue de l’homme, comme

un fardeau dont il ne peut se défaire, ce qui se traduirait par « dans une

forme qui ne peut être abandonnée ».

VIII. ṭ
Al-La īf, « le Bienveillant », est un Nom divin, également traduit

par « le Subtil ». L’invocation de Dieu par « ô Bienveillant » est donc, de

prime abord, l’interprétation évidente de ce vers. Cependant dans la

terminologie soufie, ṭ
la īf ou ṭ
la īfa prend le sens de « réalité subtile,

immatérielle » opposée à kathīf, « ce qui est de nature matérielle,

grossière ». Une autre lecture peut ainsi se superposer : « ô essence subtile

dans la créature ». Elle ne contredit en rien la première puisque pour Ibn

‘Arabī, Créateur et créature ne sont que deux faces d’une réalité unique,

l’homme participant par essence à la nature divine, ainsi que l’exprime la

suite du poème.

IX. Il s’agit là d’une citation coranique. À la demande que Moïse fait à

Dieu suite à la rencontre avec la présence divine au buisson ardent, Dieu

répond : « Tu ne Me verras pas, mais regarde la montagne » (7, 143). Dans

le poème, la réponse divine serait : « tu ne me verras pas, mais regarde en

toi-même ».

X. Wād, entré sous la forme « oued » dans la langue française, signifie

« vallée », « rivière », « lit d’une rivière » mais aussi « voie, route » et peut

être compris ici comme voie de la facilité, du confort qui, paradoxalement,

« entrave » le mystique…
41

S’octroie gloire et grandeur

1 S’octroie gloire et grandeur qui se tourne vers

I
Dieu dès l’aube , avec piété et dévotion.

Par une bienveillance primordiale

Envers les hommes de Sa proximité,

Apparut la lumière de guidance.

5 Elle apparut tout doucement quand ils se

prosternèrent, front à terre, en larmes.

II
La terre du monde visible trembla

Et l’essence de mon être s’anéantit.

Alors se leva la lumière de mon soleil

Et l’Esprit se présenta, vivant, confident du

III
Grandiose, du Transcendant .

10 Ô Toi qui illumines les cœurs

Par les soleils des mystères !

Les souffles du Bien-Aimé

Affluent vers moi et me font voir le visage

souriant du Vrai.

Ô Bienveillant envers Son adorateur,

15 Ô Généreux de Ses bienfaits

Et Fidèle à Son pacte,


Comble un adorateur affligé, en vérité, il n’a rien
IV
commis d’abominable !

Dans le néant de mon anéantissement

V
Se révéla le secret de l’enveloppe ,

20 La clarté, la splendeur,

Dans la plénitude éternellement, une,

VI
préexistante, sublime .

Qui porterait secours à un amoureux tourmenté,

Fou errant étrangement

En invoquant le soleil des cœurs ?

25 Si j’appelle à Moi le cœur d’un adorateur, il

ne cessera d’être empli de Moi.

Auprès de Lui mon cœur se perd,

Vers Lui mon esprit s’envole

Cherchant asile en Lui,

VII
Et il puise dans mes mains . « Qui est-Il ? »
VIII
demandai-je. On répondit : « C’est Toi . »

254
Ḥāza majdan (Dīwān, p. 88-89 ).

I. Le verbe ġadā actuellement a pris le sens général de « devenir » mais

il signifie littéralement « venir, se présenter chez quelqu’un entre le


255
crépuscule du matin et le lever du soleil ».

II. Zalzalat ar ḍ, « la terre trembla », fait référence au verset 1 de la

sourate 99 Al-Zalzala, « Le Tremblement », qui est une saisissante

évocation eschatologique : « Quand la terre tremblera d’un violent

tremblement » (trad. éd. du Roi Fahd).


III. Al-Kabīr, « le Grandiose » et Al-Muta‘ālī, « le Transcendant », sont

des Noms divins de même que Al- Ḥaqq, « le Vrai » (vers 13), Al-Laṭīf, « le
Bienveillant » (vers 14), Al-Karīm, « le Généreux » (vers 15).

IV. « Il n’a rien commis d’abominable » est là encore une citation

coranique, en référence à la sourate 19 « Maryam », verset 27 : « Elle revint

à son peuple, portant l’enfant. Ils dirent : “Marie, tu as commis une chose

épouvantable !” » (trad. Jacques Berque).

V. Ridā’ a pour sens principal « manteau, cape », d’où notre

interprétation dans le sens d’« enveloppe » charnelle, ressentie par le

mystique comme un « fardeau » (autre sens du mot), un voile qui lui cache

les réalités divines. Par ailleurs, la racine verbale RDĀ signifie « briser,

détruire, être détruit, périr ». « Le secret de la mort » est donc une lecture

également convaincante, rejoignant la première puisque le corps contient la

mort.

VI. Ṣamad et a ḥad sont deux attributs divins qui font directement

référence à la sourate 112 : « Dis : “Il est Dieu, Il est un, Dieu de

plénitude” » (trad. Jacques Berque). Al-‘Alī, « le Sublime », est un Nom

divin.

VII. En rendant min yadayni par « dans mes [deux] mains », nous avons

souhaité conserver cette très belle image d’une expression communément

traduite par « de, en moi-même ». Le cœur puisant dans la main rappelle

ainsi l’image qu’offre la langue française du « cœur sur la main ».

VIII. L’anéantissement du mystique en Dieu conduit à la fusion entre

Dieu et Sa créature, jeu de miroir que nous exprimons par la majuscule de

« c’est Toi » (voir également le poème 15, « La fraîcheur de l’œil », notes II

et III). Notre lecture est guidée par les exigences de la métrique et le fréquent

emploi, dans les muwashsha ḥāt, de formes dialectales ou du mozarabe dans


les deux vers finaux de la dernière strophe.
42

L’essence du guide

1 L’essence du guide vers la certitude est

I
l’huile-lampe pour les contemplateurs.

Car il est le vicaire derrière Son voile,

Son offrande cachée dans son adoration,

II
Et Sa flèche infaillible dans son cœur .

5 J’affirme une vérité, ô étourdi ! Les

connaissances subtiles sont ramifiées.

Ô Dieu comme sera douce au palais la saveur

III
De la vision suprême, au jour du retour !

Ses versets seront psalmodiés à l’unisson,

Longue nuit, matin éclatant, tel Ilyās parmi les


IV
prophètes .
V
10 Peut-être quand apparaîtra Idrīs

Le malade sera réconforté, point ne défaillira.

VI
Alors lui arrivera Jésus , porteur du Jugement.

Sur le chemin il gémira, en raison de la faillite

VII
avec l’inséparable compagnon .

Celui qui à sa science se fiait affirmait

15 Qu’il avait reçu en don Sa sagesse,


Et jamais, selon ses dires, il ne s’en détourna.

Tels furent ses propos et on le suspecta. Les

VIII
murmures du tentateur s’insinuent dans les

doutes.

IX
Lorsque le censeur vit se réaliser ses espoirs

Et qu’il répondit à qui l’interrogeait : « Celui-là

est consolé ! »

20 Je chantai au conteur à la noble âme ce vers :

« Je n’ai d’autre vin que le chagrin, mêlé dans la

coupe aux larmes abondantes. »

‘Aynu l-dalīl (Dīwān, p. 105-106).

I. Al-zaytu l-nibrās, allusion directe au « verset de la Lumière » dans la

sourate du même nom (24, 35), suggère de reconnaître dans l’« huile-

lampe » ce que les mystiques de l’Islam nomment la « Lumière

mu ḥammadienne », appelée aussi « Intellect premier », première émanation


de l’Essence divine dans Son souffle créateur, à partir de laquelle les

créatures recevront leur existence archétypale avant leur manifestation

formelle. C’est à cette lumière que tous les prophètes puiseront jusqu’à

Mu ḥammad dans sa réalité humaine, dernier prophète du cycle mais

précédant ontologiquement tous les autres, selon le ḥadīth : « J’étais [déjà]

Prophète alors qu’Adam n’était qu’entre l’âme et le corps. » Si elle est

l’« essence » de la guidance prophétique, elle ne peut être contemplée que

par celui qui parvient à annihiler son identité individuelle pour devenir l’œil

par lequel Dieu se contemple Lui-même. « La lumière voile et dévoile à la

fois, l’écrit Ibn ‘Arabī dans les Futū ḥāt ; grâce à elle, l’homme voit et

contemple mais elle-même ne peut être vue et contemplée sans absorber

tout le reste. Dans cette alternative, le connaissant reste perplexe : “Si je ne

suis plus là, c’est que Tu m’as fait lumière et si je suis encore là, c’est que
Tu as mis en moi une lumière qui me guide dans les ténèbres de mon être
256
individuel .” »

II. La racine verbale N ḤR signifie « égorger, immoler, sacrifier ». Le mot


na ḥr a le sens de « sacrifice, immolation » mais désigne également la

poitrine ou le bas du cou, points où l’on enfonce le couteau mortellement,

d’où notre traduction par « cœur ».

III. Al-masāq, « le retour », tiré de la racine verbale SWQ dont l’un des

sens est « pousser devant soi, mener, stimuler à la marche (bête de somme,

troupeau, etc.) », apparaît dans le Coran (75, 30) en rapport avec le jour du

Jugement dernier : « C’est vers ton Seigneur, ce jour-là, que tu seras

conduit » (trad. éd. du Roi Fahd), « Vers ton Seigneur, ce jour, [le troupeau]

est poussé » (trad. Jacques Berque).

IV. Ilyās est le prophète Élie, que le Coran mentionne à deux reprises,

principalement dans la sourate 37, versets 123-130, où est évoquée sa lutte

contre les adorateurs de la divinité païenne Ba‘al. Selon une tradition, Élie,

menacé par les idolâtres, fut ramené à Dieu sur une monture de feu, puis

« Dieu le couvrit de plumes et le vêtit de lumière. Il lui enleva le plaisir de

manger et de boire et il devint angélique et humain, céleste et terrestre à la


257
fois ».

V. Le prophète Idrīs n’est évoqué que très elliptiquement dans le Coran

(19, 56-57 ; 21, 85-86). Mais la mention : « Et Nous le ravîmes en haut

lieu » (19, 57, trad. Jacques Berque), associée à certaines traditions

prophétiques et aux sources judéo-chrétiennes (les isrā’īliyyāt), ont amené

les exégètes musulmans à l’identifier à la figure biblique d’Énoch. Selon les

divers récits, il fut ravi par Dieu jusqu’au quatrième ciel où lui furent

enseignées de nombreuses sciences, dont l’art de l’écriture avec le calame,

la couture, l’astrologie et la médecine, sciences qu’il retransmit aux

hommes une fois de retour sur terre ; puis il fut à nouveau enlevé au ciel.

Ainsi, tout comme Élie avec qui il est également identifié, Idrīs a été

transporté aux cieux sans avoir connu la mort, ce qui est également le cas,
dans la tradition musulmane, de Jésus – le Coran en effet nie

catégoriquement sa mise à mort sur la croix, qualifiée d’« illusion » (4,

157) –, ainsi que d’Al-Khi ḍr (le Verdoyant), l’énigmatique figure qui, dans

le Coran, initie Moïse aux mystères des desseins divins (18, 59-82). Al-

Khi ḍr, tout comme Jésus, fut pour Ibn ‘Arabī un maître spirituel par-delà le
temps. L’évocation de trois de ces prophètes dans le poème ne peut donc

manquer de faire sens. Dans La Sagesse des prophètes (Fu ū ṣ ṣ al-ḥikām), Ibn
‘Arabī identifie clairement Idrīs à Élie, et le désigne par ailleurs comme

« celui qui guérit les blessures ». Les vers 10 et 11 pourraient faire allusion

à ces facultés thérapeutiques. Dans la hiérarchie spirituelle des saints,

transmetteurs du Souffle divin aux mondes manifestés, Ibn ‘Arabī assigne

aux quatre prophètes susmentionnés le rang de « piliers » (awtād) soutenant

le monde d’ici-bas, deux d’entre eux (Élie et Al-Khi ḍr) vivant toujours

corporellement sur terre, invisibles aux regards du commun des mortels.

Cependant, fait remarquer Michel Chodkiewicz, « Idrīs, Élie, Jésus et Al-

Khi ḍr ne sont à leur tour que des projections différenciées de la ḥaqīqa
mu ḥammadiyya, la Réalité muḥammadienne 258
».

VI. ‘Īsā, Jésus, rappelons-le, est prophète en islam. Selon le Coran, il

apparaîtra au jour du Jugement dernier et témoignera contre ceux qui ne

crurent pas en lui (41, 59). Plusieurs traditions lui assignent la fonction

eschatologique du Mahdī, le Sauveur de la fin des temps.

VII. Al-qarīn, de la racine verbale QRN, « joindre, atteler », signifie

« compagnon, inséparable ; de là se dit de Satan, qui suit l’homme


259
partout ». Nous retenons cette interprétation, tout en conservant le

caractère hermétique de ces vers.

VIII. Wasāwisu l-khannās, « les murmures du tentateur », fait référence

au verset 4 de la dernière sourate, « Les Hommes ».

IX. ‘Ādhil signifie « qui blâme, censeur, réprobateur ». Le « censeur »

fait partie de ces figures familières, voire incontournables de la poésie


amoureuse andalouse que l’on rencontre fréquemment, par exemple dans Le

Collier de la colombe (voir le poème 39, « Les cœurs se dressent », note II).

À travers ces quelques vers allusifs, telle une esquisse, est évoquée toute une

intrigue amoureuse qui pourrait être le thème d’une muwashsha ḥa populaire
chantée et qui est ici métaphore de l’amour pour le Bien-Aimé divin.
43

Lorsque m’apparut le divan

I
1 Lorsque m’apparut le divan , je fondis de

II
nostalgie pour Celui qui était avec moi .

III
Ô noble demeure antique !

Il vient à toi, l’adorateur faible et immodéré,

De désir ses larmes coulent à flots,

5 Souffrant de la séparation et de la tromperie.

Mais les pleurs inutiles ne sont pas louables.

IV
Chaque fois que je fis son éloge , elle me dit :

« Ceci n’est pas pour moi, mais pour mon

V
Créateur ! »

Je verrai l’emprise d’un petit cœur tourmenté,

Implorant le secours de son amour, gémissant, et

je connais la douleur de l’affliction.

10 Un soleil en lui brilla, tant qu’il brilla,

Et nous la vîmes grâce à lui, lorsqu’elle

s’illumina.

Des nuages tonnèrent, sans lancer d’éclairs,

Et nous sûmes que seul un décret douloureux

faisait couler ses pleurs.


Il m’advint par une nuit sans fin

15 Que l’aube venait d’envelopper,

Et Celui qui la déclara sacrée la rendit licite.

Et il répondit à l’appel, implora, pria et s’étendit

puis il prit son chemin lorsque apparut l’éclair et

il ne revint pas.

Ô échanson, verse-moi à boire, ne traîne pas !

En vérité, les blâmes accablèrent mon esprit

20 Et certes, il chanta ce que j’avais entendu :

« Ô échanson, à toi nous nous plaignons ! Les

VI
plaintes inutiles sont livrées au vent . »


‘Indamā lā a li-‘aynī (Dīwān, p. 365-366).

I. Muttakā (ou muttakā’), « accoudoir, coussin, fauteuil, lit de repos »,

est tiré de ittaka’, forme VIII de la racine verbale WK’ ou TK’, « s’accouder,

s’adosser ». La forme muttaki’ūn a plusieurs occurrences dans le Coran,

quasiment toutes en rapport avec les élus dans les jardins d’Éden,

« accoudés sur des lits à baldaquin », « sur des lits tressés », « sur des lits

aux doublures de brocart », « sur de verts tapis » (par exemple 18, 31 ; 36,

56 ; 55, 54,76 ; 56 ; 16, trad. Jacques Berque). Cependant, dans la sourate

12 « Joseph », le mot muttakā’ apparaît dans une scène tout à fait profane.

L’épouse du maître égyptien de Joseph invite les femmes de la ville afin de

leur montrer la beauté de celui qu’elle avait tenté vainement de séduire. Elle

leur prépare « une collation à prendre accoudées » (12, 31, trad. Jacques

Berque). Il s’agit donc d’un mot doublement connoté et notre traduction par

« divan » (également utilisé dans la traduction de l’édition du Roi Fahd)

autorise l’allusion coranique du Paradis mais aussi celle d’un lieu de

divertissement qui évoque une célèbre muwashsha ḥa à laquelle Ibn ‘Arabī

fait directement référence dans la dernière strophe du poème. Par ailleurs,


« divan » dérivant de l’arabe dīwān, à la fois « recueil de poèmes »,

« bureau, cabinet, chancellerie », est, pour le lecteur occidental, évocateur

d’images orientalisantes qui seront également appelées à la fin du poème.

II. Ainsi qu’il est dit dans le Coran : Wa-huwa ma‘akum aynamā

kuntum, « Et Il est avec vous, où que vous soyez » (57, 4).

III. Al-baytu l-‘atīq, « l’antique maison », est une autre désignation de la

Ka‘ba dans le Coran (22, 29), appelée aussi « maison de Dieu » ou

« maison sacrée », « antique » car considérée par les musulmans comme le

premier sanctuaire établi par Dieu sur la terre (3, 96-97), érigé par Abraham

et son fils Ismaël (21, 27 ; 22, 26). Jacques Berque, se basant sur un autre

sens de la racine verbale ‘TQ, traduit par « franche maison » car un ḥadīth
260
dit que la Ka‘ba « a été affranchie des tyrans ». Centre spirituel,

« nombril de la terre », elle est l’orientation du fidèle lors de sa prière et

l’axe symbolique autour duquel tournent les pèlerins lors des rites de

circumambulation, reliant ainsi le monde terrestre aux sphères célestes où

les anges tournent autour du trône divin.

IV. Ces louanges peuvent ressembler à d’autres d’Ibn ‘Arabī : « Ô

miséricorde de Dieu envers les serviteurs, Dieu t’a placée parmi les

minéraux ! Ô maison de Dieu ! Lumière de mon cœur ! Ô fraîcheur des

yeux ! Ô mon cœur ! Ô toi qui es en vérité le secret de l’existence ! Ô mon


261
sanctuaire, ô pureté de mon amour ! Ô Ka‘ba de Dieu, ô ma vie ! »

V. Nous lisons ici laysa hādhā fiyya bal fī iyalī, la métrique nous

imposant d’ajouter la hamza sous l’alif du dernier mot īlī ( ‫)ايلي‬ tel qu’il

apparaît dans l’édition de Beyrouth. Nous proposons donc de lire iyalī ( ‫)إَيلي‬
qui renvoie à la racine sémitique el signifiant « dieu », plus particulièrement

e
à la divinité cananéenne El, mentionnée dès le XXIV siècle av. J.-C., dieu

primordial, père de toute créature et de tous les dieux. Il est tentant de

rapprocher el de l’arabe ilah dont est issu Allāh. Mot à mot, ce vers

signifierait alors : « ceci n’est pas pour moi mais pour mon dieu ». Or,
comment un simple bâtiment cubique en pierre, qui plus est vide et maintes

fois détruit et reconstruit, peut-il nourrir non seulement la dévotion des

fidèles mais aussi la spiritualité des mystiques ? C’est ce que Michel

Chodkiewicz a appelé le « paradoxe de la Ka‘ba ». N’y a-t-il pas une

contradiction entre un verset tel que : « Où que vous vous tourniez, là est la

Face de Dieu » (2, 115) et l’obligation, pour l’orant, de se tourner vers la

qibla, c’est-à-dire La Mecque et la Ka‘ba, ou d’effectuer autour d’elle les

rites de circumambulation, d’embrasser la Pierre noire enchâssée dans son

angle est, « Main droite de Dieu sur la terre » ? La célèbre sainte mystique

e
Rābi‘a al-‘Adawiyya (VIII siècle) aurait dit : « Ce n’est pas la Ka‘ba que je

désire, c’est le Seigneur de la Ka‘ba. La Ka‘ba, que pourrais-je bien en


262
faire ! » Ibn ‘Arabī lui-même aurait reçu, devant la Ka‘ba et par la bouche

d’un mystérieux « jeune héros évanescent » (fatā), le message divin suivant :

« Celui qui M’enferme dans une forme à l’exclusion d’une autre, c’est la

représentation qu’il se fait de Moi qu’il adore. » Et cependant, le « secret de

la Ka‘ba » réside dans ce paradoxe même. Le mystique qui a vécu

l’expérience spirituelle de la rencontre avec le Divin pourrait vouloir se

soustraire aux obligations rituelles vis-à-vis de ce qui n’est qu’un tas de

pierres. Mais aux yeux d’Ibn ‘Arabī, la seule voie d’accès au Divin est, pour

l’adorateur, l’abandon total de sa souveraineté, c’est-à-dire l’obéissance

absolue à la Loi divine, la sharī‘a, alors même qu’elle contredit ses


263
certitudes intimes . C’est ainsi que nous interprétons le sens de ce vers

hermétique.

VI. Cette dernière strophe imite une célèbre muwashsha ḥa composée par
le grand médecin et poète andalou Ibn Zuhr (ou Avenzoar, 1091-1162), dont

nous donnons ici le refrain : « Ô échanson, à toi nous nous plaignons ! Nous

t’appelâmes, or tu n’entendis point… »


44

Il m’est si cher,

Celui que mon cœur contient

1 Il m’est si cher, Celui que mon cœur

I
contient ! Assurément je Le connais et Lui ne

trompe pas.

En vérité Dieu le Vrai fit serment par ce qu’Il

II
jura
III
Et Il nous enseigna ce que nous ne savions pas

Et m’éclaira sur ce qu’Il avait tenu caché.

5 Ainsi Il jura par le pair et l’impair et affirma


IV
mon être à ceux doués d’intelligence .

V
Certes Celui que je désire est ma réalité propre ,

Parfois je L’atteste, parfois je Le nie.

Et à qui en fait un tyran injuste, je déclare :

« La nuit en s’écoulant s’est éloignée de moi, en

VI
toute adversité l’être trouve une issue . »

10 Je Le contemplai avec le regard de

l’Essence.

VII
Par un attribut sublime, mon existence fut

décrétée
Et Son dévoilement révéla les voiles de la
VIII
protection .

Par Son commandement il écrivit ce que tu

appris d’une puissance manifestée dans le

IX
Destin .

Par une nuit du Destin qui n’a nul matin

X
15 Furent descendus le Secours et la Victoire

XI
Sur le cœur épanoui d’un adorateur.

En elle furent descendus le monde du Décret et

l’Esprit, jusqu’au lever de l’aube

Lui que j’invoquai ouvertement

Et auquel je m’abandonnai dans l’œuvre et le

commandement,

20 S’Il était apparu sans voile à l’homme de la

montagne,

Dans le feu Il lui aurait parlé et l’aurait mené

XII
dans les serres de la captivité .

XIII
Une almée chanta pour lui toute la nuit,

Elle décochait des œillades aux autres mais c’est

lui qu’elle visait,

Elle ne désirait rien que de le captiver.

XIV
25 Je me pavane si fièrement et grâce à Toi je

mêle à l’ivresse la reconnaissance !

Alā bi-abī (Dīwān, p. 385-387).

I. Suivant le ḥadīth : « Ni mon ciel ni ma terre ne me contiennent. Mais


le cœur de mon adorateur croyant me contient. » Le cœur est envisagé
comme l’organe de la spiritualité, le lieu de pénétration des inspirations

divines inaccessibles par la raison pure et la spéculation. La voie mystique

conduit l’aspirant à polir son cœur afin qu’il devienne le miroir dans lequel

le Divin se reflétera, le lieu de contemplation de sa propre réalité qui est

d’essence divine. L’expression ḍamma ilā ṣadrih signifie « étreindre, serrer

contre sa poitrine ». Ainsi, la traduction par « Il m’est si cher, Celui que

j’étreins » ne peut manquer de venir à l’esprit et ne contredit pas la première

interprétation.

II. La-qad aqsama l- Ḥaqq, « en vérité Dieu le Vrai fit serment », évoque
un certain nombre de sourates du Coran qui s’ouvrent sur ou contiennent le

serment divin dans la formule Lā uqsimu bi…, « Non, je jure par… » (56,

75 ; 69, 38 ; 70, 40 ; 75, 1 ; 81, 15 ; 84, 16 ; 90, 1).

III. Référence au verset 5 de la sourate 96 « L’Adhérence » ou

« L’Accrochement » : « [Lui qui] enseigna à l’homme ce qu’il ne savait

pas. » Les versets 1 à 5 de cette sourate sont considérés comme les tout

premiers qui furent transmis par l’ange Gabriel au Prophète durant sa

retraite dans la grotte du mont Ḥirā’, près de La Mecque. Ils ouvrent la

Révélation coranique par la célèbre injonction Iqrā’, « Lis ».

IV. Ce vers ainsi que le premier hémistiche du vers 9 contiennent des

références aux versets 4-6 de la sourate 89 « L’Aube » : « Par le pair et

l’impair ! Et par la nuit quand elle s’écoule ! N’est-ce pas là un serment

pour un doué d’intelligence ? » (trad. éd. du Roi Fahd). Jacques Berque

conserve le sens premier du mot ḥijr, « ce qui est défendu, interdit et


264
illicite » : « N’est-ce pas là un serment pour qui respecte l’interdit ? » Al-

Ḥijr est aussi le titre de la sourate 15 en référence à la cité éponyme, la ville


des Thamūd, l’actuelle Madā‘in Ṣāliḥ, au nord de l’Arabie saoudite. Le
265
Prophète interdit l’entrée de ce site à ses compagnons . À propos de la

formule « le pair et l’impair », Jacques Berque note : « Faisons grâce, ici,

des dix-huit interprétations données par l’exégèse, de ces deux mots chargés
266
de connotations mystiques . » L’« impair » peut représenter l’Un, l’Unicité

de l’Essence divine qui se manifeste dans la multiplicité des créatures,

Créateur et créatures n’étant qu’une seule et même réalité. Le « pair » est la

vision d’une dualité entre Dieu et l’univers manifesté telle qu’elle est

appréhendée par l’esprit humain à partir du voile de la matière. Ainsi Ibn

‘Arabī déclare, à propos du « secret des nombres » : « “Lorsque l’homme

combat sa propre passion, qu’il donne la prééminence au nombre pair sur le

nombre impair” – c’est-à-dire qu’il privilégie la contemplation simultanée

du Seigneur et du serviteur sur l’“impair”, qui est la contemplation du

Seigneur seul – “et lorsqu’il combat la passion des autres, que l’autorité de

l’impair l’emporte sur celle du pair” – c’est-à-dire qu’il privilégie la

contemplation du Seigneur seul, attestant ainsi l’Unicité divine. L’un des

gnostiques a dit aussi : “Celui qui regarde les pécheurs au regard de la Loi

les hait ; celui qui les regarde par l’œil de la Vérité essentielle les
267
excuse .” »

V. La traduction par « Celui que je désire est une réalité pour moi »

serait tout à fait fidèle. Cependant, nous pensons que s’exprime ici la notion

akbarienne du « Dieu créé dans les croyances » : Dieu se manifeste à chacun

selon sa capacité à l’appréhender et chaque être est un réceptacle, une forme

épiphanique du Divin. « “Le Dieu qui est dans la croyance, dit Ibn ‘Arabī,

est celui dont le cœur contient la forme, celui qui se montre à ce cœur, de

sorte que celui-ci le reconnaisse. Ainsi l’œil ne voit que le Dieu de la

croyance.” C’est pourquoi les croyances se diversifient, note Henry Corbin.

Pour chaque croyant, l’Être divin est celui qui se montre à lui sous la forme

de sa croyance. S’il s’épiphanise sous une autre forme, il le rejette et c’est


268
pourquoi les croyances dogmatiques se combattent les unes les autres . »

VI. Le deuxième hémistiche de ce vers fait référence aux versets 5 et

6 de la sourate 94 « L’Épanouissement » ou « L’Ouverture » : « À côté de la

difficulté est, certes, une facilité ! »


VII. La spiritualité de l’islam distingue l’Essence divine, inaccessible,


insondable, inqualifiable, et les « attributs » (wa f) ou Noms divins par

lesquels l’Essence se manifeste dans l’univers créé et à travers lesquels le

Divin peut être appréhendé. Ces Noms (la Tradition en compte quatre-vingt-

dix-neuf, désignés comme les « quatre-vingt-dix-neuf plus beaux Noms de

Dieu » mais ils ne peuvent qu’être infinis) sont en partie révélés au croyant

dans le Coran où Dieu en quelque sorte se qualifie Lui-même. Ils sont

l’expression des multiples facettes de l’irradiation divine dont les apparentes

contradictions ne peuvent se résoudre que dans le Nom d’Allāh, qui les

synthétise tous. L’« attribut sublime » pourrait être Al-Khāliq « le

Créateur ».

VIII. Suivant le ḥadīth : « Dieu se cache derrière soixante-dix voiles de

lumière et d’obscurité. S’ils étaient écartés, les transcendantes lumières de

Son visage incendieraient tout ce sur quoi porterait Son regard. »

IX. Il s’agit de la sourate 97 Al-Qadr (mot signifiant « destin,

prédestination, décret, puissance »), à laquelle fait directement allusion la

strophe suivante. C’est au cours de la nuit du Destin, pendant le mois de

Ramadan, que débuta la descente du Coran et donc que fut révélée au

Prophète la sourate 96 (chronologiquement la première, voir note III). Sa

date n’est pas réellement fixée et doit être recherchée, selon une tradition,

parmi les nuits impaires de la dernière décade du mois. Il est recommandé

au musulman de passer cette nuit en prières.

X. « Le Secours » et « La Victoire » correspondent à deux sourates,

respectivement 48 et 110, tout en étant deux termes du premier verset de la

sourate 110 : « Lorsque le secours de Dieu et Sa victoire viendront » (trad.

C. Chiadmi), « Quand va venir de Dieu le secours victorieux, l’ouverture »

(trad. Jacques Berque). Elle est considérée par l’exégèse comme la dernière

sourate révélée et, selon Jacques Berque, comporte une prémonition de la


269
mort prochaine du Prophète . Il est intéressant de noter dans ce poème les

références à la fois au début et à la fin de la Révélation.


XI. La racine verbale SHR Ḥ signifie « ouvrir, dilater, élargir » et de là

« expliquer, commenter », « comprendre, saisir ». Le mot shara ḥ renvoie au


verset 1 de la sourate 94 (voir également note VI) : « N’avons-nous pas

ouvert, pour toi [Mu ḥammad], ta poitrine ? » (trad. éd. Roi Fahd), « Pour toi
n’avons-nous pas épanoui ta poitrine ? » (trad. Jacques Berque). Selon

Jacques Berque, l’« ouverture » ou l’« épanouissement » doivent être

compris au sens figuré mais une tradition relate que la poitrine de

Mu ḥammad fut effectivement ouverte par un ange qui en retira le cœur pour
270
le purifier .

XII. Il est fait ici allusion à l’épisode de Moïse dans la montagne

demandant à contempler le visage de Dieu : « “Seigneur, montre-Toi que je

Te regarde !” Dieu répondit : “Tu ne Me verras pas mais regarde la

montagne.” » Dieu se manifesta à la montagne qui fut pulvérisée et Moïse

tomba foudroyé (Coran 7, 143). En effet, l’homme ne peut survivre à la

vision directe de Dieu ainsi que l’exprime le ḥadīth cité en note VIII. Et

l’expérience mystique de la rencontre avec le Divin implique

l’anéantissement, l’extinction du moi, la négation de la dualité pour que ne

subsiste que l’Un. C’est probablement ainsi qu’il faut comprendre la forme

conditionnelle du vers 21 car Dieu ne s’est-il pas adressé à Moïse dans le

feu du buisson ardent (20, 10-12) ? Le feu serait ici celui de l’irradiation

divine, les « serres de la captivité » signifieraient le ravissement de l’être à

lui-même, sans retour possible.

XIII. Jāriya signifie « fille, servante (esclave ou non) ». Nous pensons

qu’il s’agit ici de la figure de la qayna, « esclave-chanteuse », telle qu’elle a

été décrite notamment par Al-Jā ḥiz (776-887) dans sa Risālat al-qīyan

(Épître sur les esclaves-chanteuses) : chanteuse et musicienne excellente,

versée dans la poésie classique, tantôt concubine, tantôt entraîneuse,

maîtrisant l’art de la séduction. « Quand un admirateur la regarde, rapporte

Jā ḥiz, elle lui lance des œillades, l’enjôle par des sourires, lui fait des
271
avances dans les vers qu’elle chante. » Au sens strict, l’« almée » était

une danseuse, chanteuse et musicienne égyptienne cultivée (le mot est

d’ailleurs une altération de l’arabe ‘ālima, « savante »), destinée à instruire

et divertir les femmes du harem. Les hommes ne pouvaient les écouter qu’à

partir d’une pièce voisine ou de la cour. Cependant, dans la littérature et

l’imaginaire occidentaux, almées, esclaves-chanteuses, odalisques… se

confondent. La traduction par « almée », bien qu’impropre, évoque cette

atmosphère orientale qui se dégage d’une scène de séduction galante

esquissée ici en quelques vers elliptiques, tout comme dans la dernière

strophe du poème 42, « L’essence du guide ». Nous sommes projetés dans

une belle demeure andalouse où les hôtes sont invités à partager des

divertissements raffinés. Une belle esclave les ravit par son chant et ses

regards enjôleurs, elle est là pour charmer mais aussi entraîner, or elle n’a

d’yeux que pour un seul homme, dont elle désire capturer le cœur… Là

encore, l’interprétation mystique nous est suggérée par le dernier vers : la

belle séductrice est épiphanie de Dieu qui attire le poète dans Ses filets car

la quête, l’amour de l’homme pour le Bien-Aimé divin répond à l’appel de

Dieu mais peut naître dans la forme sensible d’un être de chair.

XIV. Jarra l-dhayl, au sens propre « laisser traîner la queue de sa robe »,

est une expression imagée pour dire « marcher avec fierté », « être à son

aise, se livrer sans réserve à quelque chose ». Notons que la métrique exige

de lire ujarriru au lieu de ajurru, donné dans le texte de l’édition de

Beyrouth. La forme intensive II ajoute à la forme de base I l’idée de force.


45

L’interprète des désirs

I
1 L’interprète des désirs m’éclaira sur le

II
Généreux, le Tout-Créateur .

Vers le Dieu véridique

Mon ardeur s’élança,

Sur les coursiers de la sincérité.

5 Ce fut sans mérite qu’elle obtint ce qu’elle

confia aux feuillets.

Par de nobles intelligences,

Dans des cœurs en prière,

Se détournant de leurs passions,

Indigente, elle obtint cela par la seule

miséricorde.

10 C’est une grâce émanant de Lui,

Ainsi nous nous en inspirâmes.

Et si cela est pénible,

Alors pour les subsistances, appuie-toi sur le

Dieu généreux, le Tout-Créateur.

Ô Dieu des créatures

15 Si Tu es juste, préserve-moi,

Car je suis périssable !


Et comble-nous abondamment à la mesure de

nos besoins.

III
Sa sagesse est le Temps .

IV
Elle apparut à partir d’un mont

20 Quand disparut la lumière.

N’eût été la puissance de la miséricorde, aucune

sagesse ne se serait manifestée pour rayonner.

Turjumānu l-ashwāq (Dīwān, p. 415-416).

I. Pour turjumānu l-ashwāq, « l’interprète des désirs », la mention au

vers 6 des « feuillets » auxquels furent confiées des choses obtenues « sans

mérite » suggère qu’Ibn ‘Arabī fait ici allusion à son propre recueil éponyme

d’une soixantaine de poèmes d’amour courtois sous forme de qa īda d’un ṣ


lyrisme exceptionnel. Ils lui furent inspirés par la jeune Ni ām (Harmonie), ẓ
fille d’un imām rencontrée à La Mecque et dont la beauté, la sagesse et

l’élévation spirituelle le subjuguèrent. Il précise dans la préface : « En

composant ces vers, je n’ai cessé de me référer aux inspirations divines et

aux révélations spirituelles… » Ces précisions n’ayant pas suffi à convaincre

les docteurs de la Loi, pour faire taire leurs accusations, il rédigea un

commentaire d’une très haute portée mystique. Ce texte souvent hermétique


272
constitue une œuvre en soi .

II. Al-Khallāq, « le Tout-Créateur », à la différence de Al-Karīm, « le

Généreux, le Magnanime », ne figure pas dans la liste des « quatre-vingt-

dix-neuf plus beaux Noms de Dieu » telle qu’elle a été transmise par la

Tradition à partir du Coran et de la Sunna, où l’on trouve en revanche Al-

Khāliq, « le Créateur ». Le nom Al-Khallāq a cependant deux occurrences

dans le Coran (15, 86 ; 36, 81). Il correspond à un schème d’intensité, d’où


273
la traduction par « Créateur par excellence ». Nous osons « le Tout-

Créateur » par analogie avec « le Tout-Miséricordieux ».


III. Al-dayhūr, « le Temps », est un mot très rare qui apparaît dans une

prière attribuée au Prophète, en rapport avec Allāh. Il est dérivé de dahr, qui

désigne tout à la fois le temps, le siècle, les vicissitudes de la fortune. Le

schème fay‘ūl exprime une familiarité. Ce « Temps » renvoie-t-il à l’éternité

ou au temps cosmique créé avec l’univers manifesté ? C’est celui de la

destinée humaine, dont la sagesse nous demeure voilée.

IV. Ṭūr, « mont », désigne aussi plus précisément le mont Sinaï où Dieu
apparut à Moïse sous la forme du buisson ardent, lieu symbolique de

l’épiphanie divine dans la spiritualité de l’Islam. Une note dans l’édition de

Beyrouth indique qu’il s’agit ici de l’âme.


Glossaire

‘ālam al-mithāl : monde imaginal (introduction).

‘alaq : amour, attachement (14).

‘amā : cécité (32 note V).

‘amā’ : nuage, nuée, nuée primordiale (32 note V, 34 note VII).

‘aql : esprit, pensée, raison, intelligence, intellect (14, 15 note VII, 17,

24, 32, 40).

arkān : principes élémentaires (34).

‘arsh : trône (3, 29 note VIII, 32, 39, 43).

athar (pl. āthār) : trace (23 note VII, 24 note II).

āya (pl. āyāt) : signe, verset (24 note III, 42).

‘ayn : regard, essence, source, disque (4, 9, 10, 19, 21, 23, 24, 25, 27, 28

note III, 29, 30, 34 note III, 35, 36, 38, 41, 42, 44) ; qurratu al-‘ayn :

fraîcheur de l’œil (15 note I, 18) ; ‘ayn thābita : entité immuable (9 note IV).

badr : pleine lune, astre éclatant (4, 7 note III, 14, 18 note VIII, 37).

barzakh : lieu de confluence, isthme (20 note VIII, 27 note VII).


bā in : occulte, caché (4 note IV, 35 note V, opposé à ẓāhir).
bayn : union, fusion, différence, séparation, éloignement (15 note V, 38).

bu’d : éloignement (38).

dahr : temps (24 note VI, 34, 45 note III).

dayāj (pl. dayājin) : voile de la nuit (4).

dhāt : essence (10, 12, 15, 17, 23 note II, 28 note III, 29, 30).
dhawq : goût, gustation (4).

dhikr (pl. adhkār) : rappel, invocation (4, 7, 17).

dunuww : proximité (1, 37).

dunyā : richesses du monde, ce monde (3, 17, 29).

falak (pl. aflāk) : univers, sphère, ciel (3, 14, 20 note IX, 23, 31).

fanā : anéantissement (1, 38, 41).

fard (pl. afrād) : solitaire (32 note I, 36 note IV).

fat ḥ : illumination (1 note liminaire).


fikr (pl. afkar) : pensée, spéculation, réflexion (7, 14, 17, 19, 24, 29, 43).

fu’ād : entrailles, cœur (1 note I, 7, 11, 39).

ġafla (pl. taġāfal) : insouciance, distraction (24, 30).

ġayb (pl. ġuyūb) : mystère, couchant (3, 11, 39, 40, 41).

ġufrān : pardon (16) ; ġafara : couvrir, cacher, pardonner (26 note VII).

ḥāl : état, état spirituel (5, 7, 9, 10 note II, 20, 33, 38).

Al- Ḥaqq : le Vrai, Dieu (12 note VI et 10, 24, 27,32,34, 37, 40, 41, 44

note II, 45).

ḥaraq : brûlement (14 note VIII).

hawā : amour, passion (15, 21, 25, 38).

hawwā’ : abîme (14 note II).

ḥayra : perplexité (25, 28).


ḥijāb : voile (38) ; ahl al-ḥijāb : les gens du voile (36 note IV).

ḥikma : sagesse (3).


hilāl : croissant de lune, croissant, lune (4, 5, 10, 34).

himma : aspiration (31, 32).

ḥubb : amour (1, 19).

‘illa (pl. ‘ilal) : cause, raison (42) ; ‘illatu l-‘ilal : Cause suprême (34).

‘ilm (pl. ‘ulūm) : science, connaissance (1, 2,15, 24, 28, 30, 31, 39, 42).
imām : guide, imam (29 note IV, 30, 37, 40, 5 note I).

insān kāmil : Homme parfait (20 note VIII, 34 note II, 35 note V).

ism (pl. asmā) : Nom, Noms divins (3 note II, 27, 29, 39) ; asmā’u l-

ḥusnā : les plus beaux Noms (7 note VIII).

isrā’ : voyage nocturne (1 note liminaire, 24 note VII).

jannatu l-ma’wā : Jardin du refuge (19 note VII).

jihād : combat, effort (29 note V).

jūd : ondée généreuse, générosité (10 note VI, 12).

kashf : dévoilement ; ahl al-kashf : gens du dévoilement (8, 19 note XI,

36 note IV).

kathīb : dune blanche (19 note X).

kawn (pl. akwān) : être (7, 15, 38) ; ‘ālamu l-akwān : monde des

créatures (7).

khalīfa : calife, lieutenant, vicaire (20/note VIII, 35/note V)

khayāl : apparition ; ‘ālam al-khayāl : monde imaginal (19/note III)

khirqa : manteau initiatique (21/note I, 22/note I)

kursī : piédestal (32/note III)

ṭ ṭ
lu f, la īfa : grâce subtile, réalité subtile (19/note V, 40/note IX).

majlā : manifestation (23, 30, 10).

malak maître, souverain (39, 40).

ma’nā (pl. ma‘ānī) : révélation, sens caché, signification, secret (4, 7, 17,

22, 40).

manzil (pl. manāzil) : lieu de manifestation (24/note II).

maqām : station spirituelle, rang, séjour (10/note II, 35, 40).

markab : vaisseau, monture (1, 7, 32).

mashhad : lieu de manifestation (18/note IX).

mi ḥrāb (pl. maḥārīb) : sanctuaire (35/note IV).


mi‘rāj : ascension céleste (18/note VII, 24/note VII et XI).

mulk, milk : pouvoir, royauté, richesse, droit (33/note I, 34/note II, 39,

40).

nafas (pl. anfās) : souffle, passion (3, 8/note V, 15).

nafs (pl. nufūs) : âme, âme charnelle (10, 13, 14, 20, 31,39/note I).

nash’ : création : 30/note I ; inshā’ (invention : 3).


na ar : regard, vision, réflexion, gnose (14, 19, 21, 23, 24, 44) ; dhū


na ar : clairvoyant

nibrās : lampe (42/note I).

qadar : destin (6, 9, 20, 24, 44/note IX).

qamar : lune, pleine lune (15, 21, 24).

qibla : but, direction, orientation (25/note II, 28/note I).

qurb : proximité (7, 26, 38).


qu b : pôle (5/note I, 34/note I).

rashīd : droit (12/note IV).

rasm : vestige, forme (23, 28).

ru’ya : vision (20/note V).

ru’yā rêve (20/note V).

rū ḥ (pl. arwāḥ) : esprit, âme (8/note I, 13, 14, 17, 21, 29 note II, 41, 44).

rū ḥ (pl. riyāḥ) : souffle (1).

sabīl : voie, chemin (17, 36, 39, 42).

shams : soleil (10/note liminaire, 11/note II, 21, 24, 26, 40, 41, 43).

sharī‘a, shar‘ : Loi, loi divine (8 note IV, 17 note V, 23).

shawq (pl. ashwāq) : désir, nostalgie (1, 43, 45).

sirāj : lampe (4/note IV, 40/note VII).

sirr (pl. asrār) : mystère, secret, aspiration (1/note I, 5, 10, 14, 20, 26,

38, 39, 40, 41).


sukr : ivresse (74, 44).

sūra : sourate, signe (37/note II, 44).

ṣifa, waṣf : attribut (23/note II, 44/note VII).

ṣūra (pl. ṣuwar) : forme, image (7/note I, 15, 19, 20, 21, 23, 24, 25, 26,

37).

tajallī : manifestation, théophanie (4, 21, 23).

tanzīh : transcendance (24 note IV).

tarīqa : voie (introduction).

tashbīh : immanence (24 note IV).

ṭawāf : tournée rituelle, circumambulation (21 note I).

ṭūr : mont, mont Sinaï, âme (39 note V, 45 note IV).

unthā : femme (13, 23).

wahm : illusion (20).

wajd : extase, amour éperdu, ardent désir (19, 37, 38).

walī (pl. awliyā’) : saint (introduction, 1 note liminaire, 34 note I).

wisāl : union (7, 39).

wujūd : être, existence, existenciation (1, 5, 7, 9, 10 note IV, 8, 11,12, 13,

15, 19, 26, 28, 30, 37, 39) ; wujūdu l- ḥaqq : être véritable (5, 9) ; waḥdat al-
wujūd : Unicité de l’être (24 note XIII).

ẓāhir : apparent (4 note IV, 35 note V, ṭ


opposé à bā in).

zayn, zīna : parure (31, 40).


Itinéraires thématiques

Les poèmes d’Ibn ‘Arabī résistent au classement thématique car chacun

d’eux peut effleurer plus ou moins allusivement plusieurs thèmes – tout

comme, dans Les Illuminations de La Mecque, les idées fondamentales de

sa doctrine et de son enseignement sont en quelque sorte disséminées au

sein des divers chapitres, dans un désordre apparent et échappant parfois à la

logique. Ces repères demeurent donc très généraux et ne sauraient être

exhaustifs : ils proposent quelques itinéraires, mettant en relief des points

clés de la pensée akbarienne. Quant aux poèmes strophiques, qui expriment

l’indicible, l’expérience mystique de la présence divine, ils échappent à tout

classement. Ils se livrent ainsi à la curiosité, la méditation, la délectation du

lecteur au gré de ses déambulations.

Cosmogonie

Contemple le Trône (3) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – Lorsque le

soleil des âmes (10) – Éminente est la gloire de Dieu (12) – Je m’étonnai

d’une femme (13) – Dieu illumine des cieux (14) – Je vis dans mon

sommeil… (20) – Contemple le Vrai (27) – Considère ton existence (30) –

Je me détournerai (32) – Je grandis par le pouvoir (33) – Excellents au

regard de Dieu (34).


La création : l’amour divin

Ô lune des mystères (2) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – Lorsque le

soleil des âmes (10) – Éminente est la gloire de Dieu (12) – La fraîcheur de

l’œil (15) – Contemple le Vrai (27).

La Lumière mu ḥammadienne

Ô croissant de lune (4) – Grâce soit rendue à Dieu (8) – Je me repens de

Lui (18) – Trois noms (29) – Je me détournerai (32).

L’Unicité divine : l’homme miroir de Dieu, le

couple Créateur-créature

Évoque pour l’heureuse étoile (5) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) –

Ô hommes, craignez Dieu (9) – Lorsque le soleil des âmes (10) – Éminente

est la gloire de Dieu (12) – La fraîcheur de l’œil (15) – En Saba (17) –

Lorsque je contemplai les formes (24) – Mes amis, ne vous empressez pas

(25) – Contemple le Vrai (27) – Je me détournai d’elle (28) – Trois noms

(29) – Je grandis par le pouvoir (33) – Excellents au regard de Dieu (34).

L’Unicité divine : lumière et ténèbres, bien et mal

Ô hommes, craignez Dieu (9) – Dieu illumine des cieux (14) – Je me

repens de Lui (18) – Couvrez-moi ! (31).


Immanence et transcendance

Évoque pour l’heureuse étoile (5) – Éminente est la gloire de Dieu

(12) – La fraîcheur de l’œil (15) – Je revêtis en rêve une jeune fille (21) –

Lorsque je contemplai les formes (24) – Contemple le Vrai (27) – Je me

détournerai (32).

Théophanie

Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – La fraîcheur de l’œil (15) – Je vis

dans mon sommeil… (19) – Je vis dans mon sommeil… (20) – Je revêtis en

rêve une jeune fille (21) – Lorsqu’elle le revêtit (22) – Si Tu te manifestais à

moi (23) – Lorsque je contemplai les formes (24) – Contemple le Vrai (27)

– Je me détournai d’elle (28) – Trois noms (29) – Celui qui L’invoque (35).

Les Noms divins

Contemple le trône (3) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – Ô hommes,

craignez Dieu (9) – Éminente est la gloire de Dieu (12) – Dieu illumine des

cieux (14) – Je me repens de Lui (18) – Je vis dans mon sommeil… (19) –

Je vis dans mon sommeil… (20) – Lorsqu’elle le revêtit (22) – Si Tu te

manifestais à moi (23) – Contemple le Vrai (27) – Trois noms (29).

Le Destin

Contemple le Trône (3) – En vérité, la révolte (6) – Ô hommes, craignez

Dieu (9) – Dieu illumine des cieux (14) – Couvrez-moi ! (31) – Je grandis

par le pouvoir (33).


La condition humaine

Ô lune des mystères (2) – En vérité, la révolte (6) – Grâce soit rendue à

Dieu (8) – Ô hommes, craignez Dieu (9) – Je me repens de Lui (18) –

Couvrez-moi ! (31) – Je me détournerai (32) – Je grandis par le pouvoir

(33) – Celui qui L’invoque (35).

Le voile du corps/de l’esprit

Ô croissant de lune (4) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – L’étoile

brûlante (11) – Je me repens de Lui (18) – Lorsque les choses se

constituèrent (26) – Contemple le Vrai (27) – Je me détournai d’elle (28) –

Trois noms (29) – Ne t’en remets à aucun autre que Dieu (36).

La miséricorde divine

En vérité, la révolte (6) – Il étend le pardon (16) – Je me repens de Lui

(18) – Lorsqu’elle le revêtit (22) – Lorsque les choses se constituèrent (26) –

Celui qui L’invoque (35).

Mystique/philosophie, cœur/raison humaine

Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – Grâce soit rendue à Dieu (8) – Dieu

illumine des cieux (14) – La fraîcheur de l’œil (15) – En Saba (17) – Je vis

dans mon sommeil… (19) – Si Tu te manifestais à moi (23) – Lorsque je

contemplai les formes (24) – Contemple le Vrai (27).


L’investiture

Je revêtis en rêve une jeune fille (21) – Lorsqu’elle le revêtit (22).

La femme, l’amour

Je me figurai mon Bien-Aimé (7) – Je m’étonnai d’une femme (13) – Je

vis dans mon sommeil… (19) – Je vis dans mon sommeil… (20) – Je

revêtis en rêve une jeune fille (21) – Lorsqu’elle le revêtit (22) – Si Tu te

manifestais à moi (23) – Je me détournai d’elle (28).

La voie mystique

Ô lune des mystères (2) – Ô croissant de lune (4) – La fraîcheur de l’œil

(15) – Si Tu te manifestais à moi (23) – Contemple le Vrai (27) – Considère

ton existence (30) – Je me détournerai (32) – Je grandis par le pouvoir

(33) – Celui qui L’invoque (35).

Le dévoilement

Lorsque le soleil des âmes (10) – L’étoile brûlante (11) – En Saba (17) –

Je vis dans mon sommeil… (19) – Je vis dans mon sommeil… (20) –

Lorsqu’elle le revêtit (22) – Trois noms (29).

Le voyage nocturne, l’ascension spirituelle

Lorsque dans mes entrailles (1) – Ô lune des mystères (2) – Je me

repens de Lui (18) – Lorsque je contemplai les formes (24) – Je me


détournerai (32).

La guidance, la hiérarchie spirituelle

Évoque pour l’heureuse étoile (5) – Lorsque je contemplai les formes

(24) – Lorsque les choses se constituèrent (26) – Trois noms (29) –

Considère ton existence (30) – Je me détournerai (32) – Excellents au regard

de Dieu (34) – Celui qui L’invoque (35) – Ne t’en remets à aucun autre que

Dieu (36).

L’Homme parfait

Évoque pour l’heureuse étoile (5) – Je me figurai mon Bien-Aimé (7) –

Je me repens de Lui (18) – Je vis dans mon sommeil… (20) – Contemple le

Vrai (27) – Considère ton existence (30) – Je me détournerai (32) –

Excellents au regard de Dieu (34) – Celui qui L’invoque (35).

Islam, Coran

Grâce soit rendue à Dieu (8) – Dieu illumine des cieux (14) – En Saba

(17) – Je me repens de Lui (18) – Je revêtis en rêve une jeune fille (21) –

Trois noms (29) – Je grandis par le pouvoir (33).

Courants religieux, tolérance

Ô lune des mystères (2) – En Saba (17) – Mes amis, ne vous empressez

pas (25) – Contemple le Vrai (27) – Excellents au regard de Dieu (34) –

Celui qui L’invoque (35) – Ne t’en remets à aucun autre que Dieu (36).
Science des lettres, Parole Divine/parole

humaine, l’univers : le discours divin

Ô lune des mystères (2) – Lorsque les choses se constituèrent (26) –

Contemple le Vrai (27) – Trois noms (29) – Considère ton existence (30) –

Je grandis par le pouvoir (33).


Notes

1. Signalons deux recueils de traductions d’extraits : Abd el-Kader, Écrits spirituels,

présentés et traduits par Michel Chodkiewicz, Seuil, 1982 ; Le Livre des haltes,

traduit par Abdallah Penot, Dervy, 2008. Cf. également les travaux de Bruno

Étienne, Abd el-Kader, Hachette, 1989, et Abd el-Kader le Magnanime,

Gallimard, 2003 ; ainsi que l’ouvrage d’Ahmed Bouyerdene, Abd el-Kader.

L’harmonie des contraires, Seuil, 2008, qui éclaire particulièrement la dimension

spirituelle du « saint combattant ».

2. Ibn ‘Arabī, Le Chant de l’ardent désir, choix de poèmes traduits et présentés par

Sami-Ali, Actes Sud, 1989 ; L’Interprète des désirs, traduit et présenté par

Maurice Gloton, Albin Michel, 2012, cette édition comprenant également la

traduction des commentaires d’Ibn ‘Arabī.

3. Des travaux en langue arabe nous ont également inspirés : citons particulièrement

la thèse de Souad Ḥakim, ṣ


Al-Mu‘jam al- ūfī, Beyrouth, 1981, et l’encyclopédie

des termes techniques du soufisme de Rafīq al-Ajam, Mawsū‘a al-mu ṣṭalaḥāt al-


ta awwuf al-islāmī, Beyrouth, 1999.

4. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, Oxford University Press, 2012.

5. Ibn ‘Arabī, Al-Futū ḥāt al-Makkiyya, cité par Henry Corbin, L’Imagination

créatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabī, Flammarion, 1958, rééd. Entrelacs, 2006,

p. 26 note 7, et Claude Addas, Ibn ‘Arabī ou la Quête du soufre rouge, Gallimard,

1989, p. 147 note 8.

6. Sur ce « monde imaginal » ou « inter-monde de l’imagination », cf. Henry Corbin,

L’Imagination créatrice, op. cit.

7. Les indications biographiques qui suivent sont principalement puisées dans le

remarquable ouvrage de Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit. Cf. également l’article

e
« Ibn al-‘Arabī », in Encyclopédie de l’Islam, Brill/Maisonneuve, 2 éd., 1990.

8. Rappelons que Jésus (‘Īsā), en islam, n’est pas fils de Dieu mais une figure

prophétique de haute importance spirituelle car miraculeusement engendré,

« Parole [de Dieu] projetée en Marie, et un Esprit venu de Lui » (Coran 4, 171), un

« signe pour les hommes et une miséricorde émanent de Nous » (19, 21). De
nombreux versets lui sont consacrés, essentiellement dans les sourates 3, 4, 5 et

19. Pour la place particulière de Jésus dans le soufisme, cf. Faouzi Skali, Jésus

dans la tradition soufie, Albin Michel, 2004.

9. Ces étonnantes expériences sont rapportées par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit.,

p. 182 et 334.

10. Cf. Coran 18, 59-82. Au sujet du rapport entre Ibn ‘Arabī et Al-Kha ḍir, cf. plus

particulièrement Henry Corbin, « Le disciple de Khezr », in L’Imagination

créatrice, op. cit., p. 74-88.

11. Cf. au sujet de cette vision l’analyse et l’interprétation d’Henry Corbin, « La

forme de Dieu », ibid., p. 283-293 et notes. Une interprétation quelque peu

différente nous est fournie par Michel Chodkiewicz, « Le paradoxe de la Ka‘ba »,

Revue de l’histoire des religions, 4, 2005, p. 435-461.

12. Cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 194.

13. Ce texte apparaît dans l’introduction au Dīwān al-ma‘ārif. Cf. Claude Addas, « Le

vaisseau de pierre », Journal of the Mu ḥyiddīn Ibn ‘Arabī Society, vol. 19, 1996 ;

Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 47-49.

14. Claude Addas, « Le vaisseau de pierre », art. cit. ; Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s

Mystical Poetics, op. cit., p. 43-47.

15. Cité et commenté par Claude Addas, « Le vaisseau de pierre », art. cit.

16. Cf. l’article de Roger Deladrière, « The Dīwān of Ibn ‘Arabī », Journal of the

Mu ḥyiddīn Ibn ‘Arabī Society, vol. 15, 1994.


17. Cité ibid.

18. Husayn Mansūr Ḥallāj, Dīwān, traduit et présenté par Louis Massignon, Seuil,

1981, p. 49 ; Poèmes mystiques, traduits et présentés par Sami-Ali, Actes Sud,

2006, p. 103.

19. Cf. la traduction en anglais des deux poèmes et le commentaire de Denis E.

McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 97-100, qui signale également

la traduction française du poème d’Ibn ‘Arabī par Peter Bachmann, « Littérature et

e
réalité dans quelques poèmes mystiques du XIII siècle », Asiatische Studien-

Études asiatiques, 50/2, 1996, p. 266.

20. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit, p. 186-187.

21. Abd el-Kader, « Halte 112 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 50.

22. Ibn ‘Arabī, Le Chant de l’ardent désir, op. cit., p. 39.

23. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, Maisonneuve et Cie, 1860, t. 1,

p. 1376.

24. Cité dans M. A. Amir-Moezzi (dir.), article « Trône », in Dictionnaire du Coran,

Robert Laffont, 2007, p. 879.


25. Abd el-Kader, « Halte 325 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 101-102.

26. Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie islamique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, anthologie présentée et traduite par Abdallah Penot,

Entrelacs, 2009, p. 55-56.

27. Ibid., p. 75.

28. Abd el-Kader, « Halte 172 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 80.

29. Cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), article « David », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 203.

30. Abd el-Kader, « Halte 285 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 122.

31. Entretien avec Frédéric Lenoir, « Les Racines du ciel », France Culture, 8 mars

2015.

32. Cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.) article « Chiisme », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 159-160.

33. Abd el-Kader, « Halte 132 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 94.

34. Cité par Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage. Ibn ‘Arabī, le Livre et la Loi,

Seuil, 1992, p. 58.

35. Cité et commenté par Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 283

et 285.

36. Cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 134.

37. Cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Noms divins », in Dictionnaire

du Coran, op. cit., p. 603-605 ; Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie

islamique », Ibn ‘Arabī, in Les Révélations de La Mecque, op. cit., p. 59-60 ;

Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 134 et s.

38. Cf. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 37.

39. Cf. Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 271-272.

40. Cf. aussi la traduction d’André Miquel : « Ce très vieux vin, ô bien-aimé, bu à ton

signe, nous fit ivres avant la naissance des vignes ! » (Du désert d’Arabie aux

jardins d’Espagne, Sindbad/Actes Sud, 1992).

41. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 1310.

42. Ibid., t. 1, p. 400.

43. Jacques Berque, Le Coran. Essai de traduction, Albin Michel, 2002, p. 707.

44. Abd el-Kader, « Halte 132 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 95.

45. Ibid., « Halte 236 », p. 141.

46. Abd el-Kader, « Halte 145 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 170.

47. Cf. Abd el-Kader, « Halte 172 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 80.

48. Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 134.


49. Ibid., p. 145.

50. Abd el-Kader, « Halte 103 », in Écrits, op. cit.¸ p. 117.

51. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit, p. 83-87.

52. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 1074.

53. Ibid., t. 2, p. 198.

54. Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 51-52.

55. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 1461.

56. Denis Gril, article « Étoile », in Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), Dictionnaire

du Coran, op. cit., p. 282.

57. Abd el-Kader, « Halte 172 », in Écrits spirituels, op.cit., p. 80.

58. Cité par Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op.cit., p. 259.

59. Ibid., p. 142.

60. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 48.

61. Ibid., p. 844.

62. Cité par Abd el-Kader, « Halte 193 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 115.

63. Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie islamique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 29-30.

64. Abd el-Kader, « Halte 249 », in Le Livre des haltes, op.cit., p. 165.

65. Cf. Article « Isrā’īliyyāt », in Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 430-432.

66. Ṣaḥīḥ Bukhārī, 3331.


67. Cf. Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints. Prophétie et sainteté dans la

doctrine d’Ibn Arabī, Gallimard, 2002, p. 107.

68. Cf. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op.cit., p. 113.

69. Ibid., p. 58-59.

70. Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie islamique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 50-51.

71. Ibn ‘Arabī, Fu ū ṣ ṣ al-Ḥikam, cité ibid., p. 74.


72. Whoismohammad.com/index.php?lang_id=3&doc_id= 11&quest_id=5.

73. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 71 note 55.

74. Cf. Souad Ḥakim, « Ibn ‘Arabī’s Twofold Perception of Women, Women as

Human Being and Women as Cosmic Principle », Journal of the Mu ḥyīddin Ibn

‘Arabī Society, vol. 31, 2002 ; Reza Shah-Kazemi, « Jesus in the Quran. An

Akbari Perspective », Ibnarabisociety.org.

75. Abd el-Kader, in Le Livre des haltes, op.cit., p. 166.


76. Cf. aussi Coran 16, 16. Denis Gril, article « Étoile », in Dictionnaire du Coran,

op.cit., p. 282.

77. Cf. Rafīq al-Ajam, Mawsū‘a al-mu ṣṭalaḥāt al-taṣawwuf al-islāmī, op.cit., p. 1012.
78. Cf. Souad Ḥakim, Al-Mu‘jam al-ṣūfī, op. cit., p. 1121.
79. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 56.

80. « Halte 225 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 109-110.

81. « Halte 275 » et « Halte 133 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 144 et 148.

82. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 133.

83. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 412. Cf. Rafīq al-

Ajam, Mawsū‘a al-mu ṣṭalaḥāt al-taṣawwuf al-islāmī, op. cit., p. 281.


84. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 698.

85. Cf. Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 133.

86. « Halte 309 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 184.

87. Cité par Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 61.

88. Cf. Sami-Ali, « Langue arabe et langage mystique. Les mots aux sens opposés et le

concept d’inconscient », Nouvelle revue de psychanalyse, XXII, 1980, p. 191.

89. Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 151.

90. Cité par Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 66-67.

91. Cf. M. Chiadmi, Le Noble Coran, Tawhid, 2004, p. 428 note 1 et p. 430 notes 5-7.

92. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 1039.

93. Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Moïse », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 563.

94. Cité par Michel Chodkiewicz, in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La Mecque,

Albin Michel, 1997, p. 125.

95. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 1389.

96. Abd el-Kader, « Halte 175 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 228-249.

97. Abd el-Kader, « Halte 131 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 76.

98. Cité par Claude Addas, La Maison mu ḥammadienne. Aperçus de la dévotion au

Prophète en mystique musulmane, Gallimard, 2015, p. 56.

99. Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Ascension céleste », in

Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 97.

100. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 121 note 17.

101. Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 180.

102. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 509.


103. Ibn ‘Arabī, Le Chant de l’ardent désir, op. cit., p. 57.

104. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 123.

105. Cf. Rafīq al-Ajam, Mawsū‘a al-mu ṣṭalaḥāt al-taṣawwuf al-islāmī, op. cit., p. 808.
106. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 122 note 24.

107. Ibn ‘Arabī, L’Interprète des désirs, op. cit., p. 349.

108. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 123 note 31.

109. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 333.

110. Maurice Gloton, in Ibn ‘Arabī, L’Interprète des désirs, op. cit., p. 90.

111. Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 420.

112. Manuscrit MS Veliyuddin 1681 f. 80 (Turquie), publié par Denis E. McAuley, Ibn

‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 228.

113. Ibn ‘Arabī, Traité de l’amour, traduction et notes de Maurice Gloton, Albin

Michel, 1986, p. 28.

114. George Grigore, « Le concept d’amour chez Ibn ‘Arabī », Romano-Arabica II,

2002.

115. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op.cit., t. 2, p. 562.

116. Ibid., p. 15.

117. Cf. Pierre Lory, Le Rêve et ses interprétations en Islam, Albin Michel, 2003, 2015.

118. Cf. Claude Addas, article « Homme », in Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.),

Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 399-400.

119. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 633.

120. Abdallah Penot, in Ibn ‘Arabī, Les Révélations de La Mecque, op. cit., p. 201.

121. La métrique impose de lire, au vers 7, ‫ فعاودْت‬et ْ‫وأدبرت‬ au lieu de ‫ فعاودُت‬et ‫أدبرُت‬
donnés dans l’édition de Beyrouth. Par ailleurs, le contexte nous pousse à

remplacer, au vers 6, ‫ يحيى‬par ‫تحيى‬.


122. Éric Geoffroy, Le Soufisme, voie intérieure de l’islam, Seuil, 2009, p. 235.

123. Cité par Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 85.

124. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 179 et note 5.

125. Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Ka’ba », et article « Pèlerinage à

La Mecque », in Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 465 et s. et 667-668.

126. Michel Chodkiewicz, « Le paradoxe de la Ka’ba », art. cit., p. 435-461.

127. Cité par Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 335 note 131.

128. Ibid., p. 174.


129. Cf. Souad Hakim, « Ibn ‘Arabī’s Twofold Perception of Women, Women as

Human Being and Women as Cosmic Principle », art. cit. ; Annemarie Schimmel,

L’Islam au féminin. La femme dans la spiritualité musulmane, Albin Michel,

2000, p. 123 et s.

130. Cf. Ibn ‘Arabī, Les Révélations de La Mecque, op. cit., p. 272 note 33.

131. Cf. Mu ḥammad Jāhīn Badawī, « Ḥisān ḥ


mul imāt fī ḥayāt Ibn ‘Arabī »,

Doroob.com (site fermé depuis) ; Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 113 et 179.

132. Cité par Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit., p. 9.

133. Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 404 et 402.

134. Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.) article « Création », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 194.

135. Ibid., article « Pacte pré-éternel », p. 627-630.

136. Cf. Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 55 et note.

137. Sainte Thérèse de Lisieux, Manuscrit C, 1897.

138. Nous remercions Julien Roy pour ce rapprochement pertinent qui démontre que la

mystique est un sommet où les divers chemins se rejoignent…

139. Abdallah Penot, Le Livre des haltes, in Abd el-Kader, op. cit., p. 396.

140. La métrique impose de corriger l’édition de Beyrouth et de lire aux vers 3 et 4

respectivement ‫في كِّل آيِة تنزيٍه‬ au lieu de ‫ في كِّل آيٍة تنزيٌه‬et ‫وكِّل آيِة تشبيه‬ au lieu de

‫وكُّل آيٍة تشبيٌه‬.


141. Cité par Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 150.

142. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 131.

143. Abd el-Kader, « Halte 193 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 114.

144. Michel Chodkiewicz, ibid, note 117.

145. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 133.

146. Cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 186 et s.

147. Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit., p. 157-158.

148. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 187.

149. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī Mystical Poetics, op. cit., p. 133.

150. Cité par Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit., p. 155.

151. Abd el-Kader, « Halte 64 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 89.

152. Ibid., « Halte 132 », p. 95 et s.

153. ṣ
Husayn Manoūr Hallāj, qa īda 1 Dīwān, op. cit., p. 41.

154. Al- Ḥallāj, muq aṭṭa‘a 51, cité par Éric Geoffroy, « Le sens du pélerinage »,

oumma.com, 2015.
155. Abd el-Kader, « Halte 254 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 129-130.

156. La métrique impose de remplacer le soukoun que présente l’édition de Beyrouth

en fin de certains vers par la kasra et de lire au vers 7 ‫إاّل لمعترف‬ au lieu de ‫إاّل‬
‫المعترف‬.
157. Gabriele Mandel Khân, L’Écriture arabe, Flammarion, 2011, p. 27.

158. Pierre Lory, La Science des lettres en Islam, Dervy, 2004, p. 124-125.

159. Denis Gril, « La science des lettres », in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La

Mecque, op. cit., p. 169.

160. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 647.

161. Cité par Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 63-64.

162. Ibid., p. 66-67. Voir aussi le poème 16, « Il étend le pardon », note ii.

163. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 174.

164. Cf. Claude Addas, La Maison mu ḥammadienne, op. cit., p. 150-153.


165. Michel Chodkiewicz, in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La Mecque, op. cit.,

p. 118-119.

166. Pour une analyse comparative de la tradition des mu‘ashsharāt, cf. Denis

E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 160-169.

167. Ibid., p. 175.

168. Cf. Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., introduction.

169. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 174.

170. Ḥusayn Manṣūr Ḥallāj, Muqaṭṭa‘a 32 Dīwān, op. cit., p. 89.


171. Cité par Denis Gril, « La théophanie des Noms divins, d’Ibn ‘Arabī à Abd el-

Kader », in Abd el-Kader, un spirituel dans la modernité, Presses de l’IFPO, 2012,

p. 153-172.

172. Al-Ḥallāj, qaṣīda 10, cité par Éric Geoffroy, Le Soufisme, op. cit., p. 114.
173. Ḥusayn Manṣūr Ḥallāj, Dīwān, op. cit., p. 41.
174. Abū Nūwas, Le Vin, le Vent, la Vie, Actes Sud, 1998, p. 81.

175. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 175 note 66.

176. Cf. Pierre Lory, La Science des lettres en Islam, op. cit. ; Denis Gril, « La science

des lettres », in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La Mecque, op. cit.

177. Najm-oud-Dine Bammate, « La symbolique des lettres arabes »,

Soufisme.org/site/spip.php ?article107.

178. Cité et commenté par Claude Addas, Expérience et doctrine de l’amour chez Ibn

‘Arabī, The Mu ḥyīddīn Ibn ‘Arabi Society, repris dans Geneviève Gobillot (éd.),
Mystique musulmane, parcours en compagnie d’un chercheur, Roger Deladrière,

Cariscript, 2002.

179. Cité Ibid.

180. Abd el-Kader, « Halte 64 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 89.

181. Cf. Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 397 et 403-

404.

182. Cf. Denis Gril, « La science des lettres », in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La

Mecque, op. cit., p. 223-224.

183. Cf. en particulier Études traditionnelles, nº 382, 1964.

184. Cf. Denis E. McAuley Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 183-185.

185. Al-Bukhārī, L’Authentique Tradition musulmane. Choix de hadith, traduits et

présentés par Georges-Henri Bousquet, Sindbad, 1986, p. 50.

186. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op.cit., t. 1, p. 953.

187. Cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Chiisme », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 160-162.

188. Cf. Éric Geoffroy, Jihād et contemplation. Vie et enseignement d’un soufi aux

temps des croisades, Al-Bouraq, 2003.

189. Pierre Lory, La Science des lettres en Islam, op. cit., p. 120-122.

190. Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie islamique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 38-43.

191. Ibid., p. 245.

192. Denis Gril, « La science des lettres », in Ibn ‘Arabī, Les Illuminations de La

Mecque, op. cit..

193. Pierre Lory, La Science des lettres en Islam, op. cit., p. 122.

194. La métrique impose de corriger l’édition de Beyrouth et de lire dans les vers 2 et 4

respectivement : ‫ زبرْت‬et ‫زجرْتها‬ au lieu de ‫ زبرُت‬et ‫; زجرتا‬ ; dans le vers 6 ‫زّينه‬ au

lieu de ‫زينة‬.
195. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 1282.

196. Ibid., p. 969-970.

197. Cf. Jacques Berque, Le Coran, op. cit., p. 747-748.

198. Note de M. Chiadmi au verset 37.

199. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 353.

200. Abdallah Penot, « Introduction à la hiérarchie initiatique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 91-92 ; cf. aussi Michel Chodkiewicz, Le

Sceau des saints, op. cit., p. 111-114.


201. Ce rapprochement nous a été suggéré par Julien Roy.

202. Cf. Jean-Claude Roberti, « Un clown d’Église : le fol en Christ ? », in Nicole

Vigouroux-Frey (dir.), Le Clown, rire et/ou dérision ?, Presses universitaires de

Rennes, 1999, p. 25-29.

203. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mysticsal Poetics, op. cit., p. 186.

204. Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit., p. 114-115.

205. Cf. Jean Annestay, « Introduction à la cosmogonie islamique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 37-42.

206. Ibid., p. 41.

207. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 187.

208. Ibid., note 17.

209. Abdallah Penot, Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 394.

210. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 750.

211. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 189 et 234.

212. Cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 59.

213. Pierre Lory, La Science des lettres en Islam, op. cit., p. 38 et 123.

214. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 191.

215. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 662.

216. Daniel Reig (dir.), Assabil. Dictionnaire arabe-français, français-arabe, Larousse,

1983.

217. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 191 note 28.

218. Cette intéressante interprétation nous a été suggérée par Sakhr Benhassine.

219. Abdallah Penot, « Introduction à la hiérarchie initiatique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit., p. 99-101.

220. Au sujet de la hiérarchie des saints et du rang spirituel particulier d’Ibn ‘Arabī, cf.

ibid., p. 83-106 ; Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit.

221. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 192.

222. Abdallah Penot, « Introduction à la hiérarchie initiatique », in Ibn ‘Arabī, Les

Révélations de La Mecque, op. cit.

223. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 963.

224. Jacques Berque, Le Coran, op. cit.

225. Ibn ‘Arabī, Le Chant de l’ardent désir, op. cit., p. 39.

226. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 179.

227. Cf. Mohammed Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Mihrāb », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 554-555.


228. Cité par Claude Addas, article « Homme », ibid., p. 399-400.

229. Cf. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit. p. 34 et 179 note 79.

230. Cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 150.

231. Denis E. McAuley, Ibn ‘Arabī’s Mystical Poetics, op. cit., p. 177 note 75.

232. Cité par Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 72-73.

233. Ibn ‘Arabī, « Des pôles préservés à l’abri des regards et des secrets de leur

préservation », in Les Révélations de La Mecque, op. cit., p. 307-308.

234. Ibid.

235. Cf. note de l’éd. du Roi Fahd ad loc. ; Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-

français, op. cit., t. 2, p. 584.

236. Cf. Abdelillah Benarafa, « La fonction de la poésie comme lieu de manifestation

des réalités supérieures chez Ibn ‘Arabī », oumma.com, 2003 ; article

« Muwashshah », in Encyclopédie de l’Islam, op. cit.

237. Youssef Seddik, Le Coran. Autre lecture, autre traduction, L’Aube, 2002, en

particulier p. 94 note 17.

238. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op.cit., t. 1, p. 1163.

239. Cf. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 34 et note 2.

240. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op.cit., t. 2, p. 225.

241. Cf. Jacques Berque, Le Coran, op. cit., p. 659 note ; Albert Kazimirski,

Dictionnaire arabe-français, op.cit., t. 1, p. 1041.

242. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 758.

243. o
Ḥusayn Manṣūr Ḥallāj, muqaṭṭa‘a 57, Poèmes mystiques, op. cit., p. 83, n 45.

244. Cf. Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 432.

245. Ibn Ḥazm, Le Collier de la colombe, traduction de Gabriel Martinez-Gros, Actes

Sud, 2009.

246. Cf. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 1634.

247. Cf. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Sinaï », in Dictionnaire du

Coran, op. cit., p. 837.

248. Cf. Michel Chodkiewicz, Un océan sans rivage, op. cit., p. 122 et 156.

249. Cf. Abd el-Kader, « Halte 309 », in Le Livre des haltes, op. cit., p. 184.

250. Cf. ibid., « Halte 145 », p. 169.

251. Ian Ridpath, Mythology From Star Tales, Universe Books, 1988,

Souledout.org/cosmology/highlights/arcturushigh lights/arcturushighlights.html.

252. Cité par Abdallah Penot, in Abd el-Kader, Le Livre des haltes, op. cit., p. 395.

253. Cf. Jacques Berque, Le Coran, op. cit., p. 277 et note.


254. Nous nous sommes basés sur une version sensiblement différente (Poetsgate.com),

qui ajoute deux strophes à celle de Beyrouth.

255. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 441.

256. Cité par Denis Gril, « Le commentaire du verset de la Lumière d’après Ibn

‘Arabī », Bulletin d’études orientales, 29, 1977.

257. Mohammad Ali Amir-Moezzi (dir.), article « Élie », in Dictionnaire du Coran, op.

cit., p. 244-246.

258. Michel Chodkiewicz, Le Sceau des saints, op. cit., p. 100-102 ; Mohammad Ali

Amir-Moezzi (dir.), article « Idrīs », in Dictionnaire du Coran, op. cit., p. 410-413.

259. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 2, p. 728.

260. Jacques Berques, Le Coran, op. cit, p. 354 et note.

261. Ibn ‘Arabī, Al-Futū ḥāt al-Makkiyya, cité par Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit.,

p. 253.

262. Cf. Salah Stétié, Râbi‘a de feu et de larmes, Albin Michel, 2015, propos XLIV,

p. 115.

263. Cf. Michel Chodkiewicz, « Le paradoxe de la Ka‘ba », art. cit.

264. Jacques Berque, Le Coran, op. cit., p. 678 et note.

265. Id., p. 276, s. 15, v. 80 et note.

266. Idid., p. 677.

267. Abd el-Kader, « Halte 133 », in Écrits spirituels, op. cit., p. 148.

268. Henry Corbin, L’Imagination créatrice, op. cit., p. 211-212.

269. Jacques Berque, Le Coran, op. cit., p. 703 et note.

270. Idid., p. 685 et note.

271. Cité par Malek Chebel, in Dictionnaire amoureux de l’Islam, article « Almées,

concubines et bayadères », Plon, 2004.

272. Cf. Claude Addas, Ibn ‘Arabī, op. cit., p. 250-251.

273. Albert Kazimirski, Dictionnaire arabe-français, op. cit., t. 1, p. 625.


Bibliographie

Sources

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http://www.adab.com.

http://adab.aularon.com (dans la page d’accueil, chercher ‫محيي الدين بن‬


‫ عربي‬dans la liste des poètes).
http://poetsgate.com/Poet.aspx?id=184.

Traductions

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Berque, Jacques, Le Coran. Essai de traduction, Albin Michel, 2002.

Chiadmi, Mohammed, Le Noble Coran. Nouvelle traduction du sens de

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Ibn ‘Arabī, L’Interprète des désirs (Turjumān al-ashwāq), traduit et

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Reig, Daniel, Assabil. Dictionnaire arabe-français, français-arabe,

Larousse, 1983.
Remerciements

Nous exprimons notre gratitude à Ghalia Hammami et Gaëtan-Jacques

Mons pour leur chaleureux soutien tout au long de cette aventure. Nous

remercions toutes celles et ceux qui ont manifesté leur intérêt pour notre

travail à différentes étapes, en particulier Bernadette Alcaraz, Jutta

Bleichner, Vincent Calentier, Marlyse et Carole Ehlinger et Julien Roy.

Leurs corrections, leurs judicieuses remarques et surtout leurs

encouragements nous ont été précieux. Nous sommes reconnaissants à Myra

Prince et Sakhr Benhassine à qui nous devons une relecture approfondie du

manuscrit et d’intéressantes suggestions. Enfin, nous remercions les éditions

Albin Michel, Jean Mouttapa et Julien Darmon pour leur accueil et leur

engagement. Grâce à eux se réalise notre rêve de partage.


EXTRAITS DU CATALOGUE

Spiritualités vivantes

19. La Sagesse des prophètes, Ibn ‘Arabî.

32. La Voie de la perfection. L’enseignement du maître persan Nur Ali Elâhi, Bahrâm

Elâhi.

52. Le Chemin de la Lumière. La Voie de Nur Ali Elâhi, Bahrâm Elâhi.

60. Traité de l’amour, Ibn ‘Arabî.

70. Le Mesnevi. 150 contes soufis, Djâlal-al-Dîn Rûmî.

74. Futuwah, traité de chevalerie soufie, traduit et introduit par Faouzi Skali.

92. Le Jardin de roses, Saadi.

98. Chercheur de vérité, Idries Shah.

106. La Voie soufie, Faouzi Skali.

111. Rubâi’yat, Djalâl-od-Dîn Rûmî, traduit et présenté par Eva de Vitray-Meyerovitch et

Djamchid Mortazavi.

132. Anthologie du soufisme, Eva de Vitray-Meyerovitch.

137. Le Langage des oiseaux, Farîd-ud-Dîn ‘Attâr.

141. Traces de lumière. Paroles initiatiques soufies, Faouzi Skali.

150. Les Illuminations de La Mecque, Ibn ‘Arabî.

169. Le Chœur des prophètes. Enseignements soufis de Cheikh ‘Adda Bentounès.

175. L’Islam au féminin. La femme dans la spiritualité musulmane, Annemarie Schimmel.

179. Dictionnaire des symboles musulmans. Rites, mystique et civilisation, Malek Chebel.

186. Mahomet, Salah Stétié.

192. Le Vin mystique et autres lieux spirituels de l’islam, Salah Stétié.

194. Le Coran, essai de traduction, Jacques Berque.

204. La Prière en islam, Eva de Vitray-Meyerovitch.

219. Les Quatrains d’Omar Khayyam, traduits et présentés par Omar Ali-Shah.

225. Saint François et le sultan, Gwénolé Jeusset.

251. La Sagesse extravagante de Nasr Eddin, Jean-Louis Maunoury.

256. Moïse dans la tradition soufie, Faouzi Skali.

264. L’Interprète des désirs, Ibn ‘Arabî.

272. Jésus dans la tradition soufie, Faouzi Skali et Eva de Vitray-Meyerovitch.

273. Les Sept Cités de l’amour, Farîd-ud-Dîn ‘Attâr


276. Paroles de Vérité, Ostad Elahi.

278. Derviches tourneurs. La confrérie de la danse sacrée, Alberto Fabio Ambrosio.

286. Le Rêve et ses interprétations en islam, Pierre Lory.

294. Râbi‘a de feu et de larmes, Salah Stétié.

Espaces libres

52. Islam, l’autre visage, Eva de Vitray-Meyerovitch.

164. Vivre l’islam. Le soufisme aujourd’hui, Cheikh Bentounès.

174. Qu’Allah bénisse la France !, Abd al Malik.

193. La Conférence des oiseaux, Jean-Claude Carrière.

239. Sur les pas de Rûmî, Nahal Tajadod.

246. Universalité de l’islam, Eva de Vitray-Meyerovitch.

249. Le Soufisme, cœur de l’islam, Cheikh Bentounès.

Albin Michel / Grand format

À la croisée des trois monothéismes. Une communauté de pensée au Moyen Âge, Roger

Arnaldez.

La Fraternité en héritage. Histoire d’une confrérie soufie, Cheikh Bentounès avec Bruno

Solt.

Mort et résurrection en islam. L’au-delà selon Mullâ Sadrâ, Christian Jambet.

Le Rêve et ses interprétations en islam, Pierre Lory.

La Cité vertueuse d’Alfarabi, Muhsin Mahdi.

L’Exil occidental, Abdelwahab Meddeb.

Instants soufis, Abdelwahab Meddeb.

Le Gihad dans l’islam médiéval, Alfred Morabia.

Fils de la parole. Un poète d’islam en Occident, Salah Stétié et Gwendoline Jarczyk.

L’Incendie de l’âme. L’aventure spirituelle de Rûmî, Annemarie Schimmel.

Henry Corbin, penseur de l’islam spirituel, Daryush Shayegan.

Les Penseurs libres dans l’islam classique, Dominique Urvoy.


Beaux Livres

Calligraphies d’amour, Hassan Massoudy, introduction de Jacques Lacarrière.

Désir d’envol, Hassan Massoudy.

Carnets du calligraphe

L’Harmonie parfaite d’Ibn ‘Arabî, calligraphies de Hassan Massoudy.

Carnets de sagesse

Paroles d’islam, Nacer Khémir.

Paroles soufies, Sylvia Lacarrière.

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