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Les Français et la lecture en 2017 : quelle place pour la


librairie indépendante ?
PAR LAURA MOUVEAUX · PUBLIÉ 14 SEPTEMBRE 2017 · MIS À JOUR 2 SEPTEMBRE 2017

Le Centre national du livre (CNL) est créé en octobre 1946 sous l’égide du ministère de l’Éducation, sous le nom de Caisse nationale des
lettres. Il devient dans les années 1950 le premier soutien du livre en France, en fournissant des aides financières aux auteurs et aux maisons
d’édition.

Logo du CNL, Source: Centre National du Livre.

Il a fêté l’année dernière ses soixante-dix ans. Aujourd’hui, établissement public du ministère de la Culture et de la Communication, il est
connu de tous les professionnels du livre, comme proposant diverses aides en faveur de la lecture et de sa démocratisation. Son
domaine d’action s’est en e et étendu, entre autres, aux traducteurs, bibliothèques, librairies, à l’édition numérique et aux manifestations
littéraires.

Le CNL propose également diverses ressources dans le but de brosser un portrait du marché du livre en France et déterminer les
évolutions de ce dernier, pour que les professionnels du milieu puissent se saisir de ces informations et ainsi prévoir au mieux leur avenir.

En 2014, le SNE (Syndicat national de l’édition) et le CNL ont confié à Ipsos la réalisation d’une enquête pour évaluer les pratiques de
lecture des Français. Reconduite en 2015 à l’initiative de Vincent Monadé, président du CNL, cette enquête sera finalement biennale. Voici
les objectifs tels qu’ils sont décrits sur le rapport :

« MESURER

Les pratiques et les perceptions actuelles des Français vis-à-vis du livre et de la lecture

Les évolutions dans le temps à travers un baromètre bisannuel

COMPRENDRE
Les perceptions, les motivations et les freins à lire des livres

IDENTIFIER

Les leviers qui amènent les Français à la lecture ou ceux qui les amèneraient à renouer un lien avec la lecture 1 . »

La dernière édition de ce rapport a donc été publiée en mars dernier et est en accès libre sur le site du CNL. Du 19 au 31 janvier, Ipsos a
interrogé par téléphone un échantillon représentatif de mille Français de plus de 15 ans. Les données récoltées ont subi des traitements
statistiques comme la pondération ou l’application de critères de redressement.

À sa sortie, l’étude a fait beaucoup parler d’elle. En e et, la principale conclusion retenue fut la suivante : les Français lisent plus qu’en
2015. “91% des Français lisent des livres”, c’est ce qu’a par exemple retenu le Figaro 2 et Libération titre « Les Français lisent plus que
jamais » 3. Nombreux aussi sont les blogs de lecture qui se sont emparés du sujet. Certaines entreprises en ont même fait un outil
marketing : c’est le cas de Kube, la fameuse “box littéraire”, qui a conçu une newsletter pour ses abonnés relayant l’importance de la
lecture en France, mais également le fait que le livre est encore le bien culturel le plus o ert : 85% des Français achètent des livres pour
les o rir, comme le montre l’enquête.

Des pratiques de lecture qui ne déclinent pas mais qui évoluent 4


84 % des Français se disent spontanément lecteurs, mais, comme il y a deux ans, ce chi re s’élève à neuf Français lecteurs sur dix après
précision des pratiques de lecture. Le roman reste en tête… Malgré l’érosion des frontières entre les genres, portée notamment par le
vaste domaine du livre illustré, beaucoup reste à faire pour la valorisation de certains types de livres, comme le livre pratique ou les
mangas. Le contexte familial est toujours aussi important pour la construction des habitudes de lecture : la présence de livres dans la
maison et de parents eux-mêmes lecteurs sont de forts déclencheurs.

Les Français vont en général au bout du livre qu’ils ont entamé, et 49 % d’entre eux lisent tous les jours, généralement le soir. La
répartition entre grands et petits lecteurs est la même qu’en 2015, mais chacun de ces deux groupes lit davantage : en moyenne, 3 livres
de plus par personne et par an pour les petits et moyens lecteurs. On compte donc 28% de grands lecteurs, et ces derniers lisent 52 livres
par an : c’est 10 de plus qu’il y a deux ans.

La part des lecteurs de livres numériques a elle aussi augmenté puisqu’elle a gagné cinq points, et en moyenne un livre supplémentaire
par lecteur. La forte progression du livre numérique n’empêche pas une tendance similaire du côté du livre papier (notons que 67 % des
lecteurs français ne lisent jamais au format numérique). Elle témoigne cependant d’une diversification des modes d’accès au livre,
deuxième point mis en valeur par l’étude.

Les achats de livres neufs sont stables mais les circuits alternatifs sont davantage privilégiés et ce sont eux qui bénéficient le plus de la
progression que nous venons de mentionner. Parmi eux, l’occasion a par exemple gagné huit points en deux ans. Les plus concernés sont
les 39-45 ans.

La fréquentation des bibliothèques et médiathèques est la même qu’en 2015, et les Français tiennent toujours autant à posséder les
livres qu’ils ont lu, ce qui explique la part de non-emprunt importante (70 % des lecteurs n’empruntent jamais ou rarement de livres).

Les principales motivations à la lecture n’ont pas changé : l’enrichissement des connaissances vient en tête, mais cet argument est suivi
de près par l’évasion, la détente… Les Français lisent cependant davantage pour leurs loisirs (c’est le cas de 96 % des lecteurs, c’est-à-dire
3 points de plus que lors de la précédente enquête). Même les jeunes de 15 à 24 ans, bien qu’une part de leurs lectures soit toujours
contrainte par leurs études, sont plus nombreux à lire pour le plaisir.

Les lecteurs cherchent également à comprendre le monde (+ 4 points) et à oublier leurs soucis (+ 5 points). Si les attentes sont fortes en
matière d’apprentissage, on constate une chute dans la lecture de livres d’actualité, mais une hausse en livres pratiques, de
développement personnel et en livres pour la jeunesse.

Comme en 2015, les Français déplorent de ne pouvoir lire plus. C’est surtout le manque de temps, lié à la concurrence des autres loisirs,
qui est invoqué. Cela étant, 28 % des 15-24 ans disent lire de plus en plus, marquant une hausse de douze points pour cette tranche
d’âge.
La lecture a donc encore la part belle dans les loisirs des Français, dans leurs souhaits en premier lieu puisque trois quarts d’entre eux
liraient davantage s’ils disposaient de plus de temps, mais en pratique également, comme nous venons de le montrer.

Notons l’ampleur que prennent les activités digitales, qui concurrencent le plus la lecture, mais qui modifient également notre façon de
l’aborder : ainsi les avis sur internet et les discussions sur les réseaux sociaux gagnent en légitimité dans les conseils de lecture, comme
en témoigne l’importance grandissante du réseau de blogs de lectures et de “booktubeurs”, de plus en plus démarchés par les éditeurs.

Absorbé, Livre, Jeune Fille, Lecture, Étudiant, Femmes, Source: Pixabay, CC0.

Enfin, si la librairie et la GSC (grande surface culturelle, type Fnac ou Cultura) sont toujours le duo de tête des lieux d’achats de livres
neufs, la vente en ligne a gagné du terrain. En e et, 45% des acheteurs ont recours à des sites internet pour se procurer leurs livres neufs.
65 % vont dans des librairies, et 79 % dans les grandes surfaces culturelles.

La vente en ligne et en GSC ont progressé de sept points chacune, contrairement à la librairie, qui voit ces évolutions se faire à son
détriment, notamment pour les 25-34 ans, qui vont de moins en moins en librairie (-13 points par rapport à 2015).

Des clés pour la librairie indépendante et son avenir


Cette baisse de fréquentation des librairies s’explique donc principalement par la hausse de la vente en ligne, de plus en plus utilisée par
les femmes et les jeunes. Notons tout de même qu’une méconnaissance de la loi Lang sur le prix unique du livre persiste chez les non-
acheteurs en librairie, qui ne s’y rendent justement jamais, croyant que les livres y sont plus chers.

Les librairies, commerces les moins rentables des centre-villes, sou rent également de di icultés financières : les loyers sont
extrêmement chers pour être bien localisé dans la ville et toutes les municipalités ne fournissent pas des aides à la hauteur de ces prix.
Ainsi, 52% des acheteurs de livres ne se rendent pas en librairie car il n’y en a pas près de chez eux.

Ces di icultés s’expliquent aussi parfois par le fait qu’aux charges grandissantes peuvent s’ajouter des circonstances aggravantes, comme
la perte d’un marché public. Lorsqu’ils sont remis en jeu, l’appel d’o re est souvent remporté par une chaîne de librairies comme Decitre,
qui s’est spécialisée dans cette activité. Nous pouvons citer la librairie l’Eau Vive, librairie indépendante jeunesse d’Avignon (la seule du
Vaucluse), qui s’est retrouvée en grande di iculté après la perte d’un marché public qui représentait presque 20% de son chi re d’a aires
5
.

La librairie indépendante se voit de plus en plus concurrencée, par la vente en ligne d’un côté, mais également par les grandes surfaces
culturelles qui gagnent du terrain suite à l’érosion de la clientèle des centre-villes et à l’importance grandissante des zones commerciales.
Cela entraîne une érosion de la fidélité dans sa clientèle existante et une di iculté à conquérir de nouveaux publics. Pourtant, le réseau
de librairies indépendantes en France est toujours un des plus denses, et tout ne semble pas perdu lorsqu’on constate la place toujours
importante qu’occupe la lecture et le livre dans la vie des Français.

Notons également l’importance du livre-cadeau : 85 % des Français achètent des livres pour les o rir, et, dans 37 % des cas, ils veulent
faire découvrir un livre qu’ils ont aimé. La deuxième raison qui fait lire davantage les Français, après l’augmentation du temps à y
consacrer, sont les discussions avec les proches. Une tendance similaire s’observe chez les 15-24 ans, qui liraient plus suite à une
discussion sur les réseaux sociaux (42 %) ou à la lecture d’avis sur internet (39 %), une tendance qui répond à celle de l’émergence des
booktubeurs et des blogueurs que nous avons mentionnés plus haut. Si les Français disposaient de plus de temps, la première activité
privilégiée serait les sorties entre amis. Dans l’étude Ipsos – CNL sur les jeunes et la lecture e ectuée en 2016 6, il apparaît que 51 % des
Français de 7 à 19 ans aiment discuter avec leurs amis des livres qu’ils ont lu.

Ces di érents constats que l’on peut faire au sein des di érentes études menées montrent l’importance de la socialisation autour du
livre. Les lecteurs aiment parler des livres qu’ils ont lu et aimé, débattre, conseiller et être conseillés, o rir des livres…

Cela explique la tendance d’évolution de la librairie vers un lieu social, où l’échange et l’humain ont autant d’importance que le livre.
Malgré la fragilité que nous avons évoquée, la librairie est forte d’une fidélité attitudinale de sa clientèle, et d’une satisfaction importante.
Ainsi, lorsqu’une nouvelle librairie s’installe dans un quartier ou une ville où il n’y en avait pas eu pendant longtemps, la clientèle y prend
vite ses habitudes et explique que cette ouverture permet de remplir un véritable manque. Il est donc important pour les librairies
indépendantes de s’inscrire dans la vie culturelle et commerçante de leur quartier. Depuis le début des années 2000, les libraires
renouent avec l’aspect “commerce de proximité” de leur métier, essentiel à leur survie, et premier pas d’une réinvention primordiale,
détaillée à l’occasion des Rencontres nationales de la librairie de 2013 7. Celle-ci se fera dans l’appropriation de la digitalisation des
pratiques (présence sur les réseaux, réflexion autour du livre numérique, vente en ligne…), et dans une étude approfondie des clients,
traités dans leurs spécificités afin de préserver la fidélité et de parvenir à attirer de nouveaux clients. La relation avec ces derniers devra
d’ailleurs se construire de façon horizontale. Même si les librairies restent encore prescriptrices (c’est la “création du son” décrite par
Jérôme Lindon 8, qui explique que les ventes à succès, surtout lorsqu’elles sont inattendues, commencent en librairie avant de se
propager sur les autres circuits), les libraires se positionnent de moins en moins comme tels et construisent davantage un échange à
double sens qu’un conseil à sens unique.

Les Français lisent toujours, et même davantage qu’il y a deux ans. Si les tendances principales se poursuivent, nous retiendrons de cette
enquête du CNL une évolution des pratiques de lecture, liée principalement à la digitalisation. Les Français, comme avant, aimeraient lire
plus, surtout pour s’évader, oublier leurs soucis et retrouver le plaisir simple de la lecture. Ce plaisir se situe aussi dans la capacité du livre
à être générateur d’échanges, qui répondent également aux besoins sociaux des humains. C’est sur ce créneau que la librairie
indépendante peut se positionner et c’est en cela aussi qu’elle doit continuer à être soutenue. Un lieu de découverte, de partage,
d’ouverture et de joie.

Crédit : Delphine Manjard


Notes
1
Les Français et la lecture, Ipsos pour le CNL, mars 2017.

2
PECH, Marie-Estelle, « 91 % des Français lisent des livres », Le Figaro.fr, mars 2017.

3
ROUSSELLE, Frédérique, « Les Français lisent plus que jamais », Libération, mars 2017.

4
Les chi res contenus dans cette partie sont tous issus de l’étude citée en note 1.

5
« Sauvons la librairie L’Eau Vive », Ulule, mai 2017.

6
Les jeunes et la lecture, Ipsos et CNL, juin 2016.

7
Les clients de la librairie indépendante, l’Observatoire société et consommation, juin 2013.

8
Le marché du livre en France : état des lieux des circuits de distribution, l’Observatoire société et consommation, 2013.

Bibliographie
Site du CNL
Site du SNE
Site d’IPSOS
« Les Français et la lecture », Ipsos pour le CNL, mars 2017.
« Les jeunes et la lecture », Ipsos pour le CNL, juin 2016.
« Les clients de la librairie indépendante », l’Observatoire société et consommation, juin 2013.
« Le marché du livre en France : état des lieux des circuits de distribution », l’Observatoire société et consommation, juin 2013.
PECH, Marie-Estelle, « 91 % des Français lisent des livres », Le Figaro.fr, mars 2017.
ROUSSELLE, Frédérique, « Les Français lisent plus que jamais », Libération, mars 2017.
« Sauvons la librairie L’Eau Vive », Ulule, mai 2017.

Pour aller plus loin


Site du Syndicat de la Librairie Française
BENHAMOU, Françoise, Le livre à l’heure du numérique, Paris, Seuil, septembre 2014.
CHARPENTIER, Lola, « la mutation des habitudes de lecture », Mémoire, 2015.
GARY, Nicolas, « Librairie indépendante ne signifie pas irréprochable, et Amazon le sait », ActuaLitté, mai 2017.
MAZIN, Cécile, « Ce 22 avril 2017, rendez-vous à la Fête de la librairie indépendante », ActuaLitté, avril 2017.
PELLERIN, Clément, « [Ils se sont lancés sur les réseaux sociaux] Episode 11 : les librairies indépendantes », Pellerin formation,
juillet 2013.
PINHAS, Luc, « La librairie indépendante française entre passé et devenir », CAIRN, 2009.
RENARD, Fanny, « Une approche sociologique des habitudes de lecture », Éducation & Didactique, juin 2008.
RIVOIRE, Annick (dir.), « Les enjeux de la librairie indépendante », SGDL.

Citer ce billet : Laura Mouveaux, "Les Français et la lecture en 2017 : quelle place pour la librairie indépendante ?", Monde du Livre,
14 septembre 2017, https://mondedulivre.hypotheses.org/6965.

Laura Mouveaux
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