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UNIVERSITÉ PARIS SCIENCES ET LETTRES

INTRODUCTION AUX ESPACES DE LONGUEUR

Nardi Pascal, Reibel Rodrigue

Cycle pluridisciplinaire d’études supérieures

Sous la direction de Patrick Bernard, CEREMADE

2022
Table des matières

1 Généralités dans les espaces métriques 1

2 Notion de longueur 4
2.1 Longueur d’un chemin . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 4
2.2 Espaces de longueur . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7

3 Plus courts chemins et géodésiques 11


3.1 Paramétrisation à vitesse constante . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11
3.2 Théorème d’Arzelà-Ascoli . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 12
3.3 Existence de plus courts chemins . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
3.4 Théorème de Hopf-Rinow-Cohn-Vossen . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

i
Introduction

Ce mémoire est réalisé dans le cadre du cours d’introduction à la recherche de troisième


année du Cycle Pluridisciplinaire d’Études Supérieures (CPES). Nous avons choisi,
sur les conseils de M. Bernard, de nous initier au cadre de la géométrie dans les espaces
métriques. Notre travail a surtout consisté à étudier les premiers chapitres du livre de
Burago, Burago et Ivanov : A Course in Metric Geometry [1].

Nous tenons tout d’abord à remercier M. Bernard qui, en tant que professeur puis
encadrant de ce mémoire, n’a cessé de nous émerveiller cette année, et n’a fait que
renforcer notre envie de faire des mathématiques.

L’objectif de ce mémoire est de définir et étudier les premières propriétés des espaces
de longueur. Ces derniers sont des espaces métriques pour lesquels la distance entre
deux points respecte l’idée qu’on s’en fait intuitivement : c’est la longueur d’un chemin
qui relie l’un à l’autre. Cette contrainte nous mène à étudier les chemins dans les
espaces métriques, ainsi que leur longueur. On introduit enfin la notion de géodésique,
généralisation de la ligne droite, et première brique nécessaire à l’étude de la géométrie
des espaces métriques.

ii
Chapitre 1

Généralités dans les espaces métriques

On énonce d’abord des définitions et résultats généraux dans les espaces métriques, qui
nous seront utiles pour la suite.

Définition 1. Un espace métrique est la donnée d’un ensemble 𝑋 et d’une application


𝑑 : 𝑋 × 𝑋 → R+ qui vérifie pour tout 𝑥, 𝑦, 𝑧 ∈ 𝑋 :

— symétrie : 𝑑 (𝑥, 𝑦) = 𝑑 (𝑦, 𝑥)


— séparation : 𝑑 (𝑥, 𝑦) = 0 ⇔ 𝑥 = 𝑦
— inégalité triangulaire : 𝑑 (𝑥, 𝑦) ≤ 𝑑 (𝑥, 𝑧) + 𝑑 (𝑧, 𝑦)

Remarque 1. On autorise ici la distance entre deux points à être infinie.

Définition 2. On appelle boule (resp. boule fermée) de centre 𝑥 et de rayon 𝑅 et


on note 𝐵(𝑥, 𝑅) (resp. 𝐵(𝑥, 𝑅)) l’ensemble {𝑦 ∈ 𝑋 | 𝑑 (𝑦, 𝑥) < 𝑅} (resp. l’ensemble
{𝑦 ∈ 𝑋 | 𝑑 (𝑦, 𝑥) ≤ 𝑅}).

Définition 3 (𝜀-voisinage). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique, 𝐴 ⊂ 𝑋 et 𝜀 > 0. On appelle


𝜀-voisinage de A l’ensemble : 𝐴𝜀 = {𝑥 ∈ 𝑋, 𝑑 (𝑥, 𝐴) < 𝜀}, où 𝑑 (𝑥, 𝐴) = inf 𝑑 (𝑥, 𝑦).
𝑦∈𝐴

Propriété 1. Soient 𝐴 ⊂ 𝑋, 𝜀 > 0 et 𝛿 > 0. On a ( 𝐴𝜀 ) 𝛿 ⊂ 𝐴𝜀+𝛿 .

Preuve. C’est une simple inégalité triangulaire : soit 𝑥 ∈ ( 𝐴𝜀 ) 𝛿 . Il existe un certain


𝑧 ∈ 𝐴𝜀 t.q. 𝑑 (𝑥, 𝑧) < 𝛿, et il existe un certain 𝑦 ∈ 𝐴 t.q. 𝑑 (𝑦, 𝑧) < 𝜀. Donc 𝑑 (𝑥, 𝑦) ≤
𝑑 (𝑥, 𝑧) + 𝑑 (𝑦, 𝑧) < 𝜀 + 𝛿. Donc 𝑥 ∈ 𝐴𝜀+𝛿 . □

1
La définition suivante est issue de la terminologie anglo-saxone :

Définition 4 (𝜀-net). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique et une partie 𝐴 ⊂ 𝑋. On dit que
𝑆 ⊂ 𝐴 est un 𝜀-net de 𝐴 s’il est fini et s’il vérifie 𝑆 𝜀 ⊃ 𝐴. Autrement dit, tout point de
𝐴 est à distance strictement moins que 𝜀 de 𝑆.

Définition 5 (Précompacité). Une partie 𝐴 est précompacte si pour tout 𝜀 > 0, il existe
un 𝜀-net de A.

On rappelle une caractérisation de la compacité dans les espaces métriques.

Propriété 2. Un espace métrique est compact si et seulement si il est complet et


précompact.

Définition 6 (Compacité relative). Une partie 𝐴 est relativement compacte si son


adhérence est compacte.

Propriété 3. Une partie 𝐴 est relativement compacte si et seulement si toute suite de


𝐴 admet une sous-suite convergente dans 𝑋.

Preuve. Si 𝐴 est relativement compact, 𝐴 est compact donc en particulier toute suite de
𝐴 admet une sous-suite convergente dans 𝐴. Réciproquement, soit (𝑥 𝑛 )𝑛∈N ⊂ 𝐴. Il existe
(𝑦 𝑛 )𝑛∈N ⊂ 𝐴 telle que pour tout 𝑛 ∈ N, 𝑑 (𝑦 𝑛 , 𝑥 𝑛 ) < 1/𝑛. Il existe alors une sous suite
(𝑦 𝑛 𝑘 ) 𝑘 ∈N convergeant vers 𝑦 ∞ ∈ 𝐴. Il suit que 𝑑 (𝑥 𝑛 𝑘 , 𝑦 ∞ ) ≤ 𝑑 (𝑥 𝑛 𝑘 , 𝑦 𝑛 𝑘 ) + 𝑑 (𝑦 𝑛 𝑘 , 𝑦 ∞ ) ≤
1/𝑛 𝑘 + 𝑑 (𝑦 𝑛 𝑘 , 𝑦 ∞ ) →𝑘→∞ 0. □

Ainsi que quelques résultats qui nous seront utiles :

Théorème 1 (Prolongement par continuité). Soit (𝑋, 𝑑 𝑋 ) un espace métrique et (𝑌 , 𝑑𝑌 )


un espace métrique complet. Soit 𝐴 ⊂ 𝑋 un sous-espace dense et 𝑓 : 𝐴 → 𝑌 𝐶-
lipschitzienne. Alors il existe une unique fonction 𝑓˜ : 𝑋 → 𝑌 𝐶-lipschitzienne telle que
𝑓˜| 𝐴 = 𝑓

Preuve. On commence par l’unicité. Si 𝑓1 et 𝑓2 sont deux prolongements par continuité


de 𝑓 , alors elles sont égales sur 𝐴 et sur 𝑋 \ 𝐴 par continuité. Donc elles sont égales.

Montrons maintenant l’existence. Soit 𝑥 ∈ 𝑋, ∃ (𝑥 𝑛 )𝑛∈N ⊂ 𝐴 telle que 𝑥 𝑛 −−−−→ 𝑥. On a


𝑛→∞

2
immédiatement que ( 𝑓 (𝑥 𝑛 ))𝑛∈N est de Cauchy. En effet, ∀𝑛, 𝑚 ∈ N, 𝑑𝑌 ( 𝑓 (𝑥 𝑛 ), 𝑓 (𝑥 𝑚 )) ≤
𝐶 ∗ 𝑑 𝑋 (𝑥 𝑛 , 𝑥 𝑚 ). On pose alors 𝑓˜(𝑥) B lim 𝑓 (𝑥 𝑛 ). On vérifie aisément que 𝑓˜ est 𝐶-
𝑛→∞
lipschitzienne. □

Lemme 1 (Nombre de Lebesgue). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique compact et {𝑈𝛼 } 𝛼∈𝐴
un recouvrement ouvert de X. Alors il existe 𝜌 > 0 tel que ∀𝑥 ∈ 𝑋, ∃ 𝛼 ∈ 𝐴, 𝐵(𝑥, 𝜌) ⊂
𝑈𝛼 . On dit que 𝜌 est un nombre de Lebesgue du recouvrement.

Preuve. On suppose le contraire. Alors il existe (𝐵(𝑥 𝑛 , 𝑟 𝑛 ))𝑛∈N une suite de boules telle
que 𝑟 𝑛 −−−−→ 0 et ∀𝑛 ∈ N, š𝛼, 𝐵(𝑥 𝑛 , 𝑟 𝑛 ) ⊂ 𝑈𝛼 . Mais par compacité de (𝑋, 𝑑), il existe
𝑛→∞
une sous-suite (𝑥 𝜑(𝑛) )𝑛∈N telle que 𝑥 𝜑(𝑛) −−−−→ 𝑥 ∈ 𝑋. Or, ∃ 𝛼 ∈ 𝐴, ∃ 𝜀 > 0, tels que
𝑛→∞
𝐵(𝑥, 𝜀) ⊂ 𝑈𝛼 . Soit maintenant 𝑁 ∈ N tel que 𝑑 (𝑥 𝜑(𝑁) , 𝑥) < 𝜀/4 et 𝑟 𝜑(𝑁) < 𝜀/4. Alors
𝐵(𝑥 𝜑(𝑁) , 𝑟 𝜑(𝑁) ) ⊂ 𝐵(𝑥, 𝜀) ⊂ 𝑈𝛼 . Il y a contradiction. □

Lemme 2. Soient 𝐾 un compact et 𝑈 un ouvert tels que 𝐾 ⊂ 𝑈. Alors il existe 𝜀 > 0


tel que 𝐾𝜀 ⊂ 𝑈.

Preuve. 𝑑 (𝐾, 𝑈 𝐶 ) = inf 𝑘∈𝐾 𝑑 (𝑘, 𝑈 𝐶 ) = min 𝑘 ∈𝐾 𝑑 (𝑘, 𝑈 𝐶 ) =: 𝜀 > 0 car 𝑘 ↦→ 𝑑 (𝑘, 𝑈 𝐶 )
est continue et 𝑈 𝐶 est fermé. Donc 𝑑 (𝑦, 𝐾) < 𝜀 ⇒ 𝑦 ∉ 𝑈 𝐶 ⇔ 𝑦 ∈ 𝑈. □

Nous finissons cette section introductive par une définition qui nous sera utile tout au
long de l’exposé :

Définition 7 (Chemin). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique et 𝑥, 𝑦 ∈ 𝑋. Un chemin 𝛾 reliant


𝑥 à 𝑦 est une application continue de [𝑎, 𝑏] dans 𝑋 telle que 𝛾(𝑎) = 𝑥 et 𝛾(𝑏) = 𝑦, où
𝑎≤𝑏∈R

3
Chapitre 2

Notion de longueur

2.1 Longueur d’un chemin


La notion de longueur d’un chemin est centrale pour étudier la géométrie des espaces
métriques. Elle permettra notamment de définir la notion de géodésique, généralisation
de la "ligne droite". Dans cette section, on la définit et on en donne quelques propriétés
intuitives mais fondamentales, dont nous nous servirons par la suite.

Définition 8 (Longueur d’un chemin). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique, 𝛾 : [𝑎, 𝑏] → 𝑋


un chemin. On appelle longueur de 𝛾 :
( 𝑛−1 )
∑︁
𝐿(𝛾) = sup 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖+1) ) | 𝑎 = 𝑡0 ≤ 𝑡1 ≤ . . . ≤ 𝑡 𝑛 = 𝑏, 𝑛 ∈ N ∈ R+
𝑖=0

— On dit que 𝛾 est rectifiable si 𝐿 (𝛾) < +∞


— ∀𝑡 ≤ 𝑡 ′ ∈ [𝑎, 𝑏], on note 𝐿 (𝛾, 𝑡, 𝑡 ′) = 𝐿(𝛾| [𝑡, 𝑡 ′] ).

La longueur d’un chemin satisfait les propriétés suivantes :

Propriété 4 (Propriétés de la longueur). Avec les notations de la définition précédente :

(i) Stabilité par reparamétrisation : si 𝛾 = 𝛾˜ ◦ 𝜏 où 𝜏 : [𝑎, 𝑏] → [𝑎′, 𝑏′] est continue,


monotone et surjective, alors 𝐿(𝛾) = 𝐿( 𝛾) ˜
Í𝑛−1
(ii) 𝐿(𝛾) = lim 𝑖=0 𝑑 (𝛾( 𝑛𝑖 ), 𝛾( 𝑖+1
𝑛 )) si [𝑎, 𝑏] = [0, 1]
𝑛→+∞

4
(iii) Additivité : 𝐿(𝛾) = 𝐿(𝛾, 𝑎, 𝑐) + 𝐿(𝛾, 𝑐, 𝑏) ∀𝑐 ∈ [𝑎, 𝑏]

(iv) Si 𝛾 est rectifiable, 𝑡 ↦→ 𝐿 (𝛾, 𝑎, 𝑡) est continue

Remarque 2. — La propriété (𝑖) implique en particulier que la longueur est la


même pour un chemin parcouru dans un sens ou dans l’autre.
— La propriété (𝑖𝑖) montre qu’ainsi définie, la longueur correspond bien à l’idée
intuitive d’"approximation par une ligne brisée".

Í 𝑘−1
Preuve. Si 𝑇 = (𝑡0 , . . . , 𝑡 𝑘 ), on notera : Σ𝑇 (𝛾) = 𝑖=0 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖+1 )).

(i) On suppose sans perte de généralité que 𝜏 est croissante. Soit 𝑎 = 𝑡 0 ≤ · · · ≤ 𝑡 𝑛 =


𝑏. Alors 𝑎′ = 𝜏(𝑡0 ) ≤ · · · ≤ 𝜏(𝑡 𝑛 ) = 𝑏′ par croissance et surjectivité de 𝜏. Et :
Í𝑛−1 Í𝑛−1
𝑖=0 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖+1 )) = 𝑖=0 𝑑 ( 𝛾(𝜏(𝑡
˜ 𝑖 )), 𝛾(𝜏(𝑡
˜ 𝑖+1 ))). Donc, en passant au sup,

𝐿 (𝛾) ≤ 𝐿 ( 𝛾).
˜
Soit maintenant 𝑎′ = 𝑡0′ ≤ · · · ≤ 𝑡 𝑛′ = 𝑏′. Par surjectivité et croissance de 𝜏, il
existe 𝑎 = 𝑡0 ≤ · · · ≤ 𝑡 𝑛 = 𝑏 tels que 𝜏(𝑡𝑖 ) = 𝑡𝑖′. Par le même raisonnement, on a
𝐿 ( 𝛾)
˜ ≤ 𝐿 (𝛾).
Í𝑛−1
(ii) On remarque d’abord que : lim sup 𝑖=0 𝑑 (𝛾( 𝑛𝑖 ), 𝛾( 𝑖+1
𝑛 )) ≤ 𝐿 (𝛾) par définition
𝑛→∞
de 𝐿 (𝛾). Soit maintenant 𝜀 > 0. Il existe 0 = 𝑡0 ≤ · · · ≤ 𝑡 𝑘 = 1 t.q. Σ (𝑡0 ,...,𝑡 𝑘 ) ≥
𝐿 (𝛾) − 𝜀. Ici, l’intuition est la suivante : on va approcher chaque 𝛾(𝑡𝑖 ) par un
𝛾( 𝑗/𝑛). On utilise ensuite l’inégalité triangulaire pour s’assurer que la distance
entre les 𝛾( 𝑗/𝑛) n’est pas beaucoup plus petite qu’entre les 𝛾(𝑡𝑖 ).
On pose d’abord 𝑚 = min 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡 𝑗 )). Par le théorème de Heine, 𝛾 est
𝑖,𝑙∈{0,...,𝑘 }
uniformément continue. Donc : ∃𝑁 ∈ N, ∀𝑛 ≥ 𝑁, |𝑡−𝑡 ′ | ≤ 1/𝑛 ⇒ 𝑑 (𝛾(𝑡), 𝛾(𝑡 ′)) ≤
min(𝜀, 𝑚)/3𝑘. En particulier :

∀𝑛 ≥ 𝑁, ∀𝑖 ∈ {0, . . . , 𝑘 }, ∃ 𝑗𝑖 ∈ {0, . . . , 𝑛}, 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾( 𝑗𝑖 /𝑛)) ≤ min(𝜀, 𝑚)/3𝑘

Cette partie nous assure qu’à tout 𝑡𝑖 ≠ 𝑡 𝑙 , on associe des 𝑗𝑖 ≠ 𝑗 𝑙 . En effet, si 𝑙 ≠ 𝑖,


𝑑 (𝛾( 𝑗𝑖 /𝑛), 𝛾(𝑡 𝑙 )) ≥ 𝑚 − min(𝜀, 𝑚)/3𝑘 > min(𝜀, 𝑚)/3𝑘.

5
On a alors pour tout 𝑛 ≥ 𝑁 :

𝑛−1 𝑘−1 𝑘−1


∑︁ 𝑗 𝑗 +1 ∑︁ 𝑗𝑖 𝑗𝑖+1 ∑︁
𝑑 (𝛾( ), 𝛾( )) ≥ 𝑑 (𝛾( ), 𝛾( )) ≥ 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖+1 ) − 2𝜀
𝑗=0
𝑛 𝑛 𝑖=0
𝑛 𝑛 𝑖=0

𝑛−1
𝑑 (𝛾( 𝑛𝑗 ), 𝛾( 𝑗+1
Í
Finalement : ∀𝑛 ≥ 𝑁, 𝑛 )) ≥ Σ (𝑡 0 ,...,𝑡 𝑘 ) − 2𝜀 ≥ 𝐿(𝛾) − 3𝜀. Ceci
𝑗=0
étant vrai pour tout 𝜀 > 0, on a le résultat.

(iii) C’est immédiat par définition de la longueur.

(iv) On suppose 𝛾 : [0, 1] → 𝑋 rectifiable. On va montrer que 𝑡 ↦→ 𝐿 (𝛾, 𝑡, 1)


est continue (à gauche). Par des arguments simples de reparamétrisation et de
restriction de chemins (qu’on ne détaillera pas), on aura le résultat général.
Soit 𝜀 > 0. Il existe 𝛿 > 0 t.q pour tout 𝑡 ∈ [0, 1], |𝑡 − 1| < 𝛿 ⇒ 𝑑 (𝛾(𝑡), 𝛾(1)) <
𝜀/2. Soit donc 𝑡 ∗ ∈ [1 − 𝛿, 1]. Maintenant, comme 𝛾 est rectifiable, il existe
𝑇 = (0 = 𝑡0 ≤ · · · ≤ 𝑡 𝑘 = 1) t.q. Σ𝑇 (𝛾) ≥ 𝐿 (𝛾) − 𝜀/2 (★) et 𝑡 𝑘−1 = 𝑡 ∗ . On note
𝑇0 = (𝑡0 , . . . , 𝑡 𝑘−1 ). On a alors :

(★) ⇒ Σ𝑇0 (𝛾) + 𝑑 (𝛾(𝑡 𝑘−1 ), 𝛾(1)) ≥ 𝐿(𝛾, 0, 𝑡 𝑘−1 ) + 𝐿(𝛾, 𝑡 𝑘−1 , 1) − 𝜀/2

⇒ 𝐿 (𝛾, 𝑡 𝑘−1 , 1) − 𝑑 (𝛾(𝑡 𝑘−1 , 𝛾(1)) ≤ Σ𝑇0 (𝛾) − 𝐿 (𝛾, 0, 𝑡 𝑘−1 ) + 𝜀/2 ≤ 𝜀/2

Finalement, 𝐿 (𝛾, 𝑡, 1) ≤ 𝜀/2+ 𝑑 (𝛾(𝑡 ∗ ), 𝛾(1)) ≤ 𝜀. On a ainsi montré la continuité


de 𝑡 ↦→ 𝐿 (𝛾, 𝑡, 1) en 1.

Remarque 3. La longueur étant stable par reparamétrisation, on peut considérer


pour la suite que tous les chemins sont définis sur [0, 1], quitte à reparamétriser par
𝑡−𝑎
𝜏 : 𝑡 ↦→ 𝑏−𝑎 . Tous les résultats que l’on prouvera pour [𝑎, 𝑏] = [0, 1] tiennent donc
évidemment dans le cas général.

Une question naturelle est celle de la continuité de l’application 𝐿 : 𝐶 0 ([𝑎, 𝑏], 𝑋) → R.


En d’autres termes, si (𝛾 𝑘 ) 𝑘∈N est une suite de chemins tendant (uniformément ou
simplement) vers 𝛾, est-ce que 𝐿 (𝛾 𝑘 ) tend vers 𝐿(𝛾) ?

La réponse est négative : on n’a pas la semi-continuité supérieure. Par exemple, on peut

6
avoir 𝐿(𝛾 𝑘 ) = 2 pour tout 𝑘, mais 𝐿 (𝛾) = 1. C’est le cas dans l’illustration suivante,
où la suite (𝛾 𝑘 ) 𝑘∈N est de plus en plus foncée, tendant vers le segment horizontal.

Figure 2.1 – Suite de chemins de longueur constante

En revanche, la longueur est bien semi-continue inférieurement.

Propriété 5 (Semi-continuité inférieure). Lorsque 𝐿 est vue comme une application de


𝐶 0 ( [0, 1], 𝑋) dans R, elle est semi-continue inférieurement, i.e. elle vérifie pour toute
suite (𝛾 𝑘 ) 𝑘 ∈N tendant simplement vers 𝛾 : 𝐿 (𝛾) ≤ lim inf 𝐿(𝛾 𝑘 )
𝑘→∞

Í𝑁−1
Preuve. Si 𝑇 = {𝑡0 , . . . , 𝑡 𝑁 }, on note Σ𝑇 (𝛾) la quantité 𝑖=0 𝑑 (𝛾(𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖+1 )). Soit
𝜀 > 0. Il existe 𝑇 = {𝑡0 , . . . , 𝑡 𝑁 } tel que 𝐿(𝛾) ≤ Σ𝑇 (𝛾) + 𝜀. Mais alors, pour tout 𝑘
assez grand, on a 𝑑 (𝛾 𝑘 (𝑡𝑖 ), 𝛾(𝑡𝑖 )) < 𝜀/𝑁 ∀𝑖 ∈ {0, . . . , 𝑁 }. On en déduit, par inégalité
triangulaire, que Σ𝑇 (𝛾) ≤ Σ𝑇 (𝛾 𝑘 ) + 2𝜀. Donc 𝐿(𝛾) ≤ Σ𝑇 (𝛾 𝑘 ) + 2𝜀 ≤ 𝐿(𝛾 𝑘 ) + 2𝜀.

On a donc : ∀𝜀 > 0, 𝐿(𝛾) ≤ lim inf 𝐿 (𝛾 𝑘 ) + 2𝜀. D’où le résultat. □


𝑘→∞

2.2 Espaces de longueur


Généralement, en géométrie, la distance entre deux points dépend de la longueur des
chemins qui les relient. La notion d’espace de longueur formalise cette idée dans les
espaces métriques.

Définition 9 (Espace de longueur). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique :

7
— On dit que 𝑑 est intrinsèque si : ∀𝑥, 𝑦 ∈ 𝑋, 𝑑 (𝑥, 𝑦) = inf{𝐿(𝛾) | 𝛾 chemin de 𝑥 à 𝑦}.
— On dit que 𝑑 est strictement intrinsèque si cet infimum est atteint pour un
certain chemin, i.e. s’il existe un plus court chemin entre 𝑥 et 𝑦 dont la longueur
est égale à 𝑑 (𝑥, 𝑦) (lorsque cette distance est finie).
— Si 𝑑 est intrinsèque, on dit que (𝑋, 𝑑) est un espace de longueur.

En somme, un espace de longueur est un espace métrique auquel on rajoute une


contrainte pour sa distance : elle doit représenter "la distance nécessaire pour aller d’un
point à l’autre". Cette subtilité rend les espaces en question plus rigides, et leur donne
des propriétés agréables. Le lemme qui suit en donne un aperçu.

Exemple 1. Le cercle 𝑆 1 muni de la distance angulaire est un espace de longueur car


la distance entre deux points est égale à la longueur de l’arc qui les relie. Par contre,
le même cercle muni de la distance euclidienne n’est pas un espace de longueur.

Lemme 3. Soit (X, d) un espace de longueur, 𝑥 ∈ 𝑋 et 𝑅 > 0. On a ∀𝜀 > 0 :

(i) 𝐵(𝑥, 𝑅)𝜀 = 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀)

(ii) 𝐵(𝑥, 𝑅) = 𝐵(𝑥, 𝑅)

Preuve. Montrons (𝑖) : Soit 𝜀 > 0. Si (𝑋, 𝑑) est un espace métrique, l’inégalité
triangulaire implique 𝐵(𝑥, 𝑅)𝜀 ⊂ 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀). On montre l’inclusion réciproque pour
(𝑋, 𝑑) un espace de longueur. Soit 𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀) tel que 𝑑 (𝑥, 𝑦) ≥ 𝑅. Soit 0 < 𝛿 < 𝑅.
Il existe un chemin 𝛾𝛿 reliant 𝑥 à 𝑦 tel que 𝐿 (𝛾𝛿 ) < 𝑑 (𝑥, 𝑦) + 𝛿. Par continuité de
𝑡 ↦→ 𝐿(𝛾𝛿 , 0, 𝑡) et par le théorème des valeurs intermédiaires, il existe 𝑡 ∗ ∈ [0, 1]
tel que 𝐿(𝛾𝛿 , 0, 𝑡 ∗ ) = 𝑅 − 𝛿. On a d’abord 𝛾𝛿 (𝑡 ∗ ) ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅). Puis, 𝑑 (𝛾𝛿 (𝑡 ∗ ), 𝑦) ≤
𝐿 (𝛾𝛿 )−𝐿 (𝛾𝛿 , 0, 𝑡 ∗ ) < 𝑑 (𝑥, 𝑦)−𝑅+2𝛿. Soit maintenant 𝛿 > 0 tel que 𝑑 (𝑥, 𝑦) < 𝑅+𝜀−2𝛿.
Alors 𝑑 (𝛾𝛿 (𝑡 ∗ ), 𝑦) < 𝜀. Donc 𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅)𝜀

On montre à présent que (𝑖) ⇒ (𝑖𝑖) : Soit 𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅) et 𝜀 > 0. On a 𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀)


donc 𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅)𝜀 . D’où : ∃ 𝑥˜ ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅), 𝑑 (𝑦, 𝑥)
˜ < 𝜀. Ceci étant vrai pour tout 𝜀 > 0,
𝑦 ∈ 𝐵(𝑥, 𝑅) . Il suit que 𝐵(𝑥, 𝑅) ⊂ 𝐵(𝑥, 𝑅) . L’autre sens étant immédiat, on a l’égalité.

8
Exemple 2. On remarque que ces propriétés semblent intuitives, elles sont pourtant
fausses dans un espace métrique général. Dans la figure (2.2), 𝑋 est une partie non
convexe du plan, munie de la distance euclidienne. On voit qu’une partie de la boule
de rayon 𝑅 + 𝜀 n’est pas incluse dans l’𝜀-voisinage de la boule de rayon R.

Figure 2.2 – Contre exemple : une partie du plan euclidien

Ces propriétés, propres aux espaces de longueur, permettent d’étendre globalement


certaines propriétés locales.

Propriété 6. Un espace de longueur complet et localement compact est compact sur


tous les fermés bornés.

Preuve. Soit 𝑥 ∈ 𝑋 un point arbitraire. Il suffit de montrer que les boules fermées
centrées en 𝑥 sont toutes compactes (en effet, tout fermé borné est relativement fermé
dans une boule fermée de rayon assez grand).
n o
Puisque 𝑥 admet un voisinage compact, l’ensemble 𝑟 > 0, 𝐵(𝑥, 𝑟) est compact est
non vide, et admet donc une borne supérieure positive.Supposons par l’absurde que
celle-ci soit finie et notons-la 𝑅.

1. Montrons d’abord que 𝐵(𝑥, 𝑅) est précompacte. On fixe 𝜀 > 0. Considérons 𝑆 un


𝜀 𝜀

2 -net de 𝐵 𝑥, 𝑅 − 2 . En utilisant le lemme (3) et la propriété (1) :

9
𝜀
𝐵(𝑥, 𝑅) = 𝐵(𝑥, 𝑟 − ) 2𝜀 ⊂ (𝑆 2𝜀 ) 2𝜀 ⊂ 𝑆 𝜀
2

Donc 𝑆 est un 𝜀-net de 𝐵(𝑥, 𝑅), ce qui montre que 𝐵(𝑥, 𝑅) est précompacte, et donc
compacte.

2. On montre à présent qu’il existe 𝜀 tel que 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀) est compacte. Par compacité
locale, tout point 𝑦 de 𝐵(𝑥, 𝑅) admet un voisinage précompact U𝑦 . Comme 𝐵(𝑥, 𝑅)
est compacte, il existe {U𝑖 }𝑖∈𝐼 un sous-recouvrement fini de {U𝑦 } 𝑦∈𝐵(𝑥,𝑅) . De plus, par
Ð
le lemme (2), 𝑖∈𝐼 U𝑖 étant ouvert, il existe 𝜀 > 0 tel que 𝐵(𝑥, 𝑅)𝜀 = 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀) ⊂
Ð
𝑖∈𝐼 U𝑖 .

Puisque les U𝑖 sont précompacts, on en déduit que 𝐵(𝑥, 𝑅 + 𝜀) est précompacte et donc
compacte, ce qui contredit la maximalité de 𝑅. Ainsi toutes les boules fermées de centre
𝑥 sont compactes. □

10
Chapitre 3

Plus courts chemins et géodésiques

Dans la géométrie euclidienne, l’objet le plus fondamental est la ligne droite. Elle est
caractérisée par le fait que pour n’importe quel couple de points, le segment de droite
qui les relie est le plus court chemin de l’un à l’autre. Pour définir son analogue dans
les espaces de longueur, on s’intéresse donc à l’existence de plus courts chemins, et on
commence par se donner les outils nécessaires pour le faire.

Définition 10 (Plus court chemin). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique et 𝛾 un chemin. On


dit que 𝛾 est un plus court chemin si sa longueur est inférieure à tout chemin ayant les
mêmes extrémités.

3.1 Paramétrisation à vitesse constante


On a montré que la propriété fondamentale d’un chemin, sa longueur, est "indépen-
dante" de sa paramétrisation. Pour des raisons pratiques, on aimerait donc utiliser sa
paramétrisation la plus "naturelle". Intuitivement, c’est celle qui parcourrait le chemin
à "vitesse" constante. On montre d’abord l’existence d’une telle paramétrisation, pour
l’utiliser dans les preuves qui suivront.

Définition 11 (Vitesse constante). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique et 𝛾 : [𝑎, 𝑏] → 𝑋 un


chemin. On dit que 𝛾 est à vitesse constante si : ∃𝐶 ∈ R, ∀𝑡 ≤ 𝑡 ′ ∈ [𝑎, 𝑏], 𝐿 (𝛾, 𝑡, 𝑡 ′) =
𝐶 · (𝑡 ′ − 𝑡).

11
𝐿(𝛾)
Remarque 4. — On a toujours : 𝐶 = 𝑏−𝑎

— Si 𝛾 est paramétrée à vitesse constante C, elle est 𝐶-lipschitzienne.

Proposition 1 (Paramétrisation naturelle). Soit (𝑋, 𝑑) un espace métrique. Pour tout


chemin 𝛾 : [𝑎, 𝑏] → 𝑋 rectifiable, il existe un unique couple ( 𝛾,
˜ 𝜏) tel que 𝛾˜ est un
chemin à vitesse constante unitaire, 𝜏 : [𝑎, 𝑏] → [0, 𝐿(𝛾)] est continue, croissante et
surjective, et 𝛾 = 𝛾˜ ◦ 𝜏. En d’autres termes, tout chemin admet une unique paramétri-
sation à vitesse constante unitaire, qu’on appellera sa paramétrisation naturelle.

Preuve. On suppose sans perte de généralité que [𝑎, 𝑏] = [0, 1]. On va se contenter de
montrer l’existence d’une paramétrisation à vitesse constante (non unitaire) sur [0, 1].
La construction est assez simple, on raisonne par analyse-synthèse pour la rendre
intuitive. On suppose donc l’existence de ( 𝛾,
˜ 𝜏) tels que décrits dans l’énoncé. On a
˜ 0, 𝜏(𝑡)) = 𝜏(𝑡)𝐿 ( 𝛾)
en particulier que 𝐿(𝛾, 0, 𝑡) = 𝐿( 𝛾, ˜ = 𝜏(𝑡)𝐿(𝛾) où on utilise que
𝛾˜ est à vitesse constante, et que la longueur est stable par reparamétrisation. Donc
𝐿(𝛾,0,𝑡)
𝜏(𝑡) = 𝐿 (𝛾) .

˜ on aimerait écrire 𝛾˜ = 𝛾 ◦ 𝜏 −1 , mais 𝜏 n’est pas inversible. On


Pour déterminer 𝛾,
remarque cependant que 𝜏(𝑡) = 𝜏(𝑡 ′) ⇒ 𝐿 (𝛾, 𝑡, 𝑡 ′) = 0 ⇒ 𝛾(𝑡) = 𝛾(𝑡 ′). Donc si par
abus de notation, on note 𝜏 −1 : 𝑡 ↦→ 𝑡˜ où 𝑡˜ est un antécédent quelconque de t par 𝜏 (il
en existe au moins un), alors on a bien 𝛾˜ = 𝛾 ◦ 𝜏 −1 . On a donc déterminé 𝜏 et 𝛾˜ de
manière unique.

Réciproquement, 𝜏 est bien continue, croissante et surjective. Par construction, 𝛾 = 𝛾◦𝜏.


˜
Il reste à vérifier que 𝛾˜ est un chemin à vitesse constante. Si 𝑡 ≤ 𝑡 ′ ∈ [0, 1], on a
𝑑 ( 𝛾(𝑡),
˜ ˜ ′)) = 𝑑 (𝛾 ◦ 𝜏 −1 (𝑡), 𝛾 ◦ 𝜏 −1 (𝑡 ′)) ≤ 𝐿 (𝛾, 𝜏 −1 (𝑡), 𝜏 −1 (𝑡 ′)) = 𝐿 (𝛾)(𝑡 ′ − 𝑡). Donc
𝛾(𝑡
𝛾˜ est bien continu et par le même argument, il est à vitesse constante. □

3.2 Théorème d’Arzelà-Ascoli


L’existence de cette paramétrisation naturelle nous sert dès à présent pour montrer le
théorème suivant.

Théorème 2 (Arzelà-Ascoli). Si (𝑋, 𝑑) est un espace métrique compact, alors toute

12
séquence de chemins (𝛾𝑖 )𝑖∈N de longueur uniformément bornée admet une sous-suite
uniformément convergente.

Preuve. On suppose (quitte à reparamétriser) que ∀𝑖 ∈ N, 𝛾𝑖 est paramétrée à vitesse



constante. Soit maintenant Q = 𝑞 𝑗 𝑗 ∈N l’ensemble des rationnels dans [0, 1]. Par
compacité de (𝑋, 𝑑), ∀ 𝑗 ∈ N, (𝛾𝑖 (𝑞 𝑗 ))𝑖∈N admet une sous-suite convergente. Par le
procédé diagonal de Cantor, il existe donc une suite extraite qui converge simplement
pour tout 𝑞 𝑗 . On suppose sans perte de généralité que (𝛾𝑖 )𝑖∈N elle-même converge
simplement, et ∀ 𝑗 ∈ N, on note 𝛾(𝑞 𝑗 ) B lim 𝛾𝑖 (𝑞 𝑗 ).
𝑛→∞

On remarque à présent que ∀𝑖 ∈ N, ∀𝑡 ≤ 𝑡 ′ ∈ [0, 1], 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡), 𝛾𝑖 (𝑡 ′)) ≤ 𝐿(𝛾𝑖 , 𝑡, 𝑡 ′) =


𝐿(𝛾𝑖 )|𝑡 − 𝑡 ′ | ≤ 𝐶 |𝑡 − 𝑡 ′ |, où 𝐶 B sup 𝐿(𝛾𝑖 ). Donc les 𝛾𝑖 sont 𝐶-lipschitziennes et, en
𝑖∈N
passant à la limite, 𝛾 : Q → (𝑋, 𝑑) est 𝐶-lipschitzienne. Q étant dense dans [0, 1],
on peut prolonger 𝛾 en une fonction 𝐶-lipschitzienne [0, 1] → (𝑋, 𝑑), qu’on notera
encore 𝛾. Il reste donc à montrer que (𝛾𝑖 )𝑖∈N converge uniformément vers 𝛾.

Soit 𝜀 > 0. Soit 0 = 𝑡0 < · · · < 𝑡 𝑁 = 1 ⊂ Q tels que |𝑡𝑖+1 − 𝑡𝑖 | < 𝜀/𝐶 ∀𝑖 ∈ J0, 𝑁K. Soit
𝑀 ∈ N tel que ∀𝑖 ≥ 𝑀, 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡 𝑘 ), 𝛾(𝑡 𝑘 )) < 𝜀 ∀𝑘 ∈ J0, 𝑁K. Soit maintenant 𝑡 ∈ [0, 1]. Il
existe un unique 𝑘 ∈ J0, 𝑁K tel que 𝑡 ∈ [𝑡 𝑘 , 𝑡 𝑘+1 ]. Et alors :

∀𝑖 ≥ 𝑀, 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡), 𝛾(𝑡)) ≤ 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡), 𝛾𝑖 (𝑡 𝑘 )) + 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡 𝑘 ), 𝛾(𝑡 𝑘 )) + 𝑑 (𝛾(𝑡 𝑘 ), 𝛾(𝑡)) ≤ 3𝜀.

On vient de montrer que ∀𝜀 > 0, ∃𝑀 ∈ N, ∀𝑖 ≥ 𝑀, sup 𝑑 (𝛾𝑖 (𝑡), 𝛾(𝑡)) < 𝜀. Il y a


𝑡∈[0,1]
donc convergence uniforme. □

3.3 Existence de plus courts chemins


Le théorème d’Arzelà-Ascoli nous permet de déduire une condition suffisante pour
l’existence de plus courts chemins.

Théorème 3. Si (𝑋, 𝑑) est un espace de longueur complet localement compact, alors


pour tout 𝑥, 𝑦 ∈ 𝑋 tels que 𝑑 (𝑥, 𝑦) < ∞, il existe un plus court chemin de 𝑥 à 𝑦 (i.e. 𝑑
est strictement intrinsèque).

Preuve. D’après la propriété (6), 𝑋 est compact sur toutes les boules fermées. Soit

13
𝑥, 𝑦 ∈ 𝑋. Puisque (𝑋, 𝑑) est un espace de longueur 𝑑 (𝑥, 𝑦) est l’infinimum des longueurs
des courbes reliant 𝑥 et 𝑦. Il existe donc une suite de courbes 𝛾𝑖 vérifiant 𝐿(𝛾𝑖 ) → 𝐿 0 :=
𝑑 (𝑥, 𝑦). Quitte à extraire on peut supposer que la suite 𝛾𝑖 est uniformément bornée en
longueur, et en particulier contenue dans une boule fermée. On peut donc appliquer le
théorème d’Ascoli : quitte à extraire encore, la suite {𝛾𝑖 } converge uniformément vers
une courbe 𝛾. 𝛾 relie également 𝑥 et 𝑦 et par semi continuité inférieure voir (5) de 𝐿,
𝐿(𝛾) ≤ lim𝑖 𝐿(𝛾𝑖 ) = 𝐿 0 . Donc 𝐿 (𝛾) = 𝐿 0 . □

Remarque 5. Il y a en fait existence de plus court chemin dans tout espace métrique
compact. Dans un espace de longueur, la compacité locale et la complétude suffisent.

3.4 Théorème de Hopf-Rinow-Cohn-Vossen


Dès lors qu’on quitte les espaces euclidiens, l’idée intuitive de la ligne droite perd la
propriété d’être un plus court chemin globalement. Par exemple, sur une sphère, une
ligne droite dont la longueur dépasse une demi-circonférence n’est plus un plus court
chemin. Elle garde cependant une propriété un peu moins forte, qui nous permet de
définir la notion de géodésique dans un espace de longueur : c’est localement un plus
court chemin.

Définition 12 (Géodésique). Soit (𝑋, 𝑑) un espace de longueur.


— Une courbe 𝛾 : 𝐼 → 𝑋 est une géodésique si pour tout 𝑡 ∈ 𝐼, il existe un
intervalle fermé 𝐽 ⊂ 𝐼, voisinage de 𝑡, tel que 𝛾 |𝐽 est un plus court chemin.
— On dit que 𝛾 est une géodésique minimale si sa restriction à tout intervalle
fermé est un plus court chemin.

Remarque 6. Une géodésique peut-être définie sur un intervalle ouvert, ce n’est donc
pas un chemin au sens de la définition (7). Il n’est d’ailleurs pas toujours possible de
prolonger une géodésique en un chemin, comme le montre l’exemple suivant :

14
Figure 3.1 – Géodésique dans R2 \ {0}

Une condition suffisante pour prolonger les géodésiques en des chemins est la complé-
tude de l’espace : c’est le théorème (1). Le théorème de Hopf-Rinow affirme que cette
condition est également nécessaire. Avant d’énoncer ce dernier, on donne un lemme
qui nous servira à le démontrer.

Lemme 4. Soit (𝑋, 𝑑) un espace de longueur. Si (𝛾𝑖 )𝑖∈N : [𝑎, 𝑏] → 𝑋 est une suite de
plus courts chemins convergeant simplement vers 𝛾 : [𝑎, 𝑏] → 𝑋, alors 𝛾 est un plus
court chemin.

Preuve. On note (𝑥𝑖 , 𝑦𝑖 ) := (𝛾𝑖 (𝑎), 𝛾𝑖 (𝑏)) les extrémités de 𝛾𝑖 et (𝑥, 𝑦) = lim (𝑥𝑖 , 𝑦𝑖 ).
𝑛→∞
On a alors par semi-continuité inférieure de la longueur :

𝐿 (𝛾) ≤ lim inf 𝐿 (𝛾𝑖 ) = lim inf 𝑑 (𝑥𝑖 , 𝑦𝑖 ) = 𝑑 (𝑥, 𝑦)


𝑖→∞ 𝑖→∞

Enfin, par définition de la longueur, 𝐿 (𝛾) ≥ 𝑑 (𝑥, 𝑦). Donc on a l’égalité. □

Théorème 4 (Hopf-Rinow-Cohn-Vossen). Soit (𝑋, 𝑑) un espace de longueur locale-

15
ment compact. Alors (𝑋, 𝑑) est complet si et seulement si toute géodésique 𝛾 : [0, 𝑎) →
𝑋 peut être prolongée par continuité en 𝛾 : [0, 𝑎] → 𝑋.

Preuve. On montre le sens indirect. L’autre est une conséquence du théorème de


prolongement par continuité dans un espace complet.

On suppose ici que tous les chemins et géodésiques sont paramétrés à vitesse constante
égale à 1.

Supposons que toute géodésique 𝛾 : [0, 𝑎) → 𝑋 peut-être prolongée continûment en


𝛾 : [0, 𝑎] → 𝑋. On va montrer que toute boule fermée est compacte, ce qui implique
la complétude de (𝑋, 𝑑), car toute suite de Cauchy est bornée donc contenue dans
une boule fermée ; et toute suite de Cauchy admettant une valeur d’adhérence est
convergente.

Soit 𝑝 ∈ 𝑋. Supposons par l’absurde que :

n o
𝑅 = sup 𝑟 > 0 | 𝐵( 𝑝, 𝑟) est compacte < +∞

1. Montrons d’abord que 𝐵( 𝑝, 𝑅) est compacte. On va montrer que 𝐵( 𝑝, 𝑅) est relati-


vement compacte, i.e toute suite admet une sous-suite convergente.

Soit (𝑥 𝑛 )𝑛∈N une suite de 𝐵( 𝑝, 𝑅). Notons 𝑟 𝑛 = 𝑑 ( 𝑝, 𝑥 𝑛 ). On peut supposer 𝑟 𝑛 −−−−−→ 𝑅


𝑛→+∞
car dans le cas contraire, la suite est contenue dans une boule de rayon strictement
inférieur à 𝑅 qui est compacte et donc admet une sous-suite convergente. On a 𝑟 𝑛 < 𝑅
pour tout 𝑛 et donc d’après le théorème (3), il existe un plus court chemin 𝛾𝑛 reliant 𝑝
et 𝑥 𝑛 , que l’on munit de sa paramétrisation à vitesse unitaire sur [0, 𝑟 𝑛 ].

On utilise à présent un argument diagonal de Cantor. La suite de chemins 𝛾𝑛 | [0,𝑟1 ] 𝑛∈N
est à valeurs dans un compact et donc, d’après le théorème d’Arzelà-Ascoli (2), on
peut extraire de la suite des (𝛾𝑛 )𝑛∈N une sous suite telle que leur restrictions à [0, 𝑟 1 ]
converge. De cette suite, on peut extraire une nouvelle sous-suite telle que les restrictions
à [0, 𝑟 2 ] convergent, etc. On construit ainsi la suite (𝛾𝑛 𝑘 ) 𝑘 ∈N de sorte que pour tout 𝑘,
𝛾𝑛 𝑘 correspond au 𝑘-ème élément de la 𝑘-ème extraction. Donc, pour tout 𝑡 ∈ R, à partir
d’un certain 𝑘, 𝛾𝑛 𝑘 (𝑡) est bien défini et converge dans (𝑋, 𝑑) vers un élément que l’on

16
note 𝛾(𝑡). On a ainsi une application 𝛾 : [0, 𝑅) → 𝑋 telle que 𝛾 est 1-lipschitzienne,
comme limite d’applications 1-lipchitziennes.

Montrons à présent que 𝛾 est une géodésique. Pour 𝐽 un intervalle fermé inclus dans
[0, 𝑅), il existe 𝑘 t.q 𝐽 ⊂ [0, 𝑟 𝑘 ]. Et 𝛾 |𝐽 = lim 𝛾𝑛 𝑘 |𝐽 . En particulier, 𝛾 |𝐽 est limite
𝑘→∞
simple d’une suite de plus courts chemins donc d’après le lemme (4), 𝛾 |𝐽 est un plus
court chemin, ce qui montre que 𝛾 est une géodésique (minimale). Par hypothèse, on
peut donc étendre 𝛾 par continuité en 𝑅 pour obtenir un chemin 𝛾 : [0, 𝑅] → 𝑋.

Montrons maintenant que 𝑥 𝑛 𝑘 = 𝛾𝑛 𝑘 (𝑟 𝑛 𝑘 ) →𝑘→∞ 𝛾(𝑅). Soit 𝜀 > 0 et 𝑟 ∈ [𝑅−𝜀, 𝑅]. Soit
𝐾 ∈ N tel que ∀𝑘 ≥ 𝐾, 𝑟 𝑛 𝑘 ≥ 𝑟 et 𝑑 (𝛾𝑛 𝑘 (𝑟), 𝛾(𝑟)) ≤ 𝜀. On a alors : 𝑑 (𝛾𝑛 𝑘 (𝑟 𝑛 𝑘 ), 𝛾(𝑅)) ≤
𝑑 (𝛾𝑛 𝑘 (𝑟 𝑛 𝑘 ), 𝛾𝑛 𝑘 (𝑟)) + 𝑑 (𝛾𝑛 𝑘 (𝑟), 𝛾(𝑟)) + 𝑑 (𝛾(𝑟), 𝛾(𝑅)) ≤ 3𝜀.

On a donc montré que (𝑥 𝑛 )𝑛∈N admet une sous-suite convergente. Donc 𝐵( 𝑝, 𝑅) est
relativement compacte. Donc, d’après (3), 𝐵( 𝑝, 𝑅) = 𝐵( 𝑝, 𝑅) est compacte.

2. On montre à présent qu’il existe 𝜀 > 0 tel que 𝐵( 𝑝, 𝑅 + 𝜀) est compacte. (𝑋, 𝑑)
étant localement compact, on a : ∀𝑥 ∈ 𝐵( 𝑝, 𝑅), ∃𝑟 𝑥 > 0, 𝐵(𝑥, 𝑟 𝑥 ) est relativement
compacte. Par compacité de 𝐵( 𝑝, 𝑅), il existe 𝑥 1 , . . . , 𝑥 𝑛 ∈ 𝐵( 𝑝, 𝑅) tels que 𝐵( 𝑝, 𝑅) ⊂
Ð𝑛
𝑖=1 𝐵(𝑥𝑖 , 𝑟 𝑥𝑖 ).
Ð𝑛
𝐵( 𝑝, 𝑅) étant compacte et 𝐵(𝑥𝑖 , 𝑟 𝑥𝑖 ) ouvert, par le lemme (2), il existe 𝜀 > 0
𝑖=1
Ð𝑛
tel que 𝐵( 𝑝, 𝑅)𝜀 = 𝐵( 𝑝, 𝑅 + 𝜀) ⊂ 𝑖=1 𝐵(𝑥𝑖 , 𝑟 𝑥𝑖 ) qui est relativement compact. Donc
𝐵( 𝑝, 𝑅 + 𝜀) est compacte.

Il suit que 𝑅 = +∞, donc (𝑋, 𝑑) est complet. □

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Conclusion

Ce mémoire nous a principalement amenés à étudier les propriétés des chemins dans les
espaces métriques, leur paramétrisation, et la notion de longueur qui leur est associée.
Elle nous a permis d’apprécier, notamment grâce au théorème de Hopf-Rinow, l’intérêt
des géodésiques dans la description de la géométrie d’un espace de longueur.

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Bibliographie

[1] D. Burago et al. A Course in Metric Geometry. Crm Proceedings & Lecture
Notes. American Mathematical Society, 2001. isbn : 9780821821299. url :
https://books.google.fr/books?id=dRmIAwAAQBAJ.

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