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L’Ours
d’Anton Tchékhov
pour marionnettes et comédiens
Traduction : Elsa Triolet
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Sommaire
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Origine du projet et démarche
(https://www.youtube.com/watch?v=7HcpBz8N8ZI).
(https://www.youtube.com/watch?v=8DlrRLPbxmA)
(https://www.youtube.com/watch?v=Y4zZj-ydZLc )
2) Nous voulions monter L’Ours de Tchékhov, une des plus belles farces du
répertoire. ( Texte intégral à la fin du dossier )
3) Nous avions les deux comédiens idéaux pour cette aventure. Nicole Bachmann
et Pierre-Isaïe Duc dont la complicité rare s’était faite jour lors du 1500 ème
anniversaire de l’Abbaye de St-Maurice, Des hommes et des siècles. Voir CV
des comédiens à la fin du dossier et le site du Théatre du Saule Rieur (
https://www.saulerieur.ch )
Démarche
La Compagnie du Saule Rieur s’est fait connaître par ses spectacles célébratifs
populaires dans la rue (Calvin, Rousseau, l’Abbaye de St- Maurice)
A ce jour, voici l’état de l’histoire que nous avons inventée pour notre Ours
et que nous développerons en août prochain avec les comédiens, le décorateur
et la costumière.
La pièce
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L’Ours, comédie en un acte écrite en 1888 a pour protagonistes des propriétaires
terriens. Popova, veuve depuis sept mois, s'est retirée du monde et refuse de
recevoir Smirnov, un exploitant à qui son mari devait de l'argent, et qui vient, lui-
même tenu par ses propres dettes, le lui réclamer. Désespéré, mais surtout très en
colère devant ce refus, Smirnov décide de rester chez Popova jusqu'à ce qu'elle le
paie. Le créancier goujat sera bien surpris lorsque la veuve sortira son Smith
et Wesson pour le provoquer en duel.
Les personnages, et c’est tout l’art de Tchekhov, sont loin d’être dénués
d’ambiguïté. Ainsi, la rencontre entre une belle veuve orgueilleuse qui n’a pas froid
aux yeux et un célibataire endurci donne lieu à de magnifiques échanges sur
l’évolution de la société russe. En question, le statut des femmes, ces « créatures
poétiques » qui souhaitent l’égalité, mais se donnent parfois des airs de ne pas y
toucher… C’est dans leur faiblesse que les personnages de Tchékhov sont grands,
comme dans le comique de la jeune veuve et de son intrus râleur ; et le bonheur de
pouvoir assister de si près à l’intimité de ces petits drames et de ces joyeux
recommencements donne à cette pièce une grâce inattendue. On rit beaucoup des
conventions d'une société figée dans l'art des apparences, surtout quand ces mêmes
conventions se fissurent pour le plus grand plaisir des spectateurs.
Tchekhov, dans ces farces construites sur des intrigues très simples, dissèque les
obsessions matérialistes de personnages qui voudraient pourtant bien croire à
l’amour. Mais, derrière les portraits psychologiques redoutables de ces êtres
empêtrés dans leurs contradictions, une véritable satire sociale est en marche.
Dans son œuvre, Tchekhov a toujours accordé beaucoup d’importance aux figures
féminines et à leur émancipation. Dans l’Ours, la veuve intrépide armée de son
pistolet est, au contraire, celle qui annonce les changements à venir.
Notre fable
Carmen Zorn, fille du directeur du Théâtre de marionnettes, décédé récemment, a
décidé de monter l’Ours de Tchékhov avec ses marionnettes. Elle compte jouer le
rôle de Popova et a réengagé pour lui donner la réplique, l’artiste de cirque,
Giovanni Blitz, jongleur émérite. Débauché par Carmen Zorn une première fois pour
jouer Mademoiselle Julie d’August Strinberg, Giovanni Blitz a ensuite enchaîné sur
toute la saison en participant à plusieurs spectacles pour enfants. Le théâtre ayant
de graves problèmes de trésorerie depuis la dispariton du directeur, Giovannni n’a
pas été payé depuis 3 mois. Ce qui ne facilite pas la relation entre la patronne et
lui...
Quand le spectacle démarre, Giovanni se trouve seul en scène, à côté de la
marionnette d’Elena Ivanovna Popova, inanimée, comme statufiée. La manipulatrice
est en retard : Carmen est allée au mariage de sa sœur et a été visiblement retardée.
Giovanni meuble en attendant le retour de la patronne en expliquant au public les
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difficultés du métier… Carmen arrive enfin, en demoiselle d’honneur, court en
coulisse, met rapidement un tablier de bonne autour d’elle et se place pour
manipuler Popova. La farce peut commencer…
3) Il s’agit d’une histoire de cœurs dans laquelle les marionnettes, les personnages,
les marionnettistes s’attirent, s’aiment, se désirent… Un grand chant d’amour à
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quatre voix ! Jubilations sensibles, intellectuelles et vertigineuses de jeu que nous
ferons croître au fil des scènes.
Grâce soit rendue à Grigori Stepanovitch Smirnov qui sous l’apparence d’un
lieutenant bourru et grotesque crie son Je vous aime ! à la face du monde, abolissant
par là tous les atermoiements du marivaudage, tous les enfantillages des vaudevilles
français, toutes les tragiques introversions des personnages des grands drames
tchékhoviens ! Comme si Tchékhov avait voulu nous montrer l’envers de son décor.
4) La farce de Tchékhov contient 3 personnages : Grigori Stépanovitch Smirnov, Elena
Ivanovna Popova et son valet Louka. Nous n’aurons que 2 marionnettes, une pour
Smirnov, l’autre pour Popova. Louka, le vieux serviteur de Popova sera incarné par
le marionnettiste. Ainsi quand Smirnov la marionnette interpellera Louka incarné par
le marionnettiste, apparaîtra d’emblée la subordination du manipulateur à sa
marionnette.
La marionnettiste qui manipulera Popova, incarnera occasionnellement la servante
Dachenka, doublure féminine et fonctionnelle du valet Louka. Ainsi, d’emblée, il
apparaîtra que les deux serviteurs, Dacha et Louka sont attirés l’un par l’autre, avant
que l’on devine que ce sont les marionnettistes eux-mêmes qui s’attirent.
Dans notre lecture de L’Ours la passion du couple tchékhovien initial sera multipliée
par trois. La fusion finale réunira tout (le décor jouera également son rôle…) et tous
dans une joyeuse incandescence. Mais auparavant, nous aurons basculé plusieurs fois
d’un plan à l’autre, recherchant à créer une sorte de vertige joyeux et partager un
pur plaisir artistique de jeu, de virtuosité. Libres aux plus attentifs d’y voir une
métaphysique…
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Pour goûter à l’Ours, il n’est pas besoin de prérequis, la trame est très simple. Par
contre, en classe, on pourrait attiser l’envie des étudiants en leur faisant lire la farce
( Texte intégral en fin de dossier. )
Méthode de lecture
La lecture, si elle est rondement menée peut-être effectuée en 45 minutes ( un ou
deux cours maximum.)
La farce débutant par la crise du vieux serviteur Louka, on aura soin de demander
aux lecteurs de geindre, de gémir, histoire de mettre tout de suite la lecture sur
des rails comiques.
Le personnage d’Elena Popova est le plus difficile à jouer pour de jeunes interprètes.
Ils s’agit tout d’abord d’être très déterminée et catégorique dans cette volonté de
vouloir ne plus vivre, par fidélité… Il y a chez Popova une grande détermination, une
froide et sincère tristesse, mais - et c’est là où tout se complique – une certaine
façon de se trouver magnifique dans sa tristesse, comme si, dit un peu
cavalièrement, Elena Ivanovna se jouait du violon à l’intérieur…
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1) Le monologue de Smirnov.
2) La réplique cinglante de Popova.
3) L’ébouriffante scène finale.
I. Le monologue de Smirnov.
SMIRNOV, seul.
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en avoir des crampes dans les mollets. À crier au secours !
Exercice :
POPOVA . – Permettez ... alors qui donc, d'après vous, est fidèle et
constant en amour? C'est l'homme peut-être?
SMIRNOV. - Parfaitement... l'homme!
POPOVA . - L'homme! (Un rire méchant.) L'homme est fidèle et constant
en amour! Ça c'est du nouveau! (Avec vivacité.) Mais qui vous a donné le
droit de parler ainsi? Les hommes sont fidèles et constants! Si on allait
par-là, je pourrais vous dire que de tous les hommes que j'ai connus, le
meilleur était mon défunt mari... Je l'ai aimé passionnément, de tout mon
être, comme peut aimer une jeune femme sensible, je lui ai donné ma
jeunesse, le bonheur, ma vie, ma fortune, je ne vivais que par lui, je
l'adorais comme une païenne, et... et lui ? Ce meilleur d'entre tous les
hommes me trompait à chaque pas de la façon la plus éhontée! Après sa
mort, j'ai trouvé dans son bureau un plein tiroir de lettres d'amour, et de
son vivant - j'y songe encore avec horreur ! - il me laissait seule des
semaines entières, faisait la cour aux femmes sous mes yeux, me trompait
et jetait par les fenêtres mon argent, se moquait de mes sentiments... Et
malgré tout cela, je l'aimais et je lui étais fidèle, avec la même constance,
je me suis pour toujours enfermée entre ces quatre murs et je porterai son
deuil jusqu'à ma mort...
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Smirnov tombera amoureux, avant tout !
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semblable! Je suis perdu! Fichu! Je suis pris au piège comme un rat!
POPOVA . - Ne m'approchez pas, ou je tire!
SMIRNOV. - Tirez! Vous ne pouvez pas comprendre le bonheur de mourir
sous ces yeux merveilleux, de mourir d'une balle tirée par cette petite main
de velours... Je deviens fou! Réfléchissez et décidez tout de suite, parce
que si je sors d'ici nous ne nous reverrons plus jamais! Décidez... Je suis
de bonne famille, je suis un honnête homme, j'ai dix mille roubles de
revenus par an... je fais mouche en tirant sur une pièce de monnaie jetée
en l'air... j'ai d'excellents chevaux... voulez-vous être ma femme ?
POPOVA , indignée, brandissant le revolver. - On se bat! Sur le terrain!
SMIRNOV. - Je deviens fou... Je ne comprends plus rien... (Il crie.)
Quelqu'un là-bas, de l'eau!
POPOVA, crie. - Sur le terrain!
SMIRNOV. - Je suis fou, je suis amoureux comme un collégien, comme
un imbécile! (Il l'attrape par la main, elle pousse un cri de douleur.) Je vous
aime! (Il tombe à genoux.) J'aime comme jamais je n'ai aimé! J'ai quitté
douze femmes, et neuf femmes m'ont quitté, mais je n'en ai aimé aucune
comme je vous aime... Je suis à ramasser à la cuillère, de la gelée, du
sirop, du miel... à genoux comme un imbécile à demander sa main... Une
honte, un déshonneur! Il y a cinq ans que je n'ai pas été amoureux, j'avais
fait le serment de ne plus jamais, plus jamais... et patatras! ça me prend
comme la toux au chat... Je tombe amoureux, la tête la première! Je
demande votre main. Oui ou non? Vous ne voulez pas? Tant pis! (Il se
lève et va rapidement vers la porte.)
POPOVA. - Un moment...
SMIRNOV, s'arrête. - Eh bien ?...
POPOVA. - Rien, allez-vous-en... C'est-à-dire... Un moment... Non, allez-
vous-en, allez-vous-en! Ah! si vous saviez comme je suis en colère,
comme je suis en colère! (Elle jette le revolver sur la table.) J'ai les doigts
tout engourdis par cette saleté!... (De rage, elle déchire son mouchoir.)
Qu'attendez-vous? Fichez le camp d'ici!
SMIRNOV. - Adieu.
POPOVA . - Oui, c'est ça, allez-vous-en!... (Elle crie:) Où allez-vous?
Attendez... C'est-à-dire... Sortez. Ah! comme je suis en colère! Ne
m'approchez pas, ne m'approchez pas!
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SMIRNOV, s'approchant d'elle. - Comme je m'en veux! Amoureux comme
un collégien, une déclaration à genoux... J'en ai froid dans le dos...
(Grossier.) Je vous aime! Qu'est-ce qui me prend de tomber amoureux de
vous! J'ai des intérêts à payer demain, on a commencé à faucher, et il faut
que je tombe sur vous... (Il la prend par la taille.) Je ne me le pardonnerai
jamais.
POPOVA- - Ne m'approchez pas! Bas les pattes! Je vous... hais! Sur le
terrain ! (Un long baiser.)
Exercice :
1) Lire scrupuleusement le passage en étudiant particulièrement les
didascalies et en repérant tous les points d’exclamation.
2) Prendre la réplique suivante : - Ecoutez... êtes-vous toujours
fâchée?... Moi aussi, je suis bigrement en colère, mais il faut
comprendre... comment dire... Voyez-vous, une histoire comme
celle-ci est véritablement... (Il crie.) Enfin, est-ce de ma faute si vous
me plaisez? (Il attrape le dossier d'une chaise, la chaise craque et
se casse.) Vous avez des meubles d'une fragilité ! Vous me plaisez
! Voulez-vous comprendre! Je suis... Je suis presque amoureux!
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N.B. : Il est possible que le Théâtre du Saule Rieur organise un petit
concours de théâtre avec ces trois morceaux choisis, que les
professeurs et élèves intéressés s’annoncent.
Distribution
Auteur
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Anton Pavlovitch Tchekhov, né le 29 janvier 1860 à Taganrog (Russie),
mort le 2 juillet/15 juillet 1904 à Badenweiler (Allemagne), est un nouvelliste et
dramaturge russe, médecin de profession. Ami d'Ivan Bounine, Maxime Gorki, Léon
Tolstoï, Fédor Chaliapine, Souvorine, il est l'oncle de Mikhaïl Tchekhov, disciple de
Constantin Stanislavski.
Ses parents sont des petits commerçants. Anton Tchekhov étudie la médecine à
l'université de Moscou et commence à exercer à partir de 1884. Se sentant
responsable de sa famille, venue s'installer à Moscou après la faillite du père, il
cherche à augmenter ses revenus en publiant des nouvelles dans divers journaux. Le
succès arrive assez vite. Il ressent très tôt les premiers effets de la tuberculose, qui
l'obligera à de nombreux déplacements au cours de sa vie pour tenter de trouver un
climat qui lui convienne mieux que celui de Moscou.
Lors d'une ultime tentative de cure, Anton Tchekhov meurt le 2 juillet 1904 à
Badenweiler en Allemagne.
Biographies
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Cyril Kaiser, metteur en scène, professeur d’art dramatique,
comédien, fondateur et directeur artistique du Théâtre du Saule Rieur.
Animateur de nombreux stages de masques neutres, de clowns et de commedia
dell’arte.
En 2009, création de Calvin. un itinéraire, théâtre itinérant, dans la Vieille Ville de
Genève qui remporte un franc succès à la suite duquel sera fondée La Compagnie
du Saule Rieur. Conseiller pour les cultes télévisés de l’année Calvin.
En 2010, reprise du Calvin, un itinéraire à la demande de la Ville de Genève.
2011 Le Misanthrope de Molière à La Fusterie, l’ancien temple-refuge de huguenots.
Sélectionné par le journal Le Temps parmi les 10 meilleurs spectacles de l’année
2011.
2012 à la requête de Monsieur Pierre-André Loizeau, directeur du Conservatoire et
Jardin botanique de Genève, création de Jean-Jacques Rousseau, une promenade,
spectacle itinérant dans les jardins du Jardin botanique. Tricentenaire de Jean-
Jacques Rousseau.
2014 Cours de rhétorique à l’université pour les étudiants en droit.
2015 Des hommes et des siècles, troisième création d’un théâtre itinérant pour la
Ville de St-Maurice à l’occasion des 1500 ans de la création de l’abbaye. 40 figurants,
7 comédiens professionnels, une cantatrice.
Formation des ouvreuses au Théâtre des Marionnettes de Genève.
2016, Lecture au Temple de Saint Gervais, à Genève du Mystère de la deuxième
vertu de Charles Peguy.
Rôle du récitant dans Nicolas de Flüe d’Arthur Honnegger à Saint-Maurice et à
Payerne.
Juin, juillet 2017, tournage dans le Valais de La débacle du Giétroz, documentaire
fiction de Christian Berut, produit par Filmic production. Formation des figurants, et
direction des acteurs professionnels.
2017 Tournée de La Conférence sur le Théâtre de Charles Chopard, one man show.
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Nicole Bachmann, née à Bienne, suit une formation de comédienne à
l'Ecole Supérieure d'Art Dramatique de Genève, puis obtient un diplôme de
Dramaturgie à l'Université de Lausanne en 2005.
Elle a collaboré pendant plus de 10 ans avec le Théâtre de la Grenouille à Bienne,
comme comédienne sur plusieurs productions, puis également comme traductrice et
comme assistante à la dramaturgie. Parallèlement à cette expérience, elle participe
en tant que comédienne aux trois spectacles de la Compagnie genevoise Clair-obscur
qu'elle a co-fondée, Le Miracle en 2003, Sous les yeux des femmes gardes-côtes en
2006, et PALAVIE de Valérie Poirier en 2015, sélectionné pour la 3e édition des
Rencontres du Théâtre Suisse. Elle poursuit depuis 2009 une collaboration artistique
avec le Théâtre du Saule Rieur, sous la direction de Cyril Kaiser (Calvin un itinéraire
en 2009 et 2010, Le Misanthrope de Molière en 2011, Rousseau un itinéraire en 2012,
Des hommes et des siècles à St-Maurice en 2015).
Elle tourne également ponctuellement pour la télévision, donne des cours de
théâtre, écrit des spectacles pour enfants et enseigne l'histoire du théâtre et la
communication.
A vingt ans, après avoir terminé une école de commerce et le cours de cafetier-
restaurateur, il part pour Paris, suivre une formation de comédien. Dès sa sortie de
cours, il travaille en France sous la direction de metteurs en scènes tels que
Patrice Kerbrat, Jacques Hadjdaje, Jacques Connort, Jean-Pierre Loriol,
Emmanuelle Weisz…
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Francy Schory, Denis Rabaglia, Daniel Wolf, Walter Manfré, Jean Bellorini, Jean
Louis Johannidès, Nathalie Sandoz…
En 2000, il fonde la Cie Corsaire Sanglot avec ses complices Isabelle Pellissier
(scénographe) et Christophe Ryser.(musicien). Leur premier spectacle, le Panapé de
Caméla d’après des poèmes de Robert Desnos a été créé à la Cave 12 à Genève. En
2006, il écrit et joue un monologue, le Chant du bouquetin qui parle de ses racines
valaisannes. Ce spectacle à été repris dans plusieurs villes romandes en 2009 (plus
de 80 dates). Et puis, il créée le Pré ou les poèmes skilistiks en 2011 qu’il écrit et
met en scène et tourne dans plusieurs villes de Suisse romande (32 dates). Ce
spectacle créé avant la Lex Weber parle de manière absurde du problème des
résidences secondaires en milieu touristique et plus particulièrement dans les Alpes.
Activité professionnelle :
- sculpteur au Théâtre des Marionnettes de Genève, de 1993 à 2001
- sculpteur et scénographe installé à son compte depuis septembre 2001
Activités pédagogiques :
- enseignant à temps partiel à l’Ecole des arts appliqués (CFPA) de Genève depuis
2003, cours de dessin et de volume.
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/ I.Niculescu - Little Nemo, 1997 / S.Barberis - Djali, la chèvre musicienne, 1997 /
M.Millner- La Tempête, 1998 / J.Levandovski -Le Buisson ardent, 1998 / I.Niculescu
- Varenka, 1999 / J.Levandovski - La princesse et l’écho, 2000 / I.Niculescu - La tête
du dragon, 2001 / R Salomon –
L’oiseau chanteur, 2002 / G.Jutard - Paspesant et Filevent, 2003 / G.Jutard - Lapins
carottes, 2004 / D.Carrier - La cour des petits, 2006 / G.Jutard - La sorcière au
placard à balais, 2007 / C.I Barbey - Un os à la noce, 2008 / I.Matter - Rabelais, la
nuit, 2011 / S. Martin Th. De la Parfumerie - Pièces détachées, 2012 / V.Poirier -
Petite Soeur, 2014 / Cie Pasquier – Rossier - Le Dératiseur de Hamelin 2015/Petit
Théâtre Lausanne /TMG/ Cie Pied de Biche/F.Ozier J.Burnier - Si je rêve, 2016 /
TMG / I.Matter
Scénographies :
Little Nemo, 1997, aux Marionnettes de Genève / S.Barberis - Varenka, 1999, aux
Marionnettes de Genève / J.Levandovski - La maison de Bernarda Alba, 2003, cie
Angledange / A. Novicov - Homme pour homme, 2004, Th. de Carouge et Th. Spirale
/ P.Mohr - Mort accidentelle d’un anarchiste, 2005 au Th. de Carouge / F. Rochaix -
Oleanna, 2005, au Théâtre de Carouge / F. Rochaix - Tranches express, 2006,
compagnie des Hélices / I.Matter - La sorcière au placard à balais, 2007 Marionnettes
de Ge. / C.I. Barbey - Le Mystère Shakespeare, 2008, Théâtre de Carouge / G.
Chenevière - Les Soeurs Bonbon, 2008, TPR / Petit Th. de Lausanne / G.Pasquier -
Nuit d’éveil, 2009, Université de Genève, 450ème / Fredy Porras - Calvin, un
itinéraire, 2009, Vieille Ville de Genève, 500ème / C. Kaiser - La Petite poule rousse,
2010, cie des trétaux / I. Maître et A. v. Kaenel - Pièces détachées, 2012,
Marionnettes de Genève / V. Poirier - Pinocchio, Cie Eole / G.Pasquier, 2013 CO2
Bulle - Petite Soeur, 2014 / Cie Pasquier – Rossier -Le Dératiseur de Hamelin,
2015/Petit Théâtre Lausanne /TMG/ Cie Pied de Biche/F.Ozier J.Burnier
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Texte de l’Ours, traduction Elsa Triolet
L'OURS
d’Anton Pavlovitch Tchékhov
Farce en un acte (1888)
PERSONNAGES
Elena Ivanovna POPOVA , une petite veuve avec des fossettes aux joues,
propriétaire terrienne.
SCÈNE I
POPOVA , en grand deuil, les yeux fixés sur une photo, et Louka.
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LOUK-A. - Bien, Madame!
(Un coup de sonnette brutal.)
POPOVA , tressaille. - Qui est-ce? Dis que je ne reçois personne!
LOUKA. - Bien, Madame . (Il sort.)
SCÈNE II
POPOVA, seule.
POPOVA , les yeux fixés sur la photo. - Tu verras, Nicolas, comme je sais
aimer et pardonner... Mon amour ne s'éteindra qu'avec moi, quand mon
pauvre coeur cessera de battre. (Elle rit à travers les larmes.) N'as-tu pas
honte ? je suis ta petite femme bien sage, je me suis enfermée et je te
resterai fidèle jusqu'à ma mort, et toi... tu n’as pas honte, mon lapin? Tu
me trompais, tu me faisais des scènes, tu me laissais seule pendant des
semaines...
SCÈNE III
POPOVA et LOUKA.
LOUKA, entre, inquiet. - Madame, il y a là quelqu'un qui vous demande. Il
veut vous voir...
POPOVA . - Mais tu as bien dit que depuis la mort de mon mari je ne
recevais personne?
LOUKA. - Je le lui ai dit, mais il ne veut rien entendre. Il dit que c'est très
important...
POPOVA . - Je ne reçois personne!
LOUKA. - Je le lui ai dit, mais... c'est un grossier... il jure, il m'a poussé. Il
est déjà dans la salle à manger...
POPOVA, irritée. - Bon, fais-le entrer... Ce que les gens peuvent être sans
gêne...
(Louka sort.)
POPOVA . - Combien les gens me pèsent ! Qu'est-ce qu'ils me veulent?
Pourquoi viennent-ils troubler ma solitude? (Elle soupire.) Non, il me
faudra vraiment me retirer dans un couvent... (Songeuse.) Un couvent...
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SCÈNE IV
POPOVA, LOUKA et SMIRNOV
SMIRNOV, entrant, à Louka. - Tu parles trop, imbécile... Âne bâté!
Apercevant Popova , avec dignité : Madame, j'ai l'honneur de me
présenter : lieutenant d'artillerie en retraite, propriétaire terrien, Grigori
Stépanovitch Smirnov. Je me vois dans l'obligation de vous importuner au
sujet d'une affàire très sérieuse...
POPOVA. - Que voulez-vous?
SMIRNOV. - Feu votre époux, que j'ai eu l'avantage de connaître, est resté
me devoir le montant de deux traites, douze cents roubles. Comme
demain je suis obligé de payer les intérêts à la Banque Agricole, je vous
serais fort reconnaissant., Madame, de bien vouloir me rembourser cette
somme dès aujourd'hui.
POPOVA. - Douze cents... Et cette dette de mon mari correspond à
quoi?
SMIRNOV. - Il m'achetait de l'avoine.
POPOVA, soupirant, à Louka. - Tu n'oublieras pas, Louka, de dire qu'on
donne à Toby une ration d'avoine supplémentaire. (Louka sort. À Smirnov
:) Si Nicolas Mikhaïlovitch est resté vous devoir de l'argent, je réglerai
naturellement sa dette: mais, vous m'excuserez, aujourd'hui je n'ai pas
d'argent liquide. Après-demain, quand mon régisseur sera de retour de la
ville, je donnerai des ordres pour que vous soyez payé, mais jusque-là, je
ne peux accéder à votre demande... En plus, il y a aujourd'hui juste sept
mois que mon mari est mort, et je me trouve dans un état d'âme qui me
rend peu disposée à m'occuper d'affàires d'argent.
SMIRNOV. - Et moi je suis dans un état d'âme tel que si je ne payais pas
demain les intérêts, je me trouverais définitivement sur la paille. On va
saisir ma propriété!
POPOVA . - Vous aurez votre argent après-demain.
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POPOVA. – Mais puisque je n’ai pas d’argent aujourd'hui!
SMIRNOV. - Alors, vous ne pouvez pas payer?
POPOVA. - Je ne le peux pas.
SMIRNOV. - Hum!... C'est votre dernier mot?
POPOVA . - Oui mon dernier mot.
SMIRNOV. - Le dernier? Catégoriquement ?
POPOVA. - Catégoriquement.
SMIRNOV. - Merci, merci beaucoup. je vais en prendre note. (Il hausse
les épaules.) Et on veut que je garde mon sang-froid! Je viens de
rencontrer un employé des contributions indirectes et il m’a demandé : «
Qu'avez-vous à toujours être en colère, Grigori Stépanovitch? » Mais
comment voulez-vous que je ne sois pas en colère? J'ai besoin d'argent,
on me met le couteau sur la gorge... Je suis parti de chez moi hier, à
l'aube, j'ai fait le tour de tous ceux qui me doivent de l'argent et il ne s'est
trouvé personne pour me rembourser! Je suis crevé, j'ai passé la nuit dans
un bouge, une auberge juive, où j'ai couché le nez sur un tonneau de
vodka... Enfin, j'arrive ici, à soixante-dix verstes de chez moi, j'espère
toucher mon argent et on me sort des « états d'âme »! Comment voulez-
vous que je ne sois pas en colère?
POPOVA . - Je crois m'être exprimée clairement : vous serez payé quand
mon régisseur sera de retour.
SMIRNOV. - Je suis venu pour vous voir, vous, et non pas votre régisseur
! Votre régisseur, passez-moi l'expression, je m'en balance!
POPOVA . - Excusez-moi, Monsieur, mais je n'ai pas l'habitude d'un
langage aussi étrange, ni de ce ton... Je ne vous écoute plus. (Elle sort
rapidement.)
SCÈNE V
SMIRNOV, seul.
SMIRNOV. - Non, mais!... Un état d’âme... Le mari est décédé il y a sept
mois! Et moi, il faut bien que je paye les intérêts, oui ou non? Je vous le
demande: oui ou non, faut-il que je les paye, les intérêts? Vous, vous avez
votre mari qui est mort vous avez des états d'âme et autres balivernes...
Le régisseur est parti n'importe où, que le diable l'emporte, et moi, que
voulez-vous que je devienne? Que je monte en ballon pour me sauver de
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mes créanciers, ou quoi? Que je prenne mon élan pour me fracasser le
crâne contre un mur? J'arrive chez Grouzdev - personne.. quand
Yarochévitch m'a vu, il a couru se cacher, je me suis fâché à mort avec
Kouritzine, j'ai failli le faire passer par la fenêtre, Moutouzov a la chiasse,
et celle-ci, elle a un état d'âme! Pas une de ces canailles qui veuille me
payer! Et tout cela provient de ce que je suis trop gentil avec eux, que je
suis une lavette, une chiffe, une loque! J'ai bien trop d'égards pour eux
tous! Mais attendez un peu! Vous allez voir de quel bois je me chauffe! Je
ne permettrai pas, que diable, qu'on se moque de moi! Je reste ici, je
m'incruste jusqu'à ce qu'elle m’ait payé. Brrrr ... Je suis dans un état de
colère aujourd'hui, dans un état de colère! Une colère que j'en tremble,
que j'en sucre les fraises, que je m'étrangle... Pff.. Dieu de Dieu, je vais
me trouver mal! (Il crie.) Quel qu'un là-bas !
LOUKA, entre. - Qu'est-ce que vous voulez?
SMIRNOV. - Apporte-moi de la limonade ou de l'eau! (Louka sort).- Non,
mais admirez cette logique ! Un homme a besoin d'argent, coûte que
coûte, à se pendre, et elle, elle ne veut pas payer parce qu'elle n'est pas
disposée à s'occuper d'affaires d'argent !... C'est bien de la logique de
tournure! Voilà pourquoi je n'ai jamais aimé et je n'aime pas parler aux
femmes. À choisir, j'aimerais encore mieux m'asseoir sur un tonneau de
dynamite que d'avoir affaire à une femme. Brrrr!... J'en ai froid dans le dos
tant cette tournure-là m'a mis hors de moi! Il me suffit de voir, ne serait-ce
que de loin, un de ces êtres poétiques, pour aussitôt me mettre dans un
état de rage à en avoir des crampes dans les mollets. À crier au secours
!
SCÈNE VI
SMIRNOV et LOUKA
LOUKA, entre, apportant de l'eau. - Madame est malade et ne reçoit pas.
SMIRNOV. - Fiche-moi le camp ! (Louka sort.)
SMIRNOV. - On est malade et on ne reçoit pas ! Eh bien, ne reçois pas...
je resterai, et je ne bougerai pas d'ici jusqu'à ce que tu m'aies payé. Si tu
es malade une semaine, je reste ici une semaine... Tu es malade pendant
un an, et je ne bouge pas d'ici pendant un an... J'aurai le dessus, petite
mère! On ne me la fait pas avec le deuil et les fossettes aux joues... Je les
connais dans les coins, ces fossettes ! (Il crie par la fenêtre.) Semion,
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dételle ! Nous ne partirons pas de si tôt! Je reste ici! Dis-leur, là-bas, aux
écuries, qu'on donne de l'avoine aux chevaux! Tu ne vois pas, animal, que
ton cheval de gauche s'est encore pris les pattes dans les rênes! (Il le
singe.) Nitchevo... je t’en ficherai des nitchevoi! (Il s'éloigne de la fenêtre.)
Ça va mal... Il fait chaud à crever, personne ne me paye, j'ai mal dormi, et
là-dessus arrive cette robe à traîne de deuil, avec son état d'âme... J'ai la
tête qui éclate... Un petit verre de vodka ne me ferait pas de mal... J'en
prendrais un bien volontiers. (Il crie.) Quelqu'un, là-bas!
LOUKA, entre. - Que voulez-vous?
SMIRNOV. - Un verre de vodka!
(Louka sort.)
SMIRNOV. – Ouf! (Il s'assied et s'examine.) Et je suis beau, avec ça!
Couvert de poussière, les bottes sales, pas lavé, hirsute, de la paille après
le gilet... La petite dame m'a peut-être pris pour un bandit. (Il bâille.) Ce
n'est pas très poli d'arriver dans cet état dans un salon, mais tant pis... Je
ne suis pas venu en invité, mais en créancier, et pour les créanciers il n'y
a pas de tenue de rigueur...
LOUKA, entre et sert la vodka. - Vous prenez bien des libertés,
Monsieur...
SMIRNOV, furieux. - Comment?
LOUKA. - Non... rien... je voulais seulement...
SMIRNOV. - À qui crois-tu parler? Silence!
LOUKA, à part- - Qui c'est-il qui l'a inventé, ce suppôt du diable, pour notre
malheur ... Maintenant on l'a sur le dos...
(Il sort.)
SMIRNOV. - Dieu que je suis en colère! je suis dans un état de rage, à
réduire en poussière le monde entier... À me trouver mal... (Il crie.)
Quelqu'un, là-bas !
SCÈNE VII
POPOVA et SMIRNOV
POPOVA, entre, les yeux baissés. - Monsieur, j'ai depuis longtemps oublié
dans ma solitude le son de la voix humaine, et je ne supporte pas les cris.
Je vous demande instamment de ne pas troubler mon repos !
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SMIRNOV. - Payez-moi et je partirai.
POPOVA . - Je vous l'ai dit clairement: je n'ai pas d'argent liquide, vous
aurez ça après-demain.
SMIRNOV - J'ai, moi aussi, eu l'honneur de vous le dire clairement: j'ai
besoin de cet argent aujourd'hui et non pas après-demain. Si vous ne me
payez pas aujourd'hui, demain je serai obligé de me pendre.
POPOVA . - Mais que voulez-vous que je fasse, si je n’ai pas d'argent?
Vous êtes drôle!
SMIRNOV. - Alors, vous ne voulez pas me payer tout de suite? Non?
POPOVA . - Je ne le peux pas...
SMIRNOV. - En ce cas, je reste, et je ne bougerai pas d'ici tant que je
n'aurai pas touché mon argent... (Il s'assied). Vous payerez après-
demain? Parfait! Alors, je resterai ici jusqu'à après-demain... Sans
bouger... (Il se lève d'un bond.) Je vous pose la question: suis-je obligé ou
non de payer demain les intérêts?... Vous croyez peut-être que je
plaisante?
POPOVA. - Monsieur, je vous défends de crier! Vous n'êtes pas dans une
écurie!
SMIRNOV. - Qui parle d’écurie! Je vous pose la question: oui ou non, suis-
je obligé de payer les intérêts, demain?
POPOVA . - Vous ne savez pas vous conduire avec les femmes!
SMIRNOV - Si, je sais me conduire avec les femmes!
POPOVA . - Non, vous ne le savez pas! Vous êtes un grossier
personnage, un homme mal élevé! Les gens comme il faut ne parlent pas
à une femme sur ce ton-là!
SMIRNOV. - Qu'est-ce qu'il ne faut pas entendre! Comment faut-il donc
vous parler? En langue étrangère, peut-être? (Il rage et zézaie.) Madame,
je vous prie... comme je suis heureux que vous refusiez de me payer...
Pardonnez-moi de vous avoir importunée! Quel beau temps, aujourd'hui!
Et comme ce deuil vous va bien au teint! (Il fait des ronds de jambes.)
POPOVA . - C'est bête et grossier.
SMIRNOV, se moquant d'elle. - C'est bête et grossier! Je ne sais pas me
conduire avec les femmes! Madame, dans ma vie j'ai vu plus de femmes
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que vous n'avez vu de moineaux! Pour des femmes, je me suis battu trois
fois en duel, j'ai quitté douze femmes, et neuf m'ont quitté! Oui, Madame!
Il fut un temps -où je faisais l'imbécile, tout sucre, tout miel, bouche en
coeur, et ronds de jambes... J'ai aimé, j'ai souffert, j'ai soupiré en regardant
la lune, je bavais d'attendrissement, je fondais, je frissonnais... J'ai aimé
passionnément, furieusement, de toutes les façons, que le diable
m'emporte, je jacassais comme une pie sur l'émancipation des femmes,
les tendres sentiments ont englouti la moitié de ma fortune, mais
maintenant - je tire ma révérence! Maintenant, on ne m'aura plus! Assez!
Yeux noirs, yeux de braise, lèvres de pourpre, fossettes aux joues, clairs
de lune, murmures, souffle timide... Tout ça, Madame, je n'en donnerais
plus dix sous. je ne parle pas des personnes présentes, mais toutes les
femmes, jeunes ou vieilles, sont des mijaurées, des minaudières, des
potinières... elles sont haineuses, menteuses jusqu’à la moelle, vaines,
mesquines, impitoyables, avec une logique à elles, révoltante, quant à cet
objet-là (il se donne une tape sur le .front), eh bien, excusez ma franchise,
mais un moineau pourrait en remontrer à n'importe quel philosophe en
jupon! À la voir comme ça, cette créature poétique, de la mousseline et de
l'éther, pour un peu - une déesse, porteuse d'un million d'extases, mais
essayez donc de jeter un coup d'oeil au fond de son âme... vous y
trouverez un crocodile tout ce qu'il y a de plus ordinaire! (Il saisit le dossier
d'une chaise, la chaise craque et se casse.) Et le plus révoltant dans cette
affaire est que le dit crocodile est persuadé, on se demande bien pourquoi,
que son chef-d'oeuvre, son privilège, son monopole, sont les sentiments
tendres ! Mais zut et zut à la fin, vous pouvez me pendre par les pieds à
ce clou, est-ce qu'une femme est capable d'aimer quelqu'un en dehors de
son loulou? En amour, tout ce qu'elle sait faire c'est pleurnicher et geindre!
Là où un homme souffre et se sacrifie, tout son amour à elle se résume
dans la façon de jouer avec sa traîne et de vous mener par le bout du nez.
Vous avez le malheur d'être femme, vous savez donc d'après vous-même
ce que c'est qu'une femme. Dites-moi, en toute franchise: avez-vous de
votre vie rencontré une femme sincère, fidèle et constante? Vous n'en
avez pas rencontré! Ne sont fidèles et constantes que les vieilles et les
guenons ! Il y a plus de chance de rencontrer un chat avec des cornes ou
un merle blanc, qu'une femme fidèle!
POPOVA . – Permettez ... alors qui donc, d'après vous, est fidèle et
constant en amour? C'est l'homme peut-être?
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SMIRNOV. - Parfaitement... l'homme!
POPOVA . - L'homme! (Un rire méchant.) L'homme est fidèle et constant
en amour! Ça c'est du nouveau! (Avec vivacité.) Mais qui vous a donné le
droit de parler ainsi? Les hommes sont fidèles et constants! Si on allait
par-là, je pourrais vous dire que de tous les hommes que j'ai connus, le
meilleur était mon défunt mari... Je l'ai aimé passionnément, de tout mon
être, comme peut aimer une jeune femme sensible, je lui ai donné ma
jeunesse, le bonheur, ma vie, ma fortune, je ne vivais que par lui, je
l'adorais comme une païenne, et... et lui ? Ce meilleur d'entre tous les
hommes me trompait à chaque pas de la façon la plus éhontée! Après sa
mort, j'ai trouvé dans son bureau un plein tiroir de lettres d'amour, et de
son vivant - j'y songe encore avec horreur ! - il me laissait seule des
semaines entières, faisait la cour aux femmes sous mes yeux, me trompait
et jetait par les fenêtres mon argent, se moquait de mes sentiments... Et
malgré tout cela, je l'aimais et je lui étais fidèle, avec la même constance,
je me suis pour toujours enfermée entre ces quatre murs et je porterai son
deuil jusqu'à ma mort...
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LOUKA. - Mon bon monsieur, mon petit père... ( Il se met à genoux.) Aie
pitié d'un vieillard, va-t'en! J'ai déjà failli mourir de peur, et maintenant tu
veux te battre en duel!
SMIRNOV, sans l'écouter. - Se battre, la voilà, l'égalité, l'émancipation!
Là, les deux sexes sont égaux! Je vais la descendre pour le principe! Mais
quelle femme! (La singeant.) « Que le diable vous emporte... je vous
collerai une balle dans votre front de fonte... » Quelle femme! Les joues
en feu, les yeux qui brillent... Elle a relevé le défi! C'est la première fois
que j'en vois une comme celle-là, parole d'honneur...
LOUKA. - Va-t'en, petit père ! Toute ma vie je ferai des prières pour toi!
SMIRNOV. - Ça, c'est une femme! Voilà comment je les comprends! Une
femme véritable! Pas une poule mouillée, la flamme elle-même, de la
dynamite, un feu d'artifice! C'est même dommage de la tuer!
LOUKA, pleure. - Petit père... mon bon... va-t'en!
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ne faut surtout pas oublier la règle principale: ne pas s'échauffer, viser
sans se presser... s'appliquer à ce que la main ne tremble pas.
POPOVA. - Bien... Sortons dans le jardin, on ne peut pas se battre à
l'intérieur d'une maison.
SMIRNOV. - Sortons. Seulement, je vous préviens que je tirerai en l'air.
POPOVA . - Qu'est-ce que cela veut dire! Pourquoi?
SMERNOV. - Parce que... Parce que... Ça me regarde, pourquoi!...
POPOVA. – Vous vous dégonflez ? C'est ça? Ah! Eh bien, non, Monsieur,
n'essayez pas de vous défiler! Veuillez me suivre! Je ne me calmerai pas
tant que je ne vous aurai pas fais un trou dans le front... ce front que je
hais! Vous vous dégonflez?
SMIRNOV. - C'est ça, je me dégonfle.
POPOVA . - Vous mentez ! Pourquoi ne voulez-vous pas vous battre?
SMIRNOV. - Parce que... parce que... vous me plaisez!
POPOVA, rire sarcastique. - Je lui plais! Il ose dire que je lui plais! (Elle lui
montre la porte.) Vous pouvez disposer.
SMIRNOV, pose, sans rien dire, le pistolet, prend sa casquette et
s'apprête à sortir; près de la porte, il s'arrête; tous deux se regardent en
silence pendant une demi-minute; ensuite, il se met à parler, tout en
s'approchant avec hésitation de Popova. - Ecoutez... êtes-vous toujours
fâchée?... Moi aussi, je suis bigrement en colère, mais il faut
comprendre... comment dire... Voyez-vous, une histoire comme celle-ci
est véritablement... (Il crie.) Enfin, est-ce de ma faute si vous me plaisez
? (Il attrape le dossier d'une chaise, la chaise craque et se casse.) Vous
avez des meubles d'une fragilité ! Vous me plaisez ! Voulez-vous
comprendre! Je suis... Je suis presque amoureux!
POPOVA - - Ne m'approchez pas, je vous hais!
SMIRNOV. - Dieu, quelle femme! De ma vie je n'ai rien rencontré de
semblable! Je suis perdu! Fichu! Je suis pris au piège comme un rat!
POPOVA . - Ne m'approchez pas, ou je tire!
SMIRNOV. - Tirez! Vous ne pouvez pas comprendre le bonheur de mourir
sous ces yeux merveilleux, de mourir d'une balle tirée par cette petite main
de velours... Je deviens fou! Réfléchissez et décidez tout de suite, parce
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que si je sors d'ici nous ne nous reverrons plus jamais! Décidez... Je suis
de bonne famille, je suis un honnête homme, j'ai dix mille roubles de
revenus par an... je fais mouche en tirant sur une pièce de monnaie jetée
en l'air... j'ai d'excellents chevaux... voulez-vous être ma femme ?
POPOVA , indignée, brandissant le revolver. - On se bat! Sur le terrain!
SMIRNOV. - Je deviens fou... Je ne comprends plus rien... (Il crie.)
Quelqu'un là-bas, de l'eau!
POPOVA, crie. - Sur le terrain!
SMIRNOV. - Je suis fou, je suis amoureux comme un collégien, comme
un imbécile! (Il l'attrape par la main, elle pousse un cri de douleur.) Je vous
aime! (Il tombe à genoux.) J'aime comme jamais je n'ai aimé! J'ai quitté
douze femmes, et neuf femmes m'ont quitté, mais je n'en ai aimé aucune
comme je vous aime... Je suis à ramasser à la cuillère, de la gelée, du
sirop, du miel... à genoux comme un imbécile à demander sa main... Une
honte, un déshonneur! Il y a cinq ans que je n'ai pas été amoureux, j'avais
fait le serment de ne plus jamais, plus jamais... et patatras! ça me prend
comme la toux au chat... Je tombe amoureux, la tête la première! Je
demande votre main. Oui ou non? Vous ne voulez pas? Tant pis! (Il se
lève et va rapidement vers la porte.)
POPOVA. - Un moment...
SMIRNOV, s'arrête. - Eh bien ?...
POPOVA. - Rien, allez-vous-en... C'est-à-dire... Un moment... Non, allez-
vous-en, allez-vous-en! Ah! si vous saviez comme je suis en colère,
comme je suis en colère! (Elle jette le revolver sur la table.) J'ai les doigts
tout engourdis par cette saleté!... (De rage, elle déchire son mouchoir.)
Qu'attendez-vous? Fichez le camp d'ici!
SMIRNOV. - Adieu.
POPOVA . - Oui, c'est ça, allez-vous-en!... (Elle crie:) Où allez-vous?
Attendez... C'est-à-dire... Sortez. Ah! comme je suis en colère! Ne
m'approchez pas, ne m'approchez pas!
SMIRNOV, s'approchant d'elle. - Comme je m'en veux! Amoureux comme
un collégien, une déclaration à genoux... J'en ai froid dans le dos...
(Grossier.) Je vous aime! Qu'est-ce qui me prend de tomber amoureux de
vous! J'ai des intérêts à payer demain, on a commencé à faucher, et il faut
que je tombe sur vous... (Il la prend par la taille.) Je ne me le pardonnerai
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jamais.
POPOVA- - Ne m'approchez pas! Bas les pattes! Je vous... hais! Sur le
terrain ! (Un long baiser.)
SCÈNE X
Les mêmes et Louka, avec une hache, le jardinier avec un râteau, le
cocher avec une fourche, des ouvriers agricoles.
LOUKA, apercevant le couple qui s'embrasse. - Seigneur Dieu! (Une
pause.)
POPOVA, baissant les yeux. - Louka, dis-leur là-bas, aux écuries,
qu'aujourd'hui on ne donne pas du tout d'avoine à Toby.
RIDEAU
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