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Les "enfants de l'ère du digital"

ont des quotients intellectuels


inférieurs à ceux de leurs parents
30 octobre 2020
Le neuroscientifique Michel Desmurget, directeur de recherche à
l'Institut national français de la santé, a parlé à BBC News World de
l'effet des appareils numériques sur la jeune génération et de son
livre "The Digital Geek Factory".

CRÉDIT PHOTO,MOYO STUDIO


Légende image,
Selon les experts, un garçon de deux ans passe en moyenne près de trois heures par jour
devant les écrans aujourd'hui
Dans ce livre, le neuroscientifique Michel Desmurget (Lyon, 1965),
directeur de recherche à l'Institut national de la santé français,
dispose de données concrètes et concluantes sur la manière dont
les appareils numériques affectent gravement, et pour le pire, le
développement neuronal des enfants et des jeunes.
"Il n'y a tout simplement aucune excuse pour ce que nous faisons à
nos enfants et pour la façon dont nous mettons en danger leur
avenir et leur développement", prévient l'expert, qui s'est rendu
dans des centres de recherche renommés tels que le Massachusetts
Institute of Technology (MIT) ou l'université de Californie. Son livre
est devenu un énorme best-seller en France.
Les jeunes d'aujourd'hui sont-ils la première génération de l'histoire
à avoir un QI inférieur à celui de la génération précédente ?
Les chercheurs ont observé dans de nombreuses régions du monde
que les QI augmentaient de génération en génération. C'est ce qu'on
a appelé l'"effet Flynn", du nom du psychologue américain qui a
décrit ce phénomène.
Il est vrai que le QI est fortement influencé par des facteurs tels que
le système de santé, le système scolaire, la nutrition, mais
récemment, cette tendance a commencé à s'inverser dans plusieurs
pays.
Lire aussi :
Pourquoi les parents de la Silicon Valley interdisent la technologie à
leurs enfants?
''Pas de danger lié aux écrans pour les enfants''
Basil Okpara Junior, l'enfant de neuf ans qui a inventé plus de 30
jeux mobiles
Selon l'expert, même dans des pays où les facteurs socio-
économiques sont restés assez stables pendant des décennies,
l'"effet Flynn" a commencé à diminuer.
Dans ces pays, les "enfants du digital" sont les premiers enfants à
avoir un QI inférieur à celui de leurs parents. C'est une tendance qui
a été documentée en Norvège, au Danemark, en Finlande, aux Pays-
Bas, en France, etc.

CRÉDIT PHOTO,GETTY IMAGES


Légende image,
Le neuroscientifique Michel Desmurget estime que les enfants d'aujourd'hui sont exposés à
une "orgie numérique". Son dernier livre est un véritable best-seller
Et quelle est la cause de cette baisse de QI ?
Malheureusement, il n'est pas encore possible de déterminer le rôle
spécifique de chaque facteur, y compris par exemple la
contamination (en particulier l'exposition précoce aux pesticides) ou
l'exposition aux écrans.
Ce que nous savons avec certitude, c'est que même si le temps
qu'un enfant passe devant un écran n'est pas le seul coupable, il a
un effet significatif sur son QI.
Plusieurs études ont montré que lorsque l'utilisation de la télévision
ou des jeux vidéo augmente, le QI et le développement cognitif
diminuent.
Les principaux fondements de notre intelligence sont touchés : la
langue, la concentration, la mémoire, la culture (définie comme un
ensemble de connaissances qui nous aide à organiser et à
comprendre le monde). En fin de compte, ces impacts entraînent
une baisse significative des résultats scolaires.
Et pourquoi l'utilisation d'appareils numériques est-elle à l'origine de
tout cela ?
Les causes sont également clairement identifiées : li s'agira, d'une
diminution de la qualité et de la quantité des interactions
intrafamiliales, qui sont fondamentales pour le développement du
langage et des émotions ; une diminution du temps consacré à
d'autres activités plus enrichissantes (devoirs, musique, art, lecture,
etc.). ) ; l'interruption du sommeil, qui est quantitativement
raccourci et qualitativement dégradé ; la sur-stimulation de
l'attention, qui provoque des troubles de la concentration, de
l'apprentissage et de l'impulsivité ; la sous-stimulation intellectuelle,
qui empêche le cerveau de développer tout son potentiel ; et un
mode de vie excessivement sédentaire qui, outre le développement
du corps, influence la maturation du cerveau.

CRÉDIT PHOTO,GETTY IMAGES


Légende image,
Les entreprises du secteur du numérique engagent des experts pour expliquer à quel point les
joueurs sont intelligents et bons pour jouer aux jeux vidéo.
Quel est l'effet exact de l'écran sur le système neurologique ?
Le cerveau n'est pas un organe "stable". Ses caractéristiques
"finales" dépendent de l'expérience.
Selon les spécialistes, le monde dans lequel nous vivons, les défis
auxquels nous sommes confrontés, modifient à la fois la structure et
le fonctionnement du cerveau, et certaines régions du cerveau se
spécialisent, certains réseaux se créent et se renforcent, d'autres
se perdent, certains s'épaississent et d'autres s'amincissent.
Il a été observé que le temps passé devant un écran à des fins
récréatives retarde la maturation anatomique et fonctionnelle du
cerveau au sein de divers réseaux cognitifs liés au langage et à
l'attention.
Il convient de souligner que toutes les activités n'alimentent pas la
construction du cerveau avec la même efficacité.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Les activités liées à l'école, au travail intellectuel, à la lecture, à la
musique, à l'art, au sport, etc. ont un pouvoir structurant et
nourrissantpour le cerveau beaucoup plus important que les écrans
de loisirs.
Pourquoi de nombreux parents ignorent-ils les dangers des écrans ?
Parce que l'information donnée aux parents est partielle et biaisée.
Les grands médias regorgent d'affirmations infondées, de
propagande trompeuse et d'informations inexactes. Le décalage
entre le contenu des médias et la réalité scientifique est souvent
inquiétant, pour ne pas dire exaspérant.
L'industrie numérique génère des milliards de dollars de profits
chaque année. Et, évidemment, les enfants et les adolescents sont
une ressource très lucrative.
Séparer le bon grain de l'ivraie n'est pas facile, même pour les
journalistes honnêtes et consciencieux.
Je pense qu'une campagne d'information équitable sur l'impact des
écrans sur le développement, avec des lignes directrices claires,
serait un bon début : pas d'écrans pour les enfants jusqu'à 6 ans et
ensuite pas plus de 30-60 minutes par jour.
Si cette orgie numérique,ne s'arrête pas, à quoi pouvons-nous nous
attendre ?
Une augmentation des inégalités sociales et une division
progressive de notre société entre une minorité d'enfants préservés
de cette "orgie numérique" - les soi-disant Alphas du roman de
Huxley - qui possèderont à travers la culture et le langage tous les
outils nécessaires pour penser et réfléchir sur le monde, et une
majorité d'enfants aux outils cognitifs et culturels limités - les soi-
disant Gammas du roman de Huxley - qui sont incapables de
comprendre le monde et d'agir en citoyens éclairés.
Alpha fréquentera des écoles privées coûteuses, avec de "vrais"
professeurs humains.
Les Gammas iront dans des écoles publiques virtuelles avec un
soutien humain limité, où ils seront nourris d'une pseudo-langue
similaire au "Newspeak" d'Orwell et où on leur enseignera les
compétences de base des techniciens de niveau moyen (les
projections économiques indiquent que ce type d'emplois sera
surreprésenté dans la main-d'œuvre de demain).
Un monde triste dans lequel, comme l'a dit le sociologue Neil
Postman, ils s'amuseront jusqu'à la mort. Un monde dans lequel,
grâce à un accès constant et débilitant au divertissement, ils
apprendront à aimer leur servitude. Désolé de ne pas être plus
positif.
Michel Desmurget signale en conclusion qu'il n'y a tout simplement
aucune excuse pour ce que nous faisons à nos enfants et pour la
façon dont nous mettons en danger leur avenir et leur
développement.

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