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ET FORMATION
Dans la même collection
FANTASME
ET FORMATION
R. Kaës — D. Anzieu
L.V. Thomas
Dunod
©BORDAS, Paris, 1975
pour la 1r° édition
LIMINAIRE .............................................................................................................. V
B. La formation coupable............................................................................ 79
La révolte des créatures (80). Le bancal et le boiteux (81). Le for
mateur castrat (82).
A. Le problème............................................................................................. 124
1. La notion de personne (124) ; 2. L'initiation et ses difficultés
d’approche (127).
INDEX 171
1 Quatre études
sur la fantasmatique
de la formation
et le désir de former
par René KAËS
qui anime la question même de l’existence, de son sens et de son but ultime ;
que la formation se présente d’abord comme une affaire de foi, de désir et
de risque. Cette dimension de la passion peut bien être niée, jugulée et
rendue raisonnable, elle ressurgit au cœur même de la lutte pour le raison
nable, pour la mesure et l’objectivité, et jusque dans le combat pour prophé
tiser la mort de l’homme et dénoncer la vanité et l’illusion de toute entre
prise de formation.
1. Cet ouvrage et l’article que j’ai publié sous ce titre (Connexions, 1975, 16, 37-49) étaient rédigés lorsque
parut le remarquable ouvrage de S. Leclaire (1975) On tue un enfant.
Fantasmatique de la formation et désir de former 5
1. J’ai proposé une hypothèse concernant le fonctionnement des groupes à partir de la structure groupale de
certaines organisations. Cf. mon ouvrage l’Appareilpsychique groupal, Paris, Dunod, 1976.
6 Fantasme et formation
Remarques méthodologiques
La fantasmatique de la formation ne nous est accessible qu’indirecte
ment. Son repérage s’effectue dans les situations où elle se mobilise, dans
les élaborations qu’elle suscite : certains jeux typiques (le maître et l’élève, la
classe, le jeu du modelage, de la poupée, le jeu des métamorphoses), les
rêves, les théories sexuelles infantiles, les œuvres d’imagination, les mythes
et les idéologies dont la scène ou le thème concernent la formation de l’hom
me dans ses versions primitives de la fabrication et de la création, toutes ces
le sein qui se refuse, la mère qui exige impérativement que l’enfant lâche
ses excréments, qu’il s’en sépare (« à l’école, dira Félix, on cherche à
vous soutirer ce que vous avez dans le ventre... »). Pour Félix l’entrée
à l’école fut un drame ; il se souvient d’avoir été très fréquemment constipé
à cette époque.
Mais de l’enseignant, Félix a aussi une autre image, tenue à bonne
distance de la première. Cette image idéale, utopique et inaccessible, dont
il a la nostalgie, est celle du bon maître, du bon pédagogue, bon père et
bonne mère, dont le portrait lui fut révélé, à l’adolescence, par la lecture
de l’Emile.
Félix recherche encore cette bonne figure qui saurait, sans brimer, mais
avec fermeté et bienveillance, le guider, le faire sortir de son repliement
et le rendre bon ; il en attend une mise en ordre, une régulation, des règles
pour s’orienter dans l’immensité du monde et du savoir. Mais Félix, sitôt
qu’il l’évoque, réprime cette image : il ne fait dans ce rêve que se perdre
encore et s’attendrir : il n’existe pas de bon maître, pas plus que de bon père
ou de bonne mère. Toute son énergie est mobilisée pour s’en assurer la
preuve : tout ce qu’il sait, il ne le doit qu’à lui-même.
Du sentiment aigu de sa dépendance à sa mère, puis à ses parents, Félix
n’a pu supporter le caractère ambivalent ; dans ses fantasmes, la puissance
de ses tendances destructrices risquait de faire disparaître la source même
de ses satisfactions. Il ne lui restait plus, dès lors, qu’à les tirer de lui-même,
contre le reste de l’univers, et à investir narcissiquement ses propres produc
tions, ses excrétions, son cerveau, son corps, illimité comme le corps même —
informe — de ses connaissances, comme le corps de sa mère, fantasmé
immense et inviolé. L’affirmation de sa toute-puissance et de son autarcie
a pour corrélât la dévalorisation de tout apport positif émanant d’un autre,
la dénégation même de leur existence. Et ceci s’exprime dans la représentation
qu’il élabore, peu avant l’adolescence, de son origine : il aurait été trouvé,
dans un cimetière, près de la tombe de ses parents inconnus, mystérieux,
dont l’origine noble et pure ne lui permet pas de supposer qu’il soit né
de leur union charnelle, mais de la puissance du seul désir de sa mère.
A côté de sa mère « adoptive », qui représente la marâtre persécutrice,
figure l’image d’une mère vierge et toute-puissante, figure parfaite dont il
procède par parthénogenèse, au moment de la mort de celle-ci.
Le « roman familial », les théories sexuelles infantiles qui le sous-
tendent et le justifient, rendent compte de son fantasme de reproduire en lui
cette figure toute-puissante, autarcique, sans faille, dont il est le prolongement
et la réincarnation. Félix, dans son fantasme mégalomaniaque, s’est constitué
comme sein, ventre, pénis de cette mère-là, en excluant son père, et contre
l’autre mère qu’il ne cesse d’attaquer et de réparer dans son inlassable
activité de potier.
C’est dans cette perspective que se situe la demande faite aussi à un
psychanalyste. Pour Félix, le psychanalyste est supposé apte, non seulement
12 Fantasme et formation
l’attaquer. Toutes ces figures, images et objets qui prennent leur relief et
leur dynamisme dans le transfert n’apparaissent dans celui-ci que pour
autant que Félix est à mon égard porteur d’une demande concernant son
origine et sa filiation. Dans cette demande, il me sollicite comme « ensei
gnant », porteur du pénis et à même de le différencier, au moment même
où il me récuse comme psychanalyste « neutre » asexué, parfait.
Le drame qu’il a pu mettre en scène à partir des éléments fantasmatiques
dont les surgeons se sont accrochés aux signifiants enseignant et psychana
lyste, comporte donc plusieurs dimensions. Le jeu entre les différentes figures
transférentielles indique que c’est par le fantasme de la femme au pénis (le
psychanalyste « neutre », tout-puissant, autarcique, immortel, autogénéré et
autoformé) que Félix combat l’angoisse que suscite en lui l’intensité de ses
tendances destructrices à l’encontre des objets qu’il a fantasmatiquement
endommagés, dès les premières phases du complexe d’Œdipe, et qu’il n’a pas
pu constituer dans leurs relations : sa mère et son père. Mais il lutte aussi
contre l’angoisse d’être enclos, capté dans la sphère maternelle et de n’y
trouver d’autre écho que celui de sa propre destructivité, tant qu’il ne lui
est pas possible, par la reconnaissance de la figure du père, de se constituer
une identité, une limite, un pénis à soi sur lequel compter. Pour que cette
figure se constitue, il faudra que Félix en admette l’existence et l’histo
ricité, la relativité et la limite, qu’il renonce à son idéal autarcique et
mégalomaniaque, qu’il admette être né du désir partagé de son père et de
sa mère, de leurs rapports sexuels.
En me choisissant, Félix mettait en scène les éléments les plus fonda
mentaux de son conflit, tout en les annulant par la position conflictuelle
qu’il m’assignait : il ne me voulait ni enseignant ni psychanalyste ; en
annulant l’un par l’autre, il venait éprouver la validité du compromis qu’il
avait escompté tenir : obtenir l’assurance que sa croyance en l’existence
d’un être autarcique et tout-puissant, non castré, n’est pas fondamentale
ment démentie par l’existence, chez le même être — et au prix du clivage —
d’une faille d’où procède chez lui le désir d’un autre, la limite, la géné
ration. Il s’agit pour Félix de maintenir la possibilité de la croyance, d’un
« je sais bien, mais quand même », selon l’expression de O. Mannoni (1964).
Le désaveu du démenti a pour fonction d’étayer la validité de sa croyance
en la toute-puissante autarcique de la mère phallique, de conserver la
croyance dans une origine parthénogénésique, de maintenir le déni de la
paternité. Félix vient me voir pour repérer en moi la faille qu’il porte en
lui, mais aussi pour que je le conforte — si je me tais et si je regarde —
dans l’assurance qu’elle peut être colmatée. C’est cette faille qui, par delà
la figure autarcique du psychanalyste, le fascine : dans la tentative pour
la nier et l’affirmer, il sollicite la perversion de l’autre, car, dans le défi
qu’il lui jette, il le confronte avec le même dilemme : s’affirmer comme
mère au pénis autosuffisante pour dénier toute différence et toute séparation,
tout en infligeant à autrui la castration.
14 Fantasme et formation
cette disposition que Félix vient consulter. C’est contre cette peur dépressive
que le fantasme d’autoformation surgit, pour substituer aux objets externes
qu’il aime et qu’il hait (qui le haïssent et pourraient l’aimer, d’où le
clivage) son propre soi. Les fantasmes autarciques et autoformatifs repré
sentent donc un niveau de régression rendu nécessaire par l’intensité des
angoisses psychotiques de Félix. Ils ont une fonction autoréparatrice.
Le fantasme d’autoformation satisfait le besoin d’incorporation orale du
bon savoir que Félix tire de lui-même. Au plus fort de sa lutte contre les
tendances autodestructrices et contre l’angoisse de léser les objets de son
plaisir, c’est lui-même qu’il incorpore, sans parvenir à s’assimiler. D’où la
variété de ses fantasmes d’auto-ingestion (chez les monocellulaires), de se
nourrir de ses rêves et de ses idées, de récupération de ses propres excré
ments, d’autofellation : il s’agit toujours de reconstituer, sur le mode oral,
la plénitude de l’unité de soi, de colmater l’hémorragie narcissique provoquée
par la perte de sa propre substance.
Les composantes anales des fantasmes d’autoformation se révèlent parti
culièrement nettes dans la tentative de garder en soi ses excréments pour
compenser ainsi la perte que représente la séparation d’avec la mère (le
sein) et la fuite de sa propre production. Contraint de les lâcher, il n’a
d’autre ressource que de les réincorporer en partie — les idées qu’il produit
en seront les équivalents symboliques — ou de les maîtriser, pour en
jouir, dans son activité de modelage, tout en restaurant, par la création
d’un contenant qu’il forme et répare, ce qu’il a fantasmatiquement endom
magé et qui est contenu dans le corps de sa mère, ou bien, ne pouvant ni
les conserver ni les maîtriser, de les détruire.
Mais une partie de ses tendances destructrices demeure agissante en
lui et s’exprime dans les fantasmes d’autodévoration, d’autointoxication,
d’autodéformation, dans la réalité de son « auto- > destruction. Ainsi se
boucle le cercle infernal et fascinant, celui du serpent qui, tel Ouroboros, se
mord la queue, celui du mouvement d’alternance perpétuelle de la naissance
et de la mort : et le cercle ne peut s’ouvrir que sur la mort attendue
comme révélation ultime de soi.
1. Epreuve initiale certes, puisqu’il s'agit de l’épreuve même de l’initiation qui, toujours
vise à différencier et, comme l’a montré L. V. Thomas dans le présent ouvrage, à supprimer
l’androgynie première de l'ctre humain.
Fantasmatique de la formation et désir de former 17
renaissance, que rien ne pourra être perdu de soi qui ne soit réintégrable en
soi ; que rien de l’objet du désir ne manquera puisque le sujet est, sans
défaillance, apte à se satisfaire de lui-même comme de son propre objet.
L’alternance cyclique, permanente, assure contre toute coupure. Ce n’est
sans doute pas un hasard si la figure d’Ouroboros est, avec celle du Phénix,
l’un des grands symboles de l’Alchimie, dont la quête fut de créer Vhomon-
culus et d’assurer à l’homme la toute-puissance et l’immortalité.
1. C’est aussi de la puissance à faire naître et mourir symboliquement que le groupe de formation détient ce
pouvoir d’auto-engendrement. Cf., sur ce point, l’article de L. V. Thomas dans le présent ouvrage.
Fantasmatique de la formation et désir de former 19
teur est aussi fantasmé comme mauvais, mis au défi d’assurer le respect
d’une quelconque loi, la validité d’un savoir quelconque. Capté par
l’immense puissance destructrice de la mère-groupe, le moniteur est réduit
à l’impuissance au profit de celle-ci. Les participants érigent un contre-
groupe : il n’y a plus désormais d’autres règles que celles que « le groupe »
se donne (spontanéité, égalité), d’autre réalité que son plaisir, d’autre idéal
que ce contre-groupe, réplique toute-puissante du groupe désavoué, exempt
de toute différence et de toute finitude.
De telles représentations sont souvent induites par des personnalités de
structure perverse pour lesquelles le déni de toute dépendance à une quel
conque figure génératrice sert leur désir d’anéantir toute autorité géné
rante au profit d’un pouvoir autogénéré, mais dont ils sont finalement les
bénéficiaires. Il n’est pas rare de rencontrer de tels épisodes dans les insti
tutions formatives closes, en certains moments de désorganisation anar-
chisante.
Les fantaisies de parthénogenèse groupale, plus fréquentes, sont liées au
fantasme selon lequel les participants se figurent à la fois que le groupe-
mère crée ses propres enfants sans l’intervention du moniteur-père, et que
les enfants constituent ensemble la mère-au-pénis. Ce qui caractérise ce
fantasme, c’est la réversibilité du contenant et du contenu, du constituant et
du constitué, jusqu’à leur équivalence. L’éviction du moniteur-père protège,
là ausi, contre l’irruption de la différence et de la séparation d’avec la
mère. Les participants ne peuvent alors quitter « le groupe » sans le fantasme
de l’avoir détruit.
J’ai proposé une analyse de cette fantasmatique dans un groupe en
rapport avec la reconstitution du paradis asexué de l’enfance et le refus de
la mort. Mon propos (1971 b) était alors d’articuler les manifestations
mythiques et idéologiques de ce fantasme d’autogénération avec les compo
santes perverses inhérentes au déni de la castration et de la paternité. D.
Anzieu (1972) en a dégagé le sens contra-œdipien. Mais il resterait à arti
culer ce fantasme avec la figure de la mère-au-pénis.
sion de ce dont le groupe est le lieu, des investissements qui s’y trouvent
mobilisés, des relations qui s’y amorcent et se dégagent. Le « groupe »
représente alors une figure idéale, matricielle, non une situation instrumen
tale. Une telle affirmation, qui dote l’objet-groupe d’une perfection — ou
d’une tare — intrinsèque, n’est d’ailleurs pas sans exercer un attrait sur
les participants et sur les moniteurs, puisque c’est à cet objet, machine à
former, que se trouve confié le soin du travail de formation (le groupe a
« bien » ou « mal » fonctionné). Ici encore, la formation est fantasmée
comme pure création ex nihilo : elle n’est pas en mesure d’être assumée
comme genèse, pas plus que le groupe n’apparaît comme intersubjectivité.
L’histoire se clôt sur le temps de la puissance du groupe, et sur des sujets
dépossédés de la reconnaissance de leur histoire et de leur désir.
Nous terminerons cette première étude par quelques remarques concernant
l’idéologie de l’autoformation. En fait, l’autoformation est une idéologie ;
elle est, de ce point de vue, opposée à toute formation, qui requiert, nous
semble-t-il, le dégagement de l’allégeance à l’idéal absolutiste et narcissique,
le renoncement à l’omnipotence et à l’illimité, la reconnaissance de l’alté
rité et de la coupure de la mort. Une formation ne saurait être que relative.
L’idéologie de l’autoformation est comme un redoublement de l’assurance
de n’être pas déçu, de ne pas rencontrer de faille, ni de limite dans l’érection
incessante de soi-même. Elle rejette l’autre dans l’inexistence ou le peu de
valeur de son expérience : celle-ci n’a jamais servi à personne. Ne rien
devoir à personne qu’à soi, c’est là l’idéal autoérotique auquel l’idéologie
apporte nécessairement son sceau de vérité absolue et de justification.
Mais plus encore, il apparaît que l’idéologisation, comme abstraction et
déni du corps, de la différence et de l’histoire, comme perversion du désir de
savoir et du savoir lui-même, est une composante dérivée de la position
fantasmatique de l’autoformation. L’idéologisation est nécessaire, en effet,
pour rationaliser et justifier l’idéal de la toute-puissance à se former soi-
même, à se maîtriser. Le processus idéologique maintient la croyance en
l’aptitude du sujet « s’autoformant » à ne trouver qu’en soi un objet de son
désir. Elle exclut, comme dangereuse irruption de l’autre et de la diffé
rence, tout recours à un autre formateur. L’idéologisation est, dans le
système d’autoformation, la mesure surdéfensive contre l’angoisse et la
blessure narcissique que suscitent la question de l’origine, la nécessité de la
limite, de la différence et du manque. C’est pourquoi l’autoformation est
aussi une formation sans limite ni rupture. Elle n’est pas conçue comme un
moment, comme une continuité sans faille : une intermittence ouvrirait sur
le risque d’une perte irrécupérable de soi et de son contenu. Les idéologies et
les groupes d’autoformation tentent de rendre crédible le rêve d’une for
mation interminable dans un espace clos, ovoïde, dont la moindre percée
signifierait la mort de l’être. De l’œuf, précisément, renaît le Phénix qui
l’a produit.
L’illusion de la formation illimitée et permanente prise dans le fantasme
Fantasmatique de la formation et désir de former 21
♦
*♦
1. Dans son travail sur VAuto-analyse, D. Anzieu (1959) répertorie et commente les rêves
de Freud pendant son auto-analyse. Quatre parmi ces rêves ont pour thème l’autodestruction
et mériteraient un essai d’interprétation selon les hypothèses que nous esquissons ici à
propos du rapport entre l’autoformation et l’autodéformation. Ce sont, référés dans l’ouvrage
de D. Anzieu : le rêve des Trois Parques — août 1898 — (p. 105-108) ; Non vixil — octobre
1898 — (p. 108-112); le rêve Autodidacte — fin 1898 — (p. 113-115); le rêve de La
préparation anatomique de mon propre bassin — vers Pâques 1899 — (p. 120-123). L’analyse
qu’en propose D. Anzieu dégage les thèmes de la mort (l’homme retourne à la poussière),
le désir d’immortalité, d’omniscience et de création, l’auto-analyse comme destruction de soi.
Fantasmatique de la formation et désir de former 23
mère, en tant que mère, ou d’être formé par la mère, le fantasme commun
est toujours de former la mère elle-même, de la reproduire ou de la
représenter. Dans chacun des univers fantasmatiques, que dessine le point
de vue du formateur ou de l’être en formation, se retrouve la caractéristique
biface de la structure du fantasme : si le formateur (homme ou femme)
identifié à la puissance de la mère peut fantasmer sur ce mode qu’il est
plein d’enfants, qu’il les nourrit et les protège, il peut aussi, successivement
(par retournement et clivage) ou simultanément, fantasmer qu’il conserve en
lui des enfants — ou leurs représentants — qu’il les détruit, leur refuse la
nourriture, les rejette. Il en est de même pour les autres positions du sujet
dans la fantasmatique maternelle : être formé — déformé par la mère ;
former — détruire la mère.
La prévalence de la référence à la mère dans la fantasmatique de la
formation conduit à assigner un rôle prépondérant aux fixations prégénitales
et à la problématique préœdipienne dans le processus de la formation. Ce
que nous explorons dans cette étude nous paraît à même de rendre compte
des fondations les plus primitives du désir de former, de créer, de donner
la vie, mais aussi de découvrir en quoi la formation peut se vivre comme
prolifération informe, perdition de soi, fermeture à une genèse et à une
histoire, pour autant que se trouve répudié, exclu ou rejeté la référence au
père différenciateur, pour autant que la formation se clôt sur le désir de la
mère.
1. La grande formatrice
Former, dans la position où le formateur s’identifie à la puissance de la
mère, c’cst être plein d’enfants dans son corps, c’est les nourrir, les soigner,
les protéger contre les dangers internes et externes : c’est être identifié à
l’idéal de la mère bonne, généreuse, illimitée dans ses ressources et sa
capacité de donner le plaisir. Une telle position transparaît dans certains
fantasmes de moniteurs (hommes ou femmes) de groupes de diagnostic :
le groupe figure pour eux soit un intérieur féminin de leur corps, utérus
plein et clos, soit un appendice matriciel, un prolongement sécable de leur
corps : ils « portent » le groupe comme une femme enceinte, jouissant de
ce plaisir d’être plein de vie (« ça bouge... je les sens vivre et remuer... »),
d’être forts et engrossés d’une progéniture, inquiets aussi de les exposer à
recevoir des coups, de les mettre au monde (« l’extérieur hostile : que vont-ils
devenir une fois sortis de ce ventre ?... »), de les perdre et de s’en séparer.
Il arrive que dans cette position fantasmatique, le moniteur redoute l’un
des participants comme dangereux intrus, pénis destructeur, dans le ventre
groupo-monitoral. Pour l’homme, ce participant est souvent la figure de la
rivale antagoniste : la mère au pénis dangereux.
Le temps et l’espace sont investis de significations et d’émois en rapport
avec le temps et l’espace de la maternité : trois ou sept jours (mort et
24 Fantasme et formation
1. Cf. dans cet ouvrage de L. V. Thomas, en particulier le chapitre sur les moments principaux de l’initiation
(p. 109). Cf. aussi R. Kaës (1973).
28 Fantasme et jdrmatiûn
surtout et génitale. Le bon formateur lutte ainsi contre ses propres tendances
agressives projetées sur la mère omnipotente et destructrice, dont il envie
la puissance et redoute la destructivité : celle-ci sera représentée par l’insti
tution formative, les règles coercitives, la fonction formative elle-même sur
son versant « éducastrice ». Sur l’autre versant, celui du père utérin,
s’élabore l’idéal libérateur, paradisiaque, de l’innocence nue d’un être anté-
sociétal, régression vers les conditions mêmes du nouvel être néosociétal,
dont les élaborations idéologiques du fantasme du père utérin prophétisent
et proactivent la réalisation.
Cette position fantasmatique du formateur comme père utérin exprime la
recherche d’une série de compromis entre des figures conflictuelles. Il
s’agit d’être la mère, d’éprouver et de faire éprouver les satisfactions à elle
seule réservées : jouir de la puissance plénière de posséder en soi les enfants
et le pénis du père oralement introjecté, mais non assimilé (d’où son aspect
persécuteur) ; de protéger contre les attaques du persécuteur ; d’assurer les
gratifications libidinales les plus primitives, la jouissance même de la vie
fantasmatique illimitée. Pour le formateur, pour l’enseignant, la classe, le
groupe, l’amphithéâtre figurent cette matrice édénique dont il « se gonfle »
et qui est le corps de son corps, sa pleine puissance qui se veut rassurante
pour les êtres-en-formation qu’elle contient. Ainsi, dans tel groupe de dia
gnostic, le moniteur fantasmant une attaque dangereuse dont la caractéris
tique est qu’elle émane presque toujours d’une femme réputée phallique et
destructrice à l’égard de son groupe, ressentira celui-ci, tel l’amputé s’illu
sionnant sur son bras, comme son prolongement matriciel, donnera aux
participants-fœtus toutes les gratifications édéniques qui les assurent de leur
toute-puissance groupale. Mais il s’agit aussi, d’un autre côté, d’être ce par
quoi le père constitue un rempart défensif et protecteur contre la destruc
tivité de la mère ; il s’agit d’avoir la mère, de lui reprendre le phallus et de
la dominer. Pour autant que cette puissance est aussi dangereuse, et qu’est
coupable celui qui a prétendu couper, « éducastrable » celui qui a « éducas-
tré », la position du père utérin exprime alors le compromis nécessaire pour
concilier les contraires et refuser la différence, assumer l’intégrité et l’inté
gralité du corps bisexué et gestateur. L’imaginaire populaire rend compte de
ce dilemme en choisissant les deux représentations antagonistes et complé
mentaires du pédagogue castré et castrateur.
La position fantasmatique du père utérin rend compte de l’homosexualité
inhérente à la relation formative qu’elle promeut ; l’attitude féminine à
l’égard du père dispose à recevoir le pénis (oralement, comme substitut du
sein de la mère) comme à recevoir dans une matrice fantasmée les êtres-en-
formation. En fait l’homosexualité liée à la position du père utérin est
consécutive au déni suscité par la terreur inspirée par le sexe de la femme,
et à la crainte d’être par le père castré comme celle-ci est supposée l’être.
Mais, en rapport avec cette position féminine, le formateur père-utérin
désire le pénis paternel pour le conserver en lui et en jouir comme la mère
Fantasmatique de la formation et désir de former 29
L’accoucheur-accouché
La représentation du formateur comme accoucheur ou sage-femme, de la
formation comme mise au monde ou maïeutique, est une des expressions
les plus courantes du fantasme de la grossesse ; mais elle n’exprime qu’une
des faces de la position fantasmatique qu’occupe le formateur : celui-ci peut
être actif, habile et bienveillant technicien, mais aussi sadique et sauvage,
utilisant le fer et le forceps. Mais il y a autre chose : nous avons de bonnes
raisons de suggérer que toutes les représentations du formateur-accoucheur
servent aussi à masquer, par la projection, une identification plus primitive
à la parturiente elle-même, à celle qui doit effectuer le travail musculaire et
psychique de la première é-ducation, de la première expulsion hors de soi.
30 Fantasme et formation
1. « Ce qui est important, c’est de faire accoucher les enfants de ce qu’ils ont à l’intérieur » déclare J. Celma
lors d’entretiens sur France-Culture (16.03.72).
2. J’ai développé cette hypothèse dans un travail sur la régression dans les groupes de formation (1973) et dans
une étude sur le désir de toute-puissance et les épreuves dans la formation. La dépression est décrite comme posi
tion inaugurale du processus formatif. (Cf. chapitre 2 du présent ouvrage.)
Fantasmatique de la formation et désir de former 31
4. Le formateur-sein
Le plaisir et l’angoisse spécifiques de la phase orale s’expriment dans la
série : absorber-incorporer-consommer-dévorer-détruire. La relation forma
tive prise dans cette organisation libidinale définit les positions corrélatives
des objets, à ce stade où prévalent la relation duelle et le mécanisme de la
projection-introjection.
Identifié à la mère nourrice, le formateur répète dans le scénario fantas
matique de la formation, le plaisir et l’angoisse liés au rapport au sein et
au sevrage. En échange de la nourriture qu’il peut, comme sa propre mère
l’a pu faire, donner ou refuser, le formateur entend recevoir de ses « nour
rissons » amour et gratitude, à moins qu’il n’exerce sur eux le plaisir
sadique de les en priver ou de les en gaver.
Le formateur-sein assigne à l’autre en formation la position du nourrisson
et de l’infans : qu’il absorbe, consomme et, pour preuve, qu’il se nourrisse,
boive le lait de la science, mange la substantifique moelle et le miel de la
connaissance. L’autre n’est formé qu’à prendre la forme ronde du bébé
repu. Un refus de sa part est ressenti comme une atteinte à la raison d’être
de ce sein-phallus, tout changement dans l’attitude d’amour du « nourrisson »
équivalant pour le formateur à la perte de l’objet ; ce refus et cette perte
sont susceptibles de réactiver chez le formateur l’angoisse dépressive liée
à ses propres attaques contre le sein qui l’a lui-même nourrit et qui s’est
refusé. Mais surtout, que ce nourrisson soit un infans, une bouche recevant
la nourriture, et non pas émettrice d’une parole ; qu’il demeure l’objet
partiel de la mère, objet morcellé que le formateur — ou l’institution forma
tive, ou le savoir pédagogique — s’approprie \ qu’il ne parle pas, sinon
1. L'organisation récente des études à l’Université, par unités de valeur, a provoqué une
augmentation de l’angoisse de morcellement chez certains étudiants et enseignants, instauré
une relation morcellé-morcellant, et rétabli la prévalence des rapports spéculaires.
32 Fantasme et formation
pour la mère qui, comme dans la chanson, l’aura nourri mais n’aura
jamais connu son nom.
Le fantasme du pélican
Les angoisses persécutives et dépressives du formateur se thématisent
fréquemment dans la crainte d’être sucé, bouffé, épuisé, vidé ou dévoré au
cours du travail de formation par le sujet-nourrisson en formation (élève,
étudiant, apprenti... ou « adulte-en-formation »). Le sentiment d’être persé
cuté soit par la gravité attachée au refus, soit par l’intensité de la demande
orale, le conduit à mettre en œuvre les défenses typiques contre de telles
angoisses : par exemple, certains enseignants établissent un rempart d’iso
lation contre la demande orale épuisante des élèves. Une autre modalité
défensive satisfait les tendances sadiques du formateur qui refuse alors de
donner toute nourriture. Il est probable que l’intensité et la fréquence de
telles angoisses (être vidé) se relient à l’agressivité dirigée contre le ventre
et le sein maternel et correspondent à un fantasme de rétorsion de la part
de la mère. La figure du formateur-pélican représente cette liaison du nour
rissage et de l’auto-évidement. C’est sans doute de tels vécus fantasmatiques,
auxquels la réalité pédagogique donne une prise inébranlable, qui colorent
les projets de la « formation permanente » de cette inestimable qualité : la
perte éprouvée à donner en permanence (se vider) sera compensée par le
gain d’une formation capable de « recharger les batteries ». Un circuit
de nutrition permanent préserve ainsi de la défaillance et de l’usure du sein.
Les nourrissons-en-formation sont donc à la fois ceux par qui s’établit la
puissance et la jouissance du formateur mère nourricière, et ceux sur
lesquels sont projetées les pulsions de mort, de destruction et de déformation
du formateur
La position fantasmatique du formateur bonne nourrice assigne à l’autre,
avons-nous dit, la position complémentaire du bon nourrisson repu. Une
telle réciprocité des positions s’élabore vraisemblablement sous l’effet du
désir de réparation orale ; elle est de ce fait, particulièrement sensible à
tout ce qui risque de menacer ou de compromettre la réalisation du désir
des partenaires. Et ces menaces ne manquent jamais d’apparaître, pour
autant que la position du nourrisson repu, comme celle du formateur bon
sein, sont des positions sans avenir : le formateur est en effet soumis à
l’influence de ses propres pulsions destructrices et envieuses, comme l’être
1. Une nouvelle de John Sladek (1971), L’homme qui dévorait des livres, illustre ce fantasme
de la formation comme exploitation orale et dévoration : des supra-humains, les Guzz, élèvent
des hommes et les transforment en génies en les nourrissant de sandwiches contenant la
superscience. Incorporant ce savoir, les humains occupent alors les plus hauts postes dans
la recherche la plus avancée, dans les universités les plus prestigieuses. Mais ils ne peuvent
découvrir le secret de leur mystérieuse formation et connaître les Guzz. Au moment où
l’un de ces humains nourris de sandwiches est sur le point de faire une découverte au sujet
des Guzz, il est sacrifié par eux : de sa chair, ils feront d’autres sandwiches pour former
d’autres futurs génies...
Fantasmatique de la formation et désir de former 33
La formation envieuse
1. La Genèse est le livre de Fengendrement. Une étude sur les grands livres de l’humanité
devrait .sur ce thème, interroger le Yi King, au livre des transformations, ou encore des
transmutations.
40 Fantasme et formation
1. Tel est sans doute aussi la signification du succès renouvelé des romans de H. Hesse aujourd’hui auprès des
« voyageurs » hippies.
2. Le héros de Le Jeu des Perles de Verre (1943), autre roman de la formation de H. Hesse, séjourne au cou
vent de Mariafels (rocher de Marie).
Fantasmatique de la formation et désir de former 43
1. Sur les affinités de l’art, de l’enfantement et de la formation, relevons aussi que les mots grecs (art),
Te/vixot; (qui concerne l’art) sont formés sur la même racine (îex) qui donne xéxvov (enfant) et texv6)
(enfanter).
44 Fantasme et formation
1. Dans la pièce de B. Shaw, Pygmalion — Higgins se défend de la contrepartie destructrice liée à cet amour
dangereux en érigeant son objet pédagogique en objet sacré (acte 2).
Fantasmatique de la formation et désir de former 45
Détruire, disent-ils...
Pour Higgins, la petite marchande de fleurs, Lisa, est un objet à modeler,
à dominer, à détruire aussi. Ou plutôt, s’il la forme, c’est pour s’empêcher
de la détruire. Sa jeunesse, son innocence, le fait qu’elle ne sache pas, la
rendent malléable et contrôlable à merci. Cette destruction, un autre profes
seur, celui de la Leçon de Ionesco, l’effectuera et la répétera : « la philo
logie même au crime », prévient la servante 1 23*. La phonétique de Higgins
aussi, bien que Lisa — en fait Elisa, Higgins, coupe son nom 5 — ne
meurre pas.
Lisa n’a d’abord d’autre ressource que celle de l’attaque contre son
persécuteur : « On devrait vous farcir de clous jusqu’au gosier » lui dit-
1. Un spectateur, à Higgins : « Dites-donc, pour quelle raison savez-vous des choses sur les gens qui ne se sont
jamais mêlés de vos affaires ? Où est-elle votre autorisation ? »
2. On trouve dans les indications scéniques de Ionesco (1954, p. 50-51) les précisions suivantes : en ce qui
concerne l’élève (une jeune fille), « vers la fin, sa façon de parler s’en ressentira, sa langue se fera pâteuse, les
mots reviendront difficilement dans sa mémoire et sortiront tout aussi difficilement de sa bouche ; volontaire au
début, jusqu’à ne plus être qu’un objet mou et inerte, semblant inanimée entre les mains du Professeur... » Et,
en ce qui concerne le Professeur, Ionesco note : « ... d’apparence plus qu’inoffensive au début de l'action, le
professeur deviendra de plus en plus sûr de lui, nerveux, agressif, dominateur, jusqu’à jouer comme il lui plaira,
de son élève, devenue entre ses mains une pauvre chose... Dans les premières scènes, le professeur bégaiera, très
légèrement peut-être. » On ne peut noter avec plus de précision la fantasmatique anale sadique sous-jacente à ce
rapport de dé-formation. Comme dans la pièce de B. Shaw, les tendances destructives sont dirigées contre une
jeune fille, représentant pour le formateur V imago maternelle.
3. Dans la Leçon, le Professeur : « prenons des exemples plus simples. Si vous aviez eu deux nez et je vous en
aurais arraché un... combien vous en resterait-il maintenant ?... Supposez que vous n’avez qu’une seule
oreille... trois oreilles... j’en mange une... ».
46 Fantasme et formation
ports sexuels, très variés, et aucun autre rapport, à la différence de ce que représentent Ionesco et Shaw. Le mot
d'attaque et de contrôle de l’imago maternelle s’effectue selon les modalités spécifiques de l’organisation pul-
sionnelle anale (dominer, conserver/attaquer, détruire) et le régime de l’identification projective, à ce stade pré
génital du complexe d’Œdipe.
1. Cf. le statut de célibataire des habitants de Castalie, la province pédagogique dans Le Jeu des Perles de
Verre.
2. La mère de Higgins a perçu avant son fils le danger inhérent à cette épreuve. Si Lisa parle, comme le désire
Higgins, du temps et de la santé de chacun, qu’adviendra-t-il ? « Parler de notre corps ! de l’intérieur de notre
corps ! et peut-être de l’extérieur aussi ! Mais tu es fou, mon pauvre Henry ! »
3. Sur le thème du « double », cf. O. Rank (1914) et le commentaire de Freud (1919) sur son rapport avec
« l’inquiétante étrangeté ». Rank fait du double une primitive assurance contre la destruction du moi, un
« énergique démenti à la puissance de la mort ».
48 Fantasme et formation
un objet qui soit l’effet de son désir, un leurre, comme la mère est représentée
par lui l’ayant façonné effet de son désir, c’est-à-dire un être doté de vie,
susceptible « d’inventer des désirs » : un être qui, de lui-le-créateur,
soit désirant.
Cette double position est particulièrement apparente dans la structure
imaginaire de la formation où les deux termes se trouvent coïncider fantas-
matiquement dans une même création unifiante. Le dédoublement, la
reproduction de soi en l’autre, la formation de l’autre à son image conforme
sont toutefois des formulations insuffisantes de ce qu’implique la formation
spéculaire : il s’agit aussi d’un dégagement par rapport aux identifications
narcissiques et fusionnelles. La distinction que le formateur est susceptible
d’établir entre lui et l’autre qu’il façonne n’est possible qu’une fois opérée
une première rupture par laquelle le formateur se reconnaît non identique
à son image ; celle-ci se détache de lui, comme le nouveau-né venant au
monde rompt pour la première fois l’attache des parents à leur enfant
imaginaire.
Les fantasmes de la formation d’autres soi-même peuplant l’univers com
portent plusieurs aspects qui renvoient à cette étape de la construction du
sujet qui est stade du miroir. C’est ainsi que les fantasmes — comme
l’activité — de la formation spéculaire réactivent les angoisses de morcelle
ment et de dispersion liées à la phase antérieure de l’identification primaire,
fusionnelle. Les formateurs « spéculaires » en ressentent particulièrement
l’effet et l’impasse, lorsqu’ils se disent « piégés » par leurs propres créatures,
ne trouvant plus en elles qu’un écho, souvent déplaisant, qui les conduit
à rechercher toujours ailleurs qui former d’enfin conforme. Ou bien alors, ne
trouvant plus, dans les images de soi multipliées comme en une galerie
des glaces, le repère de leur propre subjectivité, ni le plaisir de la jubilation
auto-érotique, c’est par la nécessité de (se) détruire dans ce reflet sans fin que
se trouvent mobilisés les fantasmes du formateur. Un passage du Zohar
commente le risque de cette fascination spéculaire : l’homme qui se regarde
souvent dans la glace réveille l’esprit Sagatoupha qui lui amène Lilith la
mère des démons. Les traditions populaires veulent aussi que derrière le
miroir se cache le diable. Mais le texte du Zohar mentionne autre chose
en invoquant la mère des démons et sa progéniture négative. C’est encore
au visage de la mère, qu’elle soit Eve, Marie ou Lilith, que se rapporte la
formation spéculaire de l’autre, conforme à son désir.
*
Une nouvelle d’Alfred Bester (1971), A chacun son enfer, reprend le
thème de la création de l’autre à son image sur le mode de la dérision et
de la bouffonnerie diabolique. Dans un abri anti-aérien, six personnages
formant une « famille de la haine et du vice » explorent, dans la clôture de
leur groupe, toute la gamme de leurs turpitudes. Terrorisant au point de
la tuer une affreuse matrone qui vit avec eux, les cinq survivants se voient
accorder par le Diable qu’ils avaient invoqué, la réalisation de tous leurs
Fantasmatique de la formation et désir de former 49
1. Le héros du roman de H. Hesse, Goldmund, rêve lui aussi d’être un petit dieu, de façonner des créatures
soumises à son vouloir, et de les créer par le regard, le souffle, la puissance de la pensée. Nous reviendrons plus
loin (p. 63) sur l’analyse de ces fantasmes de toute-puissance des excrétions et de la pensée, à propos des hypo
thèses de K. Abraham concernant les théories sexuelles infantiles.
2. Le caractère d’inquiétante étrangeté se mue, dans la nouvelle de Bester, en défense bouffonne contre l’hor
reur que suscite le double : « Le caractère d’inquiétante étrangeté inhérent au double ne peut provenir que de ce
fait, écrit Freud (1919) : le double est une formation appartenant aux temps psychiques primitifs, temps dépassés
où il devait sans doute alors avoir un sens bienveillant. Le double s’est transformé en image d’épouvante à la
façon dont les dieux, après la chute de la religion à laquelle ils appartenaient, sont devenus des démons. »
50 Fantasme et formation
la définition qu’en retient Von Wartburg est, au xne siècle, celle d’une sub
stance alimentaire obtenue en faisant subir diverses préparations au lait caillé ;
le formage est la masse de cette substance moulée en forme de pain. Ce qui
sort précisément du nourrisson c’est du fromage, régurgitation ou transfor
mation des résidus du lait maternel.
quiconque occupe une position centrale dans une institution. Mais on peut
tenir egalement pour constant que cette épreuve est par le formateui
infligée dès lors que doivent trouver une issue les tendances réjectrices du
mauvais objet qui maintiennent en lui la menace persécutive d’être attaqué
de l’intérieur.
C’est pourquoi l’épreuve de la merde est infligée comme punition ou
signification d'une exclusion équivalant à la destruction d’un ennemi.
K. Abraham (1924) relève cette expression courante chez les étudiants
allemands pour signifier l’excommunication de l’un d’entre eux hors d’un
groupe, « er ist verschiss » : il est déféqué, dit-on de lui.
L’épreuve fécale comme punition signifie aussi que le soldat est exclu
temporairement, sur le mode de l’expulsion de la selle. Il n’a plus d’autre
identité que d’être excrément parmi les excréments que produit l’armée,
ce cloaque matriciel selon T. E. Lawrence. Punition archaïque dont on
ne peut se défendre qu’en projetant sur le groupe et le formateur les mêmes
excréments. Ce que réactive cette punition, c’est l’angoisse primitive de se
perdre, d’être absorbé et de se décomposer dans la fange originelle. Le
symbole originaire et bivalent de la boue est scindé et n’apparaît que sur
une seule face : au lieu de signifier la bonne alliance féconde de la terre
et de l’eau, principe vital de naissance et de fermentation créatrice, la
boue n’indique plus que la décomposition de la mort.
Sortir de cette épreuve, c’est à la lettre « se tirer du merdier ». Et c’est
bien en référence à cette épreuve que s’enorgueillissent « d’en être sortis »
ceux qui ont du, au prix d’errances, d’angoisses et d’embourbement, se
« former sur le tas ».
Le groupe « merdique »
Sollicité par son inconscient et par celui des autres à ce niveau prégénital,
le formateur — qui n’en a fait l’expérience ?... — établit souvent l’un des
groupes avec lesquels il travaille comme le groupe « merdique » : comme
si, nécessairement un objet devait pour lui figurer et condenser les attributs
de l’objet fécalisé sur lequel sont projetés les pulsions anales destructrices.
De tels groupes sont ressentis par certains formateurs comme des groupes « où
il ne se passe rien, où l’on s’emmerde profondément, où les participants
manifestent une immaturité remarquable et le plus souvent caractérisée par
des attitudes geignardes, revendicatrices ou bien d’une lourde passivité ».
Lorsque le formateur a affaire simultanément à plusieurs groupes issus
de la même population, le groupe « merdique » figure le « rebut » ou le
déversoir de ce qui n’a pu être intégré dans les autres bons groupes. Une
telle disposition des figures groupales en bons groupes et mauvais groupes
fécaux est particulièrement sensible en situation de séminaire, où la séance
plénière de groupe large souvent représente le cloaque maternel, alors que
les petits groupes sont investis narcissiquement et comme bons objets.
Fantasmatique de la formation et désir de former 55
de formation, comme tout essai pour en rendre compte est mobilisée par de
tels fantasmes, dont les théories, les mythes 1 et les idéologies constituent une
transposition plus ou moins ajustée à la situation historique de chaque
sujet.
Mon propos sera de repérer, dans certaines formulations idéologiques de
la formation, l’incidence de ces fantasmes et des théories sexuelles infan
tiles. Il sera alors possible de proposer quelques réflexions sur le désir de
former.
1. Cf. O. Rank (1909) : « les fantasmes du roman familial se réalisent à travers le mythe ».
60 Fantasme et formation
1. Voir à ce sujet l’article de A. Haynas (1968) sur le syndrome de couvade et la psychologie de l’homme face à
la reproduction.
2. Sur des prémisses analogues, R. GORI (1972-1973) a proposé une analyse du statut de l’objet-parole dans
les théories sexuelles spiritualistes.
Fantasmatique de la formation et désir de former 61
son objet sexuel, alors un tel individu, avec une vie sexuelle par ailleurs
normale, deviendra nécessairement un homosexuel et cherchera ses objets
sexuels parmi les homme qui, pour d’autres caractères somatiques et psy
chiques, lui rappellent la femme. »
La composante homosexuelle dans le désir de formation apparaît comme
la recherche du même dans l’autre, comme la complémentarité totalisante
que schématise le mythe platonicien de l’androgyne ; mais elle apparaît
d’abord liée à cette incapacité de renoncer au pénis de la femme, que le
formateur pourra rechercher dans le groupe, chez l’enfant — ce petit bout
d’homme — dans le groupe d’enfants sur le mode pédérastique, ou chez
tout autre objet sexuel. Composante essentielle de la structure du désir de
formation, l’homosexualité prédomine dans les organisations formatives
closes (internats, séminaires, armée) non seulement comme modalité défen
sive contre l’hétérosexualité et contre la problématique du dépassement
œdipien, mais aussi (comme l’expriment des romans tels que Jeunes filles
en uniforme de C. Wisloe, ou Les désarrois de l’élève Törless de R. Musil),
liée à la résurgence de Y imago de la femme-au-pénis à l’adolescence, c’est-
à-dire à un moment décisif dans toute démarche de formation.
L’idéologie de la formation transparente s’articule avec la tentative d’annu
lation de la différence (entre le maître et l’élève, entre les générations, entre
l’homme et la femme, entre l’école et la société). Il s’agit aussi, dans la
Maison de Verre qu’est l’école ’, de transgresser l’opacité du corps, de voir
à travers et d’escamoter les limites. L’accès se veut direct à tous les secrets,
aux fins d’un mutuel échange fusionnel dans l’unité où vibrent à l’unisson
tous les partenaires : rien n’est caché, tout y est disponible à un contrôle
réciproque. Mais c’est surtout le corps qui se soustrait à toute butée du
désir. La formation transparente se donne comme négation du corps rendu
perméable et glorieux : elle est déjà celle d’immortels.
Elle se constitue en rapport avec le fantasme de la scène primitive devant
laquelle aucune position de tiers n’est tolérable, aucun rapport de soumission-
domination n’est acceptable. La conception sadique du coït sous-tend en
effet la représentation de la formation comme scène où se déroule une lutte
sexuelle entre les partenaires et dont l’enfant peut s’imaginer être la victime.
La formation transparente contrôle le caractère persécutif de cette théorie
sexuelle.
Madone à travers l’oreille, thème que Jones retrouve dans d’autres cosmo
gonies perses et mayas, et qui figure dans le Gargantua de Rabelais,
L’oreille est ici l’organe réceptif, vagin, anus ou cloaque : dans la légende
de la Madone, la Vierge Marie aurait conçu Jésus après l’introduction dans
son oreille du souffle du Saint-Esprit. Cette légende établit la connexion
étroite entre le souffle et la colombe, et l’oiseau ici, par son pouvoir de
voler (érection), la forme de sa tête (semblable à celle du serpent), l’absence
d’organes génitaux extérieurs, sa relation avec l’élément aérien, s’offre aux
fantasmes infantiles concernant la procréation comme un signifiant parti
culièrement riche. L’image de la colombe est à même de représenter le
pénis paternel comme celui, invisible et d’autant plus grand, que l’enfant prête
à la femme. Sous cette image, note Jones, se cache l’idée d’omnipotence
et des fantasmes dont les connotations sont féminines, anales, masochistes
et homosexuelles. La plupart de ces caractères sont impliqués dans le mythe
du Phénix, et dans les fantasmes de Félix.
La théorie cloacale apporte aussi une solution relative à l’origine des
enfants ; cela se passe comme dans le conte, écrit Freud ; on mange une
certaine chose et cela vous fait avoir un enfant. La participation de l’oralité
dans la théorie cloacale et excrémentielle de la formation a pu être relevée
dans les rêves et jeux du jeune Goldmund. La prévalence de la zone érogène
orale se manifeste dans les théories infantiles où l’enfant est conçu dans le
baiser des parents.
Ces théories définissent les idéologies de la formation comme production
d’êtres humains, sur le modèle de ce qui se constitue pour l’enfant comme
production excrétoire. Y sont associées les représentations de l’être en
formation comme matériel à modeler, la conception de la formation comme
contrôle et comme maîtrise sur les contenus psychiques internes et sur les
objets à posséder.
Un exemple en est fourni par les caractères idéologiques de la formation
et des groupes de formation inspirés par le courant lewinien. La formation
se donne pour objectif l’établissement de la maîtrise (contrôle) des processus
secondaires sur le reste de l’appareil psychique, avec comme conséquence
— ou comme visée explicite — l’affermissement et la domination du moi
« autonome », c’est-à-dire le renforcement des défenses, de la volonté, du
jugement, du raisonnement, « fonctions » psychiques éminemment organisées
par l’économie libidinale anale. Comme l’a montré D. Anzieu (1972,
p. 161) en critiquant le lewinisme, dans une telle conception des groupes de
formation (T. Group) prévaut l’établissement d’une idéologie des « bonnes »
relations humaines (de la bonne entente, du bon groupe, du bon leader),
capables de lutter contre le danger représenté par le retour du mauvais
objet expulsé à l’extérieur. Il est probable que la « dynamique » lewinienne
entretient d’ailleurs quelque rapport avec les composantes motrices, ten
sionnelles et relationnelles de la phase anale. Les représentations topolo
68 Fantasme et formation
2. Le désir de former
1. Dans cet ouvrage, le chapitre de L. V. Thomas apporte une contribution clinique à cette hypothèse. Voir
aussi les travaux de Valabrega (1962) et ceux de Missenard et Gelly (1969).
Fantasmatique de la formation et désir de former 69
La demande de formation
Les jeux, les rêves, les théories et les mythes par lesquels se manifestent
les fantasmes de formation expriment ce qu’il en est du désir : de former, de
se former, d’être formé ou en formation. La formation de l’homme par
l’homme, dans la mesure où, comme l’écrit D. Anzieu dans cet ouvrage,
elle concerne le sujet au niveau de son être dans le savoir, interroge et met
en œuvre son désir à travers les formes de sa demande et de son offre.
La demande de formation suppose la constitution pour le sujet d’un autre
auquel est adressée la requête d’un objet susceptible de coïncider avec
l’objet du désir pris dans le fantasme inconscient. Le fantasme d’auto
formation, ainsi que nous l’avons établi, fait correspondre sans écart possible
le sujet, l’objet et l’autre : aucune demande, en fait, n’est formulable. Un
tel fantasme cristallise les trois principales dimensions de la visée forma
tive en y incluant nécessairement la visée dé-formative : la quête ultime de
l’identité et le barrage radical contre toute émergence d’une différence ;
le désir omnipotent de la maîtrise et de la destruction de soi ; la recherche
de l’amour inconditionnel, dont l’auto-érotisme représente la voie la plus
régressive. L’informulable de la demande dissout tout écart entre les désirs
de deux êtres distincts, puisque le sujet tend ici à coïncider avec lui-même :
il est, à la limite, l’offre-demande du même au même. Telles sont les impas
ses que représentent le mythe du Phénix et la figure d’Ouroboros : on y
découvre la réponse autistique et radicale à la question qui met en œuvre
toute demande de formation comme tentative de réduire l’écart entre ce que
le sujet désire être et ce qu’il est, combler la faille qui sépare l’être de son
projet.
Adressée à un autre, cette demande se formule comme la quête d’un
savoir sur soi, sur son identité, d’une maîtrise de soi, de l’autre et du
monde, comme une demande d’amour et de réparation. Cette demande est
aussi une demande de changement, et elle se présente comme une issue
recherchée à l’angoisse du sujet, mais elle mobilise corrélativement les
défenses assurant le statu quo. Dans le mouvement même où la formation,
et d’abord dans le fantasme, est susceptible d’apaiser l’angoisse, celle-ci
ressurgit de sa source pour s’opposer à toute modification ressentie alors
comme atteinte narcissique et destruction de soi par l’autre. Cette liaison
fondamentale de la demande de changement et de la crainte de la défor
mation est généralement escamotée dans la demande manifeste, mais elle
apparaît nettement dès que le processus formatif est en voie de s’engager.
Ainsi dans la phase dépressive que traverse régulièrement le candidat à
une formation psychanalytique. Il s’agit là d’une phase essentielle du
travail de la formation, d’une prélaboration, au cours de laquelle une
énergie considérable est mobilisée pour fixer et endiguer cette composante
anxiogène de la pulsion de mort dans la demande — et dans le désir ■—
de formation. Il convient de repérer ici un véritable clivage de la demande
70 Fantasme et formation
qui n’apparaît dès lors qu’à travers le biais de positivité qu’institue le psy
chisme pour se défendre contre la pulsion de mort et le désir de destruction.
L’offre du formateur
L’offre du formateur n’échappe à ces caractéristiques communes du fan
tasme de toute-puissance et de maîtrise qu’au prix du travail de remanie
ment des identifications et de l’économie libidinale. Ce travail s’effectue dans
la traversée et l’issue du complexe d’Œdipe.
La structure préœdipienne de l’offre, les fixations prégénitales, orales et
anales qui l’organisent, véhiculent l’ambivalence pulsionnelle de former
et de détruire. La sublimation des pulsions partielles et le dépassement
des identifications primaires, s’ils modifient foncièrement la nature de la
relation formative, ne réduisent jamais complètement la conjonction des
pulsions libidinales et de la destructivité. C’est sans doute que, pour créer
et former, donner l’être et la vie, il faut aussi détruire.
Vouloir que l’autre change, c’est en effet d’une certaine manière le vou
loir mort ou perdant quelque chose, certes — et l’on s’en assure — pour
qu’il vive et gagne une autre capacité à vivre de manière optimale. Lui
rendre possible la découverte de son identité et de son pouvoir, c’est aussi
séparer, distinguer, introduire l’écart et la coupure ; c’est ouvrir, dans le
désir de le réparer, à la présence de la déformation et de la mort.
L’offre du formateur, si elle est assujettie à son désir d’omnipotence et
de destruction *, peut s’établir comme entreprise de captation narcissique,
ou comme spectacle : vouloir en effet que l’autre change, sans accepter pour
soi-même le changement, c’est satisfaire le désir de changement sur le
mode de la représentation sadique. Ce qui est alors à interroger, c’est la
façon dont le formateur a été formé, et la place qu’il occupe dans la généa
logie et la génération.
1. J’ai développé, dans une étude destinée à un prochain volume de cette collection, quel
ques aspects du désir et des fantasmes d’omnipotence à l’œuvre dans l’activité formative. Mon
propos est de repérer et de situer par rapport à ce désir les thèmes de la culpabilité et le
sens des épreuves dans le scénario de la formation : la séparation, l’affrontement héroïque
avec le monstre, l’épreuve de la fécalité, la castration symbolique... Cette étude pourra être
articulée avec celle de D. Anzieu (1974) sur le fantasme de la casse et le désir de détruire
dans les séminaires de formation.
Fantasmatique de la formation et désir de former 71
1. Ainsi dans le roman de R. Musil, Les désarrois de ¡’élève Tôrless, le personnage de Bozéna, la putain sale
que les adolescents vont « consulter » pour sortir de leur état larvaire. Cf. aussi l’article de Freud ( 1928) sur Dos
toïevski et le parricide : Freud y développe le fantasme de l’adolescent d’être initié par sa mère. Cf. encore les
films Le souffle au cœur et Le dernier tango à Paris.
72 Fantasme et formation
1. J’ai développé plus longuement ce point de vue dans mon Introduction à l’analyse transitionnelle (1979).
74 Fantasme et formation
1. La position idéologique est coexistensive à la construction d’un groupe. Je développe ce thème dans mon
ouvrage sur la construction du groupe à travers Y Appareil psychique groupal (1976) dans mes Etudes psycha
nalytiques sur l’idéologie (1981).
Fantasmatique de la formation psychanalytique 75
Le forgeron-formateur
La figure du forgeron est ici archétypale. Il est celui qui forge et soude
le monde, qui constitue l’être à partir du non-être. Il a reçu la connaissance
et le pouvoir de maîtriser le feu et le métal du créateur, dont il n’est que
l’assistant et l’instrument1 . C’est lui qui, anticipant sur le mythe moderne
du robot (K. Capèk, 1921), forge l’homme. Ainsi Héphaïstos forgeant Talos,
le dernier des hommes de la race d’airain1 2 La participation du forgeron
à l’œuvre cosmogonique, écrit J. Chevalier (1969), comporte un danger
grave : celui de la parodie satanique de l’activité défendue. C’est pourquoi
le forgeron a cet aspect redoutable, monstrueux et infernal qui apparente
son activité à la magie et à la sorcellerie. H est souvent exclu de la société 3
et son travail est généralement soumis à des rites de purification, à des exor
L’alchimiste
L’alchimiste est une des figures du forgeron-formateur. Le Grand
Œuvre alchimique est organisé par ce projet de reconstituer l’unité primor
diale par l’alliage des contraires, l’union de l’essence et du souffle, du mer
cure et du soufre, de la terre et du ciel : il s’agit de retrouver l’état édénique
et d’obtenir l’immortalité pour une humanité déchue, assujettie à la malé
diction de la maladie, du vieillissement et de la mort, de « réussir à opérer
le passage, le retour triomphal d’un état terrestre limité, déchu, à un état
libéré, glorieux » (S. Hutin, 1971, p. 48). A côté de la transmutation des
métaux, il y a d’autres merveilles à réaliser pour assurer le salut intégral
de la création terrestre : parvenir à la totale régénération de l’homme, à la
fabrication artificielle d’un être de forme humaine, Vhomonculus. Des diffé
rentes légendes qui relatent cette tentative, S. Hutin dégage le sens allégo
rique que Paracelse et ses disciples donnaient à la création de l’homonculus :
celui-ci symboliserait l’embryon métallique (la pierre philosophale) et la nou
velle naissance initiatique, qui se « nourrit » de la décomposition du « vieil
homme ».
Le lieu mythique de ce retour régressif à la matrice et à l’état embryon
naire pour une nouvelle naissance, c’est le fourneau, le creuset, c’est le sein
maternel 1 ; telles sont aussi les significations symboliques de la forge (ou
grand fourneau) et du four de la potière. Créer un homme artificiel est le
rêve grandiose d’égaler la divinité dans sa puissance créatrice, d’en con
naître et de s’en approprier les secrets. Ce rêve est celui de l’Alchimie. Il se
développe dans un ensemble de légendes, de romans et de nouvelles qui, du
romantisme fantastique de E. T. A. Hoffmann, d’Achim d’Arnim et de
M. W. Shelley à celui que colore le rationalisme de la science-fiction
1. L. Chevalier (op. cit.) note que c’est là le nom expressément donné au four des
anciens émailleurs européens.
Désir de toute-puissance, culpabilité et épreuves dans la formation 79
B. La formation coupable
Le désir d’égaler Dieu, de le remplacer et de le tuer, de connaître les
secrets de la puissance divine est, depuis le récit de la Genèse, un désir cou
pable qui mérite la punition, la misère et la mort. La perte du Paradis, la
malédiction babelienne en témoignent. La fantasmatique de la formation
comporte cet aspect de la transgression de l’interdit, que les mythes et les
romans thématisent de différentes manières : soit en attribuant à la créature
ainsi formée des caractères de monstruosité, de vulnérabilité ou de révolte
contre le créateur ; soit en dotant le créateur-formateur de certains attributs
qui, tous, signifient la marque de la punition, c’est-à-dire de la castration *2
Le bancal et le boiteux
Cette marque, le formateur la porte et la reconnaît en l’effigie de ses
modèles ; il est l’errant et le divagant que deviennent, par leur faute,
l’apprenti sorcier et le savant fou, comme le Docteur Frankenstein : il est le
bancal et le boiteux, comme le forgeron, il est le châtré comme le sont les
figures légendaires d’Abélard et du Précepteur de la pièce de Lenz. Fou,
bancal, boiteux, châtré, dévoré au foie comme Prométhée, le formateur ne
craint d’être un « éducastreur > que par son angoisse d’être lui-même castré,
que par ce qui le porte à se défendre de la castration par le fantasme de
castrer.
La relation formative qui s’établit selon le fantasme réactive la menace
de rétorsion liée au désir d’omnipotence et à l’angoisse de la perte : rétorsion
castratrice qu’encourt quiconque — formateur ou être en formation —
désire s’emparer des attributs de l’omnipotence divine.
La marque métaphorique de la castration apparaît dans de nombreux
récits mythiques : Jacob, au cours du combat avec l’Ange, reçoit de lui un
coup qui le déhanche ; il a vu Yahwé, il boitera. C’est le sort de Vulcain-
Héphaïstos d’être estropié après un combat avec Zeus pour défendre sa
mère contre les entreprises du dieu. C’est aussi celui du forgeron de la
théogonie Dogon : il se brise les membres en descendant brutalement sur la
terre pour apporter aux hommes une arche contenant des semences, des
82 Fantasme et formation
Le formateur castrat
Un tel défaut est le prix à payer pour la connaissance ravie au ciel
ou dans les entrailles de la terre, le signe par lequel le dieu jaloux marque
sa suprématie et le rapport de subordination dans lequel doit être tenu
l’homme. C’en est aussi l’emblème ou le blason. La vulnérabilité du forgeron-
formateur indique à la fois la restriction faite à son désir d’omnipotence et
la marque divine qu’il a reçue : le statut démiurgique a valeur de symptôme.
Que cette marque soit répétée sur autrui, sur l’être en formation, indique la
dimension de la défense contre le fantasme de la castration, contre le désir
de casser et de castrer l’être en formation, contre la menace d’être par lui
supplanté dans la réalisation du désir œdipien. Les représentations du forma
teur comme castrat sont les réponses élaborées à l’encontre de ce désir :
elles sont parmi les plus répandues, celles qui offrent le plus de prise à la
vindicte publique ; de la figure d’Abélard au Précepteur de la pièce de Lenz,
en passant par l’imagerie du professeur < pauvre type » (Sullerot, E., 1963),
impuissant, raté, hargneux, comme le proviseur gnome du film de J. Vigo,
Zéro de conduite, ou le Topaze du roman de M. Pagnol. Ces représentations
comportent d’ailleurs une autre face, triomphaliste, du formateur : celle du
héros salvateur, devenu maître et modèle du fait des épreuves qu’il a subies
et dont il a triomphé. J’ai montré naguère (R. Kaës, 1968) que ce modèle
identificatoire prédominait dans la classe ouvrière, sensible à la figure
héroïque de l’instituteur vainqueur de l’injustice et de l’adversité, savant et
initiateur; marqueur d’une empreinte, d’une forme sur les élèves.
La séparation
Dans la position fantasmatique où le formateur s’identifie à la mère,
l’épreuve majeure à laquelle il est soumis est — nous l’avons établi —
d’avoir à se détacher de l’être en formation pour que celui-ci puisse être
mis au monde. Epreuve double, puisqu’elle a pour condition le préalable
détachement du formateur d’aveç sa propre mère, et pour conséquence
84 Fantasme et formation
Le monstre maternel
L’affrontement avec la bête
Le thème de l’affrontement avec la bête apparaît dans la fantas
matique de la formation du formateur comme dans les mythes de la forma
tion du héros. C’est aussi un des thèmes majeurs des épreuves d’initiation
(L. V. Thomas, chap. 4). Ce thème très général peut être considéré comme
la mise en scène de l’affrontement du formateur et de l’être en formation
avec la mort et la dé-formation, avec les pulsions destructrices et dé-géné
ratrices (êtres difformes, bestiaux).
Un des fantasmes organisateurs de la relation formative est celui d’un
affrontement avec la bête sauvage. Institué en épreuve initiatique, contrôlé
par un système social de rites et de mythes, cet affrontement est un des
moments cruciaux du cursus de la formation du héros : il comporte un
long voyage, une errance dans un pays hostile, une longue série d’obstacles
à franchir avant de se trouver face au monstre et de le tuer ; ainsi Persée
décapitant Méduse, Thésée clouant le Minotaure au sol avant de le tuer
de ses poings, Hercule le criminel réconforté par Thésée avant d’entreprendre
les douze épreuves : le lion de Némée, l’Hydre de Lerne, le redoutable san
glier d’Erymanthe, la capture du taureau sauvage de Crète, des cavales
mangeuses d’hommes du roi de Thrace, des bœufs du monstre Geryon,... jus
qu’à l’épreuve finale, officielle, au cours de laquelle il descendra aux Enfers,
délivrera Thésée et fera sortir, sans les armes, le monstrueux Cerbère à trois
têtes '.
1. On sait qu’Hercule dut encore affronter d’autres épreuves : la lutte difficile contre
le géant Antée, la mise à mort de l’aigle dévorateur et la délivrance de Prométhée... Hercule
Désir de toute-puissance, culpabilité et épreuves dans la formation 85
(Héraclès) fut condamné aux travaux forcés en punition du crime d'avoir tué ses propres
enfants (ceux qu’il a formés) et sa femme, sous l’instigation d’Héra, mère nourricière jalouse de
son « fils » qui, alors qu’il était bébé, avait avidement sucé le sein de la déesse.
1. Atalante combat dans les monstres le père mauvais qui l’a abandonnée. Mais elle
s’identifie aussi au garçon que son père a désiré qu’elle fût. Ce n’est qu’après sa victoire sur
Pelée qu’elle découvrira l’identité de son père et ira vivre avec lui, non sans décourager ses
prétendants par les épreuves sportives qu’elle leur infligeait ; jusqu’au jour où l’un d’eux
la conquit en lui présentant par ruse les trois pommes d’or qu’elle désirait.
86 Fantasme et formation
1. Ce que figure par exemple le bon groupe des moniteurs pour celui qui, en large groupe, affronte le monstre
et s’expose à en recevoir les coups. Hercule, au onzième de ses Travaux doit enlever les pommes d’or du jardin
des Hespérides.
2. Il semble que, réciproquement, l’investissement privilégié du fils par la mère soit une donnée constante dans
la formation du héros ou du génie. Cf., à ce sujet, l’analyse de M. Besdine (1974) à propos du complexe de
Jocaste chez les mères des génies créateurs. Freud y fut sensible, et pour cause, lorsqu’il écrit, dans Poésie et
Vérité, qu’un homme qui est le fils préféré de sa mère ne peut pas échouer (cité par M. Robert, 1974, p. 141).
Sur le rôle de la mère et la figure de la prostituée dans le « roman de la formation », cf. aussi le roman de
J. Giono, Jean-le-Bleu, et le commentaire fort pertinent qu’en propose J. Chabot (1974).
Désir de toute-puissance, culpabilité et épreuves dans la formation 87
L’épreuve de la fécalité
L’affrontement avec la bête, avec la bouche nombreuse et dévorante
aguerrit le formateur à lutter contre l’objet qu’il redoute et qu’il recherche
pour en triompher. On pourrait décrire l’épreuve de la fécalité dans la
même projective, et sous les aspects de la fantasmatique anale impliquée
dans les actes et les représentations du processus formateur. Selon
l’analyse que j’ai proposée de cette fantasmatique, l’épreuve de la féca
lité est destinée à surmonter l’angoisse de recevoir les attaques destruc
trices de l’être en formation qui retourne contre le formateur les objets
qu’il en a reçus et incorporés. Comme la dévoration est nécessaire à l’assi
milation, l’attaque fécale est corrélative de l’exercice du contrôle du
88 Fantasme et formation
La castration symbolique
Un dernier type d’épreuves, après la séparation d’avec l’univers
maternel et infantile, l’affrontement avec le monstre dévorant et fécal, la
confrontation avec la sexualité génitale, est la lutte contre la sollicitation
de s’emparer de la toute-puissance supposée du père, et de devenir immnr-
tel et omniscient. Ce désir est impliqué dans toutes les épreuves précédem
ment décrites, qui concernent le rapport à l’imago maternelle. Etre sollicité par
la réalisation du désir d’omnipotence est ce qui mobilise le cursus héroïque
du formateur et de l’être en formation; c’est ce dont il porte la marque
et la culpabilité lorsque ce désir compose avec celui du parricide et de
l’inceste. C’est l’épreuve même de la tentation dont nous entretient la
tradition judéo-chrétienne : le « vous serez comme des dieux » de Satan
n’indique pas que toute transgression est interdite à l’homme, mais seule
ment celle qui se réalise par le meurtre du père et le refus de la génération.
Le mythe établit la culpabilité de l’homme dans son désir de connaître
le secret de la vie et de s’emparer de cette connaissance par un meurtre, mais
aussi dans le refus de sa propre limitation. Dans les mythes de la formation, à
côté du démiurge et du forgeron claudicant, le rabbin (le Golem) et le méde
cin (Frankenstein) sont les héros formateurs exposés à la tentation œdipienne.
Ce fait confirme d’ailleurs ce que nous avons souvent relevé : la coexistence
des figures du prêtre et du médecin dans le désir du formateur et dans la
fantasmatique de la formation 1
La marque que, dans le mythe, porte le forgeron-formateur, indique la
nature œdipienne de l’épreuve et son issue. Cette marque symbolique de la
castration l’institue dans un rapport généalogique par lequel il peut alors
participer à l’œuvre de la création sans s’identifier à la toute-puissance
ultime. Par cette marque s’instaure corrélativement un rapport de géné
ration avec l’être qu’il forme et le sujet qui se forme. La marque de la cas
tration symbolique, c’est-à-dire le renoncement au désir infantile de toute-
puissance, garantit dès lors le formateur et l’être en formation contre
1. La rencontre entre ces figures et celle du formateur comme réanimateur, thérapeute ou thaumaturge s’éta
blit dans le fantasme de la réparation de la mère endommagée et des objets partiels qu’elle comporte ou qu’elle
contient. Dans cette perspective, former c’est réparer la mère attaquée et endommagée et ainsi se réparer soi-
même, à la condition d’avoir triomphé efficacement de la destructivité. J’ai développé ce point de vue dans un
article (Kaës R., 1975), partiellement repris dans le présent ouvrage, où j’ai tenté de repérer la fantasmatique ori
ginaire de la formation : L’énoncé m’en a paru être « On (dé)forme un enfant ». Mais c’est aussi « Une mère est
(dé)formée » ou encore « Un enfant nous (dé)forme ». La pédagogie y trouve un de ses fondements. (Cf. dans
cet ouvrage p. 1-9.)
90 Fantasme et formation
1. Dans les Trois essais sur la théorie de la sexualité, Freud écrit (éd. 1962, p. 72) « que
la formation et l’éducation s’effectuent aux dépens de la sexualité, c’est-à-dire de la réalisation
directe des buts sexuels ». Nous avons admis que la formation comporte et requiert une
dimension sexuelle, et qu'elle ne s’effectue qu'à travers la mise en œuvre du dualisme pulsion
nel, par le primat de l'Eros sur la pulsion de mort.
Désir de toute-puissance, culpabilité et épreuves dans la formation 91
culturelles laissait entrevoir ce que ses successeurs, s’appuyant sur les travaux
des philologues et des historiens des religions, spécialement eu égard à la
mythologie grecque, ont confirmé. Que ce soit en matière de production
— culture du sol, fabrication d’objets à l’aide du feu, à partir de la terre
(poterie) ou de minerais (métallurgie) —, qu’il s’agisse d’éducation, d’ini
tiation, de guérison, de gouvernement, les activités collectives obéissent simul
tanément à un modèle technique et à un modèle fantasmatique. Le premier,
conscient, permet la maîtrise de la réalité externe. Le second, inconscient,
apporte l’indispensable prise en considération de la réalité interne. La
fantasmatique en jeu dans ces activités s’avère être toujours une fantas
matique de la procréation : elle met en scène les objets contenus dans le
corps de la mère, le bien ou le mal que ces objets internes peuvent faire,
les relations qu’ils entretiennent entre eux ainsi qu’avec le contenant mater
nel et le pénis masculin, la façon dont ils germent et prolifèrent ou dont ils
sont introduits et expulsés.
Former des adultes, tout autant qu’élever des enfants, faire pousser
des plantes ou transformer une matière première par la cuisson, consiste à
créer des produits. Il est insuffisant, et parfois faux, de dire que le formateur
cherche à les créer à son image. Mais il ne les crée pas sans désir : or, ce
désir, ainsi que la fantasmatique dans laquelle il est pris, n’a point encore
été sérieusement examiné. Il n’en est pas de même pour le sujet qui, mi
par pression sociale, mi par engagement individuel, demande ou accepte
d’être formé. Celui-là ne vient pas non plus sans désir, mais, on le sait, il
s’agit d’un désir disponible, c’est-à-dire refoulé parce qu’interdit, donc incons
cient et mis en scène défensivement dans un fantasme personnel. Les autres
désirs en effet, le sujet en fait son affaire en les mettant habituellement en
acte dans des entreprises en rapport avec la réalité externe. Par contre, tout
ce qui est annoncé ou supposé avoir un rapport avec la réalité psychique —
la formation, la cure, le changement intérieur — éveille ce que la psychana
lyse a découvert être au cœur de cette réalité interne : la dramatisation du
conflit entre le désir et la défense. Seule une expérience personnelle de la
cure psychanalytique dégage le sujet de l’emprise de son fantasme incons
cient pour lui rendre la liberté de son désir. Que peuvent lui apporter des
conceptions de la formation qui prétendent faire l’économie de cette étape ?
Aucune expérience collective, fût-elle conduite dans une perspective psycha
nalytique, ne saurait le mener à ce point. Quant aux expériences de forma
tion individuelle avec un mentor, elles aident seulement à l’appropriation de
techniques matérielles et mentales par la transformation et le renforcement
d’identifications secondaires, notamment de celles constituant l’idéal du moi.
Nous pouvons maintenant formuler plus clairement la critique psycha
nalytique de ces conceptions. La formation qu’elles apportent se résume en
deux points : amélioration des stratégies défensives de certaines instances
contre le processus primaire ; aménagement d’un champ illusoire d’accom
plissement du désir analogue, par sa dynamique, à celui du rêve. Les sujets
Fantasmatique de la formation psychanalytique 95
1. Pour un historique plus détaillé de la formation psychanalytique, c/. Perrier, N., 1970.
La durée minimum de la didactique fut portée à quatre ans en 1947. Le problème des « con
ditions d’admission des candidats » (à entendre comme suit : faut-il admettre des non-
médecins à la formation psychanalytique?) mina dès 1927 l'autorité de l’international Training
Committee. A partir de Î936, les sociétés américaines cessèrent de se soumettre à ce dernier
pour l’établissement de leur réglementation et réservèrent la psychanalyse aux médecins.
98 Fantasme et formation
c’est même se laisser porter par le courant ; dans des milieux de psychiatres,
de psychologues, dans certaines institutions, il faut se faire psychanalyser si
l’on veut être estimé, parfois même si l’on veut faire carrière. Dans ces
conditions, le projet de devenir psychanalyste peut être une façon détournée
de faire l’économie de l’angoisse de castration.
Un second facteur tient en la diffusion des connaissances psychanalytiques.
Le complexe d’Œdipe a cessé d’être un mobile secret, l’objet d’une curio
sité conquérante pour devenir une réalité vulgaire que les critiques iden
tifient dans les œuvres d’art, les parents chez leurs enfants, les sociologues
dans les mouvements collectifs. Le candidat sait d’avance que son analyse
didactique le lui apprendra et, bon élève, il s’empresse, aux premières mani
festations, de le nommer à son analyste. Cet hommage qui lui est ainsi rendu
est d’ailleurs une façon de s’en acquitter sans aller y voir de trop près. Le
changement de dénomination est d’ailleurs significatif. Freud avait découvert
dans le mythe d’Œdipe le noyau organisateur de la névrose, de l’éducation, de
la culture. Sous l’influence de Jung, l’expression de complexe d’Œdipe fut
adoptée et resta. Etre psychanalyste n’a ainsi plus rien d’homérique ou de
sophocléen, ne consiste plus à réactualiser pour son compte une grande trame
symbolique, figuration des drames humains fondamentaux de la séparation
de la mère, de l’exposition aux dangers, aux blessures, de l’affrontement aux
imagos, des remaniements identificatoires. Œdipe, de mythe devenu com
plexe, fait pour le candidat trop instruit l’objet non plus d’une formation
mais seulement d’un apprentissage. Il n’invite pas à un renouveau créateur
personnel. Il est le nom d’une maladie dont on espère guérir soi-même et
les autres, celui d’une fonction de l’appareil psychique dont on soigne les
anomalies ou le sous-développement, le patronyme d’une corporation. La
formation psychanalytique tend à devenir le champ d’une pseudo-œdipi-
fication. On comprend, dans ces conditions, que Deleuze et Guattari aient
pu dénoncer, dans leur Anti-Œdipe (1972), la notion même de complexe
d’Œdipe comme étant une fausse explication dans les sciences sociales. Une
seule erreur dans leur livre : ce dont ils parlent n’est pas le noyau œdipien
universel de la personne humaine, mais le pseudo-Œdipe défensif fabriqué
par notre culture.
Nous voilà déjà au troisième point. La psychanalyse, la fécondité de ses
applications s’étant affirmée, le nombre de ses adeptes s’étant accru, a
dû faire ce qui advient nécessairement aux petits groupes qui grandissent :
s’institutionnaliser. La contestation interne aux sociétés de psychanalyse
a depuis quelques années beaucoup publié que l’existence de règlements
concernant la sélection des futurs analystes et de standards concernant les
étapes de leur cursus, celle d’une nouvelle caste de privilégiés, les didacti-
ciens, avaient beaucoup affadi la vertu formatrice de l’expérience psychana
lytique. « Ce n’est plus à ce qu’il apporte à la chose freudienne qu’on
attend l’analyste, mais à ce qu’il en reçoit, de par sa formation. Est analyste
celui qui a été analysé par un didacticien, lui-même reconnu comme tel »
100 Fantasme et formation
toujours plus. Ainsi, une école anglaise issue de Melanie Klein ne cesse
de faire progresser l’étude des premiers mois de l’existence et des processus
psychiques archaïques ; les notions d’illusion (Winnicott), de défaut fonda
mental (Balint), de contenant (Bion), de sein-toilettes (Meltzer) constituent
des acquisitions récentes dont l’adoption se répand rapidement. Or, en contra
diction avec ces faits, la représentation du savoir psychanalytique la plus
répandue chez les candidats n’est pas celle d’un dynamisme créateur cons
tant et continu. Pour eux, la fécondité serait tarie et la psychanalyse se
trouverait définitivement constituée ; système clos, cohérent, dogmatique, où
il n’y aurait plus rien à découvrir ; en un mot, une idéologie. Se former,
c’est-à-dire trouver par eux-mêmes un certain nombre de vérités importantes,
et les intégrer à leur être, leur devient difficile. Les vérités psychanalytiques
leur sont intellectuellement connues d’avance. La fraîcheur de l’expérience
intérieure telle que quelqu’un de non-sophistiqué pourrait la faire leur
devient inaccessible. Ils vivent cette expérience selon une fantasmatique de
l’encombrement : tout est comblé, fermé et ils se sentent étouffés. Les
programmes souvent encyclopédiques des Instituts de formation psychanaly
tique renforcent cette tendance à substituer un apprentissage de type
scolaire à une formation personnelle. Pour la génération actuelle des candi
dats, les psychanalystes des générations antérieures étaient des géants en
comparaison desquels ils s’éprouvent comme des petits derniers. Jamais
ils ne dépasseront ni n’égaleront leurs ancêtres ; ils n’arriveront même pas à
apprendre tout ce que ceux-ci savaient. La position œdipienne est bien ici
celle non plus d’un noyau créateur mais d’un complexe névrotique inhibi
teur : nous, la jeune génération, nous sommes impuissants par comparaison
à vous, les géniteurs, les fondateurs, les inventeurs ; il ne nous reste plus
qu’à être des contestataires gratuits ou des répétiteurs conformes. Quand
des aînés se sont comportés en héros, c’est-à-dire quand ils ont affronté avec
succès le monstre maternel (ici, l’inconscient) et fondé une société, il ne
reste plus aux cadets, pour se valoriser aux yeux de la mère, qu’à être
leurs chantres ou des hérétiques.
Ainsi, à l’heure actuelle, le projet de devenir psychanalyste se situe, pour
résumer les quatre points que nous venons de passer en revue, dans un
contexte de pression sociale positive, de pseudo-œdipification de la relation
analytique, de codification de l’apprentissage et d’expérience de la cas
tration imaginaire dans le domaine du savoir. Aussi la fantasmatique
inconsciente de beaucoup de candidats à la formation psychanalytique les
apparente-t-il plus à Pisistrate qu’à Œdipe. Celui-ci, subordonnant le poli
tique au sexuel, n’avait pris le pouvoir que pour trouver le bonheur de
s’unir, sans le savoir, à sa mère. Celui-là, très au courant des légendes et
des rites concernant l’accès à la royauté, s’était, avant de prendre le
pouvoir, délibérément uni à sa mère et l’avait publié afin de rendre plus
crédible, par sa bonne fortune sexuelle, son dessein politique. Là réside le
passage de la tragédie à la stratégie. Devenir psychanalyste de nos jours
Fantasmatique de la formation psychanalytique 103
est pour beaucoup la réalisation d’un rêve de pouvoir. Pouvoir sur soi-
même, par la maîtrise espérée de l’angoisse et des pulsions. Pouvoir sur les
patients, qui le feront dépositaire de leur vulnérabilité et dont le transfert
sur lui l’assurera d’un règne silencieux sur eux. Accueillir les autres parce
qu’ils sont faibles, souffrants et aveugles sur eux-mêmes, c’est s’assurer
d’une position de force. Leur infliger la frustration, c’est d’une certaine
façon s’en affranchir pour soi-même. La stratégie consiste ici à mettre la
connaissance de l’inconscient et en quelque sorte sa capture au service de
fins personnelles. Fins perverses pour les uns, fusionnelles pour d’autres ;
pour les derniers enfin, quête d’un métier réparateur de leur défaut fonda
mental. Un dénominateur commun à tous ces buts : ressusciter, sous cou
vert d’une démarche œdipienne, la relation duelle au sein que le nourris
son, démuni et prématuré, fantasme, à la mesure inverse de sa détresse,
tout-puissant. D’où l’utopie de l’auto-formation, si à la mode de nos
jours dans certaines sphères psychanalytiques : se faire soi-même, sans
référence à un tiers, c’est réaliser l’identification primaire à une génitrice
concevant ses enfants par parthénogenèse. D’où le primat accordé dans
la pensée à la catégorie de totalité, tentative implicite d’échapper à l’an
goisse de la castration imaginaire et qui pourrait s’énoncer comme suit :
mon corps est un tout intact ; de plus il forme avec le corps de ma mère un
tout indivis.
7. Le désir d’éternité
Il est nécessaire d’étudier encore un autre trait de cette fantasmatique
collective. Nous avons déjà mis en évidence la recherche imaginaire de la
toute-puissance et celle de l’omniscience. Il s’agit maintenant du troisième
attribut divin (le fond de l’illusion formative n’est-il pas l’espoir de devenir
semblable aux dieux : Sicut dii eritis ?) : l’immortalité. La formation psycha
nalytique, comme toute formation, répond à un besoin de défense et de
protection contre la mort.
Devenir psychanalyste, c’est, dans la fantasmatique de beaucoup de
candidats, être immortel. Ils sont mus par la logique inconsciente suivante :
celui qui opère le changement chez les autres et qui a dû lui-même changer
pour devenir psychanalyste, celui-là désormais échappe à l’exigence et au
danger d’une réforme intérieure : « Tel qu’en lui-même enfin l’éternité le
change... ». On retrouve là une vieille conception aristotélicienne : le chan
gement est une des formes par lesquelles se manifeste la corruption propre
aux choses d’ici-bas ; seul ce qui est immuable est céleste et éternel ; comme
le dieu d’Aristote, le psychanalyste serait ce premier moteur immobile qui
communique le mouvement aux autres êtres existants que d’ailleurs il n’a
pas créés. Le psychanalyste didacticien plus exactement, car cette fantas
matique reprend à son compte la croyance traditionnelle en une hiérarchie
des êtres, sur laquelle les philosophies et les religions ont brodé d’innom
brables variantes : l’inconscient est le nouveau dieu tout-puissant, omniscient
et immortel dont Freud a été le prophète, dont les didacticiens sont la
réincarnation, dont les psychanalystes ordinaires sont les simples prêtres et
les élèves les novices. Au contact du didacticien et comme par osmose,
ceux-ci espèrent acquérir de celui-là l’invulnérabilité suprême qu’ils lui
attribuent ; parfois même, pour être plus sûrs de cette invulnérabilité, ils
n’ont de cesse qu’ils ne soient devenus à leur tour didacticiens. A ce
moment-là, le cercle de l’ambition psychanalytique se referme et le nouveau
didacticien, qu’il soit élu par ses pairs ou qu’allant droit au but il s’instaure
lui-même, a besoin d’un renouvellement ou d’un accroissement constant de
ses élèves pour tenir de leur croyance en lui la preuve de sa propre
immortalité.
Avoir des enfants, fonder une institution, produire une œuvre, tels sont
les modes habituels par lesquels l’être humain satisfait le besoin de s’assurer
d’une survie et trouve du coup des raisons actives de vivre. A défaut,
élever ou soigner les enfants des autres, maintenir ou développer une insti
tution, une œuvre, reçue de la génération précédente et la transmettre
vivante et, s’il le faut, rénovée à la génération suivante constituent des
équivalents suffisants à nous protéger, pendant toute l’existence, de la mort.
Parvenu à maturité, de lui-même ou avec l’aide de la psychanalyse,
l’être humain n’a pas besoin de s’en protéger davantage ; il accepte la mort
118 Fantasme et formation
8. L’illusion formative
Le déclin religieux n’a pas entraîné la mort de la croyance ; il ne pouvait
que la transformer. La croyance en l’accomplissement des désirs fonde la
réalité psychique interne aussi sûrement que la mort constitue la réalité
extérieure comme telle. La croyance du public en la psychanalyse, la croyance
des élèves-psychanalystes, voire des psychanalystes, en l’imago de la mère
toute-puissante en représente un avatar actuel. D’où la transformation de la
cité utopique rêvée par les premiers psychanalystes — une cité où tous,
parce qu’analysés, seraient frères — en chapelles rivalisant dans l’exégèse
des textes de Freud, dans la défense ou dans l’évolution du dogme et dans
la diversité des styles, depuis le prophétisme ou la mystique jusqu’au déploie
ment de l’activité missionnaire en passant par la préservation du rituel litur
gique ou du cérémonial de l’initiation. A son tour, ce relatif « déclin » psycha
nalytique, contemporain de la mort de Freud et de la montée de la fantas
matique que nous venons d’étudier, a contribué à l’essor, à partir des années
1950, de nouvelles méthodes de formation, les méthodes de groupe, où la
fraîcheur de l’expérience personnelle se trouvait préservée par l’ignorance
notionnelle des participants et par la faiblesse conceptuelle des animateurs,
où la difficulté de la mise en question de soi était atténuée par la dimension
collective de la situation, où le désagrément d’avoir à se reconnaître malade
psychique et à solliciter une cure appropriée était évité par le but formatif et
non plus thérapeutique proposé au processus, et où, nul Freud n’étant
venu accomplir une synthèse théorique et assurer une rigueur technique, nulle
association internationale ne s’étant assigné de rassembler les spécialistes,
d’unifier la pratique, de faire progresser le corps des connaissances et de
contrôler la formation des futurs formateurs, les choses se sont développées
par petites équipes indépendantes, plus ou moins antagonistes ou coordon
nées, plus ou moins stables dans leur composition, dans leur doctrine, dans
leur secteur d’application et très variées dans les filiations dont elles se
réclamaient. C’est ainsi que la saisie de l’inconscient a continué de se faire
et de se propager à l’abri et à l’écart de la sophistication qui gagnait les
institutions psychanalytiques et qu’une certaine intuition psychanalytique est
Fantasmatique de la formation psychanalytique 119
1. Nous développons plus longuement l'étude de la vie fantasmatique des groupes dans
notre ouvrage Le groupe et l’inconscient (Dunod, 1975).
120 Fantasme et formation
9. Conclusions
Il en est de toute formation comme Aristote l’avait reconnu de tout
gouvernement. II n’existe pas de régime politique parfait en soi ; tel type de
gouvernement répond mieux que d’autres, à un moment donné, à un ensemble
de conditions géographiques, démographiques, économiques et culturelles
données ; mais tout type de gouvernement, le plus adapté soit-il à ces condi
tions, comporte des germes de corruption et tend à évoluer de lui-même
vers des formes dégradées de vie politique. Ainsi naissent, meurent et se
transforment les puéricultures, les pédagogies, les conceptions de la forma
tion des adultes, les rhétoriques. Nées d’un dynamisme créateur, elles se
corrompent en apprentissage. Au lieu d’agir sur l’identification inconsciente,
fondement de tout savoir-être, la formation psychanalytique, payant le prix de
sa réussite et de sa longévité, suscite de plus en plus des identifications cons
cientes, qui permettent seulement l’acquisition de certains savoir-faire. Nous
avons choisi de considérer cette dégradation comme exemplaire, non pas
tant parce qu’elle peut éclairer ce qui se passe actuellement de semblable
avec la psychothérapie institutionnelle ou avec la formation psychologique
des adultes par les méthodes de groupe, mais surtout parce qu’à la diffé
rence de vicissitudes antérieures analogues dont le processus était resté
obscur, la théorie et la clinique psychanalytiques fournissent les moyens de
comprendre le processus même de cette dégradation. « Comme la philosophie
ne se constitue que par la quête incessante de ce qui la fonde et par la
reconnaissance de ce qu’elle engendre, la psychanalyse est cette recherche
critique sur son propre mouvement du lieu où, inconsciemment, et non sans
connivence avec le Moi, elle se clôture en un système, se fige en idéologie
et se temporalise en institution » (René Kaës, 1972).
C’est d’ailleurs ici que cesse la validité de la comparaison aristotélicienne :
plus qu’à des conditions externes, physiques ou sociales, c’est à la réalité
psychique interne que répondent l’émergence et la corruption, à des moments
historiquement datés ou situés, de toute méthode de formation personnelle.
Nous avons essayé de mettre en évidence quelles réalités psychiques s’étaient
trouvées mises en jeu par la naissance et l’évolution de la formation psycha
nalytique : à l’origine, une transgression œdipienne instituante, suivie d’un
retour de la résistance et de la régression, sous forme d’une triple projection,
sur la psychanalyse instituée, de l’idéal narcissique, des théories sexuelles
infantiles et de la topique subjective.
Le pouvoir est très prisé des humains parce qu’il leur offre la tentation et
Fantasmatique de la formation psychanalytique 121
A. Le problème
1. La notion de personne
Deux termes pourraient spécifier l’essence de la personne négro-africaine :
l’héritage (l’individu reçoit à la naissance, symboliquement ou réellement,
des parcelles ontologiques provenant des géniteurs ou de personnes pri
vilégiées du clan : ancêtres par exemple) et l’entourage (à la fois milieu cos
mique avec lequel le moi peut entretenir des rapports étroits, singulièrement
l’animal totémique, et milieu social : famille nucléaire ou étendue, lignage,
clan, associations diverses). Composite par excellence puisqu’elle comporte
une pluralité d’éléments (âmes, principes vitaux, noms) d’origine diverse, la
personne ainsi définie est encore un perpétuel inachèvement car, selon une
dialectique temporelle, les éléments constitutifs peuvent se rapprocher ou
s’éloigner, se disperser ou s’agglomérer. En un certain sens, elle doit se
définir simultanément comme autocréation, comme équilibre et accord,
comme tension et valeur *. Comme autocréation d’abord. D’où le sens des
conduites que tout homme entretient, soit naturellement c’est-à-dire quoti
diennement, soit rituellement à l’endroit du monde (village, place du marché,
rivière, forêt, forces telluriques), envers les autres et notoirement les
1. Conception qui sera généralisée par G. Lapassade (1963) : « l’homme n’entre pas une fois
et définitivement dans un statut fixe et stabilisé qui serait celui d’un adulte. Au contraire, son
existence est faite d’entrées successives qui jalonnent le chemin de sa vie... l’homme est totali
sation en cours sans jamais être totalité achevée » (p. 243-244).
L’être et le paraître 125
ancêtres, puis les géniteurs, les oncles et tantes, les frères et sœurs, les
membres du lignage ou du clan (malédiction ou bénédiction peuvent
dé-jorcer ou ren-forcer l’être, donc la « force de vivre »). — D’où égale
ment le rôle imparti à certaines cérémonies qui permettent à l’individu de
« réussir sa vie ». Justement parce qu’elle se sent libre « la personne doit
mettre tout en jeu pour inscrire sa liberté dans et à travers les multiples
failles que laissent entre eux les divers secteurs du déterminisme. Ainsi donc,
aux divers déterminismes « inscrits » dans sa nature s’ajoutent ceux que
comporte la vie sociale, et la personne ne peut s’accomplir qu’en utilisant ces
mêmes déterminismes (ou leurs lacunes) pour créer de l’indéterminisme,
c’est-à-dire la liberté » \ Comme équilibre et accord ensuite. Qui dit liberté et
pluralité des déterminismes dit, par là même, possibilité du désordre, donc
exigence de cohérence, de restructuration1 2. Tout d’abord la personne négro-
africaine doit résoudre le problème de l’harmonie — « topologique » et
« métaphysique » — entre les constituants principaux du moi. Nous savons
en effet, que non seulement ces derniers sont au pluriel mais encore : que
certains viennent d’ailleurs soit épisodiquement (formes de possession), soit
durablement (types de ré-incarnation, participation totémique) ; que d’autres
peuvent exister hors du moi (âmes ou fragments d’âme qui séjournent
dans la mare, dans l’autel... selon les croyances dogon au Mali, ou chez
autrui : alliance cathartique qui unit Bozo et Dogon) ; tandis que simul
tanément il en est qui parfois abandonnent la personne au moment du
sommeil, de l’émotion violente, de la folie (mode épisodique) ou bien s’il
s’agit de sorcellerie (le principe vital — ou le double ou l’âme — est attiré,
incité à quitter le « moi » puis « dévoré ») et de mort en instance (stade de
prémortalité3 des Dogon du Mali ou des Ba-Ila de Rhodésie). Si nous
exceptons les deux dernières éventualités où le désordre semble irréparable,
la personne peut et doit cohérer la pluralité de ses constituants : soit qu’une
hiérarchie — le principe dominant manifeste alors un pouvoir éminent de
liaison ontologique, existentielle, symbolique ou seulement formelle selon
les cas — s’établisse entre eux ; soit que chacun puisse d’une certaine
manière être considéré comme le « moi » intégral (la cohésion est alors pure
ment métaphysique, voire paraphysique, admise a priori mais non expli
quée) ; soit enfin que la réification de chaque principe soit une illusion du
langage et ne corresponde qu’à un principe sériateur à base fonctionnelle :
il s’agit alors moins d’éléments différents que de fonctions différentes d’un
élément unique. En outre, puisque certains constituants bien qu’appartenant
au « moi » (relation d’avoir) ou étant le « moi » (relation d’être) provien
nent d’ailleurs, puisque la personne n’existe que par « l’acte créateur de
Dieu » comme disent les Yoruba (Nigeria), par le désir de l’ancêtre qui l’a
1. Voir I.P. Laleye (1970, pp. 207-221).
2. D’où les noms bénéfiques, les offrandes et sacrifices, les pratiques magiques, voire la
sorcellerie et les techniques divinatoires.
3. Dans ces phénomènes l'âme dit-on, quitte le corps parfois un an avant la mort effective,
le principe vital suffit alors pour entretenir la vie.
126 Fantasme et formation
1. Une autre raison peut expliquer la difficulté de saisir l’initiation que D. Zahan a mis
en évidence (1970, p. 89). « Il faut considérer l'initiation, sur le continent noir, plutôt comme
une transformation lente de l’individu, comme un passage progressif de l’extériorité à l’inté
riorité ; elle permet à l’être humain de prendre conscience de son humanité. Cette ascension
peut être marquée par des jalons solennels qui révèlent sur le plan social une importance
telle que, parfois, la société y trouve en quelque sorte sa raison d’être ; mais elle peut aussi
passer pratiquement inaperçue et se dérouler paisiblement pendant toute la vie de l’individu
comme une longue méditation. »
2. « C’est ainsi qu’un rituel peut répondre à une gamme de motivations bien établies for
mant un large éventail allant des besoins sadiques impérieux de brimer le nouveau ou du
désir d’intimider et de contraindre, à des élans de la nature la plus profondément éthique.
Partant des motifs les plus grossiers on peut trouver à l’autre extrémité des rituels satisfai
sant une tendance élevée et esthétique à considérer la régénération de la jeunesse comme une
mystique vitale dans l'optique de ¡’existence sociale » (H. Bloch, A. Niederhoffer, op. cit.,
1963, p. 53-54).
3. D’où les « théories » sociologiques (monolithisme moral de Durkheim, rites de passage de
A. Van Gennep). culturalistes (encuituration et spécification fonctionnelle : R. Benedict),
psychanalytiques (théorie phylogénétique de Reik, ontogénétique de G. Rôheim) etc.
4. Voir Mircea Eliade (1958, p. 2) et J. Goody.
L’être et le paraître 129
etc.1 Ensuite parce qu’il faut dire autrement la même chose. D’où la pro
fusion et l’exubérance des symboles convergeant la plupart du temps vers
un signifié unique : changements de nom + bain lustral + nouveaux
habits + réapprentissage de la langue ou des comportements élémentaires,
etc., vérifient par exemple que l’initié « avalé » par l’ancêtre dans le bois
sacré vient de renaître. Enfin, ultime source de difficulté, la pluralité des
situations, non seulement si nous considérons les ethnies avec leur système
socio-culturel propre, mais encore à l’intérieur d’une même ethnie : varia
tions selon les âges (la circoncision se fait à 5 ans ou à 20 ans) ; selon les
sexes (tantôt l’initiation des filles est prépondérante, notamment dans les
sociétés matrilinéaires comme chez les Wobe ou les Ubi de la Côte d’ivoire,
tantôt elle est inexistante, surtout chez de nombreuses populations islami
sées) ; selon les techniques (certains groupes, peu nombreux il est vrai, refu
sent les mutilations sexuelles : un circoncis ne peut devenir roi chez les
Akan de Côte-d’Ivoire ; l’allongement des lèvres n’est guère pratiqué que
par les Hottentot — Namibie — et l’infibulation que par les Somali — Soma
lie, Ethiopie, Kenya — et quelques populations arabisées du Soudan Orien
tal) ; selon la durée (la réclusion dans le camp sacré peut n’être que d’une
journée ou s’étendre sur plusieurs mois ; l’initiation, ou n’intéresse qu’une
période de la vie, ou concerne toute l’existence : un texte peul (Sénégal, Mali,
Guinée) nous dit qu’elle « commence dans le parc et finit en entrant dans la
tombe »)!. Toutefois il n’est pas impossible, par-deçà les différences (qui par
fois sont sur le mode présence/absence), de saisir un certain nombre de déno
minateurs communs : « ... il s’agit toujours d’inscrire réellement sur le corps la
marque symbolique d’un rapport culturel d’opposition et de complémen
tarité, étant entendu que la marque est réelle et que le rapport culturel est
la transposition d’une disparité naturelle dont on ne sait au départ si elle
est insignifiante ou capitale. Peut-être est-ce cette incertitude qui fait que
les sociétés diffèrent » *.
*
♦*
des êtres sacrés. Troisièmement, une distinction est marquée entre la nature
donnée et la nature sacrée ; on pose la seconde comme transcendante par
rapport à la première en même temps que l’individu est admis à y parti
ciper. »
Dégageons schématiquement les principales fonctions sociales de l’ini
tiation.
Maintenir et reproduire
1. Voir par exemple J. Kenyata (1938, notamment, chap. vi). Rappelons aussi l’avis
de G. Lapassade (op. cit., 1963, p. 95). « L’insertion sociale nous paraît motivée par le fait
que l’homme est ud. être vivant chez qui les normes sont devenues incertaines : l’adulte ne
peut être défini dans l’ordre humain qu'à l’intérieur d’un système culturel ; c'est bien là la
leçon que les sociologues ont dégagée de l’étude des rites. »
132 Fantasme et formation
Vivifier
• Les rites initiatiques, préparés longtemps à l’avance, déclenchés à un
moment où les réserves alimentaires (cheptel, grains, vin de palme ou bière
de mil) surabondent, créent une atmosphère — abstraction faite des moments
d’angoisse lors de la phase de séparation — de kermesse populaire, de liesse
collective, à'effervescence sociale. La joie de se perdre dans une foule
dense et animée, d’admirer les chants, les danses et les vêtements neufs, de
boire et de manger sans restriction, de faire l’amour librement avec un parte
naire inconnu, de s’enivrer de sons, de couleurs, de mouvements et de
rythmes, et ceci durant plusieurs jours et plusieurs nuits... voilà qui rompt
agréablement avec la monotonie de la quotidienneté. Avec ses outrances
fécondes, ses licences sexuelles, sa suspension du temps, ses instants d’exal
tation collective, ses rapprochements communiels, la fête qui obéit au
schéma bien connu : lente accumulation -» brusque explosion, qui est à la
fois « compétition », « simulacre », « vertige » devient aussi un remède à
l’usure sociale *.
• N’est-il pas significatif, par ailleurs, que le rite initiatique comporte tou
jours une mise à mort symbolique suivie de re-naissance ? « Durant l’ini
tiation, le jeu de la mort physique est réalisé et — non la mort elle-même
— de telle manière que cette mort jouée, au lieu d’être défavorable au
groupe, lui soit propice. Le fait de la mort n’est donc pas primordialement
enregistré au titre corporel, mais à celui d’une modification sociale. La mort,
dans sa manifestation physique, est une aventure qui échappe au souci
d’ordre et d’organisation du groupe : il en va inversement lorsqu’elle est
utilisée à des fins rituelles. Mais, dans les deux cas, il y a transformation —
beaucoup plus que disparition — d’un membre du corps social... Le passage
de la vie à la mort est donc l’inverse de celui de la nature à la culture et il
est normal que nous mettions en parallèle, tout en les affectant de signes
opposés, les chemins qui d’un côté introduisent l’enfant à la civilisation —
l’initiation — et de l’autre en détachent l’adulte — la mort \ » On saisit de
la sorte l’importance des moyens conçus et mis en œuvre par la société
négro-africaine afin de maintenir son unité et de lutter contre les forces
de dissolution mortifère. A côté de la naissance physique, utérine, qui malgré
tout frappe par son caractère individuel, on découvre la naissance initiatique,
le plus souvent masculine, et qui demeure un fait collectif. A côté de la
mort physique, brutale autant qu’inévitable, qui ne frappe que l’individu
(apparence sensible) se réalise la mort symbolique, jouée et vécue au nom du
groupe entier et qui accroît sa vitalité (effervescence collective, nouveaux
membres à part entière). Et si la mort physique est l’inverse de la naissance
biologique, la naissance initiatique devient le prolongement, combien effi
cace, de la naissance utérine et l’envers de la mort symbolique. Dans le
premier cas, on débouche dans l’individuel et malgré tout dans la nature ;
avec le second, on appartient sans conteste au collectif, donc à la culture.
Dans le premier cas, l’individu reste passif et s’avoue vaincu ; dans le
second, le groupe éprouve son pouvoir d’auto-engendrement. C’est par la
vertu du symbole ou la démarche utopique (l’imaginai) et la conduite com-
munielle (union communautaire) que le Noir échappe à la naturalité de
sa condition, nous y reviendrons.
• Une autre manière de vivifier le groupe est la circulation des biens,
laquelle à la fois renforce certains liens entre apparentés et permet de susciter
une clientèle élargie2. Non seulement de grandes richesses, parfois patiem
accumulées. Elle apparaît comme le phénomène total qui manifeste la gloire de la collectivité
et la retrempe dans son être : le groupe se réjouit alors des naissances survenues qui prouvent
sa prospérité et assurent son avenir. Il reçoit dans son sein ses nouveaux membres par l’ini
tiation qui fonde leur vigueur. Il prend congé de ses morts et leur affirme solennellement sa
fidélité. C’est en même temps l’occasion où, dans les sociétés hiérarchisées, se rapprochent et
fraternisent les différentes classes sociales et où, dans les sociétés à phratries, les groupes
complémentaires et antagonistes se confondent, attestent leur solidarité et font collaborer
à l’œuvre de création les principes mystiques qu’ils incarnent et qu’on prend soin à l'ordinaire
de ne pas mêler. »
1. R. Jaulin (1957, p. 473; 1967). Voir également L. V. Thomas (1968).
2. A ce niveau, la pratique magique peut jouer un rôle ainsi que le souligne par exemple
134 Fantasme et formation
68 63 26 27 6
soit 36,5 % 33 % 13,5 % 14 % 3 %
Unifier
La fête et le jeu d’échanges qu’elle suppose sont des procédés particu
lièrement pertinents et efficaces par lesquels le groupe vit plus intensément,
prend conscience de son unité (adolescence) et apprécie le prestige dont il
L. Perrois (1968, p. 58) « Le mbiya consiste en une marmite de petite taille (en poterie)
contenant de l’huile de palme (mâdji), de la poudre de padouk (siya) et des plumes de
poule et de perroquet avec au centre un petit bâton planté tout droit. Fabriqué par un
parent proche du candidat (par exemple une sœur du père) ce médicament magique préside aux
échanges : on apporte les cadeaux devant le dispositif et à chaque poule donnée on ôte
une plume qu’on plante dans la marmite. Selon les informateurs cela sert à « attirer la
clientèle » c’est-à-dire à attirer le plus d’invités possible et à augmenter le volume des
cadeaux ou la valeur des dons en argent. A la fin de la fête, le mbéya ressemble à une
grosse touffe de plumes et c’est le signe qu'il a été efficace ».
L’être et le paraître 135
1. Op. cil., p. 58. L’unification peut épouser des formes plus dialectiques. Ainsi la
circoncision, symboliquement, déséquilibre l'individu en le privant de sa féminité (prépuce).
L’initié devient alors apte à consommer le mariage, condition sociale de rééquilibration
(unité retrouvée du mâle et de la femelle). Le mariage consacre ainsi la seconde naissance de
l’homme et rappelle son origine (rapports sexuels des engendreurs = condition de la
première naissance).
2. Voici un exemple significatif fourni par L. Perrois (op. cil., p. 60) « A deux reprises au
cours de Salai on assiste à un défilé des parents et alliés du candidat à travers tout le
village. A la sortie de l'initiation au ngoy tous les membres mâles du clan du candidat
et des clans alliés se rassemblent un peu en dehors du village, dans la brousse. Là, les
attendent les femmes apparentées. Chacun prend une feuille dans la bouche, celle-là même
qui va servir pour les souhaits de richesse et de prospérité, et tous les parents forment une
longue file, les uns derrière les autres. Devant marchent les proches parents de l’enfant qui
est lui-même entouré ou plutôt précédé et suivi de ses frères et sœurs et même du père, les
aînés étant les plus importants. Derrière viennent les autres parents et alliés. La colonne fait
le tour du village en serpentant entre les cases pour aboutir finalement dans certains cas
à l’abri du candidat, dans d’autres derrière une cuisine où l'on procède aux souhaits rituels. »
& C’est pour montrer au candidat combien est grande sa famille déclarent les informateurs
interrogés. Ainsi les souhaits viennent prolonger la démonstration de l’existence du clan :
le candidat est le médiateur qui prolongera la vie du groupe en tant que tel et on l’aide
de toutes les forces vives de la famille. L’enfant qui pour la première fois “ voit ” et
sent ce qu’est la famille va devenir l’espoir du groupe qui porte sur lui l’assurance de son
avenir. Juste avant l’opération toute la parenté défile, les hommes étant d’un côté et les
femmes de l’autre. Le candidat est porté sur les épaules de son frère aîné (ou du frère
de son père). Habillé du pagne de raphia, il porte de nombreux colliers bangwésé en perles
de verre, des peaux de civette et agite à la main les chasse-mouches rituels en poil de
singe, au rythme du chant des hommes. » Ostentation et faire valoir, sécurisation, unité
du groupe sont ici mis en évidence.
Voir également L. V. Thomas (1970).
L’être et le paraître 137
1. « La vie d’un Peul, en tant que pasteur initié, débute avec 1’ « entrée » et se termine
avec la « sortie » du parc, qui a lieu à l’âge de soixante-trois ans. Elle comporte trois séquences
de vingt-et-un ans chacunes : vingt-et-un ans d’apprentissage, vingt-et-un ans de pratique et
vingt-et-un ans d'enseignement. “ Sortir du parc ” est comme une mort pour le pasteur ; il
appelle son successeur ; le plus apte, le plus dévoué des initiés ou son fils. Il leur faut sucer
sa langue, car la salive est le support de la “ parole ", c’est-à-dire de la connaissance puis il
leur souffle dans l’oreille gauche le nom secret du bovidé » (A. Hampate Ba et G. Dieterlen,
1961, p. 14).
2. Des cérémonies d’adieu ont lieu parfois qui ne manquent pas de grandeur et d’émotion,
L. V. Thomas, op. cil., 1970.
3. En effet, les cérémonies initiatiques impliquent « la notion de stade fœtal situé entre
la “ mort ” et la “ résurrection ” du néophyte, celles-ci devenant respectivement, dès
lors “ retour ” dans le ventre “ maternel ” et renaissance. Le temps qui sépare les deux
moments critiques de l’existence initiatique n’est pas un temps “ mort ” mais un temps
“ actif ”. Il peut être plus ou moins long selon l’ampleur accordée aux rites par les
diverses ethnies. Parfois il s’échelonne sur plusieurs années, d’autre fois il est marqué
par un rite passager de la valeur d’un court intervalle. En tout état de cause, la véritable
formation du postulant s’opère durant son état de fœtus, phase qui marque cet autre
passage à la connaissance caractérisée par la “ passivité ” du candidat ; l’acceptation
résignée des épreuves auxquels il est soumis, sa profonde tranformation spirituelle. »
D. Zahan (1970, p. 99).
4. Le rapprochement avec la mort « présente l’avantage de relier en une même tonalité
l’ensemble de l’existence humaine — en montrant qu’en un certain sens, notre véritable
“ achèvement ” ne s’accomplit qu’au moment de la mort. L’initiation n’est plus alors
un passage déjinitij et absolu, mais elle reste, sans doute, le moment où se dévoile pour
l’homme le sens dernier de son existence, où se manifeste sa finitude et où il lui devient
possible d’assumer sa condition, mais aussi peut-être de la refuser. Sans doute ce choix
est-il inscrit à la source même des rites » (G. Lapassade, op. cit., p. 95).
138 Fantasme et formation
1. N'est-il pas significatif que chez les Peul les trois degrés supérieurs, assimilés aux
trois enveloppes qui entourent les fœtus, sont dits les « trois obscurités de la matrice »...
Sur le plan spirituel, l’initié est ainsi ramené au stade fœtal, il « naît » ensuite à une
nouvelle vie et porte le titre de « fils ».
2. Op. cit., p. 94.
3. ... « La renaissance-résurrection fourmille d'allusions aux rites perpétués lors des
naissances ordinaires. C’est que le passage à la connaissance spirituelle est pour les Bambara
lié fondamentalement à la notion complexe d'acquisition de la personnalité. » D. Zahan
op. cit., (1970, p. 104-105). 11 en va de même pour les Diola de Casamance (Sénégal). Que
la circoncision soit une transformation, cela ne fait aucun doute : le passage de l’état de
Kanibat (non initié) à celui de Vhane (initié) ou de l’état de Akuleh (non-homme) à celui
d’/4n«7tan (homme vrai) n’est pas une question de mots (d’ailleurs l’efficience du verbe
s’oppose à une telle conception) mais un changement radical dans l’état de la personne. C’est
ce qui explique pourquoi le nouvel initié (luliinu) frappe sa mère ou ses frères et sœurs en
rentrant chez lui, ou parfois même feint de ne plus reconnaître les siens. De plus, le séjour
dans le hul (enclos de retraite) représente, sur un rythme accéléré, l’histoire universelle de
l’humanité. Le circoncis opère une régression vers l’état ancestral : c’est pourquoi il danse
courbé sur un bâton (ainsi marchait avant de mourir l’ancêtre qu'il réincarne) ; mais plus tard,
quand il brandira ce bâton, il sera devenu adulte, capable de combattre (bâton = arme) et de
procréer (bâton = phallus). C’est une loi fréquente en Afrique : un même symbole connote
plusieurs sens ; une pluralité de symboles convergent vers un seul sens.
4. Revenons à l’exemple du Peul : A Hampate Ba, G. Dieterlen (1961). « Avec l’âge,
la pratique et en fonction de l’étendue de ses connaissances, l’initié pasteur ... accède
progressivement au titre de silatigi, terme dont on ne peut donner d’étymologie précise mais
qui peut se commenter ainsi : “ celui qui a la connaissance initiatique des choses pasto
rales et des mystères de la brousse ”. L'influence considérable du silatigi s’explique par
ce titre, le plus prestigieux que puisse souhaiter un Peul : tout pasteur initié rêve d’être
un jour Silatigi », p. 21.
L’être et le paraître 139
circoncision par exemple, est une école de courage : crier pendant l’opé
ration est un déshonneur qui poursuit le délinquant jusqu’à la mort et lui
vaut dans l’immédiat des horions supplémentaires. Il importe de lutter
contre ses nerfs : se lever en pleine nuit, se livrer à des travaux pénibles,
exercer sa mémoire, son habileté ou son adresse, ne pas se laver, manger
une nourriture grossière, sont autant d’épreuves quotidiennes. Il faut encore
apprendre la soumission la plus totale aux ordres des surveillants, ne pas
se révolter contre leurs désirs et leurs décisions même injustes ou absurdes,
ne pas protester contre les injures, les offenses ou les coups. A chaque
instant, l’initié doit se convaincre de la nécessité de la vie collective et du
rôle social du courage (devant le danger ou au travail). Deux mots carac
térisent, sur ce point, la circoncision : résistance et obéissance.
• Connaissance et formation de la personnalité se conjuguent pour accéder
à une plus grande intériorité ; c’est ce que nous apprend la succession des
six dyow (sociétés d’initiation bambara) dont D. Zahan (1970, p. 209)
fournit le résumé que voici : « La connaissance de soi (Ndomo) engendre
l’investigation au sujet de la connaissance elle-même (Komo) et amène
l’homme en face du social (Nama) ; de là naissent le jugement et la
conscience morale (Komo) grâce auxquels la connaissance aborde le cosmos
(Tyiwara) pour aboutir à la divinité (Korè). On saisit de la sorte la façon
dont la vie mystique s’épanouissant dans le Korè est préparée et soutenue
par la longue formation à travers les cinq autres sociétés d’initiation. En
supprimant à la limite les chaînes intermédiaires entre le premier et le dernier
dyow, on pourrait dire que la relation essentielle dans ses ensembles, est
celle qui unit la connaissance de soi (Ndomo) à la connaissance de Dieu
(Korè). »
• Aussi est-ce à une véritable conversion que nous assistons. Les méca
nismes répressifs, le conformisme et le dressage n’aboutissent qu’à des
routines. Mais pressé par le besoin d’identification à l’adulte, soucieux
d’être jugé digne de pouvoir accomplir certains rôles, le néophyte accepte
l’avilissement de la brimade et la douleur de la blessure car c’est la double
condition d’une seconde naissance, celle « qui révèle au nouvel adepte une
vie inconnue en le dotant de puissances supérieures. La condition d’une telle
métamorphose spirituelle est la faveur de la conversion1 ». Il n’en faut
1. Sans doute les femmes pratiquent elles aussi les naissances initiatiques mais non de
manière systématique et très souvent avec une ampleur moindre que les hommes.
2. Par le mariage le Bambara s’efforce de retrouver l’unité androgynale, sans y parvenir *
« En aucune manière le sexe conquis ne bénéficie de l’intimité sexuelle qui reste le partage
de l’androgénéité » (D. Zahan 1965, p. 177). Seule la mort, avec le contact intime avec la
divinité à la fois mâle et femelle, réalise l’unité désirée.
3. G. Calame Griaule (1965, note 5, p. 125). L’auteur précise « La circoncision a été
imposée d’abord comme punition au Renard, par la suite elle est devenue un moyen d’assurer
la fécondité humaine en supprimant l’organe porteur du principe de sexe opposé ».
4. Avant de tomber sous la tutelle de son époux, l’initiée acquiert seulement une indépen
dance plus grande vis-à-vis de sa mère (ou de ses tantes).
144 Fantasme et formation
Ainsi, qu’il soit question de groupe ou d’individu, l’être n’est rien sans
le paraître, le valoir sans le faire-valoir, le réel sans l’imaginaire, la vérité
sans la simulation. C’est ce que l’examen des techniques initiatiques ne va
pas manquer de nous confirmer. Par-delà la surprenante variété des rites
et des liturgies que nous offre l’Afrique noire, il est loisible de saisir un
certain nombre de traits constants sur le double plan des procédés employés
ou de la dialectique antagoniste.
C. La signification profonde
1. La notion de marque peut renvoyer au masque, sorte de marque provisoire qui consacre
l’identification du sujet masqué à l’être surnaturel que le masque représente — Voir
J. L. Bédouin (1967, p. 77-78) — Le temps nous manque pour introduire une analyse sur
l’être et le paraître en rapport avec masque.
2. C.M.N. White (1953, p. 20 et suiv.). Les Luvales habitent le Zambie.
3. P. Hanry (1970, p. 147 et suiv.).
L’être et le paraître 147
des adultes. Cet aspect du problème explique fortement, à lui seul, l’accepta
tion par la fillette des souffrances de l’excision. » Enfin (précisément à cause
des rapports étroits qu’il entretient avec la vie et son renouvellement), par
le pouvoir qu’il a de provoquer la venue au monde d’enfants qui non seule
ment assureront la continuité du phylum clanique mais pourront réincarner
les ancêtres bien aimés, le sexe occupe une place capitale ou privilégiée
dans les opérations initiatiques : symbole de ce qui est important dans la
condition humaine, il participe de la sacralité (naissance archétypique).
Ou, si l’on préfère, l’initiation opère la transition fondamentale de la sexua
lité subie, donc impure (nature) à la sexualité ritualisée, purifiante, sublimée
(culture). C’est pourquoi elle est instrument, par excellence, de co-naissance.
1. « Que des épreuves terminent toute jeunesse et qu’il ne se peut point qu'on passe sans
rupture de l'adolescence à l’âge viril » écrivait P. Nizan (1928, p. 298). Qu'il y ait, en outre,
un certain désir des vieux et des vieilles sur le chemin du déclin de se venger des jeunes
qui vont les remplacer tout en réprimant chez eux les désirs incestueux cl les pulsions agres
sives est indiscutable même si par ailleurs vieilles et vieux éprouvent quelque fierté à « mettre
au monde » des adultes.
2. On sait comment E. Durkheim voit dans les épreuves l’acquisition des qualités de
désintéressement et d’endurance, préludes à l’instauration du religieux. Voir Les formes élé
mentaires de la vie religieuse, (1962, p. 451-452). Signalons encore l'importance des interdits
alimentaires. « Au cours de la “ retraite ” certains aliments sont prohibés — de la même
manière que sont prohibées les relations sexuelles. La prohibition des aliments est parfois
interprétée comme une mesure rationnelle : elle éviterait des aliments trop excitants en période
d’abstention sexuelle. On a également avancé l’idée que la privation de nourriture, en affai
blissant le novice, induit cet état de faiblesse qui doit conduire à l’amnésie, c’est-à-dire à
l’oubli de l'enfance. Pour Reik, le véritable sens de ces prohibitions est différent : elles cons
tituent une intensification des restrictions totémiques. Les adultes, pères des initiés, manifestent
par ces prohibitions alimentaires, la crainte d’être eux-mêmes dévorés au cours d’un repas
totémique ». (G. Lapassade, op. cit., p. 85). L’initiation s’apparente ainsi au sevrage.
3. D. Zahan (1970, p. 186). On trouvera chez l’abbé Th. Tsala (1958) une description parti
culièrement suggestive d'épreuves (rite initiatique du So) qui toutes lient « la valeur de la
douleur » à « la sublimation religieuse de l’homme » (p. 142).
L’être et le paraître 149
• Ensuite les conduites du corps. Bien que le fait ne soit pas tellement
répandu, il ne faut pas manquer d’évoquer les techniques hypnagogiques qui
placent le néophyte dans un état second facilitant sa réceptivité docile ou
les procédés hallucinogènes (manducation par exemple de l’iboga de la
famile des Apocynacées dans le rituel du bwiti (Mitsogo du Gabon). Dans
ce dernier cas (O. Gollnhaffer et R. Sillans, 1965, pp. 143-173), le postulant
est censé, par le sentiment d’étrangeté — et aussi d’étrangèreté — qu’il
éprouve, abdiquer sa personnalité ancienne (le vieil homme) et participer à
l’énergie cosmique (contenu des hallucinations). Citons encore la danse
dont les fonctions s’avèrent multiples : assurer la maîtrise du corps, réaliser
l’expression collective du consensus social avec, à la fois et dans les formes
extrêmes, le sentiment de l’unité groupale et la dépossession de soi ; symboli
quement, elle va plus loin encore car elle fait participer à la création : « C’est
par ces mouvements chorégraphiques que l’initié libère et maîtrise les
forces naturelles cachées dans le contenu symbolique des danses et qui
deviennent créatrices par les vibrations émises. 11 devient alors une étincelle
du Cosmique qui pénètre toutes choses... » (ibid., p. 155).
• Enfin des rituels privilégiés.
— La réclusion1, par exemple, devient un temps propice pour la pur
gation et le rajeunissement du néophyte, un retour à la nature (par opposi
tion au village qui est culture) et à l’état fœtal. L’ombre de la forêt, la cabane
obscure, le souterrain, la grotte symbolisant fréquemment la matrice ;
l’initié qui, tout comme le fœtus, ferme le poing, plie la tête sur les genoux,
un voile lui couvrant le chef ; la jeune fille venda du Transvaal qui assure
la position fœtale*, « bras croisés sur la poitrine, muette, immobile, elle est
soit accroupie sous une couverture( le placenta), soit immergée dans un trou
d’eau spécialement réservé aux initiations féminines dans le cours d’une
rivière (eau de la matrice...), constituent à des titres divers des signifiants
non équivoques, exprimant tous le même trait culturel.
— Les conduites d’avalement, toujours associées au problème de la
nourriture (Vie — Force — Renouveau) s’avèrent également très significa
tives ’. Chez les Poro du Libéria l’initié est avalé par la divinité Poro, l’esprit
1. « La réclusion symbolise la “ vie ” du cadavre dans la tombe et aussi l’attente du
fœtus dans le sein maternel » D. Zahan (1970, p. 103).
2. J. Roumeguère-Eberhardt (1963, p. 36). Signalons encore l’exemple des Nandi (Kenya,
Tanzanie). « Quand les garçons sont remis (de la circoncision), on célèbre la cérémonie
Kapkiyaï : au moyen d’un barrage un plan d’eau est délimité sur la rivière ; une petite hutte
est édifiée. Tous les garçons se déshabillent et précédés par le plus ancien (l’initiateur) ils
rampent les uns derrière les autres et traversent la hutte par quatre fois. Ils sont alors com
plètement submergés par l’eau. » A. C. Ilallis (1909). L’immersion rappelle le retour à la
matrice, la hutte symbolise l’utérus et la reptation, la situation fœtale. L’association des trois
choses vise à recréer la vie intra-utérine. La nudité exprime à la fois l’état du nouveau-né
et celui de l’homme, aux premiers âges de l’humanité (double régression). Le port, dans l’enclos
sacré, de vêtements de feuilles symbolise également le stade primitif.
3. Au sujet des Sara du Tchad, R. Jaulin (1967, p. 140) a pu écrire : « La femme-terre
enfante de la nourriture pour les hommes vivants qui tiennent des morts leur droit à celle-ci.
de même que la femme humaine accouche d’enfants qui sont aussi nourriture pour la société :
ils seront au reste tués et avalés rituellement par les ancêtres et la terre afin de renaître et de
germer selon une dimension clanique. A ce titre, il y a entre les enfants et la nourriture une
150 Fantasme et formation
1. Dans le même ordre d’idée, R. Bastide (1958, p. 201) ajoute : « on se souvient qu’une des
caractéristiques de ces rites, c'est le changement de personnalité, et que ce changement se
marque par une conduite enfantine de ceux qui reviennent au village après les mois passés
dans le secret de la brousse. Ils agissent et ils parlent comme des nouveaux-nés ... il y a là
le signe d’une métamorphose de la personnalité : on était mort à la vie profane, on renaissait
comme personnalité religieuse ».
2. Le poteau est toujours un symbole phallique (renforcé ici par le sang du bélier). Chez les
Diola du Sénégal (Voir L. V. Thomas (1968), comme chez les Gbaya, on procède à l’érection
d’un grand mât. Ce symbole est surdéterminé : il est phallique (érection du pénis prêt à
procréer) ; il souligne aussi la cohérence du groupe (unité et solidité du mât). Un initié doit
grimper au sommet ce qui symbolise l’élévation de la communauté, hors de l’espace et du
temps vers les archétypes mythiques que l’initiation rappelle.
3. C’est un jeune homme souple et vigoureux qui, secrètement, joue ce rôle.
152 Fantasme et formation
1. O. F. Raum (1940). B. Bettelheim (1971, p. 157). Et l’auteur ajoute (p. 158) : « la compa
raison entre la menstruation et l’obturation est suggérée encore par la méthode enseignée aux
hommes pour cacher leurs fèces et aux filles le sang menstruel. Les filles doivent enterrer le
sang pour le cacher à leur père et à leurs frères, ce serait un péché de le laisser voir. De la
même manière, on avertit les hommes de cacher leurs fèces aux femmes ».
2. A. Varagnac (1948, p. 326-329). Il faut avoir assisté à ces rites initiatiques pour se rendre
compte, ce qu’aucune description ne peut rendre, de l’atmosphère qui y règne : chants mer
veilleux, rythmes des tambours, coups de fusil, joie triomphante des initiés, qui ont subi les
épreuves sans gémir, les expressions de douleur atroce quand le couteau tranche les chairs, etc.
Le pouls des initiés aux moments les plus émouvants se stabilise souvent à 200 (Dr Collomb),
3. Le respect du secret procède de l'esprit de discipline.
L’être et le paraître 153
la réalité, la fiction doit rester cachée si les adeptes veulent jouir des béné^
fices psychologiques de l’accomplissement symbolique. Le secret est donc
indispensable pour que les besoins des croyants continuent d’être satisfaits >
(Bettelheim, 1971, p. 152). Enfin, la simulation. L’initiation est le rite du
comme si. Il s’agit de faire croire à la mère serer et aux néophytes que le
Mam dévorera ces derniers, aux épouses Chaga que l’anus de leur époux est
bouché, aux jeunes filles gbaya que le Moko réellement viole l’une d’elles
et aux femmes que le nàrigâ est vraiment un accoucheur tandis que le rhombe
passe, chez les Sara, pour la voix des ancêtres menaçants... On ne sait
exactement dans quelle mesure les habitants du village adhèrent à ces
mensonges sacrés ; disons seulement qu’il serait fort dangereux de ne pas
faire semblant d’y souscrire. Rien ne s’oppose d’ailleurs à ce qu’une sorte
d’autosuggestion collective n’incite tout le monde à croire à ces fabula
tions. Cette tromperie, ne l’oublions pas, s’exerce tout spécialement à
l’endroit des femmes, ce qui constitue pour les hommes un nouveau moyen
de compenser leur infériorité (ils n’accouchent pas !...). « La partie mysti
fication, tromperie de l’affaire est nécessaire pour que les femmes soient
maintenues dans le respect de l’institution ; ce qui compte n’est pas ce qui
est réalisé effectivement, les paroles et les gestes, mais le seul résultat —
extérieur aux initiés — auquel on arrive. Certes, ceci va de pair avec la
transformation des initiés, mais lorsqu’à divers moments des cérémonies les
hommes se livrent aux plus grosses plaisanteries — en langue secrète —
c’est avec un manque de sérieux total mais dissimulé. La plus grande faute à
laquelle correspond la plus sévère des sanctions (la mise à mort) serait
néanmoins de laisser deviner aux femmes le contraire de ce qu’il faut leur
faire croire. La sorte de nécessité de ces opérations permet donc qu’on y
déroge, qu’on les adapte à certaines situations et qu’on les soumette à diver
ses modifications : la seule règle est de ne pas aller à l’encontre de leur
fonction *. »
Ainsi de la tromperie consciente à l’auto-suggestion (ou à la mauvaise foi,
au sens sartrien du terme), de la révélation au secret ou seulement à la
restriction mentale, toutes les transitions sont possibles ; de même qu’entre
l’imaginaire et l’imaginai, tous les relais sont permis...
Une fois encore, il n’est pas aisé de préciser les limites réciproques de
l’être et du paraître.
3. La dialectique antagoniste
S’il fallait par une formule condensée suggérer l’esprit de l’initiation négro-
africaine, c’est de dialectique antagoniste qu’il faudrait parler. L’initiation
1. R. Jaulin (1967, p. 60). Voir encore G. Devereux (1970, p. 309), excellente analyse de la
simulation rituelle.
154 Fantasme et formation
rituelles. Nous savons encore que chez les Venda (Afrique du Sud) les trois
degrés d’initiation ont leur correspondant cosmique : Khomba et l’espace du
village, Tshikanda et la région, Domba et le cadre national. Mieux encore :
« Tandis que l’institution du khomba vise à structurer l’homme comme
microcosme du monde, inversement le domba met l’accent sur l’univers,
macrocosme de l’homme ; par exemple, tandis qu’au khomba les parties
composantes de la case se rapportent aux parties du corps humain, inverse
ment l’instruction du domba projette l’homme et ses actions sur le plan
cosmique : la matrice devient un lac géographiquement déterminé, lieu de
la première création ; les initiés, en assistant au domba, et en dansant la
danse du python, se préparent au mariage et à leur rôle de procréateurs en
revivant, au moyen de cette danse, l’acte de la première création, vomie
par le python mythique. Nous allons donc, en passant par une école inter
médiaire, le tshikanda... d’une instruction « sociale »... à l’instruction mythi
que et cosmique... Cependant, à l’intérieur même des écoles d’initiation, la
démarche est inversée : la novice passe par trois étapes différentes la
menant du cosmique au social » (Roumeguerre-Eberhardt, 1963, p. 36).
Ainsi cosmique et social sont en interaction permanente, à la fois séparables
et inséparés. Leur rencontre joue sur trois plans : topologique (village ->
brousse -» village) ; symbolique (culture —» nature -> culture) et méta
physique (monde visible *-» énergie créatrice, brousse réelle brousse
mythique).
2* niveau
• Jeunes/vieux (cadets/aînés). — L’initiation traduit un problème de classe
d’âge sinon de génération. La situation des initiateurs' reste assez ambiva
lente, partagés qu’ils sont entre la joie de ce nouvel enfantement et le
désagrément de préparer ceux qui vont bientôt les remplacer. Aussi les
vieux ne livrent-ils qu’une partie de leur secret (savoir social), ce qui leur
permet d’assurer leur suprématie : séniorité et surtout gérontocratie quali
fient fort bien la société africaine traditionnelle. Mais il faut cependant que
soit rendue possible la relève, que les générations se succèdent, que la
société ou plutôt le phylum clanique soit assuré de sa continuité. C’est
pourquoi les aînés et les cadets sont à la fois antagonistes et complémentaires.
Le heurt des générations s’exprime parfois de manière expressive : les
Bwa de Haute-Volta étudiés par J. Capron, lors de l’initiation au « Do »,
pratiquent un combat non dénué de violence au cours duquel les néophytes
frappent les aînés masqués, libérant ainsi leur agressivité (meurtre du père).
En fait, les pères12 ont besoin de leurs fils dans la mesure où ils pourront se
réincarner dans les enfants qu’ils leur donneront, au même titre que les fils
ont besoin de leurs pères pour accéder eux-mêmes au droit fondamental de
procréer. Par le biais de la réincarnation et des engendrements initiatiques,
la dialectique des âges est sans fin.
1. A la fois promotionneurs et castrateurs.
2, En assurant leur propre supériorité sexuelle les anciens combinent leurs tendances hostiles
156 Fantasme et formation
et celles du Surmoi, les premières se traduisent par l'inhibition des fils en tant que rivaux
possibles, les secondes par l’enseignement de la loi tribale qui assure l’obéissance à la tradition.
Les actions des anciens, sont ainsi, en même temps, sous l’influence de deux instances psy
chiques : le Çà et le Surmoi. Elles le sont effectivement puisque ces hommes agissent en tant
qu’êtres humains et que les êtres humains ne peuvent, à aucun moment, être motivés par une
instance unique » (B. Bettelheim, 1971, p. 85-86).
1. J. Roumeguère-Ebcrhardt (1963, p. 91). La valence féminine que l’on attribue souvent à
la sorcellerie semble être liée à la position ambiguë de la femme à la charnière entre la nature
et la culture, entre la vie privée et la vie publique. L’ambiguïté de la femme tient au fait
qu’elle engendre des incirconcis ; en elle le passage de la nature à la culture n’est pas assuré,
fait toujours problème. C’est ce qui est exprimé par l’opposition entre la femme et le for
geron qui semblent occuper dans la société deux positions symétriques inversées : la femme
produit des incirconcis, le forgeron des circoncis ; l’épouse du forgeron, la potière est sage-
femme, le forgeron assure la transition à la société des adultes (M. C. et Ed. Ortigues, 1966,
p. 237). Sur la différence des rôles masculin/féminin quant à l’initiation, voir encore
B. Bettelheim (1971, p. 173).
L’être et le paraître 157
3’ niveau
1. Soit encore l’exemple du Dogon. I" désordre : Dieu féconde la Terre son épouse, sans
qu’elle soit excisée, d’oû naissance du chacal; lre remise en ordre : la Terre accouche du
génie de l’eau qui lègue à sa mère une ceinture de fibres dont l’humidité favorisera son
œuvre de procréation (première parole, premier message). 2’ désordre : inceste divin commis
par le chacal qui s’unit à sa mère ; 2' remise en ordre : avec de la terre, Dieu pétrit le premier
couple humain. Celui-ci enfantera quatre couples de jumeaux (4 filles, 4 garçons) qui devien
dront plus tard, les génies des eaux. L’un de ces jumeaux, le septième, maître du verbe,
inventera le métier à tisser (symbole du second message). 3' désordre : les huit génies se livrent
à des activités désordonnées qui perturbent l’équilibre du cosmos ; 3' remise en ordre : le
génie forgeron héros civilisateur avatar du génie de l’eau, apporte les techniques, les institu
tions sociales, les symboles ; mais surtout il fournit la dernière parole, ultime message. On
notera la place qui échoit au verbe dans la dialectique de réconciliation.
2. Chez les Dogon, la circoncision constitue le premier degré de l’initiation : connaissance
des secrets propres aux masques et à leurs cultes. Voir M. I.eiris, A. Schaeffner (1036, p. 144-
161).
158 Fantasme et formation
4* niveau
• Mort/vie. — C’est peut-être le moment dialectique mort/vie qui, ainsi
que nous l’avons souvent fait remarquer, semble le plus important. Non
seulement les ethnologues depuis Hertz ont souligné en quoi la mort,
comme l’initiation, est un passage à une autre vie avec épreuves multiples
pour parvenir à l’état d’ancêtre et en quoi la naissance « accomplit pour la
conscience collective la même transformation que la mort » quoiqu’en
« sens inversé », mais encore ont-ils surtout montré que la mise à mort
symbolique suivie de la re-naissance (en quoi consiste précisément l’initia
tion) devient grâce au caractère opératoire du symbole et du rite (l’imaginai)
le moyen privilégié qu’a le groupe de s’auto-défendre et de persévérer dans
l’être. Si la mort physique est subie individuelle et individualisante, la mort
initiatique, au contraire, est voulue collective et communautarisante. Avec
celle-là on reste sans aucun doute du côté de la nature ; mais celle-ci nous
introduit en plein cœur de la culture. En outre, la naissance biologique qui
n’aura de sens social vrai qu’avec l’initiation, aboutit nécessairement à la
mort biologique tandis que la mort liturgique, cultuelle permet au groupe
rituellement, donc symboliquement (imaginalement), de se régénérer par
la naissance (ou re-naissance) initiatique. Ce que pourrait exprimer le
tableau que voici :
1. J. Cazeneuve (1971, p. 277-279). Le même auteur dit encore avec beaucoup de justesse
(p. 178). « Pour l’homme religieux, la force numineuse dangereuse n’est plus que mensonge;
la vraie puissance surnaturelle est désormais celle qui garantit l’ordre humain auquel lui-même
vient s’intégrer par l’initiation et à laquelle il participe si bien qu’il en peut toucher les
symboles. Les non-initiés eux, restent dans le mensonge ».
L’être et le paraître 159
Ainsi que nous l’avons laissé entendre, si les vrais événements majeurs
de la vie sont la naissance, l’initiation et la mort, le plus important de tous
est le second qui confère un sens au premier et dénie tout pouvoir destructeur
au troisième. Mircea Eliade (1965, p. 167) a tout à fait raison d’écrire :
« Génération, mort et régénération (re-naissance) ont été comprises comme
les trois moments d’un même mystère, et tout l’effort spirituel de l’homme
archaïque s’est employé à montrer qu’entre ces moments il ne doit pas
exister de coupure. On ne peut pas s’arrêter dans un de ces trois moments.
Le mouvement, la régénération se poursuivent indéfiniment. On refait infa
tigablement la cosmogonie pour être sûr qu’on fait bien quelque chose : un
enfant, par exemple, ou une maison, ou une vocation spirituelle. C’est
pourquoi on rencontre toujours la valence cosmogonique des rites d’ini
tiation. >
La dialectique n’est pas seulement un mode de résolution des conflits ou
tensions ; elle reste encore, par son inachèvement, l’expression la plus pure
de l’initiation, étemelle quête de l’homme toujours remise en question !
«»*
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Index
Abraham (K.}, 49, 54, 65. 96. 103, 109 Chevalier, Tl. 78
Accouchement, accoucheur - accouchée. Circoncision, excision, 129, 131. 135,
24. 29. 31. 42. 142, 150, 154 138-143, 144, 147, 150. 154, 159
Adolescence, 8, II. 17, 40. 62, 63. 71, Clivage, 10, 13. 26. 33, 35. 40, 48, 55.
112. 131, 144 57, 70
Agressivité, destructivité, 3, 4, 10, 12. Cloaque (théorie cloacale), 40. 54-56,
14. 19, 21, 23. 25-27. 31-40. 44-58. 66, 67
70. 88, 108, 109, 133. 155, 159 Contrôle (situation de —). 97, 101, 107-
Amiel-Lebigre, 91 109
Anal, analitc. 11. 15. 28, 34. 35. 39-40. Contrôle (fantasme de —), 37. 40. 46-54,
44-47, 50-58, 64-68 57, 63, 67
Androgyne, 15, 16. 60, 61, 63, 141, Corps, 20, 24, 25, 31, 37, 39, 41-44. 48,
142, 157 51, 56, 64, 75, 77, 79. 103, 105, 126.
Anzieu, 20, 22. 26. 67. 69-72, 83. 96 129, 139, 148, 149, 154, 156
Apprentissage, 97, 99. 120, 123. 140. Création, créateur, créature, 16. 20. 22.
152 37, 39, 42-44, 48, 49. 53, 126, 149
Aulagnier-Spdirani. 17. 21 Croyance, 12, 20. 59-64, 71, 95, 105.
Autarcie (fantasme d'—1. 11-15. 17, 18. 106, 113, 117, 118, 122, 131
61 Culpabilité, 3, 38, 71. 77, 79, 81. 89, 96
Auto-analyse, 12, 22, 96. 108 Culture (acculturation, enculturation),
Auto-érotisme, 14, 17. 20-22, 49, 69 39, 74, 127, 133, 143, 148, 156-157,
Auto-formation. 10. 12, 15-18, 20-22. 61. 161-163, 166, 167
62, 69, 83, 103. 123 Cure psychanalytique, 97-100, 105-110,
121
Bakota, 134, 135
Bambara. 126, 127. 132. 138, 139. 141.
143, 151
Barus, 56-58. 85 Défaut fondamental, 101, 103
Bernard (cas de —1. 115-116 Dé-formation, 10. 12. 14. 19, 21, 23-27,
Bettelheim, 27. 127. 142, 146, 150. 151- 40, 53, 66, 70, 71. 84
153, 156 Dégagement (processus de —), 31. 34.
Bloch. 127. 128, 140 48, 72, 114, 119
Blilzer. 29, 31 Delcourt. 16, 77, 79, 96
Bolk. 178 Demande, offre de formation, 8, 40, 69-
Bon objet. 23. 26. 28. 33, 34, 36. 37. 73. 100, 109, 167
52-56, 68 Dénégation, déni, désaveu, 14, 16, 19,
Brimades (cf. aussi punition), 139, 148 20, 26, 29, 34, 60. 73, 169
Dépressive (position —; angoisse —),
Caillais, 132. 150 15. 26, 29-30, 50, 70. 91, 92. 116
Casse (fantasme de —). 26. 70, 119 Dévoration (angoisse de — ; canniba
Castration (complexe de — ; angoisse lisme). 29. 31-36, 50, 86. 108, 130.
de —), 14, 17. 29. 46, 47, 60. 62, 67. 149, 150, 169, 197
79, 81, 82, 89, 98, 99, 102. 103. 109. Deuil (travail du —). 31, 84, 148
110. 115, 117, 122. 141. 145 Diable, diabolique, démoniaque, 14, 49.
Cazeneuve, 130. 143. 158 66, 127
Changement, 17. 40, 57, 70. 73. 75. 117. Dick. 21. 66
130, 143. 154 Dieterlen, 130, 136, 138, 139, 141
172 Index
Dieu, divinité, 18, 24. 37, 41, 42. 49. 50. 65, 67, 71, 74, 77, 79. 90, 101. 103.
79-82. 117, 125, 126. 130. 139. 140. 108-110, 117, 118, 122
157
Différences (reconnaissance des — :
refus des —), différenciation. 7, 13. Galatée, 45, 47
17-23, 42, 50, 58, 60-64, 69, 71. 119. Cbaya, 141, 142, 151-153, 156
122. 156, 157 ' Gelly, 6, 7. 68
Diola, 138, 151 Génération, généalogie, 10, 13, 16-20,
Dogon. 125, 131, 138. 145, 146, 156. 70. 117, 127, 131, 140, 148, 155, 159
157 Genèse (récit, mythe de la —), 14, 24,
Double, 48-50, 141 39, 65. 66
Dschagga, 142, 151. 153 Gennep (van), 128, 143
Duelle (relation —). 23. 31. 57, 58. 100. Golem (légende du —), 39. 43, 79, 80,
103. 106, 107. 121 88
Durkheim. 128, 148 Gori, 61. 86
Grossesse, gestation. 22, 24. 29-31, 67
Groupal (appareil psychique —). 5. 74
Ecole. 10, 18. 27. 50, 56-58. 61-63. 159 Groupe (dynamique de — méthode de
Elèves. 32. 34. 35. 40. 45. 46, 57. 58. —). 18. 45. 55-58, 67. 68, 71. 85. 94.
101, 104 111, 117-119 (objet —). 18-20, 24,
Eliade, 86. 128, 131, 145, 150, 154, 159 29. 30, 39. 55, 56
Enseignant, enseignement, 9-11, 24. 32. Grunberger. 111, 146
34. 40, 45, 56-58, 139
Envie (— destructrice), 29-38, 46, 57.
58, 62, 142 Hampate Bu. 130. 137, 138. 139
Epreuves (cf. aussi initiation), 16. 27. Hanry. 141. 146. 147
30. 33. 54. 71. 82-90, 127, 129. 131, Hephaistos, 39, 66. 79
139, 148 Héros. 42. 85. 102
Erotisme, 39, 40, 52, 59, 65, 66 Hesse. 37, 40-4.3, 49
Eternité (désir d’ —), 76, 79, 117. 118 Hotas, 129. 131
Eve. 37, 43, 49 Homonculus, 17. 78
Excrétions (omnipotence des —), 39. Homosexualité, 29, 63-64
40, 43, 49, 65. 66 Hottentot, 129, 146
Introjection (voir aussi incorporation). Narcissisme, 10, 15, 18, 22, 29, 50, 56.
29, 31, 35, 38, 50, 52. 58 57. 62, 65, 70, 96, 105, 107, 110, 111,
Investissement, 50, 52-55, 65, 66. 105 120
Ionesco. 4, 46, 50. 76. 87 Niederhofjer. 127, 128, 140
Irène (cas d' —), 112-114 Nom, prénom (dation du —), 145, 146,
150
¡aulin, 133, 149, 153 Nourriture, nourrissage, 22, 30-35, 56
lones, 16, 66, 67, 96, 103
lung, 98, 99, 103 Objet (relation d’ — : voir aussi bon —
et mauvais —), 11. 43-47, 52-53
Objet partiel. 32. 34, 35, 46, 47, 50, 60
Kaës. 9, 19, 25, 27. 51, 55, 62. 72. 74, Œdipe (complexe d’ — ; problématique
82, 83, 86, 120 œdipienne), 12, 19, 47, 51, 63, 70, 86,
Klein, 4, 27, 33, 36, 37, 91, 101. 103. 89, 90, 96, 99, 101-106, 109, 140, 165.
108 170
Omnipotence, 3, 10, 11. 16, 20, 43, 44.
Lacan, 104, 144, 147 57, 61. 64. 67, 71. 81, 89, 107, 108,
Lapassade, 124, 131, 137, 138. 140. 148 119
Lawrence, 26, 54. 66 Omniscience, 11, 22, 108
Lilith. 37, 42, 43. 49 Oral, oralité. 14, 16, 22, 25, 29-37. 50-
Lobi, 131, 150 53, 56. 64. 67. 108, 130. 149, 150. 166,
Lou Andréas Salomé, 98, 103 169
Origines, originaire (fantasme —), 3-5.
Maîtrise de soi, contrôle de soi, 10. 12. 10, 11, 16, 18. 58-67, 96. 111-114. 117.
68. 69, 102, 103, 148 168, 169
Maternelle (imago —), 10, 19. 21-28. Ortigues, 121. 156
31. 34, 36-42, 56, 58-65. 101, 103-109, Ouroboros. 16, 17. 69
111-118. 146
Mauvais (— objet), 28, 34, 36, 47. 53- Paradis, paradisiaque, 14. 16, 19, 28.
58, 68 35, 36, 49, 71
Médée. 35, 109 Parents combinés, 60, 64
Mère phallique, 12-15, 19, 21, 24, 25, 28. Parthénogenèse (fantasme de —), 10,
56. 59-64, 104, 105, 111, 146 14, 18, 19, 28, 61, 103
Métamorphose, 40-46 Paternelle (imago —), 11, 27-29, 90.
Métaphore, 43, 65, 110 103
Métonymie. 38, 39, 65. 110, 111 Paternelle (loi —), 23, 29, 73. 104
Miroir (stade du —), 7, 48-50 Pédagogique (institution —), 18, 32, 34,
Mise à mort, 24, 25, 30, 132, 133, 136, 35, 51, 55. 58, 61. 63, 118, 119, (rela
137, 142-145, 148-150, 158, 159 tion —), 50, 56, 58
Mise au monde, 20, 24-27, 30, 43, 109 Pélican (fantasme du —), 32, 33, 86
Missenard, 6, 7, 68. 72 Pénis, 12, 17, 19. 29, 42, 53, 56. 60, 67.
Mitsogo, 138, 149, 167 98, 105, 151
Modelage, 15, 39-46, 48, 49, 52, 53, 57. Pensée (omnipotence de la —), 39, 40.
65. 68, 157 43, 49. 65. 66
Moi, 37, 48. 55, 107. 124, 125 Père vaginal, utérin, 23, 25, 27-30, 60
Monstre, 26, 36, 38. 39, 49. 67, 71. 85. Perrier, 97, 99
102, 104, 150 Perrois. 133-136
Morcellement (angoisse de —), 32, 48, Persécutive (angoisse — ; position para
107 noïde). 10, 14, 15, 28, 32, 34-38, 45-
Mort (pulsion de —), 3, 14. 21. 24-26, 47, 50, 54. 58. 61, 64, 85
30, 33, 35, 37, 53, 54, 57, 70, 90. Personne, 124-126, 137-139, 144. 147
132-137, 142-150, 158, 159 Perversion, 13, 19, 20, 29, 103
Musil, 40, 63, 71 Peul. 129, 130, 136-139
Mutilation, 145, 146, 150 Phénix (mythe du —). 15-18, 21, 67.
Mythe, 5, 16, 39, 59, 129, 130, 145, 154 70. 76
Poro, 149, 150
Naissance, re-naissance (voir aussi mise Povillon, 126, 129
au monde, accouchement), 17, 21, 25- Prégénital, 3, 50-55, 70. 73
27, 132-138, 142-146. 149, 150, 158. Procréation (fantasmatique de la —),
159 16, 27, 61, 95, 142, 146, 153
174 Index
Processus primaire, — secondaire, 52, Séduction, 46, 47, 58, 71, 121
68, 75, 105, 106 Secret, 152, 153, 155
Projection, 9, 14, 31, 35, 53-58, 110 Sein (— oral), 31-35, 41, 108 (— ma
Prométhée, 39, 67, 81 trice), 24, 36-39, 53, 137, 142, 149
Psychanalyse, psychanalytique (— ap (— toilettes), 35, 102 (— phallus),
pliquée), 104 (— didactique), 93. 95- 29, 32
101, 107-109, 115, 116 (formation Senoufo, 129, 131, 137, 150
—), 93-123 (institution —). 102, 119- Séparation. 14-19, 21, 24-27, .30, 31, 42.
123 (mouvement —), 96-100, 103-107, 43, 61-64, 70, 83. 99. 128. 132, 136,
110, 112-120 (— pure), 104, 107 (— 144, 145, 150, 154
sauvage), 34, 56, 58, 111 (travail —), Sexualité, sexuel, 13, 28, 29, 39, 40, 44,
107, 116 52. 59. 63-66. 71, 102 ,128, 129, 132,
Pulsion (cf. pulsion de vie : — de 139, 146, 147, 151
mort). (— épistémophilique), 26, 37 Shaw, 39, 43. 45, 46, 47. 57
(à former), 4, 8 Société. 124-132, 137, 140, 154, 158
Punition, 54, 139, 148 Somali, 129. 147
Pygmalion (effet —), 45, 72 (mythe de Souffle, 39-41, 44, 52, 66, 67
—), 7, 39, 43-47. 51, 76. 83, 87 Sphinx, 34, 96
Sublimation, 39, 40, 52, 98, 148
Ramnoux, 79 Surmoi, 94, 105, 108, 166
Rank, 47. 59, 83, 103 Symbole. 128. 129, 133, 143, 144, 151,
Raum, 151. 152 152
Réclusion, 24, 129, 137. 138. 148, 149. Symbolique, 18, 35, 92. 100, 104, 106,
154, 156 122, 129, 155
Régression, 7, 17. 24, 41, 57, 107, 137,
150, 151 Talos, 39, 66, 77, 80
Reik, 128, 148 Taus-k, 98, 103
Religion, 117-119, 127, 128. 138, 140, Théories sexuelles infantiles, 4, 11, 38,
148, 154-158 42-44, 52. 59-66, 71, 105, 111-115, 120
Renoncement, 20. 22, 63, 101, 122, 130 Thomas, 16, 19, 24, 27, 68, 135, 136.
Réparation, 5, 15, 26, 31, 33. 40, 69, 70 151
Rétention, 24, 27, 33, 40. 51, 57, 62 Transfert, 45, 56, 102, 111
Rétorsion, 33-35, 56-58 Transgression, 38, 47, 80. 96, 97, 110
Rêve, 40. 41, 49, 94
Rite, 129-130, 143-159
Robot. 21, 77, 79-81 Utérin, intra —, 24, 27, 36-44, 137, 142,
Rôheim, 9, 106, 128, 138, 147 149
Roman familial, 11, 17, 59
Roumeguère-Eberhardt, 129, 149, 155.
156 Vagin, 17. 44. 64. 67, 146, 147. 150-152
Rousseau, 121 Valabrega, 6, 68
Varagnae, 140, 151
Sacré, 127-129, 136, 143, 148. 154-158 Venda, 139. 147, 149, 154, 156
Sadisme, sado-masochisme, 15, 19, 26, Vénus. 45, 47
29, 32, 37, 39, 40. 45-47, 52-58, 64. Vidal, 134, 141
70, 107. 108, 113 Vie (pulsion de —), 3, 4, 25, 37, 52. 65,
Sara, 145, 149, 150, 153 98
Savoir, non —, 15, 34, 56-59, 62. 64, Vogt (van). 36, 38, 81
70, 74, 101, 108, 132, 155
Scène (— originaire, primitive). 17, 19, Zahan, 127, 129, 137-142. 148
37, 60-64, 67, 113. 114 Zohar, 37. 44. 48